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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 2 - Témoignages du 27 novembre 2007


OTTAWA, le mardi 27 novembre 2007

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 35 afin d'étudier, en vue d'en faire rapport, le trafic de fret conteneurisé actuel et éventuel manutentionné par les ports à conteneurs de la porte d'entrée du Pacifique, les ports à conteneurs de la côte est et les ports à conteneurs du centre du Canada, sur les principaux marchés importateurs et exportateurs desservis par ces ports et les politiques actuelles et futures à cet égard.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, avant de commencer nos travaux ce matin, j'aimerais féliciter les gens de la Saskatchewan pour leur belle victoire de la Coupe Grey dimanche dernier. Nous sympathisons avec les gens de Winnipeg; les Blue Bombers ont fait de leur mieux.

Nous avons la chance d'accueillir un représentant des Manufacturiers et exportateurs du Canada, M. David Fung, président du conseil d'administration et président-directeur général d'ACDEG International Inc.

[Français]

Nous recevons également M. Jean-Michel Laurin, vice-président, Politiques d'affaires mondiales, manufacturiers et exportateurs du Canada.

[Traduction]

Je vous souhaite la bienvenue au comité. Monsieur Fung, veuillez présenter votre exposé, après quoi nous distribuerons les documents aux membres du comité.

David T. Fung, président du conseil d'administration, Manufacturiers et Exportateurs du Canada, et président- directeur général d'ACDEG International Inc. : Merci de me donner l'occasion de témoigner devant le comité aujourd'hui. Les documents que nous attendons sont volumineux, car ils contiennent également un imprimé des diapositives.

Mon exposé a pour objectif de donner aux membres du comité un aperçu de ce qui se passe dans le secteur manufacturier au Canada et dans le monde. Je ne m'attarderai pas sur les détails et j'espère que le comité verra le nouveau visage du secteur manufacturier et prendra des mesures pour aider notre industrie et notre pays à assurer leur prospérité dans l'avenir.

Je vais improviser jusqu'à un certain point, car j'avais espéré pouvoir projeter les diapositives sur un écran. Par conséquent, je vais poursuivre mon exposé et les sénateurs pourront se reporter aux diapositives plus tard.

La présidente : Nous vous écoutons, monsieur Fung.

M. Fung : Je vais d'abord vous raconter mon histoire personnelle. Il y a 41 ans, j'ai quitté Hong Kong pour m'installer au Canada. J'ai obtenu un baccalauréat, une maîtrise et un doctorat en génie chimique de l'Université McGill et j'ai terminé une formation de cadre supérieur à l'Université Queen's. J'ai travaillé comme directeur de recherche pour C.I.L. Inc., une filiale d'Imperial Chemical Industry PLC, l'une des plus grandes sociétés de produits chimiques au monde à l'époque.

Dans les années 1980, la ville de Sudbury en Ontario ressemblait à un paysage lunaire à cause des émissions de dioxyde de soufre qui avaient détruit toute la végétation. Nous avons pris l'initiative de récupérer la plupart de ces émissions et de les transformer en acide sulfurique industriel. L'acide est très bon marché et, en général, on ne peut pas le transporter sur une distance de plus de 200 milles, parce que le coût du transport dépasse alors la valeur du produit. Nous avons alors utilisé des trains-blocs pour étendre la distance rentable à 1 200 milles. J'utilise cet exemple pour montrer que le transport est un catalyseur du développement économique. L'information présentée au comité est fondamentale pour l'avenir de notre industrie manufacturière.

Lorsque j'étais étudiant, l'industrie manufacturière reposait sur la fabrication verticale intégrée. J'en ai vu l'application lorsque je me suis rendu à Cleveland pour inspecter l'usine de la compagnie Ford : le fer entrait à un bout de l'usine et la voiture sortait à l'autre bout, un mille plus loin.

Au Canada, nous avons bâti notre industrie des pâtes et papiers de la même manière. Nous avons construit des scieries dans les forêts, dans les montagnes — là où se trouvent les arbres. À l'opposé, la Chine, qui avait détruit ses ressources naturelles il y a très longtemps et qui n'avait pas beaucoup d'arbres, a construit des papeteries le long de la côte. Aujourd'hui, la Chine peut se procurer des produits en provenance du Brésil et de l'Indonésie, où la pâte coûte environ 220 $ la tonne. Au Canada, en Amérique du Nord, chacune de nos usines de pâtes fait face à un coût effectif — et non pas un coût total — de 400 $ la tonne.

On comprend vite pourquoi, semaine après semaine, on entend parler des fermetures de nos usines de pâtes, de nos scieries et de nos papeteries. Je peux vous garantir que ce phénomène va se poursuivre, car contrairement à la Chine, nous n'avons pas la possibilité d'utiliser de la fibre bon marché. En 2005, la Chine — un pays sans arbres — est devenue le plus grand pays exportateur de produits de bois au monde.

J'évoque cet exemple pour souligner les changements fondamentaux survenus au niveau de la fabrication. Au Canada, nous avons la chance d'avoir toutes sortes de ressources, mais nous nous reposons sur nos lauriers lorsque vient le temps d'utiliser ces ressources et d'en tirer de la valeur ajoutée. Nous faisons face maintenant à certaines des conséquences de cette attitude.

On entend dire que le trafic conteneurisé présente une occasion de changer radicalement notre mode de fabrication des produits, car le transport, comme je l'ai dit tout à l'heure, est un catalyseur. Le transport intermodal au Canada accuse actuellement un retard assez important. Je suis heureux que vous teniez ces délibérations pour que nous puissions explorer certaines des solutions de rechange que d'autres pays ont déjà appliquées. À tout le moins, rien ne nous empêche de copier ce processus.

J'aimerais utiliser un autre exemple, le iPod d'Apple, qui coûte environ 300 $. Il est fabriqué en Chine et expédié ici au prix de 150 $. Selon les statistiques commerciales bilatérales, nous importons de Chine un iPod pour 150 $. Toutefois, ce dont on ne se rend pas compte, c'est que la Chine a importé des composantes pour 146 $. Pour fabriquer le iPod Apple, la Chine a reçu 4 $. Il s'agit d'un produit qui se Chine, le port Yangshan à Shanghai aurait une capacité de 25 millions d'EVP, ou « équivalent vingt pieds », par rapport à une capacité de 0,5 million d'EVP à Prince Rupert. Ce qui nous avait échappé, c'est que la Chine est en train de construire 18 ports à conteneurs intérieurs.

J'ai constaté qu'à votre première session, vous aviez entendu des témoins de la Saskatchewan. Je suis sûr que les délégués de la Saskatchewan et du Manitoba vous ont donné une idée de la situation où ils se trouvent, parce qu'ils ne peuvent pas profiter des conteneurs vides qui retournent en Chine.

Le sénateur Oliver : Exactement.

M. Fung : Je suis ici pour vous dire qu'il peut en être autrement. J'utiliserai la Chine comme exemple encore une fois, plus particulièrement le delta de la rivière des Perles. Les habitants de cette région, aux prises avec une famine qui perdurait depuis longtemps, ont quitté le pays pour constituer la communauté chinoise en Amérique du Nord pendant un siècle. Il y a un demi-siècle, chaque communauté chinoise en Amérique du Nord parlait un dialecte de cette région. Maintenant, le delta de la rivière des Perles est devenu la région la plus productive en Chine grâce à la transformation de tous les ports en ports à conteneurs, au moyen de quelques innovations fort simples. Il s'agit d'une occasion pour nous sur la côte est et la côte ouest.

Examinons le détroit de Georgie entre l'île de Vancouver et le continent; c'est une honte que nous y ayons si peu d'activité économique. Regardons la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador. Nous sommes situés entre les deux plus grands marchés au monde — l'Union européenne et les États-Unis — et nous avons une zone économique en perte de vitesse, faute de trafic conteneurisé. La Loi canadienne sur le cabotage empêche les économies d'échelle.

Comparons cette réalité à celle de Hong Kong. Mon cousin, qui détient un passeport canadien, dont l'épouse vit à Toronto et le fils, à Calgary, est un Canadien qui contrôle un trafic conteneurisé de 1,5 million d'EVP à Hong Kong — presque la taille du port de Vancouver —, sans dock ni port. Il charge et décharge tous les porte-conteneurs au moyen de barges. Je vous invite, sénateurs, à voir comment un Canadien ayant l'expérience et le savoir-faire peut changer nos zones côtières en des zones de développement économique si nous voulions bien le permettre.

Lorsque nous avons construit la Voie maritime du Saint-Laurent il y a 50 ans, nous avons bâti 19 ports le long du fleuve et des Grands Lacs; pourtant, la plupart d'entre eux sont restés inactifs pendant 50 ans. Je ne m'en suis rendu compte qu'après ma visite d'un parc d'énergie à Durham. Pendant que je m'y trouvais, quelqu'un a dit : « Voici le port d'Oshawa » et j'ai demandé « Quel port d'Oshawa? » Je n'avais jamais entendu parler d'un port à Oshawa.

Le port se trouve à 150 mètres de General Motors. General Motors charge des camions qui empruntent l'autoroute 401 en direction de Windsor et de Detroit, où ils se retrouvent coincés dans le bouchon au pont Ambassador; pourtant, à 150 mètres de General Motors se trouve un port qui n'est pas utilisé.

