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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 17 - Onzième rapport du comité


Le jeudi 8 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de déposer son

ONZIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé par le Sénat, le jeudi 28 février 2008, à réaliser un examen complet des modifications apportées par la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24), dépose maintenant son rapport final.

Le 27 juin 2003, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, dans lequel elle a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la Loi électorale du Canada obligeant les partis politiques à présenter des candidats dans au moins 50 circonscriptions électorales pour avoir droit à certains avantages. La Cour a établi que l'obligation de présenter des candidats dans au moins 50 circonscriptions afin d'obtenir et conserver le statut de parti politique enregistré et de pouvoir ainsi profiter du droit de délivrer des reçus fiscaux pour les dons recueillis en dehors des périodes électorales, le droit de remettre à leur parti les fonds non dépensés pendant la campagne électorale et celui d'inscrire leur appartenance politique sur les bulletins de vote était contraire à l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel stipule que « Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales ». La Cour a établi que cette disposition, en plus de protéger le droit de voter et d'être éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales, englobe également le droit de tout citoyen de jouer un rôle important dans le processus électoral. C'est violer ce droit que d'empêcher les partis qui ne satisfont pas à la condition des 50 candidats de profiter des avantages susmentionnés. D'autres avantages conférés aux partis politiques enregistrés comme le droit à du temps d'antenne gratuit, le droit d'acheter du temps d'antenne réservé et le droit au remboursement partiel des dépenses électorales lorsqu'il recueille un pourcentage donné des suffrages n'ont pas été visés par l'affaire Figueroa. La Cour a suspendu l'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité pendant 12 mois afin de permettre au gouvernement de se conformer à ses motifs.

Le 2 octobre 2003, le projet de loi C-51, Loi modifiant la Loi électorale et la Loi de l'impôt sur le revenu, a été déposé à la Chambre des communes en réponse au jugement Figueroa. Le projet de loi C-51 est mort au Feuilleton lorsque la deuxième session de la trente-septième législature a été prorogée, mais il a été réintroduit sous la forme du projet de loi C-3 à la troisième session de la trente-septième législature.

Le projet de loi C-3, qui a reçu la sanction royale sous l'appellation de Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24) (la Loi), apporta de nombreuses modifications à la Loi électorale du Canada et à la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à corriger les exigences relatives à l'enregistrement des partis politiques. Cette loi a remplacé l'obligation d'avoir 50 candidats inscrits par une série de nouvelles exigences relatives à l'enregistrement, dont les suivantes :

  • qu'un parti soutienne et appuie au moins un candidat;

  • qu'il fournisse une déclaration signée d'appui d'au moins 250 membres et

  • qu'un parti soutienne et appuie au moins qu'il compte au moins trois dirigeants, en plus de son chef.

De plus, la Loi ajoute à la Loi électorale du Canada une définition de « parti politique » et exige que le chef déclare que l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres. Il doit être satisfait à ces nouvelles exigences dès l'enregistrement et de manière continue par après. À ce propos, à tous les trois ans, un parti politique enregistré doit fournir au directeur général des élections les noms de 250 membres et chaque année le chef du parti doit confirmer au directeur général des élections que l'un des objectifs essentiels du parti consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres. La Loi prévoit également des mesures pour empêcher des entités de s'enregistrer dans le seul but d'obtenir des avantages financiers ou autres et de rediriger des contributions défiscalisées à des entités externes. Elle a créé de nouvelles infractions et ajouté un mécanisme de radiation judiciaire d'un parti politique.

Des préoccupations ont été soulevées par des parlementaires, le directeur général des élections et d'autres témoins au cours de l'étude de la Loi par le Sénat et la Chambre des communes, particulièrement à l'étape des comités, lorsque le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de la Chambre des communes et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en étaient saisis. M. Jean-Pierre Kingsley, qui était alors directeur général des élections, s'est dit mal à l'aise de s'immiscer dans les affaires d'un parti politique pour établir que l'un de ses objectifs essentiels consistent bien à participer aux affaires publiques.

