Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 19 - Témoignages du 28 mai 2008
OTTAWA, le mercredi 28 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 31, Loi modifiant la Loi sur les juges, se réunit aujourd'hui à 16 h 7 pour procéder à l'étude du projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Aujourd'hui, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles commence son étude du projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur les juges.
[Français]
Nous avons le plaisir d'accueillir le premier témoin, l'honorable Robert Douglas Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Monsieur le ministre, pardonnez-nous, vous allez voir que les sénateurs font leur arrivée petit à petit. C'est parce que le Sénat vient de terminer sa séance. Sachant que votre temps est limité, j'ai cru bon commencer tout de suite même si les membres du comité ne sont pas tous arrivés.
[Traduction]
Soyez le bienvenu, monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir. Je crois que vous avez une déclaration à faire.
L'honorable Rob Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. C'est avec plaisir que je présente le projet de loi C-31, qui modifie le paragraphe 24(3) de la Loi sur les juges de façon à permettre la nomination de 20 juges supplémentaires aux cours supérieures de première instance au Canada. Il n'est toujours pas possible d'augmenter les effectifs des tribunaux de première instance sans modification législative. Notre projet de loi permettra 20 nominations de plus par l'augmentation du nombre maximal de traitements autorisée par le paragraphe 24(3), ce nombre passant de 30 à 50.
Les nouveaux juges seront nommés aux cours supérieures des provinces du pays. À d'autres occasions, j'ai déclaré que ce projet de loi est simple puisqu'il ne modifie qu'une seule disposition de la Loi sur les juges. Cependant, il est vrai que la rédaction de cette mesure législative a été simple, mais l'incidence du projet de loi l'est moins.
On vous a déjà dit que la modification proposée permettra l'atteinte de deux objectifs importants liés à l'accès à la justice au pays. Quatorze des 20 nouveaux juges seront nommés dans six provinces ayant demandé des effectifs supplémentaires en raison des pressions auxquelles sont soumises les cours supérieures.
Au cours des cinq dernières années, l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve- et-Labrador et le Nunavut ont remis au ministère de la Justice des documents détaillés décrivant le nombre de causes à entendre et les retards que connaissent les tribunaux de première instance, surtout en droit de la famille. Ces exposés de faits et de statistiques prouvent que les familles, les enfants et d'autres ont un problème réel et de plus en plus urgent à accéder au système de justice.
Quatorze nouveaux juges répondront précisément aux besoins clairement justifiés de ces tribunaux que les gouvernements et juges en chef de ces provinces ont signalés à notre gouvernement.
Cela ne signifie pas toutefois que le gouvernement refuse d'envisager l'ajout de ressources judiciaires supplémentaires là où on pourra prouver, grâce à des preuves objectives, qu'un besoin véritable existe. J'ai indiqué aux procureurs généraux et aux juges en chef que je suis disposé à recevoir les demandes des provinces qui continuent de vouloir accroître les effectifs de leurs tribunaux. Les propositions qui décrivent en détail les indicateurs quantitatifs et qualitatifs des besoins des cours en question seront examinées attentivement et prises en compte lorsque de nouvelles occasions de modifier la Loi sur les juges se présenteront.
Pour l'instant, je suis heureux que le gouvernement ait, sans tarder, répondu aux besoins que les six provinces avaient cernés et justifiés. Tous les juges en chef et les procureurs généraux m'ont fait part de leur satisfaction à l'égard de cette initiative. Ils souhaitent que les nouveaux juges accèdent à leurs fonctions le plus tôt possible et que nous fassions tout en notre pouvoir pour accélérer le processus. Je compte donc procéder aux nominations le plus tôt possible après l'adoption de ce projet de loi pour aider ces tribunaux.
J'espère pouvoir compter sur l'appui des sénateurs pour que le projet de loi soit adopté dans les meilleurs délais et que les cours surchargées de travail puissent disposer de plus de ressources pour répondre aux besoins des Canadiens.
Vous savez sans doute qu'une autre raison nous incite à adopter cette mesure législative sans délai. La modification proposée vise un autre but; elle contribuera à établir le nouveau tribunal des revendications particulières au moyen du projet de loi C-30, Loi sur le Tribunal des revendications particulières.
Je crois savoir que le Sénat tiendra une audience sur cette mesure législative ce soir et que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien comparaîtra devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour expliquer en détail son projet de loi.
Aux fins de notre discussion d'aujourd'hui, j'aimerais vous expliquer comment les nominations qui seront faites aux termes du projet de loi-C-31 contribueront à l'établissement du nouveau tribunal. Aux termes du projet de loi, les membres du tribunal seront choisis parmi les juges des cours supérieures, et ce, afin que le processus soit juste et indépendant. En faisant appel aux juges des cours supérieures de première instance des provinces, on fera en sorte que le tribunal puisse entendre les causes dans la région touchée par la revendication. D'après une analyse des revendications existantes qui a été faite par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le tribunal aura besoin de l'équivalent de six juges à temps plein pour s'acquitter de sa charge de travail.
Comme je viens de l'indiquer, les cours supérieures des provinces fonctionnent actuellement à pleine capacité. Les juges en chef ne seront donc pas en mesure de libérer des juges pour qu'ils puissent siéger au tribunal des revendications particulières si on ne leur accorde pas des effectifs supplémentaires. En conséquence, nous proposons que les six autres nouveaux juges soient nommés aux cours supérieures des trois provinces où ont été présentées le plus grand nombre de revendications et dont les causes sont les plus complexes. Il s'agit de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec.
On ne prévoit pas nommer ces six nouveaux juges au tribunal des revendications particulières. Cette possibilité n'est pas exclue, mais il est plus probable que des juges déjà en place et ayant des connaissances d'experts dans des domaines pertinents tels que le droit des Autochtones et d'expropriation seront appelés à siéger au nouveau tribunal.
Le projet de loi-C-30 prévoit la création d'une liste d'au plus 18 juges. On s'attend à ce que les juges du tribunal ne consacrent qu'une partie de leur temps aux affaires liées aux revendications particulières et qu'ils puissent ainsi continuer d'exécuter leurs fonctions régulières de juge.
Il va sans dire que le président du tribunal des revendications particulières et les juges en chef des cours intéressées devront collaborer étroitement pour gérer de façon efficace et efficiente les dossiers du tribunal. On veut créer ce tribunal pour améliorer et accélérer le règlement des revendications particulières à l'échelle du pays. L'Assemblée des Premières Nations et le gouvernement sont impatients de mettre sur pied le tribunal, et je suis certain que tous les membres du comité partagent cet objectif.
Encore une fois, je demande aux sénateurs d'accorder la priorité au projet de loi C-31 afin que de nouveaux juges puissent aider les familles, les enfants et les peuples autochtones du Canada. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
J'ai omis d'indiquer que je suis accompagné de représentants du ministère de la Justice : Judith Bellis, David Near et Catherine McKinnon.
La présidente : J'ai aussi omis de le faire. Judith Bellis est avocate générale et directrice des affaires judiciaires et des politiques des tribunaux judiciaires et administratifs. David Near est conseiller à la magistrature au cabinet du ministre. Catherine Mckinnon est avocate au Service des affaires judiciaires, des cours et des tribunaux administratifs. Veuillez m'excuser de ne pas vous avoir présentés dès le début. Nous sommes tous heureux de vous accueillir.
Merci de vos remarques, monsieur le ministre. Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Andreychuk : Il ne sera pas facile pour nous de vous poser des questions, car nous sommes arrivés avec un peu de retard. La séance du Sénat s'est prolongée et on vous a demandé de faire vos remarques avant notre arrivée.
Ce projet de loi est extrêmement important. Il semble simple à première vue, puisqu'il prévoit simplement qu'on augmente le nombre de juges. Toutefois, j'aimerais en savoir plus sur les consultations.
J'ai moi-même été juge. Je sais que les juges sont toujours débordés de travail.
Vous avez déclaré avoir eu des discussions intensives avec les ministres, et cetera. Avez-vous consulté seulement les ministres ou comptez-vous sur eux seuls pour vous donner toutes les informations qu'il vous faut sur les services qu'ils doivent dispenser?
Quand on ajoute un poste de juge, on doit aussi prévoir l'ajout de services de traduction, de transcription et autres. Je présume que les négociations sont complexes et dépendent souvent des ressources dont les provinces doivent disposer pour assumer leur responsabilité constitutionnelle une fois que les juges exercent leurs fonctions.
M. Nicholson : Cela ne fait aucun doute. Peu de temps après mon arrivée au poste de ministre de la Justice, les procureurs généraux des provinces m'ont parlé de la nécessité de créer de nouveaux postes de juges des cours supérieures.
Ils ont présenté des arguments convaincants. Voilà en effet un certain temps que le nombre de juges n'a pas été augmenté. La population du pays a aussi augmenté et le système judiciaire du Canada doit répondre à une demande accrue.
Nous devons donc l'aider à répondre à cette demande. Les procureurs généraux des provinces m'ont dit clairement qu'ils appuieraient cette initiative. J'ignore quels sont les témoins que vous entendrez, mais je sais que bien des procureurs généraux ont très bien accueilli ma proposition. Je crois savoir que le procureur général du Nouveau- Brunswick témoignera sous peu devant votre comité.
Mais nous ne nous arrêtons pas là. Je sais que le ministère étudie attentivement les statistiques, les besoins, et cetera. Peut-être que Catherine Mckinnon pourrait vous en dire plus long.
Catherine Mckinnon, avocate, Affaires judiciaires, des cours et des tribunaux administratifs, ministère de la Justice Canada : Comme l'a indiqué le ministre Nicholson, nous travaillons avec nos homologues des provinces pour concevoir des indicateurs statistiques détaillés pour étayer les demandes de ressources additionnelles. Les fonctionnaires des provinces recueillent des informations auprès des cours et des juges en chef, car ce sont justement eux, avec les ministères provinciaux de la Justice et les tribunaux, qui disposent de ces données. Ils nous transmettent donc des statistiques nous donnant des indications sur les tendances quant au nombre de causes à entendre et au nombre de dossiers qui sont ouverts, ainsi que des informations sur les retards. Les retards sont importants et l'arriéré de travail en croissance, comme l'a dit le ministre, surtout en droit de la famille. Dans certaines provinces, il y a eu une augmentation notable du nombre de cas relevant de la protection de la jeunesse. Depuis que des changements ont été apportés aux lois, on dispose de moins de temps qu'auparavant pour traiter de ces causes et, comme on doit entendre en priorité ces affaires importantes et urgentes, les autres dossiers de droit de la famille, telles que les affaires de droits de garde et de pensions alimentaires sont souvent reportés.
Nous avons reçu des statistiques détaillées en fonction de la capacité de chaque province à recueillir des données, parce que certaines extraient ces données manuellement des dossiers des tribunaux alors que d'autres ont des systèmes électroniques plus perfectionnés. De plus, les déplacements, la situation géographique et les facteurs culturels ont aussi une incidence sur la charge de travail des tribunaux.
La présidente : Comme le ministre dispose de peu de temps, je vous prierais de donner des réponses brèves afin que les sénateurs puissent poser le plus de questions possibles.
Le sénateur Baker : Vous ne me donnerez peut-être pas la chance de poser plus d'une question, madame la présidente, je m'assurerai donc de poser une question très complète. Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les représentants du ministère, comme vous le savez, les comités du Sénat ont le privilège de pouvoir compter sur une mémoire institutionnelle. D'après ce que ma mémoire institutionnelle a retenu de ce projet de loi, ou plutôt de la Loi sur les juges, cette loi remonte à l'époque où j'étais député, dans les années 1970, et où on a créé le système du tribunal unifié de la famille. Quatre expériences, menées dans quatre provinces du pays, ont connu du succès. Le tribunal unifié de la famille a permis d'alléger la charge de travail des cours provinciales et supérieures qui s'occupaient avant de ces causes. En vertu de la Constitution, les affaires de droit de la famille peuvent relever de la compétence fédérale si elles invoquent la Loi sur le divorce ou de la compétence provinciale en matière d'enfants et de famille. Le tribunal unifié de la famille a donc permis de soulager ces cours, avec beaucoup de succès. Le Parlement a donc fait adopter une nouvelle disposition, le paragraphe 24(4) sur le tribunal unifié de la famille et créé 36 postes de juges qui se sont ajoutés à ceux qui existaient déjà et que vous avez évoqués.
Plus récemment, en 2005, le Sénat a été saisi d'un autre projet de loi. De quoi s'agissait-il? Mme-Mckinnon vient de nous en parler. En effet, les juges en chef des provinces ont demandé qu'on crée de nouveaux postes de juges en s'appuyant sur des arguments convaincants. Le projet de loi créait donc 27 nouveaux postes, à la demande des juges en chef des cours supérieures des provinces, qui, avec les 36 existants, faisait passer le total des effectifs à 63. Des élections ont toutefois été déclenchées avant que cette mesure législative ne soit adoptée.
Le projet de loi dont nous sommes maintenant saisis vise à créer 14 nouveaux postes de juges. Il est vrai que ces postes sont créés aux termes de l'alinéa 24(3)b) et s'ajouteront au bassin de juges qui peuvent siéger au tribunal unifié de la famille, comme nous le savons tous. Que feront-ils? Comme vient de nous l'indiquer Mme Mckinnon, ils entendront des causes au tribunal unifié de la famille.
