Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 3 - Témoignages du 13 mai 2008
OTTAWA, le mardi 13 mai 2008
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, auquel a été renvoyé le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail au Parlement, se réunit aujourd'hui, à 9 h 35, pour étudier le projet de loi et la question de l'élaboration d'un processus systématique pour l'application de la Charte des droits et libertés au Sénat du Canada.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous entendrons aujourd'hui le témoignage des sénateurs Andreychuk et Joyal, qui feront équipe sur ces questions. Tout d'abord, nous aborderons la question de l'élaboration d'un processus systématique pour l'application de la Charte des droits et libertés au Sénat. Nous étudierons ensuite le projet de loi S- 212, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail au Parlement.
Qui de vous deux aimerait commencer?
L'honorable A. Raynell Andreychuk, sénateur, Sénat du Canada : Bonjour, chers collègues. Je crois qu'il serait préférable que le sénateur Joyal présente la question dans le cadre du projet de loi qu'il a proposé. C'est un point précis de la question générale qui me préoccupe. Mon inquiétude découle de l'affaire qui m'a porté à réfléchir à la manière dont nous appliquons la Charte et aux enjeux liés aux droits de la personne sur la Colline.
Il existe maintenant des indications précises, qui ont été établies par la Cour suprême à la suite de l'affaire Vaid. Il serait utile d'examiner d'abord les détails et, ensuite, la situation d'ensemble. Je ne sais pas si le sénateur Joyal a eu le choix, mais je pense que nous avons trouvé un terrain d'entente.
L'honorable Serge Joyal, C.P., parrain du projet de loi : Merci, sénateur Andreychuk. Bonjour, chers collègues. Cela fait une drôle d'impression d'être assis au bout de la table. Nous avons l'habitude d'être sur les côtés ou à l'avant. J'ai l'impression d'être au banc des accusés ce matin.
Le sénateur Andreychuk : Vous l'êtes.
Le sénateur Joyal : Merci. Comme ma mère disait, « Tâche de bien te tenir et dis la vérité ».
Chers collègues, la question dont nous sommes saisis dans le projet de loi S-212 ce matin peut sembler très complexe. Je vais essayer toutefois de la présenter en termes simples et clairs.
Comme c'est souvent le cas en common law, la question découle d'un cas concret. L'affaire portait essentiellement sur des allégations formulées par le chauffeur de Gilbert Parent, l'ancien Président de la Chambre des communes, selon lesquelles il avait été congédié pour des motifs de discrimination. M. Vaid est une personne de couleur.
[Français]
C'était une personne d'origine ethnique qui avait la conviction qu'il avait été renvoyé injustement. Par conséquent, il a voulu obtenir un rétablissement de ses droits selon les lois canadiennes en vigueur.
[Traduction]
M. Vaid prétendait avoir été victime de discrimination en ayant été congédié, et estimait que ses droits devraient être protégés en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, qui a été acceptée. Cette plainte a ensuite été transmise au Tribunal canadien des droits de la personne, qui a reconnu que M. Vaid avait des motifs pour demander l'ouverture d'une enquête. Toutefois, le Président de la Chambre des communes a soutenu que le poste de M. Vaid était assujetti au « privilège ».
Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que M. Vaid relevait essentiellement du Parlement. Autrement dit, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'appliquait pas à lui; il ne pouvait pas faire appel au tribunal et ne pouvait pas demander réparation en vertu du système de common law normal qui protège les Canadiens qui s'estiment lésés. En raison de la décision du Président de contester la capacité de M. Vaid à demander réparation en vertu du système de common law normal — du système normal qui s'applique à tous les citoyens visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne —l'affaire a été portée devant la Cour suprême. La décision est importante pour nous aussi, car le Parlement a des privilèges en vertu de la Constitution au même titre que la Chambre des communes et le Sénat essentiellement.
Qu'est-ce qu'un privilège? Quelle est la nature essentielle du privilège? Le concept du privilège parlementaire peut sembler étrange en 2008 parce que nous vivons dans une société qui prétend reposer sur l'égalité des droits — l'égalité des hommes et des femmes et la protection des minorités. L'expression privilège parlementaire donne l'impression que nous avons des conditions différentes, ce qui va à l'encontre du sens de l'égalité omniprésent dans le système parlementaire démocratique canadien.
C'est un concept qui tire son origine des anciennes lois de 1689, du Bill of Rights. Vous en avez peut-être entendu parler dans vos cours d'histoire au collège ou à l'université. Après la glorieuse révolution Cromwell quand la Grande- Bretagne a réinstauré la monarchie, le roi s'est retrouvé aux prises avec un Parlement qui voulait affirmer ses droits pour veiller à ce que le roi ne puisse pas manipuler la Chambre des communes. Autrement dit, les députés ne pouvaient pas être sanctionnés par le roi pour avoir exprimé leurs opinions.
Si vous aviez été membre du Parlement aux XVIe et XVIIe siècles, le roi aurait pu vous jeter en prison pour l'avoir offensé lui, ou l'une de ses institutions, par vos propos au Parlement. Le roi aurait aussi pu vous punir par l'intermédiaire des cours qu'il créait. À cette époque, vous n'aviez pas la liberté de parole et d'expression qui était essentielle à tous les parlementaires dans l'exercice de leurs fonctions. Par conséquent, il a été conclu que la liberté d'expression parlementaire constituait un privilège. Tout ce que vous dites en tant que sénateur ou député au Parlement est protégé par la liberté d'expression. Autrement dit, vous pouvez dire tout ce que vous voulez au Parlement et parler contre qui vous voulez, et vous ne pouvez pas être déclaré responsable devant les tribunaux pour ce que vous avez dit. Ce privilège existe toujours aujourd'hui. C'est le principe essentiel de la démocratie parlementaire pour les députés ou les sénateurs — ou les membres de la Chambre des lords à l'époque — d'exprimer leurs opinions comme bon leur semble.
Ce privilège a été confirmé par le roi à l'article 9 du Bill of Rights de 1689. L'article stipule clairement que non seulement les parlementaires ont la liberté d'expression, mais qu'ils contrôlent les travaux du Parlement et ses affaires internes. Ce principe protège le droit du Parlement depuis près de 400 ans maintenant.
Revenons maintenant à M. Vaid. Quand le Président s'est adressé au Tribunal canadien des droits de la personne pour contester la capacité du chauffeur de demander réparation, il a déclaré que le tribunal ne pourrait pas intervenir pour protéger M. Vaid en invoquant l'ancien principe des droits du Parlement. M. Vaid devait demander réparation seulement au motif de la responsabilité du Parlement à gérer ses affaires internes.
La cause de M. Vaid a été entendue par le Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale, puis la Cour suprême du Canada. La question dont était saisie la Cour suprême était simple. Elle figure à la page 3 de l'article que j'ai publié dans la Revue parlementaire canadienne :
La question à laquelle la Cour suprême a répondu en 2005 était la suivante : La Loi canadienne sur les droits de la personne [...] est-elle, du fait d'un privilège parlementaire, constitutionnellement inapplicable à la Chambre des communes et à ses membres en ce qui a trait aux relations de travail au Parlement?
En termes simples, la Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique-t-elle à un employé du Parlement? Le Président a répondu non, car M. Vaid est un employé du Parlement. Ce faisant, il relève uniquement du Parlement. C'était la position qu'ont défendue les avocats du Président en cour. Dans leur décision, les juges de la Cour suprême ont répondu simplement que la Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique aux employés du Parlement.
Par conséquent, cette décision a immédiatement soulevé une question. Si la Loi canadienne sur les droits de la personne s'applique aux employés du Parlement, y en a-t-il parmi eux qui pourraient occuper un poste assujetti au privilège? Autrement dit, y a-t-il des employés du Parlement qui ne sont peut-être pas couverts par la Loi canadienne sur les droits de la personne parce que leurs responsabilités ne sont peut-être pas étroitement liées à la fonction législative et délibérative du Parlement?
Permettez-moi de vous expliquer cela en langage de profane. Qu'est-ce que la fonction délibérative et législative du Parlement? Comme membre du Parlement, vous le savez. Elle consiste à débattre de mesures législatives, de questions. Essentiellement, c'est votre responsabilité. Quand vous débattez de questions législatives, plusieurs personnes vous aident dans cette fonction qui relève précisément de la gestion des affaires internes.
La cour n'est pas entrée dans les détails à cet égard, mais il tombe sous le sens que le greffier du Sénat, par exemple, occupe un poste assujetti au privilège, car sans lui, nous n'aurions pas les Ordres du jour. Aussi, l'huissier du bâton noir fait régner l'ordre et a la capacité d'empêcher une ingérence extérieure dans le fonctionnement du Parlement.
La cour a défini un cadre très étroit pour déterminer quels employés du Parlement relèvent uniquement du Parlement. Dans son examen des responsabilités de M. Vaid, qui était chauffeur pour le Président, la cour est arrivée à la conclusion qu'il existe un grand nombre de catégories d'employés du Parlement qui ne sont pas liées directement à la fonction législative et délibérative du Parlement.
Par exemple, les employés des restaurants parlementaires ne sont pas directement liés à la fonction législative et délibérative du Parlement. Vous pouvez peut-être faire valoir que vous avez besoin de déjeuner, et qu'il vous faut de l'aide en ce sens, car il est essentiel de manger trois fois par jour pour pouvoir bien accomplir ses tâches. Le tribunal a allégué que ces types d'employés n'étaient pas directement liés à la fonction délibérative et législative du Parlement.
La cour a conclu que ces employés — M. Vaid étant l'un d'eux — devraient être protégés en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement. Quelle est cette loi? Adoptée en 1985 par le Parlement, cette loi régit précisément les relations de travail des employés du Parlement. Elle ne s'applique qu'au personnel du Parlement. À l'avant-dernière page de mon article sur l'affaire Vaid, à la cinquième note, j'ai indiqué qu'il y a 5 000 employés au Parlement, d'après les données de la Bibliothèque du Parlement. Je vois que M. Bédard est là. Ce sont les données de 2005; permettez-moi de citer les chiffres rapidement pour vous donner une idée. Il y a 5 000 employés sur la Colline : le Sénat en compte 605, la Bibliothèque du Parlement, 400, et la Chambre des communes, 2 033. Les députés en ont 1 927, pour un total de 4 965, soit 5 000 employés environ. La Loi sur les relations de travail au Parlement, LRTP, régit en principe un certain nombre de ces 5 000 employés — une partie, mais tous.
