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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 18 - Témoignages du 15 mai 2008


OTTAWA, le jeudi 15 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), se réunit aujourd'hui, à 10 h 48, pour procéder à l'étude du projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-209.

Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par le sénateur Hervieux-Payette, qui a comparu devant le comité hier.

Ce matin, nous recevons M. Mark Lapowich du Conseil canadien des avocats de la défense, le CCAD. Bienvenue.

Mark Lapowich, Conseil canadien des avocats de la défense: Merci, madame la présidente, et merci à tous les membres du comité. Le Conseil canadien des avocats de la défense est extrêmement reconnaissant de cette invitation.

D'abord, je dois m'excuser. L'un de mes plus grands regrets, c'est que je parle très peu français, même si je suis né et que j'ai grandi dans ce pays. Par conséquent, je m'exprimerai en anglais.

Le sénateur Stratton: Si on vient de l'Ouest du Canada, on a le même problème.

M. Lapowich: C'est l'une des choses qui me gênent le plus.

La présidente: Vous avez tout à fait le droit de vous exprimer dans l'une ou l'autre des langues officielles.

M. Lapowich: Voilà pourquoi il fait bon vivre ici.

La présidente: Des arrangements sont pris dans le cas de personnes qui ne parlent que l'une des deux langues officielles.

M. Lapowich: Merci.

Comme beaucoup d'entre vous le savent peut-être, le CCAD est un conseil national formé de représentants de partout au pays. Nous sommes la voix nationale des avocats de la défense en ce qui concerne l'administration de la justice pénale, c'est-à-dire que nous exposons leur point de vue sur l'application régulière de la loi et son impact sur les personnes accusées. Dans cette optique, je ferai de mon mieux ce matin pour vous aider à comprendre une question en particulier, soit les conséquences juridiques et pratiques découlant de la suppression de l'article 43 du Code criminel.

J'aimerais tout d'abord souligner que les tentatives entreprises par le comité, ainsi que par d'autres comités, pour combattre la violence envers les enfants sont louables. Cependant, nous ne croyons pas que le projet de loi S-209 sera utile en ce sens. En fait, il pourrait nuire aux progrès qui sont réalisés actuellement. Je vais énumérer brièvement nos préoccupations et ensuite j'essaierai de répondre aux questions spécifiques que vous pourriez avoir.

Notre première et principale préoccupation, c'est qu'il n'est tout simplement pas nécessaire de supprimer l'article 43 pour lutter contre la violence envers les enfants, un problème bien réel. Souvent, nous sommes ici, pour parler de modifications législatives proposées au Code criminel. Plus souvent qu'autrement, on parle d'ajouter des articles au Code criminel, comme des nouvelles infractions, des peines minimales obligatoires, et cetera.

Nous venons ici la plupart du temps pour faire valoir qu'il n'est pas nécessaire de trop compliquer les choses lorsqu'elles sont déjà prévues dans d'autres articles du Code criminel. De même, nous croyons qu'il n'est pas nécessaire d'abroger l'article 43, car le genre de choses qui ont fait l'objet de discussions — et j'ai eu l'occasion d'écouter la diffusion Web de la réunion d'hier — le genre de violence et de sévices subis par les enfants sont traités adéquatement dans le Code criminel sous sa forme actuelle.

Selon l'interprétation qu'en ont fait les tribunaux, cet articlene sert absolument pas de bouclier à ceux qui maltraiteraient leurs enfants. Les dispositions du Code criminel permettent de réagir au genre de violence et d'agressions qui semble alimenter le présent débat. Le Conseil canadien des avocats de la défense n'accepte en aucun cas ce genre de violence. Toutefois, le fait est qu'il existe déjà un mécanisme solide permettant de punir ce genre de conduite.

Notre deuxième préoccupation, c'est qu'en abrogeant l'article 43, on supprime un moyen de défense valide. Ce moyen de défense est actuellement à la portée des parents et des enseignants qui font de leur mieux pour élever et éduquer des enfants dans un milieu familial ou scolaire stable, par le biais d'orientations et d'une utilisation appropriée de la discipline. Si l'article 43 était abrogé, il ne fait aucun doute que les dispositions du Code criminel sur les voies de fait s'appliqueraient aux parents ou aux enseignants qui font usage de la force contre un enfant sans son consentement. Je souligne également que le terme voie de fait a été interprété de manière générale par nos tribunaux, de façon à ce que tout contact non consensuel puisse constituer un emploi de la force intentionnel et, par conséquent, une voie de fait en vertu du Code criminel. Nous affirmons respectueusement que si l'article 43 est abrogé, l'interprétation large des voies de fait dans la loi aurait pour effet de criminaliser un comportement qui ne correspond pas vraiment à ce qui est habituellement considéré comme un châtiment corporel.

Comme je l'ai mentionné, j'ai eu l'occasion d'écouter la réunion d'hier. J'ai remarqué que beaucoup des questions avaient trait à la disponibilité d'autres moyens de défense prévus par la common law dans des situations qui, et tout le monde semblait s'entendre là-dessus, ne devraient pas engendrer une responsabilité criminelle. Toutefois, il importe de souligner que le moyen de défense de nécessité est fondé sur le caractère involontaire des actions d'une personne et a été interprété par les tribunaux de manière très restreinte.

La défense de minimis non curat lex n'est possible que pour les violations sans importance ou techniques de la loi. Nous croyons qu'elle n'offre pas le type de protection nécessaire pour les emplois valides de la force, notamment la contrainte raisonnable, comme le fait l'article 43. De plus, cette défense est aussi vague et difficile à appliquer pour les tribunaux, sinon plus, que le critère du caractère raisonnable compris dans l'article 43.

Notre troisième préoccupation, c'est qu'en supprimant l'article 43, nous courons le risque d'envahir les tribunaux de causes qu'il vaudrait mieux traiter à l'extérieur du système de justice pénale. Cela est à l'opposé des nombreux efforts qui sont actuellement déployés pour améliorer le processus grâce à une meilleure gestion des dossiers dès le début; par exemple, par le recours à une vérification préliminaire minutieuse des accusations afin que le système dispose des ressources nécessaires pour traiter les causes graves qui méritent d'être jugées en fonction de leur bien-fondé.

Notre quatrième préoccupation, c'est que bien que le droit pénal puisse jouer un rôle éducatif, d'autres tribunes permettront de répondre plus adéquatement à la nécessité d'informer et d'éduquer le public au sujet de ces préoccupations véritables et urgentes. De plus, lorsque l'article 43 est lu en parallèle avec les autres articles du Code criminel qui traitent de toutes les formes de voies de fait et la jurisprudence qui interprète ces articles, on voit bien la répulsion de la société canadienne à l'égard de l'utilisation de la force contre quiconque, notamment les enfants, sauf dans des circonstances extrêmement limitées.

En terminant, bien que je sois d'accord avec M. Bernstein, le protecteur des enfants de la Saskatchewan, sur le fait que le Canada doit être un chef de file mondial en ce qui a trait à la protection des enfants, je suis respectueusement en désaccord avec toute notion selon laquelle en n'abrogeant pas l'article 43, nous fermons les yeux en quelque sorte sur la violence à l'endroit des enfants et nous devenons une honte pour la communauté internationale. Le Conseil canadien des avocats de la défense voue une grande admiration à notre système de justice pénale. Nous sommes d'avis que l'article 43 constitue une approche canadienne unique à une question extrêmement difficile. Il permet un juste équilibre entre les intérêts variés et divergents de la société et favorise le respect de la règle de droit. Il a été rédigé pour tenir compte du fait que, malgré les bonnes intentions et les meilleurs efforts des législateurs, ils ne peuvent jamais prévoir toutes les situations qui peuvent survenir. De plus, notre pays jouit d'un système judiciaire très fort et le CCAD croit qu'ils continueront d'appliquer la loi de manière appropriée par rapport à ces questions difficiles.

Sur ce, je voudrais simplement souligner que j'ai lu la décision récente de la Cour suprême du Canada concernant la Canadian Foundation for Children, et que je suis prêt à répondre à vos questions. Nous croyons que la majorité a rendu une décision appropriée. Cette affaire présente une analyse détaillée des questions juridiques entourant l'article 43 du Code criminel — tout l'historique et les difficultés qu'il pose sont présentés dans la décision rendue à la majorité par la juge en chef McLachlin dans cette affaire. Nous croyons que c'était une bonne décision. Elle établit un juste équilibre, à la lumière de l'interprétation de l'article 43 dans la jurisprudence. Je comprends également qu'on pourrait me poser des questions au sujet de la récente affaire R. c. Swan et je suis prêt à répondre.

Je peux maintenant répondre à toute question spécifique que vous pourriez avoir. Je ferai de mon mieux pour vous aider. J'ai essayé de me documenter le plus possible en fonction du peu de temps à ma disposition. J'ai lu la décision de la Cour suprême du Canada au complet et, bien que je ne sois en aucun cas spécialiste de la décision, je peux essayer de vous aider. J'ai lu la décision R. c. Swan ainsi que d'autres affaires auxquelles elle fait référence et qui ont fait suite à la décision de la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Andreychuk: Je vais faire attention pendant ma première série de questions. Merci, monsieur Lapowich, d'être venu ici à si court préavis.

Vous dites que l'article 43 devrait demeurer inchangé et que, par conséquent, vous n'appuieriez pas le projet de loi S-209.

M. Lapowich: C'est exact.

Le sénateur Andreychuk: Vous dites qu'en aucun cas vous prônez le châtiment corporel ou l'utilisation de la violence. Vous indiquez que certaines mesures correctives devraient être permises aux enseignants, aux gardiennes et aux parents et que ces mesures représentent les valeurs de la société.

M. Lapowich: C'est exact. Je répète que nous n'approuvons pas les actes de violence commis envers les enfants. Certains des commentaires que j'ai entendus hier avaient trait aux problèmes de la violence contre les enfants, au fait que les enfants sont ceux qui méritent le plus d'être protégés dans notre société et qu'ils dépendent des adultes. Nous sommes d'accord avec ce principe. Nous affirmons que l'article 43 devrait demeurer au sein du Code criminel.

Nous croyons qu'il existe des situations dans lesquelles les moyens de défense prévus actuellement par la common law ne seraient pas disponibles pour les personnes qui utilisent des degrés de force appropriés. Je sais que beaucoup de ces mots sont lourds de sens quand on parle de voie de fait ou de violence. Cependant, nous considérons que les degrés de force appropriés correspondent à une certaine dose de force utilisée de manière corrective ou sous forme de contrainte raisonnable. Nous pouvons aborder certaines situations hypothétiques qui ont été soulevées et certaines différences.

