Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 9 avril 2008
OTTAWA, le mercredi 9 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi S- 210, Loi modifiant le Code criminel (attentats suicides), s'est réuni aujourd'hui à 16 h 15 pour procéder à l'examen du projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (attentats suicides). Il s'agit d'un projet de loi d'intérêt public émanant du sénateur Grafstein, que nous avons le plaisir d'accueillir. Il se présente devant le comité en tant que témoin et va nous entretenir cet après-midi du projet de loi qu'il parraine.
Monsieur le sénateur, je vous demande de commencer par un bref exposé, après quoi nous passerons aux questions.
L'honorable Jerahmiel S. Grafstein, parrain du projet de loi : Honorables sénateurs, une note d'humour a été injectée aujourd'hui au Sénat lorsque j'ai précisé que j'entendais être bref. Mon propos a été accueilli en effet par un éclat de rire provenant du fond de la salle. À ma décharge, je tiens à dire que figurent actuellement au Feuilleton davantage de projets de loi dus à mon initiative qu'il n'y en a émanant de tous les autres sénateurs réunis. Ce n'est donc pas que je parle beaucoup, mais simplement que j'ai un ou deux mots à dire sur un nombre considérable de projets de loi.
Sénateur Stratton, comprenez bien que je ne suis pas l'inventeur de ce projet de loi. Il est né en effet d'une réunion que j'ai eue avec l'ancien juge Bromstein et le sénateur Eggleton. Ils m'ont tous deux demandé d'apporter, au Sénat, mon appui à une résolution traitant de ce sujet. L'idée était de voir présenter, en même temps, une résolution analogue dans l'autre chambre.
Je leur ai dit que, d'après ce que je sais de la manière dont ces choses-là se passent, aussi bien ici qu'à l'étranger, une telle résolution est un peu un déjeuner de soleil. On la présente, mais il n'en reste par la suite pas grand-chose. Elle n'a en outre aucun effet obligatoire. J'ai dit que je contribuerais volontiers à leurs efforts si nous pouvions présenter un texte qui serait effectivement incorporé au droit canadien. Il faudrait, ajoutai-je, que cette disposition réponde aux exigences propres au droit pénal et le juge Bromstein s'est rallié à l'idée.
Voilà, donc, comment j'ai été amené à parrainer ce projet de loi. L'idée provient du juge Bromstein et de tout un groupe de Canadiens qui y sont favorables. Certains d'entre eux sont présents aujourd'hui à titre professionnel. Je souhaitais replacer cette initiative dans son contexte.
Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de l'occasion d'exposer les arguments invoqués en faveur de ce texte, ainsi que les objections formulées à son encontre par le ministère de la Justice. Vous savez que s'il est favorable à l'objet même de ce texte, le gouvernement, et les fonctionnaires concernés, ne le jugent pas opportun.
Je vais tenter de résumer les arguments invoqués à la fois pour et contre, tels qu'ils ressortent de la transcription des débats. Cela donne une bonne idée de l'état de la question. D'abord, le ministère de la Justice juge ce texte superfétatoire dans la mesure où, d'après lui, la question est déjà traitée dans le code.
Deuxièmement, le ministère fait valoir que le Sénat, qui s'est déjà penché sur les modifications qu'il conviendrait d'apporter à la législation antiterroriste, n'a pas jugé utile de retenir cet amendement. Il invoque cet argument pour dire que le Sénat s'étant déjà prononcé sur la question, on comprend mal pourquoi il y reviendrait. Les représentants du ministère ajoutent que le Sénat n'a pas jugé bon de faire état de cet amendement dans sa récente étude.
Ils estiment, troisièmement, que cet amendement ne ferait que mettre la confusion dans les poursuites. Selon eux, l'adoption de ce texte rendrait celles-ci plus difficiles.
Et enfin, ils considèrent que cet amendement aurait pour effet d'incriminer des comportements qui ne devraient pas l'être, citant, pour asseoir leur argument, l'exemple de celui qui, au milieu d'un champ, se fait sauter au moyen d'une bombe.
Voici donc les arguments de caractère général invoqués à l'encontre du texte. Mais, examinés un à un, et soumis, si je puis dire, à un interrogatoire serré par l'ensemble des sénateurs — et en particulier par les sénateurs Joyal, Milne, Baker, Stratton et autres — on s'aperçoit que la thèse du gouvernement ne résiste pas à l'examen.
Permettez-moi de me livrer à un examen général des arguments dont je viens de faire état, car nous avons aujourd'hui parmi nous des spécialistes distingués qui en feront une analyse plus méthodique.
La chose est, effectivement, déjà prévue dans le code mais, à l'évidence, le ministère n'accepte pas que la loi pénale a aussi une mission de pédagogie, de prévention et de dissuasion, ce mandat étant facilité si l'on introduit dans la loi des mots tirés du vocabulaire de tous les jours.
Or, il est certain que les termes tels que « détournement d'avion » et « viol » font partie du vocabulaire de tous les jours, ce qui est également vrai, comme l'a précisé le sénateur Milne, du mot « motard ». La législation sur les motards montre que, dans le Code criminel, le législateur a utilisé des mots de tous les jours dans un but de pédagogie et de prévention, afin d'attirer l'attention du public sur l'horreur qu'inspirent de tels actes.
Le Code criminel prévoyait déjà ce qu'englobent les dispositions visant spécifiquement les motards mais, face à l'indignation publique, le législateur a jugé bon de reprendre la question en des termes connus de tous.
J'ajoute, sénateurs, à l'intention de ceux d'entre vous qui ne sont pas juristes, qu'une des premières choses que l'on apprend à la faculté de droit c'est que nul n'est censé ignorer la loi. On ne peut pas, en effet, invoquer comme moyen de défense, le fait qu'on ne savait pas. C'est pour cela que la common law s'est progressivement élaborée à partir de cas précis, n'aboutissant que plus tard à des textes ayant pour effet de codifier des concepts tels que le meurtre, le viol, le détournement d'avion et aussi, en l'occurrence, du moins nous l'espérons, les « attentats suicides ».
Permettez-moi maintenant d'aborder, de manière plus précise, les arguments invoqués. Ces arguments se trouvent aux pages 7, 8, 9 et suivantes du témoignage livré par les représentants du ministère de la Justice, le 2 avril, devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Voici ce qu'a affirmé un des principaux témoins représentant le ministère de la Justice.
Qu'il me soit permis de dire que ce texte, s'il était adopté, saperait la législation actuellement en vigueur. Si, par exemple, les tribunaux en venaient à conclure qu'il convient d'élargir la définition d'activité terroriste afin d'englober les attentats suicides, la définition actuelle serait obscurcie, et les tribunaux auraient à l'avenir plus de mal à l'interpréter.
Il ajoute ceci :
Et, en outre, on créerait un précédent permettant à d'autres de demander que l'on ajoute à la définition actuelle d'autres types encore d'activités terroristes sous prétexte qu'il serait « entendu » [...] Une telle démarche aurait pour effet, non pas d'éclaircir la chose mais, au contraire, de la rendre moins intelligible.
L'interrogatoire mené par le sénateur Baker a démontré que l'expression « il est entendu que » a été maintes fois employée par le législateur pour étendre, modifier ou clarifier une disposition en vigueur, tout particulièrement dans le Code criminel. Une recherche sur Google, permet de le confirmer. Le sénateur Baker m'a transmis un gros document qui comprend des douzaines de cas où cette technique a été employée afin de préciser le sens d'une définition.
Il a, après cela, cité un arrêt de la Cour suprême du Canada — la citation se trouve dans la documentation — dans lequel la Cour suprême du Canada invite le législateur à recourir à cette technique pour compléter les définitions figurant dans les textes, car il est bon que le public puisse, à la lecture d'un texte de loi, tout de suite voir qu'il s'agit d'un acte révoltant et indéfendable. Loin d'émettre l'idée que le législateur devrait faire preuve de la plus grande retenue, la Cour suprême du Canada l'invite, au contraire, à se montrer plus expansif et à s'exprimer comme au temps du développement de la common law, le Code criminel ayant en effet évolué à partir de celle-ci pour aboutir à sa codification.
Au vu des divers arguments avancés, et des réponses apportées dans le cadre du contre-interrogatoire mené par les sénateurs Baker, Joyal, Milne, Stratton, et d'autres qui ne sont pas ici aujourd'hui, il est clair que les objections élevées à l'encontre de l'amendement proposé ne résistent pas à l'examen.
J'estime que, dans la chaîne des objections exposées, les arguments avancés par le gouvernement forment le maillon le plus faible. Je n'entends pas me livrer à une analyse détaillée de ce qu'a affirmé le Commissaire de la GRC, mais on lui a demandé de dire sans barguigner si, d'après lui, ce projet de loi serait, en ce qui concerne les poursuites en matière de terrorisme, utiles ou, au contraire, nuisibles. Le ministère de la Justice avait pour sa part fait valoir que les tribunaux auraient du mal à interpréter cette nouvelle disposition et que cela nuirait à l'action publique.
La GRC s'est montrée, elle, de l'avis contraire. Elle a, en effet, estimé qu'il serait bon d'employer des mots du langage ordinaire. Aux yeux du représentant de la GRC, cela serait utile.
Souvenez-vous, madame la présidente, que lorsque vous avez contre-interrogé le témoin, celui-ci a répondu que...
La présidente : Interrogé, simplement.
Le sénateur Grafstein : Pardonnez cette déformation professionnelle. Lorsque, donc, vous avez interrogé le témoin, vous lui avez demandé l'effet que ce projet de loi aurait — sur quel groupe cette nouvelle disposition exercerait un effet dissuasif! Il a répondu que le cerveau qui, par idéologie, est porté à de telles extrêmes, ne serait aucunement dissuadé, que celui ou celle chargé de commettre l'attentat ne serait pas, non plus, dissuadé, mais qu'on parviendrait peut-être à détourner les gens se situant entre les deux bouts de la chaîne.
À une exception près, c'est aussi mon avis. J'estime au vu de ce que j'ai pu lire au sujet des attentats suicides, et des incidents portés à ma connaissance — et je peux dire que je me suis penché très attentivement sur ce sujet — que ce projet de loi exercera un effet dissuasif sur les proches et les amis des auteurs d'attentats suicides.
La raison en est que ces gens n'existent pas dans le vide, mais font, effectivement, partie d'un milieu. Il y a la famille, les amis, les règles de comportement. Si la famille ou les amis des auteurs d'attentats suicides parviennent à comprendre que l'attentat suicide n'est pas le geste d'un martyr ou une raison de se réjouir dans la foi mais qu'au contraire, dans notre pays un tel acte est frappé d'une condamnation ignominieuse et infamante, la flétrissure s'étendant peut-être même à la famille de l'auteur de l'attentat et à toute personne lui ayant procuré une aide, cette condamnation sans équivoque aura peut-être, dans certains cas, un effet dissuasif.
Il est clair qu'il n'en serait pas toujours ainsi, mais ce n'est pas là le critère qui permet de jauger les dispositions du Code criminel. En effet, le Code criminel ne vise pas à prévenir tous les méfaits mais, simplement, pour reprendre les termes du législateur, à détourner des crimes les plus odieux.
Quant à la question de savoir si le Parlement s'est déjà penché sur cette définition d'activité terroriste et a effectivement renoncé à la compléter dans le sens que nous proposons ici, le ministère s'est montré injuste envers le comité en invoquant à titre d'exemple les récents efforts de certains membres du comité — les vôtres, madame la présidente, ainsi que ceux du sénateur Joyal et d'autres de nos collègues qui ont siégé au sein de divers comités chargés des questions de terrorisme. Il est évident à mes yeux — et n'était aucunement étranger au mandat confié à ces comités — que, dans le cadre de son étude la plus récente sur les dispositions de lutte contre le terrorisme, le Sénat n'était pas appelé à examiner la question de l'élargissement des définitions, mais simplement à voir si les définitions actuelles ne seraient pas, au contraire, trop englobantes.
C'est bien pour cela que j'ai décliné l'offre qui m'était faite de présenter un exposé devant le comité du terrorisme. J'estimais, en effet, que l'amendement proposé ne faisait pas partie du mandat du comité. Cela aurait peut-être été d'une certaine utilité, mais le comité avait déjà fort à faire. D'après moi, il était préférable de proposer cet amendement en tant que mesure distincte.
La simple lecture du mandat confié au comité permet de le constater. Or, si le ministère de la Justice avait pris connaissance de ce mandat, il aurait compris qu'on ne pouvait pas décemment invoquer cet argument à l'encontre du projet de loi. La question n'a, en effet, été examinée ni par le Parlement ni par ce comité ni par les sénateurs. Vous savez bien, madame la présidente, que dès le départ, j'ai participé à toutes ces discussions et je ne pense pas que l'on puisse raisonnablement faire valoir cet argument à l'encontre du projet de loi.
Vous verrez, d'après le compte rendu des travaux du comité, que les arguments mis en avant par le ministère de la Justice pour s'opposer à l'amendement proposé sont hors de propos, mal fondés et incompatibles avec le témoignage catégorique du représentant de la GRC.
