Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 18 - Témoignages du 14 mai 2008
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), se réunit aujourd'hui à 16 h 8 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous tenons cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour commencer notre étude du projet de loi S-209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), déposé par l'honorable sénateur Hervieux-Payette, qui parraine ce projet de loi d'intérêt public.
À part le changement de numéro ainsi que quelques changements mineurs, ce projet de loi est identique au projet de loi S-21 que notre comité a étudié en 2005. Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne l'a étudié l'année dernière sous l'appellation S-207. Le rapport a été déposé sans amendement au Sénat. Nous sommes maintenant saisis du projet de loi S-209 dans la session actuelle du Parlement.
[Français]
Nous avons le grand plaisir d'accueillir pour premier témoin, le sénateur Hervieux Payette, parrain du projet de loi. Je vous souhaite la bienvenue chez nous. Je pense que vous avez l'habitude maintenant. Vous commencez par une déclaration et ensuite on passe à la période des questions.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Avez-vous une objection à ce que l'on attende la vice-présidente? Elle s'est absentée pendant quelques minutes.
La présidente: J'allais éteindre mon microphone en attendant, mais le sénateur Hervieux-Payette m'a dit qu'on pouvait continuer. Je suis ses instructions. J'aurais certainement été prête à l'attendre. La voilà.
[Français]
L'honorable Céline Hervieux-Payette, C. P., parrain du projet de loi: Merci, madame la présidente. Je tiens à vous remercier de me donner la possibilité pour la troisième fois d'être entendu sur un sujet qui me tient à cœur. Si on regarde ma feuille de route concernant la protection des droits des enfants, cela remonte au temps où j'étais à Québec pour préparer le premier projet de loi sur la protection de la jeunesse dans les années 1970. C'est dire que ce n'est pas une première pour moi de me présenter devant un comité et de travailler à améliorer le sort des enfants dans notre société qui, en fin de compte, vont recevoir notre héritage et poursuivre notre activité plus tard.
Je vais entrer dans le vif du sujet, je vais parler lentement, ma collègue m'a dit que c'était difficile pour les traducteurs de bien entendre si on ne parlait pas lentement, alors je vais m'exprimer le plus lentement possible. Mon texte est le suivant puisque je voudrais le remettre à différent organisme et c'est pourquoi que je l'ai rédigé. Il ne peut être accepté qu'une société, qui interdit toute forme de violence entre adultes, tolère que les adultes infligent des violences aux enfants.
Le concept de «force raisonnable» ou l'idée même de châtiment corporel légitime sont des portes ouvertes à tous les excès parce qu'ils laissent penser que, d'une façon ou d'une autre, la violence peut être autorisée pour régler une situation.
Un châtiment n'est pas de la discipline. La discipline est un moyen nécessaire destiné à fournir les orientations et les indications utiles à l'apprentissage.
Un châtiment n'est pas une intervention physique d'urgence. Il est et sera toujours acceptable d'utiliser la force non pas pour punir mais, par exemple pour protéger un enfant d'un danger imminent. Un châtiment, c'est l'usage de la force physique visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément aussi léger soit-il.
Or, un châtiment n'a pas d'effet disciplinaire ou éducatif. Bien au contraire. Si les rapports de force conduisent ponctuellement l'enfant à obéir, ils ne favorisent ni le développement de la confiance en soi ni l'autonomie.
En outre, l'utilisation d'une force physique, même raisonnable, n'est certainement pas un modèle d'incitation à la gestion non violente des conflits. En revanche, les parents ont la responsabilité juridique et morale d'assurer aux enfants une enfance basée sur le respect de leur intégrité physique — qui est un droit humain inaliénable — et le sentiment durable que la violence ne se justifie jamais.
Et j'ajoute: Quand on frappe un adulte, on appelle cela une agression. Quand on frappe un animal, on appelle cela de la cruauté et quand on frappe un enfant, on appelle cela de l'éducation. Voilà une perception que nous devons changer. Des perceptions, nous en avons eu d'innombrables et nous en avons laissé presque autant derrière nous.
Ainsi, autrefois, la loi des pays occidentaux protégeait les maris qui battaient leur femme. La loi protégeait les maîtres qui frappaient leurs apprentis ou leurs domestiques. Autrefois, on trouvait formateur que les jeunes élèves soient frappés par leurs enseignants en guise de punition. Tout cela, honorables sénateurs, des hommes et des femmes jugèrent ces pratiques normales, appropriées, efficaces, justes, légitimes à ce moment-là et elles ont été bannies.
Une conception a survécu en occident jusque dans les années 1920: celle de la discipline domestique. Nous l'avons également rendue illégale. Il en subsiste toutefois encore un résidu: la violence physique sur les enfants à des fins éducatives.
L'objectif de ce projet de loi consiste à aller jusqu'au bout de cette évolution en supprimant cette dernière perception selon laquelle il serait normal, approprié, efficace, juste ou légitime de frapper un enfant pour l'éduquer. Les adultes considèrent l'interdiction des châtiments corporels comme un droit acquis. Il s'agit donc de l'étendre aux enfants.
Nous devons établir une nouvelle perception adaptée aux découvertes les plus récentes sur le développement de l'enfant. Un parent qui porte la main sur son enfant n'obtiendra rien de positif, par cet acte, sur le plan éducatif. Pire, nous savons maintenant que les enfants se souviennent rarement des raisons pour lesquelles ils ont été frappés. En revanche, seules perdurent l'humiliation, l'anxiété et parfois la colère.
En tant que responsables politiques, nous devons montrer la voie à l'opinion publique parce que nous avons des obligations au regard des droits de l'homme; parce que le Canada a ratifié la Convention des droits de l'enfant le 13 décembre 1991 et que nous devons mettre la législation de notre pays en conformité avec son engagement. Or, les Nations Unies ont fixé une date butoir pour ce faire qui est 2009.
À ceux qui pensent que seuls les parents doivent décider de ce qui est bon pour leurs enfants, je répondrai ceci: Battre n'est pas un droit divin. Les enfants ne sont pas la propriété des parents et les droits de l'homme ne s'arrêtent pas à la porte des parents. Les enfants ne sont pas des mini-êtres humains dotés de mini-droits.
J'ajouterai qu'il existe des lois qui encadrent le rôle des parents: par exemple, l'interdiction, en Nouvelle-Écosse, de fumer dans un véhicule où se trouve un enfant — mesure envers laquelle 82p.100 des Canadiens se disent favorables, preuve que les temps changent, ou encore, l'obligation pour les conducteurs d'asseoir les jeunes enfants dans un siège réglementaire adapté et de les attacher pendant le transport.
Il est donc de la compétence des gouvernements de protéger tous les citoyens, enfants compris. C'est ce qu'a entrepris de faire le Conseil de l'Europe en lançant un programme européen visant l'abolition des châtiments corporels à l'encontre des enfants. Plusieurs pays sont allés de l'avant et ont adopté des lois pour une éducation sans violence. J'en cite quelques-uns: la Suède en 1979, la Finlande en 1983, la Norvège en 1987, l'Autriche en 1989, Chypre en 1994, le Danemark en 1997, la Lettonie en 1998, la Croatie en 1999, la Bulgarie en 2000, l'Allemagne en 2000, l'Islande en 2003, la Roumanie en 2004, l'Ukraine en 2004, la Hongrie en 2005, la Grèce en 2006, les Pays-Bas en 2007, le Portugal en 2007 et l'Espagne en 2007.
En dehors de l'Europe, ont également adopté des lois instituant une éducation positive: Israël en 2000, la Nouvelle- Zélande en 2007, l'Uruguay en 2007, le Venezuela en 2007 et le Chili en 2007.
Comme vous le voyez, honorables sénateurs, il s'agit d'une tendance lourde de transformation des pratiques et des représentations qui s'inscrit dans une compréhension moderne des méthodes éducatives parentales.
Ces parents, nous devons les aider. Car loin de moi l'idée de vouloir punir les parents. Je souhaite au contraire qu'ils soient mieux formés à remplir leur rôle d'éducateurs avisés et non violents.
Être parent c'est, à mon avis, aider à grandir, donner des repères, accorder de la reconnaissance, favoriser l'autonomie. Voilà ce que l'on appelle la parentalité positive.
C'est pourquoi mon projet de loi prévoit une année de sensibilisation avant la disparition de l'article 43.
Toute la société canadienne devra être sensibilisée sur l'éducation sans violence, comment la pratiquer, pourquoi et ses avantages sur le développement de l'enfant. Tous les paliers de gouvernement, les professionnels de la santé, de l'éducation, les commissions scolaires, les parents et les enfants eux-mêmes devront être associés au processus de changement.
Si des parents devaient être un jour sanctionnés, nous pourrions considérer des sanctions éducatives pour les aider à mieux remplir leur rôle, comme des sessions de formation sur la fonction parentale ou axée sur la compréhension du développement de l'enfant.
S'agissant, d'ailleurs, de la crainte de voir se multiplier les procédures contre les parents, il s'agit d'une peur qui ne s'est concrétisée dans aucun des pays mentionnés. En droit, le principe de minimis non curat lex, c'est-à-dire que la loi ne s'occupe pas de menues affaires, protège d'ores et déjà les parents des plaintes frivoles.
Enfin, nous sommes également face à un enjeu de société. Il est, en effet, impossible de forcer un enfant à obéir en le frappant et en même temps espérer qu'il soit capable de réfléchir par lui-même. Or, nos sociétés démocratiques ont besoin d'enfants capables de penser par eux-mêmes, de faire des choix et d'endosser des responsabilités.
Pour parvenir à ce changement, nous devons envoyer un message fort, univoque, clair, qui ne puisse faire l'objet d'aucune interprétation, d'aucune subjectivité: le Canada doit maintenant interdire le recours à la violence dans l'éducation des enfants.
Car s'il demeure nécessaire d'éduquer, de donner des repères et de transmettre des valeurs aux enfants, la violence, petite ou grande, ne se justifie jamais.
C'est pourquoi, honorables sénateur, je vous prie instamment d'abolir l'article 43 du Code criminel.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Merci, sénateur Hervieux-Payette. J'ai pu vous poser des questions dans le passé. Je tiens simplement à préciser que je veux que l'on indique dans le compte rendu que je ne prône pas les châtiments corporels.
