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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages du 4 juin  2008 - séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 4 juin 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants) se réunit aujourd'hui, à 15 h 2, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui poursuit son étude du projet de loi S-209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants). Avant de vous présenter nos premiers témoins de l'après-midi, j'aimerais régler une petite question administrative. Le comité de direction a parlé du fait que bon nombre des membres réguliers du comité seraient en déplacement avec d'autres comités cette semaine. Pour simplifier notre planification à tous, le comité de direction a convenu que le comité ne tiendra pas de vote cette semaine. Nous ferons notre travail sans mise aux voix, jusqu'à ce que nous reprenions nos travaux réguliers la semaine prochaine.

Quelqu'un veut-il proposer une motion à cet effet?

Le sénateur Campbell : J'en fais la proposition.

La présidente : Qui est contre? Qui s'abstient? Adopté.

Nos témoins cet après-midi sont Greg Del Bigio et Kerry Froc, de l'Association du Barreau canadien et Norm Boxall, de l'Association des avocats de la défense. Après les exposés des témoins de ces deux associations, nous passerons aux questions.

Monsieur Boxall, vous avez la parole.

Norm Boxall, vice-président, Association des avocats de la défense : Merci de nous avoir invités à parler du projet de loi S-209. Nous prenons à cœur cette possibilité de participer au processus parlementaire et de nous y faire entendre, que les sénateurs soient d'accord avec nous ou non. Notre association comprend un millier d'avocats de la défense qui pratiquent devant les tribunaux de l'Ontario, au quotidien.

Nous sommes ici pour présenter notre point de vue, sans faire référence à des dossiers ou à notre interprétation de ces causes. Nous pouvons tous lire et comprendre les déclarations de la Cour suprême, qu'elles nous plaisent ou non. Je vais vous parler de ce qui se passe réellement dans les tribunaux et non des propos de la Cour suprême où neuf juges imposent la loi. Comme la plupart de nos membres, je pratique dans les tribunaux provinciaux, tous les jours. Je suis ici pour vous parler non seulement de la théorie du droit, mais aussi de la réalité, en termes pratiques.

Nos membres sont surtout des avocats de la défense. Certains sont procureurs aussi et quelques-uns représentent les témoins. Dans la procédure judiciaire, des témoins, surtout des victimes, peuvent avoir des témoins et certains de nos membres représentent ces témoins ou victimes. Mais en général, nous représentons les accusés, et c'est le point de vue que nous présentons.

Pour commencer, nous sommes contre la violence à l'endroit des enfants. Nous n'approuvons pas que des actes criminels soient perpétrés contre des enfants. Mes propos ne doivent pas être perçus comme favorisant quelque méthode parentale que ce soit. Il ne s'agit pas de savoir quelles méthodes parentales nous préconisons. En fait, je partage les sentiments exprimés par ceux qui ont proposé le projet de loi, au sujet des méthodes parentales. Ce que nous tenons à dire, c'est qu'il est dangereux de laisser aux autorités le soin de décider quelles causes se retrouveront dans les tribunaux, qu'il s'agisse des procureurs ou de policiers même s'ils sont nourris de bonnes intentions. À notre avis, il faut préserver la protection offerte par l'article 43. Les parents et les enseignants en ont besoin pour se libérer de la menace du droit pénal.

Nous avons constaté par nous-mêmes ce qui arrivait quand il y avait ou non discrétion. On en voit un exemple clair dans les cas de violence conjugale. Nous ne voulons pas revenir à l'époque où la violence conjugale était camouflée ou ignorée. Il convient tout à fait que les tribunaux en soient saisis. Nous constatons toutefois que malgré de louables objectifs, quand il n'y a aucun contrôle, on tombe dans la tolérance zéro, enlevant toute discrétion aux policiers et aux procureurs. Les tribunaux sont alors surchargés de petites causes sans importance, à la merci de personnes qui ont des litiges familiaux à régler. Nous craignons que ce projet de loi n'ouvre la porte à ce genre de problème sans qu'il y ait de contrôle efficace. Quand le tribunal est enfin saisi du dossier six à 12 mois plus tard, l'un des parents a dû quitter le logis familial, il ou elle n'a plus accès à ses enfants ou à son conjoint. Le mal est fait. Oui, les enfants doivent être protégés contre la violence, mais il ne faut pas oublier qu'ils ont aussi besoin de leurs parents.

Nous convenons du fait que l'interprétation qu'a donné la Cour suprême de l'article 43 ne cadrait pas avec les connaissances et les valeurs sociales actuelles.

Son interprétation la plus récente est toutefois très étroite. J'ai fait circuler mes notes d'allocution et je vais m'efforcer de les parcourir rapidement.

Bien compris, l'article 43 ne protège pas les personnes qui agissent sous le coup de la colère ou de la frustration, non plus que ceux qui recourent aux punitions corporelles pour des enfants de moins de deux ans, non plus que ceux qui le font pour des adolescents, des personnes de plus de 12 ans. Il ne protège pas non plus ceux qui se servent d'un objet, comme une ceinture ou un bâton, non plus que les personnes qui donnent un coup ou une claque sur la tête.

L'article 43 ne protège que les parents, les enseignants ou ceux qui remplacent un parent et qui se servent de peu de force, pour corriger un comportement. Il s'agit de corriger un comportement. Il y a des analogies et des cas particuliers. Il ne s'agit pas de savoir si certaines méthodes parentales nous plaisent ou non. Souvent, au supermarché ou au terrain de jeu, je vois des parents et je me dis que ce n'est pas comme eux que je traiterais mon enfant; je ne dirais pas cela ou je ne ferais pas ceci à mon enfant. Il y a toutefois une marge entre ça et dire : « ne devriez pas parler ainsi à votre enfant, j'appelle la police pour vous faire arrêter. »

Il y a un risque potentiel quand on accuse une mère ou un père qui a corrigé son enfant de manière légère, sans lui donner de coups à la tête, sans le blesser, et sans recourir à un instrument. Prenons l'exemple d'un enfant qui écoute à la télé une chaîne inappropriée pour lui. Elles sont bien trop nombreuses, ces chaînes. Peut-être voudrions-nous des lois qui protègent les enfants contre ce genre d'émission, ou de contenu sur Internet, et contre les parents qui laissent les enfants y avoir accès.

Mais qu'arrive-t-il si un parent ne veut pas que son enfant regarde ce genre de contenu inapproprié, demande à l'enfant de changer de chaîne et que l'enfant réagisse de manière agressive et négative? Qu'arrive-t-il si le parent l'envoie dans sa chambre mais que l'enfant répond qu'il 'ira pas.

Le parent ne peut rien dire qui fasse bouger l'enfant. Le parent le prend, le prend par la main et l'amène dans sa chambre et lui dit d'y rester assis quelques instants, en punition. Si l'enfant fait alors une crise, le parent devra peut-être l'immobiliser et l'éloigner de la cause de la crise.

Pour notre association, on aurait tort d'appeler la police et de faire emmener le parent les menottes aux poings au poste de police, avec prise d'empreintes digitales, sans qu'il puisse revenir à la maison, avoir de contact avec ses enfants, de lui imposer un casier judiciaire, voire de lui faire perdre son emploi. Qu'y a-t-il de positif là-dedans?

Cet article n'encourage ni ne fait la promotion d'aucune conduite. Il sert simplement à reconnaître qu'il y a des situations très difficiles, pour ce travail des plus difficiles, être parent. Dans les cas où un parent recourt à des corrections mineures, suivant le cadre fixé par la Cour suprême du Canada, à notre avis, cette défense doit pouvoir être invoquée.

On dit qu'il ne faut pas s'inquiéter, qu'il y a d'autres moyens comme la défense de nécessité. Pourtant, la défense de nécessité ne s'applique qu'au danger imminent. Elle ne protège pas un parent qui pense que son enfant devrait aller au lit, revenir à la maison du terrain de jeu, éteindre la télé plutôt que d'y regarder de la pornographie, ne pas avoir accès à Internet, cesser d'être cruel envers le chat, et cetera. Cette défense ne couvre pas ce genre de situation.

Si le concept selon lequel « la loi ne s'occupe pas des menues affaires » existe en droit, comme je le crois, on ne pourra pas facilement invoquer cette défense. Des juges devant lesquels j'ai plaidé estiment que ce concept ne s'applique pas aux questions familiales. Il n'est donc pas certain que ce concept existe en droit et qu'on puisse s'y fier.

Dans d'autres cas, on a vu les problèmes causés par la discrétion des procureurs ou de la police. Le résultat, c'est une application de la loi inégale, qui donne de trop grand pouvoirs à certaines personnes. En outre, au Canada, les policiers et les procureurs ne sont pas les seuls à porter des accusations. Un particulier peut encore porter des accusations. Dans le cas d'un litige entre conjoints, un parent qui veut obtenir la garde de son enfant pourrait dire j'ai vu telle personne prendre Johnny par la main pour le tirer jusqu'à sa chambre. Ce serait suffisant pour porter des accusations, voire pour obtenir une condamnation.

Le droit pénal est puissant, mais c'est aussi un outil imprécis. Ce n'est pas un scalpel mais une masse. Ce n'est pas l'outil que nous proposons. Même si nous voyons dans ce problème un mal social, même si nous reconnaissons qu'il faut agir et lutter contre ce fléau, le droit pénal n'est pas l'outil que nous prônons. Ce devrait être le dernier recours.

Même si on convient en général que ce comportement est inacceptable, cela ne signifie pas nécessairement qu'il faut le criminaliser. Beaucoup d'autres comportements parentaux peuvent nous sembler inacceptables. Il n'est pas nécessaire de les criminaliser. Il faut renforcer les programmes éducatifs, les ressources pour la famille et les autres formes d'aide sociale.

Être parent, c'est un travail parmi les plus difficiles. Il y a très peu de formation ou d'éducation préalable et très peu de ressources qui s'y appliquent. La société, la communauté doivent aider les parents dans leur travail et non pas les menotter, les enchaîner et les emprisonner.

Essentiellement, à notre avis, cette défense avec l'interprétation étroite qu'en a donnée la Cour suprême du Canada doit être maintenue comme protection contre un autre risque potentiel à nos yeux. Ce risque n'est pas fictif. Nous le constatons tous les jours. Ce que vous considérez des peccadilles fait l'objet de procès, perturbe des familles et cause de graves préjudices.

Voilà qui met fin à mon exposé.

Kerri Froc, analyste des politiques juridiques, Association du Barreau canadien : L'Association du Barreau canadien est ravie de comparaître devant le comité saisi du projet de loi S-209. Notre mémoire écrit vous a été distribué à l'avance.

Nous sommes une association nationale comptant 38 000 membres pour l'ensemble du pays. La Section nationale du droit pénal de l'Association du Barreau canadien est composée d'avocats de la défense, de procureurs et d'universitaires de toutes les provinces et territoires. Le principal objectif de l'organisation est d'améliorer le droit et l'administration de la justice.

C'est dans cette optique que nous vous présentons notre mémoire et notre déclaration. Je donne maintenant la parole à M. Del Bigio, président de la Section nationale du droit pénal, qui vous parlera des questions de fond relatives à ce projet de loi.

Greg Del Bigio, président, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien : Merci de nous accueillir. Notre position coïncide avec celle qui a été si éloquemment présentée au comité par M. Boxall. Il nous a coupé l'herbe sous le pied. Mais si vous permettez, je vous présenterai un résumé de notre mémoire, en y ajoutant quelques propos.

Notre Section nationale du droit pénal diffère de l'association de M. Boxall par sa composition. Nous comptons parmi nos membres tant des procureurs que des avocats de la défense. C'est leur point de vue qui sert à préparer nos mémoires et énoncés de politique, fondés sur l'expérience des procureurs et des avocats de la défense de tous les pays.

Il est impératif que je commence par éviter tout malentendu : rien de ce que dira l'Association du Barreau canadien aujourd'hui ne doit être perçu comme allant à l'encontre de la protection des enfants. Purement et simplement : les enfants doivent être protégés.

Nous croyons toutefois que l'article 43 concorde tout à fait avec cette protection nécessaire des enfants.

Nous comprenons que l'intention du projet de loi est de mieux protéger les enfants, mais nous sommes contre son adoption. Nous craignons que les changements proposés élargissent de beaucoup la portée du droit pénal, dans un grand nombre de circonstances, comme le disait M. Boxall.

On pourrait s'attendre aux conséquences aussi mentionnées par M. Boxall : des arrestations, des expulsions du foyer familial, des conditions de mise en libération sous caution qui empêcheraient un parent de revenir à la maison et d'avoir des contacts avec ses enfants. Jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur les accusations, le parent pourrait être assujetti à des conditions de mise en libération. Selon l'endroit où cela se produit au Canada, les accusations pourraient ne faire l'objet d'un procès qu'après de nombreux mois.

Entre-temps, il y a une perturbation de la vie familiale. Il y a aussi l'accusation criminelle. Ensuite, en cas de procès, on se retrouve dans une situation où des membres de la famille, l'enfant compris, auront à témoigner contre le parent accusé. Il y a les sanctions associées à une condamnation et d'autres conséquences qui pourraient avoir une incidence sur la famille, par exemple, une perte d'emploi. Les conséquences potentielles peuvent aller très loin et être de bien des façons dramatiques. Il faut y réfléchir soigneusement.

Comme M. Boxall et d'autres témoins l'ont dit, il importe de bien comprendre l'article 43. L'arrêt de la Cour suprême du Canada peut certes faire l'objet de discussions, on peut se demander comment elle est arrivée à ces conclusions, si elles étaient bonnes, mauvaises ou autre chose encore. Il reste que nous avons maintenant une interprétation de l'article 43 dont l'application est très limitée. Elle ne permet pas que soient infligées des lésions corporelles, que le comportement soit abusif, qu'on frappe sous le coup de la colère, de la frustration ou de la rage. L'article 43 ne permet pas le recours à la force par perte de contrôle. L'objectif doit être de corriger un comportement.

Cette interprétation est fondée sur le rôle du parent et de l'enfant et reconnaît l'intérêt de l'enfant. Elle reconnaît aussi que la sphère de protection porte aussi sur les corrections, et ne doit pas être perçue ou interprétée de manière ponctuelle ou discrétionnaire. D'après ce qu'a dit la majorité des juges, l'application doit être fondée sur la primauté du droit, qui s'applique à tous.

Ce n'est pas un critère subjectif. Tout n'est pas permis. On ne défend pas le recours à la force contre des nourrissons. Comme le disait M. Boxall, il est interdit d'utiliser un objet comme une ceinture ou une règle et de donner des coups sur la tête, entre autres. La cour a déclaré qu'on pouvait recourir à une force légère pour infliger une correction, avec un effet transitoire et insignifiant.

Nous estimons que cette interprétation cadre tout à fait avec les devoirs et obligations des parents et des enseignants envers les enfants. Elle cadre aussi avec les besoins des enfants et la nécessité de les protéger. Elle respecte la primauté du droit. L'abrogation de ces dispositions importantes pourrait donner lieu à des conséquences de portée considérable.

Comme l'a mentionné M. Boxall, la défense de nécessité est liée à des dispositions qui sont associées aux « menues affaires de la loi », si elles existent et sont donc insuffisantes. Il ne faudrait pas laisser à un parent la discrétion d'appeler ou non la police, ni laisser à un policier arrivé sur les lieux le soin de décider ou non de procéder à une arrestation, ni confier au procureur qui vient de recevoir un dossier le soin de décider s'il faut ou non porter des accusations.

N'oublions pas que le procureur dispose d'un pouvoir discrétionnaire. Il s'exercera peut-être plusieurs heures ou plusieurs jours plus tard. Par exemple, si un suspect est arrêté le vendredi soir, il sera incarcéré et amené devant le tribunal pour son audience de cautionnement seulement deux ou trois jours plus tard, selon les ressources dont on dispose dans cette localité. Ce n'est que quelque temps après que le procureur exercera son pouvoir discrétionnaire et décidera de ne pas porter cette accusation ou de faire assouplir les conditions de la liberté sous caution.

N'oublions pas non plus que bien des policiers et bien des procureurs de la Couronne seront guidés par la prudence. Que leur dictera la prudence dans de telles circonstances? Fouillons un peu plus, obtenons davantage d'informations sur la situation avant de prendre une décision.

Nous sommes d'avis que, le processus est tel qu'une fois enclenché, on ne pourra l'interrompre facilement. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons appuyer le projet de loi.

Le sénateur Andreychuk : Merci aux deux témoins. Vous avez abordé certaines des questions fondamentales dont nous devons traiter.

Avant de vous poser des questions plus précises, je signale que l'expression « châtiment corporel » à un sens universel surtout depuis l'entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. La convention condamne l'usage de la violence à l'endroit des enfants et tente de mettre fin au vieux principe selon lequel le parent peut faire de l'enfant ce qu'il veut. Elle a modernisé notre vision de l'enfant qui doit se fonder dorénavant sur le respect de l'enfant, mais, selon ma compréhension, la convention n'a jamais pour but d'exclure les parents de l'éducation des enfants, ou de leur interdire de corriger les enfants dans l'espoir qu'ils en viennent à assumer leurs responsabilités comme citoyens et êtres humains.