Et, enfin, d'après moi, c'est le sénateur Milne qui a cité le meilleur exemple, en parlant des dispositions concernant les motards. Pour l'essentiel, ces dispositions se trouvaient déjà dans le code, mais des dispositions supplémentaires ont été adoptées pour plus de précision et pour faire passer un message à l'intention notamment des motards qui versent dans la criminalité, afin de leur faire comprendre que le but dans lequel ils s'assemblent peut, effectivement, porter à s'interroger quant au caractère éventuellement criminel de leurs activités.
Le message en ce sens était clair et je pense qu'il a plutôt facilité la tâche au gouvernement et aux procureurs qui ont entrepris le démantèlement de certaines bandes. Cette tâche n'est d'ailleurs pas terminée. Une récente émission de télévision nous a permis de savoir ce qu'il en est.
J'estime que le même raisonnement s'applique à d'autres textes et devrait être retenu par le comité. Comment l'argument se présente-t-il du point de vue international? Madame la présidente, je me suis, comme vous le savez, occupé de la question dans le cadre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, dont les résolutions ont convaincu les Nations Unies du besoin d'agir.
On s'appliquait à éviter les mots « attentat suicide ». On parlait de la chose mais on évitait l'expression. D'après moi, c'est parce qu'on ne voulait pas susciter de débat idéologique avec certains États membres qui voient dans les attentats suicides non pas un acte criminel, mais un acte de résistance religieuse. C'est pour ça qu'on trouve parfois l'expression dans les travaux préparatoires mais pas dans les textes eux-mêmes.
Ceci nous offre donc, honorables sénateurs, l'occasion d'insérer dans notre code une modification qui nous est propre. J'estime que cet amendement, s'il est adopté, aura une influence sur les organismes internationaux et les parlements étrangers, les portant à modifier, dans le même sens, leurs propres textes. Le Canada a été parmi les premiers à prôner la création de la Cour internationale de justice, comme il a été parmi les premiers à condamner et interdire les mines terrestres. Cet amendement est, pour le Canada, une occasion de faire à nouveau quelque chose de concret dans le cadre de cette lutte incessante contre la terreur.
J'espère que les autres témoins reprendront dans plus de détails les critiques et les arguments que le ministère a opposés à ce projet d'amendement. J'ai pris connaissance de certains des exposés qui vont vous être présentés et ils me semblent rendre tellement bien compte de la question que je ne vais pas empiéter davantage sur le temps de parole de leurs auteurs. Je répondrai volontiers aux questions que l'on voudra me poser mais j'envisage de céder la parole, car nous avons ici un véritable aréopage de témoins susceptibles de vous répondre beaucoup plus savamment que je ne pourrais moi-même le faire. Cela fait déjà 46 ans que je ne fais plus de droit pénal. Au début de ma carrière, j'étais en effet avocat-pénaliste, non sans succès d'ailleurs. J'espère qu'on ne m'en voudra pas si je dis que j'éprouve beaucoup de sympathie pour les pénalistes. Je répondrai volontiers aux questions que l'on voudra me poser.
La présidente : Merci, sénateur Grafstein. Avant de passer la parole au sénateur Stratton, j'aimerais obtenir de vous une précision. Vous avez cité un arrêt dans lequel la Cour suprême du Canada a fait allusion à la formule « il est entendu que » ou, à tout le moins, a parlé du besoin de clarté. Pourriez-vous donner au greffier du comité la référence exacte?
Le sénateur Grafstein : Cela se trouve dans les témoignages. Je pense qu'on a cité cet arrêt. La référence m'a été fournie par le sénateur Baker, et je la transmettrai au comité.
Le sénateur Stratton : Sénateur Grafstein, j'ai écouté votre exposé avec beaucoup d'intérêt et je comprends fort bien votre position, mais il y a tout de même dans tout cela quelque chose qui me préoccupe un peu. Vous avez présenté un projet de loi. Les attentats suicides étant condamnables, et vous estimez qu'il conviendrait d'en faire nommément état dans le code. Mais si, effectivement, les attentats suicides ont fait de nombreuses victimes, il y a d'autres actes de terrorisme qui sont encore plus meurtriers. Il suffit, à cet exemple, de citer la destruction en vol de l'appareil d'Air India. Pourquoi, dans ces conditions-là, ne pas en faire état dans votre projet de loi? Pourquoi, en effet, ne pas évoquer dans le texte le cas de celui qui, installé en bout de piste avec un lance-roquettes, abat un appareil? Voilà le genre de chose qui me préoccupe. Il s'agit pour moi d'actes encore plus condamnables même s'il est difficile d'imaginer quelque chose de plus condamnable que le fait d'envoyer dans une foule deux femmes autistes chargées d'explosifs et de les faire sauter. Mais, à partir du moment où vous entrez dans le détail de ce genre de chose, pourquoi ne pas englober le phénomène sous toutes ses formes? Je suis surpris que vous ne l'ayez pas fait.
Le sénateur Grafstein : Vous m'avez cité deux exemples. L'attentat contre le vol Air India est condamnable, et nous ne l'avons d'ailleurs pas encore entièrement élucidé. Mais, si l'attentat contre le vol Air India était, certes, un attentat terroriste, ce n'était pas un attentat suicide.
Le sénateur Stratton : Les attentats suicides sont des attentats terroristes.
Le sénateur Grafstein : La différence est qu'en l'occurrence, il ne s'agissait pas d'un attentat suicide. Il ne s'agissait pas d'une bombe humaine. Il convient, me semble-t-il, de distinguer entre les attentats terroristes et les attentats suicides. Il est clair que tout acte terroriste perpétré contre des innocents est condamnable, mais le plus condamnable me semble être ce culte de la mort qui porte des gens à se sacrifier en se faisant exploser, entraînant dans la mort ceux qui se trouvent alentour. Cela me semble en effet contraire tant à la foi chrétienne qu'à la foi judaïque et même à l'islam, car toutes ces religions tiennent la vie pour sacrée. Il y a divers paliers ou niveaux de mal ou d'infamie mais cette forme-là me semble la pire. Si, donc, tous les attentats terroristes sont condamnables, je trouve que cette forme-là l'est particulièrement. Cela dit, un attentat contre un avion est manifestement un attentat terroriste.
Maintenant, comment se fait-il que je n'aie pas revu le Code criminel en entier?
Le sénateur Stratton : Je ne vous le reprochais nullement.
Le sénateur Grafstein : Je m'explique. La mise à exécution de la loi soulève toute une foule de questions. Mais, si vous retracez l'évolution du Code criminel, vous voyez qu'il est partie d'une accumulation de délits précis, ce recueil étant petit à petit complété. Le texte que nous vous proposons ne vous empêche nullement d'ajouter votre pierre à l'édification du Code criminel. Cela dit, j'estime que ce projet de loi se défend en l'état. Les objections élevées par le ministère de la Justice ne l'ont pas amoindri. J'ajoute que la GRC, qui intervient de manière directe au niveau des poursuites, estime ce texte utile. Voilà pourquoi j'ai décidé de le maintenir.
Le sénateur Stratton : Comment définissez-vous l'attaque du 11 septembre? Était-ce un attentat terroriste ou un attentat suicide?
Le sénateur Grafstein : Les deux. C'était à la fois un attentat suicide et un attentat terroriste.
Le sénateur Stratton : Mais c'est justement ce qui me préoccupe. Comment les distinguer?
Le sénateur Grafstein : Comme je viens de le dire, cet amendement n'est pas le fruit d'un examen approfondi de la législation antiterroriste. Je me suis uniquement préoccupé de ces actes gravissimes dont la fréquence s'accentue mais, ce qui importe davantage, c'est que, comme je l'ai fait remarquer et comme l'a confirmé le témoin de la GRC, ces techniques sont actuellement enseignées par le truchement d'Internet. D'après les renseignements recueillis, des centaines, et peut-être même des milliers de sites Internet, apprennent à nos enfants comment confectionner le genre de gilet employé dans les attentats suicides. Dans tous les pays du monde, il est possible de se brancher à Internet et d'apprendre comment confectionner cela avec des objets de tous les jours. Cela me paraît, en effet, gravissime.
Le sénateur Stratton : J'aurais voulu savoir, en outre, pourquoi la législation antiterroriste n'a pas donné de ce genre d'attentat une définition spécifique au lieu de simplement l'englober dans une définition générale? Pourquoi les comités respectifs des deux chambres n'ont-ils pas cherché à définir cet acte de manière plus précise?
Le sénateur Grafstein : Je pensais m'être expliqué sur ce point. Selon moi, le comité le plus récent, auquel siégeaient tant le sénateur Joyal que le sénateur Milne et la présidente, n'avait pas pour mandat d'élargir les définitions, mais de voir, au contraire, si ces définitions n'étaient pas exorbitantes, ce qui n'est pas la même chose. Il n'était, en effet, pas demandé au comité de procéder à un examen complet de la législation antiterroriste mais de voir si les définitions actuellement applicables n'étaient pas, dans certains cas, trop englobantes.
Je crois qu'à cet égard, une recommandation a été formulée, puis reprise par la Cour suprême de l'Ontario dans le cadre de l'affaire Khawaja. Je ne partage donc pas l'avis du ministère de la Justice. J'estime, en effet, que la recommandation en question a dorénavant, en Ontario, force obligatoire. Il s'agissait d'une recommandation du comité. Je ne suis pas certain de son opportunité, mais c'est un fait que cette jurisprudence a force de loi en Ontario, même si le ministère de la Justice ne l'admet pas. Vous pouvez d'ailleurs demander aux juristes qui se trouvent réunis ici, si cette définition n'a pas, effectivement, force obligatoire. J'estime qu'elle exerce à tout le moins un pouvoir de persuasion tant que le jugement n'aura pas été infirmé, si tant est qu'il le soit jamais, par une Cour d'appel ou par la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Milne : J'ai deux questions à vous poser. Pourquoi avez-vous décidé, dans votre projet de loi, de ne pas définir ce qu'on entend par « attentat suicide »?
Le sénateur Grafstein : La position avancée par le ministère de la Justice comporte une contradiction interne. D'un côté, il estime que le membre de phrase « Il est entendu que » introduit une certaine confusion alors que, de l'autre, il prétend qu'il n'y a pas lieu de définir ce qu'on entend par « attentat suicide », étant donné que cela fait déjà l'objet d'une définition.
Il est clair que les éléments constitutifs des attentats suicides ont déjà été définis. Si j'avais, donc, donné une définition allant au-delà de ce qui se trouve déjà dans le code, je me serais, je pense, aventuré dans un domaine qui est déjà passablement compliqué. C'est pourquoi je m'en suis tenu à ce qui est inscrit dans le projet de loi. Ce n'est pas, en effet, que l'on manque de définitions; tout est défini à l'article 83.
Dans ces conditions-là, pourquoi élargir la définition et apporter cette précision supplémentaire? La thèse défendue par le gouvernement pour s'opposer à ce projet de loi me semble manquer de cohérence.
Le sénateur Milne : Lorsque nous avons, la semaine dernière, accueilli le représentant de la GRC, celui-ci a émis l'idée qu'il y aurait lieu d'élargir la portée de votre projet de loi et de parler d'attaques suicidaires plutôt que d'attentats suicides. Êtes-vous du même avis? Et sinon, pourquoi?
Le sénateur Grafstein : Voici ce qui me gêne un petit peu dans cette recommandation. Je suis d'accord avec la conclusion, mais je ne suis pas certain d'être d'accord avec la recommandation.
Je crois, d'ailleurs, que d'autres témoins vous diront la même chose. Lorsque les gens évoquent ce genre de choses, c'est aux attentats suicides, aux attentats à la bombe, qu'ils pensent. Ils ne pensent pas, en effet, à ce qu'une loi qui vient d'être adoptée aux États-Unis appelle des attaques homicides. D'autres pensent que nous devrions parler d'attaques suicidaires. J'estime, pour ma part, que l'expression « attentat suicide » est celle qui est le plus employée par le public. Ce n'est que de temps en temps qu'on entend parler d'attaque suicidaire ou d'attentat à la bombe.
Je dois dire que l'expression d'attentat suicide, correspond à ce qui se dit en français, en anglais et dans les 56 autres langues de l'OSCE. Cet amendement est conçu comme un outil pédagogique et je pense qu'il convient donc de s'en tenir à un terme généralement admis qui permet de faire passer le message qu'il s'agit bien d'actes jugés gravissimes et profondément condamnables. C'est pour cela que j'ai choisi de m'en tenir à ce vocabulaire.
Si le comité pense qu'il serait préférable de parler d'attaque suicidaire ou d'attentat suicidaire, je veux bien y songer.
Le sénateur Joyal : Sénateur Grafstein, vous avez fait allusion, lors de votre exposé, à la résolution adoptée par l'OSCE. En avez-vous le texte?
Le sénateur Grafstein : Non, mais je pourrais vous en faire parvenir une copie.
Le sénateur Joyal : Il serait bon de l'avoir sous les yeux.
Le sénateur Grafstein : Je l'ai cité en effet, et j'en trouverai un exemplaire.
La présidente : Ne vous en donnez pas la peine, car ce texte figure déjà dans un document que nous a fait parvenir la Bibliothèque du Parlement. Nous pourrons vous en remettre un exemplaire.