Quand la Cour suprême a jugé que M. Vaid appartenait à l'une des catégories d'employés visées par la LRTP, elle a déclaré que si M. Vaid veut déposer une plainte fondée sur la discrimination, il doit recourir à la procédure de règlement des griefs prévue dans la LRTP. C'était la première conclusion de la cour. Cette conclusion a soulevé un certain nombre de questions auxquelles répondent en partie mon projet de loi et l'exposé du sénateur Andreychuk. La première question est la suivante : Si M. Vaid est couvert par la LRTP, a-t-il la même protection en vertu de cette loi que n'importe quel employé de la fonction publique du Canada? Autrement dit, existe-t-il une distinction ou une différence au chapitre de la protection entre un employé du Parlement et un employé de n'importe quel ministère du gouvernement fédéral?
Autrement dit, un employé de la fonction publique est-il mieux protégé dans le cadre général de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou l'est-il moins qu'il le serait en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement? La réponse, chers collègues, c'est qu'un membre de la fonction publique du Canada est mieux protégé qu'un employé du Parlement visé par la Loi sur les relations de travail au Parlement.
Il n'y a pas d'intention malveillante derrière tout cela. La raison, c'est que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est une loi beaucoup plus récente — nous l'avons adoptée en 2003, tandis que la Loi sur les relations de travail au Parlement a 13 ans. Quand nous avons adopté cette loi en 2003, nous nous sommes assurés qu'un employé de la fonction publique qui estimait que ses droits avaient été lésés était mieux protégé par la procédure de règlement des griefs de la fonction publique que par celle prévue dans la Loi sur les relations de travail au Parlement.
La raison est simple. Elle découle du paragraphe 210(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui porte sur le fonctionnaire s'estimant lésé et affirmant que ses droits de la personne sont violés — discrimination en fonction de la couleur de peau, par exemple, de l'orientation sexuelle ou de l'appartenance à une minorité. On peut lire notamment :
La partie qui soulève une question liée à l'interprétation ou à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cadre du renvoi à l'arbitrage d'un grief individuel en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements.
Qu'arrive-t-il alors? Si vous êtes fonctionnaire, que vous estimez que vos droits ont été violés, que vous avez fait l'objet de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que vous exercez votre droit de déposer un grief, le conseil d'arbitrage doit en aviser la Commission canadienne sur les droits de la personne.
Ensuite, la Commission canadienne sur les droits de la personne a compétence, dans une procédure d'arbitrage, pour soumettre un mémoire relatif à toute question mentionnée au paragraphe (1). En d'autres mots, la Commission canadienne sur les droits de la personne peut venir à votre secours, prendre votre cause en charge et la plaider en votre nom.
Bien sûr, si la procédure de grief aboutit à la conclusion qu'il y a effectivement eu discrimination, elle peut ordonner une indemnisation. Il y a en place un système qui garantit mieux qu'un employé de la fonction publique qui estime avoir fait l'objet de discrimination peut obtenir dédommagement de manière officielle en passant par la Commission canadienne sur les droits de la personne.
Passons maintenant à la Loi sur les relations de travail au Parlement, qui ne prévoit pas de pareille procédure. L'employé du Parlement visé par la Loi sur les relations de travail au Parlement ne peut pas demander que la Commission canadienne sur les droits de la personne l'aide ou défende ses droits. Pour obtenir une indemnisation équitable en cas de discrimination avérée, il jouit de droits très limités par rapport aux fonctionnaires — notamment de se faire rembourser sa rémunération, de se faire verser des dommages-intérêts pour les préjudices psychologiques subis et tout le reste.
Vous pouvez voir qu'il existe deux régimes différents. La question à se poser est de savoir s'il devrait y en avoir deux ou si nous ne devrions pas plutôt en avoir un seul. Ne devrions-nous pas, en tant que Parlement, être préoccupés par le respect des droits de la personne, faire en sorte que le Parlement consente à ses employés une protection raisonnable comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique? C'est pourquoi j'ai proposé le projet de loi S-212 à l'étude aujourd'hui.
Le texte a peut-être l'air compliqué parce qu'il modifie tel article, tel autre alinéa — vous connaissez le jargon juridique quand il est question de modifier une loi —, mais il a pour objet essentiellement d'essayer de mieux protéger les employés du Parlement qui sont visés par la Loi sur les relations de travail au Parlement. C'est là la première proposition, faite par moi.
La seconde, qui sera faite par le sénateur Andreychuk, concerne le sort des employés qui ne sont pas visés par la LRTP. Tous les employés de la Colline, les quelque 5 000 dont je vous ai parlé tout à l'heure, ne sont pas visés par cet amendement. Il existe des employés qui sont assujettis au privilège parlementaire, c'est-à-dire des employés qui relèvent directement de la Chambre des communes ou du Sénat. La loi ne prévoit rien à leur égard. Le Règlement du Sénat ne prévoit pas de procédure particulière. Si une personne, par exemple un greffier au Bureau, s'estime lésé parce que ses conditions de travail sont source de discrimination, quelle procédure de grief doit-il suivre? Dans notre règlement actuel, rien n'est prévu. Lisez les règles, le Règlement du Sénat : vous n'y trouverez pas de recours pour l'employé qui estime avoir fait l'objet de discrimination.
En tant que Parlement, comment devrions-nous traiter les employés du Parlement qui ne sont pas protégés par la Loi sur les relations de travail au Parlement? Il s'agit là d'une très importante question, dont va vous parler le sénateur Andreychuk. Nous, en tant que Parlement, faisons comme l'épouse de César. Nous donnons l'apparence de nous soucier du respect des droits de la personne parce que, pour toutes les lois que nous adoptons, la première question que nous nous posons est de savoir si elles respectent les droits prévus dans la Charte. Comme vous le savez, il s'agit là d'un critère officiel pour établir la constitutionalité d'un projet de loi. Le ministre de la Justice atteste que tous les projets de loi, en conformité avec l'article 11 de la Loi sur le ministère de la Justice, respectent la Charte canadienne des droits. Il doit donner son aval à chaque projet de loi pour attester qu'il est conforme à la Charte. Naturellement, il y a des centaines de cas où les projets de loi sont jugés violer la Charte, une fois qu'ils sont entrés en vigueur — mais c'est là une toute autre question. Toutefois, en tant que législateurs, nous devons nous poser la question et avoir la conviction que les projets de loi respectent la Charte des droits. Donc, en tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de mettre en oeuvre la Charte dans les projets de loi que nous adoptons. Il serait donc pour le moins insolite de ne pas avoir de procédure particulière pour protéger les employés du Parlement assujettis au privilège parlementaire. Pourtant, c'est bel et bien le cas.
Dans l'arrêt Vaid, la Cour suprême a clairement énoncé qu'il appartient au Parlement de décider du régime souhaité pour protéger ses employés assujettis au privilège, c'est-à-dire ceux qui sont directement reliés aux fonctions législative et délibérante du Parlement. C'est là une importante question de principe.
L'affaire Vaid traîne en longueur depuis bien des années. M. Vaid s'est plaint à la Commission, au Tribunal des droits de la personne, à la Cour fédérale, à la Cour fédérale d'appel et à la Cour suprême, et l'affaire n'est toujours pas réglée. J'ai rencontré M. Vaid il y a un mois et il continue de suivre la procédure de grief prévue dans la Loi sur les relations de travail au Parlement. Les sénateurs auraient peut-être intérêt à l'entendre. Son histoire est fort éloquente quant à la manière dont sont traités les employés par le « Parlement » quand ils s'estiment lésés.
Je laisse maintenant le sénateur Andreychuk vous décrire ses préoccupations découlant de cette affaire.
Le président : Sénateur Joyal, je vous remercie. C'était là un excellent résumé de la situation.
Le sénateur Andreychuk : Monsieur le président, je suis d'accord avec ce que vous venez de dire, et cela me rend la tâche d'autant plus facile.
Je tiens à remercier le sénateur Joyal. Nous avons consacré un grand nombre d'heures pendant de nombreuses années à discuter des aspects concernant les droits de la personne de la société canadienne, particulièrement sous le régime de la Charte. Quand je suis arrivée au Sénat, je me demandais comment la Charte des droits et libertés était utilisée par les sénateurs. Nous contentons-nous d'en parler comme d'une charte s'appliquant aux concitoyens et exerçons-nous notre rôle de surveillance pour faire en sorte que le gouvernement applique la Charte comme il se doit? Une fois l'étude entamée, j'ai décidé que nous avions une responsabilité aux termes de la Charte. Nous avons créé le Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour faire en sorte que le Sénat respecte ses obligations en matière de droits de la personne, tant sur la scène internationale que sur la scène nationale.
À l'intention de ceux qui ne font pas partie du comité depuis aussi longtemps que moi, je signale que l'arrêt Vaid a été porté à l'attention du comité. Je crois savoir qu'il a également fait l'objet de débats au sein du comité de la régie interne.
Le sénateur Joyal : Nous avons tenu huit réunions à ce sujet et avons entendu dix témoins experts.
Le sénateur Andreychuk : Le Président du Sénat a participé au processus. Le Sénat a choisi de ne pas intervenir dans l'affaire Vaid. Une grande partie des délibérations ont eu lieu à huis clos, de sorte que je ne vais pas vous en parler.
Le sénateur Joyal a décidé d'intervenir dans l'affaire Vaid, moi pas. Bien qu'il m'ait invitée, de même que d'autres sénateurs, à le faire, j'ai décliné. J'étais préoccupée par les enjeux de l'affaire Vaid, mais je croyais également que, puisque le problème concernait la Chambre des communes, si nous intervenions, à titre soit individuel ou collectif, nous nous trouverions à affirmer que notre Chambre s'administrait exactement de la même façon que la Chambre des communes, une position que je préférais éviter.
J'ai pris cette décision, entre autres, parce que je n'étais pas sûre que nous étions tous exactement du même avis concernant l'application des droits de la personne au Parlement. Nous avons constamment fait ressortir des variations. En plus d'être une Chambre dont les membres sont nommés et de représenter la Chambre haute, nous avons un point de vue différent, de même que des obligations différentes. De plus, si nous adoptions la même position, serions-nous vus comme ayant la même position en matière de droits de la personne? À dire vrai, il n'y a pas eu de pareilles discussions entre les deux Chambres. Par conséquent, j'ai décidé de ne pas intervenir, mais j'ai appuyé quiconque souhaitait le faire.
L'affaire Vaid a soulevé la question du privilège parlementaire. La Chambre a adopté comme position que le privilège parlementaire s'applique à tous les employés. La cour a rejeté son argument, affirmant que le privilège parlementaire devait être justifié, et le sénateur Joyal nous a expliqué sa position à cet égard, affirmant que le privilège parlementaire se limite à nos fonctions essentielles ici plutôt qu'à nos fonctions accessoires.
Dans l'affaire Vaid, la cour a affirmé un principe au sujet des droits de la personne. Elle a statué que le Parlement n'est pas au-dessus des lois, qu'il doit respecter la Loi canadienne sur les droits de la personne. La cour a déclaré que la loi s'applique au Parlement comme partout ailleurs et que les employés ont le droit d'avoir à leur disposition un processus quelconque de règlement des griefs. Elle a dit que si nous n'instituions pas un processus analogue ou égal à celui dont jouissent les autres employés, elle devra peut-être intervenir.