En raison de toutes les formes que pouvaient prendre les châtiments corporels, cette expression est devenue un cri de ralliement. Elle a semblé réveiller davantage de résonance que le droit à la famille, par exemple.

Monsieur Del Bigio, vous avez fait remarquer à juste titre que, quand on arrête un parent, on prive l'enfant de son droit à une famille et de son droit de grandir dans sa culture, sa religion, et cetera. Moi, je tiens à ce que notre droit pénal continue de condamner les comportements excessifs des parents, comme l'a fait la Cour suprême. En revanche, nous souhaitons que les parents et les enseignants disposent de la marge de manœuvre nécessaire et puissent recourir à une force minime pour maîtriser un enfant.

Après ce préambule, voici ma question, qui s'adresse à M. Boxall. Vous avez déclaré que ce projet de loi mènera inévitablement à la tolérance zéro. Vous travaillez à une cour provinciale, comme moi quand j'étais juge, et les enfants qu'on y voit vivent tous des situations bien différentes les unes des autres. Croyez-vous qu'il sera difficile pour les procureurs de la Couronne d'agir sans qu'on juge qu'ils disent aux parents comment élever leurs enfants? Nous laissons aux parents le soin de déterminer comment élever leurs enfants. Chaque enfant est différent, chaque famille est différente et c'est à chaque famille de faire comme elle juge bon.

Serait-il difficile pour le système judiciaire de déterminer quand les accusations s'imposent? La police et le procureur ont un pouvoir discrétionnaire. Croyez-vous qu'il sera difficile pour le procureur ou la police de savoir quand des accusations devraient être portées sans bien connaître la situation de la famille, et quand il y a des contacts ou des entraves physiques, et quand on retient un enfant, par exemple?

M. Boxall : D'abord, ce qu'a dit M. Del Bigio sur le délai est important. Il se peut qu'un certain temps s'écoule avant que le procureur ne soit saisi du dossier. Une fois qu'il a reçu le dossier, le procureur agira avec prudence et voudra en savoir plus. Il y aura donc un délai et ce délai est préjudiciable pour le parent qui a été arrêté devant son enfant, devant ses voisins et dont le nom paraîtra dans les journaux. Le mal est fait quand, un mois ou deux plus tard, le procureur juge que le geste posé par le parent était raisonnable.

De même, entre criminels, la common law confère à la police un grand pouvoir discrétionnaire. Les procureurs de la Couronne et les policiers jouissent d'une grande discrétion et, en général, c'est une bonne chose.

Toutefois, au quotidien, on assiste à une diminution du pouvoir discrétionnaire, et ce, même si cela part de bonnes intentions. De plus en plus, on adapte des politiques dans l'intérêt général et non pas pour le bien de certains. Les collectivités deviennent de plus en plus importantes et il est trop difficile de traiter chaque cas comme un cas d'espèce et cela prend trop de temps; on préfère donc des règles générales. Nous, les avocats de la défense, nous constatons que les policiers hésitent de plus en plus à exercer leur pouvoir discrétionnaire. Il est beaucoup plus simple d'arrêter le suspect et de s'en remettre ensuite au juge.

Les procureurs de la Couronne hésitent aussi de plus en plus à exercer leur pouvoir discrétionnaire. Certains le font, mais nombreux sont ceux qui ne le font pas. Ce n'est pas très rassurant pour les parents. On semble oublier que les parents méritent, comme on l'a fait remarquer, et je crois, non seulement d'être protégés contre d'éventuelles sanctions pénales que la cour pourra infliger aux termes de cette disposition, mais les parents et les enseignants — ma femme est enseignante, et elle pourrait vous en dire long sur ce qui se passe dans les écoles de nos jours — méritent aussi d'être protégés contre toute menace.

Les enfants sont bien informés de nos jours. On ne peut prendre à la légère le fait qu'un enfant de huit ans dise à l'un de ses parents ou de ses enseignants : « Si tu me touches, j'appelle la police. » Les parents doivent pouvoir se défendre, mais ils doivent aussi être protégés non seulement contre les accusations criminelles mais aussi contre la menace de faire l'objet de ces accusations.

En effet, je crains que, si on s'en remet au pouvoir discrétionnaire de la police, celle-ci choisisse de ne pas l'exercer. Je m'inquiète aussi du risque que les 1 000 agents de police d'Ottawa appliquent des normes différentes. En théorie, cela semble bon, mais je ne voudrais pas que ma liberté ou ma famille soit à la merci du pouvoir discrétionnaire absolu de quelqu'un d'autre.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Del Bigio, nous avons évoqué l'arrêt Swan. J'ignore si vous avez suivi l'affaire d'aussi près que nous; vous me le direz si tel est le cas. Dans cette cause, la Cour suprême a défini le châtiment corporel comme étant le recours à une force excessive à l'endroit d'un enfant. Toutefois, ce cas soulevait aussi la question de savoir si, quand un parent emploie la force pour corriger un enfant, on peut invoquer les moyens de défense fondés sur la règle de la force minime, celui du danger imminent ou tout autre.

Croyez-vous que cet arrêt a du bon, puisque la Cour suprême a défini le châtiment corporel et qu'elle en a limité la légalité aux enfants de deux à 12 ans, dans certaines circonstances? Le jugement interdit le châtiment corporel pour les enfants de moins de deux ans et pour les adolescents car, dans le dernier cas, la situation est trop instable. Dans l'affaire Swan, on a soulevé la question des autres formes de correction qui sont nécessaires et incluses dans le moyen de défense prévu à l'article 43, question à laquelle la Cour suprême n'a toutefois pas pleinement répondu. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

Dans ce cas, comment peut-on présumer qu'il y ait consentement à attouchement sur un enfant, par opposition à un consentement présumé dans une situation entre adultes où l'adulte peut exprimer pleinement ses souhaits? Comment peut-on présumer qu'un enfant de huit ans ou de 13 ans a donné son consentement?

M. Del Bigio : Je ne pense pas que la meilleure façon de qualifier la relation parent-enfant est de dire que c'est une relation fondée sur le consentement entre deux parties égales. En effet, bien des aspects du rôle des parents ne sont pas fondés sur le consentement. Dans de nombreux cas, le rôle du parent consiste à guider, voire à imposer sa volonté à l'enfant pour lui apprendre les bonnes manières.

La notion de consentement est parfois utile pour décrire certaines situations où il y a risque de croire qu'il y a eu agression. Le hockey en est peut-être un bon exemple. La notion de consentement ne s'applique pas bien à la relation enfant-enfant. Il est difficile d'imaginer qu'un enfant puisse consentir d'une certaine manière à être dans ce type de relation régie par des règles, comme c'est le cas du joueur de hockey qui met les patins sur la glace.

S'agissant des autres faits, et l'arrêt Swan, la nature de la loi veut que différents faits soient présentés à différents tribunaux, de même que différents tribunaux prendront une décision de la Cour suprême du Canada, l'interpréteront puis l'appliqueront. À cet égard, la loi n'est pas immuable. En effet, l'un des exemples les plus parlants qui montrent que la loi n'est pas immuable a été illustré par la Cour suprême du Canada elle-même, qui a dit qu'il était temps de réexaminer la question et de se pencher sur le sens de l'article 43 ici et maintenant, non pas le sens d'il y a 50 ans, ou d'il y a longtemps, mais à la lumière des normes d'aujourd'hui.

À certains égards, peut-être les juristes vont-ils débattre longtemps pour déterminer si la Cour suprême du Canada aurait dû interpréter les limites à l'article 43 comme elle l'a fait. Tout cela est bien beau et offrira peut-être matière à dissertation pour bien des gens, mais à mon sens, cela importe peu. La Cour suprême a tranché, et la loi, étant ce qu'elle est, évoluera forcément à petits pas pour s'adapter à d'autres situations.

La notion de punition corporelle comporte, à juste titre, toutes les connotations négatives, et peut-être le temps est-il venu de réfléchir à l'application de l'article 43 à la lumière du libellé de la cour : force corrective mineure. La loi n'admet plus la notion de châtiment corporel. Le temps des proverbes du genre « qui aime bien châtie bien » est révolu. D'ailleurs, la notion est devenue illégale.

Le sénateur Baker : Je remercie tous les témoins de leurs excellents exposés, et comme chacun le sait, les trois témoins sont des avocats plaidants qui sont souvent cités.

Vous avez dit que les défenses normales qui s'appliqueraient à une accusation de voie de fait, de voie de fait simple, ne sont pas suffisantes dans cette circonstance particulière si nous devions supprimer l'article 43 du Code criminel. C'est votre conclusion?

M. Boxall : Je dirais que oui, mais il est important de comprendre que toute agression est un usage intentionnel de la force sans consentement. Une fois l'identité de l'individu qui a fait usage de la force trouvée, les défenses normales ne sont en réalité que deux : le consentement, c'est-à-dire que la personne avait consenti à être touchée, et l'autodéfense.

Les cas que j'ai évoqués, et je crois que M. Del Bigio s'y est reporté en rapport avec la nécessité et le principe de minimis, sont extrêmement rares. J'exerce le droit pénal depuis 30 ans, et je n'ai eu qu'un seul cas de nécessité mais jamais de cas de minimis. Si nous devions faire une recherche historique dans mon cabinet, et que nous remontions aux 100 dernières années, nous constaterions alors que c'est rare.

Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas sûr que le principe de minimis existe. S'agissant du parent, les situations dont nous parlons relativement à l'usage de force coercitive ne sont pas forcément des cas de nécessité, et il n'est pas clair du tout que la défense de minimis existe. Par ailleurs, si nous examinons les deux défenses réelles ou ordinaires, comme vous dites, je vais vous expliquer alors pourquoi c'est insuffisant.

La première défense est le consentement. L'intervenant précédent a indiqué que le consentement ne s'applique pas autant à la relation parent-enfant. Comment peut-il y avoir de consentement implicite? Or la loi est claire : non signifie non. Imaginez un enfant qui pique une crise de colère et qui est en train de faire quelque chose de totalement inacceptable, bien qu'il n'y ait peut-être pas de danger imminent, l'enfant dira « Ne me touche pas. » Comment peut-on alors parler de consentement implicite? Il est évident qu'il n'y a pas eu de consentement dans ce cas-là. La deuxième défense est l'autodéfense, mais si l'enfant mesure trois pieds six pouces et que le parent mesure six pieds trois pouces, ce n'est alors plus de l'autodéfense. Les défenses ordinaires ne s'appliqueront donc pas dans les situations que l'article 43 interprète désormais comme étant l'usage d'une force minimale à des fins correctives. Vous avez donc raison de dire que les deux défenses ordinaires ne s'appliqueront pas. Cela étant, la situation est totalement différente quand il s'agit d'un mari et de sa femme, puisque là, l'adulte peut parler.

Le sénateur Baker : L'infraction relative aux voies de fait est prévue à l'alinéa 265(1)a). L'alinéa 265(1)b) s'applique au cas où une personne alléguant des voies de fait croit que l'autre personne est en mesure d'accomplir son dessein, à ce titre, c'est considéré comme des voies de fait en vertu de la loi. Toutefois, je suis sûr que vous n'avez pas souvent entendu dire que cet article a été contesté. La situation est-elle semblable à une disposition du Code criminel qui érige en infraction criminelle un acte quelconque mais qui ne fait pas l'objet de poursuites?

M. Boxall : Je peux vous dire que le Code criminel contient des dispositions et que nous voyons des choses faisant l'objet de poursuites qui pourraient vous surprendre. Je voudrais que les sénateurs comprennent les prémisses de ces remarques. Comme je l'ai dit plus tôt, je ne propose pas de remonter dans le temps en matière de violence conjugale mais, dans la ville d'Ottawa, quel est l'article le plus fréquemment utilisé par la police? Il ne s'agit pas d'un crime grave, mais de voies de fait contre un conjoint. En effet, environ 20 p. 100 des cas traduits en justice concernent des voies de fait contre un conjoint. Bien entendu, il y a des cas extrêmement graves. Nous prenons connaissance de ce genre de cas et nous nous demandons où était la police. Si une femme est victime d'un meurtre, c'est atroce. Cela dit, les cas dont j'ai connaissance impliquent des situations du genre : un homme qui se dispute avec sa femme au sujet des clés de la voiture et qui la tire par le bras; une querelle entre deux conjoints durant laquelle un des deux conjoints frappe l'autre avec un rouleau de papier d'emballage de Noël, situation où le conjoint en question fait face à des accusations de voies de fait avec une arme et se retrouve en détention. Le principe ne s'applique pas. Vous avez donc raison de dire que si une personne lève la main sur une autre personne, c'est maintenant considéré une menace ou des voies de fait. Par souci et par intérêt tout à fait légitimes, les tribunaux prennent aujourd'hui des décisions que nous n'aurions jamais vues par le passé. Les magistrats n'utilisent plus de discrétion, et on ne laisse plus de place à l'appréciation de ces derniers, soit parce que les consignes politiques émanent de la peur d'être jugé soit qu'on a peur des conséquences.

Je ne suis pas prêt à dire que du fait que nous n'ayons pas vu de cas d'enfants devant les tribunaux, il n'y en aura pas, mais si l'on opte pour cette orientation, il se peut très bien qu'on en voit alors.

Le sénateur Baker : Pour soutenir votre argument, vous dites que le système est tel que la police établit les chefs d'accusation et que le procureur décide de traduire l'inculpé en justice ou pas. Entre-temps, l'inculpé est détenu en garde à vue et doit comparaître devant un juge dans un délai de 24 heures, si la loi est suivie à la lettre. Interviennent ensuite les conditions de libération sous caution, lesquelles peuvent causer des perturbations au sein de la famille.

Admettez que ces conditions s'appliquent à toute personne se trouvant dans une prison dans une ville quelconque, n'est-ce pas? Nous avons entendu un témoin dire devant le comité que quelque 40 p. 100 des personnes détenues en prison n'ont été inculpées d'aucun crime. Avez-vous raison de distinguer cette infraction particulière des autres en disant que nous ne devrions pas imposer à quiconque ce genre de procédure, alors que toute autre personne accusée d'infraction à la loi est assujettie à cette même procédure?

M. Boxall : Vous avez raison, mais je suis saisi de ce genre de situation sur une base régulière quand je dois défendre des clients accusés de voies de fait contre un conjoint. La situation risque d'être encore plus dramatique si le chef d'accusation concerne des voies de fait sur un enfant. En droit pénal, les choses sont souvent claires : l'accuseur, d'une part, et l'accusé d'autre part. Mon rôle en tant qu'avocat de la défense consiste peut-être à montrer que l'accuseur est un menteur, mais si l'accuseur est un proche de l'accusé, une personne qui lui est cher, par exemple son enfant, le droit pénal perd alors sa pertinence. Dans une telle éventualité, il ne serait pas utile d'aller devant un juge et de traiter l'enfant, la mère, ou un autre proche de l'accusé, de menteur. Ce ne serait pas utile. À mon sens, cela n'aiderait pas non plus à régler la situation. Si le problème qui nous préoccupe est l'usage de la force corrective mineure selon l'interprétation restreinte qui en est faite, et je ne parle pas de la violence contre les enfants, c'est à ce problème que nous devrons nous attaquer, mais qu'on passe par la voie de la sensibilisation publique, des sociétés d'aide à l'enfance, de l'éducation sociale et des cours de niveau secondaire destinés aux futurs parents. Faisons toutes sortes de choses, mais arrêtons d'interpeller papa en lui mettant les menottes aux poignets et en demandant à l'enfant de témoigner contre lui six mois plus tard.

Le sénateur Baker : Vous avez tous deux conclu que la défense ou l'excuse fondée sur le principe de minimis, c'est-à- dire que la loi ne se préoccupe pas de peccadilles, n'est pas reconnue. Vous avez dit que le code ne contient rien à ce sujet qui tienne du principe de la common law ou d'une ancienne maxime qui remonte à des siècles. Vous avez également dit que vous ne l'avez pu invoquer avec succès. Êtes-vous en train de dire que la défense de minimis n'en est pas une au Canada?

M. Boxall : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

Le sénateur Baker : Je pensais que c'est ce que vous aviez dit tous les deux.

M. Boxall : J'ai dit que ce n'était pas clair. Je me suis déjà trouvé devant un juge qui a dit que le principe ne s'applique pas dans le contexte familial. J'ai entendu le juge le dire.

Le sénateur Baker : Vous dites bien dans un contexte familial?

M. Boxall : Oui, et nous nous retrouverons dans des situations parents-enfant où le juge dira que le principe ne s'applique pas là non plus. En tant qu'avocat de la défense, je m'insurgerai contre cela. S'il y a un soupçon de dissidence à ce sujet, je dirai alors que l'argument devrait être avancé. Je dis tout simplement que mon examen de la législation est tel que bien que le principe de minimis soit évoqué, et il l'a été à l'occasion, il n'existe pas de définition claire de ce principe dans la jurisprudence. Vous pourriez dire, à juste titre, qu'avant la décision de la Cour suprême en 2004 relativement à l'article 43, nous n'avions pas idée de ce que cela signifiait pour les autres tribunaux de première instance. Ce que nous considérons comme mineur, pour la personne inculpée ou les proches, c'est ce qu'il y a de plus important. Quand quelqu'un est accusé d'avoir molesté sa conjointe, c'est plus important aux yeux de la personne concernée que le cas d'une autre personne accusée de meurtre dont parleraient les journaux. Pour la société dans l'ensemble, le cas ne mériterait peut-être pas la saisine de la Cour suprême du Canada et une définition. Pour ma part, je souhaite une décision de la Cour suprême du Canada qui établisse les paramètres du principe de minimis, mais je ne sais pas comment parvenir à cet objectif. C'est là que le bât blesse, mais il serait bien d'y parvenir.

