Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 10 avril 2008
OTTAWA, le jeudi 10 avril 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 53 pour examiner le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (attentats suicides), qui lui a été renvoyé.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui poursuit l'étude du projet de loi S-210.
Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin à titre de témoin l'honorable Reuben Bromstein, président des Citoyens contre les attentats suicides.
L'honorable Reuben Bromstein, président, Citoyens contre les attentats suicides : C'est un honneur de comparaître devant vous. Je suis président de l'organisme Citoyens contre les attentats suicides, ou CANASB. Hier soir, le sénateur Milne m'a demandé de lui remettre un exemple de ce mémoire, que je peux vous donner à distribuer. Il présente beaucoup de renseignements sur notre organisme et d'autres renseignements que vous possédez déjà.
Le CANASB est un groupe d'hommes et de femmes dévoués et d'expérience qui unissent leurs efforts dans le but d'éliminer le fléau que sont les attentats suicides. Nous avons obtenu un assez large soutien en faveur de cette initiative. À notre avis, il y a trois bonnes raisons d'intérêt public pour apporter des modifications à loi : cette mesure législative permettra d'étendre et de renforcer le consensus qui existe au sein de la société canadienne à ce sujet; elle vise clairement à jouer un rôle dissuasif auprès de ceux d'entre nous qui n'ont peut-être pas encore adhéré à ce consensus; elle offre au Canada l'occasion de prendre l'initiative et de lancer un message susceptible de renforcer l'engagement au niveau international.
Vous avez mon exposé, que je ne crois pas avoir besoin de reprendre ici. Avec votre permission, je vais passer en revue une liste de noms en expliquant le lien de chacune de ces personnes avec notre action, ce qui vous donnera une idée du soutien que nous avons reçu et de son évolution.
Tout en haut de la liste se trouve l'honorable Lincoln Alexander. Nous avons discuté de la possibilité qu'il comparaisse devant le comité, mais sa santé est trop frêle. J'ai travaillé avec lui et l'Association du Barreau de l'Ontario.
Haithem Al-Hassani est l'un des administrateurs de l'organisme. Comme son nom l'indique, il est un Canadien d'origine iraquienne. Il est aussi président de l'Iraq Foundation, à Washington. Il se trouve actuellement en Iraq et je l'ai eu au téléphone hier. Il m'a souhaité bonne chance en disant : « S'il vous plaît, demandez-leur de nous appuyer. »
Hier également, j'ai déjeuné avec l'ambassadeur de l'Iraq, qui m'a dit qu'il était prêt à faire tout ce qu'il pourrait pour soutenir la cause.
Plus loin dans la liste se trouve l'honorable Ed Broadbent, qui a participé à l'une de nos premières activités à Ottawa. Si vous vous rendez sur notre site Web, vous verrez une photographie de lui avec l'honorable Stockwell Day et l'honorable Irwin Cotler, qui nous ont accordé leur appui.
Le prochain nom que je remarque dans la liste est celui de la très honorable Kim Campbell, dont je vais lire le message qu'elle m'a fait parvenir il y a un moment :
C'est toute une démarche à laquelle il faut nier toute légitimité en rendant tous les participants coupables en droit et aux yeux de l'opinion... Il nous faut créer un réseau intégré de responsabilité juridique autour des actes terroristes... Ce qui n'est peut-être pas clairement établi et pourrait l'être grâce à votre campagne, c'est qu'il faut étendre EXPLICITEMENT la responsabilité juridique à l'égard des actes des kamikazes à TOUS ceux qui ont encouragé, facilité ou récompensé... ces actes.
C'est ainsi que j'ai rencontré le sénateur Grafstein et que, au bout du compte, le projet de loi a vu le jour. Cela a fait partie de la démarche qui m'a amené à faire ce que je fais.
Le prochain sur la liste est Chand Chandaria. Il est jaïn et illustre la grande variété des confessions qui nous appuient. Il travaille pour un conglomérat international qui compte des entreprises dans le monde entier. Il est pour moi un ami et nous nous rencontrons régulièrement.
Il y a également le très honorable Jean Chrétien. Il y a une quinzaine de jours, j'ai reçu un appel téléphonique, et mon interlocuteur disait à peu près ceci : « Ici l'ancien premier ministre Jean Chrétien. Je voudrais savoir[...] » J'ai appelé ma femme et je lui ai demandé : « Est-ce que c'est un canular? » J'ai rappelé, et il s'agissait effectivement de M. Chrétien. Nous avons eu une conversation intéressante au cours de laquelle il m'a dit que le problème, aujourd'hui, était que nous n'avions pas de chars d'assaut. Qu'est-ce que nous en ferions? Nous attaquerions les Américains? Il s'agit d'une guerre différente, et il nous faut l'admettre et voir ce que nous pourrions faire. Nous avons eu à ce sujet une intéressante discussion.
La prochaine personne que je voudrais signaler est Tarek Fatah, fondateur du Muslim Canadian Congress. Pour vous donner une idée de ce que nous faisons, je vous invite à vous rendre sur les sites Web de l'Iraq et du Sri Lanka, où se trouvent la version musulmane de notre projet de loi et de notre pétition. Vous y avez accès, et les mêmes éléments se trouvent sur notre site Web.
L'honorable L. Yves Fortier s'occupe aussi beaucoup de médiation au niveau international. Il est l'un des médiateurs les plus en vue. Je fais ce travail depuis que je suis à la retraite. M. Fortier m'a dit : « Il faut que ce que vous faites aboutisse. » Il a été président du Conseil de sécurité, comme vous le savez. Vous voyez quelle est la qualité de nos appuis.
Buzz Hargrove a donné de l'argent pour soutenir nos efforts, et je l'ai rencontré. Plus loin dans la liste, on trouve des dirigeants religieux, dont le très révérend Andrew Hutchinson, archevêque de l'Église anglicane, et le révérend Stephen Kendall, de l'Église presbytérienne.
Je m'occupe de travail interconfessionnel depuis un certain nombre d'années et j'ai des contacts avec des gens qui, au départ, ont aidé à créer CANASB, avec des catholiques, et cetera. Dans la liste, on trouve également, représentant les synagogues, les principaux rabbins orthodoxe, conservateur et réformiste. Il y a donc une dimension interconfessionnelle dans toute notre action.
L'honorable Marc Lalonde, qui est un des grands médiateurs au niveau international, a dit ceci : « Nous rassemblons des gens. Vous pouvez aider à rassembler des gens autour de cet enjeu. »
Le major général Lewis MacKenzie m'a dit il n'y a pas très longtemps : « Reuben, si vous avez besoin que j'y aille, je suis à votre disposition. » Il ne m'a pas semblé que ce serait tout à fait la bonne chose de le faire comparaître. J'ai donc laissé passer l'occasion.
Preston Manning a été l'un des premiers à nous appuyer.
Salim Mansur, qui est sous le coup d'une fatwa, figure aussi sur la liste. Lorsque j'aurai terminé mon exposé, j'espère que vous me permettrez de lire le message qu'il a envoyé l'autre jour depuis Bali. C'est à la fin du document.
J'ai rencontré l'imam Abdul Hai Patel au dîner du Canadian Council of Christians and Jews. Il a dit : « Bien sûr, c'est ce que nous devons faire. Nous devons aider ceux qui n'abordent pas l'enjeu correctement à comprendre que nous devons nous y prendre de la façon qui convient. »
J'ai dirigé récemment un séminaire pour l'Association du Barreau de l'Ontario, et l'honorable Bob Rae était l'un des experts invités. Je lui ai dit que j'allais à Ottawa, et il m'a fait observer : « Comme vous le savez, je me suis occupé du problème du Sri Lanka. Je peux peut-être vous trouver un avocat sri-lankais. » Étant donné les gens que nous avons rencontrés hier, cela ne m'a pas semblé nécessaire.
Il y a un certain temps, j'ai eu un long échange téléphonique avec John Tory. Pendant l'appel, sa fille a dit : « Je me demande si nous pouvons trouver des musiciens qui donneraient leur appui au projet de loi. » Puis, John Tory a dû s'occuper d'une campagne de direction, et il n'a pas pu faire grand-chose d'autre pour nous.
Il y a ensuite sur la liste le très honorable John Turner, avec qui j'ai travaillé il y a longtemps, à l'époque où il était ministre de la Justice. Récemment, lorsqu'il a accepté de signer, il m'a fait parvenir une photographie signée de nous deux à l'époque de notre collaboration.
Voilà les signataires. Ils sont très largement représentatifs, et ils nous aident dans nos efforts en vue de faire adopter le projet de loi.
Les médias se sont intéressés à notre mouvement. Le National Post a publié l'article « The Ultimate Crime », qui se trouve parmi les documents que le sénateur Milne m'a demandés et que vous déciderez peut-être de faire distribuer.
Je crois que l'expression « attentat suicide » est entrée dans la langue courante. Ces mots disent quelque chose à la plupart des gens. C'est presque comme si on disait « Honda », au lieu de « voiture ». L'expression évoque automatiquement quelque chose. Pas besoin de description. Les gens savent de quoi il s'agit. Elle n'est peut-être pas toujours utilisée à bon escient, mais elle se retrouve dans la langue courante des médias.
L'adoption du projet de loi lancerait un message au sujet de nos valeurs nationales, ferait comprendre que notre société est diverse et que nous ne pouvons pas justifier le martyr pour lui conférer la légitimité. Tous les jours sur mon site Internet, je reçois sur Google de nombreux éléments provenant de différents sites Web, dont des articles sur les attentats suicides. Il y a parfois des choses que je ne peux pas supporter, par exemple lorsqu'une mère dit à ses enfants qu'elle va mourir en faisant un attentat suicide et que l'enfant doit suivre l'exemple de sa mère. C'est insoutenable, mais je dois regarder et réagir de mon mieux.
Nous savons ce qui est arrivé aux avions britanniques la semaine dernière. Nous savons que les mêmes problèmes risquent de surgir chez nous. Nous devons faire tout notre possible pour les empêcher. Si vous avez eu l'occasion de consulter notre site Internet, vous aurez remarqué qu'il indique les pays, les nombreux pays qui sont aux prises avec ce problème. Ce n'est pas la cause qui est l'enjeu. Nous ne parlons pas de la justification de la cause. Toutes les causes sont différentes. Il y a des kamikazes irlandais, chinois, iraquiens, et cetera. Notre position est que l'attentat suicide est un moyen qui n'est tout simplement pas justifiable. C'est mal; c'est mal aux yeux de la loi et c'est mal aux yeux de la religion. Nous disons donc qu'il faut intervenir et tenter de faire quelque chose.