Que s'est-il passé? Les juges en chef des provinces ont-ils changé d'idée depuis trois ans? Ils n'ont plus besoin de 63 juges pour entendre les causes de droit de la famille à la Cour supérieure, mais seulement 14? Monsieur le ministre, cette question s'adresse moins à vous qu'à vos collaborateurs, car leur mémoire institutionnelle est plus longue que la vôtre. Moi, je ne comprends rien. Que s'est-il passé? Madame la présidente, moi, je me souviens du ministre à l'époque où il était simple député; peut-être a-t-il une longue mémoire institutionnelle. Pourrait-il nous expliquer ce changement? Ces questions n'ont pas été soulevées aux Communes. Les députés n'en ont pas parlé parce qu'ils n'ont pas la mémoire institutionnelle que nous avons.
M. Nicholson : Mme Bellis aimerait répondre à votre question, sénateur Baker.
Judith Bellis, avocate générale et directrice, Affaires judiciaires et politiques des tribunaux judiciaires et administratifs, ministère de la Justice Canada : J'ai malheureusement des souvenirs de la Loi sur les juges qui remontent à très loin.
Sénateur Baker, vous soulevez une question pertinente à laquelle nous avons répondu. Les 27 postes de juges qu'on proposait de créer dans le projet de loi C-51, la mesure législative que vous avez évoquée, devaient servir à mettre en oeuvre le modèle du tribunal unifié de la famille ailleurs au Canada, comme vous l'avez indiqué. Toutefois, il importe de se rappeler que ces 27 juges ont été remplacés, car c'est un élément crucial. Le modèle du tribunal unifié de la famille prévoit essentiellement que les cours supérieures assument la juridiction qui est actuellement exercée par les cours provinciales. Par conséquent, le tribunal de la famille disparaît. Bon nombre des juges de cette cour sont donc promus à la Cour supérieure parce qu'ils ont des connaissances spécialisées.
Essentiellement, le modèle du tribunal unifié de la famille veut que le gouvernement fédéral soit responsable du salaire et des avantages sociaux de tous les juges qui travaillent en droit de la famille; les juges de la Cour provinciale, eux, ne travaillent plus dans le domaine du droit de la famille. Comme le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité des juges du tribunal unifié de la famille, il a décidé de ne pas poursuivre, pour l'instant, l'expansion de ce tribunal. Je vous donne un exemple. Trois quarts des 27 juges dont vous avez parlé auraient été des juges des cours provinciales qui auraient été promus à la Cour supérieure. Ils auraient alors assumé la même charge de travail, mais auraient été rémunérés par le gouvernement fédéral. Ce n'est pas l'option qu'ont retenue le ministre Nicholson et son gouvernement. Ils préfèrent ne pas poursuivre l'expansion du tribunal unifié de la famille, mais ils reconnaissent le succès des tribunaux de la famille des cours supérieures qui ont permis d'alléger un peu le fardeau des cours supérieures. Comme les sénateurs le savent, les cours supérieures, créées par l'article 96, doivent exercer une certaine juridiction en vertu de la Constitution. Les litiges matrimoniaux relatifs aux biens et à d'autres questions importantes ne peuvent être tranchés que par des juges des cours supérieures.
Je sais que la réponse est plus longue que vous l'auriez préféré, madame la présidente. C'est compliqué, mais c'est pourquoi on a choisi 14 et non 27. Si l'on prend les trois quarts de 27, ce nombre est plus élevé que la composante accordée au cours supérieures en vertu du modèle du projet de loi C-51. Cela vous est-il utile?
Le sénateur Baker : Non, ce n'est pas utile. Vous avez dit que, plutôt que de nommer 27 nouveaux juges, vous en aviez nommé 14 parce que, peut-être les 13 autres n'avaient pas beaucoup de travail à faire. C'est ce que vous nous avez dit. La rémunération d'un juge de la Cour supérieure, en plus de sa pension, coûte environ 350 000 $. Cela comprend la pension, et ainsi de suite. Le salaire de base est d'environ 235 000 $ par année, partout au pays.
Les chefs des cours supérieures de partout au pays nous ont fait des propositions. Vous avez reçu sept propositions, dont l'une de Terre-Neuve-et-Labrador, pour demander quatre juges supplémentaires. Je comprends ce que vous dites, parce que ce sont les juges des cours supérieures provinciales qui font ce travail à l'heure actuelle. Cette augmentation vise à diminuer la pression sur les provinces. Vous dites : « Continuons de faire pression sur les provinces, et nous n'avons qu'à nommer 14 juges à la Cour supérieure. » C'est la conclusion logique que je tire de ce que vous avez dit.
M. Nicholson : Il s'agit effectivement de la conclusion logique. Nous comblons les besoins des procureurs généraux provinciaux, et vous pouvez leur poser des questions au sujet de cette réponse. J'ai indiqué, dans ma déclaration préliminaire, que je suis prêt à recevoir d'autres propositions des procureurs généraux provinciaux. Nous communiquerons avec tous les individus et organismes du système judiciaire.
Le sénateur Baker : Et si on élargissait le bassin?
M. Nicholson : Je ne suis pas contre l'idée, mais ça fait longtemps. Ça n'a pas probablement pas changé depuis que vous êtes devenu membre, dans les années 1970. Il est temps que cela change.
Le sénateur Joyal : Les derniers changements ont été apportés en 1992.
M. Nicholson : Très bien. Il est temps d'aller de l'avant ou de prendre des mesures.
La présidente : Le problème, c'est que le ministre ne peut être ici que pendant peu de temps. Voilà le problème. Si les ministres pouvaient être ici pendant deux heures, ce serait beaucoup plus amusant.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, de quelle façon les 14 juges additionnels seront-ils distribués parmi les provinces?
M. Nicholson : Des négociations sont toujours en place, madame le sénateur, parce que nous devons veiller à ce que tout soit en place pour les accueillir. Une dizaine seront partagés entre l'Ontario et le Québec, mais la plupart iront en Ontario. Les autres seront distribués en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, au Nunavut, et à Terre-Neuve-et-Labrador. Ce sera clair.
Le sénateur Milne : Ça donne 15.
M. Nicholson : Ici aussi, je peux vous donner un exemple. Selon le plan présenté par le Nouveau-Brunswick, par exemple, il faudrait trois nouveaux juges pour répondre à leurs besoins.
Le sénateur Baker : C'est votre annonce d'aujourd'hui?
M. Nicholson : Non, il y avait une autre annonce. Nous travaillerons avec les provinces consciencieusement mais, comme l'a indiqué le sénateur Joyal, on utilise un bassin. Nous travaillerons avec elles pour tenter de répondre à leurs besoins.
Ici aussi, je suis ouvert. Je les écouterai. Je rencontre les représentants provinciaux régulièrement, et je serai à l'écoute de toute autre proposition qu'ils pourraient souhaiter formuler.
Le sénateur Milne : Certains de ces juges seront-ils bilingues? Je crois comprendre qu'au Nouveau-Brunswick, il y a des problèmes de délais en raison de la nomination des juges unilingues anglophones.
M. Nicholson : Peut-être. La majorité des nominations ont été annoncées avant que je ne sois ministre et avant que ce gouvernement ne soit au pouvoir. Nous travaillons en étroite collaboration avec le juge en chef pour veiller à ce que les exigences en matière de bilinguisme et de langues officielles soient respectées. Je pense que quatre juges nommés au Nouveau-Brunswick sont bilingues, mais je suis prêt à recevoir les propositions. Ici aussi, nous travaillons étroitement avec les juges en chef pour veiller à ce que leurs besoins soient satisfaits.
Le sénateur Milne : Quatre sur combien?
M. Nicholson : Nous avons nommé huit juges dans la province du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur le ministre. Combien de postes vacants y a-t-il à l'heure actuelle au niveau des cours supérieures?
M. Nicholson : C'est une bonne question, monsieur le sénateur. Nous les comblons régulièrement. Il n'y en a pas trop.
David Near, conseiller à la magistrature, cabinet du ministre, ministère de la Justice Canada : Le nombre varie presque chaque semaine, si par exemple quelqu'un devient surnuméraire ou tombe gravement malade. Il y en a environ 25 partout au pays, plus ou moins un ou deux.
Le sénateur Joyal : Ce projet de loi prévoit l'addition de 20 à 25 juges supplémentaires. Cela signifie que le ministre devra combler 45 postes vacants, comme vous l'avez dit, et ce, le plus rapidement possible.
M. Nicholson : C'est un défi qu'il faut sans cesse relever, sénateur. Aussitôt que nous pensons être à jour, des retraites surviennent ou, comme on a indiqué, des gens tombent malade. Les nominations sont prioritaires et nous continuerons de nous en occuper.
Le sénateur Joyal : Le 4 mars, vous avez dit à la Chambre des communes, que depuis votre arrivée au pouvoir, vos prédécesseurs et vous avez nommé 146 juges.
M. Nicholson : C'est une vieille citation. À l'heure actuelle, nous en sommes à environ 165. Nous nous penchons sans cesse sur cette situation. En général, nous procédons à une série de nominations chaque mois.
Le sénateur Joyal : Quelle proportion des personnes nommées est bilingue?
M. Nicholson : Environ un tiers, je pense, sénateur.
Le sénateur Joyal : Ces nominations se font-elles dans toutes les provinces?
M. Nicholson : Nous essayons de répondre aux besoins des provinces. Nous discutons avec les juges en chef, mais dans des endroits comme l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, c'est essentiel, de sorte que nous essayons de répondre à ces besoins.
Le sénateur Joyal : En février 2007, le premier ministre a dit à la Chambre des communes qu'il souhaitait veiller à ce que « la sélection des juges permet d'atteindre ces objectifs », c'est-à-dire de s'attaquer au crime et de rendre les rues et les collectivités plus sécuritaires.
Comment réussissez-vous à choisir des juges tout en veillant à ce que ces objectifs stratégiques soient pris en considération lors de la sélection?
M. Nicholson : Nous avons un processus que nous appelons le Comité consultatif de la magistrature fédérale. Ce processus a été créé après votre passage au pouvoir. C'est un système qui fonctionne bien. Le comité compte des individus provenant des différentes sphères de la société, comme par exemple le système juridique, les gouvernements provinciaux, les services de police, le ministère, et ainsi de suite. Nous recevons de bons conseils, et je pense que le système a porté fruit. On peut discuter avec les gens des 165 nominations. J'ai reçu de bons commentaires, partout au pays. Partout où je vais, la rétroaction est la même. Les gens nous complimentent, moi et le gouvernement, et ils sont satisfaits de ces nominations. Comme je l'ai dit à la Chambre des communes, je suis fier des individus qui sont prêts à aller de l'avant pour servir leur souveraine et leur pays. Je pense que nous pouvons tous être fiers d'eux. Ils se conforment aux exigences du système, et je peux vous dire que les demandes remises au Comité consultatif de la magistrature sont approfondies. Nous avons eu affaire à des personnes remarquables, et je suis fier de celles que nous avons nommées.
Le sénateur Joyal : Avez-vous modifié le questionnaire ou le formulaire que doivent remplir les candidats afin qu'ils puissent y indiquer leur approche en vue de s'attaquer au crime et de rendre nos rues et nos collectivités plus sécuritaires.
M. Nicholson : Je n'ai pas de copie du formulaire; je peux vous en faire parvenir une. Je n'ai apporté aucun changement au formulaire, mais les candidats ont la possibilité d'élaborer, par exemple au sujet de leur implication dans la collectivité, de leur bénévolat et de leurs antécédents d'implication dans la communauté juridique. Au pays, nous avons de la chance : les individus qui ont été nommés au cours des deux dernières années et demie sont des personnes exceptionnelles dont nous pouvons tous être fiers.
Le sénateur Joyal : Ce que je ne comprends pas, au sujet de cet objectif, c'est que le comité de sélection, composé de quatre personnes, ne pose pas de questions aux candidats. À moins que mes sources ne fassent erreur, je crois comprendre qu'il n'y a pas de rencontre individuelle entre le comité de sélection et les différents candidats. Le comité étudie le formulaire que doit remplir chaque candidat ou candidat potentiel.
Étant donné que le questionnaire n'évolue pas, comment pouvez-vous veiller à ce que les objectifs énoncés par le premier ministre, c'est-à-dire que « Nous voulons nous assurer que la sélection des juges permet d'atteindre ces objectifs », soit pris en...
M. Nicholson : Il y a de nombreux objectifs. Comme je vous l'ai dit, le formulaire que doivent remplir les juges potentiels compte de nombreux éléments. Parmi ceux-ci, on trouve, comme je l'ai indiqué auparavant, le service bénévole ou paraprofessionnel. Ces individus sont bien équilibrés.
Je peux vous assurer que les comités consultatifs de la magistrature vérifient les références et procèdent à leurs propres enquêtes. Ces individus ont des contacts dans leurs collectivités et, en particulier, dans les collectivités juridiques. Ils font un excellent travail.
J'étais là lorsque le processus a été entrepris par Ray Hnatyshyn en 1998. Lorsqu'il l'a décrit, je me souviens que je faisais partie du Comité de la justice. Je ne pouvais m'empêcher de penser que ce processus constituait une grande amélioration par rapport à la façon dont les choses étaient faites. Vous pourriez probablement me dire à quel point les choses étaient chaotiques avant l'arrivée d'un tel processus organisé. Selon moi, il s'agissait d'un immense pas en avant.
Le système a été institué par le ministre de la Justice de l'époque, puis par la gouverneur général du pays. Je pense que, selon la plupart des gens, le système fonctionne bien.