À mon avis, cette défense pourrait s'appliquer dans plusieurs catégories. Commençons par le châtiment corporel. J'ai utilisé ce terme, selon ce que j'en comprends, dans le sens d'une action punitive prise contre quelqu'un sans aucune mesure corrective. Il est clair que cela a été jugé inapproprié. L'action corrective est l'utilisation d'une force minime dans un contexte disciplinaire, ou encore elle est utilisée pour la sécurité d'un enfant — ce qui selon moi est la question la moins controversée. Empêcher un enfant de courir dans la rue ou asseoir un enfant dans un siège d'auto contre son gré pour des raisons de sécurité en sont des exemples.

Cependant, il y a une grande zone grise entre ces deux exemples dans laquelle des préoccupations immédiates concernant la sécurité ou des situations d'urgence n'existent peut-être pas. L'affaire R. c. Swan en est un parfait exemple. Je ne crois pas nécessairement que les moyens de défense seraient disponibles en common law, certainement pas de minimis. Je ne crois pas que la nécessité s'appliquerait dans cette affaire. Il s'agissait d'une décision rendue sur appel; un juge d'un tribunal inférieur a condamné l'homme en fonction d'une certaine analyse d'une décision de la Cour suprême du Canada rendue en vertu de l'article 43.

Si on lit la décision rendue dans l'affaire R. c. Swan, on peut constater que le juge de première instance semblait vouloir bien faire et éprouvait de la sympathie pour cet individu, mais il sentait qu'il était contraint de s'en tenir à la décision de la Cour suprême du Canada. Il a reconnu l'individu coupable de voie de fait, mais il lui a accordé une absolution sous conditions au lieu de l'accabler par une déclaration de culpabilité et la honte d'être condamné.

Dans l'appel, on voit que le juge a eu maille à partir avec la question. Puis, le juge a déterminé qu'il s'agissait de l'une des affaires qui se retrouvait dans la zone grise où, peut-être, ni le principe de nécessité et ni le principe de minimis ne seraient disponibles. De toute évidence, les actions n'avaient pas pour but de punir l'enfant et ne résultaient pas de la colère, mais constituaient plutôt une mesure corrective; «corrective» dans le sens le plus large du terme, c'est-à-dire, essayer de la protéger, un parent qui s'efforce de faire la bonne chose, de protéger sa fille d'une situation dangereuse.

Une partie du problème concernant le fait de juger l'affaire selon les moyens de défense prévus par la common law, c'est qu'il se peut qu'il n'y ait pas eu de danger imminent à ce moment précis que la situation dégénère subitement. Toutefois, les deux juges ont convenu que la fille retournerait dans une situation où il y avait des risques. Les faits présentés dans cette affaire, dont je peux vous parler si vous le souhaitez, nous aident à faire la part des choses en ce qui concerne le degré de force qui a été utilisé — une force vraiment minime — et le préjudice qu'on essayait de prévenir, qui semblait très grave dans ce cas.

Il y avait des allégations de comportement violent de la part de ce petit ami, ainsi que des allégations d'usage de drogues. Ces allégations reposaient, semble-t-il, sur une preuve des plus solides, allant bien au-delà du fait que le père ait affirmé que le petit ami était violent. Dans le cas présent, on avait même une ordonnance antérieure de la Cour interdisant au petit ami et à la mère de communiquer avec la fille, puisque à quelques reprises, cette dernière était partie de chez elle pour aller vivre avec ce petit ami et la mère. Ceux-ci se trouvaient en quelque sorte à la cacher de ses parents et des autorités.

L'affaire R. c. Swan est l'un de ces cas où une analyse appropriée de l'article 43 fait ressortir cette défense de contrainte raisonnable qui n'existerait plus si nous enlevions cet article du Code criminel.

Le sénateur Andreychuk: Si nous l'enlevons du Code, nous nous retrouvons avec cette défense de nécessité et cette clause de minimis, qu'on ne pourrait plus alors, semble-t-il, évoquer dans l'affaire R. c. Swan dont vous avez parlé et, peut-être, dans d'autres cas aujourd'hui.

Si nous faisons disparaître l'article 43 pour aller de l'avant avec toute cette histoire d'attouchement sans consentement, on peut se demander comment il est possible, en droit, d'obtenir le consentement d'un enfant. Je comprends la jurisprudence dans le cas des adultes. Je crois que de bonnes décisions ont été rendues quant au consentement implicite dans le cas d'un adulte. Cela dépend du groupe d'âge auquel appartient la personne, et de sa capacité juridique. Nous avons réfléchi à cette question dans l'hypothèse où nous ferions disparaître cette défense dans sa forme actuelle.

M. Lapowich: C'est là que réside la difficulté quand on traite de la question du non-consentement à propos des enfants. Selon certains commentaires formulés dans la jurisprudence et certains sujets de préoccupation qui ont été exprimés, que je crois d'ailleurs tout à fait fondés, les enfants ne devraient pas être traités dans notre société comme étant en quelque sorte des citoyens de seconde classe, des mini-adultes ou des mini-êtres humains possédant moins de droits que nous.

Cependant, on constate que les enfants et les adultes ne traitent pas l'information de la même façon. Leur jugement diffère. Voilà ce dont il faut tenir compte dans une telle situation, et voilà pourquoi il est important que nous débattions de cette question. Au Canada, nous essayons de faire la part des choses.

Chez les adultes, et la jurisprudence est bien claire là-dessus, il est beaucoup plus facile de tracer la ligne entre le consentement et l'absence de consentement. Il est toujours possible d'invoquer en défense la croyance erronée au consentement. Lorsqu'on parle d'agression sexuelle ou de tout genre de contact physique — qui peut se limiter au fait de toucher à un genou, de serrer quelqu'un dans ses bras ou quelque geste de ce genre — ce principe est très bien défini et facile à appliquer pour les juges.

Cela devient beaucoup plus difficile, par contre, quand vient le temps de l'appliquer aux enfants. Il faut alors prendre en compte tous ces facteurs spécifiques — l'âge de l'enfant et son stade de développement — dans un contexte particulier. La grande importance de l'article 43 réside dans le fait qu'il constitue un cadre juridique à l'intérieur duquel le juge, appelé à se prononcer sur ce motif de défense soulevé, peut déterminer si la force utilisée était ou non raisonnable, compte tenu de tous ces éléments.

C'est une question difficile. J'ai deux jeunes enfants, l'un âgé de 3 mois, et l'autre de 3 ans. Ma fille de 3 ans commence l'école cette semaine. Ce matin, ma femme m'a appelé pour me dire qu'elle avait dû conduire à l'école ma fille, qui criait et se débattait. Il y avait absence de consentement. Pour ma fille, à ce stade-ci de son évolution — et c'est une enfant à l'intelligence vive —, la notion de consentement consiste à dire que cela était contre son gré: elle ne voulait pas aller à l'école. Cela était dû à l'angoisse de la séparation et tout le reste. Il ne lui arrive rien de mal à l'école. Toutefois, ma femme l'a effectivement mise dans l'auto, l'a attachée dans son siège et l'a amenée à l'école. Heureusement, avant que cette rencontre ne débute, j'ai reçu un autre appel pour me dire qu'elle était heureuse à l'école. Pour la première fois cette semaine, elle a levé la main et a répondu à une question devant la classe.

Mais revenons-en à l'extrême difficulté que pose cette question. Les juges se trouvent en effet aux prises avec une question extrêmement difficile lorsqu'ils doivent déterminer ce qui est raisonnable en l'espèce. C'est d'ailleurs ce que prévoit l'article 43, dans son libellé actuel, à la lumière de l'interprétation récente par la Cour suprême du Canada et des jugements qui ont suivi.

Toutefois, je comprends bien votre point de vue. Il est extrêmement difficile d'invoquer une défense de consentement tacite lorsqu'il s'agit d'enfants.

Le sénateur Baker: Votre fille est très intelligente.

Votre thèse est donc la suivante: Si on enlève l'article 43, les articles 265 et 266 s'appliqueront alors. Est-ce exact?

M. Lapowich: Tout à fait. C'est exact.

Le sénateur Baker: Je me rappelle qu'il y a bien longtemps — des dizaines d'années en fait — quand nous avons modifié l'article265 du Code criminel, notre attention était tournée vers ces voies de fait simples dont fait mention l'alinéa 265(1)b) et qui n'ont rien à voir avec les attouchements mais amènent la victime présumée à croire que la personne qui peut être sur le point de commettre des voies de fait par un acte ou un geste est en mesure de le faire. En d'autres termes, il n'est pas nécessaire que l'on touche comme tel à la personne. Il y avait crime si le présumé coupable posait un geste ou commettait un acte et que la victime présumée croyait, pour des motifs raisonnables, qu'il était en mesure de le faire.

Si vous dites que cela s'appliquerait aux cas dont nous sommes en train de parler, ce serait tout un changement. Ça serait extraordinaire.

M. Lapowich: Je suis d'accord. Je crois que c'est une situation problématique, étant donné que les dispositions relatives aux voies de fait au Canada ont été interprétées par les tribunaux — non seulement, sur le plan législatif, comme incluant les menaces et les gestes menaçants mais également les attouchements sans consentement de la manière la plus large possible.

Voilà qui témoigne d'un trait typiquement canadien, à savoir cette idée que nous nous soucions depuis longtemps de la dignité humaine, et que cela va plus loin que l'attouchement sans consentement, pour englober les gestes et les actes menaçants. Il y a des articles précis du Code criminel qui traitent des menaces. Encore une fois, quand une menace est proférée, c'est vers la croyance subjective de la victime présumée — le plaignant ou la plaignante en l'occurrence — que l'on se tourne pour voir si elle croyait que la menace était réelle et si elle craignait alors pour sa sécurité.

À mon sens, il ne fait aucun doute que, si l'on enlève l'article 43, les parents et les enseignants deviennent alors assujettis aux mêmes articles — soit les articles 265 et 266, ainsi que les autres articles du Code criminel — que n'importe qui d'autre dans notre pays. Quand on essaie de régler certains des points soulevés dans l'opinion minoritaire formulée dans le cadre du jugement rendu par la Cour suprême du Canada en 2004 — la décision Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général) —, il faut se demander si cela est important ou non, s'il y a lieu d'enlever cet article et de considérer que les dispositions relatives aux voies de fait s'appliquent aussi bien aux parents et aux enseignants qu'aux adultes dans leurs rapports avec d'autres adultes ou avec des enfants qui ne sont pas les leurs.

Les mesures de protection pour ces zones grises dont il est question ici ne sont pas suffisamment garanties par les moyens de défense prévus par la common law qui subsisteraient alors. Ces principes sont exposés et codifiés à l'article8 du Code criminel comme étant historiquement les moyens de défense prévus par la common law dont peuvent se prévaloir les personnes.

