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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages du 5 juin  2008


OTTAWA, le jeudi 5 juin 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi S-209, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants) et le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi sur l'immunité des États et le Code criminel (décourager le terrorisme en permettant un recours civil contre les auteurs d'actes terroristes et ceux qui les soutiennent), se réunit aujourd'hui, à 10 h 48, afin d'examiner les projets de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi S-209. Nos témoins ce matin sont Mme Anne McGillivray, professeure, faculté de droit, Université du Manitoba; M. Mark Carter, professeur agrégé, faculté de droit, Université de la Saskatchewan; et M. Eric Roher, partenaire, Borden, Ladner, Gervais, s.r.l., s.e.n.c.r.l.

Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté d'être des nôtres ce matin afin de nous aider à examiner ce projet de loi. Je vous invite maintenant à faire vos déclarations, après quoi nous entreprendrons une période générale de questions plutôt que d'y aller à tour de rôle.

Anne McGillivray, professeure, faculté de droit, Université du Manitoba, à titre personnel : Comme vous le savez, j'enseigne le droit à l'Université du Manitoba. J'ai publié 60 ouvrages, notamment des livres, des chapitres contributifs, des articles de revues spécialisées et des rapports. L'ensemble de ma recherche est axé sur la question de la violence faite aux enfants et des droits des enfants.

J'ai eu le plaisir de m'adresser au présent comité en septembre 2005, à propos des droits historiques des enfants à la lumière des obligations du Canada qui découlent de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Je suis heureuse de me trouver parmi vous encore aujourd'hui afin de parler plus précisément du droit qui constitue à mon avis le droit fondamental et emblématique des enfants en ce moment au Canada : celui de vivre à l'abri de la violence et, plus particulièrement, à l'abri de la violence sanctionnée par l'État. Bien entendu, je parle de ce qui est permis par l'article 43 du Code criminel.

Ce droit appartient aux enfants en vertu des droits internationaux de la personne et en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant. Il ne suffit pas de créer une catégorie de droits réservés aux enfants; il faut protéger pleinement leurs droits à titre d'êtres humains. Le Canada doit faire preuve de vigilance, car il a signé la convention des Nations Unies et l'a ratifiée devant le Comité des droits de l'enfant. Ce comité nous a dit que l'interdiction de violence à l'endroit des enfants englobe même sa forme la plus légère. Par conséquent, il nous faut nous assurer que nos lois ne permettent ni ne tolèrent même les formes les plus légères de violence à l'endroit des enfants.

Comme vous le savez, l'article 43 du Code criminel prévoit un moyen de défense à l'égard des voies de fait commises à l'endroit des enfants. Qui dit voies de fait, dit violence. Ce moyen de défense a été appelé défense de la correction raisonnable, de la correction modérée, des châtiments corporels, de la correction par la force et, plus récemment je crois, de la fessée.

Je voudrais vous aider aujourd'hui à comprendre la raison d'être de ce moyen de défense, en vous expliquant son origine. Que prévoit en réalité l'article 43?

Je dois dire ici que la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canadian Foundation en 2004 fut extrêmement décevante. Cette affaire ne s'inscrit dans aucune autre tendance ou orientation du droit dont j'ai pu prendre connaissance en 19 ans d'enseignement du droit. Depuis que cette décision a été rendue, je n'ai pas rencontré un seul étudiant en droit qui souhaite s'exprimer en faveur de l'article 43. Cette décision a peut-être eu l'effet contraire à celui souhaité par le tribunal. Les lignes directrices émises par le tribunal, tout comme son analyse, ne sont pas utiles. Une des choses que fait d'ordinaire le tribunal, mais qu'il a omis de faire en l'espèce, est d'expliquer en détail la raison d'être des dispositions législatives. Par conséquent, je souhaite le faire pour vous aujourd'hui.

Cette loi est issue d'une série de lois romaines adoptées en vue de limiter le pouvoir du père. Le pouvoir « pater potestas » accordait au père un pouvoir absolu sur toutes les personnes de son ménage, y compris les enfants ayant atteint l'âge adulte et les jeunes enfants. En vertu de ces nouvelles dispositions des lois romaines, le fait de tuer un enfant a commencé à être qualifié de meurtre et, avec le temps, le Sénat a entrepris de limiter le degré de châtiment physique qu'un père qui ne pouvait désormais tuer son enfant pouvait lui infliger.

Au cours de l'an 227, l'empereur Sévère Alexandre a interdit les châtiments allant au-delà d'une flagellation modérée. En 365, les empereurs Valens et Valentinien ont reconnu le pouvoir des aînés d'une famille de châtier les mineurs sur qui ils exerçaient une autorité, mais ont refusé de conférer le droit d'infliger des châtiments d'une sévérité extrême pour les erreurs commises par des mineurs. L'exercice de l'autorité parentale devait se limiter à corriger les erreurs de jeunesse et à les réprimer en privé. Toute infraction grave commise par l'enfant devait être soumise aux tribunaux et ne pouvait dorénavant être punie par le père.

Ces lois romaines ont été réunies dans le Code de Justinien en 534, et une annotation y ayant été apportée la même année ou peu de temps après expliquait le sens de toutes ces dispositions. L'annotation, d'origine inconnue, indiquait que l'auteur d'une flagellation n'était passible d'aucune punition s'il était un magistrat ou un parent qui administrait la flagellation aux fins d'une correction et non en guise d'insulte. Toutefois, l'auteur d'une flagellation était passible d'une punition lorsqu'il s'agissait d'une personne qui, sous le coup de la colère, passait un étranger à tabac.

Vous pouvez voir en quoi cela s'apparente à l'article 43.

Nous en sommes venus à l'appeler le pouvoir de correction raisonnable ou le moyen de défense fondé sur la correction raisonnable. Les moyens de défense sont en réalité apparus beaucoup plus tard dans l'histoire du droit pénal; on aurait plutôt qualifié la chose de « pouvoir ».

Les voies de fait commises par le père à l'endroit de son enfant, de son épouse, de sa servante et de son esclave étaient illégales. Les magistrats, les commandants de navire, les maîtres d'école, les maîtres de prison et les gens de métier jouissaient eux aussi du droit de recourir au châtiment corporel dans une mesure raisonnable, c'est-à-dire qu'ils pouvaient châtier modérément les personnes sur lesquelles elles exerçaient leur autorité. Le droit de battre des subalternes était emblématique du pouvoir des magistrats.

Les tribunaux ecclésiastiques ou religieux et les tribunaux civils ont établi leurs lois en s'inspirant des lois romaines. Vous voyez maintenant là où se croisent certaines interprétations du christianisme et des lois romaines, comme en témoignent certains passages de l'Ancien Testament où il est question de battre des enfants.

Par ailleurs, le fait de battre les enfants était également caractéristique des écoles de l'époque. Par suite de la conquête normande en 1066, ces lois se sont étendues à la nouvelle common law d'Angleterre, puis à ses colonies.

En 1867, le Canada est devenu une fédération. Toutes les colonies du Canada ont adhéré à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, faisant du droit pénal une responsabilité fédérale. Comme le savaient les Pères de la Confédération, cette situation allait nécessiter le regroupement des pratiques coloniales de droit pénal, qui étaient fondées sur des lois communes et sur des lois propres à chaque colonie; on parle ici en gros de ce qu'on appelle la common law anglaise et, au Québec, le Code civil.

Cette intégration est menée à bien dans le Code criminel de 1892, notre premier Code criminel. Dans les dispositions générales du Code criminel, on réexpose les principes de la common law concernant la culpabilité et on y établit, par exemple, les situations où une personne est coupable d'un acte criminel; ce qu'on qualifie d'accident; les situations où il est permis de poser certains gestes; les situations où il existe un moyen de défense pour avoir posé un geste qu'il ne serait pas autrement permis de poser. Toutes ces questions sont traitées dans les dispositions générales, y compris les moyens de défense en cas de voies de fait, et le recours à la force pour corriger un enfant.

Tout cela est attribuable à un juriste britannique du nom de James Fitzjames Stephen. Il était un fervent adepte des codes pénaux et a rédigé l'ébauche d'un code pour l'Angleterre en 1878, qu'il a tenté de vendre au bureau des Affaires étrangères de l'époque. De nombreuses colonies, y compris le Canada, l'ont acheté. Toutes les colonies l'ont modifié en fonction de leurs besoins, au fur et à mesure qu'elles ont obtenu le statut de pays.

Il est intéressant de constater que bon nombre d'anciennes colonies partagent le moyen de défense prévu à l'article 43. J'en ai trouvé des versions identiques dans le Queensland ainsi qu'en Nouvelle-Zélande et à d'autres endroits.

James Fitzjames Stephen a fondé son énonciation de ce que nous appelons l'article 43 sur une affaire judiciaire survenue en 1860. Thomas Hopley était un maître d'école comptant parmi ses élèves un « enfant lent » du nom de Reginald Cancellor, âgé de 13 ans. Hopley a écrit au père de l'enfant pour obtenir sa permission de battre l'enfant en question aussi sévèrement et longtemps que nécessaire à des fins d'apprentissage. Le père a accepté. Le maître d'école a alors entraîné le garçon de 13 ans dans un local désert tard le soir et l'a battu sans cesse pendant deux heures avec un lourd bâton de laiton. Le garçon est mort et Hopley a déplacé son cadavre et tenté de dissimuler le décès.

Hopley a été reconnu coupable d'homicide involontaire, car en dépit du fait qu'il avait le droit de battre ou de châtier cet élève ou de le punir physiquement — tout spécialement en vertu de la permission accordée par son père, permission dont il n'avait probablement pas besoin — les gestes posés par Hopley ont été jugés excessifs. Ce n'était pas tant parce que le garçon était mort, mais parce que Hopley s'était servi d'un lourd bâton de laiton, et pendant trop longtemps. Dans sa décision, le tribunal a déterminé qu'en vertu des lois d'Angleterre, un parent ou un maître d'école peut, afin de corriger la malveillance chez les enfants, infliger un châtiment corporel modéré et raisonnable, pour autant que celui-ci respecte ces deux principes, soit la modération et le caractère raisonnable. Le tribunal a ensuite indiqué que si le châtiment est administré sous le coup de la passion ou de la rage, qu'il est excessif tant par sa nature que son degré, qu'il se prolonge au-delà du seuil d'endurance de l'enfant ou qu'un instrument impropre à la situation est utilisé, l'auteur est alors coupable de voies de fait et ne peut invoquer l'article 43.

L'article 43 prévoit un moyen de défense en cas de voies de fait, donc nous pouvons maintenant présumer qu'il y a eu voies de fait. Il s'agit d'un moyen de défense lorsque les voies de fait sont de nature corrective. Non pas préventive, mais corrective. Par exemple, si mon collègue ici entreprend de s'avancer dans la rue au moment où s'apprête à passer un autobus et que je le retiens, il s'agit de voies de fait mais non de voies de fait correctives, et il est peu probable qu'il dépose à mon endroit des accusations de contact non consensuel. Toutefois, s'il met le pied dans la rue tandis que s'apprête à passer un autobus, que je le retiens puis que je le frappe ensuite pour lui rappeler de ne plus jamais agir de la sorte, il s'agit de voies de fait correctives. L'article 43 est un moyen de défense à l'égard de voies de fait de nature corrective. Le fait de frapper, de fesser, de gifler, d'administrer une correction à quelqu'un avec une lanière de cuir ou de donner des coups de bâton à une personne — voilà ce qu'envisageaient les Romains, ce à quoi se résumait l'affaire Hopley et ce à quoi se sont référés les tribunaux en plus de 100 ans d'application du Code criminel : des voies de fait correctives.

Ce moyen de défense existe toujours pour ce qui est des voies de fait commises à l'endroit des enfants, mais si vous vous souvenez bien de la liste énoncée précédemment, celle-ci renfermait les épouses. Nous n'avons plus aujourd'hui d'apprentis au sens où on l'entendait. Les écoles sont une toute autre question, qui sera abordée par mon collègue. Revenons-en aux épouses. Pourquoi ce moyen de défense n'est-il pas prévu dans le Code criminel pour les voies de fait commises à l'endroit des épouses? Nous l'avons pourtant gardé pour les enfants.

La présidente : Madame McGillivray, je ne peux vous dire à quel point vos propos sont fascinants, mais nous n'avons que jusqu'à midi.

Mme McGillivray : J'ai presque fini, mais je tenais à mentionner les épouses, car rien n'avait été prévu à leur égard. Une femme était littéralement à la merci de son mari. Voilà ce qui en était en vertu de la loi. Les femmes n'ont pas été incluses dans le code de Stephen parce que les questions de violence conjugale n'avaient plus la faveur des juges; ils étaient las d'entendre ces histoires. Même Blackstone a dit en 1771 qu'il s'agissait de l'ancienne common law. Un an à peine avant que le Code criminel ne voit le jour en 1891, la principale décision dans la jurisprudence britannique — l'affaire Jackson — indiquait qu'une telle loi n'existait pas en Angleterre et qu'elle n'avait jamais existé; voilà certes des propos très étranges de la part d'un tribunal, mais c'est ce qui a été dit. Les juges ont dit qu'aucun moyen de défense n'était prévu dans leur code criminel en matière de violence conjugale.

Pour autant que je sache, l'article 43 n'a jamais porté sur le fait d'élever un enfant, de le mettre à l'abri du préjudice, ou encore de l'empêcher de nuire à quelqu'un. Il a toujours été question de voies de fait dans le but d'appliquer une correction, la plupart du temps, après le fait. Ce n'est qu'avec le jugement rendu par la Cour suprême en 2004 qu'on a commencé à confondre application de la discipline et châtiment. En common law, le droit de punir un enfant pour son éducation et son bien est un droit des plus fondamentaux; c'est un droit à ce point commun et légitime qu'il n'a jamais été remis en question par les tribunaux. La Cour d'appel de l'Ontario en fait mention dans une affaire qui remonte à 2000, et on parle alors du droit de punir un enfant dans le but de lui inculquer la discipline, concept que nous avons commencé à associer confusément à l'article 43.

Aujourd'hui, j'inviterais le Sénat à mettre fin à la sanction juridique de la violence que constitue l'article 43 et à débarrasser le droit pénal d'une disposition qui est nettement archaïque et dangereuse.

La présidente : Merci beaucoup.

Eric Roher, partenaire, Border, Ladner, Gervais, s.r.l., s.e.n.c.r.l., témoignage à titre personnel : Je vous suis extrêmement reconnaissant de m'avoir si gentiment invité. Je suis partenaire et dirigeant national du groupe Droit de l'éducation chez Borden, Ladner, Gervais, grand cabinet d'avocats au pays. Je suis également professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université de Toronto. J'y donne un cours de droit de l'éducation depuis bientôt sept ans, ce qui est formidable. Je suis l'auteur de trois ouvrages en droit de l'éducation, et une nouvelle publication traitant du rôle du directeur d'établissement d'enseignement doit paraître le mois prochain.

Dans ma pratique chez Borden, Ladner, Gervais, je représente les conseils scolaires et les établissements d'enseignement privés partout en Ontario. Le Toronto District School Board, le Toronto Catholic District School Board, ainsi que beaucoup d'autres conseils scolaires comptent parmi mes clients. Lors de l'adoption récente du projet de loi 212 sur la sécurité dans les écoles, je représentais 20 conseils scolaires dans la province. Je ne m'adresse pas à vous ici, aujourd'hui, en tant que représentant d'un conseil scolaire en particulier, mais plutôt en ma qualité de professeur adjoint à l'Université de Toronto et de conseiller juridique de conseils scolaires.

Je me permets de souligner que les efforts de votre comité pour lutter contre la violence à l'endroit des enfants revêtent une grande importance. Je souscris entièrement aux objectifs du Comité de protéger les enfants contre les abus et de veiller au respect de leur droit à la sécurité. En ma qualité de conseiller juridique de conseils scolaires en Ontario depuis à peu près 20 ans, je ne crois pas que le projet de loi S-209 puisse contribuer à lutter contre la violence à l'endroit des enfants à l'école. Mes observations porteront surtout sur le contexte scolaire, les enseignants et les administrateurs d'écoles.

On me permettra d'évoquer une décision bien connue de la Cour suprême, rendue en décembre 1998, dans l'affaire R. c. M.R.M., que mes collègues connaissent bien. Il s'agit d'une décision ayant fait jurisprudence en matière de fouilles et de saisie, rendue par le juge Peter Cory. Ce dernier déclare qu'il est essentiel que nos enfants reçoivent un enseignement et qu'ils acquièrent des connaissances. Sans environnement ordonné, dit-il, l'acquisition de connaissances sera difficile, voire impossible. Au cours des dernières années, poursuit le juge, il y a eu un accroissement en nombre et en gravité des problèmes qui menacent la sécurité des élèves et la tâche fondamentalement importante de l'enseignement. La possession de drogues illicites et le port d'armes dangereuses à l'école se sont répandus à un point tel qu'ils menacent la capacité des responsables de l'école de remplir leur devoir d'assurer le maintien d'un environnement sûr et ordonné. Le juge ajoute dans sa décision que les conditions actuelles sont telles qu'il faut donner aux enseignants et aux administrateurs scolaires la latitude requise pour régler les problèmes de discipline à l'école. Le juge Cory est d'avis que les éducateurs doivent être en mesure d'agir rapidement et efficacement pour assurer la sécurité des élèves et empêcher la violation grave des règles de l'école.