J'ai consulté une grande société en Europe qui a fait les calculs. Il est plus économique d'expédier ces conteneurs d'Oshawa vers Milwaukee par bateau que par camion. Dans le cas qui nous occupe, la Loi sur le cabotage ne s'applique même pas, car il s'agit de trafic international. À mon avis, les Grands Lacs présentent un énorme potentiel; nous n'avons pas besoin de construire un autre pont Ambassador en 2015. Imaginez ce que Ford du Canada Limitée pourrait faire à partir d'Oakville. Lorsqu'une voiture est fabriquée en Amérique du Nord, elle traverse la frontière sept fois. Pensez un peu à tout le trafic que nous pourrions éliminer à la frontière Windsor-Detroit. De plus, nous n'aurions peut-être même pas besoin de réaliser d'importants travaux d'élargissement de l'autoroute 401. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous invite encore une fois à examiner comment les conteneurs peuvent changer radicalement le secteur manufacturier et comment la fabrication nous permet de tirer de la valeur.

Permettez-moi de revenir aux ports intérieurs. Kamloops se trouve au centre de la Colombie-Britannique, à environ 400 kilomètres de la côte. Aujourd'hui, nous envoyons 50 000 camions à Vancouver pour transporter les marchandises qui seront chargées dans des conteneurs. Savez-vous ce qui se passe? Les chargements des 50 000 camions qui arrivent à Vancouver sont acheminés à un entrepôt, où ils sont ensuite déchargés des remorques. Au même moment, des conteneurs vides arrivent par CP Rail à partir de Kamloops pour rejoindre les camions jusqu'au port de Vancouver. Ensuite, un camion doit charger les conteneurs vides arrivés par train pour les acheminer au faisceau de remisage des conteneurs vides. L'entrepôt doit alors commander un conteneur vide. Par conséquent, un autre camion doit transporter le conteneur vide jusqu'à l'entrepôt pour le chargement. Le quatrième camion doit ensuite ramener le conteneur au port pour l'exportation.

Est-ce logique, honorables sénateurs? Ce sont là les questions fondamentales. On prive non seulement la Saskatchewan et le Manitoba de conteneurs vides, mais aussi la Colombie-Britannique, que ce soit à Kamloops ou à Prince George. Pourquoi en est-il ainsi? La raison en est fort simple : il est absurde que les trains s'y arrêtent.

Tout à l'heure, je vous ai parlé de mon parcours professionnel en ce qui concerne le transport de l'acide sulfurique par train-bloc, pour vous montrer que je m'y connais un peu dans les opérations ferroviaires. Ce serait une erreur de notre part de recourir à des mesures législatives pour obliger les trains à s'arrêter, car ce serait contre-productif dans un contexte de marché libre. Nous devons plutôt construire des infrastructures simples qui permettraient aux chemins de fer de rassembler et d'acheminer 6 000 pieds de conteneurs vides, puis de changer de voie pour ensuite transporter ces mêmes conteneurs pleins. Cela rapporterait de l'argent aux compagnies ferroviaires et nous permettrait de changer le fret à partir de la Saskatchewan, qui exporte des pois et divers produits vers la Chine. Les exportateurs de la Saskatchewan paient entre 2 000 et 2 200 $ par conteneur. Pourtant, je peux expédier pour 1 150 $ une voiture et toutes les pièces détachées usagées que je veux de Hamilton jusqu'en Chine et ce, sans aucune négociation. Si je négocie un peu le prix, je peux le faire baisser davantage. Et dire que ce même conteneur traverse Saskatoon et Regina en direction de Vancouver.

Mesdames et messieurs les sénateurs, n'oubliez pas que, de nos jours, la logistique n'a rien à voir avec la distance; ce n'est plus pareil. Nous pouvons maintenant transporter des produits de Montréal vers la Chine. L'année dernière, j'ai expédié, pour 180 $, un conteneur depuis Hambourg, en Allemagne, jusqu'à Shanghai, en passant par le canal de Suez. Il s'agissait d'un conteneur de 40 pieds. On peut maintenant acheminer des produits de Halifax jusqu'en Chine pour 400 $.

Je crois avoir épuisé mon temps, mais j'ai soulevé pour vous trois grandes questions. Premièrement, le secteur manufacturier ne constitue plus une industrie traditionnelle qui nous permettra d'assurer notre avenir économique. Deuxièmement, nous devons examiner notre trafic maritime et voir comment transformer nos ports en ports à conteneurs afin de ne pas limiter nos activités aux ports internationaux. C'est grâce aux échanges intérieurs que le delta de la rivière des Perles est devenu si productif. Par ailleurs, il faut réexaminer la Loi sur le cabotage. Je n'ai pas les moyens d'envoyer un conteneur de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, à Halifax, car cela me coûterait 1 000 $. Je ne peux pas me permettre d'expédier quoi que ce soit de St. John's, à Terre-Neuve, à Halifax, car cela me reviendrait à 2 000 $. Pourtant, je peux acheminer le même conteneur d'Halifax vers la Chine pour 400 $. Nous sommes des Canadiens; nous avons la capacité de nous entraider pour accroître notre trafic de barges. Pour 3 millions de dollars, nous pouvons transformer chaque port en port à conteneurs.

Troisièmement, j'aimerais que vous examiniez la question des ports intérieurs. Nos lignes ferroviaires ont pour mandat de nous aider à transporter des marchandises, mais elles ont également des structures de coûts très difficiles à changer. Nous devons comprendre comment les aider à nous aider.

Ce mois-ci, j'ai dû payer 6 000 $ pour envoyer un conteneur de Shanghai à Chicago. J'avais déjà payé le retour. Comment pouvons-nous aider les compagnies ferroviaires à gagner un peu plus d'argent pour permettre aux trains de s'arrêter en chemin et remplir ces conteneurs avec nos marchandises? En 2005, le CN a expédié quatre millions de tonnes d'air en direction de la Chine. Je sais que notre air est plus pur qu'en Chine, mais les Chinois ne nous payent pas pour transporter de l'air ou des conteneurs vides. Il est temps que nous examinions ce mode de transport, qui promet de transformer les Prairies en une plaque tournante du transport des marchandises. L'industrie laitière de la Chine connaît une croissance de 20 p. 100 par année. Il ne reste presque plus de foin en Chine. Le Manitoba et la Saskatchewan pourront cultiver tout le foin que la Chine voudra. Toutefois, ce foin ne pourra jamais sortir du Canada si nous ne construisons pas ces ports intérieurs pour remplir de foin les conteneurs à destination de la Chine. C'est ce que nous faisons déjà pour l'Asie. Nous expédions 350 000 tonnes de foin de l'Alberta vers la Corée et le Japon.

Je vais m'arrêter là-dessus. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Fung. En mars dernier, notre comité s'est rendu à Vancouver pour rencontrer les responsables du port. Nous avons également visité le Deltaport, ce qui était intéressant. Nous n'avons pas pu nous rendre à Prince Rupert à cause du mauvais temps; l'avion a dû retourner à Vancouver. Toutefois, certains de nos membres iront bientôt à Prince Rupert.

Les exportations sont la pierre angulaire de notre économie. Il est important d'établir et de trouver le système le plus efficace, le plus fiable et le plus écologique possible pour continuer de réaliser des progrès économiques. Tous les Canadiens en bénéficieront. Le Canada exporte beaucoup aux États-Unis; vous en avez parlé brièvement. Je crois qu'ils représentent 86,9 p. 100 de notre marché d'exportation.

Diriez-vous que la situation à la frontière s'est améliorée ou détériorée au cours des cinq dernières années? Quels sont les principaux problèmes à surmonter à la frontière?

M. Fung : Je suis heureux que vous ayez soulevé la question. Comme j'étais en train d'improviser, j'ai oublié de parler de notre frontière avec les États-Unis, qui constitue un élément très important. J'ai dit que le recours au transport maritime permettrait de décongestionner le pont Ambassador, le pont de la rivière de la Paix et d'autres. Cependant, il y a toute la question de la sécurité. Nous savons tous à quel point le délai est long pour acheminer n'importe quoi aux États-Unis; la frontière est devenue plus « hermétique ». Des représentants de Manufacturiers et exportateurs Canada siègent au comité de direction de la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial. Nous avons parlé des différentes questions concernant les changements que pourraient faire les États-Unis pour accroître l'efficacité de ce processus. Il est devenu clair que pour les États-Unis, la sécurité l'emportera toujours sur le commerce. Nous devons accepter cette réalité. Chez MEC, au lieu d'essayer de convaincre les Américains de changer, nous essayons de progresser grâce aux nouvelles technologies et à l'innovation pour permettre aux États-Unis d'appliquer les mesures de sécurité sans ralentir le transport transfrontalier.

En Asie, plus tôt cette année, notre industrie a effectué une expérience qui consistait à placer une boîte noire dans un conteneur. La boîte noire est pourvue d'un système GPS grâce auquel on pouvait suivre son trajet par satellite. Elle comportait quatre capteurs qui enregistraient la lumière, l'oxygène, l'humidité et la température. La boîte noire stockait ces informations au moyen d'une puce d'identification par radiofréquence et transmettait les données par satellite toutes les heures.