Le sénateur Baker : La Cour d'appel devra se prononcer là-dessus.

M. Boxall : La cause devra faire son chemin dans le système, et je devrais vous dire un mot à propos des coûts que cela suppose. J'ignore si nous reverrons cette cause bientôt.

M. Del Bigio : Je suis d'accord avec M. Boxall. Il me semble, du moins en ce qui concerne l'incertitude entourant la disposition de minimis et son application, qu'il soit préférable de s'en tenir à l'article 43 étant donné qu'il ajoute beaucoup plus de certitude et de clarté à la loi, et les deux sont désirables.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Boxall, je veux confirmer une chose que vous avez dite à quatre reprises au cours des sept ou huit dernières années. La veille du jour de l'An, j'ai circulé dans les rues de Toronto en compagnie des chefs de deux services de police distincts. J'ai été étonné de voir dans quel secteur ça bardait; où les agents étaient appelés à intervenir. Il s'agissait essentiellement de problèmes conjugaux ou familiaux, ce qui confirme ce que vous avez dit plus tôt.

Je n'ai qu'une petite question de clarification. On parle d'« enfants » ou d'« élèves ». Comment définit-on ces mots? Comment définit-on un « enfant » ou un « élève »? Est-ce qu'il y a un âge?

M. Boxall : La Cour suprême du Canada nous a dit qu'un enfant est âgé entre deux et 12 ans.

Le sénateur Di Nino : Donc, c'est avant 13 ans. Je voulais que ça soit clair.

Vous avez dit les deux la même chose. Vous pouvez peut-être répondre, monsieur Boxall. Si je vous ai bien compris, on craint que l'abrogation de l'article 43 ne contraigne la police à porter accusation dans des cas douteux, qu'il s'agisse de méfait ou d'une accusation plus grave. Vous ai-je bien compris?

M. Boxall : L'accusation elle-même est importante, mais n'oubliez pas non plus l'aspect intimidant que suppose la menace d'une accusation. Je parle ici davantage au nom des parents. Cependant, ma femme est enseignante elle-même, et je sais qu'il y a un aspect intimidant dans les écoles où les enseignants se sentent maintenant impuissants, vous dirais- je. Ils constatent des niveaux de comportement inadmissible à des âges de plus en plus jeunes qui nous étonnent toujours plus.

Personne ne dit qu'il faut revenir aux genres de punitions qu'on pratiquait à l'époque où j'allais à l'école. C'est peut- être à cause de ces punitions que je suis devenu avocat de la défense. Personne ne réclame le retour à cette époque. Cependant, il faut que l'enseignant ou le parent ait le loisir de recourir à des correctifs mineurs ou à des moyens de contrainte en cas d'incident. Il faut que l'enseignant ait le loisir de retirer l'enfant de la classe pour que les autres ne soient pas dérangés et puissent poursuivre leur éducation, ou pour que le parent puisse maîtriser la situation.

Je crois que c'est important. Par conséquent, l'important, ce ne sont pas les accusations, mais l'effet intimidant qui provient de la menace d'une accusation. Pour les mêmes raisons que les agents de police sont protégés dans divers aspects de leur travail et que les parlementaires ou les sénateurs sont probablement protégés dans leur chambre respective pour dire certaines choses, les parents ont aussi besoin de protection. Dans l'exercice de leurs responsabilités, ils ont besoin de certaines protections.

Comme l'a dit M. Del Bigio, la chose importante à retenir quand on parle de rapports parents-enfants, c'est qu'il ne s'agit pas d'une relation fondée sur le consentement. Le parent a la responsabilité légale et morale d'élever l'enfant ou le mineur âgé entre deux et 12 ans. Cependant, quand je fais affaire avec certains de mes propres enfants, il y a des cas où ils veulent faire des choses et où je leur réponds que moi j'ai des responsabilités. C'est moi qui suis responsable. L'ultime responsable, c'est moi.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Del Bigio, dans votre exposé, du moins dans la partie écrite, à la page 3, vous dites quelque chose de fort. Vous dites que l'abrogation de l'article 43 pourrait faire en sorte « que les enfants soient exposés à un plus grand risque ».

Pouvez-vous expliciter cette pensée?

M. Del Bigio : Les enfants ont besoin d'être protégés. On admet que les enfants n'ont pas toujours une idée exacte de ce qui leur convient le mieux. Ce n'est pas toujours affaire de raison et de débat avec eux, particulièrement pour les enfants plus proches de deux ans que de douze.

Si certaines méthodes d'éducation sont interdites aux parents, dans certains cas, on pourrait se retrouver avec un parent qui ne peut pas jouer son rôle aussi bien que le parent idéal. Dans de tels cas, il y a, du moins parfois, le risque de cause du tort à un enfant.

Le sénateur Di Nino : À la dernière page de votre mémoire, vous mentionnez trois choses. C'est la troisième qui m'a frappé. Vous écrivez :

[...] elle n'aurait aucun effet sur les agressions des jeunes commises par des parents ou des personnes responsables.

Pouvez-vous nous expliquer cela, s'il vous plaît?

M. Del Bigio : L'article 43 donne un moyen de défense ou de protection aux parents. La conduite criminelle n'est cependant pas exemptée. L'abrogation de l'article 43 va ainsi créer une zone d'incertitude quant à la protection ou à la défense dont dispose un parent. Cette incertitude est indésirable pour les motifs qu'a mentionnés M. Boxall.

Cependant, l'abrogation de l'article ne modifierait pas la notion d'agression. Ce qui constitue une agression criminelle aujourd'hui aux termes de l'article 43 constituera toujours une agression criminelle. Si l'on devait abroger l'article 43, on se retrouverait avec des litiges à n'en plus finir concernant des questions comme la disposition de minimis. C'est ce que j'imagine.

J'imagine que les avocats de la défense vont faire de leur mieux pour se tailler une zone de protection au sein de la common law. D'une manière ou d'une autre, les juges vont probablement juger désirable, dans certains cas, de reconnaître une zone de protection. Cependant, on ne sait pas à quoi vont aboutir ces litiges, et cela va prendre du temps et va coûter cher. Il faut se souvenir aussi que chaque fois qu'une cause atteint l'étape où l'argument juridique se fonde strictement sur la loi, c'est que la cause a déjà été entendue. Dans ces cas-là, la preuve sera constituée des témoignages des membres d'une famille — l'enfant, et peut-être le conjoint — contre un parent, ce qui aura été suivi dans la plupart des cas par un contre-interrogatoire, qui fera partie de la preuve.

Comme M. Boxall, j'ai plaidé de telles causes. Ce sont des causes épouvantables à maints égards. Si je retire ma toge et vous parle franchement de ces cas-là, je vous dirais qu'il n'est pas bon pour la famille d'avoir un conjoint qui témoigne contre un autre; il n'est pas bon non plus qu'il y ait contre-interrogatoire pour prouver que ce que la personne dit est inexact, ou ment intentionnellement ou cherche a induire l'auditoire en erreur; que l'on cherche à prouver qu'il s'agit d'un incident consensuel et non d'une agression criminelle ou que la personne avait consommé de l'alcool ou des stupéfiants à tel point que son souvenir est inexact. Je peux vous assurer que rien de tout cela n'est bon pour la famille.

Si l'article 43 est abrogé, on va chercher à tailler cette zone de protection en s'appuyant sur toutes ces preuves et tous ces contre-interrogatoires. C'est l'argument que j'avance comme avocat. Je ne dis pas que cela n'arrivera jamais. Il y a des cas où les personnes sont accusées d'agression comme il se doit et où il n'y a aucune défense, qu'il s'agisse de l'article 43 ou d'une autre disposition. Il y a des cas où la conduite des parents à l'égard des enfants doit être qualifiée de criminel. Dans ces cas-là, on continuera d'avoir recours aux tribunaux, et les gens plaideront en suivant les conseils de leurs avocats.

Cependant, je reviens à mon point de départ : l'article 43 doit être maintenu pour faire en sorte que les cas dont les tribunaux sont saisis sont bien des cas où la conduite que l'on reproche aux parents est parfaitement incompatible avec les intérêts de l'enfant.

La présidente : Monsieur Del Bigio, vous dites à la fin de votre mémoire : « En résumé, l'abrogation de l'article 43 aurait certainement au moins trois conséquences indésirables », et vous dites ensuite que l'abrogation « accorderait l'immunité aux enfants et aux adolescents pour conduite indisciplinée, dangereuse ou destructive » et qu'elle « empêcherait les parents, les enseignants et autres responsables de restreindre de manière appropriée un enfant ou un adolescent dont la conduite est perturbatrice ou met les autres en péril ». Mais je croyais que la Cour suprême avait statué que l'article 43 ne traite pas du recours à la force contre les adolescents. Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit?

M. Del Bigio : Bonne question, et je vous en remercie. Je vais être obligé de prendre un risque ici et de dire qu'un libellé plus soigné n'aurait pas inclus le mot « adolescent ».

La présidente : Merci pour cette clarification.

L'autre chose qui m'a toujours sidéré dans les explications de la cour suprême et ses interprétations de l'article 43, c'est ce passage que vous citez commodément, en ce qui me concerne, et où la Cour a dit : « Les responsables de l'application de la loi ou les juges ont tort d'appliquer leurs propres perceptions subjectives de ce qui est « raisonnable dans les circonstances; le critère application est objectif. »

Je peux comprendre pourquoi certains éléments du critère nous conduiraient à cette conclusion. L'âge de deux à 12 ans, c'est clair. C'est comme le vol au-dessus ou en dessous d'une certaine somme donnée. Si on dit que vous n'avez pas le droit de vous servir d'un objet, ça veut dire que vous ne pouvez pas donner le martinet à quelqu'un. Ça aussi, c'est clair.

Cependant, jusqu'à quel point croyez-vous — après tout, vous exercez le droit — qu'il soit possible d'avoir des critères objectifs? Par exemple, cette décision nous est venue après que la cour a parlé d'une conduite émanant d'une frustration ou d'une perte de sang froid. Qui peut discerner ce qui pourrait provenir, en partie, d'une frustration parce qu'un enfant a besoin d'être corrigé? Voyez-vous à quoi je veux en venir?

Tout d'abord, êtes-vous, vous qui exercez le droit, convaincu que tout le monde comprend à fond ces critères objectifs? Deuxièmement, si ce n'est pas le cas, est-ce qu'on va se retrouver avec davantage de poursuites traitant de nouvelles interprétations de l'article 43 tout comme, si on abroge l'article 43, on pourrait se retrouver avec des poursuites où il s'agirait de savoir ce que veut dire le critère de minimis et où il s'applique?

M. Del Bigio : J'ai la conviction que le libellé est suffisant. Allons un peu plus loin, la nature du droit et du langage juridique sont telles qu'il y aura toujours incertitude en périphérie, mais cela ne doit pas faire oublier le fait qu'il y a toujours une signification essentielle qui est comprise de tous. Je crois que nous avons la chance incroyable de vivre au Canada où nous avons des juges très bien formés, des procureurs très bien formés aussi et des avocats de la défense qui plaident devant ces juges, et les juges font leur devoir en appliquant la loi.

Ces termes tournant autour de l'objectivité sont importants dans la mesure où personne ne peut se présenter devant le tribunal et dire : « Je pensais que c'était correct. » On ne peut pas invoquer un tel argument. Cette affirmation doit être comparée à une norme objective où il est permis de déterminer que, dans ces circonstances, la conduite en question constituait une action corrective mineure.

Est-ce qu'il y aura d'autres désaccords : parfaitement? Y a-t-il toujours des désaccords sur le sens à donner à certains mots au sens de la loi : parfaitement? Est-ce que cela veut dire que c'est mal libellé dans ce cas-ci? Je ne crois pas.

La présidente : Il se peut que j'aie posé la question parce que j'étais journaliste autrefois, et dans ce métier, on apprend vite que l'objectivité est largement affaire de subjectivité, mais merci pour cette réponse. Monsieur Boxall, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Boxall : Non, je ne crois pas.

La présidente : Nous vous remercions tous du fond du cœur. Vous nous avez donné amplement matière à réfléchir et nous vous en sommes reconnaissants vu que vous êtes tous très occupés.

Pendant que M. Boxall, M. Del Bigio et Mme Froc reprennent leurs papiers, j'invite les témoins suivants à se préparer.

Monsieur Macaulay et monsieur Dudding, merci à tous deux d'avoir accepté de comparaître. Nous avons le surintendant en chef Fraser Macaulay, directeur général, Stratégie nationale de la jeunesse, Gendarmerie royale du Canada, et M. Peter M. Dudding, directeur général, Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada. La question est intéressante et nous savons que votre contribution nous aidera dans nos délibérations à venir.

Peter M. Dudding, directeur général, Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada : Je suis heureux d'être ici aujourd'hui et je voudrais vous remercier de nous permettre de fournir le meilleur avis possible pour vos délibérations au sujet du projet de loi S-209.

J'ai conscience du fait que votre première priorité est la protection de l'enfant et qu'il faut, pour déterminer le rôle approprié de l'État dans la défense des intérêts de l'enfant, beaucoup de sagesse, de courage et de prévoyance.

La Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada est un organisme de défense des droits de l'enfant et de l'adolescent. Nous comptons 125 membres, dans toutes les provinces et territoires, y compris des services de protection de l'enfance, de santé mentale de l'enfance et de l'adolescence ainsi que des services aux jeunes contrevenants. Nos membres emploient des travailleurs sociaux, dont certains spécialisés dans les enfants, les adolescents et le soutien à la famille, des parents adoptifs et des bénévoles qui constatent les conséquences néfastes du traumatisme et des répercussions négatives bien réelles dont font l'expérience les enfants et les adolescents.

La Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada a décidé d'adopter l'excellent travail du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, Les enfants : des citoyens sans voix, et notamment la recommandation 2 : « Que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour éliminer les châtiments corporels au Canada. »

Moi qui suis riche de 36 années d'expérience en tant que travailleur à la protection de l'enfance un peu partout au Canada et, maintenant, en tant que coprésident du Comité directeur national de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants, j'en suis venu à penser qu'il faut à la fois des remèdes juridiques et des remèdes sociaux pour régler ces problèmes complexes. L'Étude canadienne sur l'incidence est un programme de surveillance nationale de l'Agence de la santé publique du Canada des cas d'abus et de négligence à l'encontre des enfants rapportés.

Je dirais que le comité débat deux questions fondamentales. Premièrement, quelles sont les conséquences de l'abrogation de l'article 43? Deuxièmement, quand est-il de l'expérience d'autres pays ayant interdit les châtiments corporels? Je vais cibler mes commentaires afin de vous permettre, je l'espère, de mieux répondre à ces deux questions.

Les études effectuées au Canada et dans le monde, bien documentées dans la Déclaration conjointe sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents, que nous avons également apportée pour les sénateurs, montrent que l'escalade de violence dans l'éducation des enfants, l'intention de corriger un comportement par le biais de châtiments corporels, peut entraîner de graves mauvais traitements. Ne nous y trompons pas : les enfants qui vivent dans un foyer où l'on a recours aux châtiments corporels sont plus susceptibles d'être victimes d'abus.

L'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants estime qu'il y a eu en 2003 82 000 enquêtes sur des cas de sévices physiques, dont environ 32 000 sur des enfants qui auraient été frappés à la main et environ 18 000 sur des enfants qui auraient été secoués, poussés, saisis ou projetés. Entre 1998 et 2003, le taux de sévices physiques documentés a augmenté de 107 p. 100.

N'oublions pas non plus que ces chiffres représentent uniquement les incidents ayant fait l'objet d'un rapport aux organismes de bien-être de l'enfance. N'y figurent pas les incidents n'ayant pas été rapportés ou ayant été rapportés à un autre organisme, dont la police, si bien que les organismes de bien-être de l'enfance n'en ont pas eu connaissance. Les chiffres que je vous ai donnés représentent donc seulement la pointe de l'iceberg.

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a entendu des témoignages convaincants sur les dégâts psychologiques, le comportement antisocial, le comportement criminel et le cycle de violence qui peuvent résulter des châtiments corporels. Plus cela va, plus le dossier psychologique et psychiatrique s'étoffe.

Presque tous les organismes de bien-être de l'enfance au Canada, tant gouvernementaux que non gouvernementaux, ont officiellement interdit le recours aux châtiments corporels. Je suis familier quant à moi avec la résolution de la Foster Parents Association de la Children's Aid Society de Toronto, en 1972. Depuis longtemps, ces organismes, leur personnel, les parents adoptifs et les bénévoles reconnaissent que le recours aux châtiments corporels est inacceptable.

