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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 3 - Témoignages du 31 mars 2009


OTTAWA, le mardi 31 mars 2009

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour examiner les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : Loi sur les Indiens, examen, faits nouveaux et tentatives de réforme).

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs, aux membres du public présents dans la salle ainsi qu'à tous les téléspectateurs du pays qui suivent les débats du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à la CPAC ou sur Internet.

Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et je préside ce comité, qui a pour mandat d'examiner les mesures législatives et les autres questions concernant les peuples autochtones du Canada.

[Français]

Aujourd'hui, nous avons prévu une séance d'information sur la Loi sur les Indiens et à cette fin, notre comité a invité un spécialiste de la question pour nous aider à y voir clair.

Laissez-moi d'abord vous présenter les membres du comité qui sont présents.

[Traduction]

Nous avons parmi nous le sénateur Brazeau du Québec, le sénateur Lang du Yukon, le sénateur Raine de la Colombie-Britannique, le sénateur Watt du Québec, le sénateur Dyck de la Saskatchewan, le sénateur Peterson, également de la Saskatchewan, et le sénateur Carstairs du Manitoba.

Aujourd'hui, avec l'aide d'un expert, nous allons examiner la Loi sur les Indiens pour en avoir une vue d'ensemble et nous allons passer en revue les faits nouveaux et les tentatives de réforme. Pour en discuter, nous accueillons William B. Henderson, avocat et procureur. M. Henderson est un juriste établi à Toronto qui a acquis une vaste expérience de la question autochtone en représentant les Premières nations et a plaidé à tous les paliers du système judiciaire canadien, y compris à la Cour suprême. Il a été particulièrement actif dans les dossiers liés aux droits de chasse et de pêche issus des traités, aux terres des réserves et aux revendications territoriales. Son site web, Henderson's Annotated Indian Act, constitue depuis une décennie la référence en ligne de nombreux étudiants et juristes. M. Henderson est aujourd'hui conseiller auprès du Conseil consultatif des terres établi par l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations, ainsi qu'auprès des Premières nations dans le cadre de négociations de revendications territoriales.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Henderson. Votre déclaration sera suivie d'une période de questions des sénateurs. Je vous demande d'être le plus concis possible dans votre déclaration préliminaire. Je sais que vous le serez. Mes collègues voudront avoir la chance de vous poser des questions.

William B. Henderson, avocat et procureur, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vais tenter d'être le plus bref possible dans les circonstances. L'histoire de la Loi sur les Indiens commence bien avant la Confédération. Il est important de le mentionner. Les politiques, principes, concepts et pratiques que nous trouvons dans les différentes versions de la Loi sur les Indiens au fil des ans découlent de ce qui a été fait dans les provinces avant la Confédération et d'une série de rapports sur l'état des affaires indiennes, dont le premier fut celui du général Darling, en 1828. Par la suite, il y eut une commission parlementaire britannique en 1837, la Commission Bagot au début des années 1840 et le rapport Pennefather dans les années 1850.

La lecture de ces rapports est très intéressante, et je la recommande aux sénateurs et à leur personnel. Vous vous rendrez compte que les idées que vous pensiez novatrices en ce qui concerne les affaires indiennes et la gouvernance sont, en fait, assez anciennes. Elles ont été mises à l'essai et proposées dans des lois de diverses façons, mais pas toujours de la meilleure façon.

En 1867, toutes les lois antérieures à la Confédération dans le Bas-Canada, le Haut-Canada, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont été regroupées sous l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au Parlement l'autorité législative exclusive concernant les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. La première Loi sur les Indiens adoptée après la Confédération fut la Loi du secrétaire d'État, qui donnait à l'époque au secrétaire d'État la responsabilité d'agir à titre de surintendant général des Affaires indiennes.

J'aimerais vous parler brièvement de l'expression « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». Le Parlement avait l'autorité sur ces questions et il légiférait en cette matière. Toutefois, au fil des ans, sur le plan politique et législatif, c'est devenu une voie à sens unique. Dans les différentes versions de la Loi sur les Indiens, il y a des dispositions concernant la cession, l'expropriation et la location des réserves si elles ne sont pas utilisées.

J'appelle cela une voie à sens unique parce qu'il n'y a aucune disposition, dans toutes les versions de la Loi sur les Indiens, y compris celle-ci, selon laquelle les terres peuvent devenir ou redevenir des réserves. La loi est muette à ce sujet. Les terres qui ont cessé de servir de réserves au fil des ans, aussi bien avant qu'après la Confédération, sont perdues. Il n'y a aucun moyen législatif de les reprendre.

Dans une moindre mesure, c'est la même chose pour les Indiens. De plus en plus, au fil du temps, la définition du statut d'Indien a été restreinte. Même si l'émancipation signifie le droit de vote, les diverses tentatives d'émanciper les Indiens au fil des ans ont également entraîné la perte complète du statut d'Indien. C'est aussi une voie à sens unique. Depuis la première version, la loi contenait des dispositions d'émancipation qui privaient les gens de leur statut d'Indien, sans qu'ils ne puissent jamais le retrouver. Depuis 1985, il n'y a plus de dispositions concernant l'émancipation dans la loi.

La première loi sur les Indiens a été édictée en 1876. Elle reprend des thèmes des sources que j'ai déjà mentionnées, thèmes qui se reflètent dans la loi actuelle. Ces thèmes sont les réserves, la définition de réserves, les dispositions pour la protection, la vente et l'expropriation des réserves.

Elle contient des dispositions sur l'appartenance, depuis les descriptions générales dans la première loi, adoptée dans le Bas-Canada en 1850, jusqu'aux dispositions très restrictives d'aujourd'hui, qui ont été révisées en 1985 dans le projet de loi C-31. Elles continuent à susciter la controverse à cause de leur incidence sur le nombre de personnes qui vont pouvoir revendiquer le statut d'Indien dans les générations à venir. Il y a toujours eu des dispositions portant sur la gouvernance, et on pourrait décrire cela comme la « voie de la gouvernance ». Bien que les pouvoirs de prendre des règlements soient limités pour les bandes et les conseils des Premières Nations, ils n'ont jamais été étendus. En vertu de la Loi sur les Indiens, ils ont toujours été soumis à l'approbation ou au veto du ministre des Affaires indiennes. Les dispositions de la loi ont toujours été et continuent d'être inadéquates en ce qui concerne l'application de ces règlements. Par exemple, un conseil de bande peut prendre un règlement sur une question précise. Quand quelqu'un enfreint ce règlement, et s'il y a un agent, une bande ou un gendarme spécial chargé de le faire appliquer, quelqu'un va peut-être porter des accusations. Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire que le procureur de la Couronne va poursuivre la personne en justice. C'est un problème. Parfois, trouver quelqu'un pour porter des accusations est un problème. L'application des règlements est une difficulté constante dans cet aspect de la gouvernance.

Traditionnellement, l'un des thèmes importants de la Loi sur les Indiens de 1876 et qui a été transposé au fil des ans est la modération. Le principe selon lequel les Indiens inscrits ne devraient pas consommer d'alcool a toujours été défendu avec vigueur, en particulier dans les provinces des Prairies vers la fin du XIXe siècle. Encore aujourd'hui, il y a des dispositions sur la modération, bien qu'elles soient beaucoup plus limitées, dans la mesure où une Première nation peut voter pour que la consommation d'alcool soit interdite sur les terres de la réserve, alors qu'auparavant, l'alcool était interdit dans toutes les réserves, à moins de déclaration contraire.

L'éducation a toujours été considérée comme un outil d'assimilation et a toujours été présente. Elle consistait en un système de pensionnats, dont vous avez certainement entendu parler. Au fil des ans, jusqu'à ce que la loi soit modifiée en 1951-1952, les règles ont été resserrées afin que les petits Indiens, surtout ceux de 6 à 16 ans, soient obligés d'aller à l'école. Des personnes ont été chargées de les arrêter et de les contraindre, en utilisant une force raisonnable au besoin, à aller à l'école. Bien souvent, ils étaient retirés de leurs communautés et envoyés dans des pensionnats.

On a protégé quelques-uns des droits des Indiens, mais étonnamment, pas les droits issus de traités, parce que les traités ne sont mentionnés dans Loi sur les Indiens que dans la mesure où le paiement des annuités de traités est imputé au Trésor. Les droits que les gens associent généralement à la Loi sur les Indiens sont l'insaisissabilité de la propriété individuelle dans la réserve, l'exemption de taxation et les dispositions de cette nature, qui ne sont pas nombreuses mais qui, bien entendu, sont précieuses pour les communautés des Premières Nations et qui font fréquemment l'objet de commentaires à l'extérieur de ces communautés.