En résumé, nous sommes tenus de respecter le droit en matière de droits de la personne mais, parce que nous sommes des parlementaires du Sénat, nous pouvons élaborer nos propres régimes, plans, procédures ou politiques pour faire en sorte de nous conformer à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si nous ne le faisons pas, les tribunaux conçoivent qu'ils auraient un rôle à jouer.
Le sénateur Joyal a affirmé que la manière de corriger le problème est d'adopter une loi. Il a décrit comment, par voie législative, nous pourrions nous aligner sur les droits dont jouissent d'autres employés.
Je reconnais que, dans la mesure du possible, nous devrions prévoir pour les employés qui tombent sous le coup de la Loi sur les relations de travail au Parlement un système analogue, mais je tiens à préserver le droit du Parlement d'être en charge du processus. Ainsi, s'il faut le modifier, nous pourrions le faire. Or, en inscrivant le processus dans la loi, il pourrait échapper à notre contrôle et faire l'objet d'une contestation devant les tribunaux. Je tiens beaucoup à conserver la compétence et le contrôle tout en frappant un équilibre avec notre besoin de respecter les droits de la personne.
Dans la préface à l'arrêt Vaid, on peut lire :
Peu de questions revêtent autant d'importance pour notre équilibre constitutionnel que le rapport entre la législature et les autres organes de l'État auxquels la Constitution a conféré des pouvoirs, soit l'exécutif et les tribunaux judiciaires.
Je tiens à faire en sorte que la balance ne penche en faveur ni de l'exécutif, ni du pouvoir judiciaire. Bien que je convienne qu'il y a un manque au Sénat concernant les droits de la personne de ces employés, j'ai invité le sénateur Joyal à envisager la possibilité que, plutôt que de corriger le problème par voie législative, nous le fassions par modification du règlement, des politiques ou des pratiques. Je n'en suis pas encore venue à une décision à cet égard. Le fait de le faire par voie législative rompt l'équilibre d'une façon qui me met mal à l'aise. C'est là ma source de préoccupation.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de discuter de la question. À mon avis, il y a une lacune au Sénat que la cour a mise en valeur. Je ne défends pas la position adoptée par la Chambre : soit que tous les employés sont assujettis au privilège parlementaire. J'estime plutôt que nous n'avons pas en place la procédure qui convient.
La procédure choisie par le sénateur Joyal ne me pose pas de problème. Je ne souhaite tout simplement pas qu'elle soit prévue dans une loi. Je préférerais qu'elle fasse partie des processus internes du Sénat. De plus, il faut qu'elle soit la plus transparente et accessible possible.
J'en arrive à la raison pour laquelle j'ai présenté ma motion. Je l'ai fait pour la première raison, soit qu'après 25 années d'application de la Charte, j'ai commencé à me demander comment nous l'utilisons. Comment nous conformons-nous à la Charte dans l'exercice de nos fonctions sénatoriales?
Le sénateur Joyal a fait remarquer qu'en tant que pouvoir exécutif, nous avons un rôle de surveillance. Nous avons l'assumé. Au sein de nos comités, nous avons demandé à savoir si les lois sont conformes à la Charte. Je constate la présence à la table du sénateur Fraser, qui préside le Comité des affaires juridiques. C'est toujours la question à se poser : est-ce constitutionnel et nous conformons-nous à la Charte? Nous nous posons constamment la question. Nous interrogeons le gouvernement à ce sujet pour savoir s'il se conforme à la Charte des droits et libertés. Cependant, j'ai commencé à me demander si nous, en tant que sénateurs, en faisons autant dans notre travail quotidien, dans nos bureaux, dans nos fonctions à la Chambre. Dans l'affirmative, comment le faisons-nous? La grande question à se poser est de savoir comment nous utilisons la Charte dans le cadre de nos fonctions et de nos obligations.
Puis est survenue l'affaire Vaid qui fait très bien ressortir nos lacunes. Je m'interroge quant à l'application plus générale des droits de la personne. Nos employés sont un bon point de départ pour un pareil exercice. Il a été question des employés tombant sous le coup de la Loi sur les relations de travail au Parlement, mais qu'en est-il des autres employés? Comment faisons-nous en sorte que les employés qui ne tombent pas sous le coup de la Loi sur les relations de travail au Parlement jouissent des mêmes droits que ceux qui sont prévus dans la Loi sur les droits de la personne et dans la Constitution? Qu'en est-il des services du greffier? Qu'en est-il des autres sur la Colline, si vous me passez une expression courante, qui ne sont pas des greffiers au Bureau, mais qui ont toujours été considérés comme étant assujettis au privilège, de même que ceux qui sont visés par la Loi sur les relations de travail au Parlement et qui tomberaient sous le coup de la loi envisagée? Qu'en est-il de certaines autres catégories d'emploi? Avons-nous cherché à le savoir? Y a-t-il d'autres catégories d'emploi?
Une catégorie qui me vient à l'esprit est l'employé qui travaille dans nos bureaux. De quelle façon respectons-nous ses droits? Quelles politiques sont prévues à son égard? À quelle procédure de grief peut-il avoir recours? Je ne souhaite pas dire que nous n'avons rien fait. Il y a 14 ans déjà, j'étais membre du comité de la régie interne quand nous avons discuté de cas de harcèlement et de discrimination. Il existe des politiques en place.
Mon problème tient au fait que nous n'avons pas systématiquement examiné la situation des employés, cherché à déterminer de quelle catégorie ils relèvent et à savoir s'il existe un processus et une procédure auxquels ils peuvent avoir recours lorsqu'ils s'estiment lésés d'une façon quelconque.
En tant que sénateur, j'aimerais savoir quels processus sont en place de manière à pouvoir les appliquer de manière responsable. Il faut que nous dégagions un consensus à cet égard. Voilà par où je commencerais.
Il faut commencer par classer les employés pour savoir de quelles catégories ils relèvent, quels ont été les processus en place jusqu'ici et ce qu'il convient de faire. Nous avons beaucoup fait pour nous acquitter de nos obligations en matière de droits de la personne, ce qui ne veut pas dire que nous n'aurons jamais à nous demander jusqu'où va le privilège parlementaire dans un cas particulier. Cependant, j'aimerais être mieux armée et prête quand le cas se présentera. L'affaire Vaid a mis en cause la Chambre des communes, mais cela aurait tout aussi bien pu se produire au Sénat. Je préférerais que nous fassions preuve d'une certaine diligence en vue de nous conformer à nos obligations et que nous le fassions de manière plus systématique que jusqu'à maintenant. Pareil exercice représenterait également une bonne occasion pour nous tous de mettre nos connaissances à jour.
Si jamais nous réussissons à franchir la première étape comme il convient, en tant que deuxième phase, j'aimerais que nous abordions la question qui m'a été posée : que fait-on des autres avec qui les parlementaires de la Colline viennent en contact? Y a-t-il des lacunes là également? La question va beaucoup plus loin, en fait de débat philosophique, qu'une simple procédure de grief.
En résumé, j'estime important que le Sénat examine la question des droits de la personne de manière plus systématique, sur le plan des grands principes. Cependant, l'objectif concret aujourd'hui est de chercher à identifier les groupes d'employés et à déterminer si nous avons le régime qui convient en place, sans quoi nous nous retrouverons aux prises avec une affaire juridique, ce qui est à mon avis serait aussi fâcheux que l'affaire Vaid l'a été pour la Chambre. Le monde entier en a entendu parler. Je ne crois pas que nous souhaitions ce genre de publicité.
De plus, il faudrait que nous respections de manière plus scrupuleuse l'équilibre constitutionnel. Nous ne devrions pas être vulnérables à des contestations judiciaires parce que nous n'avons pas adopté de processus qui les préviendrait. La cour a statué, dans l'arrêt Vaid, comme elle l'a fait dans d'autres causes — je ne vais pas toutes vous les énumérer — qu'elle hésite à intervenir dans les affaires du Parlement. Cependant, si nous laissons un vide, elle n'a pas d'autre choix que d'exercer ses responsabilités. Les clôtures font les bons voisins et elles permettent de frapper le juste équilibre nécessaire entre les divers groupes de toute démocratie qui se respecte.
Le président : Sénateur Andreychuk, je vous remercie d'avoir si bien situé la question dans son contexte.
Chers collègues, la situation vous a été expliquée. Plusieurs sénateurs ont des questions.
Le sénateur Furey : Je tiens à remercier les collègues de cet exposé fort complet et très instructif.
Sénateur Joyal, ma question concerne le point que vous avez soulevé concernant les deux premiers groupes d'employés : ceux qui tombent sous le coup de la Loi sur les relations de travail au Parlement et ceux qui relèvent de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Vous avez affirmé que le projet de loi S-212 avait pour objet de faire en sorte que les deux groupes jouissent des mêmes droits. Il n'est pas question ici de l'application des droits. La Cour suprême du Canada, comme vous l'avez précisé, en a déjà décidé. Il est question plutôt de processus.
Conformément au paragraphe (2) de l'article 63.1 du projet de loi S-212, la Commission canadienne des droits de la personne peut présenter des observations. À votre avis, cela l'autorise-t-elle à intervenir et à s'imposer comme elle le fait en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou y a-t-il une différence?
Le sénateur Joyal : Non, c'est différent. L'article 210 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique stipule clairement que la première procédure consiste à donner un avis à la Commission, qui présente ensuite ses observations. Autrement dit, la Commission peut intervenir et prendre position dans des cas de discrimination présumée.
Le comité de grief gagnerait à mieux comprendre la nature des griefs, les détails des précédents, le cas échéant, et les observations. Comme vous le savez, la Commission canadienne des droits de la personne peut s'en remettre au tribunal, qui est, bien sûr, habilité à prendre des décisions.
Lorsqu'elle prend position, la Commission est en mesure d'informer le comité de grief du contexte et de la nature d'un grief. Si elle croit bon de le faire, la Commission canadienne des droits de la personne peut ensuite, conformément au paragraphe (2) de l'article 210, présenter ses observations sur la question soulevée. Elle formule des observations, sans toutefois se substituer au comité de grief. Bref, la procédure ne l'autorise pas à évincer ce dernier.
Après avoir été avisée par le comité de grief, la Commission décide si elle prendra position, auquel cas elle déterminera l'étendue de son intervention. Elle peut simplement donner de l'information générale, sur le genre de recours que la Commission a déjà accordé par exemple; elle pourrait également donner le contexte entourant la discrimination présumée. Elle peut donc informer le comité de grief pour l'aider à mieux comprendre le contexte général de l'affaire ou simplement résumer le cas de manière à reprendre les arguments que la personne qui se sent lésée a présentés sur la nature du problème.