Je parle de cette technologie parce qu'elle a déjà été utilisée comme application commerciale pour le transport terrestre entre la Thaïlande et la Chine. Chaque remorque dispose d'une boîte noire. Lorsque les remorques quittent l'usine, elles sont scellées. Maintenant, nous mesurons les quatre paramètres parce qu'à un moment donné, nous nous sommes rendu compte que même si les conteneurs étaient scellés, nous ne pouvions pas avoir l'esprit tranquille. En effet, des voleurs perçaient un trou au-dessus du conteneur et dérobaient tout ce qu'il y avait à l'intérieur. Désormais, nous analysons la lumière. Si quelqu'un fait un trou dans le conteneur, la lumière changera. Tout changement survenu dans un conteneur sera enregistré par la puce.

IBM travaille à la mise au point de puces d'identification par radiofréquence. Vous devriez vous y intéresser. Chaque remorque et chaque conteneur seraient équipés d'une boîte noire. Quand ces boîtes seront fabriquées en très grandes quantités, le coût sera minimal, et nous savons exactement qui les produira.

Le sénateur Oliver : La Chine.

M. Fung : Nous ne devrions pas avoir honte d'en importer pour nous équiper ainsi. L'objectif visé, c'est que les puces d'identification par radiofréquence enregistrent continuellement les quatre paramètres dès qu'une remorque scellée quittera la compagnie Ford Motor, par exemple. De plus, grâce au GPS qui suit le trajet du conteneur, les États- Unis auront maintenant une « empreinte digitale » du conteneur lorsque ce dernier atteindra la frontière. Si rien n'a changé, il n'y aura aucune raison de retarder la livraison du conteneur.

Fait plus important encore, si nous arrivons à équiper nos ports de barges pouvant transporter 300 conteneurs, au lieu d'avoir 300 conducteurs de camion, nous aurons quatre personnes qui achemineront 300 conteneurs par voie navigable et ce, en consommant une fraction du carburant qui serait autrement nécessaire pour le trafic routier. L'ensemble des 300 conteneurs enverraient des signaux qui seraient captés par les autorités douanières de Milwaukee ou de Cleveland, ce qui permettrait le dédouanement immédiat des conteneurs.

J'aimerais ajouter cette information à ce que j'ai dit tout à l'heure pour indiquer que la situation à la frontière a empiré. Il en coûte maintenant 800 $ par voiture pour traverser la frontière. C'est énorme par rapport au coût des importations en provenance de la Corée du Sud ou du Japon. Ces dernières ne traversent la frontière qu'une seule fois, alors que nous, nous devons franchir sept étapes.

Il est impératif d'élaborer des mécanismes et des régimes de réglementation qui permettront aux agents américains affectés au contrôle frontalier de dédouaner facilement chaque remorque et chaque conteneur.

Jean-Michel Laurin, vice-président, Politiques d'affaires mondiales, Manufacturiers et exportateurs du Canada : La situation s'est considérablement aggravée ces cinq dernières années, surtout l'été dernier. Certains l'ont même surnommé « l'été de l'enfer ». Les conditions pour les exportateurs canadiens étaient terribles. Nous recevons de nombreux appels de nos membres qui nous font part de leur exaspération devant la situation et de leurs doutes quant à une amélioration prochaine.

Nous travaillons avec l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, sur ces questions, mais comme M. Fung l'a fait remarquer, nous devons nous y pencher aussi. Il y a certaines mesures que nous pouvons prendre à court terme pour résoudre les questions techniques, mais pour ce qui est des questions stratégiques, il faudra les régler à long terme. Ce n'est pas logique qu'on puisse expédier plus facilement un conteneur rempli de marchandises en provenance de la Chine, ou de tout autre pays, à destination des États-Unis que d'acheminer un volume équivalent de marchandises du Canada vers les États-Unis. Nos deux pays produisent ensemble, et nous insistons là-dessus auprès des Américains chaque fois que nous rencontrons des représentants ou des sénateurs des États-Unis. Nous essayons de souligner l'importance de la relation économique pour leurs propres États et districts, mais nous devons mieux leur expliquer la situation.

La présidente : Se rendent-ils compte du problème?

M. Laurin : Certains oui, parce que leur district ou leur État sont à la frontière avec le Canada, ou parce que leur district compte des filiales d'usines canadiennes et qu'ils entendent parler de la situation.

Je sais que Rob Merrifield, un député qui est actuellement président du Groupe interparlementaire Canada-États- Unis, s'est rendu à Windsor plus tôt cette année pour visiter les installations locales. Nous avons certains militants du côté des États-Unis. Il s'agit d'en tirer parti.

La situation aux États-Unis étant ce qu'elle est, nos membres sont très inquiets à l'heure actuelle, car le Congrès ou le Sénat américain sont saisis d'un certain nombre de projets de loi qui traitent de la salubrité alimentaire. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas régler cette question à l'échelle nord-américaine, par l'établissement de normes communes et la reconnaissance mutuelle de nos normes. C'est illogique d'inspecter ce qui traverse la frontière. Nous devrions consacrer plus de temps et de ressources à l'inspection de ce qui entre sur notre continent.

Il y a une autre question à régler. Les gouvernements, tant au Canada qu'aux États-Unis, ont demandé à des entreprises de se joindre à des programmes de coopération ou de participation volontaire, comme C-TPAT aux États- Unis ou Partenaires en protection au Canada. Ces programmes montrent que nous travaillons ensemble pour garantir la sécurité des territoires canadien et américain.

Certains de nos membres, surtout ceux qui font beaucoup de commerce transfrontalier, ont investi massivement — en temps, ressources humaines et argent — pour se conformer à ces programmes. Ils le font, car ils se soucient de leurs responsabilités sociales et veulent maintenir l'accès au marché entre les États-Unis et le Canada. Toutefois, même s'ils ont investi des millions de dollars et fait tout ce qui était nécessaire, ils affirment que le nombre d'inspections ne cesse d'augmenter. J'ai appris qu'on inspecte deux fois plus de cargaisons maintenant qu'il y a quelques années, même après le 11 septembre. Ils ne comprennent pas pourquoi.

L'industrie automobile en est l'exemple parfait. Les compagnies envoient des centaines de camions chaque jour ou chaque semaine. Les services frontaliers les connaissent. Ces compagnies sont prêtes à tout. Elles sont même disposées à ce que les autorités vérifient leurs processus internes et corrigent les erreurs éventuelles. Comme M. Fung l'a expliqué, certains progrès technologiques pourraient permettre d'améliorer l'équipement pour faire le suivi des cargaisons afin de faciliter les passages transfrontaliers. Certains de ces programmes étaient initialement conçus pour avantager les exportateurs, mais s'il y a une file d'attente de deux kilomètres à la frontière et seulement deux voies sur l'autoroute, les camions resteront quand même coincés dans le trafic.

Nous devons examiner ces questions d'un point de vue stratégique. Le gros du commerce transfrontalier canado- américain est effectué par une poignée d'entreprises. Nous devons nous assurer que ces entreprises et ces industries, qui sont intégrées dans les deux pays, peuvent traverser facilement la frontière si elles prouvent qu'elles disposent des processus en place garantissant la sécurité de leurs cargaisons. Autrement, comme pays nord-américain, nous nuisons à notre compétitivité.

En Europe, les produits peuvent être expédiés depuis les pays scandinaves jusqu'en Grèce sans aucune inspection à la frontière. M. Fung a expliqué comment la logistique a donné un avantage concurrentiel à l'Asie. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas le faire pour l'Amérique du Nord. Nous avons juste besoin de soutien et de volonté politique. Voilà pourquoi nous sommes ravis que vous fassiez cette étude approfondie sur la logistique et l'infrastructure commerciale du Canada. C'est en train de devenir une question stratégique pour l'économie du Canada. Ce n'est pas seulement une question de transport. Elle touche à la fabrication, et de nombreux autres secteurs de l'économie dépendent de la fabrication également. Nous vous sommes reconnaissants de vous pencher sur cette question.

M. Fung : De nombreux Américains partagent la même préoccupation, mais je suis réaliste. Je sais que le système politique américain est différent du nôtre. Les États-Unis ont une frontière au Sud. Les États frontaliers du Nord sont sensibles à nos problèmes, car ils en subissent l'effet, mais certains États du Sud croient que c'est une bonne chose parce que cela signifie que plus d'usines de montage déménageront en Alabama plutôt que de rester au Michigan.

Comme pays, le Canada doit exercer des pressions politiques, mais je suis plus convaincu, après cinq ou six ans, qu'il nous faut une approche différente. Vous avez constaté que notre tentative de déplacer le dédouanement ailleurs qu'à la frontière a échoué parce que les Américains ont insisté sur certaines questions de compétence, et nous ne sommes pas prêts à renoncer à notre souveraineté dans le processus.