Il y a toujours eu des dispositions spéciales, selon la bête noire du jour. C'est ce qui explique l'interdiction historique des potlatchs et de la danse du soleil, de même que l'interdiction pour les Indiens d'entrer dans les bars publics, interdiction qui a prévalu pendant un certain temps, de peur que les Indiens n'aient les mêmes loisirs que leurs voisins... En raison des progrès réalisés durant les années 1920 sur le plan des revendications territoriales, en particulier pour la nation Nisga'a, une disposition a été ajoutée à la loi, en 1927, dans le but d'interdire aux Indiens d'amasser des fonds pour la revendication de terres ou d'embaucher un avocat sans la permission du surintendant général.

Je vais maintenant vous parler brièvement des principales réformes entreprises au fil des ans. Jusqu'après la Deuxième Guerre mondiale, toutes ces initiatives ont été ajoutées à la loi à la demande de non-Indiens, de missionnaires, de groupes d'intérêts, du ministère des Affaires indiennes et des divers ministères concernés. Ce n'est qu'en 1948 qu'un comité parlementaire spécial a été créé afin de consulter les membres des Premières nations et leurs dirigeants à propos de la Loi sur les Indiens et de sa teneur. Ces audiences ont abouti à la Loi sur les Indiens de 1951, qui est à peu de choses près identique à la version moderne. Si vous lisez cette loi, telle qu'elle apparaît dans les Statuts révisés du Canada de 1970, vous constaterez qu'il s'agit de la loi actuelle sur les Indiens.

J'ai mentionné tout à l'heure qu'à l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, il est question des Indiens et des terres réservées pour les Indiens, mais que sur le plan législatif et politique, c'est une voie à sens unique. Il est possible de perdre le statut d'Indien, de même qu'il est possible de perdre des réserves. L'aboutissement logique de cette histoire a été présenté dans le livre blanc de 1969, dans lequel le gouvernement proposait de supprimer le statut d'Indien et d'éliminer les réserves, d'abolir les traités et essentiellement, dans la mesure où il fallait trouver une solution au problème des Indiens, de les assimiler, pour qu'il n'y ait plus d'Indiens.

Heureusement, cette proposition a vite été écartée. Officiellement, le gouvernement a conservé cette politique durant plusieurs années, mais sur le plan pratique, les Premières nations s'y sont chaudement, clairement et efficacement opposées. La politique a donc été supprimée. Il est difficile de croire que seulement 13 ans plus tard, grâce au rapatriement de la Constitution, les droits ancestraux et issus de traités des Autochtones ont été protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous tentons encore de déterminer ce que cela signifie, en particulier sur le plan de la gouvernance, parce que les Premières nations considèrent que le droit inhérent à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale est prévu à l'article 35, mais il n'y a pas encore consensus sur cette question au Canada.

Ce n'est pas l'article 35, mais bien l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui a mené à la deuxième modification importante à la Loi sur les Indiens, avec la disposition sur l'égalité. En conséquence, le projet de loi C-31, adopté en 1985, a permis de modifier la Loi sur les Indiens afin d'y supprimer les distinctions historiques, en particulier en ce qui concerne l'émancipation des femmes autochtones qui se marient avec des non-Autochtones, et d'y retirer toute référence à l'émancipation. Ce fut le principal changement, bien qu'il y ait eu d'autres dispositions mineures portant sur les pouvoirs accrus du gouvernement et sur d'autres modifications essentielles.

Depuis 1985, il y a eu d'autres tentatives, principalement par le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations de 2002, de procéder à des réformes en profondeur de la Loi sur les Indiens. Ces tentatives se sont butées à la forte résistance des Premières nations et ont été abandonnées. Voilà ce qui explique où nous en sommes aujourd'hui.

Je sais que le comité se penche sur cette question, examine le contexte et songe peut-être à des solutions. Si c'est le cas, je lui demande instamment de s'inspirer de l'expérience de 1985, afin de pouvoir tenir compte de la nécessité absolue d'un financement adéquat et d'autres ressources pour les Premières nations, afin d'appliquer les changements en matière de gouvernance et d'institutions à la Loi sur les Indiens. Beaucoup d'ententes conclues et d'initiatives prises au nom du gouvernement n'ont pas été assorties par la suite de ressources suffisantes. Je recommande vivement au comité de ne pas s'aventurer sur ce terrain.

Si vous avez des questions, je vais tenter d'y répondre.

Le président : Merci, monsieur Henderson. Je suis sûr que certaines questions vont nous amener vers d'autres sujets de discussion.

Le sénateur Sibbeston : Monsieur Henderson, vous avez acquis beaucoup d'expérience auprès des Autochtones et de leurs dirigeants. Avez-vous l'impression que les dirigeants des Premières nations vont toujours s'opposer au changement? Je pense que c'est le cas dans les Territoires du Nord-Ouest, d'où je viens. Les gens là-bas viennent juste de sortir de la brousse, pour ainsi dire, et d'entrer dans la vie moderne. Les choses ne sont pas très évoluées; elles sont au niveau de base. On initie les gens à la démocratie, les conseils de bande commencent tout juste à s'organiser, et ainsi de suite. On a réalisé des progrès, mais on en est encore au stade initial, si l'on se compare aux Autochtones du Sud, qui sont en contact avec la civilisation depuis plus longtemps. Ils sont plus évolués.

Avez-vous l'impression que dans bien des cas, en raison d'un système autocratique, les chefs et certaines familles dirigeantes résistent en général à tout changement? Pensez-vous que même si les changements pouvaient être très favorables sur le plan de la gouvernance et de la reddition de comptes, il y aurait une résistance générale à ce que nous considérons comme des changements positifs?

Croyez-vous que les tentatives du gouvernement de faire quelque chose de positif sont vaines, parce que les Autochtones s'en méfieraient? Malgré le fait que la Loi sur les Indiens est vraiment terrible, elle leur donne un sentiment de protection, et en général, ils s'opposent au changement.

M. Henderson : Je suis heureux d'avoir une formation juridique; elle me permet de reconnaître les questions tendancieuses.

Je n'approuve pas nécessairement tout ce que vous avez dit. En général, les communautés des Premières nations du pays ont eu et ont encore énormément de difficulté à accepter toute modification importante à la Loi sur les Indiens, non pas parce que c'est une excellente ni même une bonne mesure législative, mais parce que c'est la seule qui, selon eux, protège leurs réserves et leurs droits.

Harold Cardinal a écrit quelque chose là-dessus en 1969 et en 1970. Il a dit que jusqu'à ce qu'il y ait une parfaite reconnaissance des droits des Autochtones, la Loi sur les Indiens est tout ce que les Autochtones ont. Il a écrit que si elle est une source d'embarras, c'est peut-être un pas vers la reconnaissance, et que lorsqu'ils auront obtenu la reconnaissance, les gens seront heureux d'envisager des modifications à la Loi sur les Indiens.

Quand la Commission royale sur les peuples autochtones a parlé de cette situation, elle l'a décrite comme le paradoxe de la Loi sur les Indiens : elle est horrible, mais c'est tout ce que nous avons. Nous devons composer avec cela. Ce paradoxe a été montré clairement en 1969, par ces dispositions de grande portée, mais il était encore là en 2002 lorsque la Loi sur la gouvernance des Premières nations a été proposée. Ce que bien des gens considèrent comme des dispositions raisonnables de gouvernance est perçu par les Premières nations comme une atteinte à leurs institutions culturelles. Ce n'est peut-être pas toujours évident, mais vos témoins des Premières nations pourraient vous l'expliquer.

Le sénateur Sibbeston : D'après ce que je connais de la situation des Autochtones au Canada, il semble que ce soit une question de temps et qu'il faille que les Autochtones s'instruisent, s'ouvrent sur le monde, gagnent en confiance et réussissent à accomplir des choses. J'ai parfois l'impression que les gouvernements croient qu'ils peuvent résoudre le problème en dépensant de l'argent. Toutefois, dans bien des communautés, les gens sont satisfaits, en un sens, et les choses ne changeront pas beaucoup parce que leur niveau d'instruction ne leur permet pas d'aller de l'avant. Il faudra du temps.

D'après votre expérience auprès des Autochtones, estimez-vous qu'il s'agit d'une situation en évolution et qu'il leur faudra tout simplement du temps? Il y a de très bons dirigeants qui ont bien réussi. Ils reconnaissent que le développement économique est la solution pour eux, tout comme il l'est pour toutes les sociétés dans le monde. Certaines personnes ici n'en sont pas encore convaincues.

Si toutes les bandes du pays pouvaient le favoriser, je crois qu'elles le feraient, parce que tout le monde veut être libre, autonome et en sécurité. C'est le principe de tout être humain de vouloir acquérir des choses. C'est possible de le faire par l'activité économique, entre autres.