Notre crainte, c'est qu'il y aura peut-être des cas auxquels nous pouvons penser aujourd'hui qui passeront à travers les mailles du filet, et des cas non prévus qui tomberont sous le coup de la loi. Le problème sera de s'en remettre à la police, à la Couronne ou à quiconque se trouve en première ligne pour porter ou non des accusations, ou encore déterminer qu'il s'agit d'affaires qui peuvent être réglées par d'autres moyens plus appropriés, par exemple une intervention de la Société d'aide à l'enfance.

En tant qu'avocats de la défense, notre intérêt porte sur le Code criminel, les articles du Code criminel et le respect de la primauté du droit. Plutôt que de nous en remettre à la règle du pouvoir discrétionnaire ou à la discrétion de ceux qui sont susceptibles de soumettre des dossiers au système judiciaire, nous croyons que c'est un article qu'il convient de conserver en vue d'assurer le respect de la primauté du droit. Il établit de façon adéquate quelles sont les règles de base que les gens doivent suivre.

Le sénateur Baker: La première personne qui vous a posé une question a déjà été juge, et la suivante professeur de droit. J'imagine qu'il pense aux prolongements au-delà des simples voies de fait. Par exemple, une agression à l'aide d'une arme, à savoir un morceau de craie ou un crayon — se sert-on encore de craie?

Le sénateur Andreychuk: Vous venez encore une fois de révéler votre âge.

M. Lapowich: À savoir un pointeur laser?

Le sénateur Baker: C'est exactement cela.

En d'autres termes, si les mêmes critères que ceux que nous avons aujourd'hui étaient transposés dans la salle de classe, cela pourrait donner des résultats extraordinaires. Les cas d'agression armée sont nombreux; par exemple, des officiers de police qui allèguent l'agression armée quand quelqu'un s'approche d'eux en automobile et qu'ils doivent faire marche arrière à bord de leur véhicule pour s'écarter de son chemin. L'auteur d'un tel acte est alors accusé d'agression à l'aide d'une arme, à savoir, une automobile. Si vous transposez cela dans la salle de classe, cela pourrait donner des résultats extraordinaires.

Y a-t-il une autre façon de procéder? Il est indiscutable, dites-vous, que si l'on enlève l'article 43, c'est l'alinéa 265(1)b) du Code criminel qui s'applique. Vous êtes sûr de cela, c'est ce que vous avez dit.

M. Lapowich: Je ne peux pas voir comment il pourrait en être autrement. Le seul cas où cette disposition n'est pas opérante, c'est quand l'article 43 s'applique, sous réserve des moyens de défense dont disposent toujours en droit les personnes d'âge adulte accusées de voies de fait, d'avoir esquissé un geste de menace ou d'agression à l'aide d'une arme, quelle qu'elle soit — même un simple trombone. C'est peut-être n'importe quoi. La définition d'une «arme» englobe tout ce qui peut servir à cette fin.

Dans le langage ordinaire, quand les gens pensent à une arme, ils pensent aux objets qu'on associe normalement aux armes: une arme à feu, un couteau ou un bâton de baseball, bâton qu'on peut utiliser tout à fait légalement d'une part, et tout à fait illégalement d'autre part.

Oui, notre jurisprudence montre que tout peut servir à cette fin. Dans un cas donné, le crayon est un instrument pour écrire. Cependant, si je fais le geste de poignarder quelqu'un avec, il devient une arme.

Le sénateur Baker: Je m'interroge sur ce que vous avez dit il y a quelques instants: il se pourrait que l'on prenne d'autres mesures dans le cas d'un élève. Vous vouliez dire, j'en suis sûr, que cela serait le cas dans les situations sortant de l'ordinaire. Toutefois, si les éléments de l'infraction sont présents, la police aurait le devoir de porter des accusations dès qu'une plainte est formulée.

M. Lapowich: Si j'en crois mon expérience, la police a toujours la possibilité, au départ, de déterminer s'il y a lieu de déposer une accusation. Or, les policiers sont comme nous tous: il y en a des bons et il y en a des moins bons. Toutefois, de façon générale, j'ai énormément de respect pour nos forces policières. Jour après jour dans ce pays, elles accomplissent un travail difficile dans des circonstances encore plus difficiles.

Hier soir, j'ai reçu un appel urgent de l'un de mes clients. On alléguait qu'il ne respectait pas ses conditions. J'ai parlé à l'agent de police, qui a préféré avertir mon client plutôt que de l'arrêter. Il avait la possibilité de l'arrêter puisqu'il s'agissait d'une infraction au Code criminel. Toutefois, cet agent a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon que je trouve fort louable. Il a senti qu'un avertissement était suffisant et qu'il s'agissait peut-être d'un problème de santé mentale — qu'il valait mieux laisser aux mains des avocats et des intervenants en santé mentale — plutôt que de surcharger un système de justice qui croule déjà sous le fardeau.

Je n'ai pas nécessairement la prétention d'être un expert de la question consistant à déterminer quand la police se sent habilitée à exercer ce pouvoir discrétionnaire et quand elle n'a d'autre choix que de déposer une accusation. Cependant, toute allégation sérieuse d'agression par un enseignant à l'encontre d'un élève devrait entraîner l'obligation de déposer une accusation. Je crois qu'il serait très difficile pour un agent de police d'invoquer son pouvoir discrétionnaire pour ne pas porter d'accusation en pareil cas.

Le sénateur Oliver: Il ne reste pas grand-chose à dire après les questions détaillées du sénateur Baker.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez utilisé l'expression suivante: «utilisation appropriée de la discipline». Selon le jugement de la Cour suprême du Canada, l'article 43 s'applique seulement aux parents, bien que les enseignants puissent avoir recours à la force physique pour faire sortir un enfant de la classe ou pour s'assurer de son obéissance. Qu'entendez-vous par «force physique» dans ce contexte?

Le projet de loi avait fait naître chez vous quatre préoccupations. La deuxième se rapportait à l'élimination d'un moyen de défense valable.

Selon vous, quel type de force physique pourrait employer les enseignants pour faire sortir un enfant de la classe?

M. Lapowich: Parlez-vous des enseignants par opposition aux parents en particulier?

Le sénateur Oliver: Oui.

M. Lapowich: La jurisprudence est utile, comme dans le jugement de la Cour suprême du Canada, dans des situations où l'on fait sortir un élève perturbateur de la classe, qu'il s'agisse simplement de maintenir la discipline ou qu'il s'agisse véritablement d'une correction.

Tous les élèves ont le droit d'avoir un milieu d'apprentissage stable. Si un élève en particulier est hors de contrôle et dérange la classe, l'utilisation de la force physique pour faire sortir cette personne pourrait être une utilisation appropriée de la discipline en contexte scolaire.

Le sénateur Oliver: Pourquoi cette situation n'est-elle pas comprise dans l'article sur les voies de fait dont vous venez de discuter avec le sénateur Baker? S'il faut toucher l'enfant pour le faire sortir, pourquoi cette mesure n'est-elle pas régie par l'article sur les voies de fait, et quand peut-on dire qu'il s'agit d'une utilisation appropriée de la discipline?

M. Lapowich: Je dis qu'avec la suppression de l'article 43, ce genre de comportement serait considéré comme une voie de fait. C'est un contact non désiré. Un élève de 15 ans qui approche l'âge adulte comprend très bien ce à quoi il consent. Si l'élève ne veut pas se faire sortir mais continue à déranger la classe et que vous usez de force pour le faire sortir, les dispositions concernant les voies de fait s'appliqueraient sans doute. En supprimant l'article 43, on supprime le moyen de défense qui existe actuellement pour ce type de mesure corrective.

Le sénateur Oliver: Supposons que nous n'adoptons pas ce projet de loi. Que pourrait faire un enseignant pour séparer des élèves en utilisant la discipline appropriée?

M. Lapowich: L'exemple de l'élève indiscipliné qu'on fait sortir de la classe s'applique encore une fois. On pourrait aussi penser à une situation où un enseignant doit mettre fin à une bagarre dans la cour d'école, dans les cas où il n'est pas évident qu'on peut invoquer l'autodéfense ou la défense des autres, mais où la personne concernée croit qu'il est dans l'intérêt des élèves de mettre un terme à l'intimidation, aux batailles ou même parfois aux chamailleries anodines entre les élèves. Les jeunes pourraient échanger des coups sans le voir comme une bagarre, mais plutôt comme un jeu — un affrontement consensuel ou quelque chose du genre —, et un élève pourrait penser que ce n'est pas dans son intérêt que quelqu'un y mette fin. Pour ce type d'intervention, je crois que les dispositions sur les voies de fait s'appliqueraient, et le vide ne serait pas comblé par d'autres moyens de défense qui sont actuellement compris dans l'article 43.

Je suis certain qu'il existe d'autres situations auxquelles je n'ai pas pensé, ce qui explique en partie pourquoi je tiens à garder l'article 43; nous serons confrontés à des situations auxquelles nous n'avons pas pensé qui pourraient très bien tomber dans cette zone grise.

Le sénateur Stratton: Si on supprimait l'article 43, que se passerait-il si un élève indiscipliné qu'on a fait sortir de la classe en utilisant la force décidait de porter plainte? L'enseignant serait-il accusé?

M. Lapowich: C'est une possibilité. Ça dépend de l'élève en question et de la façon dont il décide de réagir à la situation. Une plainte pourrait être déposée parce que l'élève en a parlé à ses parents à la maison. Les parents croient que l'enfant a été maltraité à l'école et se plaignent au responsable de l'établissement. Dans un autre cas, un élève pourrait porter plainte directement; une fois dans le bureau du directeur, l'enfant pourrait se plaindre qu'on l'a amené là contre son gré. Nous n'avons pas de prise sur ce genre de chose. Par la suite, on décidera d'appeler ou non la police pour porter plainte selon les circonstances — qui se sent lésé et quelle est la gravité de la situation.

Le sénateur Stratton: Vous avez l'impression que l'article 43 donne un certain degré de protection aux enseignants et aux établissements scolaires.

M. Lapowich: Oui.

Le sénateur Stratton: Sans l'article 43, si l'élève porte plainte seulement pour jouer au fauteur de troubles, est-ce que ça signifie que la police doit s'en mêler?

M. Lapowich: C'est toujours une possibilité, et c'est l'un des dangers. Ça a toujours été inhérent au droit pénal. Nous traitons avec des gens qui, selon nous, ont été injustement accusés d'infractions, car il arrive souvent que des accusations soient portées pour des motifs cachés.

Il s'agit peut-être d'un cas où un élève, qui est bien informé sur ses droits et sur la loi, veut en profiter pour déranger et peut créer une situation où quelqu'un lève la main sur lui. L'élève se sert ensuite de la situation pour causer des problèmes à l'enseignant ou à l'école.