Le sénateur Joyal : Il serait bon, en effet, de voir quelles sont les formules employées dans cette résolution. À quand remonte-elle?
Le sénateur Grafstein : J'ai présenté tant de résolutions à l'OSCE, que je ne m'en souviens plus. Cela doit bien se trouver dans la documentation.
La présidente : Il s'agit du 5 juillet 2005.
Le sénateur Grafstein : Dans quelle ville était-ce?
La présidente : À Washington.
Le sénateur Grafstein : Il s'agit donc de la résolution de Washington.
La présidente : J'ai maintenant sous les yeux le texte de cette résolution. Y avait-il, sénateur Joyal, un passage précis qui vous intéressait?
Le sénateur Joyal : Oui, ce qui m'intéresse, c'est le passage de cette résolution où figure l'expression « attentat suicide », ou « attentat terroriste » ou, enfin, l'expression qui est employée, pour savoir si le projet de loi reprend la même formule. Je comprends qu'il s'agit d'une résolution assez longue.
Le sénateur Grafstein : Si je me souviens bien, je crois que c'est l'expression « attentat suicide » qui est employée, mais dans les dispositions législatives ultérieurement adoptées par les divers États, une autre expression a pu être employée. En effet, le texte peut être mis en œuvre soit en adhérant à la convention, soit en en transposant le texte dans la législation interne.
Je précise, d'ailleurs, que l'OSCE a adopté à cet égard une résolution complémentaire. Il s'agissait d'assurer que les parlements des divers pays membres donneraient effectivement suite aux résolutions de l'OSCE. Je m'occupe de cela également.
Le sénateur Joyal : Cette résolution demande-t-elle, au fond, aux États membres d'adopter des mesures interdisant spécifiquement les attentats suicides?
Le sénateur Grafstein : Je ne sais pas si c'est tout à fait comme cela que la résolution est formulée, mais c'est bien le sens du texte. Il faudrait que je le relise afin d'en être certain. Mais je crois que c'est bien le sens du texte.
Le sénateur Joyal : J'aimerais, troisièmement, vous demander si d'autres États membres de l'OSCE ont adopté une mesure analogue à celle que vous proposez actuellement au Parlement du Canada?
Le sénateur Grafstein : Pas encore.
Le sénateur Stratton : L'Australie tente actuellement de le faire.
Le sénateur Joyal : Savez-vous si d'autres pays ont déjà inscrit une telle disposition dans leur législation pénale?
Le sénateur Grafstein : Pas que je sache.
Le sénateur Joyal : Ni la Grande-Bretagne, ni les États-Unis, ni l'Australie?
Le sénateur Grafstein : Non.
Le sénateur Joyal : Ni d'autres pays européens?
Le sénateur Grafstein : Quelqu'un m'a récemment fait part d'un texte actuellement à l'étude aux États-Unis, et dans le préambule duquel il serait question d'attentats suicides. Sénateur Joyal, je sais que, comme moi, vous n'aimez pas beaucoup les préambules.
J'essayerai de retrouver la référence exacte, mais, dans le texte même, on parle de ce genre d'attaques de manière générale, sans en donner de définition spécifique.
Le sénateur Joyal : Je vais vous poser la question d'une manière plus précise car je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre réponse.
Le paragraphe cinq de la résolution évoque les attentats du 11 septembre et de Madrid ainsi que les atroces attentats qui ont eu lieu en Israël, en Russie, aux Philippines, en Inde, au Pakistan, en Afghanistan et en Irak ainsi qu'à Bali, Casablanca, Istanbul et Jakarta.
Est-ce exact qu'aucun des pays visés par des attentats suicides n'a jusqu'ici jugé bon d'adopter une disposition telle que celle que vous proposez actuellement au Parlement du Canada?
Le sénateur Grafstein : Je pense pouvoir dire que, jusqu'ici, il en est effectivement ainsi.
Ça commence cependant à bouger. Il y a, en effet, toute une tendance politique qui souhaite que l'on se montre à cet égard plus précis. Cela dit, je ne peux pas citer les pays où le législateur se serait déjà prononcé sur ce point. C'est d'ailleurs pour cela que le Canada devrait faire preuve d'initiative et ouvrir la voie.
Le sénateur Joyal : Exprimons-nous autrement. Dans ces pays qui n'ont pas encore adopté une mesure analogue, existe-t-il d'autres moyens de sensibiliser l'opinion publique et d'obtenir, justement, l'effet dissuasif que vous attendez de votre projet de loi?
Existe-t-il d'autres moyens de faire en sorte que le public ne soit pas attiré par cette idée d'attentat suicide, véhiculée, comme vous le disiez tout à l'heure, par Internet ou par d'autres moyens modernes de communication. Peut-on atteindre notre objectif par d'autres moyens?
Le sénateur Grafstein : Un mot au sujet d'Internet. Pour de nombreuses raisons, il est difficile d'agir au niveau d'Internet. D'abord, les serveurs sont installés dans des pays très divers. La législation pénale ne permet d'atteindre que les serveurs qui se trouvent au Canada, où les ouvrages importés d'un autre pays. C'est dire que les textes en ce domaine ne sont pas nécessairement faciles à appliquer.
Le texte que je défends aura pour effet de décourager les serveurs abritant des sites qui font de la propagande en faveur des attentats suicides ou qui expliquent comment fabriquer les bombes servant à de tels attentats. Les serveurs pourraient alors dire à leurs clients : « Un instant. Vous poussez manifestement au crime. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Un attirail d'attentat suicide constitue en effet un acte préparatoire. »
Lorsque le ministère de la Justice s'interroge sur le dessein, on peut répondre en demandant si un attirail d'attentat suicide peut vraiment servir à autre chose qu'à monter un tel attentat ou à faire régner la peur dans la population? J'estime que l'amendement en cause aurait un effet salutaire puisqu'il donnerait à la GRC un outil de plus lui permettant d'exercer un effet dissuasif, du moins sur la partie d'Internet qui relève de notre compétence. L'adoption d'une telle disposition par le Canada permettrait peut-être d'entraîner dans le mouvement les États-Unis, et aussi l'Europe où sont installés les principaux serveurs.
Je me suis penché sur la question. Il y a des moyens plus compliqués de s'attaquer au problème, mais cet amendement est une manière simple de contrer dans l'immédiat un phénomène qui se propage. Ainsi que nous l'a dit le Commissaire de la GRC, ce n'est pas de cinq ou de 10 sites qu'il s'agit, mais bien de milliers. On se trouve donc face à une augmentation exponentielle que nous ne faisons rien pour arrêter.
Ce projet de loi devrait, du moins au Canada, tempérer quelque peu les ardeurs. En outre, cela encouragera peut- être d'autres pays à adopter une disposition analogue. J'estime pour ma part que cet amendement devrait avoir une incidence sur cette infâme tactique terroriste.
Je crois savoir que d'autres pays tentent actuellement de parvenir à une définition idéale qui engloberait tous les éléments possibles. Ce n'est pas comme cela que nous procédons au Canada. Cela n'est pas, non plus, conforme à la tradition britannique selon laquelle le droit s'élabore progressivement.
On avance un pas à la fois et, à chaque pas, on réfléchit. C'est comme cela que la common law s'est développée en matière pénale et j'estime que l'amendement en question serait un premier pas dans le bon sens.
Dans la mesure où la GRC, qui joue un rôle si important au niveau des poursuites, y est favorable, je crois pouvoir dire que son témoignage a plus de poids que le témoignage de fonctionnaires qui tentent de conserver le monopole de la rédaction législative.
Sénateur, la solution n'est pas facile à trouver. Je m'occupe depuis un certain temps de ce problème au niveau international et si je n'ai pas, jusqu'ici, eu à m'atteler à la rédaction de dispositions précises, j'ai une certaine expérience en matière de rédaction de résolutions. Nous tentons de formuler les choses aussi précisément que possible afin de donner aux rédacteurs des instructions très nettes et, pourtant, la bonne formulation nous échappe. Tout le monde s'attaque actuellement au même problème que nous et je pense que cet amendement représente une assez bonne solution.
Je sais que le mieux est l'ennemi du bien et c'est la réponse que j'apporte à la question du sénateur Stratton. La perfection n'est pas de ce monde.
Le sénateur Cowan : Je voudrais prendre la suite de ce qu'a dit le sénateur Joyal. Je n'étais pas ici lors de l'intervention du témoin de la GRC, mais j'ai pris connaissance du document d'information. Selon cette note, le ou les témoins auraient dit que ce projet de loi n'aurait aucun effet dissuasif étant donné que les auteurs d'attentats suicides sont, selon une des expressions employées pour en parler, des fanatiques. Ce texte devrait, cependant, tempérer les ardeurs de ceux qui apportent une aide aux auteurs de ces attentats. Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose à cet égard, autre que ce que vous avez répondu au sénateur Joyal?
Le sénateur Grafstein : Vous n'étiez pas ici lorsque j'ai répondu sur le point que vous évoquez maintenant mais c'est, dans le témoignage du représentant de la GRC, un élément sur lequel je ne suis pas d'accord. Je dis cela, car si vous vous livrez à une étude de la genèse et de la formation des auteurs d'attentats suicides — il existe plusieurs livres sur ce sujet — vous constaterez qu'il y a dans la vie de tout auteur d'attentat suicide un tournant décisif.
Je ne veux pas insister sur l'affreux précédent dont a parlé le sénateur Stratton et qui consiste à confier des attentats suicides à des enfants trisomiques. Je dirais qu'on atteint le comble de l'infamie lorsqu'on fait commettre un attentat suicide par deux personnes atteintes du syndrome de Down.
Le sénateur Cowan : Est-ce à dire que, selon vous, ce projet de loi exercera sur les auteurs de ce genre d'attentat un effet dissuasif?
Le sénateur Grafstein : Oui. Je m'explique.
Le sénateur Cowan : Si je vous pose la question, c'est que lorsqu'il y a peu de temps, nous nous sommes penchés sur un projet de loi omnibus sur la criminalité, on a beaucoup débattu de la question de savoir si la peine minimum obligatoire avait, effectivement, un effet dissuasif.
Parmi les témoignages recueillis, un bon nombre tendait à confirmer que la gravité, voire l'existence même de la peine n'a aucun effet dissuasif et que ce qui compte davantage, ce sont les chances de se faire prendre. Il n'en va peut- être pas ainsi des auteurs d'attentats suicides, mais c'est dans ce contexte-là que je pose ma question.
Le sénateur Grafstein : Nous sommes sur la même longueur d'onde. La question est effectivement de savoir si les auteurs de ce genre de crime se feront prendre.
Penchez-vous un peu sur la sociologie des attentats suicides et vous allez voir qu'il y a, dans la vie de ces gens, à un certain point de leur existence, un tournant décisif. D'abord, ils sont en quête d'une sorte d'idéal religieux ou politique qui, progressivement, les entraîne.
Ils font l'objet d'une formation très soignée, ou bien sont observés un certain temps afin de voir à quel point ils sont influençables et susceptibles de se prêter à une manipulation. Ils parviennent un jour à un tournant décisif, passant du « Jamais je ne ferai une chose pareille. » à « Je suis maintenant prêt. »
Ce que je dis s'applique à la période qui précède ce tournant décisif, c'est-à-dire à l'époque où la famille, les amis, le copain ou la copine ont une certaine influence sur la décision que cette personne va prendre de sacrifier sa vie. Sachant tout cela, j'estime que ce projet de loi devrait néanmoins avoir un certain effet dissuasif.
Autrement, je suis d'accord avec la GRC que, dans la mesure où cela est mené par un cerveau qui anime tout un groupe de cellules cloisonnées, nous ne parviendrons pas à le détourner de l'objectif qu'il s'est fixé; une telle personne est irrécupérable. Il y a, par contre, toutes les personnes intermédiaires et, elles, il est peut-être possible de les dissuader.
Le sénateur Cowan : Y compris les fournisseurs?
Le sénateur Grafstein : Oui, et permettez-moi, à cet égard, de citer un exemple canadien, de caractère, je le reconnais, purement anecdotique. On constate avec inquiétude qu'au Canada certaines écoles semblent enseigner aux enfants qu'en agissant de la sorte on sert une noble cause. Je n'entrerai pas dans les motifs qui appuient ce raisonnement, mais la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, constatent que cela arrive effectivement au Canada. Les Américains nous prennent, à cet égard, pour une véritable pépinière. Une partie des dispositions antiterroristes que nous avons adoptées visaient essentiellement à modifier l'idée que les Américains se faisaient de nous. Depuis dix ans, j'essaie de les convaincre qu'ils se trompent sur ce point.
Cela dit, il n'est pas du tout exclu que ce genre d'activité se poursuive actuellement au Canada. J'ai pris l'exemple d'Internet simplement parce qu'il s'agit là de données objectives, mais il faut reconnaître que, sur ce point, nous ne savons pas très bien ce qu'il en est ici.
Les immigrants qui viennent s'installer au Canada, qui croient en notre pays et qui apprécient les avantages que leur procure la vie ici, qui reconnaissent l'importance de la Charte, et n'hésitent pas à en invoquer les dispositions, comprennent fort bien que le Canada est un État de droit. Je considère que ce projet de loi, dans la mesure où il est correctement présenté, devrait non seulement, comme la GRC l'a dit, contribuer aux poursuites intentées contre les responsables de tels agissements — mais également exercer un certain effet dissuasif.