Avez-vous ce sentiment, que le financement n'est pas la solution, qu'il faudra du temps, mais que tôt ou tard, les Autochtones vont prendre leur situation en mains et rendre leur économie semblable à celle de tous les Canadiens?

M. Henderson : Sur le plan de l'éducation et de l'économie, j'espère beaucoup que les Premières nations seront bientôt au même niveau que les autres Canadiens. Que la solution passe uniquement par l'éducation ou par le développement économique, les premières propositions en ce sens remontent à la Commission Bagot, en 1844. Pour certaines choses, il faut vraiment du temps.

L'argent est-il l'unique solution? Certainement pas, mais certaines solutions nécessitent des fonds, sans quoi, elles ne peuvent pas être appliquées. Il est difficile de savoir si ces généralisations sont vraies. Elles le sont dans une certaine mesure, mais il faut préciser quelles initiatives et quelles ressources sont nécessaires, et quel soutien elles obtiennent au sein des Premières nations.

Le président : Je crois que le gouvernement fédéral a toujours voulu conquérir et diviser les Premières nations. Elles ont été réparties dans plus de 600 bandes partout au pays, au lieu d'être reconnues comme des nations, que ce soit la nation algonquine ou la nation ojibwa. Ai-je raison de prétendre que c'est ainsi que le gouvernement voyait les choses à cette époque, monsieur Anderson?

Un regroupement a été récemment proposé en Colombie-Britannique dans le projet de loi de reconnaissance, mais le gouvernement a reculé en raison de l'imminence des élections. Avez-vous songé à la possibilité de regrouper les petites bandes pour reconnaître les populations des Premières nations en tant que nations, par exemple, les Algonquins et les Mohawks?

M. Henderson : En ce qui concerne la dimension historique, la tactique qui consiste à diviser pour mieux régner n'est pas propre au gouvernement fédéral. Elle n'a pas été créée en 1867, mais au XVIIe siècle, à l'époque où les Néerlandais, les Anglais et les Français formaient des alliances commerciales et exerçaient leur contrôle ici et là.

Il est exact de dire que cette tactique a continué d'être utilisée jusqu'à la guerre de 1812 à des fins militaires, et par la suite, à des fins politiques. C'était particulièrement le cas dans les Prairies, à l'époque de la rébellion de Riel, lorsque les grandes tribus ont été divisées en petites bandes, afin d'accroître le contrôle gouvernemental. Cette tactique a également été utilisée dans les années 1980, quand les Cris du lac Lubicon ont manifesté et présenté leurs revendications et qu'une bande distincte a été créée afin qu'une entente puisse être signée. La stratégie de diviser pour régner a toujours été utilisée.

Cela signifie-t-il que l'intégration est la solution? Elle l'est peut-être pour certaines personnes. Je n'ai vu qu'une description générale des ambitions du premier ministre Campbell au sujet des 25 traités pour les 25 régions et ce genre de choses. Comme vous le dites, l'idée a été écartée ou retirée provisoirement en raison des élections. Je ne sais pas si c'est à cause des pressions exercées par les Premières nations ou par les non-Autochtones ou les deux. Vous êtes de cette province, sénateur, alors vous connaissez sans doute la réponse mieux que moi.

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie de votre exposé. Sachez que votre site Web sur la Loi annotée sur les Indiens est une bonne source de renseignements pour les étudiants du pays, dont moi-même.

La Loi sur les Indiens a été adoptée en 1876, et à cette époque, un représentant de la Couronne a déclaré que l'objectif de la Loi sur les Indiens était « d'assimiler les Indiens et de se débarrasser du problème des Indiens ». En 2009, nous sommes encore assujettis à la Loi sur les Indiens. Je pense qu'une partie du problème vient du fait que certains dirigeants ont utilisé des tactiques pour semer la peur, ou du moins ont transmis des informations selon lesquelles la Loi sur les Indiens protégeait certains droits ancestraux, ce qui est, pour l'essentiel, complètement faux. À mon avis, les gens sont mal informés, et la Loi sur les Indiens est probablement le principal facteur de pauvreté chez les Autochtones au pays à cause de l'absence de dispositions, dans la loi, en matière de responsabilité envers les citoyens qui vivent dans ces communautés.

J'ai eu l'occasion de prendre part à l'Initiative sur la gouvernance des Premières nations et de siéger au Comité consultatif ministériel conjoint, lequel a fait des recommandations au ministre de l'époque au sujet des modifications à apporter à la Loi sur les Indiens sur le plan de la gouvernance. Il était aberrant de voir la position de certains dirigeants qui, à un moment donné, faisaient partie du comité, puis ont décidé de se retirer, de boycotter le processus, de simplement siéger au comité, sans appuyer les modifications à la loi quand ils avaient la possibilité de le faire.

Ce projet de loi était une initiative commune de différents groupes d'intervenants, et il est vrai qu'il s'est heurté à beaucoup d'opposition. Toutefois, le ministère des Affaires indiennes a réalisé un sondage après l'échec du projet de loi, ce qui lui a permis d'apprendre que l'échec n'était pas dû au boycott des processus par les chefs, mais au changement de chef au sein de l'ancien gouvernement libéral. C'est la raison pour laquelle ce texte législatif est mort au Feuilleton. Le sondage du ministère des Affaires indiennes indiquait que plus de la moitié des habitants des réserves appuyaient les modifications à la Loi sur les Indiens qui visaient à accroître les exigences en matière de reddition de comptes et à augmenter la gouvernance dans la loi, mais d'un autre côté, certains chefs de bande ont boycotté le processus.

Croyez-vous qu'il serait utile, compte tenu de votre expérience et du travail que vous avez accompli en ce qui a trait à la Loi sur les Indiens, que vous alliez rencontrer les gens pour voir quelle sorte de changements nous devrions apporter à la loi sur le plan de la gouvernance et de la reddition de comptes, au lieu de le demander uniquement aux dirigeants des Premières nations? Comme le sénateur St. Germain l'a indiqué, le système fait en sorte qu'il y a plus de 600 chefs partout au pays, et je n'ai pas peur de dire, par conséquent, qu'il y a trop de chefs et pas assez d'Indiens. Je pense qu'au fond, c'est le plus gros problème, parce que beaucoup de ces dirigeants demandent toujours plus de consultations, mais à mon avis, en tant que membre d'une Première nation, consultation n'est pas synonyme de consensus. Que diriez-vous d'aller voir directement les membres de ces communautés pour discuter des modifications futures à la Loi sur les Indiens?

M. Henderson : Je dirais en gros que lorsque je parle d'un consensus dans une communauté, je parle des membres de la communauté. Je peux vous donner un exemple de ma propre expérience entourant l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations. Une Première nation qui souhaite gérer les terres et les ressources de la réserve doit rédiger et adopter sa propre loi. Tous les membres et les électeurs, peu importe leur résidence, ont le droit de voter à cette occasion. On mène des consultations approfondies sur la mise au point et la rédaction des lois, sur leur teneur et sur les conséquences de cette responsabilité. Les membres ont des discussions réfléchies à propos des ressources qui seront disponibles et de ce qui pourra être amélioré. En outre, ce sont ces mêmes personnes qui posent des questions et tentent d'obtenir des réponses. Personne ne leur fournit d'informations ni ne les guide, d'après ce que je vois.

Par conséquent, je dirais qu'effectivement, aller dans les communautés, entendre ce que les gens ont à dire et leur donner l'occasion d'exprimer leurs préoccupations et de poser des questions fait partie intégrante d'une forme raisonnable de gouvernement.

Le sénateur Brazeau : En tant qu'ancien dirigeant national autochtone et membre d'une Première nation, je peux vous dire que j'ai pris moi-même les choses en main. Par exemple, il y a six mois, j'ai créé un groupe sur Facebook dans le but d'éliminer la Loi sur les Indiens, et il compte plus de 2 000 membres. Il y a un échange fructueux d'informations, de recommandations et de conseils sur ce que les gens souhaitent dans ce pays. Cela porte ses fruits pour le moment.

Le sénateur Dyck : Monsieur Henderson, c'est une tâche énorme que d'essayer de présenter les points saillants de la Loi sur les Indiens. Je vais commencer par vous poser deux brèves questions concernant l'histoire de cette loi.

Vous avez dit que la loi avait été élaborée à l'origine essentiellement en vue de l'assimilation les Indiens. Dans les documents historiques, comme le rapport de 1844, a-t-on évalué le temps qu'il faudrait pour assimiler les Indiens? Y avait-il un échéancier?