J'aimerais vous poser des questions sur l'article 43 du Code criminel. Les pays ayant aboli les châtiments corporels offrent-ils la possibilité aux parents d'intervenir au moyen de contraintes raisonnables ou de corriger un comportement? Une telle capacité est-elle prévue par la loi?
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: La dernière fois que j'ai comparu, j'avais parlé de deux formes de défenses, dont celle dont je viens de parler, qui dit que la loi dans les incidents mineurs ne prévoit pas intervenir, que les procureurs ou leurs assistants n'interviennent pas à tous points de vue. Je vous répète aussi la procédure à adopter: la plupart des pays ont adopté une procédure mixte où les services sociaux et les services juridiques, tous les deux, sont saisis de la question et cette modalité a été appliquée au Québec en particulier. Donc, lorsqu'il y a un incident de violence faite aux enfants, immédiatement, la protection de la jeunesse intervient pour examiner la situation avant que le procureur puisse intervenir et que le mécanisme judiciaire soit mis en place.
Je n'ai pas les détails pour chaque pays, mais je pourrais vous les fournir. L'Allemagne a même inclus la violence verbale comme un des éléments qui pourrait faire intervenir l'État pour sanctionner la conduite d'un parent qui démolirait un enfant strictement par des paroles offensantes et blessantes de façon répétitives de façon à détruire l'égo de l'enfant et son développement.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Cela relève-t-il du droit pénal ou des services sociaux? Moi, je vous parle du droit pénal. Ces pays ont-ils gardé des dispositions dans le droit pénal? Même dans nos provinces, les agressions verbales dirigées contre des enfants peuvent justifier le retrait des enfants. Une fois qu'ils ont aboli les châtiments corporels, ces pays ont-ils conservé dans leur droit pénal des mesures permettant aux parents et aux enseignants de contrôler les enfants?
Prenez le cas d'un enfant qui a pris de la drogue à tel point qu'il est impossible à discipliner. Je dirais que rendu à ce point-là cet enfant n'est pas gérable et ne sait plus ce qu'il fait. Et si cet enfant en attaquait un autre? Dans une telle situation, un enseignant peut-il imposer des contraintes physiques à un enfant complètement déchaîné afin de protéger cet enfant, les autres enfants ainsi que lui même? L'enseignant est-il en mesure d'agir? À ma connaissance, ces pays ont conservé dans leur loi certaines dispositions qui font que les adultes qui interviennent ne soient pas automatiquement considérés comme des agresseurs.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Ce sont des systèmes de droit comparables à ceux du Canada. Je vais citer le Parlement britannique et celui de la Nouvelle-Zélande qui avaient des articles de loi qui, sans grande surprise, pouvaient faire l'objet des mêmes réflexions. Dans les deux pays on a décidé d'abolir l'équivalent de l'article 43. Certains parlementaires plaidaient en faveur de d'amener certaines modifications ou d'adopter un langage différent de façon à couvrir d'autres situations.
Les parlementaires britanniques, à la Commission mixte des droits de la personne, ont trouvé qu'il était encore plus facile de donner de la flexibilité à ceux qui appliquent la loi que d'avoir à exercer leur jugement sur l'intention des personnes, plutôt que de permettre d'interpréter encore la loi en laissant les provisions de la loi antérieure qui ressemblait à celle du Canada. La loi en Angleterre a été abrogée de façon à ne plus permettre d'ouvrir la porte à une interprétation.
Le dernier jugement de la Cour suprême, qui rétrécissait l'application de l'article 43, disait qu'il appartenait aux parlementaires de modifier le Code criminel si on voulait soustraire les enfants à toute forme d'agression physique.
Les enseignants nous disent qu'ils sont contre les corrections physiques. Ils concluent par une prémisse avec laquelle je suis d'accord, mais je ne suis pas d'accord avec leur conclusion. Je ne sais pas qui était leur conseiller juridique. Cependant, un concept en droit dit qu'il faut avoir une intention pour commettre un acte criminel.
Il est certain qu'un geste spontané d'une personne — dans le cas des enseignants plus particulièrement — dans le but de protéger un enfant contre un autre enfant ou de protéger un enfant contre sa propre violence ne pourrait pas entraîner de plainte au criminel contre elle puisque cette personne — l'enseignant en l'occurrence ici — agirait dans l'intention de protéger l'enfant et non dans l'intention criminelle de blesser l'enfant.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: L'affaire la plus récente que j'ai pu trouver est celle de la R. c. Swan dont a été saisie la Cour suprême. Cette affaire renvoie à d'autres affaires, il n'est pas tellement question d'une affaire en particulier mais d'une situation bien connue. Dans le cas dont je vous parle, il s'agissait d'une adolescente qui avait un petit ami. On avait pris de la drogue. Elle se trouvait dans un milieu extrêmement dangereux. Le parent a extirpé son enfant de force de ce milieu. Des accusations d'agression ont été déposées et, si ma mémoire est bonne, c'était en vertu de l'article 43. Plutôt que d'utiliser des termes juridiques, je vais utiliser un langage profane et vous dire que la cour a statué qu'il y avait une distinction dans l'interprétation de l'article 43 entre le parent qui afflige des châtiments corporels et le parent qui intervient dans l'intérêt de l'enfant lorsque ce dernier est menacé et que le parent doit utiliser une force raisonnable pour assurer la sécurité de l'enfant. Pensez-vous qu'il existe suffisamment de marge de manœuvre pour permettre à un parent d'agir ainsi?
Le sénateur Hervieux-Payette: Je dois vous dire que j'ai été très déçue par la décision rendue après avoir lu tout le dossier. En fait, le père a poursuivi sa fille et l'a presque traînée à la maison par les cheveux en exerçant beaucoup de violence. Nous, sénateurs, sommes-nous d'avis que c'est là une façon d'éduquer un enfant et d'aider cet enfant à devenir autonome, à se renseigner sur la société? Je pose cette question en sachant qu'il y avait un problème de drogues dans la famille. J'ai discuté de cet incident avec les responsables du ministère des Services à l'enfance et à la famille de l'Ontario, qui n'étaient pas du tout d'accord avec l'intervention physique. Normalement, nous n'intervenons même pas auprès des adultes qui vivent une crise, bien qu'on ait vu des cas où le pistolet à impulsion électrique a été utilisé récemment.
Il y a très peu de justification pour user de violence contre un enfant en détresse. Or, c'était bien le cas dans cette affaire qui ne s'est d'ailleurs pas rendue à la Cour suprême.
Par ailleurs, j'aimerais dire au comité que lors d'une réunion mondaine, j'ai rencontré un juge. Il m'a dit que bien qu'il ait été battu lorsqu'il était enfant, il est devenu un adulte bien équilibré, sans problèmes. Eh bien, tout le monde au Québec trouve qu'il a beaucoup de problèmes.
Je vous le dis parce que ce n'est pas que les châtiments corporels font partie de notre culture. Je crois que je l'ai bien souligné dans mon exposé: ce n'est pas parce que c'était la tradition, la façon d'éduquer les enfants. Nous disposons maintenant de l'étude menée par Statistique Canada sur 2000enfants. Les experts ont étudié les résultats et tous ont conclu que lorsqu'on exerce de la violence contre les enfants, les enfants deviennent violents.
J'ai déjà été présidente d'une commission scolaire. Nous savons qu'il y a de la violence dans les cours d'école et que les enfants sont violents entre eux. La violence dirigée contre les enfants au foyer n'enseigne certes pas aux enfants à ne pas être violents entre eux ou envers leurs enseignants. Vous savez, de nos jours il y a des enseignants qui ont peur de leurs élèves.
Les écoles qui abordent le problème correctement sont celles qui nomment des médiateurs parmi leurs élèves. Les élèves médiateurs rencontrent les deux parties opposantes et leur apprennent à résoudre leurs problèmes pacifiquement. La violence ne fait que renforcer la culture de violence.
Il n'y a pas une seule étude qui montre que la bonne façon d'éduquer les enfants c'est de les forcer à faire quelque chose dans une situation de crise. Un parent ne se lève pas le matin pour frapper son enfant ouvertement et allègrement. Ce sont toujours des circonstances dramatiques qui poussent un parent à exercer de la violence.
Si le parent le fait deux fois par an, je ne crois pas que l'enfant aura des ennuis avec le système juridique. Or, le problème c'est qu'une fois qu'on convient que les châtiments corporels ne constituent pas une infraction, c'est-à-dire qu'ils sont normaux et défendus par la loi, les gens se sentent en droit de les infliger. Voilà le gros problème et c'est ce que nos collègues de Grande-Bretagne ont conclu: les interdire est une façon de les dénoncer.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais encore intervenir sur ce sujet très important.
Le sénateur Joyal: J'aimerais invoquer le Règlement, sénateur. Je sais que nous avons chacun un temps de parole qui est souple.
La présidente: Il y a effectivement de la souplesse, mais le sénateur Andreychuk a déjà parlé pendant 17 minutes. Ces propos sont fort intéressants, mais j'ai déjà siégé avec elle au Comité sénatorial permanent des droits de la personne où l'on étudiait le projet de loi en question et je sais que ses connaissances ainsi que son intérêt à l'égard de ce sujet sont inépuisables.
Le sénateur Joyal: La condition humaine a ses limites.
Le sénateur Milne: Sénateur Hervieux-Payette, avez-vous pris connaissance de la recommandation du Conseil de l'Europe contre la violence faite aux enfants? Elle a amené 18 pays d'Europe à interdire cette forme de violence. Ils sont même allés plus loin. Ils ont adopté une convention sur les droits de l'enfant, qui énumère les droits que devraient posséder les enfants.
Ce projet de loi est-il conforme à la recommandation du Conseil de l'Europe, ou va-t-il plus loin?
Le sénateur Hervieux-Payette: La suppression de cet article nous mettrait dans la bonne direction. Vous avez vu la nécessité de la précision concernant la violence verbale. À mon avis, la violence verbale peut nuire autant que la violence physique à l'épanouissement de l'enfant. L'Allemagne a inclus la violence verbale dans sa définition de la violence.
Il n'y a pas que le seul droit à la protection physique. Je pense que nous avons encore bien du chemin à faire. Je reconnais le mérite du rapport du comité sur les droits de l'enfant, mais nous devons prendre la réputation du Canada très au sérieux.