Chacun doit savoir que de tels actes sont, dans notre société, inadmissibles. Dans chacune des communautés concernées, il y aura donc de bons citoyens qui élèveront la voix pour dire « Il faut arrêter cela. Ce que vous faites est criminel. Vous ne pouvez pas prodiguer un tel enseignement. Vous ne pouvez pas prôner ce genre d'action. » C'est à mon avis, en cela que devrait s'exercer la dissuasion.
Le sénateur Joyal : Sénateur, j'ai pu prendre connaissance de la résolution de l'OSCE, et je remarque que deux formules sont employées. Au paragraphe 14, il s'agit de « action terroriste perpétrée sous forme d'attaques suicidaires »; au paragraphe 12, on parle de « convenir que les attentats suicidaires d'origine terroriste [...] ». On parle, au paragraphe 7, d'« attentats suicidaires d'origine terroriste [...] » alors qu'au paragraphe 4, on évoque la « mystique du terrorisme suicidaire ».
Les deux concepts se retrouvent donc dans cette résolution et je pense qu'il convient d'en tenir compte.
La présidente : Au paragraphe 21, il est en outre question d'« attentat suicide ». Il est clair que cette résolution tente d'englober le phénomène dans toutes ses dimensions, sans se limiter aux attentats perpétrés au moyen d'une bombe.
Le sénateur Joyal : Exactement.
La présidente : Cela dit, il est question, dans le titre de la résolution, de « terrorisme suicidaire ».
Le sénateur Grafstein : C'est justement là où je voulais en venir, sénateur. Comme vous pouvez le voir, on commence par la notion de terrorisme suicidaire, puis on passe à l'une ou l'autre des quatre variantes. Il s'agit de quatre manières différentes de cerner ce qui est essentiellement un même phénomène.
Le sénateur Milne : Mais alors, sénateur Grafstein, cela nous ramène à l'exception que vous avez citée en présence des représentants du ministère de la Justice et de la GRC, de la personne qui se fait sauter en face d'une synagogue. J'estime que, selon cette résolution, il s'agirait manifestement d'un acte de terrorisme suicidaire. Selon les témoins qui ont comparu devant le comité, pourtant, il ne faudrait pas considérer cela comme un attentat suicide même si l'auteur de cet acte entendait manifestement terroriser les membres de la synagogue.
Le sénateur Grafstein : Au sujet de cet exemple, les représentants du ministère de la Justice ont dit deux choses. D'abord, qu'il faudrait au préalable parvenir à déceler quel était, au vu des circonstances, l'intention de l'auteur de cet acte. Ils se sont ensuite livrés à une analyse juridique de la question, à l'issue de laquelle ils ont conclu qu'il ne leur était pas possible de se prononcer. Mais, dans l'exemple qu'ils avaient, avant cela, eux-mêmes cité, c'est-à-dire le cas de quelqu'un qui se fait exploser au milieu d'un champ, ils estimaient qu'il n'y aurait ni crime ni délit étant donné qu'il n'y avait eu ni atteinte à autrui ni dégâts matériels. Mais alors, reprenez ce même exemple et situez-le, maintenant, devant une synagogue, une église ou une mosquée. Demandez leur avis aux juristes. D'après le ministère de la Justice, faute d'élément moral, il n'y a pas en l'occurrence d'infraction. Or, selon moi, le simple fait que quelqu'un revêt un gilet explosif et commet l'acte en question permet de conclure à une intention criminelle. D'après moi, il y a, de prime abord, une intention criminelle. Là encore, les juristes pourront en discuter. Pour le ministère de la Justice, cependant, il ne fait aucun doute qu'un tel acte n'a rien de criminel. Il s'agit, selon eux, simplement de quelqu'un qui décide de se faire sauter.
Le sénateur Milne : C'était également l'avis de la GRC.
Le sénateur Grafstein : C'est pourquoi la GRC opterait pour la formule « attentat suicide et/ou attaque suicidaire ». Souvenez-vous que le témoin jugeait les deux formulations acceptables. Il préférait l'expression plus englobante mais trouvait acceptable la définition plus étroite d'« attentat suicide ».
La présidente : Merci sénateur Grafstein. Votre intervention a été à la fois intéressante et utile.
Nous accueillons maintenant Mark Sandler, du cabinet d'avocats Cooper & Sandler; Leo Adler, du cabinet Adler Bytensky Prutschi Barristers; Ed Morgan, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Toronto; et Patrick Monahan, doyen de la Osgoode Hall Law School, à l'Université York. Le doyen Monahan a souvent comparu en tant que témoin devant le comité. Nous vous accueillons, messieurs, avec plaisir et nous vous remercions de vous être rendus à notre invitation.
Mark Sandler, Cooper & Sandler Barristers & Solicitors, à titre personnel : Bonjour. Permettez-moi de dire d'emblée que je suis favorable à l'adoption de ce projet de loi et je vais, si vous le voulez bien, vous expliquer brièvement pourquoi.
Selon moi, ce texte renforce sensiblement les dispositions qui figurent actuellement dans le Code criminel et ne nuira en rien aux enquêtes et aux poursuites en matière de terrorisme.
Le membre de phrase « il est entendu que » se retrouve 30 fois à divers paragraphes du Code criminel. Aujourd'hui, avant de me rendre ici, j'ai pris la peine de les examiner. En général, ce membre de phrase ne sert pas à élargir une disposition du code, ni même à combler les lacunes afin d'en accroître la portée mais, au contraire, à expliciter quelque chose qui n'était jusque là que tacite, ou à énoncer formellement quelque chose qui, jusqu'alors, ne se trouvait que dans la jurisprudence. Il y a de bonnes raisons de procéder ainsi et j'y viendrai dans quelques instants.
Cela étant, j'estime que l'on peut en l'occurrence dire, d'abord, que pour conclure à l'utilité de ce texte, il n'est pas nécessaire de démontrer que l'amendement en question élargit la définition d'activité terroriste, c'est-à-dire qu'il étend le champ d'intervention de l'État à des activités qui n'étaient pas encore englobées par la législation en vigueur. Le mérite de ce projet de loi n'est aucunement lié à la question de savoir si, effectivement, les dispositions actuelles englobent les attentats suicides. Sur ce point, mais seulement sur ce point, je suis d'accord avec ce que le ministère de la Justice a affirmé devant le comité.
Je rejette, par contre, l'idée qu'en précisant que la notion d'activité terroriste comprend les attentats suicides, on introduise de l'incertitude quant à la portée des activités actuellement englobées, et notamment, quant aux actes qui, au juste, seraient englobés par la notion d'activité terroriste. L'emploi du membre de phrase « il est entendu que » va à l'encontre d'une telle affirmation. Pourrait-on raisonnablement prétendre qu'en précisant que la notion englobe les attentats suicides, il devient moins clair que l'attentat contre le vol d'Air India, cité par le sénateur Stratton, relève effectivement de la catégorie des activités terroristes?
Il est souvent utile d'expliciter quels sont les actes relevant effectivement du Code criminel, même lorsqu'il s'agit d'actes déjà englobés par des dispositions plus générales. Prenons l'exemple des principes de détermination de la peine, qui sont désormais inscrits dans le code. On trouve maintenant, en effet, une disposition précisant que le fait qu'une infraction soit motivée par la haine, constitue une circonstance aggravante. Sénateurs, avant que cette disposition soit ajoutée au code, la jurisprudence s'était déjà prononcée en ce sens et la haine était effectivement déjà considérée comme une circonstance aggravante, mais l'inscription d'une telle disposition dans le Code criminel renforce considérablement le message. Cela alimente le débat théorique, exerce une action pédagogique auprès du public et précise la norme de comportement applicable à l'ensemble de la société.
En l'occurrence, il est particulièrement utile de préciser que la notion d'activité terroriste comprend, effectivement, les « attentats suicides ». En effet, les terroristes souhaitent en général éviter que leurs activités soient qualifiées de terrorisme. Ils préfèrent être considérés, non comme des « terroristes », mais comme des « combattants » ou des « combattants de la liberté ». Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les attentats suicides. Sur ce plan là, il y a, semble-t-il, une différence qualitative entre l'attentat suicide et les autres activités terroristes, non pas pour ce qui est de l'atrocité de l'acte, mais simplement au niveau, pourrait-on dire, du vocabulaire.
En effet, l'expression « attentat suicide » est liée à celle de martyr au service d'une grande cause, qu'elle soit politique, religieuse ou autre. Donc, en mentionnant spécifiquement les attentats suicides, on fait, me semble-t-il, œuvre pédagogique. On range les attentats suicides carrément dans la catégorie des activités terroristes. Cela établit une norme de comportement. Cela laisse également savoir à la communauté internationale — qui, je le dis en toute déférence, fait souvent preuve d'une attitude assez ambiguë à l'égard des attentats suicides — que le Canada n'entretient pour sa part aucune ambivalence.
J'ai entendu les propos que se sont échangés les sénateurs Stratton et Grafstein. Qu'il me soit permis de dire qu'il ne s'agit pas du tout de décider si, sur l'échelle des atrocités, les attentats suicides se situent à un niveau plus élevé ou moins élevé que d'autres activités terroristes. La distinction entre les deux est en effet simple : contrairement aux autres activités terroristes, les attentats suicides sont souvent excusés et même applaudis, voire, comme nous le disait tout à l'heure le sénateur Grafstein, enseignés. J'estime que le fait de mentionner spécifiquement dans le Code criminel les attentats suicides répond à un souci de pédagogie.
Ed Morgan, professeur, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Je ne suis pas, je tiens à le préciser d'emblée, spécialiste du droit pénal. Je suis professeur de droit international et de droit constitutionnel canadien.
J'ai rédigé un mémoire succinct qui a, je crois, été remis aux membres du comité. Je ne vais donc pas vous le lire. Je vous renvoie à un ou deux exemples cités dans cet exposé afin que nous fassions le point sur ce qui se passe au niveau des organisations internationales, puisque nous nous intéressons forcément à ce qui se passe ailleurs.
Nous sommes, au Canada, par tempérament, internationalistes. Cela est également vrai de notre politique étrangère et nous sommes, en effet, très actifs au sein des institutions multilatérales. Mais, en outre, notre système de droit penche, lui aussi, vers l'internationalisme. C'est ainsi que, souvent, nos tribunaux puisent dans le droit international les principes et les interprétations applicables. Nous allons, bien sûr, d'abord les chercher dans notre propre législation, mais il est fréquent que les tribunaux canadiens aillent également puiser dans la coutume internationale, les traités internationaux — tant bilatéraux que multilatéraux — et la pratique des organisations multilatérales chargées d'interpréter et de mettre en œuvre ces divers textes de droit international.
Sans avoir à fouiller ma mémoire, je peux citer une demi-douzaine d'arrêts de la Cour suprême ou d'une Cour d'appel, rendus dans diverses affaires où, pour interpréter telle ou telle disposition, la cour s'est inspirée de principes de droit international ou de la pratique d'organisations multilatérales. Il y a, par exemple, l'affaire Libman, concernant la compétence extraterritoriale en matière pénale; l'affaire Cotroni, en matière d'extradition, l'affaire Baker qui était une affaire de déportation; les affaires Mugesera et Finta en matière de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité et, en matière de droits des réfugiés, une affaire bien connue, l'affaire Singh, ainsi que, en matière d'immunité absolue au sens du droit international public, l'affaire Busari. Dans toutes ces affaires, les tribunaux ont eu recours à la coutume internationale ou aux traités internationaux ainsi qu'à la pratique des institutions multilatérales qui ont à les interpréter ou à les mettre en œuvre.
Cela est également vrai en ce qui concerne la définition du terrorisme. Dans l'affaire Suresh, la Cour suprême du Canada a dû préciser ce qu'englobait, au juste, le terme « terrorisme » tel qu'employé dans la Loi sur l'immigration. La cour s'est penchée pour cela sur diverses conventions multilatérales et notamment sur la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, à laquelle elle a emprunté une grande partie de la définition qu'elle a fini par retenir.
Dans la récente affaire Khawaja, jugement de la Cour supérieure de l'Ontario cité tout à l'heure par le sénateur Grafstein, la cour s'est interrogée sur la constitutionnalité des dispositions qui, dans la définition que la loi donne du terrorisme, traitent des motivations politiques ou religieuses. Une phrase tirée de ce jugement nous donne une bonne idée du raisonnement de la cour. Selon celle-ci, les « Nations Unies n'ont jamais, semble-t-il, retenu du terrorisme une définition englobant les actes accomplis pour un motif politique, religieux ou idéologique ».
En rappelant cela, je n'entends aucunement critiquer le jugement de la cour. Si je cite cette jurisprudence, c'est simplement pour montrer à quelles sources nous puisons les principes et les interprétations applicables en ce domaine. En deux mots, donc, je considère qu'en ce qui concerne la question précise des attentats suicides, les institutions internationales dont nous avons tendance à nous inspirer, se situent elles-mêmes sur un terrain politique et juridique assez mouvant.