M. Henderson : En fouillant dans ma mémoire, un exercice périlleux, je peux dire que l'on trouve à maintes reprises le mot « générations », sans que l'on précise nécessairement de combien de générations il s'agit ou à quel rythme les choses pourraient évoluer. À la lecture des documents historiques, on a l'impression que malgré le retrait des enfants de leur communauté et de leur famille pour les placer dans des pensionnats, l'assimilation ne s'opérait pas assez vite au goût du ministère, des églises et des autres institutions. Toutefois, je ne me rappelle pas vraiment que quelqu'un ait précisé combien de temps il faudrait ni à quel moment cela se passerait, sauf en 1969, quand on a vu cela arriver très soudainement et très rapidement.

Le sénateur Dyck : Vous avez également mentionné que depuis l'adoption du projet de loi C-31, en 1985, il n'est fait aucune mention de l'émancipation dans la Loi sur les Indiens, mais néanmoins, nous avons constaté qu'en raison de ce projet de loi, il y a en fait une émancipation parce que c'est en fonction de la catégorie d'Indiens dont vous faites partie que l'on détermine si vous pouvez obtenir le statut d'Indien; par conséquent, on peut encore perdre son statut à cause d'un mariage.

M. Henderson : Oui, c'est exact, sénateur. On trouve le mot « émancipation » dans la loi actuelle pour des questions historiques, mais il n'y est pas question d'émancipation de nos jours. Ce que vous dites au sujet des générations futures est tout à fait vrai. Je ne prétends pas être un expert de cette question, mais j'ai déjà parlé de l'affaire McIvor et, en effet, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que les dispositions relatives à l'appartenance étaient inconstitutionnelles parce qu'elles établissaient encore une distinction entre les femmes et les hommes autochtones. Le fait de pouvoir transmettre l'appartenance n'était pas équitable, et il y avait encore discrimination.

Je pense que la conséquence à laquelle vous faites référence est que selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme, le mariage avec un non-Autochtone a des conséquences dramatiques sur les enfants et leur possibilité d'hériter, pour ainsi dire, du statut d'Indien ou d'y avoir droit. Certains observateurs disent que la population d'Indiens inscrits ne représentera plus que des décimales d'ici 30 à 50 ans si nous conservons ces politiques.

Le sénateur Dyck : C'est ce que l'on craint. J'utilise le terme « émancipation » pour parler de la perte du statut d'Indien d'un membre d'une Première nation plus que du droit de vote aux élections.

Effectivement, certains craignent qu'il n'y ait un jour plus d'Indiens inscrits, et ce, dans un délai de quelques décennies, comme vous l'avez mentionné. Par conséquent, ce que visait la loi initialement, en 1876, va peut-être s'accomplir grâce aux effets secondaires du projet de loi C-31.

Je crois que vous avez dit que si nous envisageons de modifier la Loi sur les Indiens, nous devrions nous pencher sur ce qui a été fait en 1985.

M. Henderson : Je pense avoir dit surtout qu'en 1985, les prévisions concernant le nombre de personnes qui reprendraient leur statut d'Indien ont été grandement sous-estimées. Il y a beaucoup plus de gens que prévu qui ont repris leur statut d'Indien. Le financement n'a pas été augmenté pour faire face à cette situation. On a dit aux Premières nations que ces mesures n'auraient aucun impact sur leurs communautés et que des subventions et d'autres ressources financières seraient disponibles. Or, même si les chiffres prévus ont doublé et ont continué de grimper, le financement n'a pas augmenté.

C'est ce à quoi je faisais référence quand j'ai proposé que vous vous penchiez sur cette expérience.

Le sénateur Dick : Parlez-vous des ressources allouées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien aux diverses communautés des Premières nations?

M. Henderson : C'est exact. À mon avis, l'examen de ce qui a alors été fait pourrait également être utile au comité, puisqu'il s'agissait d'un long processus.

Le sénateur Dyck : Est-ce qu'il faudrait amender le projet de loi C-31 afin de révoquer les changements ayant trait à la perte du droit d'appartenance à une bande? Avez-vous des solutions à proposer à cet égard?

M. Henderson : La plupart des modifications en ce qui concerne la perte du droit d'appartenance ont été révoquées en 1985. Je n'ai pas pour la période allant de 1985 à aujourd'hui les données voulues pour déterminer le nombre de personnes qui continuent de perdre leur statut en raison de la règle de deuxième génération. D'autres personnes pourraient peut-être vous donner plus de détails. L'affaire est actuellement devant les tribunaux; ils auront peut-être des suggestions à faire quant aux problèmes que pose le texte de loi et ce qui peut être fait pour les régler.

Le sénateur Dyck : Vous avez parlé de l'affaire Sharon McIvor en Colombie-Britannique. On lui a donné gain de cause et on lui a offert un règlement, mais elle a préféré qu'il s'applique collectivement à l'échelle nationale plutôt qu'à sa seule famille.

M. Henderson : D'après ce que je comprends, l'offre a été faite avant qu'elle n'entame une procédure devant les tribunaux de première instance. Elle a eu gain de cause, et l'affaire est maintenant devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Watt : Merci pour votre exposé, monsieur Henderson. J'ai commencé à lire votre livre ce matin, mais comme il est assez volumineux, je n'ai pas eu le temps d'en terminer la lecture.

J'ai plusieurs questions. Vous avez mentionné que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est censé protéger les Autochtones du pays. Autrement dit, il s'agit d'un mécanisme prévu dans la Constitution qui décrit les droits reconnus, y compris les droits inhérents dont vous avez parlé.

L'article 25 de la Charte prévoit l'exemption des droits et libertés des Autochtones si une loi du Parlement y porte atteinte. À l'occasion, il arrive qu'un projet de loi ne soit pas adopté parce que nous avons indiqué au comité chargé de l'examiner ou aux personnes concernées qu'il est susceptible de porter atteinte aux droits des Autochtones. Cela arrive parfois. Il y a quelque temps déjà, le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a présenté un rapport sur son interprétation de l'article de non-dérogation. Vous en avez probablement pris connaissance.

Néanmoins, j'aimerais mieux comprendre comment vous concevez la relation établie entre un traité visé par l'article 35 et sa mise en œuvre par le gouvernement. Que manque-t-il?

Vous avez dit qu'il reste à voir comment sera mise en œuvre la question des droits inscrits dans la Constitution. Son exécution ne se fait pas de la manière dont l'entendait la Commission royale sur les peuples autochtones. Je crois que le gouvernement du Canada a examiné attentivement une partie du rapport de la Commission royale. D'autres parties ont été mises en œuvre jusqu'à un certain point, mais elles n'ont peut-être pas exactement l'effet recommandé.

Selon une politique administrative du gouvernement, avant 1982, il était plutôt question d'extinction, si l'on peut l'exprimer ainsi. Depuis lors, le gouvernement a recours à ce qu'il qualifie de « technique de non-affirmation », qui a le même effet que l'extinction. Vous êtes-vous penché sur cette politique, question de voir s'il faut que les Autochtones s'en inquiètent?

D'après le témoin que nous avons entendu au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, la technique de non-affirmation n'a jamais été contestée devant les tribunaux afin de déterminer si elle atteignait son objectif premier.

M. Henderson : Vous avez posé plusieurs questions. Vous avez montré un livre au début de votre intervention. Pensiez-vous que j'en étais l'auteur?

Le sénateur Watt : En effet.

M. Henderson : Je ne l'ai pas écrit. Si je ne m'abuse, l'auteur est Sakej Henderson. Je n'oserais pas m'attribuer le mérite de ce que je n'ai pas écrit.

L'« extinction » répond à un principe de base dont sont convenus les Autochtones et le gouvernement au fil des ans. Comme il me l'a été expliqué à maintes reprises et dans diverses circonstances au cours de ma carrière, les Autochtones ont l'impression que les traités ont créé un lien spécial permanent entre les deux. On le décrit parfois comme une obligation fiduciaire de la Couronne à l'égard des peuples autochtones ou comme un pacte d'amitié.

L'extinction des droits sous-entend une rupture. En gros, ce qui figurait au livre blanc, c'est qu'il s'agissait de bonnes mesures à l'époque, mais que les réserves ou le Registre des Indiens étaient des concepts périmés et que, désormais, tous étaient égaux. La négociation des revendications territoriales ainsi que l'examen des traités, des accords et des ententes mineures — en droit ou selon le gouvernement — étaient considérés comme appartenant au passé. Prenons l'exemple d'un traité s'appliquant dans les Prairies. Lorsque le gouvernement a équipé la maison de l'agent indien d'une pharmacie — une trousse de premiers soins, essentiellement —, qu'il a fait construire une école et qu'il a envoyé sept sacs de pommes de terre, trois ou quatre boîtes de munitions et 5 $ par habitant chaque année, il a respecté tous ses engagements. Si l'on aborde l'article 35 de la même façon en affirmant reconnaître les droits des Autochtones seulement s'ils peuvent démontrer qu'ils sont fondés, s'ils peuvent trouver dans le texte les mots qui étayent leur revendication, on restreint l'interprétation de leurs attentes. La gouvernance est perçue au fil des ans selon la théorie de la boîte pleine. Quand il est question d'autonomie gouvernementale, l'accent est mis sur l'autodétermination. On souhaite avoir toute l'étendue des pouvoirs qui correspond au statut de nation ou à celui de Première nation, y compris le droit de déterminer qui en est membre. Beaucoup d'Autochtones répondraient à la question du sénateur Dyck en affirmant être capables de déterminer l'appartenance, que cela ne leur pose pas de problème.