Nous avons appuyé la convention, nous l'avons signée et nous sommes tenus de l'observer. La date butoir est 2009, et nous sommes déjà au milieu de 2008. En tant que parlementaires toujours fiers de nous déclarer les champions des droits de la personne, je n'hésite pas à dire que les droits de l'enfant font partie des droits de la personne. En tant que Canadiens, je me sentirais beaucoup plus à l'aise de rencontrer mes homologues des autres pays qui se conforment à cette convention.
Nous devrions appliquer une convention, et le Parlement européen prend cette question très au sérieux. Il s'est fixé une sorte d'échéancier de mise en œuvre et il veille à ce que les pays régis par la législation de l'Union européenne s'y conforment. Certains pays n'ont pas respecté leurs obligations, mais ils doivent en répondre en vertu de la Charte des droits de l'enfant et de leurs obligations internationales.
Le sénateur Milne: Je suis d'accord avec vous sur ce point, mais en janvier 2004, la Cour suprême a confirmé la validité constitutionnelle de l'article 43 du Code criminel. Quels sont les changements apportés par l'abrogation de cet article et qui ne figurent pas déjà dans les limites de la common law fixées par la Cour suprême?
Le sénateur Hervieux-Payette: Tout d'abord, nous devons nous rappeler de cet arrêt qui affirme que les bébés de moins de 2ans ne peuvent subir aucune forme de violence — et ensuite vient le cas des enfants de 12 ans et plus. Nous devons nous rappeler qu'il ne s'agit que des enfants âgés de 2 à 10 ans. D'après l'étude de Statistique Canada, qui portait sur 2000 enfants de plus de 8 ans, il faut considérer les âges les plus soumis à la violence, à savoir de 3 à 6 ans.
Si nous ne réussissons pas à éduquer sans violence un enfant âgé de 3 à 6 ans, nous lui réservons bien des problèmes à l'avenir. Je pense qu'en supprimant l'article 43, on indiquerait très précisément que la violence, même bénigne, envers les enfants est inacceptable. Lorsque cette violence est imposée délibérément à des enfants à des fins éducatives, il n'est pas un seul expert dans ce pays qui soit prêt à en reconnaître la valeur éducative. On a affaire à une théorie éculée qui remonte à l'Ancien Testament. Cela n'a rien à voir avec les preuves scientifiques fournies par les psychiatres, les psychologues ou les sociologues. Aucun universitaire ne viendra dire ici que ce sont des façons valables d'éduquer un enfant. Au contraire, c'est toujours dommageable pour l'enfant.
J'estime que compte tenu du taux de natalité dans notre pays, nous devons chérir nos enfants et trouver d'autres façons de les éduquer, de les aider à s'épanouir et à devenir des citoyens à part entière dans notre société.
Le sénateur Joyal: J'ai cru vous entendre dire, dans votre exposé, que ce projet de loi avait été élaboré après le lancement d'une étude de notre comité, laquelle a été interrompue par la dissolution du Parlement, puis la mesure a été présentée de nouveau par la sénatrice Hervieux-Payette et renvoyée au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je ne suis pas membre de ce comité, je n'ai pas assisté à ces réunions et malheureusement, je n'ai pas eu le temps de lire les témoignages ni l'étude consacrée à ce projet de loi.
Comme notre témoin d'aujourd'hui est le sénateur Hervieux-Payette, et non pas le sénateur Andreychuk, qui préside le comité des droits de la personne, le sénateur Hervieux-Payette pourrait-elle nous indiquer les éléments du projet de loi qui ont été examinés par le comité des droits de la personne?
Le sénateur Hervieux-Payette: Je ne suis pas membre du comité des droits de la personne.
Le sénateur Joyal: Je suppose que vous avez lu ce qui s'est dit en comité?
Le sénateur Hervieux-Payette: Oui, mais le rapport est volumineux et ne porte pas uniquement sur la violence. Il a une portée plus vaste concernant les enfants, qui comprend notamment le droit à l'éducation, à l'alimentation, à un logement décent, etcetera. Normalement, l'enfant devrait disposer de tous ces éléments essentiels pour s'épanouir correctement et devenir un adulte responsable.
De mon côté, j'ai abordé cette question. Le rapport recommande l'abrogation de l'article 43 du Code criminel du Canada. Il ne fait que me raffermir dans mes convictions et corroborer l'opinion de tous ceux qui, dans notre pays, sont favorables à une telle abrogation, et qui considèrent que le Canada portera atteinte à ses propres obligations internationales s'il ne légifère pas d'ici 2009. Comme je l'ai dit, nous sommes censés être les champions mondiaux de la défense des droits de la personne.
J'ai passé plus de 30 ans à m'occuper des droits des enfants. Je me suis consacrée à faire en sorte qu'ils soient protégés en toutes circonstances, même lorsqu'ils sont de jeunes délinquants. Le sénateur Joyal était déjà là à l'époque.
Il existe différents points de vue. Certains veulent assurer la réintégration des jeunes délinquants, mais il existe un rapport direct entre la délinquance juvénile et la violence faite aux enfants. L'étude de Statistique Canada que j'ai citée montre que les enfants qui subissent régulièrement des corrections physiques sont plus enclins à devenir par la suite des cas de délinquance juvénile, de décrochage scolaire et même de suicide, parce que leur estime de soi a été détruite. Ils font preuve de violence contre la société parce qu'ils sont insatisfaits d'eux-mêmes, ou ils s'enlèvent la vie parce qu'ils ne peuvent pas survivre dans la société; ils ne se considèrent pas comme des citoyens utiles à la société.
Il s'agit d'une étude approfondie réalisée à partir des données scientifiques. Ce rapport n'a pas encore été interprété ni étudié par de nombreux scientifiques. Je ne l'ai pas encore étudié moi-même. En revanche, j'ai lu l'interprétation qu'ont donnée de nombreux scientifiques des données recueillies.
Ce rapport sert de base à notre action future. J'estime que l'article 43 et l'arrêt de la Cour suprême ne suscitent pas les problèmes que nous avons évoqués. Les enfants de 2 à 12 ans sont les seuls membres de notre société sur lesquels les parents peuvent exercer une violence physique, alors même qu'ils sont censés prendre soin d'eux. Si le parent d'un autre enfant fait la même chose, il commet une infraction. Forcé d'admettre que s'il est interdit de toucher aux enfants de son voisin, à défaut de quoi on commet un acte d'agression, aucune raison ne peut justifier que cette interdiction soit levée pour les propres parents de l'enfant.
Le sénateur Joyal: J'ai tâché de déduire de votre réponse, si je vous ai bien comprise, que le comité des droits de la personne a étudié la question des droits des enfants dans son sens le plus large et non en fonction de ce projet de loi en particulier. Est-ce exact?
Le sénateur Hervieux-Payette: Un article de ce projet de loi en faisait partie.
La présidente: Le comité des droits de la personne a accompli deux choses. Il a terminé une vaste étude des obligations internationales du Canada, qui a été publiée en avril 2007. Les pages 62 à 71 de cette étude portaient précisément sur cette question, l'article 43, mais également sur le droit international. Vous trouverez dans ces pages ce que je considère être un résumé assez intéressant des témoignages entendus par le comité.
En plus de cette étude, le comité des droits de la personne a également étudié la version précédente du projet de loi S-209 et n'a pas, si je me souviens bien, annexé des observations à son rapport. La présidente du comité me reprendra si je me trompe.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons entendu un nombre restreint de témoins. Je pourrais vous en indiquer le nombre. C'est tout ce que nous avons fait. Le projet de loi devait franchir l'étape de la troisième lecture mais la session a été prorogée et le sénateur Hervieux-Payette a dû présenter à nouveau le projet de loi.
Le sénateur Joyal: J'essaie de comprendre quelle serait la dynamique si nous acceptions l'amendement que vous proposez consistant à supprimer l'article 43 du Code criminel. Selon moi, ce qui se passera, c'est que nous reviendrons à l'article266 du Code criminel — je préfère ne pas utiliser le terme «déclencher» parce que c'est un terme trop fort — mais cela déclenchera les dispositions du Code concernant les voies de fait.
En fait, j'ai lu la cause R. c. Swan et j'ai lu la décision de la cour qui a été rendue publique le 13 mars 2008. Il s'agit du cas le plus récent qu'examine la jurisprudence concernant l'article 43, suite à la décision rendue par la Cour suprême dans la cause Canadian Foundation. Il semble que lorsqu'un parent corrige un enfant, s'il est impossible d'invoquer l'article 43, nous invoquerions alors comme défense les dispositions de l'article266.
D'après ce que je crois comprendre, lorsqu'une accusation est déposée en vertu de l'article266, on a recours à l'article 43 pour tâcher d'expliquer les circonstances dans lesquelles la force a été employée.
Le sénateur Hervieux-Payette: Il s'agit d'une défense.
Le sénateur Joyal: Oui, il s'agit d'une défense. Cependant, j'ai pris connaissance de la cause — bien entendu chacun interprète selon sa propre perspective, pour ainsi dire — et le parent dans ce cas a tiré l'enfant par sa chemise. Bien entendu, cela revient à employer la force, parce qu'en la tirant pas sa chemise, il l'a mise dans le camion, a verrouillé la porte et l'a ramenée à la maison.
La présidente: C'est la cause Swan.
Le sénateur Joyal: Oui, il s'agit de la cause Swan. Le premier argument invoqué devant la cour contre le recours à l'article 43 c'était que l'article 43 ne s'applique qu'à un enfant, et que la fille en question avait 15 ans, était une adolescente et que par conséquent l'article 43 ne s'appliquait pas à son cas. Cependant, après avoir examiné un certain nombre de causes mentionnées à lapage6 de la décision, la cour a conclu que l'article 43 ne se limitait pas à un enfant de sept ou huit ans mais pouvait s'appliquer à un adolescent. Je pense qu'un jeune de 15 ans est un adolescent.
Le parent voulait empêcher son adolescente de 15 ans de se rendre à une fête avec un garçon sur qui on avait déjà trouvé de la drogue. Son père l'a ramenée à la maison. Dans les mois qui ont suivi, la jeune fille a conclu que pour une raison quelconque, elle ne devait pas fréquenter ce garçon parce qu'il avait une mauvaise influence sur elle. Elle est arrivée à la conclusion que ce n'était pas une bonne chose.