Autrement dit, il ne s'agit pas de remplacer le comité de grief. Cela ressemble plus à ce que l'on appelle une intervention d'« amicus curiae ». La Commission ne fait qu'aider le comité à comprendre le dossier et à prendre une décision finale éclairée.
Je crois que votre question est très pertinente. Il ne s'agit pas d'un mécanisme qui se substitue à celui prévu par la loi. C'est toujours le comité de grief qui rend les décisions en fonction du bien-fondé de l'affaire et qui détermine évidemment l'indemnité qui sera accordée.
Le sénateur Andreychuk : J'ajouterais qu'il serait très important d'obtenir l'avis de la Commission canadienne des droits de la personne, comme l'a fait le comité sur les droits de la personne. Les membres de la Commission ont un rôle à jouer, car ils ont des opinions sur les droits de la personne et sont appelés à rendre des jugements en la matière. Je crois cependant que si nous passons par la voie législative, nous devons être extrêmement prudents. La Commission canadienne des droits de la personne lance une enquête, prononce des jugements, puis tente de réconcilier les parties, et ainsi de suite. Sinon, elle collaborait autrefois avec le tribunal, qui est maintenant une entité distincte, mais certains vestiges de ce système demeurent. Je me demande s'il convient de maintenir un lien entre la Commission et le tribunal, sauf si nous voulons faire appel à l'expertise éprouvée de ce dernier. Je ne tiens pas à ce que le tribunal fasse partie d'un processus, car il exerce ses fonctions différemment; je ne suis pas certaine que cela nous soit utile, ni à nous, ni aux employés.
Le sénateur Joyal : Pour faire suite à la proposition du sénateur Andreychuk, qui souhaiterait que nous fassions appel à la Commission des droits de la personne, je ferais remarquer qu'à la dernière page de l'article 1 paru dans la Revue parlementaire canadienne, au point 20, 211, j'indique que le 16 juin 2005, j'ai écrit à celle qui était alors commissaire en chef de la Commission, Mme Mary Gusella, qui a répondu à ma lettre au sujet de la procédure. J'ai d'ailleurs fait référence à cet article dans mon exposé de ce matin. Il serait très utile que la Commission nous donne son opinion à ce sujet, nous fasse part de sa position et nous dise jusqu'où elle est prête à aller. C'est certainement une question digne d'intérêt.
Le sénateur Furey : Je suis tout à fait d'accord, sénateurs Joyal et Andreychuk, que les deux groupes d'employés devraient être traités de la même façon. Je me demande simplement si en autorisant la Commission à formuler des observations, on en fait suffisamment pour mettre les employés visés par le LRTP sur un pied d'égalité avec ceux couverts par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Si vous pensez que oui, j'en serais fort aise.
Le sénateur Joyal : Une fois de plus, il serait bon d'entendre l'opinion d'un représentant de la Commission canadienne des droits de la personne. Comme je vous l'ai dit, j'ai avisé cette dernière de la situation en juin 2005, c'est- à-dire il y a presque trois ans maintenant. Elle a répondu dans une lettre officielle, à laquelle je fais référence dans l'article 1 que j'ai écrit à l'époque. Comme je l'ai mentionné, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique a été adoptée en 2003, il y a déjà cinq ans; il serait utile de savoir comment la Commission a appliqué la procédure depuis.
Le sénateur Angus : J'aimerais faire écho aux félicitations que le président et le sénateur Furey ont adressées à nos collègues pour leurs excellents exposés. C'est une joie pour la plupart des juristes ici présents que d'avoir l'occasion d'examiner ce que je considère comme des questions très légitimes de droit constitutionnel et certains aspects théoriques et philosophiques des droits de la personne.
Pour dire les choses simplement, je crois, sénateur Joyal, que le fait d'avoir deux régimes a mené au type de litiges que nous avons vus et que vous avez décrits. Vous croyez que nous devons assurer l'uniformité et la clarté, et que la mesure législative que vous proposez peut nous permettre d'y parvenir, c'est bien cela?
Le sénateur Joyal : Je crois que la mesure législative permettrait de donner les mêmes chances à tous, si je puis m'exprimer ainsi. Les employés du Parlement sont couverts par le processus de négociation collective prévu par la LRTP, et ce, de manière exclusive. En effet, nous ne voulions pas, à l'époque, que ces employés aient le droit de grève, parce que de toute évidence, le Parlement ne peut cesser ses activités. Voilà pourquoi nous nous retrouvons avec deux systèmes.
Le sénateur Angus : Je comprends.
Le sénateur Joyal : C'est le contexte de la LRTP. Cela ne règle pas le fait qu'un employé payé avec des deniers publics, comme le sont les employés du Parlement, ne devrait pas, en principe, jouir d'une protection comparable à celle de quelqu'un qui travaille à la fonction publique plutôt qu'au Parlement. En d'autres mots, ceux qui travaillent au nord de la rue Wellington sont moins bien protégés que ceux qui travaillent au sud ou de l'autre côté de la rivière. C'est le cœur même du problème. Ce que je propose dans le projet de loi S-212 vise à accorder à tous une capacité comparable d'obtenir réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne s'ils se sentent lésés dans leurs droits. Voilà essentiellement de quoi il retourne.
Le sénateur Angus : Sur ce point, nous sommes sur la même longueur d'onde. Vous avez l'impression que le régime de la fonction publique est beaucoup plus fort que celui prévu par la LRTP, que vous avez décrit. Vous considérez qu'il faut légiférer, alors que le sénateur Andreychuk tient à ce que l'on protège la distinction entre les types de droits. Voilà où j'aurais une question. Je crois que c'est, une fois encore, une question fort simple, mais qui mérite qu'on y réponde, car à mon avis, un droit est un droit, et les droits de la personne dans ce contexte devraient être les mêmes pour tous, que ce soit les 5 000 personnes qui travaillent sur la Colline ou les autres.
Le sénateur Joyal : Il y a 60 000 employés sur la Colline.
Le sénateur Angus : Je me demandais comment le sénateur Andreychuk pouvait considérer qu'il y a une différence. Le processus que vous avez décrit serait une démarche fascinante à toutes les étapes. Cette mesure législative pourrait être plus facile à mettre en application. Cependant, je me demande si le sénateur Joyal veut que nous adoptions une loi qui risque de couvrir des questions que la Chambre des communes pourrait considérer comme relevant de sa compétence.
Le sénateur Andreychuk : Je ne crois pas que les droits soient différents, et la Cour suprême partage cet avis. Tous les employés devraient jouir des mêmes droits, qu'ils travaillent sur la Colline ou dans un ministère. Le problème n'est pas là. Les droits sont les mêmes pour tous. Ce qui diffère, c'est l'interprétation de ces droits et les processus de grief permettant de faire valoir ces droits. Le tribunal a déclaré que le Parlement devrait veiller à ce que nous respections la Loi sur les droits de la personne. Il n'a pas précisé que le régime devrait être le même; mais il devrait être similaire. On nous pousse dans ce sens.
Compte tenu des privilèges parlementaires et du fait que nous voulions conserver tous nos droits dans le cadre de nos activités au Parlement, je ne veux pas m'en remettre à la loi. Je partage certaines des préoccupations du sénateur Furey. Si nous permettons à d'autres d'intervenir, nous renonçons à notre ...
Le sénateur Angus : Statut spécial.
Le sénateur Andreychuk : ... statut spécial, mais vraiment nécessaire. Voilà pourquoi je crois que la voie législative n'est pas la solution. Nous pouvons développer un plan semblable à celui dont bénéficient d'autres employés qui relèvent du Parlement. Je ne confierais pas la question à l'examen d'un tribunal. Je préférerais un système ouvert et transparent que d'autres personnes connaîtraient et pourraient examiner et commenter. Il s'agit de maintenir les paramètres du privilège parlementaire. Je ne suis pas la voie de la Chambre des communes, qui souhaitait avoir un régime opaque pour tous les employés, car elle considérait que tout cela ne regardait pas les gens de l'extérieur de la Colline. La cour a indiqué qu'il fallait mettre en place un régime qui n'aurait pas besoin d'être corrigé et qui serait irréprochable. Cependant, ce système devra être semblable à l'autre régime et prévoir des droits identiques parce que le Parlement n'est pas au-dessus des lois; il est tenu de les respecter, comme tout un chacun.
Le sénateur Angus : Sénateur Joyal, je vous connais tous les deux assez bien et je sais à quel point ces questions vous tiennent à cœur. Y a-t-il moyen de réconcilier vos deux points de vue?
Le sénateur Joyal : Oui, il en existe un. Laissez-moi vous expliquer. Une personne qui travaille sur la Colline serait couverte par un régime de protection très différent selon l'emploi qu'elle occupe.
Disons, par exemple, que vous êtes greffier à la Chambre. Vous êtes totalement protégé par le privilège. Aucun tribunal ne pourrait prendre de décision concernant un grief que vous auriez en matière de discrimination parce que vous relevez totalement de la responsabilité de l'assemblée législative pour laquelle vous travaillez. La cour a été très claire à cet égard dans le paragraphe 30 de sa décision :
Sur des questions relevant de son privilège, l'assemblée législative aurait compétence exclusive pour déterminer si les droits de la personne et les libertés publiques ont été respectés.
Le sénateur Angus : Nous, les sénateurs, aurions notre mot à dire.
Le sénateur Joyal : Il s'agit des greffiers du Sénat. Seul le groupe des sénateurs réuni est habilité à le faire.
Pour donner un deuxième exemple, un employé couvert par la LRTP qui travaille au restaurant parlementaire n'a pas de privilège, selon la Cour suprême. Cette personne serait visée par la LRTP lorsqu'il n'y a pas de protection précise en matière de droits de la personne. Elle doit alors déposer un grief selon la procédure générale prévue à cette fin. Si vous étiez un employé de Travaux publics, vous seriez mieux protégé si la Commission canadienne des droits de la personne pouvait intervenir.
Dans mon troisième exemple, vous êtes un employé du Sénat, mais ne jouissez pas du privilège et n'êtes pas couvert par le processus de convention collective prévu par la LRTP; autrement dit, vous êtes un employé de nos propres bureaux. Comment ces personnes sont-elles couvertes? Elles le sont probablement par une politique prévue dans le cadre de la régie interne. C'est le troisième système.
Il en existe un quatrième. Admettons que vous changiez de bureau et que le whip demande au ministère des Travaux publics d'envoyer quelqu'un pour changer les lumières au plafond. On vous envoie un employé de ce ministère, qui est protégé par la Commission de la fonction publique.