Je voudrais maintenant vous lire un message, comme j'ai promis à M. Mansur de le faire lorsque nous nous sommes parlé. Il m'a fait parvenir ce message par courrier électronique parce qu'il essaie de venir ici depuis un bon moment. Il travaille à l'influente Williamsburg Conference de l'Asia Society, dont le gouvernement indien est l'hôte, et où le président de l'Indonésie devait être présent, avec des représentants des États-Unis, de la Thaïlande, de l'Inde, de la Chine, du Japon et du Pakistan. Voici le texte du message électronique que M. Mansur vous envoie :
Honorables sénateurs,
Je travaille depuis des années avec l'honorable Reuben Bromstein et l'organisation Citoyens contre les attentats suicides, et je m'attendais à témoigner aux audiences du Comité si jamais le projet de loi S-210 présenté par le sénateur Grafstein se concrétisait. J'assiste en ce moment à une conférence à Bali, en Indonésie, qui porte sur l'Islam en Asie, et je ne peux donc malheureusement pas me rendre à Ottawa afin d'appuyer en personne ce projet de loi.
M. Mansur est professeur et connaît extrêmement bien le sujet. Il a fait paraître un peu partout dans le monde des articles sur la question, abordée sous l'angle de l'islam. Il poursuit :
J'ai discuté du projet de loi S-210 avec plusieurs participants à la conférence ici, à Ubud, à Bali. Personne n'a exprimé son désaccord, pas plus chez les musulmans que chez les non-musulmans, sur le fond autant que sur l'objet du projet de loi et, espérons-le, sur son éventuelle édiction. Je mentionnerai un seul de mes interlocuteurs, M. Abdullah Abdullah, ancien ministre des Affaires étrangères au sein du premier gouvernement de Kaboul qui a succédé aux Talibans et jouissait de l'appui des pays de l'OTAN. Il occupe actuellement le poste de président du conseil de la Fondation Massoud, ONG qui se dévoue pour faire de l'Afghanistan un pays libre et démocratique. La Fondation Massoud doit son nom à Shah Massoud, ce courageux leader afghan de la longue guerre contre l'ancienne Union soviétique qui a été abattu par des terroristes suicidaires de l'organisation Al-Qaïda, de Ben Laden, tout juste avant les attaques du 11 septembre 2001. M. Abdullah Abdullah appuie sans réserve le projet de loi S-210 et espère que les membres du Parlement canadien vont, en adoptant ce texte législatif, envoyer un message retentissant au monde arabo-musulman et à tous les autres États pour montrer qu'un pays civilisé, démocratique et hautement respecté comme le Canada décrie ce terrible fléau, véritable guerre asymétrique déclenchée par les adeptes d'un islam radical afin d'empêcher les musulmans, comme en Afghanistan, de progresser et de joindre un monde moderne fondé sur la démocratie, le pluralisme, la science et l'égalité entre les hommes et les femmes. Les autres participants ont exprimé une opinion semblable, particulièrement les femmes qui ont assisté avec horreur à l'assassinat de la dirigeante pakistanaise Benazir Bhutto, en décembre dernier.
Je vous prie, honorables sénateurs, de ne pas laisser passer cette occasion de lancer un message vigoureux dans tout le Canada et le monde entier en appuyant le projet de loi S-210. Il s'agit d'un message simple mais limpide indiquant que nous, Canadiens, sommes prêts à faire tout ce qui est légal et approprié pour stopper ceux qui planifient et exécutent ces actes ignobles que sont les attentats suicides afin d'intimider les gouvernements et les membres de la population qui refusent d'adhérer à leurs notions antidémocratiques et régressives de la politique, de la société et de la religion.
M. Mansur dit là ce que j'aurais proposé comme conclusion. C'est dans cet esprit que je vous ai présenté ce message.
Le sénateur Andreychuk : Merci de votre exposé et de votre dévouement à cette cause. Comme je l'ai dit dans l'intervention que j'ai faite au Sénat, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de Canadiens qui appuient le recours aux attentats suicides, mais j'avoue qu'il doit y en avoir quelques-uns. Selon moi, la majorité des Canadiens sont tout à fait contre les attentats suicides et l'idée même d'attentat suicide.
J'ai du mal avec la définition de l'expression « attentat suicide » dans le contexte du Code criminel, car, si nous disons que ces attentats sont compris dans la notion d'activité terroriste, je présume quant à moi qu'ils sont déjà visés par la loi. Je crois que c'est l'avis de la plupart des experts. Si nous nous apprêtons à clarifier la question — je ne vois pas très bien pourquoi nous le ferions, car il m'a toujours semblé que la notion d'activité terroriste englobait celle d'attentat suicide, que cela faisait déjà partie de notre loi —, si nous pensons qu'il y a un message politique, un message social à lancer en désignant expressément l'attentat suicide, comment le définirions-nous? Comme j'ai été juge, je tiens à une certaine précision.
La notion est connue, mais nous avons besoin de précision dans le Code criminel et dans nos activités. Comment définiriez-vous l'attentat suicide?
M. Bromstein : Au départ, vous avez dit que nous laissions entendre que la notion n'est pas définie. Nous ne disons pas cela, mais plutôt qu'il serait utile de choisir des mots qui, dans l'esprit des gens, symbolisent le terrorisme.
Prenons un exemple de la semaine dernière. Nous savons tous que ceux qui se servent d'un téléphone portable au volant risquent d'avoir des accidents. C'est mal, et nous le savons. Toutefois, la semaine dernière, deux provinces ont décidé de légiférer pour interdire l'utilisation de ces téléphones au volant. Cette intervention attire l'attention sur un comportement que nous considérons tous comme mauvais et lance un message : ne le faites pas.
Voilà ce que fait le projet de loi : il lance un message. Je ne crois pas que nous ayons besoin d'une définition. Nous n'avons pas besoin d'être précis, car, comme vous le dites fort justement, tout se trouve dans la loi. Nous lançons un message disant que ce comportement tend à prendre de l'ampleur depuis des années. Il devient de plus en plus fréquent dans de plus nombreux pays. Tous les jours, un nombre plus grand de personnes se font tuer.
Nous voulons déclencher un réflexe chez le Canadien, l'amener à se dire qu'il faut faire attention à ce problème. Reconnaissons que le Canada peut faire quelque chose en étant explicite. Arrêtons dans leur élan ceux qui, par naïveté, souhaiteraient devenir des kamikazes. Voilà ce que ces mots permettent de faire.
En ce sens, nous n'avons pas besoin de plus de précisions. Tout est précis. Nous proposons de faire ce qu'on a fait dans le cas des téléphones portables, ce qu'on a fait dans toutes les autres lois qui insistent plus particulièrement sur un point. Selon nous, c'est là l'exemple qui aide le simple Canadien à prendre conscience de ce qu'il faut faire.
Soit dit en passant, les avocats ont longuement parlé de cette question hier.
Le sénateur Andreychuk : Je voulais connaître votre opinion.
M. Bromstein : J'accepte leur point de vue. Ils sont très éloquents et ils connaissent la question mieux que moi.
Le sénateur Andreychuk : Je vais laisser ce dernier point de côté.
Ce qui me préoccupe, dans l'exemple du téléphone portable, c'est que, selon moi, tout le monde n'est pas d'avis qu'il est condamnable de se servir d'un portable quand on est au volant. Et si quelqu'un pense que ce n'est pas tout à fait bien, il se dit qu'il va employer un appareil mains libres. La question fait l'objet d'un débat, et le gouvernement prend les devants.
Je ne remarque pas de débat au Canada sur son utilité. Par contre, la plupart des gens ont les attentats suicides en horreur. Je tiens à ce que nous réprimions correctement ces actes. Si nous lançons un message, nous faisons mieux de savoir ce que nous entendons par « attentat suicide ». S'agit-il de l'utilisation d'une bombe, d'une attaque ou d'un autre comportement par lequel on tue d'autres personnes en sacrifiant sa propre vie?
M. Bromstein : Je ne veux pas dire que le terme « attaque » ne désignerait pas des comportements autres que l'expression « attentat suicide ». Ce n'est pas ce que je veux faire ressortir. Il y a débat à ce sujet. Je voudrais que vous ayez tort, à propos de l'acceptabilité de l'attentat suicide. Malheureusement, ce genre de comportement a lieu régulièrement.
Salim Mansur fait l'objet d'une fatwa à cause de certaines choses qu'il fait ou préconise. Il y a donc un débat. Nous essayons simplement de dire que c'est un moyen de cerner ce comportement. Je ne vois pas trop ce que je peux dire d'autre.
Le sénateur Andreychuk : Il s'agit d'un débat international.
M. Bromstein : Le débat a cours au Canada. Il y a des gens qui discutent de la question au Canada. Je voudrais bien me tromper.
Le sénateur Andreychuk : Voudriez-vous indiquer publiquement la source?
M. Bromstein : Il faudrait que je revoie la documentation. Voulez-vous dire qu'il n'y a personne qui trouve les attentats suicides acceptables, justifiables? Dans un article qui a paru dans le Osgoode Hall Law Journal, un auteur laisse entendre que ce comportement est justifiable.
Le sénateur Andreychuk : Selon moi, il y a au Canada et il continuera d'y avoir un débat théorique ou autre à ce sujet, peu importe les raisons, dans un petit segment de la population. C'est un fait connu, je crois. Et je dis que la majorité des Canadiens sont d'accord avec vous, d'après moi.
M. Bromstein : Je ne suis pas en désaccord.
Le sénateur Joyal : J'ai lu votre mémoire. En toute déférence, je dirai qu'il ne porte pas expressément sur la lettre que le ministre de la Justice vous a adressée. Je ne crois pas divulguer une lettre confidentielle, car je suis persuadé qu'elle a circulé. J'ai une copie datée du 19 mars 2008. Je ne suis pas sûr que ce soit la date de la lettre, mais c'est le texte de la lettre que j'ai reçue, et elle vient du service de correspondance ministériel. Avez-vous une copie de cette lettre?
M. Bromstein : Oui, j'en ai une.
La présidente : Auriez-vous l'obligeance d'en remettre une copie au greffier?
Le sénateur Joyal : Bien sûr, je vais le faire.
Je ne crois pas violer le secret de votre correspondance avec le ministère de la Justice du Canada.
M. Bromstein : Pas du tout.
Le sénateur Joyal : Dans cette lettre, le ministre présente différents arguments en réponse à la demande que vous avez faite au sujet de l'appui au projet de loi S-210. Pourriez-vous expliquer de façon plus précise votre réaction à cette lettre? À moins que vous n'ayez déjà répondu au ministre de la Justice, auquel cas nous souhaiterions obtenir cette réponse, si possible. Autrement, si vous n'avez pas répondu par écrit au ministre, peut-être voudriez-vous revenir sur les divers arguments que le ministre a exposés dans sa lettre.