Beaucoup d'entre vous ont dû entendre parler du rapport Falconer, publié par le groupe consultatif sur la sécurité scolaire communautaire. Il s'agit d'un rapport émanant du conseil scolaire Toronto qui a été commandé après le décès d'un élève, Jordan Manners, au C.W. Jefferys Collegiate Institute de Toronto, en mai 2007. Je souligne que le groupe Falconer a constaté l'existence d'une crise de confiance généralisée dans la capacité du conseil scolaire de Toronto à enrayer la violence et les armes dans ses établissements. Le rapport du groupe comporte 1 000 pages et est exhaustif. Le groupe Falconer signale que le nombre d'agressions sexuelles dans les écoles de Toronto accuse une hausse alarmante et que dans certaines écoles de la ville, on peut trouver des armes en nombre non négligeable. Le groupe constate également que la violence dans les écoles, les incidents impliquant des armes à feu, les vols et les agressions sexuelles ne sont pas seulement un phénomène propre à la ville de Toronto, mais que ces statistiques correspondent également à la situation qui prévaut non seulement au Canada, mais également en Amérique du Nord. Il s'agit d'un phénomène nord- américain.

Plus précisément dans le contexte de l'éducation, je suis d'avis que l'élimination de l'article 43 du Code criminel serait susceptible de compromettre la capacité des enseignants et des responsables scolaires à assurer le maintien d'un milieu sûr et sécuritaire pour tous les élèves. J'aimerais souligner brièvement cinq grandes préoccupations à cet égard.

Premièrement, signalons que le fait d'abroger l'article 43 contribuera à éliminer un moyen de défense utile en vertu du Code criminel pour les enseignants et les administrateurs scolaires. Actuellement, cet article constitue le seul moyen de défense précisément conçu pour offrir aux enseignants et aux administrateurs scolaires la protection juridique dont ils ont absolument besoin pour être en mesure de remplir leur devoir d'assurer le maintien d'un milieu d'apprentissage et d'enseignement sûr. L'article 43 protège les enseignants et les administrateurs scolaires qui font usage d'une force raisonnable pour maîtriser ou expulser un enfant quand la situation l'exige. Mon inquiétude vient du fait que, si l'article 43 est abrogé, les dispositions générales, à large portée et d'interprétation libérale du Code criminel concernant les voies de fait s'appliqueront aux enseignants et aux administrateurs scolaires qui font usage de toute force, quelle qu'elle soit, à l'endroit d'un enfant sans son consentement.

Il faut bien savoir que les voies de fait sont interprétées de façon large et générale par les tribunaux, de sorte que tout attouchement sans consentement peut être considéré comme l'application intentionnelle de la force et, par conséquent, comme une agression. Si l'article 43 était abrogé, nos lois à large portée en ce qui a trait aux voies de fait pourraient criminaliser un comportement susceptible de se manifester quotidiennement dans nos écoles.

Sans la protection offerte par l'article 43, un enseignant ou un administrateur scolaire pourrait être accusé de voies de fait dans certaines circonstances, par exemple : si un professeur s'interpose pour empêcher un élève d'en harceler un autre; si un professeur expulse un élève qui dérange les autres et qui refuse de quitter la salle de classe ou l'école; si un professeur force un élève à descendre d'un autobus scolaire parce qu'il est trop agité ou refuse de s'asseoir, ou encore de sortir de l'autobus. En outre, le fait de maîtriser ou de contenir un élève qui est sous le coup de l'émotion ou en colère peut conduire à une accusation de voies de fait, par exemple, dans les cas suivants : intervenir pour faire cesser une bagarre à l'école, notamment en maîtrisant un élève; maîtriser un élève atteint de déficience cognitive qui tente de s'en prendre violemment aux autres; et enfin, recourir à une force minimale pour diriger ou conduire un élève vers le bureau du directeur d'école. Si l'article 43 est abrogé, ces situations sont susceptibles d'entraîner une accusation de voies de fait.

Deuxièmement, je suis préoccupé par le fait qu'il n'y a pas, dans le Code criminel, d'autres moyens de défense qui puissent convenablement se substituer à la protection offerte par l'article 43. Il y a bien une défense dite de minimis non curat lex à savoir que la loi ne s'occupe pas de peccadilles — mais elle ne peut être invoquée qu'au regard d'infractions anodines ou de quasi-infractions à la loi. Je sais que divers organismes ont mentionné que cette défense pouvait être invoquée par les administrateurs scolaires, mais elle n'offre pas le genre de protection qu'apporte, dans le cas du recours légitime à la force, par exemple, la contrainte raisonnable, l'article 43, qui vise précisément à venir en aide aux enseignants et aux administrateurs scolaires en leur offrant une protection à cet égard. La défense de minimis est un concept plus vague et plus difficile à appliquer par les tribunaux que celui de la mesure raisonnable introduit par l'article 43.

Troisièmement, si l'on retire l'article 43 du Code criminel, on risque d'assister à une hausse vertigineuse du nombre d'accusations de voies de fait portées à l'encontre des écoles, des enseignants et des administrateurs scolaires. Par mesure de précaution, les enseignants et les administrateurs scolaires seraient bien avisés de ne pas intervenir dans toute situation, en classe ou à l'école, susceptible de nécessiter le recours à une force raisonnable. Cela entraînerait probablement une hausse du nombre d'appels au service de police local, de la part de parents qui, fâchés contre certains éducateurs pour diverses raisons, décideraient d'appeler la police par esprit de vengeance ou par mesure de représailles. Cela pourrait en outre contribuer à la détérioration du milieu d'apprentissage en classe ou à l'école. De plus, les élèves les plus susceptibles de perturber la classe pourraient en fait interpréter l'abrogation de l'article 43 comme une sorte de licence les autorisant à agir en toute impunité.

Quatrièmement, le fait d'abroger l'article 43 pourrait stigmatiser inutilement des enseignants et des administrateurs scolaires sans reproche, en faisant planer sur eux la menace de poursuites au criminel. Le problème, c'est que si l'on élimine l'article 43 et qu'on applique à la lettre les dispositions du Code criminel relatives aux voies de fait, cela risque d'entraîner la multiplication des accusations douteuses, futiles, voire malicieuses à l'endroit d'enseignants et d'administrateurs scolaires.

Or, même quand ces éducateurs finissent par être acquittés, le simple fait d'avoir fait l'objet d'accusations a un impact terrible sur leur vie. Comme vous le savez tous, j'en suis sûr, les accusations portées contre des éducateurs sont vite rapportées dans les médias. La réputation des enseignants, leur poste et leur statut professionnel sont en jeu. Dans la pratique, ils sont suspendus de leurs fonctions, parfois sans salaire, dans l'attente du résultat des enquêtes. S'ils sont acquittés ou qu'on retire les accusations, les enseignants qui ont été accusés de voies de fait sont habituellement mutés dans une autre école. Il y a beaucoup de réprobation liée à cette accusation criminelle, même quand celle-ci n'est pas fondée. Le juge Westman faisait remarquer, dans une décision rendue en 2005, que les hommes et les femmes qui travaillent dans le domaine de l'éducation et font l'objet d'accusations peuvent voir leur vie — privée comme publique — détruite. Il en va de même pour les familles. Le juge parle du bien-être émotionnel de ces personnes.

Nous avons déjà de la difficulté à attirer les enseignants de sexe masculin dans les classes du niveau élémentaire, et ce genre de situation pourrait généraliser le problème qui consiste à rendre la profession attrayante.

Cinquièmement, le fait d'abroger l'article 43 aurait pour conséquence de faire disparaître le critère de la mesure raisonnable dans l'examen, par le tribunal, des faits individuels de chaque affaire. Avec tout le respect que je dois à mes éminents collègues, je ne suis pas d'accord. Il arrive souvent que les avocats et les professeurs de droit divergent d'opinion.

À mon sens, l'interprétation que donne la juge en chef McLachlin de l'article 43 dans l'affaire de la Canadian Foundation constitue un compromis valable et important, en ce sens qu'il nous éclaire quant à la portée de l'article 43. La juge en chef propose une interprétation pragmatique fondée sur les intérêts supérieurs de toutes les parties en cause. À mon avis, il s'agit là d'une approche équilibrée. La juge en chef soutient que les enseignants peuvent recourir à une force raisonnable pour expulser un enfant d'une salle de classe ou faire respecter les consignes, mais non au châtiment corporel. Il faut se demander, dit-elle, ce qui est raisonnable dans les circonstances. La juge McLachlin souligne qu'il s'agit d'un critère objectif, qui doit être examiné dans le contexte et à la lumière de toutes les circonstances de l'affaire. En fait, la Cour applique une norme de décision raisonnable, ce qui, à mon sens, correspond à l'approche à adopter.

En conclusion, je vous ai fait part de cinq grands sujets de préoccupation en ce qui concerne l'article 43. Par-dessus tout, je suis d'avis que l'article 43, selon l'interprétation qu'on en fait actuellement, offre une bonne protection juridique à nos enseignants et à nos administrateurs scolaires d'un bout à l'autre du pays dans l'exercice de leur responsabilité de veiller au maintien d'un milieu d'apprentissage qui soit sûr et sécuritaire.

L'abrogation complète de l'article 43 ferait plus que simplement interdire les châtiments corporels. Cela permettrait, en fait, d'interdire tout recours à la force à l'endroit d'un enfant dans un milieu scolaire, peu importe la situation.

Vous conviendrez tous, je crois, que les enseignants et les administrateurs scolaires ont besoin de notre appui collectif en tant que société afin d'assurer la sécurité dans nos écoles et de s'acquitter de leurs responsabilités dans l'éducation de nos enfants.

Les tribunaux canadiens ont établi clairement que l'article 43 ne confère pas le droit d'utiliser la force, pas plus qu'il n'autorise le moindre coup ou la moindre gifle à l'endroit d'un enfant. On ne peut pas dire que cet article autorise ou tolère la violence envers les enfants. Je crois que l'ensemble des écoles et des conseils scolaires, non seulement en Ontario, mais dans tout le Canada, s'opposent au châtiment corporel et font valoir l'importance capitale de protéger les droits de nos enfants en les protégeant contre la violence.

Je suis prêt à répondre à toute question que vous pourriez avoir au cours de la période de questions, et je serai ravi d'apporter mon aide au besoin.

Mark Carter, professeur agrégé, faculté de droit, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci beaucoup. C'est un honneur pour moi d'être parmi vous aujourd'hui, et je voudrais remercier le comité de m'avoir invité à prendre la parole sur cette question importante.

Mes travaux de recherche et mes publications concernant l'article 43 portent sur divers aspects de la question du châtiment corporel, et penchent tous du côté de l'abrogation de ce moyen de défense.

Je suis professeur en droit constitutionnel, et le rôle des procureurs fait partie de mes divers champs d'intérêt. Je tiens à en parler.

En guise d'introduction, je dirai qu'en l'absence de l'article 43, il serait possible d'envisager des moyens de défense autres que le principe « de minimis ». Je crois que l'on a déjà mentionné certains de ces moyens devant le Comité. Je pense entre autres au moyen de défense fondé sur la nécessité et à l'article 27 du Code criminel.

Aujourd'hui, j'aborderai un point qui est lié en partie aux commentaires de M. Roher; si le Code criminel ne prévoyait pas de moyen de défense pour justifier le châtiment corporel, l'exercice du pouvoir discrétionnaire par les procureurs permettrait-il de trouver un juste milieu? Je sais que cette réponse ne satisfera pas ceux qui sont en faveur de la conservation de l'article 43. Permettez-moi cependant de faire un survol de la situation.

L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de cette nature permettrait-il de modifier l'application de la législation sur les voies de fait en ce qui concerne les parents en particulier de manière à ce que ces derniers ne soient pas poursuivis, dans certaines situations, pour avoir posé des gestes pouvant correspondre techniquement à des voies de fait à des fins disciplinaires? À certains égards, je parle de situations qui se distinguent de celles dans le milieu scolaire qui ont été présentées par M. Roher.

Pour en revenir au sujet principal, le droit canadien reconnaît l'existence des pouvoirs discrétionnaires pouvant être exercés par un procureur dans des cas particuliers. Pour des raisons d'ordre juridique et constitutionnel, le caractère individuel de ces cas doit être mis en évidence. Je peux répondre aux questions à ce sujet, s'il y a lieu.

Je parle du pouvoir conféré aux procureurs en vertu de la common law qui leur permet de retirer des accusations, et du pouvoir de suspendre une procédure en vertu du Code criminel. À ceux qui veulent obtenir la garantie qu'en l'absence de l'article 43 du code, il sera encore possible d'appliquer les dispositions législatives sur les voies de fait en tenant compte de la situation des parents et des enseignants dans certaines circonstances, nous pouvons dire que la législation permet aux procureurs de décider de ne pas intenter des poursuites pour recours à la force à des fins disciplinaires dans certaines situations où ces gestes seraient autrement considérés comme des voies de fait.

D'autre part, comme le droit exige que l'exercice de ce type de pouvoir discrétionnaire dépende des faits d'une affaire et du point de vue du procureur, il nous est impossible d'affirmer que les parents ne seront jamais poursuivis en justice pour les gestes qui sont présentement protégés par l'article 43; c'est ce qui pourrait se produire dans certains cas, étant donné les pouvoirs discrétionnaires.

Cela donne à penser que l'exercice des pouvoirs discrétionnaires crée de l'incertitude quant aux conséquences judiciaires auxquelles les gens peuvent s'attendre pour des gestes pouvant être considérés comme voies de fait. Je crois cependant qu'il y a déjà beaucoup d'incertitude en raison de la formulation de l'article 43, et ce, malgré les tentatives de la Cour suprême d'établir un cadre précis pour l'application des moyens de défense.

La différence est que, dans l'état actuel de la législation, on part du principe que l'usage de la force envers les enfants peut être justifié. Compte tenu de ce qui existerait en l'absence de l'article 43, l'incertitude qui règne dans ce domaine toucherait plus directement les personnes qui décident de prendre le risque d'utiliser la force physique pour discipliner les enfants, et ce serait plus approprié. Il est à souhaiter qu'elles ne prendront pas ce risque et qu'elles envisageront des méthodes de correction qui ne font pas appel à la force.

Voici quelques détails d'ordre juridique concernant le pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Comme vous le savez, dans les provinces, à part quelques rares exceptions, les procureurs de la Couronne individuels ou de première ligne exercent la plupart des pouvoirs de poursuivre en vertu du Code criminel. En théorie, le pouvoir discrétionnaire de poursuivre est censé être exercé principalement à l'étape du processus pénal qui suit la mise en accusation. Les procureurs peuvent cependant agir comme conseillers indépendants auprès de la police lorsqu'il faut décider s'il y a lieu de porter des accusations et, dans certaines provinces, on applique un processus d'approbation des mises en accusation.

Comme je l'ai déjà mentionné, le pouvoir de retirer les accusations en vertu de la common law et la capacité de suspendre la procédure au criminel lorsqu'elle est déjà amorcée sont les pouvoirs décisionnels qui s'appliquent le mieux à la situation parmi l'ensemble des pouvoirs des procureurs de la Couronne. Ces deux types de pouvoir peuvent être généralement examinés ensemble compte tenu de la similarité des principes liés à leur application. Il y a des distinctions à faire que je pourrai expliquer s'il y a des questions à ce sujet.

Les procureurs doivent s'appuyer sur deux principes pour décider s'il y a lieu de suspendre une procédure ou de retirer des accusations. Le premier principe est sans doute le plus connu : la suffisance de la preuve. Le second principe est celui de l'intérêt public.

Le principe de la suffisance de la preuve établit un critère préliminaire selon lequel un procureur de la Couronne doit être convaincu qu'il a une possibilité raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité au terme d'un procès. Il faut à cette fin tenir compte de la suffisance de la preuve par rapport à chacun des aspects de l'infraction; on pense le plus souvent ici au moyen de défense invoqué dans les cas de voies de fait, et on peut penser aussi à tous les autres moyens de défense pouvant être invoqués. Depuis que le droit pénal prévoit un moyen de défense officiel pour les châtiments corporels, on peut supposer que le principe de la suffisance de la preuve joue un rôle important lorsqu'il faut décider s'il y a lieu de porter des accusations pour voies de fait dans les circonstances.

En l'absence d'un moyen de défense officiel, on peut s'attendre à ce que d'autres moyens de défense soient envisagés. De plus, le principe de l'intérêt public, soit le second critère dont il faut tenir compte, gagnerait de l'importance.

Selon le principe de l'intérêt public, même si une déclaration de culpabilité est possible, les poursuites devraient être intentées uniquement lorsqu'elles servent l'intérêt public. Un facteur important qui irait à l'encontre de la détermination que des poursuites servent l'intérêt public est que les gestes posés ne constituent qu'une violation technique de la loi, par exemple dans les cas où aucun tort n'est causé même si, d'un point de vue strictement technique, les gestes pourraient constituer des voies de fait. Dans une certaine mesure, cela permet d'apaiser les préoccupations au sujet du type de gestes visés par l'article 265, dont la portée est actuellement très vaste, en particulier dans les cas où la violence est moindre.

Un autre exemple de facteur d'intérêt public pouvant s'appliquer aux situations des parents est celui qui consiste à déterminer s'il serait trop sévère ou abusif de porter des accusations dans les circonstances. De plus, l'opinion de la victime est importante. Ces deux facteurs, vous en conviendrez, entrent en ligne de compte dans l'analyse d'un cas de châtiment corporel.

Ce sont là les cadres entourant les deux grands principes reconnus par les procureurs dans l'ensemble du Canada.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que les pouvoirs discrétionnaires exercés par les procureurs selon leur évaluation des facteurs en cause dans des cas particuliers doivent être distingués des politiques générales consistant à ne pas poursuivre qui peuvent être adoptées par les bureaux des procureurs généraux et imposées aux procureurs de la Couronne. On a fait valoir que des politiques de cette nature étaient invalides, justement parce qu'elles éliminent tout pouvoir discrétionnaire. Le rejet de ces politiques est lié à certains aspects du pouvoir discrétionnaire de poursuivre qui rendent les gens particulièrement mal à l'aise suggérant qu'il pourrait s'agir, dans certaines circonstances, d'un refus pur et simple d'intenter des poursuites dans un domaine particulier. Ce n'est pas le cas des pouvoirs discrétionnaires reconnus comme légitimes dans nos lois et dans la Constitution.