J'ai de la difficulté à conclure que l'emploi de la force dans ce cas était tout à fait disproportionné — que son père l'a frappée trop fort ou qu'il a exagéré la force qu'il a employée contre l'enfant. Au bout du compte, la force employée correspondait à l'objectif, qui était de ramener la jeune fille à la raison. Elle avait de mauvaises fréquentations. C'était un moment où l'on empêche l'enfant de tomber dans la rivière lorsqu'elle se penche au-dessus de la balustrade. Lorsque l'on constate que sa fille est sous l'influence d'un garçon qui essaye de l'inciter à consommer de la drogue et ainsi de suite; quel parent ne voudrait pas sauver son enfant? Si nous abrogeons l'article 43, nous reviendrons alors à l'article266.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: On aurait le même résultat, si on lit cela.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Je suis désolé, mais je n'ai pas terminé, sénateur. J'essaye de faire ce qu'il faut et de comprendre la valeur concrète des cas où la force est employée. Je dois avouer que je n'ai pas eu le privilège d'élever un enfant, mais lorsque je lis ces cas, je conviens que la ligne est mince. Comment pouvons-nous faire face à une telle situation sans criminaliser les parents? À mon avis, il serait plus grave pour un parent de ne pas essayer d'empêcher un enfant de se trouver dans cette situation et de dire, «Vas-y, si tu veux. Je peux essayer de raisonner avec toi à l'aide d'arguments». L'enfant répondrait, «J'y vais». J'essaye de concilier ces aspects.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: On pourra regarder toute la jurisprudence qu'on voudra. Je vous parle d'études et de statistiques faites sur 2000 enfants, des enfants de 3 à 6 ans qui sont frappés de façon régulière et qui portent des marques toute leur vie.
Vous me parlez du cas d'une fille de 15 ans dont les parents ont des problèmes et probablement ont besoin d'aide pour élever cette enfant. Il y a certainement dû y avoir des difficultés. Tous les parents qui ont des enfants de 15 et 16 ans passent des périodes difficiles. J'en ai quatre dans ma famille. Je pourrais vous parler de tous les problèmes vécus lorsqu'on a des enfants de 15 à 17 ans.
La question de l'article 43, c'est tout simplement de prévenir, d'arrêter le fait que des parents frappent des enfants supposément à des fins éducatives. Et là vous me parlez d'empêcher un enfant d'avoir un dommage plus grand.
Je pense que je vous ai dit, il y a quelques minutes, que lorsqu'il s'agit de prévenir un malaise plus grand — donc un enfant qui battrait un enfant dans une cour d'école — ça donne la permission à un professeur d'intervenir. Vous pouvez consulter toute la jurisprudence à cet effet. Lorsqu'on intervient d'une façon physique pour prévenir un plus grand malheur, l'enfant, si vous le prenez par le bras et que vous le blessez parce qu'il s'en va dans la rue et qu'une voiture s'en vient, vous ne serez pas accusé d'un acte criminel. Il faut toujours se poser la question répétitive: comment et pourquoi?
Je pense qu'on ne fait pas un projet de loi pour savoir si on va régler les problèmes de nos adolescents d'aujourd'hui. On rédige un projet de loi pour s'assurer que les jeunes enfants ne souffrent pas de problèmes mentaux et de problèmes émotionnels pour le reste de leur jour. Je peux vous envoyer toutes les études. Si vous voulez les regarder, il y a des études qui donnent la preuve que cet article est une licence pour les parents d'intervenir physiquement à des fins éducatives. Le cas dont on parle, c'est celui de parents qui sont intervenus, pas pour frapper des enfants à des fins éducatives, ils sont intervenus pour empêcher que leur enfant ait des problèmes beaucoup plus graves.
Ce n'est pas la même chose, et probablement que le juge a jugé en fonction de la preuve. Il faut se pencher sur un projet de loi qui enlève une défense aux parents parce que cette défense est devenue une permission aux parents pour pouvoir intervenir physiquement auprès des enfants, supposément pour les éduquer. Et il n'y a aucune école de pensée dans l'éducation des enfants qui dit que frapper des enfants a un caractère éducationnel.
Il faut vivre au XXIe siècle. Je ne nie pas qu'il y a 20 siècles avant Jésus-Christ, on trouvait que c'était une bonne façon de frapper des enfants, sa femme et ses serviteurs. Aujourd'hui, avec tous les malaises psychologiques qu'on essaie de régler pour s'assurer que tous les citoyens dans notre pays aient une chance égale, il faut enlever l'article 43. Vous avez la preuve. Je vais vous envoyer les autres documents et vous allez les retrouver spécifiquement dans les témoignages des dernières audiences.
Au Royaume-Uni et dans tous les pays où un tel article a été enlevé, il n'y a pas de cas additionnels qui ont été présentés aux tribunaux. C'est tout le contraire. La violence a diminué. Il y a eu moins de cas parce qu'on a éduqué les parents. Il faut donner un signe définitif que cette façon d'éduquer les enfants n'est plus à jour.
On peut raisonner juridiquement mais il y a des défenses dans ce cas. J'ai fait circuler lors de la dernière audience la politique du gouvernement du Québec, qui est de soumettre le cas et de dénoncer au service de la protection de l'enfance. Après, avec le procureur, on décide si les parents sont un danger pour les enfants et que les enfants sont en danger grave.
J'ai parlé tantôt de sanctions qui pourraient être des sanctions à caractère éducatif. Aucun des pays qui ont enlevé l'article n'ont eu comme décision à la fin d'incarcérer les parents. Je ne sais pas où on a pris cette idée. Ce n'est pas le but de l'exercice, le but de l'exerce est de revenir à la base. Quand on commet une violence physique envers une personne, qu'elle soit adulte, un voisin ou même son épouse, c'est une infraction. Si on le fait dans l'intention de blesser, c'est une infraction. Même vis-à-vis une épouse qui aurait des problèmes mentaux, si le conjoint intervient pour empêcher que cette personne ne se blesse, la personne ne sera pas accusée de voie de faits.
Je pense qu'il faut revenir à la base à savoir pourquoi on enlève l'article. On le fait pour envoyer le signal. La plupart des pays européens avancés, ceux qui ont de bons services de recherche et qui l'ont fait sur le terrain, la Suède l'a fait, et le taux de délinquance a baissé de façon dramatique dans les années qui ont suivi. Il faut examiner l'expérience sur le terrain.
On peut examiner cela cas par cas. Et ce que vous me dites prouve le contraire de ce que je veux faire. Ça prouve qu'en vertu de l'article266, quand l'intervention est faite en fonction du bien-être de l'enfant, les parents n'auront pas de sanctions.
Le sénateur Joyal: Mais c'est parce qu'il y a l'article 43.
Le sénateur Hervieux-Payette: Non, ce n'est pas nécessaire, parce que l'article 43, en vertu d'un jugement de la Cour suprême ne s'appliquait pas après 12 ans.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Ce n'est pas ce que disait la décision.
Le sénateur Merchant: Je n'ai pas eu l'avantage d'entendre des témoins au sujet de votre projet de loi. Je considère que c'est un sujet très important qui m'intéresse beaucoup, mais à mon avis il s'agit d'une question philosophique.
J'ai été enseignante pendant sept ans et je suis mère de trois enfants. J'espérais que nous pourrions entendre des arguments des deux côtés. Vous nous avez indiqué que toutes les études et tous les experts ne nous donneront que des faits qui appuient votre proposition. Vous avez dit que nous ne pouvons faire appel à aucun autre témoin pour entendre une opinion contraire.
La présidente: Si vous me permettez d'intervenir, le sénateur Hervieux-Payette comparaît ici aujourd'hui à cause de son projet de loi. Elle présente le projet de loi et elle est ici pour le défendre. Nous entendrons d'autres témoins. Cependant, il est également vrai que je crois que tous les sénateurs ont entendu les témoignages exhaustifs d'autres comités. Pour les sénateurs que cela intéresse, mon personnel est en train de préparer des sommaires de ces témoignages. Si cela vous intéresse, nous nous ferons un plaisir de vous les fournir. Le comité de direction considérait qu'étant donné la lourde charge de travail du comité, il n'était probablement pas nécessaire de répéter tout le travail qui avait été fait par les comités précédents.
Quoi qu'il en soit, nous entendrons d'autres témoins. Nous entendrons des témoins proposés par les deux côtés du Sénat, à compter de demain matin. Nous entendrons des témoins proposés par le gouvernement et un plus grand nombre au fur et à mesure. C'est simplement pour préciser le plan de travail du comité.
Le sénateur Hervieux-Payette: Jusqu'à il y a deux ans, la Société canadienne de pédiatrie refusait d'appuyer l'abrogation; aujourd'hui elle est prête à le faire. Comme je l'ai dit, les associations de psychologues, de psychiatres, et de sociologues l'appuient. Je parle de gens qui s'intéressent au comportement humain. Ils sont experts en la matière.
L'étude du comportement humain ne remonte pas à 500 ans. Les facultés ont été créées à la fin du 19e siècle et au début du20esiècle. Avant, on étudiait peu ces sciences et certaines comportent une composante médicale.
J'ai utilisé les informations provenant de la communauté scientifique, des gens qui ne sont pas des avocats. Lorsque l'on examine des résultats dans les pays où cette mesure a été abrogée, les résultats sont positifs. En Suède, au départ, seulement 11p.100 de la population pensait que c'était une bonne idée. Aujourd'hui, plus de 80p.100 pense que c'était une bonne idée.
Oui, il faut avoir un certain courage pour effectuer un changement; mais l'expérience de plus de 20 ans d'autres pays devrait nous réconforter. Nous ne sommes pas le premier pays qui abrogera cette mesure. Nous ne sommes pas les chefs de file du monde occidental. L'Union européenne a adopté une mesure qui s'appliquera à chaque pays de l'Union, et ils ont reçu une date limite.
Plus d'une personne a examiné scientifiquement cet aspect. Dans certains pays comme la Grande-Bretagne, on retrouvait le même article. Notre article date de 1892. On l'a inclus dans la loi à une époque où l'on tolérait même la violence envers les femmes. Nous avons abrogé tout ce qu'il y avait dans chaque loi à l'exception de cet article, mais qui défendra les enfants?
Comme sénatrice, je suis ici pour représenter une minorité qui ne peut faire entendre sa voix dans notre système. Je suis fière de la représenter et d'être ici. J'ai trois enfants et sept petits enfants. Je n'ai jamais vu d'actes de violence de la part des mères plus que des pères, et je n'ai jamais eu à en discuter avec eux ou à intervenir. Je crois que demander à un enfant d'aller réfléchir dans sa chambre est certainement plus efficace pour souligner le fait qu'il doit penser avant de faire des choses inappropriées.