M. Bromstein : Son principal argument, fort simplement, c'est que l'attentat suicide est déjà visé par la loi. C'est l'élément principal, et je ne suis pas en désaccord. Hier, les juristes n'étaient pas en désaccord non plus, à proprement parler.
Les juristes disent, comme je l'aurais dit, que nous devons attirer l'attention sur les mots. J'ai donné des explications dans le mémoire que j'ai présenté et où j'indique les problèmes.
Des représentants du ministère de la Justice du Canada et d'Affaires étrangères et Commerce international Canada ont avancé trois grandes raisons pour lesquelles il ne faut pas que le Code criminel traite explicitement de l'attentat suicide. Ils soutiennent d'abord que ce crime est déjà implicitement visé; deuxièmement, on risquerait de rendre la notion d'« attentat terroriste à l'explosif » plus étroite, de brouiller la définition ou d'avoir d'autres effets qui ne sont ni souhaitables ni recherchés; troisièmement, le libellé actuel des dispositions législatives est fidèle au consensus négocié au niveau international. Je crois que c'est essentiellement ce que le ministre dirait s'il était ici.
J'ai ensuite essayé d'aborder chacun de ces arguments. J'ai dit d'abord que d'éminents juristes avaient étudié la thèse voulant que les attentats suicides soient déjà visés implicitement dans le Code criminel. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a de solides raisons relevant de la politique d'intérêt public pour que la loi vise explicitement les attentats suicides. En ce sens, je n'étais pas en désaccord avec le ministre.
Deuxièmement, bien que j'aie une certaine expérience, je ne suis pas un spécialiste dans le domaine. Des juristes ont traité de l'argument qui porte sur le problème d'une définition qui serait plus étroite. Ils ont rappelé des formules comme « sans limiter la généralité de ce qui précède », « il est entendu que », qui se retrouvent régulièrement dans les lois canadiennes.
Enfin, en ce qui concerne le troisième point, il est temps de faire avancer le consensus international et de désigner explicitement les attentats suicides. L'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a pris une résolution exhortant l'ONU à dissiper l'incertitude inutile qui entoure la question des attentats suicides et d'en faire des crimes contre l'humanité. Plus récemment, le secrétaire général de l'ONU a qualifié le terrorisme par attentat suicide d'arme politique inacceptable et dit qu'il demanderait lui-même au président de l'Assemblée générale de l'ONU une session spéciale pour étudier ce problème. Il s'agit là d'une occasion offerte au Canada de se donner en exemple, il l'a déjà fait dans le cas du traité d'Ottawa sur les mines antipersonnel et dans d'autres initiatives de maintien de la paix.
Ma réponse au ministre de la Justice est simplement la suivante : « Je comprends ce que vous dites, je comprends votre réaction. Je comprends pourquoi vous dites que l'attentat suicide est déjà visé. J'essaie de faire ressortir un autre point de vue. »
J'ai travaillé dans le domaine des communications, et je dis qu'il nous faut faire comprendre que cet acte est condamnable, et l'expression « attentat suicide » déclenche quelque chose dans l'esprit des gens. C'est pourquoi nous avons les sites Web en version musulmane pour promouvoir le projet de loi et l'article qui traite de l'arme ultime; c'est pourquoi nous disons qu'il est important d'attirer l'attention sur quelque chose qui a du sens pour les gens. Cette notion ne couvrira pas tous les faits, il ne couvrira pas tous les attentats, mais elle aura un certain sens. J'espère que ma réponse est d'une certaine utilité.
Le sénateur Joyal : C'est là votre réponse à au moins deux des principaux arguments de la lettre du ministre, selon mon interprétation, mais le ministre en explique un autre dans les deux derniers paragraphes :
Il est certain qu'il y a des cas où il ne s'agit pas d'un acte de terrorisme. Par exemple, si un homme se fait sauter dans un champ, il ne s'agit pas d'un acte terroriste. L'adoption du projet étendrait de façon injustifiée la portée de la définition de l'activité terroriste.
Pouvez-vous réfuter cette interprétation proposée par le ministre de la Justice?
M. Bromstein : Hier, l'un des juristes a traité de cette question, et je ne peux trouver à redire à sa position. Le Code criminel se subdivise en un grand nombre de parties; c'est un texte considérable. Avant que je ne sois juge, cette loi était beaucoup moins longue. J'ai connu l'honorable Arthur Martin, auteur du Martin's Annual Criminal Code. Je reconnais que ces autres cas sont visés et que la notion d'attentat suicide ne s'applique pas nécessairement à l'acte donné en exemple.
Le sénateur Joyal : Selon vous, il n'est pas nécessaire, pour que le projet de loi soit efficace, d'ajouter une définition de l'attentat suicide.
M. Bromstein : Certainement pas. Permettez-moi de vous donner un exemple : TVO a diffusé une émission britannique présentée comme un documentaire, mais qui n'en était pas un. Dans cette émission, une jeune femme est lourdement influencée par son milieu qui lui dit que des gens terribles ont fait subir toutes sortes d'atrocités à sa famille. Elle finit par s'habiller comme une jeune femme enceinte, mais elle porte sous ses vêtements une veste remplie d'explosifs, avec des billes et d'autres projectiles qui explosent. À la fin du film, elle entre dans un parc public où des jeunes gens font de la musique. Le film se termine sur cette séquence. De toute évidence, le message est qu'elle estime avoir raison d'agir comme elle le fait. On ne sait pas si les musiciens sont tués ou non, mais c'était là un parfait exemple des éléments qui sont réunis. Il y a trois éléments : d'abord, il doit y avoir un suicide; deuxièmement, il doit y avoir un meurtre — je présume que c'était le cas dans ce film; troisièmement, il doit y avoir des gens qui aident ou soutiennent financièrement ou autrement le kamikaze. Les trois éléments sont présents dans la notion d'« attentat suicide ».
Le sénateur Joyal : Quel rapport établissez-vous entre la glorification du terrorisme et les attentats suicides?
M. Bromstein : C'est là le problème le plus terrible. C'est affreux. Je ne peux pas en parler sans être bouleversé. Il y a des gens qui disent aux kamikazes que, après leur mort, ils seront avec 72 vierges et que Dieu exige qu'ils se sacrifient. C'est terrible. Voilà comment on justifie les attentats suicides. Comme Patrick Monahan l'a dit hier, on essaie de légitimer ces actes en prétendant qu'ils sont approuvés par la religion. Salim Mansur, qui écrit sur la question et qui est musulman, me dit que ce n'est pas le cas. J'ai des juifs et des catholiques éminents qui travaillent avec moi. J'ai rencontré l'archevêque. Celui qui travaillait avec moi au départ sur les questions interconfessionnelles était l'archevêque Terry Prendergast, qui est maintenant l'archevêque d'Ottawa.
Il ne m'est pas facile de parler cette question. Elle me dérange. J'espère que nous pourrons faire comprendre que c'est mal.
Le sénateur Joyal : Il nous a été expliqué que l'objectif du projet de loi n'est pas à proprement parler de sanctionner l'attentat suicide, puisqu'il est déjà visé par l'article 83 du Code criminel et les dispositions qui suivent. Le principal objectif présumé est la dissuasion. Dans la plupart des exemples qui nous ont été donnés, les attentats suicides sont perpétrés pour des raisons politiques, religieuses ou idéologiques. Il a donc un lien direct avec la glorification du terrorisme au sens le plus large. Je fais donc le raisonnement suivant : si l'objectif du projet de loi est la dissuasion, comme vous l'expliquez dans votre mémoire, ne devrait-il pas être complémentaire d'un projet de loi qui punirait la glorification du terrorisme?
M. Bromstein : Je regrette, mais je ne vous suis pas très bien, à propos de la dissuasion.
Le sénateur Joyal : L'un des objectifs du projet de loi est la dissuasion. C'est ce que vous écrivez dans votre mémoire. Si nous ajoutions au code un élément de dissuasion pour ce type d'activité terroriste, ne devrions-nous pas en même temps ajouter un article qui pénalise ou interdit la glorification du terrorisme?
M. Bromstein : Vous voulez dire pour y mettre un terme.
Le sénateur Joyal : C'est exact.
M. Bromstein : Sanctionner, dans ma façon de penser, c'est accepter quelque chose.
La question est délicate, parce qu'on entre ensuite dans des arguments axés sur la religion et l'affaire Khawaja a traité de ce problème. J'estime qu'il serait plus sage de ne pas s'engager dans cette voie parce que tout est suffisamment bien couvert. Il suffirait d'utiliser des mots qui déclenchent une prise de conscience.
L'honorable Roy McMurtry, qui m'a invité au départ à siéger comme juge lorsque j'étais sur la liste des candidats à la Cour supérieure, a signé la lettre. L'initiative lui semble logique. Quelqu'un de ce niveau, trois anciens premiers ministres, trois anciens ministres de la Justice, trois premiers ministres provinciaux et trois spécialistes de renom en politique sont tous d'avis que cette proposition peut être utile et qu'il faudrait y donner suite. Je n'ai pas l'impression d'avoir autant de connaissances que certains d'entre eux. Il existe peut-être de bonnes réponses à votre question.
J'aime à penser que, comme citoyen, j'ai exprimé la volonté de faire quelque chose. Au départ, les principaux attentats suicides avaient lieu au Sri Lanka. Aujourd'hui, il y en a partout. Il y en a tous les jours en Iraq. On glorifie ces actes. J'estime que le code vise ce crime. Toutefois, l'emploi de mots qui déclenchent la réflexion chez les gens aidera à prendre conscience du problème lorsqu'il semble poindre et à essayer de l'empêcher de se produire. Si on glorifie ces actes, peut-être les gens pourraient-ils répondre : « Vous ne pouvez pas justifier les attentats suicides en prétendant que la religion les justifie. » Bien sûr, elle ne le fait pas, mais si c'est l'argument invoqué, les gens pourront dire que c'est faux et refuser de marcher. Je voudrais pouvoir avoir une autre réponse.
Le sénateur Stratton : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur, et je suis heureux que vous soyez parmi nous. La discussion est intéressante. Je suis allé au Moyen-Orient assez souvent par le passé, en Iraq et en Jordanie, avant la première guerre du Golfe et avant la deuxième, et j'ai rencontré des Jordaniens, notamment, d'anciens Palestiniens. Je sais qu'ils voient dans les bombes et les attentats suicides le dernier moyen qu'il leur reste, parce qu'ils ont essayé tout le reste.
