Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 6 - Témoignages du 26 mai 2008
OTTAWA, le lundi 26 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 h 1 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi.
Le sénateur Andrée Champagne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis le sénateur Andrée Champagne, du Québec. Je suis la vice-présidente de ce comité et je préside ce soir en l'absence du sénateur Maria Chaput, du Manitoba, notre présidente. D'ailleurs, je suis certaine que vous vous joindrez à moi pour lui offrir nos meilleurs souhaits de prompt rétablissement.
J'aimerais d'abord vous présenter les membres du comité. À ma droite, le sénateur Rose-Marie Losier-Cool, du Nouveau-Brunswick, de l'autre côté, le sénateur Gerald J. Comeau, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Yoine Goldstein, du Québec et le sénateur Jim Munson, de l'Ontario.
Permettez-moi de vous présenter nos trois témoins invités à prendre part à la table ronde ce soir. Tout d'abord, Mme Lise Leblanc, directrice générale de l'Association des groupes en arts visuels francophones, M. Mark Chatel, président de l'Alliance des producteurs francophones du Canada et à droite, M. Yvon Malette, président du Regroupement des éditeurs canadiens-français.
La table ronde d'aujourd'hui a pour objectif d'étudier l'état de la culture francophone au Canada, plus particulièrement dans les communautés francophones en situation minoritaire. L'ensemble des témoins aujourd'hui représente les associations nationales du secteur des arts et de la culture. Nous avons déjà rencontré la majorité des associations communautaires du Canada, les organismes gouvernementaux et le Centre de la francophonie des Amériques.
Madame et Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de vous être déplacés pour comparaître aujourd'hui. Je vous invite maintenant à prendre la parole. Je pense que tout le monde comprendra si je suggère que nous commencions avec Mme Leblanc.
Lise Leblanc, directrice générale, Association des groupes en arts visuels francophones : Madame la vice-présidente, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. J'ai passé près de 20 ans à la Fédération culturelle canadienne-française. Je viens de la quitter pour m'investir à l'AGAVF et je vais vous expliquer pourquoi je crois qu'il y a dans ce secteur un potentiel important pour le développement des communautés francophones.
L'AGAVF regroupe 16 membres répartis à travers quatre provinces : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Ontario et le Manitoba. Les membres sont des collectifs et centres d'artistes en production et en diffusion — il y en a une dizaine —, les galeries universitaires, une à Moncton et une à Glendon, Toronto, une galerie communautaire à Saint-Boniface et trois associations d'artistes, dont le Bureau des regroupements des artistes visuels en Ontario (BRAVO), l'Association acadienne des artistes professionnels du Nouveau-Brunswick (AAAPNB) et tout récemment, le Conseil des arts de la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse. Dans les provinces où il n'y a pas d'organismes francophones dédiés aux arts visuels, l'AGAVF accepte l'adhésion d'artistes individuels et travaille en étroite collaboration avec les organismes culturels provinciaux pour faire ce développement.
Le secteur des arts visuels est complexe, méconnu et en mutation. Comme le reste de la population canadienne, la francophonie canadienne a une culture visuelle limitée, on pourrait même dire qu'elle est à des années-lumière par rapport à la pratique actuelle contemporaine. Les grands musées carburent encore à Renoir, tandis que la Biennale de Venise accueille des artistes en installation et en performance. Le langage visuel est codé et peu de personnes en possèdent les clés. D'ailleurs, le Sommet sur les arts visuels, tenu à Ottawa en novembre dernier, a exprimé le besoin de mettre en place des programmes d'éducation à tous les niveaux. C'était un défi de taille. À titre d'exemple, on parle encore de dessin quand en fait, les jeunes sont aux graffitis, au tag et à la création assistée par ordinateur avec des logiciels sophistiqués.
Pourquoi je pense que c'est un secteur qui offre présentement plusieurs pistes intéressantes pour la francophonie canadienne? Trois choses qui sont un peu liées : l'interdisciplinarité, la jeunesse et la modernité.
C'est par le secteur des arts visuels que l'interdisciplinarité a vu le jour et c'est aussi vers cette interdisciplinarité qu'on pointe la direction de l'avenir, comme pour le métissage. L'importance du phénomène a amené le Conseil des arts du Canada (CAC) à se doter d'un Bureau Inter-arts et il y a un très bon discours de Simon Brault, vice-président du CAC à ce sujet — je vous invite à le lire. Donc, en intégrant les disciplines déjà nombreuses des arts visuels qui sont la peinture, la sculpture, la photographie et l'estampe à d'autres comme la musique, la vidéo, la poésie, le théâtre et la danse, le secteur des arts visuels montre la voie et permet de tisser des liens intersectoriels dans la communauté artistique. Cela permet de sortir un peu du fonctionnement en silo, souvent dénoncé par le milieu artistique, et cela permet aussi une meilleure compréhension du fonctionnement des uns et des autres. Une meilleure cohésion du milieu et un sentiment plus fort de communauté artistique.
En ce qui concerne la jeunesse, la série de forums menés par la gouverneure générale Michaëlle Jean sur l'art urbain et les jeunes est un exemple qui nous a beaucoup inspirés. Les nouvelles formes d'expression souvent marginalisées, comme le hip-hop, la poésie slam ou encore le graffiti, sont des signes de contemporanéité qui renouvellent les façons de faire et de voir le monde propre à chaque génération. Parmi les membres de l'AGAVF, il y a plusieurs exemples de cette modernité. On peut penser à la Galerie Sans Nom, à Moncton, qui fête cette année ses 30 ans, qui est dirigée par une équipe de jeunes de 30 ans qui organisent depuis plusieurs années un événement qui s'appelle le Trip Urbain et qui déploient dans la ville des manœuvres et des interventions dans le cadre de la Francofête de Moncton, ou encore la Galerie SAW, ici à Ottawa, qui a justement accueilli le forum de la gouverneure générale et qui prépare Moncton Rock, du 12 au 15 juin, dans le cadre du Westfest, la Galerie du Nouvel-Ontario qui organisait la première foire d'arts alternatifs de Sudbury en marge du Salon du livre, du 4 au 7 mai dernier, sur un modèle qui a déjà été adopté à Toronto.
Donc partout, les jeunes utilisent l'art, la culture pour se dire. Ils utilisent tous les médiums, donc c'est important que ces signes de modernité soient présents dans les milieux francophones pour attirer les jeunes et réaliser la construction identitaire.
Comme plusieurs l'ont déjà dit lors des consultations du comité, en s'appuyant sur des scientifiques et penseurs comme Richard Florida, la concentration d'artistes dans une ville est gage de sa vitalité sociale et économique et c'est encore plus vrai en francophonie canadienne. Les artistes visuels s'inscrivent largement dans cet énoncé. Par contre, les artistes visuels ont de la difficulté à faire reconnaître la valeur de leur travail. On conçoit mieux un cachet d'artiste de la scène, on a plus de difficulté à offrir des cachets pour les artistes visuels pour leurs expositions.
J'aborde maintenant la question de la langue. Même si soi-disant les arts visuels ne font pas appel à la langue, ils font partie intégrante d'une société. En ce sens, les artistes et leurs institutions sont des participants à part entière du développement des communautés. C'est vrai que sur le plan individuel, les artistes s'insèrent souvent dans des galeries ou des réseaux de la majorité — c'est un choix de carrière —, mais sur le plan collectif, une communauté se doit de développer ses institutions et de tracer les grandes tendances de l'histoire de l'art, que ce soit dans la société acadienne, franco-ontarienne ou franco-manitobaine.
En conclusion, les revendications de l'AGAVF auprès du gouvernement fédéral se sont adressées principalement — et s'adressent toujours — au Conseil des arts du Canada puisque ce dernier est le bailleur de fonds majeur de la discipline de la francophonie canadienne, puisqu'on n'a pas beaucoup de musées chez nous. Par contre, elle mène aussi des revendications auprès du ministère du Patrimoine canadien — la politique des arts — et auprès du Programme d'appui aux langues officielles (PALO) au niveau des ententes dont le renouvellement est effectif dans la prochaine année.
