Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 7 - Témoignages du 25 mai 2009 - Réunion de l'après-midi
WINNIPEG, le lundi 25 mai 2009
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 13 h 18 pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions relatives aux élections selon la Loi sur les Indiens).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique. En ma qualité de président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue aux audiences de cet après-midi.
Si vous le permettez, je vais présenter les membres du comité ici présents. À ma gauche se trouve le vice-président, le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest. À ses côtés, il y a le sénateur Dan Lang, du Yukon. À ma droite se trouve le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan.
Sénateurs, aînés, invités et membres de l'auditoire, je souligne que notre comité a pour mandat d'examiner les mesures législatives et les autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
Le 1er avril de la présente année, le comité a décidé d'entreprendre une étude sur des questions liées aux élections dans le cadre de la Loi sur les Indiens. Le comité examine des problèmes non réglés touchant le mandat de deux ans des chefs et conseils de bande prévu actuellement aux termes de la Loi sur les Indiens. Nous sommes venus ici, au Manitoba, pour entendre le point de vue des dirigeants et des membres des Premières nations quant aux changements qui devraient être apportés, s'il y a lieu, pour renforcer la gouvernance et la reddition de comptes politiques des Premières nations.
Le rôle du Comité sénatorial consiste donc à consulter les Premières nations, à écouter ce qu'elles ont à dire et à collaborer avec elles pour aider plus efficacement leurs collectivités à établir de meilleurs rapports de gouvernance entre les citoyens et leur gouvernement.
Il convient de souligner que 252 Premières nations — ce qui représente environ 40 p. 100 de l'ensemble des Premières nations du Canada — élisent leur conseil de bande dans le cadre d'élections organisées et tenues aux termes de la Loi sur les Indiens. L'étude du comité sur les élections concerne principalement les Premières nations dont les procédures électorales sont régies par la Loi sur les Indiens. Les autres Premières nations, à savoir plus de 350, choisissent leurs dirigeants en fonction d'ententes d'autonomie gouvernementale ou selon d'autres mécanismes, par exemple des systèmes héréditaires ou des systèmes de clan.
Pour discuter de cette question, nous accueillons le chef Terrance Nelson, de la Première nation Roseau River, et le conseiller Paul Chief, de la Première nation ojibway de Brokenhead .
Si j'ai bien compris, messieurs, chacun de vous a une courte déclaration à présenter. Après cela, mes collègues et moi aurons des questions à vous poser. Si vous êtes prêt, chef Nelson, la parole est à vous.
Le chef Terrance Nelson, Première nation Roseau River :
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Aujourd'hui, je tiens tout d'abord à remercier les sénateurs de prendre le temps de nous écouter. Je suis le chef Terrance Nelson et je représente une Première nation visée par le Traité no 1. Si je prends la parole aujourd'hui, ce n'est pas tant pour présenter la position ou l'opinion bien définie d'un représentant d'une Première nation visée par le Traité no 1 que pour vous faire part de mes sentiments et de mon point de vue personnels à propos de la question sur laquelle se penche le comité, à savoir les élections menées par les Premières nations.
Pour comprendre pourquoi les élections constituent une source aussi importante de dissension dans une pléthore de collectivités des Premières nations, il faut examiner la situation économique des peuples et des collectivités des Premières nations. Les Premières nations du Canada se classent au 63e rang de l'indice du niveau de vie des Nations Unies. Bon nombre de collectivités des Premières nations sont extrêmement pauvres et, dans certaines d'entre elles, le taux de chômage s'élève jusqu'à 95 p. 100.
La collectivité de Roseau River compte plus de 400 chômeurs — le taux de chômage s'élève à près de 77 p. 100. Ainsi, la personne qui devient chef ou membre du conseil s'assure non seulement d'un revenu, mais également, si je peux m'exprimer ainsi, du contrôle de la plupart des richesses de la collectivité. Par conséquent, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les élections déchaînent les passions dans notre collectivité.
Il y a plus de 633 Premières nations au Canada, et le système électoral varie d'une Première nation à l'autre. Toutefois, le véritable enjeu est non pas la démocratie, mais le pouvoir. On m'a déjà raconté une histoire incroyable à propos de la manière dont les Britanniques ont pu exercer une autorité sur une très vaste population en Inde avec seulement 14 personnes en place. Pour faire cela, ils ont soudoyé les maharajahs pour les contrôler.
Si vous voulez comprendre véritablement pourquoi les chefs et les conseils élus sont redevables au gouvernement du Canada du pouvoir qui leur est conféré, vous devez examiner la structure qui a été mise en place par les Britanniques. Ceux-ci ont appris à contrôler les peuples autochtones en accordant des pouvoirs à quelques-uns de leurs membres. Comme ce pouvoir était délégué par l'occupant, c'est à ce dernier que les dirigeants autochtones devaient rendre des comptes, et non pas à leur population.
Ainsi, dans la plupart des collectivités des Premières nations où les dirigeants sont élus aux termes de la Loi sur les Indiens, le système électoral aboutit à la mise en place d'une dictature garantissant les dissensions et favorisant la corruption. Pour comprendre cela, il faut examiner et saisir les méthodes qu'ont employées les Britanniques pour coloniser tant d'autres peuples.
Pour parler sans détours, la tactique a consisté essentiellement à jeter de la poudre aux yeux des peuples autochtones pour détourner leur attention pendant que les personnes immigraient sur nos territoires et s'emparaient de nos ressources et des richesses de nos terres. La question est toujours de savoir à qui appartient le territoire. En accordant de l'argent et du pouvoir à des chefs et des conseils élus, le Canada crée des boucs émissaires qu'il pourra blâmer de tous les problèmes des collectivités autochtones.
Le territoire des États-Unis et du Canada s'étend sur plus de 7,5 millions de milles carrés. Aux États-Unis, le territoire couvert par les réserves amérindiennes est 64 fois plus vaste que le territoire couvert par les réserves amérindiennes au Canada.
Les Canadiens et les Américains considèrent la démocratie comme un don de Dieu. Il faut toutefois se rappeler que le Canada vient au 9e rang des pays les plus riches du monde et qu'il compte pour près de 3 p. 100 de l'économie mondiale, et que les États-Unis, la première puissance économique mondiale, compte pour plus de 28 p. 100 du PIB mondial. Le Canada et les États-Unis sont les deux seuls pays figurant à la fois sur la liste des 10 pays au PIB le plus élevé et sur celle des 10 pays dont le PIB par habitant est le plus élevé. Ainsi, la démocratie est peut-être bonne en soi, mais il est également évident que n'importe quel système devient meilleur lorsqu'il est mis en place dans un pays où l'économie est prospère et où la population peut entrevoir l'avenir avec optimisme.
Aux États-Unis, à mesure que l'économie s'effondre et s'enlise dans la récession, et que la menace d'une dépression économique plane toujours, la dissension est une menace véritable. Imaginez ce qui se passerait si le taux de chômage du Canada et des États-Unis était de 75 p. 100. La démocratie serait-elle à l'abri du danger? En 1932, au plus fort de la Grande Crise, le taux de chômage national s'élevait à 25 p. 100.
Vous cherchez à stabiliser les Premières nations en instaurant un système où les élections se tiennent le même jour et en promettant l'autonomie gouvernementale et la stabilité politique. Ces promesses ont déjà été faites dans le cadre de l'Initiative sur l'Entente-cadre, qui a échoué. Le 7 décembre 1994, le ministre des Affaires indiennes de l'époque, Ron Irwin, a pris part à la cérémonie du calumet à l'hôtel Fort Garry aux côtés de Phil Fontaine qui était alors le grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba. Devant plus de 1 000 membres des Premières nations, le ministre Irwin a pris l'engagement solennel d'accorder l'autonomie gouvernementale aux peuples autochtones et de démanteler le ministère des Affaires indiennes. Il a indiqué qu'il souhaitait être le dernier ministre des Affaires indiennes et mettre la clé dans la porte du ministère qu'il dirigeait.
Pour ma part, je considérais M. Irwin comme un homme intègre et doté d'une vision, mais il n'a peut-être pas compris le système au sein duquel il évoluait. Il est possible que les ministres, les parlementaires et les sénateurs veuillent véritablement que les Premières nations progressent et que leur économie soit florissante, mais pour qu'un nouveau système de gouvernance puisse être mis en place de façon fructueuse, il faut prendre acte du fait que la bureaucratie prospère grâce à la pauvreté des Premières nations et comprendre ce phénomène.
L'énorme bureaucratie du ministère des Affaires indiennes, pour qui le ministre Irwin représentait une menace a simplement employé la méthode traditionnelle qui consiste à détourner l'attention des Premières nations. Dans ce cas précis, on leur a versé 55 millions de dollars pour qu'elles étudient l'Initiative sur l'Entente-cadre. Le résultat? Une dizaine d'années plus tard, l'Initiative sur l'Entente-cadre tombait à l'eau. Au moment où l'on se parle, les promesses faites dans le cadre de cette initiative sont presque oubliées.
Pour avoir la moindre la chance de réussir, l'initiative que vous proposerez devra être élaborée d'une manière différente. Moins vous aurez affaire au ministère des Affaires indiennes, mieux ce sera. Moins le ministre des Affaires indiennes sera autorisé à surveiller les élections des chefs et des conseils des Premières nations, mieux ce sera.
Les Premières nations visées par le Traité no 1 devraient toutes tenir leurs élections le même jour. Elles devraient avoir la capacité de nommer des agents d'élection. Elles devraient être dotées d'un processus d'appel global et disposer d'un système de contrôle judiciaire du résultat. À cette fin, une constitution découlant du Traité no 1 doit être élaborée et approuvée par les peuples visés par ce traité. Chacune des sept Premières nations visées par le Traité no 1 devra disposer du temps nécessaire pour adopter le régime.
Le facteur le plus important dans tout cela, c'est de veiller à ce que le gouvernement du Canada n'ait aucun pouvoir de surveillance ou d'approbation sur la gouvernance interne des Premières nations visées par le Traité no 1.
Les traités étaient des accords sacrés conclus entre les Nations. Le Traité no 1 a été conclu entre les Premières nations et la Couronne britannique le 3 août 1871 au Fort de Pierre. Nos ancêtres ont signé le traité avec des intentions claires : préserver notre mode de vie, assurer notre souveraineté sur nos territoires de réserve, garantir des avantages partagés relativement à la totalité des 16 700 milles carrés de notre territoire et avoir une cohabitation pacifique et respectueuse avec les sujets blancs ou autres de Sa Majesté.
Aujourd'hui, 900 000 personnes habitent sur notre territoire traditionnel de 10,7 millions d'acres. Les personnes qui ont immigré sur nos territoires ont soutiré d'énormes avantages de notre territoire traditionnel de 10 700 000 acres. La totalité de la ville de Winnipeg, où nous nous trouvons aujourd'hui, est située sur notre territoire.
Notre position à l'égard du Traité no 1 est claire. Avant que les immigrants n'arrivent sur nos terres, nous possédions tout le territoire. Nos droits étaient inhérents, et non pas accordés par une autre race ou un autre peuple. La Couronne ne nous a octroyé aucune terre en vertu d'un traité — elle n'avait pas de terres à nous donner puisque ces terres nous appartenaient déjà.
Nous n'avons jamais cédé ni abandonné notre territoire traditionnel. Nous avons accepté de partager les bénéfices de nos terres. En vue d'obtenir le consentement des peuples autochtones pour permettre l'accès public aux territoires de 16 700 milles carrés visés par le Traité no 1, la Couronne a fait des promesses et contracté des obligations exécutoires et formelles, comme en fait état le texte du traité.
Dans le cadre des négociations entourant le traité de 1871, la Couronne a promis de rencontrer dans l'avenir les peuples autochtones afin de préciser les avantages découlant du traité. Dans le traité, cette promesse est formulée en ces termes : « [...] et pour qu'ils connaissent et soient assurés de ce qu'ils recevront annuellement en retour de la générosité et bienveillance de Sa Majesté. »
À présent, le gouvernement du Canada tente de convaincre la population que les Premières nations existent grâce à la bienveillance des contribuables. Nous n'avons jamais consenti à nous appauvrir nous-mêmes, nous n'avons jamais accepté de tout donner aux hommes blancs sans rien garder pour nous-mêmes. Il est grotesque de la part du gouvernement d'adopter un tel point de vue. Jamais un peuple n'accepterait de signer une entente à de telles conditions, sauf sous la menace d'un fusil.