M. Miguel Figueroa, chef du Parti communiste du Canada et instigateur du litige qui a conduit à la décision dans l'affaire éponyme, s'est inscrit en faux contre l'obligation de fournir une liste de 250 membres et estimait que l'exigence antérieure de 100 membres était suffisante. Il a également exprimé des préoccupations au sujet des dispositions sur les sanctions qui pouvaient aller jusqu'à la radiation d'un parti politique et à la liquidation de ses actifs. Enfin, M. Figueroa a manifesté son inconfort face aux facteurs pouvant être pris en compte pour déterminer les objectifs essentiels d'un parti politique et notamment des documents comme le programme politique du parti. Des parlementaires et d'autres témoins ont également exprimé des préoccupations au sujet du nouveau seuil d'un candidat qui, craignaient-ils, risquait d'engendrer une prolifération de partis politiques enregistrés et de compromettre les avantages offerts aux partis politiques enregistrés, notamment le temps d'antenne gratuit.

En conséquence de ces préoccupations et afin de montrer que la Loi était alors considérée comme une solution temporaire, vu le délai court dont disposait le Parlement pour répondre à l'arrêt Figueroa, il a été ajouté à la Loi une disposition de temporarisation de deux ans. Cette disposition a été remplacée au début de la première session de la trente-neuvième législature par l'exigence d'un examen obligatoire par les comités du Sénat et de la Chambre des communes qui sont normalement chargés d'examiner les questions électorales (voir Loi modifiant la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu, L.C. 2006, ch. 1). En vertu de cette disposition, votre comité a été autorisé le jeudi 28 février 2008 à entreprendre un examen complet des modifications apportées par Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 2004, ch. 24) et à présenter son rapport final au plus tard le 11 mai 2008.

Les premiers témoins qui se sont présentés devant le Comité ont été M. Marc Mayrand, directeur général des élections, et des représentants d'Élections Canada. Le directeur général des élections a déclaré que l'administration des modifications de la Loi n'avait pas causé à son bureau de difficultés particulières. En résumé, la Loi fonctionne bien. Le directeur général des élections a également dit qu'il n'avait pas été noté de hausse significative du nombre de partis politiques depuis l'adoption de la Loi. Avant la Loi, on comptait neuf partis politiques enregistrés et trois partis politiques admissibles. Actuellement, on compte 16 partis politiques enregistrés et trois partis politiques admissibles. Depuis l'adoption de la Loi, 12 demandes d'enregistrement ont été refusées par le directeur général des élections principalement pour défaut de présenter les renseignements essentiels ou pour non-respect des exigences d'enregistrement.

Selon M. Mayrand, l'obligation de fournir les noms de 250 membres s'est avérée une méthode qui semble efficace pour s'assurer de l'authenticité du parti. Il a insisté sur l'importance de l'obligation de fournir cette liste de 250 noms tous les trois ans, qui permet au directeur général des élections de ne pas porter seul le fardeau de déterminer quand on devrait demander à un parti de fournir de telles listes. Cette exigence et d'autres conditions relatives à l'enregistrement et des obligations contenues dans la Loi électorale du Canada, notamment au sujet de la présentation de rapports, de l'explication des dépenses et des contributions recueillies, obligent les partis politiques à montrer qu'ils disposent d'une structure organisationnelle.

Au sujet de la définition de « parti politique », le directeur général des élections s'appuie sur la déclaration du chef du parti au sujet des objectifs essentiels de l'organisation et sur le fait que l'organisation soutient et appuie effectivement au moins un candidat. La déclaration du chef du parti confirmant que l'un des objectifs essentiels du parti consiste à participer aux affaires publiques est acceptée telle quelle par le directeur général des élections, à moins qu'il ait des motifs de douter de sa véracité.

Tous les partis politiques représentés à la Chambre des communes ont été invités à présenter leurs opinions et leurs commentaires au sujet de la Loi. Le Parti conservateur du Canada et le Bloc québécois ont envoyé des lettres à votre comité et des représentants du Parti libéral du Canada et du Nouveau parti démocratique se sont présentés devant le Comité.

M. Greg Fergus, directeur national du Parti libéral du Canada, M. Jack Siegel, coprésident de la Commission permanente de la Constitution et des questions juridiques du Parti libéral, et M. Éric Hébert-Daly, directeur national du Nouveau parti démocratique, ont témoigné devant le Comité.