Voilà mes observations générales. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

Le sénateur Andreychuk : Je connais Mme McGillivray depuis un certain temps. J'ai beaucoup de respect pour les travaux qu'elle a réalisés sur le châtiment corporel, malgré notre désaccord flagrant dans la pratique. Vous avez fait valoir que les châtiments corporels devraient être interdits, mais il reste que les enfants et les familles ont des besoins à combler et qu'il est nécessaire d'intervenir. Nous n'avons pas encore eu l'occasion de débattre la question en profondeur au Canada, alors j'ai bien hâte à ce débat, qui se rapporte, je crois, aux châtiments corporels.

Monsieur Roher, pratiquement tous les conseils scolaires au Canada ont adopté des politiques. Que ce soit en vertu des lois ou des politiques, les châtiments corporels sont interdits. Frapper un enfant n'est pas une option. Selon le rapport, la crise qui menace d'éclater concerne le besoin des enseignants d'avoir des moyens d'action, qui varient d'un conseil scolaire à l'autre. Certains disposent de surveillants pour assurer la sécurité. Les enseignants n'ont pas à intervenir, mais qu'en est-il des surveillants? Bon nombre d'entre eux sont bénévoles. Vous avez présenté des éléments convaincants.

J'ai une question de la part de M. Carter, qui fait partie d'un groupe de professeurs et de juristes émérites dans ma province. Vous dites que cela donnera lieu à des accusations, qui proviendront inévitablement d'enfants rusés disant qu'on les a touchés, car avec la norme internationale, les enfants ont jusqu'à 18 ans, et ces situations se produiront même si on réduit la norme à 16 ans.

J'ai entendu des enfants de 8 ans utiliser des termes juridiques que je n'ai appris qu'à l'école de droit. Nous constaterons un nombre grandissant de cas de querelles entre les enfants et leurs parents, en raison du nouvel outil dont disposent les enfants et le public. Nous avons donné aux parents et aux familles toute la latitude nécessaire pour se développer selon un certain modèle. Nos lois sur les services sociaux ne disent pas aux parents et aux enfants comment agir; elles établissent les limites à respecter et offrent la latitude et les choix qui en découlent. Nos intentions auraient pour effet de limiter les choix et la latitude dont disposent les familles pour se développer et assurer la supervision des enfants par les adultes jusqu'à ce qu'ils aient l'âge d'exercer leurs droits. La convention internationale est un document progressif. Ce n'est pas un document où sont établis de façon absolue les droits des enfants. Elle en reconnaît la nature progressive.

Si on met ce projet à exécution, on se retrouvera avec de nouvelles accusations, et vous dites que les procureurs ont tous ces outils. Cependant, la suspension d'une poursuite laisse planer le doute. La majorité de mes clients dont la procédure a été suspendue étaient mécontents. Ils n'ont pas été déclarés innocents, et il est resté des doutes à ce sujet. Quelques-uns croyaient que c'était pour le mieux, mais j'ai revu bon nombre d'entre eux par la suite. De nombreux autres cas étaient des querelles de ménage. Les procureurs jugeaient préférable que le différend se règle entre les conjoints.

Quelle est la valeur de ces outils, pour une famille, si l'on y recourt à la fin du processus, et non au début? La police et les procureurs exercent déjà leurs pouvoirs discrétionnaires; une certaine dynamique s'est déjà enclenchée au sein des familles.

M. Carter : En ce qui concerne les affirmations qu'un enfant pourrait faire et qui pourraient être fausses, si cette idée sous-tend partiellement votre question, je dois dire que je ne suis pas un spécialiste en pédopsychologie. Je peux cependant dire que l'article 43 est appliqué dans le contexte du processus pénal. Je ne suis pas certain que l'article 43 lui-même permette d'éviter certains problèmes que vous avez soulevés, excepté dans la mesure où il peut servir à étayer les considérations des procureurs relatives au principe de la suffisance de la preuve, que j'ai mentionné plus tôt et qui, en passant, n'intervient lui aussi qu'après la mise en accusation.

J'imagine que ce que l'on propose, c'est que ce moyen de défense intervienne plus tôt au cours du processus. Cela pourrait être le cas, mais il y a également le pouvoir discrétionnaire de la police. En effet, la police exerce un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il y a lieu d'intenter des poursuites judiciaires, pour une raison donnée; j'imagine que cela permettrait de régler certains cas dans lesquels on ne sait pas vraiment si les événements se sont produits — encore une fois, si je comprends bien vos préoccupations concernant une augmentation possible des signalements dans l'éventualité où l'article 43 serait supprimé.

Voilà ma réponse à cette très bonne question. Je ne suis pas certain que l'article 43 permette actuellement d'éviter certains des problèmes que vous avez mentionnés. Je suis cependant convaincu que cet article soulève des questions au sujet du statut des enfants dans le contexte des droits de la personne. Je sais qu'on a mentionné au comité que le Canada fait de plus en plus bande à part dans ce domaine. D'autres pays ont supprimé les moyens de défense officiels relatifs aux châtiments corporels, sans qu'y surviennent pour autant des changements d'attitude généralisés, comme ceux qu'on pourrait craindre si l'on faisait de même.

Le sénateur Stratton : Merci d'être présents parmi nous. J'apprécie beaucoup vos témoignages. C'est fort instructif.

Quand je pense à la manière dont mes parents nous ont traités, à la manière dont j'ai traité mes enfants et à la manière dont mes enfants traitent les leurs, je ne vois aucun châtiment corporel. D'autres pourraient dire autrement, mais je crois que c'est la même chose dans la plupart des familles. Cet aspect du problème ne me préoccupe pas vraiment. Je me soucie plutôt de la protection des enseignants de ce monde, qui doivent aller enseigner dans les classes. Cette question-là me tracasse réellement. S'ils ne sont plus protégés lorsqu'ils exercent une contrainte raisonnable, que leur reste-il? Comme le surintendant de la GRC l'a dit très clairement hier, la police ne veut pas aller dans les écoles pour y jouer le mauvais rôle, comme elle doit le faire aux États-Unis. C'est également la dernière chose que nous souhaitons. Les agents de la GRC veulent aller dans les écoles pour contribuer à l'éducation; ils veulent que leur présence soit perçue positivement.

Comment protégerons-nous les enseignants et comment nous assurerons-nous qu'ils n'auront pas peur d'avoir recours à certaines formes de contrainte physique? Il faut que les enseignants, leurs adjoints ou les autres personnes du milieu bénéficient d'une telle protection. Je suis catégoriquement opposé à ce que l'on retire cette protection aux enseignants, car à mon avis, on courra alors le risque que plus personne n'intervienne et que le chaos s'instaure. Vous affirmez que cela n'arrivera pas, mais si cela se produit une fois seulement, ça sera une fois de trop. Je crois que cela doit être pris en considération.

Ma deuxième question est la suivante : si cette loi devait être adoptée sans que le public ait été sensibilisé, sans qu'il y ait eu une période de transition — en d'autres mots, si le projet de loi était adopté et qu'il avait soudainement force de loi —, qui aurait été consulté au sein de la population en général? En avez-vous parlé aux Autochtones? Ils disent qu'ils veulent être consultés sur toutes les questions de ce genre. Voilà ce qui me préoccupe. Quelles mesures de transition seront prises à partir du moment où le projet de loi sera adopté pour sensibiliser la population à la nouvelle réalité de « l'intouchabilité », si je puis dire? Cette question me préoccupe vraiment. J'aimerais que vous y répondiez, si possible, monsieur Roher et madame McGillivray.

M. Roher : Vos questions sont des plus pertinentes, sénateur Stratton, et je suis entièrement d'accord avec vous. C'est pour cette raison qu'à notre avis, l'article 43 est important, dans un contexte scolaire. On peut penser à différents problèmes : lorsqu'un élève peu coopératif doit être escorté jusqu'au bureau du directeur, lorsqu'on doit faire monter un élève à bord de l'autobus, lorsqu'un élève au comportement perturbateur doit être retiré de la classe, en autres. Il faut donner aux enseignants une certaine latitude, de l'autorité et de la crédibilité afin qu'ils puissent faire tout cela sans s'inquiéter parce qu'ils pourraient être accusés de voies de fait.

Je crois que lorsque vous ferez vos recommandations, il vous faudra tenir compte sérieusement du climat des écoles. Je sais que pour ce qui est du point de vue, vous m'avez placé en situation de deux contre un.

La présidente : Nous n'avons pas regroupé des gens pour donner du poids à leur opinion. C'est simplement un concours de circonstances.

M. Roher : Fort bien. Sauf tout le respect que je dois à mon collègue, M. Carter, j'aimerais répondre à certains de ses arguments. Le moyen de défense que prévoit l'article 43 est la protection juridique la plus efficace pour protéger les enseignants et les administrateurs scolaires de ce genre d'allégations. C'est le meilleur moyen de défense du Code.

M. Carter prétend qu'il existe d'autres moyens de défense. Il y a le moyen de défense fondé sur la nécessité, c'est-à- dire l'article 27, et M. Carter a également mentionné le pouvoir discrétionnaire du procureur. Notre point de vue est que ces moyens de défense ne sont pas fiables — et les avocats des conseils scolaires de même que les avocats qui travaillent auprès des écoles afin de promouvoir des environnements d'apprentissage sécuritaires vous le confirmeront tous. S'en remettre au pouvoir discrétionnaire du procureur introduit — pour citer mon collègue — une grande incertitude du point de vue judiciaire et dans la vie des enseignants. Il faudrait s'en remettre à la discrétion d'un seul procureur.

Donc, selon moi, ce moyen de défense a son importance. Au cours de vos délibérations, il est évident que vous devrez considérer comme inacceptable tout recours à la force excessif, dans le contexte des conseils scolaires ou des écoles concernés par la question du châtiment corporel, de la violence à l'endroit des enfants. Cependant, nous devons donner aux éducateurs les outils et les ressources dont ils ont besoin pour mener à bien leurs tâches sans craindre de se voir infliger des sanctions pénales graves.

Je suis fortement en accord avec les observations du sénateur Stratton.

Mme McGillivray : D'abord, j'aimerais dire que la raison pour laquelle l'article 43 s'applique à tant de choses auxquelles il n'est pas censé s'appliquer est que c'est très pratique. Le mot « instituteur » y figure. Si on y lisait « Anne McGillivray », je me servirais aussi de cet argument, même si ce n'était pas juste. C'est pratique.

Je croyais que nous avions conclu que l'article 43 porte en fait sur la question du châtiment corporel. Il n'a jamais eu pour fonction de constituer une protection relative à ces autres actes. Ils se sont retrouvés là parce qu'il y a le mot « instituteur » dans l'article, et parce que, bien souvent, on n'a pas vraiment fait de distinction. On escorte les enfants à l'extérieur de la classe et on leur donne une tape en même temps. C'est une situation composite. Les enseignants ne veulent pas que ça soit ainsi; ils veulent encore escorter les enfants.

J'ai présenté les choses à un grand nombre d'avocats de la défense en leur disant que je travaillais sur l'article 43 et que je voulais qu'on en soit débarrassés. Ils m'ont répondu qu'ils ne pouvaient pas être d'accord parce que les moyens de défense sont importants dans le droit canadien; nous en avons besoin. M. Carter et moi avons discuté de cette question. Il est difficile pour un professeur de droit, notamment s'il travaille dans le domaine du droit pénal, d'être en faveur de la suppression d'un moyen de défense. Cependant, comment réagiriez-vous si je vous disais que quiconque commet des voies de fait à l'endroit d'un enfant devrait être prêt à se défendre comme si ces voies de fait avaient été commises à l'endroit d'un adulte? Mes interlocuteurs s'arrêtent pour y penser puis disent : « Ah! oui... » Ils connaissent les autres moyens de défense que prévoit le code criminel. Ces avocats ne sont pas spécialisés dans les causes qui touchent les conseils scolaires; ce sont des « généralistes ».

L'article 27 m'autorise à employer la force pour empêcher qu'une infraction soit perpétrée; si je constate qu'il y a un risque, je peux recourir à la force pour prévenir les conséquences regrettables. Selon mon point de vue, cela couvre toutes les situations auxquelles M. Roher a fait référence.

L'autre moyen de défense est celui qui est fondé sur la nécessité, mais en dernier ressort, tous les moyens de défense découlent de la nécessité. Cela revient à dire : « Je suis désolé de t'avoir donné un coup de poing sur le nez, mais j'ai été forcé de le faire, car tu allais me frapper. » Tous les moyens de défense sont fondés sur la nécessité. La nécessité couvre tout ce qui reste.

Nous avons parlé de l'affaire Swan, qui se rapportait à une jeune fille en pratique trop âgée pour que les lignes directrices de la Cour suprême s'appliquent à elle. Tout le monde a de la compassion pour un père qui veut retirer sa fille d'une fête où l'on consomme des drogues. Cela correspond exactement à une série de cas relatifs au motif fondé sur la nécessité que nous avons étudié à l'école de droit. Le père de M. Carter a peut-être participé à ces discussions.

Parce que l'article 43 existe depuis si longtemps, nous en sommes venus à l'appliquer à toutes sortes de choses qui, à l'origine, y étaient étrangères. Il est temps que les tribunaux et les procureurs se penchent sur cette question. En passant, la suspension de l'instance ne correspond pas nécessairement au retrait de l'accusation, qui peut avoir lieu beaucoup plus tôt. Si les agents de police ne sont pas certains qu'ils peuvent déposer une accusation avant de procéder à une consultation, cela ne serait pas pire que la situation actuelle, compte tenu de l'orientation incertaine que l'article 43 semble indiquer.

Nous devons réfléchir sérieusement au fait que les enfants doivent être traités comme des êtres humains — qu'ils doivent bénéficier du principe d'égalité lorsqu'ils sont victimes de comportements violents. Nous devons être en mesure de justifier le recours à la violence par d'autres motifs que le fait que ce sont des enfants.

Le sénateur Merchant : Je veux vous remercier tous les trois pour vos exposés captivants. Lorsque nous avons amorcé les travaux sur cette question, il semblait aller à l'encontre du bon sens d'être en faveur d'une loi de ce genre. Nous savons qu'une vingtaine de pays ont adopté des lois similaires. Nous avons reçu hier des gens de la Nouvelle- Zélande, et l'une des choses que j'ai retenues de leur témoignage est qu'ils ont dit que le Canada n'avait aucunement lieu de craindre les effets que pourrait avoir une loi de cette nature. Je crois qu'il est très important d'obtenir le point de vue de gens qui ont apporté de tels changements et qui en ont fait l'expérience.

Vous avez parlé de la violence et d'une société très violente. Je me demande, d'abord, si nous n'apprenons pas à nos enfants à penser que le recours à la force contribue à régler les problèmes. Certains prétendent qu'un petit mensonge peut passer, mais pas un gros; de la même manière, frapper légèrement peut aller, mais il ne faudrait pas frapper trop fort.

Y a-t-il des études qui démontrent l'existence d'un lien entre le fait qu'un enfant de 9 ans, par exemple, soit frappé, et qu'à l'âge de 14 ans, il frappe lui-même des enfants de 8 ans ou qu'il intimide des enfants de 6 ans? Je me demande si vous pourriez me parler de certaines études qui pourraient nous guider.

En second lieu, pouvez-vous me dire qui a recours à des châtiments corporels au Canada? Cette pratique est-elle caractéristique de certaines religions, de certaines ethnies? Pouvez-vous nous dresser un portrait de la situation?

Mme McGillivray : J'ai examiné d'assez près la question des études expérimentales, et des quantités de travaux très crédibles ont été réalisées dans ce domaine — plus que dans bien d'autres domaines du comportement humain. Il existe une corrélation entre les châtiments corporels — même s'ils sont légers, comme une ou deux fessées — et des conséquences graves. Nous ne connaissons pas vraiment la nature du mécanisme qui entre en jeu.

On se serait attendu à de tels résultats pour les châtiments corporels sévères, par exemple, mais en les examinant séparément, on a constaté que les châtiments corporels légers augmentaient considérablement la probabilité de dépression, d'intimidation à la maison ou de violence conjugale ou à l'endroit des enfants. Il semble que ce soit plutôt une question d'approbation qu'une question d'intensité de la force utilisée. On a constaté que les enfants qui avaient subi des châtiments corporels sévères étaient de grands partisans du recours à la force. Ils sont tellement imprégnés de ce modèle... Bien que cela ait pu les mettre en colère et leur faire mal quand ils étaient enfants, devenus adultes, ils croient que les châtiments corporels font partie de la vie. Ce n'est pas un des plus beaux aspects de la vie.

Nous disposons d'études qui démontrent exactement ces faits et, dans ces études, il est impossible de faire la distinction entre des châtiments corporels légers ou sévères.

C'est un comportement qui s'autoperpétue; ça, nous le savons. Je le souligne parce qu'une question a été soulevée au sujet des peuples autochtones. Il existe des centaines, si ce n'est des milliers, de rapports de premier contact. J'ai examiné ces rapports dans le cadre d'études sur l'enfance, pour voir de quelle façon les peuples autochtones des Amériques traitaient leurs enfants. Tous ceux qui entraient en contact avec eux étaient choqués par le fait qu'ils n'avaient recours à aucun châtiment corporel. C'est écrit dans les rapports. J'ai compilé toutes sortes de comptes rendus qui soulignent à quel point on a été perturbé par le fait que ces peuples ne frappaient pas leurs enfants.

Au XVIIe siècle, le père Le Jeune, comme beaucoup d'autres prêtres, a jugé la situation si terrible qu'il a décidé de mettre sur pied un réseau d'écoles dans lesquelles il attirerait les enfants avec des friandises et de jolis vêtements, pour ensuite commencer à les battre, après six semaines environ. Ainsi, ils apprendraient à devenir des gens convenables, et non plus les sauvages qu'ils étaient, selon ses dires.