Il est donc bon que, dans notre droit, nous disposions dorénavant d'une définition de ce qu'il convient d'entendre par terrorisme. Il est bon également qu'après tant de traités, la communauté internationale commence à s'entendre sur ce qui constitue des actes de terrorisme. Dans l'arrêt Suresh, la cour a dit clairement et, je pense, avec raison, que tout le monde sait ce qu'on entend par « terrorisme ». Ce qui change, ce n'est pas tellement le sens du terme employé que les divers groupes et les genres d'actes que chacun souhaite voir inclus ou exclus de la liste des activités terroristes. C'est à juste titre que la Cour suprême a rappelé cela.
Permettez-moi maintenant de vous citer un exemple bien connu, pour montrer comment les choses se passent au niveau international, et ce que nous devrions comprendre à cet égard. Comme vous avez pu le voir d'après la jurisprudence que j'ai citée, nous avons tendance à nous tourner vers les Nations Unies et notamment vers les organismes onusiens spécialisés en matière de droits de la personne.
À la page 9 de mon mémoire, on trouve un projet de résolution de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Cette résolution a été préparée lors de la séance de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qui a suivi l'attentat à la bombe, de funeste mémoire, qui a eu lieu le 27 mars 2002, à Netanya (Israël) à l'occasion du seder de la pâque.
Je ne reviendrai pas sur ce qui s'est passé au cours de cette année difficile. L'année 2001-2002, a été, du point de vue du terrorisme, une année difficile pour tout le monde, avec notamment les attentats du 11 septembre à New York, mais surtout au niveau du conflit au Moyen-Orient. Mon propos n'est pas ici d'aborder des questions de politique étrangère, mais simplement de donner mon avis sur une question d'interprétation.
La commission s'est réunie quelques jours après l'attentat de la pâque à Netanya, attentat qui faisait suite à toute une série d'attentats suicides contre des Israéliens et de ripostes militaires d'Israël contre les Palestiniens. L'année en question a été une longue série de difficultés et de violences au Moyen-Orient. La principale clause de ce texte en date du 9 avril 2002 est l'article 1, dans lequel la commission « Affirme que le peuple palestinien a le droit légitime de résister à l'occupation israélienne par tous les moyens à sa disposition afin de libérer sa terre et de pouvoir exercer son droit à l'autodétermination [...] ».
La formule « par tous les moyens à sa disposition » a provoqué une vive controverse. En effet, l'Espagne, l'Irlande et plusieurs autres États de l'Union européenne ont fait savoir que si cette formule n'était pas supprimée du texte, il ne leur serait plus possible de voter pour la résolution. Le texte a alors été remanié et la résolution qui a fini par être adoptée figure aux pages 11 et 12 de l'annexe à mon mémoire. Ainsi que vous pourrez le voir à la page 12, l'article 1 a été remanié et les sept mots controversés ont disparu.
Dans la version définitive de la résolution, la commission « Affirme que le peuple palestinien a le droit légitime de résister à l'occupation israélienne afin de libérer sa terre et de pouvoir exercer son droit à l'autodétermination [...] ».On n'y trouve plus les mots « par tous les moyens à sa disposition ».
Il ressort du compte rendu des débats, que cette nouvelle formulation, par contre, a porté la Syrie, l'Arabie Saoudite et plusieurs autres États de la Ligue arabe à faire savoir qu'ils ne pourraient pas voter pour la résolution. C'est la version cependant qui a fini par être adoptée. On est parvenu à un compromis en insérant dans le préambule une nouvelle clause, qui se trouve au bas de la page 11 de mon annexe. Ce préambule est important. On y trouve en effet ceci : « Rappelant en particulier la résolution 37/43 de l'Assemblée générale en date du 3 décembre 1982, où celle-ci réaffirme la légitimité de la lutte des peuples contre l'occupation étrangère par tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée, [...] ». Cette résolution remontait à 20 ans.
Ce préambule a donc sauvé la résolution et c'est sous cette forme qu'elle a fini par être adoptée. Mais, le préambule n'a lui-même pas échappé aux critiques. Certains y ont vu un faux-semblant linguistique, une sorte de tour de passe- passe qui, en fait, justifiait l'attentat suicide commis plus tôt dans la semaine.
On trouve, à la page 13, la résolution de l'Assemblée générale de 1982. Celle-ci n'est pas citée dans la résolution de la Commission des droits de l'homme de 2002 qui se contente d'en donner la référence. Dans cette résolution de l'Assemblée générale, la disposition qui nous importe en l'occurrence est l'article 2, où l'Assemblée générale « Réaffirme la légitimité de la lutte des peuples pour leur indépendance, leur intégrité territoriale et leur unité nationale et pour se libérer de la domination coloniale et étrangère et de l'occupation étrangère par tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée. »
Cet article constitue la réponse de la communauté internationale des droits de la personne à l'attentat suicide perpétré à l'occasion de la pâque en 2002. Je ne voudrais pas donner l'impression de trop insister sur ce point. Les Américains et les Israéliens ont critiqué cette formule qui, à leurs yeux, avalisait le massacre de civils. Les partisans de la résolution se sont défendus de toute tentative de tripotage linguistique.
Plusieurs mois plus tard, en octobre et novembre 2002, on a assisté, au Moyen-Orient, à une autre série noire d'attentats et de ripostes, avec des attentats suicides contre des Israéliens, auxquels ceux-ci ont répondu par des opérations militaires contre les Palestiniens. Encore une fois, je ne tiens pas à susciter un débat sur la légitimité des uns et des autres. Mais, cette série d'attaques et de contre-attaques des mois d'octobre et novembre a atteint son point culminant le 15 novembre 2002. Vous trouverez, à la page 14 de mon mémoire, à l'annexe comprenant la documentation, la Déclaration du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme.
Cette fois-ci, la commission n'a pas été convoquée en séance d'urgence. Le haut commissaire était, en effet, une personnalité récemment nommée qui envisageait la chose un peu différemment. À cette occasion, il a fait une déclaration qui a été diffusée par la presse. L'épilogue est tragique et comporte peut-être une part d'ironie, car ce nouveau haut-commissaire était Sergio de Mello, qui, un an plus tard, en août 2003, à Bagdad, a trouvé la mort lors d'un attentat suicide.
La présidente : Le temps va nous manquer.
M. Morgan : Je vais donc terminer. Vous pouvez constater que M. de Mello a condamné l'attaque de novembre 2002, ajoutant que cet attentat était d'autant plus effroyable que ses victimes avaient été atteintes alors qu'elles revenaient de l'office du Shabbath. Il s'agissait donc, manifestement, d'une cible non militaire.
À cela, le représentant palestinien, observateur permanent auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, répond aux propos du haut commissaire en disant « Après avoir étudié avec attention votre déclaration du 16 novembre 2002 — vient ensuite la partie la plus importante de sa lettre, c'est-à-dire le paragraphe 4, qui dit ceci : « L'incident qui a eu lieu dans la ville palestinienne occupée d'Hébron, le 15 novembre 2002, s'inscrit dans le cadre de la résistance légitime des Palestiniens, qui est fondée sur le droit du peuple palestinien à s'opposer à l'occupation israélienne par tous les moyens à sa disposition, y compris la lutte armée, conformément à la résolution 37/43 de l'Assemblée générale en date du 3 décembre 1982 [...] ».
C'était la résolution que venait d'avaliser la Commission des droits de l'homme.
En disant cela, je n'entends aucunement me prononcer sur les droits et responsabilités incombant aux diverses parties impliquées dans ce conflit, mais simplement montrer que, sur ces diverses questions, les silences de la communauté internationale sont susceptibles d'être interprétés différemment par les diverses parties. Si l'on ne précise pas suffisamment les choses, si l'on s'inspire de sources internationales qui, elles-mêmes, ne précisent pas ce qui est effectivement prohibé, certains, qui occupent des fonctions leur permettant de parler avec autorité, et notamment des ambassadeurs ou représentants auprès des Nations Unies, soutiendront que les attentats suicides constituent un acte de résistance légitime même lorsqu'ils visent des civils.
J'estime pour ma part que cela est contraire aux principes de droit en vigueur au Canada et qu'il convient, par conséquent, de le souligner par un texte spécifique.
La présidente : J'ai beaucoup de mal à interrompre un exposé aussi intéressant, mais toutes ces questions sont du plu vif intérêt et c'est bien là le problème.
Leo Adler, Adler Bytensky Prutschi Barristers, à titre personnel : Certains d'entre vous se rappelleront sans doute les titres des journaux, il y a quelques mois, concernant un jeune homme de Toronto qui, sur Internet, a lancé un appel aux attentats suicides contre les soldats canadiens déployés en Afghanistan. Ce qui est intéressant dans cela, c'est qu'il n'a pas été possible d'engager contre lui des poursuites. Ce qui est intéressant, également, c'est le mode d'action qu'il prônait, en l'occurrence les attentats suicides, contre les soldats canadiens en Afghanistan.
Cela nous ramène à ce que M. Sandler disait tout à l'heure au sujet de ce qui permet de distinguer les attentats suicides. Il s'agit en effet d'une idéologie, de quelque chose qui est enseigné et que nous n'avions pas vu depuis les pilotes kamikazes de la Seconde Guerre mondiale. Mais, lorsque les pilotes kamikazes ont lancé leur attaque contre Pearl Harbour, ils ont, avec leurs avions, percuté non pas des immeubles, mais des navires de guerre et des installations militaires. Ils ne s'en sont pas pris à des civils, et la fin de la Seconde Guerre mondiale a marqué la fin de ce genre de chose.
Lorsque les attentats suicides ont commencé au Sri Lanka, il s'agissait, au départ, d'un choix tactique. Les attentats suicides de l'époque n'avaient en effet aucun fondement idéologique et n'étaient pas glorifiés comme c'est devenu le cas au Moyen-Orient. À partir du Moyen-Orient, l'idéologie de l'attentat suicide s'est répandue à travers le monde.
C'est pour cela que les « attentats suicides » doivent faire l'objet d'une mention spécifique. Qu'il me soit permis de dire, en tant que pénaliste qui, depuis 33 ans, défend des personnes accusées d'actes criminels, que lorsque quelqu'un a commis un crime atroce, tout le monde en est parfaitement conscient, y compris le juge. Mais, l'atrocité du crime n'apparaît pas au vu du casier judiciaire.
Pourquoi donc distinguer entre l'agression armée et l'agression avec l'emploi d'une arme à feu? En effet, pourquoi spécifier qu'en l'occurrence l'agression armée a été commise à l'aide d'une arme à feu? C'est parce que le législateur et les Canadiens dans leur ensemble estiment qu'il s'agit là d'un acte qui appelle une réprobation particulière. Il convient donc de souligner ces détails et de les faire figurer dans le casier judiciaire. Il s'agit de bien préciser l'acte qui a été commis et c'est l'objet du projet de loi qui retient aujourd'hui notre attention.
L'autre problème tient au fait qu'aux termes de la Convention — et je ne prétends nullement être spécialiste du droit international — commet une infraction au sens de la Convention toute personne qui fait exploser ou détonner « un engin explosif [...] dans ou contre un lieu public, une installation gouvernementale ou une installation publique, un système de transport public ou une infrastructure ». « Lieu public » s'entend de tout endroit « accessible ou ouvert au public ». Mais qu'en est-il d'un lieu privé? Il est clair qu'il convient d'ajouter une disposition qui le précise.
Il y a quelques années, le Royaume-Uni a adopté une loi contre la glorification du terrorisme. Pourquoi les Britanniques ont-ils fait cela? C'est parce qu'il était devenu nécessaire de s'attaquer au problème dont le sénateur Grafstein a fait état, c'est-à-dire ce qui est publié sur Internet. L'organisation avec laquelle je collabore de temps à autre, le Centre Simon Wiesenthal, surveille l'évolution de ce phénomène et transmet des renseignements et un rapport annuel à la GRC et au Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS. Nous surveillons, sur Internet, l'activité des sites de propagande haineuse et, en particulier, les sites de propagande terroriste.
Or, il y a sur Internet des sites consacrés à la diffusion et à la glorification des attentats terroristes. C'est ainsi que dans une bande vidéo diffusée dans le monde entier, on peut entendre les hourras et les cris d'acclamation adressés au chauffeur d'un camion qui, se servant de son véhicule comme d'une arme, a, à Bagdad, suicidairement lancé son camion contre un hôtel.
Les attentats suicides, ou selon l'expression parfois employée, le terrorisme suicidaire, possèdent donc des traits spécifiques. C'est pour cela que, comme le montrent les documents que j'ai réunis, même le secrétaire général de l'ONU a convenu que l'Assemblée générale devrait se prononcer et que, en Australie, la Chambre des représentants va être appelée à voter sur une motion condamnant le terrorisme suicidaire.
Mais, insistons sur le fait que les motions et les arguments ne suffisent pas. Il faut, en effet, passer à l'étape des dispositions législatives et il faut bien que quelqu'un fasse le premier pas. Pour ce faire, aucun pays n'est mieux placé que le Canada parce que notre pays est une cible potentielle et qu'en outre il a déjà servi de base arrière pour des préparatifs. N'oublions pas que le Millennium Bomber venait d'ici. Il s'agissait d'un projet d'attentat suicide.