Les Premières nations, quant à elles, souhaitent le maintien des liens actuels ainsi que l'interprétation pleine et générale des documents, dont les documents constitutionnels. Le gouvernement a eu et continue d'avoir une vue beaucoup plus restreinte. Puisque je parle au nom de mes clients sur ce point précis, je peux facilement affirmer que c'est là leur point de vue.

Le sénateur Peterson : En vertu de la Loi sur les Indiens en vigueur, les chefs et les conseillers de bande sont élus pour deux ans. Au cours de la dernière année, on a beaucoup parlé de prolonger le mandat parce qu'ils passent le plus clair de leur temps à faire campagne plutôt qu'à gouverner. Dans quelle mesure la loi peut-elle être modifiée afin d'en éliminer cet aspect?

M. Henderson : Je dois vous avouer, sénateur, que je n'ai pas vraiment réfléchi à cette question de la durée du mandat. Vous feriez mieux de demander aux conseils ou aux collectivités ce qu'ils en pensent, ce qui pourrait vous mener à diverses conclusions. En vertu de la Loi sur les Indiens actuelle, ils ont l'option d'appliquer le droit coutumier s'ils veulent changer le mandat de deux à trois ans.

Le sénateur Peterson : Cela peut-il se faire unilatéralement? Faudrait-il que la mesure vise une région géographique en particulier?

M. Henderson : Chaque bande peut y avoir recours individuellement. Actuellement, la moitié des Premières nations au pays sont régies par le régime électoral fondé sur la coutume. Elles peuvent donc prolonger la durée du mandat à trois ans si elles le désirent. Quant aux bandes régies par la Loi sur les Indiens, le mandat restera de deux ans. La modification de la durée du mandat comme bon leur semble serait plus simple si elles adoptaient le régime fondé sur les coutumes.

Le sénateur Brazeau : Il ne fait aucun doute que la Loi sur les Indiens ainsi que les obstacles et les problèmes qui y sont associés sont très profitables aux experts-conseils de la région de la capitale nationale. Par exemple, l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, auquel vous avez fait allusion tout à l'heure, prévoit que le gouvernement fédéral est l'instance régissant les Indiens et les territoires qui leur sont réservés. La Loi sur les Indiens définit diverses catégories : les Indiens inscrits ou non inscrits, les Indiens visés par un traité ou non, les Inuits et les Métis. Il y a manifestement des conflits entre les gouvernements fédéral et provinciaux au sujet des compétences. Les Indiens inscrits relèvent soit de l'un soit de l'autre, selon le cas, ce qui a mené à beaucoup de débats et de querelles. La loi a donc créé un immense marché pour de nombreux spécialistes de ces questions qui offrent leurs conseils à beaucoup de collectivités et d'organisations autochtones, ainsi qu'à des particuliers.

Que pensez-vous de tous ces consultants qui conseillent aux collectivités de maintenir le statu quo? Soyons francs : le statu quo fournit à ces gens — je vais oser le dire — de nombreuses occasions de réaliser un profit sur le dos des Autochtones partout au pays.

M. Henderson : Au sens large, je fais peut-être partie de ce groupe. Une très longue expérience m'a appris qu'il faut se distancer de la Loi sur les Indiens. Par exemple, dans le cadre de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations, une Première nation peut décider de conclure un nouvel accord spécifique — ratifié par le Parlement — qui remplace la Loi sur les Indiens en matière de gestion des terres. Ainsi, elle devient donc l'instance en la matière et elle acquiert les pouvoirs, l'autorité de gestion et les fonctions administratives associés à sa réserve et à ses ressources. C'est une entente qui laisse le choix — elle n'est pas obligatoire —, mais les Premières nations font la file pour en conclure.

Même au sein du ministère, je doute qu'on se précipite pour faire respecter la Loi sur les Indiens. Les Premières nations se tournent maintenant vers des accords en matière d'éducation qui s'inspirent de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres. Dans les Maritimes et en Colombie-Britannique, il y a des accords-cadres relatifs à l'éducation qui en reprennent les grandes lignes. Des organismes consultatifs et des ressources sont mis en place et les pouvoirs sont transférés de la Loi sur les Indiens vers un régime spécifique.

L'affaire récente est plutôt une contestation parallèle. Les bandes qui négocient des traités en Colombie-Britannique ne revendiquent pas le maintien de certaines dispositions de la Loi sur les Indiens, parce qu'elle est vouée à disparaître. Depuis la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte de 1986 et la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la Première Nation de Westbank, les deux bandes n'invoquent plus la Loi sur les Indiens comme source. La Charte canadienne des droits et libertés a donné lieu à des contestations de la Loi sur les Indiens parce que cette dernière n'y était pas conforme. D'où le projet de loi C-31.

Le sénateur Brazeau : À la suite de l'arrêt de 1999 de la Cour suprême dans l'affaire Corbiere c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), qui a donné le droit de vote aux membres vivant hors des réserves, beaucoup de consultants ont conseillé aux collectivités réparties aux quatre coins du pays de revenir à la méthode coutumière pour leur retirer le droit de vote. De fait, l'arrêt Corbiere portait seulement sur les élections tenues en vertu de l'article 74, et non sur les élections relevant du régime coutumier. Dix ans plus tard, la pratique a encore cours, et remarquez que nous sommes en train de parler d'élections qui ne respectent pas la Charte. Elle continue d'être utilisée, particulièrement en raison des conseils prodigués par les consultants à 24 conseils de bande.

M. Henderson : Je reconnais qu'on a pu donner un pareil conseil. Il ne m'apparaît pas évident que la loi fédérale, en reconnaissant comme valables les élections coutumières, prive des membres vivant hors des réserves de leur droit à une certaine participation gouvernementale. Je suis certain que c'est contesté à l'heure actuelle. La question n'a pas été tranchée . Ce ne serait pas la première fois que quelqu'un recommande une tactique qui n'a peut-être pas fonctionné.

Le sénateur Raine : Pouvez-vous nous préciser ce que l'on entend par être régi par la Loi sur les Indiens et par la pratique coutumière? D'après ce que je comprends, la Loi sur les Indiens ne s'applique pas dans tous les cas.

M. Henderson : Vous misez juste. En vertu de la Loi sur les Indiens, c'est le ministre qui détermine, par arrêté, si les dispositions d'élection s'appliquent au choix des dirigeants, c'est-à-dire à l'élection d'un chef et d'un conseil. Par le passé, la question a soulevé une vive controverse, mais je n'entrerai pas dans les détails étant donné le peu de temps dont nous disposons.

Pour pouvoir tenir ce qui est défini comme une élection coutumière, le ministre ordonne soit que les élections se feront conformément à Loi sur les Indiens ou il retire son arrêté à la demande de la bande.

À mes débuts, il y a de cela plus de 30 ans, tout ce qu'il fallait pour tenir une élection coutumière, c'était une résolution du conseil de bande comme quoi il ne voulait pas procéder selon la Loi sur les Indiens, mais qu'il voulait plutôt tenir des élections coutumières.

Au cours des dernières années, c'est devenu plus compliqué. Le ministre examine une ébauche de code électoral avant de consentir au changement. Les deux options existent. Certaines bandes n'ont jamais eu recours à la Loi sur les Indiens, et d'autres n'ont même pas de code électoral écrit; elles tiennent des élections, tout simplement.

Le sénateur Raine : Le principe coutumier s'applique-t-il seulement aux élections?

M. Henderson : Oui. C'est exact.

Le sénateur Raine : Tous les autres aspects de la Loi sur les Indiens continuent de s'appliquer?

M. Henderson : Effectivement. La seule autre mention expresse du terme « coutume » dans la Loi sur les Indiens concerne « les enfants adoptés selon la coutume indienne ». Il ne s'agit donc pas d'adoption telle qu'ordonnée ou approuvée par un tribunal ou une société d'aide à l'enfance, notamment.

Le sénateur Raine : Existe-t-il également des mariages coutumiers?

M. Henderson : La loi n'y fait pas allusion, mais il se fait des mariages coutumiers, et la loi en reconnaît la validité.

Le sénateur Raine : Y a-t-il une forme quelconque de droit coutumier de propriété privée dans les réserves?