N'oublions pas que ces aidants dévoués s'occupent de plus d'un demi-million d'enfants et d'adolescents qui ont été traumatisés et qui ont souvent des comportements difficiles et problématiques. Ces politiques ont des conséquences pour ces aidants, dont la perte de postes, de carrière, de rôle et de rémunération. Pourtant, ces politiques sont généralisées, on les fait respecter et elles sont bien acceptées par ceux qui travaillent dans le domaine du bien-être de l'enfance.

Sur un sujet que vous allez approfondir plus tard, je le sais, les amendements à l'article 59 du Code criminel de Nouvelle-Zélande adopté en 2007, ont aboli le recours à la force parentale en vue de correction. À la suite d'un débat sur le risque de criminalisation des parents, des dispositions spéciales ont été incluses dans la loi afin de définir le recours raisonnable à la force et d'effectuer un suivi des répercussions de la loi. Permettez-moi de recommander ce rapport au comité; j'en ai apporté un exemplaire; il est intitulé Three Month Review of Police Activity Following the Enactment of the Crimes Amendment Act 2007. Que constate l'examen? « Une petite augmentation dans les activités de la police pour constater des voies de fait à l'encontre d'un enfant et/ou enquêter sur ces voies de fait; il n'y a pas eu de poursuites pour des « claques » ou des actes de châtiment physique. »

Je vous rappelle le commentaire général du Comité des droits de l'enfant de l'ONU : « S'attaquer aux problèmes de la large acceptation ou tolérance à l'égard des châtiments corporels contre les enfants et les éliminer tant dans la famille qu'à l'école ou dans tout autre contexte, est non seulement une obligation incombant aux États parties en vertu de la Convention mais aussi un moyen stratégique déterminant sur la voie de la réduction et de la prévention de toutes les formes de violence dans la société. »

L'article 43 s'applique uniquement au recours à la force pour discipliner un enfant. Dire que l'article 43 couvre le changement des couches des bébés, les actions voulues pour installer un enfant dans siège de voiture ou pour l'empêcher de traverser une rue en courant n'est pas exact. Il n'a jamais été question des échanges ordinaires entre parents et enfants. Ce dont il s'agit, c'est de frapper les enfants pour le donner une leçon, pour les corriger. Notre message doit être clair : frapper un enfant est mauvais, aussi mauvais que de frapper n'importe qui d'autre. Les enfants nous disent que les châtiments corporels ne sont pas une technique efficace pour les éduquer.

Le comité sénatorial a l'occasion de jouer un rôle de leader afin de donner aux enfants et aux adolescents une protection égale, tout en promouvant le besoin légitime d'une autorité parentale qui appuie un développement positif de l'enfant et de l'adolescent.

La présidente : Nous avons fait circuler l'examen après trois mois effectué en Nouvelle-Zélande, dont vous avez parlée, ainsi que votre exposé. Merci, monsieur Dunning.

[Français]

Surintendant en chef Fraser Macaulay, directeur général, Stratégie nationale de la jeunesse, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente, au nom de la GRC, j'aimerais vous remercier de l'occasion qui nous est donné de nous exprimer sur le sujet. J'aimerais clarifier le rôle de la communauté policière dans vos délibérations.

[Traduction]

Comme vous le savez, la GRC est le service de police national du Canada et notre mandat est énoncé dans la Loi sur la GRC, qui stipule entre autres ceci :

Sous réserve des ordres du commissaire, les membres qui ont qualité d'agents de la paix sont tenus :

a) de remplir toutes les fonctions des agents de la paix en ce qui concerne le maintien de la paix, la prévention du crime et les infractions aux lois fédérales et à celles en vigueur dans la province où ils peuvent être employés, ainsi que l'arrestation des criminels, des contrevenants et des autres personnes pouvant être légalement mises sous garde.

Il s'agit du fondement même du travail policier. Par conséquent, si je suis heureux d'avoir la possibilité de m'exprimer sur cette importante question, je dois préciser le contexte dans lequel j'apporte mes commentaires. La GRC a pour mission de préserver la paix et de prévenir le crime en appliquant la loi. Nous ne sommes pas des législateurs, et surtout, nous nous fions grandement aux magistrats pour interpréter les intentions des législateurs et établir des lignes directrices.

[Français]

Cela dit, je puis vous assurer que la contribution de la communauté policière à vos délibérations est importante car elle représente le point de vue des exécutants. Après avoir examiné les témoignages présentés devant vous durant quelques jours, il me paraît clair que la décision que vous devez prendre est autant une décision de politique sociale qu'une décision juridique.

C'est un dilemme auquel les policiers sont confrontés chaque jour.

[Traduction]

Au Canada, il appartient à chaque policier d'user de discernement quand il est question d'appliquer la loi. L'application de l'article 43 ne fait pas exception. Dans la réalité actuelle, lorsqu'ils interviennent, les policiers doivent d'abord déterminer si une infraction a été commise, puis évaluer la probabilité d'une condamnation si des accusations étaient portées, et enfin, prendre en considération les retombées éventuelles.

C'est un cheminement qu'ils font en sachant qu'à chaque étape, leurs décisions peuvent faire l'objet d'un examen. Leurs actions seront analysées de près : ont-ils fait usage de force ou d'autorité excessive ou au contraire ont-ils fait preuve de laxisme? Ont-ils passé trop de temps sur une enquête ou au contraire pas assez?

Et c'est sans compter le fait qu'ils doivent gérer leurs propres valeurs et croyances durant leur travail. Un policier est constamment à la recherche du juste équilibre entre la répercussion sociale d'une infraction et l'autorité légale dont il dispose pour donner suite à cette infraction.

[Français]

Encore une fois, à la lecture des procès-verbaux de vos débats, il est devenu évident à mes yeux qu'un changement à l'article 43, quel qu'il soit, conduira à une plus grande confusion pour les Canadiens, les magistrats et les législateurs quant au rôle de la police.

[Traduction]

Ce manque de clarté pourrait affecter les services policiers de deux façons : premièrement, il faudrait s'attendre à ce que le nombre de plaintes et d'enquêtes augmente et, par voie de conséquence, à ce que des accusations soient portées pour des actes qui sont pourtant sanctionnés par la loi actuelle. Deuxièmement, les policiers pourraient devoir passer beaucoup plus de temps dans les salles d'audience dans de nombreuses affaires de voies de fait, car les avocats de la défense chercheraient à faire établir une nouvelle jurisprudence en débattant les mêmes questions dont vous débattez vous-mêmes, concernant le sens des mots.

Les services de police sont déjà surchargés de travail et les tribunaux canadiens sont si débordés que de nombreuses affaires criminelles sont en attente, réorientées ou simplement écartées. Le retrait de l'article 43 ne ferait que multiplier les demandes faites à un système déjà saturé. L'une des suggestions était de retirer aux enseignants le droit d'invoquer l'article 43 pour se défendre d'avoir fait usage de la force pour corriger un élève. En tant que policier, je peux vous garantir que cela provoquerait une augmentation des demandes d'intervention de la part des enseignants pour que la police comble le manque de sécurité dans les écoles.

La GRC travaille d'arrache-pied pour délimiter le rôle de la police dans les établissements scolaires et essayer de s'éloigner du modèle américain, où la tâche d'assurer la sécurité dans les écoles est confiée à des policiers. Notre but est de nous rendre le plus souvent possible dans les écoles pour y faire de la sensibilisation à la criminalité, y offrir du mentorat et parfois intervenir en cas d'infraction ou de conflit. Nous souhaitons avoir un rôle constructif dans le système éducatif et dans l'éducation et l'évolution de la jeunesse dans nos communautés, en identifiant les jeunes qui sont à risque et en nous assurant que les services appropriés leur sont offerts. Nous savons tous qu'un milieu sécuritaire est indispensable à l'apprentissage.

Je vous demande donc de réfléchir longuement aux conséquences que l'abrogation de l'article 43 pourrait avoir sur l'environnement scolaire et sur les demandes d'intervention de la police dans les écoles.

Pour terminer, je ne veux pas que vous restiez sur l'impression que la GRC ou la police en général tolère la violence faite aux enfants ou à quiconque d'ailleurs. Je vous assure que tous les cas signalés à la police font l'objet d'une enquête appropriée et que nous recommandons que des accusations soient portées lorsque cela s'impose. Cependant, j'aimerais vous rappeler le témoignage fait le 15 mai par M. Mark Lapowich, représentant du Conseil canadien des avocats de la défense. Il a déclaré :

Selon les membres du conseil, l'article 43 constitue une solution typiquement canadienne à une question extrêmement délicate, celle d'arriver au juste équilibre entre les intérêts divers et contradictoires de la société et de promouvoir le respect de la primauté du droit. L'article a été rédigé pour refléter le fait qu'en dépit de toutes leurs bonnes intentions et de tous leurs efforts, les législateurs ne peuvent pas prévoir toutes les situations. Toujours selon eux, l'appareil judiciaire de notre pays est fort et il continuera d'appliquer la loi relativement à ces questions délicates.

Croyez-moi, il est plutôt rare qu'un policier cite un avocat de la défense.

[Français]

Je vous remercie encore de l'occasion que vous m'avez donnée de prendre la parole devant vous. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk : Monsieur Dudding, cela fait longtemps que vous et moi essayons de faire comprendre aux Canadiens que l'utilisation de la violence envers les enfants ne sera plus tolérée. Nous avons mené cette lutte au niveau national et international. Il faut reconnaître à la Cour suprême le mérite d'avoir revu et limité l'utilisation du châtiment corporel avant que le comité du Sénat puisse terminer son étude. Il nous reste donc à définir comment aider les jeunes, les parents et les familles. Ce n'est pas la lutte que vous et moi avons menée : cette grande lutte est terminée. Les châtiments corporels ne font pas partie de la législation canadienne, on ne les tolère pas, bien que, comme vous l'avez mentionné, beaucoup d'enfants sont encore victimes d'abus. Je ne crois pas que le Code criminel constitue la réponse. Vous avez souligné que la réponse, c'est le bien-être et l'éducation des enfants. Vous ai-je bien compris? Il nous reste du travail à faire mais pas au niveau du Code criminel. Notre travail est plutôt d'aider les familles à se sortir des situations d'abus et peut-être que les deux clés sont le bien-être et l'éducation des enfants.

M. Dudding : Vous m'avez bien compris. Fondamentalement, comme on nous l'a dit dans d'autres domaines, nous sommes pris avec le même genre de problèmes. Les cas de violence conjugale constituent un grand pourcentage des interventions policières. Les policiers et les services à l'enfance travaillent si souvent ensemble qu'il est parfois difficile de savoir qui joue le rôle du travailleur social. On demande souvent aux policiers de faire du travail social.

Il reste encore des problèmes même si la Cour suprême nous a donné une définition plus précise et étroite. Je suis d'accord que c'est une amélioration qui nous permet de faire bien des progrès, comme vous l'avez si bien dit. Toutefois, les Canadiens en général et même les professionnels ne comprennent pas toujours bien quels sont les actes protégés par l'article 43.

Nous avons mené de nombreuses études qualitatives auprès de travailleurs sociaux sur le terrain afin de savoir quel était le niveau de compréhension des policiers et des familles avec lesquelles ils travaillent. Une certaine confusion demeure au sujet de l'orientation générale de la décision de la Cour suprême.

Le sénateur Andreychuk : La Nouvelle-Zélande planifiait tout simplement de l'interdire mais l'Australie, à l'exception d'un État, la Belgique, le Royaume-Uni et l'Écosse ne l'ont pas fait. L'Écosse a dit qu'il y avait des circonstances dans lesquelles une correction était acceptable. De nombreux pays suivent l'exemple européen et disent qu'ils ont interdit les châtiments corporels même s'il ne les ont pas complètement interdits. Ils font face aux mêmes défis que le Canada. La Nouvelle-Zélande avait dit qu'elle s'en débarrasserait, mais suite à des discussions avec des parlementaires néo-zélandais qui étaient prêts à les interdire lorsqu'ils ont entendu parler pour la première fois du projet de loi, ils ont commencé à comprendre le dilemme que devront résoudre les familles qui exercent leurs responsabilités. En conséquence, ils ont ajouté des exceptions à la règle. J'ai peur que cela se passe ici également. J'espérais que c'était là la peur du Comité des droits de la personne qui a rédigé le rapport Les enfants : des citoyens sans voix. Nous avions suggéré d'interdire les châtiments corporels mais ensuite nous avons suggéré d'étudier les défenses. Si nous éliminons l'article 43 d'un coup, que pourront faire les parents? Nous avons décidé d'éliminer les châtiments corporels mais nous avons suggéré de faire attention à ne pas éliminer les défenses légitimes.

Par conséquent, le projet de loi nous lie les mains, parce que théoriquement nous avons interdit les châtiments corporels, mais nous n'avons pas éliminé l'article 43 pour le remplacer par une mesure absolument nécessaire dans une société où il y a de plus en plus de violence dans les écoles. On nous a parlé de la difficulté qu'éprouvent les policiers, les animateurs et les enseignants dans leur travail, ainsi que des problèmes d'intimidation, entre autres. Si nous éliminons l'article 43, allons-nous susciter plus de problèmes, avant d'examiner soigneusement tous les problèmes qui se posent aujourd'hui, avant d'interdire ces défenses?

M. Dudding : En bref, oui. Votre comité avait recommandé dans sa sagesse de ne pas éliminer immédiatement l'article 43. Vous aviez proposé d'établir une période de transition de deux ans à l'avance. Vous aviez également insisté sur l'information de la population et l'étude des conséquences de cette mesure. Une telle modération, un tel équilibre et une telle clairvoyance semblent éminemment logiques si l'on veut éviter qu'une mesure positive de l'avis de tous ait des conséquences inattendues.

J'ai vu l'amendement qui a été apporté en Nouvelle-Zélande et j'y ai réfléchi. Ce qui me frappe le plus au sujet de cet amendement, c'est son libellé positif. On a établi des paramètres pour définir comment les parents peuvent élever leurs enfants convenablement et avec autorité, dans le contexte de l'usage de la force. Si vous conjuguez cette mesure à la décision de notre propre Cour suprême, nos mesures à nous semblent être exprimées de façon plus négative : on y impose des interdictions et on établit des seuils à ne pas dépasser. Pour en arriver au bon compromis, il est probablement essentiel d'exprimer de façon positive ce à quoi l'on s'attend.

Le sénateur Baker : J'ai écouté les observations préliminaires du sénateur Andreychuk, une ancienne juge. Elle a dit que vous ne semblez pas entièrement en faveur de ce projet de loi, que vous pourriez peut-être proposer d'autres solutions. Cependant, j'ai lu votre déclaration et je vous ai écouté, et j'ai l'impression que vous êtes tout à fait en mesure de cette mesure législative. Est-ce exact?

M. Dudding : Ce avec quoi je suis tout à fait d'accord, c'est qu'on ne frappe pas les enfants. Pour avoir travaillé pendant de nombreuses années à la protection des enfants, je comprends que ce n'est pas simple d'être parents. J'irais même jusqu'à dire que chaque jour, au Canada, les travailleurs de la protection des enfants doivent, des milliers de fois, faire preuve de discernement pour décider s'il faut protéger un enfant et déterminer le degré de risque auquel celui-ci est assujetti. Ces travailleurs doivent aussi garder à l'esprit le juste milieu nécessaire entre le risque pour l'enfant par rapport aux autres dont on a parlé avec tant d'éloquence, c'est-à-dire la perte de la famille, du rôle parental, entre aures.

Je me suis exprimé clairement dans mon message contre le châtiment corporel des enfants. En outre, il faut faire preuve de plus de discrétion et de jugement dans la façon dont on évalue le risque auquel les enfants sont assujettis et la façon dont on peut traiter et gérer les problèmes qui entourent le rôle des parents.

Le sénateur Baker : Êtes-vous pour ou contre ce projet de loi?

M. Dudding : Je vais répéter mes observations précédentes. Je ne crois pas qu'il soit avisé de prendre des mesures de nature légale sans tenir compte d'autres facteurs qui y sont associés — l'éducation, la préparation et, bien sûr, le travail qui doit être fait pour éviter les conséquences inattendues.

Le sénateur Baker : Je ne suis pas certain de bien comprendre votre position par rapport au projet de loi. Vous semblez dire que vous êtes d'accord avec le projet de loi, mais vous recommandez toutefois que d'autres mesures soient prises en parallèle pour en arriver à la conclusion que vous souhaitez.

M. Dudding : C'est une façon très équitable de résumer la chose.

Le sénateur Baker : Surintendant en chef Macaulay, vous avez dit — et l'Association du Barreau canadien de même que l'Association des avocats de la défense ont été d'accord avec vous — que si ce projet de loi était adopté, il y aurait une augmentation du nombre des cas dans lesquels la GRC serait appelée à trancher en première instance, et qu'il faudrait plus souvent décider s'il convient de porter des accusations.

Surintendant en chef, vous avez dit que votre charge de travail est déjà excessive. J'ai oublié les termes exacts que vous avez employés. Vous avez cependant dit que vous étiez surchargé de travail et que vos agents sont occupés au maximum; vous ne seriez pas en mesure d'assumer des responsabilités accrues si l'adoption de ce projet de loi créait une nouvelle loi.

Est-ce exact?