Pour ces diverses raisons, à la fois en tant que citoyen et en tant que pénaliste, j'estime que cet amendement s'impose indiscutablement. Le législateur a souvent eu l'occasion d'insister spécifiquement sur tel ou tel aspect d'une activité criminelle — songeons à la réprobation particulière qu'appelle la pornographie infantile par rapport à la pornographie en général.
Patrick Monahan, doyen, Osgoode Hall Law School, Université York, à titre personnel : J'ai six questions sur lesquelles je voudrais insister et cela ne devrait pas me prendre plus de cinq minutes. Avant de commencer, je tiens cependant à dire que j'interviens ici à titre personnel et que les opinions dont je vais faire état n'engagent en rien mon employeur.
Mon premier point est que le Parlement devrait adopter le projet de loi S-210 car chacun saura alors que le Canada condamne fermement les attentats suicides, qu'il considère comme la forme de terrorisme à la fois la plus virulente et la plus épouvantable.
Je me suis penché sur les témoignages livrés la semaine dernière sur le projet de loi S-210, et en particulier celui des représentants du ministère de la Justice. Je l'ai trouvé d'un formalisme et d'un juridisme excessifs, ne tenant aucunement compte du contexte et des vrais enjeux du problème. Après avoir pris connaissance de ce témoignage, j'estime qu'il est encore plus urgent d'adopter ce projet de loi.
Mon second point est que le nombre d'attentats suicides a radicalement augmenté depuis l'attaque suicidaire contre les tours de World Trade Center en septembre 2001 et l'adoption de la Loi antiterroriste. La propagation de ce fléau s'est d'ailleurs accentuée depuis 2004. Selon diverses études sérieuses, il y a eu, au cours des trois dernières années, autant d'attaques suicidaires qu'au cours des 25 années précédentes. Des milliers de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers blessées au cours de ces attaques. La terreur suicidaire, relativement rare il y a 10 ans, est en train de devenir un phénomène mondial.
Troisièmement, le débat se poursuit sur les motivations des auteurs de ce genre d'attentats, et sur leur psychologie. Selon les travaux portant sur les attentats suicides commis depuis 2001, les auteurs de ce genre d'attentats considèrent que le sacrifice le plus noble consiste à mourir en martyr pour la guerre sainte. Ainsi, selon une étude du professeur Scott Atran publiée dans un récent numéro du Washington Quarterly, les auteurs d'attentats suicides sont tout aussi disposés à mourir qu'à assassiner.
J'estime, quatrièmement, pour revenir aux témoignages que vous avez recueillis la semaine dernière, que le sens de l'expression « attentat suicide » ne soulève aucun problème particulier et n'entraîne aucune confusion, et le fait de l'inclure spécifiquement dans la définition que le Code criminel donne actuellement d'activité terroriste n'entraînerait ni confusion ni ambigüité. Les exemples cités afin de démontrer le contraire ne m'ont pas convaincu. Il est tout à fait habituel d'énumérer des infractions précises ou de citer des exemples spécifiques d'infractions qui relèvent néanmoins de catégories plus générales. Le terrorisme en est un bon exemple puisque les actes englobés par la définition qui figure au Code criminel relèvent en même temps d'autres infractions pénales prévues, elles aussi, dans le code. C'était d'ailleurs un des arguments avancés à l'encontre de la Loi antiterroriste, c'est-à-dire le projet de loi C-36, présenté en 2001. Le gouvernement a néanmoins souhaité le voir adopté, jugeant nécessaire que le Canada manifeste sa réprobation, le projet de loi répondant en outre à divers autres objectifs.
Je soutiens, cinquièmement, qu'il est faux de dire que les auteurs d'attentats suicides sont dénués de tout sens moral et qu'il s'agit de nihilistes qui incarnent purement et simplement le mal, ce qu'on entend parfois de la part de l'administration américaine. Les auteurs d'attentats suicides, et ceux qui les pilotent, tentent à tout prix de justifier leurs actes soit par la notion de martyr, soit par l'interprétation qu'ils donnent de certains écrits religieux soit, encore, par les exigences de la lutte contre un occupant militaire. Il existe, au niveau international, un soutien considérable à la thèse de la légitimité des attentats suicides. Le professeur Morgan nous a cité plusieurs exemples des débats auxquels ont donné lieu les textes de diverses conventions. Selon des sondages d'opinion et notamment de sondages menés par le Pugh Center, dans de nombreux pays, l'opinion publique est partagée sur la question de la légitimité de certains attentats terroristes, ces thèses étant parfois admises par une majorité de la population.
Mon dernier point concerne la raison pour laquelle il est à mon avis essentiel que le législateur canadien adopte ce projet de loi. Il ne s'agit pas, en effet, de préciser ou d'élargir la définition de ce qui constitue une activité terroriste.
Je ne pense pas, en effet, que l'adoption de ce projet de loi ait pour effet de modifier les comportements déjà érigés en infraction pénale par l'article 83.01 du Code criminel. Je ne souhaite donc pas prendre partie dans ces débats, qui me paraissent spécieux, sur la question de savoir si le fait de se faire sauter, tout seul, dans un champ isolé, relève de l'actuelle définition, ou si l'adoption de ce projet de loi permettra de prévenir de tels actes. Je ne pense pas, en effet, que l'adoption de ce texte influera sur les comportements relevant de la définition actuelle. Là n'est pas, selon moi, la question. C'est bien pour cela que j'estime, et je ne suis en cela peut-être pas le seul, que le témoignage auquel je viens de faire allusion ne repose sur aucune analyse des arguments invoqués pour ou contre, ou des raisons qui sous-tendent la présentation de ce projet de loi. Il s'agit, en effet, de faire savoir à la communauté internationale que, quelles que soient les circonstances, le Canada proscrit formellement et catégoriquement le recours aux attentats suicides. Cela devrait, d'après moi, ajouter un poids considérable à la campagne mondiale contre les attentats suicides et donner une nouvelle impulsion à la condamnation de ces actes criminels que rien ne saurait justifier.
Le sénateur Joyal : J'invoque le Règlement pour m'excuser auprès des témoins experts qui ont pris la parole devant nous. Je dois, hélas, partir et je ne pourrai donc pas assister au reste de la séance. Je tiens néanmoins à remercier nos témoins de l'appui qu'ils ont apporté au projet de loi et je prendrai, bien sûr, connaissance du procès-verbal de la séance pour connaître la suite.
La présidente : Ce n'est pas un rappel au Règlement, mais un geste de courtoisie de votre part. Sénateur Joyal, nous regrettons qu'il vous faille partir. Je crois savoir que le sénateur Stratton aura, lui aussi, bientôt à prendre congé et nous allons donc lui donner la parole en premier.
Le sénateur Stratton : Merci. Je dois en effet quitter la séance à 18 h.
Permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir répondu à notre invitation. J'ai pris un vif intérêt à ce qui s'est dit ici et, je constate, à cet égard, que vous êtes tous du même avis en ce qui concerne le projet de loi. Je me demande néanmoins si ce projet est vraiment nécessaire. Si nous adoptons cette mesure, comme le sénateur Grafstein nous y engage, ne nous expose-t-on pas à voir la définition se gonfler petit à petit? La question me paraît importante. Je cite, à cet égard, l'exemple que nous a donné le commissaire adjoint Mike McDonell, selon qui, au lieu d'« attentat suicide », on devrait parler de d'« attaque suicidaire ». J'ai pour ma part cité l'attaque du 11 septembre, qui était, effectivement, une attaque suicidaire. J'ai interrogé le sénateur Grafstein au sujet de la distinction qu'il y aurait lieu de faire à cet égard, et il a répondu que, en ce qui concerne les attentats du 11 septembre, il s'agissait à la fois d'un attentat suicide et d'une attaque suicidaire et il nous va donc falloir trancher. Doit-on ajouter quelque chose à la définition actuelle afin d'être certain qu'elle englobe une telle hypothèse? Pour moi, il n'y a rien de plus condamnable et de plus fanatique que l'attentat contre les tours, si ce n'est l'attentat perpétré à l'aide de ces deux femmes atteintes du syndrome de Down, dont les auteurs ont fait preuve, à tout le moins, d'une diabolique inventivité. Je remercie le sénateur Grafstein de m'avoir précisé que ces deux femmes ont été envoyées se placer dans la foule et les véritables auteurs de l'attentat ont pu déclencher l'explosion par télécommande. De quelle définition un tel acte relève-t-il? Il ne s'agit pas d'un suicide. Il ne s'agit donc pas d'un attentat suicide. Ces deux femmes ne savaient pas qu'elles allaient mourir. C'est un assassinat pur et simple. Où se situe cet acte par rapport à la définition d'attentat suicide, ou d'attaque suicidaire? Pourrais-je vous demander à tous deux de répondre brièvement?
M. Sandler : Je ne pense pas que l'on risque de voir la définition enfler progressivement. Ce projet de loi n'a pas pour effet de créer une nouvelle infraction d'attentat suicide. Je ne pense pas qu'il y ait lieu de craindre que l'on va adopter une disposition que nous serions contraints de compléter en cas d'attaque suicidaire que, n'engloberait pas, pour une raison ou pour une autre, la notion d'attentat suicide. Il s'agit essentiellement, de faire passer un message. Cela répond donc surtout à un souci d'ordre pédagogique. Tous les actes que vous avez décrits relèvent néanmoins de la définition plus générale d'activité terroriste. En cas de poursuites contre quelqu'un qui a facilité, conseillé ou participé après coup à ce genre d'activité, le ministère public n'a pas à préciser, dans l'acte d'accusation, s'il s'agissait d'un attentat suicide plutôt que d'une attaque suicidaire ou d'un des autres actes que vous avez évoqués. Le procureur de la Couronne n'a qu'à invoquer les dispositions du Code criminel telles qu'actuellement formulées, sachant que personne n'ignorera désormais que les attentats suicides tombent effectivement sous le coup des dispositions antiterroristes. Il n'y a donc pas lieu d'après moi de s'inquiéter que si nous adoptons cette mesure, nous risquons d'être contraints demain d'en faire davantage.
En ce qui concerne la position de la GRC, je serais peut-être du même avis si nous avions pour objectif de tout englober dans la définition, ou de combler les lacunes de la législation actuelle, mais je considère que ce n'est pas le but recherché en l'occurrence.
Le sénateur Stratton : Pourquoi opteriez-vous pour la notion d'attaque suicidaire plutôt que pour celle d'attentat suicide?
Selon le commissaire adjoint, cela permettrait d'englober d'autres formes d'attentats tels que l'attentat perpétré au moyen des deux femmes trisomiques. Il s'agit, effectivement, d'une attaque. Si elles se sont suicidées, c'était sans le savoir. Autrement dit, il n'est pas nécessaire de préciser qu'il s'agit d'une attaque ou d'un attentat à la bombe. Il y a des attaques suicidaires sans bombes. Voilà la question qui me tarabuste.
M. Monahan : J'estime pour ma part que la question ne se situe pas au niveau des mots, que l'on parle d'attentat à la bombe ou d'attaque suicidaire. Je pense que le but de ce projet de loi peut être atteint que l'on emploie le mot « attaque » ou le mot « attentat », du moment qu'on emploie le mot « suicidaire », car c'est bien le suicide qui est, dans ce genre d'attaque, le phénomène essentiel, c'est-à-dire le fait que l'auteur de l'attentat vise une mort de martyr afin de justifier son acte. L'essentiel, dans ce projet de loi, c'est la dénonciation sans équivoque de ce genre d'attentat.
Cela étant, je ne m'arrête aucunement à la question de savoir si l'on doit parler d'attaque suicidaire ou d'attentat suicide. Les deux personnes atteintes du syndrome de Down, qui ont été instrumentalisées dans le cadre d'un attentat, n'avaient aucune intention criminelle. Les actes de ceux qui ont préparé cet attentat tombent sous le coup des dispositions pénales, que l'attentat ait été perpétré à l'aide de bombes ou par d'autres moyens.
Ce n'est pas une question de moyen, c'est-à-dire de savoir si on a utilisé des bombes ou autre chose, mais bien de la légitimité des attentats suicides ou des attaques suicidaires. C'est pour cela que, d'après moi, le Canada devrait écarter tout équivoque à cet égard.
Le sénateur Cowan : J'aimerais revenir à la question que j'avais posée au sénateur Grafstein au sujet de l'effet dissuasif. J'ai manqué l'explication qu'il a donnée à cet égard au début de son exposé. Il n'était en partie pas d'accord avec ce qu'avait déclaré le représentant de la GRC car il estime que cette disposition aura un certain effet dissuasif sur les auteurs d'attentats suicides, avant ce tournant décisif qu'il a évoqué en nous parlant de la psychologie des terroristes. Nous sommes, je pense, tous d'accord qu'une telle disposition aurait quand même un certain effet dissuasif sur les gens qui accordent une aide à ceux qui commettent ce genre d'attentat.
Que pensez-vous de cet effet dissuasif?
M. Monahan : Sur ce point, je dois dire que je ne suis pas d'accord avec le sénateur Grafstein. Je ne pense d'ailleurs pas que la question de la dissuasion soit ce qui importe en l'occurrence. J'estime, en effet, que l'adoption d'une telle disposition s'inscrit dans le cadre d'un effort mondial tendant à refuser aux attaques suicidaires la moindre légitimité. Ce qui importe, c'est la justification morale qu'invoquent les terroristes. Il s'agit d'influencer le débat qui a actuellement lieu dans le monde et j'estime que l'adoption de ce projet de loi encouragera d'autres pays à en faire autant.