Si vous pensez que frapper un enfant est une façon de l'aider à changer son comportement, je ne crois pas que cela ait produit de résultats positifs où que ce soit. Nous ne parlons pas d'un parent qui, par nervosité, intervient dans une situation chaotique à la maison et qui devrait ensuite comparaître devant un juge et aller en prison. Nous parlons d'actes de violence répétés. Nous savons que dans une famille où il y a des actes de violence répétés envers les enfants, cela est fait régulièrement. Ce n'est pas une fois de temps en temps; c'est chaque jour, chaque semaine, et les enfants en souffrent.
Le sénateur Merchant: Je vous remercie de votre réponse et je suis désolée si j'ai donné l'impression que j'avais pris position. Nous voulons agir comme il se doit puisque cela touchera tout le monde. Les familles sont le fondement de notre société.
Afin d'être mieux informée, j'aimerais obtenir des informations provenant de différentes sources. Je comprends que nous allons inviter de nombreux témoins et que vous allez nous fournir des documents.
Quant à l'éducation et le respect des règles, je ne suis pas complètement certaine. Je vais vous donner un exemple. Si je donne une tape légère sur la main d'un enfant parce qu'il ou elle s'apprête à toucher une cuisinière brûlante, que se passerait-il? Est-ce que l'on considèrerait cela comme un acte de violence? Lorsque l'on juge un tel acte, comment faire la part des choses?
Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai déjà vécu avec une famille où les enfants, entre autres, ne mangeaient pas suffisamment, n'étaient pas vêtus correctement, et étaient battus régulièrement. Je n'ai pas appelé les policiers; j'ai appelé les services sociaux. En fait, il y avait un problème parce que la mère souffrait de problèmes mentaux.
Il faut avoir une vision globale de la société. Si une famille a besoin d'aide, il faut lui en accorder. Le fait de décriminaliser d'une certaine façon, ou de ne pas permettre au Code criminel d'intervenir sauf s'il y a de réelles infractions, c'est comme donner la permission d'être un peu indulgent à ce sujet et de permettre une correction physique.
J'ai les faits. Vous allez voir, que ce soit en Suède ou ailleurs, une fois cette mesure mise en place, la violence a commencé à diminuer. Ces pays ont connu une diminution du nombre de délinquants juvéniles et d'enfants ayant des problèmes mentaux. Il faut examiner les faits.
Si vous prenez le temps de lire les documents qui vous ont été distribués, vous allez voir qu'il n'y a aucune statistique démontrant qu'après l'abrogation, on ait créé des problèmes pour les parents, bien au contraire. J'ai rencontré les ministres responsables des enfants en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec et ils appuient tous cette abrogation. Ils appuient tous l'utilisation de la voie des services sociaux. Cependant, lorsqu'il y a des infractions réelles et des infractions répétées, il faut utiliser l'article266. Pour y arriver, il faut détenir des preuves et ne pas donner de permission répétée à d'autres qui sont moins apparents.
Vous m'avez demandé qui appuyait l'article 43. Il y a de nombreuses organisations religieuses qui appuient cet article, beaucoup plus que d'organisations scientifiques. Les scientifiques, qui mènent de vraies études auprès des enfants, ne tiennent pas les mêmes propos que les groupes religieux.
Le sénateur Merchant: J'aimerais préciser qu'on a amené ce cartable à mon bureau hier soir. Comme c'est souvent le cas avec les comités, on reçoit tous ces documents juste avant la réunion. J'ai demandé ces documents pendant la fin de semaine, et je n'ai rien reçu avant-hier après-midi. Je l'ai reçu hier soir.
La présidente: C'est un bon point, sénateur Merchant. Le personnel du Sénat et de la bibliothèque doivent desservir d'autres comités que le nôtre. Cependant, vous serez peut-être heureuse d'apprendre que nous aurons le temps de digérer ces documents pendant que nous étudions le projet de loi, même si nous n'avons pas eu le temps d'absorber toutes ces connaissances au cours des 18 dernières heures.
Le sénateur Stratton: C'est un débat intéressant. Je ne remets pas en question la situation où un parent frappe un jeune enfant. La semaine dernière, un enfant est arrivé à l'école avec la lèvre enflée, parce qu'un de ses parents l'avait frappé, et les services à l'enfance et à la famille sont allés à son domicile. En gros, la société s'occupe aujourd'hui de ces situations où des enfants sont battus.
Comme les sénateurs Joyal et Andreychuk l'ont souligné, mon inquiétude ne concerne pas les enfants que l'on bat pour les discipliner ou les éduquer. Ce sont les cas où l'on veut tirer une jeune fille d'une mauvaise situation ou, comme ce fut le cas à Winnipeg, lorsqu'une adolescente — heureusement, la loi n'avait pas été adoptée à l'époque — de 15 ans est arrêtée par les policiers afin de la tirer d'une situation très difficile.
Enfants, nous nous bagarrions et des gens devaient nous séparer. Mon père devait nous séparer. Est-ce que c'était de la violence? Je crois qu'on parlerait plutôt de «contrainte raisonnable», et c'est ce dont traite l'article 43. Nous devons en être conscients. Nous pouvons nous inquiéter des jeunes enfants battus par leurs parents, mais que se passe-t-il quand ces enfants sont plus vieux, plus grands et qu'ils se bagarrent? Que faisons-nous alors? Ils se retrouvent dans de mauvaises situations comme les deux fillettes que j'ai mentionnées.
Que faire en pareil cas si nous éliminons cet article? Oubliez le parent et l'enfant; il faut répondre à cette question précise. Comment régler ce problème?
Le sénateur Hervieux-Payette: Je dois me répéter et dire que l'on peut déjà invoquer comme défense que l'on a usé de contrainte raisonnable. Bien sûr, un procureur pourrait assurément exercer son jugement et, dans la plupart des cas, s'adresser aux services sociaux pour évaluer si l'enfant a été agressé par le parent ou a été contraint en raison de ses propres difficultés.
À mon avis, nous n'avons besoin de rien d'autre que la défense qui existe actuellement. Elle existe déjà à l'article266, qui peut s'appliquer à un enfant ou à un adulte. Si quelqu'un empêche un adulte de subir des blessures et lui en inflige ensuite, il ou elle sera jugé selon les circonstances. Si vous empêchez la personne de subir un tort plus grave, vous aurez une défense raisonnable.
Comme je l'ai dit, ces cas ne se retrouveront pas devant les tribunaux. Si vous examinez l'étude que je cite depuis le début de la séance, vous verrez que les agressions d'enfants sont beaucoup plus fréquentes avant l'âge de six ans. Si vous examinez l'étude sur le développement des enfants, vous saurez qu'à l'âge de six ans, l'enfant a déjà presque tout ce dont il a besoin pour devenir un adulte dans la société. Environ 20p.100 est acquis après l'âge de six ans, mais la personnalité d'un enfant se forme à 80p.100 avant l'âge de six ans.
Le sénateur Stratton: Ce n'est pas ce dont on parle. Nous évoquons plutôt une situation où un enfant plus vieux que cet âge se met dans une situation difficile et le parent ou une autre personne adulte doit le restreindre. Voilà ce dont on parle aujourd'hui.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je vous ai déjà répondu, sénateur Stratton. Il est permis de restreindre un enfant en application de l'article266, lorsqu'un adulte empêche un problème encore plus grave de se produire en exerçant de la force, dont la pertinence devra être jugée par des personnes raisonnables comme les services sociaux ou un procureur. Les études montrent que lorsqu'un enfant de 14 ans se retrouve constamment dans des situations difficiles, c'est parce que les parents ont utilisé la force contre l'enfant quand il avait moins de deux ans. Les parents ne commencent pas à restreindre leur enfant et à le frapper quand celui-ci a 14 ans, ils commencent habituellement quand l'enfant a deux ans.
Le sénateur Stratton: Ce n'est pas de cela qu'on parle. On parle d'un enfant qui se place dans une situation difficile quand il va dans un local de drogués où ses parents vont le chercher, ou qui se bagarre avec ses parents ou quand d'autres personnes doivent intervenir pour sortir l'enfant du pétrin. Voilà de quoi on parle.
La présidente: Je voudrais apporter une précision. Si je comprends bien la loi actuelle, la Cour suprême du Canada a dit que l'article 43 peut seulement être appliqué à des enfants entre l'âge de deux ans et de douze ans.
Le sénateur Andreychuk: Interdiction du châtiment corporel.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est entre l'âge de deux ans et de douze ans. J'ai lu à peu près dix fois l'article actuel. Je ne l'ai pas sous les yeux, mais j'en suis certaine. Les juges ont dit entre deux ans et douze ans. Ils excluent un enfant âgé de moins de deux ans. Après l'âge de douze ans, la cour a décrété que l'enfant a une maturité suffisante pour que des adultes ne puissent avoir d'interaction physique avec eux. Je vais déposer la décision de la cour.
La présidente: Vous n'avez pas à le faire. Nous pouvons vérifier nous-mêmes et distribuer le texte à tous les membres du comité, si on ne l'a pas déjà fait, de même que la décision rendue dans la cause Swan, à laquelle on a déjà fait allusion aujourd'hui. Sénateur Stratton, avez-vous fini?
Le sénateur Stratton: Oui.
La présidente: Voulez-vous ajouter quelque chose en réponse au sénateur Stratton, avant de passer au deuxième tour, sénateur Hervieux-Payette?
Le sénateur Hervieux-Payette: Je souhaite qu'il lise l'arrêt de la Cour suprême. Comme je l'ai dit, je m'entretiens tous les jours avec mes filles au sujet de leurs enfants âgés de 14 et 16 ans et je sais ce qu'elles vivent. Je le vis au quotidien. Elles ont quatre adolescents, ce qui cause une foule de situations.
Nous devons nous pencher sur le développement des enfants et nous assurer que nos lois ne nuisent pas à nos enfants, mais les aident plutôt à grandir et à devenir des adultes épanouis. Je dis que la loi a changé ailleurs dans le monde et que, dans les pays où l'on a supprimé cette défense, la situation s'est améliorée. Les enfants respectent davantage leurs droits et leur éducation s'est améliorée.
Je ne dis pas que c'est une conséquence du changement apporté à la loi. Je dis que les pays qui ont changé leurs lois ont entrepris d'éduquer les parents au sujet de l'art d'élever les enfants sans violence. Bien sûr, la loi et l'éducation vont de pair.