M. Henderson : Il y a une dizaine d'articles principaux qui portent sur l'attribution par le conseil de bande à ses membres des terres de la réserve. La moitié des Premières nations canadiennes ne les appliquent pas. Elles n'y recourent pas; elles les ignorent simplement.

En règle générale, on pourrait dire que quiconque occupe un terrain ou s'y construit une maison le fait selon la coutume propre à sa bande, et tout le monde reconnaît ces droits.

Le sénateur Raine : Est-ce juste de dire que même si la Loi sur les Indiens existe, le régime a évolué au fil des ans, au point où il existe diverses variantes propres à chaque Première nation? Bien sûr, les circonstances de chacune sont différentes. Certaines bandes sont très urbanisées alors que d'autres viennent tout juste de sortir de la brousse, comme l'a dit le sénateur Sibbeston. Est-ce une bonne chose, ou est-ce tout simplement ainsi?

M. Henderson : C'est la réalité. Pour une raison ou une autre, beaucoup de Premières nations tournent le dos à certains articles de la Loi sur les Indiens et l'ont toujours fait. De là à savoir si c'est une bonne chose... Cela semble leur réussir.

Le sénateur Raine : Comme vous l'avez dit, au sein du ministère des Affaires indiennes, personne ne se précipite pour faire respecter la Loi sur les Indiens. En fin de compte, il y a malgré tout une évolution, même si on semble figé dans le temps.

M. Henderson : Voilà. C'est bien ce qui se passe. Les gens ont choisi d'autres solutions. Les anciens pouvoirs de l'agent indien, du surintendant ou du surintendant général ne sont plus exercés de la même façon qu'auparavant. Dans le cas d'une expropriation en vertu de l'article 36, par exemple, qui par définition signifie la prise de terres situées sur une réserve sans le consentement de la Première nation, le ministre ne consent pas à l'expropriation ni ne la recommande pas au gouverneur en conseil sans l'approbation de la Première nation.

L'époque où de pareilles décisions étaient prises est révolue, ce qui ajoute aussi au paradoxe. Beaucoup d'Autochtones ne se sentent pas particulièrement opprimés par la Loi sur les Indiens parce qu'ils n'y prêtent pas beaucoup d'attention, sauf s'il est question de lever des impôts sur leur capital foncier.

Le sénateur Raine : Je suis désolée de vous embêter avec toutes ces questions. Ce qu'il semble manquer au sein des Premières nations du pays, c'est un moyen de reconnaître les pratiques exemplaires et de les diffuser de manière à ce qu'on puisse apprendre de l'expérience des autres et ainsi améliorer sa situation plus rapidement.

M. Henderson : Il y a déjà des mécanismes en place pour le faire. Tout le monde s'intéresse aux pratiques exemplaires, bien qu'elles varient peut-être selon le sujet. Je n'irais pas jusqu'à marquer une différence entre les Premières nations qui utilisent le partage des terres selon la coutume ou le régime électoral coutumier et celles qui observent la Loi sur les Indiens ou y sont soumises. La distinction n'est pas si claire.

Les Premières nations s'intéressent vivement au développement de structures efficaces parce qu'elles savent qu'elles sont des facteurs clés du développement économique. Personne ne veut brasser des affaires avec un mauvais gouvernement. Le Harvard Institute l'a abondamment prouvé, et il existe aussi beaucoup d'études sur le sujet émanant de l'Arizona et du Canada notamment. Les pratiques exemplaires sont une saine façon de gérer les affaires et de gouverner.

Le sénateur Carstairs : Je voudrais vous parler d'éducation. Je suis professeur de formation, d'où mon intérêt pour la question. Je suis consternée, non seulement par le système des pensionnats indiens, qui constitue un embarras pour tous les Canadiens, mais également par le niveau de scolarité à l'intérieur des réserves. Pour pouvoir assurer une bonne gouvernance, il faut des gens scolarisés. Pourquoi le ministère des Affaires indiennes et le gouvernement, dans son ensemble, hésitent-ils à consacrer à l'éducation des enfants autochtones à l'intérieur des réserves le même montant d'argent qu'ils consacrent à l'éducation des enfants non autochtones à l'extérieur des réserves?

M. Henderson : Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Si je connaissais la réponse, j'en serais probablement tout aussi insatisfait que vous, sénateur Carstairs.

Le sénateur Carstairs : Posons la question d'un point de vue plus philosophique. Vous avez dit que l'on est extrêmement réticent à l'idée de modifier la Loi sur les Indiens parce qu'il s'agit de l'unique mesure législative qui protège les Autochtones. La Loi sur les Indiens constitue donc un paradoxe.

Croyez-vous que les Autochtones seraient davantage prêts à modifier la Loi sur les Indiens s'ils étaient bien scolarisés?

M. Henderson : Bon nombre des personnes qui s'opposent à toute réforme de la Loi sur les Indiens, aussi paradoxal que cela puisse paraître, sont bien scolarisées. Encore une fois, je ne veux pas faire de distinctions là où il n'y en a pas.

Pour ce qui est de modifier la Loi sur les Indiens pour pouvoir assurer la gouvernance et le contrôle de l'éducation, j'ai dit, il y a quelques instants, que des ententes-cadres ont été conclues dans les Maritimes et en Colombie- Britannique. Elles ont pour objet de permettre aux Autochtones de prendre en charge l'éducation. Les dispositions de la Loi sur les Indiens qui portent sur l'éducation ne tiennent plus. À long terme, il faudra voir si des ressources sont allouées pour offrir une éducation de qualité aux Autochtones jusqu'au niveau postsecondaire. Si nous voulons que les gens soient vraiment en mesure de soutenir la concurrence dans le monde d'aujourd'hui, il faut s'intéresser à l'éducation postsecondaire.

Le sénateur Carstairs : Vous avez tout à fait raison. D'après les recherches que j'ai effectuées, à une certaine époque, la personne qui recevait un diplôme lui permettant d'exercer une profession perdait son statut d'Indien en vertu de la Loi sur les Indiens.

M. Henderson : C'est vrai. Cette pratique a pris fin, si je ne m'abuse, en 1927, ou peut-être en 1951. Toutefois, la personne qui exerçait une profession devenait émancipée, perdait son statut d'Indien. Ceux qui devenaient pasteurs ou prêtres, ou qui étaient autorisés à prêcher ou à célébrer des mariages, étaient également émancipés. C'était une catégorie assez vaste, ce qui, encore une fois, est assez ironique. On penserait que les Premières nations auraient voulu garder ces personnes, mais ce n'était pas le cas à l'époque. Elles voulaient que les gens partent. Les personnes scolarisées n'avaient aucune difficulté à le faire, parce que, selon toute vraisemblance, elles étaient prêtes à livrer concurrence aux autres à l'extérieur des collectivités des Premières nations.

Le sénateur Carstairs : Ma dernière question porte sur le projet de loi C-31 de 1985. Il est vrai qu'il a permis à un grand nombre de personnes de recouvrer le statut d'Indien, sauf que cette mesure ne s'appliquait pas aux petits- enfants. Pouvez-vous nous expliquer les difficultés auxquelles ont été confrontées les femmes qui ont pu recouvrer leur statut d'Indien en vertu du projet de loi C-31? Certaines, en fait, n'ont pas été bien accueillies au sein de la collectivité. Elles ont pu récupérer leur statut, sauf que celui-ci ne s'appliquait pas à leurs petits-enfants.

M. Henderson : C'est exact. Bon nombre des personnes qui ont récupéré leur statut en vertu du projet de loi C-31 font partie de la catégorie des personnes ayant droit à l'inscription, c'est-à-dire les personnes visées par le paragraphe 6(2) de la Loi. Il est question ici de la Loi sur les Indiens de 1985 et des dispositions actuelles de la Loi sur les Indiens. Une personne ayant droit à l'inscription en vertu du paragraphe 6(1) est une personne qui est considérée comme un membre à part entière des Premières nations, parce qu'elle l'était à sa naissance. Le paragraphe 6(2) vise la personne qui a récupéré le statut d'Indien d'une façon ou d'une autre, ou dont l'un des parents avait le droit d'être inscrits en vertu du paragraphe 6(1) et était un non-Autochtone. Les personnes visées par le paragraphe 6(2) ne peuvent, de manière générale, transmettre leur statut si elles épousent un non-Autochtone. Si elles épousent une personne visée par le paragraphe 6(2), leur enfant peut être considéré comme une personne ayant droit à l'inscription aux termes du paragraphe 6(1). Les gens ont examiné toutes les permutations et combinaisons possibles concernant leurs parents, le moment où ils ont été émancipés, les circonstances dans lesquelles ils l'ont été. D'après un tableau fort utile qui figure dans le rapport de la Commission royale, et un autre qui a été utilisé dans l'affaire McIvor, et je ne l'ai pas avec moi aujourd'hui, les distinctions entre hommes et femmes existent toujours. Peu importe qu'elles existent ou non, si une personne visée par le paragraphe 6(2) épouse un non-Autochtone, cette personne ne peut transmettre son statut d'Indien. Voilà le problème. Si vous jetez un coup d'œil à la dynamique, à certaines statistiques démographiques, domaine qui relève de la compétence d'autres personnes, vous allez constater que le nombre d'Indiens inscrits va diminuer au cours des prochaines décennies, même si ce chiffre, dans les faits, augmente.