Ce qu'il y a de plus frappant dans ces rapports de premier contact, quand on les considère dans leur ensemble, c'est la commotion ressentie devant le fait que ces peuples ne recouraient à aucun châtiment corporel. Il existe des sociétés qui s'en sortent en fait très bien, des sociétés saines, qui n'emploient pas de châtiments de cette nature. Le fait que nous ayons hérité de cette pratique est le fruit de la longue et triste histoire que j'ai relatée.

M. Roher : Je vais répondre en disant qu'il n'y a pas de châtiments corporels dans nos écoles. Il n'y a pas de règle, pas de tapes, pas de coups. Il est complètement inacceptable d'avoir recours à un châtiment corporel dans une école canadienne. Des mesures immédiates seraient prises à l'encontre de n'importe quel enseignant ou administrateur scolaire qui agirait de la sorte.

La question qui nous occupe, c'est la protection des élèves lorsqu'une bagarre éclate et que quelqu'un essaie d'intervenir en utilisant une force physique raisonnable pour retenir et protéger des élèves ou pour en retirer un afin d'assurer la sécurité de tous. Il faut comprendre qu'aucun conseil scolaire ne soutient ou n'approuve les châtiments corporels. Ce n'est pas le cas.

En ce qui concerne votre question sur l'intimidation, les deux principales spécialistes en la matière au Canada sont Debra Pepler, de l'Université York, et Wendy Craig, de l'Université Queen's. Leurs abondants travaux de recherche les ont toutes deux portées à conclure que l'intimidation s'étend sur toute la durée de la vie. Si un élève est affecté par des mauvais traitements ou des actes de harcèlement, l'intimidation marquera sa vie entière et il deviendra un oppresseur en grandissant. Les études ont démontré que lorsque des parents intimident leurs enfants ou qu'ils leur infligent des châtiments corporels, cela devient une réaction acquise.

C'est là un principe important. Il s'agit d'un comportement acquis, et un soutien important doit être apporté aux familles dans lesquelles ces pratiques ont cours, car elles peuvent avoir des répercussions graves sur la vie en société.

Le sénateur Merchant : Certains avancent que l'intimidation serait en partie déterminée par la religion et la culture.

La présidente : D'accord, en 30 secondes, y a-t-il des données sur les aspects religieux et culturel?

Mme McGillivray : J'ai parlé de l'aspect culturel lorsque j'ai mentionné qu'un grand nombre de sociétés, dans le monde, n'employaient jamais de châtiments corporels.

Le sénateur Merchant : Je veux dire de nos jours, puisqu'il y a une grande diversité culturelle au Canada.

Mme McGillivray : Les tribunaux ont clairement résolu la question. J'ai abordé la question d'un moyen de défense fondé sur la culture dans un ou deux de mes articles. Dans ces cas, les parents affirment qu'ils ont agi de la sorte parce que dans la société d'où ils viennent, les enfants sont traités ainsi. Les tribunaux ont dû se pencher sérieusement sur cette question.

La présidente : Vous pouvez nous faire parvenir l'article; ainsi, nous aurons une réponse complète.

Mme McGillivray : Je vais le faire. Cependant, les tribunaux ont déclaré que ces gens sont maintenant au Canada et que nous vivons tous selon la même norme.

Le sénateur Di Nino : D'abord, au sujet de la Nouvelle-Zélande, nous avons entendu au moins deux témoignages selon lesquels, lorsque l'article 59 a été modifié, on a inclus à l'issue des discussions, des dispositions pour tenter de parvenir aux mêmes résultats qu'avec notre article 43. C'est mon interprétation. Ce n'est pas clair et net.

Ensuite, je m'interroge sur certains témoignages entendus ce matin. Nous parlons sans cesse de voies de fait, de violence, de coups et de châtiments corporels. Ce n'est pas ce dont il est question à l'article 43. La décision majoritaire de la Cour suprême établit ce fait.

Il me semble qu'on tente involontairement de déshumaniser la responsabilité de l'éducation d'un enfant. Peut-être qu'un jour, nous aurons des écoles sans enseignant. Nous aurons des ordinateurs et nous verrons ce qui arrivera. Cependant, il faut avoir un certain pouvoir disciplinaire à la maison. L'article 43 ne traite pas de violence ni de coups. Comme je l'ai dit, lisez la décision majoritaire de la Cour suprême.

Dans le milieu des années 1970, j'étais président d'un foyer pour personnes âgées. Une femme a communiqué avec moi et m'a expliqué qu'elle avait besoin de locaux pour l'association du Toronto métropolitain pour la santé mentale. À l'époque, on parlait de l'association pour les « déficients » mentaux. L'association voulait mettre sur pied un programme d'assistance aux parents qui mettrait à la disposition des parents d'enfants difficiles — principalement des enfants ayant des handicaps mentaux mais aussi physiques — un centre où ils pourraient les amener pour une journée, le samedi ou le dimanche. Le centre comptait deux professionnels et environ 15 bénévoles, principalement des adolescentes. C'est le plus beau témoignage d'amour et de bienveillance que j'aie jamais vu. Par contre, sous le régime de la loi actuelle, un tel centre ne serait pas autorisé. Ces enfants avaient besoin de discipline, mais personne ne les frappait.

Comment pouvons-nous établir un juste équilibre entre la responsabilité d'éduquer des enfants et celle de leur inculquer un bon comportement avec ce que nous essayons de faire actuellement?

Le surintendant principal de la GRC a expliqué que la situation causerait d'autres problèmes parce que la petite protection ou, du moins, le coussin dont nous disposons actuellement serait éliminée.

La présidente : Est-ce une question?

Mme McGillivray : Madame la présidente, je n'apprécie pas qu'on insinue que je n'ai pas lu la décision de la Cour suprême et que mes 20 années de recherches exhaustives ne valent rien.

La présidente : Madame McGillivray, je ne crois pas qu'on ait insinué quoi que ce soit de tel.

Le sénateur Di Nino : Absolument pas.

Mme McGillivray : Ça a été dit de façon directe. Il n'y a eu aucune insinuation.

La présidente : Au cours de nos réunions, on a exprimé divers points de vue sur la décision de la Cour suprême et on en a présenté diverses interprétations. Vous avez été témoin de l'expression d'un autre point de vue. Je connais le sénateur Di Nino depuis dix ans et je suis certaine qu'il n'a pas voulu vous viser personnellement.

Le sénateur Di Nino : C'est absolument vrai.

La présidente : Il n'est même pas de mon parti politique.

Mme McGillivray : L'article 43 porte exactement sur ce que j'ai dit qu'il portait. C'est dans les registres. C'est dans les livres d'histoire. C'est dans le Code justinien, dans des centaines de registres historiques et dans les résumés actuels de ceux-ci que j'ai examinés.

Ce n'est que depuis quelques années qu'on confond le châtiment avec la prestation de soins et les actes de protection. Je le répète pour que ce soit clair pour le comité que, selon les recherches effectuées par le professeur Anne McGillivray, c'est effectivement le cas.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Oliver : Je sais qu'il ne reste qu'une minute.

La présidente : Nous allons dépasser notre temps parce que j'ai une question, mais ça ne signifie pas que vous pouvez prendre dix minutes.

Le sénateur Oliver : Je ne vais pas prendre dix minutes. Je ne le fais jamais. Vous n'avez donc pas à dire ça.

La présidente : En effet, vous ne le faites jamais.

Le sénateur Oliver : Ma question va prendre la forme d'une déclaration. Par conséquent, vous n'avez pas à y répondre. Vous pouvez toutefois m'envoyer un courriel plus tard si vous le désirez.

J'ai entendu les preuves présentées aujourd'hui, et je suis perplexe parce que je n'ai pas constaté qu'on établissait une distinction nette entre, d'une part, discipliner et corriger un enfant et, d'autre part, le maîtriser.

Prenons l'exemple d'un excellent enseignant qui compte 20 ans d'expérience et qui décide de maîtriser un enfant. Une accusation de voies de fait ou toute autre accusation est déposée contre lui aux termes du Code criminel. Nous devons alors nous fier au droit établi par la common law qui permet au procureur de retirer les accusations. Dans le cas présent, le mal est déjà fait. On a parlé du dossier dans les médias. La carrière de ce merveilleux enseignant est ruinée. C'est la dernière chose à laquelle j'aimerais devoir me fier.

Pour avoir travaillé en droit pendant 30 ans dans divers domaines, je crois qu'une partie de notre obligation de protéger les intérêts des enfants nous permet de les maîtriser sans craindre d'être tenus criminellement responsables. C'est ce que je crois.

La présidente : Est-ce que les témoins veulent commenter?

M. Roher : Je suis entièrement d'accord avec vous.

Mme McGillivray : Je crois que l'article 27 aborde très bien la question ainsi que celle de notre obligation d'élever et de protéger les enfants.

M. Carter : Je suis du même avis.

Le sénateur Baker : J'aimerais poser une question à Mme McGillivray et à M. Carter.

Existe-t-il, dans le Code criminel ou dans toute autre loi du Parlement, un autre article qui offre en toute circonstance à un groupe particulier de personnes identifiables un moyen de défense contre des voies de fait simples?

Mme McGillivray : Il y en avait un en particulier au sujet d'un capitaine à bord d'un navire. Cet article a été supprimé du Code criminel en 2002 puisqu'il était tombé en désuétude depuis de nombreuses années. Un capitaine ne vous ferait pas passer sous la quille ni ne vous frapperait.

Un autre article offre un moyen de défense aux personnes en position de pouvoir; il est plutôt réservé aux huissiers et à ce genre de personnes. Un troisième est peut-être semblable, mais pas précis : la résistance à une arrestation légale. En d'autres termes, un policier peut vous attaquer si l'arrestation est légale et qu'il repousse votre attaque. Cependant, cette disposition entre dans une catégorie légèrement différente. L'article portant sur les capitaines de navire était vraiment le seul exemple, et il n'existe plus.

M. Carter : La seule autre chose qui me vient à l'esprit, c'est la légitime défense et les cas semblables.

Le sénateur Baker : C'est un moyen de défense général. Je parle de moyens de défense mis à la disposition de groupes particuliers de personnes identifiables dans le Code criminel. Il s'agit véritablement du seul article du Code criminel dans lequel on a codifié un moyen de défense contre des voies de fait.

M. Roher : Il ne s'agit pas de voies de fait. C'est un moyen de défense pour les situations où l'on agit raisonnablement et où l'on participe à des mesures correctives dans le cadre de ses fonctions.

Le sénateur Baker : S'il ne s'agit pas de voies de fait, alors quel est le danger? Pourquoi est-ce que tout le monde prétend que, si on supprimait l'article, les gens seraient assujettis aux alinéas 265(1)a) et 265(1)b) du Code Criminel, dans lequel il n'est pas uniquement question d'une personne qui en touche une autre, mais qui la menace d'un geste si elle porte celle-ci à croire qu'elle est en mesure de commettre des voies de fait? Si ce n'est pas des voies de fait, de quoi s'agit-il?

La présidente : Sénateur Baker, c'est une question claire, et M. Roher va y répondre.

M. Roher : Si l'article 43 était supprimé, vous seriez assujetti aux dispositions générales et libérales sur les voies de fait.

Le sénateur Baker : C'est actuellement un moyen de défense contre des voies de fait.

M. Roher : Nous ne percevons pas l'acte comme une voie de fait. Nous considérons qu'il s'agit d'une mesure corrective et raisonnable. C'est l'idée derrière cet article.

Selon moi, si un enseignant ou un administrateur d'école commet un acte excessif, par exemple, s'il jette un élève contre un casier ou s'il utilise une sangle, il est donc clair que cette personne n'agit pas de façon adéquate.

Le sénateur Baker : Mais il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. Vous comprenez ça, n'est-ce pas?

La présidente : Sénateur Baker...

Le sénateur Baker : Je m'excuse. J'ai utilisé ma question.

La présidente : J'ai une question, et je vais essayer d'être brève. Cependant, ça va m'être difficile parce que j'ai de la difficulté à saisir la distinction que l'on doit établir entre correction, prévention et contrôle. Presque toutes les questions, et certainement tous les témoignages, portaient sur ça.

Ma question s'adresse à vous, monsieur Roher. Nous ne permettons pas les châtiments corporels. Il me semble que la majorité des exemples que vous avez cités n'étaient pas, à strictement parler, ce qu'un profane, à tout le moins, considérerait comme une mesure corrective. Les actes dont il était question servaient à maîtriser ou à prévenir. J'espère que je n'interprète pas mal vos propos.

J'ai ensuite tenté d'imaginer ce qui arriverait si l'article 43 n'existait pas. Ce qui me vient à l'esprit, c'est un parallèle avec les gens qui travaillent comme videurs. Ce n'est peut-être pas un exemple très flatteur, mais ça ne se veut pas irrespectueux. Si je suis dans un bar et que mon comportement est perturbateur, si, par exemple, je me bats, je vends de la drogue ou, le ciel nous en préserve, je brandis un fusil ou un couteau, on va me jeter hors du bar. Il se peut qu'on appelle aussi la police. Au minimum, on me jette dehors. Les videurs ne seront pas accusés d'agression.

Pourquoi est-ce qu'un enseignant serait accusé d'agression s'il prend des mesures semblables, des mesures que tout le monde considère comme indiquées pour assurer la sécurité de tout un établissement?

M. Roher : Il arrive très souvent que des enseignants, en s'interposant dans une bataille, doivent avoir des contacts physiques avec les élèves. Ces derniers ou encore leurs parents contactent alors la police et tentent de porter plainte pour agression.

Au moins, la police dit : « Attendez une seconde. » On effectue alors une enquête préliminaire et on examine la situation. Les agents peuvent dire que l'enseignant faisait son travail, qu'il n'a pas exercé une force excessive et qu'il s'agissait d'une mesure corrective. Par conséquent, aucune accusation n'est portée.

Ce que j'essaie de dire, c'est que si on supprimait ce moyen de défense, on laisserait le champ libre soit à l'élève pour qu'il effectue ce qu'on appelle une dénonciation d'un particulier à l'égard de l'enseignant soit au moins à la police pour qu'elle porte des accusations contre l'enseignant, qui sera poursuivi. Il ne nous reste alors qu'à faire confiance au procureur et à espérer qu'il examine tous les faits et qu'il retire les accusations.

La situation de devoir s'en remettre au procureur de la Couronne est très pénible pour les enseignants. Ils préféreraient bénéficier du coussin et de la sécurité que leur offre une certaine protection établie en vertu du Code criminel. Je ne crois pas qu'il soit déraisonnable d'établir des moyens de protection pour les gens partout au pays qui s'occupent de nos enfants et qui sont leurs enseignants. Dans ce contexte, ils ont besoin de l'appui du Parlement du Canada pour les aider et pour assurer l'ordre et la discipline dans nos écoles.

La présidente : Merci à vous tous. Comme vous pouvez le voir, nous sommes tous mécontents. Nous pourrions continuer encore longtemps sur la question.

Le sénateur Di Nino : Que diriez-vous de continuer pendant encore deux ans?

Le sénateur Andreychuk : Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Nous avons entendu que 20 pays ont interdit les châtiments corporels. Je me demande si le sénateur Merchant a cette information. J'aimerais avoir la liste de ces pays.

La présidente : Vous n'invoquez pas le Règlement. Vous demandez une précision.

Le sénateur Andreychuk : Quoi qu'il en soit, je voudrais obtenir cette information. C'est urgent, vu que nous allons traiter la question article par article. Les renseignements que je veux communiquer traitent des pays qui ont interdit les peines corporelles, mais qui ont réinstauré d'autres choses.

Le sénateur Oliver : Comme la Nouvelle-Zélande l'a fait.

La présidente : Certains témoins ont mentionné ce point, et je crois qu'il l'a également été dans certains mémoires que nous avons reçus. Je demanderai donc à notre recherchiste de résumer en une ou deux pages tout ce que nous savons sur ce sujet en particulier.

Le sénateur Andreychuk : Mon problème, c'est que le sénateur Merchant a manifestement sa propre information. Je l'invite à la partager.

Le sénateur Merchant : Cette information nous a été communiquée dans les documents présentés au comité.

La présidente : Notre recherchiste communiquera avec le sénateur Merchant.

Le sénateur Andreychuk : Merci.

La présidente : Cette séance a été à la fois intéressante et instructive. Nous vous en sommes reconnaissants. C'est toujours frustrant de devoir se dépêcher, mais vous avez couvert un champ énorme de façon très efficace.

Chers collègues, nous allons maintenant étudier pour la première fois le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi sur l'immunité des États et le Code criminel (décourager le terrorisme en permettant un recours civil contre les auteurs d'actes terroristes et ceux qui les soutiennent). Nous avons parmi nous aujourd'hui le parrain du projet de loi, l'honorable David Tkachuk, sénateur de la Saskatchewan, bien connu de nous tous, et aussi Sheryl Saperia, conseillère juridique et coordonnatrice de plaidoyers, ainsi que Aaron Blumenfeld, conseiller juridique principal, tous deux de la Canadian Coalition Against Terror. Nous vous remercions de votre présence.

L'honorable David Tkachuk, parrain du projet de loi : Nous tâcherons de demeurer le plus bref possible, tout en soulignant ce qui, selon nous, est important pour lancer la discussion.

Honorables sénateurs, je vous remercie d'avoir porté ce projet de loi à votre ordre du jour. Aux membres du public présents et honorables sénateurs, je dis d'emblée que ce projet de loi et ce dont il est question bénéficient d'un important appui bipartite dans les deux Chambres. Le ministre Stockwell Day et le secrétaire d'État Jason Kenney, ainsi que Joe Volpe, lequel a été très serviable et dévoué, Susan Kadis, Pierre Poilievre, Nina Grewal et d'autres à la Chambre, de même que le sénateur Grafstein et le sénateur Meighen, au Sénat, se sont déjà déclarés en faveur des questions soulignées dans le texte de loi. Le projet de loi S-225 se veut un outil de dissuasion du terrorisme. Il s'agit de donner du pouvoir aux survivants d'actes de terrorisme en les dotant d'outils légaux pouvant leur servir de moyens de recours contre ceux qui s'en sont pris à eux et qui voudraient s'en prendre à d'autres.