M. Macaulay : À peu près; je vais moi aussi tourner autour du pot.

La GRC estime que l'élimination de l'article 43, sans mesure de remplacement — que ce soit des mesures d'éducation ou autre chose — produira une augmentation dans le nombre d'appels que nous recevons. Ces appels viendront de la famille elle-même ou de personnes qui n'ont aucune tolérance pour la fessée ou d'autres comportements sur lesquels on nous demandera d'enquêter, alors que ce ne serait pas nécessaire à l'heure actuelle. Au départ, il y aura donc une augmentation.

Deuxièmement, si l'article 43 est éliminé, les avocats de la défense essaieront de trouver des zones grises au sujet de la défense relative à l'agression. Un peu plus tôt aujourd'hui, un de vos témoins à dit qu'il y a la loi et que tout le reste est une zone grise. Nous, nous travaillons dans cette zone grise.

Malheureusement, c'est nous qui faisons généralement les frais de cette zone grise. Si les avocats n'arrivent pas à trouver une défense relative aux comportements, ils font valoir d'autres arguments. Toutefois, cela mettrait en cause tous ces autres éléments relatifs à l'agression, car c'est ce sur quoi les dispositions doivent porter.

Le sénateur Baker : Surintendant en chef, lorsque vous ne devez traiter qu'un seul cas, lorsque vous décidez de contrôler le dossier et de porter des accusations, vos agents sont tenus de respecter toute une façon de procéder en ce qui a trait à leurs notes, aux rapports de continuation, aux rapports de cas du procureur, et cetera, avant même que l'accusation soit instruite par le tribunal.

Vous dites que chaque cas impose un travail supplémentaire à l'agent chargé de faire enquête et que, dans certains cas, c'est vrai également d'un autre agent qui accompagnait l'agent enquêteur; ils doivent tous les deux assister à la conférence préparatoire à l'instruction et, dans certains cas, au procès lui-même. Vous dites que ce travail supplémentaire sera un fardeau pour la GRC. Est-ce bien cela?

M. Macaulay : Cela imposera un fardeau, mais plus encore, je m'inquiète davantage de la responsabilité de l'agent qui arrive sur les lieux.

Même s'il n'est pas parfaitement clair, l'article 43 crée une jurisprudence. On peut appliquer cette jurisprudence et d'autres mesures lorsqu'on arrive sur les lieux pour savoir s'il convient d'ouvrir une enquête ou non. C'est ce qui déclenche la procédure. Si cet article est éliminé et que rien ne le remplace, il y aura toutes sortes de nouvelles attentes, et selon les plaintes et les personnes, on s'attendra à ce que l'agent prenne la décision.

Ce n'est pas de cette façon que le Canada fonctionne. Nous avons suffisamment de pouvoirs discrétionnaires. Le pouvoir discrétionnaire entraîne la responsabilité. Je vous ai écouté. J'ai vu pendant combien d'années vous, les sénateurs, avez lutté dans ce dossier de façon calme et éclairée. Imaginez ce qu'il en est pour un agent, dans la rue ou dans un foyer, s'il est forcé de prendre de telles décisions.

À l'heure actuelle, aucun de nos membres ne veut fermer les yeux sur un problème pour constater plus tard qu'un enfant a été maltraité continuellement. Par contre, nos membres ne veulent pas non plus qu'une famille soit assujettie inutilement à l'épreuve d'un procès pour violence faite à un enfant. Dans certains cas, même des cas d'agressions sexuelles, on a vu le juge ou d'autres personnes déclarer à la fin d'un procès que la loi n'avait pas été enfreinte.

Ce sont des règles rigoureuses. Nos agents sont en première ligne. Nous voulons que les règles soient aussi claires que possibles et nous les comprenons. C'est ce que j'appelle le « Monopoly ». Nous connaissons tous les règles du jeu. Quand les règles sont changées tout à coup, on ne s'y retrouve plus.

Le sénateur Baker : Monsieur Dudding, comment réagissez-vous au témoignage que nous avons entendu voulant que si cet article était éliminé, certaines personnes pourraient être sous le coup des dispositions du code criminel en matière d'agression, des dispositions générales de nature, ce qui, selon ces témoins, pourraient entraîner des poursuites inutiles et onéreuses pour les parents et les enseignants au Canada? Comment répondez-vous à cette question?

M. Dudding : Voici comment je vois tout cela : pour commencer, je dirais très respectueusement que ce sont les agents de police qui décident de ce qui constitue une agression, et cela, tous les jours de la semaine au Canada. Par conséquent, je trouve qu'il n'y a rien de très nouveau dans cet argument en ce qui concerne le degré de discernement et la prise de décision.

En outre, même s'il est légitime de se demander si nos tribunaux ne crouleront pas sous une avalanche de poursuites mineures et frivoles contre les parents, nous savons que cela ne s'est pas produit dans d'autres pays qui ont adopté de telles mesures. Je compte sur l'expérience actuelle que nous avons dans ce domaine. Nous avons au moins quelque chose sur quoi nous fonder.

Le sénateur Stratton : Je ne suis pas un avocat et je trouve cette discussion fascinante. Merci d'être venu nous rencontrer.

Si je pense aux trois dernières générations — par exemple, mes parents, moi-même en tant que parent et mes enfants comme parents — j'ai vu l'évolution du châtiment corporel, cela ne se pratique plus de nos jours dans les familles.

Je m'intéresse davantage au cas des enseignants, car j'ai vu aussi l'évolution au fil des ans. Par exemple, les châtiments corporels étaient acceptés lorsque je fréquentais l'école. Il y avait aussi d'autres formes de punition physique pour faire écouter les élèves. Je me préoccupe pour les enseignants — je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec eux, mais j'espère que je pourrai le faire plus tard — et je me demande quelle est leur position à ce sujet.

Ce que j'entends et ce qui me préoccupe, c'est que, comme l'a dit le surintendant en chef Macaulay, les policiers ne veulent pas se retrouver dans les écoles à faire régner la discipline; ils veulent y être pour informer les élèves et démontrer le caractère positif du travail des policiers, pas son côté négatif. Mais qu'en est-il des enseignants dans tout cela? Les enseignants se sentiront-ils impuissants si cet article est éliminé?

M. Dudding : C'est une très bonne question. Cependant, je ne suis pas certain de pouvoir me prononcer au nom des enseignants. Je peux toutefois parler au nom de ceux qui travaillent auprès des enfants et des adolescents, des parents des foyers d'accueil et des bénévoles qui travaillent avec ces enfants. Je veux insister sur le fait que depuis 30 ans, toute personne qui travaillait au Canada avec une agence de bien-être de l'enfance se voyait interdire strictement d'avoir recours au châtiment corporel. Cela fait généralement partie de la politique de l'organisation, et tout châtiment corporel imposé à un enfant entraîne des conséquences. Je peux parler au nom de ces personnes et des groupes pour lesquels elles travaillent.

Pour vous mettre rapidement les choses en perspective, Rudolf Dreikurs, l'un des plus célèbres psychiatres pour enfants des années 1960, a écrit un livre intitulé Le défi de l'enfant. Il fait observer que la démocratisation constante de la société entraînera une démocratisation dans le rôle des parents et qu'il deviendra de plus en plus difficile d'exercer ce rôle. Il faudra trouver des méthodes et des approches différentes pour élever les enfants.

Entendons-nous bien sur ce point, parce que les propos que nous aimerions employer maintenant sont ceux d'un parent qui a de l'autorité. Un parent qui a de l'autorité est quelqu'un qui a des attentes claires, des règles nettes et des limites précises au sujet de ce qu'il attend de son enfant et qui conviennent à l'âge, au stade et au degré de compréhension de l'enfant. C'est ce que nous essayons de réaliser.

Le sénateur Stratton : Je comprends que l'on n'ait pas recours aux châtiments corporels dans les écoles. C'est du passé. Par contre, comment maîtrisez-vous un élève qui s'avance vers vous d'un pas décidé et qui vous dit : « Force-moi » après avoir chahuté en classe? Que faites-vous avec l'enfant qui vous répond non quand vous avez décidé de l'envoyer chez le directeur? Comment donnez-vous du pouvoir à l'enseignant sur ce qui se passe en classe sans menace?

M. Dudding : D'après mon expérience en la matière, même si l'on dit que ce comportement a lieu sans prévenir, en fait, il s'agit le plus souvent de l'aboutissement de toute une série d'incidents.

Pour avoir été travailleur social professionnel dans ces domaines, je sais qu'il est important de pouvoir maîtriser et anticiper ce qui se passe quand les jeunes ont des problèmes pour qu'ils n'arrivent pas à ce genre d'affrontements classiques. Pour avoir aussi été un travailleur auprès de jeunes et d'enfants, je peux dire que leur propre ensemble de compétences et leur expérience pour ce qui est d'anticiper ce qui se passe chez les jeunes et comprendre ce que sont les circonstances, leur permettra dans une grande mesure d'éviter ce genre classique d'affrontement.

Je pense que ce sont de vrais problèmes dans les écoles. Ce qui est arrivé sur le plan des attentes relatives à la responsabilité des enseignants, a été profondément troublant, et je pense qu'il faut accorder beaucoup plus de moyens et d'attention à ce qui se passe dans la salle de classe.

Je ne pense pas que nous immobilisons les gens ou qu'il est réel d'avoir le genre de conversation à propos de cet aboutissement sans réfléchir à ce qui s'est passé avant qu'on y arrive. Pour que tout soit bien clair, quand cela se produit, l'enseignant doit être une personne en situation d'autorité qui maîtrise la situation pour garder le calme dans la salle de classe.

Le sénateur Stratton : Et comment le fait-il?

La présidente : Sénateur Stratton, je vais vous inscrire pour le deuxième tour.

Le sénateur Stratton : Je n'ai pu poser qu'une seule question pendant les deux tours. Soyons justes.

La présidente : Je suis juste. Chaque série de questions est indépendante.

Le sénateur Merchant : D'abord, j'ai été enseignante mais il y a longtemps. Depuis, j'ai eu mes propres enfants. Trop de choses ont changé, je pense, pour que je puisse comprendre ce qui se passe en classe, si ce n'est ce que l'on voit à la télévision à propos d'incidents, qui sont des cas extrêmes.

Ma question s'adresse au surintendant en chef. Il y a quelqu'un de la Criminal Lawyers Association, je crois, mais je me trompe peut-être, qui a fait une déclaration. À moins que ce ne soit un représentant de l'Association du Barreau canadien. Quoi qu'il en soit, quelqu'un a dit que la police hésitait à user de son pouvoir d'appréciation. Il a évoqué tous les cas où la police doit user de son pouvoir discrétionnaire. Comment faut-il interpréter ces propos? Quel sens faut-il leur donner? Il a dit que la police hésitait à user de son pouvoir discrétionnaire.

M. Macaulay : Nous nous en servons chaque jour, chaque fois que nous accomplissons nos fonctions. Il n'y a pas un seul policier en service qui n'utilise pas son pouvoir discrétionnaire chaque jour.

Quant à la question de savoir si nous apprécierions qu'il y ait de la clarté autour de ces questions, tout à fait. Je crois, en ce qui concerne les observations que j'ai entendues, quand c'est la mêlée générale, la Cour suprême du Canada est notre guide pour ce qui est de la jurisprudence. Cette décision donne le ton. Quand il s'agit des magistrats et des cours provinciales, ce sont les lignes directrices que nous suivons. Oui, c'est bien quand on sait exactement ce qui constitue une infraction, ce qui n'en n'est pas, ce qui est acceptable pour l'établissement de la preuve, et ce qui ne l'est pas. Mais dire qu'un policier ne se sert pas de son pouvoir discrétionnaire, c'est faux, il le fait chaque jour.

Le sénateur Merchant : Je voulais entendre votre propre point de vue. Je sais que chacun de nous a ses propres normes et qu'il faut faire peser son expérience dans la balance. On a parfois l'impression que dès que la police a été appelée des accusations seront portées.

M. Macaulay : Absolument pas : la police ne pourrait pas faire son travail si elle n'usait pas de son jugement. Nul ne voudrait vivre dans une société où la police n'aurait pas ce pouvoir. Personne ne serait content d'enfreindre la loi pour avoir dépassé les limites de vitesse d'un kilomètre.

Passons aux stupéfiants. Regardez le Parlement et les Canadiens discuter de la légalisation de la marijuana. Est-ce que les tribunaux sont pleins de gens qui se sont passés un demi-joint entre quatre personnes? La loi est là. Le pouvoir discrétionnaire des policiers est donc primordial. Entrer chez quelqu'un et s'occuper de sa situation : premièrement, ces situations sont très volatiles; deuxièmement, selon la famille et les circonstances dans lesquelles elle évolue, on fait toujours largement appel à son jugement. Nous ne pourrions pas fonctionner sans cela mais oui, bien sûr, nous aimons savoir quelles sont les règles.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Dudding, personne je pense autour de cette table ou au Sénat n'est en désaccord avec le principe auquel vous souscrivez et que vous défendez si vigoureusement. Nous vous en félicitons. Vous devez néanmoins convenir qu'il s'agit d'une question délicate, quand il est question d'interférence avec les devoirs parentaux, et à propos de l'effet potentiel que cela aura sur les enseignants qui essaient de maintenir l'ordre dans les écoles. C'est cela notre dilemme.

Je crois comprendre que lorsque la Nouvelle-Zélande a modifié sa loi, elle a ajouté des dispositions dont l'effet pourrait être le même que celui de l'article 43. Pouvez-vous me confirmer si c'est bien le cas?

M. Dudding : Oui. Dans cet article, il y a 59 formes d'autorité parentale classées en quatre paragraphes, assorties de paramètres qui les définissent.

Le sénateur Di Nino : Admettons dans ce cas qu'il y a bien des zones grises et que si l'on a inclus ces dispositions, c'est précisément parce qu'il faut un certain jugement?

M. Dudding : Oui.

Le sénateur Di Nino : Surintendant en chef Macaulay, il y a lieu par votre intermédiaire de remercier tous les policiers de ce qu'ils font au pays. Vous savez peut-être que j'ai des liens avec deux ou trois corps policiers en Ontario et que j'essaie, quand je peux, de passer du temps avec eux. Je n'ai que du respect pour eux.

Toutefois, j'ai des réserves à propos de la suppression de l'article 43. Dans votre déclaration, vous racontez ce qui se passe quand un agent rentre chez lui. En Nouvelle-Zélande, on appelle cela « smacking (taper) ». Je n'aime pas le mot « hitting (frapper) » qui est employé ici. « Smacking » a une connotation plus douce. Est-ce que cela ne va pas compliquer la situation de la GRC quand les agents sont chargés de faire enquête?

M. Macaulay : Je présume que ce sont les lignes directrices qui ont été mises en place après l'élimination en Nouvelle-Zélande d'un article équivalent à l'article 43. C'est la clef. Je pense qu'on l'a répété maintes fois ici. On ne pourra jamais établir aujourd'hui une limite qui sera toujours appropriée dans 20 ans. Je reviens à l'avocat qui disait qu'il est clair que la limite se situe ici, mais il y a ensuite ce petit paramètre. À l'heure actuelle, si l'article est éliminé, il n'y aura plus de paramètres. Ce à quoi M. Dudding s'attend lorsqu'il porte plainte à l'égard d'un homme qui a donné la fessée à son enfant dans un terrain de stationnement ou qui a pris une autre mesure corrective, c'est que je porte immédiatement des accusations contre lui. Sans lignes directrices claires, qu'est-ce que je dois faire? Dois-je agir selon ses attentes? Or, je ne sais pas quelle position adopteront les tribunaux. Le public s'attend à ce que je fasse mon travail. Si je ne fais pas ce travail, je ferai l'objet d'une plainte à la Commission des plaintes du public contre la GRC. C'est là où les choses deviennent difficiles. Même si nous devons avoir une certaine marge de manœuvre, nous avons besoin de règles. L'article 43 nous fournissait de tels paramètres. Il y a la jurisprudence. La Cour suprême du Canada est de plus en plus claire. On en train de mettre en place les lignes directrices 2 à 12. Ça nous permettra de faire preuve de simple bon sens, d'avoir une certaine marge de manœuvre et d'aller de l'avant. Sans cet article, et seulement sa suppression complète, la situation sera difficile pour les forces policières. Ce sera difficile pour le monde. Cela portera à confusion, et il y a des jeunes qui profiteront de cette confusion.

Le sénateur Di Nino : Je comprends cela.

La présidente : Comme je l'ai dit, je voudrais poser quelques questions. J'ai une question spécifique à poser à chacun d'entre vous et une question générale qui s'adresse à vous deux.

La question générale est la suivante : selon votre expérience, à quelle fréquence l'article 43 est-il utilisé à l'heure actuelle dans les tribunaux? Nous connaissons les causes spectaculaires qui sont portées jusque devant la Cour suprême du Canada. Cet article est-il souvent invoqué dans les causes pertinentes qui sont entendues par les tribunaux inférieurs?

La question spécifique que je voudrais poser à M. Dudding concerne le fait que le projet de loi à l'étude, sans sa forme actuelle, prévoirait une période d'un an entre la sanction royale et son entrée en vigueur. À votre avis, cela donne-t-il suffisamment temps pour mettre en place les programmes complémentaires qui sont à votre avis nécessaires? Je pense que la plupart des gens seraient d'accord pour dire qu'ils sont nécessaires et supposeraient que ces programmes incluent la publication de nouvelles lignes directrices pour la police.