Le sénateur Milne : Je me demande combien de ces individus ont pratiqué dans les provinces où ils ont été nommés. J'ai entendu dire que, récemment, un homme n'ayant jamais pratiqué le droit au Nouveau-Brunswick y a été nommé juge.
Comment peut-on dire qu'il comprend la collectivité?
M. Nicholson : Par exemple, nous nommons des gens à la Cour fédérale. Cette personne peut être admissible à une nomination à la Cour suprême dans une région donnée, selon l'endroit où elle a vécu ou est née.
Avez-vous un nom en tête?
Le sénateur Milne : Brad Green.
M. Nicholson : Ici aussi, la candidature de cette personne a été étudiée par le Comité consultatif de la magistrature. Selon moi, les gens qui servent le public à titre de magistrat, individuellement, ne devrait pas être exclue de ce processus. Je peux vous assurer que cette nomination a été bien reçue.
Le sénateur Milne : Toutefois, j'ai entendu dire que non.
Le sénateur Joyal : J'ai en main le formulaire que le candidat doit remplir. Je ne vois aucune question qui permettrait à un comité de sélection d'évaluer la sévérité d'un juge potentiel à l'égard du crime lorsqu'il devra trancher une telle question.
M. Nicholson : Sénateur, je suis désolé que vous n'aimiez pas ce formulaire. Je pense que c'est un formulaire bien équilibré.
Si vous souhaitez un jour formuler des recommandations parce que le formulaire ne répond pas à certains besoins ou à certaines préoccupations, nous vous invitons à le faire. Toutefois, je pense qu'il est efficace. Selon les commentaires que j'ai entendus à ce sujet, le formulaire répond à ces objectifs et permet aux individus de nous parler d'eux-mêmes et de leur participation dans la collectivité juridique.
Si le formulaire vous pose problème, je l'accepte. Toutefois, vous conviendrez sans doute que ce système est meilleur que celui qui était en vigueur il y a, disons, 25 ans.
Le sénateur Joyal : Je ne remets pas le système en question. Je suis surpris des changements que vous avez apportés à la composition du comité; vous avez retiré au président sa capacité de voter et ajouté un représentant de la prétendue collectivité de la loi et de l'ordre.
Vous n'étiez pas d'accord avec un élément du système lorsque vous avez fait ces changements pour mieux vous attaquer au crime.
M. Nicholson : Merci pour votre commentaire et votre esprit de suite. Vous répétez ce qu'on dit des députés du Parti libéral à la Chambre des communes. Ils ont toujours exprimé leur opposition à l'idée que des officiers de police fassent partie de ce comité. Vous en parlez tous depuis un an et demi.
Tout ce que je peux vous dire, c'est que selon les commentaires que j'entends, les représentants des services de police travaillent bien et apportent une contribution positive. Peut-être pourriez-vous discuter avec Tony Cannavino, de l'Association canadienne des policiers.
Je sais que vous n'êtes pas le seul à penser ainsi. Des députés libéraux m'ont formulé la même observation. Ils ne sont pas d'accord avec la participation des policiers.
À mes yeux, ça fonctionne bien et j'ai constaté que les officiers de police ont à cœur le meilleur intérêt de notre système judiciaire.
Le sénateur Joyal : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, je pense que vous tentez de conférer à cette question une nuance partisane.
J'ai lu quelque part que Parker McCarthy, le président sortant de l'Association du Barreau canadien, a exprimé de profondes inquiétudes au sujet de l'indépendance, de la transparence et du mérite du processus de sélection à la Chambre des communes, le 20 mars. Il n'est pas un député libéral, ni d'ailleurs l'Association du Barreau canadien. Le professeur Jacob Zeigel, qui a exprimé une opinion semblable, n'est pas un libéral. Le professeur Peter Russell n'est pas un libéral, ni d'ailleurs l'ancien juge Antonio Lamer.
M. Nicholson : Je vous complimentais sur votre esprit de suite. Les gens disent parfois que les politiciens changent d'avis quant à ces questions. Je sais qu'il s'agit d'une question dont le Parti libéral du Canada se préoccupe depuis longtemps. D'autres individus vous appuient sans doute, et vous en avez énuméré un certain nombre.
Avec tout le respect que je vous dois, tout ce que je dis, c'est que je ne suis pas d'accord. Les policiers que j'ai rencontrés et qui sont prêts à servir font, je pense, un travail remarquable. Vous n'avez pas à me croire sur parole. Je vous invite à discuter avec l'Association canadienne des policiers et l'Association canadienne des chefs de police.
Je pense qu'ils confirmeront ce que moi et d'autres personnes avons dit. Ils ont apporté une contribution positive au Comité consultatif de la magistrature. Toutefois, vous avez le droit d'être en désaccord avec moi à ce sujet, et je respecte ce droit. J'ai une opinion différente.
Le sénateur Joyal : Je ne suis pas le seul qui ne soit pas d'accord avec vous, monsieur le ministre. L'Association du Barreau canadien n'est pas d'accord avec vous. Comme vous le savez, l'Association compte des membres de tous les partis et n'a juré allégeance à aucun parti. Cette question n'a rien à voir avec la partisannerie.
M. Nicholson : Je comprends. J'ai voulu me montrer équitable envers votre parti et j'ai dit que ses députés s'en étaient tenus à leurs opinions au sujet de la participation des officiers de police aux comités consultatifs de la magistrature.
C'est une opinion que je ne partage pas.
La présidente : Je pense que les deux opinions ont déjà été énoncées clairement. Je reviendrai à vous pendant le deuxième tour, sénateur Joyal.
Le sénateur Merchant : J'aimerais faire germer une idée dans votre esprit au sujet du tribunal des revendications particulières. Dans votre exposé, vous dites qu'un grand nombre de revendications viennent de la Colombie- Britannique, de l'Ontario et du Québec.
Comme vous le savez peut-être, je viens de Regina. Trente pour cent de la population autochtone canadienne vit au Manitoba et en Saskatchewan. Avez-vous pensé à ouvrir cette organisation dans l'Ouest, à Vancouver par exemple, étant donné que de nombreuses revendications sont déposées là-bas, ou ailleurs dans l'Ouest?
Comme vous l'avez dit, il est bon pour les juges d'avoir des contacts avec leurs collectivités. Par exemple, tous ceux qui travaillent pour la Cour canadienne de l'impôt vivent à Ottawa. Nous, les gens de l'Ouest, aimerions savoir que certains éléments du système nous reconnaissent également. Tous ceux à qui vous demandez de faire partie du tribunal ne souhaitent pas déménager à Ottawa, puisque nous vivons ailleurs. Nous vivons à Regina, Saskatoon, Edmonton ou Vancouver, et la population de membres des Premières nations est concentrée dans l'Ouest.
M. Nicholson : Oui.
Le sénateur Merchant : Que pensez-vous de la création du Tribunal des revendications particulières dans l'Ouest?
M. Nicholson : Vous pourriez également poser cette question à mon collègue, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, dont le projet de loi C-30 est étudié au Sénat. Je ne formulerai pas d'observations à ce sujet.
Pour ce qui est des juges qui siégeront au tribunal, ils se trouveront dans la province où les revendications sont entendues. Contrairement à la Cour fédérale ou à la Cour suprême, tout n'aura pas lieu dans la capitale nationale.
Le sénateur Merchant : J'ai demandé à l'un des membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de poser cette question au ministre. Je voulais également faire germer cette idée dans votre esprit. Merci pour votre réponse.
Le sénateur Oliver : Merci pour votre exposé. J'en ai manqué la première partie parce que je suis arrivé en retard. J'espère que vous n'avez pas déjà répondu à ma question.
L'Association du Barreau canadien représente 37 000 avocats et juristes de partout au Canada et a envoyé une lettre incitant le Sénat à adopter les amendements à la Loi sur les juges et le projet de loi C-31 sans tarder.
M. Nicholson : Ils ne font pas partie du Parti conservateur, j'espère?
Le sénateur Oliver : Ils appuient ce projet de loi. Ils disent que de nombreux tribunaux font face à des arriérés et à des retards significatifs qui ne font qu'ajouter au fardeau financier et émotif des litiges, et cetera. Ils veulent que ce projet de loi soit adopté, parce qu'il prévoit l'ajout de juges.
J'ai bien écouté la question que vous a posée le sénateur Baker. J'ai une question découlant de votre réponse : êtes- vous personnellement convaincu que ce projet de loi permettra de nommer suffisamment de nouveaux juges pour résoudre les difficultés dont l'Association du Barreau canadien et d'autres organisations ont parlé, au sujet de l'arriéré? Le chiffre est-il exact?
M. Nicholson : Je pense que oui. Bien entendu, c'est une question de jugement. Ici aussi, nous travaillons en étroite collaboration avec les procureurs généraux des provinces et nous demandons la contribution des juges en chef. Mme Mckinnon a mentionné en détail l'analyse qui permet d'en arriver à ce chiffre.
Je ne divulgue rien de confidentiel, mais j'ai indiqué aux procureurs généraux des provinces que nous voulons apporter notre aide dans la mesure du possible. S'ils ont d'autres besoins, ce qui sera sans doute le cas à l'avenir, je suis prêt à entendre leurs suggestions. Je les traiterai de façon adéquate.
Il est temps de bouger. Ça fait longtemps. La taille du bassin a augmenté pour la dernière fois en 1992. Le pays est maintenant plus grand et notre système judiciaire fait face à des défis supplémentaires. J'apprécie la contribution et l'appui de l'Association du Barreau canadien. Le sénateur Joyal et moi ne sommes pas d'accord en tout point, mais j'espère que le projet de loi sera adopté rapidement afin de pouvoir passer à autre chose.
Le sénateur Peterson : Ma question porte sur le Tribunal des revendications particulières, à la création duquel vous vous préparez. Faudra-t-il prévoir des installations physiques dans les provinces, et le cas échéant, qui paiera?
M. Nicholson : En général, lorsque les juges des cours supérieures sont nommés, comme le sénateur Baker l'a souligné, leur salaire et leur pension sont versés par le gouvernement du Canada. Les autres services dont profitent les juges, y compris tout ce qui touche les palais de justice et les individus qui prennent note de la preuve, par exemple, sont fournis par les provinces. C'est pourquoi il est important pour nous de travailler en étroite collaboration avec les provinces. Nous ne pouvons mener nos activités en vase clos et dire : « Vous recevrez six juges de plus », à moins que le besoin ne se fasse ressentir et que les ressources nécessaires soient disponibles. C'est pour cette raison que nous sommes prudents. Nous travaillons en collaboration avec les provinces pour veiller à bien comprendre leurs besoins, leurs capacités et leurs budgets. Les coûts liés à la nomination d'un nouveau juge ne se limitent pas au salaire et aux avantages; cela va beaucoup plus loin.
La présidente : Ma question est liée aux questions qui vous ont été posées plus tôt par le sénateur Baker. En réponse au sénateur Baker, Mme Bellis a dit que le gouvernement avait pris une décision stratégique visant à ne pas élargir la portée du tribunal unifié de la famille. Je pense que je répète exactement ce qu'elle a dit. Pouvez-vous me dire pourquoi cette décision stratégique a été prise?
M. Nicholson : Le projet de loi ne comporte aucun plan, mais ça ne veut pas dire qu'aucun plan ne sera élaboré plus tard. Ce sera fait en consultation avec les gouvernements provinciaux, et nous prendrons des mesures en conséquence.
Ce projet de loi vise à répondre à un besoin particulier énoncé par les procureurs généraux des provinces. Nous allons de l'avant avec la mise en œuvre de cette initiative.
La présidente : Ma question porte sur la décision. D'après ce que je comprends, la politique précédente visait à élargir la portée du tribunal unifié de la famille. Toutefois, le gouvernement a pris une décision stratégique et ce système ne sera pas élargi, pour une raison ou pour une autre.
M. Nicholson : À vous entendre, on croirait qu'une décision officielle a été prise. Pour l'instant, nous nous en tenons à une initiative en particulier. Je ne dis pas qu'il n'y aura pas d'autres juges nommés à ce tribunal ou dans tout autre tribunal.
La présidente : Ma deuxième question porte sur le système de nomination des juges et sur le rôle des comités consultatifs de la magistrature.
Aucune règle formulée par le gouvernement actuel ou les gouvernements précédents ne prévoit que les juges qui ne sont pas passés par le système ne seront pas nommés. Pourquoi pas? Ne pouvez-vous pas dire que vous avez si confiance dans le système que vous ne nommerez personne qui n'y ait pas passé et qui n'a pas été approuvé?
M. Nicholson : Selon ce que je sais, les comités consultatifs de la magistrature ont approuvé la nomination de tous les juges; je peux parler de celles faites par notre gouvernement avec certitude, mais je pense que c'était également le cas pour les gouvernements précédents. Le processus est quelque peu informel, puisqu'il n'y a pas de loi; ça ne fait pas partie de la Constitution et ces personnes ne sont même pas rémunérées pour ce qu'elles font. Comme je vous l'ai dit, tout ce système découle d'une idée proposée en 1988 par le ministre de la Justice de l'époque. Son chiffre est différent de celui qui est utilisé. Ici aussi, nous ne pouvons qu'indiquer que l'organisation de ce processus était, semble-t-il un grand pas en avant. En effet, j'étais député d'un gouvernement qui a modifié le comité à au moins deux reprises par la suite pour tenter de répondre aux besoins. Rien n'est enchâssé dans la loi et ce n'est pas constitutionnel, mais en pratique, ces individus sont approuvés par le Comité consultatif de la magistrature, sous notre gouvernement à tout le moins. Le Comité a la responsabilité de formuler les meilleurs conseils possibles à l'intention du ministre de la Justice. Au bout du compte, ce sont des nominations par décret. C'est un système qui fonctionne.