M. Hébert-Daly a dit que les craintes qu'il avait lors de l'adoption de la Loi au sujet de la prolifération des partis politiques enregistrés et de la possibilité d'abus financiers ne se sont pas matérialisées. Il s'est toutefois dit préoccupé par le seuil requis pour avoir accès au financement public : 2 p. 100 des votes à l'échelle nationale ou 5 p. 100 dans les circonscriptions où un parti présente un candidat. Il a dit qu'un vote exprimé pour un petit parti ne doit pas valoir moins qu'un vote pour les autres partis. Au sujet de l'obligation d'avoir un candidat, M. Hébert-Daly estime qu'un candidat est et devrait être suffisant.

M. Fergus s'est dit préoccupé par le fait que la Loi électorale du Canada ne contient aucune disposition relative à la source des actifs et du passif à la date de l'enregistrement. Au sujet des exigences relatives à l'enregistrement, M. Fergus croit que la fréquence de trois ans pour présenter les noms de 250 membres devrait être assouplie surtout si l'échéance tombe pendant une campagne électorale générale. Les représentants du Parti libéral estiment aussi que le seuil minimal d'un candidat fait complètement disparaître la distinction entre un candidat indépendant et un parti et qu'un seuil de deux candidats serait donc peut-être plus raisonnable. Autrement dit, la règle devrait être qu'un candidat est un indépendant et que deux candidats forment un parti politique. Au sujet de la définition de parti politique, M. Siegel estime qu'il conviendrait peut-être de remplacer l'obligation que l'un des objectifs essentiels soit de participer aux affaires publiques par l'obligation d'avoir pour objectif dominant de participer aux affaires publiques. Il lui semble aussi que c'est au commissaire aux élections fédérales plutôt qu'au directeur général des élections qu'il devrait incomber d'examiner les activités des partis afin de déterminer leur nature et leur objectif réels.

Dans sa lettre au Comité, le Parti conservateur du Canada a proposé que, pour des raisons pratiques, les partis politiques comptant suffisamment de membres à la Chambre des communes pour avoir le statut de parti reconnu soient exemptés de l'obligation de présenter une déclaration du chef du parti chaque année et le nom de 250 de ses membres tous les trois ans.

Dans sa lettre au Comité, le Bloc québécois a indiqué que les dispositions de la Loi ne lui avaient pas causé de problèmes particuliers. Il a également réitéré la recommandation du Parti conservateur, à savoir que les partis politiques représentés au Parlement ne devraient pas être tenus de fournir le nom de 250 de leurs membres aux trois ans.

Plusieurs représentants d'autres partis politiques enregistrés et admissibles qui ne sont pas représentés au Parlement ont également témoigné devant le Comité : Mme Liz White, chef de l'Animal Alliance Environment Voters Party of Canada, l'honorable Sinclair M. Stevens, chef du Parti progressiste canadien, Mme Laurel McCallum, représentante du chef du Pouvoir politique du peuple du Canada, M. Peter Graham, critique en matière de finances du Parti vert du Canada, M. Miguel Figueroa, chef du Parti communiste du Canada, M. Ron Gray, chef du Parti de l'héritage chrétien du Canada et Mme Anna Di Carlo, secrétaire du Parti marxiste-léniniste du Canada. Le Comité a reçu aussi une lettre de M. Will Arlow, représentant du Parti action canadienne.

Aucun des représentants des partis politiques non représentés au Parlement ne s'est prononcé en faveur de l'abrogation de la Loi devant le Comité et il ressort des témoignages qu'un consensus général se dégage quant au maintien de la plupart des dispositions de la Loi. Ils ont cependant formulé des plaintes et des recommandations.

Il y a eu des plaintes quant au mécanisme d'allocation du temps d'antenne gratuit et du temps d'antenne réservé et l'on a proposé au Comité la mise en place d'un mécanisme qui assurerait une couverture médiatique plus équitable des partis politiques enregistrés. Tous ces partis politiques, à l'exception du Parti marxiste-léniniste du Canada qui a proposé l'abolition des subventions publiques aux partis politiques, étaient en faveur de l'abolition des seuils requis pour avoir accès au financement public. Certains témoins ont également proposé que la Loi électorale du Canada soit modifiée de manière à rétablir davantage de financement privé des partis politiques.