En réponse aux questions que lui posait le sénateur Joyal, le sénateur Grafstein a fait remarquer que si d'autres pays n'ont pas encore adopté ce genre de disposition, c'est justement en raison du débat politique qui pèse sur la question. Tout dépend, bien sûr, de cette question de légitimité. C'est bien, selon moi, la véritable question qui est à l'origine de ce projet de loi plutôt que le souci d'exercer un effet dissuasif sur un terroriste potentiel. En effet, ces personnes n'ignorent pas qu'elles sont dans l'illégalité; de tels actes relèvent déjà de la législation pénale. La question revêt donc une tout autre dimension. C'est, selon moi, comme ça que se présente la situation.
M. Sandler : Le doyen Monahan n'est pas d'accord avec le sénateur Grafstein et moi je suis d'accord avec les deux.
Le sénateur Stratton : Êtes-vous professeur?
M. Sandler : C'est un avocat qui vous répond.
Je pense, comme le doyen Monahan, que le projet de loi n'a pas essentiellement pour objet de dissuader les auteurs d'attentats suicides. Cela dit, j'estime que l'existence même d'une telle disposition, s'ajoutant à un effort de sensibilisation, sera très utile et pourrait même avoir un effet dissuasif sur ceux qui seraient tentés de se livrer à de tels actes. Je dis bien, si cela s'accompagne d'un effort en matière de pédagogie car je ne pense pas qu'à lui seul le projet de loi suffise. Les dispositions législatives doivent en effet s'insérer dans le cadre d'une initiative pédagogique permettant d'entamer un dialogue sur l'ensemble des questions évoquées aujourd'hui.
Le sénateur Milne : Nous avons la chance d'avoir devant nous, quatre juristes de haut niveau et il me paraît naturel de vouloir profiter de leur science.
La présidente : Quel plaisir!
Le sénateur Milne : Je trouve cela, pour ma part, un peu intimidant.
Monsieur Sandler, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt votre exposé, ainsi que votre récit historique allant des raids des fenians jusqu'aux arrestations antiterroristes effectuées à Toronto.
M. Sandler : J'accepte volontiers le compliment, mais je tiens à préciser qu'il s'agissait de l'exposé de M. Adler.
Le sénateur Milne : Vous nous avez dit qu'en Israël, dans la petite ville de Sderot, près de la bande de Gaza, 75 p. 100 des citoyens éprouvent des troubles de stress post-traumatique. Le secrétaire général, Ban Ki-moon, a pris connaissance de cette étude afin de mieux comprendre le droit qu'a Israël de se défendre contre les tirs quotidiens de roquettes en provenance de Gaza.
Cela va à l'encontre de certains textes cités par le professeur Morgan, et notamment d'un certain nombre de résolutions émanant d'organismes internationaux. Il évoque, à la page 13 de son mémoire, la résolution édulcorée adoptée par l'Assemblée générale.
M. Morgan : À la page 13 se trouve le projet de résolution tel que rédigé au départ. Le texte édulcoré se trouve à la page précédente.
La présidente : À la page 13, c'est la résolution de 1982; à la page 11, le texte définitif de la résolution de 2002; et à la page 9 la version préliminaire de la résolution de 2002.
Le sénateur Milne : Parfois, ce qui se passe aux Nations Unies est consternant. Cette résolution intervient en effet juste après l'attentat suicide contre les civils qui revenaient d'une fête religieuse. Chaque paragraphe est hostile à Israël. Je commence à désespérer des Nations Unies, même si ce n'est pas la question qui retient aujourd'hui notre attention.
Monsieur Adler, vous nous disiez tout à l'heure que la Grande-Bretagne a adopté une loi sur la glorification du terrorisme. Pourriez-vous m'en dire un peu plus car je pense avoir mal compris. J'espère qu'il ne s'agit pas d'une loi glorifiant le terrorisme, mais bien d'une loi ou d'une résolution le condamnant.
M. Adler : C'est intéressant. Je fais également partie de la Table ronde interculturelle sur la sécurité. Glen Gilmour, qui a aussi été auditionné par le comité, assure la liaison pour le compte du ministère de la Justice. Je repassais les notes que j'avais prises le mois dernier lors de notre réunion de Vancouver, et je me suis souvenu qu'il avait expliqué qu'en 2005, le Royaume-Uni avait adopté des lois contre la glorification et l'incitation, directe ou indirecte, du terrorisme. Au cours des six derniers mois, plusieurs personnes ont effectivement été condamnées en Grande-Bretagne pour de telles infractions.
C'est pour cela que j'ai évoqué au départ, l'article sur ce jeune homme qui, ici au Canada, avait prôné les attentats suicides contre des soldats canadiens. Les Anglais voulaient réagir à ce qui s'était passé dans le métro de Londres, c'est- à-dire les attentats à bord des transports publics. Ils s'étaient en effet rendu compte qu'il y a, en Grande-Bretagne même, des groupes qui prônent le terrorisme.
Ils sont encouragés et formés par des établissements religieux, des établissements d'enseignement et des organisations communautaires qui servent de paravent. Certains ne se donnent même pas la peine de dissimuler ce qu'ils font. Ils déclarent ouvertement qu'il faut se défaire des valeurs qui sont celles de nos sociétés laïques, libérales et démocratiques. C'est pour ça que les Britanniques ont jugé nécessaire d'adopter ces nouvelles dispositions législatives.
Le sénateur Milne : Parlent-ils effectivement de glorification?
M. Adler : Oui, de glorification du terrorisme.
Le sénateur Milne : Mais ils ne parlent pas alors de législation contre la glorification du terrorisme?
La présidente : Monsieur Adler, au début de votre témoignage, vous nous avez dit que la Grande-Bretagne avait adopté des dispositions sur la glorification du terrorisme. Ne serait-il pas plus exact de dire qu'ils ont érigé en infraction le fait de glorifier le terrorisme?
M. Adler : Oui, c'est exact. Excusez-moi. C'est bien cela, ils ont érigé en infraction la glorification du terrorisme.
Le sénateur Milne : Il me semblait bien. Et c'est pour ça que je vous ai demandé de nous le préciser.
Ma dernière question s'adresse à nos quatre témoins. Le sénateur Grafstein a rappelé l'exemple que j'avais cité lors de notre dernière séance, disant que ce projet de loi est tout à fait comparable au projet de loi visant à interdire les courses automobiles effrénées dans les rues de nos villes. Il s'agit, dans les deux cas, d'un projet de loi qui vise plus spécifiquement certains actes sans pour cela restreindre l'application des dispositions plus générales.
Existe-t-il d'autres exemples récents de ce genre de mesures?
M. Adler : Oui, on peut citer la pornographie infantile par rapport à la pornographie en général; puis les divers types de fraude — avec les nouvelles dispositions concernant le vol d'identité, qui s'inscrit néanmoins dans le cadre plus général de la répression de la fraude. Puis, il y a la piraterie vidéo, qui s'inscrit dans le cadre des dispositions plus générales concernant le droit d'auteur.
Le sénateur Milne : Voilà qui répond effectivement à la question.
M. Adler : On pourrait également parler du vol, qui fait l'objet de dispositions particulières selon la valeur des objets volés, puis il y a, dans un même ordre d'idée, les méfaits, avec une disposition qui s'applique particulièrement à certaines manifestations haineuses. Il y a en outre les dispositions qui visent plus précisément la propagande haineuse. Il n'est donc pas rare que nous adoptions ce genre de disposition.
J'ai également cité l'exemple de la possession d'une arme dangereuse pour la paix publique. Cela étant, pourquoi ajouter une disposition concernant la possession d'une arme à feu? C'est parce que nous souhaitons pointer particulièrement, parmi toutes les armes, les armes à feu. Parfois nous souhaitons également prévoir des sanctions particulières. C'est ainsi qu'il y a maintenant, en matière d'armes à feu, des dispositions prévoyant des peines minimales.
La question a été soulevée par le représentant de la GRC. Il souhaitait voir aggraver les peines applicables aux actes terroristes et plus particulièrement aux attentats suicides. Mais ça, c'est une autre question.
Le sénateur Milne : Oui, il s'agit d'autre chose.
M. Adler : C'est bien de cela qu'il s'agit. Comme l'ont remarqué mes collègues, le message que nous souhaitons faire passer s'adresse non seulement au Canada mais au reste du monde puisque nous voulons faire comprendre qu'il est temps de réagir face à ce problème. Il faut, comme le disait le sénateur Grafstein, appeler un chat, un chat. En effet, les actes en question sont des crimes non seulement au Canada mais également dans le reste du monde et le phénomène se propage rapidement.
Le sénateur Milne : Ainsi que le disait le sénateur Grafstein, ce projet de loi nous ramène aux origines de la common law, aux temps où ce droit s'est élaboré progressivement au gré des jugements.
M. Adler : On songe aussi aux Dix commandements.
Le sénateur Milne : Monsieur Sandler, vous avez également parlé de faire passer un message.
La présidente : C'était M. Sandler ou M. Morgan?
M. Morgan : On en trouve également des exemples en droit international. C'est ainsi, par exemple, que les deux tribunaux spéciaux, celui pour la Yougoslavie et celui pour le Rwanda, ont tous les deux tenu à préciser que le viol est un crime contre l'humanité. Or, aux termes du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, les viols collectifs commis dans le cadre de conflits, étaient déjà considérés comme des crimes contre l'humanité. Mais, étant donné que, dans ce contexte précis, le viol collectif a été employé, à dessein, comme une arme particulièrement atroce, ces deux tribunaux ont jugé nécessaire de pointer spécifiquement ce crime, qui relève pourtant de la catégorie des crimes contre l'humanité, comme nous envisageons, en l'occurrence, de pointer particulièrement les attentats suicides.
M. Sandler : M. Adler a fait une allusion rapide aux méfaits à l'égard de bâtiments religieux. Avant que cette disposition spécifique soit inscrite dans le Code criminel, le vandalisme contre des établissements religieux relevait de la disposition générale du Code criminel réprimant les méfaits.
Or, on a estimé à l'époque que la notion de « méfait » ne soulignait pas suffisamment la gravité des actes en question. Ces actes relevaient déjà d'un certain nombre de dispositions pénales, mais on a jugé important d'en faire l'objet d'une disposition spécifique.
En l'occurrence, notre démarche est quelque peu différente, car il ne s'agit pas de créer une nouvelle infraction, mais le principe de la désignation spécifique est le même.
M. Monahan : Je voudrais, en ce qui concerne l'affaire Khawaja, évoquée la semaine dernière dans le cadre des témoignages, ajouter quelque chose. La décision du juge Rutherford a infirmé une partie de la définition concernant les motifs religieux ou politiques, l'estimant contraire aux dispositions de la Charte.
Si je parle à nouveau de cette décision, c'est parce que ceux qui meurent en martyrs pour une cause religieuse sont portés à revendiquer la légitimité de leurs actes. Il pourrait ainsi arriver qu'une personne poursuivie en raison de sa participation, à un titre ou à un autre, à un attentat suicide, invoque la légitimité de ce qu'elle a fait.
Je ne pense pas que les tribunaux admettraient l'argument, mais la simple idée qu'un tel argument puisse être invoqué me paraît troublante. Raison de plus d'adopter ce projet de loi, car je pense qu'on supprimerait ainsi la possibilité de faire valoir cet argument.
La présidente : J'ai quelques questions à poser, d'abord à M. Adler, mais j'accueillerai volontiers toute réponse.
Vous avez tous insisté sur l'importance de faire savoir aux autres pays que nous avons inscrit une telle disposition dans notre Code criminel. L'idée de susciter un débat international sur la question me paraît bonne. Il est un peu difficile de croire qu'un tel débat se déroule actuellement, mais c'est vrai et vous avez raison.
Mais ce débat a-t-il effectivement lieu au Canada? Autrement dit, y a-t-il au Canada, d'après vous, des gens qui croient ou pourraient être convaincus que les attentats suicides se justifient? À cet égard, vous nous avez cité un exemple.
M. Adler : Madame la présidente, la réponse est oui. C'est la deuxième fois que j'ai l'occasion de me prononcer sur la question des attentats suicides. La première fois était lors d'une séance du comité de la Chambre des communes sur la justice, avant ou tout juste après 2001.
Certains membres du comité y voyaient un problème purement israélien, et se demandaient comment être surpris que les gens se servent de leurs corps comme d'une arme pour lutter contre l'occupation. Cet argument — c'est-à-dire la légitimité et la justification morale de ce genre d'actes — continue à être invoqué, comme nous l'a rappelé le doyen Monahan. L'argument est avancé sur Internet. De temps à autre, on apprend dans la presse que telle ou telle personne s'est inscrite dans un établissement d'enseignement, y a été exposée à des documents qui n'auraient peut-être pas dû pouvoir se trouver dans cet établissement où l'on faisait l'apologie du martyr.
La présidente : Ici, au Canada?