Au niveau du CAC, on peut vous dire que malgré le PICLO et les efforts de collaboration, la situation est toujours la même qu'il y a dix ans. On est toujours à un p. 100 du financement du service des arts visuels quand d'autres secteurs sont à 5 p. 100. Je me réfère à l'étude sur le positionnement de la francophonie canadienne au sein des grandes institutions culturelles fédérales de la fédération culturelle.
Au niveau des organismes artistiques, on demande au Conseil des arts du Canada de s'appuyer sur le nouvel axe sur l'équité pour pondérer les critères des subventions aux artistes, projets d'artistes ou organismes pour tenir compte des défis reliés au fait de travailler en région, de travailler dans une communauté dite fragile ou en périphérie, et aussi pour contrer l'inégalité du financement provincial. On souhaite consolider le financement des trois centres d'artistes. Il n'y en a toujours que trois depuis dix ans et le financement n'est toujours pas consolidé. Il y en a plusieurs à venir donc on espère que le Conseil des arts du Canada pourra accueillir les nouveaux centres à projet d'abord et ensuite à fonctionnement — on y travaille — et, bien sûr, l'AGAVF voudrait obtenir une reconnaissance comme organisme national de service aux arts.
Sur le plan de la politique des arts, le financement de l'avenir en art du gouvernement fédéral a permis à la politique des arts de créer des programmes comme Présentation des arts Canada et Espaces culturels Canada, pour appuyer ses diffuseurs et l'infrastructure dans les milieux. Par contre, les programmes sont faits de sorte que les arts visuels n'y trouvent pas vraiment leur compte; c'est plus axé vers les arts de la scène. Ce n'est certainement pas une revendication que la Francophonie canadienne doit porter seule, mais s'en est une sur laquelle on s'est buté. Nos collègues de la Francophonie canadienne revendiquent un meilleur accès à ces programmes.
Bien sûr, sur le plan du programme d'appui aux langues officielles, l'AGAVF revendique — et je lève mon chapeau à ma prédécesseur — le « droit de cité » dans développement des communautés, via le programme des langues officielles, pour les raisons expliquées plus tôt. Les arts visuels ont droit de faire partie des communautés. Présentement, l'AGAVF est financée dans l'enveloppe nationale dédiée aux organismes nationaux du PALO, toutefois, il y a beaucoup de disparité au niveau des provinces. Dans le renouvellement des ententes Canada-communauté avec les provinces, il y aurait des inégalités à aplanir d'une province à l'autre.
Finalement, appuyer certainement les organismes de développement culturel dans les régions; afin qu'ils soient mieux outillés pour respecter les artistes professionnels en leur offrant des cachets et des infrastructures plus professionnelles.
La vice-présidente : Je vous remercie. Je suggère que nous entendions les trois groupes et nous pourrons ensuite passer à la période des questions.
Yvon Malette, président, Regroupement des éditeurs canadiens-français : Madame la vice-présidente, je vous remercie au nom du RÉCF de me permettre de prendre la parole aujourd'hui sur un sujet qui nous tient particulièrement à cœur.
J'ai divisé ma présentation en quatre points. Dans un premier temps, je vous indiquerai brièvement qui nous sommes et en deuxième lieu, je vous parlerai de l'aide fédérale que l'on reçoit tant du Conseil des arts du Canada que du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ). Le troisième point consistera à vous parler de nos nombreuses et constantes difficultés. Et le dernier point mettra l'accent sur nos demandes ainsi que nos attentes.
Le RÉCF a un peu plus d'une quinzaine d'années et j'en suis le président depuis cinq ans. J'arrive à la fin de mon mandat et je suis particulièrement intéressé aujourd'hui à prendre la parole, à défendre cet organisme absolument essentiel pour l'affirmation de notre identité collective.
Qui sommes-nous? Le RÉCF regroupe 15 maisons d'édition, dont trois dans l'Est canadien, au Nouveau- Brunswick, deux dans l'Ouest canadien, une en Saskatchewan, deux au Manitoba et neuf en Ontario. Toutes ces maisons d'édition, sauf le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques à Ottawa, et à Sudbury, travaillent particulièrement dans le domaine de la littérature générale. Les autres travaillent en dans le domaine scolaire. Les 13 maisons d'édition qui travaillent dans le domaine de la poésie, du roman, de l'essai, du théâtre et du livre jeunesse publient environ 110 à 120 titres par année. Vous vous demandez sûrement de ce qu'il en retourne par rapport au Québec. On pourrait laisser M. Bellemare défendre son territoire, mais il publie environ 5000 titres. Si on fait exception des deux maisons d'édition dans le domaine scolaire qui accaparent environ un million du gâteau, notre chiffre d'affaires oscille autour de 700 à 750 000 $; divisé par 13, le montant n'est pas très élevé. Ce sont des chiffres d'affaires assez minces. La plus vieille maison d'édition, Prise de parole, a 35 ans. Nous sommes relativement jeunes. Est-ce que la qualité est au rendez-vous? Je ne vais pas vous faire la liste des prix accordés, mais il me fait plaisir de vous dire que cette année, nous sommes récipiendaires de deux des sept prix du gouverneur général, offerts chaque année. C'est une bonne moyenne. En poésie, Serge Patrice Thibodeau du Nouveau-Brunswick, et en essai, Annette Hayward.
Il ne serait pas exagéré de dire que tous les membres du RÉCF participent largement à l'affirmation d'une identité collective, à l'édification d'un patrimoine littéraire. À preuve, de plus en plus, depuis une dizaine d'années, notre littérature est enseignée dans les universités. On fait des thèses de maîtrise et de doctorat. Nous sommes présents et nous sommes pleinement conscients d'avoir une responsabilité culturelle et de participer à cette affirmation d'une identité collective avec ses accents particuliers selon les provinces, bien sûr.
Cela m'amène à vous parler du deuxième point qui est l'aide fédérale. Là, je pense qu'il faut diviser. Il faut voir cette aide fédérale pour les éditeurs et l'aide fédérale pour le RÉCF. Pour les éditeurs, il y a bien sûr deux tiroirs que l'on ouvre toujours avec intérêt chaque année pour voir ce que nous allons recevoir. Le Conseil des arts du Canada qui donne des subventions suivant la création et l'excellence, nous a attribué l'an dernier 318 000 $ ce qui représente un pourcentage de 4,5 p. 100 de l'enveloppe budgétaire. Le PADIÉ a donné des subventions à ceux qui en ont fait la demande. Certains éditeurs ne font pas la demande parce que le volume de vente n'est pas assez élevé. Le PADIÉ donne ses subventions selon le volume de vente et si ce dernier oscille entre 18 000, 25 000 et 35 000 $, les éditeurs n'y voient pas l'intérêt et c'est malheureux. L'an dernier, on a reçu 149 000 $, ce qui représentait 0,6 p. 100 au lieu du 0,4 p. 100 de l'enveloppe budgétaire de l'année précédente. C'est une bonne augmentation parce que le coefficient de pondération a changé.
Le RÉCF a obtenu 73 000 $ du Conseil des arts du Canada l'an dernier, du PADIÉ, 170 000$ et du PALO 78 000$.
Avant de conclure sur ce deuxième point... Est-ce que le temps est limité?
La vice-présidente : Nous souhaitons ne pas dépasser 10 à 15 minutes pour qu'après nous puissions poser des questions.
M. Malette : D'accord. Je vais donc passer immédiatement au troisième point, les difficultés rencontrées. Il y a d'abord la taille du marché. Il faut le souligner, même rapidement, qu'on travaille dans des marchés restreints. La population est diversifiée à travers le Canada, on n'a pas de réseau de librairies ou de médias. Donc on travaille dans des conditions difficiles. L'analphabétisme est assez élevé, il ne faut pas se le cacher. L'anglicisation, les chiffres sont là, c'est inquiétant.