Le sénateur Lang : Je voudrais faire un commentaire avant de poser quelques questions. Je partage les préoccupations du sénateur Brazeau quand je jette un coup d'œil au budget global du ministère des Affaires indiennes et que je constate les piètres résultats enregistrés dans de nombreuses régions du pays. Cela veut dire que certaines mesures laissent à désirer. Le fait d'injecter plus d'argent ne permettra pas de régler les problèmes dans bon nombre des cas. Je me sens très mal pour ces jeunes dont on entend parler ou que l'on voit à la télévision dans des clips de 30 secondes. Nous voyons des jeunes enfants qui n'ont pas accès à des soins et qui ne reçoivent pas l'attention qu'ils méritent. Nous pouvons voir où une bonne partie de l'argent est dépensée. Nous avons créé au Canada une industrie de consultants et d'organisations qui, dans bien des cas, trouvent avantageux de maintenir le statut quo. Il est difficile, d'un point de vue politique, de proposer des changements, que ce soit au sein de cette tribune-ci et d'autres, en raison de la résistance que l'on observe et de l'existence de nombreux groupes d'intérêts. Les véritables enjeux, eux, sont perdus de vue.

J'aimerais vous poser une question au sujet des élections. Vous avez parlé des élections coutumières. S'agit-il d'un vote au scrutin secret?

M. Henderson : C'est le mode de scrutin qui serait vraisemblablement prévu, peu importe la coutume. D'après mon expérience, il s'agit habituellement d'un scrutin secret, mais je ne peux garantir que le scrutin est secret dans tous les cas.

Le sénateur Lang : Je présume que le ministère des Affaires indiennes, si ces élections sont tenues dans toutes les régions, saurait s'il y a des bandes qui ne tiennent pas un vote au scrutin secret. Le saurait-il? Aurait-il un dossier là- dessus?

M. Henderson : Je doute qu'il ait un seul dossier sur la question. Il a probablement réalisé des études sur le sujet. Je ne sais pas ce qu'elles disent. Comme je l'ai mentionné, bon nombre des codes coutumiers n'existent pas sur papier, de sorte qu'il faudrait faire certaines vérifications pour déterminer si c'est le cas ou non.

Le sénateur Lang : Je voudrais revenir à la proposition du sénateur Brazeau. Il a recommandé que l'on établisse un cadre pour les bandes qui se trouvent dans le territoire. Ce cadre tiendrait lieu de loi habilitante. Ceux qui voudraient être assujettis à ce cadre pourraient peut-être tenir un plébiscite ou un référendum. Dois-je conclure, d'après votre réponse, que cette façon de faire constituerait une approche nouvelle, une approche différente de celle adoptée en 1985 et à d'autres époques, lorsqu'on tenait des discussions et des consultations sans fin qui n'aboutissaient à aucun résultat?

M. Henderson : C'est ce que j'ai suggéré, dans un sens. Encore une fois, je reviens aux ententes-cadres sur l'éducation et la gestion des terres. Ces initiatives sont l'œuvre des Premières nations. Les ententes-cadres ont fait l'objet de négociations avec le gouvernement. Elles ont un caractère habilitant en ce sens qu'elles permettent aux Premières nations qui le désirent d'assurer la gouvernance dans ces domaines. Je pense que ces ententes fonctionnent. Il s'agit aussi d'une façon indirecte de s'attaquer à la Loi sur les Indiens, car lorsqu'une entente-cadre est négociée et qu'une Première nation décide d'y adhérer, il y a des pans de la Loi sur les Indiens qui ne s'appliquent plus à celle-ci. Il s'agit d'une érosion plutôt que d'une réforme, mais à bien des égards, c'est la voie qu'empruntent les Premières nations.

Si vous jetez un coup d'œil au traité des Nisga'a, vous allez constater que toutes les dispositions relatives à l'autonomie gouvernementale sont visées par le traité. La Loi sur les Indiens ne signifie plus rien pour les Nisga'a. Il en va de même pour les Autochtones du Yukon, en vertu de l'entente-cadre qui a été négociée.

Le sénateur Dyck : Vous venez de parler des traités. Je viens de la Saskatchewan, où il existe des traités numérotés. En Saskatchewan, la plupart des Premières nations, sinon toutes, sont en faveur du processus des traités. En fait, grâce au processus de négociation des droits fonciers découlant des traités, nous avons été en mesure de mettre la main sur des terres dans diverses régions de la province qui ont contribué au bien-être économique de la population.

Étant donné que les traités ont été négociés à peu près en même temps que la Loi sur les Indiens, comment les percevez-vous comparé à la Loi sur les Indiens? Jugez-vous qu'ils sont un outil essentiel qui permettra aux membres des Premières nations d'accéder à l'égalité au Canada, tout en demeurant différents des autres Canadiens?

M. Henderson : Historiquement parlant, les Premières nations des Prairies signataires d'un traité étaient perçues comme étant en marge de la Loi sur les Indiens. Un grand nombre des dispositions de la Loi sur les Indiens n'ont été appliquées aux Autochtones des Prairies que longtemps après et certaines de ses dispositions étaient toujours appliquées dans les Prairies même si elles ne l'étaient plus ailleurs. Une séparation historique s'est produite.

Le problème inhérent aux traités numérotés est que personne dans les Prairies ne les négocie ou ne les renégocie. C'est différent de ce qui se passe en Colombie-Britannique où ces questions de gouvernance sont abordées. Les traités numérotés des deux provinces sont semblables à bien des égards, mais ils ne sont pas identiques. Pour que les Premières nations puissent atteindre leurs objectifs en matière de traités, je pense qu'il serait peut-être nécessaire de moderniser ou de réexaminer le processus, ou même de prendre de nouvelles dispositions. La seule exception à cela est la mesure dans laquelle ces questions peuvent être assujetties à l'article 35, qui offre une nouvelle vision des traités et qui nous permettrait peut-être d'atteindre ces objectifs si nous pouvions déterminer essentiellement par voie de consensus ce que l'article 35 englobe. Les procédures judiciaires seront longues et pénibles.

Le sénateur Dyck : Si je vous ai bien compris, vous suggérez de renégocier les traités. On modifierait les traités plutôt que la Loi sur les Indiens.

M. Henderson : La Loi sur les Indiens n'établit pas clairement les limites de la reconnaissance des droits octroyés en vertu des traités. Si la Loi sur les Indiens disparaissait demain, ce ne serait pas le cas des traités. Malheureusement, les traités de ne décrivent pas en détail la gouvernance des Premières nations.

Le sénateur Dyck : C'est une étrange relation. Bien que la Loi sur les Indiens ne parle pas des traités, nous devons transiger avec le ministère des Affaires indiennes pour négocier ou obtenir les avantages des traités. N'y a-t-il aucun processus qui permettrait de passer outre cette relation avec les Affaires indiennes?

M. Henderson : Le Parlement a assurément le pouvoir d'attribuer la responsabilité de ces questions à une entité autre que le ministère des Affaires indiennes. Mettre au point un moyen efficace de régler ces questions ou créer un organisme qui s'en occuperait n'exigerait pas nécessairement la participation du ministère des Affaires indiennes.

J'ai mentionné précédemment que la relation qui existe entre les traités et la Loi sur les Indiens est imparfaite. Prenons l'exemple de la gouvernance et de l'adhésion. L'un n'exclut pas nécessairement l'autre. Il faut que des efforts soient déployés quelque part, que les traités soient reconnus en vertu de l'article 35 ou que nous parvenions à un consensus en ce qui concerne son rapport avec les traités si on souhaite que l'esprit et le contenu initial de ces ententes soient préservés et mis en œuvre. Les Premières nations voient les traités comme des relations permanentes qui doivent être examinées et modernisées de temps en temps.

D'après ce que vous dites, je soupçonne que vous ne pensez pas que cela se produira. En tout cas, moi je ne le pense pas.

Le sénateur Dyck : Je ne sais pas ce qui se produira. Je ne sais plus trop quoi penser. J'essaie simplement d'obtenir des conseils sur la façon de procéder.

M. Henderson : Je suis désolé, mais ce n'est pas ce qui se produit en ce moment. Si vous souhaitez savoir si cela pourrait se produire, alors c'est une toute autre question.