Il est important pour ce comité d'étudier la question des conteneurs, parce que ces derniers garantissent la sécurité et la protection du produit et nous permettraient de décongestionner nos postes frontaliers terrestres à l'heure actuelle, ce qui est fondamental quand une file d'attente fait deux milles de long. Nous aurons les mains liées si le trafic continue d'augmenter parce que nous réussissons à augmenter notre activité manufacturière. Il est impératif que nous prenions des mesures immédiates et urgentes pour permettre à des barges de traverser le lac, ce qui offrira une solution de rechange majeure au transport terrestre.

La présidente : Nous semblons être entrés dans une nouvelle ère en matière de transport des marchandises. Comment le gouvernement fédéral peut-il aider pour ce qui est des lois ou des politiques qui pourraient contribuer à l'augmentation de nos exportations?

M. Fund : À mon avis, le gouvernement peut examiner plusieurs éléments. Tout le transport doit être viable sur le plan économique, ce qui veut dire des économies d'échelle. Si nous continuons d'avoir la Loi sur le cabotage, qui interdit le cabotage, le commerce entre nous, depuis Oshawa jusqu'à Sarnia ou Hamilton, nous limitons notre capacité en matière de transport et nous réduisons les économies d'échelle en empêchant une activité viable.

Pour que l'économie du commerce transfrontalier fonctionne, nous devons examiner comment nous pouvons faire en sorte que les groupes d'intérêt existants profitent de cette nouvelle tarte, qui est mille fois plus grande que celle que se partagent actuellement quelques groupes d'intérêt. Ils sont membres des Manufacturiers et exportateurs du Canada également, alors je dois faire attention, à ce que je dis mais au bout du compte, ils sont les mieux placés pour tirer parti des nouveaux développements si nous les laissons les concevoir.

Pour la marine, cette question est entièrement du ressort fédéral. Les cours d'eau transfrontaliers relèvent du gouvernement fédéral. Les droits d'utilisation du sol deviennent essentiels. Si vous ne protégez pas ces droits, même si plus tard nous développons le trafic, nous n'utiliserons pas ces ports efficacement. C'est un autre élément d'importance critique.

Au Canada, parce que nous sommes une fédération, les gouvernements provinciaux doivent intervenir. Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de catalyseur pour rassembler les provinces afin que nous agissions de concert au lieu de nous disputer. Nous devons collaborer pour tirer parti de la valeur, quelle qu'elle soit, que nous offre le marché.

Le sénateur Oliver : J'aimerais revenir à l'exemple du iPod. Si Steve Jobs fait 120 $ et la Chine n'en fait que 4 $, combien de temps les Chinois endureront-ils de fabriquer des iPod pour une bouchée de pain? Autrement dit, si la situation ne dure pas encore bien longtemps et que les 4 $ deviennent rapidement 40 $, puis 100 $, l'économie mondiale changera alors et la Chine n'aura pas cet avantage. Combien de temps encore cela peut-il durer? Dans dix ans, la Chine se contentera-t-elle toujours de 4 $?

M. Fund : Je crois, monsieur le sénateur, que votre observation est tout à fait juste. Dans ma présentation, je traite du nombre d'ingénieurs qui obtiennent leur diplôme en Chine, en Inde et aux États-Unis. La Chine forme 500 000 ingénieurs par année. Ce n'est pas une estimation; ce chiffre est tiré d'une étude menée par l'Université Duke. Deux professeurs sont allés en Chine pendant deux ans, ont interrogé toutes les agences et sont arrivés à la meilleure estimation selon laquelle un demi-million d'ingénieurs et de scientifiques obtiennent leur diplôme après un programme de quatre ans. La qualité n'est peut-être pas extrêmement bonne. Supposons que la moitié d'entre eux sont incompétents. Il reste malgré tout 250 000 ingénieurs compétents par année. Savez-vous combien nous avons d'ingénieurs au Canada? Nous avons 180 000 ingénieurs agréés, et je suis l'un d'eux. C'est tout ce que nous avons. La Chine doublera ce chiffre tous les neuf mois, même à supposer que la moitié de ces ingénieurs soient incompétents. Imaginez qu'on double le nombre d'ingénieurs tous les trois mois. Vous soulevez un bon point. Il y a de quoi s'inquiéter.

Je dirais que nous ne devons pas rivaliser avec la Chine. Je pense être sans doute compétent, mais je ne crois pas qu'en 35 ans de carrière, je doive affronter seul contre 40 ingénieurs chinois. Chaque ingénieur canadien doit en affronter 40 d'entre eux, et 40 ingénieurs indiens attendent à la porte. Nous n'allons pas gagner cette bataille.

Regardons comment les autres économies fonctionnent. Souvenez-vous de Hong Kong dans les années 1980 et de toutes les fleurs en plastique et tous ces trucs. Ils n'en fabriquent plus désormais. Quand j'ai quitté Hong Kong, sa population était de 3 millions d'habitants, et maintenant, elle s'élève à 7 millions. Sur le plan de la parité du pouvoir d'achat, son PIB est maintenant le même que celui du Canada, sans aucune ressource. Même pour prendre une douche, les résidants de Hong Kong doivent acheter de l'eau de la Chine. Qu'est-ce qu'ils font? Ils emploient 12 millions de travailleurs chinois en Chine pour fabriquer des produits. Comme Steve Jobs, ils ne touchent jamais aux produits. Ils ne font qu'empocher l'argent. C'est un premier exemple.

Le sénateur Oliver : Il faut se demander combien de temps cette situation peut encore durer.

M. Fung : Si nous sommes intelligents, elle continuera longtemps, car là encore, c'est une question de culture. L'économie chinoise est une économie dirigée. D'une certaine façon, elle est très efficiente. « Faites ceci. Tout le monde le fait. » Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'il y a un manque de créativité. La société chinoise interdit la créativité. Quel que soit le nombre de ses ingénieurs, je ne craindrais pas de l'affronter sur le plan des nouveaux concepts et des nouveaux designs. Nous aurons toujours une longueur d'avance. La situation changera peut-être. Prenons Singapour, qui s'évertue à changer la culture. Changer une culture est très difficile. Acquérir de nouvelles compétences est facile. Vous suivez un cours, et tout le monde sait comment s'esquiver ou peu importe. Toutefois, changer une culture est très difficile. Je crois que nous n'avons pas vraiment à nous inquiéter pour l'avenir immédiat. Cela ne veut pas dire que les Chinois ne peuvent pas changer. J'emploie quelques-uns des meilleurs ingénieurs de Shanghai, et qu'est-ce que je découvre? Leur formation est très limitée. Ainsi, un ingénieur diplômé ne peut pas mener une étude de faisabilité économique. Je ne redouterai donc pas un ingénieur qui est compétent, mais qui ne comprend pas l'économie.

Je ne suis pas ici pour dissiper nos préoccupations, mais pour dire qu'il y a encore de l'espoir. Cela ne signifie pas que les choses bougeront seules, car les 4 $ de profit passeront de la Chine au Cambodge ou ailleurs, et les prix commenceront à grimper. Reste à savoir à quel rythme ils peuvent augmenter et à quelle vitesse nous pouvons réagir. Vous avez parlé du iPod. Nous avons un exemple au Canada — Research in Motion, RIM. Vous savez que nos BlackBerry sont fabriqués au Canada, mais on ne nous a pas dit qu'ils sont faits de sept composantes ni d'où celles-ci viennent. La Chine en fabrique également. Vous payez 600 $ un BlackBerry ou signez peut-être un contrat de trois ans et obtenez un forfait qui vous permet de l'acheter à 300 $ seulement. D'après vous, combien les Chinois recevront-ils? Probablement 5 $ aussi, mais c'est le pouvoir de la valeur ajoutée. La nouvelle réalité du secteur manufacturier, c'est de ne pas toucher le produit. Chez IBM, 50 p. 100 des employés ne toucheront jamais un produit. C'est extrêmement important dans ce processus. Qu'est-ce que cela signifie également? Que tout dépend de la logistique — un produit importé au coût de 150 $ se vend 300 $. Qui empoche les 150 $? Ce sont notamment le port de Vancouver, la banque et tous les autres maillons de la chaîne qui touchent le produit durant le processus. Monsieur le sénateur, il y a de quoi s'inquiéter, à mon avis. Nous devons être vigilants à l'égard de notre système d'éducation, mais pour l'instant, les Chinois ne représentent pas une grande menace si, au lieu de rivaliser avec eux, nous commençons à les gérer. À l'heure actuelle, un million de directeurs taïwanais travaillent dans des usines chinoises. Des représentants officiels à Beijing, m'ont dit que leur croissance économique est limitée à cause de la disponibilité de directeurs taïwanais. Comment peuvent-ils se disputer? Il est absolument ridicule de s'inquiéter d'une querelle entre Taïwan et la Chine parce que Taïwan a investi 120 milliards de dollars en Chine et un million de ses directeurs travaillent dans des usines chinoises, sans compter les autres travailleurs. Les deux pays sont si interdépendants; ils peuvent avoir tous les slogans qu'ils veulent. La Chine peut pointer ses canons où elle veut, mais ce n'est que de la poudre aux yeux. Nous ne devrions pas nous mêler de cette querelle interne et nous échauffer les esprits.