La présidente : Devrions-nous en conclure que vous avez l'intention de continuer cette pratique?
M. Nicholson : Je n'ai aucune intention de changer la pratique.
La présidente : J'imagine que c'est la meilleure réponse que nous obtiendrons de vous sur ce point.
Le sénateur Andreychuk : Je me retiendrai pour ne pas poser une question sur le sens de l'expression « pratiquer le droit ». Cela ne correspond pas seulement à la pratique du droit. Je suis ici et je constate l'expertise des membres qui ne sont pas avocats. Ces personnes acquièrent une belle expérience grâce à leur participation au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Comme le disait le sénateur Carstairs, nul besoin d'être avocat pour examiner la loi.
J'aimerais poser une question sur les juges qui entendront les réclamations particulières. Vous avez indiqué que certains d'entre eux ont déjà une expertise. Ils sont peut-être déjà juges ou encore s'intéressent aux droits des Autochtones et comprennent ce domaine, et ainsi de suite.
M. Nicholson : C'est exact.
Le sénateur Andreychuk : Allez-vous consulter l'Assemblée des Premières Nations ou d'autres acteurs en ce qui concerne les nominations afin de vous assurer que les candidats comprennent les réclamations particulières, ou bien êtes-vous de l'avis que les personnes chargées des nominations tiendront compte de ce besoin de compréhension?
M. Nicholson : C'est une excellente remarque. J'accueillerais les conseils de l'Assemblée des Premières Nations. Tout conseil fourni par l'APN sur les nominations par le gouverneur en conseil sera accueilli sur une base confidentielle.
En ce qui concerne l'acquisition de l'expertise, c'est sûr que nous allons collaborer de près avec les juges en chef et leur demander leur avis. Ce sont eux qui ont la responsabilité ultime de nommer les personnes qui entendront les réclamations et ce sont eux qui ont les connaissances nécessaires pour faire ces nominations. Aux termes de la loi concernant le tribunal, les nominations se feront par le gouverneur en conseil. Environ 18 personnes seront nommées afin qu'il y ait une rotation. Le juge sera chargé par le juge en chef d'entendre la réclamation, et retournera ensuite à ses audiences habituelles. Les juges en chef de chaque province participeront au processus de nomination. Je répète que j'accueillerai les conseils de l'Assemblée des Premières Nations sur n'importe quel sujet.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais rapidement clarifier ce qu'a dit le sénateur Merchant quant à l'exclusion de la Saskatchewan et de l'Alberta. Visez-vous la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec parce que ce sont les provinces qui ont le plus grand nombre de dossiers en souffrance en ce qui concerne les réclamations autochtones? Il se peut que d'autres provinces aient régler certaines réclamations ou n'en ont pas autant à traiter.
M. Nicholson : C'est ça. Ces trois provinces représentent la plupart des réclamations.
Le sénateur Baker : Bien sûr, l'Association du Barreau canadien appuie le projet de loi. C'est sûr également que tous les procureurs généraux appuient le projet de loi. Qui s'opposerait à une hausse du nombre de juges?
Certains d'entre nous reprochons au projet de loi le fait que la hausse du nombre de juges se fait par le biais d'un bassin. Je me souviens que lorsque que nous avons ajouté cet article, il était question d'un bassin qui permettrait de rajuster le tir. Lorsqu'une province aurait besoin d'un juge supplémentaire, il ne serait pas nécessaire de modifier la loi, on pourrait se servir du bassin. Sur ces 14 juges, vous avez indiqué que trois seront affectés au Nouveau-Brunswick, ce qui en laisse 11.
Le sénateur Milne : Il y en a cinq pour le Québec et cinq pour l'Ontario.
Le sénateur Baker : L'a-t-il annoncé?
M. Nicholson : J'ai dit que la plupart des juges seraient affectés à l'Ontario.
Le sénateur Baker : Il n'a pas fourni de chiffres. Jusqu'à présent il a soutenu, et c'est tout à son honneur, qu'il n'annoncerait pas là où les juges seront affectés jusqu'à ce que le projet de loi reçoive la sanction royale. Nous vous remercions de nous avoir fourni ce renseignement parce que nous effectuons une analyse détaillée du projet de loi. Il reste donc 11 juges pour le Québec, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve.
Si une province reçoit un juge, elle ne va pas se plaindre. C'est un juge supplémentaire pour les tribunaux supérieurs de première instance. Elles auraient reçu 27 juges supplémentaires pour les tribunaux unifiés, ce qui aurait soulagé les cours provinciales et supérieures. Pourquoi approuver un bassin de juges lorsque chaque juge coûte, comme vous l'avez reconnu, environ 350 000 $ par année? C'est une somme risible pour un tel juge. La province doit assumer tous les coûts du personnel de soutien, des installations et tout le reste. Les provinces ne demanderont pas un juge pour le plaisir de le faire ou encore si le besoin n'existe pas. Je vous le garantis. Pourquoi le bassin est-il si petit? Il faudra demander d'agrandir le bassin, car chacun de ces juges sera affecté le jour suivant la proclamation, ou encore dans un délai de six mois lorsque tout fonctionnera. Pourquoi ne voulez-vous pas d'amendement? D'après ce que j'ai compris, vous vouliez proposer un amendement concernant une autre question lors des étapes finales, et vous avez annoncé devant le comité pertinent de la Chambre des communes que vous songiez déposer un amendement à l'étape du dépôt du rapport à la Chambre. Seriez-vous réceptif à l'égard d'un amendement proposé par le Sénat visant à accroître le nombre de candidats dans le bassin?
M. Nicholson : Le chiffre retenu, soit 14, se justifie très bien, monsieur le sénateur. Nous avons mené des consultations approfondies. Mme Mckinnon vous a décrit notre travail méticuleux entourant le choix de ce nombre. Ce nombre correspond à ce qu'on nous a dit partout au pays. Je suis encouragé du fait que vous avez dit que l'Association du Barreau canadien et les procureurs généraux des provinces appuient le projet de loi, et je vous prie de l'adopter. Comme je l'ai indiqué tantôt, je serais réceptif si jamais on me fait des demandes dans les années à venir. Je fais toujours preuve d'ouverture d'esprit en ce qui concerne ces questions. Je m'en fais un point d'honneur. Si, l'année prochaine, le procureur général de Terre-Neuve me disait : « Il nous faut un autre juge, pouvez-vous faire quelque chose? », je serais réceptif.
Le sénateur Baker : Tant mieux. Mme Mckinnon a fait une observation intéressante et importante. Elle a indiqué qu'au début, une pression s'exerce sur le système parce qu'il faut trancher rapidement. Il est question d'enfants et de familles. Il y a le problème énorme des familles qui éclatent, et il y a toujours la question des enfants. Ces dossiers doivent être traités rapidement. Il faudrait que tous les tribunaux du pays entendent ces causes sur une base urgente, mais ces causes sont reportées et les tribunaux s'affairent ailleurs. Monsieur le ministre, je crois que vous devriez augmenter le nombre de juges dans le bassin au-delà de 14 pour tenir compte du fait que ces 14 juges seront affectés aux tribunaux de la famille. Je mettrais la main au feu : chaque province recevant un juge supplémentaire affectera celui-ci à son tribunal de la famille. Pourquoi ne pas ajouter quatre, cinq, six ou même sept juges maintenant afin qu'il reste toujours un bassin disponible six mois après l'adoption du projet de loi?
Le sénateur Oliver : Il a dit qu'il était satisfait du nombre de juges prévus par le projet de loi.
La présidente : Il me semble que la question avait été adressée au ministre.
Le sénateur Baker : Le sénateur Oliver oublie qu'il n'est plus professeur à l'Université Dalhousie. Il est membre de ce comité.
M. Nicholson : D'après ce que l'on m'a dit, c'était un professeur remarquable. Je crois que si j'étais venu vous demander 30 juges, quelqu'un aurait dit : « Pourquoi pas 40 ou même 50? » Je n'ai pas proposé 10, 15 ou 20 juges. La Chambre des communes est d'accord. J'en étais ravi. Nul besoin de vous décrire les défis auxquels est confronté un Parlement minoritaire cherchant à obtenir le soutien de quatre partis politiques dans la Chambre des communes.
Le sénateur Baker : Ils n'ont pas la mémoire institutionnelle nécessaire.
M. Nicholson : Une poignée d'entre eux l'ont, bien que ce ne soit pas comparable à ma mémoire ou à la vôtre, mais sont néanmoins des personnes bien intentionnées. Elles ont examiné le projet de loi et ont félicité le gouvernement conservateur en l'encourageant à aller de l'avant. Beaucoup d'intervenants appuient le projet de loi, et je crois que vous entendrez un procureur général ce soir même. Je crois que les procureurs généraux sont d'accord avec moi. Ce projet de loi est un grand pas vers l'avant.
Le président : Merci, sénateur Baker.
Le sénateur Milne : Je soupçonne que vous avez leur appui parce que justement ils croient qu'un peu c'est mieux rien.
M. Nicholson : Sénateur, je vous en prie.
Le sénateur Milne : Mme Bellis a répondu à une question tantôt en indiquant qu'il existe actuellement 25 postes de juge vacants.
M. Nicholson : C'était peut-être M. Near. C'est plutôt lui qui le saurait.
Le sénateur Milne : Cela me semble élevé. Monsieur le ministre, pourriez-vous m'indiquer le taux de vacance moyen des dernières années? Quel était le nombre de vacances en janvier 2006?
M. Nicholson : Je ne peux répondre à votre question maintenant, monsieur le sénateur, mais nous dotons les postes plus rapidement que ne l'a fait le gouvernement précédent. De plus, lorsque nous avons modifié la Loi sur les juges, il y a eu une hausse du nombre de personnes prenant leur retraite lorsque la loi est entrée en vigueur. Il y a donc eu une augmentation considérable à ce moment-là. Je tente de nommer sept, huit ou dix juges chaque mois et nous continuons d'en nommer. Comme vous le comprendrez, les nominations ne sont pas seulement approuvées par le Comité consultatif de la magistrature fédérale. Le ministère étudie les nominations soigneusement et cela prend du temps. Nous continuons de faire du progrès cependant. C'est un aspect important du travail du ministère de la Justice.
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, vous avez notamment supprimé la catégorie « fortement recommandé » en ce qui concerne le travail du comité de sélection. Avant l'adoption des modifications, le comité de sélection faisait l'une des trois recommandations suivantes : fortement recommandé, recommandé et pas recommandé. Il me semble que c'était de cette façon que fonctionnait le comité. Les candidats ayant été désignés « fortement recommandés » étaient perçus par le comité comme étant les meilleurs. Cela correspondait à l'objectif, c'est-à-dire choisir le meilleur candidat à partir d'une liste des meilleurs candidats. Maintenant, les meilleurs candidats tombent sous la catégorie « recommandé ». Je ne comprends pas pourquoi vous avez apporté ce changement si vous entendez toujours faire des nominations sur une base entièrement méritoire.
M. Nicholson : J'ai regardé la proportion de personnes qui avaient été recommandées et qui n'avaient pas été recommandées, ainsi que la proportion de personnes non recommandées, et la différence entre les deux était à peu près la même.
Cela dit, le système a bien fonctionné jusqu'à présent. À certains moments, il devient plus difficile pour le groupe de s'argumenter, de discuter ou encore de retarder le processus décisionnel pour déterminer si la personne est fortement recommandée ou tout simplement recommandée. C'est un fardeau supplémentaire imposé à un groupe de personnes qui servent leur pays et ce, à titre gratuit. J'espère que la modification permettra d'accélérer le processus et d'alléger le fardeau. Une personne est recommandée et est apte ou non à devenir juge. C'est un progrès énorme par rapport aux années 1960, 1970 et même au début des années 1980 lorsqu'il n'existait pas de système comparable. Vous savez ce que c'était à l'époque. Ce changement ordonne et rationnalise le système. Depuis que je suis devenu ministre de la Justice il y a un an et demi, on me dit que le système fonctionne bien.
Le sénateur Joyal : J'ai été étonné par ces changements. Tout cabinet d'avocats cherchant à recruter parmi les diplômés d'une université exigera le relevé des notes des candidats, retiendra les dix meilleurs et les passera en entrevue.
Ces personnes ont déjà été évaluées et sont les meilleures de leur classe. Pourquoi ne voudriez-vous pas avoir la liste des meilleurs candidats fortement recommandés par le comité de sélection sur la base du mérite?
M. Nicholson : C'est évidemment moi qui ai le dernier mot, n'est-ce pas, sénateur? C'est le gouverneur en conseil et le gouvernement qui fait les nominations qui ont le dernier mot. En vertu de la Constitution du Canada, il incombe au gouverneur en conseil de nommer les juges. Pour répondre à une question posée par un de vos collègues sur le nombre de postes vacants, je dirais qu'il arrive parfois que l'on exerce des pressions pour que je nomme plusieurs juges à la fois. Je tente de résister à ces pressions parce que, en bout de ligne, c'est moi qui a l'ultime responsabilité. Si quelqu'un s'avère ne pas être le meilleur candidat ou encore inapte au service, c'est moi qui suis responsable. Je ne pourrais pas dire que je souhaitais que le Comité consultatif de la magistrature fédérale aurait dû mieux évaluer les candidats. Je suis l'ultime responsable conformément au système actuel.