M. Adler : Oui, à Ottawa, il y a seulement quelques années. Non, cela arrive également ici.
Il nous faut réaffirmer les valeurs sur lesquelles repose notre pays. J'ai retracé l'histoire du terrorisme au Canada car notre pays n'est pas un pays fondé naïf. Le premier acte de terrorisme a été l'assassinat de D'Arcy McGee dans cette ville même, et l'assassin a été pendu publiquement à quelques pas d'ici.
Après mes études à McGill, je me suis inscrit à la Osgoode Hall Law School en 1970. J'ai eu Irwin Cotler comme professeur. Peu de gens savent qu'avant d'enseigner à McGill, il a enseigné à l'Université York. Parmi les étudiants, nous étions trois à venir de Montréal, à l'époque où la Loi sur les mesures de guerre a été adoptée afin de renforcer la lutte contre le FLQ, le Front de libération du Québec, à une époque qui était loin d'être tranquille. Tous les étudiants d'Osgoode Hall protestaient contre l'adoption de ce texte. Je me souviens, nous étions deux aux côtés de M. Cotler, pour dire aux gens « Non, non, vous ne comprenez pas ».
J'ai vécu à Montréal de 1965 à 1970, c'est-à-dire à l'époque des manifestations, de la violence et des attentats à la bombe. C'était une forme de terrorisme. Peu de voix s'élevaient alors contre ce qui se passait, non pas, certes, contre la critique légitime — ni contre l'évolution du Québec — mais contre la violence et le terrorisme. Or, pour y mettre fin, il a fallu la Loi sur les mesures de guerre.
Il nous faut, je pense, affirmer à nouveau les valeurs de base de notre pays. S'il faut qu'il y ait séparation, qu'elle résulte non pas de bombes, mais d'un référendum, d'un débat, d'une décision de justice. C'est comme cela que nous procédons ici, et je pense qu'il conviendrait de le rappeler à tous ceux qui viennent s'installer dans notre pays. Étant moi-même immigrant, je peux dire que je suis particulièrement attaché au fait de pouvoir débattre d'une question, au droit de ne pas être d'accord, de former un parti politique et de défendre mes idées, mais pas par la violence.
M. Morgan : M. Adler s'exprime sur cette question avec une telle éloquence qu'il n'y a pas lieu pour moi de reprendre ses arguments. Je tiens simplement à revenir à la fois sur la question que vous avez posée et sur ce que le sénateur Milne a dit au sujet des résolutions des Nations Unies. Tant au Canada que dans les autres pays, on voit invoquer, pour justifier ces actes de terrorisme, des motifs politiques. Les services de police pourrait nous citer un certain nombre de cas d'incitation au terrorisme, mais ceux qui s'intéressent à la presse et à l'actualité internationale, savent que des motifs politiques sont invoqués pour justifier de tels actes.
Il ressort de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh, que le droit pénal canadien ne saurait dépendre du litige qui oppose l'Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire. Le droit pénal canadien ne peut pas dépendre de la lutte que se livrent, au Sri Lanka, les Cinghalais et les Tamouls, ou du conflit entre Arabes et Israéliens au Moyen-Orient. Vous pouvez, certes, juger qu'un peuple est opprimé, mais, en droit pénal canadien, les attentats suicides constituent des crimes, voire des crimes contre l'humanité. On ne saurait admettre, au Canada, que des motifs politiques nés à l'étranger soient invoqués pour justifier de tels actes. Voilà le genre de discours qu'il nous faut tenir à la fois au Canada et vis-à-vis de l'étranger.
La présidente : Ma dernière question, que vous jugerez peut-être tout à fait théorique, a trait aux auteurs d'attentats suicides qui agissent pour des motifs d'ordre religieux. Je sais qu'en général, la politique occupe, dans de tels motifs, une grande place, mais, parfois, les gens semblent avoir agi essentiellement pour des motifs religieux, ou du moins pour des motifs présentés comme des motifs religieux. Dans ce cas-là, certains seront tentés de dire « Si quelqu'un croit, conformément aux principes de sa foi, que c'est un acte noble que de se faire sauter au milieu d'un champ, dans la mesure où ils ne font de tort à personne, j'estime que ça les regarde ».
Y a-t-il, hormis la loi antiterroriste, d'autres exemples de situations où le droit canadien affirme, en fait « Nous sommes désolés, mais même si les principes de votre foi l'autorisent, cet acte nous paraît d'une telle gravité que nous le déclarons néanmoins illégal ». Le seul qui me vienne à l'esprit est l'exemple de la polygamie, situation entièrement différente. En trouvez-vous un autre?
M. Adler : Rappelons-nous les moines qui se sont immolés au Vietnam. On a parlé de quelqu'un qui se fait sauter dans un champ, mais les moines qui se sont immolés n'ont pas employé d'explosifs et il n'y avait pas le moindre risque qu'un enfant jouant plus loin soit blessé par un éclat de bombe. Je crois, en l'occurrence, pouvoir parler de perversité car les gens qui se font sauter ou qui, comme dans le cas des deux femmes trisomiques, font sauter quelqu'un d'autre, choisissent toujours de le faire au milieu d'une foule.
On trouve, sur Internet, un jeu qui s'appelle Kaboom. Le protagoniste, qui est vêtu d'un attirail explosif, se promène. Le but est de se faire exploser parmi le plus grand nombre de personnes possible. Une simple pression du bouton fait voler les têtes et gicler le sang et il y a un tableau où l'on marque le nombre de morts et le nombre de blessés. On les rapièce et on recommence et si l'un en a tué 10, l'autre tentera d'en tuer 12.
Je ne connais aucune religion qui répande un tel message. Mais, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de gens qui affirment que c'est vraiment ce qu'ordonne leur religion.
La présidente : Peut-être le croient-ils.
M. Adler : Ils le croient peut-être, mais il y aurait lieu de les poursuivre. Cela nous ramène un peu à la loi britannique interdisant la glorification du terrorisme.
La présidente : Je dirais qu'il s'agit là d'un texte tout à fait à part. Je cherchais plutôt quelque chose d'analogue.
M. Monahan : Il s'agit, essentiellement, d'intimider la population et pas seulement de se faire sauter dans un champ simplement parce qu'on en a envie. Hormis cet aspect d'intimidation, je dirais que le projet de loi n'englobe pas les divers éléments prévus au paragraphe 83.01(01).
L'intimidation est, en effet, l'élément substantiel des attentats suicides. Comme nous l'a dit le témoin représentant la GRC, ce qu'il y a de particulièrement atroce, c'est que l'auteur de l'attentat suicide peut s'arranger pour faire un maximum de victimes. Une explosion télécommandée peut être déclenchée à un moment où elle ne fait que peu de victimes. Mais le fait que l'auteur de l'attentat suicide s'arrange pour faire un maximum de victimes renforce l'intimidation et on ne saurait admettre ou juger légitime de soutenir, en vertu d'une interprétation perverse, qu'une telle chose puisse faire partie de leur religion.
Les exemples tels que celui de cette hypothétique personne qui se fait sauter dans un champ sont dénués de réalité et ne servent qu'à nous détourner de l'objectif véritable de ce projet de loi.
Le sénateur Milne : La question concerne le mémoire présenté par le professeur Morgan. La documentation qu'il a réunie comprend une lettre de l'observateur permanent représentant la Palestine auprès de l'Office des Nations Unies à Genève. L'observateur permanent commence à rappeler que Hébron est une ville palestinienne occupée par les forces israéliennes au cours de la guerre de 1967, et cetera. Puis, il ajoute que :
L'occupation du territoire palestinien par Israël [...] est la principale raison de refuser au peuple palestinien son droit sacré à l'auto-détermination [...]
Les gens estiment jouir à cet égard d'un droit sacré. Or, lorsqu'on combine religion et politique, on obtient un mélange explosif.
M. Morgan : C'est exact. C'est ce que l'on constate à l'échelle internationale. Ce mélange de motifs religieux et politiques sert d'impulsion à ces crimes épouvantables.
Il y a eu des cas, au Canada, où des motifs religieux ont été invoqués comme justification, pas tellement par des personnes qui souhaitent mettre fin à leurs jours, mais plutôt par des gens qui veulent faire du mal aux autres. Je pense notamment à la mutilation génitale des femmes, érigée au Canada en infraction pénale. On invoque souvent pour justifier cette pratique, des motifs religieux, mais aucune religion ne saurait justifier que l'on impose à un enfant un pareil supplice. Je pense également aux affaires où des témoins de Jéhovah ont refusé que l'on fasse une transfusion sanguine à leur enfant. La religion ne justifie aucunement que l'on refuse à un enfant un traitement médical qui seul permettra de lui sauver la vie. La liberté de religion est garantie par la Charte, mais elle ne donne pas lieu à un droit absolu et ne permet pas de faire du mal aux autres. Lorsque la religion franchit cette limite, ce n'est plus elle que nous souhaitons protéger, mais la victime innocente.
M. Sandler : Lorsque vous avez posé la question, j'ai moi aussi tout de suite pensé à la mutilation génitale. Cela ne concerne pas directement le sujet qui retient aujourd'hui notre attention, mais il est intéressant de noter que l'article 268 du Code criminel réprime les voies de fait graves et cette disposition du code précise ce qui est englobé au juste dans les notions de blessure ou de mutilation au sens de cet article. L'article 268 écarte ensuite l'argument qui pourrait être invoqué pour justifier la mutilation génitale par des motifs religieux. On voit donc dans cet article du Code criminel le parfait exemple de ce que nous souhaitons faire au moyen de ce projet de loi.
Le sénateur Grafstein : Je suis à la fois en accord et en désaccord avec deux de nos témoins et je vais très rapidement dire pourquoi.
Je m'adresse en l'occurrence au doyen Monahan et à M. Sandler. Je souhaite que l'on conserve le terme de « attentat suicide », pas parce que j'en revendique la paternité, mais parce que c'est un terme couramment employé. Les attentats suicides ou attentats terroristes constituent une catégorie spécifique. Le mot « suicide » comporte, me semble-t-il, une réprobation implicite et a, pour cela, une résonnance particulière. Si nous voulons faire œuvre de pédagogie, il faut employer le vocabulaire courant. C'est pourquoi j'ai défendu l'emploi du terme « attentat suicide », sans vouloir qu'on y ajoute quoi que ce soit.
Monsieur le doyen, revenons à ce que vous avez dit au sujet de l'intimidation. Supposons que l'auteur de l'attentat veuille simplement intimider et faire régner la peur. Disons que, sans avoir l'intention de commettre un attentat, il se choisit un emplacement devant une église, une mosquée ou une synagogue. Le sénateur Baker a demandé aux représentants du ministère si, pour celui qui souhaite intimider et faire régner la terreur parmi des innocents, le meilleur moyen de procéder ne serait pas de revêtir un attirail explosif et de se stationner, un samedi ou un dimanche, devant un établissement religieux. Il ne s'agirait pas alors d'un attentat suicide, mais simplement d'une immolation suicidaire. Or, pour moi, l'auto-immolation constitue un attentat suicide.
N'êtes-vous pas d'accord qu'on devrait conserver, dans le projet de loi, l'expression « attentat suicide » au lieu de parler de « attentat suicide ou attaque suicidaire »?
M. Sandler : Seriez-vous heureux si je répondais oui?
Le sénateur Grafstein : Oui.
M. Sandler : Je préfère l'expression « attentat suicide » qui me paraît plus compréhensible. Si j'ai raison et que ce projet de loi a une valeur essentiellement éducative et qu'il s'agit d'exercer un effet de dissuasion à l'échelle tant nationale qu'internationale, j'estime que ce texte véhicule un message à la fois puissant et clair. Cela dit, je n'aurais pas vraiment d'objection si l'on décidait d'ajouter le terme d'attaque suicidaire, mais je préférerais conserver la formulation actuelle.
M. Monahan : Je n'ai rien à redire au sujet de ce texte. J'y suis en effet favorable et j'estime qu'il devrait être adopté sous sa forme actuelle. Je dois dire, en réponse au sénateur Grafstein, que je ne m'oppose aucunement à la formule « attaque suicidaire ». L'expression « attentat suicide » me satisfait pleinement, mais on a soulevé la question d'une autre formulation. L'expression « attaque suicidaire », ne me paraît pas mauvaise, car elle aussi connote une condamnation du martyr et supprime la justification qu'on pourrait en tirer. Je suis partisan de ce projet de loi et je n'ai rien à redire à sa formulation actuelle.
M. Adler : Permettez-moi d'ajouter un complément de réalité. Je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui, simplement pour intimider, se serait immolé devant une école ou une église.
J'ajoute que lorsqu'on confectionne un gilet explosif, on n'y met pas seulement de la dynamite mais également des milliers de roulements à bille. Cela nous ramène au but essentiel des attentats suicides. En effet, il ne s'agit pas seulement de se tuer en amenant avec soi quelques personnes qui se trouveraient alentour. Le but est, en effet, de faire mal, de défigurer et de causer des blessures atroces au plus grand nombre de personnes possible.
La présidente : Je vous remercie. Comme le sénateur Milne l'a si bien dit, c'est un plaisir de se retrouver en compagnie d'esprits aussi distingués. Le comité est heureux de vous avoir accueillis.
La séance est levée.