Le sénateur Stratton: Ce serait mieux de garder l'article 43, n'est-ce-pas? C'était ma question.

La présidente: C'est bien ce que je pensais. C'est ce qu'on appelle avoir un esprit de déduction.

Le sénateur Merchant: Je vais poser une question. Ça peut me prendre un peu de temps pour la mise en contexte, mais essayez de me suivre.

Dix-huit pays d'Europe ont formellement interdit tout châtiment corporel à l'endroit des enfants dans leurs lois et ont révoqué tout moyen de défense fondé sur une punition raisonnable. Je vais vous lire la liste de ces pays: la Suède, la Finlande, la Norvège, l'Autriche, Chypre, le Danemark, la Croatie, la Bulgarie, la Lettonie, l'Allemagne, l'Islande, la Roumanie, l'Ukraine, la Hongrie, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne. À l'extérieur du continent européen, on compte Israël, la Nouvelle-Zélande, l'Uruguay, le Venezuela et le Chili.

Il est parfois possible d'apprendre quelque chose des mesures prises par d'autres pays. J'espère que nous aurons la chance d'écouter quelqu'un qui vient d'un de ces pays pour comprendre pourquoi ils avaient l'impression que c'était nécessaire d'adopter une telle loi et comment ils ont pu la mettre en application — comment ils ont sensibilisé les parents, et cetera.

Si vous aviez l'occasion de réfléchir à cette situation et de poser des questions à ce sujet, que nous conseilleriez-vous de vérifier?

M. Lapowich: Je ne prétends pas être un spécialiste du droit comparé ou du droit international. Je n'ai pas eu assez de temps pour obtenir des renseignements constructifs concernant les systèmes de justice pénale des pays que vous avez mentionnés.

Je n'arrive pas à trouver la référence. Je crois que c'était dans une des décisions minoritaires du jugement de la Cour suprême du Canada — peut-être celle du juge Binnie, mais j'ai du mal à la trouver. Dans cette affaire, on mentionne le fait que d'autres pays ont aboli toute forme de châtiment corporel.

Il y a une note précise dans la décision — qui renvoie à la Suède, je crois — qui indique qu'on a dû avoir des renseignements sur le fonctionnement des lois relatives aux voies de fait en Suède. D'après le commentaire qui a été fait, je déduis que leurs lois en la matière étaient peut-être beaucoup plus limitées que les nôtres.

Pour faire suite aux commentaires et aux préoccupations énoncés plus tôt au sujet de nos lois sur les voies de fait, qui ont une portée très large, je souligne qu'il est possible que les lois des pays qui ont interdit toute forme de châtiment corporel ne s'appliquent pas aux situations dont nous discutons. J'utiliserais ce genre de statistiques avec prudence et je vous encourage vivement à consulter davantage les autres pays pour connaître le contexte dans lequel ils évoluent et s'assurer qu'on compare bien des pommes à des pommes et non des pommes à des oranges.

Le sénateur Di Nino: En faisant de brèves recherches sur le sujet — car j'ai reçu la documentation hier seulement et je n'ai pas pu venir à la séance d'hier en raison d'un engagement envers un autre comité —, j'ai remarqué que j'avais très peu entendu parler de l'impact que l'abrogation de l'article 43 pourrait avoir sur la société.

Je me suis occupé des scouts pendant de nombreuses années. Quand on a modifié certaines lois relatives aux agressions sexuelles, je crois, le nombre de bénévoles chez les scouts a baissé de façon vertigineuse, et c'est une tendance qui s'est répandue dans tout le pays.

Les bénévoles étaient préoccupés lorsque nous avons modifié certaines lois, car dans les faits, ils risquaient d'être accusés. Il n'est pas nécessaire d'être condamné; une accusation de cette nature est en elle seule très grave. J'ai participé de près ou de loin à toutes sortes d'activités dans le domaine: moniteur de camp, groupes paroissiaux, scouts et guides, garderies. Bien évidemment, nous parlons ici des parents et des enseignants, mais les mesures que nous envisageons toucheraient également les autres personnes qui travaillent avec les enfants. Est-ce exact?

M. Lapowich: Voici quelques éléments liés à cette question. Je vais me restreindre aux limites étroites de l'article 43 et de son objet. Cet articlene vise que les parents, les instituteurs et les personnes qui, selon la loi, ont exactement le même rôle qu'un parent: un beau-parent ou le principal responsable des soins de l'enfant.

La Cour suprême du Canada n'a pas rendu un jugement unanime. En fait, un des dissidents — dissident en partie — aurait gardé l'article 43 pour ce qui est des parents mais aurait enlevé la mention concernant les instituteurs en s'appuyant sur le fait qu'il existe des différences qualitatives entre ces deux groupes.

Cela dit, l'article 43 n'est pas conçu pour entraîner la baisse d'enthousiasme dont vous avez parlé, qui se manifeste lorsqu'on change les règles chez les bénévoles et les gens qui se trouvent en position de confiance envers des enfants — ou envers qui que ce soit, d'ailleurs. C'est donc une préoccupation valable et un aspect à prendre en considération. Je ne sais pas si ça s'applique à la question de savoir si l'article 43 devrait être abrogé.

Toutefois, compte tenu de ma formation en droit pénal et de mon expérience de la défense d'accusés, je prends bien note de votre argument. Nous traitons régulièrement ce genre d'affaires. Une simple accusation suffit pour porter préjudice à nos clients, particulièrement si l'affaire défraie la chronique. Les gens se souviennent toujours de l'article à la une sur une accusation d'agression sexuelle. Personne ne se souvient de l'acquittement qui arrive deux ans plus tard après le procès.

Le sénateur Di Nino: C'est une tache qui salit la réputation et affecte la personne concernée pour la vie.

M. Lapowich: Je prends bonne note de l'argument, mais je le répète, je ne sais pas si ça s'applique à l'abrogation possible de l'article 43.

Le sénateur Di Nino: La correction raisonnable ou le moyen de défense prévus par l'article 43 ne s'appliquent pas aux autres personnes travaillant avec des enfants, n'est-ce pas?

M. Lapowich: Non, l'article s'applique uniquement aux parents, aux instituteurs et à toute personne qui remplace le père ou la mère.

Le sénateur Milne: Monsieur Lapowich, vous dites que les enfants ne devraient pas être considérés comme des citoyens de seconde classe ou comme des mini-adultes. Cependant, comment conciliez-vous cette idée avec le fait que le Conseil de l'Europe a établi la Convention relative aux droits de l'enfant? Le Canada y souscrit et doit la mettre en œuvre dans les délais prescrits. Comme l'a fait remarquer le sénateur Merchant, 18 pays d'Europe ont interdit ce genre de comportement. On peut aussi y ajouter la Grande-Bretagne, qui fonctionne selon un système de common law duquel découle notre propre système.

Je crois que les moyens de défense de common law fondés sur le principe «de minimis» s'appliqueraient aussi bien ici que là-bas. Pourquoi est-ce que ça fonctionne là-bas et non pas ici?

M. Lapowich: Je vais répondre à votre question de différentes façons sans être vague. Tout d'abord, je ne prétends pas connaître exactement les lois de la Grande-Bretagne relatives aux voies de fait. Nous avons des racines communes pour ce qui est de la common law, et ils ont peut-être les mêmes moyens de défense prévus par la common law que nous. Je ne sais pas comment leurs tribunaux interprètent les lois particulières au pays ni s'il existe des différences d'un point de vue législatif. Il faudrait que je fasse des recherches sur ce point, et quelqu'un d'autre est peut-être mieux placé que moi pour le faire.

Cela dit, j'aimerais faire observer que, pour ce qui est de prendre au sérieux nos obligations qui découlent des conventions et des traités internationaux que nous avons signés, la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur cette question dans son jugement de 2004, la décision de la majorité rendue par la juge en chef McLachlin. On renvoie tout particulièrement à ces conventions et traités.

Je comprends que nous avons jusqu'en avril 2009 pour adopter une loi qui vise à protéger les enfants et énonce des principes clairs, mais la juge en chef McLachlin a conclu que notre législation actuelle prévoit déjà des mesures à cet égard. De plus, ce n'est pas un dossier où nous avons manqué le bateau ou dans lequel nous intervenons trop tard. Nous ne serons pas en retard sur les 18 autres pays dans ce dossier. Il faut comparer attentivement les systèmes dans leur totalité pour savoir ce qu'ils prévoient en ce qui concerne les voies de fait.

La juge en chef McLachlin a clairement défini les conventions et le langage à utiliser et elle y a fait référence. Non seulement a-t-elle constaté — et ce n'était pas l'objet de sa décision — que nous honorions peut-être finalement notre part de l'entente, pour ainsi dire, par rapport aux traités internationaux, mais aussi que ces traités que nous avons conclus et signés font partie de l'analyse de l'article 43 effectuée par un juge, qui établit ce qui correspond à l'emploi d'une force raisonnable.

En tenant compte de ce qui est clairement énoncé et condamné par les traités internationaux, les juges peuvent mieux définir la notion de force raisonnable.

Le sénateur Milne: Je me demande donc pourquoi la Nouvelle-Zélande a adopté cette approche et a condamné cette façon de punir les enfants, alors que son système découle également de la common law britannique.

M. Lapowich: Je ne connais pas très bien le système néo-zélandais. Je ferais attention, cependant. Nous, les avocats, cherchons toujours le mot juste. Je veux que ce soit bien clair aujourd'hui: je ne suis pas pour des comportements abusifs ou pour des punitions infligées dans l'unique but de punir. L'une des particularités les plus importantes — que le Canada reconnaît —, c'est qu'une partie du système porte sur le motif justifiant le recours à la force.

La Cour suprême du Canada et la juge en chef McLachlin ont établi très clairement les lignes directrices. Il est inacceptable de punir pour punir, par colère, sans avoir l'intention de corriger, sans agir par amour ni pour favoriser le développement adéquat, la discipline, le respect de soi-même et des autres et tout ce que nous voulons transmettre à nos enfants — ce qui nécessite un certain degré de discipline. Il ne faut pas se servir de cet article pour tout excuser. La personne qui revient à la maison après une mauvaise journée au travail et qui s'en prend à son enfant simplement parce qu'il a renversé du lait n'est pas visée par l'article 43 et ne devrait pas l'être, à mon humble avis.

Lorsqu'on parle de «punir pour punir», il faut déterminer si le motif — un facteur qui a causé des problèmes aux juges dans certains dossiers — est de corriger un comportement pour la raison valable d'assurer la sécurité de l'enfant et d'instaurer un milieu qui lui est favorable, et non uniquement de punir, ce qui est permis dans ce cas. C'est admis non seulement en vertu de nos lois, mais également des normes internationales.