Les actes de terrorisme sont l'incarnation du mal, non seulement pour la destruction gratuite de choses nées de la sueur et de l'intelligence, mais aussi pour ce besoin de trouver des exemples de la créativité humaine fréquentés par des milliers de gens.

Le projet de loi reconnaît que certains États, tout comme le crime organisé, font appel à d'autres pour faire leur sale boulot. Les groupes terroristes doivent compter sur l'appui des pays sympathisants pour s'entraîner, se mobiliser et établir leurs quartiers généraux. Ils ont besoin des avantages de la technologie du XXIe siècle pour planifier et mettre en œuvre leurs actes de terreur et ils doivent recueillir des fonds pour les financer. Il faut beaucoup de poseurs de fenêtres pour rivaliser avec un môme qui a un sac plein de cailloux.

Lorsque les terroristes ont dirigé leurs avions contre les tours jumelles et tué 25 Canadiens et des milliers d'Américains, ils n'ont pas demandé si les victimes étaient chrétiennes, musulmanes ou juives, noires, jaunes ou blanches. Lorsque ceux qui ont conspiré pour faire exploser le vol d'Air India ont réussi leur terrible objectif, ils ont tué tous ses occupants, des grands-parents à l'apogée de leur vie et des enfants qui s'éveillaient aux réalités de la vie. Le but des auteurs et des commanditaires de ces actes terroristes et d'autres actes terroristes était et est toujours de tuer le plus grand nombre possible d'entre nous et de susciter la peur chez les autres membres de sociétés libres et ouvertes.

Le 11 septembre, deux choses sont clairement apparues. En premier lieu, ceux qui nous détestent sont disposés et capables de porter leur lutte jusqu'à nous et nous frapper là où nous vivons et travaillons. Nous ne pouvons plus compter sur l'idée que les Canadiens n'ont été victimes de la terreur que parce qu'ils étaient là par hasard ou parce qu'ils étaient dans des pays plongés dans le chaos. Deuxièmement, ils vont tout faire et prendre tous les moyens possibles pour nous cibler.

Nous pouvons réagir à cette situation de deux façons. Nous pouvons vivre dans la terreur et espérer que nous échapperons à l'attention des terroristes, ou nous pouvons faire volte-face et les confronter. Le projet de loi S-225 nous permet d'intervenir, comme nous le devons, mais à l'intérieur de limites définies par notre constitution et par les lois qui gouvernent notre société. Vivre en fonction de la primauté du droit signifie que nous devons collaborer avec d'autres nations qui partagent les mêmes idéaux démocratiques. Cela est possible par le truchement de conventions internationales et au moyen de l'adoption dans notre pays de lois qui viennent appuyer nos engagements.

Par exemple, en février 2002, le gouvernement libéral a ratifié la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme de 1999. Cette convention stipule que chaque pays signataire devrait envisager la mise en place de mécanismes selon lesquels les fonds confisqués en vertu de l'article 8 de ladite Convention doivent servir à indemniser les victimes d'actes de terreur.

Notre propre Code criminel, comme l'a si bien souligné le sénateur Grafstein dans son discours, dans le paragraphe 83.14(5.1), stipule que le produit de la disposition de biens liés à des groupes ou à des activités terroristes peut être utilisé pour dédommager les victimes.

En plus de ces deux cas importants, honorables collègues, nous croyons que le Canada devrait s'inspirer davantage de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Celle-ci a été adoptée peu de temps après l'attaque du 11 septembre 2001 et reconnaît la nécessité de combattre le terrorisme par tous les moyens conformément à la Charte des Nations Unies. La mesure législative dont vous êtes saisis, le projet de loi S-225, vise justement à respecter cet engagement.

Le projet de loi S-225 vise à dissuader les futurs actes de terrorisme en ciblant leurs commanditaires là où cela peut leur faire mal. Dans leur portefeuille. Une intervention économique, légale et démocratique. En outre, le projet de loi S- 225 permet aux survivants des deux plus importants actes de terrorisme ayant touché des Canadiens, le 11 septembre et le vol d'Air India, en juin 1985, de réclamer des dédommagements. Nous ne voulons pas restreindre l'application de ce projet de loi à des incidents terroristes futurs et à leurs victimes aux dépens de ceux qui ont souffert dans le passé et qui l'ont inspiré. Les Canadiens ne seraient pas non plus bien servis si le principal motif de cette loi, la dissuasion, devient viable seulement lorsque les futurs actes de terrorisme réclameront leurs prochaines victimes

Nous croyons qu'en apportant deux modifications, ces objectifs peuvent être atteints. Premièrement, en modifiant la Loi sur l'immunité des États, le projet de loi S-225 supprimerait l'immunité qui interdit les réclamations civiles au Canada contre les nations étrangères qui commanditent tout groupe répertorié comme une entité terroriste par le gouvernement du Canada. En vertu de cet amendement, ces États ne pourraient réclamer d'immunité de la part des cours canadiennes pour aucune action en justice liée à un acte terroriste exécuté par eux le 1er janvier 1985 ou après cette date.

En outre, le projet de loi S-225 comporte une disposition à caractère rétrospectif à cause de l'ajout de la date du 1er janvier 1985. Il ne faudrait pas confondre avec rétroactivité, laquelle s'applique automatiquement en ce qui a trait aux actions passées. Cela permettrait aux victimes et aux survivants d'attaques terroristes survenues le 1er janvier 1985 ou après cette date de profiter de cette loi.

Plus tard, lorsque vous débattrez la question, vous rencontrerez des survivants d'attaques terroristes qui vous présenteront, mieux que moi, la justification d'une rétroactivité.

Avant de parler de l'autre amendement proposé, je devrais souligner ici que la loi autorise actuellement des réclamations pour rupture de contrat et pour des blessures corporelles survenues au Canada. Cependant, elle interdit les poursuites civiles contre les pays étrangers qui commanditent des actes terroristes responsables de l'assassinat de Canadiens hors du Canada.

Le deuxième amendement touche le Code criminel et permettrait à toute personne ayant subi des dommages à la suite d'une infraction aux dispositions antiterroristes d'entreprendre une action civile.

La loi constitutionnelle canadienne est claire lorsqu'elle autorise l'ajout du recours civil à la loi fédérale si un lien fonctionnel avec elle peut être établi. Le recours civil prévu dans le projet de loi S-225 est étroitement lié au Code criminel parce qu'il n'est disponible que si la personne qui l'exerce peut démontrer qu'elle a été blessée ou qu'elle a subi des pertes ou des dommages découlant d'un comportement contraire à l'une ou l'autre des dispositions de la partie II.I du code.

Aaron Blumenfeld, conseiller juridique principal, Canadian Coalition Against Terror : Merci, madame la présidente, et bonjour, honorables sénateurs.

Nous sommes ici aujourd'hui au nom de la Canadian Coalition Against Terror (C-CAT), un groupe de revendication constitué de victimes du terrorisme et de professionnels, notamment des avocats, engagés dans la lutte contre le terrorisme. Nous comptons parmi nos membres des victimes canadiennes de l'attentat contre Air India, des attaques contre le World Trade Center, des attentats à la bombe de Bali ainsi que d'attentats perpétrés à Los Angeles, en Israël et ailleurs dans le monde.

Comme l'a dit le sénateur Tkachuk, nous espérons que vous entendrez certaines de ces victimes vous exprimer leur propre point de vue sur la question.

Mme Saperia, des membres de notre cabinet, Borden, Ladner, Gervais, LLP, et moi avons aidé le sénateur Tkachuk à élaborer cette mesure législative. Nous lui sommes reconnaissants de nous avoir offert l'occasion de faire ces propositions.

Comme l'a précisé le sénateur Tkachuk, le projet de loi comporte deux parties. La première est une modification de la Loi sur l'immunité des États. Cette modification vise à supprimer l'immunité qui empêche actuellement la demande de recours contre les États qui soutiennent le terrorisme. L'immunité serait levée seulement dans le cas où un État soutiendrait, en connaissance de cause ou non, un groupe reconnu comme terroriste par le gouvernement du Canada. Les critères définissant les entités terroristes figurent aux articles 83.01 et 83.05 du Code criminel.

Les documents contenant ces dispositions ainsi que la liste des entités terroristes pourront vous être distribués. La liste comporte 40 entités.

La présidente : Ils ont été distribués, monsieur Blumenfeld.

M. Blumenfeld : Merci.

Le second amendement concerne le Code criminel et définit le motif de recours. Le texte dit essentiellement qu'une victime peut entreprendre des poursuites pour les dommages encourus par suite d'un comportement qui contrevient à la partie II.1 du Code criminel, laquelle contient les dispositions antiterrorisme.

Prenons par exemple un organisme canadien de bienfaisance qui servirait de paravent à un groupe terroriste pour lui permettre de recueillir des fonds. Les victimes de ce groupe pourraient poursuivre l'organisme pour les dommages qu'elles ont subis, car ce dernier aurait contrevenu au Code criminel en soutenant un groupe terroriste. Une condamnation devant un tribunal n'est pas nécessaire pour qu'une poursuite soit entreprise.

On trouve une disposition similaire dans l'article 36 de la Loi sur la concurrence, qui autorise le recours civil contre une personne ayant violé divers articles de cette loi, par exemple en participant à un complot visant à restreindre la concurrence où à lui causer préjudice au Canada. Cette disposition s'apparente à la nôtre et elle l'a d'ailleurs inspirée.

Je parlerai d'abord des fondements juridiques du projet de loi, puis j'examinerai rapidement la portée du terrorisme avant d'exposer les raisons qui nous font croire que ce projet de loi constitue une politique publique satisfaisante.

Le cadre conceptuel de ce projet de loi part du principe que l'argent est le moteur du terrorisme et que les États qui soutiennent ce dernier font partie intégrante de l'économie terroriste, laquelle rapporte chaque année des milliards de dollars.

Il n'existe actuellement aucun recours judiciaire au Canada pour tenir les États qui soutiennent le terrorisme responsables de leurs actes. Notre loi régissant la responsabilité des États étrangers repose sur le principe que les États doivent (et ils le font généralement) respecter la souveraineté des autres États et que, par conséquence, ils devraient pouvoir bénéficier d'une certaine protection. Celle-ci comprend l'immunité en matière de poursuites judiciaires telle qu'énoncée dans la Loi sur l'immunité des États dont le texte, je crois, a également été distribué.

Toutefois, les suppositions émises par le passé sur la souveraineté et la loi sont maintenant remises en cause. Au bout du compte, lorsqu'un État finance des entités terroristes pour attaquer les citoyens, les biens et le front intérieur d'autres pays, il s'agit fondamentalement d'une attaque contre la souveraineté de ces pays. Pourtant, comme je l'ai mentionné précédemment, ces États qui soutiennent le terrorisme bénéficient, en vertu de notre loi actuelle, de l'immunité et échappent ainsi à toute responsabilité au Canada.

Le principe sous-jacent à ce projet de loi est que l'immunité de l'État est fondée sur un respect universel de la communauté internationale des États et de la primauté du droit, et que les attaques terroristes visent l'intégrité fondamentale de l'ordre public international et représentent donc un affront à tous les États, puisqu'elles menacent non seulement les victimes immédiates, mais aussi cet ordre public. Par conséquent, un État étranger ne mérite pas l'immunité s'il soutient le terrorisme.

Comme le sénateur l'a fait remarquer, la loi reconnaît que l'immunité d'un État n'est pas absolue. Plusieurs exceptions sont énoncées aux articles 4 à 8 de la loi. Outre la possibilité d'engager des poursuites devant les tribunaux canadiens pour violation de contrat et dommages corporels au Canada, certaines revendications peuvent être faites en matière maritime et relativement à certains biens au Canada. Il arrive régulièrement que des revendications soient faites contre des États étrangers dans nos tribunaux sans qu'elles fassent pour autant les manchettes. Ce projet de loi ne constitue donc pas un grand changement, mais plutôt un ajout modeste aux exceptions qui existent déjà.

Les États n'étant pas immunisés contre des poursuites en matière commerciale, comme il a été dit, il m'apparaît insensé qu'ils soient immunisés contre des poursuites relatives au soutien qu'ils accordent à des activités terroristes.

En résumé, le projet de loi S-225 constitue une extension nécessaire pour s'adapter aux nouvelles réalités du XXIe siècle.

En deuxième lieu, j'aimerais discuter des conséquences du terrorisme à l'échelle mondiale. Il faut distinguer le terrorisme de la criminalité. Le terrorisme ressemble davantage à la guerre qu'au crime puisqu'il vise à influencer la société et les politiques gouvernementales. Ses objectifs comprennent l'affaiblissement psychologique, l'inspiration de la peur et l'intimidation de la population pour que celle-ci exerce des pressions sur son gouvernement afin qu'il cède aux revendications des terroristes.

De plus, contrairement aux criminels, les terroristes veulent que leurs gestes soient spectaculaires et connus de tous dans le but d'obtenir gratuitement l'attention des médias et de faire connaître ainsi leurs griefs et leurs points de vue.

Une attaque terroriste n'est toutefois que la pointe de l'iceberg. De nombreux groupes terroristes consacrent la grande majorité de leur argent et de leurs ressources à gagner la faveur du public en finançant des hôpitaux, des programmes d'emploi et, bien sûr, des écoles où ils enseignement leurs idéologies politiques et religieuses.

Ainsi, des groupes terroristes arrivent parfois à instaurer une forme d'État dans l'État. Il existe de nombreux exemples de ce phénomène. Les groupes terroristes tentent progressivement de s'emparer du pouvoir, et y parviennent parfois dans certaines parties d'un État, ou sur tout son territoire. C'est pourquoi un État qui finance le terrorisme s'attaque fondamentalement à la souveraineté d'une autre nation.

Ce type d'infrastructure requiert des milliards de dollars et suppose souvent le soutien d'un État. Le financement du terrorisme est indissociable du terrorisme et lui est essentiel. Par conséquent, si on contribue à éliminer les sources de revenus des groupes terroristes, ceux-ci disparaîtront. Le projet de loi S-225 vise précisément cet objectif au Canada.

J'aimerais résumer les trois raisons pour lesquelles ce projet de loi constitue, à notre humble avis, une bonne politique publique qui aura des effets positifs. Tout d'abord, une telle loi fonctionne. Elle permettra de prévenir d'éventuels actes terroristes en comblant les lacunes du présent Code criminel. Ensuite, elle facilitera la réorientation du débat public sur le terrorisme en permettant de reconnaître les vraies victimes. Cela pourrait également entraîner d'autres mesures de la part du gouvernement. Enfin, elle peut faciliter le processus de compensation des victimes innocentes qui ont énormément souffert. C'est la bonne solution.

Reprenons d'abord le premier point, c'est-à-dire que le projet de loi serait efficace. Le projet de loi s'inspire d'une loi américaine en matière de droits civils qu'ont invoquée des groupes comme le Southern Poverty Law Center, aux États- Unis, pour obtenir des jugements contre le Ku Klux Klan et ses leaders. En effet, ce ne sont pas des procédures au criminel qui ont mis fin aux activités du KKK, mais plutôt les victimes qui ont intenté des poursuites civiles leur ayant permis de saisir les quartiers généraux du KKK et des groupes connexes et de mettre leurs leaders en faillite. Sans ressources, leurs activités étaient paralysées.

Bien entendu, la norme de preuve au civil est différente de celle au criminel. Au civil, il est question de prépondérance des probabilités, alors qu'au criminel, la norme de preuve est hors de tout doute raisonnable. Il peut y avoir diverses raisons pour lesquelles un procureur décide de ne pas poursuivre une accusation au criminel ou pour lesquelles il ne réussit pas à obtenir une condamnation, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il est impossible, d'après les mêmes faits, d'obtenir gain de cause au civil.

Au Canada, des rapports publiés par le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, laissent entendre que, chaque année, des centaines de millions de dollars sont versées au Canada à des activités qui pourraient servir à financer des terroristes. Jusqu'à présent, personne n'a été condamné pour ce genre de crime aux termes du Code criminel. Comme je l'ai déjà mentionné, le projet de loi S-225 permettrait aux victimes de ce genre de crime d'intenter des poursuites civiles.

Un deuxième exemple serait la loi semblable adoptée aux États-Unis dans les années 1990 à la suite des pressions exercées par des groupes de victimes. Grâce à cette loi, les membres de la famille des victimes de l'explosion du vol 103 de Pan Am au-dessus de Lockerbie pouvaient intenter une action contre la Lybie. Le rôle de la Lybie dans cette affaire a fait l'objet de beaucoup de publicité négative et, en bout de ligne, elle a assumé sa responsabilité en acceptant de verser dix millions de dollars à chacune des familles. Au total, elle leur a versé plusieurs milliards de dollars.

On peut soutenir qu'ensemble, les poursuites, la publicité et les sanctions ont amené la Lybie à modifier sa politique, à mettre fin à son programme nucléaire et à abandonner ses activités terroristes. C'était une victoire colossale contre le terrorisme. Cela prouve, qu'à la longue, les États qui appuient le terrorisme peuvent être raisonnables et qu'on peut les dissuader, ce qui est l'un des objectifs.

De plus, les poursuites sont efficaces en raison de la publicité qui en découle. Elles permettent de redéfinir le débat public. Elles peuvent même galvaniser l'opinion publique contre les terroristes et les groupes qui les appuient.