Le sénateur Oliver : Je suis de la Nouvelle-Écosse, sur la Côte Atlantique, et nous discutons de notre porte d'entrée grande ouverte. Vous avez parlé de l'une des plus importantes lois qui interdit le cabotage — la Loi sur le cabotage. Avez-vous fait des études et rédigé des documents sur cette loi que vous pourriez remettre au greffier du comité pour que nous n'ayons pas à réinventer la roue et à trouver tous les problèmes que pose cette loi? Avez-vous fait des déclarations ou des recherches sur le sujet que vous pourriez nous présenter pour nous aider?

M. Fung : Monsieur le sénateur, un professeur de l'Université Saint Mary's a publié une étude sur le sujet. Je peux vous en faire parvenir un exemplaire.

Le sénateur Oliver : Comment s'appelle-t-il?

M. Fung : Son nom m'échappe, mais je l'ai dans mon ordinateur. Il ne s'agit pas d'une étude approfondie, mais elle vous fournira d'excellentes bases pour étudier les répercussions de la Loi sur le cabotage sur notre trafic de cabotage intérieur.

Le président : Nous obtiendrons une copie de l'étude et la distribuerons aux membres.

Le sénateur Merchant : Quel exposé intéressant! Votre manière de présenter les faits est remarquable. Je viens de la Saskatchewan. La semaine dernière, un groupe nous a parlé des ports intérieurs. Actuellement, nous n'avons pas accès aux conteneurs parce que les trains traversent la région sans s'arrêter. J'imagine que les compagnies de chemins de fer doivent déplacer ces conteneurs rapidement parce qu'il y a des marchandises dans les ports en attente d'être rechargées et expédiées ailleurs.

J'imagine que les chemins de fer sont prêts à tout pour gagner de l'argent. Je crois que vous avez dit, dans votre exposé, que nous ne pouvons pas les obliger. Pouvez-vous nous dire quel espoir, dans un avenir assez rapproché, nous pouvons donner aux gens des Prairies qui veulent créer ce port intérieur? Pouvons-nous garantir qu'il y aura toujours des marchandises transportées par voie ferroviaire? Y a-t-il des frais de démarrage et, le cas échéant, qui devra les assumer? Pouvez-vous fournir des précisions sur l'établissement d'un port intérieur en Saskatchewan, par exemple?

M. Fung : Les chemins de fer ne me considèrent pas toujours comme un allié en raison de mon expérience dans le domaine du transport d'acide sulfurique — 1,5 million de tonnes, et ils refusaient de s'en occuper. Qu'ai-je fait? J'ai construit 10 gares autour des Grands Lacs et je faisais venir un navire chaque année pour faire deux voyages afin de prouver que des solutions de rechange existaient. Chaque année, le CN venait me voir pour conclure un accord. Puisqu'il ne pouvait pas me fournir les wagons à temps, j'en louais. J'avais la plus grosse flotte de wagons pour le transport d'acide sulfurique au monde. Nous l'avions conçu de telle sorte que les réservoirs ne pouvaient être perforés en cas de déraillement, éliminant ainsi le risque de déversement.

Je suis d'avis que ce n'est pas le problème des chemins de fer. C'est plutôt à nous d'avoir la volonté et la capacité de nous organiser pour y parvenir. Je l'ai peut-être dit un peu trop rapidement tout à l'heure, mais cela représentait 6 000 pieds et trois voies d'évitement.

J'ai discuté avec des gens de Moose Jaw, en Saskatchewan, où le CN et le CP convergent. Je leur ai demandé de me donner trois voies d'évitement de 6 000 pieds. J'ai commandé au CN et au CP 6 000 pieds de wagons porte-conteneurs vides à deux niveaux et je les ai payés — on ne m'a posé aucune question. Je leur ai dit qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter de ce que j'allais en faire et que je les leur retournerais dans les 48 heures. Ils n'avaient pas besoin des conteneurs vides à Vancouver.

L'année dernière, nous avons utilisé 230 000 conteneurs. Nous n'avons pas besoin de ces conteneurs vides à Vancouver. À l'heure actuelle, les compagnies de chemin de fer utilisent un train mixte qui transporte bien des choses, pas seulement des conteneurs, et elles attachent les conteneurs vides en chemin. Quand on veut faire arrêter un train tout entier pour avoir cinq wagons, cela coûte très cher.

Si nous avions les infrastructures pour que les compagnies de chemin de fer puissent attacher un train-bloc de conteneurs vides, déplacer les locomotives sur l'autre voie et 6 000 pieds de conteneurs pleins, cela permettrait de fluidifier les opérations, comme l'a dit Hunter Harrison — utilisation des ressources et fluidité des opérations. Je ne leur demande pas de faire marche arrière, car selon la méthode que j'ai décrite, leur train-bloc continuerait d'avancer et ils seraient payés. Si nous fournissons ce type d'infrastructures, les compagnies de chemin de fer prendraient part aux discussions.

Lors d'une conférence à Regina l'an dernier, j'ai demandé aux agriculteurs s'ils pouvaient ramener le conteneur plein si je leur accordais 48 heures pour le faire. Les agriculteurs ont répondu que oui. J'ai expliqué qu'à l'arrivée du train, ils pourraient prendre le conteneur, le nettoyer, le charger et le ramener dans les 48 heures. Autrement, leur fret pourrait leur coûter le double du prix prévu en raison des frais de surestaries qu'ils devraient payer. Ils ont tous dit qu'ils n'y voyaient aucun inconvénient. Je ne crois pas qu'ils aient raison parce que de nos jours, tout le monde obtient cinq wagons et peut faire venir un tracteur pour les tirer. Si j'apporte 400 conteneurs vides et qu'ils savent tous qu'ils seront pénalisés s'ils sont en retard, ils arriveront à la première heure et reviendront à la dernière heure. Nous devons penser non seulement aux voies d'évitement, mais également à la circulation routière. En raison de l'inquiétude que suscitent les changements climatiques, nous devons revoir le transport par camion sur de longues distances. Nous devrions privilégier les voies navigables et les chemins de fer pour le transport sur de longues distances, et les camions devraient se concentrer sur le transport sur de courtes distances.

Si votre comité veut vraiment avoir des ports intérieurs, je dis clairement dans l'une des diapositives : n'envisagez pas de construire des centres de distribution intégrés. Tous les experts-conseils que nous engageons nous diraient le contraire. Ces experts-conseils ont déjà travaillé en Europe et aux États-Unis. Ils viennent d'un environnement où il y a une forte densité de population et une grande activité économique. Nous sommes différents. Au Canada, il y a une longue bande de 200 milles, et c'est à peu près tout.

Nous devons leur dire de ne pas bâtir d'entrepôts et de centres de distribution — ces bâtiments sont nécessaires pour le commerce de détail. Quand ils apportent un conteneur, un magasin Canadian Tire n'a pas besoin de tout le conteneur. Ils doivent l'ouvrir et tout réorganiser. C'est le détaillant qui l'exige, pas moi. Si je fabrique des pièces automobiles, pourquoi voulez-vous toucher à mon conteneur? Ne touchez pas à mes produits.

Voilà pourquoi je suis d'avis que si nous construisons ces types de centres, il ne faut pas bâtir des centres de distribution; c'est pour le commerce de détail. Ces centres favorisent l'activité économique, mais j'estime que cette activité économique — la distribution et le transport des marchandises destinées au commerce de détail —représente une petite part des bénéfices pour le Canada.

Le plus important, c'est ce que nous pouvons cultiver, ce que nous pouvons exporter. Les besoins pour ce type d'exportation ne sont pas les mêmes que pour le commerce de détail. Il ne faut pas mélanger les deux. Dès que vous le faites, vous finissez par manutentionner toutes mes marchandises deux fois, et je ne veux pas, car vous me facturez pour cela.

Je propose que vous réfléchissiez à cette idée. J'ai discuté avec quelques employés chargés des opérations ferroviaires. Évidemment, ils doivent consulter les grands patrons pour savoir ce qu'ils en pensent, mais à l'interne, ils estiment que c'est viable.

Nous voulons que l'expéditeur charge les conteneurs. Oubliez les remorques. Pourquoi voudrions-nous remplir une remorque, nous rendre au centre d'affaires, en décharger le contenu pour le déverser dans un conteneur? Chaque double manutention coûte de l'argent. Votre travail consiste à réduire mes frais de transport. Ne manutentionnez pas mes produits deux fois; ne me construisez pas un entrepôt si je n'en ai pas besoin. Le CN fait fausse route.

Le type de ports intérieurs qu'ils construisent à Prince George et à Grand Prairie cadre parfaitement avec le concept de distribution du pays. Vous m'apportez vos céréales et je remplis le conteneur pour vous. Pourquoi faut-il que je fasse cela? Vous m'apportez le conteneur; les céréales sont soufflées à l'intérieur, on referme la porte et il est prêt à partir.