Le sénateur Joyal : Je sais que c'est vous qui en avez la responsabilité ultime. Il se peut que l'article paru dans le Edmonton Journal contienne des renseignements incorrects, mais l'auteur affirme qu'au moins 33 des bénévoles nommés par le ministre de la Justice Rob Nicholson aux comités le mois dernier sont liés aux conservateurs. C'est bien sûr vous qui avez la responsabilité ultime parce que c'est vous qui déterminez si le processus de sélection a été transparent...
M. Nicholson : Permettez-moi de vous dire quelque chose à ce sujet, sénateur.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi de finir d'abord et je vous écouterai. Le processus de sélection doit être suffisamment indépendant, transparent et objectif afin de retenir le candidat le plus qualifié. Je ne dis pas que quelqu'un participant à des activités politiques est inapte à être membre de ces comités. Toutefois, lorsque la moitié des personnes nommées semblent avoir les mêmes convictions politiques, on crée la perception que le système est truqué.
M. Nicholson : C'est intéressant, sénateur. Quelqu'un m'a effectivement dit que l'une des personnes nommées au Comité consultatif de la magistrature de l'Alberta appuyait le Parti conservateur. J'ai dû être honnête. Je lui ai dit qu'il fallait me montrer quelqu'un en Alberta qui n'appuyait pas le Parti conservateur. C'est un grand défi dans cette province. Là encore, comme vous l'avez dit, les personnes qui rendent des services au public sont prêtes à le faire à titre gratuit parce qu'elles font confiance au système et aiment le Canada. Nous devrions remercier ces personnes. Je veux qu'il soit clair que je leur suis reconnaissant comme je le suis à l'égard des personnes qui acceptent d'être nommées aux tribunaux supérieurs pour servir leur reine et leur pays pour le reste de leurs jours. C'est un grand engagement et le pays devrait se féliciter d'avoir ces personnes. En ce qui concerne les membres du Comité consultatif de la magistrature, je leur suis très reconnaissant d'avoir accepté de donner leur temps et leur talent.
La présidente : Nous pourrions encore continuer pendant 90 secondes, si quelqu'un a une question à poser qui ne dépasserait pas 30 secondes. Il semble qu'il n'y ait pas de questions simples d'une durée de 30 secondes.
Monsieur le ministre, merci beaucoup. La séance fut extrêmement intéressante. Nous allons maintenant faire une transition rapide puisque nous avons un autre témoin intéressant. La séance d'aujourd'hui fut productive. Dans environ une heure et 30 secondes, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones occupera cette salle et, fait intéressant, s'intéressera également à cette question. C'est la raison pour laquelle je me soucie particulièrement de l'heure.
Honorables sénateurs, nous avons maintenant l'honneur d'accueillir comme témoin l'honorable Jerome P. Kennedy, c.r., ministre de la Justice et procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui, monsieur le ministre. Nous n'avons pas souvent l'occasion d'entendre le représentant d'une capitale provinciale. Nous sommes heureux de pouvoir vous entendre sur le projet de loi.
M. Kennedy est accompagné de John FitzGerald, représentant provincial à Ottawa de Terre-Neuve-et-Labrador, et Ken Morrissey, directeur des communications au ministère de la Justice.
Monsieur le ministre, je crois que vous voulez faire une déclaration. Allez-y.
L'honorable Jerome P. Kennedy, membre de l'assemblée législative, ministre de la Justice et procureur général, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador : Tout d'abord, j'aimerais remercier le comité de m'avoir invité ici aujourd'hui. J'ai été élu pour la première fois en octobre à Terre-Neuve-et-Labrador et j'ai été nommé ministre de la Justice peu de temps après. Je saisis toutes les occasions me permettant de consulter mes collègues canadiens et de faire connaître nos points de vue.
J'ai entendu la fin de la comparution du ministre Nicholson. Pour ce qui est de Terre-Neuve-et-Labrador, effectivement, un peu vaut mieux que rien. J'ai entendu la fin des propos du sénateur Baker, et j'aimerais vous fournir un contexte, c'est-à-dire quel était notre point de départ et comment nous sommes arrivés au stade actuel.
Je vais être franc. J'ai pu lire les observations du sénateur Joyal. Ce sont des points intéressants qui concernent l'administration de la magistrature au Canada, et le comité sénatorial ainsi que le Sénat devraient en tenir compte. Comme nous étudions le projet de loi C-31, cette question est évidente. J'ai entendu les propos du sénateur Baker et je sais que sur les 20 juges, six seront nommés aux tribunaux des revendications particulières. On a ensuite parlé de 14 juges, puis de 11 juges. Je ne sais pas comment on est passé de 14 à 11.
Le sénateur Joyal : Trois juges ont été attribués au Nouveau-Brunswick.
M. Kennedy : C'est donc la raison pour laquelle mon collègue T. J. Burke souhaitait venir « remercier » tout le monde.
Pour ce qui est de Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons reçu une lettre datée du-28 novembre 2007 et signée par le ministre Nicholson dans laquelle on indiquait qu'il y aurait un juge pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador. La lettre précisait que l'on avait justifié l'ajout d'un juge pour soulager la pression actuelle exercée sur la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador en fonction des renseignements fournis dans le cadre du projet de tribunal unifié de la famille de 2003.
En 2003, il y a eu un projet-pilote appelé Services de justice à la famille mené dans la partie ouest de Terre-Neuve-et- Labrador sous la direction du juge Richard LeBlanc. Le juge LeBlanc, appuyé par le juge en chef Derek-Green, de la Division des procès, a tenté d'accroître les services de médiation offerts en amont du système de droit de la famille. Nous, qui œuvrons dans le système, constatons les souffrances des enfants, des maris, des femmes et des familles en raison de la prolongation des procès et des tractations sur des questions qui ne sont pas importantes. De plus, il y a les enfants. Ils grandissent fâchés contre un parent ou l'autre. Le juge LeBlanc a examiné un processus qui offrirait des services d'éducation, de médiation et de counselling en amont de toutes les procédures touchant aux obligations alimentaires, à la garde et à la visite. Il souhaitait ensuite établir la juridiction du tribunal unifié de la famille dans toute la province et ainsi alléger le fardeau de la cour provinciale qui n'aurait plus à entendre les causes touchant au droit de la famille. L'idée est formidable. Tout cela commence par une médiation obligatoire. Avant d'intenter une procédure, les parents ont droit à la médiation afin que des conseillers spécialisés puissent offrir l'aide nécessaire.
Le juge LeBlanc a fait des démarches auprès du gouvernement fédéral et, accompagné par l'un de mes prédécesseurs, il a fait une présentation et a demandé cinq juges. Le ministre de la Justice à l'époque, M. Irwin Cotler, du gouvernement libéral, ne s'est pas engagé à fournir cinq ou quatre juges, mais je puis affirmer après avoir lu la correspondance du ministre Cotler qu'il avait envisagé sérieusement la demande de quatre juges. La province cherchait à augmenter les services de justice à la famille grâce à ces quatre juges.
Après avoir appris qu'il y aurait un juge, j'ai rencontré de nouveau le juge LeBlanc et le juge en chef Green qui m'ont demandé de faire une autre demande auprès du ministre Nicholson. Il m'a rencontré et s'est montré coopératif. J'ai demandé que les juges puissent le voir et justifier leur demande de quatre juges compte tenu des pratiques particulières utilisées par les services de justice à la famille. Toutefois, nous n'avons pas eu cette occasion.
Le juge en chef, qui me connaît bien, m'a dit qu'il ne fallait surtout pas que je vienne et que l'on perde notre seul juge; je dois donc indiquer clairement que nous appuyons le projet de loi. Je suis sûr que le juge en chef et le juge LeBlanc se rongent les ongles en se demandant ce que je vais dire. Nous appuyons le projet de loi, mais nous avons certaines préoccupations et nous avons bien demandé quatre juges. J'ai travaillé comme criminaliste pendant 20 ans avant de devenir ministre de la Justice et vous me pardonnerez le fait que pour moi, la distinction entre le droit et la politique n'est pas toujours claire. Je me comporte davantage comme un avocat que comme un procureur général. Je suis bien conscient de mon rôle de procureur général et ce que je devrais et ne devrais pas dire, mais néanmoins, nous sommes préoccupés. Les habitants de notre province s'inquiètent que les relations entre le gouvernement fédéral et la province provoquent des réactions défavorables dans divers secteurs et que la prise de bec entre le premier ministre Williams et le premier ministre Harper a une incidence sur tout, y compris la nomination des juges. J'aimerais que le premier ministre du Canada et le ministre Nicholson me disent que ce n'est pas le cas et que l'attribution d'un seul juge est fondée sur des motifs justifiables. Bien franchement, je ne vois pas la chose ainsi. En toute déférence au ministre Nicholson et à mon ami et collègue du Nouveau-Brunswick, je ne comprends pas comment on peut justifier trois juges pour le Nouveau-Brunswick et un juge pour Terre-Neuve-et-Labrador alors que nos arguments sont raisonnables, logiques et bien fondés.
Deuxièmement, il y a le processus de nomination soulevé par le sénateur Joyal. Notre pays se retrouve à une croisée des chemins — expression que je semble utiliser beaucoup ces derniers temps — en ce qui concerne les orientations futures de notre système juridique. Je l'ai même dit aujourd'hui, à part les juges, il est impossible de se faire nommer à vie. Cependant, il y a les sénateurs et les professeurs d'université. Le processus de nomination devient tellement important parce que l'indépendance judiciaire signifie qu'un juge, une fois nommé, je ne vais pas utiliser le mot « intouchable », mais je puis vous dire que pour révoquer un juge aux termes de l'article 99 de la Loi constitutionnelle, qui garantit la permanence, il faut en faire la demande devant le Parlement. Je crois que seul le Parlement est habilité à révoquer un juge d'un tribunal supérieur.
J'ai été préoccupé par l'observation faite par le sénateur Joyal concernant le processus de sélection actuel et son incidence sur l'indépendance judiciaire. Comme l'a dit le sénateur Joyal précédemment, l'indépendance judiciaire est l'un de nos principes de base et remonte au moins au XVIIIe siècle. Si le processus de nomination laisse trop intervenir la politique, l'indépendance judiciaire peut être menacée. Je sais que le sénateur Joyal a parlé des changements apportés au système de classification à M. Nicholson. Je sais qu'il a parlé du juge qui est membre du comité mais qui n'a aucune voix, et du policier qui siège au comité. Aucun avocat de la défense siège au comité de sélection des juges, donc pourquoi y aurait-il des policiers? Même là, le gouvernement n'est pas tenu de respecter la recommandation. Les nominations sont tellement importantes. Je vais recommander à la fin de mon exposé que le comité sénatorial se penche sur la question. Si nous voulons avoir un processus de nomination qui permet — et je m'abstiendrai d'utiliser des mots comme « manipulation » parce que ce n'est pas ce que je veux dire — une certaine influence ou encore qui tient compte de facteurs qui ne devraient pas agir sur le processus de nomination, il devrait alors y avoir une plus grande responsabilité, et c'est ce qui manque à notre société aujourd'hui en ce qui concerne les juges.
J'ai lu les observations du sénateur Joyal, qui a dit que les juges sont les personnes qui jouissent du plus grand respect parmi la population canadienne, mais tous les titulaires de charge publique doivent, dans une certaine mesure, avoir des comptes à rendre. À Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons vécu le scandale des dépenses des députés à l'assemblée législative, et les concepts d'ouverture, de transparence et reddition de comptes ont une importance primordiale dans tout ce que nous faisons. J'ai examiné la question et je vais vous donner des statistiques. Cela m'a renversé. J'ai trouvé des chiffres sur le conseil de la magistrature; après avoir été nommés, les juges bénéficient du principe de l'indépendance judiciaire. Cela veut dire qu'à titre de ministre de la Justice, je ne peux dire aux juges ce qu'ils doivent faire. Je l'ai appris à mes dépens récemment. À Terre-Neuve-et-Labrador, il y a eu une réaction défavorable quand le premier ministre et moi-même avons fait des observations — en fait, j'ai souscrit aux propos tenus parle premier ministre — au sujet d'une enquête. Cela a été considéré comme une ingérence dans le fonctionnement de l'enquête et il y a eu un tollé du public.
Mais je voulais vous donner des statistiques. Nous avons obtenu ces renseignements en consultant le résumé des plaintes du Conseil canadien de la magistrature. Si notre processus de nomination est mauvais, alors il faut une reddition de comptes plus serrée. En 2002-2003, il y a eu 173 plaintes, dont 168 ont été classées par le président ou le vice-président, et 86 n'ont obtenu aucune réponse du juge. Autrement dit, le dossier a été classé automatiquement. Quatre ont été classées par le comité et une est allée de l'avant, sur 173. J'ai des totaux semblables pour les deux années précédentes. Entre 2000 et 2003, 502 dossiers ont été classés et au total, seulement 11 ont été étudiés par un comité ou par le conseil. Songez à ce chiffre : 502 dossiers ont été classés par le président ou le vice-président, 11 ont été transmis à un comité et seulement deux au conseil au complet. En 2001-2002, 174 plaintes ont été déposées et seulement un juge a reçu une lettre de réprimande et un autre a démissionné. En 2000-2001, il y a eu deux lettres de désapprobation. Est-ce là la reddition de comptes que le public — non pas moi à titre d'avocat ou de procureur général, mais bien le grand public — veut dans notre système? Est-ce une véritable reddition de comptes? Pour que le principe de l'indépendance judiciaire soit intégralement respecté, si des questions se posent, comme l'indique le sénateur Joyal, au sujet du processus de nomination, il doit y avoir une plus grande reddition de comptes.