Il est peut-être un peu plus difficile de répondre à la question que je voudrais poser au surintendant en chef Macaulay, mais pouvez-vous nous donner une idée du nombre de fois où l'existence de l'article 43 et la jurisprudence qui en découle, influence la police de ne pas donner à une cause, de ne pas demander à la Couronne de donner suite à une cause, alors qu'on le ferait autrement?

Comme vous l'avez dit à plusieurs reprises, vous devez exercer votre pouvoir discrétionnaire de toute façon et en fait, aux termes des dispositions du Code criminel sur les agressions, je suppose que vous exercez énormément de pouvoir discrétionnaire chaque jour.

Comprenez-vous la réponse que je cherche à obtenir de vous ici? Si oui, pouvez-vous me donner vos réponses? Peu importe qui répond en premier.

M. Macaulay : La dernière est liée à la première. Je ne peux vous dire combien de fois par jour au Canada les gens ne portent pas plaintes aux termes de l'article 43 concernant les mauvais traitements dont ils sont témoins. Cela peut aller dans un sens ou dans l'autre : Il y a des gens qui croient que ce qu'ils ont vu n'était qu'un parent qui corrigeait le comportement de son enfant ou qu'en effet, il s'agit vraiment de mauvais traitements. Il y a deux côtés à la médaille. Encore une fois, il s'agit d'avoir des règles claires. Il ne serait jamais possible de déterminer dans combien de cas le policier interviendrait et jugerait une plaine, dans combien de cas les gens ne portent pas plainte ou dans combien de cas les jeunes ne portent pas plainte.

Pour ce qui est d'invoquer l'article 43 dans les tribunaux, je ne peux pas vous le dire mais je peux affirmer que dans l'environnement d'aujourd'hui, il y a tellement d'accusations qui sont portées à l'heure actuelle que les avocats de la Couronne et de la défense en débattraient longtemps après que j'aurais décidé en tant qu'agent de police de la façon dont ils procèderaient. Cela se ferait également avec l'aide de travailleurs sociaux, et cetera, si l'on craignait que le problème soit plus grave que ce qu'il semblait être, afin de s'assurer que les agences de services sociaux soient certaines que cela correspond bien à la réalité. Je ne ferais que deviner si je vous disais qu'il y en a 10 000 ou 15 000.

M. Dudding : Ma réponse à la question générale en toute honnêteté, c'est qu'il est relativement peu fréquent d'invoquer une défense en vertu de l'article 43.

M. Macaulay : La question de l'intervalle est intéressante. J'imagine que cela devient une question liée à l'engagement des ressources de la part du gouvernement pour éduquer le public à se préparer à une modification de la loi. Il faudrait qu'il y ait un engagement ferme si l'on veut faire quoi que ce soit, et que ce soit fait en association avec le gouvernement. C'est toujours un défi mais ces choses sont faisables si on a la bonne motivation pour le faire.

La présidente : Merci beaucoup à tous les deux.

Vos témoignages ont été extrêmement intéressants et nous vous remercions de votre compétence et de votre bon sens.

Nous avons la chance d'accueillir le professeur Stuart de la Faculté de droit de l'Université Queen's. Monsieur Stuart, veuillez nous présenter votre exposé.

Donald Stuart, professeur, Faculté de droit, Université Queen's, à titre personnel : J'ai la chance d'enseigner le droit pénal au Canada depuis 37 ans. Une chose que j'ai apprise c'est qu'après deux heures, plus personne n'écoute. Il n'est pas possible de maintenir l'attention pendant plus de deux heures, alors je pense que cela joue un peu contre moi.

Je voudrais commencer par féliciter le Sénat. À mon avis, personne ne connaît mieux cette question que le Sénat. Lorsque je songe au nombre de fois où cette question a été soulevée à la Chambre des communes et combien de ministres de la Justice ont dit qu'ils n'allaient pas aborder une question aussi épineuse sur le plan politique, étant donné qu'il s'agit des valeurs familiales et de tout le reste, je voudrais encourager vivement le comité sénatorial à continuer. Ma position aujourd'hui demeure la même : je demeure convaincu que l'article 43 devrait être abrogé et qu'il n'est pas nécessaire d'adopter de nouvelles dispositions.

Lorsque l'avocat de la défense a parlé cet après-midi, en particulier M. Boxall, un avocat de la défense très respecté, j'ai pensé au fait que cela rendrait les choses plus difficiles pour la police et pour les avocats de la défense. Oui, cela rendrait sans doute les choses plus difficiles, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas. Lorsque je suis venu d'Afrique du Sud au Canada dans les années 1970, c'était l'époque où Pierre Trudeau disait : « Ce qui se passe dans la chambre à coucher des citoyens ne regarde pas l'État. » Pendant dix à 15 ans, nous avons commencé à nous rappeler que la chambre à coucher était l'endroit où les femmes et les enfants étaient maltraités. J'ai arrêté d'enseigner pendant un an pour être avocat de la poursuite, et je suis tout à fait conscient de la difficulté à poursuivre les causes de voies de fait contre un membre de la famille. Je ne suis pas d'accord avec les politiques de tolérance zéro non plus et, comme le surintendant en chef l'a dit, tout tourne autour du pouvoir discrétionnaire.

Le problème c'est que cela me rappelle l'époque des années 1970 lorsque la police évitait manifestement la violence familiale : c'est une question qui regarde la famille et si des mesures sont à prendre, l'affaire doit être portée devant le tribunal de la famille. Je suis d'accord pour dire qu'il est difficile de poursuivre pour voies de fait contre un membre de la famille. Je ne pense pas qu'il y ait bien des gens au Canada qui diraient que cela n'en vaut pas le coup.

Depuis 1892, l'article 43 fait l'effet d'une douche froide. Il n'a pas été inventé récemment comme compromis canadien unique. Sir James Stephen, un vieux type anglais de l'époque victorienne, en Angleterre, a décidé qui pouvait punir qui et l'a inscrit dans notre code criminel.

Lorsque des policiers arrivent sur une scène de crime ou quelqu'un semble avoir été blessé, en l'occurrence un enfant, ils abordent l'affaire prudemment parce qu'ils connaissent l'article 43. Le surintendant en chef est parti, mais je le mets au défi de penser à un agent de police qui a de la difficulté à faire enquête au sujet d'une question conjugale. Comment peuvent-ils garder en tête les critères énoncés par la Cour suprême du Canada? Je n'y arrive pas, de sorte que j'ai les notes par écrit.

Je ne veux certainement pas répéter ce que les autres témoins ont dit ni revenir sur les décisions prises par la Cour suprême en vertu de la Charte, même si l'opinion dissidente de la juge Arbour était tout à fait exacte : il est trop vague, dangereux pour les enfants vulnérables et hypocrite de notre part de faire fi des accords internationaux que nous avons signés pour protéger nos enfants.

Mon court exposé comporte trois parties : premièrement, ce qui ne va pas avec l'interprétation de l'article 43 de la Cour suprême; deuxièmement, la raison pour laquelle l'abrogation de l'article ne va pas criminaliser indûment le comportement des parents et des enseignants; troisièmement, si nous allons dans la même voie que la Nouvelle- Zélande, la situation canadienne empirera.

Nous avons beaucoup entendu ce qu'a énoncé la Cour suprême dans la Canadian Foundation for Chidren, Youth and the Law c. Canada. L'article 43 définit une zone arbitraire, de sorte qu'il ne peut être utilisé pour justifier la violence qu'une fois que l'enfant atteint deux ans, et jusqu'à ce qu'il atteigne 12 ans. Il s'agit d'un groupe d'enfants vulnérables, mais nous avons décidé que nous pouvons tout de même user d'une force physique minimale contre ces enfants.

Je souhaite souligner le fait qu'un témoin précédent semblait s'inquiéter des châtiments corporels infligés par les enseignants, qui ont été abolis par la Cour suprême. Un enseignant ne peut pas appliquer de châtiments corporels. Je n'ai pas entendu les groupes d'enseignants revendiquer le retour des châtiments corporels à l'école.

Il faut garder en tête ce que la Cour suprême a dit; ensuite, je passerai à mes arguments. L'article écarte toute situation où un parent agit par frustration ou s'emporte, en particulier. Selon moi, cette disposition est difficile à comprendre. Prenons la situation d'une mère célibataire; il faut tenir compte de l'idée qu'elle puisse agir par frustration. J'aurais cru que le fait de perdre contrôle envers un enfant ainsi n'aurait peut-être pas dû être criminalisé. Toutefois, il semble que selon cette disposition, seul quelqu'un en apparence froid et rationnel, qui n'est jamais en colère ou frustré peut discipliner froidement ces enfants de façon minimale.

Je vous parlerai maintenant de ce que je trouve vraiment difficile à comprendre : les mesures disciplinaires ne dépendent pas de ce que l'enfant a fait. Si votre enfant vous crache dessus ou incendie une grange, on n'est pas censé tenir compte de ce qu'il a fait. Je pense que cette disposition va à l'encontre du fondement même du droit pénal. Voilà mon premier argument.

Qu'est-ce qui cloche avec l'interprétation actuelle de la loi? Je ne suis pas certain de comprendre pourquoi les parents, selon les paramètres de la Cour suprême, ont le droit d'agresser des enfants entre 2 et 12 ans. La définition d'« agression » est vaste. Si quelqu'un applique intentionnellement de la force contre une autre personne ou la menace avec force, il s'agit d'une agression. Voici un autre exemple stupéfiant : un baiser non désiré est considéré comme une agression sexuelle. Tous les baisers non désirés aboutissent-ils devant un tribunal? Non. Toutes les agressions aboutissent-elles devant un tribunal? Non. En général, les policiers et les procureurs de la Couronne font enquête et décident si la situation est suffisamment grave pour y donner suite.

Dans ce domaine, toutefois, c'est compliqué parce que les parents ont soudain le droit d'utiliser la force physique. Ce droit n'est donné à personne d'autre. Pour le reste d'entre nous, si nous menaçons quelqu'un ou nous utilisons la force contre quelqu'un d'autre, la protection est incluse dans les défenses que M. Boxall et les autres trouvaient trop vagues. On ne parle pas de surcriminalisation dans le cas des lois traitant des agressions ou des agressions sexuelles. D'une façon ou d'une autre, nous survivons tous.

Pourtant, pour une raison ou pour une autre, les parents ont ce droit. Autrefois, la violence conjugale était justifiée par les droits liés au mariage : ma femme m'appartient. On trouve ici un peu la même justification. Les parents ont le droit de discipliner le « fruit de leurs entrailles ». Selon moi, il s'agit d'une disposition dangereuse.

Pourquoi avoir choisi les enfants de deux à 12 ans? Je pense que les membres du comité savent mieux que moi que c'est en raison des preuves fondées sur les sciences sociales présentées au procès dans l'affaire Canadian Foundation, selon laquelle ces enfants sont ceux qui pourraient bénéficier des corrections. Depuis ce temps, vous avez entendu de nombreuses personnes dire que ces renseignements sont déjà désuets. Ils sont vagues. Pourquoi peut-on taper quelqu'un sur les fesses mais, lorsqu'on tape quelqu'un sur la tête, il s'agit d'une agression criminelle? Voilà une des limites établies par la Cour suprême.

Et que veut-on dire lorsqu'on dit « ne peuvent pas être corrigés »? Ici aussi, le problème que me pose l'interprétation de la juge en chef McLachlin est lié au fait que ça ne dépend pas de ce que l'enfant a fait. Elle dit qu'on ne peut pas le faire; il ne s'agit pas d'un châtiment, c'est une correction.

Je ne connais pas d'avocat, de policier, de procureur ou de juge qui ne disent pas que la question est, essentiellement, de savoir à quel point l'incident est sérieux. Lorsque le surintendant en chef a dit que les policiers avaient besoin de lignes directrices, je pense que s'il voulait tirer quelque chose de l'article 43, l'une des lignes directrices devrait être la suivante : lorsqu'on se rend sur un lieu et qu'on voit qu'un enfant a été blessé ou que quelqu'un a utilisé de la force, on doit se demander à quel point l'incident est sérieux.

Ce serait une bonne directive. Il y a également les aspects théoriques qui ont découlé de la décision de la Cour suprême. Je pense également que la présidente a demandé si l'article 43 était invoqué souvent. Vous connaissez bien Corinne Robertshaw. Si vous regardez son site web, vous verrez que de tels cas continuent de survenir. Je révise les rapports criminels; le système de production de rapports. Je pense que l'article 43 est invoqué de dix à 15 fois par an. Selon moi, la tendance est à l'acquittement, ce qui préoccupe la juge Arbour.

À la page 6 de mon document, on trouve l'affaire Plummer, où une ceinture a été utilisée comme instrument de correction. Il y a eu acquittement. Cela contrevient à ce qu'a déclaré la Cour suprême du Canada. Dans l'affaire Swan — le père qui a jeté sa fille dans un camion parce qu'il pensait qu'elle était en mauvaise compagnie — il semble, selon moi, y avoir eu agression. Peu importe ce que l'on pense de cette affaire, ce qui est intéressant, c'est que les deux instances judiciaires avaient des opinions complètement différentes sur l'interprétation des nouvelles directives de la Cour suprême.

C'est pourquoi je pense que les lignes directrices représentent des « zones grises » pour reprendre les paroles du surintendant en chef. Elles sont également incohérentes.

Mon deuxième argument est lié à l'inquiétude justifiée, qui déclenche habituellement un débat : tous les parents et les enseignants seront criminalisés. Je le répète pour que l'on s'en souvienne : les lois sur les agressions sont déjà générales et, lorsqu'on est accusé d'une agression, quelle qu'elle soit, quelles sont nos défenses? Nous pouvons invoquer l'autodéfense, si nous craignons la violence et que nous n'utilisons pas plus de force que nécessaire. Il y a la défense des biens ainsi que la défense de contraintes si nous étions menacés. Il y a la défense de nécessité qui, j'en conviens, est étroite. C'est très bien ainsi. Il ne faut pas acquitter quelqu'un qui a enfreint la loi parce que cette personne pensait que c'était nécessaire. Par conséquent, nous avons un critère.

Je vous invite également à consulter les articles 27 et 30, qui portent sur l'emploi d'une force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d'une infraction ou prévenir des torts. Ces articles s'appliqueraient à bon nombre des situations en question, même sans l'article 43. J'ai été fasciné par nos avocats en exercice au sujet du dicton « la loi n'a cure des détails ». L'autorité pour cette doctrine figure dans les deux arrêts de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canadian Foundation. La juge Arbour en parle pendant plusieurs pages. La juge McLachlin est plus brève : elle dit que c'est une doctrine vague, mais elle ne dit pas qu'elle n'existe pas. Nous pouvons donc y avoir recours.

J'ai entendu plusieurs sénateurs dire qu'ils craignent que les policiers ne soient appelés dans des écoles et des maisons, et qu'il y ait beaucoup plus de procès. Comme je l'ai dit, je crois, à l'instar du surintendant en chef, que nous avons un système discrétionnaire. Les policiers font toujours preuve de discrétion. Ils doivent le faire. Autrement, c'est impossible. Par exemple, s'ils sont appelés sur une scène de violence conjugale et que la mère dit que le père a donné la fessée à sa fille, ils tentent de faire enquête du mieux possible pour découvrir peut-être qu'il y a eu, au plus, une gifle. Selon moi, sans l'article 43, la plupart des policiers envisageraient d'interrompre immédiatement l'enquête. S'ils considèrent que des torts ont été causés ou qu'il s'agit d'un cas de violence manifeste et qu'ils croient la mère qui dit que le père est un agresseur, ils intenteraient des poursuites, tout comme ils utilisent leur pouvoir discrétionnaire dans les cas de voies de fait contre les membres d'une famille.

Je pense que ce protocole pourrait être perfectionné. Ce qui est aussi intéressant, c'est qu'en vertu de l'article 43, les seuls groupes protégés sont les parents et les enseignants. Au Canada, de nombreux professionnels, comme les travailleurs en garderie et les psychiatres, traitent avec des enfants dont la situation est beaucoup plus vulnérable et dangereuse. Personne d'autre n'est ainsi justifié d'utiliser la force.

Je pense que les juges ont également la possibilité de faire preuve de jugement et d'accorder l'absolution sous condition s'ils ont l'impression qu'après tout, l'infraction n'était pas grave. Je pense que la règle de minimis se développe et que c'est une bonne chose.

J'espère que vous avez mon document. Enfin, on m'a demandé vendredi d'examiner les dispositions limitatives néo- zélandaises. On trouve ce sujet aux pages 8 et 9 de mon document. Je pense que cette disposition causera des problèmes supplémentaires. Si vous prenez la page 8, au bas, on lit ce qui suit :

(1) Le parent d'un enfant ou toute autre personne qui remplace le parent d'un enfant est justifié d'employer la force à la condition que cette force soit raisonnable dans les circonstances et qu'elle vise à...

a) prévenir ou réduire le plus possible le préjudice causé à l'enfant ou à autrui;

Nous n'avons pas besoin de cette disposition. Nous avons déjà l'article 27.

b) empêcher l'enfant de se livrer ou de continuer à se livrer à un comportement qui constitue une infraction criminelle;

Ici aussi, cette disposition est inscrite dans l'article 27.

c) empêcher l'enfant de se livrer ou de continuer à se livrer à un comportement offensant ou perturbateur;

Qu'est-ce qu'un « comportement offensant »? C'est extrêmement subjectif.