Je ne les cite pas directement, mais c'est ce qu'ils m'ont dit. Leur idée à ce sujet est très arrêtée. Cela n'avait rien à voir avec la religion, à ce moment-là, mais tout à voir avec une lutte pour la liberté et pour la reconnaissance de l'État indépendant de Palestine. C'était l'enjeu de leur combat.
C'était la cause profonde, en somme, ainsi qu'on m'a expliqué. L'évolution s'est faite à partir de là. C'est du moins ce que j'ai compris.
Quant aux Irlandais, je ne me souviens pas, moi qui ai des racines irlandaises, qu'il y ait eu des attentats suicides en Irlande. On posait des bombes, mais il n'y avait pas d'attentats suicides.
M. Bromstein : Il y a eu un attentat suicide commis à Londres par un Irlandais.
Le sénateur Stratton : Je suis désolé, mais ce n'était pas en Irlande. Pardonnez mon erreur.
Je pars de la cause profonde, et la médaille a toujours deux côtés. N'ayant pas réussi à obtenir l'indépendance ou à atteindre leur objectif par la guerre, ils ont recours à ce moyen. C'est répréhensible, comme je l'ai dit hier. Toutefois, vous devez au moins reconnaître qu'il y a une raison différente de la religion pour agir de la sorte.
Personne ne conteste le caractère répréhensible des attentats suicides, mais, lorsqu'il est question de la définition, je suis toujours mal à l'aise. Dans le cas de l'attentat contre Air India, nous nous interrogeons sur la nature du crime. Même chose pour les attentats du 11 septembre. Était-ce un attentat suicide ou une attaque à la bombe? Ensuite, comme un des attachés de recherche me l'a fait remarquer, il faut s'interroger sur le cas des femmes trisomiques à qui on a attaché une ceinture d'explosifs avant des les envoyer dans une foule et de déclencher l'explosion à distance, tuant à la fois les porteuses des bombes et des gens de la foule.
Je comprends le message que vous essayez de lancer, mais ce qui me préoccupe le plus, c'est que nous devons tenir compte non seulement des attentats suicides, mais aussi de la menace plus considérable qui semble exister, étant donné les arrestations récentes qui ont eu lieu à Londres. Les terroristes faisaient leurs préparatifs et avaient ciblé deux vols d'Air Canada à destination de Toronto et de Montréal.
Voilà qui est répréhensible, il me semble. Ils peuvent détruire un appareil qui a un nombre considérable de passagers à bord — avec ces nouveaux appareils qui accueillent plus de 500 personnes — au moyen d'un détonateur actionné à distance. Ils pourraient descendre l'avion en se tenant en bout de piste avec un lance-roquettes. Selon moi, ces attentats sont tout aussi répréhensibles que celui commis par un individu qui va se mêler à la foule sur le marché avec une bombe sur lui.
Si nous employons l'expression « attentat suicide », que deviennent ces autres attentats qui ont eu lieu ou peuvent se produire? Comment faire comprendre que ces attentats sont tout aussi répréhensibles que les attentats suicides?
M. Bromstein : Justement. Une fois que les gens commenceront à faire attention aux attentats suicides, lorsqu'un autre type d'incident se produira, nous pourrons leur dire que ce type de crime est pénalisé par la loi, mais, maintenant que l'attentat suicide est reconnu comme un problème auquel il faut faire attention, nous devons empêcher ces crimes. Nous n'avons pas à donner des précisions dans la loi. Nous devons veiller à ce que les gens prennent conscience du problème et disent aux autres d'arrêter de recourir à ces moyens.
En fait, l'explosion à bord du vol en partance de Londres ne devait pas être déclenchée à distance. Les terroristes devaient être à bord.
Je ne dis pas que ces crimes ne sont pas visés ni qu'il ne faut pas s'en préoccuper. Je propose simplement qu'on parte de ce qui se trouve dans les informations quotidiennes, dans le discours populaire. La notion est employée dans les médias et elle est acceptée. Ce sont les mots que les gens associent actuellement à la méthode la plus fréquemment employée par les terroristes.
Quant à la question de la libération nationale, est-ce que tuer des jeunes qui sont en train de prendre un café ou d'autres civils est un moyen à employer pour obtenir la libération nationale? Je ne le crois pas.
J'admets qu'il peut y avoir des gens qui s'appuient sur l'argument de la libération nationale. C'est l'une des raisons pour lesquelles on n'a pas pu agir au plan international : des gens disaient que c'était acceptable pour des motifs de libération nationale. À mon avis, c'est moralement condamnable. Ce n'est pas la cause qui est condamnable, mais le moyen.
Le sénateur Stratton : Je ne justifiais pas leur action. Je disais simplement qu'il y a des motifs autres que la religion pour adopter ce comportement. Voilà ce que je voulais dire.
M. Bromstein : Fort bien.
Le sénateur Stratton : Mon dernier point concerne le commissaire adjoint McDonell. Il s'est dit d'accord sur la prémisse, mais il voulait modifier les termes anglais « suicide bombing » par « suicide attack ». Il a avancé d'excellentes explications pour justifier cette modification. Êtes-vous d'accord?
M. Bromstein : Je conviens que le terme « attack » a peut-être une plus grande extension, mais il a également dit que « suicide bombing » serait une bonne première mesure. Il faut avancer un pas à la fois.
Le sénateur Stratton : Il a ajouté que le projet de loi n'était pas nécessaire. Il pouvait se débrouiller avec la loi dans son état actuel, mais il préférait que l'expression « attentat suicide » figure dans le code. Toutefois, si on lui accordait le choix, il préférerait « suicide attack » pour plus de clarté. Tous ceux qui sont ici présents sont peut-être d'accord avec moi, mais je crois résumer ses propos.
C'est ma seule vraie préoccupation. Comme quelqu'un a dit, une fois qu'on met quelque chose dans son panier de courses, on y revient sans cesse. On se demande s'il n'y a pas une meilleure façon d'aborder le problème, en dehors d'une modification de la loi.
Sauf erreur, un témoin a dit hier que, sans une campagne d'information, ce projet de loi n'aura aucun effet. Il aura un impact de très brève durée et ensuite plus rien. Il y aura l'effet initial de l'adoption du projet de loi et il s'estompera tranquillement ensuite. Par contre, si le projet de loi est lié à un programme de sensibilisation, nous pourrions parvenir à quelque chose. Pourquoi ne pas s'attaquer au problème par un effort de sensibilisation plutôt que par l'adoption d'un projet de loi?
M. Bromstein : Pourquoi ne pas faire les deux?
Le sénateur Stratton : Croyez-vous avoir besoin des deux?
M. Bromstein : Oui, je le crois.
Le sénateur Stratton : Alors je dirais, par esprit de contradiction, que vous pourriez peut-être vous y prendre mieux. La médaille a deux côtés, je suis d'accord avec vous.
Je me souviens que, au début des années 1980, la campagne de prévention du tabagisme a débuté par la publicité et la sensibilisation. On a essayé de mesurer l'effet de cette sensibilisation. Au début — je travaillais alors avec le ministre de la Santé de l'époque —, on n'avait vraiment pas l'impression qu'il y avait un effet. Il a fallu 15 ou 20 ans pour qu'il se manifeste. Aujourd'hui, nous pouvons le mesurer.
Comment convaincre des adolescents impressionnables? Il est aujourd'hui possible de les persuader de ne pas fumer. Comment leur faire comprendre qu'il ne faut pas faire sauter des bombes et eux-mêmes avec? Voilà, à mon avis, le nœud du problème.
M. Bromstein : J'accepte ce que vous dites.
Le sénateur Di Nino : Il ne fait pas de doute que l'attentat suicide est un acte condamnable — je dirais une « arme brillamment mauvaise » — et que la vaste majorité des habitants de la planète l'ont en horreur.
L'un des buts du projet de loi est la dissuasion. Je ne dis pas qu'il ne faut pas adopter le projet de loi, mais je n'arrive pas à comprendre comment il pourrait empêcher un kamikaze de commettre ce crime odieux.
S'agit-il surtout d'un geste symbolique que nous tentons de poser?
M. Bromstein : C'est bien dit, tout comme l'observation du sénateur Stratton visant à tirer les choses au clair. Les symboles sont importants pour amener les gens à faire attention aux problèmes. Sans eux, nous ne faisons pas toujours attention à ce qui doit nous intéresser. S'il y a des groupes ou des personnes qui, progressivement, développent l'utilisation de cette arme brillamment mauvaise, comme vous dites, ou qui envisage d'y recourir, on les aide à faire une prise de conscience. L'étape suivante serait que ces gens envisagent la question de telle manière que, lorsqu'ils rencontrent par exemple un jeune qui, dans sa naïveté, est influencé par cette mouvance, ils disent ou fassent quelque chose pour les arrêter.
Lorsque j'ai lancé cette campagne pour Citoyens contre les attentats suicides, la plupart des gens ont dit que c'était une évidence et ils m'ont demandé à quoi bon. Je leur ai dit que c'était parce que ce n'était pas évident pour tout le monde. Peut-être conviendrez-vous avec moi que c'est quelque chose qui a un certain bon sens.
En ce sens, ce n'est pas qu'une question de symboles. C'est aussi un mécanisme. C'est pourquoi tous ces gens ont signé la lettre adressée au Sénat. Ils ont dit : « Vous avez sans doute raison. Nous devrions dire ou faire quelque chose. »
Le sénateur Di Nino : Je n'ai rien contre cette campagne. Il est indispensable de jeter un éclairage sur ce problème. L'adoption d'un projet de loi ne fera pas de mal, mais je ne suis pas sûr que cela donnera grand-chose. Je tiens à vous dire avec beaucoup de conviction que cette sensibilisation, que cette mise en lumière du problème sont des efforts qui doivent se poursuivre, comme le sénateur Stratton l'a dit à propos du tabagisme, car c'est probablement une entreprise plus importante qu'un projet de loi qui, une fois adopté, ne fera plus aucun bruit.
Le sénateur Andreychuk : Je crois qu'on vous a signalé qu'il s'agissait d'une mesure dissuasive. D'après mon interprétation des témoignages passés de M. Monahan, ce témoin n'était pas d'accord avec le sénateur Grafstein sur ce point. Je le cite :
Je ne crois pas que l'enjeu soit de dissuader des individus qui songent à commettre un attentat. Cela fait partir d'une lutte à l'échelle mondiale pour la légitimité. L'enjeu, c'est la revendication d'une justification morale. C'est pour influencer le débat mondial que le projet de loi donnera un exemple de disposition dont les autres pourront s'inspirer.