Une étude de Patrimoine canadien publiée en 2005 disait qu'on avait quatre fois moins de lecteurs canadiens- français vivant en situation minoritaire. Donc 3 p. 100 de bons lecteurs, par rapport à 13 p. 100 au Québec.
La taille des marchés est difficile ainsi que la taille des structures, car nous sommes des petits joueurs. Il y a environ un an, lors du Salon du livre de l'Outaouais, bien sûr l'Est ontarien était à l'honneur. Un journal montréalais que je ne nommerai pas — dont M. Claude Ryan a été longtemps le directeur — a publié 32 recensions critiques dans un cahier spécial pour le Salon du livre de l'Outaouais. Il y en avait sept sur le Québec et un sur l'Ontario. Les autres, c'était surtout de la littérature étrangère.
Cela vous montre jusqu'à quel point on travaille dans des situations difficiles, surtout lorsque nous sommes en milieu minoritaire. Il y a aussi l'importance de l'aide gouvernementale. Si on regarde ce que SODEC donne à ses maisons d'édition et ce que l'Ontario reçoit de SODIMO, il n'y a pas de comparaison.
Enfin, il y a l'absence d'encadrement politique qui représente un problème sérieux. On aura sans doute l'occasion d'y revenir tantôt durant la période des questions. On n'a pas de Loi 51 qui protège les éditeurs et les livres publiés au Québec.
Quelles sont nos demandes? Le Conseil des Arts, le PADIÉ et les éditeurs avons le même mandat : affirmer et travailler à cette identification collective. Nous en publiant des livres, en construisant un patrimoine littéraire et vous, en nous accordant l'aide financière dont on a tant besoin.
Je soulignais tantôt le PADIÉ, le 0,6 p. 100 de l'enveloppe budgétaire. Si seulement on pouvait recevoir 1,5 p. 100 ou 2 p. 100 de plus, je partirais aujourd'hui extrêmement heureux. Si j'avais la conviction qu'on allait travailler vers cet objectif, ce serait énorme.
Notre deuxième demande, bien sûr toujours dans le respect des compétences provinciales, c'est que le fédéral nous donne un petit coup de main pour favoriser l'élaboration de politiques de livres. Le Nouveau-Brunswick l'a fait, l'Ontario commence à y penser, et on aimerait bien pouvoir sentir l'appui du fédéral. Il faudra voir comment cela peut être orchestré et articulé.
Troisièmement, nous demandons votre appui et votre aide pour brasser les médias. Je pense ici à Radio-Canada, mais immédiatement je m'empresse de leur donner « un coup d'encens », cependant, parce qu'avec la création du Prix des lecteurs, surtout qu'il est devenu pancanadien cette année, je n'hésite pas à dire sur la place publique que c'est devenu le prix le plus médiatisé et le mieux médiatisé.
Cette contribution de Radio-Canada est importante, mais je pense qu'on peut en faire beaucoup plus sur le plan des émissions culturelles. Je m'excuse d'avoir peut-être abusé de mon temps, mais voilà assez brièvement ce que je voulais vous dire.
La vice-présidente : Vous avez utilisé deux acronymes à quelques reprises, soit le PADIÉ ainsi qu'un autre. Pour ceux qui ne connaissent pas totalement ce dont vous parliez, que signifient les lettres?
M. Malette : Le PADIÉ, c'est le Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition.
La vice-présidente : Et le PALO?
Mme Leblanc : C'est le Programme d'appui aux langues officielles.
La vice-présidente : Je pense que cela facilite les choses pour tout le monde. Accueillons maintenant, de l'Alliance des producteurs francophones du Canada, M. Mark Chatel.
Mark Chatel, président, Alliance des producteurs francophones du Canada : Madame la vice-présidente, je suis président de l'Alliance des producteurs francophones du Canada depuis décembre dernier. C'est donc un grand honneur de vous parler aujourd'hui. Je tenterai de vous expliquer la situation que vivent les producteurs et notamment les producteurs de télévision, de cinéma et de nouveaux médias.
L'Alliance des producteurs francophones du Canada existe depuis 1999 et célébrera son dixième anniversaire l'an prochain. Elle regroupe environ 11 maisons de production qui sont réparties dans cinq provinces : la Colombie- Britannique, l'Alberta, le Manitoba, l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. Je pense que c'est important de comprendre que les images télévisuelles actuelles parlent et donnent au public canadien et aux francophones hors Québec le sentiment de vraiment exister; lorsqu'ils se reconnaissent à l'écran ou lorsqu'ils peuvent se voir à travers des émissions de télévision et au cinéma. Notre réalité, au Canada c'est qu'il y a une dualité linguistique d'un océan à l'autre. La partie VII de la Loi sur les langues officielles est très importante pour nous et l'on espère profiter de cette disposition particulière pour consolider nos acquis qui sont, disons-le, assez fragiles. Nous avons toutefois, connu une période de croissance depuis 2003, année qui a été fatidique, qui aurait pu voir la disparition des entreprises de production télévisuelle, alors qu'il y avait vraiment un sous-financement des productions pour la production indépendante en milieu minoritaire.
Le comité de la Chambre des communes sur les langues officielles a recommandé que 15 p. 100 de l'argent dépensé en audiovisuel soit attribué à la production en milieu minoritaire. Et suite à cette recommandation, nous avions obtenu 10 p. 100 de tous les fonds publics dépensés à l'extérieur du Québec, et cette disposition a vraiment permis de passer d'un chiffre d'affaires global de 9 millions de dollars en 1999 à 18 millions de dollars en 2007. C'est le volume d'affaire de l'ensemble des producteurs situés à l'extérieur du Québec et on n'aurait donc pas pu voir cet envol et cette percée sans cette recommandation très claire du comité permanent.
Évidemment, il y a beaucoup de défis à relever au quotidien. Je suis moi-même un producteur de télévision basé ici à Ottawa, et je peux vous dire que la réalité des producteurs francophones, alors que j'habitais au Québec autrefois, ne me rejoignait pas nécessairement et je peux comprendre qu'il y a bien des Québécois qui ignorent la réalité que vit le un million de francophones vivant à l'extérieur du Québec.
J'ai récemment produit une émission de télévision qui ciblait les jeunes, et qui a été diffusée sur la chaîne de TFO, la chaîne éducative en Ontario. Cette émission, qui s'appelait Mon premier emploi, portait sur les 9-12 ans et montrait de jeunes adolescents qui occupaient des emplois d'été en français. Certains jeunes Franco-Ontariens de 9-12 ans m'ont dit qu'avant de voir cette émission, ils ne savaient qu'à leur adolescence, ils pourraient travailler dans leur langue. Et c'est cela l'impact que peuvent avoir la télévision, les nouveaux médias et le cinéma sur les réalités francophones à l'extérieur du Québec. Lorsque les jeunes se voient à l'écran, ils existent; s'ils ne se voient pas, ils n'existent pas. C'est la raison pour laquelle nous faisons beaucoup de pressions afin que les télédiffuseurs, notamment ceux qui demandent des licences nationales — les télédiffuseurs publics comme Radio-Canada, ou privés comme TVA —, aient cette obligation de refléter la réalité des francophones hors Québec. Et tant qu'à y être, on pourrait même les obliger que ce soit 15 p. 100 de leur programmation puisqu'un million de francophones représentent 15 p. 100 de la population canadienne francophone, et que 15 p. 100 de leur programmation porte sur cette réalité francophone hors Québec.
Nous espérons que justement, lors du renouvellement des licences télévisuelles de ces deux télédiffuseurs principalement, qui aura lieu cet automne — et l'an prochain, pour ce qui est de Radio-Canada —, que le CRTC impose à ces télédiffuseurs cette obligation qui, clairement, ajouterait au paysage télévisuel canadien.