Rien, au sujet de cette utilisation de la force, n'est conforme à la vision canadienne. À l'exception de l'article 43, toutes les défenses, que ce soit l'auto-défense, la contrainte ou la nécessité, comportent une notion de proportionnalité. Était-ce raisonnablement nécessaire, compte tenu de ce qui est arrivé?

Notre article 43 n'a jamais prévu une telle proportionnalité. On ne parle que d'une « mesure raisonnable dans les circonstances ». La Cour suprême ne l'a pas incluse parce qu'elle a déterminé qu'il s'agit d'une correction et qu'il n'est pas important de savoir ce que l'enfant a fait; selon moi, c'est ridicule.

Dans le cas de cette disposition, le fait de tenir compte de la proportionnalité irait de pair non pas avec l'article 43, mais plutôt avec l'établissement d'une masse de jurisprudence au Canada, en particulier pour ce qui est de la légitime défense, entre autres. Quelqu'un ne peut pas réagir de façon tout à fait exagérée.

La loi de légitime défense est libérale. Elle permet aux gens d'avoir recours à une légitime défense raisonnable; elle dit, par exemple, qu'en temps de crise, on ne fait pas preuve de jugement rétrospectif en disant que les gens doivent mesurer avec précision le degré de force. Si quelqu'un attaque une personne avec un couteau et que cette personne a une arme à feu, on ne peut dire que cette personne n'aurait pas dû utiliser une arme à feu, mais un couteau. Ce serait ridicule. Nos tribunaux sont généreux quant à cette défense.

La disposition néo-zélandaise ne comporte aucune mention de cette défense. Si on devait abolir entièrement l'article 43, il faudrait partir du principe que les parents et les enseignants ne disposent d'aucun droit inhabituel d'user de force comme défense. S'ils sont accusés de voies de fait, ils peuvent être acquittés s'ils établissent toute autre défense qui s'applique normalement à quiconque est accusé de voies de fait, peu importe s'il l'on parle de deux hommes qui se battent à l'extérieur d'un bar, ou encore d'un mari et de sa femme. Tous ont droit aux mêmes défenses, de sorte que je pense qu'il ne devrait y avoir rien de différent au sujet d'un parent ou d'un enfant.

Mon dernier argument figure au bas de la page 8. Il semble que la loi néo-zélandaise ait été modifiée. Cet article semble légiférer au sujet d'un agent de police qui a le pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite aux plaintes déposées « dans le cas où l'infraction est considérée si insignifiante qu'il n'y a aucun intérêt pour l'État d'intenter des poursuites. »

Il s'agit d'une disposition étrange à inscrire dans le droit criminel. Comme l'a dit le surintendant en chef, les policiers font toujours usage de leur pouvoir discrétionnaire. Je pense que ce pouvoir peut être majoritairement caractérisé par le fait de savoir si l'incident est suffisamment grave pour que l'appareil judiciaire se mette en marche. Le fait d'inclure cette notion dans un article encourage un agent de police dans le doute qui se rend sur les lieux d'une dispute conjugale à penser que des voies de fait conjugales doivent être réglées entre un mari et sa femme, mais lorsqu'il s'agit des enfants, c'est parental et pas du tout grave. Je pense que cette disposition devrait être retirée et qu'il faut que les policiers fassent usage de leur pouvoir discrétionnaire.

Je pense que les notions de suraccusation ou d'exagération par les policiers ou les procureurs doivent être réservées aux tribunaux pour les M. Boxall de ce monde et que les juges doivent rendre des décisions, ce qu'ils font.

La dernière chose que je veux souligner, c'est que je me sens comme un vieux de la vieille. J'ai beaucoup écrit au sujet du droit pénal au Canada. Ceux qui savent ce que j'écris ou ce que j'ai dit lorsque j'ai témoigné devant le Parlement, à de nombreuses reprises, savent que je suis un tendre. Je suis davantage en faveur des droits de l'accusé que de ceux de l'État. Toutefois, il est très étrange de légitimiser le droit d'un parent à employer la force envers un enfant vulnérable âgé de deux à 12 ans pour le corriger; et ce qu'a dit le Cour suprême du Canada est tout simplement inapplicable.

Le sénateur Andreychuk : Professeur Stuart, vous avez apporté de nombreux arguments. Il me semble que vous soyez relativement en désaccord avec la décision majoritaire des juges de la Cour suprême. Vous avez parlé de la juge McLachlin, mais vous voulez dire que vous êtes en désaccord avec la majorité. Vous semblez avoir apprécié, si je peux dire, la position de la juge Arbour, une décision minoritaire. Je pense que je vais m'en tenir à cela. On peut facilement le voir, d'après vos observations.

M. Stuart : Je suis d'accord pour dire que le jugement majoritaire de la Cour suprême doit être félicité pour avoir revu la loi. Il ne s'agit pas d'un droit au châtiment corporel; il s'agit du droit d'utiliser une force minimale à des fins de correction contre des gens âgés de deux à 12 ans. Il s'agit d'un progrès.

Le sénateur Andreychuk : C'est un progrès considérable parce que nous disons que le châtiment corporel appartient à une époque révolue. Peut-être avait-il sa place dans la société il y a un siècle, mais encore. Nous nous entendons sur ce point.

Au fait, sur un autre point, je suis d'accord avec vous. La Nouvelle-Zélande a imposé une interdiction totale des châtiments corporels et quand les parlementaires ont commencé à examiner la question dans le cadre moderne de l'éducation des enfants, ils se sont retrouvés face à des dilemmes. Le problème au Parlement, c'est que parfois nous n'avons pas suffisamment de temps pour étudier tous les dilemmes, de sorte que nous faisons de notre mieux. Sauf votre respect, j'espère que le Canada ne commettra pas les mêmes erreurs face à un texte qui propose d'éliminer l'article 45; on nous impose un délai et nous nous demandons comment tenir compte des difficultés modernes auxquelles sont confrontés parents, enseignants et enfants. Je passe une grande partie de mon temps à parler à des enfants et ils recherchent la discipline. Ils veulent des règles. La société est dure.

En l'absence de règles, m'a-t-on enseigné, comment peut-on explorer? Comment peut-on les enfreindre puis réintégrer le bercail? Comment un jeune peut-il se tester s'il ignore quelles sont les règles? Il doit y avoir des règles et de la discipline. J'espère que nous sommes sur la même longueur d'ondes.

Ce n'est pas le Code criminel sur lequel il faut se pencher, c'est sur les dilemmes de la société face aux jeunes. Vous dites ne pas avoir compris une des expressions que les Néo-Zélandais ont mises dans leur loi. En Angleterre, on a adopté quantité de nouvelles lois relatives aux comportements antisociaux : comportement difficile, cela va des graffitis jusqu'à cracher, des comportements déplacés qui stigmatiseront la personne aux yeux des tribunaux et de la société. J'espère qu'on ne va pas décider d'interdire le châtiment corporel pour ensuite instaurer une foule de lois et de règles qui seront encore plus nuisibles aux parents et aux enfants.

La présidente : Est-ce que c'est une question?

Le sénateur Andreychuk : Êtes-vous d'accord?

M. Stuart : Une question que j'essayais d'aborder — et je dois dire que je ne l'ai fait que vendredi après-midi — est que je comprends que certains membres du comité préféreraient sans doute une disposition qui traite de la contention physique, en particulier dans le cas des enseignants. Je pense que cela n'est pas nécessaire, ne serait-ce parce que nous avons déjà des dispositions dans le Code criminel.

Depuis 37 ans que j'enseigne, le Code criminel a triplé de taille. Il est facile d'y inclure des dispositions pour traiter de tel ou tel problème. Ce qu'il y a de bon à propos du comité, c'est que vous réalisez que les solutions de fortune sont habituellement parsemées de danger.

Je consultais le Code criminel aujourd'hui et je suis tombé sur une disposition que je n'avais jamais vue. Il s'agit du paragraphe 27.1, adopté en 2004. Tout d'un coup, vous avez une disposition qui dit que toute personne se trouvant à bord d'un aéronef est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d'une infraction qu'elle croit, pour des motifs raisonnables, susceptible de causer des blessures immédiates et graves aux personnes à son bord ou des dommages immédiats et graves à l'aéronef ou aux biens à son bord.

Voilà un exemple classique d'une disposition inutile parce que l'article qui la précède couvre entièrement le cas. Par contre, un groupe de pression quelconque a posé une question à propos du recours à la force à bord d'un avion. Je vous montre aussi que si vous deviez décider, contrairement à mon avis à moi tout seul, de ne pas avoir de contention physique, de grâce mettez-en une dans la tradition canadienne de dire « employez uniquement la force raisonnablement nécessaire ». Ce n'est pas « toute force nécessaire pour maîtriser un enfant ».

L'enseignant qui perd la maîtrise de sa classe fait je ne sais trop quoi. Ce qu'il ou elle fait n'est pas nécessairement criminel, même s'il y a une disposition limitant la force qui peut être utilisée. La force doit être d'une mesure raisonnable dans les circonstances. Le tribunal chargé de l'affaire examinera le cas de cet enseignant qui a perdu la maîtrise de soi. Qu'est-il arrivé? Quel a été l'élément déclencheur? En quoi consiste la preuve? La force était-elle nécessaire et raisonnable? Un jugement a-t-il été porté : oui. Y a-t-il subjectivité dans la décision : oui.

Le sénateur Andreychuk : Si nous abrogeons l'article 43 et que nous ne le remplaçons pas par quelque chose d'autre, vous dites qu'il n'y a pas de problème. Ce n'est pourtant pas ce que j'entends dire quotidiennement. Le débat porte en fait sur la nouvelle situation dans laquelle nous nous trouvons : autrefois, quand un jeune fuguait, il ou elle se retrouvait à l'autre bout de la ville; de nos jours, c'est plutôt à l'autre bout du monde. User de substances difficiles, c'était consommer de la bière et du vin, pas du crystal meth. Autrefois, les jeunes dans la rue n'étaient pas la proie des gangs et de personnes qui les exploitaient, comme c'est le cas aujourd'hui; il faut savoir que la traite des personnes, surtout des jeunes, est un des plus gros problèmes qui existent de nos jours.

Comment les parents peuvent-ils gérer des situations comme celles-là et avoir une assurance raisonnable de soutien de la part de la société si nous leur disons simplement aujourd'hui qu'ils ne peuvent pas lever la main sur leur enfant? C'est là le message que nous transmettrons au public si nous abrogeons l'article 43 sans le remplacer par autre chose.

M. Stuart : Le message est que la société canadienne ne tolère pas le recours à la force contre qui que ce soit. Nous avons des lois d'une vaste portée qui interdisent les voies de fait. Nous avons des motifs de défense généraux comme la légitime défense, la contrainte, la nécessité et la force minimale nécessaire, qui semble avoir marché dans tous les contextes à part celui-ci.

L'article 43 ne peut pas du tout être considéré, même dans sa forme actuelle ou de la façon dont il a été interprété par la Cour suprême du Canada, comme une solution aux problèmes de consommation de drogues et à d'autres problèmes de ce genre. Je vous comprends, madame le sénateur. Je suis moi-même parent. Je ne voudrais surtout pas être chef de famille monoparentale. C'est là pour moi la variable clé. Qu'en est-il du parent seul qui perd complètement la maîtrise de soi face au jeune qu'il ou elle aime et qu'il ou elle s'en prend au jeune? Je préférerais que, dans un cas pareil, on s'en tienne aux principes traditionnels, à savoir, ce qui s'est produit était-il justifiable comme légitime défense; l'enfant constituait-il une menace; et était-il nécessaire de faire ce qu'il ou elle a fait dans ce cas-là? Sinon, il me semble qu'on pourrait faire intervenir des sanctions criminelles, ne serait-ce que parce que les enfants de deux à 12 ans sont vulnérables. Je suis très sceptique face aux témoignages voulant qu'on puisse tout d'un coup interdire de corriger un enfant dès qu'il atteint l'âge de 12 ans, face à l'idée qu'on puisse administrer une correction à un enfant de 12 ans, mais qu'on ne puisse pas le faire si l'enfant a 12 ans moins un jour. Je trouve cela étrange.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez fait valoir à maintes reprises que c'est l'opinion du juge dissident, et non pas la décision de la majorité, qui devrait l'emporter, mais l'article 43 ne vise pas que les enfants de deux à 12 ans. Le décret R. c. Swan, dans sa dernière incarnation, nous indique qu'il s'agit des enfants de plus de 12 ans et de moins de deux ans. Nous parlons des autres aspects de l'article 43.

M. Stuart : Ce décret-là est intéressant parce qu'il laisse libre cours à l'interprétation. Deux juges l'ont interprété de façons différentes. Je suis plutôt enclin à penser que le juge qui a opté pour l'acquittement a commis une erreur de droit, d'après la façon dont j'interprète l'affaire Canadian Foundation. C'est là une autre décision au sujet de laquelle des personnes bien intentionnées peuvent, après un examen attentif, en arriver à des interprétations différentes.

Je crois qu'on voulait que l'application de l'article 43 se limite aux enfants âgés de deux à 12 ans et que rien d'autre ne s'applique. C'était une interprétation atténuée. Il ne s'agit là que de l'interprétation d'une seule personne, mais il est intéressant de noter que deux juges qui ont lu les mêmes documents en sont venus à des conclusions différentes; un juge voulait reconnaître la culpabilité de l'intervenant alors que l'autre voulait l'acquitter.

Le sénateur Andreychuk : Ce qui est tout particulièrement intéressant, c'est qu'on demande aux parents, si nous abrogions l'article 43, de prendre toutes ces décisions que même que les juges et les avocats ont de la difficulté à prendre.

Le sénateur Di Nino : Peut-être la question a-t-elle déjà été abordée, mais je crois que cela vaut la peine d'être répété afin d'avoir un peu plus de précisions. L'article 43 ne porte pas sur le fait de commettre des voies de fait. L'article 43 est une disposition qui porte sur la prise de mesures disciplinaires à l'égard d'un enfant et personne ne propose à l'article 43 de protéger l'enseignant ou le parent qui frappe un enfant avec un bâton de baseball. Évidemment j'exagère un peu parce que je veux qu'on saisisse bien.

Je m'inquiète des commentaires que vous avez faits lorsque vous parliez du parent qui ne devrait pas avoir le droit d'avoir recours à la force. Avoir recours à la force, à mon avis, c'est simplement dire que l'article 43 ne s'appliquerait pas dans ces circonstances. Le recours à la force serait toujours assujetti aux lois habituelles qui touchent ce genre de choses. Ai-je bien saisi? Je veux m'assurer qu'on parle vraiment ici de la même chose.

M. Stuart : J'ai mentionné, en bas de ligne, l'utilisation par un parent d'une ceinture pour corriger un enfant. Le parent a été acquitté en fonction de l'article 43 parce que l'enfant n'avait pas été vraiment blessé. D'après la Cour suprême du Canada, les parents n'ont plus le droit de servir de quelque objet que ce soit. Dans le cas qui nous occupe, quelqu'un n'est pas d'accord et n'applique de façon appropriée la décision rendue par la Cour suprême du Canada.

Ceux qui ont été ou sont parents sont souvent frustrés et les enfants ne sont pas toujours parfaits. C'est justement pourquoi nous nous intéressons si vivement à toute cette histoire parce qu'on veut éviter la sur-criminalisation. Je pense que peu parmi ces parents qui touchent leurs enfants méritent d'être poursuivis au criminel. Je suppose que si vous abolissiez l'article 43, peu d'entre eux feraient l'objet de poursuites.

La juge Arbour a mentionné plusieurs décisions des tribunaux et celles qui ont été mentionnées au site web de Mme Robertshaw, et je ne mentionne pas ce qui a été fait lors de l'étude de la Cour suprême du Canada, et ce qu'on présente me semble être des cas graves de recours à la force contre des enfants sous prétexte qu'on voulait les corriger. Ces affaires se sont soldées par des déclarations de non culpabilité. À mon avis, c'est une mauvaise décision. Je crois qu'il faudrait commencer tout cet argument en exprimant l'espoir qu'il n'y a pas beaucoup de cas de violence faite aux enfants au Canada sous prétexte qu'un parent veut corriger son enfant. Cependant il faut reconnaître qu'il y a beaucoup de cas du genre.

« Mauvais traitements » est une mauvaise expression à utiliser parce que les avocats nous demandent toujours ce qu'on entend par là. Je crois qu'il faut étudier tout incident en se demandant s'il s'agit de mauvais traitements graves qui ont été infligés, intentionnellement, par une personne qui dit vouloir corriger l'enfant. J'espère qu'il n'y aura aucun régime ou système dans le cadre duquel une personne qui donne une tape à son enfant lui dit d'arrêter de faire quelque chose ou de remettre un objet à un certain endroit pourrait être accusé d'un acte criminel; enfin je crois que très peu de policiers seraient prêts à porter un tel chef d'accusation.