Autrement dit, si je comprends bien M. Monahan, et je suis d'accord avec lui, je ne crois pas que le projet de loi va influencer l'individu qui subit un lavage de cerveau ou est amené à commettre un attentat. Par contre, il lance un message, dans le cadre d'une lutte mondiale pour la légitimité, s'il est possible de parler de « dissuasion » en des termes aussi généraux.
Le sénateur Joyal : Le dernier paragraphe, à la page 2 du mémoire de CANASB, soulève le même point. Il dit ceci :
S'il s'agit de fanatiques déterminés à donner suite à cette conviction, il est peu probable qu'ils seront dissuadés par l'ajout des termes « attentat suicide » au Code criminel.
C'est précisément ce que vous et d'autres témoins avez fait ressortir.
La présidente : La phrase suivante dit : « Par contre, les naïfs que ces gens parviennent à enrôler sont susceptibles de l'être. »
Il y a eu des témoignages la semaine dernière au sujet des gens qui se trouvent dans cette zone indécise — ceux qui ne sont ni les cerveaux qui préparent les attentats, ni ceux qui ont franchi le Rubicon et décidé de devenir des kamikazes. Ce sont des êtres influençables. Il y a eu des témoignages à ce sujet au comité la semaine dernière.
Le sénateur Andreychuk : Pour donner suite à la question du sénateur Fraser, monsieur Bromstein : vous avez dit que trois catégories de personnes seraient englobées dans la définition. La dernière catégorie comprend ceux qui financent les kamikazes. Peut-être, mais comment peut-on les englober? D'après ce que j'ai compris de vos deux premiers points, ils pourraient être compris dans notre conception de ce qu'est un kamikaze. Toutefois, pour ce qui est de suivre la trace de l'argent, d'après mon opinion et d'après ce que j'ai lu, il ne semble pas couler de source que celui qui finance est visé par la définition de l'« attentat suicide ». Cela relèverait plutôt du financement d'activité terroriste.
Il se peut que, à un moment donné, quelqu'un fasse le lien, mais je ne vois pas d'emblée que, si quelqu'un a comme objectif de financer un kamikaze, nous établirions le lien. Je voudrais savoir comment vous arrivez à l'établir.
M. Bromstein : Ils créent des écoles où on montre aux participants comment devenir des kamikazes. Ils les financent.
Le sénateur Andreychuk : Une école qui enseigne l'attentat suicide.
M. Bromstein : Oui, c'est exact. Ils versent aussi de l'argent aux familles dont des enfants se sont suicidés.
Le sénateur Andreychuk : Vous dites que, si nous ajoutons les termes « attentat suicide » au moyen du projet de loi S- 210, nous pourrions inculper toutes ces autres personnes?
M. Bromstein : Elles peuvent l'être de toute façon. Je dis simplement que cela constitue une rubrique, une approche globale.
Le sénateur Andreychuk : Nous en revenons donc à l'idée qu'elles peuvent être impliquées de toute façon.
M. Bromstein : Tout est ramassé ensemble. Il y a un cadre auquel les gens peuvent faire attention.
Le sénateur Andreychuk : C'est peut-être là que nous ne sommes pas d'accord. Le cadre, c'est l'activité terroriste, dont l'attentat suicide peut faire partie.
Le sénateur Grafstein : Je ne vais pas être long, car je connais le dur travail de M. Bromstein. Je le félicite d'avoir présenté au Sénat la liste la plus exceptionnelle de Canadiens des deux partis réunis autour d'une même cause. C'est la plus impressionnante que j'aie vue depuis que je suis sénateur. Des anciens premiers ministres des deux partis, d'anciens dirigeants politiques et quatre ministres fédéraux de la Justice appuient le projet de loi. Sénateur Andreychuk, quatre ministres fédéraux de la Justice appuient cette modification du Code criminel, et trois d'entre eux sont d'anciens premiers ministres.
Voilà un soutien renversant. Je ne peux pas me souvenir d'appuis aussi exceptionnels au cours des 20 ans que j'ai passés au Sénat.
Je voudrais parler d'éducation. Je suis désolé que le sénateur Di Nino ne soit pas parmi nous. Monsieur Bromstein, ceci est un ouvrage d'éducation, et le Code criminel, c'est une question d'éducation. Toutefois, il ne s'agit pas de l'éducation dispensée dans les universités. M. Trudell témoignera dans un instant. Il conviendra qu'il s'agit d'un ouvrage d'information publique, mais qui a des conséquences juridiques. Toute la raison d'être du Code criminel, j'espère que vous en conviendrez, est l'éducation, mais il y a des conséquences précises pour celui qui refuse son enseignement sur la conduite préconisée. Je suis donc fondamentalement d'accord avec les deux autres sénateurs qui souhaitent un effort de sensibilisation. Cela n'a pas fonctionné. Le Code criminel est en fait un moyen de sensibilisation de dernier recours.
Je voudrais revenir sur le raisonnement du sénateur Andreychuk. Les mutilations génitales sont visées par le Code criminel. Pourquoi le préciser? Il s'agit de voies de fait graves, infraction qui figure dans le code; pourtant, nous les avons ajoutées. Plus récemment, nous avons ajouté les courses de rue. Ce comportement était déjà visé par le code. Pourquoi ajouter cette notion? Le sénateur Andreychuk dit que, si le comportement est déjà visé par le Code criminel, nous n'avons pas besoin d'ajouter des précisions.
Le sénateur Andreychuk : Sauf votre respect, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je voulais savoir s'il y a une raison autre que l'interprétation, telle qu'elle se trouve dans le Code criminel, pour que les attentats suicides, quel qu'en soit le type, ne soient pas englobés. La réponse, c'est qu'ils sont englobés. En toute déférence, j'estime que le témoin a donné sa réponse complète.
M. Bromstein : Je suis d'accord. Le droit pénal a deux fonctions : punir et prévenir. La prévention comprend l'éducation. Il dit que telle conduite est inacceptable. Voilà mon message.
Le sénateur Grafstein : Je voudrais revenir sur votre réponse à la question sur les kamikazes et à l'argument du sénateur Andreychuk voulant que le simple ajout des termes « attentat suicide » ne change rien au délit. J'ai compris que c'était justement pour cette raison que le grand responsable de ces poursuites, le commissaire adjoint, avait dit qu'il serait utile, du point de vue de la dissuasion, de pouvoir réunir dans une seule expression les éléments d'une infraction. C'est ce que j'ai retiré de son témoignage.
Êtes-vous d'accord sur cette interprétation de son témoignage?
M. Bromstein : J'ai beaucoup aimé ce qu'il a dit, oui.
Le sénateur Grafstein : Êtes-vous d'accord sur cette interprétation de son témoignage?
M. Bromstein : Oui, je le suis.
La présidente : Merci, monsieur Bromstein. Votre témoignage a été utile à nos délibérations.
Sénateur Andreychuk, en réponse à une question, tout à l'heure, vous avez évoqué un article paru dans le Osgoode Hall Law Journal. Si vous pouviez communiquer au greffier la référence de cet article, ce serait utile, pour que notre documentation soit complète.
M. Bromstein : Je vous remercie de la courtoisie avec laquelle vous avez accueilli mes préoccupations. C'est un dossier que je porte depuis cinq ans, et ce n'est pas facile.
La présidente : Ce fut un plaisir de vous accueillir.
Notre prochain témoin est M. William Trudell. Vous êtes de nouveau le bienvenu, monsieur Trudell.
William Trudell, président, Conseil canadien des avocats de la Défense : Merci. Comme toujours, c'est un honneur d'être invité et, peut-être, d'aider le comité à étudier le projet de loi. Le Conseil canadien des avocats de la défense, ou CCAD, regroupe des avocats de la défense de tout le Canada. Il représente des avocats de toutes les provinces et de tous les territoires. Les comités du Sénat et des Communes ainsi que le gouvernement fédéral sollicitent souvent l'avis du Conseil au sujet de questions de justice pénale. Nous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est ainsi offerte.
Je dois vous avouer qu'il est très exceptionnel que les avocats de la défense ne s'opposent pas à des dispositions en matière pénale, surtout lorsque le ministère de la Justice du Canada dit que ces dispositions ne sont pas nécessaires. Lorsque j'ai commencé à réfléchir à la question et à consulter mes collègues, nous nous sommes tous demandé pour quelle raison nous voudrions comparaître. Que voudrions-nous dire?
Nous abordons la question sous un éclairage différent. Il ne s'agit pas d'adopter des dispositions législatives nouvelles. J'ai eu la possibilité de consulter le témoignage des représentants du ministère de la Justice du Canada et de la GRC et, très brièvement, de parcourir le témoignage des invités d'hier. Le fil conducteur, dans tout ce que vous avez entendu, c'est que le projet de loi n'est pas nécessaire. Il ne comble aucune lacune.
La raison est différente. Je suis impressionné, comme président, de ce que je perçois comme étant l'autre raison. Sauf erreur, il s'agit d'une mesure législative dénuée de tout esprit de parti.
Le sénateur Grafstein : Jusqu'à maintenant.
M. Trudell : Jusqu'à maintenant. Il s'agit de l'énoncé d'un principe fondamental. Selon nous, c'est une affirmation du caractère sacré de la vie qui est important pour les Canadiens et qui est reflété dans le Code criminel et certains des exposés qui ont été présentés.
Nous abhorrons le meurtre. Il est passible d'un emprisonnement à vie. Toutefois, notre pays n'applique pas la peine capitale. La question fait l'objet d'un débat, et nous prenons des précautions lorsque nous livrons des gens à d'autres États qui appliquent cette peine. C'est que les Canadiens, à notre humble avis, reconnaissent et respectent le caractère sacré de la vie.
Nous croyons que le projet de loi renforce ce principe. C'est pourquoi nous ne nous y opposons pas. C'est l'affirmation d'un principe fondamental. S'il s'agissait d'une nouvelle disposition, la question se poserait différemment.
Dans un témoignage antérieur, quelqu'un a dit qu'il y a d'autres infractions qui sont précisées dans le Code criminel. Je crois qu'on a donné l'exemple des courses de rue. Le Conseil canadien des avocats de la défense ne jugeait pas nécessaire de l'ajouter. Selon lui, il s'agissait d'une réaction à un mouvement politique ou à du lobbying. Il a fait valoir qu'il n'y avait pas de courses de rue au Nunavut. Cette disposition a été adoptée à cause de préoccupations politiques et peut-être pour donner suite à des demandes de certains Canadiens.