Les trois principes de l'indépendance judiciaire sont le caractère inamovible de la nomination, la sécurité financière et l'indépendance administrative, le grand principe général étant qu'un gouvernement ne peut pas s'ingérer le moindrement dans les prises de décision. Nous acceptons cela.
J'ai donc lu avec beaucoup d'intérêt ces observations. Une chose m'a frappé : votre comité devrait se pencher sur cette question. Je suggère qu'un comité du Sénat examine toute la question de l'indépendance judiciaire au Canada aujourd'hui. Un comité du Sénat devrait examiner le processus de nomination et formuler une recommandation visant à garantir l'uniformité d'un bout à l'autre du Canada pour la nomination des juges. C'est différent dans chaque province.
Et puis il y a la question de la reddition de comptes. Si vous voulons que le principe de l'indépendance judiciaire soit intégralement en vigueur et respecté en 2008, on ne peut pas s'en tenir aveuglement au précédent et principe du passé. Nous devons nous poser la question : le système répond-il aux besoins de la société canadienne d'aujourd'hui? Mes observations découlent des propos tenus par le sénateur Joyal.
J'estime qu'à titre de procureur général de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, j'ai la capacité, voire l'obligation, de formuler ces observations parce que nous sommes responsables. Je suis responsable; j'ai la responsabilité constitutionnelle de l'administration de la justice dans la province, en application du paragraphe 92(14).
Nous voulons tous que notre pays possède le meilleur système judiciaire possible. Je vous invite à considérer que dans le meilleur système possible, ces principes d'ouverture, de transparence et de reddition de comptes peuvent s'appliquer à tous.
Je voudrais faire une dernière observation avant de répondre aux questions. Je reviens au processus de nomination. C'est une question qui me tient à cœur. Les membres du comité se demandent probablement pourquoi je la soulève ici. Comme je suis ici, je vais en parler, à moins qu'on me dise carrément de m'en abstenir. Cette question, c'est celle de la nomination imminente d'un juge à la Cour suprême du Canada.
Terre-Neuve s'est jointe à la Confédération en 1949. L'homme qui se trouve à ma gauche, M. FitzGerald, est un expert sur ce qui s'est passé à l'époque de la Confédération. Nous n'avons pas eu de nomination à la Cour suprême du Canada.
Il existe une convention constitutionnelle. Le professeur Peter Hogg, dans son livre intitulé Constitutional Law of Canada, cinquième édition, décrit une convention de la façon suivante : ce sont des règles de la Constitution qui ne sont pas appliquées par les tribunaux. Autrement dit, ce n'est pas exécutoire, mais cela régit la mise en application de la Constitution. Les conventions prescrivent la manière dont les pouvoirs peuvent être exercés.
Jusqu'à hier, je croyais que l'Île-du-Prince-Édouard n'avait jamais eu de juge à la Cour suprême du Canada. Or il se trouve qu'en fait, de 1901 à 1924, il y a eu un juge de la Cour suprême du Canada qui venait de l'Île-du-Prince- Édouard, et il est même devenu le juge en chef du Canada; je crois qu'il s'appelait Louis Henry Davies. Si l'on fait un saut jusqu'en 1949, on trouve le juge Ivan Cleveland Rand, du Nouveau-Brunswick, de 1959 à 1984. Entre 1984 et 1997, il y a eu le juge Gérard La Forest, du Nouveau-Brunswick; ensuite, depuis 1997 jusqu'à aujourd'hui, nous avons le juge Michel Bastarache, du Nouveau-Brunswick. Nous avons donc eu des représentants de l'ensemble des provinces de l'Atlantique.
Pour ceux que cela peut intéresser, le professeur Hogg, encore lui, traite de la question de la représentation raisonnable; je crois que cela se trouve à la page 8-5, qui traite de l'évolution de la représentation régionale.
Nous avons trois juges du Québec — c'est une exigence de la loi —, trois de l'Ontario, deux de l'Ouest et un de l'Atlantique. Or le Canada de l'Atlantique est un concept intéressant parce qu'il y a Terre-Neuve-et-Labrador; nous sommes une province à part. En fait, je ne sais pas ce qu'en dira le sénateur Baker, mais nous avons encore le sentiment d'être un pays à l'intérieur d'un pays. Nous faisons partie de cette grande fédération, mais le temps est venu pour nous d'avoir une place à la Cour suprême, à titre de province qui n'y a jamais été représentée. Et puis l'on peut se demander si le brouhaha qui continue de se produire au niveau politique influera sur la nomination à la Cour suprême du Canada.
Je vais maintenant vous lire un passage qui m'a vraiment offusqué — pas assez pour écrire une lettre à la rédaction — dans un éditorial du National Post du 16 mai.
Les observateurs reconnaissent toutefois — sans vouloir dénigrer la qualité du Barreau du Labrador — qu'il est difficile d'établir une courte liste de juristes chevronnés, respectés, d'un haut calibre intellectuel, dans une province qui n'a jamais compté plus d'un demi-million d'habitants.
Cette attitude envers notre province est-elle encore bien vivace dans notre pays? Je trouve que c'est insultant, méprisant, scandaleux et absolument inexact. Cela reflète-t-il la réalité? Est-ce ainsi que certaines personnes nous voient? Rien ne saurait être plus loin de la réalité.
Je vais vous donner le nom de trois juges qui sont à mon avis éminemment qualifiés. Dans l'article du Globe and Mail, j'ai parlé du juge en chef Derek Green et j'ai dit que s'il était nommé aujourd'hui, il apprendrait le français entre le moment de sa nomination et celui où il commencerait à entendre des causes. Il est d'une intelligence aussi vive. Cela donne seulement deux ou trois mois et il faudrait peut-être donc atténuer un peu cette affirmation.
Un autre grand juge, c'est madame le juge Margaret Cameron, qui dirige actuellement l'enquête sur les récepteurs des œstrogènes et de la progestérone et dont on a pensé qu'elle était l'objet des observations faites récemment par le premier ministre et par moi-même, mais elle ne l'était pas. L'autre juge est Leo Barry.
Parmi ces trois juges, nous avons un boursier Rhodes, le juge Green; je pense que le juge Barry a une maîtrise de Harvard; et le juge Cameron siège à la magistrature depuis 1985 et est, je crois, parfaitement bilingue.
Toute cette situation met en cause le processus de nomination dont il faut assurer la dépolitisation — je ne sais même pas si ce mot existe. Nous devons en arriver au point où nous nommons les meilleurs juges selon leur mérite. Cependant, pour la Cour suprême du Canada, je propose de suivre la convention constitutionnelle.
Je vous remercie de m'avoir permis de faire ces observations et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le sénateur Baker : Je voudrais faire une observation, mais je vais poser une question.
Le sénateur Joyal : Nous allons vous accorder un traitement préférentiel aujourd'hui.
Le sénateur Baker : Le ministre de la Justice et procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador est peut-être l'un des avocats les plus fréquemment cités que l'on puisse trouver dans les ouvrages spécialisés, que ce soit Quick Law, West Law ou Carswell. Je me rappelle qu'il a fait ses débuts à la fin des années 1980 et qu'il lui a fallu seulement à peu près dix ans pour accumuler plus de 100-citations dans les recueils de jurisprudence. C'est absolument remarquable.
Je ne pense pas que l'on ait jamais nommé un autre ministre de la Justice qui a instruit un aussi grand nombre d'affaires — civiles, mais pour la plupart criminelles — dont on a cité les décisions au niveau de la Cour d'appel, traitant de toutes les questions imaginables relativement à toutes les lois fédérales que nous avons adoptées. Il a été un remarquable avocat de la défense au criminel qui a fait jurisprudence au Canada grâce à des décisions qui ont été citées régulièrement dans les autres compétences à la grandeur du pays.
Le juge en chef Derek Green est juge en chef à la Cour suprême, division de première instance. Il a été à la Cour d'appel, mais il a ensuite été nommé juge en chef de la division de première instance. C'est encore un juge qui est peut- être plus souvent cité que n'importe quel autre juge en chef, à ma connaissance, dans la jurisprudence; cela veut dire que ses décisions ont été citées dans d'autres compétences à la grandeur du pays. Je tenais à dire cela en guise de préambule à mes observations.
Comme le ministre l'a fait remarquer, une proposition a été faite relativement à un tribunal unifié de la famille comportant quatre ou cinq juges sauf erreur, cette proposition était formulée dans le projet de loi C-51, qui était appuyé par tous les partis à l'époque. L'Association du Barreau canadien avait dit que ce projet de loi s'imposait parce que le système du tribunal familial unifié fonctionnait bien au Canada.
Voici la question que je pose au ministre : Si j'ai bien compris, le système du tribunal unifié de la famille a atténué les pressions qui s'exercent sur la cour provinciale et la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador. Cela a permis de mettre l'accent là où il doit l'être, d'après le ministre : le droit de la famille, les juges acquérant une expertise dans un domaine particulier du droit. Cela facilite également les efforts pour s'attaquer au grave problème des ruptures familiales si fréquentes aujourd'hui, avec les conséquences que cela entraîne pour les enfants.
Il nous a dit qu'il recevra un juge. La Cour suprême est continuellement en contact avec le ministère de la Justice à ce sujet. Croit-il que le juge en chef de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, avec qui il s'est entretenu récemment, peut encore justifier d'avoir aujourd'hui quatre ou cinq juges au tribunal de la famille de Terre-Neuve-et- Labrador?
M. Kennedy : Je n'ai aucun doute dans mon esprit que si le juge en chef Derek Green et le juge Richard LeBlanc comparaissaient devant votre comité ou tout autre comité, ils vous donneraient une justification statistique, pratique et philosophique et demanderaient au moins quatre juges.
Le sénateur Andreychuk : Je vais prendre à peu près le même temps que le sénateur Baker, mais j'espère poser des questions.
Monsieur le ministre, vous êtes nouveau dans votre portefeuille et je suis heureuse de constater que vous profitez de toutes les occasions pour plaider votre cause. Je trouve qu'il est important que les provinces le fassent.
Je trouve cela plutôt curieux : Le projet de loi traite des juges, et non pas du processus de nomination. Si j'avais su que vous aviez l'intention de vous attarder au discours du sénateur Joyal, lequel énonce admirablement bien un certain point de vue, j'aurais peut-être pris la parole à la Chambre...
Le président : Pour éclairer nos auditeurs à la télévision, quand il est question du discours du sénateur Joyal, nous faisons allusion à un discours qu'il a prononcé au Sénat dans le cadre du débat de deuxième lecture de son projet de loi au début du mois. Nous ne faisons pas allusion à ce qu'il a dit aujourd'hui au comité.
Le sénateur Andreychuk : Je ne pense pas que le ministre Kennedy faisait allusion aux propos tenus ici même. Il parlait bel et bien du discours prononcé par le sénateur Joyal à la Chambre durant le débat deuxième lecture. Si j'avais su que le ministre songeait à accorder une attention particulière à ces observations sur le processus de nomination, j'aurais pris la parole à Chambre pour traiter de cette question.
Je trouve que la question est importante. Le projet de loi lui-même vise à ajouter des juges aux tribunaux. Maintenant que je sais que vous êtes ministre, je ferai attention et lorsque le sénateur Joyal prendra la parole, j'interviendrai à mon tour pour traiter de ces questions parce que je sais que vous viendrai par la suite témoigner devant notre comité.
Je trouve que vos observations sont toutes intéressantes; ce sont des questions que notre comité pourrait étudier. Si nous en avions le temps, nous étudierions l'indépendance et la responsabilité de la magistrature.
Je veux traiter de deux questions. Premièrement, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans l'administration du droit pénal et d'autres catégories du droit. Un domaine est bien sûr celui de la nomination des juges, de leur nombre, de leur salaire, et cetera. La nomination d'un juge entraîne des coûts qui se répercutent dans l'appareil judiciaire de la province. Ayant été juge cour provincial, je sais à quel point la province doit assumer une grande partie de la charge de travail du tribunal.
Vous avez dit que le juge en chef avait plaidé en faveur de la nomination de quatre juges. La police a-t-elle réclamé davantage de policiers dans votre province? Les travailleurs sociaux ont-ils réclamé davantage de travailleurs sociaux dans votre province? Si les travailleurs sociaux disent qu'il leur faut 50 travailleurs supplémentaires, leur fournissez- vous automatiquement 50 travailleurs, ou bien mettez-vous dans la balance l'ensemble des besoins de votre gouvernement avant de leur dire : Oui, les besoins indiquent qu'il en faudrait 50; nous pouvons peut-être vous en donner dix et ensuite, dans le prochain budget, nous pourrons peut-être faire plus?
Autrement, y a-t-il des négociations? Par conséquent, ne seriez-vous pas mieux de négocier pour tenter de faire augmenter le nombre des juges dans le contexte fédéral-provincial, au niveau des deux gouvernements, au lieu de venir nous voir pour dire qu'il faut quatre juges de plus? À mes yeux, ce n'est pas mon rôle.