Cependant, lorsque le policier est présent sur les lieux et que tout semble indiquer que l'enfant a été battu, ou frappé violemment, la Cour suprême dit cependant qu'on peut taper les fesses d'un enfant. Le policier arrive voit des lésions, et les marques d'une main sur les fesses d'un enfant, ça ne semble pas chicoter la Cour suprême du Canada. Je ne crois pas que ce soit acceptable. Je crois que des poursuites devraient être intentées à la suite de cet incident et que le parent devrait faire l'objet d'une enquête. Il appartiendra alors aux policiers et au procureur de décider ce qui doit être fait.

Le sénateur Di Nino : J'aimerais revenir à ce que vous avez dit. Je crois qu'à plusieurs reprises vous avez mentionné les commentaires du surintendant en chef Macaulay surtout pour dire que vous n'étiez pas d'accord avec lui. Le surintendant en chef Macaulay a dit, et cela m'a frappé, que si l'on abrogeait l'article 43, à son avis — et vous devez reconnaître qu'il est expert dans ce domaine — qu'un plus grand nombre de parents seront accusés parce que le policier n'aura probablement pas la même marge de manœuvre. Nous reconnaissons tous que la protection de l'enfant est la priorité, mais nous devons également tenir compte des droits des parents et des enseignants de prendre les mesures disciplinaires appropriées. Vous dites que nous devrions laisser le tribunal trancher.

Je suis convaincu que vous comprendrez, monsieur, ce que vivra le parent qui sera traduit devant les tribunaux accusé d'un acte criminel à l'égard de son propre enfant, même s'il n'était pas reconnu coupable en bout de ligne. Le stigmate qui accompagnerait cette accusation accompagnera ce parent toute sa vie.

L'article 43, tout au moins dans une mesure, ne fournirait-il pas une certaine protection aux parents et aux enseignants qui essaient de s'acquitter de leurs responsabilités à titre de parents ou à titre d'enseignants?

M. Stuart : Je crois que vous oubliez le sort de l'enfant.

Le sénateur Di Nino : Pas du tout.

M. Stuart : S'il n'y a pas de poursuites au criminel et si le recours intentionnel à la force sous prétexte de corriger l'enfant même si ce n'était pas justifié c'est-à-dire que ses gestes ne pourraient être justifiés par la défense normale offerte à toute autre personne accusée de voies de fait, le grand perdant dans cette histoire ce sera l'enfant. Il est agressé impunément.

Le sénateur Di Nino : Je suis frappé par les commentaires qui ont été faits. Le surintendant en chef m'a vraiment convaincu lorsqu'il a dit que si l'article 43 était abrogé un plus grand nombre de parents seraient accusés. Je dois vous dire qu'un plus grand nombre de parents innocents seraient accusés; ça aussi c'est un simulacre de justice.

M. Stuart : J'ai entendu le surintendant en chef signaler que cela représenterait plus de travail pour la police au niveau de l'enquête. Il a ajouté que les policiers étaient déjà surchargés. J'ai tout le respect du monde pour les policiers qui travaillent fort, mais, comme je l'ai signalé, je voulais simplement rappeler que j'ai passé un an à intenter des poursuites dans des cas de violence familiale. Les policiers, tout au moins c'est ce que l'expérience m'a appris à Toronto, ont une bonne formation en pareil cas. J'ai bien hâte qu'un jour ils aient également une bonne formation dans les cas difficiles de présumés recours à la force par des parents contre les enfants. Nous participons à ce débat aujourd'hui, mais si ce genre de choses était aboli, dans dix ans, nous nous demanderions pourquoi nous avions attendu si longtemps avant d'intervenir. Quand j'ai étudié le droit criminel et que je l'ai enseigné dans les années 1970, les voies de fait d'un mari contre son épouse étaient une question qui ne touchaient que la famille et il valait mieux ne pas en parler ou simplement faire intervenir le tribunal de la famille. Lorsque les policiers constataient qu'il s'agissait d'une question que touchait la famille, ils ne s'en occupaient plus. Ils partaient.

Évidemment, cela représentera un fardeau accru pour les policiers et pour des gens comme Norm Boxall. Si vous pensez au recours à la force simplement pour corriger, pensez aux parents consciencieux qui essaient de faire de leur mieux pour leurs enfants, mais qui font des erreurs à l'occasion. Il serait injuste d'intenter des poursuites au criminel contre lui. Vous pouvez aussi penser au parent qui est en colère, qui est violent et qui bat littéralement son enfant et qui essaie de toujours se dérober et d'éviter d'être accusé. L'article 43 finit tout compte fait par protéger ce genre de parents qui devraient faire l'objet d'un plus grand nombre d'enquêtes, et je pense qu'ils y penseraient à deux fois avant d'attaquer leurs enfants si l'article 43 continuait à exister. Si j'étais policier aujourd'hui et qu'on me demandait de me rendre à un endroit où il y a eu violence contre un membre de la famille et que cela touchait un enfant, ma première question serait de demander l'âge de l'enfant. Si on me répondait 11 ans, je devrais dire, très bien, au revoir, parce que cet âge est touché par l'arrêt rendu dans l'affaire Canadian Foundation. À mon avis, cette situation n'est pas du tout logique.

Le sénateur Di Nino : Je ne pense pas que les choses se produiraient de cette façon, mais je vous remercie de cette précision.

Le sénateur Baker : L'enfant dont il était question dans l'affaire Swan était âgé de 15 ans. J'hésite toujours à m'en prendre à quelqu'un de votre réputation, professeur Stuart. Je me pose parfois des questions à votre égard. Chaque fois qu'une décision est rendue dans cette province, on en fait rapport et on présente les notes générales sur l'affaire, mais avant qu'on puisse lire la décision, on retrouve habituellement un commentaire signé par Don Stuart. Je me demande ce que le juge pense lorsqu'il est critiqué, à l'occasion assez vertement.

J'hésite également en raison de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Daley à l'égard du recours à la défense fondée sur la consommation de substances intoxicantes, décision qui s'accompagnait d'un assez long commentaire dont vous étiez l'auteur. Vous les avez surpris mais, évidemment, lorsque j'ai étudié les choses de plus près j'ai constaté que dans la décision majoritaire rendue, au paragraphe 102 le juge signale qu'il est d'accord avec la critique formulée par Don Stuart contre cet aspect de l'arrêt Robinson. Il a cité vos propos puis il ajoute qu'il recommanderait donc que toutes les directives sur l'intoxication soient formulées à l'avenir selon ce modèle.

Ainsi, vos propos ont donc été retenus. Je voulais le préciser aux fins du procès-verbal. Vous avez joué un rôle fort positif dans le domaine pénal et j'hésite à vous dire que je ne suis pas d'accord avec vous.

M. Stuart, voici ma question : vous dites que les dossiers d'importance mineure devraient être écartés. Je me souviens que dans votre commentaire vous vous étiez opposé avec vigueur à un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario, le plus haut tribunal de cette province, dans une affaire où une femme était entrée dans une église et s'en était prise au pasteur. On procédait à ce moment à une cérémonie de mariage entre deux conjoints de même sexe et on l'a accusée de voies de fait. Le tribunal inférieur en Ontario a conclu que l'argument de défense pouvait être employé mais la Cour d'appel de l'Ontario a statué que cet argument n'était pas valable.

Comment pouvez-vous utiliser, en parlant au comité, l'argument des dossiers d'importance mineure alors que le tribunal le plus important de la province a dit que cette défense ne saurait être employée?

M. Stuart : Le tribunal le plus important de l'Ontario a rendu une décision mais c'est l'arrêt rendu dans l'affaire Canadian Foundation, qui a préséance et on y dit que cette défense existe. Le juge en chef Beverley McLachlin, la juge Louise Arbour, et l'autre grand défenseur de la défense de minimis, la juge Claire L'Heureux-Dubé, ont dit que cette défense existait. Je crois donc que le message de la Cour suprême du Canada et que le moyen de défense fondé sur le principe de minimis existe et qu'aucune restriction n'est imposée pour d'autres infractions.

Parfois, lorsqu'il y a des infractions au Code criminel moins graves, plus techniques, on annule simplement les accusations. Ces personnes n'auront pas de casier judiciaire si pendant 12 mois ils ne commettent aucune infraction.

Pour ce qui est de mes commentaires et des autres annotations, l'expérience m'a appris qu'on me cite toujours lorsque je penche vers la droite et jamais lorsque je penche un peu vers la gauche. Cette fois-ci, je viens me présenter comme une personne de droite et j'espère que vous m'écouterez.

Le sénateur Baker : Professeur Stuart, je consulte habituellement la jurisprudence la plus récente. La jurisprudence à Terre-Neuve remonte à 2006 et l'affaire de la Canadian Foundation remonte à 2004. Le moyen de défense fondé sur le principe de minimis ne s'applique pas dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador mais s'applique cependant au Québec; dans la cour inférieure de l'Ontario, cet élément s'applique; il s'applique également à la cour inférieure de la Colombie-Britannique. Cependant, certains tribunaux sont d'avis que les choses ne sont pas vraiment noir ou blanc en ce qui a trait à ce moyen de défense. Je suppose que vous préféreriez que cet élément soit codifié.

M. Stuart : C'est exact. Il est codifié dans tous les codes américains fondés sur le code criminel modèle. Ce serait une bonne chose à ajouter, un peu comme on essaie de le faire en Nouvelle-Zélande pour la police. Nous pourrions le faire de façon générale. Dans le système de justice pénale, il est clair que les juges de première instance ont un pouvoir discrétionnaire.

J'ai été intéressé par les propos de Norm Boxall lorsqu'il parlait de l'attitude de la Cour suprême et de la façon dont on fait les choses sur le terrain. Il existe une marge de manœuvre discrétionnaire importante et tous les juges de première instance ne sont pas du même avis mais c'est quand même eux qui ont la tâche la plus difficile. Je suppose que dans les cas où les parents ont recours à la force contre un enfant, la majorité des juges se demandent ce que l'enfant a fait, et si c'était grave; cela n'est pas reflété dans la loi actuelle.

Le sénateur Baker : Il existe un problème avec les moyens de défense que vous avez cités dans votre document. Vous signalez, à la page 8 :

Il y a également la possibilité pour la magistrature d'étendre un concept nouveau, le sursis ordonné par voie judiciaire dans les dossiers d'importance mineure.

Évidemment, un sursis ordonné par voie judiciaire viendrait après que l'on ait présenté tous les autres éléments. En fait ce sursis représenterait pratiquement une excuse et non pas un moyen de défense. En d'autres termes, après avoir prouvé les éléments de l'infraction, on déciderait s'il y a lieu d'intenter des poursuites ou pas.

M. Stuart : C'est exact.

Le sénateur Baker : Évidemment, c'est là où le problème se pose, n'est-ce pas? On a franchi toutes les étapes du procès — et ceux qui s'opposent à la position que vous avez adoptée signalent que ce n'est pas une bonne chose — pour en venir à une excuse pratiquement comme s'il y avait eu une erreur judiciaire.

M. Stuart : Mais c'est cependant un sursis, sénateur, il s'agit d'un piège.

Le sénateur Baker : Exactement.

M. Stuart : Votre argument est valide. Je peux le comprendre surtout si on veut éviter la sur criminalisation. C'est pour cela que cela vient en fin de processus. Cependant, le parent lui a été traduit devant les tribunaux inutilement.

Le sénateur Baker : Il vous a fallu dix ans pour modifier la loi dans les cas de l'utilisation d'intoxication comme moyen de défense. Peut-être dans dix ans pourrez-vous parvenir à modifier la loi en ce sens.

Le Sénat s'occupe du dossier depuis dix ou quinze ans. Vous avez plus de chance d'agir que moi.

La présidente : J'aimerais poser quelques questions avant de laisser partir notre témoin.

Peut-être que ma question est un peu sotte. Je me demande toujours ce qu'on entend, dans ce contexte, quand on parle de « corriger » ou de « recours à la force pour corriger » qu'entend-on exactement par là?

M. Stuart : Si j'ai bien saisi, la Cour suprême a décidé tout d'un coup de retenir l'opinion d'une série d'experts sur la correction physique et a dit que certains groupes d'âge peuvent apprendre s'ils sont corrigés. Je crois que c'est très vague.

La présidente : Est-ce que le terme « correction » entend qu'il y a un impact sur l'éducation ou la formation ou est-ce qu'on entend simplement par là une punition? Qu'est-ce que ça veut dire?

M. Stuart : D'après la Cour suprême, il y a une distinction claire entre quelque chose qui est fait pour corriger et quelque chose qui est fait pour punir. Si c'est la question que vous posez, je ne saurais y répondre parce que je ne saisis pas très bien.

Comme je l'ai dit, personnellement je crois que ce qui n'est en fait que voies de fait se produit tous les jours au Canada. On a recours aux voies de faits pour toutes sortes de raisons, la panique, la frustration, la colère. Ces émotions n'entrent pas du tout en ligne de compte dans l'interprétation que donne la Cour suprême à l'article 43.

La présidente : Et, comme vous l'avez signalé, on ne tient pas compte de la gravité de l'événement déclencheur.

M. Stuart : C'est exact.

La présidente : Pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire, si l'article 43 était abrogé et que nous n'avions comme outil que la loi qui porte sur les voies de faits, pensez-vous que la police ou la couronne ne continuerait pas à faire preuve de discernement comme ils l'ont toujours fait par le passé?

J'étudie un extrait d'un document publié par le ministère de la Justice fédéral, et il s'agit en fait du guide du service fédéral des poursuites. La version anglaise remonte à janvier 1993. Je crois cependant qu'elle est toujours en vigueur. Voici ce qu'on dit :

Lorsque la gravité de l'infraction reprochée ne justifie pas en soi la décision de poursuivre, la Couronne doit se demander si l'intérêt public n'existe pas néanmoins qu'il y ait poursuite. Les facteurs d'intérêt public dont il faut tenir compte à cette fin sont les suivants :

a) le degré de la gravité de l'infraction reprochée;

b) les circonstances atténuantes ou aggravantes;

On énumère également d'autres facteurs d'intérêt public qui devraient être étudiés lorsque le temps vient de déterminer s'il devrait y avoir ou non poursuites.

Cette série de consignes suffit-elle pour éviter le genre d'histoires d'horreur qui inquiètent, à raison d'ailleurs, des gens comme le sénateur Di Nino et le sénateur Stratton?

M. Stuart : Ce type de consigne figure dans tous les guides destinés au procureur. Ils varient d'une province à l'autre. Cependant, ils font dans l'ensemble état de choses qui touchent l'intérêt public et les chances d'obtenir une condamnation. Ces guides sont libellées de façon différente.

Plus je vieillis, plus j'aime qu'on simplifie les choses. Je crois que l'élément variable dans le cas qui nous occupe est la gravité. Ajouter toutes sortes de critères et d'aspects plus sophistiqués que personne ne serait avoir à l'esprit lorsqu'on est pressé, comme c'est le cas pour un policier, est absolument inutile.

Si quelqu'un est au centre d'achat et voit une personne qui saisit un enfant et lui dit : « Arrête ou je vais te donner une tape », ou quelque chose du genre, si vous appeliez les policiers, je ne crois pas que sans l'article 43, ils pourraient donner suite à leur intervention. C'est un peu comme une menace.

Un secteur où la violence est faite ou des menaces sont proférées — un des endroits les plus dangereux qu'on puisse imaginer — c'est à l'extérieur d'un bar. Combien d'accusations sont en fait portées dans des circonstances comme celle- là? Très peu.

Je crois que la discrétion est un élément endémique dans notre système. Ça se retrouve partout : Les policiers doivent avoir une formation appropriée — et ce n'était pas le cas pendant les années 1970 — pour savoir comment composer avec les voies de fait contre un membre de la famille. On leur a inculqué une notion au fil des ans soit de ne pas se mêler des affaires de famille. Ce sont des questions qui devaient relever du tribunal de la famille. S'ils veulent un divorce, divorcez; s'ils ont des problèmes avec leurs enfants, qu'ils règlent leur problème avec une entente de garde. C'est une question qui touche la famille et sur les formulaires qu'on leur donnait dans les années 1970 ils écrivaient simplement question familiale, question renvoyée à un travailleur social. Fort heureusement, les choses ont bien changé.

La présidente : Je pourrais continuer è vous poser des questions pendant des heures, je crois que je suis convaincue qu'il en va de même pour mes collègues. Vous serez heureux d'apprendre que nous ne le ferons pas. Au nom du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir présenté ces commentaires très révélateurs. Nous vous en sommes fort reconnaissants.

Chers collègues, nous allons ajourner vos travaux. Cependant, je vous demande de revenir à 18 h 30 parce que notre prochaine réunion sera une téléconférence. En fait nous aurons deux téléconférences, une à la suite de l'autre ce soir. Nos intervenants se trouvent tous en Nouvelle-Zélande. Nous avons discuté à plusieurs reprises de la situation en Nouvelle-Zélande. Vous savez comment fonctionne la téléconférence : il sera donc très important d'être à l'heure.

La séance est levée.


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