Le sénateur Watt : Pour poursuivre l'argument du sénateur Dyck, nous avons essayé diverses options. Lorsque les occasions se sont présentées au fil des ans, nous avons essayé de faire inscrire les droits des premiers peuples dans la Constitution. C'est maintenant chose faite. D'un bout à l'autre du pays, nous avons maintenant des traités modernes, mais également d'anciens traités numérotés.

Selon vous, quel est le chaînon manquant du système qui permettrait de cerner la gravité du problème auquel nous sommes confrontés? Nous devons traiter avec les Autochtones et nous devons trouver des solutions aux problèmes qui nous touchent actuellement. Quels mécanismes manquent au système?

Nous pouvons porter des causes devant les tribunaux. Malheureusement, beaucoup d'Autochtones n'ont pas les moyens d'en découdre avec le gouvernement, même pour des questions de mise en œuvre. Quant au gouvernement, il semble déjà manifester peu d'intérêt pour la mise en œuvre des traités modernes, en particulier dans les domaines de compétence fédérale.

Je viens du Québec où nous avons une entente à la fois avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec. Nous arrivons à faire progresser certaines questions abordées dans l'entente qui relève du gouvernement du Québec. J'aimerais pouvoir en dire autant des questions de compétence fédérale qui, elles, ne se règlent pas si aisément. Le gouvernement du Canada hésite à mettre en œuvre ces ententes ou même à admettre qu'il doit participer à leur mise en œuvre.

Par exemple, le Nunavut a poursuivi le gouvernement du Canada devant les tribunaux. D'autres groupes ailleurs au pays en feront autant devant l'absence de mise en œuvre.

Cet enjeu est également lié à la question des consultations. Quand les consultations se termineront-elles? Beaucoup de gens se posent cette question? Ils présument que lorsqu'ils auront négocié une entente — un traité — les véritables consultations débuteront. Si on se fie à la politique gouvernementale, l'étape de la mise en œuvre devrait comprendre un certain nombre de concessions de part et d'autre.

Par exemple, l'économie des gens du Nord repose sur des ressources renouvelables et sur ce qui peut être récolté. Ce sont les seules choses sur lesquelles ils peuvent compter. Ensuite, on impose à diverses régions des lois qui stipulent que les Autochtones ne peuvent plus s'adonner à une certaine activité ou chasser une certaine espèce. C'est leur économie.

Il doit y avoir des concessions de part et d'autre à l'étape de mise en œuvre. Le gouvernement du Canada ne s'en rend pas pleinement compte parce qu'il a déjà obtenu ce qu'il voulait. Il est parvenu à convaincre les Autochtones de ne pas revendiquer leurs droits.

Il y a deux éléments manquants. Premièrement, il faudrait adopter une autre mesure législative qui reconnaît l'existence de droits constitutionnels, comme ceux prévus par l'article 35, en tant que « boîte pleine » plutôt que « boîte vide ». C'est ainsi que les Autochtones du pays en entier la nomme, la « théorie de la boîte pleine ». Les parties doivent pouvoir s'asseoir à la table des négociations et régler cette histoire. Deuxièmement, il faudrait également élaborer des mécanismes de mise en œuvre.

Qu'en pensez-vous?

M. Henderson : En ce qui concerne la mise en œuvre, je suis tout à fait de votre avis. J'aimerais avoir à ma disposition un mécanisme que je pourrais déployer dans cette pièce, mais ce n'est pas le cas. Ce qui faisait défaut dans le passé, et ce qui fait toujours défaut aujourd'hui, c'est le respect. Vous êtes censés respecter les personnes avec qui vous vous entendez ainsi que l'entente elle-même, mais ce n'est pas ce qui se produit. Beaucoup d'ententes meurent à petit feu parce qu'il n'y a pas de respect pour l'entente elle-même. Les avocats aiment à lire des comptes rendus d'affaires judiciaires qui font allusion à « l'honneur de la Couronne », mais l'honneur de la Couronne n'est ni une épée, ni un bouclier; ce n'est qu'une belle expression.

Pour surveiller et garantir la mise en œuvre des ententes, il se peut qu'il faille adopter une mesure législative, nommer un ombudsman ou créer un groupe d'experts. Ensuite, la situation s'améliorera et de nombreux autres choix s'offriront parce que les Premières nations traiteront avec des gens en qui ils ont confiance.

Le sénateur Watt : Nous avons également besoin de mesures d'application.

M. Henderson : Oui.

Le sénateur Raine : Je crains d'ouvrir une boîte de Pandore en posant ma question mais, en ce qui concerne l'appartenance à une bande, les dispositions de la Loi sur les Indiens obligent-elles les bandes à adopter certaines règles d'appartenance?

La catégorie 6(2) limite le nombre de personnes qui souhaiteraient obtenir le statut d'Indien mais qui, pour une raison ou une autre, n'y ont pas droit. La Charte canadienne des droits et libertés permet-elle aux bandes de limiter leur appartenance?

M. Henderson : Madame le sénateur, la notion de règles d'appartenance remonte à l'adoption, en 1958, du projet de loi C-31, qui, en particulier pendant les deux premières années, donnait aux Premières nations le droit de restreindre leur appartenance en excluant surtout les membres de la catégorie 6(2) dont le statut venait seulement d'être rétabli. Un grand nombre de Premières nations ont adopté des règles d'appartenance pendant cette période de deux ans. De nos jours, il est encore possible d'imposer des restrictions mais pas dans la même mesure qu'avant. La plupart des collectivités avec lesquelles je traite n'ont pas exclu les personnes appartenant à la catégorie 6(2). Je suis certain que quelques collectivités l'ont fait mais pas celles que je connais. Oui, la Loi sur les Indiens comporte certaines dispositions qui limitent les personnes susceptibles d'être exclues. Cependant, leur portée n'est pas très étendue et elles concernent en grande partie les personnes dont le statut a été rétabli pendant cette période de transition. Dans l'ensemble, les Premières nations qui possèdent des règles d'appartenances peuvent, si elles le désirent, restreindre leur appartenance sans que ce soit illégal ni inconstitutionnel. Mais, compte tenu des discussions que nous avons eues aujourd'hui à d'autres sujets, il serait peut-être imprévoyant de leur part de le faire puisqu'elles pourraient risquer de perdre leur statut de bande faute de membres.

Le président : J'aimerais faire un bref commentaire. Monsieur Henderson, vous avez fait allusion au projet de loi C- 49, la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, et aux projets de loi sur l'éducation qui sont en voie d'être adoptés en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick. Dans une certaine mesure, ils représentent une première étape vers la dévolution de la Loi sur les Indiens. Ces processus sont longs et cadrent mal avec la jeunesse de nos Premières nations, en particulier s'il nous faut attendre leur conclusion. Nous disposons également d'autres mesures législatives, comme la Loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations et diverses lois sur l'impôt.

Avez-vous des suggestions à nous faire sur la façon dont nous pourrions accélérer le processus de sensibilisation afin d'être en mesure de transférer les responsabilités liées à cette loi désuète sur les Indiens?

M. Henderson : L'entente sur la gestion des terres des Premières nations permet d'allouer aux Premières nations qui sont prêtes à la signer les ressources qui leur sont nécessaires. Cela accélérera énormément le processus. L'argent ne règle pas tout mais il règle certaines choses. L'absence d'argent est à l'origine de nombreuses plaintes.

Les approches fondées sur des ententes cadres ont l'avantage de progresser lentement, ce qui permet aux Premières nations de se faire à cette idée. Elles négocient d'abord l'entente, puis elles s'habituent aux perspectives qu'elle pourrait offrir. Elles prennent le temps d'arriver à une décision qui les satisfait. Une fois la décision prise, les ententes sont très fructueuses et offrent des options. Les ententes cadres ne sont pas la seule solution, mais plutôt des solutions sectorielles. Les traités et les négociations gouvernementales ont tendance à avoir l'effet inverse bien qu'ils progressent également avec une lenteur accablante. Il est toujours tentant de s'attaquer au problème en adoptant une mesure législative que l'on juge appropriée pour toutes les Premières Nations à tous les égards. Quand je regarde le chemin parcouru, les rapports, les expériences et les déceptions de part et d'autre, je dois dire que cette approche ne fonctionne pas nécessairement et que l'on s'aventure ainsi en terrain mouvant.

Le président : Monsieur Henderson, vous nous avez fait entrevoir des questions concernant l'éducation et d'autres problèmes épineux. Votre approche candide et directe nous a plu et votre témoignage renfermait une mine de renseignements qui seront utiles au comité. Je vous suis reconnaissant d'être venu nous parler. Je remercie les sénateurs de leurs excellentes questions.

Nous lèverons la séance et nous continuerons nos travaux à huis clos pendant quelques minutes.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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