Il y a en Angleterre un avocat qui s'appelle Jason McCue et qui représente les victimes d'un attentat à la bombe perpétré à Omagh par l'IRA. Il a intenté une action contre ce groupe et il a écrit que les terroristes utilisent les médias pour justifier leurs activités auprès du public. D'après lui, ils s'en servent également pour se présenter comme des opprimés ou des victimes et, leurs ennemis, comme des oppresseurs de taille. Une action au civil peut donner aux victimes l'occasion d'humaniser leur souffrance, tout en montrant les terroristes sous leur vrai jour. Une action au civil juxtapose le meurtrier sans pitié à la mère qui a perdu son fils.

Souvent, ceux qui appuient le terrorisme pensent différemment des groupes terroristes. Ils craignent la publicité négative qu'ils attireraient s'ils étaient nommés dans des poursuites. Comme l'a fait observer David Aufhauser, l'ancien avocat général du Trésor américain :

les banquiers qui financent des activités terroristes sont des lâches. Ils ont trop à perdre s'ils sont transparents : leur réputation, leur fortune, leur liberté et leur statut. Ils sont le talon d'Achille de la chaîne de violence. Ils ne sont pas à l'abri de la dissuasion.

Cela ne s'applique pas seulement aux banquiers, mais aussi aux États qui appuient le terrorisme.

Voici un dernier exemple : la publicité découlant des actions civiles pousse parfois les gouvernements à mener des enquêtes et à intenter des poursuites au criminel. Par exemple, les poursuites intentées par des victimes américaines de terrorisme contre une banque étrangère soupçonnée d'avoir aidé sciemment un groupe terroriste en dédommageant les familles des kamikazes ont incité la Jordanie, où la banque était basée, à adopter de nouvelles lois ou à modifier ses lois existantes. Par ailleurs, cela a déclenché une enquête par l'organisme de réglementation des banques aux États-Unis ainsi qu'une enquête criminelle par le département américain de la Justice.

Par conséquent, la publicité qui accompagne les poursuites au civil peut être un outil clé dans la guerre contre le terrorisme.

En dernier lieu, le projet de loi aidera les victimes en les laissant essayer de se faire dédommager. Certains pays, comme les États-Unis et la France, offrent des programmes d'indemnisation aux victimes de terrorisme. Le Canada n'en a pas. Cependant, ce que demandent les victimes canadiennes, ce n'est pas que le gouvernement leur verse de l'argent ou crée une autre procédure bureaucratique. Au contraire, elles cherchent plutôt à avoir le droit de se faire dédommager par les personnes qui sont responsables de la perte de leurs êtres chers.

Aujourd'hui, le terrorisme est monnaie courante, et la lutte engagée par les États à cet égard est extrêmement difficile. Vu ce contexte, le projet de loi S-225 permettrait aux particuliers de se venger des terroristes et de leurs bailleurs de fonds en intentant des poursuites qui risquent de miner la viabilité et la légitimité des organisations terroristes et de leurs promoteurs. Comme je l'ai mentionné tantôt, j'espère que vous entendrez les témoignages des victimes. Par-dessus tout, elles veulent que les transgresseurs soient tenus responsables de leurs actes, et elles méritent d'aller devant les tribunaux.

Enfin, je tiens à souligner l'urgence du projet de loi devant vous. Tous les jours, des soldats canadiens se font attaquer par des terroristes, et les victimes canadiennes de terrorisme, dont certaines commencent à vieillir, demandent des comptes aux transgresseurs depuis bien des années. Justice différée est égale à justice refusée.

Si, comme nous l'espérons, vous appuyez le projet de loi, nous vous demandons respectueusement de l'adopter sans tarder. Mme Saperia va terminer notre exposé.

Sheryl Saperia, conseillère juridique et coordonnatrice de playdoyers, Canadian Coalition Against Terror : Mesdames et messieurs, bonjour. Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui. Merci de nous avoir donné cette occasion.

Comme le sénateur Tkachuk l'a dit tout à l'heure, le projet de loi a été déposé pour la première fois en 2005. Depuis quatre ans, il a été passé au peigne fin par bon nombre de spécialistes dans beaucoup de domaines, dont certains, je l'espère, comparaîtront devant ce comité prochainement.

Quiconque lira le projet de loi remarquera rapidement que l'examen minutieux auquel il a été soumis a permis non seulement de produire un projet de loi fondé et réfléchi, mais aussi conçu méticuleusement de sorte à protéger contre tout abus le mécanisme juridique qu'il vise à créer. En effet, le projet de loi S-225 renferme de nombreuses dispositions le protégeant contre l'usage frivole du recours civil proposé, en particulier dans les cas où un État souverain est le défendeur. Bien que ces mesures de protection alourdissent le fardeau des victimes, en bout de ligne, elles favoriseront la justice et la dissuasion en garantissant un processus crédible et transparent visant à identifier les personnes qui sont véritablement les plus gros transgresseurs de nos lois antiterroristes.

Parmi ces mesures de protection, qui permettront également de garantir la confiance du public dans les décisions des tribunaux, mentionnons d'abord qu'il incombe à la victime de prouver qu'un État étranger a fourni sciemment ou sans se soucier des conséquences un appui matériel à un terroriste ou un groupe terroriste inscrit sur la liste établie par le gouvernement du Canada, à défaut de quoi l'accusé ne pourrait être tenu responsable. Le fardeau de la preuve est donc lourd. Par ailleurs, le plaignant qui ne réussit pas à prouver les allégations d'appui au terrorisme qu'il fait contre un État risque de devoir lui payer des dépens importants, ce qui constitue en soi un moyen d'empêcher l'abus de ces dispositions.

Deuxièmement, si une victime prouve qu'un État étranger a fourni un appui matériel à une entité inscrite, on pourra en abroger l'immunité. Par contre, il y aurait une autre étape. L'État ne sera tenu responsable que s'il est prouvé que la victime a subi des pertes ou des dommages attribuables à la violation, par l'État étranger, des dispositions antiterroristes du Code criminel. Ces dispositions prévoient déjà une composante liée à l'intention coupable, ce qui signifie que le plaignant doit prouver que le défendeur les a violées sciemment ou intentionnellement.

Troisièmement, le projet de loi S-225 précise qu'il y a absence de compétence universelle. C'est donc dire qu'un tribunal ne pourra entendre que les causes qui ont un lien important avec le Canada. Cela réduira le nombre de poursuites qui seront entendues devant les tribunaux canadiens.

Quatrièmement, le projet de loi S-225 encourage le plaignant à donner à l'État étranger l'occasion de recourir à l'arbitrage avant d'aller devant les tribunaux. Cela permettrait à la victime et au défendeur de régler une revendication devant une tribune de moindre intensité. Par contre, cela ne s'appliquerait que dans les cas où un attentat terroriste aurait été perpétré sur le sol de l'État étranger visé par l'action au civil.

En dernier lieu — et c'est peut-être le point le plus important —, le projet de loi S-225 comprend une liste des pays ne pouvant pas être poursuivis aux termes de la loi. Il s'agit des États avec lesquels le Canada a des relations d'extradition particulières. Cette restriction empêcherait une victime d'intenter un procès contre des pays qui ont un système judiciaire semblable au nôtre, notamment les alliés du Canada.

Cette disposition est cruciale aux yeux des victimes qui ont ardemment défendu ce projet de loi, et elles m'ont demandé de prendre quelques instants pour en expliquer l'importance.

Tout à l'heure, M. Blumenfeld a parlé d'une loi semblable au projet de loi S-225 adoptée aux États-Unis il y a plus de dix ans. Nous sommes chanceux d'avoir pu suivre l'expérience des États-Unis, et le projet de loi S-225 a été conçu de sorte à éviter les lacunes du modèle américain. Contrairement au projet de loi, la loi américaine renferme une liste des pays désignés explicitement par le gouvernement des États-Unis comme étant des États appuyant officiellement le terrorisme. Seuls les cinq États figurant sur cette liste peuvent être poursuivis; les autres États sont exemptés.

D'après nous, cette façon de déterminer les États pouvant être poursuivis s'est avérée un point faible flagrant du modèle américain, et il faut l'éviter pour plusieurs raisons. D'abord, l'établissement d'une liste de cette manière risque de se transformer en un processus très politisé et vulnérable à l'influence des États étrangers. En effet, il semble que, parfois, des facteurs politiques qui n'ont rien à voir avec le fait qu'un pays appuie ou non le terrorisme deviennent des facteurs déterminants.

Deuxièmement, les pays n'étant pas inscrits sur la liste mais qui devraient l'être objectivement seraient effectivement vus par le Canada comme des États n'appuyant pas le terrorisme. Autrement dit, nous les exonérerions officiellement de toute responsabilité, ce qui est loin d'être une mesure dissuasive.

Troisièmement, l'adoption du modèle américain nuirait aux victimes canadiennes. Selon toute probabilité, une liste canadienne ressemblerait à la liste américaine et par conséquent, cela limiterait considérablement le nombre de pays pouvant être poursuivis. Cela signifie que beaucoup de victimes canadiennes ne pourraient pas invoquer la loi pour faire des revendications susceptibles d'être valables. Cela créerait une charte des droits des victimes qui marginaliserait les victimes. De plus, cela opposerait de façon injuste les victimes aux États étrangers qui peuvent consacrer des budgets pratiquement illimités à la défense de leurs intérêts. Pour offrir des chances égales aux victimes, il faudrait leur permettre de demander à un juge de déterminer si un État appuie ou non le terrorisme.

Pour conclure, le CCAT estime que l'établissement d'une liste de pays ne pouvant pas être poursuivis fondée sur des relations d'extradition particulières permettrait d'avoir un projet de loi unique à saveur canadienne. Les traités d'extradition sont basés sur la reconnaissance des valeurs communes de l'autre pays, notamment un système judiciaire équitable et le respect de la règle de droit. L'utilisation de cette formule existante dans l'évaluation des relations du Canada avec d'autres pays est un critère que la population canadienne comprendra et appréciera. Non seulement cela protégerait nos alliés, mais cela ferait obstacle au lobbying souterrain que préfèrent faire les États qui appuient le terrorisme.

Pour terminer, j'aimerais aborder brièvement les dernières sections du projet de loi, d'abord en ce qui concerne la Loi sur l'immunité des États. L'article 2 du projet de loi porte sur l'immunité d'un État étranger relativement aux poursuites judiciaires. Les articles 3, 4 et 6 appliquent ce principe aux différentes parties du processus judiciaire. L'article 5 oblige le gouvernement du Canada à communiquer aux plaignants l'information qu'il possède et qui est susceptible de l'aider à recouvrer des biens. Ce recouvrement est, bien entendu, une question importante.

Deuxièmement, les modifications à la Loi sur l'immunité des États et au Code criminel sont rétroactives au 1er janvier 1985. Cette date, comme nous l'avons indiqué, a été choisie afin que les familles des 280 victimes de l'attentat contre le vol d'Air India, le plus important groupe de victimes du terrorisme au Canada, puissent se prévaloir de la loi.

Cette disposition est importante si on veut que le projet de loi atteigne ses objectifs, particulièrement son objectif de dissuasion. Sans rétroactivité, le Canada se trouverait dans une position absurde puisqu'il faudrait attendre une nouvelle attaque terroriste pour que la nouvelle loi puisse être appliquée, or cette loi vise justement à dissuader toute nouvelle attaque terroriste.

Pour ce qui est des modifications au Code criminel, le nouveau paragraphe 83.34(3) est une disposition déterminative qui vise à contrer le fait que les organisations terroristes n'agissent pas ouvertement, comme l'a dit un juge américain. À partir du moment où une victime peut prouver qu'un défendeur a sciemment financé un groupe terroriste figurant sur la liste et que ce groupe lui a porté préjudice, elle n'a pas besoin de prouver que l'argent du défendeur a effectivement servi à payer la bombe ou la balle qui a blessé ou tué.

Le nouveau paragraphe (4) suspend la période limite pour intenter un recours en vertu de la loi tant que la victime n'est pas en mesure d'entamer une procédure pour des raisons diverses.

Le nouveau paragraphe (6) confirme que tout jugement porté contre des terroristes dans des pays étrangers qui ont un système juridique semblable à celui du Canada doit être globalement applicable au Canada. Les attaques terroristes et le financement d'activités terroristes ne s'arrêtent pas aux frontières, aussi, pour pouvoir lutter efficacement contre les menaces que représente le terrorisme, des pays comme le Canada doivent reconnaître et appliquer les jugements portés à l'étranger contre des organisations terroristes.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-225 est une initiative antiterroriste unique que tous les partis politiques du Canada peuvent appuyer. Il ne s'agit pas ici de détenir des individus ni de violer leurs droits civils. Le Canada, en tant que pays qui prône la démocratie, la primauté du droit, la justice et la moralité, devrait accorder aux victimes de terrorisme le même droit qu'à toute autre victime de crime, à savoir le droit de traduire les responsables des préjudices qu'elles ont subis devant un tribunal et, ce faisant, protéger les Canadiens contre d'autres actes terroristes. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Andreychuk : Merci. J'appuie bien évidemment les objectifs du projet de loi; cela va sans dire. Nous voulons tout mettre en oeuvre pour mettre fin au terrorisme et nous ne voulons pas permettre qu'il fasse d'autres victimes.

J'ai tant de questions que j'imagine que nous entendrons les témoins et que le sénateur Tkachuk et les autres témoins reviendront plus tard devant le comité, étant donné qu'il y a tant d'aspects à étudier dans ce dossier.

La présidente : C'est une remarque judicieuse. Effectivement, nous entendrons d'autres témoins sur ce projet de loi. J'ai, moi aussi, de nombreuses questions, mais je n'en poserai sans doute que deux aujourd'hui.

Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir vous préparer à revenir devant notre comité durant l'étude de ce projet de loi.

Le sénateur Tkachuk : Nous avons fourni une liste de témoins dont certains sont des spécialistes en droit constitutionnel. Nous ne disposons pas d'une telle expertise aujourd'hui, toutefois, nous avons inscrit ces témoins sur la liste des personnes que vous pouvez appeler pour répondre aux questions que vous vous posez. Nous avons essayé de couvrir tous les domaines d'expertise concernés.

La présidente : Merci beaucoup. J'essaie simplement de rassurer le sénateur Andreychuk, qui est le vice-président, mais aussi tous les membres du Comité, en leur montrant que nous exercerons une diligence raisonnable.

Le sénateur Andreychuk : Il y a tant d'aspects que je voudrais évoquer. J'en évoquerai deux aujourd'hui et j'espère que les autres témoins recevront les questions ou que nous pourrons faire appel à eux.

La première est une question juridique précise. J'ai siégé au Comité spécial sur la Loi antiterroriste, et nous tentons toujours de résoudre la question de la définition de l'activité terroriste. Les Nations Unies y travaillent toujours également. Comment pouvons-nous avoir une définition de l'activité terroriste? Nous savons qu'une chose qui, en soi, est innocente à un moment donné, peut cesser de l'être si elle est conjuguée à d'autres éléments. Par ailleurs, nous voulons être sûrs, lorsque nous apposons l'étiquette de terroriste sur quelqu'un, que ce soit justifié, qu'il s'agisse d'un État ou d'un individu. Les Nations Unies n'ont pas réussi à produire une définition finale. Le Canada non plus. Le mieux que nous puissions faire est de définir la notion d'activité terroriste mais nous éprouvons toujours des difficultés à le faire.

L'expression « comportement terroriste » est utilisée ici. Je me demande ce que signifie cette expression sur le plan juridique et pourquoi on n'a pas de définition. Pouvez-vous me donner une définition précise? Si oui, je me demande pourquoi la définition n'a pas été incluse dans le nouvel article 83.34.

Mme Saperia : D'abord, nous avons pu rédiger ce projet de loi de façon à ne pas avoir besoin d'une définition acceptée du terrorisme. Vous avez raison : il n'existe pas de définition internationale.

Le nouvel article 83.34, qui donne le droit aux victimes d'intenter des poursuites au civil, ne donne pas une définition des victimes de terrorisme. Vous dites qu'une personne qui a subi des pertes ou des dommages aux termes des dispositions antiterroristes existantes du Code criminel aurait donc un recours civil. Il n'est pas nécessaire de définir ce qu'est une victime de terrorisme, ni même ce qu'est une activité terroriste parce que, là encore, nous disons que le Parlement a déjà défini quel type de comportement à l'égard du terrorisme est permis; nous ne faisons que permettre un recours civil, conditionnel au respect de ce comportement.

En ce qui a trait à la définition du comportement terroriste qui figure dans la Loi sur l'immunité des États, la remettre dans la disposition sur le recours au civil du Code criminel est, à mon humble avis, inutile puisqu'une poursuite au civil contre un État étranger est un processus à deux étapes. Avant même de considérer les dispositions du Code criminel, vous devez prendre en considération la Loi sur l'immunité des États et vous devez être en mesure de lever l'immunité pour pouvoir intenter la poursuite.

Nous avons créé une définition du comportement terroriste qui s'applique uniquement à la levée de l'immunité conférée par la Loi sur l'immunité des États. Il y a une définition précise comme vous pouvez le constater : fournir, sciemment ou sans se soucier des conséquences, un appui matériel aux entités inscrites. Si le plaignant peut apporter des preuves en ce sens, l'immunité est levée, alors seulement, on fait valoir la disposition du Code criminel sur le recours au civil. Il n'est pas nécessaire de revenir sur la définition du comportement terroriste telle qu'elle est exposée dans la Loi sur l'immunité des États.

Le sénateur Andreychuk : J'aurai au moins 20 autres questions après ce que vous venez de dire.

Le sénateur Tkachuk : Certains actes terroristes sont évidents. Dans les autres cas, le fardeau de la preuve incombe à la victime, comme Mme Saperia l'a si clairement exposé. Pour empêcher une approche tous azimuts, c'est à la victime qu'il incombe d'apporter les éléments justifiant la levée de l'immunité de l'État. Je pense que ce processus apporte une grande protection et donc que les risques d'abus, le cas échéant, sont minimes.