M. Kennedy : Merci, sénateur. Je peux répondre à vos questions. Ce sont de bonnes questions.
Il se trouve que nous avons actuellement une bonne situation financière à Terre-Neuve-et-Labrador. Au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons créé 100 nouveaux postes dans la Force constabulaire royale de Terre- Neuve. Nous avons tellement de postes de travailleurs sociaux que nous n'arrivons pas à les combler. Nous avons actuellement 65 travailleurs sociaux. Nous ne pouvons pas combler tous les postes. Dans le budget de cette année, nous avons doublé la taille de l'escouade des drogues de la Force constabulaire royale de Terre-Neuve. Dans une ville de 100 000 habitants, nous avons fait passer l'effectif de cinq à dix personnes du jour au lendemain, plus une unité canine.
La réalité regrettable est que nous avons le sentiment dans notre province d'être politiquement isolés. Depuis le conflit entre le premier ministre Harper et le premier ministre Williams à propos de l'Accord l'Atlantique, nous n'avons pas demandé d'aide au gouvernement fédéral. Nous nous sentons isolés et, comme nous sommes au beau milieu de l'océan, nous sommes peut-être effectivement isolés dans une certaine mesure.
Nous profitons de l'occasion de comparaître devant votre comité pour vous faire part des problèmes qui existent au niveau fédéral-provincial. Nous ne pointons pas du doigt le ministre Nicholson. Il a été bien lorsque nous avons traité avec lui.
Cependant, par exemple, nos palais de justice à St.-John's sont excellents, ce sont de très beaux immeubles, mais ils sont désuets. Nous voulons construire un nouveau palais de justice qui pourrait coûter 120 millions de dollars aujourd'hui. Nous avons demandé au gouvernement fédéral de contribuer à la construction de la prison puisque nous n'avons pas eu de nouvelle prison depuis 1949. Nous attendons toujours une réponse.
Je comprends ce que vous dites mais, sauf votre respect, j'aimerais bien pouvoir dire que les relations fédérales- provinciales se sont améliorées. Ce n'est cependant pas le cas, et je ne m'attends pas à ce qu'elles s'améliorent.
Le sénateur Andreychuk : Il est intéressant que vous disiez que vous ne pensez pas que ces relations vont s'améliorer. Le ministre a dit qu'il avait une politique de porte ouverte pour parler d'une augmentation du nombre de juges. Je pense qu'il vous a tendu généreusement la main afin que vous repensiez à la relation fédérale-provinciale.
Nous avons notre Constitution et nous avons le système fédéral. Nous devons faire en sorte que cela fonctionne. Sauf votre respect, j'espère que vous allez reconsidérer votre position car à mon avis, la façon dont vous présentez la position fédérale n'est pas juste.
M. Kennedy : J'ai rencontré le ministre Nicholson au début du mois d'avril et je lui ai demandé d'examiner notre demande de quatre ou cinq juges. Le lendemain, j'ai rencontré le ministre Day et je lui ai demandé une contribution pour un pénitencier fédéral. Ni l'un ni l'autre ne m'ont répondu.
C'est la réalité de la situation. Il y a moyen de régler le problème, mais il faut une solution politique et cette solution est entre les mains du premier ministre Harper. Lorsqu'il respectera l'engagement qu'il a pris à l'égard de l'Accord atlantique, alors les gens de Terre-Neuve-et-Labrador commenceront à lui faire confiance. Tant qu'il ne l'aura pas fait, nous ne pourrons lui faire confiance.
La présidente : Je pense que cette question va peut-être au-delà de la portée du projet de loi.
M. Kennedy : Je pense que c'est peut-être le cas, madame le sénateur.
Le sénateur Andreychuk : Vous soulevez la question du processus de nomination et de l'obligation de rendre compte des juges. J'ai trouvé ces questions intéressantes.
Dites-moi comment vous nommez les juges de la Cour provinciale. Quel processus est-ce que vous suivez et quelle est l'obligation de rendre compte des juges de la Cour provinciale dans votre province?
M. Kennedy : Depuis que je suis ministre de la Justice, je n'ai pas encore eu l'occasion de nommer un juge. Je crois comprendre cependant qu'il y a trois catégories, soit les candidats fortement recommandés, les candidats recommandés, les candidats non recommandés.
Dans la catégorie des candidats fortement recommandés, il peut y avoir sept ou huit personnes et leur nom ne doit pas nécessairement figurer sur une liste. Pour que le ministre de la Justice ou le lieutenant-gouverneur en conseil nomme un candidat, ce dernier doit faire au moins partie de la catégorie des candidats recommandés. Nous ne pouvons pas choisir quelqu'un qui ne figure pas sur la liste.
Il est difficile pour moi à titre de procureur général de dire que je vais mettre sur pied un comité pour examiner le processus de nomination sans donner l'impression de tenter d'influencer la magistrature ou de porter atteinte à l'indépendance judiciaire. C'est pour cette raison qu'à mon avis, un organisme comme le Sénat a la possibilité de proposer un meilleur processus de nomination pour le pays, un processus que nous pouvons tous respecter.
J'ai lu les observations du professeur-Hogg au cours de l'audience d'approbation — si c'est ainsi qu'on l'appelle — du juge Marshall Rothstein. Il y avait trois candidats : Peter MacKinnon, ancien doyen de la faculté de droit de l'Université de la Saskatchewan, madame le juge Constante Hunt et le juge Marshall Rothstein. Ce n'était pas un mauvais système : un comité de sélection composé de juges et de membres du public. Je ne serais jamais d'accord pour qu'un représentant de la police siège au comité. Un comité consultatif et les ministres fédéral et provinciaux de la Justice pourraient s'entendre sur le choix de l'un des trois candidats. Ce système réduit mais n'élimine pas la possibilité de favoritisme politique.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur le ministre, à titre d'ancien juge du tribunal de la famille, je vous demande de retourner voir votre premier ministre pour voir si vous pouvez peut-être repenser la négociation. Lorsque je siégeais au tribunal de la famille, je disais au couple dont le mariage était en difficulté ou qui semblait avoir des problèmes irrémédiables d'essayer encore une fois. Je vous propose de reconsidérer si la relation avec le gouvernement fédéral est comme vous l'avez dit, ou peut-être que cette relation doit être revue de part et d'autre avec un peu plus d'optimisme.
M. Kennedy : Je transmettrai le message au premier ministre de ma province, qui se fera un plaisir de rencontrer le premier ministre Harper n'importe quand, si les 10 milliards de dollars sont versés.
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, vous avez fait des observations au sujet de la participation de représentants de la police au comité de sélection. D'après votre expérience professionnelle au sein du système judiciaire avant votre nomination à titre de procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador, pourquoi en arrivez-vous à la conclusion qu'un représentant des forces policières à un comité de sélection n'est pas une bonne idée?
M. Kennedy : Ce n'est pas tant la présence de la police que les commentaires que vous avez faits dans le contexte du programme de répression du crime. J'ai de bons rapports avec le chef de police de la Force constabulaire royale de Terre-Neuve et avec le commissaire adjoint de la GRC. Je n'aurais aucun problème à ce que l'un ou l'autre fasse partie d'un comité de sélection des juges.
Cependant, est-ce que l'on considérerait que des avocats de la défense, par exemple, fassent partie du comité de sélection? Pour moi, c'est une question d'équilibre. Lorsqu'on parle de la loi ou de nominations, nous voulons avoir un juste équilibre. Je n'ai pas de problèmes avec la police. Nous devons cependant tenir compte de la perception du public lorsqu'on cherche un certain type de juge, un juge libéral et un juge conservateur pour ce qui est de leur attitude à l'égard de la loi.
Par exemple, n'importe quel juge peut dire que l'article 8 de la Charte n'a pas été respecté. Il doit y avoir un équilibre.
Le sénateur Joyal : Vous connaissez peut-être le modèle ontarien qui consiste à inscrire le processus de nomination dans une loi, ce qui se fait en Ontario depuis un certain nombre d'années. Le gouvernement ontarien a une loi au sujet des juges provinciaux qui à mon avis prévoit l'un des processus les plus transparents au Canada pour la Cour de l'Ontario, comme tel. Ce processus fonctionne bien, il est objectif et transparent. Cela permet au grand public de savoir combien il y a de candidats à chaque année, quel genre de candidats, combien il y a de femmes candidates, combien d'hommes candidats, combien de candidats bilingues, et cetera. Le grand public connaît le processus de nomination.
Le processus fédéral qui a été mis en place en 1988 par l'ancien procureur général Ray Hnatyshyn était un bon processus et il a été amélioré en 1992. Nous n'avons cependant pas amené le système fédéral à un point de maturité qui permet d'inscrire dans une loi le processus de nomination.
Il y a deux ans, la Grande-Bretagne a adopté une loi pour inscrire la nomination des lords, et ils ont maintenant un système entièrement transparent. Le premier ministre recommande le nom à Sa Majesté en conseil. Si le premier ministre refuse, il doit justifier son refus par écrit.
Une façon de corriger la perception du système de sélection des juges chez les Canadiens est d'inscrire le processus de sélection dans une loi qui prévoit que le comité de nomination doit faire rapport une fois par année. Le rapport est public et décrit en détail les éléments qui ont été pris en compte et le nom des membres du comité, de sorte que le processus est juste, ouvert, transparent et fondé sur le mérite. Il s'agit essentiellement d'un système qui se fonde sur le mérite. Si le système nomme une personne qui n'est pas considérée comme étant la meilleure personne sur le plan intellectuel et juridique pour occuper le poste de juge, alors il faut remettre le système en question.
Une façon de donner davantage de maturité au système canadien est de l'inscrire dans une loi. Vous aurez une excellente occasion à la conférence annuelle des procureurs généraux de présenter ce concept. Je suis certain que le procureur général de l'Ontario sera à vos côtés pour parler de l'expérience ontarienne. Cela n'a rien à voir avec qui exerce le pouvoir de recommandation au Canada, mais le système doit évoluer. Vous pouvez jouer un rôle considérable au niveau provincial en tant que procureur général pour faire accepter ce concept. Il s'agit d'une étape importante si nous voulons maintenir la crédibilité du système.
M. Kennedy : C'est une excellente idée. Même sans y songer davantage, je peux vous dire que je présenterai la question du processus de nomination aux réunions fédérales-provinciales-territoriales cette année. Je ne connais pas la loi ontarienne mais je suis ouvert à cette possibilité car nous voulons un système qui se fonde sur le mérite. Je dois dire ceci cependant : cela ne veut pas dire que quelqu'un qui a un lien politique ne pourra jamais être nommé à un poste de juge. Je n'ai jamais pris cette position.
Votre idée est bonne. Le problème, c'est que je m'efforce de ne pas empiéter sur le principe de l'indépendance judiciaire. Je me méfie presque de longs entretiens avec les juges car je trouve qu'il y a alors un échange de correspondance sans fin. Nous avons proposé certains amendements à la loi sur la Cour provinciale et il y a eu un échange d'environ dix ou 15 lettres. Je dois consulter les juges. Je suis ouvert à cette procédure. J'examinerai le modèle de la Grande-Bretagne et le modèle ontarien. Cela pourrait faire l'objet d'un excellent débat aux réunions fédérales- provinciales-territoriales.
Le sénateur Joyal : Je vais aborder la question du nombre de juges qui seront nommés à Terre-Neuve-et-Labrador en vertu du projet de loi à l'étude. On croyait comprendre de façon générale qu'il y en aurait quatre, mais ce ne sera qu'un.
M. Kennedy : Aucun engagement n'a été pris.
Le sénateur Joyal : C'est juste de votre part de le dire, et je le reconnais. Cependant, je suis toujours un peu mal à l'aise lorsqu'il semble y avoir des négociations détournées. On ne peut pas négocier de façon détournée la question concernant les droits des Canadiens à être entendus devant un tribunal et jugés de façon équitable. Les critères de sélection du nombre de juges ne sont pas transparents. Quels critères sont utilisés pour décider s'il y a un nombre de juges équitable? Il faudrait élaborer une série de critères qui permettraient à une province de dire : voici le nombre de cas; voici la liste d'attente; et voici le nombre de cas où il est possible d'obtenir de l'aide juridique. On élabore ensuite un certain nombre de critères sans lesquels, peu importe qui est ministre au palier fédéral ou provincial, la magistrature ne se retrouve pas prise au milieu d'une bisbille politique entre deux paliers de gouvernement. Le système juridique ne devrait pas faire l'objet d'une telle approche. Peut-être qu'une façon de résoudre ce problème serait de dresser une certaine liste de conditions pour le budget proposé. On doit rémunérer les juges. On doit leur fournir un bureau et un service de personnel de bureau et tout ce dont les juges ont besoin pour fonctionner. Ce n'est pas seulement un prix que l'on obtient du gouvernement fédéral : on gagne deux autres juges cette année. Un système juridique ne devrait pas fonctionner de cette façon. Je déteste donner l'impression aux Canadiens que la façon dont ils seront entendus sera négociée dans leur dos. Ce n'est pas ainsi que le système canadien devrait fonctionner. Bien que notre système soit crédible à l'extérieur du Canada — nous sommes considérés comme ayant un système qui fonctionne —, nous devrions nous assurer d'améliorer le système de sorte que les Canadiens soient convaincus qu'ils ont le meilleur système au monde. Pour avoir le meilleur système au monde, il faut cependant s'assurer que nous avons des juges pour entendre les causes.