Cette fois-ci, c'est différent. Il n'y a pas de nouvelle disposition. Ce n'est pas, à notre avis, le résultat d'un mouvement politique. Il s'agit de clarifier les choses. Ce sont des mots qui manquent. Selon nous, il n'y a pas lieu de craindre d'ouvrir les vannes, car il est certain qu'il s'agit d'un éclaircissement. On peut toujours ajouter les mots sans limiter le caractère général des dispositions; il s'agit de dissiper les incertitudes de l'interprétation de telle situation. Nous ne partageons pas la crainte du ministère de la Justice qui a peur que les vannes ne s'ouvrent. On peut agir. C'est une question de clarté.
Le Canada n'a pas à se préoccuper du fait que la même chose n'existe pas dans d'autres États. Bien franchement, nous disons que les attentats suicides, quelle qu'en soit la raison, sont inacceptables. Nous ignorons s'il y a un effet dissuasif. Le projet ne découragera certainement pas le kamikaze, mais il lancera peut-être un message à sa famille. Il pourrait avoir un effet de sensibilisation. Personne ne veut être catalogué comme terroriste. Les kamikazes peuvent se percevoir comme des martyrs. Par conséquent, il n'y a rien de mal dans le projet de loi, car il peut lancer un message de sensibilisation. Il peut être un moyen de dissuasion. De toute façon, même si vous décidiez que ce n'est pas un moyen de dissuasion, qu'y a-t-il de mal à ajouter cette précision? Puisqu'il s'agit d'un éclaircissement, nous ne nous opposons pas au projet de loi.
Nous sommes ici pour vous aider. C'est à vous qu'il incombe de légiférer pour diriger le pays. Par conséquent, si vous décidez que le projet de loi est nécessaire, allez-y, je vous en prie, mais pas parce que cette mesure comblerait une lacune. Il n'y a aucune lacune à combler. La loi est plutôt claire. Toutefois, si vous, dans votre sagesse, estimez que le projet de loi est important à cause de ce qui se passe dans le monde, qu'il est important d'ajouter ces mots au Code criminel, allez-y. Si nous nous présentons ici et vous disons que vous ne devez pas l'adopter ou n'avez pas besoin de le faire, ce serait pour vous aider, c'est tout. Si vous décidez, comme législateurs, que c'est une mesure — et j'espère sans esprit de parti... Nous ne nous y opposons pas parce que c'est votre travail.
Au nom du CCAD, je dirai que nous n'avons pas l'impression que les arguments qui ont été avancés devraient vous empêcher d'ajouter certains mots, si vous décidez que cela peut améliorer la loi, sans y ajouter un nouvel élément de fond. Le projet de loi fait simplement savoir à qui veut l'entendre que le Canada estime que les attentats suicides sont des crimes terroristes.
Avant qu'on ne me pose la question, je vais parler du choix de l'expression « suicide attack ». J'ai lu le témoignage. Cela dépend de vous. Toutefois, si vous pensez que cela soulève davantage de questions, que le sens n'est pas défini ou n'est pas clair, ne vous engagez pas dans cette voie, car l'expression « suicide bombing » est claire. Si le terme « attack » ne vous pose pas de problème et s'il semble répondre à un besoin que vous percevez, allez-y. Par contre, si ce terme fait apparaître des zones indécises ou est utilisé par des personnes qui disent que cela leur permet de faire plus d'enquêtes ou de refermer le cercle, je dois dire que ce n'est pas le but visé. La modification n'est pas proposée pour accroître le nombre des poursuites ni pour aider la police. Il s'agit d'un énoncé qui manque dans le Code criminel, et vous pourriez décider que ces termes doivent s'y trouver.
Y a-t-il une autre façon de s'y prendre? Je l'ignore, mais il est certain que l'activité terroriste et les infractions pénales sont visées par le Code criminel. Le moyen d'agir est là. Quant au message, si vous voulez le lancer, il n'y a rien qui empêche de le faire dans le code, car c'est peut-être par ce moyen qu'il faut le lancer.
Au fond, pourquoi sommes-nous ici? Pourquoi les avocats de la défense disent-ils que cela dépend de vous? Nous voyons là un principe fondamental que nous épousons tous : le caractère sacré de la vie des victimes et peut-être aussi de celle du kamikaze. L'attentat suicide est mal, c'est un acte inacceptable, sous quelque forme que ce soit, et les coupables se feront épingler s'ils ne meurent pas ou s'ils participent à la conspiration, à la planification, incitent des personnes à commettre cet acte, et cetera. Le Code criminel contient toutes sortes de dispositions qui permettent d'appréhender les suspects et d'intenter des poursuites. C'est le message qu'on veut lancer, et nous n'avons aucune objection.
Le sénateur Andreychuk : Merci d'avoir exposé publiquement votre point de vue comme vous l'avez fait : il appartient aux parlementaires de prendre la décision, s'ils veulent lancer un message.
Toutefois, je ne saisis pas très bien la distinction avec les courses de rue. C'est peut-être une question de degré. De toute façon, je ne veux pas mettre les deux questions sur le même plan. Quoi qu'il en soit, il est clair que, lorsqu'il a légiféré sur cette autre question, le Parlement a voulu également lancer un message.
M. Trudell : J'essayais de dire que nous avons été invités et que nous avons témoigné devant les comités au sujet des courses de rue. Nous sommes un porte-parole national. Lorsque nous avons eu l'occasion de le faire, nous nous sommes prononcés et nous avons dit que c'était une réaction politique — les parlementaires n'étaient pas d'accord avec nous — à ce qui semblait se produire dans deux ou trois grandes villes. C'est le Code criminel qui va changer. Or, les courses de rue ne sont pas un problème dans le nord de la Saskatchewan ni au Nunavut. Par conséquent, si ce comportement est déjà visé par le Code criminel, nous considérons d'un œil critique l'ajout d'articles à cette loi pour apporter des modifications qui ne sont, sauf votre respect, qu'une réaction à des pressions politiques, à des opinions politiques, à des mouvements qui militent pour l'ordre public. À notre avis, la situation est différente.
Voilà pourquoi nous nous sommes opposés. Il s'agissait de créer une nouvelle infraction. Ce n'est pas le cas cette fois-ci. On dit cette fois clairement que, sans limiter la généralité des dispositions de la loi, les attentats suicides sont une activité terroriste. Voilà la différence. Nous avons eu ce débat au CCAD. Ce n'est pas la même chose que les courses de rue. Il ne s'agit pas d'une nouvelle infraction. Il n'y a pas de motivation politique. C'est un énoncé général des principes qui s'appliquent au Canada. C'est ainsi que j'ai essayé de présenter la situation.
Le sénateur Andreychuk : Merci de cette précision. Je dirais simplement que je ne suis pas d'accord sur ce que vous avez dit de la « motivation politique » de la mesure sur les courses de rue. Les parlementaires, dans leur sagesse, ont répondu aux préoccupations exprimées par des citoyens inquiets de ce problème. Je crois que le nord de la Saskatchewan est visé tout autant que n'importe quelle autre région. Il y a eu exercice d'un jugement politique, et il a été décidé d'ajouter cette infraction. Il n'y avait pas de motivation politique, seulement l'exercice du jugement politique. Je tenais à le préciser.
Toutefois, j'accepte votre observation selon laquelle il s'agit d'un message que les parlementaires, à votre avis, souhaitent lancer. Il ne s'agit pas d'ajouter quoi que ce soit au Code criminel.
M. Trudell : Oui, c'est exact. Sénateur, nous ne le contestons pas. Nous présentons notre point de vue. Nous vous prêtons main-forte. Si vous dites : « Vous avez tort, il n'y a pas de motivation politique », c'est très bien. Nous sommes ici pour vous mettre à l'épreuve. La décision a été prise et le projet de loi a été adopté. Vous avez fait votre travail, et nous avons fait le nôtre.
Le sénateur Stratton : Je voudrais revenir à la question des courses de rue.
M. Trudell : Pourrais-je retirer toute cette analogie? Est-ce que je pourrais m'enfuir en courant?
Le sénateur Stratton : On évalue une loi à son efficacité. Je me demande si on peut dire aujourd'hui que cette loi a été efficace. C'est une question fondamentale à laquelle on ne peut vraiment répondre qu'au bout d'un certain temps. Néanmoins, il semblerait qu'elle a été efficace. Je m'interroge toutefois sur la proposition à l'étude au sujet des attentats suicides et je me demande si elle aura des effets à la fois dans l'immédiat et plus tard.
J'en reviens à ma thèse fondamentale. Je me souviens très bien que, au début des années 1980, on a enfin reconnu que le tabac présentait un très grave danger et qu'il faisait beaucoup de victimes. À l'époque, nous avons eu une discussion avec le ministère de la Santé au sujet de l'interdiction du tabac. Ce n'est pas une solution qui marche. Nous l'avons vu par le passé avec l'alcool.
Nous pouvions faire de la sensibilisation ou accroître les taxes au point de faire disparaître le produit. Le gouvernement de l'époque a opté pour la deuxième solution : alourdir les taxes au point que le produit ne puisse plus se vendre. Ce fut un échec à cause de la contrebande de cigarettes entre les États-Unis et le Canada, entre l'Ontario et le Manitoba, et cetera.
La seule approche efficace, avec le temps, a été celle de la sensibilisation. Et même là, lorsque nous avons commencé à faire de la sensibilisation, l'efficacité de cette solution était remise en cause. Il a fallu beaucoup de temps.
J'en reste toujours au problème fondamental : si nous adoptons le projet de loi, il aura un effet qui va ensuite se dissiper. En réalité, comment favoriser cet effet et comment s'assurer que le projet de loi sera efficace sans un effort de sensibilisation dans les écoles auprès des jeunes? Et si on fait cet effort, a-t-on vraiment besoin du projet de loi? Pourquoi ne pas se contenter de l'effort de sensibilisation?
M. Trudell : Je vais essayer de répondre.
Il y a eu un grand débat à propos de la loi sur le tabac. Certains estiment que ce produit est acceptable. Cela faisait problème. Mais ce n'est pas la même chose cette fois-ci. Peut-être que, dans cette situation, c'est du caractère sacré de la vie qu'il est question. Quelqu'un a dit que, si les fumeurs veulent se tuer à force de fumer, c'est leur droit. Nous pouvons interdire la cigarette dans les voitures, les classes ou les lieux publics.
Il s'agit ici d'une chose sur laquelle nous nous entendons tous — il n'y a pas de discussion —, et c'est le caractère sacré de la vie. Sauf votre respect, je renvoie la question : pourquoi ne pas ajouter ces mots?