L'autre réalité que nous vivons, c'est l'éloignement des grands centres, des prises de décisions par les chaînes de télévision. Au quotidien, c'est quelque chose qui nous désavantage. L'autre désavantage, c'est aussi le manque de ressources humaines — de techniciens, de réalisateurs, de scénaristes francophones. Et heureusement que certains programmes, créés par des programmes interministériels de collaboration pour les langues officielles, ont permis en association notamment avec l'ONF, Radio-Canada, Téléfilm Canada, la formation de réalisateurs, de scénaristes. Ces projets ont eu du succès et ont permis la production de fictions et de courts métrages qui ont été diffusés à l'antenne de Radio-Canada.
Il y a eu quatre expériences de ce genre qui ont été très salutaires parce qu'elles ont permis à des réalisateurs et à des scénaristes hors Québec de se faire la main et d'apprendre le métier. Nous espérons que ces partenariats essentiels continueront d'exister.
Évidemment, l'avenir du Fonds canadien de télévision nous préoccupe énormément; on saura dans quelques semaines ou quelques jours ce qu'il en adviendra. Et la position de l'Alliance des producteurs francophones du Canada est clairement une forme de statu quo. On n'est certainement pas pour la division en deux fonds privés publics de ces sommes. Nous voulons permettre un système de télédiffusion canadien fort avec des émissions de qualité. Pour nous, le critère des cotes d'écoute n'est pas nécessairement un critère sur lequel on peut se baser lorsque l'on produit à l'extérieur du Québec.
Je vous donnais plus tôt l'exemple des jeunes qui se reconnaissent à l'écran et qui, pour eux, leur donne une raison de continuer à parler en français. Mais si on avait évalué le succès de cette émission sur des cotes d'écoute, à TFO, on aurait probablement dit que cela ne rejoint pas les standards. On n'aurait donc pas atteint l'objectif.
Donc pour nous, en ce qui concerne cette rhétorique et cette obsession autour des cotes d'écoute, on suggère qu'il y ait une nouvelle façon d'évaluer le succès des émissions, sur des bases plus qualitatives que quantitatives. C'est très important. On espère que nous maintiendrons cette place assurée dans le système de financement des émissions. Nous demandons que la recommandation de 2003 du comité parlementaire soit atteinte, donc que 15 p. 100 des fonds publics soient investis en productions indépendantes à l'extérieur du Québec. Nous avons des difficultés à joindre les deux bouts et à maintenir une certaine vitalité, et notre éloignement et le manque de ressources humaines font que nous avons besoin de plus de moyens pour nous épanouir et bâtir cette infrastructure cruciale à l'épanouissement de ces entreprises de production qui, vraiment, sont de tous les genres : émissions jeunesse, documentaires, séries dramatiques et émissions de variétés. Nous faisons dans tous les genres. La qualité est vraiment, de façon impressionnante, reconnue comme étant égale à celle que l'on retrouve au Québec.
Nous avions autrefois, il y a deux ans encore, un siège sur le conseil d'administration du Fonds canadien de télévision, qui nous était accordé par le ministère de Patrimoine canadien. Ce siège nous a été retiré suite à une recommandation de la vérificatrice générale qui disait qu'il y avait possibilité d'un conflit d'intérêts en ce qui nous concerne. Sauf que la réalité est que pratiquement tous ceux qui siègent au Fonds canadien de télévision pourraient être dans cette situation de conflit d'intérêts. C'est comme l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ) ou à la Canadian Film and Television Production Association (CFTPA) où tout le monde, finalement, a des objectifs reliés aux maisons de production et à l'industrie de production.
Donc pour nous, il est vital d'être sur ce conseil d'administration afin d'éviter d'être dans un ghetto, mais plutôt suivre l'évolution des dossiers, savoir ce qui se passe. Je peux rapidement vous donner un exemple d'une mauvaise décision qui a été prise sur ce conseil d'administration et qui nous a touchés directement — on ne pense pas toujours à toutes les ramifications possibles d'une décision —, c'est lorsqu'il a été décidé que l'enveloppe du Fonds canadien serait divisée entre Radio-Canada (37 p. 100) et le reste aux autres télédiffuseurs. Dans le cas de la production hors Québec, il n'y a pas eu de lignes directrices claires qui encadraient ce 37 p. 100, alors que dans l'autre enveloppe budgétaire qui nous était destinée, il y a des balises en termes de période dans l'année où on doit dépenser cet argent, si on doit respecter certains genres, tant d'argent est dépensé en émissions jeunesses, tant en émissions documentaires, en dramatiques ou en variétés. Et dans le cas de Radio-Canada, c'était complètement ouvert, ce qui a eu comme impact que depuis quatre ans, aucune émission jeunesse n'a été produite à Radio-Canada par le secteur indépendant hors Québec. Ce qui veut dire qu'il y a une série jeunesse par année qui se fait de moins, comparativement au passé, ce que produisait l'Alliance des producteurs francophones. C'est une série de moins qui fait que les jeunes francophones ne se voient pas à l'écran. Et on accélère un peu dans le sens du phénomène d'assimilation des enfants francophones. Lorsque les décisions sont prises au conseil d'administration, c'est vital qu'il y ait des gens qui lèvent des drapeaux pour avertir que cela pourrait avoir concrètement un impact pour la francophonie hors Québec.
Je termine en vous disant qu'une autre des recommandations que nous proposons, je l'ai déjà dit, est que 15 p. 100 du contenu francophone se retrouve dans les licences des télédiffuseurs. Et que nous soyons sur tous les conseils d'administration qui touchent à la réalité du système canadien de radiodiffusion, pour nous faire entendre et vraiment protéger cet acquis qui est fragile. On espère vraiment avoir une production accrue au cours des prochaines années. Comme je l'ai déjà mentionné, je pense que depuis 2004, il y a eu de belles percées, mais en même temps, un certain effritement. Je vous remercie.
La vice-présidente : Merci beaucoup à nos trois témoins.
Le sénateur Goldstein : Merci, à vous trois d'être venus partager vos idées et vos opinions.
J'ai plusieurs questions à vous poser. Ma première question s'adresse à M. Chatel. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un autre comité du Sénat est en train d'examiner certains aspects du projet de loi C-10 qui tente, entre autres, d'établir certains critères pour le financement, par voie de crédits d'impôt, de certaines productions canadiennes.
Votre organisation est ou était absente à ces auditions. Est-ce que c'est parce que vous produisez surtout des courts métrages ou des productions qui ne sont pas susceptibles d'être financés par ces crédits d'impôt? Ou y a-t-il une autre raison?
M. Chatel : Non, nos productions sont clairement financées par les crédits d'impôt fédéraux et provinciaux. Jusqu'à maintenant, on a été un peu plus silencieux par rapport à la question parce qu'en fait, nous avions un peu la même position que l'APFTQ en ce sens que nous pensons qu'il revient plus au système judiciaire de régler les problèmes d'écarts de conduite ou de bon goût par rapport aux émissions produites.
Le problème actuel est que la définition est beaucoup trop large et laisse planer un doute immense sur le système de crédits d'impôt. Les banques ont même mentionné qu'elles peuvent remettre en cause leur financement intérimaire. La position de l'APFC est qu'il faudrait circonscrire à des cas très précis. Dans les cas de poursuites criminelles, les productions, si elles sont reconnues coupables, pourraient se voir refuser le crédit d'impôt. Dans d'autres cas, on ne peut pas imposer à l'ensemble de l'industrie une disposition très large et floue.
Le sénateur Goldstein : Madame Leblanc, je constate que l'Association des théâtres francophones du Canada a à son actif des membres de partout au Canada sauf du Québec. Y a-t-il une raison qui explique ce fait?
Mme Leblanc : Vous parlez de l'Association des théâtres francophones?
Le sénateur Goldstein : Oui.
Mme Leblanc : Je suis avec l'Association des groupes en arts visuels francophones. Effectivement, le Québec n'est pas inclus. Sauf quelques exceptions, tel le Gala de la chanson, nos associations nationales n'incluent pas le Québec. L'intention est plutôt de défendre les intérêts des francophones hors Québec.