Je veux que vous songiez au fait que nous subventionnons actuellement des wagons de céréales pour les exporter vers l'Asie, le marché d'outremer. J'ai fait un exposé devant l'un des principaux conseils des chemins de fer. Je leur ai demandé s'ils avaient pensé à quel point il était difficile de transporter des céréales de cette façon — on va chercher les céréales dans le silo de l'agriculteur avec un camion, on se rend chez un autre agriculteur et les céréales sont ensuite soufflées dans un silo-élévateur central. Par la suite, elles sont chargées dans un wagon-trémie, que vous et moi subventionnons, qui se rend au port de Vancouver ou à Montréal, et sont soufflées dans un autre silo-élévateur. C'est absurde. Vous les mettez dans un conteneur et on n'a plus besoin d'y toucher; elles sont expédiés jusqu'aux minoteries.

Par ailleurs, ne mélangez pas nos céréales. Quand vous les mélangez, vous les vendez au dénominateur le plus bas. Si je veux des pâtes, ne mélangez pas mon blé avec une autre céréale. Je veux du blé roux de cette qualité et je paierai pour l'avoir. Je ne veux pas qu'on y touche, car je souhaite qu'il soit de la meilleure qualité possible quand je le reçois.

J'aimerais expliquer ces concepts à votre comité. Vous pourriez non seulement songer à la question des ports intérieurs, mais aussi réexaminer la possibilité de transporter les céréales par conteneurs plutôt que par wagons-trémies — comme on l'a fait en Allemagne, où toutes les matières plastiques recyclées ont été soufflées dans les conteneurs. Personne n'a besoin d'y toucher; il n'y a plus de va-et-vient, et cetera, plus de silos-élévateurs.

Cela risque de déplaire à certains de vos électeurs. Toutefois, à l'heure actuelle, les céréales d'un agriculteur sont manutentionnées à de nombreuses reprises et chaque fois qu'elles le sont, quelqu'un doit être payé. Pensez à la marge supplémentaire dont profiteraient les agriculteurs de la Saskatchewan s'il n'y avait qu'une seule manutention et que le conteneur était ensuite expédié directement à l'utilisateur final sans qu'on y touche durant le processus.

On doit mettre en place certaines infrastructures, y compris des routes pour permettre à tous d'arriver à la première heure pour tirer les 400 conteneurs. Puis, ils reviendront les rapporter au cours de la dernière heure.

Le sénateur Dawson : Pour ce qui est de la propriété du conteneur en soi, dans un dossier comme celui-ci, on est très loin des sociétés maritimes, à qui appartiennent d'habitude les conteneurs. On est très loin de la ferme. À qui appartiennent les conteneurs, si on les veut? Pourquoi la société maritime se préoccuperait-elle de ce qui se passe entre Vancouver et l'exploitation agricole, et qui paiera dans ce cas puisque le conteneur appartient à la société maritime?

Vous avez également parlé de la boîte noire. Supposons que vous avez placé une boîte noire dans le conteneur. Qui contrôlera les données — la société maritime, la société ferroviaire ou l'intermédiaire? Voilà les questions à examiner.

Vous m'avez éclairé sur les ports intérieurs; nous en avions entendu parler comme étant une méthode de triage des arrivages et nous le percevions de la sorte. Aujourd'hui, vous m'avez convaincu que pour les exportations, ils ne sont pas aussi utiles pour le triage par des entreprises comme Wal-Mart et la Compagnie de la Baie d'Hudson.

Toutefois, j'aimerais savoir à qui appartient le conteneur dans votre modèle et qui contrôle les données enregistrées par votre boîte noire?

M. Fung : Je vous remercie de me poser cette question parce c'est un autre point que j'aurais aimé avoir le temps de vous expliquer. Je me réjouis de pouvoir passer en revue certains de ces concepts.

De nos jours, des conteneurs vides attachés à des wagons-trémies traversent les Rocheuses. Dans l'autre direction, nous avons des wagons-trémies pleins attachés à des conteneurs vides; et nous avons dit que nous n'avons pas la capacité de franchir les Rocheuses.

Je vous laisse y réfléchir : pourquoi faisons-nous cela? Pourquoi continuons-nous de subventionner des wagons- trémies pour que quelqu'un — et ce n'est pas l'agriculteur — réalise des profits durant le processus? Par ailleurs, en ce qui concerne la propriété du conteneur, j'ai dit plus tôt que lorsque la compagnie de chemin de fer me disait qu'elle ne pouvait pas me fournir les wagons, j'en louais. Concernant nos wagons-trémies, vous pouvez vérifier les comptes pour voir combien cela coûte. La Chine nous fournira tous les conteneurs que nous voulons pour 2 000 $ chacun.

Qu'est-ce que je ferais? Tout d'abord, les sociétés maritimes et ferroviaires nous permettent de remplir les conteneurs parce qu'elles font des profits. Ce n'est pas gratuit. Si je les paie 1 000 $, la compagnie de chemin de fer et la société maritime se divisent la somme.

Elles ont regimbé quand les agriculteurs en Saskatchewan ont dit vouloir cinq conteneurs et une semaine pour les charger. Nous les payons 6 000 $ pour ramener le conteneur. Chaque semaine que vous prenez pour charger le conteneur empêche de faire un autre voyage à 6 000 $. C'est la raison du délai de 48 heures. De toute façon, ce délai, si vous l'approuviez, leur serait imposé par le port. Personne ne s'y opposerait. De plus, si elles acceptent, je vous suggère, en tant que pays, de faire ce que j'ai fait avec les wagons transportant de l'acide sulfurique et d'acheter 500 000 conteneurs, de les introduire dans le réseau et de leur dire de ne plus vous embêter. Elles utilisent nos conteneurs, nous utilisons les leurs. Tout ce qu'elles veulent, c'est revenir et me soutirer 6 000 $ supplémentaires. Tant qu'elles ont leurs conteneurs, pourquoi se préoccuperaient-elles du fait qu'un autre conteneur reste inutilisé à Saskatoon?

Je ne veux pas trop insister là-dessus, car en tant que contribuable, à chaque fois que je demande au gouvernement de dépenser, il me prélève des impôts en contrepartie. Nous devons avoir la rigueur de dire que, oui, nous allons peut- être ajouter des wagons; cependant, il faut rappeler à l'agriculteur comme au fabricant de pièces d'automobiles que si les wagons ne sont pas rendus dans un délai de 48 heures, les tarifs de marchandises vont doubler.

Je ne suis pas dans ce secteur d'activités, mais disons que j'agis en tant qu'intermédiaire, je vais alors voir la compagnie de chemin de fer et je lui dis que je veux 400 conteneurs et que je lui offre 400 $ pour leur transport. Ensuite, je vais voir l'agriculteur et je lui dis que je vais lui fournir cinq conteneurs à 500 $ chacun. Quelqu'un va faire de l'argent dans l'opération.

Je pourrais ensuite me demander, étant donné que c'est lucratif, si je ne devrais pas me lancer dans la construction d'une installation si l'on a du terrain pour trois fois 6 000 pieds de wagons? Idéalement, il faudrait que ce soit pour trois fois 12 000 pieds, car plus il y en a, plus tout cela devient efficace.

Il n'est pas nécessaire que ce soit tous les jours. Vous devez garder en tête que la compagnie de chemin de fer peut se rendre à Moose Jaw une journée, se décharger à Brandon le lendemain, puis vouloir aller à Edmonton le jour d'après. Elle peut organiser ses activités.

Disons que je veux acheminer 5 millions de tonnes de foin en Chine. Je devrai remplir beaucoup de conteneurs vides pour cela. La plupart du coton du Sud-Est des États-Unis est maintenant transporté par le CN entre Memphis et la Chine en passant par le port de Vancouver. Nous tirons parti de l'exportation par les États-Unis de coton vers la Chine parce que nous disposons d'une porte, d'un corridor et d'installations. Cependant, les agriculteurs américains obtiennent un meilleur prix parce qu'ils ont accès à ce marché. Vous voulez savoir qui devrait être propriétaire des conteneurs. Si les compagnies de transport maritime sont prêtes à nous les vendre, nous les prendront. Sinon, je pense qu'à 2 000 $ chacun, nous achèterons nos propres conteneurs. Nous pourrions alors les concevoir de manière à ce qu'ils répondent à nos besoins en fonction du matériel que nous expédions.

En ce qui a trait aux personnes qui contrôlent l'information, je crois qu'il serait présomptueux de ma part de vous donner mon avis. Lorsque c'est nécessaire, l'industrie doit se consulter pour déterminer qui fera quoi là-dedans.

Aujourd'hui, mon rôle est d'essayer de vous présenter certains concepts et quelques-unes des réalités auxquelles nous faisons face à la frontière. Nous sommes aux prises avec des retards et des coûts supplémentaires, ce qui nous rend non concurrentiels. Mon rôle consiste également à vous faire part de la nouvelle réalité du secteur de la fabrication, où la manipulation du produit n'est pas toujours l'élément le plus important de l'équation. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas nous occuper de nos ressources. Nous avons un immense pays qui regorge de merveilleuses ressources. Comment pouvons-nous continuer à leur ajouter de la valeur? C'est la raison pour laquelle je veux vous parler de l'utilisation des conteneurs pour expédier le grain. Supposons que je suis un agriculteur et que, cette année, ma production est remarquable. Je ne veux pas que mon grain soit mélangé avec celui de mon voisin, qui est de qualité moindre. Je veux obtenir le meilleur prix pour mon produit. De même, si je suis le meunier à l'autre bout de la chaîne, je veux qu'on me garantisse la qualité du produit, car je veux en tirer quelque chose, moi aussi. C'est une chaîne de valeur mondiale. La logistique devient le moyen d'ajouter de la valeur aux produits à toutes les étapes afin que ceux qui gèrent le processus puissent en tirer des bénéfices.