Nos gouvernements nous appartiennent. Nous avons un droit intrinsèque à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. Nous formons un peuple distinct et nous possédons un territoire, une langue et tous les autres traits qui caractérisent une nation selon les textes internationaux.
Les recommandations que vous présenterez à l'issue de vos travaux seront fructueuses si votre position est fondée sur le respect des droits des Premières nations, le respect des conditions du traité et le respect du droit à une cohabitation pacifique.
Nous voulons une part de la richesse issue de nos propres terres, et nous voulons avoir la capacité de financer nos propres gouvernements à l'aide de la richesse issue de nos terres. Nous voulons que le traité conclu soit respecté. La ville où vous vous trouvez aujourd'hui est située sur nos terres. Pour avoir le droit d'utiliser quelque terre que ce soit, vous devez verser une somme à son propriétaire. Tous les gouvernements immigrants retirent des avantages de nos terres, sans nous en verser la moindre part.
Vous avez le choix. Vous pouvez enclencher un nouveau processus pour mettre en place une autre entente-cadre, entreprise vouée à l'échec. Ou alors, vous pouvez vous en remettre au traité et commencer à verser des paiements aux peuples autochtones qui sont parties au traité. Si vous optez pour cette dernière solution, nous aurons la capacité de financer nos propres gouvernements.
Nos avons hâte de lire votre rapport pour voir s'il existe un véritable espoir de changement.
C'est la déclaration que je voulais présenter à titre de chef de la Première nation Roseau River.
Nous sommes déjà passés par tout ce processus. Les élections ne sont pas la seule chose importante. Dans ma collectivité, le taux de chômage s'élève à 77 p. 100, et si les élections revêtent une quelconque importance, c'est que les membres de ma collectivité ont besoin d'un emploi. J'imagine que c'est là le cœur du problème. Comment créer des emplois? Comment lever les sanctions économiques même tacites qui sont imposées à nos collectivités? Il est irréaliste de s'attendre à ce que la démocratie puisse sauver une collectivité où le taux de chômage est de 77 p. 100.
Meegwetch.
Paul Chief, conseiller, Première nation ojibway de Brokenhead : Bonjour. Merci à vous, sénateurs d'être ici aujourd'hui. Mesdames, messieurs, aînés et invités, je vous souhaite la bienvenue sur notre territoire.
J'aimerais tout d'abord aborder la question de la tenue d'élections à date commune et de quelques-uns des obstacles auxquels nous faisons face à cet égard. Il est difficile pour nous d'assurer la continuité au sein de nos propres conseils tribaux lorsque sept bandes doivent travailler en collaboration et lorsque nos élections se tiennent de façon annuelle, mensuelle et parfois même quotidienne. Il est difficile d'assurer la continuité des programmes que nous tentons d'exécuter de manière efficace en travaillant en collaboration. En ce qui concerne la Première nation que je représente, le taux de participation aux élections s'élève, en moyenne, à environ 97 p. 100 à l'intérieur de la réserve. À l'extérieur de la réserve, le taux de participation est de 26 p. 100 environ, et il augmente chaque année.
Cela dit, au Manitoba, je crois que le taux de participation des membres de notre Première nation aux élections municipales ou fédérales s'élève tout au plus à 13 p. 100.
Lorsque nous tenons des votes importants touchant les affaires des collectivités de nos Premières nations, il est à peu près impossible d'obtenir la majorité de 51 p. 100 qui est nécessaire pour rendre le résultat du vote légitime. Nous devons toujours tenir un deuxième tour, où une simple majorité est nécessaire à l'adoption ou au rejet de la question mise aux voix.
J'aimerais souligner quelques-uns des obstacles qui empêchent notre collectivité de progresser. La Première nation de Brokenhead compte 1 500 membres — 500 d'entre eux vivent sur la réserve, et le reste, à Winnipeg et dans d'autres régions urbaines.
Je suis né à Pine Falls, au Manitoba. J'ai le droit de voter dans le cadre des élections de la Première nation ojibway de Brokenhead , mais je n'ai pas le droit de voter à Pine Falls, au Manitoba. À cet endroit, lorsqu'il s'agit d'un membre d'une Première nation, c'est le contraire — une personne qui n'a pas vécu dans la collectivité pendant la majorité de sa vie peut quand même avoir le droit de vote.
La Première nation ojibway de Brokenhead a mis en œuvre un plan en vue d'accéder à l'autosuffisance d'ici 25 ans. Le territoire de notre collectivité s'étend sur 1 400 acres environ. Les marécages couvrent 60 p. 100 du territoire; les emprises routières, les emprises de chemin de fer, les lignes de transport et le réseau de routes internes couvrent 10 p. 100 du territoire; enfin, les entreprises, l'école et le parc de logements couvrent 15 p. 100 du territoire. Il reste donc environ 15 p. 100 du territoire pour les projets d'avenir en matière de développement et de logement. Il faut également garder présent à l'esprit que notre proposition d'élargir à quatre voies la route qui traverse notre collectivité rognera 90 acres supplémentaires sur notre emprise routière.
Le 9 septembre 1998, la Première nation ojibway de Brokenhead a signé un accord particulier sur les droits fonciers issus de traités. L'Accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités reconnaît que la Première nation ojibway de Brokenhead a droit à 14 000 acres de terres supplémentaires. Cela devait permettre à notre collectivité de combler les lacunes en favorisant l'atteinte de l'objectif fixé par le chef et le conseil en matière de développement économique. Au cours du processus de deux ans suivant la signature de l'accord, la composition du conseil de notre collectivité a changé du tout au tout. Dans ces circonstances, il est malaisé d'assurer une continuité et une participation constante, ce qu'exige le processus de droits fonciers issus de traités.
Il est difficile de travailler avec quelque autre Première nation que ce soit puisque la composition des conseils ne cesse de changer d'une année à l'autre. Il est à peu près impossible d'assurer la pérennité des partenariats conclus avec les autres Premières nations puisque nous passons le plus clair de notre temps à informer et à renseigner les nouveaux membres et les membres sortants de nos conseils.
Notre Première nation a respecté les règles et a fait de son mieux pour répondre aux exigences de l'accord et le mettre en œuvre. Cependant, l'ensemble de notre Première nation fait du surplace parce que nous n'avons pas l'appui total des autres parties et que les stratégies et les accords ne nous fournissent pas tout le soutien dont nous avons besoin. Il nous reste moins de quatre ans pour répondre aux exigences de l'accord de 15 ans, en vertu duquel 10 000 acres de terre doivent être converties. Compte tenu de notre situation actuelle, cette tâche paraît impossible.
Actuellement, en raison des promesses électorales, des partenariats et du processus d'élections annuelles, nous n'avons converti que 4,6 p. 100 de l'ensemble des terres allouées en vertu de l'accord sur les droits fonciers issus de traités.
Nous nous sommes engagés à convertir 1 500 acres par année dans le Nord, où nous avons ciblé de vastes portions de terres pouvant être converties en réserve, pour donner suite à l'engagement pris par l'ancien ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada, Jim Prentice, lorsqu'il se trouvait au Manitoba.
L'engagement à reconnaître que des parcelles plus litigieuses situées au Sud pourraient être rétrocédées n'a pas été tenu en raison des intérêts de tiers comme les municipalités, les parcs provinciaux, Manitoba Hydro, MTS, les entreprises minières, les entreprises forestières, les associations de propriétaires de chalet et bien d'autres encore.
Les Premières nations ont consacré un temps considérable pour informer les municipalités à propos des droits fonciers issus de traités. Toutefois, compte tenu des changements constants de représentants, il est difficile de maintenir des amitiés et des relations durables.
Une fois que nous avons acquis une terre et que nous avons présenté la documentation à AINC, nous sommes placés sur une liste d'attente et nous devons attendre notre tour. En effet, AINC dresse une liste de ce qui est considéré comme les priorités en matière d'attribution de terre et de permis de financement. La politique en matière d'ajout aux réserves doit être révisée de manière à éliminer les obstacles qui nuisent à la mise en œuvre de l'Accord-cadre sur les droits fonciers issus de traités du Manitoba.
C'est malheureux à dire, mais il est extrêmement malaisé de faire cela lorsque vous n'avez qu'un an pour occuper utilement votre poste de membre du conseil parce que l'année suivante, vous êtes en mode élection. Comme je l'ai mentionné plus tôt, compte tenu du taux élevé de participation électorale, nous passons le plus clair de notre temps non pas tant à mener une campagne électorale qu'à sensibiliser les autres membres du conseil aux objectifs que nous tentons d'atteindre. De surcroît, nous devons composer avec le fait que les municipalités avoisinantes avec lesquelles nous tentons de collaborer tiennent elles aussi des élections. Tout le travail que nous effectuons pendant l'année est inutile, puisque l'année suivante, tout doit être recommencé. Et tout cela risque de recommencer l'année d'après, puisque les membres de notre conseil et notre chef pourraient changer.
Au sein de nos conseils tribaux, le travail est chaotique. Nous ne pouvons même pas nous engager à mener à bien l'élaboration de notre constitution, puisque les conseils changent tous les mois, tous les six mois, tous les ans. Cette année, le poste de deux membres de notre conseil tribal fera l'objet d'élections. Il est donc très ardu d'assurer une continuité et de nous concentrer sur ce que nous devons faire lorsque les visions, les gens et les priorités changent presque tous les mois.
Je pourrais continuer bien longtemps à parler du processus des droits fonciers issus de traités, mais je me contenterai de souligner au comité que les problèmes de nature générale que j'ai mentionnés nous dérangent et nous causent du tort. Si, comme les municipalités, nos élections se tenaient toutes à la même date, nous pourrions établir des relations de travail plus solides. Nous disposerions d'un créneau de quatre ans pour travailler avec les municipalités, les villages, les lotissements urbains, et cetera, pour mener à bien quelques-uns de nos projets.
On a toujours considéré les Premières nations comme la cause du problème. Aujourd'hui, je tiens à dire que nous voulons faire partie non pas du problème, mais de la solution. Nous voulons être considérés comme un atout pour le Manitoba et le Canada, et nous ne pourrons y arriver que si nous nous dotons de bons gouvernements. Pour que nos gouvernements soient efficaces, il faut absolument qu'ils aient voix au chapitre et qu'ils puissent participer à parts égales aux décisions des différents gouvernements du Canada, des administrations municipales, et cetera.
Le ministère des Affaires indiennes nous nuit, tout comme la Loi sur les Indiens et son processus fixe nous nuisent. Je répète que les deux tiers des électeurs de notre collectivité vivent hors réserve, mais qu'ils ont tous le droit de vote. Les électeurs de notre collectivité vivent un peu partout au Canada, et pourtant, ils ont tout de même le droit de vote.
L'Internet est un outil merveilleux, mais il n'est utile que si on sait l'utiliser et qu'on a le temps de le faire. Nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour rester en communication avec nos électeurs. Nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour leur envoyer des courriels de façon à les tenir au courant de ce qui se passe chez eux, à la maison, dans leur collectivité.
Il y a des gens qui n'ont jamais vécu dans notre collectivité, mais qui détiennent tout de même une carte de la Première nation ojibway de Brokenhead . Lorsque vous rencontrez ces personnes, à Vancouver ou ailleurs, et que vous leur demandez d'où elles viennent, elles répondront non pas Vancouver, mais toujours Brokenhead , même si elles n'y ont jamais vécu. C'est là que leur cœur se trouve. Il n'est pas nécessaire que cela soit inscrit à l'endos de leur carte de statut.
Compte tenu du taux élevé de participation électorale dans notre collectivité, nous avons davantage de comptes à rendre aux membres de notre Première nation que le gouvernement du Canada, le gouvernement du Manitoba et les administrations municipales n'en ont à l'égard de leurs électeurs.
J'espère que le Canada saura tirer des leçons de notre processus et ainsi faire en sorte que plus de 13 p. 100 des votants admissibles participent aux diverses élections qui se tiennent partout au pays.
Je vais m'arrêter ici. J'attends vos questions avec impatience.
Meegwetch.
Chief Glenn Hudson, Première nation de Peguis : Bienvenue sur notre territoire qui nous appartient en vertu du Traité no 1. Je suis ravi d'avoir la possibilité de présenter un exposé ici aujourd'hui.