Le sénateur Milne: Je ne pensais pas relater d'anecdotes personnelles, mais je me rappelle le jour où je conduisais sur une autoroute à voies multiples, quand mon fils de deux ans assis à mes côtés — à l'époque où le port de la ceinture de sécurité n'était pas obligatoire — a ouvert la porte de la voiture. Je l'ai agrippé et j'ai réussi à ranger la voiture sur le côté de la route. Je me suis rendu de l'autre côté du véhicule, j'ai sorti mon fils et je lui ai donné une fessée, là, sur le bord de l'autoroute. Aurais-je été accusé de quoi que ce soit?

Le sénateur Andreychuk: Vous auriez dû l'être. La fessée est un châtiment corporel.

Le sénateur Milne: Je l'admets, et c'est un geste que je regrette profondément. Je dois cependant préciser qu'il ne l'a plus jamais refait.

M. Lapowich: Puis-je vous offrir ma carte d'affaire? Si vous recevez un appel ce soir, suivez mon conseil: vous avez le droit de garder le silence. Ne parlez pas à la police. Appelez-moi, et laissez-moi prendre le dossier en main.

Le sénateur Mercer: Après avoir plaidé votre cause, vous abandonnez la partie.

La présidente: Le Comité des Nations Unies des droits de l'enfant a déclaré à maintes reprises que le Canada doit abroger l'article 43. Son rôle consiste à examiner les conséquences des lois comme celle-ci. Cela donne généralement lieu à une plaidoirie efficace en leur faveur lorsqu'elles sont remises en cause. Je crois que le deuxième rapport de ce comité a été produit à la suite de la décision rendue dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général) — je n'en suis pas certain, mais je pense que c'était le cas.

N'est-ce pas notre responsabilité en tant que pays de nous conformer aux engagements internationaux que nous avons pris et d'accepter ce qui équivaut à une directive de la part des organismes que nous entendons appuyer et respecter?

M. Lapowich: En effet. Je suis convaincu que c'est notre devoir. C'est à cela que servent les traités et les conventions. Je ne connais pas précisément la recommandation formulée dans ce rapport ni le moment où il a été produit. Il faudrait que je me penche sur la question ou que je laisse quelqu'un d'autre y répondre. Je ne cherche pas à l'esquiver.

Pour en revenir au point précédent, je dirais que l'article 43, tel qu'il est formulé, soulève des préoccupations et est depuis longtemps au cœur de nombreux débats, selon l'interprétation de nos tribunaux. Je crois qu'il respecte les normes internationales à l'égard de la protection des enfants.

Vous nous avez raconté l'incident où vous avez donné la fessée à votre enfant sur le bord de la route, un geste que vous avez posé une fois dans votre vie et que vous regrettez, mais dans l'ensemble vous êtes un bon père de famille. Une certaine force est nécessaire dans le cas d'un enfant indiscipliné, même s'il est en punition sur sa chaise. Je pourrais décider de ne pas frapper mon enfant parce que j'estime que c'est ce qu'il convient de faire et que la violence est inacceptable, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du domicile familial. Je ne veux pas frapper mon enfant, ni le gifler, ni lui donner un coup de poing. Il est toutefois nécessaire d'avoir recours à des moyens pour corriger le comportement. Même si l'enfant quitte sa chaise de punition, il faut l'obliger à y rester, ce qui exige l'emploi d'une force minimale.

À mon humble avis, les mesures législatives telles qu'énoncées par la Cour suprême du Canada permettraient de remplir non seulement les obligations sur la scène nationale, qui font l'objet de notre débat d'aujourd'hui, mais également celles qui sont établies à l'échelle internationale. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi certains de ces pays sont allés jusqu'à interdire l'usage de la force quel qu'en soit le degré et peu importe la situation.

Le sénateur Milne: Si la décision de la Cour suprême rendue par la juge en chef McLachlin s'applique à toutes ces situations, rien n'empêche alors le Canada de signer la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant dès aujourd'hui.

M. Lapowich: Je n'en suis pas si certain. Je ne suis pas un spécialiste du droit international.

Après avoir examiné la jurisprudence canadienne, les décisions de la Cour suprême du Canada et la façon dont la juge en chef McLachlin s'est servie des traités internationaux, je ne peux imaginer que nous transgressions ces traités. Je m'étonne que ce point figure dans la décision de la majorité.

Le sénateur Baker: Le sénateur Andreychuk a consacré beaucoup de temps au cours des trois dernières années à étudier comment intégrer la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant dans les lois canadiennes. C'était extrêmement difficile. Je faisais partie du comité lorsqu'il est allé en Europe. Nous avons découvert qu'un seul pays au monde a intégré la Convention dans sa législation: la Norvège.

Le sénateur Andreychuk: Oui. Ce n'est pas le cas de la Suède.

Le sénateur Baker: Je tiens à souligner que nous avons un expert au sein du comité en la personne de la juge Andreychuk, qui a fait un travail remarquable pour trouver une façon d'intégrer aux lois canadiennes la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Je suis désolé, mais je ne crois pas que le comité ait trouvé un moyen de le faire.

La présidente: Je siégeais également au comité à l'époque, et je peux affirmer qu'il a recommandé l'abrogation de l'article 43 en accordant un délai de grâce pour permettre à des programmes très intensifs d'éducation et autres de préparer la voie.

Ma prochaine question porte sur un témoignage concernant une version précédente de ce projet de loi; c'était un projet de loi identique, mais le comité pouvait prendre en considération des éléments de preuve présentés par des comités qui l'avaient déjà étudié. Le témoignage en question était celui de Cheryl Milne, avocate-conseil pour Justice for Children and Youth. Elle analysait l'argument selon lequel il n'y aurait pas de moyens de défense adéquats et que les seuls moyens de défense possibles seraient fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis si l'article 43 était abrogé. Elle a fait valoir qu'il y avait d'autres moyens de défense possibles. Elle a affirmé que les moyens de défense énoncés dans le Code criminel actuel permettent d'avoir recours à la force dans les situations suivantes: pour empêcher la perpétration des infractions visées à l'article27; par légitime défense, aux termes de l'article34; pour défendre d'une attaque une autre personne, selon l'article37; et pour défendre ses biens, selon l'article38.

Êtes-vous d'accord avec le fait que ces moyens de défense seraient accessibles?

M. Lapowich: Non, pas dans certaines des situations dont il est question ici. La Cour suprême du Canada n'a pas abordé ce point dans la décision qu'elle a rendue en 2004. Elle a fait référence aux moyens qui sont souvent invoqués et qui s'appliqueraient dans le plus grand nombre de cas, soit les moyens fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis. Selon le point de vue, il pourrait être possible d'invoquer ces moyens de défense. À notre humble avis, cependant, ils ne pourraient servir dans un grand nombre de situations. C'est là le danger de modifier le Code criminel. On court ce risque en procédant à l'abrogation de l'article 43.

Des moyens comme la légitime défense, la défense des autres et la défense des biens ne pourraient pas être invoqués dans bon nombre des situations dont il est question aujourd'hui.

Le sénateur Joyal: Ma question va dans le sens de la recommandation formulée par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne en avril 2007. Le comité recommande l'abrogation de l'article 43 d'ici avril 2009, ce qui laisse donc un peu de temps. Toutefois, la question de la présidente a soulevé le point le plus important, c'est-à-dire la recommandation figurant à la page71 du rapport, qui prévoit ce qui suit:

Une analyse devant être menée par le ministère de la Justice afin de déterminer si les moyens de défense existants de la common law, comme ceux fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis, doivent être expressément accessibles aux personnes accusées d'agression contre un enfant.

Selon mon interprétation, cette recommandation laisse entendre que les moyens de défense de la common law doivent être expressément accessibles. Il faudrait modifier l'article266 du Code criminel pour qu'il prévoie ces moyens de défense dans les cas de contrainte. Dans sa recommandation, le comité a reconnu un problème que la suppression de l'article 43 ne permettrait pas de résoudre. C'est ce que j'ai cru comprendre, mais je peux faire fausse route.

M. Lapowich: J'aurais tendance à être de votre avis sur ce point.

Le sénateur Joyal: Dans le projet de loi, il est uniquement question d'une abrogation, sans plus. Si on abroge l'article 43, je crains que l'on doive se rabattre sur l'article266. Il faudrait l'interpréter afin de régler des cas comme l'affaire R. c. Swan. Ce cas vous est-il familier?

M. Lapowich: Oui, sénateur, je le connais bien.

Le sénateur Joyal: Il me semble que l'abrogation de l'article 43 créerait un vide. Comment peut-on le combler de manière à respecter en partie l'objectif que le parrain du projet de loi cherche à atteindre par l'abrogation de l'article 43, sans toutefois causer d'autres problèmes que nous n'avons pas envisagés et pour lesquels nous n'avons prévu aucune solution dans le projet de loi?

M. Lapowich: Je suis tout à fait d'accord. Dans ma déclaration préliminaire et dans mes réponses, j'ai fait valoir que la suppression de l'article 43 laisserait un vide. Les articles qui traitent des attaques sont d'ordre très général et s'appliquent à des comportements très variés. L'affaire R. c. Swan en est un parfait exemple.

Nous pouvons peut-être en trouver d'autres. Nous pourrions nous asseoir ensemble pendant un bon moment sans parvenir à envisager toutes les situations possibles. C'est là que se situe le problème d'abroger l'article 43 et de tenter de le remplacer par une mesure plus efficace.

Je sais que je me répète, mais le CCADP, en affirmant que l'article 43 ne doit pas être abrogé, ne se trouve pas à accepter les actes de violence commis à l'endroit des enfants. M. Trudell est venu ici récemment discuter du projet de loi sur les attentats suicides et il était d'avis que, dans certaines circonstances, le système de justice pénale, le Code criminel et le droit pénal canadien sont utilisés à des fins éducatives. Dans cette situation précise, il n'y a pas lieu de supprimer un moyen de défense qui est actuellement accessible dans les situations où il s'y prête, selon nous. Certains des autres travaux du comité, auxquels on a fait référence et dont je ne suis pas au courant, indiquent que des mesures importantes peuvent être prises à l'égard d'autres lois qui permettront de respecter les conventions internationales pouvant s'appliquer à notre objectif d'assurer la protection des enfants. Cependant, nous sommes d'avis que l'abrogation de l'article 43 n'est pas la voie à suivre pour y arriver. Il serait inutile de trouver une nouvelle formulation ou de modifier l'article266, ou encore d'ajouter un tout nouvel article. Un moyen tout à fait valable de remédier au problème serait de laisser l'article 43 tel qu'il est formulé actuellement, selon l'interprétation de la Cour suprême du Canada, et considéré comme constitutionnel dans les situations où on peut l'invoquer. J'estime que nous ne transgressons pas les conventions internationales à cet égard, bien que je ne sois pas un expert en la matière.