Le sénateur Tkachuk : Ici, comme tout le monde, nous nous intéressons au commerce interprovincial. Vous avez dit que l'acheminement d'un conteneur de Terre-Neuve-et-Labrador à Halifax coûte 2 000 $ alors qu'il en coûte 400 $ pour en transporter un d'Halifax en Asie. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi il existe une telle différence de prix?

M. Fung : Ce n'est pas une bonne comparaison.

Le sénateur Tkachuk : C'est vous qui avez utilisé cet exemple.

M. Fung : Cela m'a coûté 400 $ parce que l'acheminement du conteneur de Shanghai à Halifax m'a coûté 4 000 $; j'avais déjà payé le voyage de retour. Ainsi, les 400 $ ont été payés pour que quelqu'un puisse avoir un jour de plus pour remplir le conteneur. C'est un coût supplémentaire pour tout le monde.

L'exploitant d'un navire hauturier paie 100 $ pour faire déplacer un conteneur. Dans un sens, on peut dire qu'il perd de l'argent. Cependant, s'il ne le remplit pas, il ne reçoit pas les 400 $, mais il doit quand même payer l'appareil de levage. Ce sont des coûts qui s'ajoutent.

Vous voulez savoir pourquoi le transport de conteneurs entre Saint John's, à Terre-Neuve-et-Labrador, et Halifax ou encore entre Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, et Halifax coûte si cher? En fait, c'est parce que la Loi sur le cabotage du Canada exige que les navires soient construits au Canada. Il faut que l'équipage soit composé de marins canadiens. Tout doit être « canadien » dans le processus. D'un côté, on peut dire que cela protège nos emplois et que c'est une bonne chose. Mais, d'un autre côté, cette exigence fait grimper les coûts à un point tel que le commerce est entravé. C'est ainsi que Peerless Clothing Inc., à Montréal, a pris de l'expansion et compte maintenant plus de 5 000 employés : les États-Unis ont imposé un droit sur les textiles non assujettis à l'ALENA alors que le Canada a décidé de ne pas le faire. Qu'est-ce que cela a eu pour résultat? Le Canada peut importer les textiles les moins chers, en faire des vêtements qu'il exporte ensuite aux États-Unis en franchise de droits. Les manufacturiers de vêtements américains ne peuvent rien faire contre cela. À chaque fois que nous imposons un droit sur quelque chose, nous semblons protéger quelqu'un, mais ce que nous ne comprenons pas, c'est que les effets en aval sont beaucoup plus importants que le reste.

Dans notre cas, la Loi sur le cabotage en vigueur au Canada a déjà tenté, à une époque, de protéger notre industrie de la construction navale et nos emplois dans le secteur du transport maritime. Mais vous avez vu ce qui est arrivé avec les années : le volume a continué de diminuer. Si vous comparez cela avec ce qui se passe dans le delta de la rivière des Perles, où il n'y a pas de ce genre de protection, l'industrie y a foisonné. Il y a 30 ans, cette région n'avait pas de capacité en matière de conteneurs. Les gens dépendaient de Hong Kong et devaient transporter par camion toutes leurs marchandises. Sans pont pour traverser la rivière, la localité disparaissait; l'activité économique n'était pas possible sans un accès et c'est exactement ce qui se produit dans les cas de nos collectivités côtières.

En Colombie-Britannique, dans la partie continentale, nous devons prendre un traversier parce qu'il n'y a pas d'autoroute pour traverser l'estuaire. Prenez le cas des Maritimes et de la Côte-Nord du Québec. Les localités des ces régions ne peuvent se développer parce qu'il n'y aura jamais l'infrastructure terrestre nécessaire pour les relier. La présence de l'eau change la situation. Les ports à conteneurs sont importants parce que la météo et d'autres éléments entrent en cause quand les marchandises sont expédiées en vrac. Le transport de boîtes individuelles coûte très cher, mais si on les rassemble dans un seul conteneur que l'on peut soulever en une seule fois, cela change la donne économique sur le plan logistique. C'est la raison pour laquelle il est si important d'essayer de déterminer ce que nous devrions faire pour que nos collectivités côtières puissent participer à ce qui se passe dans les portes d'entrée et les corridors du Pacifique, de l'Atlantique, du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Les Manufacturiers et exportateurs du Canada sont présents à tous ces endroits. Je suis allé à Halifax à six reprises en 2006 afin de promouvoir le concept de la porte d'entrée de l'Atlantique. Je peux vous dire que ce projet ne progresse pas parce que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse se l'est approprié. Lorsque j'ai rédigé mon document sur les mégaports en juillet 2004, le gouvernement de la Colombie-Britannique m'a dit, après en avoir pris connaissance : « David, qu'attendez-vous? Nous vous donnerons tout de suite notre appui. Vous vous chargez de tout. » J'ai répondu que ce n'était pas la façon de faire; que nous voulions commencer par faire participer des intérêts privés. Nous avons fait appel à des entreprises privées, notamment le CN. J'ai dit : « Nous voulons mobiliser les provinces de l'Ouest ». Les Manufacturiers et exportateurs du Canada ont en fait neutralisé la rivalité entre les provinces, car ce n'est pas un projet de la Colombie-Britannique, mais plutôt un projet canadien mis en œuvre dans cette province. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a commis une erreur fondamentale lorsqu'il a dit que c'était un projet propre à sa province. Que faites-vous si vous venez du Nouveau-Brunswick? Vous voulez votre part. Ce qui est normal, n'est-ce pas? C'est aussi votre projet et vous voulez que le gouvernement fédéral vous donne de l'argent.

Quand les MEC ont joué un rôle de chef de file sans investir d'argent, ils voulaient pouvoir dire qui seraient les utilisateurs et les participants. Le gouvernement n'est qu'un partenaire; il n'est pas le seul à prendre des décisions. La porte d'entrée du Pacifique est passée dans l'histoire. Vous avez vu une de mes diapositives. En juin 2004, j'ai rédigé un document pour le gouvernement de la Colombie-Britannique et, en mai 2005, 500 millions de dollars ont été consentis. Actuellement, il y a un montant de 8 milliards de dollars affecté au projet.

Que s'est-il passé en Nouvelle-Écosse? Le transport maritime avec la Chine a rendu la route d'Halifax inutile. Il n'y a pas assez de trafic pour la justifier. Dans le cas des relations interprovinciales, il est important de savoir entretenir ces relations. Notre association est parfois prête à jouer un rôle à cet égard, car cela a des retombées positives pour nos membres et les collectivités où ils résident. Ce n'est pas parce que nous voulons plus de travail. Nous en avons déjà plus qu'il n'en faut.

Parfois, en raison de la nature de notre confédération, nous devons être sensibles aux questions interprovinciales. Par exemple, si Halifax veut servir ses intérêts, elle ne peut se fier au CN, parce que les distances sont trop longues et le service pas assez fréquent. Il ne se rend pas à Chicago; c'est à partir de Prince Rupert qu'on s'y rend actuellement. Halifax doit repenser à la manière dont elle devrait se repositionner et elle doit manifestement envisager le trafic côtier.

Tous ces ports ont fait l'objet de discussions à un moment donné et, pour une raison ou une autre, Montréal a été mis de côté. Les MEC ne pensent pas que Montréal a été oubliée; nous croyons plutôt que ce port va jouer un autre rôle. En raison de la glace qui se forme sur la Voie maritime du Saint-Laurent en hiver, il faut renforcer la coque de tous les navires qui l'empruntent durant cette saison, ce qui fait augmenter les coûts. En revanche, si nous disposions de barges côtières comme celles qui sont utilisées à Hong Kong, Montréal pourrait devenir un centre pour toute la région, grâce à ces embarcations qui remplaceraient le chemin de fer. Mon cousin exploite une entreprise de cette nature à Hong Kong. Hunter Harrison ne voudra plus m'inviter à souper.

Cependant, alors que nous construisons le pays, il nous faut tenir compte de différents éléments, qui ont tous leur raison d'être. Je suis ici en tant que Canadien, pour bâtir le pays. Je ne suis pas ici pour faire pression en faveur des chemins de fer, des ports, des barges ou du trafic. Nous devons copier le succès des autres. Les Chinois n'hésitent pas à le faire, pourquoi aurions-nous honte de les imiter?

La Côte-Nord du Québec connaîtrait un développement fulgurant si le trafic côtier pouvait se rendre à Halifax. Sept-Îles peut être reliée à Rimouski pour une fraction du coût actuel. Il faut arrêter de parler de navires à manutention horizontale. Cela ne permet de mettre qu'un seul conteneur par pont. Vous verrez dans mon exposé de quelle manière les conteneurs peuvent être empilés sur de petites barges. Tout ce qu'il faut, c'est installer sur la côte cette grue de 3 millions de dollars, qui peut soulever des conteneurs à raison de 26 à l'heure. Le camion n'est pas aussi efficace. Tout est contrôlé par ordinateur. Ainsi, il faut payer un opérateur qui est formé pour effectuer ce travail. Cet employé n'est pas un manœuvre, mais plutôt quelqu'un qui peut faire fonctionner cet appareil dans les endroits les plus reculés du Saint-Laurent. Sénateurs, quand vous me posez des questions et que vous me permettez de rêver et d'élaborer ce concept, je me dis que nous pouvons bâtir notre pays en observant ce que d'autres ont fait et en essayant de copier leur réussite.