Sénateurs, nous vous sommes reconnaissants d'avoir eu la volonté de venir ici aujourd'hui pour discuter de nos préoccupations respectives en matière de gouvernance. Il est à souhaiter qu'à l'issue de la réunion, nous nous comprendrons mieux les uns les autres.
En votre qualité de sénateurs, vous êtes des parlementaires au service de la Couronne et, à ce titre, vous proposez, adoptez et modifiez des lois que doivent respecter les Canadiens et le gouvernement fédéral. Nous sommes conscients du fait qu'il s'agit d'un système complexe, mais nous tenons à vous rappeler que vous avez la capacité et le pouvoir de porter une question à l'attention de vos collègues du Parlement, de plaider en sa faveur et, en fin de compte, d'obtenir leur appui. Nous espérons franchement réussir à vous convaincre du fait que nos demandes sont justes, raisonnables et avantageuses tant pour notre peuple que pour les citoyens canadiens en général.
Nous souhaitons que vous réussissiez à mobiliser les gens pour faire bouger les choses et que nous continuerez à déployer des efforts vigoureux jusqu'à ce que vous ayez la conviction que nos objectifs mutuels ont été atteints et que la réalité a été transformée dans l'intérêt du Canada et de tous nos peuples.
Je veux parler de quelques-unes des priorités qui doivent être prises en considération pour ce qui est de la gouvernance et des règles électorales. Pour vous, il est important de savoir qui est gouverné et quelles sont les règles qui sont utilisées. Pour nous, il est très pénible d'être ici aujourd'hui pour discuter d'un problème, certes important, mais moins impérieux que d'autres auxquels nous faisons face chaque jour, tous les jours.
Nous sommes constamment en état de crise et en état de choc. Il y a quelques semaines, un tribunal a statué que, si le Parlement ne prend aucune mesure corrective dans les 12 mois, la Loi sur les indiens disparaîtra complètement. Le gouvernement fédéral ne nous a pas consultés en ce qui concerne les mesures qui doivent être prises. La situation est alarmante, mais le gouvernement fédéral n'a même pas eu la courtoisie de nous indiquer ce qu'il envisageait de faire.
Notre peuple est en train de disparaître. Nos enfants se suicident. Récemment, dans le journal Winnipeg Free Press, j'ai découpé un article où il était question des causes fondamentales du suicide chez les enfants, et plus particulièrement d'une étude réalisée par Michael Chandler. Selon cette étude, les facteurs fréquemment cités — les niveaux de pauvreté, l'emplacement de la réserve, le nombre d'enfants placés en garderie, les taux de chômage et la structure familiale — ne sont pas des indices permettant de prévoir de façon fiable les taux de suicide dans les collectivités. Selon l'article, les taux de suicide sont étroitement liés au degré d'engagement d'une collectivité dans des domaines comme l'autonomie gouvernementale, les revendications territoriales, l'éducation, les services de santé, les programmes culturels et la préservation de la langue. Le taux de suicide est inversement proportionnel à l'engagement d'une collectivité dans ces secteurs. De toute évidence, le premier est l'autonomie gouvernementale.
On a formulé l'hypothèse selon laquelle une collectivité qui exerce un plus grand contrôle sur ses affaires est plus susceptible de disposer des ressources et de la vigueur nécessaires pour faire face à ses problèmes sociaux et économiques. Cela vaut également pour les individus au sein de la collectivité. C'est pour dire cela que nous sommes venus ici aujourd'hui et, évidemment, pour comprendre nos problèmes en matière de gouvernance.
À titre de chefs de Premières nations visées par le Traité no 1, nous sommes en train d'élaborer une constitution collective pour régir nos activités. Ce n'est qu'en nous gouvernant nous-mêmes, selon nos propres règles, que nous pourrons faire face à la situation qui nous a été laissée en héritage par l'agent des Indiens.
Notre dernier intervenant examinera cette question de façon plus approfondie.
La constitution en question n'a pas pour objet de remplacer le système de gouvernance adopté par l'une ou l'autre des Premières nations visées par le Traité no 1 pour gouverner leur propre collectivité. De toute évidence, chaque Première nation dispose de ses propres processus de gouvernance. Je sais que les processus de la Première nation Peguis, que nous sommes en train d'élaborer, sont différents de ceux de la Première nation Roseau River.
Pour illustrer quelques-uns des problèmes évoqués plus tôt par le chef Nelson et le conseiller en chef, prenons l'exemple de la Première nation Roseau River. Certains des problèmes découlent du statut qui nous est conféré en vertu du Traité no 1. En tant que chefs, nous estimons que le gouvernement fédéral, plus particulièrement le ministre des Affaires indiennes, détient beaucoup de pouvoirs en ce qui a trait au déclenchement d'élections.
Prenez le chef Nelson, par exemple. Il avait remporté une élection, et une autre a été déclenchée. Eh bien, d'après vous, qui a récolté le plus grand nombre de suffrages? Le chef Nelson, celui-là même qui avait remporté l'élection initiale.
La même chose vaut pour la Première nation Peguis. J'ai interjeté de nombreux appels aux termes de la Loi sur les Indiens. Au bout du compte, il s'est révélé qu'il y avait des problèmes avec le système électoral en place. En fait, il y avait des problèmes de corruption, qui étaient le fruit des pratiques de l'ancienne administration. Nous nous sommes engagés dans le processus prévu par la Loi sur les Indiens et les règles régissant les élections des bandes et, en fin de compte, nous avons dû recourir à un contrôle judiciaire. Pour payer les frais liés à cette procédure, nous avons organisé une collecte de fonds dans la collectivité. Toute cette procédure a abouti à la conclusion selon laquelle il y avait des problèmes de corruption. Une élection devait avoir lieu environ un mois et demi après que cette conclusion a été tirée. Pour cette seule raison, le juge a décidé de ne pas évincer le chef et de ne pas dissoudre le conseil qui étaient en place à ce moment-là. Finalement, on ne s'est pas attaqué à la cause fondamentale du problème, à savoir la corruption.
Bien sûr, depuis que je suis à la tête du conseil, des appels ont été interjetés. Le premier a été rejeté, et le deuxième est en cours. Certains des problèmes auxquels nous faisons face sont liés au fait que nous tentons d'enrayer la corruption. Évidemment, des structures et des pratiques sont en place. Cependant, depuis toujours, les dirigeants des collectivités des Premières nations jouent un rôle important. Lorsqu'une personne a un problème, à qui fait-elle appel? À qui s'adresse-t-elle? Elle s'adresse au chef et au conseil. À l'échelon fédéral, provincial ou municipal, les choses ne se passent pas ainsi. Si vous avez un problème avec les services sociaux, par exemple, vous ne vous adressez pas au premier ministre du Canada, au premier ministre de votre province ou au maire de votre municipalité — vous vous adressez à un administrateur des services sociaux.
Ainsi, compte tenu de la mentalité qui règne dans notre collectivité, nous ne pouvons pas adopter et mettre en œuvre un système qui n'a pas été mis au point par les Premières nations, un système qui n'a pas été conçu par des Autochtones. Cela ne fonctionnerait pas. Notre système doit être élaboré et mis au point par nos propres collectivités et par nos gens. C'est la seule façon d'agir pour obtenir du succès.
Je n'encourage certainement pas quiconque à intervenir pour nous dire ce qu'il est dans notre intérêt supérieur de faire. Le système que nous avons mis en place dans notre collectivité est ouvert et transparent, même si, de toute évidence, il y a des choses à corriger. Il revient à nos membres et à notre Première nation d'apporter ces correctifs, puisque ce sont eux qui savent quels sont les problèmes de la collectivité au chapitre de la gouvernance. Dans le cadre de la structure existante, cela est impossible.
C'est la raison pour laquelle la Première nation de Peguis est en train de mettre sur pied son propre système de gouvernance selon la coutume et ses propres procédures coutumières. Nous avons le sentiment qu'il s'agit d'un système conçu par la collectivité, par des gens qui ont à cœur d'être bien gouvernés, de voir leurs dirigeants aller de l'avant et de contribuer au progrès collectif. Quant aux structures qui sont en place, je n'ose pas dire qu'elles sont complètement à côté de la plaque, mais elles ne nous conviennent pas. Pour que nos systèmes de gouvernance soient efficaces, ils doivent émerger de nos collectivités.
Dans le cadre de mon exposé, j'aimerais formuler des commentaires en ce qui concerne notre droit à l'autodétermination. Ce droit nous a été accordé dans le traité que nous avons signé et il nous a été donné par le Créateur. Il s'agit d'un droit intrinsèque, que nous possédons encore aujourd'hui à un certain degré. Nous n'avons jamais cédé ce droit, nous n'y avons jamais renoncé.
Bien sûr, nous voulons exercer ce droit au moment de mettre en place nos structures de gouvernance. Nous n'avons jamais accepté qu'aucun gouvernement du Canada ne nous retire ce droit à l'autodétermination. Jamais. Les structures qui ont été mises en place nous ont été imposées.
Nos droits sont énoncés implicitement et expressément dans le traité que nous avons conclu avec la Couronne et, comme les intervenants précédents l'ont souligné nous ne traiterons qu'avec la Couronne.
Si le gouvernement fédéral prétend avoir le droit de nous gouverner, nous lui enjoignons de nous indiquer sur quels fondements juridiques s'appuie une assertion aussi grotesque.
En plus des droits issus du traité, la Chambre des communes et le Sénat ne peuvent pas, aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada, adopter quelque loi que ce soit pouvant porter atteinte à nos droits. Toute mesure législative pouvant empiéter sur nos droits, y compris notre droit à l'autodétermination, est nulle et non avenue.
C'était ce que je voulais vous dire aujourd'hui.
En conclusion, pour continuer un peu sur la question du droit international, je veux citer des extraits de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L'article 18 énonce ce qui suit :
Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l'intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.
L'article 20 dit :
Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux [...]
Enfin, selon l'article 23 :
Les peuples autochtones ont le droit de définir et d'élaborer des priorités et des stratégies en vue d'exercer leur droit au développement. En particulier, ils ont le droit d'être activement associés à l'élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d'autres programmes économiques et sociaux les concernant, et, autant que possible, de les administrer par l'intermédiaire de leurs propres institutions.
Selon moi, c'est pour réaffirmer ces droits que nous nous sommes présentés ici aujourd'hui.
Je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de certaines de mes expériences et de vous indiquer la manière dont nous souhaitons procéder pour mettre en œuvre les politiques, les mesures législatives, et cetera. Merci.
Le président : Le Traité no 1 vise sept Premières nations. J'aurais aimé que les sept chefs de ces Premières nations soient présents, mais je sais que cela est difficile. Le chef Fontaine était avec nous un peu plus tôt, mais malheureusement, il a dû nous quitter. Quoi qu'il en soit, j'aimerais savoir si, d'après vous, les chefs des Premières nations visées par le Traité no 1 se sont entendus pour procéder de façon collective et pour éventuellement mettre sur pied un projet pilote sur la question que nous examinons en ce moment?
M. Nelson : Ce qui est crucial, selon moi, c'est de pouvoir constater les avantages qui découlent d'une mesure. De toute évidence, si les gens voient qu'un projet est à leur avantage, ils y adhéreront et y participeront.
Ce que nous affirmons très clairement, c'est que nous, les Premières nations visées par le Traité no 1, sommes beaucoup plus fortes lorsque nous unissons nos efforts et formons un groupe uni.
Dans le passé, les bureaucrates d'AINC et les gouvernements provinciaux ou fédéral ont traité isolément avec chacune des Premières nations. Les Premières nations visées par le Traité no 1 ont affirmé sans équivoque qu'elles allaient rédiger une constitution, mettre sur pied un appareil judiciaire et mettre en place un gouvernement. Nous aimerions même, à un moment donné, établir notre propre système d'immatriculation des automobiles, c'est-à-dire créer notre propre régime d'assurance automobile et délivrer nos propres permis de conduire. Essentiellement, nous voulons mettre en place notre propre gouvernement sur le territoire des Premières nations visées par le Traité no 1, qui couvre une superficie de 10,7 millions d'acres.