Le ministère de la Justice du Canada a une ligne ouverte — j'ignore à quelle fréquence elle est utilisée — pour les parents qui sont en difficulté lorsque leurs enfants affichent de mauvais comportements.
On peut se pencher sur des exemples d'enfants qui peuvent provoquer et nécessiter une intervention physique. J'ai notamment dans ma propre famille des gens qui ont des enfants autistiques. Très souvent, les enfants sont violents et les parents doivent intervenir pour que les enfants ne se fassent pas de mal à eux-mêmes. Ce n'est pas parce que l'enfant a un mauvais comportement, mais bien parce que l'enfant est malade. Je sais que c'est dramatique pour les parents, mais la loi ne peut pas intervenir et l'on ne peut pas accuser les parents d'avoir commis un crime parce qu'ils doivent intervenir physiquement. Dès qu'il y a de bonnes raisons de restreindre un enfant, cela ne peut être interprété comme un acte criminel ou une agression ou des voies de fait. Il faut tenir compte du contexte de l'infraction avant d'envisager la défense. Commet une infraction quiconque agresse d'une manière ou d'une autre son conjoint, un autre adulte ou un enfant du quartier. Les gens qui sont les plus proches des enfants sont les parents et les enseignants. C'est la même chose dans d'autres pays. Je ne crois pas qu'il y ait un problème particulier dans l'Union européenne pour ce qui est des enfants à l'école. Ils ont réussi à réformer leur système et à éliminer cette vieille manière désuète et religieuse d'élever les enfants.
Le sénateur Stratton: Je ne crois pas que la religion ait quoi que ce soit à voir avec cela. Je devais le signaler.
Le sénateur Hervieux-Payette: Lisez les témoignages des témoins précédents.
Le sénateur Stratton: Je crois que cela n'a rien à voir avec ce qui nous occupe.
La présidente: Le sénateur Hervieux-Payette a exprimé son point de vue et vous avez exprimé le vôtre.
Le sénateur Andreychuk: Je rappelle aux honorables sénateurs que nous avons une trousse de documents qui nous sera remise. Le comité a commencé à examiner les projets de loi précédents du point de vue juridique et le comité des droits de la personne a passé beaucoup de temps à étudier la question du châtiment corporel, mais pas l'article 43 comme tel.
Nous ne sommes pas le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles quand nous siégeons à titre de comité des droits de la personne. Le témoignage précédent est valable et doit être pris en compte.
l'article 43 a évidemment été rédigé à une autre époque. Il prévoyait le châtiment corporel. La Cour suprême a limité — non pas éliminé, mais limité — le châtiment corporel et l'exercice de l'article 43 à certains égards, mais elle a laissé intact le reste de la mesure. Sauf erreur, l'arrêt rendu dans la cause Swan est une tentative qui a été faite depuis cet arrêt en vue de définir un élément qui n'était pas directement abordé dans l'arrêt de la Cour suprême. Il y est question des autres éléments de l'article 43 et c'est cela qui me préoccupe, non pas le châtiment corporel, mais le reste de l'article 43.
Sénateur Hervieux-Payette, si nous supprimons l'article 43, cela nous ramènera aux articles sur les voies de fait. J'ai fortement préconisé qu'on regroupe tous les types de voies de fait, ceux en particulier qui sont commis contre des femmes. On ne peut plus les agresser sexuellement ou physiquement, puisque c'est désormais des voies de fait. Ici au Canada, nous avons réussi de façon fort louable à déterminer quels comportements sont intolérables aux fins du droit pénal.
Si nous abrogeons l'article 43, les parents seront considérés comme des agresseurs et des délinquants parce que l'article sur les voies de fait va s'appliquer. Que pourra faire le parent qui ramène de force avec lui l'enfant qui se trouve dans une piquerie ou qui frappe un autre enfant? On ne peut pas porter la main sur un adulte. Il restera la défense fondée sur la nécessité et la défense fondée sur le principe de minimis. Comment doit-on agir avec un enfant? Comment obtenir le consentement implicite? La Convention sur les droits de l'enfant affirme que les enfants, du fait qu'ils n'ont pas atteint leur pleine maturité, ne sont pas en mesure d'exercer leur jugement comme des adultes. Voilà donc ma première question. Comment définir le consentement implicite et comment un parent peut-il invoquer un moyen de défense en common law? Je ne parle pas des moyens de défense déterminés. Il s'agissait en l'occurrence d'un tel moyen de défense.
D'après certaines études, le Canada aurait tendance à sur criminaliser nos autochtones. Ceux-ci sont surreprésentés parmi la clientèle des services d'aide à l'enfance. Que doit faire un parent aux prises avec une telle situation? Qui sera le plus vulnérable si nous ne reconnaissons pas aux parents un quelconque droit de neutraliser certains comportements de leur enfant? Nous essayons d'éduquer les parents pour les amener à recourir à d'autres moyens. Nous sommes dans la même situation que les Suédois. Différents gouvernements ont affirmé que la violence n'est pas tolérable. Il suffit de relire les politiques: la violence n'est pas tolérable et il faut y substituer l'éducation. Toutefois, si on interdit le recours au châtiment corporel, en abrogeant l'article 43, il restera des cas où le parent et l'enfant sont des adversaires. Voilà ce qui est préoccupant. Vous devriez remédier au problème par des mesures juridiques, et non en laissant à la police des pouvoirs discrétionnaires. Je ne crois pas que les policiers soient formés pour ce type d'intervention. Je crains que ce ne soit les personnes déjà les plus vulnérables de notre société qui en subissent le plus les conséquences. Je vous assure, les cas de ce genre dont j'ai dû m'occuper étaient très analogues. Le parent a déjà bien des problèmes et nous lui en créons un de plus.
Que faudra-t-il faire dans ce genre de cas? Pensez-vous qu'ils vont tout simplement disparaître?
Le sénateur Hervieux-Payette: J'imagine que nous sommes uniques au monde et que seuls les Canadiens ont une attitude différente de celle des Européens et des habitants de bon nombre de pays d'Amérique du Sud. Vous affirmez être contre le châtiment corporel et l'article 43 autorise le recours à la force pour corriger quelqu'un. Cela ne veut peut- être pas dire la même chose en français. Peut-être que je n'ai pas compris. Mais je lis ce qui est dit dans le texte français.
[Français]
... la force pour corriger un enfant, pourvu que la force ne dépasse pas les mesures raisonnables dans les circonstances.
Donc on parle de force. C'est évident que ce n'est pas rationnel. Vous me parlez du fait qu'un enfant n'a pas le même jugement. Sion avait des parents qui avaient un bon jugement, ils n'utiliseraient pas la force.
Quand on parle des méthodes d'éducation des enfants, du fait qu'on veuille former des citoyens responsables, de tous les dommages que cette philosophie d'éducation a faits à nos enfants et qui est partagée par certains juges, je dois vous dire que je m'inquiète. Surtout si vous ajoutez que, effectivement, on va criminaliser de plus en plus les problèmes de violence dans la communauté autochtone. S'il y a une communauté où les enfants ont besoin d'être protégés, je pense bien que c'est la communauté autochtone. Mon collègue le sénateur Watt sait fort bien quel est mon degré d'implication pour aider à rétablir la situation d'égalité des chances chez les enfants autochtones comme chez les enfants blancs.
Lorsque les choses ne fonctionnent pas par la prison, elle fonctionne par des services sociaux. Sauf qu'il ne faut plus permettre que les enfants puissent être frappés, qu'ils soient sanctionnés ainsi et on ne doit plus dire que c'est correct de le faire. Il y a un gros travail d'éducation à faire. Des études démontrent que ce que vous dites ne s'est produit dans aucun des pays européens, dont certains ont 20 ans d'expérience, alors je ne vois pas pourquoi au Canada on ne ferait pas comme ces pays.
Le contraire est arrivé. Je suis allée au Costa Rica. Il existe un sigle d'interdiction de frapper les enfants — semblable à celui qui nous indique qu'il est interdit de fumer — pour démontrer aux parents qu'on ne frappe plus les enfants.
La correction physique pour moi, c'est terminé. Ce n'est pas une façon d'éduquer les enfants. Vous me ramenez au Code criminel en disant qu'on doit garder cette défense de common law parce qu'on va criminaliser ce comportement. On a pratiquement donné la permission d'abuser physiquement nos enfants depuis plus d'un siècle et cela n'a produit aucun bon résultat. Vous allez voir les statistiques, elles sont lamentables. Tout cela fait que les enfants deviennent des délinquants, des décrocheurs, leur donne des problèmes de comportement sur le plan psychiatrique et les démolit de l'intérieur. C'est le résultat de la violence faite aux enfants.
Il faut retirer ce symbole et cet article43 qui, finalement, donne une excuse pour continuer à frapper les enfants. Le texte dit:
[Traduction]
Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondée à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.
[Français]
Je pense qu'on pourra toujours voir, en vertu de l'article266, ce qu'est une voie de fait, quelle était l'intention. Je suis certaine que notre système de justice au Canada sera aussi efficace que le système allemand, suédois ou finlandais.
Je ne peux faire aucune concession et penser que l'article 43 rend service à la société canadienne. Au contraire, cet article a permis que les enfants n'aient pas les mêmes droits. Dire que parce qu'ils ne sont pas complètement développés sur le plan intellectuel, ils ne peuvent pas jouir des mêmes droits de protection à leur intégrité physique. Un enfant a tous les droits, surtout, celui d'être aimé de ses parents et de ne pas être frappé par ceux-ci.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Le dernier droit, celui d'être aimé de ses parents, n'est pas visé par l'article 43 et je m'oppose au fait qu'il ne décrit pas bien le sens de mes propos. Vous ne m'avez pas entendu prononcer le mot «violence». Il s'agit d'un mot au sens très lourd désignant une réalité que ni moi, ni la Cour suprême ne préconisons, pas plus que le recours à la force sous forme de fessée ou de gifle, par exemple. Nous essayons de déterminer ce qu'un parent peut pouvoir faire lorsqu'il est aux prises avec l'angoisse d'essayer de venir en aide à cet enfant, dans l'intérêt de l'enfant et de la société et c'est ce que, tout comme nous, la Cour suprême a essayé de déterminer dans l'arrêt Swan. Comment pouvons-nous aider l'enfant dans ses relations avec le parent, en évitant de rendre ce parent passible d'une accusation ou de faire en sorte qu'encore plus d'enfants soient dirigés vers les services d'aide à l'enfance?