Le sénateur Joyal: Merci pour cette réponse.

Selon votre recommandation, le ministère de la Justice Canada devrait entreprendre une analyse pour déterminer si les moyens de défense de common law devraient être rendus expressément disponibles, car il n'est pas certain qu'ils le sont, selon ce que je comprends. Je n'étais pas présent mais les sénateurs Andreychuk et Fraser ont participé à cette discussion. À ce qu'il me semble, lorsqu'il a rédigé cette recommandation, le comité a réalisé que ces moyens de défense devraient être disponibles pour le jugement de certaines affaires. Avant de mettre aux voix le projet de loi, il faudrait que nous obtenions la conclusion de l'analyse qui a été effectuée pour savoir si le moyen de défense est disponible et dans quelles circonstances il l'est. Nous saurions alors comment il convient d'aborder le problème soulevé relativement au moyen de défense existant, selon la jurisprudence qui a cours au moment où nous parlons.

M. Lapowich: Comme je l'ai mentionné plus tôt — c'était en votre absence — une des idées que je défends — et je la répète pour que vous soyez bien au fait du contexte — est qu'il y aurait des vides juridiques. Cela suppose que des vides relatifs aux moyens de défense de common law qui ont été mentionnés, soit les moyens de défense fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis.

Cela étant dit, je ne prétends pas avoir passé la question en revue de façon exhaustive en à peu près un jour, depuis que j'ai été invité à comparaître. Cette question est traitée dans la décision de la Cour suprême du Canada; la juge en chef McLachlin aborde la question d'un vide qui ne serait pas comblé par ces moyens de défense de common law, et elle indique que ceux-ci ne seraient pas adéquats pour régler un grand nombre des problèmes qui ont été soulevés et pour traiter certaines affaires liées à des conduites qui seraient permises, aux termes de l'article 43.

Le sénateur Joyal: Merci pour ces éclaircissements. Cela nous aide à comprendre les conséquences de la suppression d'un article du Code ainsi que les répercussions sur un autre article lorsque l'on procède à une telle suppression. Vous êtes un professionnel à ce chapitre.

M. Lapowich: Un grand nombre de conséquences non désirées s'ensuivront certainement. Notre perspective quant au droit criminel a toujours été que s'il n'y a pas de problème, il ne faut rien changer. Il faut être vigilant lorsque l'on commence à modifier les articles du Code criminel, car il y a des interactions.

Le sénateur Andreychuk: Le Comité des droits de l'homme s'en est tenu à son mandat, soit les droits de l'homme. Il s'est montré très sensible au fait que nous avons un Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et que nous ne siégions pas au Comité des droits de l'homme pour apporter une expertise concernant la législation en soi ou pour discuter expressément de cette question. Ce qui nous intéressait, c'était la législation sur les droits de la personne. Au cours de notre étude, la question du châtiment corporel a été soulevée. Les membres du comité se sont prononcés unanimement contre les châtiments de cette nature. C'est la notion de châtiment corporel qui a alimenté notre discussion. Au cours de notre étude, le châtiment corporel et l'article 43 en sont venus à se confondre, et discuter de l'article 43 ou du châtiment corporel revenait au même. C'est ainsi que les discussions ont été menées lors du forum international.

Après y avoir réfléchi, plusieurs témoins ont cependant souligné par la suite que, même si on interprétait généralement l'article 43 comme un article portant sur le châtiment corporel, il avait une portée plus vaste, c'est-à-dire que les moyens de défense qui en découlent ne se limitent pas à rendre légitime le recours au châtiment corporel. Si on supprimait la notion de châtiment corporel, il restait quelque chose.

Il y a également eu des discussions au sujet des moyens de défense. Nous ne nous sommes pas attardés là-dessus parce que notre étude avait déjà duré un certain temps — et les experts ne s'y sont pas attardés non plus. C'est au ministère de la Justice qu'il revenait d'office de se pencher sur cette question. Le Comité des affaires juridiques n'avait réalisé aucune étude à ce sujet et il était surchargé de questions d'ordre législatif, sans quoi nous aurions pu suggérer qu'il se penche sur la question. Ainsi, l'abrogation de l'article 43 s'inscrit dans le contexte de l'ensemble des documents qui traitent du châtiment corporel, mais elle nous amène à nous dire: «Un instant, il y a un problème en ce qui concerne les moyens de défense pour les parents et l'intérêt des enfants.»

Il serait intéressant que le cas de la Nouvelle-Zélande soit décrit dans notre documentation. Au moment où nous nous sommes réunis la dernière fois pour examiner le projet de loi dans la perspective des droits de la personne, la Nouvelle-Zélande était en train d'abolir le châtiment corporel. Les parlementaires néo-zélandais étaient, comme nous le sommes, fermement déterminés à interdire les châtiments corporels, afin de se conformer au droit international, mais également parce que c'est ce qu'ils souhaitaient faire. Cependant, les parlementaires ont pris conscience du problème et ils ont commencé à prévoir des exceptions à la loi. Ils ont mis en place des moyens de défense, comme peut le faire un comité. Il y a aujourd'hui un débat sur la question de savoir si c'est la bonne façon de procéder. Si je pense à un exemple comme l'affaire R. c. Swan, ça sera une exception. Si vous pensez à une autre affaire, ça sera également une exception. Nous devrions faire savoir qu'il y a un modificatif dans la loi néo-zélandaise, comme dans la loi suédoise, selon ce qui nous a été rapporté; d'après moi, il doit y en avoir un dans la loi des 18autres pays. Je ne crois pas que nous ayons fait cette recherche.

Le sénateur Baker avait raison. L'analyse comparative que nous souhaitions faire concernait la manière dont les autres pays avaient intégré la convention à la loi. On nous avait dit que l'exemple à suivre était celui de la Suède. Nous nous sommes rendus en Suède et nous avons constaté que la convention n'avait pas été intégrée à la loi mais, à notre grande surprise, la Norvège l'avait fait — à l'initiative des parlementaires, en passant.

La présidente: Aviez-vous une question?

Le sénateur Andreychuk: Oui. En tant qu'avocat, les cas pour lesquels on vous approche sont ceux où des accusations ont été portées. Est-ce de cette façon que vous en êtes venu à vous intéresser à cette question — c'est-à-dire, dans un cas donné, quels sont les moyens de défense possibles? —, ou l'avez-vous examinée dans une perspective plus vaste?

M. Lapowich: Vous parlez de mon témoignage d'aujourd'hui?

Le sénateur Andreychuk: Oui.

M. Lapowich: J'ai adopté ces deux approches. J'essaie d'apporter mon aide, pas seulement à titre d'avocat de la défense au criminel, mais il est certain que nous voulons pouvoir recourir à tous les moyens de défense disponibles, dans l'intérêt de nos clients. Cependant, c'est la raison pour laquelle j'ai répété que nous ne sommes évidemment pas en faveur de la violence contre les enfants. C'est dans cette optique plus large que je m'exprimais.

Cela étant dit, pour ce qui est du traitement de ces affaires, c'est l'une des approches qui peut être adoptée. Nous prenons plusieurs facteurs en considération lorsque quelqu'un est inculpé d'un crime de ce genre. L'une des premières choses que nous faisons est de nous asseoir avec le client, de discuter des détails de l'affaire et de déterminer si un moyen de défense peut être invoqué. Cela enlève une corde à notre arc, assurément, mais les commentaires que je formule ne sont pas seulement dictés par les motifs stratégiques d'un avocat de la défense. Nous croyons qu'il y a de bonnes raisons des points de vue politique, juridique et pratique, et que le vide dont nous avons parlé est comblé par l'article 43. Il ne faut rien changer.

Le sénateur Baker: J'ai une très brève question ainsi qu'un commentaire à ajouter aux observations du sénateur Andreychuk. La Norvège a fait cela en incorporant la convention à sa charte, qui est comparable à la Charte canadienne des droits et libertés. Ils ont ajouté une phrase qui indique que les dispositions de la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant doivent être respectées sous le régime du droit norvégien. La Norvège a fait cela dans une perspective différente de celle que nous avons adoptée relativement au rapt d'enfants international, lorsque nous l'avons intégrée à nos lois provinciales concernant les enfants.

Le problème, en ce qui concerne les conditions d'application des articles 265 et 266 de la loi actuelle, ce n'est pas seulement la dimension physique, mais également la représentation mentale de la victime du délit allégué — je parle du cas où un enfant aurait raisonnablement lieu de croire que la personne est en mesure actuelle de commettre des voies de fait; c'est qu'il y aurait toute sorte de problèmes dans les cas où des instituteurs en position d'autorité seraient en mesure d'infliger des punitions de cette nature. Il sera très difficile de défendre une personne inculpée d'un tel crime si la représentation mentale de la victime présumée est un élément capital de l'alinéa 265(1)b) du Code criminel — ce qui est le cas.

M. Lapowich: Je suis d'accord; il y a un problème. Ces articles ont une portée étendue, et c'est ainsi qu'ils ont été interprétés.

La présidente: Pour les sénateurs que ça intéresse, j'ai à nouveau entre les mains les dispositions de la loi néo- zélandaise. Y a-t-il des intéressés? Le paragraphe59(2) de la loi de 2007 modifiant la loi sur les crimes (substitution de l'article59) dit qu'il n'y a rien au paragraphe(1) ni dans aucune règle de common law qui justifie le recours à la force à des fins de correction. Le paragraphe59(1) explique ce qui suit:

Tout parent d'un enfant ou toute personne faisant office de parent d'un enfant est fondé à avoir recours à la force si la force utilisée est raisonnable compte tenu des circonstances, et si elle a pour fin:

a) de prévenir les préjudices que peut subir un enfant ou une autre personne, ou de les minimiser;

b) d'empêcher l'enfant d'entreprendre ou de poursuivre des activités qui constituent des infractions criminelles;

c) d'empêcher un enfant d'adopter ou de continuer d'afficher un comportement répréhensible;

d) d'exécuter les tâches quotidiennes normales qui sont inhérentes à des soins adéquats et au rôle de parent.

J'ai toujours trouvé l'alinéa c) étrange. Il y a également une phrase fourre-tout qui réaffirme que la police a le pouvoir discrétionnaire de ne pas intenter de poursuites dans les affaires mineures. Je vous dit cela à titre informatif seulement.

Le sénateur Milne: J'ai lu la décision rendue par la Cour suprême.

La présidente: La décision rendue dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général)?