En ce qui concerne les exigences d'enregistrement, la plupart des partis s'entendent pour juger le seuil d'un seul candidat suffisant et adéquat. Certains partis ont indiqué n'avoir rien contre un seuil de deux candidats. Aucune objection officielle n'a été formulée contre le seuil des 250 membres, mais l'on a déclaré au Comité que cette exigence constitue un fardeau administratif de plus et donc un autre facteur de dissuasion pour les petits partis. Toutefois, tous les partis étaient d'avis que cette obligation était réalisable et, pour certains, elle donne l'occasion de contacter les membres.

M. Figueroa a réitéré les préoccupations qu'il avait soulevées en 2004 lorsque la Loi était examinée en comité, notamment en ce qui concerne les pénalités, à savoir la radiation et la liquidation éventuelles des biens du parti en cas de non-observation de la Loi. Il a recommandé de modifier la Loi de telle sorte qu'il soit nécessaire de démontrer l'intention frauduleuse si une peine aussi sévère devait être appliquée. Il s'est également dit préoccupé par le paragraphe 521.1(5) de la Loi électorale du Canada, tel que modifié par la Loi, qui énumère les éléments qui doivent être pris en compte par le tribunal pour établir les objectifs essentiels d'un parti politique. Il s'est dit particulièrement préoccupé par l'alinéa c) suivant lequel le tribunal doit tenir compte de toute déclaration publique d'un parti politique au soutien d'un autre parti politique ou candidat d'un autre parti politique. Le chef du Parti communiste a indiqué que cet élément était particulièrement préoccupant étant donné que son parti ne présente pas de candidat dans toutes les circonscriptions électorales et que ses partisans lui demandent une consigne quant à quel autre parti ils devraient accorder leur vote.

M. Nelson Wiseman, professeur agrégé au département de science politique de l'Université de Toronto, a également témoigné devant le Comité. M. Wiseman s'est présenté devant le Comité lorsque la Loi lui a été soumise en 2004. Il s'était alors dit gravement préoccupé par la prolifération de partis politiques enregistrés à laquelle les nouvelles exigences en matière d'enregistrement pourraient donner lieu. M. Wiseman a indiqué que l'avalanche prévue ne s'était pas produite. M. Wiseman est néanmoins demeuré quelque peu mal à l'aise face à l'examen des documents politiques par le directeur général des élections et le commissaire aux élections fédérales en vue de déterminer si une organisation participe aux affaires publiques. Selon lui, les autorités électorales n'ont pas à se mêler de définir ce qui constitue les affaires publiques. M. Wiseman s'est dit en désaccord avec la revendication d'un temps d'antenne égal pour tous formulée par certains petits partis.

Sur la foi des témoignages qu'il a reçus, le Comité conclut que la Loi n'a pas causé de problèmes particuliers au processus électoral. Il ne recommande donc pas pour le moment de modifications.

Cependant, le Comité note les préoccupations dont on lui a fait part quant à la valeur du vote donné par un citoyen à un parti politique qui ne satisfait pas au seuil prévu au paragraphe 435.01(1) pour être admissible aux subventions publiques. Le Comité a appris que ce seuil avait été contesté devant les tribunaux. Le tribunal de première instance l'a déclaré inconstitutionnel, mais cette décision a été renversée par la Cour d'appel de l'Ontario (voir Longley c. Canada (Procureur général), 2007 ONCA 852). L'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada a été rejetée. Le Comité sait par ailleurs que la Cour supérieure de justice de l'Ontario a récemment déclaré inopérantes les dispositions de la Loi électorale de l'Ontario qui prévoient qu'un candidat doit recevoir au moins 10 p. 100 des suffrages exprimés pour être remboursé de son dépôt de 200 $. La Cour a invoqué les motifs du jugement Figueroa à l'appui de sa décision. Voir Jong c. Ontario (Procureur général), 2007 CanLII 4438 (C.S.J. Ont.).

Il n'y a eu que deux élections générales depuis l'entrée en vigueur de la Loi. Au fil du temps il s'avérera peut-être utile d'y apporter des modifications. À cet égard, le Comité trouverait bon que le directeur général des élections insère, dans son rapport consécutif à la prochaine élection générale, des observations sur le fonctionnement des dispositions de la Loi faisant l'objet de cet examen. Sur la foi de ces observations et des résultats des contestations judiciaires qui auront alors été tranchées, le Comité et le comité de la Chambre des communes qui examine normalement les questions électorales pourront être appelés à examiner plus à fond les modifications apportées par la Loi.

Respectueusement soumis,

La présidente,

JOAN FRASER


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