Je crois savoir qu'il y a une longue liste de distingués Canadiens qui croient que cette mesure peut être utile. Certains peuvent penser qu'elle a une valeur pédagogique et d'autres peuvent y voir une forme de dissuasion, mais tous conviennent que c'est un énoncé des principes du Canada. Une fois que ces mots seront dans le texte, ils auront une valeur de sensibilisation, car les articles qui seront rédigés après en feront mention. Des études réalisées à l'étranger signaleront que, par ce projet de loi, le Canada a dit expressément, pour bien faire passer le message, qu'il reconnaissait le caractère sacré de la vie.
Je vous demanderais — ce qui est étrange de la part d'un criminaliste dans un dossier semblable — quel mal il y aurait à ajouter ces mots. Où sont les inconvénients? Il n'y a pas d'élément de fond nouveau dans la loi, alors pourquoi pas? Cette initiative a en soi une valeur éducative.
Je conviens que le Code criminel est un moyen de diffuser l'information et c'est par son application que nous respectons la primauté du droit. Il renseigne, car pas un jour ne passe où les juges n'ont pas à étudier et à interpréter un nouvel article. Il s'agit donc d'un moyen important. Je soutiendrais en toute déférence que la justice pénale suit une courbe ascendante, pour ce qui est de la sensibilisation et de l'intérêt du public. Il se peut fort bien que ce soit un excellent point de départ.
Disons, aux fins de la discussion, que nous éduquons des élèves. Nous leur lançons le message suivant : vous entendez parler de gens qui sont des martyrs ou qui agissent à force d'exaspération. Que ce soit la conséquence d'un désespoir total, d'une idéologie ou des deux, peu importe. Peu importe, parce que c'est mal. Il est fondamentalement contraire aux principes canadiens de faire en sorte de prendre la vie d'autrui en sacrifiant la sienne. Vous pouvez vous tuer si vous voulez. Ce n'est pas une infraction au Code criminel, mais il est absolument inacceptable, quelle que soit la raison, de prendre la vie d'autrui.
Si j'enseignais dans une classe et parlait de notre précieux Code criminel, de notre précieux système de justice pénale et si, comme enseignant, je considérais les dispositions contre le terrorisme, je dirais que le Canada est le seul pays qui a dit cela expressément. Il n'y aura pas un seul élève dans la classe pour demander pourquoi le Canada l'a fait ni pourquoi c'était nécessaire.
En toute déférence, je ne crois pas que ce soit un exemple de mesure qui, une fois adoptée, reste ensuite lettre morte et dont personne ne parle plus. L'attentat suicide semble un moyen de plus en plus employé. Nos soldats en Afghanistan sont parfois touchés; nous craignons tous que ce genre d'attentat ne se produise. C'est une nouvelle manifestation du terrorisme. Quelqu'un a dit que des articles sont parus qui justifient ce crime, et vous avez parlé de gens aux yeux de qui il s'agit de la seule solution. Très bien, mais je ne me soucie pas de leur motivation. Il s'agit ici du caractère sacré de la vie. Le Canada le reconnaît. C'est un principe fondamental.
Je ne veux pas tomber dans les banalités, mais je demande où est le problème. Ce peut être un moyen de sensibiliser les gens. Une déclaration du premier ministre peut aussi avoir une valeur pédagogique, mais il est probable que l'effet se limitera à la durée des émissions d'information de la journée. Si les mêmes notions se retrouvent dans le Code criminel, elles seront enseignées pendant des années aux étudiants de droit et aux universitaires. Chaque fois que les lois sur le terrorisme seront étudiées, ce sera un rappel, et il pourrait donc y avoir là un effet pédagogique.
Le sénateur Stratton : Je ne suis pas en désaccord. Au fond, j'essaie de comprendre comment nous pouvons atteindre les gens qui préparent ces attentats ou y songent. Comme les rejoindre?
M. Trudell : Vous leur rappelez qu'ils sont des terroristes et non des martyrs.
Le sénateur Stratton : Je comprends, mais comment leur communiquer le message? Si on se contente d'adopter le projet de loi, ils diront : et alors?
M. Trudell : Personne ne sait comment. Imaginons une salle où il y a 100 personnes et qu'il s'y en trouve une qui a ce genre de projet en tête. Il faut de l'imagination, mais supposons, aux fins de la discussion, qu'un groupe de jeunes gens sont recrutés, peu importe la raison, pour devenir des kamikazes. Les recruteurs ne vont pas employer le terme « terroriste ». Ils diront qu'il s'agit de servir une cause supérieure. Mettons qu'une personne sur 100, dans la salle, se demande : est-ce que ce n'est pas un crime terroriste?
Le sénateur Joyal : Un représentant du ministère de la Justice du Canada a dit à propos du projet de loi qu'il pourrait rendre plus difficile l'exercice de la responsabilité du procureur du ministère public en compliquant le choix du paragraphe de l'article 83 du Code criminel en vertu duquel il portera une accusation contre la ou les personnes qui auraient été mêlées à un attentat suicide.
Je crois que vous êtes au courant de l'exposé de M. McDonell. Il a dit ceci :
Bien qu'il soit possible que les dispositions antiterroristes actuelles du Code criminel s'appliquent à la planification d'attentats suicides ou à la tentative d'en commettre, j'invite le comité à se pencher sur les sanctions prévues afin de déterminer si elles sont suffisantes. Actuellement, la peine maximale pour avoir facilité un acte terroriste est de 14 ans et celle pour avoir fait partie d'un groupe terroriste ne dépasse pas 10 ans. À mon avis, toute personne qui participe à un attentat suicide ou qui le facilite devrait purger la même peine que si elle avait commis un meurtre ou une tentative de meurtre, qui est punie par la prison à vie.
Ainsi, le comité désirera peut-être voir si le paragraphe 2 de l'article 83 de la loi, infraction au profit d'un groupe terroriste, comporte suffisamment de dispositions afin que les participants et les facilitateurs soient passibles d'emprisonnement à vie.
M. Trudell : Voyons le premier point d'abord. Lorsque j'ai lu la transcription de l'exposé de cet éloquent témoin, je me suis demandé s'il ne s'agissait pas d'un enjeu secondaire. Les dispositions sur les peines ne sont-elles pas une question accessoire qu'un autre comité devrait étudier à un autre moment pour voir si elles sont assez sévères? J'espère que le Conseil canadien des avocats de la défense pourrait alors comparaître et faire valoir qu'elles sont très bien et qu'il ne faut pas y toucher. Il m'a semblé que ces échanges soulevaient des questions très importantes. Nous nous avançons dans un domaine qui n'est pas touché par le projet de loi. Celui-ci constitue une déclaration et ne crée pas une nouvelle infraction. Ma réponse laisse peut-être à désirer, mais, bien que vous ayez amené le témoin à parler de ces questions, je crois qu'il s'agit d'un sujet différent. On a parlé des dispositions sur les poursuites et les sanctions alors que, selon moi, le projet de loi se limite à préciser le libellé. Lorsque j'ai vu des exemplaires du Code criminel circuler aujourd'hui, j'espérais qu'on ne me poserait pas de questions sur ses divers articles.
Le sénateur Joyal : Nous pouvons vous en procurer un exemplaire.
M. Trudell : Épargnez-moi, s'il vous plaît. On me fait cela sans cesse à mon bureau.
Le projet de loi ne porte pas sur les dispositions sur les sanctions. Elles concernent une question tout à fait différente. Les gens du ministère de la Justice pourraient peut-être vous éclairer à ce sujet, mais j'en suis incapable.
Soit dit avec le plus grand respect, chaque fois que je retourne à Toronto, je dis aux gens que, s'ils comparaissent devant le Sénat, ils se feront poser des questions et qu'il vaut mieux qu'ils aient lu la loi.
Il m'a semblé que les échanges dérivaient vers des domaines qui ne sont pas touchés par le projet de loi, par exemple la question de savoir s'il sera plus facile de faire enquête. Nous ne sommes pas là pour discuter de ces questions. Le Code criminel regorge de moyens de porter des accusations dans ce domaine. Je ne crois pas que nous devions nous enliser dans des discussions sur ces questions.
Pour ce qui est du premier point, soit la difficulté pour le ministère de la Justice du Canada ou le procureur de choisir les chefs d'inculpation, je dirai que oui, ce sera peut-être plus difficile. Mais c'est leur travail. L'un des axes principaux de la justice pénale dans l'ensemble du Canada est la recherche, au départ, du bon chef d'inculpation, au lieu d'en choisir un sans faire un choix au départ et sans songer aux conséquences. Si les responsables disent qu'ils ne le peuvent pas parce que cela embrouillera les choses, c'est un sujet de préoccupation. Toutefois, cela n'a rien à voir avec le projet de loi. Ils auront un problème, de toute façon, s'ils ont déjà un problème de choix des chefs d'inculpation, car ce problème ne va pas disparaître par l'ajout d'une précision sur les attentats suicides. Le problème sera là de toute manière. J'ai accepté de témoigner sans difficulté, parce qu'il s'agit d'un énoncé essentiel de ce en quoi nous croyons, plutôt que de l'examen de cet article pour en vérifier les conséquences pour d'autres articles. Il n'a aucune conséquence, puisque c'est un simple éclaircissement.
Je crois que les représentants éloquents du ministère de la Justice ont dit qu'on s'engageait sur une pente glissante, en ce qui concerne l'expression « sans limiter la généralité de ce qui précède ». Ces mots se retrouvent dans le Code criminel et, bien sûr, d'autres témoins ont signalé que ces expressions, « il demeure entendu que... » et « sans limiter la généralité », se retrouvent dans bien d'autres articles du code. J'ignore si cela répond d'une façon ou d'une autre à votre question.
Le sénateur Joyal : C'est une bonne observation.
Le sénateur Grafstein : Monsieur Trudell, votre témoignage est percutant et convaincant, et vous appuyez ce qui me semble un projet de loi dénué de tout esprit de parti. Vous avez exposé la situation, du point de vue des criminalistes, d'une façon encore plus convaincante que d'autres témoins.
Comme je suis avocat, je vais vous poser une question juridique plutôt qu'une question sur l'aspect pédagogique ou dissuasif. Cette disposition aurait-elle une portée plus vaste que celle des dispositions existantes du Code criminel? Cela risque d'aller à l'encontre de mon argumentation et de la vôtre, mais je tiens à vérifier. Il s'agit d'Internet.
On nous a dit qu'il y a une foule de sites Web, sur des serveurs qui se trouvent au Canada ou à l'étranger, où on explique comment fabriquer une veste pour les attentats suicides, en précisant les produits à employer pour maximiser les dommages ou semer la destruction. Nous nous demandons si les dispositions du code traitent de cette question de façon largement satisfaisante. Il y a dans le système de justice une profonde exaspération parce que nous ne pouvons pas atteindre ceux qui donnent ces explications ou les moyens employés pour faire la promotion des attentats suicides. La disposition proposée aidera-t-elle le système de justice pénale à s'attaquer à ces sites Internet ou lui nuira-t-elle?