Le sénateur Goldstein : Ne serait-il pas approprié de faire cause commune avec le théâtre québécois?
Mme Leblanc : Comme vient de le souligner mon collègue, nous menons beaucoup de revendications avec le Québec, de façon commune, sur certains dossiers. Suite au sommet de novembre 2007, une nouvelle alliance pour les arts visuels a été mise en place. Elle regroupe les 11 associations nationales, dont celle du Québec. Nous sommes donc à la même table, en train d'affiner nos revendications.
Dans le domaine des arts visuels, la CARFAC/RAAV est un organisme qui regroupe les artistes individuels. Cette association pancanadienne, incluant le Québec, vient à la défense des droits des artistes visuels. Nous y sommes associés.
Le sénateur Goldstein : Tous les efforts culturels au Canada et partout dans le monde ont constamment besoin de soutien. À part l'aide financière, est-ce que vous pouvez nous dire quelle autre forme d'aide, d'appui, d'intervention ou d'initiative les gouvernements et autres institutions étatiques pourraient apporter pour favoriser l'épanouissement des arts dans la francophonie hors Québec?
Mme Leblanc : On a souvent besoin d'appui en recherche pour suivre l'évolution. Comme M. Chatel l'a souligné, nous sommes en quête de données plus qualitatives. Notre rhétorique est toute autre que celle des grands marchés.
Également, nous sommes partie prenante à un appui en éducation. À tous les niveaux scolaires, primaire, secondaire et universitaire, l'appui est nécessaire pour favoriser une meilleure compréhension de l'art, de son importance et de l'intégration artistique dans tous ces milieux.
M. Malette : Sénateur Goldstein, votre question mentionnait outre le plan financier. J'aimerais toutefois revenir à la question financière avant d'examiner les autres aspects.
Sur le plan financier, l'aide que nous recevons est toujours utile. Toutefois, un gros problème existe. Cette aide financière n'est pas suffisante au niveau du fonctionnement. On doit prendre un pourcentage beaucoup trop élevé de ces subventions pour mener nos projets à bonne fin. On nous encourage alors à déposer un nouveau projet. On fait une autre demande, des projets intéressants pour faire connaître notre littérature à l'échelle canadienne. On reçoit une subvention de 30 000 $ ou 40 000 $, ce qui est très bien. La partie de cette subvention affectée au fonctionnement est minime. Or, les frais de gestion à l'interne sont de plus en plus grands.
Permettez-moi de citer un exemple en particulier qui me préoccupe. Au RÉCF, on n'avait pas assez d'argent pour payer le directeur général, qui a dû attendre entre quatre et six mois avant de toucher son salaire. On attendait les subventions, et pendant ce temps on n'avait pas assez d'argent pour le fonctionnement. Ces délais nous placent dans des situations extrêmement difficiles et fragiles.
S'il était possible d'obtenir des enveloppes budgétaires qui mettraient davantage l'accent sur le plan du fonctionnement, ce serait fort apprécié.
Outre le plan financier, comment pouvez-vous nous aider? Au Nouveau-Brunswick, une nouvelle politique du livre entrera en vigueur, en bonne partie grâce à Marguerite Maillet. En Ontario, on constate un effort évident de la part du ministère de l'Éducation pour encourager les jeunes étudiants des écoles secondaires à lire davantage d'œuvres d'auteurs canadiens-français et franco-ontariens. On compte 25 000 francophones dans les écoles secondaires de l'Ontario. En mars dernier, une concertation s'est tenue sur la littérature. Nous avons appris que le gouvernement ontarien aimerait que les Franco-ontariens aient lu trois livres d'un auteur franco-ontarien. Cette nouvelle a eu un effet incroyable. Bien sûr, la question est de compétence provinciale. Toutefois, si le fédéral trouvait des mesures incitatives, cela nous aiderait énormément.
Le sénateur Goldstein : Sur le réseau anglophone de Radio-Canada, le programme Canada Reads a lieu à chaque année. Ce programme vise à inciter les jeunes et moins jeunes à lire des œuvres suggérées. Les résultats de ce programme sont mesurables et significatifs. Avez-vous déjà demandé à Radio-Canada de faire de même pour les œuvres de langue française?
M. Malette : Je ne pourrais pas vous le confirmer. Cependant, le Prix des lecteurs fut créé il y a environ cinq ou six ans à Sudbury. Depuis deux ans, cet événement pancanadien permet de rejoindre un lectorat à la grandeur du pays. Il permet aussi de sensibiliser ce lectorat à de nouveaux titres publiés non seulement en Ontario, mais au Nouveau- Brunswick et dans l'Ouest canadien. Les critiques littéraires nous disent ce qu'ils pensent de ces livres. On invite aussi les lecteurs à nous faire part de leurs impressions. Les membres du jury sont d'ailleurs des lecteurs qui posent leur candidature. Nous avons reçu une centaine de candidatures cette année. On constate donc une participation de la collectivité. On a choisi, parmi ces candidatures, une dizaine de lecteurs.
En ce sens, on remarque un brassage collectif extrêmement intéressant. Pour répondre à votre question, nous n'avons pas une émission du genre Canada Reads. Toutefois, l'idée est excellente.
Le sénateur Tardif : Je tiens d'abord à vous féliciter et à vous remercier pour tout le travail que vous faites pour l'édification d'une identité collective et de notre patrimoine culturel. C'était très émouvant de vous entendre parler de vos défis.
Vous avez indiqué, monsieur Chatel, que les changements apportés à la partie VII de la Loi sur les langues officielles étaient très importants pour vous et que cela vous permettrait de consolider vos acquis.
Pourriez-vous nous dire ce que vous entendiez par là? J'aimerais également poser cette question aux autres membres de votre groupe pour savoir si vous avez vu des exemples concrets de mesures positives apportées par le gouvernement fédéral dans votre secteur.
M. Chatel : Depuis 2003, force est d'admettre que la disposition concernant la proportion de 10 p. 100 dévolue en argent à la production francophone en milieu minoritaire, — c'était d'ailleurs à l'origine une recommandation proposant 15 p. 100, bien que le Fonds canadien ait finalement reconnu une proportion de 10 p. 100 d'argent qui devait aller à notre production indépendante en milieu minoritaire — cette disposition est clairement énoncée dans l'entente de protocole entre Patrimoine canadien et le Fonds canadien de télévision.
C'est un exemple qui démontre bien que lorsque les dispositions sont clairement énoncées en matière de langues officielles des acquis sont atteints par la suite. Cela devient une obligation, les gens le comprennent et y participent pleinement. C'est ainsi que l'industrie a pu prendre son essor.
Dans toutes les ententes de contributions entre le gouvernement fédéral et les agences ou les ministères reliés aux secteurs de la production et de la radiodiffusion, il faut s'assurer qu'un cadre d'imputabilité soit bien énoncé, qu'il y ait des indicateurs de rendement, des mécanismes de reddition de compte établi, et qu'on puisse en profiter au maximum pour que ce soit clair dans l'esprit de tout le monde et qu'il n'y ait pas de maillon faible à la chaîne.
Vous savez, dès qu'il y a un maillon faible, une zone grise se dessine à la fin et nous voyons quelquefois un ralentissement du système. Si à tous les niveaux et dans toutes les ententes de contribution sont présentes des dispositions claires en matière de langues officielles par rapport à la production francophone en milieu minoritaire, nous allons voir une transformation de notre industrie et allons également bénéficier d'acquis immenses au cours des prochaines années. C'est à ce niveau qu'il faudrait que les dispositions soient clairement énoncées dans chaque protocole d'entente.
Le sénateur Tardif : Ce type d'entente existe-t-il présentement, et ce, afin de reconnaître particulièrement la participation des organismes en milieu minoritaire?