Le sénateur Andreychuk : Ce n'est pas une question d'abus; c'est une question de déroulement du processus. Je ne sais pas ce qu'est un comportement terroriste; nous employons maintenant cette expression au lieu de l'expression « activité terroriste ». Nous sommes en train de mettre sur pied un tout nouveau processus qui doit être accompagné. Je me demande notamment comment je ferai le lien avec les questions de terrorisme en cours et si je pourrai comprendre le processus. Je m'en remets à vous sur ces aspects. Je dois approfondir la question.

J'ai une question concernant les relations internationales de notre gouvernement. Nous pouvons commencer à lever l'immunité des États, mais nous devons le faire pour les bonnes raisons. C'est un autre moyen de pointer des pays du doigt. C'est le même processus qu'avec les États-Unis. Les États-Unis l'ont fait, si je ne me trompe, définitivement et ouvertement. Nous disons à certains pays que nous ne les mettrons pas sur notre liste noire mais que nous allons les retirer de la liste des pays protégés par l'immunité. Cela revient à cibler des pays en particulier.

À mon avis, nous risquons par la suite de subir les conséquences de nos actes, et notamment de voir changer notre capacité à fonctionner sur la scène internationale, aux Nations Unies et dans les relations bilatérales. Un tel changement pourrait se répercuter sur nos échanges commerciaux et sur la protection de nos citoyens dans les pays concernés. Cela aura des conséquences à tous les égards. J'imagine que vous y avez pensé. Il n'y a pas de pensée unique, aussi, j'aimerais entendre vos contre-arguments.

Monsieur Blumenfeld, vous avez dit que de telles mesures seraient bénéfiques pour nos soldats canadiens qui sont victimes d'activité terroriste. Si tel est le cas, alors, si certains de nos soldats — nous en avons partout dans le monde aujourd'hui — sont victimes d'attaques terroristes, qu'adviendra-t-il de notre capacité à travailler dans les pays en conflit, la raison d'être de notre présence dans ces pays?

Je m'inquiète non seulement pour la sécurité et la capacité des soldats d'obtenir réparation à titre individuel, mais également du fait que le Canada devrait peut-être envoyer des troupes dans un autre pays, sans savoir si ce pays fait partie d'un système terroriste. Nous agissons sous l'égide de l'OTAN, et nous devons aller dans des zones de conflit. Nous n'avons pas nécessairement le choix.

J'aimerais savoir comment nous avons évalué cette mesure particulière du point de vue des relations extérieures du Canada, à cause, notamment, de ce que nous sommes. Nous n'avons pas les mêmes moyens de persuasion que les Américains.

Le sénateur Tkachuk : En ce qui concerne les relations internationales, le projet de loi que nous tentons de faire passer ici est, avant tout, l'expression de notre souveraineté.

En outre, la principale responsabilité d'un État est de protéger ses citoyens. Les États prennent des décisions, comme celle d'aller en guerre. Ils mettent en place des sanctions et diverses mesures pour protéger leurs citoyens. L'unique but de ce projet de loi est de permettre à une victime canadienne d'acte terroriste de demander réparation. La loi elle-même comporte de nombreuses mesures de protection contre l'abus à cet égard.

À mon sens, cela s'inscrit dans l'ensemble des mesures qu'un État souverain doit prendre; dans ce qu'un État souverain doit faire : permettre aux victimes de demander réparation aux responsables des actes qui leur ont porté préjudice.

En ce qui concerne le commerce et tous les autres aspects, l'État qui se permet de financer le terrorisme est celui qui a pris la mauvaise décision. Le fait qu'un individu demande réparation parce qu'un membre de sa famille a été tué est un acte juste. Les torts et la perturbation des relations commerciales sont imputables à l'État qui a effectivement financé des activités terroristes.

Le sénateur Andreychuk : Je mesure pleinement le fait que nous soyons souverains, et je comprends parfaitement le caractère répréhensible des actes de certains États.

Si nous devons aller de l'avant, j'aimerais savoir quelles seront les conséquences pour notre pays. Avez-vous pensé aux conséquences? Il y en aura certainement, notamment sur nos relations internationales et sur notre capacité à participer à des missions multilatérales comme les missions de l'OTAN. J'aimerais entendre dire que vous avez pris ces conséquences en considération. Comment l'avez-vous fait?

M. Blumenfeld : Sénateur Andreychuk, merci pour votre question. Je conviens qu'il s'agit d'une question importante. Il faut commencer par étudier comment ce type de situation a été traité par le passé. Quels sont les preuves qui pourraient étayer vos inquiétudes?

Le Canada a toutes sortes de politiques internationales. Il a dressé une liste de 40 organisations terroristes. Il pourrait ne pas vouloir inscrire Al-Qaïda sur cette liste de peur que cette organisation attaque une ambassade canadienne. Le Canada a bien agi; il s'est engagé en Afghanistan, témoignant ainsi de sa politique gouvernementale, ce qui a évidemment eu diverses conséquences. Il a été décidé que c'était de la meilleure chose à faire.

En ce qui concerne cette politique en particulier, le précédent établi aux États-Unis montre que les répercussions sont loin d'avoir été aussi désastreuses que l'on craignait. Tous les États qui figurent sur la liste ont été poursuivis. Leur procès a eu lieu devant un tribunal indépendant et non pas devant un tribunal du gouvernement. Les poursuites ont été entièrement réglées de façon indépendante. Le gouvernement peut présenter à l'État défendeur les victimes qui portent plainte.

Quel en a été le résultat? La Libye a modifié sa politique en matière de terrorisme et ses politiques nucléaires. La Syrie n'a pas usé de rétorsion envers les États-Unis. Une politique étrangère ferme a parfois des effets positifs. Les Syriens sont sortis du Liban pendant un moment lorsqu'ils ont fait l'objet de mesures énergiques.

En ce qui a trait aux conséquences, on peut observer un autre exemple au Canada. On présente à des gouvernements étrangers des réclamations parce qu'ils auraient vendu de mauvais produits ainsi que toutes sortes de réclamations financières. Les journaux n'en parlent même pas. Même si les pays ont des différends, ceux-ci sont généralement résolus. Il y a toujours des obstacles à franchir, mais les pays règlent toujours ces différends entre eux.

Je poserais la question dans le contexte suivant : quelles sont les preuves tangibles qu'il y aura des conséquences négatives si un pays défend ses citoyens lorsqu'un autre pays porte atteinte à sa souveraineté? Voilà ce que je réponds de façon générale.

Vous avez parlé de nos soldats en Afghanistan. Ce type de loi permettrait, par exemple, s'il était prouvé que la fabrication de dispositifs explosifs de circonstance utilisés contre nos soldats avait été organisée ou financée par un État étranger, d'entamer des procédures contre cet État. C'est une réclamation qui pourrait être présentée.

Le fait est que les soldats courent malheureusement des risques chaque jour en essayant d'aider l'Afghanistan. En fin de compte, cette réalité fait partie de tout ce qu'il faut prendre en considération pour aller de l'avant en matière de politique étrangère. Choisit-on de vivre dans la peur ou choisit-on d'essayer de bien agir tout en sachant qu'il existe en ce monde de véritables risques?

Le sénateur Baker : D'abord, sénateurs et invités, je tiens à dire à quel point j'ai été heureux d'entendre les témoignages d'aujourd'hui. Leur contenu était en effet remarquable. Mme Saperia a brillamment exposé ses convictions. Je ne voudrais pas plaider contre elle devant le tribunal. Ses arguments sont très convaincants.

Sur ce, j'ai une question pour le sénateur qui se trouve devant nous. Il semble que ce projet de loi, comme le sénateur l'a fait remarquer, est largement soutenu à la Chambre des communes et au Sénat. Il a été étudié en profondeur. Bien sûr, une fois qu'il aura franchi l'étape du Sénat, l'endroit où nous examinons le droit et où nous approuvons le droit ainsi que le principe de droit, l'étape qui lui restera à la Chambre des communes sera plutôt rapide, car le travail de la Chambre n'est pas d'examiner les choses dans le détail, comme nous devons le faire.

À quoi le sénateur s'attend-il en ce qui concerne l'adoption de ce projet de loi? Quand espère-t-il qu'il sera adopté?

Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas certain de pouvoir vous dire quand il sera adopté par le Sénat, encore moins par la Chambre, dont je ne suis pas membre.

Je sais que de nombreux membres du NPD, du Parti conservateur et du Parti libéral ont manifesté leur appui. Je ne suis pas certain de l'avis du Bloc. Je m'attends à ce que cette question soit réglée plutôt rapidement, mais encore une fois, il s'agit de la Chambre. Vous le savez probablement mieux que moi étant donné que vous en avez déjà été membre.

Le sénateur Baker : Pendant trop longtemps. C'est encourageant. Nous pourrons peut-être examiner la question en profondeur assez rapidement si notre horaire nous le permet.

Mes questions seront très brèves, conformément aux consignes de la présidente.

Je crois que la Loi sur l'immunité des États nous offre un véhicule. C'est elle qui soutiendra ce projet de loi. Nous examinerons, comme je viens de le faire pendant les dernières minutes, la manière de formuler les ajouts au Code criminel et à la Loi sur l'immunité des États.

La Loi sur l'immunité des États me semble posséder ses propres règles. Nos cours supérieures ont leurs propres règles. Je présume que cette question pourrait relever de la compétence des cours supérieures provinciales. Les règles de procédure ont l'air semblables à celles de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, par exemple en ce qui a trait aux périodes accordées pour la demande initiale et pour l'acte introductif d'instance ainsi qu'à la période accordée à l'État ou à l'organisme d'État contrevenant pour répondre.

Au centre, nous trouvons le ministre du gouvernement du Canada, le ministre des Affaires étrangères, qui s'occupe de la question aux termes de la loi. La loi stipule que :

La signification mentionnée à l'alinéa (1)c) peut se faire par remise personnelle ou par envoi recommandé d'une copie de l'acte introductif d'instance au sous-ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu'il désigne; le sous- ministre ou cette personne transmet à son tour cette copie à l'État étranger.

À mon avis, la Loi sur l'immunité des États vous offre des règles toutes prêtes pour mettre en application votre projet de loi. Ai-je raison?

M. Blumenfeld : Oui.

Le sénateur Baker : Lorsque vous faites référence au Code criminel, quelque chose me dérange. Dans votre première disposition, la Loi sur l'immunité des États est modifiée par l'ajout du nouvel article 2.1 après l'article 2. Le paragraphe 2.1(1) proposé dit :

Pour l'application de la présente loi, un État étranger se livre à une activité terroriste s'il fournit directement ou indirectement, sciemment ou sans se soucier des conséquences, un soutien matériel à une entité inscrite au sens du paragraphe 83.01(1) du Code criminel.

Cette formulation est excellente.

J'ai seulement retiré le paragraphe 83.01(1) du Code criminel, et je connaissais la réponse à la question avant de le faire : aucune entité inscrite n'est décrite dans ce paragraphe du Code criminel. Devrions-nous amender le projet de loi pour parler d'une entité inscrite dont la définition correspond à celle d'un groupe terroriste : a) soit une entité dont l'un des objets ou l'une des activités est de se livrer à des activités terroristes ou de les faciliter; b) soit une entité inscrite?

M. Blumenfeld : Sénateur, je ne comprends pas bien votre question. L'article 83.01 ne contient pas de définition d'une entité inscrite? C'est la troisième définition. Elle indique que par entité inscrite, on entend une entité inscrite sur la liste établie par le gouverneur en conseil en vertu de l'article 83.05. Cette liste a été dressée et elle contient 40 groupes terroristes. Nous l'avons distribuée.

Le sénateur Baker : Le paragraphe 83.01(1) y fait référence.

M. Blumenfeld : C'est exact. Elle fait partie du texte d'application.

L'article 83.05 donne au gouverneur en conseil le pouvoir de faire cela.

Le sénateur Baker : Vous parlez des entités désignées par règlement par le gouvernement du Canada en vertu de cet article du Code criminel.

M. Blumenfeld : Tout à fait.

Le sénateur Baker : Vous avez fait un excellent travail. Vos efforts sont grandement appréciés. Nous comptons, comme l'a mentionné le sénateur Tkachuk, sur l'adoption rapide du projet de loi.

M. Blumenfeld : Merci beaucoup.

La présidente : Avec toute la diligence voulue, car nous devons bien le comprendre.

Le sénateur Baker : Bien sûr. Au Sénat, nous faisons toujours preuve de diligence.

La présidente : Nous ne menaçons pas de reporter la décision aux calendes grecques.

Le sénateur Tkachuk : Je comprends.

La présidente : Nous nous engageons à faire le travail.

Le sénateur Di Nino : En premier lieu, j'aimerais mentionner que j'appuie entièrement le principe de ce projet de loi. Je félicite tous ceux qui y ont participé.

Ce n'est pas un projet de loi facile; il est en fait très complexe. Je vais lancer quelques questions. Je ne m'attends pas à obtenir des réponses aujourd'hui, mais les problèmes que mes deux collègues ont soulevés sont mentionnés dans mes notes de synthèse. Madame la présidente, contrairement à la majorité des gens autour de la table, je ne suis pas un éminent avocat, ce qui est un bon point aujourd'hui.

Le sénateur Audreychuck : Nous vous offrirons de la formation.

Le sénateur Di Nino : Je crois que je suis trop vieux pour ça.

Les questions relatives au pouvoir extraterritorial dont nous disposons et à la capacité d'exercer des recours, contre un résidant ou un non-résidant sur notre territoire ou sur un autre territoire, sont des questions qui ont été abordées dans les notes de synthèses fournies. On y mentionne, entre autres, la violation de la courtoisie internationale. J'aimerais étudier ces questions, mais nous n'avons malheureusement pas le temps aujourd'hui, madame la présidente.

Je vais poser une question simple, qui ne relève nullement du droit, du moins. Vous nous avez remis deux listes : l'engagement du Canada en vertu du traité d'extradition bilatéral et l'annexe des partenaires aux termes de la Loi sur l'extradition. Ma question porte sur la liste des partenaires. Vous affirmez que, aux termes des modifications proposées, les pays qui y figurent seraient tenus indemnes de toute poursuite judiciaire. Nous avons certainement des recours si l'un de ces pays se livre à des activités terroristes.

À des fins de clarification, pouvez-vous nous dire comment nous résoudrions ce problème? Je ne serais pas surpris que certains des pays sur la liste se livrent à de telles activités.

M. Blumenfeld : Le premier pays sur la liste est l'Albanie. Je vais procéder par ordre alphabétique, si vous n'y voyez pas d'objection. Le principe qui sous-tend la Loi sur l'extradition est le suivant : le Canada conclut des traités d'extradition avec des pays qui, dans l'ensemble, possèdent un système judiciaire semblable à celui du Canada, de façon à ce que nous puissions avoir confiance en leur système judiciaire. Règle générale, il est possible de poursuivre l'État en justice au sein même de cet État. Par exemple, si quelqu'un souhaite incriminer le Canada, cette personne peut se présenter devant les tribunaux canadiens et faire une réclamation contre notre pays. Le même raisonnement s'appliquerait ici, ce qui serait vraiment la solution idéale.

Mme Saperia : C'est bien l'idée principale. Les ententes d'extradition, nommément les traités bilatéraux et la liste des partenaires désignés dans l'annexe de la Loi sur l'extradition, ont été conclues avec des pays possédant un système judiciaire semblable au nôtre, en majeure partie, et une norme juridique fondamentale acceptable. À mon avis, le fait que nous ayons conclu ce type d'entente est le reflet de deux réalités : la première, ces pays ne parrainent pas le terrorisme directement et intentionnellement, nous l'espérons, et la seconde, le point le plus important auquel M. Blumenfeld a fait référence, si une personne du pays en question était blessée, cette personne pourrait exercer un recours devant les tribunaux du pays où on lui accordera ou refusera réparation, selon le cas. Par conséquent, la capacité d'intenter une même poursuite devant les tribunaux canadiens serait inutile.

Le sénateur Di Nino : Je ne les accuse pas de participer à des activités terroristes, mais les choses pourraient changer. Elles sont déjà en train de changer pour deux ou trois des pays figurant sur la liste.

Plus précisément, existe-il des conventions internationales à ce sujet? Les questions dont nous avons discuté sont- elles prévues par les ententes bilatérales conclues avec ces pays? Des conventions internationales des Nations Unies font-elles référence à une norme ou une entente bilatérale de cette nature, ou sont-elles personnalisées? Sont-elles identiques?

Mme Saperia : Règle générale, l'extradition est un processus complexe. Nous avons évalué les pays dont le nom figure sur différentes listes et tenté de déterminer lesquels d'entre eux devraient être protégés contre les poursuites frivoles aux termes de la loi. En bout de ligne, on estime que le libellé actuel du projet de loi sur l'extradition est la meilleure façon d'atteindre cet objectif.

Pour ce qui est des changements comportementaux des pays et du parrainage éventuel du terrorisme, je dirais que, dans de telles circonstances, nous devrions arrêter toute extradition vers ces pays et les retirer de la liste. Cela ne devrait pas causer de problème.

Le sénateur Oliver : J'aimerais féliciter le sénateur Tkachuk pour les efforts qu'il a déployés dans le cadre de la présentation de cet important projet de loi. Il a été fort bien présenté.

J'ai une série de questions portant sur un seul sujet, soit les jugements. Normalement, lorsque l'on retient les services d'un avocat pour introduire une instance, il lance la poursuite et, à la fin, un jugement est rendu, ce qui donne lieu à une compensation monétaire ou autre. Si la personne concernée ne réside pas au Canada, on doit trouver une façon d'obtenir cette somme réciproquement. Dans le cas des ordonnances alimentaires, il existe des ordonnances et des arrêts alimentaires réciproques. Dans le cas des jugements, les États accordant la réciprocité peuvent établir des ordonnances réciproques.

Vous ajoutez un tout nouvel article à la suite du paragraphe 12.1 de la Loi sur l'immunité des États. Si je comprends bien, à la suite d'un jugement, deux ministères, soit le ministère des Finances et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, pourront recourir à tous les moyens nécessaires pour vous aider à faire appliquer le jugement.