M. Trudell : Je ne vois pas comment elle pourrait nuire.
Le sénateur Grafstein : Pourrait-elle être utile?
Le sénateur Stratton : C'est un peu comme la soupe au poulet.
Le sénateur Grafstein : Non, la soupe au poulet aide toujours. C'est connu dans le monde entier.
M. Trudell : Le fait que vous ayez ce débat et ces discussions est utile. Je vais vous raconter quelque chose. Il y a un an, j'ai défendu un jeune garçon accusé du meurtre d'un policier dans une ville de l'est de l'Ontario. J'ai appris avec horreur, et tout le monde a été horrifié, qu'il avait consulté The Anarchist Cookbook, où il a pu apprendre comment fabriquer des engins explosifs, comment scier des canons de fusil, et comment faire bien d'autres choses. Je n'arrivais pas à croire que cette information soit à la portée de tout le monde.
Si nous pouvons établir un lien entre des personnes et des sites qui ont des instructions sur la fabrication d'une bombe, si nous pouvons établir des rapports, au lieu d'en faire une question de liberté d'expression, par exemple, c'est ce qu'il faut faire. Il faut établir le lien pour pouvoir dire que la personne en cause a encouragé ou aidé quelqu'un à fabriquer une bombe. Il faut savoir qu'il existe un lien, car on ne peut pas inculper tout le monde.
Je suis un avocat de la défense, mais je crois qu'il est absolument odieux qu'une information semblable soit accessible en ligne. Je ne vois pas comment on peut s'attaquer au problème sans établir des liens. La police passe beaucoup de temps sur Internet pour établir les liens en ce qui concerne la pédopornographie, et cetera.
Le débat que vous avez, au cours duquel vous posez des questions et parlez de la condamnation des attentats suicides, est un débat sain, et il pourrait avoir un effet. Peut-être certains sénateurs ne savaient-ils pas qu'on pouvait trouver sur Internet les moyens de fabriquer une bombe. Peut-être que, lorsque la police comparaîtra pour parler d'un autre projet de loi, vous pourrez dire que le gouvernement va considérer comment établir les liens, les rapports, en ce qui concerne Internet.
Le sénateur Grafstein : Monsieur Trudell, est-il juste de dire que le projet de loi pourrait être utile?
M. Trudell : Seulement du point de vue de la sensibilisation, de la conscientisation de tous.
Le sénateur Grafstein : Serait-il plus facile d'établir les liens en donnant cette précision sur les attentats suicides? Je n'arrive pas à voir comment cela pourrait ne pas être utile — c'est encore l'avocat qui parle —, car, en fin de compte, il y a une sorte d'information. Ces sites montrent à la personne à faire quelque chose qui n'a aucune autre fin que l'attentat suicide.
M. Trudell : Il n'y a pas tellement d'internautes qui liront l'article 431 du Code criminel et déduiront que c'est un acte criminel que de déclencher un engin explosif. Toutefois, c'est un message assez simple que de dire que l'attentat suicide est un crime de terrorisme.
Le sénateur Grafstein : Il s'agit au fond de la question du sénateur Baker. Il m'a semblé que c'était une bonne question. Lorsque j'ai discuté avec les représentants du ministère de la Justice, j'ai proposé un scénario dans lequel une personne revêtirait une veste garnie d'explosifs et, au lieu de se diriger vers un marché bondé, déciderait de se tenir dans un espace ouvert et de se faire exploser devant une mosquée, une synagogue ou une église à un moment opportun, lorsqu'une foule est réunie dans ces lieux de culte. Le seul objectif est de semer la peur, et la personne meurt.
Est-ce que ce serait un acte criminel? La disposition à l'étude serait-elle utile ou nuirait-elle? Selon le ministère de la Justice, la personne qui se ferait exploser dans un champ désert ne commettrait aucun crime. Voilà pourquoi j'ai proposé ce scénario.
M. Trudell : Ce n'est pas une infraction.
Toutefois, oublions le terrorisme et tout le reste. Si je disais à un jeune, par exemple, que nous devons affirmer une position et si je lui expliquais ce que je veux qu'il fasse, alors il serait possible d'établir un lien entre ce geste et moi. Le jeune s'est tué, mais quelqu'un d'autre était en cause. Comme enquêteur, je vais établir les liens et, si je parviens à le faire, je pourrai porter des accusations au pénal pour aide ou incitation au suicide ou promotion du suicide.
Le sénateur Grafstein : Toutes les dispositions se trouvent dans le Code criminel.
M. Trudell : Vous devez cependant établir les liens.
Le sénateur Grafstein : La disposition à l'étude serait-elle utile ou inutile dans les circonstances?
M. Trudell : Il est possible qu'elle n'ait rien à voir dans le cas présenté. La personne en cause souffre peut-être d'instabilité mentale, par exemple. Mais disons qu'il existe un lien avec une activité terroriste. Si le fait s'était produit il y a dix ans, si un jeune s'était fait exploser au coin d'une rue, en face d'une synagogue, nous aurions dit qu'il s'agissait d'un suicide. Aujourd'hui, nous franchirions un pas de plus, parce que nous avons été sensibilisés. Si l'incident se produit près du quartier général de la GRC, notre réflexion fera un pas de plus, étant donné les attentats du 11 septembre et le monde dans lequel nous vivons.
Les gens se poseront une question qu'ils ne seraient pas posée autrefois. Si la personne s'est suicidée seule dans un champ, en face de mon bureau, d'une synagogue ou de la cathédrale St. Patrick, nous nous poserons une question de plus. Il y a eu une prise de conscience, nous sommes sensibilisés au fait que c'est inacceptable. Une vie a été emportée.
Sous cet angle, on peut dire que la disposition à l'étude est utile.
Le sénateur Joyal : Monsieur Trudell, à votre avis, le projet de loi a-t-il une incidence sur l'article 241 du Code criminel, intitulé « Fait de conseiller le suicide ou d'y aider »? Je peux le lire pour vous rafraîchir la mémoire.
L'article 241 se trouve à la rubrique « Suicide » et sous le sous-titre « Fait de conseiller le suicide ou d'y aider », et en voici le texte :
Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas :
a) conseille à une personne de se donner la mort;
b) aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort,
que le suicide s'ensuive ou non.
Je ferai remarquer que l'infraction a quelque chose d'étrange, car le suicide lui-même et la tentative de suicide ne sont pas des crimes.
À votre avis, le projet de loi à l'étude a-t-il un effet sur le fond de cette disposition du Code criminel?
M. Trudell : Le suicide lui-même n'est pas un délit. Toutefois, aux termes de cette disposition, la promotion du suicide est une atteinte au caractère sacré de la vie. C'est ce dont il s'agit, au fond. La personne qui est morte ne sera pas poursuivie, mais l'article dit que, s'il y a autre chose derrière son geste, il peut y avoir lieu d'intenter des poursuites.
Est-ce qu'il y aura une différence, si le projet de loi S-210 est adopté? Non, je ne crois pas qu'il aura d'effet négatif, mais il pourrait amener quelqu'un à chercher à établir des liens et à faire enquête. Je réponds à votre question?
Le sénateur Joyal : En un sens, oui. J'essaie de comprendre la distinction entre le suicide d'une personne et un attentat suicide.
Le sénateur Andreychuk : Si on s'asperge d'essence et s'immole par le feu, ce que bien des gens ont fait pour affirmer une position religieuse ou politique, il ne s'agit pas d'un attentat suicide.
M. Trudell : Dans l'attentat suicide, il est presque certain que l'auteur de l'attentat va mourir, mais l'acte n'est pas commis au milieu d'un champ. Il est commis à un endroit où il entraînera la mort d'autres personnes. C'est le but qui est différent, et c'est pourquoi l'attentat suicide est considéré à part.
Le sénateur Joyal : L'intention est de porter préjudice à quelqu'un d'autre. C'est essentiellement ce qu'il s'agit de sanctionner ici, si je comprends bien.
M. Trudell : C'est juste.
Le sénateur Joyal : C'est le fond même du projet de loi.
M. Trudell : Exact. Par le projet de loi S-210, on ne veut pas seulement lancer le message à ceux qui facilitent les attentats suicides, puisqu'ils n'écoutent pas, de toute façon. Il peut aussi avoir un effet sur le kamikaze. Nous n'éprouvons pas beaucoup de sympathie pour la personne, mais il s'agit d'une vie; c'est une vie gaspillée pour une raison illégale, à notre avis. La personne qui est en train d'installer la bombe sur elle, y repensera peut-être.
Le sénateur Joyal : Je vais citer l'article 14 du Code criminel, intitulé « Consentement à la mort » :
Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.
M. Trudell : Je pense à Sue Rodriguez.
Le sénateur Joyal : Dans les circonstances propres au projet de loi, celles de l'attentat suicide, et dans l'exemple proposé par le sénateur Stratton — au sujet de la personne qui attache sa ceinture d'explosifs dont le détonateur sera actionné par quelqu'un d'autre parce que le kamikaze l'a accepté —, cet article sera-t-il touché par la portée du projet de loi?
M. Trudell : Si personne n'avait jamais pensé à présenter le projet de loi, les divers articles du Code criminel existeraient toujours. Ils peuvent toujours être invoqués, et ils peuvent servir à poursuivre des personnes qui commettent des infractions, qu'il s'agisse de terrorisme ou de promotion de l'euthanasie. Le projet de loi ne changera donc rien à cet élément, il n'aura pas d'effet sur lui et il ne comblera aucune lacune. Il ne servira pas. Il est là comme le meilleur moyen de lancer le message afin qu'on utilise d'une manière nouvelle ces types d'activité du Code criminel.
J'essaie de me projeter dans l'avenir et de voir si le projet de loi proposé aura quelque effet négatif sur d'autres articles du Code criminel, des interprétations ou des poursuites fondées sur le Code criminel.
Le Conseil canadien des avocats de la défense ne le croit pas. Comme je l'ai déjà dit, il ne croit pas que le projet de loi puisse servir à cela.
Le sénateur Joyal : Je suis désolé d'avoir insisté, mais il est important que nous comprenions.
M. Trudell : Si vous n'êtes pas satisfait de mes réponses, je sais qu'il y a de l'autre côté de la rue des gens vraiment brillants qui peuvent répondre à ces questions.
La présidente : Monsieur Trudell, merci beaucoup d'une rencontre extrêmement intéressante, comme toujours. Nous vous sommes reconnaissants.
M. Trudell : C'est vraiment un honneur. Nous aimons bien comparaître devant le comité.
La séance est levée.