Sans aucun doute, nous devons nous attaquer à la question des élections. Toutefois, rien ne doit nous être imposé. Comme je l'ai indiqué clairement pendant mon exposé, nous serions reconnaissants au gouvernement de reconnaître que nous avons le droit de gérer nos propres affaires. En y réfléchissant bien, il serait tout à fait ridicule que le ministre d'Affaires indiennes et du Nord puisse nous dire : « Vous n'êtes plus le chef de la Première nation de Roseau River » ou « Vous n'êtes plus le chef de la Première nation de Peguis. Par les présentes, je déclare votre élection nulle et non avenue. »
Quelle municipalité accepterait qu'une Première nation s'immisce dans ses affaires de cette façon? La ville de Winnipeg accorderait-elle à quelque instance que ce soit un quelconque pouvoir qui prévaudrait sur les siens? La province n'accepterait pas cela. Le gouvernement fédéral n'accepterait pas cela. Aucun autre groupe n'accepterait jamais cela. Pourtant, on agit constamment de cette façon à l'égard des Premières nations.
Le président : Croyez-vous que, si la volonté est là, il serait possible de procéder de façon progressive, en commençant, par exemple, par la réforme du processus électoral? Je suis conscient du fait que vous êtes touché par de nombreux problèmes, mais ces derniers temps, le comité a tenté de concentrer ses efforts sur la formulation de recommandations. Nous sommes ici pour écouter, et nous présenterons simplement nos recommandations au gouvernement.
M. Nelson : Ce que j'ai dit pendant mon exposé, c'est que les Premières nations visées par le Traité no 1 devraient toutes tenir leurs élections le même jour. Elles devraient également pouvoir nommer leurs propres agents d'élection et disposer d'un seul processus d'appel global et d'un système judiciaire pour examiner les résultats des élections.
À cette fin, nous devons rédiger une constitution visant les Premières nations concernées par le Traité no 1 et approuvée par elles. Il est crucial que chacune des sept Premières nations visées par le Traité no 1 dispose d'un certain temps pour adopter le système. Comme le chef Hudson l'a déclaré, les sept Premières nations en question sont différentes. Leurs systèmes électoraux sont différents. Certaines de ces Premières nations tiennent leurs élections selon la coutume de la bande, d'autres mènent une campagne de six semaines et respectent les dispositions en matière électorale de la Loi sur les Indiens. Pour notre part, nos élections durent deux semaines. À Roseau River, nous avons une constitution et nous la respectons. Cependant, si une constitution chapeautant les Premières nations visées par le Traité no 1 était adoptée et qu'elle prévoyait la tenue d'élections à date commune, nous finirions par nous y conformer à un moment ou à un autre. Par contre, la décision devrait être prise par la Première nation.
M. Chief : J'aimerais beaucoup vous répondre par l'affirmative, mais là encore, la consultation est un enjeu important. Même si nous détenons le titre de chef ou de conseiller, nous devons quand même consulter nos mandants pour savoir ce qui, d'après eux, est acceptable pour la collectivité. Ainsi, même s'il y a une volonté politique de fixer une date commune pour les élections, cela ne signifie pas nécessairement que c'est ce que souhaite la collectivité.
Dans certaines collectivités, un mandat de quatre ans n'est pas suffisant; dans d'autres, cela est beaucoup trop long. Cela dit, c'est la population qui doit décider.
Dans notre collectivité, il est beaucoup plus simple de mobiliser la population lorsque l'intérêt est élevé, car notre taux de participation est très élevé. Si la question relevait du Canada, je pense qu'il serait plus difficile de faire passer l'idée et qu'il serait plus long avant que cela ne soit inscrit dans une loi. Notre population dispose d'un moyen pour nous responsabiliser : le vote. Notre réélection dépend de ce que nous avons fait au cours des deux années pendant lesquelles nous avons occupé notre poste.
Cela dit, j'estime que les Premières nations visées par le Traité no 1 sont prêtes à relever le défi. Nous aimerions commencer par examiner cette question et la régler à la première occasion. Cependant, comme je l'ai dit, nous devons mener un processus de consultation. Nous devons consulter les membres de notre population, et le Canada devrait s'inspirer de cette façon de faire. En effet, en ce qui a trait à l'adoption de lois et à bien d'autres égards, les Premières nations agissent de manière tout à fait différente des gouvernements conventionnels.
Le président : Combien de temps faudra-t-il pour faire cela? Je suis à la recherche de solutions, de solutions concrètes.
M. Chief : Comme Terry l'a indiqué, les processus varient d'une Première nation à l'autre. Dans notre collectivité, nous tenons des réunions de façon mensuelle. Au cours de l'une des réunions mensuelles, nous pourrions décider de procéder au vote, à l'élection. À partir de là, nous pouvons reprendre le travail. Je ne sais vraiment pas comment les choses se passent dans la Première nation de Peguis, dans la Première nation de Roseau et dans nos autres collectivités.
M. Hudson : J'aimerais ajouter quelque chose là-dessus. J'ai suivi de près la façon dont les autres Premières nations ont mis en œuvre leur processus électoral, et j'ai évidemment moi-même dirigé la mise en place d'une procédure selon la coutume dans la Première nation de Peguis. À l'heure actuelle, nous sommes assujettis à la Loi sur les Indiens. Quant à l'uniformisation des procédures électorales des Premières nations visées par le Traité no 1, je pense que cela est raisonnable, et qu'il est possible d'en arriver à un consensus.
Je suis conscient du fait que chaque Première nation dispose de ses propres processus. Cependant, quatre des sept bandes tiendront des élections en un mois. Si je ne m'abuse, au cours du même mois, les Premières nations de Sagkeeng, de Roseau, de Peguis et de Long Plain, tiendront des élections.
J'estime que cela est possible. Par contre, le fait d'autoriser le ministre à interrompre une élection ou à en invalider les résultats pourrait provoquer des problèmes sur le plan des élections partielles. Il n'en demeure pas moins que nous devons nous pencher sur la question de l'établissement d'une date commune d'élections.
Il s'agit là d'une question à laquelle les Premières nations visées par le Traité no 1 portent une attention particulière, mais elles se penchent également sur des questions à court, à moyen et à long terme, par exemple celles de la création d'un gouvernement des Premières nations visées par le Traité no 1, l'établissement d'un conseil des chefs, d'un conseil des aînés, d'un conseil de la jeunesse, d'un conseil des femmes et aussi d'un conseil des hommes. Sans aucun doute, une pléthore de facteurs doivent être pris en considération pour en arriver là. La tenue d'élections à date commune constitue à coup sûr un point de départ.
Comme je l'ai indiqué, je suis conscient du fait que chaque Première nation dispose de ses propres processus. La Première nation de Roseau a les siens, nous sommes en train de mettre en place les nôtres, puis il y a les processus prévus par la Loi sur les Indiens. Pour ce qui est des délais, pour augmenter les chances de réussite, je pense qu'il faudrait mettre en place un régime d'élections à date commune au sein des Premières nations visées par le Traité no 1.
Le sénateur Lang : Il s'agit d'une question passablement complexe. Comme l'a souligné le président, si je ne m'abuse, il est important de prendre conscience du fait que nous sommes ici pour écouter, pour tenter de comprendre ce que nous pouvons faire pour fournir de l'aide et, dans le cas où des mesures législatives fédérales sont nécessaires, pour examiner attentivement les recommandations que nous pourrions formuler ou les politiques que nous pourrions proposer, du moins en partie.
D'emblée, j'aimerais simplement poser une question au chef Hudson, au chef Nelson et au conseiller en chef à propos de la question de la durée du mandat, c'est-à-dire la question de savoir si le fait de prolonger la durée du mandat serait avantageux pour la collectivité.
Chef Hudson, depuis combien de temps êtes-vous chef de votre Première nation?
M. Hudson : J'en suis à la troisième année de mon deuxième mandat.
M. Chief : J'occupe le poste de chef depuis 11 ans, ce qui veut dire que j'en suis à mon sixième mandat, je crois. Pour les fins du compte rendu, je souligne que je n'ai jamais mené de campagne électorale.
M. Nelson : Je viens tout juste d'être réélu pour une cinquième fois. Je vous fournirai plus de détails à ce sujet demain. Cela dit, à Roseau River, il y a eu quatre élections depuis 2003, et la composition du conseil est demeurée inchangée au cours des trois premières élections. Au cours de la dernière élection, il y a eu un changement. Un nouveau membre s'est joint au conseil.
Le sénateur Lang : Cela m'amène à la question suivante : si la durée du mandat était prolongée à quatre ans, qu'est- ce que cela changerait pour vous, puisque de toute évidence, la composition de vos conseils change peu d'une élection à l'autre?
M. Nelson : En fait, cela est faux. Le Manitoba compte 64 Premières nations, qui tiennent toutes leurs élections à des moments différents. Ainsi, plus particulièrement par les temps qui courent, de nouveaux visages se joignent régulièrement à l'Assemblée des chefs du Manitoba, à la Southern Chiefs' Organization ou la MKO. Il est rare que les questions puissent faire l'objet d'un débat ou que nous ayons l'occasion de les approfondir. Nous sommes constamment en train de former des nouveaux chefs ou de les mettre au courant de ce qui se passe au chapitre des politiques. Nous avons donc besoin de stabilité en ce qui concerne l'élection des chefs et des membres des conseils.
Cette idée n'est pas tout à fait dénuée de fondement. Elle doit être examinée. Cependant, on ne peut pas tout simplement imposer une idée aux gens — ils doivent voir quels avantages ils en retireront. C'est pourquoi j'affirme que les gens devraient adopter cette idée. En fait, nous devons prendre garde à ce que le gouvernement fédéral n'agisse pas de façon dictatoriale en essayant d'adopter des mesures législatives et de les imposer aux 603 Premières nations du Canada. Ce que le gouvernement doit faire, c'est de montrer aux Premières nations que ce système fonctionne. En fait, à ma connaissance, les Premières nations visées par le Traité no 1 sont prêtes à entreprendre un projet pilote. Il s'agit probablement de la meilleure solution.
Le président : Mais comment faire pour en arriver là? Comment devons-nous nous y prendre pour faire savoir au gouvernement que cela est possible? Pour que les gens adoptent ce système, il faut disposer d'une structure. Il faut que les personnes qui mettent la structure sur pied obtiennent l'adhésion des membres à cette structure. Ensuite, ceux qui voulaient s'y joindre le feront. Comment envisagez-vous les choses à cet égard? Pour moi, il est important de déterminer comment nous franchirons la première étape, puis la deuxième, et la troisième, pour en arriver au point dont nous parlons.
M. Nelson : À mon avis, il faut tout d'abord que la population accepte la proposition. Il faudra tenir des référendums. Il faudra donc renseigner les gens et les faire participer au processus. L'idée d'élaborer une constitution qui uniformiserait les systèmes électoraux des Premières nations visés par le Traité no 1 devrait être présentée à la collectivité de Roseau River, pour que la population sache ce qui lui est proposé.
Les gens voudront savoir comment le nouveau processus garantira la reddition de comptes, en quoi consistera la procédure d'appel, comment contester l'élection de telle ou telle personne, comment faire pour s'assurer que les agents d'élection sont justes et impartiaux, et ainsi de suite. Par exemple, dans le cadre de l'élection à Roseau River, mon cousin n'est pas mon agent d'élection.
La population doit être convaincue qu'une élection n'est entachée d'aucune corruption. Selon moi, c'est ce que veut la population. J'estime que cela est crucial.
M. Hudson : J'aimerais simplement faire un commentaire à propos de l'idée de faire passer la durée du mandat de deux à quatre ans. Tout récemment, il y a deux mois, nous avons adopté un régime d'élection aux deux ans. Tous les membres de notre conseil ont été réélus. Au cours de la campagne, la question a fait l'objet d'âpres débats et a plutôt divisé que rassemblé les membres de notre collectivité. Malgré cela, les membres du conseil qui ont enclenché ce processus ont été réélus.
À mon avis, si on a imposé des mandats de deux ans dans les territoires autochtones, c'est exactement pour cette raison : créer le désordre. Une telle mesure ne favorise pas l'harmonie — de toute évidence, elle crée des problèmes au sein des collectivités des Premières nations.