Pouvez-vous apporter quelques éclaircissements? De quels moyens ces ministères disposent-ils? Qu'arrive-t-il s'ils refusent de prêter main-forte? Les ministères en question pourraient refuser leur soutien étant donné que leur appui pourrait mettre en péril les relations qu'ils entretiennent avec l'État accordant la réciprocité ou avec l'État en question.

M. Blumenfeld : Selon la disposition du paragraphe 12.1 à laquelle vous faites référence, les ministres doivent aider « dans toute la mesure du possible ».

Le sénateur Oliver : Qu'est-ce que cela signifie?

M. Blumenfeld : La décision revient au tribunal. Le libellé de plusieurs lois contient des expressions comme « raisonnable », « raisonnablement possible ». Le ministère peut ainsi se pourvoir en justice afin d'énoncer les raisons pour lesquelles il ne lui est pas raisonnablement possible de prêter main-forte. Au bout du compte, le gouvernement est assujetti à la compétence de la cour canadienne, qui se prononce sur ce type de questions.

Le sénateur Oliver : Qu'en est-il de la victime qui a obtenu par jugement la somme de 2 millions de dollars? Qu'arrive-t-il à cette personne qui attend de recevoir son argent?

M. Blumenfeld : Cela n'a jamais empêché les victimes d'intenter des poursuites judiciaires, qui sont lourdes et complexes aux États-Unis.

Le sénateur Oliver : Les États-Unis ont-ils réussi à faire appliquer un jugement contre des pays étrangers?

M. Blumenfeld : Le gouvernement libanais a versé plus de trois milliards de dollars aux familles des victimes de l'attentat de Lockerbie, et d'autres victimes ont été dédommagées aux États-Unis. Ce n'est pas seulement une question de perception, mais aussi de reddition de comptes. C'est très important.

Le sénateur Oliver : Qu'arrive-t-il si le ministre des Finances et le ministre des Affaires étrangères décident de ne pas apporter leur aide par crainte de nuire aux relations internationales avec le pays en question?

M. Blumenfeld : Il revient aux tribunaux de déterminer si les ministères sont tenus d'agir. Les deux parties devront présenter leurs observations, puis devront se conformer à la décision rendue par le juge.

Nous avons remis une autre version du projet de loi, qui comporte quelques petits changements, notamment à cet article.

La présidente : À qui avez-vous remis cette version, monsieur Blumenfeld?

M. Blumenfeld : Au greffier du comité, si je ne m'abuse.

Un mot a été retiré de l'article dont vous parlez, sénateur Oliver. Auparavant, le projet de loi prévoyait que les ministres doivent aider le créancier bénéficiaire du jugement à identifier et à localiser les biens ou à exécuter le jugement contre ces biens. La notion d'exécution du jugement a été éliminée. Le but est d'amener les ministères à communiquer l'information dont ils disposent. Il reviendra au créancier bénéficiaire de voir à l'exécution du jugement.

De façon générale, des enquêtes seront menées avant le début des poursuites pour déterminer si les États ont des biens au Canada ou ailleurs, ce qui est sans doute l'une de vos préoccupations. Les pays visés ont tendance à investir dans les pays occidentaux comme le nôtre, car ils savent que la primauté du droit y est respectée, ce qui protège les marchés.

Si le projet de loi a pour effet de permettre aux victimes d'obtenir un dédommagement, tant mieux. Si la crainte de voir leurs actifs saisis donne aux États une autre raison de ne pas participer à des activités terroristes, c'est une bonne chose aussi.

Le sénateur Tkachuk : Il existe de nos jours ce que nous appelons les fonds souverains. Un grand nombre des pays concernés investissent de l'argent dans des pays qu'ils jugent sûrs, comme les démocraties occidentales, qui sont souvent les victimes d'actes de terrorisme. Les victimes ont donc définitivement l'occasion d'obtenir un dédommagement si les tribunaux jugent l'État en question responsable.

Le sénateur Cowan : Pour donner suite au propos du sénateur Oliver, il me semble, à la lumière de ce qui a été dit et des articles mentionnés, que les objectifs, bien que louables, peuvent donner à tort aux demandeurs canadiens un sentiment de sécurité ou d'optimisme en leur faisant croire qu'à la fin du processus, le gouvernement interviendra pour les aider à obtenir un dédommagement. Il est possible d'imaginer toutes sortes de raisons géopolitiques que le gouvernement peut invoquer pour refuser d'intervenir en leur nom pour des « motifs confidentiels ».

Y a-t-il un risque qu'en tentant par ce projet de loi de prévenir et de combattre le terrorisme, nous créions un sentiment d'optimisme chez les demandeurs canadiens, qui auront ensuite l'impression que nous les avons laissés tomber lorsqu'ils n'obtiendront pas leur argent ou une autre forme de réparation? Cette situation s'est déjà produite, et le sénateur Oliver l'a déjà vécu dans sa pratique. Les gens obtiennent un jugement en leur faveur et pensent que le dossier est réglé, même si ce n'est que le début de la fin. Au bout du compte, lorsque ces personnes n'obtiennent pas ce qu'elles pensaient, elles s'en prennent aux avocats, aux juges et à la société.

Bref, j'aimerais obtenir vos commentaires à savoir si l'on suscite des attentes de façon déraisonnable parmi le public.

Le sénateur Tkachuk : C'est un risque qui en vaut la peine.

Le sénateur Cowan : Je ne dis pas le contraire, sénateur.

Mme Saperia : Pour commencer, comme l'a dit M. Blumenfeld, l'organisme pour lequel nous travaillons représente des victimes canadiennes d'actes de terrorisme. Ces personnes défendent le projet de loi. J'ai appris à très bien connaître nombre d'entre elles. L'une de ces victimes est ici parmi nous.

Ces victimes nous ont parlé de la capacité de recouvrer un dédommagement. Cependant, la capacité ou non de recouvrement ne doit pas être considérée comme un facteur prépondérant en ce qui concerne le projet de loi. Dans toute poursuite en responsabilité, il y a toujours un risque que la personne n'obtienne pas gain de cause ou, le cas contraire, que les actifs soient insuffisants. Les demandeurs et leurs avocats doivent étudier la situation avant d'intenter des poursuites coûteuses.

Peu importe si les victimes réussissent à faire exécuter le jugement, le projet de loi apporte des avantages très importants. Le recours en droit civil est un facteur de dissuasion efficace et donne aux victimes un sentiment de justice. Ces poursuites permettent de dénoncer les parrains d'actes terroristes et de les tenir responsables en droit civil. Le processus de communication met à jour le parrainage illégal que ces États tentent de cacher. Il permet aussi d'établir de façon publique la victimisation des personnes touchées et que la société rejette ce genre de conduite.

De plus, en cas d'instances criminelles, la victime n'a rien à dire et son rôle est minime, contrairement aux poursuites civiles, où la victime tient les rênes. Il est important de mettre en place des mécanismes qui permettent aux victimes de participer activement à la recherche de la justice.

Le sénateur Baker : Puisque la question a été posée par un professeur de droit, je suppose qu'il en connaît la réponse, et les témoins voudront peut-être présenter leurs observations. Il n'est pas inhabituel qu'un gouvernement refuse d'exécuter un jugement rendu par les tribunaux. Dans ce cas, on peut obtenir une ordonnance de mandamus d'un tribunal de première instance afin d'obliger le gouvernement à exécuter le jugement prononcé contre lui. C'est peut-être une possibilité.

M. Blumenfeld : Il y a ici des avocats qui ont une plus grande expérience que moi des procès civils. Je pratique le droit depuis nombre d'années. Si l'opposant n'est pas une entreprise connue, je mène habituellement, avant même de commencer, des recherches afin de déterminer quels sont ses actifs. On obtient une bonne idée assez rapidement. D'ailleurs, tout bon avocat se doit d'expliquer les issues possibles à ses clients.

Le sénateur Cowan : À cette étape, les clients disent toujours que ce n'est pas une question d'argent, mais de principe. Plus ils insistent sur le principe de la chose, plus ils veulent en réalité de l'argent, n'est-ce pas vrai?

La présidente : J'ai de la difficulté à comprendre. D'abord, je tiens à préciser que je ne parle pas de la motivation, des raisons ou des objectifs, qui sont très louables. J'essaie de comprendre les motifs qui sous-tendent certaines propositions. Je vais combiner mes deux questions, car je crois que la réponse est interreliée. Je vous demande d'être patients si je ne suis pas claire.

Je constate que vous changeriez l'expression « comportement terroriste » pour parler de parrainage. Je vais reprendre certains des points soulevés par le sénateur Andreychuk lors de sa première question et par le sénateur Baker.

Certains d'entre nous ont assisté à des réunions de comité sans fin, que ce soit avant ou pendant l'étude ou l'examen du projet de loi. Nous avons repassé la question très souvent. La Loi antiterroriste et certaines des dispositions du Code criminel utilisent les termes « activité terroriste » et « groupe terroriste ». Ces concepts ont été étudiés et sont relativement bien établis. Même s'il s'agit de la Loi sur l'immunité des États et non pas du Code criminel, ne serait-il pas préférable de s'en tenir aux termes qui, dans une certaine mesure, sont déjà établis?

Ma seconde question, qui comme je l'ai dit est peut-être liée à cela, concerne le problème des entités listées. Ma question est double. N'aurait-il pas été plus simple de s'en référer au paragraphe 83.05(1) du Code criminel, qui porte sur les entités listées comme étant associées au terrorisme et qui propose en quelque sorte une définition de ce type d'organisation? Si l'on s'en réfère à l'article 83.01 — ce qui me semble davantage en phase avec ce que vous vouliez faire — pourquoi faire référence aux entités en tant qu'inscrites à la liste? Pourquoi n'y pas faire directement référence en tant que groupes ou activités terroristes purement et simplement?

Comprenez-vous ce que j'essaie de dire, d'une manière pas très cohérente j'en conviens? Dans l'affirmative, pouvez- vous élaborer?

Le sénateur Tkachuk : Ce projet de loi est à l'étude depuis déjà un certain temps, notamment au Sénat. Le texte initial tel qu'il a été proposé par la Canadian Coalisation Against Terror a certes été habilement formulé par des gens fort brillants, mais d'autres gens très brillants nous ont aidés à formuler des révisions qui pourraient contribuer à éclaircir certains points. C'est pourquoi nous avons proposé des modifications, dont copie a été dûment remise au greffier.

La présidente : Désolée. J'avais effectivement reçu copie du document. Mais il y avait une tonne de dossiers à compulser avant la séance et je n'ai pas eu le temps d'arriver à celui-ci. Je pense que les autres sénateurs étaient dans le même cas.

Le sénateur Tkachuk : Les documents ont été envoyés à l'avance.

M. Blumenfeld : Pour commencer par votre dernière question, la définition de « groupe terroriste » comporte deux aspects. Dans le paragraphe 83.01(1), le terme « groupe terroriste », est défini comme il suit :

a) Soit une entité dont l'un des objets ou l'une des activités est de se livrer à des activités terroristes ou de les faciliter;

b) soit une entité inscrite.

On voulait, en formulant les choses ainsi, que les entités inscrites à la liste correspondent à un groupe bien défini. Il faut pouvoir montrer que l'État concerné a parrainé ou soutenu l'une des quarante entités listées. S'agissant du point a), on peut arguer que le groupe X pourrait être visé par cette catégorie alors qu'il fait l'objet d'une simple assertion ou d'une allégation. Si une définition se réfère uniquement au sens commun, il se peut que le juge ne soit pas d'accord. L'idée était de mieux cerner la définition d'entité inscrite à la liste. C'est dans cette optique que cette définition a été adoptée.

Il est certain qu'il faut peaufiner tout cela et que la suggestion du sénateur Fraser concernant l'utilisation du terme « groupe terroriste » pourrait être intéressante et mériterait d'être étudiée de plus près.

Mme Saperia : S'agissant du choix du terme « entité inscrite à la liste » dans les définitions, nous avons essayé de concilier l'impératif du plus grand accès possible à la justice et la nécessité de prévenir les actions vexatoires et de protéger la politique étrangère canadienne.

Si l'on en croit M. Blumenfeld, la liste des entités associées au terrorisme est une liste complète et la définition est très claire. Ainsi, il n'y aura pas d'ambiguïté sur la question de savoir si le gouvernement canadien doit considérer ou pas un groupe donné en tant que groupe terroriste. Dès lors qu'une entité donnée figurera sur la liste des groupes terroristes, il sera inadmissible pour un État étranger de lui fournir sciemment toute forme de soutien matériel. On veut ainsi éviter les actions vexatoires et s'assurer que la loi sera aussi étanche que possible.

La présidente : Prenons l'exemple d'un groupe qui s'appellerait le Front de libération nationale de la Claque orientale et dont le nom ne figurerait pas encore sur la liste des entités associées au terrorisme, alors qu'il serait d'ores et déjà établi qu'il s'agit bien d'un groupe terroriste reconnu comme étant criminellement responsable d'un attentat à l'avion ayant causé la mort de 150 personnes.

Notre objectif, avec ce projet de loi, n'est-il pas de permettre aux familles des victimes de poursuivre une telle organisation, qu'elle figure ou non sur la liste des entités à vocation terroriste, et de poursuivre les États étrangers qui lui apportent leur soutien, financier ou autre, notamment en hébergeant des individus qui se sont livrés à des actes terroristes, et autres délits assimilés, prévus au Code criminel? Est-ce bien cela?

Mme Saperia : Dans ce cas, cette organisation devrait être listée comme étant associée au terrorisme.

Je pourrais ajouter un contre-exemple à celui que vous venez de donner : celui d'une organisation qui serait considérée comme terroriste par un segment de la société alors qu'il ne serait pas perçu comme tel par le reste de la population. Je crois qu'il serait inquiétant de voir un État étranger poursuivi par un tribunal canadien pour avoir soutenu une organisation qui ne serait pas considérée comme organisation terroriste par l'ensemble de la société canadienne.

Le sénateur Tkachuk : Dans ce cas particulier, on pourrait poursuivre l'organisation en question mais pas l'État étranger.

La présidente : Et il faut compter avec la Loi sur l'immunité des États.

Le Claquistan a financé le Front de libération nationale. Cela devient de plus en plus hypothétique, mais j'admets que votre observation est pertinente, madame Saperia. C'est un point intéressant.

M. Blumenfeld : J'aimerais parler de l'autre définition. Selon vous, l'expression « activité terroriste » est déjà traitée par le Code criminel et est un terme reconnu.

Si je me rappelle bien — et ce serait facile à vérifier — le projet de loi initial visant à modifier la Loi sur l'immunité des États utilisait le terme d'« activité terroriste ». Or, si mon souvenir est bon, certains ministères nous ont dit qu'il serait préférable d'utiliser une autre expression afin d'éviter la confusion. On a donc mis « conduite terroriste ». Cela semble du pareil au même, mais bon.

Dans la nouvelle version du projet de loi, qui contient quelques modifications mineures, le terme proposé est celui de « soutien des terroristes ». On part du principe que la Loi sur l'immunité des États parle des États qui soutiennent les groupes terroristes de la manière indiquée. C'est pourquoi le mot « soutien » semble le terme le plus approprié. Mais toutes ces considérations relèvent des dernières mises au point à apporter à la version finale.

Mme Saperia : Le problème avec le terme d'« activité terroriste » est que nous utiliserions la même expression pour deux définitions différentes. C'est pourquoi la définition que nous donnons, s'agissant de la levée de l'immunité des États, n'est pas celle que donne le Code criminel. Il s'agit de l'étape 2.

L'étape 1 correspond à une définition très spécifique. Il nous semblait donc logique de la faire figurer clairement comme terme distinct, pour éviter toute confusion. Je n'ai rien contre le terme de « conduite terroriste », mais le terme de « soutien des auteurs d'acte de terrorisme » est plus spécifique et plus conforme à la définition. Mais je veux bien m'en remettre à vous pour cela.

La présidente : Selon moi, quoi que vous fassiez, il y aura toujours des gens qui trouveront à redire.

Le sénateur Oliver : Question complémentaire. Sénateur Tkachuk, avez-vous un exemplaire du projet de loi avec les diverses modifications qui y ont été apportées depuis qu'il a été présenté au Sénat? Nous avons appris cet après-midi qu'un certain nombre de mots avaient été modifiés.

Le sénateur Tkachuk : Nous n'avons pas distribué le document avec tous les changements que nous aimerions apporter parce qu'on n'a pas eu le temps de préparer la version française. Dès que nous aurons le document dans les deux langues officielles, nous vous en ferons parvenir une copie.

La présidente : Je croyais que vous demandiez une version annotée des diverses versions du projet de loi.

Le sénateur Oliver : Non, ce n'est pas ce que je demandais. Ce serait bien si on avait tout cela dans un seul et même projet de loi.

La présidente : Il s'agit à toutes fins pratiques d'un seul projet de loi.

Le sénateur Tkachuk : Sénateur Oliver, nous ne pouvons pas avoir deux projets de loi distincts devant le Sénat. Nous avons un projet de loi et nous aurons quelques modifications à proposer dans les deux langues officielles.

La présidente : Entre-temps, il y a une version anglaise du document avec les propositions qui seront faites pour la version qui sera publiée dans les deux langues officielles.

Le sénateur Cowan : J'aimerais savoir comment vous avez l'intention de procéder, sénateur Tkachuk. Avez-vous l'intention de nous proposer ces modifications lorsque vous reviendrez devant le comité?

Le sénateur Tkachuk : Oui. Vous avez un exemplaire à titre officieux, et lorsque les versions anglaise et française seront disponibles, nous les déposerons devant le comité.

La présidente : Merci à tous. Il sera très intéressant d'étudier tout cela. Nous vous remercions d'avoir pris l'initiative de ce projet.

La séance est levée.


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