Le sénateur Milne: Oui, la décision de 2004 rendue dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général). Au deuxième paragraphe de la page9 de la décision, on peut lire ceci:

Vu qu'il est inconstitutionnellement imprécis, l'art. 43 ne peut satisfaire à l'exigence de la restriction prescrite par une «règle de droit» prévue à l'article premier de la Charte ni au volet de l'atteinte minimale que comporte le critère de l'arrêt Oakes et ne peut donc pas être sauvegardé en application de l'article premier. L'invalidation de l'art. 43 pour cause d'imprécision est la réparation la plus convenable, étant donné que c'est le législateur qui est le mieux en mesure de revoir cette disposition imprécise et controversée. Elle n'exposera pas les parents et les personnes qui les remplacent à l'application systématique du droit criminel pour le moindre geste qui constitue, strictement parlant, des voies de fait. Les moyens de défense de common law fondés sur la nécessité et le principe «de minimis» protègent suffisamment ceux et celles, parmi eux, qui adoptent un comportement excusable ou anodin.

La présidente: C'est un extrait de l'opinion dissidente de la juge Arbour?

Le sénateur Milne: Oui.

Le sénateur Baker: Non, il s'agit d'un résumé de l'opinion dissidente, ce qui ne correspond pas à l'opinion dissidente en soi.

La présidente: Merci pour cette correction. Ce que je voulais souligner, c'est que cela est tiré d'une opinion dissidente.

Le sénateur Baker: C'est un extrait d'une opinion dissidente qui a été formulée.

M. Lapowich: Le sénateur Baker soulève un bon point. Nous devons être vigilants lorsque nous utilisons des notes liminaires ou des résumés des affaires. L'un des problèmes que pose l'affaire R. c. Swan, c'est que, comme le juge d'appel l'a mentionné, le juge s'est peut-être reporté au résumé, et non au texte entier et à ses centaines de paragraphes. Encore une fois, l'interprétation d'une personne qui ramène à deux ou trois fragments des centaines de paragraphes éloquents peut occasionner des problèmes.

Le sénateur Merchant: On a mentionné hier qu'une version antérieure de ce projet de loi avait été examinée, peut- être même par ce comité, et que le comité l'avait adopté. J'imagine que c'était avant que la Cour suprême rende sa décision?

La présidente: Non, notre comité a examiné le projet de loi, mais je crois que le Parlement a été dissous ou prorogé avant l'étape de l'étude article par article. Le Comité des droits de l'homme a adopté le projet de loi sans amendement il y a environ un an.

Le sénateur Merchant: Si c'était il y a un an, c'était après que la Cour suprême eut rendu sa décision.

La présidente: Oui, c'est exact. Il a été adopté avec dissidence. C'était après que notre comité ait procédé à son examen antérieur du projet de loi. Qu'on me corrige si je me trompe, mais je crois qu'un certain amendement a été apporté au projet de loi pour remédier à certains problèmes soulevés par notre comité. Cela concernait le délai d'entrée en vigueur prévu dans le projet de loi lui-même, délai dont l'objectif était de rendre possible le genre d'étude et de travaux d'éducation du public que tous — y compris le Comité des droits de l'homme — estimaient nécessaires. Les dispositions du projet de loi prévoient qu'il n'entrera pas en vigueur avant l'expiration d'un délai d'une année. Ce délai a été prévu pour tenir compte de certains problèmes soulevés par notre comité. Il figurait déjà dans le projet de loi lorsque celui-ci a été présenté au Comité des droits de l'homme.

Le sénateur Merchant: Merci de cette précision.

Le sénateur Joyal: Monsieur Lapowich, j'aimerais revenir sur la recommandation que j'ai lue. Dans cette recommandation, on demande au ministère de la Justice de mener une analyse afin de déterminer si les moyens de défense existants de la common law, comme ceux fondés sur la nécessité et sur le principe «de minimis», doivent être expressément accessibles. Si le comité utilise le terme «comme», ça signifie qu'il y aurait d'autres moyens.

La présidente: Y compris ceux prévus à l'article 43.

Le sénateur Joyal: Quels sont les autres moyens de défense qui seraient inclus?

M. Lapowich: Nous en avons parlé plus tôt, et Mme la présidente a expliqué qu'un autre témoin a indiqué devant le comité qu'il faudrait peut-être inclure d'autres moyens de défense, tels que la légitime défense — il ne s'agit pas nécessairement de moyens de défense prévus par la common law; en fait, certains sont prévus au Code criminel. Ça nous renvoie à la question de savoir comment nous pouvons traiter le dossier dans la pratique et s'il faut respecter la recommandation ou si la méthode actuelle, soit l'application de l'article 43 et l'interprétation de la jurisprudence, qui s'y rapporte, constitue une meilleure façon d'examiner la situation.

Si l'on prend l'exemple de la Nouvelle-Zélande, cette recommandation suggèrerait d'abroger toutes les dispositions relatives aux moyens de défense prévues dans la loi actuelle ainsi que dans les autres lois canadiennes, puis de tenter d'établir, de façon codifiée, des lignes directrices définissant les situations dans lesquelles les moyens de défense devraient être accessibles pour tout emploi de la force. Ce qu'on a lu relativement à la loi adoptée par la Nouvelle- Zélande peut devenir très problématique du fait que, dans la reformulation de l'article, on tente d'inclure tous les éléments auxquels on pense à ce moment-là et, on l'espère, tous ceux auxquels on peut penser en cours de route, et il est possible qu'on en oublie.

Dans la décision de la Cour suprême du Canada, une des juges, la juge Arbour — et le sénateur Milne a fait référence à cette partie du résumé de la décision —, estime que la loi est d'une imprécision inacceptable. Selon nous, si l'article 43 du Code criminel est efficace, c'est en partie parce qu'il n'est pas d'une imprécision inacceptable. Il est rédigé de façon à prendre en considération le fait que, avec le temps, les normes de la société changeront et deviendront acceptables.

Une multitude de circonstances doivent être prises en compte dans chacun des cas, y compris l'âge de l'enfant et son niveau de développement. Il serait donc vain de tenter de rédiger un texte de loi qui engloberait tous ces éléments. Cependant, si on laisse le texte quelque peu imprécis — sans qu'il soit d'une imprécision inacceptable —, nos tribunaux seront donc chargés d'interpréter la nature de ces moyens de défense et ce qui est raisonnable dans une situation donnée.

Une partie du débat à la Cour suprême du Canada portait sur la difficulté d'interpréter le caractère raisonnable. Dans sa décision, la juge en chef McLachlin explique que c'est une notion que nous connaissons en droit criminel et qui est utilisé tout le temps. L'imprécision de cette notion donne du fil à retordre, mais on l'interprète quotidiennement. Par exemple, lorsque les agents de police doivent décider de porter des accusations, ils doivent avoir des motifs raisonnables et probables pour le faire. La jurisprudence les aide à cet égard.

Le sénateur Joyal: Merci de votre réponse. Vous avez abordé quelques points dont je voulais parler.

Si nous offrons des moyens de défense comme ceux qui sont fondés sur la nécessité et sur le principe de minimis, ceux que nous envisageons doivent tenir compte de la décision de la juge en chef McLachlin dans l'arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), et de ce qu'elle a établi au paragraphe59 à la page46:

Cependant, l'art. 43 garantit aussi que le droit criminel ne sera pas appliqué dans le cas où l'emploi de la force fait partie d'un effort véritable d'éduquer l'enfant, s'il ne présente aucun risque raisonnable de causer un préjudice qui ne soit pas purement transitoire et insignifiant et s'il est raisonnable dans les circonstances.

En fait, les moyens de défense que nous proposons doivent tenir compte de ça, pour réaffirmer ces points. C'est ainsi qu'on empêcherait tout recours à l'article portant sur les voies de fait sans qu'il soit possible de réintroduire dans ces moyens de défense exactement les limites établies à l'article 43.

M. Lapowich: Je répondrais que vous n'avez pas besoin de le faire. Vous n'avez pas besoin de légiférer. Je répète qu'il y a la loi des conséquences imprévues. C'est exactement de cette façon que la Cour suprême du Canada encadre l'utilisation de l'article 43.

Le sénateur Joyal: Si nous devions abolir l'article 43 du Code criminel, comme le propose le présent projet de loi, nous devrions faire en sorte que, à l'article266, les éléments qui, encadrent l'article 43 soient accessibles en vertu de l'article266 pour empêcher que celui-ci soit utilisé de façon contraire à l'objectif visé. C'est alambiqué, mais je crois que vous me comprenez.

M. Lapowich: Ça rejoint ce que je dis, c'est-à-dire que nous ne devons pas abroger l'article 43 et que le projet de loi S-209 ne doit pas être adopté.

Le sénateur Joyal: C'est votre point de vue, mais j'essaie d'analyser les recommandations du rapport du Comité des droits de la personne. Cette question ne mène nulle part.

Le sénateur Andreychuk: Le Comité des droits de la personne n'était pas au même point que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Les membres du Comité réagissaient aux renseignements qu'on leur avait donnés, c'est-à-dire qu'il y a des moyens de défense établis par la common law et d'autres articles applicables du Code criminel. Cependant, ils ont lancé un avertissement selon lequel l'abrogation pourrait engendrer un problème, et ils ont affirmé qu'ils effectueraient une étude pour tenter de le définir. Il se peut que nous ne l'ayons pas mis à la bonne place, et peut- être que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aurait dû faire l'étude. Nous ne l'avons pas fait; l'avertissement a été lancé, et c'est un problème, peu importe à quel point le paragraphe est mal formulé.

Le sénateur Joyal: Je vais reformuler ma question.

Est-ce que les deux moyens de défense, soit celui fondé sur la nécessité et celui fondé sur le principe de minimis couvrent tous les aspects mentionnés à l'article 43?

M. Lapowich: Non, ils ne couvrent pas tout.

Le sénateur Joyal: C'est une réponse très importante parce que nous devons trouver une porte de sortie.

M. Lapowich: J'aimerais préciser les choses. La juge en chef McLachlin aborde également la question dans la décision. Pour votre information, il s'agit du paragraphe44 de la décision. Il y avait des opinions dissidentes. Lorsqu'elle s'est exprimée au nom de la majorité, la juge en chef McLachlin a été en mesure de constater que, dans sa décision, la juge Arbour se penchait sur certaines des préoccupations sur lesquelles était axé leur désaccord.

Voici ce qu'on peut lire à la fin du paragraphe:

Enfin, la juge Arbour affirme que les parents qui feront l'objet d'accusations criminelles après avoir employé la force pour infliger une correction pourront invoquer les moyens de défense fondés sur la nécessité et le principe de minimis. Je conviens qu'il est possible d'invoquer la nécessité comme moyen de défense, mais seulement dans les cas où il n'est pas question de force employée pour infliger une correction, notamment dans celui où il s'agissait de protéger un enfant contre un danger imminent. Quant au moyen de défense fondé sur le principe «de minimis», il est aussi, sinon plus, imprécis et difficile à appliquer que le moyen de défense fondé sur le caractère raisonnable que prévoit l'art. 43.