De toute évidence, nous devons tâcher de renforcer les familles et de faire en sorte que les enfants soient davantage respectés par le milieu familial car la Convention sur les droits de l'enfant affirme le droit de l'enfant à une famille et s'épanouir au sein d'une famille.
l'article 43 vise essentiellement à favoriser un équilibre puisque nous ne voulons pas que les enfants soient victimes de violence ou de châtiments corporels. Il reconnait, cependant que, dans certains cas, il faut protéger l'enfant et trouver des moyens de l'aider et de le corriger, en recourant ou non à la contrainte.
Je vous demanderais donc de réfléchir au moyen d'accomplir ce que vous et moi souhaitons toutes les deux, à mon avis. Nous voulons moderniser l'image de la famille d'aujourd'hui. On peut oublier les grands débats sur le châtiment corporel. J'aurais voulu que la Cour suprême s'attaque au problème autrement, mais il faut savoir que les enfants d'aujourd'hui sont quelque peu différents de ce qu'ils étaient à notre époque. Dans un monde où les drogues circulent et l'Internet est à la portée de tous, comment donner aux parents et aux enseignants les outils nécessaires pour aider les enfants?
Le sénateur Hervieux-Payette: Si vous me disiez que nous ne nous attaquons pas à ce problème, je vous répondrais que la sollicitation des enfants par la société des adultes et les risques auxquels les exposent les nouvelles technologies, notamment l'Internet, sont énormes. J'ai travaillé sur le dossier des prédateurs qui se servent de l'Internet pour attirer les enfants. Quant à moi, j'estime que les parents ont toujours la responsabilité de protéger leurs enfants mais que le recours à la force pour les corriger ne doit pas être permis, un point, c'est tout. On ne développe pas l'estime de soi d'un enfant en lui faisant mal de façon répétée, même légèrement. Quand les enfants subissent la violence ou sont corrigés par des gestes violents à des fins éducatives, le comportement est toujours répété. Cela cause du tort à la société qui en souffrira pendant toute la vie de la personne.
La présidente: Avant de redonner la parole au sénateur Joyal, permettez-moi de dire que le mot «correction» donne lieu à un terrible malentendu. Ce n'est pas ce que je voulais dire. J'ai voulu clarifier mes propos antérieurs à l'intention du sénateur Stratton. Je reviens maintenant à l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law v. Canada (Attorney General), au paragraphe37.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Lisez-vous le jugement ou est-ce dans notre cahier?
La présidente: Non, c'est dans la version anglaise de la décision. Je vais vous la citer:
[Traduction]
Administrés à des enfants de moins de deux ans, les châtiments corporels font du tort et n'ont pas la moindre valeur corrective étant donné les limites cognitives des sujets. Dans le cas des adolescents, ces mêmes châtiments sont nocifs, car ils peuvent susciter des comportements agressifs ou antisociaux.
Le texte se poursuit en abordant les châtiments corporels infligés au moyen d'objets, de gifles ou de coups portés à la tête:
On peut aisément conclure que de telles punitions sont déraisonnables.
C'est ce passage dont je me suis mal souvenu, et j'ai donc tenu à le citer par souci d'exactitude.
Le sénateur Joyal: J'aimerais à mon tour me reporter à la cause de la Fondation canadienne. Si je me rapporte au texte que j'ai lu à ce sujet, on ne doit pas se servir de l'article 43 pour légitimer les mauvais traitements infligés aux enfants ou pour en donner une image aseptisée.
Je reconnais que si on interprète cet article43 de manière littérale, on aura peut-être tendance à lui donner une portée plus vaste que ce que prévoyait l'arrêt de la Cour suprême, car elle lui a imposé des limites. Si j'ai bien compris, il faut se conformer à trois critères ici. l'article 43 veille à ce qu'on ne recourt pas au droit pénal lorsque la contrainte utilisée contre l'enfant s'inscrit dans un authentique effort éducatif. Il ne s'agit pas ici d'un châtiment corporel. Voilà pour commencer. Ensuite, il est dit que la contrainte ne doit pas représenter un risque raisonnable de danger. Autrement dit, il est déraisonnable d'administrer une correction tellement forte qu'elle entraînera une fracture du bras. Un risque raisonnable de danger correspond probablement à un coup porté au moyen d'un objet.
Nous devons interpréter ce que le texte entend par une force momentanée et minime et raisonnable dans certaines circonstances. Or, il est difficile de se prononcer de manière absolue là-dessus, et il faut donc que le tribunal se penche sur une cause particulière inscrite dans des circonstances elles aussi particulières.
Selon moi, la Cour suprême a imposé des limites à l'article 43. Je pense aussi que les lois canadiennes s'interprètent maintenant en fonction d'au moins trois jugements concernant des adolescents, enfin sur ce que nous entendons par des adolescents. Dans les causes que j'ai parcourues, comme la cause Swan, les enfants avaient plus de 12 ans, parfois 13 ans, et dans la cause Swan elle-même, il s'agissait d'une adolescente de15ans.
Je ne comprends pas que vous soyez contre tout recours à la force physique, quels que soient les faits, les forces en présence et les circonstances. On se retrouve alors dans une situation semblable à la celle de la cause Swan. Si vous lisez les textes qui s'y rapportent, vous penserez que le père aurait dû aboutir en prison. Dans cet appel, le juge est arrivé à la conclusion que si l'on se fie à l'interprétation de la Cour suprême, on doit nécessairement annuler l'accusation d'agression. Cela signifie qu'il ne nous reste plus que l'article266 sur lequel se fonder.
Si l'on se reporte à la définition de l'agression donnée par le Code criminel, on trouve deux choses, et d'abord, les lésions corporelles. Et qu'est-ce qu'on entend par cela? Cela désigne tout mal ou blessure qui nuit à la santé ou au confort d'une personne. Ça n'est pas grand-chose, remarquez. Je peux vous mettre en échec au hockey, après quoi vous pourrez m'accuser de vous avoir agressé. Je ne veux toutefois pas évoquer ce genre de situations.
Une «lésion corporelle» signifie donc toute lésion ou blessure, ce qui est plus grave, qui nuit à la santé, ce qui est grave, ou au confort, ce qui est plus léger, d'une personne et qui est momentanée ou négligeable.
Cela signifie que M. Swan est visé ici et qu'on éliminerait ce que j'appelle les mesures de contrainte énergique. Pas le châtiment corporel. À mon avis, il faut faire une distinction entre le châtiment corporel et la contrainte physique. Or, selon moi, dans la cause Swan, il est question de contrainte. Vous affirmez cependant qu'on doit interdire tout usage de la force.
Je peux comprendre la logique de votre position, et je la respecte. Je ne mets pas en doute le travail des psychologues, ni les études, ni tout le reste. Je partage aussi les conclusions des documents pertinents que j'ai pu lire, à savoir qu'un jeune qui a été victime de voies de fait et de forte contrainte physique réagira en utilisant les mêmes moyens. C'est presque psychologique. Si vous provoquez quelqu'un par la force, il réagira par la force. Je le conçois fort bien. Toutefois, la contrainte, c'est autre chose, c'est une réalité tout à fait différente.
Quelle position doit-on adopter dans cette cause après lecture des faits? Encore une fois, je ne suis pas un expert en la matière et je ne suis pas non plus un père. J'ai cependant fait des lectures sur ces causes et j'ai écouté autant vos témoignages que ceux d'éminents spécialistes. Quoi qu'il en soit, il faut absolument garder à l'esprit que si nous abrogeons l'article 43, nous retournerons à l'article266, auquel des gens ont eu recours parce que l'article 43 ne protégeait pas les adolescents. Toutefois, dans une certaine cause, le juge a trouvé tellement excessif d'invoquer l'article266 qu'il a fait subir le procès à un contrevenant en vertu de l'article 43.
Vous vous retrouvez dans une situation très épineuse ici. En effet, dans le cas où un juge aurait à se prononcer dans une cause semblable à Swan, votre position l'obligerait à la rejeter, sans qu'on ait toutefois de positions de repli qui tiennent compte des circonstances.
Je vous avouerez franchement et sincèrement que je ne suis pas convaincu qu'il faille abroger l'article 43 sans plus. Il va falloir me convaincre.
Faudrait-il limiter la portée de l'article 43 à des mesures de simple contrainte comme positions de repli afin de protéger les circonstances évoquées dans les causes comme la cause Swan? Cela entraînerait l'élimination de toute mention de force abusive. Faudrait-il plutôt inscrire dans l'article 43 les limites précises que la Cour suprême y a mises? Toutefois, cela ne répondra sans doute pas à vos objectifs, car si j'ai bien compris votre témoignage, vous êtes contre tout recours à la force par principe, quelles que soient les circonstances.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai quand même été claire en disant que quand c'est pour protéger l'enfant contre un danger plus grand, que ce soit pour l'enseignant ou le parent — j'inclus le cas Swan dans cet exemple —, on empêche un plus grand mal. Selon les moyens de défense prévus à l'article266 du Code criminel, on peut recourir à la force pour prévenir une infraction en cas de légitime défense. Il faudrait regarder dans toute la jurisprudence pour savoir ce qu'est la légitime défense. Quand deux enfants se battent dans une cour d'école et que cela devient sérieux, il faut qu'un adulte intervienne. Il faut exercer une certaine force pour le faire et prévenir des voies de fait sur autrui— je parle de l'enseignant — ou défendre des biens.
En 1984, la Commission de la réforme du droit estimait que la loi devait envoyer un message clair interdisant toute violence inutile et réclamait l'abandon de l'article 43. Ce n'est pas seulement depuis la semaine dernière que nous étudions cette question. Elle n'a pas été examinée non plus à la lumière des faits. Le Code criminel est le code de moralité et de conduite entre les individus. Le code de moralité et de conduite entre les individus concerne le droit des enfants à l'intégrité physique quand il s'agit d'éducation, pas seulement de protection. L'article266 ne sera jamais utilisé contre un parent qui empêche un enfant de se blesser ou de commettre un acte répréhensible contre un frère, une sœur ou un voisin. Il va toujours y avoir la possibilité d'avoir des défenses de minimis et de nécessité. Elles existent et sont d'une grande importance. On aura toujours cette défense. On n'a pas besoin de l'article 43 parce que la défense de l'article 43 revient à une permission de frapper les enfants. C'est comme cela qu'il a été interprété dans tous les pays qui l'ont enlevé. Cela donnait la permission aux parents d'intervenir avec la force physique pour les corriger. C'était un mécanisme d'éducation. De là l'origine de l'article. Il reste quand même aujourd'hui, encore, dans la tête de ceux qui exercent la correction physique, l'idée que c'est une façon d'éduquer les enfants. Aucun spécialiste au Canada ne vous dira que c'est une forme d'éducation. Un parent qui perd patience, qui n'a pas nécessairement toute sa tête, exerce de la violence sur un enfant non pour l'éduquer mais parce qu'il est exacerbé.