Selon moi, la seule solution est de prolonger à quatre ans la durée du mandat. À coup sûr, c'est la solution que notre conseil, notre collectivité et moi-même entendons adopter. Dans le cadre d'un mandat de deux ans, vous passez les six premiers mois à vous familiariser ou à vous refamiliariser avec les problèmes et les enjeux auxquels vous devez faire face. Au cours des 12 mois suivants, vous tentez de régler les problèmes et les enjeux. Enfin, au cours des six derniers mois, vous êtes de nouveau en mode électoral, Ainsi, un mandat de deux ans ne permet pas aux élus de se consacrer à fond à la résolution des problèmes de la collectivité. Bien sûr, vous abordez les problèmes en surface, mais vous ne pouvez pas les régler en profondeur.
M. Chief : Vous voulez savoir quoi faire pour nous aider. D'abord et avant tout, nous avons besoin d'argent. Les procédures électorales sont coûteuses. Comme je l'ai indiqué, les deux tiers de nos membres vivent hors réserve — ces gens nous envoient donc leur bulletin de vote par messagerie, et cela coûte cher. Nous procédons de la même manière dans le cas des élections partielles.
L'argent est le principal problème. L'autre problème est le peu d'attraits que présente une telle mesure. Comment ma collectivité peut-elle respecter une entente de quatre, de cinq ou six ans si des élections ont lieu tous les deux ans? S'il n'y a pas de volonté politique, c'est en raison du mandat de deux ans. La prolongation du mandat nous permettrait de nous engager à beaucoup plus long terme avec le gouvernement du Manitoba ou du Canada, puisque les mêmes personnes seraient en place pendant la plus grande partie du processus pour respecter leur engagement.
À l'heure actuelle, personne ne veut s'engager à long terme parce qu'on ignore qui sera chef ou membre du conseil l'année suivante ou deux ans plus tard.
Cela dit, personne n'est disposé à prendre un engagement pour plus de deux ans. La personne qui prend un engagement le fait non pas seulement en son nom personnel, mais pour le compte de la collectivité. C'est là que le bât blesse. La collectivité est laissée de côté parce que les gens ne pensent qu'à leur intérêt personnel et refusent de prendre un engagement de plus de deux ans.
Le sénateur Lang : Je ne suis pas en désaccord avec ce que le conseiller en chef vient de dire. D'après moi, bon nombre des choses que vous avez dites sont tout à fait sensées. Cependant, je suis quelque peu perplexe. D'une part, j'entends continuellement des critiques à l'endroit du gouvernement fédéral — critiques qui sont probablement tout à fait justifiées dans bien des cas. D'autre part, on m'a dit que le code coutumier contenait des pouvoirs en matière électorale. Les chefs et les conseillers ont donc la capacité, du moins à ce chapitre, de passer outre à la Loi sur les Indiens et de fixer eux-mêmes les modalités des mandats, de mettre en place leur propre mandat de quatre ans et de déterminer à quel intervalle se tiendront les élections.
Pour être bien franc, je ne comprends pas pourquoi nous tenons les présentes audiences. Si vous détenez ce pouvoir, pourquoi ne l'exercez-vous pas?
M. Nelson : Nous avons exercé ce pouvoir à Roseau River en 1990. L'une des choses qu'il est extrêmement important de comprendre, c'est que notre collectivité a un taux de chômage de 77 p. 100. Le ministère des Affaires indiennes surveille l'économie de Roseau River, et les chefs et les conseillers passent manifestement la majeure partie de leur temps à rédiger des rapports pour le gouvernement. Nous produisons des rapports à l'intention d'AINC. Comme je l'ai souligné dans le document que j'ai remis aux sénateurs, ce n'est pas simplement une question d'élection. Nous tentons d'informer la population et de lui faire comprendre que nous sommes capables de mettre en place notre propre gouvernement, mais qu'il faut également mettre en place une structure économique pour financer ce gouvernement et lui permettre de fonctionner.
Le sénateur Lang : Je veux revenir sur quelque chose qui a été dit un peu plus tôt. Le conseiller en chef a affirmé que le processus électoral était coûteux, ce qui est vrai. Bon nombre de raisons logiques peuvent être présentées pour contester l'idée de prolonger la durée du mandat.
Ma question s'adresse au chef Nelson, car il possède une certaine expérience. Pourquoi votre Première nation n'a-t- elle pas exercé son droit de prolonger à quatre ans la durée du mandat?
M. Nelson : Nous l'avons fait au début des années 1990, au moment où nous avons mis en place un régime d'élections selon la coutume. J'en dirai davantage à ce propos demain. Je serai présent pour présenter le point de vue de la Première nation de Roseau River.
Toutefois, pour ce qui est des Premières nations visées par le Traité no 1, les solutions que nous envisageons dépassent le simple cadre d'une élection dans la collectivité. Les municipalités ne se surveillent pas elles-mêmes. Le gouvernement provincial supervise l'ensemble du processus électoral dans toute la province. C'est ainsi que les choses devraient se passer pour les sept Premières nations visées par le Traité no 1, qui occupent un territoire distinct.
Ainsi, pour s'assurer de l'impartialité du processus, un agent d'élection de Peguis pourrait se présenter à Roseau River, ou vice-versa, pour que les gens comprennent qu'il ne s'agit pas simplement d'une élection locale. Je pense que nous sommes capables de faire cela.
Quant à savoir pourquoi le Sénat se penche sur la question, je l'ignore. Il est également question de mener une consultation pour rendre service aux sénateurs en essayant de leur expliquer pourquoi le système ne fonctionne pas.
Le sénateur Lang : Si j'ai bien compris, vous avez déjà le pouvoir de faire, du moins en partie, ce qu'un bon nombre de vos Premières nations envisagent de faire. D'après ce que je crois comprendre, quelques-unes des Premières nations ont commencé à agir, et d'autres non.
M. Nelson : C'est précisément ce que je voulais dire.
Le président : Je crois que le chef Nelson a indiqué qu'il expliquerait pourquoi sa collectivité a adopté un mandat de quatre ans en 1990 pour ensuite revenir à un mandat de deux ans. Il nous expliquera cela et nous donnera le point de vue de la Première nation de Roseau River. J'estime que chaque cas est unique. Il serait tout à fait erroné de croire qu'il existe une solution universelle.
M. Chief : Je veux parler du code électoral coutumier. Il s'agit d'une excellente expression. Les mandants voudront savoir si le code électoral coutumier sera conçu pour répondre aux besoins du conseil en place ou à ceux de la collectivité. C'est l'une des questions qui reviennent le plus souvent lorsque nous parlons du code électoral coutumier avec les membres de la collectivité. Les gens pensent qu'il y a une volonté politique d'agir, mais ils veulent savoir si cette mesure a pour objet de servir les intérêts des politiciens qui sont en place à l'heure actuelle.
L'une des questions les plus épineuses auxquelles nous devons répondre concerne la notion — le terme est tiré du rapport du projet Harvard — de concordance culturelle. Quelle est la concordance culturelle de notre collectivité? Certaines personnes sont chrétiennes, d'autres sont athées, d'autres ont des croyances traditionnelles et d'autres ne se soucient pas de ces questions. Il est donc quelque peu malaisé de dresser un profil culturel de notre collectivité qui rende compte de l'ensemble de nos membres. Cela dit, dans l'expression « code électoral coutumier », les gens mettent davantage l'accent sur le mot « coutumier » que sur les mots « code électoral ».
Le sénateur Lovelace Nicholas : Dans le cadre de toute initiative de réforme de la Loi sur les Indiens, ce qui me préoccupe, ce sont les mesures permettant d'assurer la protection des femmes.
M. Nelson : Je pense que les Premières nations ont protégé davantage les membres de leur population. Pour ce qui est de la discrimination fondée sur le sexe, je pense qu'il faut la mettre sur le compte de la Loi sur les Indiens, même si, au bout du compte, on nous en a rendus responsables. J'estime que la même chose s'est passée dans tous les autres domaines, non pas seulement dans le secteur du logement. Par exemple, si des femmes ont perdu leur statut de membres d'une Première nation, c'est en raison de la Loi sur les Indiens.
Après que ces femmes se sont vu retirer leur statut, il a été question d'équité et d'égalité, et on a dit : « Laissons ces femmes redevenir membres des Premières nations. » En vertu du traité conclu, chaque famille de cinq recevait une terre de 160 acres. Ces nouveaux membres ont-ils demandé une augmentation équivalente au chapitre de la superficie de la terre allouée, du financement ou du logement? La réponse est non.
Ce qui s'est produit lorsque ces femmes ont été admises, c'est que la pauvreté qui nous touchait déjà a été répartie. Ainsi, en ce qui concerne les élections, le gouvernement n'a pas eu à intervenir pour nous dire que nous devions permettre aux membres hors réserve d'exercer leur droit de vote. Nous l'avions déjà fait. Nous l'avions fait bien avant que la Loi sur les Indiens ou que quiconque nous dise que nous devions le faire. Nous l'avions fait nous-mêmes, à l'interne.
Je pense que ce que nous proposons actuellement serait très équitable pour tous, et particulièrement pour tous les membres de nos tribus. Il est dans l'intérêt de tous que nous ayons une bonne gouvernance. Selon moi, nous nous assurerons que le sexe n'entre pas en ligne de compte, ce qui accorderait à tous une chance égale de se présenter aux élections.
M. Hudson : Il s'agit à coup sûr d'une question sur laquelle nous devons nous pencher. En ce qui concerne l'avenir des Premières nations visées par le Traité no 1, j'aimerais déposer le document que j'ai entre les mains, dans lequel un conseil de femmes des Premières nations visées par le Traité no 1 indique qu'il faut veiller à ce que les hommes et les femmes soient également représentés. Ce document contient également d'autres renseignements que, selon moi, le comité devrait examiner.
Le président : Il s'agit d'une version préliminaire de la constitution que vous êtes en train d'élaborer pour les Premières nations visées par le Traité no 1, n'est-ce pas?
M. Hudson : Il s'agit d'une étude des différentes instances que nous envisageons de mettre en place, y compris le conseil des femmes.
Le président : Permettez-vous que nous déposions ce document à titre informatif?
M. Hudson : Oui, bien sûr.
Le président : Sénateurs, êtes-vous d'accord pour que ce document soit déposé à titre informatif?
Des voix : Oui.
M. Chief : J'aimerais ajouter quelque chose sur la question de l'égalité. Je veux souligner que, au cours des cinq dernières élections, des femmes ont été élues comme chef. Depuis le début des années 1960, il y a toujours eu une femme au sein du conseil. Dans notre collectivité, les femmes occupent une place importante et font entendre leur voix. Comme le dit le dicton, derrière chaque grand homme, se trouve une femme.
Dans notre collectivité, il n'est jamais question d'une opinion masculine ou d'une opinion féminine. Ce qui compte, c'est l'opinion de la collectivité.
Je tiens également à signaler ceci : ce qui compte, ce n'est pas votre nom de famille, mais ce que vous représentez au sein de la collectivité. Notre collectivité est très forte et ne craint pas d'exprimer ses opinions. Les femmes comptent pour environ 90 p. 100 de notre personnel de programme. Elles occupent une place très importante dans notre collectivité.
Le sénateur Dyck : Je vous prie de m'excuser, mais plus je vous écoute, plus je suis déconcertée. J'ai relevé quelque chose que vous avez dit, conseiller en chef, à propos de la confusion entourant la signification du terme « coutumier ». Pour les membres de votre collectivité, ce terme a peut-être une signification différente de celle qui lui est donnée dans la Loi sur les Indiens. Le système à l'intérieur duquel vous fonctionnez est extrêmement complexe. Vous devez prendre en considération la Loi sur les Indiens, puis l'ensemble des dispositions adoptées par votre collectivité, sans compter le fait que deux ou trois Premières nations doivent composer avec leur système héréditaire.
Au départ, lorsque j'ai entendu parler de l'établissement d'un code « coutumier », je pensais que cela signifiait un retour au système qui était en place avant l'arrivée des Européens. Selon toute vraisemblance, ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
M. Chief : La définition s'est perdue en cours de route.
Le sénateur Dyck : Oui.
M. Chief : Oui, parce que d'aucuns ont l'impression qu'il s'agit non pas d'un système selon la coutume, mais d'un système adapté selon les besoins.
Le sénateur Dyck : Il est essentiel de définir les mots de ce genre, car un même mot peut avoir plusieurs significations différentes. Au cours d'une conversation, il est parfois malaisé de déterminer le sens attribué par chaque personne aux termes qui sont utilisés.