Elle a abordé la question, et elle a explicitement dit qu'elle et les autres juges ne croyaient pas que ça couvrait tous les aspects. C'est la décision de la majorité.

Le sénateur Joyal: Ça permet de mieux comprendre la question à laquelle nous nous attaquons. Le Comité des droits de la personne a mis le doigt sur un réel problème. Le sénateur Andreychuk est très fier du fait que, même si le Comité n'a pas voulu scruter la question, il a quand même cerné clairement le problème.

Le sénateur Andreychuk: Pour être juste à l'endroit du Comité, nous analysions la convention et nous étions très préoccupés par les châtiments corporels.

La présidente: Nous touchons maintenant à un point qui a été traité plusieurs fois ce matin.

Le sénateur Andreychuk: C'est un point avec lequel nous sommes aux prises.

La présidente: J'aimerais prendre du recul pour peut-être examiner l'article 43 du point de vue de ceux qui s'y opposent. Il m'a toujours semblé, mais j'aimerais avoir vos commentaires sur le sujet, que l'expression qui pose problème dans l'article 43, c'est «pour corriger» — à employer la force pour corriger, pas pour retenir. Je crois que tout le monde conviendra que, dans la vraie vie, il est parfois nécessaire d'employer la force pour retenir un enfant, et souvent, plus il est jeune, plus c'est nécessaire —, pas toujours, mais souvent. Corriger signifie punir.

Le sénateur Baker: Vraiment?

M. Lapowich: Je vais essayer de répondre. Vous avez abordé la question à la réunion d'hier, et j'ai eu le temps d'y réfléchir.

Comme c'est une question complexe, le Parlement a eu de la difficulté à établir les bons termes à utiliser pour cet article. Il a arrêté son choix sur «corriger». On parle de comportements correctifs, où corriger signifie redresser par opposition à punir. Ça renvoie à un élément qui est selon moi clairement défini dans la jurisprudence: tout type de force ou tout type de violence employée à des fins punitives, sans conséquences positives. Une fois de plus, ça nous ramène au motif, soit l'application de mesures correctives au cours du développement de l'enfant afin de lui enseigner les comportements adéquats à adopter pour avoir une vie adulte saine et de bonnes relations. «Correctif» est le mot que le Parlement a choisi, pour le meilleur ou pour le pire. Lorsqu'on se fonde sur la jurisprudence, il est aujourd'hui clair qu'il ne s'agit pas uniquement de punir. C'est pourquoi je suis revenu sur la question plus tôt et que mes commentaires allaient dans ce sens. Le comité précédent parlait d'abolir les châtiments corporels, et on entend une fois de plus parler des conventions internationales et de ce que les autres pays ont fait.

Je ne suis pas spécialiste en droit international, mais il me semble que le rôle de parent en Norvège, en Suède ou partout ailleurs dans le monde est le même qu'ici, et que, dans chacun de ces pays, il existe des dispositions semblables, que ce soit des dispositions dans la common law ou des mesures codifiées, pour traiter ces situations. Il semble que, dans une certaine mesure, la majorité des gens dans cette pièce conviennent — et c'est souvent difficile pour nous d'y arriver lorsque de telles questions sont débattues — que certains éléments ne devraient pas relever du droit criminel ni s'immiscer dans la vie familiale ou le système d'éducation.

La présidente: C'est pourquoi la Nouvelle-Zélande est un exemple si intéressant. Bien que l'administration du pays ait eu des difficultés, comme le sénateur Andreychuk l'a judicieusement souligné, à trouver la bonne formulation pour les exceptions nécessaires, elle a aussi catégoriquement établi que la violence peut être utilisée pour corriger un enfant.

M. Lapowich: C'est exact. On revient donc de nouveau à la question de savoir comment interpréter le mot «corriger». Entre autres choses, le Sénat doit définir, et les autres comités le peuvent aussi, des aspects politiques généraux. Par exemple, quelle est la tribune la plus adéquate pour envoyer le message? Quelques questions politiques de plus grande envergure font actuellement surface, et, encore une fois, elles sont toutes louables. C'est à nous et à notre pays de transmettre un message éducatif aux collectivités et de fournir aux parents les ressources nécessaires afin qu'ils comprennent. Il ne faut pas non plus oublier toutes les études auxquelles vous avez fait référence hier sur le fait que la violence employée à la maison entraîne la violence dans le futur. À titre d'avocat de la défense au criminel, même si je ne veux pas manquer de travail, il est certain que je ne veux pas que des personnes de 16 à 19 ans viennent me trouver parce qu'elles sont aux prises avec le système de justice pénale en raison de ce qui leur est arrivé à la maison quand elles étaient jeunes.

Cela étant dit, à mon humble avis, ce n'est pas le bon outil à utiliser pour respecter les conventions internationales, pour montrer au monde que nous prenons la question au sérieux et pour sensibiliser le public au problème réel et pressant de la violence envers les enfants. Ce faisant, on se retrouve avec des conséquences imprévues. On traite d'une loi nationale spécifique qui porte sur un moyen de défense particulier dont la constitutionnalité a été confirmée par la Cour suprême du Canada. Ça porte sur des difficultés que rencontre la Nouvelle-Zélande, ou un autre pays, lorsqu'il s'agit d'utiliser les bons termes. Nous sommes d'avis que si c'est ainsi qu'on l'interprète, malgré les mauvaises interprétations qui en ont été faites dans le passé, ce que la majorité a reconnu dans sa décision — il y a des exemples d'affaires que les gens peuvent considérer comme choquantes, mais que la défense a remportées —, eh bien, cette interprétation a été circonscrite et restreinte par la décision de la Cour suprême du Canada. Pour la question qui vise uniquement à déterminer si nous devons abroger l'article 43, nous en revenons au principe fondamental.

Le sénateur Joyal: Si on reformulait le passage qui dit «pour corriger» afin qu'on comprenne qu'il s'agit de la notion de contrainte, croyez-vous que cela pourrait fonctionner?

M. Lapowich: Je crois que nous aurions les mêmes difficultés que si nous disions «pour corriger», peut-être, quand on pense à ce que cela inclut. Dès qu'on commence à utiliser de nouveaux termes qui, à notre avis, correspondent à ce que nous voulons dans la zone grise, comme «contrainte», on risque d'omettre des types de comportement qui ne seraient pas inclus dans le concept de «contrainte».

Si je dis ce qui me vient à l'esprit quand vous parlez de «contrainte», je dirais à prime abord que ce terme n'engloberait pas tout. Évidemment, si on changeait la terminologie, il faudrait mener beaucoup plus de consultations, à mon humble avis. C'est ce que font les comités, et nous sommes heureux d'avoir l'occasion de témoigner. Il faudrait bien d'autres consultations à propos des conséquences de l'utilisation de termes particuliers et de leur efficacité pour véhiculer toutes ces notions. À notre avis, il faudrait être extrêmement prudent sur ce plan, et nous revenons à notre hypothèse de départ, c'est-à-dire que nous ne croyons pas que ce soit nécessaire, compte tenu de l'interprétation de l'article 43 dans la jurisprudence.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous. Si on pense au terme «correction», chacun de nous a une expérience personnelle. Nous avons tous été des enfants et des adolescents, et nous savons tous ce qu'une «correction» implique. Nous avons été élevés à une période où la «correction» avait un sens particulier.

Le mot «correction» comporte un aspect punitif. Avec le mot «contrainte», on place moins l'accent là-dessus, mais je conviens qu'on ne peut pas procéder à un tel changement sans d'abord l'évaluer. J'essaie de voir si on peut atteindre l'objectif visé par le parrain du projet de loi en modifiant l'article 43, et en supprimant de cet article ce qui semble être une excuse pour le recours à une force non restreinte — et je pense ici à la violence, évidemment.

M. Lapowich: Le problème, c'est de savoir si le terme «contrainte» a une assez grande portée. Du point de vue de la discipline, d'une discipline appropriée, j'entends, lorsque nous parlons de retirer un enfant de sa classe ou de certains gestes disciplinaires posés par des parents, il serait faux de nier l'existence d'un aspect punitif. Je crois que c'est pour cela qu'on a choisi le terme «corriger». Ce terme comporte un aspect punitif, mais le but n'est pas de punir purement et simplement.

Il y a une différence entre les châtiments corporels et la cruauté, et toutes les études mentionnées réfutent le mythe que la crainte de ses parents entraîne le respect. Si on change le libellé et qu'on ne parle plus de correction mais de contrainte, il se peut qu'on omette des éléments. Nous ne croyons pas qu'il faut permettre de frapper les jeunes avec des ceintures et des règles, et accepter des punitions comme celles qui existaient il y a 50 ans. Toutefois, encore de nos jours, il y a des situations où les parents doivent discipliner leur enfant et où un certain recours à la force ou une certaine punition sont nécessaires pour corriger son comportement. Il ne s'agit pas de punir pour punir, mais pour corriger un comportement, et même s'il faut recourir un peu à la force et que cela peut poser problème, c'est de corriger le comportement qui est le plus important.

C'est ce que rend l'expression «mesure raisonnable», et c'est pourquoi c'est un concept juridique. Les juges doivent bien réfléchir à ce concept pour l'appliquer, mais nous sommes convaincus que les juges canadiens sont capables de trancher. Dans l'affaire R. c. Swan, est-ce que la force employée était raisonnable? Est-ce que cela allait au-delà de la contrainte, et est-ce que l'élément «punition» était présent? La jeune fille en question a probablement senti qu'elle était punie. Elle était à une fête, elle ne voulait pas rentrer à la maison et elle ne voulait pas aller dans la voiture, donc, il y a un aspect punitif ici. Toutefois, le tribunal a reconnu que les gestes en cause n'avaient pas été posés dans le seul but de punir. Les parents ont agi ainsi pour tenter de corriger un comportement qui, à leurs yeux, plaçait leur fille en danger.

Finalement, la nuance est subtile. La formulation actuelle, ou quelle qu'elle soit, sera problématique, c'est le cas quand on pense à l'interprétation de la Cour suprême du Canada, et ce sera le cas pour les tribunaux à qui cette question sera soumise. La formulation actuelle convient mieux que l'autre option, soit tenter de trouver une terminologie qui pourrait apporter aussi son lot de problèmes.

Ces discussions sont importantes, et le travail du comité est extrêmement important. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir invités à nous prononcer sur cette question. Ce débat est utile en soi, mais quand on pense aux conséquences juridiques, et même seulement aux répercussions du retrait de cet article sur le plan pratique, ce n'est pas la bonne façon de faire passer le message.

La présidente: Merci beaucoup. Cette séance a été extrêmement intéressante. Il y a vraiment matière à réflexion.

M. Lapowich: En effet. Je vous remercie.

Le comité suspend ses travaux.


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