M. Chatel : Oui, entre Patrimoine canadien et le Fonds canadien de télévision. Mais si on compare les autres protocoles d'entente avec l'ONF, Radio-Canada et d'autres organismes comme le CRTC, on voit que c'est quand même très vague ou pas assez défini. Il n'y a pas d'obligations très claires et certainement pas de référence à la proportion de 15 p. 100 de la programmation ou des fonds publics. C'est là qu'on doit mettre la barre au juste niveau et que les dispositions doivent être très claires; quand vient le temps de renouveler par exemple les licences de télédiffusion, il faut rendre des comptes et ne pas essayer de cacher dans la définition ce qu'on voulait dire parce que le protocole d'entente était flou.
Si c'est fait de façon systématique, à tous les niveaux, dans toutes les ententes et dans tous les protocoles — et non pas seulement avec le Fonds canadien — je pense qu'à ce moment-là on s'assurera d'avoir réellement un système qui fonctionne et qui revitalisera l'industrie à travers le Canada.
Mme Leblanc : Il faut élargir cela à toutes les ententes. Ce n'est pas seulement dans l'industrie du cinéma ou de la télévision que cela doit être fait, mais aussi dans toutes les autres industries. Par exemple, il y a des ententes avec MusicAction édition, mais dans le cas des arts visuels c'est davantage avec le Conseil des arts du Canada que cela se joue. Et là aussi, il y a un travail à faire dans l'élaboration des ententes pour respecter la Loi sur les langues officielles. Si on veut que les mesures spéciales soient plus fortes, c'est là qu'il y a une force, c'est là qu'il est possible de le faire.
Présentement, on ne le sent pas. Dans le nouveau plan du Conseil des arts du Canada; il y a un nouvel axe sur l'équité, mais on nous dit encore qu'il faut attendre, qu'on ne sait pas comment cela va se traduire concernant les langues officielles.
Cela veut dire que cela n'a pas été assez bien défini puisqu'on est encore en train de définir ce que cela voudra dire au niveau de la culture du Conseil des arts du Canada. Ces négociations devraient avoir été faites en aval, et lorsque le financement arrive, cela doit être clair comment cela va se passer.
Le sénateur Tardif : Alors un exemple d'une mesure positive selon la nouvelle partie VII de la loi, pourrait être de s'assurer qu'il y a des articles spécifiques dans toutes les ententes pour reconnaître la contribution culturelle des communautés minoritaires de langues officielles?
Mme Leblanc : Oui, et on devrait même aller plus loin; je mentionnais le fait d'avoir des mécanismes de pondération en fonction des défis inhérents à la situation d'être minoritaire. Des protocoles d'entente existent dans chaque secteur et ont été négociés entre le gouvernement et plusieurs des agences, mais il faudrait aller plus loin.
Le sénateur Tardif : Ce n'est pas spécifique.
Mme Leblanc : Oui, c'est cela.
M. Malette : Il y a bien sûr des articles spécifiques dans la partie VII qui aident largement toute minorité, qu'elle soit francophone ou anglophone. Ce qui me semble important, c'est de bien mesurer le facteur de pondération aussi. Je vais vous donner un exemple précis. J'y faisais allusion tantôt.
Quand on reçoit une subvention de Patrimoine canadien en fonction de notre volume de ventes, c'est sûr que notre volume de ventes est si petit que les gros éditeurs vont chercher de 600 à 800,000 dollars, alors que nous c'est de la poussière. Et nous ne sommes que six éditeurs sur 15 qui recevront cela. Je me dis que le peu qu'on reçoit représente 0,6 p. 100, et l'an dernier 0,4 p. 100. Vous allez me dire qu'on a changé le facteur de pondération! Bravo! Je les félicite! Mais ce n'est pas suffisant.
Il faudrait un article avec plus de muscles et qu'on tienne davantage compte du facteur de pondération. Si on pouvait hausser cela à 1,5 p. 100, c'est peu, mais pour nous ce serait déjà beaucoup. On va doubler notre mise, on serait très contents. Voilà, je pense qu'on pourrait mettre un peu de muscles au niveau de ce facteur de pondération dans ces articles spécifiques de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Le sénateur Comeau : Merci à vous de passer du temps avec nous ce soir pour nous offrir vos observations et vos conseils. Je peux vous dire que vous fournissez d'excellentes observations et d'excellents conseils. En écoutant vos présentations, un facteur a retenu mon attention; c'est que chacun de vos groupes et bien d'autres qui sont dans des situations semblables ont des facteurs en commun. Vos communautés sont éloignées des grands centres et vous avez donc une problématique au niveau de la distance.
Vos communautés sont éloignées des grands centres. Vous êtes tous dans des petits marchés, tous dans des communautés en situation minoritaire et vous avez tous chacun une vocation très spéciale. Je pourrais presque dire que vous êtes nos soldats au front dont la mission est d'arrêter l'assimilation dans nos communautés. Vous n'avez qu'à visiter les régions de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard et probablement de Terre-Neuve pour découvrir le taux d'assimilation. Il est fort probable que la situation soit semblable dans l'Ouest. Les soldats devraient avoir des outils et des moyens par lesquels ils peuvent freiner cette assimilation. Il ne s'agit pas nécessairement d'argent ou de fonds au début, mais très souvent il peut s'agir d'avoir accès à des décideurs. Lorsque vous avez besoin d'émettre un message aux fonctionnaires ou à ceux qui préparent les documents à présenter au ministre, avez-vous accès aux plus hautes instances ou devez-vous passer à travers la panoplie de personnes qui sont en bas de l'échelle? Est-ce qu'on vous dit que vous êtes importants? Je ne parle pas nécessairement du ministre.
Mme Leblanc : Oui, un travail de longue haleine a été fait pour qu'on puisse avoir accès, grâce à l'entente multipartite, aux hautes instances ministérielles. Ce travail-là a donné certains résultats.
Le sénateur Comeau : Ils vous approchent de temps à autre? Est-ce qu'ils s'informent pour savoir si tout va bien?
Mme Leblanc : Non, cela ne va pas jusque-là. C'est plutôt nous qui sommes les demandeurs.
Le sénateur Comeau : Si on examine la réalité, probablement que ces gens des hautes instances font affaire avec la majorité anglophone du Canada, et la majorité francophone au Québec. Mais là, il y a des marchés et des populations très considérables. Est-ce que ce n'est pas nécessairement eux qui ont besoin de cet accès?
Mme Leblanc : C'est vrai, nous sommes des organismes sur le terrain, au service, on est des intermédiaires pour ces organismes qui devraient s'intéresser beaucoup à la chose, vous avez raison.
Le sénateur Comeau : M. Chatel, recevez-vous ce genre de coup de fil?
M. Chatel : Pas après 17 heures. Je crois que la réalité que nous vivons en tant que producteurs intéresse clairement les hautes instances. Le simple fait que nous ayons perdu ce siège au conseil d'administration du Fonds canadien de télévision alors que nous sommes la seule organisation qui parle au nom des communautés en milieu minoritaire, je pense que c'est une très mauvaise décision. En ce sens, on a essayé aussi d'avoir des rendez-vous avec la ministre. On nous a répondu poliment que ce n'était pas possible pour tout de suite, que l'on connaissait déjà notre situation, et cetera. Personne ne peut mieux parler au nom des communautés en milieu minoritaire que nous. Je crois qu'il est possible de le faire sans conflit d'intérêts, en nommant quelqu'un qui n'aurait pas été nécessairement un producteur, comme c'était le cas avec l'APFTQ, mais au moins nous siégerions sur ce conseil d'administration vital pour le reflet du paysage télévisuel de cette réalité francophone à l'extérieur du Québec.
Le sénateur Comeau : Vous pourriez vous rendre en Nouvelle-Écosse, et voir la Nouvelle-Écosse comme étant partie de votre groupe.