C'est comme un piano, qui émet des notes différentes selon les moments. Dans l'ensemble, toutefois, certains employés sont moins bien protégés que d'autres. La question est donc de savoir comment régler ce problème. Comment l'autre chambre réagirait si nous changions la Loi sur les relations de travail au Parlement? Honorables sénateurs, il est clair que si nous modifions la loi, le projet de loi sera adopté et renvoyé à la Chambre des communes, ce qui forcerait cette dernière à revoir ses propres activités. Elle devrait examiner la situation que j'ai expliquée pour les quatre catégories d'employés. Les membres de la Chambre devraient décider du sort de leurs greffiers. Nous ne pouvons leur dire comment faire. Ils devraient régler la question relative à la LRTP, parce que nous avons plusieurs employés en commun. Certains relèvent entièrement de leur responsabilité, parce qu'ils ne sont pas couverts par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, alors que d'autres fonctionnaires sont déjà couverts.
Comme nous partageons la Colline avec la Chambre des communes, le seul moyen de normaliser la situation consisterait à proposer des réponses aux trois premières questions. Cela pousserait la Chambre à agir et nous verrions comment elle aborderait la situation.
La décision Vaid a été rendue il y a trois ans, et nous tentons encore de trouver une solution. Je crois qu'il n'y a rien de déplacé à faire une suggestion et à voir comment la Chambre réagit.
Le sénateur Angus : Peut-on réconcilier les deux points de vue?
Le sénateur Joyal : C'est en étudiant les diverses options que nous pourrons voir comment résoudre la question. Je n'aimerais pas que nous adoptions la voie législative, pas plus, je crois, que le sénateur Andreychuk, car cela reviendrait à appliquer un cataplasme sur une jambe de bois et à prier pour que rien d'autre n'arrive au cours des 10 prochaines années. Tout ou tard, nous devrons mettre fin à notre « valse-hésitation » et régler la question des droits fondamentaux de la personne au Parlement.
Le sénateur Angus : Peut-on, sans craindre de se tromper, conclure que c'est un outil que vous avez choisi d'utiliser pour lancer le débat et faire la lumière sur la question?
Le sénateur Joyal : Ce n'est pas tant pour mettre la question en exergue que pour définir un processus. Nous devons convenir du meilleur processus pour protéger les employés. Comme l'a indiqué le sénateur Andreychuk, il faudra agir dans les limites des privilèges parlementaires pour que les tribunaux ne se mêlent pas de nos affaires. La cour a été claire dans la décision que j'ai citée. Cependant, nous devons agir, sinon nous serons confrontés à une situation comme celle de l'affaire Vaid à un moment donné.
Je propose que nous convoquions M. Vaid un beau matin. Sa plainte n'a toujours pas été entendue; ça traîne depuis sept ans. C'est un peu difficile à accepter.
Le sénateur McCoy : Mardi prochain, c'est le troisième anniversaire de la décision Vaid. Bien sûr, vous vous occupez de ce dossier depuis bien plus longtemps que nous et avez essayé depuis d'apporter des preuves. Je vous félicite de ne pas avoir déposé les armes.
J'ai une question à poser au sujet du projet de loi, entre autres. Mon collègue, à ma gauche, m'a mis au défi d'employer un terme juridique. Je vais donc les poser ad seriatim — que pensez-vous de cela?
Ma première question s'adresse au sénateur Joyal, quoique je pense que vous en avez également fait mention lors du débat, sénateur Andreychuk. Pourquoi jugez-vous nécessaire, ou pourquoi proposez-vous d'abroger le paragraphe 4(1) de la LRTP? Pourquoi est-il nécessaire de supprimer la disposition qui dit, « La présente partie n'a pas pour effet d'abroger les droits, immunités et attributions [...] »? Je suis d'accord avec vous : il faut protéger les employés. Toutefois, ne pouvons-nous pas le faire sans abroger cette disposition?
Le sénateur Joyal : Merci d'avoir soulevé ce point, sénateur. Vous avez dit que vous alliez poser des questions ad seriatim. Habituellement, ad seriatim veut dire une à la suite de l'autre. Il va donc y en avoir d'autres.
La réponse se trouve dans le paragraphe 35 de l'arrêt Vaid. L'article 4 a été examiné par la Cour, et le paragraphe 35 porte là-desssus. La Chambre des communes — pas le gouvernement, étant donné qu'il est intervenu dans l'affaire Vaid par l'entremise du procureur général — soutenait que les employés du Parlement étaient visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il s'agissait là d'une décision sans précédent pour le gouvernement.
L'article 4 définit les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, soit du Parlement du Canada. D'après la Cour, l'article 4 n'est pas exhaustif. Autrement dit, le Parlement ne peut dire qu'il possède des privilèges et que la Cour ne peut intervenir dans le débat.
La Cour est allée plus loin. Elle a passé en revue les privilèges visés par l'article 4, perçu, au départ, comme une disposition de sauvegarde dont l'objectif était de protéger tous les privilèges, droits et pouvoirs du Parlement, sauf qu'elle n'était pas à l'abri d'un examen judiciaire. La Cour a statué qu'il y avait des privilèges inhérents, comme la liberté d'expression, et des privilèges établis par voie législative. En effet, le Parlement peut décider qu'il a besoin d'un privilège pour exercer ses fonctions, et c'est là l'objet de la loi. La Cour a clairement laissé entendre que ces privilèges doivent être soumis à une étude, voire au critère de nécessité, comme le précise le paragraphe 38 de la décision, pour déterminer s'ils sont nécessaires ou non. La Cour, une fois qu'elle a jugé qu'ils sont nécessaires, n'a pas à se pencher sur la façon dont le Parlement applique ou utilise ceux-ci.
L'article 4 ne soustrait pas le Parlement à un examen judiciaire si le privilège établi par une loi ne satisfait pas, d'après la Cour, au critère de nécessité. Il y a là une distinction juridique. Voilà pourquoi je pense que nous devons, si nous décidons d'entreprendre un examen de la LRTP, analyser la façon dont l'article 4 a été rédigé dans le passé.
L'article 4, comme je l'ai mentionné, a pour objet de confirmer l'application du privilège du Parlement à l'égard de tous ses employés, sauf que la Cour a déterminé que ce ne sont pas tous les employés qui sont visés par les privilèges que nous venons de décrire. L'article 4 n'atteint pas l'objectif qu'il est censé viser, une fois qu'il est soumis à un examen.
Le sénateur Andreychuk : Puis-je ajouter quelque chose? Vous soulevez un point très pertinent et c'est pourquoi je veux y revenir. Je pense que l'on pourrait conserver cet article, parce que je n'interprète pas le jugement de la même façon. L'article 4 sert de point de départ, de norme. La Cour a jugé que cette question était importante. Le Parlement a besoin de ces droits. Toutefois, lorsque la Chambre les applique de manière vaste et générale, comme elle l'a fait, le critère de nécessité n'est pas satisfait.
Je me demande s'il n'y aurait pas lieu de le garder, de nous en servir comme base. J'utiliserais, comme point de départ, la protection dont nous bénéficions, et je mettrais en place une procédure de règlement des griefs qui respecte ce droit et aussi les droits de la personne. Au bout du compte, nous essayons de donner aux employés une procédure de règlement des griefs adéquate.
Par ailleurs, il est dans l'intérêt des citoyens que les parlementaires disposent de privilèges bien établis pour exécuter leurs fonctions au nom de ceux-ci. Cette disposition pourrait nous servir de point de départ. Nous pourrions en ajouter une autre qui préciserait qu'elle ne constitue pas une fin en soi.
Le sénateur McCoy : J'ai l'impression la Cour a invité le Parlement — et le Sénat fait partie du Parlement — à établir le privilège de manière péremptoire. À défaut de cela, le critère de nécessité serait appliqué à l'égard de tout privilège revendiqué. Nous avons été invités à établir le privilège de manière péremptoire — n'êtes-vous pas du même avis?
Le sénateur Joyal : Oui, car l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit clairement que les privilèges, immunités et pouvoirs du Parlement du Canada ne doivent pas excéder ceux que possède la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande. La Constitution du Canada précise que nous ne pouvons revendiquer plus de privilèges que ceux que possède cette autre Chambre. Il y a une limite, et cette limite est établie par la Chambre des communes de la Grande-Bretagne. La première phrase de l'article 18 le dit clairement :
Les privilèges, immunités et pouvoirs que possèderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada [...]
Il y a des privilèges qui peuvent être établis par voie législative, que nous pouvons décider de nous accorder pour exercer nos fonctions législatives et délibératives. Toutefois, ces privilèges ne peuvent excéder ceux que possède la Chambre des communes britannique.
Le sénateur McCoy : C'était en 1867.
Le sénateur Joyal : Cela peut sembler colonialiste à ceux qui lisent le texte de la Constitution — c'est un vestige du passé et nous voulons nous écarter de Westminster.
La Cour suprême a reconnu l'existence de cette limite, mais elle a également admis que le Parlement canadien évolue dans un contexte particulier, ce qui entraîne certaines nuances. Toutefois, il est clair que les droits et privilèges du Parlement, s'ils étaient établis par voie législative, iraient au-delà de ce qui existe à Westminster, ce qui inciterait la Cour à appliquer le critère de nécessité. Elle se demanderait si le Parlement du Canada a besoin de ce pouvoir pour exécuter ses fonctions législatives et délibératives.
Encore une fois, je vous invite à lire les paragraphes 35, 36, 37 et 38 de la décision de la Cour suprême, qui portent justement sur ce sujet.
Le sénateur McCoy : Ce qui m'amène au point suivant, à la lumière surtout de ce qui a été dit samedi dernier : le commissaire à l'éthique de la Chambre des communes a déclaré qu'un député faisant l'objet d'une poursuite en diffamation ne peut participer aux décisions d'un comité. Pour moi, cela constitue une entrave au processus délibératif et législatif qui est établi. On utilise une poursuite devant les tribunaux pour entraver les travaux du Parlement. Je ne sais pas où cela nous mène, et je ne dis pas cela de façon partisane, mais cela soulève plusieurs questions pour ce qui est de l'existence et de l'étendue du privilège.
J'appuie le projet de loi dont nous sommes saisis, mais j'espérais, sénateur Andreychuk, que votre motion, compte tenu de sa portée, nous amène à jeter un regard beaucoup plus vaste sur la question du privilège. J'espérais qu'elle serve à établir un consensus pour que l'on produise un rapport sur le privilège, comme l'a fait le Parlement du Royaume-Uni, rapport sur lequel la Cour suprême du Canada s'est largement appuyée, ou, à tout le moins, que l'on comble la lacune cernée par la Cour, c'est-à-dire que le privilège soit établi péremptoirement.
C'est un point que vous souhaiteriez peut-être examiner. Je propose que vous invitiez le comité à jeter un regard plus vaste sur la question, à ne pas s'en tenir strictement, même si c'est très important, au fait que les employés méritent de bénéficier de la même protection que les autres au chapitre des droits de la personne, principe qui n'est pas le seul défini par la Charte.