M. Hudson : J'aimerais également dire quelque chose à ce sujet. Depuis l'arrivée des Européens, ou même au cours des 200 dernières années, les choses ont évidemment bien changé. Sur le plan de la langue, les membres de notre collectivité sont très à l'aise dans la langue ojibway. Toutefois, actuellement, la proportion des membres de notre collectivité qui parlent cette langue s'élève probablement à moins de 1 p. 100. Sans aucun doute, les choses changent. Cela vaut également pour notre système de gouvernance.
L'essentiel, comme l'a indiqué le chef Nelson, c'est que les changements doivent provenir de l'intérieur de nos collectivités. C'est à notre population de décider. Personne n'a le droit d'intervenir pour nous dire quoi faire.
Sans vouloir faire fi de la question que vous avez posée, j'aimerais savoir, en ce qui concerne la politique d'intervention, si le comité a été chargé d'examiner la possibilité de supprimer le pouvoir discrétionnaire permettant au ministre d'intervenir dans nos élections?
Le sénateur Dyck : En fait, j'allais poser une question semblable puisque vous avez soulevé la question des droits énoncés à l'article 35. Si l'on tient compte de ces dispositions, il en découle que le ministère des Affaires indiennes ne devrait pas avoir le droit de déterminer dans quelque mesure que ce soit la façon dont les Premières nations mènent leurs élections. Je ne suis pas juriste, mais j'estime qu'il serait possible de contester la validité de la Loi sur les Indiens en faisant valoir qu'elle est anticonstitutionnelle puisqu'elle ne répond pas aux critères énoncés dans la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, la Loi sur les Indiens a été adoptée en 1874 ou en 1876, dans ces eaux-là.
Essentiellement, la Loi sur les Indiens ne respecte pas la Loi constitutionnelle de 1982 dans la mesure où elle s'applique aux élections indiennes.
M. Nelson : C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné, dans mon exposé, qu'il fallait comprendre comment les Britanniques s'y sont pris pour mettre en place leur système. Il s'agissait d'un processus de colonisation. Ce système a été établi au cours du XIXe siècle.
À l'origine, dans la culture ojibway, vous deveniez chef lorsque les membres de la tribu vous accordaient ce titre. Les chefs n'avaient aucun pouvoir. Les personnes désignées comme chef se voyaient accorder quelques pouvoirs — par exemple, une personne était désignée comme chef pendant la période de la récolte du riz, et pour cette période seulement. En période de guerre, un chef de guerre était choisi. Le pouvoir que possédaient les chefs à cette époque n'a rien à voir avec les pouvoirs qu'ils possèdent aujourd'hui.
En ma qualité de chef de ma collectivité, à titre de chef élu, j'ai le droit de décider comment nous utiliserons l'argent qui nous est versé par le gouvernement. Si je le voulais, je pourrais agir comme un dictateur dans ma collectivité. J'ai le pouvoir de décider qui aura une maison, qui recevra de l'aide sociale et qui ira à l'école. J'ai de nombreux pouvoirs. Si je n'agis pas en dictateur, c'est que je ne veux pas gouverner de cette façon.
Cependant, la façon de faire des Britanniques consistait à porter quelques personnes au pouvoir de manière à ne jamais avoir à traiter avec la masse et toutes les autres personnes. Un groupe restreint de personnes étaient chargées d'imposer les politiques gouvernementales à leur propre peuple. Elles étaient payées pour le faire. C'est ce système qui est en place en ce moment.
Le sénateur Dyck : Pour poursuivre sur le même sujet, si la Loi sur les Indiens vous autorise à mettre en place un code électoral coutumier, peut-on considérer que cette autorisation est constitutionnelle? Vous affirmez que, selon l'article 35, ce choix relève de vous. Ainsi, comment traiter une autorisation qui vous est donnée alors que personne n'a le droit de vous dire quoi faire?
Un peu plus tôt, je ne sais plus qui a laissé entendre que les dispositions de la Loi sur les Indiens touchant les élections devraient être supprimées. En fait, ces dispositions n'auraient jamais dû figurer dans cette loi.
M. Nelson : En ce qui concerne la Loi sur les Indiens, je conseille aux sénateurs de ne pas tenter de régler les problèmes qu'elle pose — cela ferait intervenir un long processus de contestations judiciaires et tout le tralala. Pour réussir à cet égard, vous devez vous appuyer sur un modèle de réussite. C'est ce que proposent les Premières nations visées par le Traité no 1. Pourquoi ne pas mener un projet pilote au sein d'un groupe restreint?
Il vaut mieux agir ainsi et montrer aux gens que le système peut fonctionner plutôt que de tenter à toute force d'obtenir leur adhésion, comme le sénateur St. Germain essayait de le faire. D'après moi, il est d'une importance cruciale de démontrer que le système peut porter ses fruits. Les Premières nations visées par le Traité no 1 sont prêtes à entreprendre un projet pilote.
Quelque 55 millions ont été dépensés pendant l'Initiative sur l'Entente-cadre pour étudier les modalités de mise en œuvre — il est ridicule que, 10 ans plus tard, cela n'ait donné aucun résultat. Si nous déclenchons ce processus, il est important que les Premières nations visées par le Traité no 1 disposent des sommes nécessaires pour rédiger une constitution, mettre en place des procédures électorales et élaborer un modèle conceptuel présentant un attrait pour les membres de nos collectivités. Le modèle doit être accepté par la collectivité.
Le sénateur Peterson : Je pense que nous avons abordé la plupart des questions qui me préoccupaient. Toutefois, s'il y a une chose sur laquelle nous sommes tous d'accord, c'est que la Loi sur les Indiens est certainement à l'origine de bien des maux. Mais tenter de modifier cette loi serait comme essayer de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu — cela pourrait nous prendre une autre génération, voire deux.
Il y a une chose que je tiens à dire : nous n'avons certainement pas l'intention d'imposer quoi que ce soit aux Premières nations. Avant de prendre quelque mesure que ce soit, nous consulterons les dirigeants et les peuples des Premières nations. Tout ce que je souhaite — et j'aimerais connaître votre opinion à cet égard —, c'est que le renouvellement de votre régime électoral soit la première étape du parcours qui vous mènera à un essor économique et à l'autosuffisance. Il ne s'agit que d'une étape. Est-il possible de considérer le renouvellement de votre régime électoral non pas comme un but en soi, mais comme une étape d'un plan à long terme?
M. Chief : Je conviens du fait qu'il s'agit d'une première étape en vue d'instaurer une bonne gouvernance. À l'heure actuelle, dans nos collectivités, il n'y a aucun parti d'opposition. Essentiellement, les membres de l'opposition sont ceux qui se présentent contre les membres du conseil en place, et ils se sont eux-mêmes donné ce titre. En ce moment, dans les collectivités de notre beau pays, nous n'avons pas de partis dotés d'un programme en bonne et due forme. À mon avis, ce dont nous parlons constitue un pas dans cette direction.
Cela dit, il sera difficile d'établir un consensus sur cette question entre 633 Premières nations qui s'apprêtent à déclencher des élections au cours de la même année — nous avons du mal à imaginer que nous pourrons franchir toutes ces étapes importantes vers l'instauration d'une bonne gouvernance. Pour moi, il s'agit donc d'un pas dans la bonne direction, d'un point de départ. La route vers la bonne gouvernance sera longue, mais j'estime qu'il s'agit d'une première étape à franchir.
Le sénateur Hubley : Selon moi, si vous n'êtes en place que pour deux ans, il est important d'envisager de mettre en place une structure de manière à ce que vous puissiez à tout le moins régler le problème avant qu'un nouveau conseil ne prenne le pouvoir. Des témoins ont laissé entendre que, d'ici 2014 — est-ce exact? Est-ce que ce délai vous laisserait le temps de mener le processus de consultation, de déterminer si tout cela est faisable et d'organiser une élection? Sans aucun doute, à l'intérieur de ce délai, vous élaborerez la constitution et tout le reste. Ce délai est-il réaliste?
M. Nelson : L'une des choses que nous devons faire, c'est de prendre des mesures concrètes, des mesures initiales. D'abord et avant tout, j'estime que les Premières nations visées par le Traité no 1 devraient s'entendre pour adopter un plan quinquennal. Nous devons fixer des délais. Nous devons nous fixer des objectifs réalisables. Je ne veux pas que nous nous retrouvions avec une autre initiative sur l'entente-cadre assortie d'objectifs irréalistes. Voici un résultat que nous pouvons atteindre : élaborer une constitution. Nous disposons d'un modèle, alors examinons-le. Comme je l'ai déjà indiqué, cette constitution doit être attrayante pour les membres de nos collectivités.
Nos collectivités veulent des élections impartiales, et nous voulons mettre en place un processus d'appel légitime, c'est-à-dire un processus où, par exemple, mes cousins ne peuvent pas faire partie du comité d'appel et où les résultats ne sont pas reconnus qu'à l'intérieur de notre seule collectivité. Nous pouvons en arriver à un point où le résultat d'une élection est reconnu par toutes les autres Premières nations visées par le Traité no 1. Par ailleurs, une bonne gouvernance est impossible sans une économie en santé. Avec un taux de chômage de 77 p. 100, on ne peut pas s'attendre à ce que, tout d'un coup, tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les Premières nations. Cela est impossible.
Si le taux de chômage du Canada s'élevait à 25 p. 100, le gouvernement serait aux prises avec une révolution. Regardez ce qui se passe aux États-Unis : la récession, les pertes d'emplois, les meurtres en série et tout le bataclan : tout cela est attribuable à la crise économique.
Dans ma collectivité de Roseau River, les élections ne constituent qu'un des nombreux enjeux. Nous attendons toujours que le gouvernement nous verse une somme de 100 millions de dollars découlant du règlement de nos revendications particulières. Nous attendons depuis 160 ans. Certaines de nos revendications découlant de traités sont en suspens depuis 138 ans. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que des élections règlent ces problèmes. D'après moi, nous devons trouver une manière de financer cela. Il ne suffira pas de nous adresser à notre agent des services de financement et de lui demander quelques dollars de plus pour financer notre gouvernement.
Le sénateur Hubley : Je pense que c'est le chef Hudson qui a souligné que l'union fait la force. Les Premières nations et les bandes qui disposent d'une structure de gouvernance semblable doivent collaborer de manière à créer un réseau qui leur permettra d'entreprendre et de mener à bien des projets de même nature — cela permet d'accroître quelque peu l'ampleur de l'ensemble du système de gouvernance. J'aimerais savoir si, à votre avis, cela serait avantageux et si cela serait utile pour vous également?
M. Chief : Votre première question portait sur l'échéance de 2012 — c'est bien cette date que vous avez mentionnée, n'est-ce pas?
Le sénateur Hubley : Je pense avoir parlé de 2014.
M. Chief : 2014.
Le sénateur Hubley : Je voulais simplement savoir si ce délai vous semblait réaliste.
Le président : Ron Evans a soulevé cette question ce matin.
M. Chief : L'union des Premières nations visées par le Traité no 1 rend cela possible. Il ne faut pas que nos collectivités travaillent en vase clos — nos priorités changent d'une année à l'autre. Nous devons nous consacrer à la création d'un organisme politique de plus grande envergure, et faire en sorte que le respect de ces délais représente l'une des priorités, ou la mission des Premières nations visées par le Traité no 1. Il nous incombera, en tant que membres de cette organisation des Premières nations visées par le Traité no 1, de nous assurer que, dans l'éventualité de l'élection d'un nouveau conseil, les nouveaux membres soient au courant de ces délais et avisés du fait que leur respect est une de nos priorités. En l'absence d'une organisation ou d'un organisme politique de ce genre, tous nos efforts pourraient tomber à l'eau.
Ce que je veux dire, c'est que si la collectivité n'est pas informée, et si chaque collectivité travaille seule dans son coin, même avec un taux de chômage de 75 p. 100, toute cette question ne sera pas une priorité. On n'en entendra peut- être même pas parler. Selon moi, si un organisme politique comme une union des Premières nations visées par le Traité no 1 décide d'en faire une mission, cet objectif sera réalisable.