Le sénateur Zimmer : Merci de votre témoignage, ce matin. C'était très intéressant; vous m'avez permis de voir l'utilité des ports intérieurs. Cependant, nous n'avons pas parlé de notre port à Churchill. Il ne s'agit pas d'un port intérieur, mais il peut approvisionner le territoire, même si le service ferroviaire n'est pas aussi bon qu'il le devrait.

Il s'agit de savoir si ce port peut alimenter le Nord ainsi que d'autres pays. La glace est toujours un problème, mais de moins en moins en raison du réchauffement climatique. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la viabilité du port de Churchill, s'il peut desservir non seulement les ports intérieurs, mais également les autres ports de la planète par le pôle Nord. Que pensez-vous de cela?

M. Fung : Le port de Churchill offre d'immenses possibilités pour ce qui est de l'accès au marché mondial. Bien sûr, la glace est un problème, mais les routes de navigation sont dégagées d'août à novembre et, ensuite, les brise-glace peuvent intervenir.

Parfois, il faut tenir compte des forces et des faiblesses d'un port lorsqu'il est question de l'utiliser pour des besoins particuliers. Je ne pense pas que, dans un avenir immédiat, le port de Churchill puisse être concurrentiel 12 mois par année. Cependant, en été, il offre d'énormes possibilités autant par les voies de navigation habituelles qu'avec les Russes. Nous pouvons aller directement à Mourmansk et couper à travers l'Asie. C'est la voie la plus courte entre le centre du Canada et l'Asie centrale. Nous devons nous permettre d'envisager ces possibilités.

Je dirais que ce n'est pas un trajet difficile, si nous examinons la Chine et, plus particulièrement la Mandchourie, où on est en train de construire et d'importer du bois de la Russie. Les trois ports entre la Chine et la Russie ont connu un développement tel que nous ne l'aurions jamais imaginé il y a dix ans. Les rails des chemins de fer des Russes ne sont pas de la même largeur; par conséquent, à la frontière, les Chinois ont construit un chemin de fer parallèle. Les trains russes vont jusqu'à la frontière de la Chine et leurs charges sont transférées à bord des trains chinois qui poursuivent la route.

Si nous voulons transporter des produits jusqu'au Japon et en Asie à partir du port de Churchill, nous devons envisager cette possibilité. Habituellement, les Canadiens n'y pensent même pas. Nous sommes gâtés. Pourquoi se préoccuper du port de Churchill alors que nous pouvons simplement envoyer nos marchandises au sud de la frontière et bien vivre? Nous devons nous rendre à l'évidence que les Canadiens n'ont simplement pas la motivation nécessaire pour tirer profit du port de Churchill. Mais regardons ce que font ceux qui sont motivés pour agir, c'est-à-dire les Coréens, les Japonais et les Chinois.

Ce n'est pas la première fois que les Chinois pensent à utiliser l'Arctique pour la navigation. Lorsqu'ils parlaient de bâtir une usine d'exploitation de sables bitumineux à Fort McMurray, en Alberta, ils ont remarqué qu'il manquait 200 kilomètres de voie ferrée. Les Chinois ont indiqué qu'ils ne pouvaient pas transporter des marchandises par camion jusqu'à Fort McMurray et ils ont fait des recherches sur la possibilité de remonter jusqu'au détroit de Béring en passant par l'embouchure du fleuve Mackenzie avec un navire, puis de transférer la cargaison sur une barge — deux milles tonnes à la fois. Ils pouvaient emprunter le fleuve Mackenzie jusqu'à Fort McMurray. Les Chinois et les Coréens ont faim et pas nous.

Parfois, même si je suis nationaliste, je suis également assez réaliste pour pouvoir dire que je veux faire du profit. Mon entreprise est l'une des premières à avoir été reconnues par les MEC pour être capable de transporter sur le marché américain des produits étrangers qui n'ont aucun contenu canadien tout en pouvant générer un profit important au Canada, ce qui m'a permis de bénéficier d'une assurance des MEC. Les MEC ont effectué ce changement et je suis l'un de ceux qui ont contribué à ce qu'il s'opère. Nous sommes ici pour faire de l'argent; il n'est pas nécessaire qu'il y ait un contenu canadien. Si nous ajoutons de la valeur, nous allons favoriser la prospérité.

Le sénateur Zimmer : J'ai eu différentes réponses depuis quelque temps au sujet du port de Churchill. Vous me permettez de croire qu'il pourrait être viable, et je vais continuer d'examiner cette possibilité.

Le sénateur Adams : Vous avez dit que les barges avaient la capacité de réduire davantage le trafic. Y a-t-il quelqu'un qui n'a pas intérêt à le réduire, comme les camionneurs dont le chiffre d'affaires diminuerait, surtout dans la région des Grands Lacs ou dans le corridor Windsor-Detroit? Le CN a-t-il examiné la chose?

Quelqu'un veut agir, et vous dites avoir tout ce qu'il faut pour le faire, y compris les boîtes noires. Ce n'est pas bien différent pour les lacs. Est-ce que des entreprises sont intéressées? Même si le CN dit que ce n'est pas possible, y en a-t-il d'autres qui envisagent la chose?

M. Fung : Sénateur, je vous ai brièvement expliqué ce que je faisais parce que je considère important, parfois, de replacer les choses en contexte pour que vous compreniez pourquoi je fais certaines déclarations. Étant donné que je possède une multinationale, je ne dépends pas d'une banque canadienne. Je ne suis pas non plus otage d'une compagnie ferroviaire ou d'un transporteur canadien. J'ai fait un exposé, la semaine dernière, devant l'Association de camionnage de l'Ontario, et j'ai dit la même chose. Demain, je ferai un discours-programme devant l'association de recherche dans le domaine ferroviaire, et j'en ferai autant.

Je crois que si nous faisons les bonnes choses, tout le monde en profitera. Se laisser prendre en otage par des groupes d'intérêt est la pire forme de protectionnisme qui soit, parce que cela signifie que personne n'a besoin d'être plus efficient ni meilleur. Cela peut conduire, au bout du compte, à notre élimination. L'exemple de la construction navale l'illustre bien. L'Allemagne est le pays le plus cher au monde pour faire construire des navires. La Norvège possède encore des chantiers navals. La Grande-Bretagne, qui était le plus grand pays constructeur naval après la Deuxième Guerre mondiale, est devenue protectionniste, et John Brown a disparu à tout jamais. Nous devrions en tirer des leçons.

Il faut que cela change. Vous dites : « Eh bien, est-ce que les camionneurs s'y objecteraient? ». Les camionneurs se plaignent de ne pas avoir suffisamment de main-d'œuvre pour parcourir de longues distances, et je leur propose une solution grâce à laquelle ils pourront tous rentrer chez eux le soir. Tout ce qu'ils auront à faire, c'est conduire sur de courtes distances, guère plus. Selon moi, nous devrions bâtir les infrastructures qui leur permettront de le faire sans créer beaucoup de congestion. Personne n'a besoin de traverser le pont Ambassador. Je suis sûr que le propriétaire de ce pont voudra embaucher quelqu'un pour se débarrasser de moi pour avoir fait de telles propositions. Il a réussi à monopoliser ce pont pendant longtemps et à en tirer beaucoup d'argent.

Je pense qu'il est important que nous évaluions certains de ces concepts ensemble. Si les Canadiens ne font rien, quelqu'un d'autre s'en chargera. Mon cousin est aussi Canadien, et nous parlons parfois du transport par chalands. Il a plus d'expérience pratique en la matière que n'importe qui d'autre, et il a aussi creusé des tunnels. Les 270 000 titulaires de passeport canadiens à Hong Kong gagnent tous de l'argent à Hong Kong sans toucher quoi que ce soit. Quand commencerons-nous à rapatrier un peu de cette main-d'œuvre pour qu'elle produise de la richesse ici et qu'elle paye des taxes au Canada plutôt qu'à Hong Kong?

La présidente : Je vous remercie beaucoup, messieurs Fung et Laurin. C'était non seulement très intéressant, mais vous avez lancé de nouvelles idées qui nous seront utiles dans notre étude. Ce sera d'un grand secours pour l'étude que nous menons actuellement. Nous sommes vraiment fiers d'avoir choisi d'entreprendre une telle étude.

Le sénateur Dawson : J'ai chez moi un iPod brisé dont je sais qu'il vaut moins de 1 $.

La présidente : N'hésitez pas à nous envoyer d'autres informations, le cas échéant. Nous serons ravis de les communiquer aux sénateurs.

M. Fung : Voulez-vous que je vous envoie la copie du document de l'Université Dalhousie?

La présidente : Nous entrerons en contact avec les personnes concernées.

La séance est levée.


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