Le président : Cela apporte un éclairage intéressant à la discussion. Je vais y revenir à la fin.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais répondre brièvement. Le privilège parlementaire touche à un grand nombre de domaines, ce qui implique une étude longue et détaillée. Il faut, dans ce cas-ci, s'occuper d'abord des droits de la personne des employés. Mon objectif ici n'est pas de limiter le privilège parlementaire de quelque façon que ce soit par l'entremise d'une loi. D'où ma crainte d'instaurer un régime de recours en matière de droits de la personne par voie législative plutôt qu'en utilisant nos propres règles, parce que cela a un impact encore plus fondamental sur le privilège parlementaire.
Vous proposez, je pense, que nous fassions une étude. Je peux vous citer quatre autres cas où le privilège parlementaire est contesté ou appliqué de façon imprévue. Ce sujet ferait lui aussi l'objet d'une étude intéressante, si nous avions le temps et le désir de l'entreprendre.
Le sénateur Joyal : Le sénateur Andreychuk a soulevé un point important : quelles sont les protections dont bénéficient les citoyens ou les tiers qui ont des contacts avec le Parlement? De nombreuses décisions surprenantes ont été rendues au cours des dernières années. Par exemple, l'Assemblée législative du Québec a adopté à l'unanimité une motion condamnant une déclaration faite par un citoyen sans que cette personne ne bénéficie d'un procès équitable pour expliquer sa position. Je trouve cela fort étonnant dans un sens. Les assemblées législatives ne peuvent condamner un citoyen sans procès équitable. Ce n'est pas acceptable dans le contexte d'aujourd'hui.
Le sénateur a parlé du pouvoir disciplinaire du Parlement. En tant qu'assemblée législative, nous pouvons décider de discipliner une personne qui comparaît devant le Parlement. Il peut s'avérer nécessaire d'avoir recours à cette méthode pour nous assurer que nous entendons la vérité à laquelle nous avons droit, en tant qu'assemblée législative. Lorsque nous doutons de la véracité d'un témoignage, nous devons pouvoir prendre des mesures pour régler la question. En fait, le rapport préparé conjointement par la Chambre des communes britannique et la Chambre des lords en 1999 propose une série de recommandations au sujet de la procédure qu'utilise le Parlement britannique quand il exerce ses pouvoirs disciplinaires.
Il s'agit d'un problème réel. C'est un modèle que nous pourrions analyser. Nous toucherions ainsi aux points qu'a soulevés le sénateur Andreychuk concernant l'incidence de la Charte sur les affaires parlementaires.
Le sénateur McCoy : Il me semble que si l'objectif, ici, est d'instaurer un processus pour les employés, il vaudrait mieux renvoyer le dossier au Comité de la régie interne. Si l'on veut mettre en place un régime plus vaste qui répond aux droits de la personne des employés, peu importe la catégorie à laquelle ils appartiennent, alors c'est à ce comité qu'il faut confier le dossier.
Le président : Il y a quatre autres sénateurs qui veulent intervenir dans le débat. Avec votre permission, nous allons prolonger la réunion et je vais céder la présidence au sénateur Smith, à 11 h 15.
Je propose que l'on discute de ce processus pendant le reste de la réunion.
Cette discussion est fascinante. Comme je le disais au greffier, il est malheureux que cette séance ne soit pas télédiffusée. Peut-être que les autres devraient l'être. J'aimerais avoir votre avis là-dessus. J'aimerais également savoir si le comité devrait inviter d'autres témoins, ainsi de suite. Je voudrais que les attachés de recherche préparent un plan de travail ou quelque chose du genre. J'en discuterais avec le comité de direction et ensuite, je vous dirais ce qu'il en est. Ce sujet est très intéressant. Je pense qu'il est important que le comité saisisse l'occasion de clarifier toute cette question.
Cela dit, le sénateur Fraser souhaiterait faire un commentaire.
Le sénateur Fraser : Merci, monsieur le président. J'ai deux questions à poser. Pour gagner du temps, je vais les poser toutes les deux, et ensuite laisser nos savants témoins y répondre.
Sénateur Joyal, l'article 3 du projet de loi que vous avez présenté précise ce qui suit :
66.2 Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l'arbitre peut :
interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne...
Je crois comprendre que cela cadre avec ce que dit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
Le sénateur Joyal : Oui.
Le sénateur Fraser : Néanmoins, je trouve cela fort étonnant. Je n'ai pas eu beaucoup à faire avec les arbitres en ressources humaines et autres, mais cela ne fait pas partie de leur mandat. Ils ne s'occupent pas des droits de la personne. Ils n'ont pas été formés dans ce domaine. Ce ne sont pas des spécialistes de la question. Cela ne fait pas partie de leur travail. C'est comme si l'on demandait à un cardiologue de juger un différend entre architectes. Ce sont deux compétences complètement différentes.
Les choses se passent peut-être différemment dans le secteur public. Je me demande, sénateur Joyal, si vous vous êtes penché là-dessus — si certains, ici ou ailleurs, ont une certaine expérience en la matière — et ce qu'a donné l'adoption de cette approche.
Sénateur Andreychuk, je crois que vous savez que je partage votre souci de mettre le privilège parlementaire à l'abri de tout examen judiciaire. C'était là une de nos principales préoccupations quand nous avons rédigé le code sur les conflits d'intérêts. Je pense que nous avons mieux fait, à cet égard, que la Chambre des communes.
Dans le cas qui nous intéresse, la Loi canadienne sur les droits de la personne est déjà en application, tout comme l'est la Charte. Je n'arrive pas encore à comprendre dans mon esprit, et encore moins dans le monde réel, comment appliquer ce qui est déjà établi dans la loi. Il me semble qu'il faut prévoir une certaine forme d'autorité législative. Si, à ce stade-ci de votre réflexion, le projet de loi ne constitue pas la réponse, quelles sont les autres pistes de solution que nous pouvons explorer?
Le sénateur Joyal : Je vais répondre rapidement à la première question. Sénateur Fraser, vous avez tout à fait raison. La Commission des relations de travail est responsable des conventions collectives, comme vous le savez. Elle interprète les obligations définies en vertu des conventions collectives, qui sont, essentiellement, d'examiner les griefs liés à la rémunération et au milieu de travail.
La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, que nous avons modifiée en 2003, accordait pour la première fois la responsabilité d'assurer le respect de la Loi canadienne sur les droits de la personne aux arbitres de la Commission des relations de travail. Ce faisant, on a reconnu que la Commission canadienne des relations de travail n'avait pas la « capacité professionnelle » de s'attaquer à ces questions dans l'exercice de ses activités courantes. C'est pourquoi on a intégré dans la loi l'obligation, quand un tel problème se pose, de donner avis à la Commission pour qu'elle puisse avoir accès à des ressources. Comme je l'ai dit au sénateur Furey : « amicus curiae ». Les intervenants désintéressés sont là pour aider le tribunal et la Commission.
C'est dans ce contexte que cette proposition-ci permettrait de protéger les droits de l'employé lésé. Même s'il comparaît devant une commission qui ne possède pas la capacité voulue pour régler ce genre de problème, il pourra compter sur l'aide de personnes-ressources qui l'aideront à prendre une décision une fois qu'ils auront entendu les parties et lu l'information fournie par la Commission.
Il s'agit essentiellement d'un régime mixte. La fonction publique aurait pu laisser la Commission canadienne des droits de la personne s'occuper du dossier, mais elle a préféré s'en remettre au comité de griefs. Toute violation des droits de la personne qui découle des conditions de travail intéresse le milieu de travail. On ne voulait pas séparer les deux. Voilà pourquoi cette responsabilité a été ajoutée au mandat du comité de griefs en 2003.
Ce serait également le cas en vertu de la LRTP. C'est-à-dire que les employés du Parlement seraient couverts par une convention collective en vertu de cette loi. On compenserait, au même titre, le manque d'expertise du conseil en la matière.
Le sénateur Andreychuk : Je crois que c'est une question plus facile à poser.
J'aimerais poursuivre dans le sens des propos du sénateur McCoy. Comme nous n'avons pas établi, en ce qui a trait aux employés, de processus lié au privilège parlementaire sur lequel pourrait se prononcer le tribunal, ce dernier a déclaré que l'immunité globale qu'invoquait la Chambre n'était tout simplement pas admissible. Le tribunal est intervenu. On ne nous a pas ordonné d'imposer un régime par voie législative. Le tribunal nous a simplement indiqué qu'il fallait mettre un régime en place, si je comprends bien.
Je ne suis pas tellement en mesure d'argumenter avec le sénateur Joyal pour le moment, parce que j'aimerais entendre des constitutionnalistes et faire quelques recherches à ce sujet. Je crois qu'il faudrait adopter une loi obligeant quelqu'un à l'intérieur du Sénat à assumer certaines responsabilités, mais n'établissant pas le processus; le processus en question devrait être déterminé par les personnes à qui on aura confié ces responsabilités.
C'est de cette façon que nous avons traité le dossier des conflits d'intérêts; nous avons en effet convenu qu'il fallait aborder certaines questions liées aux conflits d'intérêts. Nous avons notamment décidé de créer un comité et de nommer un agent devant assumer certaines responsabilités en fonction des circonstances.
C'est de cette façon que je voudrais que l'on procède. J'aimerais qu'on ait ce genre de souplesse. Comme nous l'avons dit, le privilège parlementaire a été instauré comme point de référence — en 1867, d'après le régime britannique —; le sénateur Joyal a toutefois indiqué que le tribunal reconnaît aussi que ce privilège peut évoluer.
Je ne voudrais pas qu'on établisse quelque chose d'immuable d'un côté comme de l'autre. J'aimerais qu'on ait la même flexibilité que le tribunal nous propose d'insuffler quant au privilège parlementaire. Je crois qu'il faudrait que le projet de loi soit un peu moins précis à propos du régime à suivre, mais qu'il prévoit certains pouvoirs en ce sens.
Le sénateur Joyal : J'aimerais vous répondre en citant un extrait de la décision de la cour. Il serait utile de réfuter l'idée selon laquelle nous devons suivre à la lettre ce qui se fait à la Chambre des communes de Westminster pour ce qui est du privilège parlementaire; je dirais que c'est une autorité coloniale, en quelque sorte. Je citerai le paragraphe 38 de la décision de la cour. Je crois qu'il sera intéressant pour chacun de nous de comprendre comment la Cour suprême a interprété l'autorité de Westminster.
Le paragraphe se lit comme suit :
Toutefois, bien que l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que les privilèges du Parlement canadien et de ses membres ne doivent pas « excéder » les privilèges existants en Grande-Bretagne, nos Parlements respectifs ne sont pas pour autant privés de toute latitude. Ainsi, il semble probable qu'il puisse exister des « différences », c'est-à-dire des pratiques parlementaires inhérentes au système canadien ou édictées au regard de notre propre expérience. Ces pratiques seraient assujetties aux critères de « nécessité » définis en fonction des exigences et des circonstances propres à notre Parlement. La Cour examinera cette question en temps et lieu si elle lui est soumise un jour.