Nous avons entendu le ministre qui a dit qu'on devrait être heureux d'avoir 20 juges de plus. Il faut désormais penser autrement. Le sénateur Baker estime que 20 de plus, c'est mieux que rien, tout le monde en conviendra peut-être, mais est-ce suffisant pour les Canadiens qui s'attendent, à bon droit, à être jugés de manière juste et équitable? Comme citoyen canadien, j'ai droit au système judiciaire juste. C'est chevillé à ma citoyenneté. Voilà pourquoi je suis fier d'être Canadien et d'avoir droit au système judiciaire. Quand on fixe le nombre de juges, on devrait avoir un moyen objectif de l'évaluer, sans paternalisme, sans sembler dire : je vous en donne 20, soyez contents et remerciez-moi.
Je respecte la position du ministre de la Justice, M. Nicholson. C'est fondamental pour la citoyenneté canadienne. Pourrions-nous toutefois opter pour une solution plus fiable?
M. Kennedy : Je ne vois pas comment, sénateur. Si nous avons l'occasion d'en discuter à nouveau après la séance, j'aimerais que vous me fassiez part de vos idées sur l'élaboration de ce système. C'est une excellente idée.
À la fin de l'exposé du professeur Hogg sur l'audience relative au juge de la Cour suprême du Canada, il a souligné quelles qualités il fallait rechercher chez les juges de la Cour suprême. Il devrait y avoir des critères établis pour eux, et si l'on s'entend là-dessus, on pourra s'entendre sur une formule. Comme dans l'éditorial que je vous ai lu, pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador, malheureusement, on estime qu'avec une population de 500 00 habitants, le nombre doit être fonction de la population. Il se trouve que notre province a une très grande superficie, comme d'autres provinces, et que le nombre de juges doit tenir compte du caractère régional et des distances à parcourir pour les juges. De nombreux facteurs doivent pris en considération.
Le président : Nous sommes tous fascinés, mais le sénateur Milne est inscrite sur ma liste et je voudrais moi-même aussi poser une question.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre Kennedy, combien de temps faut-il habituellement pour qu'une cause fasse l'objet d'un procès, actuellement, à Terre-Neuve-et-Labrador?
M. Kennedy : C'est une excellente question. Quand je suis devenu ministre de la Justice, j'ai créé un groupe de travail sur l'amélioration de l'efficience de l'appareil judiciaire. Nous avons récemment reçu un rapport de ce groupe. À St. John's, il y a neuf tribunaux et la cour provinciale met en moyenne dix à 12 mois. En remaniant le système et avec quelques injections de fonds, cette moyenne pourrait être abaissée à trois ou quatre mois. Nous avons créé la possibilité d'avoir des juges mandatés sur une base journalière, des juges à la retraite, qui reviennent entendre des causes, au besoin. Cela nous permet de doubler le nombre de causes entendues, pour accélérer le processus. Nous avons créé un poste de coordonnateur des procès et nous nous servirons de vidéoconférence à la Cour provinciale. C'était le but des efforts du juge LeBlanc et du juge en chef Green pour les tribunaux de la famille, où les causes pouvaient prendre deux, trois ou même quatre ans. Le juge LeBlanc a essayé de régler bon nombre de ces dossiers par la médiation et le counselling en moins de 90 jours. Les autres causes, qui se rendent devant les tribunaux, sont traitées plus rapidement quand le système n'est pas engorgé. Mais pour cela, comme le signalaient les sénateurs Baker et Joyal, il faut des ressources provinciales.
Pour la Cour provinciale, nous espérons que les choses s'amélioreront. La prochaine étape, nous l'espérons, est celle de la Cour supérieure. Le sénateur y a peut-être fait allusion, mais le nombre de dossiers criminels dont sont saisis les tribunaux supérieurs est minime de nos jours, puisqu'il ne s'agit que d'homicides et de causes devant jury.
Le sénateur Milne : Vous dites qu'il faut deux ou trois ans pour un procès devant le tribunal de la famille. Est-ce une moyenne?
M. Kennedy : Je ne sais pas quelle est la moyenne. Je peux me renseigner pour vous. Je ne sais pas si le juge LeBlanc a ces chiffres.
Le sénateur Milne : Qu'est ce que l'ajout d'un juge fera pour vous? Dans quelle mesure cela accélérera t-il le traitement des dossiers?
M. Kennedy : Toute ressource judiciaire accélère les choses. Un nouveau juge travaillant en partenariat avec le juge LeBlanc et le juge Cook au tribunal de la famille de St. John's sera d'une aide précieuse. Nous y avons deux juges très vaillants, le juge LeBlanc consacre probablement 12 à 15 heures par jour, sept jours sur sept, à faire en sorte que le système fonctionne. Il a besoin d'aide et, dans bien des cas, cela doit prendre la forme de nouveaux juges.
Le sénateur Milne : Quel changement apporterait l'ajout de quatre juges?
M. Kennedy : On pourrait éliminer l'arriéré des dossiers en moins d'un an. Je pense avoir vu ça quelque part, je crois que c'est le juge LeBlanc qui l'a dit.
La présidente : Vous vouliez quatre juges. Vous pensiez, à un moment donné, avoir des motifs raisonnables de vous attendre à ce qu'on vous en donne quatre. Vous pensez maintenant qu'on ne vous en accordera qu'un seul.
Monsieur le ministre, vous savez éloquemment décrit le contexte politique entourant ces décisions, mais plus tôt aujourd'hui, un des fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada nous a dit que le gouvernement avait pris une décision stratégique, à distinguer d'une décision politique, visant à ne pas élargir le système du tribunal unifié de la famille. Cela ne fera qu'ajouter aux statistiques que vous nous avez données, sur votre situation. Vous a-t-on expliqué cette décision stratégique?
M. Kennedy : J'ai lu quelque part qu'on parlait de 27 juges pour les tribunaux unifiés de la famille. Si j'ai bien compris, le gouvernement libéral penchait pour une expansion du système des tribunaux unifiés de la famille à l'échelle du pays, pour les questions relevant du droit de la famille. Sous l'égide d'un ministre conservateur précédent, je pense qu'on a moins insisté sur les tribunaux de la famille et davantage, en général, sur les cours supérieures. Je pense que cette nouvelle tendance, comme vous l'avez dit, est une orientation stratégique. Je me souviens que le ministre Nicholson ne s'opposait pas aux tribunaux unifiés de la famille.
J'insiste sur le fait que dans notre société, les plus vulnérables sont les femmes et les enfants, tant comme victimes de crimes, dans le système de justice pénale que dans le système du droit de la famille. Souvent, l'homme a les moyens de retenir les services d'un avocat du secteur privé, alors que les femmes et les enfants doivent se débrouiller en essayant d'avoir accès à l'aide juridique, à l'intérieur d'un système qui peut être très complexe.
Je comprends le contexte des propos du sénateur. Précisons toutefois qu'au cours des quatre dernières années, aux réunions fédérales-provinciales-territoriales, la question prioritaire, c'est l'aide juridique civile. Le gouvernement fédéral estime que l'aide juridique civile n'est pas de sa compétence, sinon dans le cadre budgétaire, en raison des transferts aux provinces.
Ensuite, s'il faut aller devant le tribunal de la famille, le Service de justice à la famille entre en jeu pour égaliser les chances. Ce service veille à ce que les femmes, les enfants et les hommes aient des chances égales. Nous voyons si souvent des mères de 40 ans qui ont deux enfants, qui sont restées à la maison pour les élever, qui ont été longtemps sans faire partie de la population active, même des femmes qui travaillent à temps plein tout en élevant leurs enfants. Ce n'est pas juste. Le père est avantagé.
Nous essayons de rétablir l'équilibre. Je ne dis pas cela pour me faire du capital politique. C'est ce que je constate sur le terrain. Il faut protéger les plus vulnérables et nous ne le faisons pas. Voilà pourquoi les services de justice à la famille jouent un rôle si important.
Le sénateur Andreychuk : Vous déclarez avoir suffisamment de ressources. Vous dites que vous avez les travailleurs sociaux, et cetera. Au lieu d'une expansion de l'aide juridique civile, mais pourquoi ne pas augmenter ces ressources nécessaires en amont, en prévention, pour ce qui relève de la compétence provinciale? Une fois devant les tribunaux, il est presque trop tard, il aurait fallu intervenir avant les pots cassés. On devrait faire davantage de prévention. Aidez- vous les familles? Si vous voulez aider les familles qui ont des problèmes, il ne faut pas attendre d'être devant le tribunal. Il faut les rejoindre avant. Vous avez les ressources. Avez-vous prévu quelque chose?
M. Kennedy : Je vais vous donner des exemples tirés du budget de cette année. Il faut tenir compte de la géographie. Dans Labrador-Ouest, soit la région de Wabush et de Churchill Falls, il n'y a pas de tribunal ni d'avocat de l'aide juridique depuis quelques années. Nous avons implanté un travailleur d'aide juridique et ouvert un tribunal. Quand j'y ai rencontré le groupe de femmes, elles n'avaient pas accès à des services juridiques.
Dans l'ouest de Terre-Neuve, nous avons augmenté les services pour les enfants, les jeunes et la famille, en facilitant l'accès, notamment à l'aide juridique, aux travailleurs sociaux et aux tribunaux.
Cette année, à St. John's, nous avons lancé un projet-pilote de tribunal sur la violence familiale. Nous avons l'appui de tous les groupes de femmes. Nous nous penchons sur les causes profondes de la criminalité et essayons de rassembler les familles en offrant des services de counselling non seulement au contrevenant mais aussi à sa conjointe et à ses enfants.
Nous prenons des mesures diverses. Les juges LeBlanc et Green nous disent que la province essaie d'augmenter sa capacité. La croissance de la province est toutefois si rapide qu'on craint de manquer de juges pour entendre les causes. Le problème n'est pas relié aux frais afférents au bureau, au matériel et au personnel. La semaine passée, par exemple, nous avons fourni deux ou trois agents, un avocat à temps plein et un administrateur en justice familiale, que nous avons détaché du ministère de la Justice.
Nous nous penchons sur toutes ces questions, sur les causes profondes non seulement de la criminalité mais aussi des ruptures et des problèmes relationnels des familles. Nous essayons d'appuyer le projet de Service de justice à la famille, mais il faudrait des injections de fonds fédéraux.
Le sénateur Andreychuk : Je voulais que vous nous parliez des services de prévention, et non des services du ministère de la Justice.
M. Kennedy : Pour ce qui est des conseillers, des psychologues et des médiateurs, c'est exactement ce que visent le Service de justice à la famille.
La présidente : J'ai encore une question. Quand nous avons parlé des nominations à la magistrature provinciale, vous avez dit que pour que quelqu'un soit nommé, il doit faire partie de la liste des candidats fortement recommandés. Quand vous avez dit que c'est ce que vous deviez faire, s'agit-il d'une pratique bien établie ou y a-t-il une règle ou un engagement écrit qui vous oblige à choisir quelqu'un qui fait partie de cette liste?
M. Kennedy : Je me suis mal exprimé. La personne doit être recommandée. Elle peut faire partie de la liste des fortement recommandés ou des recommandés. Il suffit que le candidat fasse partie d'une de ces deux listes.
La présidente : Qu'est-ce qui vous oblige à choisir quelqu'un de ces listes?
M. Kennedy : J'ai apporté quelques modifications à la Loi sur les juges des tribunaux provinciaux la semaine dernière. J'essaie de me rappeler. Je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit à ce sujet dans la loi, mais je sais que c'est la pratique courante. Le sénateur Joyal estime qu'il faudrait que cela soit dans la loi.
La présidente : Voilà où je veux en venir : est-ce dans la loi?
Le sénateur Joyal : J'ai une question complémentaire à celle du sénateur Andreychuk, si vous permettez. En vertu de la loi de l'Ontario, le ministre doit nommer quelqu'un qui est fortement recommandé ou recommandé. Autrement, il doit donner ses motifs par écrit lorsqu'il ne nomme pas l'un des candidats fortement recommandés.
La présidente : Ce n'est pas le système qui existe à Terre-Neuve-et-Labrador, mais si après mûre réflexion ou après avoir examiné le contenu de votre serviette — votre serviette bien remplie, j'en suis sûre — vous trouvez un document qui indique que vous devez faire cela, allez-vous nous en informer par écrit?
M. Kennedy : Je vais étudier ce que le sénateur Joyal a dit à ce sujet.
La présidente : J'aimerais savoir si cela s'applique à votre compétence.
M. Kennedy : Il y a une règle non écrite dans notre compétence. Notre gouvernement vise l'équité des sexes. Malheureusement, il n'y a pas assez de femmes à la Cour provinciale. S'il y a quatre nominations à la Cour provinciale de Terre-Neuve-et-Labrador l'an prochain, deux seront des femmes.
Le sénateur Andreychuk : Pourquoi pas quatre?
M. Kennedy : Je suis ouvert à cette éventualité, sénateur.
La présidente : Au moins deux.
M. Kennedy : Oui. : Notre société s'engage dans cette direction. C'est écrit nulle part, mais c'est une chose que nous devons réaliser et notre gouvernement s'engage à le faire.
La présidente : Monsieur le ministre, notre discussion a été animée et intéressante. Nous vous en remercions. Merci beaucoup d'être venu.
M. Kennedy : Merci. Je m'excuse de m'être écarté du sujet de temps à autre.
La présidente : Chers collègues, notre prochaine réunion se tiendra ici demain matin à 10 h 45. N'oubliez pas!
La séance est levée.