M. Hudson : Je veux ajouter quelque chose là-dessus. En ce qui concerne la première question, je suppose que 2014 est évidemment une date cible. Dans la collectivité de Peguis, je pense que nous allons examiner la possibilité de mettre cela en œuvre au cours des 18 prochains mois. Quant aux élections à date commune pour l'ensemble des Premières nations visées par le Traité no 1, à mon avis, cela est réalisable. L'union fait la force — nous devons donc mettre en place des structures semblables. Dans le document que je vous ai fourni, les différents processus et les différentes structures des Premières nations visées par le Traité no 1 sont passés en revue. À coup sûr, l'instauration d'élections à date commune constitue un point de départ.
Par ailleurs, pour faire suite aux commentaires de Terry et à mes propres propos, les revendications territoriales sont pour nous l'occasion de nous rappeler que des obligations de longue date à notre égard n'ont toujours pas été respectées.
Si nous parvenons à mettre tout cela en œuvre d'ici 2014, nous aurons fait un bon bout de chemin dans l'atteinte des véritables objectifs des Premières nations, notamment l'instauration d'une bonne gouvernance, le renforcement de notre économie et l'union de nos nations, j'entends par-là les Premières nations et le Canada.
Le président : De quoi avez-vous besoin pour entreprendre ce programme pilote? Que voulez-vous que nous recommandions au gouvernement? De quoi avez-vous besoin? Est-ce une question raisonnable? Si vous estimez qu'il s'agit d'une question raisonnable, ce qui est mon avis et, sans vouloir présumer de l'opinion des autres membres, je vois que bon nombre d'entre eux approuvent de la tête, j'aimerais que vous me disiez ce dont vous avez besoin pour enclencher ce processus. Vous avez déposé un document, à savoir une constitution ou une convention — que faire ensuite? Nous en sommes rendus au point où nous devons vous poser cette question. Je pense qu'il est préférable de la poser devant tous les membres du comité.
M. Nelson : Vous devriez poser la question au doyen.
Le président : Au doyen.
M. Nelson : De quel montant parlons-nous ici? Qu'est-ce qui est faisable au sein du système gouvernemental? Nous avons dépensé 55 millions de dollars pour l'Initiative sur l'Entente-cadre, un processus qui a échoué et nous a fait perdre 10 ans. Dans le cadre d'un processus qui fera intervenir sept Premières nations, il est d'une importance capitale d'envisager un processus quinquennal et d'investir un million de dollars par année, dans ces eaux-là.
M. Chief : Ce dont nous avons réellement besoin, c'est d'un engagement régional, et je parle ici du gouvernement du Manitoba. Au Manitoba, ce qui se passe au sein de notre ministère est presque une farce — tout le monde occupe un poste intérimaire. On se croirait presque à Hollywood : tout un chacun veut remporter un Oscar. Personne n'occupe son poste plus de six mois, pas même notre directeur régional.
Cela dit, nous avons vraiment besoin que notre bureau s'engage à rendre cela possible et à ne pas entraver le processus en effectuant des changements de personnel pour le simple plaisir de le faire. Pour que tout cela soit possible, nous avons besoin de la collaboration des fonctionnaires et d'un engagement non seulement de sommes d'argent, mais également de ressources. À mes yeux, il s'agit là d'un premier pas dans la voie de la réussite.
Le président : Chef Nelson, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Nelson : Oui. S'il se révèle que nous sommes de nouveau engagés dans un processus du type de l'Initiative sur l'Entente-cadre, où nous avons affaire à des bureaucrates d'AINC, où toutes les sommes d'argent sont surveillées et où nous devons produire une myriade de rapports à l'intention du ministère des Affaires indiennes, il est important que les sénateurs comprennent que les sommes éventuelles engagées par le gouvernement devraient être versées directement à un groupe représentant les Premières nations visées par le Traité no 1. Là encore, comme cela est indiqué dans mon document, moins nous aurons affaire à Affaires indiennes et du Nord, mieux ce sera.
Le président : Dites-nous ce que vous voulez que nous recommandions au ministre.
M. Nelson : Nous l'avons déjà fait, et regardez à quel point nous avons connu du succès. C'est le genre de chose que nous voulons voir se produire.
Le président : Chef Hudson, avez-vous quelque commentaire que ce soit à ce sujet?
M. Hudson : Je suis d'accord avec la proposition d'établir un conseil des aînés. Bien sûr, les Premières nations visées par le Traité no 1 ont mis en place un conseil des chefs, mais pour la suite des choses, il est important de faire participer nos hommes, nos femmes et nos jeunes au processus. Évidemment, pour faire cela, nous avons besoin de ressources.
Si l'on tient compte de nos revendications territoriales en vertu des droits fonciers issus de traités, nous sommes la plus importante collectivité du Manitoba et nous possédons le plus vaste territoire. Je sais que quatre autres Premières nations visées par le Traité no 1 sont toujours en attente d'un règlement concernant leurs revendications territoriales. Faites en sorte de régler ces questions. Comme l'a dit un de nos aînés, sans territoire, l'argent n'a aucun intérêt pour les gens de nos collectivités. Ce que veulent les gens, c'est récupérer leurs terres. C'est ce qui nous permettra d'aller de l'avant. La récupération de nos terres constituera assurément un pas dans la bonne direction.
Le président : Eh bien, je pense qu'il n'y a aucun doute que tous les membres du comité adhèrent à cette idée. Nous avons étudié la question, nous avons présenté des recommandations, nous avons élaboré des mesures législatives relatives aux revendications particulières et nous avons aussi fait campagne pour défendre cette cause. Nous aimerions recevoir des rapports à jour pour connaître l'état de la situation. Le ministre s'est présenté devant le comité et a fait des commentaires à propos de la question des élections et de tout le reste. Il semble que le ministère voulait mettre en place des mesures législatives pour régler cette question, tandis que les chefs du Manitoba estimaient que cela était inutile. Quelqu'un veut-il faire un commentaire là-dessus?
M. Nelson : Sénateurs, selon le Traité, nos nations doivent avoir une « cohabitation pacifique », ce qui signifie que nous devons établir une relation de respect mutuel. Nous ne nous immisçons pas dans les affaires du gouvernement du Canada pour lui dire qui devrait être élu, et nous ne nous ingérons pas dans son processus d'appel. Selon moi, l'une des choses que nous disons, c'est que nous voulons avoir la capacité d'examiner l'équité du régime électoral de notre collectivité. Nous ne voulons plus être assujetti au présent processus électoral — nous voulons mettre en place le système coutumier dont il a été question précédemment. Avant l'arrivée des hommes blancs, nous avions notre propre système de gouvernement. Ce système était beaucoup plus équitable que celui qui a été instauré par la Loi sur les Indiens.
La Loi sur les Indiens est une loi de nature dictatoriale et communiste — elle a pour objet la mise en commun de toutes les terres. La raison d'être de la Loi sur les Indiens, c'est de veiller à l'appauvrissement des Premières nations.
Pour obtenir du succès, il faut revenir à l'essentiel : des élections impartiales et une économie équitable pour les Premières nations. Si nous ne pouvons pas financer notre propre gouvernement et si nous devons supplier votre gouvernement de nous verser de l'argent à cette fin, cela ne fonctionne pas. Nous devons être capables de financer nous-mêmes notre propre gouvernement.
J'ignore si vous avez déjà loué une voiture par ici, mais nous avons dû nous garer en face et payer au moins 1 $ l'heure pour cette place de stationnement. Si je ne paie pas ce tarif, je recevrai une amende. Si je ne paie pas cette amende de 15 $, je devrai payer 65 $ l'heure pour garer ma voiture sur un bout de terrain.
Qui paie pour les 10,7 millions d'acres de terre que possèdent les Premières nations visées par le Traité no 1? La Ville de Winnipeg compte 700 000 habitants. Combien d'argent le gouvernement du Canada perçoit-il pour l'utilisation de nos terres? Le gouvernement fédéral ne nous verse aucune somme, et le gouvernement provincial ne nous verse rien non plus. Deux nouveaux oléoducs traversent notre territoire et transportent 1,9 million de barils de pétrole par jour. Les Premières nations visées par le Traité no 1 ont rencontré les représentants d'Enbridge. Ils nous ont dit qu'ils voulaient nous payer de deux à cinq cents pour chaque baril de pétrole qui passe par notre territoire. Cela nous semblait peu, particulièrement si l'on tient compte du fait que l'an dernier, le baril de pétrole valait 147 $. On voulait nous payer de deux à cinq cents pour chaque baril de pétrole. Quelle a été la réaction du gouvernement? Le gouvernement a dit : « Il est hors de question que vous versiez quelque somme que ce soit directement aux Premières nations. »
Ils se sont opposés à cela, vous savez. Nous nous sommes retrouvés devant les tribunaux, et une importante bataille judiciaire a eu lieu. Pour les Premières nations visées par le Traité no 1, deux cents par baril traversant nos terres représentaient 13 millions de dollars par année, et cinq cents par baril, 35 millions de dollars par année.
Les agriculteurs reçoivent de l'argent, les municipalités reçoivent de l'argent, les provinces reçoivent de l'argent, le gouvernement fédéral reçoit de l'argent et tous les échelons de l'industrie reçoivent de l'argent. Les États-Unis tirent profit du pétrole. Et les Premières nations, que reçoivent-elles? Rien. Zéro.
Comment voulez-vous que nous financions nos gouvernement ou nos écoles ou que nous fassions quoi que ce soit si on ne nous verse aucune somme pour l'utilisation de nos terres?
Pour revenir à la question des paiements directs pour le passage des oléoducs sur les terres des Premières nations, le ministre Prentice a déclaré, lorsqu'il se trouvait dans les Territoires du Nord-Ouest, que cela était hors de question, que les paiements devaient être versés d'abord à Ottawa et que les Autochtones devraient ensuite présenter des demandes de financement. C'est comme ça que les choses se passent aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Toutes les ressources sont envoyées à Ottawa, et les Autochtones doivent présenter des demandes pour en toucher une partie. C'est un système ridicule. Un tel système a été mis en place pour faire en sorte que nous soyons obligés de nous présenter au gouvernement pour lui demander de l'argent.
D'abord et avant tout, je tiens à mentionner que je n'accepterai pas que le ministère des Affaires indiennes soit à la tête du processus. Si c'est là l'intention du gouvernement, on peut d'ores et déjà prévoir que le système sera un échec.
M. Hudson : En ce qui concerne les mesures législatives, à mon avis, il n'est pas nécessaire d'en adopter pour aller de l'avant. Comme l'un des sénateurs l'a dit — je n'ai pas entendu son nom.
Le président : Le sénateur Lang.
M. Hudson : Oui. Comme l'a dit ce sénateur, cela doit être fait en consultation avec les Premières nations. La question qu'a voulu soulever Terry en parlant de nos ressources, c'est que nous aurions dû être consultés, mais que nous sommes maintenant pris avec le système que nous connaissons. Si vous voulez adopter une loi, adoptez une loi pour que le gouvernement nous verse de l'argent pour nos ressources naturelles. Vous verrez alors que nous pourrons réaliser d'énormes progrès et nous sortir de notre position précaire.
À mes yeux, les Premières nations sont victimes d'un génocide autorisé par la loi. Nous devons mettre un terme à cela. Nous sommes les premiers occupants du territoire et nous serons ici jusqu'à la fin des temps. Les mesures législatives de ce genre ne servent qu'à nous mettre les bâtons dans les roues et à engendrer les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises aujourd'hui. J'estime qu'il est inutile d'adopter des mesures législatives relatives au système de gouvernance. Nous procédons tout simplement par consultation.
Le président : C'est ce que nous voulions savoir. Je pense qu'aucun sénateur n'a quelque chose à ajouter. Je vous remercie tous les trois de vous être présentés ici pour le compte des Premières nations visées par le Traité no 1. Je suis certain que nous nous reparlerons à mesure que le processus avancera.
S'il y a quoi que ce soit que vous aimeriez ajouter ou si vous estimez ne pas avoir suffisamment insisté sur une quelconque question, vous n'avez qu'à communiquer avec le greffier ou le recherchiste du comité, qui recueilleront vos propos et nous les transmettront. Je vous remercie de nouveau.
Sénateurs, notre prochain témoin est le chef David Meeches, de la Première nation de Long Plain.