On a eu la bonne idée de moduler l'article 18 de la Constitution originale.
Le sénateur Fraser : J'aimerais poser d'autres questions, mais je vais m'abstenir, monsieur le président.
Le sénateur Brown : Je dois dire que je tombe des nues ce matin. J'ai commencé à suivre ce qui se passe au Parlement il y a des années, bien avant d'entrer en poste au Sénat. J'ai toujours cru que le privilège parlementaire servait à protéger légalement ce que l'on dit et fait au cours d'une séance parlementaire, que cela nous évitait d'être poursuivis ou quelque chose comme ça. Je ne savais pas que le privilège avait une si vaste portée.
Au cours des dernières semaines, j'ai même entendu les parlementaires mettre des collègues au défi de répéter à l'extérieur de la Chambre ce qu'ils avaient affirmé dans cette enceinte. Tenir de pareils propos en dehors des murs des deux chambres les exposerait à des poursuites judiciaires.
Pourquoi n'abordons-nous pas la question sous un angle différent et ne diminuons-nous pas la portée de ces privilèges au Sénat et à la Chambre des communes, afin que nous puissions traiter les employés du Sénat de la même façon que tous les autres employés de l'ensemble du pays? C'est simplement un commentaire.
Je suis complètement abasourdi de constater à quel point le privilège semble s'appliquer à tout. Je me console en me disant qu'au moins la décapitation n'est plus permise.
Le sénateur Joyal : Pour répondre à votre question, j'aimerais ajouter quelques chiffres qui pourraient intéresser tout le monde.
De 1867 à 1991, soit environ 120 ans, seuls 31 cas reliés aux privilèges parlementaires ont été portés devant des tribunaux canadiens. Ce n'est pas un chiffre énorme. Depuis 1991, un passé assez récent, il y en a eu 48. Je crois qu'il y a lieu de se poser des questions.
Une affaire est actuellement en attente d'une autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada. On allègue qu'un parlementaire a publié un bulletin, ce que tous les parlementaires ont le droit de faire, qui était discriminatoire envers un groupe de personnes. Une des personnes visées a demandé des mesures réparatoires, et le parlementaire a invoqué que ce qui était imprimé dans le bulletin parlementaire était couvert par le privilège. Il soutenait qu'il était protégé contre tout recours légal.
La Cour fédérale, la première instance à avoir entendu l'affaire, a conclu que les bulletins parlementaires n'étaient pas assujettis au privilège. Les parties ont demandé l'autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême à la fin de l'hiver. La cour devrait donc rendre sa décision dans les mois à venir.
Les Canadiens sont maintenant beaucoup plus sensibilisés à la question du privilège parlementaire. On voit par le nombre de cas où l'on soutient que les parlementaires devraient être assujettis aux mêmes lois que la majorité.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais donner une réponse quelque peu différente, car je crois que l'on n'a abordé qu'une partie du problème.
Je crois que la plupart des citoyens pensent que les privilèges parlementaires ne s'appliquent qu'à ce qui est dit en chambre, mais ils ont toujours eu une portée beaucoup plus vaste. Si ça pose problème aujourd'hui, c'est qu'on a statué, dans l'affaire Vaid, que le privilège ne couvre que ce qu'un parlementaire doit absolument faire pour remplir ses fonctions.
Toutefois, deux phénomènes opposés se produisent. Le premier, c'est que les parlementaires sont quelque peu frustrés de la façon dont ils doivent faire leur travail et jouer leur rôle. C'est pourquoi ils tentent de trouver des moyens d'étendre leurs droits et privilèges pour mieux s'acquitter de leur mandat.
D'un autre côté, si on se sert du privilège parlementaire pour justifier tout ce que l'on fait, c'est là qu'on se retrouve avec des cas comme l'affaire Vaid sur les bras. Je crois que la population ne serait pas d'accord avec cette approche, et la Cour suprême a statué qu'elle ne l'était pas non plus. Cette problématique s'inscrit dans un débat plus large, à savoir comment les parlementaires ordinaires, pas les ministres, exercent les pouvoirs discrétionnaires qui leur sont conférés dans le cadre de leurs fonctions.
Aussi, les citoyens n'exercent plus la même pression sur les parlementaires. Quels droits les citoyens ont-ils par rapport aux parlementaires? Ces derniers ont, dans la société moderne, le droit de faire le travail qu'ils croient devoir faire en tant que parlementaires, mais ils ne peuvent pas se permettre de faire tout ce qu'ils veulent. Je crois que nous n'avons pas encore assez débattu de la question. Le débat est soulevé à petits coups, comme en ce moment. Nous commençons à peine à comprendre ce que cela signifie.
Le sénateur Brown : Sénateur Joyal, on peut en effet dire, comme vous l'avez mentionné, qu'il y a eu peu de contestations judiciaires. Par contre, ce qui me préoccupe, c'est que le pouvoir de privilège est si grand qu'il en décourage plus d'un. Les gens ont l'impression que cela ne sert à rien de contester, surtout que le processus pour obtenir justice est très long. Même les documents juridiques que j'ai lus dans les derniers jours étaient très volumineux. Je trouve inquiétant qu'on ait des années et des années de retard en ce qui a trait aux privilèges qu'on accorde aux parlementaires par rapport à ceux auxquels ont droit nos employés ou le grand public.
Le sénateur David P. Smith (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Nous considérerons cela comme une question.
Sénateur McCoy, vous avez fait référence à la décision de la commissaire à l'éthique. Lisez l'article de William Kaplan dans le Globe and Mail de ce matin, parce qu'il démolit complètement cette décision. Ce sera intéressant de voir quelle sera la suite des choses.
À cet égard, je suis plutôt ouvert d'esprit, car je ne crois pas que tout soit noir ou blanc. Je vais tenter de simplifier la situation et de caractériser les différences entre les deux positions. Vous me direz ensuite si je me trompe ou si j'ai oublié quelque chose.
Sénateur Andreychuk, je considère que vous adoptez une position plutôt nuancée; nous devrions suivre cette façon de penser. Si nous nous imposons un carcan en adoptant un cadre législatif, on risque de ne pas pouvoir y intégrer une solution viable en cas de nécessité.
Je simplifie peut-être trop les choses, mais j'estime que la position du sénateur Joyal se rapproche de la Loi sur la clarté. Autrement dit, nous devons être clairs. Il est préférable d'être clair que d'être nuancé pour savoir où l'on se situe. Une partie de ma réflexion est influencée par les droits des contribuables également. Je ne voudrais pas m'avancer sur le bien-fondé de l'affaire Vaid, car elle n'est pas encore réglée.
Le Président Parent a quitté son poste en 1997. J'imagine donc que toute cette histoire s'est produite avant son départ. Est-ce que M. Vaid est encore sur la liste de paie?
Le sénateur Joyal : Non. Il s'est présenté à mon bureau il y a trois semaines, mes chers collègues, pour faire le point sur la procédure de règlement des griefs qu'il a intentée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de la LRTP. Son syndicat devait le représenter, mais il a décidé de laisser tomber le dossier sans prévenir le principal intéressé. M. Vaid est venu me demander ce qu'il pouvait faire.
Comme je l'ai indiqué...
Le vice-président : Laissez-moi d'abord terminer ma question. Il a dû se trouver sur la liste de paie pendant un certain temps.
Le sénateur Joyal : Pendant dix ans, à ce qu'on me dit.
Le vice-président : Il a donc été sur la liste de paie pendant 10 ans. Sans pouvoir faire de parallèle exact, j'ai pris part, au cours du dîner que j'ai présidé hier au nom du groupe Canada-Royaume-Uni pour cinq membres de la Northern Ireland Assembly, à une discussion qui me fait penser à la situation présente. Nous avons parlé du dimanche sanglant, qui s'est produit il y a 35 ans, lors duquel treize personnes avaient été tuées. Il y a environ 12 ans, voyant que les choses ne s'amélioraient pas, Tony Blair a décidé de lancer une enquête judiciaire. Trois juges, dont Bill Hoyt, ancien juge en chef du Nouveau-Brunswick, ont ainsi été nommés pour mener l'enquête. Bill est un bon ami à moi et, à l'époque, il croyait que le processus durerait un an, peut-être deux. Ce n'est toujours pas terminé; ils en sont maintenant à la onzième année. Je crois que l'enquête a coûté jusqu'à présent plus de 100 millions de livres. La majeure partie de cet argent est allée aux avocats, et l'ironie...
Le sénateur Robichaud : Quelle surprise!
Le vice-président : Je n'ai pas l'intention de défendre les avocats, même si j'en suis un.
Entre-temps, des progrès énormes ont été réalisés en Irlande du Nord. Certains affirment que l'enquête vient jeter de l'huile sur le feu, alors que les choses commençaient à se tasser.
On peut difficilement faire d'analogie, mais si on pense aux coûts pour les contribuables, j'ai tendance à pencher du côté de la clarté — mais sénateur Andreychuk, je garde quand même l'esprit ouvert —, pour qu'on ait une meilleure idée de ce à quoi devrait ressembler le processus pour ne pas que les choses soient laissées à elles-mêmes et qu'elles traînent aussi longtemps.
Dites-moi si je me trompe, si j'oublie quelque chose ou si mon raisonnement est injuste, parce que je suis ouvert à d'autres possibilités.
Le sénateur Andreychuk : Je crois qu'il s'agit d'une interprétation plutôt injuste, puisque je veux aussi quelque chose de clair. Je souhaite qu'on établisse un régime très précis. J'aimerais simplement qu'on ait une certaine marge de manœuvre pour suivre l'évolution de la société, de la Chambre, du Parlement et du Sénat.
Autrement dit, je crois qu'il est possible d'adopter un système à la fois souple et clair. Là où ne s'entend pas, c'est lorsqu'il s'agit de savoir si ce système sera régi par une loi ou par nos propres règles. Je réclame en fait qu'on établisse pour une période déterminée un régime précis qui ne soit pas coulé dans le béton.
Ce n'est pas une position nuancée. En ce sens, nous représentons le noir et le blanc.
Le vice-président : On devrait parler de flexibilité.
Le sénateur Andreychuk : Non. Le régime aura une fonction bien définie. La flexibilité entre en jeu lorsqu'il s'agit d'apporter rapidement les changements requis. Nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve et le tribunal n'a pas parlé de « solution législative ». On nous a dit d'instaurer un régime, de nous servir de nos pouvoirs, de prendre les mesures qui s'imposent. Ne vous mettez pas à l'abri pour éviter de voir le problème; mettez en place un régime, voilà ce qu'on nous a dit.