M. Chatel : Absolument. On a démontré qu'avec 10 p. 100 des fonds publics, on a réussi déjà à croître de façon intéressante, ce n'est qu'un seuil. Si on atteignait les 15 p. 100 requis, déjà on a des signes de nouvelles maisons de production qui veulent devenir membre de notre alliance, quand il y a des dispositions claires, cela amène de l'eau au moulin, cela génère des opportunités. Il ne faut pas partir du principe que vous ne soyez que 12 ou 13 compagnies de production. Donnez-nous plus d'argent, cela va attirer des personnes, encourager l'entreprenariat chez bien des gens, consolider l'industrie, développer des structures intéressantes. Un studio a été construit à Moncton pour la télévision par un des membres de l'alliance. Ce sont de grandes initiatives comme celles-là qui font que l'industrie ne vivote plus, et qu'elle prend son essor. Mais c'est à ce point fragile, car il y a des dispositions qui ne sont pas claires, notamment avec l'enveloppe de 37 p. 100 de Radio Canada, qu'ils peuvent dépenser n'importe quand dans l'année, le simple fait qu'il n'y ait pas de date précise dans l'année à laquelle ce télédiffuseur public doit dépenser l'argent, peut faire qu'il retarde de six mois la prise de décision du projet dans lequel ils veulent s'investir, dans certain cas, des entreprises ont presque fait faillite à cause de cela parce que le flux de trésorerie des entreprises si des projets ne sont pas déclenchés lors de la période de production peut être fatal. C'est fragile.
Le sénateur Comeau : Ne me laissez pas commencer avec Radio Canada!
M. Chatel : C'est un partenaire important, nous sommes contents de travailler avec eux, mais il y a des choses qui peuvent être améliorées. On a même rêvé en disant, puisqu'on représente 15 p. 100 de la population francophone et qu'il y a sept jours dans la semaine, pourquoi pas un soir par semaine en « prime time » avec des émissions produites à l'extérieur du Québec. Pourquoi pas?
Le sénateur Comeau : Quelle belle recommandation pour notre rapport.
M. Chatel : On a l'impression de rêver lorsqu'on dit ce genre de choses, mais pourquoi est-ce rêver dans le fond?
M. Malette : Cette émission pourrait être suivie de la présentation du beau livre du Canada français.
Mme Leblanc : L'intervention de mon collègue m'a fait penser au fait que Radio Canada n'a toujours pas de représentant francophone hors Québec au Conseil d'administration ni au Conseil des arts du Canada. On attend toujours. Vous pourriez sûrement nous aider dans vos recommandations.
M. Malette : Vous avez employé deux fois le mot « soldat », j'aime bien l'expression, mais je pense qu'il faut plutôt employer le mot « missionnaire ». Je ne voudrais pas être un autre Saint-Jean-Baptiste : Vox clamantis in deserto. Je veux répandre la bonne nouvelle, que l'on m'écoute, et travailler à ce patrimoine littéraire. Quelqu'un est venu ici il y a de cela environ un siècle et nous a dit qu'un peuple sans littérature et sans histoire sera assimilé. C'est encore vrai aujourd'hui et particulièrement en milieu minoritaire. Vous nous demandez s'il y a quelque chose que nos fonctionnaires pourraient faire un peu mieux? Oui, je ne parle pas nécessairement d'argent. Ils devraient prêter une oreille beaucoup plus attentive à l'importance du fonctionnement dans le calcul de la subvention. Deuxièmement, je les trouve pas mal procéduriers parfois, dans leur questionnaire, mais aussi dans les échéances.
Je connais une maison d'édition qui a reçu une lettre, cet après-midi vers 15 heures, au sujet d'une réclamation de frais de déplacement dans le cadre du Salon du livre de Paris, et qui s'élèvent à 2 700 $. La maison d'édition a remis sa demande trois jours en retard, le 5 mai au lieu du 1er mai. La lettre dit : « Nous regrettons de vous informer, mais nous ne pouvons pas vous donner votre subvention. »
Cela est procédurier. Le comité de gestion est tout petit et on travaille avec des salaires presque ridicules. Je connais une maison d'édition où le directeur n'a pas été payé depuis 15 ans, il fait du bénévolat 50 heures par semaine. On se dit qu'il faut s'ouvrir les yeux et quand on reçoit une lettre comme celle-là, je m'excuse, mais je vous dis que la pression monte.
Le sénateur Losier-Cool : Je remercie les témoins de leur contribution à cette étude entreprise par ce comité. Je voulais parler de financement, mais je pense que M. Malette a expliqué un peu le mécanisme de financement.
Vous faites une demande à Patrimoine canadien et vous soumettez un projet. Le financement de l'administration, est-ce qu'il est à part ou est-ce qu'il est dans l'administration du projet même?
M. Malette : On peut présenter un projet spécial de faire connaître notre littérature à l'échelle canadienne et là ils vont voir les mérites. Cela a été le cas de PALO récemment, on a eu une subvention dans les 30 000 dollars. C'est excellent et je pense que cela a contribué à faire connaître nos auteurs et nos œuvres canadiennes-françaises.
Malheureusement, cela a aussi exigé beaucoup de travail au RÉCF pour mettre ce projet sur pied. Cela ne se fait pas en criant bingo. Il a fallu travailler des journées et des semaines et il y a très peu de fonds consacrés au fonctionnement. Ce qui se passe, c'est qu'on épuise nos gestionnaires et on multiplie leurs tâches. En quelque sorte, ils n'y arrivent pas et cela devient encore plus grave si la paye n'arrive pas au bout de deux semaines parce qu'il n'y a pas assez d'argent. Cela devient tragique.
Le sénateur Losier-Cool : Nous avons entendu les termes « épuisement » et « essoufflement » de plusieurs organismes et c'est pourquoi nous comprenons votre message. Monsieur Chatel, je souhaite que votre rêve ne devienne pas un cauchemar, mais plutôt une réalité. D'autres organismes nous ont aussi demandé une politique fédérale pour la culture francophone.
M. Malette a fait allusion à la politique du livre que le Nouveau-Brunswick s'est donnée. Est-ce que vous verriez une politique du livre à l'intérieur d'une politique fédérale ou plutôt une politique du livre très distincte, qui ne soit pas une politique culturelle nationale?
M. Malette : Il faudrait y réfléchir et voir comment tout cela pourrait s'articuler. De prime abord, il faudrait revoir la taxe fédérale sur les livres et les frais d'expédition qui grugent notre budget de façon incroyable de plus en plus. Je me demande s'il y a quelque chose à faire sur le plan du crédit d'impôt.
Quant à la politique précise du livre, c'est quand même délicat parce que le domaine est de juridiction provinciale. J'imagine qu'il faut faire très attention. Mais je suis convaincu que si les intervenants du livre s'assoient à la table, ils peuvent trouver un modus vivendi où ils seraient tous gagnants.
Après on pourrait retourner chez nous et se dire qu'on a fait quelque chose pour notre patrimoine littéraire et pour affirmer notre identité collective. On s'est tenus debout.
Le sénateur Losier-Cool : Est-ce que l'école a vraiment le rôle de promouvoir cette culture chez les enfants puisque ceux-ci deviendront plus tard des consommateurs d'art? Est-ce qu'on pourrait élargir ce rôle et asseoir à la table les personnes? On sait que c'est du domaine provincial, mais même la formation des maîtres peut contribuer à promouvoir cette culture.
J'aimerais connaître l'opinion des trois témoins sur la question de la culture et de l'éducation.
Mme Leblanc : Sur le plan de la culture et de l'éducation, la Fédération a publié une étude sur le lien langue-culture- éducation il y a quelques années. Cette étude vient nourrir le plan d'action de la Fédération nationale des conseillers scolaires (FNCSF) pour réaliser l'Article 23. Il y a dans ce plan, un axe action culturelle et identitaire dans lequel les organismes nationaux, avec la Fédération culturelle, sont à la table avec le milieu de l'éducation et les provinces pour essayer de concilier la formation des maîtres, la culture, l'enseignement des arts à l'école et l'accès à la culture qui rejoint aussi la politique d'aménagement linguistique en Ontario.