La minute où on met un drapeau rouge, on signifie que c'est fini la permission de frapper les enfants supposément à des fins éducatives et on envoie le message que dorénavant les enfants ont les mêmes droits à l'intégrité physique que les adultes. On aura beau parler des possibilités d'abus suscités par l'interprétation de l'article266, mais cela ne s'est pas produit nulle part.
Il y a eu en même temps un effort concerté d'informer la population en général que ce n'était pas la façon de traiter les enfants. Quand les enfants subissent une menace extérieure, les parents sont autorisés à intervenir et n'ont pas besoin de l'article 43. l'article 43, c'est la force à des fins de correction. Ce n'est pas la force à des fins de protection. Ce n'est pas écrit «protection» dans l'article 43, mais «correction». C'est le mot important selon moi, car c'est toujours comme cela qu'on l'a utilisé.
Je sais que mon collègue n'aime pas que je parle des mouvements religieux. Même la Commission de réforme du droit se référait à une pratique sur les droits parentaux qui venait des lois à caractère plutôt religieux. Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est écrit dans la Bible. Il y a un article dans l'Ancien Testament qui dit — probablement que vous le savez mieux que moi en anglais — que si on aime nos enfants, on les frappe avec un bâton. Nous sommes 2000 ans plus tard et on en parle encore. Ils le proposent dans les revues pour parents, aux États-Unis. Vous pouvez vous procurer un bâton pour donner une correction à votre enfant. Je n'invente pas d'histoire.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Je ne voudrais pas prolonger la séance car il est déjà tard, mais je me demande si nous ne devrions pas nous munir d'un exemplaire des causes citées dans la cause Swan.
La présidente: J'ajouterai cela à la liste des autres articles et fournirai ces renseignements aux membres de notre comité dans les plus brefs délais.
Le sénateur Joyal: Il y a eu une cause jugée en Saskatchewan, une autre en Ontario etcetera. Peut-être pourrions- nous les examiner — voir comment on a invoqué l'article 43 par rapport à l'article266. J'aurais des questions à poser là-dessus — j'en ai déjà expliqué quelques-unes — et j'aimerais disposer de renseignements supplémentaires afin d'aller plus loin.
La présidente: Il en sera fait ainsi. Au fur et à mesure que nous effectuerons notre étude, nous aurons d'intéressantes questions à poser à nos témoins. Pour ma part, j'aimerais savoir si, en règle générale, les magistrats estiment que dans la cause Swan, il fallait recourir à l'article 43 ou s'il y avait d'autres possibilités à la disposition de l'accusé. Le juge a bien dit qu'on pouvait se prévaloir de l'article 43 mais y avait-il d'autres recours? Je l'ignore.
Chaque fois que nous sommes saisis de ce projet de loi, il est fascinant d'en faire l'étude. Ce sera aussi le cas cette fois-ci. Avez-vous une question à poser, sénateur Watt?
Le sénateur Watt: Ma question ne sera pas longue, et je comprends les arguments présentés par le sénateur Hervieux-Payette. Cela me rappelle la manière dont j'ai été élevé — en quoi il faut croire, en quoi il ne faut pas croire; ce à quoi il faut s'attaquer, ce qu'il faut éviter d'attaquer, ce qui est bien et ce qui est mal.
Laissez-moi reprendre quelques points. Si vous avez des enfants, et si vous n'en n'avez pas mais avez charge d'un enfant, quel que soit son âge, nous savons maintenant que si cet enfant subit de la violence verbale, alors cette violence se perpétuera. Elle sera transmise à l'enfant, et ce même enfant la transmettra à un autre enfant qui le suivra. Il s'agit d'un comportement de répétition. Dans le cas de voies de fait, le même principe s'applique; cette violence se perpétue. Nos ancêtres nous ont dit de ne pas commettre ces deux choses qui portent atteinte à ce qui fait d'une vie une vie, parce que cela entraînera des conséquences si on n'agit pas de la manière appropriée.
Je peux bien le dire, mais lorsqu'il s'agit de faire des choses concrètes, est-ce qu'on respecte ces règles? Je peux dire pour ma part que la seule chose que j'ai vraiment vue à cet égard, ce sont des cas où on a utilisé une contrainte mesurée. Il faut aussi essayer de rester maître de soi, car sans réfléchir, parfois, si un enfant est particulièrement turbulent par exemple, et quel que soit son âge— on court le risque de se laisser aller à la colère.
Dans toute cette question, bon nombre d'aspects différents ont leur importance. Pour ma part, je vois les deux côtés de la médaille. J'ai déjà discuté de la question avec vous dans le passé, et je sais pourquoi vous avez adopté certaines idées, mais ça n'est pas vraiment pour cela que j'ai levé la main. Nous nous sommes déjà penchés sur cette question, mais peut-être pas de manière aussi poussée qu'aujourd'hui. Cela dit, si nous abrogeons l'article 43, est-ce que cela suffira, ou faudrait-il que nous combinions cette mesure à une autre, à une autre disposition? C'est la première fois que j'entends une proposition en ce sens aujourd'hui.
Si j'ai levé la main, c'est parce que je ne veux pas que la question devienne un problème à la longue, qu'on puisse dire que nous avons adopté quelque chose et puis que s'est-il passé? Avez-vous songé à cela, madame la présidente? Ce n'est pas la première fois que nous sommes saisis d'un tel projet de loi. Nous avons adopté ce projet de loi.
La présidente: Il a été adopté, et je crois que si ma mémoire est fidèle cette foi-ci, je ne me trompe pas lorsque j'affirme que nous avons déjà étudié ces questions, tout au moins dans une certaine mesure. Ainsi par exemple, si vous vous reportez à des extraits du rapport du Comité sénatorial des droits de la personne qui portait sur nos obligations internationales en vertu de la Convention sur les droits de l'enfant, on trouvera un passage expliquant la nature et la portée de l'article 43 au Canada, et ce passage contient également beaucoup de choses semblables aux préoccupations exprimées par le sénateur Watt.
Il est certain aussi que lorsque le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s'est penché sur la version précédente de ce projet de loi, des témoins ont aussi abordé certaines de ces questions. Je ne faisais pas partie du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles à l'époque, je n'ai donc pas participé à l'étude du projet de loi la dernière fois, mais il nous reste beaucoup de documents que nous pourrions consulter.
Je pense d'ailleurs que certains d'entre eux ont été distribués aux sénateurs. Si vous en voulez d'autres, nous pourrons certainement voir s'il vous en manque, à part ceux que le sénateur Joyal et d'autres ont déjà demandés. Je le répète, nous disposons de liasses de documents, mais il vous serait peut-être profitable de commencer d'abord par lire le rapport présenté en avril 2007 par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne au sujet de nos obligations internationales, et qui s'intitule: Les enfants: des citoyens sans voie. Il s'agit de l'étude la plus approfondie jamais effectuée par le Sénat au sujet des droits de l'enfant et de nos devoirs envers lui. À mon avis, il doit servir de pierre angulaire à tout le travail qui nous attend dans ce domaine.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: En fait, je cite un des ouvrages qui résume bien ma pensée. On a fait le tour des défenses qui existent en vertu de 266 et l'article 43 s'ajoute à cela. Cet article n'est plus utile. Il isole les enfants et les rend victimes. En regard de leur sécurité ou de leur intégrité physique, quant à moi, c'est un anachronisme dans notre droit. On a pris plusieurs décennies à essayer, légalement, d'enrayer la violence faite aux femmes.
Tout le reste de ma carrière à Ottawa, je reviendrai si ce projet de loi n'est pas adopté. Peut-être qu'on doit se faire à cette idée. Peut-être qu'on n'a pas le courage d'aller de l'avant. Cependant, le Parlement britannique — de qui s'inspirait vraiment notre Code criminel qui en était pratiquement une copie conforme au XIXe siècle —, a abrogé cet article et s'est fondé sur la raison pour l'enlever. Il a dit qu'en le gardant supposément pour protéger la famille, cela donnait un signal contraire et, en pratique cela n'avait pas produit les effets voulus.
L'abrogation de l'article 43, quant à moi, c'est un commencement de solution dans le cas de la violence faite aux enfants. Si j'ai déjà, moi, en tant que parent, frappé un enfant sur le bras dans un moment d'impatience, je peux vous dire que j'étais plus punie que l'enfant et je regrettais de l'avoir fait. Et si cela arrivait une fois dans l'année sur trois petits diables — parce que j'ai eu trois enfants en quatre ans —, c'était énorme.
Je peux vous dire que les parents qui sont conscients que c'est une chose qui ne se fait pas sont plus blessés que les enfants. Mais le signal doit être envoyé à la société que ce n'est pas tolérable. Je vois des parents dans des centres d'achats qui frappent des enfants. Je vois sur la rue ou dans des restaurants des parents qui maltraitent des enfants. Souvent, je dois me retenir pour ne pas intervenir physiquement auprès du parent. C'est une chose que je ne peux tolérer et qu'il est très difficile de tolérer comme société.
La journée où on dira que cela ne se tolère plus, on ne verra plus ce genre de choses en public. Vous avez probablement tous fait l'expérience de voir, dans un endroit public, un parent user de violence sur un enfant. Je peux vous dire qu'on n'a pas beaucoup de moyens à notre disposition. Et la journée où la société interdira la correction physique à un enfant à des fins éducatives, on aura peut-être accompli quelque chose en tant que citoyens canadiens. On aura compris qu'on doit respecter les enfants et leur donner les mêmes droits que nous avons.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, nous poursuivrons notre étude du projet de loi demain matin, à 10 h 45 dans cette pièce. Les témoins représenteront le Conseil canadien des avocats de la défense.
En attendant, je vous remercie beaucoup. Cette réunion est terminée.
La séance est levée.