Je ne pense pas que nous soyons contre l'idée d'un régime spécial dont les composantes permettront de faire le nécessaire, en évitant les retards indus, et de rendre justice aux employés au moyen d'un examen approprié de leurs griefs. C'est le régime dont nous avons besoin. À mon avis, la question du privilège parlementaire intervient quant il faut déterminer si l'on instaure un tel régime au moyen d'une modification législative ou par la voie d'un changement au règlement à l'intérieur même du Sénat. C'est également à cette étape que le Sénat commence à prendre ses distances par rapport à ce régime. J'estime que vous obtiendrez ainsi, sous l'égide du Sénat, tout ce dont vous avez besoin pour les employés sans avoir à intégrer le tout à un régime législatif, ce qui nous rapprocherait davantage d'un examen judiciaire, plutôt que d'un examen sénatorial.
Le sénateur Joyal : Si vous le permettez, monsieur le président, j'aurais simplement une parenthèse à ouvrir. M. Vaid a été informé de son congédiement le 20 mai 1997.
Le sénateur Andreychuk : Il a été congédié.
Le sénateur Joyal : La décision de...
Le vice-président : C'était il y a 11 ans.
Le sénateur Joyal : La décision de la Cour suprême a été rendue à la mi-juin 2005.
La Cour suprême a indiqué à M. Vaid de s'en remettre au régime de la LRTP. Trois ans plus tard, et pour différentes raisons, il n'a toujours pas obtenu de décision dans le cadre du processus de grief prévu par la LRTP. Il n'a même pas eu droit à une audience.
Il me semble que si un employé est assujetti au régime établi par la LRTP, une loi du Parlement, nous devrions veiller à lui assurer la même protection que celle offerte à tous les fonctionnaires visés par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. C'est ce que je vous soumets.
À mon sens, la proposition du sénateur Andreychuk touche les employés qui ne sont pas régis par la LRTP, c'est-à- dire les greffiers au bureau et tous les travailleurs qui se retrouvent dans la même situation. Mon projet de loi n'a pas pour objet de les faire tomber sous le coup d'une loi. Le sénateur Andreychuk veut que nous mettions un système en place et elle nous suggère d'examiner les différentes options à cet égard.
Je ne pense pas que nous nous retrouvions dans une impasse, monsieur le président.
Le vice-président : Je suppose que je voudrais que les choses soient bien claires quant à votre volonté d'être clair.
Le sénateur Joyal : C'est ce que je souhaite.
Le vice-président : Vous aimez la clarté; c'est ce que vous préconisez.
Le sénateur Joyal : Oui, c'est ce que je viens de vous expliquer.
Le vice-président : D'accord. Vous appréciez la clarté tout comme la flexibilité.
Le sénateur Andreychuk : Je crois que nous devons établir une certaine base législative pour les employés régis par la LRTP. Je ne suis pas certaine que ce projet de loi soit nécessaire, dans sa forme actuelle. Je ne pense pas que la position du sénateur Joyal ait changé. Il est disposé à examiner la façon dont il pourrait la changer. C'est ce qu'il est prêt à faire et je le remercie d'avoir articulé ces concepts dans un projet de loi de manière à ce que nous puissions en traiter. Il est possible que nous décidions d'en extraire certains pour les concrétiser par ailleurs, mais pas nécessairement. Je ne crois pas que nous soyons en désaccord.
Le vice-président : Le sénateur Robichaud est notre dernier intervenant et ses questions seront sans doute d'une clarté limpide.
[Français]
Le sénateur Robichaud : S'il devait se présenter un cas au Sénat qui ressemblerait un peu à celui de la Chambre des communes, nous serions toujours dans les limbes, n'est-ce pas? Il serait très difficile d'en arriver à un règlement.
Le sénateur Joyal : Vous me posez la question, sénateur?
Le sénateur Robichaud : Je la pose à vous deux.
Le sénateur Joyal : Je vais vous répondre comme un avocat et mes collègues, les sénateurs Angus et Smith, vont probablement sourire. Cela dépend. Prenons exactement le même scénario, c'est-à-dire que le chauffeur de l'actuel Président du Sénat est renvoyé par une lettre aujourd'hui et il estime, parce que c'est un « il », qu'il a été l'objet de discrimination. La question : quel est le régime qu'il va utiliser pour se défendre et pour chercher à obtenir compensation? Selon la décision unanime de la Cour suprême — j'insiste car on ne l'a pas dit ce matin, mais la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Vaid est unanime —, il devra s'adresser au Public Service Labour Relations Board. Et là, il fera face à la même situation que M. Vaid. J'espère qu'il sera entendu tout de suite et que le syndicat ne changera pas d'opinion entre temps.
Évidemment, la réalité est qu'en pratique, il pourrait subir le même sort que M. Vaid. Cest-à-dire qu'il n'aura pas à faire une plainte à la Commission des droits de la personne qui va référer la plainte au Tribunal des droits de la personne, qui va l'entendre, qui fera l'objet d'un appel à la Cour fédérale, qui ira ensuite à la Cour fédérale d'appel et s'il n'est pas satisfait, à la Cour suprême. Tout cela a duré de 1997 à 2005. Exactement huit ans. Trois ans plus tard, vous l'entendrez — et je vous suggère de l'entendre, honorables sénateurs — et vous verrez quelle est la réalité de la protection des droits de la personne sur la Colline.
Donc pour répondre à votre question, tant qu'on ne précise pas le régime de protection des droits d'un employé qui tombe sous PESRA, la situation que M. Vaid a connue depuis trois ans risque de se reproduire.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk : J'ai l'impression que si une affaire Vaid devait se produire de notre côté, la situation serait assez semblable à celle vécue par la Chambre du point de vue des lois, des procédures et des politiques. Je crois que nous avons été épargnés parce que nous sommes ici pendant des périodes plus longues et que nous menons un peu différemment les affaires de notre Chambre. Nous avons eu à composer avec des cas du genre et nous les avons traités de manière différente, en concertation ou autrement. Je ne pense toutefois pas qu'un employé devrait être à la merci de notre bonne volonté. J'estime plutôt qu'il devrait pouvoir s'en remettre à un mécanisme établi à l'intérieur de notre système.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Si nous mettions en place un tel régime, les employés du Sénat suivraient une procédure qui accélérerait le règlement d'un différend. Pour que les employés du Sénat bénéficient de cette même protection, la proposition du sénateur Joyal devrait être acceptée par les deux Chambres.
Le sénateur Joyal : Tout à fait. Il n'y a pas de doute, un amendement à la PESRA devra recevoir l'assentiment de la Chambre des communes pour être en application, c'est absolument incontournable. Sauf que la Chambre des communes aura aussi à se poser la question, devant la situation dans laquelle M. Vaid se trouve trois ans plus tard, à savoir s'il est acceptable qu'un système comme le nôtre soit face à un tel déni de justice.
Personnellement je vous réponds, sénateur Robichaud, que quand ce comité dont j'étais membre à l'époque s'est saisi de cette question, nous avons tenu huit réunions et nous avons entendu dix experts sur la question. Et pour toutes sortes de raisons, le Sénat comme tel n'est pas intervenu.
En collaboration avec le sénateur Jaffer, j'ai choisi d'intervenir à la Cour suprême. Nous sommes intervenus et la cour nous a entendus sur la base que j'estimais qu'il était illogique que les droits des employés du Parlement ne soient pas protégés, au moins ceux qui sont couverts par le régime de PESRA.
Dans sa sagesse, la cour a rendu sa décision et trois ans plus tard, je suis obligé de conclure que le système de PESRA mis en place est réel. Mais est-ce que c'est suffisant pour garantir la protection de la personne qui fait l'objet d'une allégation de discrimination? Je ne crois pas. C'est pourquoi je propose au Parlement de s'assurer qu'il y a une parité de protection entre les employés de la fonction publique, qui sont couverts par les conventions collectives, et les employés du Parlement qui sont également couverts par un processus de négociation de convention collective. Les deux systèmes visent les mêmes objectifs.
Le sénateur Robichaud : Ne serait-il pas sage de mettre en place un régime qui, au moins, s'appliquerait au personnel du Sénat dans un premier temps, pour ensuite poursuivre la démarche avec une législation?
Le Sénat aurait plus de chance de mettre un régime en place dans un délai plus court que s'il devait poursuivre la démarche pour que le régime s'applique au Parlement. N'est-ce pas?
Le sénateur Joyal : Je pense qu'on peut faire les deux en même temps. On peut revoir le régime en place. Je ne veux pas soutenir devant vous qu'il n'y a pas de régime en place. Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a certainement des normes et une procédure dont nous voudrons revoir l'application. Il est certain que nous pouvons agir immédiatement pour une certaine catégorie d'employés, mais nous devons aussi agir pour une autre catégorie d'employés.
Le sénateur Robichaud : Je ne le conteste pas.
Le sénateur Joyal : On peut faire les deux démarches en parallèle. Et je crois que la position du sénateur Andreychuk réconcilie ces deux objectifs de regarder de façon plus générale pour s'assurer que tous les employés sont couverts, et également s'assurer que la situation de M. Vaid ne se reproduise pas si un employé se retrouve dans cette catégorie d'employés.
Par conséquent, la voie législative m'apparaît être la voie appropriée pour souligner à l'autre Chambre qu'il y a lieu d'intervenir.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk : Permettez-moi un post-scriptum. Sénateur Robichaud, je crois que vous avez participé à quelques-unes de ces réunions que nous avons tenues. On avait l'impression qu'il serait impossible de nous entendre assez rapidement avec la Chambre pour faire valoir notre point de vue de façon convaincante. Nous avons alors convenu d'examiner la question et de proposer notre propre régime assorti de normes appropriées pour que la Chambre se prononce par la suite.
Si nous adoptons ce projet de loi, c'est la première chose que nous devrons faire, mais il nous faudra tout de même un régime. Nous aurons besoin du régime même si le projet de loi est adopté. Quelles sont les chances que ce projet de loi soit adopté par la Chambre? À la lumière de l'expérience vécue avec l'affaire Vaid, j'ai certains doutes. Il se peut qu'il existe également des raisons tout à fait valables. Il ne faut pas se limiter à la situation de M. Vaid. En toute équité, nous devrions examiner le portrait d'ensemble. Quoi qu'il en soit, nous devons d'abord nous occuper de nos propres affaires. C'est ainsi que je voyais les choses il y a trois ans, et je n'ai pas changé d'avis.
Le vice-président : Sur cette note, j'aimerais conclure la réunion d'aujourd'hui. Je veux remercier nos témoins qui sont également nos collègues. Lorsque nous reprendrons nos travaux, vous serez de retour du côté de la table que vous connaissez le mieux. Cette audience nous a été d'une grande utilité.
Si j'ai bien compris, le sénateur Keon, notre président, souhaite que la question soit soumise à notre comité directeur qui nous présentera ensuite une recommandation nous indiquant très clairement la voie à suivre. Est-ce que cela vous paraît raisonnable?
La séance est levée.