Il s'agit en effet d'un dossier très important et je pense qu'on devrait continuer à l'appuyer. Si je peux revenir sur la politique culturelle, je crois que la Conférence canadienne des arts a mis sur la table cette question d'une politique culturelle nationale. Et je pense que tout le milieu est favorable à cela. Par contre, on nous dit que le Canada, sans avoir une politique culturelle, semble avoir des politiques dans certains domaines qui, lorsqu'on les met ensemble, constitueraient une politique culturelle.
C'est un bon débat à reprendre parce qu'il faut marteler le dossier.
Le sénateur Munson : Que voudriez-vous voir dans le prochain budget pour aider la culture francophone hors Québec?
Le sénateur Goldstein : Quelles seraient les cibles les plus importantes pour vous?
Mme Leblanc : Je ne pense pas comprendre la question. Pouvez-vous préciser?
Le sénateur Goldstein : Si vous aviez un souhait à faire et que vous pouviez avoir une influence sur le prochain budget fédéral afin de pouvoir aider à l'épanouissement de la culture francophone en général hors Québec, quelles cibles seraient selon vous les plus importantes?
Mme Leblanc : C'est une bonne question. On est ici pour parler des arts et de la culture.
La vice-présidente : Dans les arts et la culture, dans le prochain budget fédéral, dans quelle direction devons-nous aller? Où devons-nous mettre davantage de sommes d'argent pour faciliter l'art et la culture, particulièrement dans le monde des francophones en situation minoritaire?
Mme Leblanc : Nous avons fait du travail au niveau de la table des organismes nationaux de services aux arts, animé par la fédération culturelle, pour doter le secteur d'un axe art et culture dans le futur plan sur les langues officielles. La direction donnée par cet axe devrait être mise de l'avant, étant donné qu'elle est endossée par l'ensemble des intervenants, tant en cinéma qu'en arts visuels, et les organismes culturels et de l'édition.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Monsieur Chatel, certains de vos propos ont piqué ma curiosité, à savoir que si les gens ne se voient pas eux-mêmes, ils n'existent pas. J'ai été frappé par cela.
Parlant des fonctionnaires, le sénateur Comeau se demandait s'ils vous rappellent après 17 heures. Manifestement pas. Pour ma part, lorsque je travaille dans le cadre des Jeux olympiques spéciaux canadiens, par exemple, je m'entretiens avec diverses personnes de l'administration gouvernementale. Nous mettons en œuvre des plans quinquennaux et nous nous efforçons d'obtenir des résultats. En fin de compte, c'est une question d'argent et les instructions émanent du ministre des Finances. Les fonctionnaires doivent servir le public grâce aux instructions, aux conseils et aux fonds émanant du ministère des Finances.
Je m'inquiète parfois du sort qui sera réservé aux francophones hors Québec si vous n'obtenez pas ce dont vous avez besoin. Que se passera-t-il?
Vous nous avez présenté des arguments fort probants. Voyons les programmes en vigueur au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et en Ontario, ou ceux des francophones au Québec. Si vous n'arrivez pas à joindre les deux bouts ou si vous faites simplement du surplace, qu'arrivera-t-il dans dix ans si les gouvernements n'écoutent pas?
[Français]
M. Chatel : En ce qui concerne l'industrie de la production télévisuelle et cinématographique, on cherche un engagement ferme à plus long terme et non sur un ou deux ans. J'écoutais cette semaine le discours du nouveau président de Radio-Canada, Hubert Lacroix, qui affirmait qu'un engagement de sept ans de la part du gouvernement serait nécessaire pour être compétitif avec l'industrie aux États-Unis et les grands joueurs qui, de plus en plus, se dessinent à l'horizon.
De façon plus modeste, notamment en ce qui concerne la production en milieu minoritaire, si on n'obtient pas ce dont on a besoin, soit un minimum de 15 p. 100 des fonds publics investis en production indépendante, nous serons appelés à disparaître dans six mois. On peut ne perdre qu'une entreprise. Toutefois, dans certaines provinces, il n'existe qu'une seule entreprise. On accélère ainsi l'assimilation. Les quelques pigistes qu'il restait iront travailler pour un producteur anglophone ou déménageront au Québec afin de travailler en français. C'est donc un cycle qui s'accélère à grande vitesse et qui peut raser la production télévisuelle.
Cette situation se reflète à la télévision, avec des gens qui ne se reconnaissent plus et qui donc n'existent plus. C'est comme si on venait les frapper sur la tête en leur disant qu'ils ne sont pas importants étant donné qu'on ne les voit jamais à la télévision.
Tout récemment, la série Belle-Baie fut produite pour un de nos membres. Elle est diffusée le jeudi à 19 h 30 à la télévision. Cette série fut tournée au Nouveau-Brunswick et coproduite avec un producteur québécois, ce qui fut utile pour obtenir cette case horaire. Le drame est aussi dû au fait que, très souvent, on n'obtient pas le « prime time » qu'on devrait. Les gens de cette province, parce qu'ils se sont vus dans cette série dramatique de fiction, ont tout d'un coup un sentiment de fierté. Dans l'émission Star Académie, on a pu voir le jeune Wilfred. Et tout à coup, ses fans se sont mis à exister, car ils pouvaient voir leur idole.
Il faudrait un engagement ferme à plus long terme, avec des montants inscrits minimaux et significatifs. Pour obtenir un chiffre exact, dans notre cas le montant représente 15 p. 100 des fonds destinés à la production francophone dans le Fonds canadien de la télévision. Il suffit de multiplier ce montant par cinq ans et fixer un engagement à long terme. Le montant idéal se situerait donc entre 75 et 100 millions de dollars.
M. Malette : Pour qu'un organisme demeure fort et fasse du bon travail, il doit être en santé à l'interne. On aura beau avoir de bons auteurs et de bons livres. Il faut que l'organisme puisse continuer son travail toute l'année. Pour ce faire, il faut des ressources humaines, il faut être en mesure de garder son expertise. On développe une expertise à des salaires ridicules. Dès que la personne a obtenu son expertise, elle cherchera un emploi ailleurs. Tout est toujours à recommencer. Au niveau du fonctionnement, on n'arrive pas à donner des salaires suffisants pour garder cette expertise et augmenter nos ressources humaines. Je tenais à souligner cet aspect.
Par ailleurs, j'aimerais beaucoup qu'il y ait des programmes qu'on appelle pluriannuels — et cela existe de plus en plus. On examine notre dossier selon le rapport annuel, et tout à coup il y a coupure. Lorsqu'on fait des compressions de 3,5 ou 8 p. 100, nous ne pouvons plus fonctionner.
Il faudrait une augmentation raisonnable selon la qualité du rapport annuel. Si le rapport annuel comporte des faiblesses, soit. Toutefois, on nous annonce que l'enveloppe budgétaire est telle qu'il faut couper. Ces compressions budgétaires sont plus lourdes de conséquences pour les petits que pour les grands. Et si les petits coulent, l'impact se fera sentir sur toute la collectivité canadienne-française. Nous avons donc des responsabilités.
Le sénateur Losier-Cool : Ma question s'adresse à nos trois témoins, qui peuvent répondre par oui ou par non. Avez- vous entrepris des démarches auprès du gouvernement fédéral afin d'inclure dans le futur plan d'action pour les langues officielles le secteur des arts et de la culture, que l'on a négligé dans le plan d'action de 2003?
Mme Leblanc : Oui.
M. Chatel : Oui.
M. Malette : Oui.
La vice-présidente : Puisque le temps dont nous disposons tire à sa fin, il ne me reste qu'à vous remercier d'avoir bien voulu comparaître devant le comité aujourd'hui. Je souhaite que nous puissions vous aider à réaliser les rêves dont vous nous avez fait part, pour faire en sorte que, dans un temps rapproché, ce ne soit plus des rêves, mais des réalités.
La séance est levée.