Le comité tenait à recevoir les membres de cette collectivité en particulier où, si j'ai bien compris, on est récemment revenu à un code électoral coutumier. Chef Meeches, si vous avez une déclaration à présenter, vous pouvez commencer. Je souligne que vous êtes accompagné d'un bon ami, Robert Daniels, ancien chef de Swan Lake et aujourd'hui directeur exécutif du conseil tribal de la nation Ojibway.
Ayez l'obligeance de présenter votre déclaration, si vous en avez une à présenter, puis nous allons vous poser des questions, si vous nous permettez de le faire.
David Meeches, chef, Première nation de Long Plain : D'abord, merci de me permettre de présenter un exposé et de traiter de la question des élections.
Je vais vous parler un peu de moi. Le 9 avril, j'ai été élu chef de ma communauté. Je dois vous corriger, sénateur St. Germain; notre communauté est retournée à la coutume en 1989-1990.
Le président : Merci de me corriger; on m'avait donné des renseignements erronés. Ce sera versé au compte rendu, chef. Allez-y. C'était en 1989, disiez-vous?
M. Meeches : Oui, nous avons entamé la démarche en 1989.
Le président : À quel moment est-ce que ça s'est réellement fait?
M. Meeches : En 1990. Je vous parlerai des raisons pour lesquelles cela s'est fait, de façon à vous donner un peu plus de renseignements sur moi-même. Comme je l'ai affirmé, le 9 avril qui vient de passer, j'ai été élu chef de la communauté. Avant cela, j'ai été à l'emploi du Dakota Ojibway Tribal Council pendant neuf ans. Je vous dirai quelle importance cela a pu avoir, quant à l'expérience que j'ai acquise.
J'ai occupé trois postes au conseil tribal — analyste des politiques, directeur des opérations et, récemment, pendant une période de cinq ans, chef de la direction.
Durant cette période, pour nous acquitter des obligations du conseil tribal, nous devions conseiller nos nations membres sur le retour au régime coutumier et, de ce fait et pour expliquer notre démarche, élaborer des modèles de code électoral, des tâches du genre. Nous avons également organisé des élections sous le régime de l'article 74 dans les communautés elles-mêmes, dans plusieurs d'entre elles. Encore une fois, le conseil tribal a pour obligation de fournir ce service.
En 1989, nous avons entrepris de nous soustraire à l'application de l'article 74 de la Loi sur les Indiens pour revenir aux coutumes de la bande. Si nous l'avons fait, c'est que, à nos yeux, il importait de prendre en main notre démarche électorale. Fait encore plus important, nous avons voulu donner à nos gens ce que l'article 74 ne leur donne pas, soit de permettre aux membres de la communauté en dehors de la réserve de voter. Nous avons donc entrepris cette démarche- là, qui a très bien fonctionné pour nous. Aux premiers stades, nous avons permis aux gens en question de voter; nous leur avons toutefois interdit de se porter candidats aux élections.
Encore une fois, la démarche que nous avons entreprise en vue d'élaborer notre propre code était très lourde; cela a été très difficile pour notre communauté.
En 1990, nous avons tenu un référendum et organisé nos premières élections sous l'application de notre nouveau code électoral. Les mandats étaient de quatre ans. À ce moment-là, j'ai été élu contrôleur des élections et j'ai été élu président du comité d'appel électoral. Fort de cette expérience-là, en 1994, j'ai été élu membre du conseil pour un mandat de quatre ans. En 1989 — ça m'a monté à la tête, j'imagine —, j'ai présenté ma candidature comme chef, mais sans succès.
Durant cette période, de 1989 à ce jour, notre code électoral a probablement été modifié quatre ou cinq fois. Au départ, au moment où il s'agit de déterminer quelles sont les coutumes, les usages que nous avons adoptés ne relevaient certainement pas de notre coutume à nous. C'est juste un terme que nous avons donné à la démarche, voyez-vous, pour élaborer notre façon de procéder à nous.
Notre seule restriction, à ce moment-là, c'était la vérification des antécédents criminels. Durant toute la décennie, nous avons modifié les règles et fait en sorte qu'il soit plus compliqué de se présenter aux élections. Aujourd'hui, je suis d'avis que notre code — que je n'ai pas aidé à élaborer — est trop restrictif. Il y a plusieurs choses, dont une vérification dans le registre de l'enfance maltraitée et une vérification des antécédents criminels. Pour être élus ou nommés, nous devons acquitter des frais non remboursables. Nous devons nous prêter à plusieurs choses qui, selon moi, font que la démarche est trop difficile.
Au départ, c'était le nombre habituel de candidats qui se présentaient pour être élus chefs, mais il y avait de 24 à 38 personnes qui voulaient devenir membres du conseil. Aujourd'hui, il y en a 13, étant donné que nous avons restreint le nombre.
Je sais qu'il est peut-être inhabituel pour quelqu'un de critiquer un code électoral en vertu duquel il a été élu, mais, encore une fois, je crois que la démarche qui est actuellement en place nous cause beaucoup de difficultés. Pour essayer d'améliorer les choses, parfois, il faut se rendre la vie un peu plus difficile.
À propos de l'article 74 de la loi, là où j'apprécie quand même les élections que nous avons organisées au nom de nos Premières nations membres — et je ne devrais peut-être pas dire cela en tant que chef —, c'est que la démarche sur laquelle elles reposent se conçoit aisément. C'est du fait de mon expérience quand il s'agit d'organiser des élections et de former le personnel électoral que je dis cela.
Le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens comporte également des éléments difficiles. J'entends par là que c'est une démarche de 79 jours. La difficulté, c'est les 35 jours entre le moment de la présentation des candidatures et le moment du scrutin. Dans les 30 à 35 jours en question, nous nous causons à nous-mêmes beaucoup de tort.
Si on regarde une élection fédérale ou une élection provinciale, on voit qu'il y a 30 jours qui s'écoulent entre le moment où le gouvernement est dissous et le moment du scrutin; dans notre cas à nous, c'est 79, puis 35 jours. La différence fondamentale réside dans le fait, pour nous, de fréquenter quotidiennement nos commettants, ce qui n'est pas le cas d'un député fédéral ou provincial.
Je parlais à un homme que je considère comme un de nos chefs les plus respectés de la province l'autre jour. Il a fait beaucoup de travail à l'échelle nationale, une bonne part de travail aussi à l'échelle provinciale et, maintenant, il travaille comme chef de sa communauté. C'est un homme pour qui j'ai beaucoup de respect. Nous échangions sur nos expériences respectives, et il me disait avoir reçu un appel d'un membre de sa communauté qui avait besoin de Pampers. Est-ce que cela arrive souvent à un député ou au premier ministre?
Pour nous, la situation est tout à fait différente. Selon moi, si vous voulez vraiment savoir ce qui se passe au sein de nos communautés du point de vue des élections, vous devriez écouter les administrateurs tribaux et les membres de nos communautés.
J'ai reçu un mandat de trois ans. Lorsque le mandat sera presque achevé, je vais chercher surtout à être réélu et non pas à m'occuper de l'application d'une loi.
La frustration dont je suis témoin au sein de la communauté porte sur la durée du mandat, qui est de deux ans; c'est simplement insuffisant, étant donné ce qui doit se faire localement.
Je suis chanceux dans le sens où je possède une expérience utile, j'ai travaillé auprès de nombreux chefs et conseils, mais ceux qui se font élire n'ont pas cette possibilité-là, ils ne possèdent pas cette expérience-là. Durant la première année, ils apprennent comment faire leur travail. Durant la deuxième, l'année du scrutin, ils se préparent à être réélus.
Comme je l'ai dit, j'ai reçu un mandat de quatre ans. Ça aussi, c'est très compliqué. Durant le mandat de quatre ans, pour des raisons politiques et stratégiques, nous avons fini par déclencher les élections plus tôt que prévu, étant donné que quatre ans, c'est trop long pour nous, à Long Plain.
Le président : Vous avez dit que quatre années, c'était trop long?
M. Meeches : C'était trop long pour nous — pour ce qui est du processus d'appel.
Parmi toutes les élections que j'ai organisées et dont j'ai dirigé le déroulement, et celles où j'ai été candidat, il n'y a pas un seul cas, je crois, qui n'a pas donné lieu à un appel. Durant les premiers stades de notre démarche électorale, c'était très long, très lourd.
Lorsqu'une élection donnait lieu à un appel, il fallait entre six mois et deux ans pour être entendu. L'instabilité et le désordre que cela crée sont incroyables. Il est très difficile pour le chef et le conseil de même que les membres de la communauté d'aller de l'avant en sachant que, à tout moment, ils peuvent recevoir une lettre qui dit que de nouvelles élections sont déclenchées.
Fait étonnant, sans le cadre de notre démarche à nous, mon élection a été contestée. J'ai été très reconnaissant du fait que notre processus électoral s'est échelonné sur cinq jours seulement. Nous avons connu rapidement le résultat du scrutin. J'ai été très reconnaissant de cela, car je savais que c'est un processus qui aurait pu s'éterniser.
Encore une fois, comme je l'ai dit plus tôt en ce qui concerne le terme « coutume », il s'agit d'une démarche moderne, et notre loi électorale, à ses premiers stades, s'est retrouvée souvent devant la Cour fédérale. Nous avons notamment demandé à nos aînés de prendre la parole; il y a un oncle à moi qui était chef et qui a parlé, en particulier. Il se souvient de l'époque où, garçon, il jouait dans un arbre. Assis au pied de l'arbre en question, il y avait le chef de notre communauté à l'époque. Mon oncle racontait devant le juge comment ça se passait lorsqu'un chef était révoqué. Il parlait de l'époque où il était jeune et que, au loin, il y avait un chariot qui arrivait sur la colline. Un groupe de gens s'y trouvaient. Après avoir approché le chef, le groupe lui ôtait la couverture qu'il avait sur le dos et lui disait qu'on ne voulait plus de lui comme chef. Puis, les gens s'en allaient, et tout était fait. Ç'en était fait du règne de ce chef-là.
Aujourd'hui, on ne saurait faire une place à cette pratique en droit moderne; ce n'est tout simplement pas possible. Le terme « coutume » m'a donc toujours posé un peu de difficulté. En réalité, il s'agit de la façon dont, en pratique, les Premières nations organisent un scrutin pour élire un chef et un conseil.
Voilà qui conclut ma déclaration. Je ne sais pas si mon ami veut ajouter quelque chose à ce que j'ai dit.
Le président : Vous n'étiez pas là lorsque les témoins précédents ont parlé, mais vous relevez du Traité no 1?
M. Meeches : Oui.
Le président : Vous prenez part aux discussions qui ont lieu à propos des élections et des mandats?
M. Meeches : Seulement aux plus récentes, malheureusement. Je n'ai pas assisté à toutes les réunions. Les membres de ma communauté passent en premier. Du point de vue de la gouvernance, je crois que gouvernance bien ordonnée commence chez soi.
Le président : Eh bien, il y a un document qui a été déposé.
M. Meeches : Oui, j'ai vu ce document-là.
Le président : Une proposition. Avez-vous un point de vue là-dessus? Lorsque nous allons y jeter un coup d'œil — je sais que ce n'est qu'un document préliminaire, qui n'est aucunement coulé dans le bronze —, cela vous inspire-t-il des observations, croyez-vous que c'est un bon point de départ?
M. Meeches : À mon avis, il est bien de contrôler sa propre démarche, mais s'y lancer les yeux bien ouverts et s'assurer que la proposition correspond à ce qu'il y a de mieux pour les membres de sa communauté — si je suis en mesure de le déterminer, je crois que c'est une bonne idée. Je n'ai pas eu l'occasion d'examiner le document.
Quant à des élections communes, comme je l'ai souligné, j'ai entamé le processus de retour à la coutume. Il est déjà difficile d'organiser un scrutin. Je ne vois pas en quoi le fait d'en organiser plusieurs à la fois nous simplifierait la vie. Tout de même, ce n'est pas dire que ça ne peut se faire. En tant que chef de Long Plain, je ferai valoir que je ne prendrai pas cette décision-là sans consulter les gens. C'est ce qu'il faut, à mon avis, une consultation.
Le président : Je crois que cela concorde avec les propos des témoins précédents — c'est-à-dire que consulter les gens est absolument nécessaire.
Le sénateur Silverstone : Dans le Nord, d'où je viens, dans les Territoires du Nord-Ouest, chez les Dénés, par coutume, les gens entendent la façon dont les choses se faisaient, voyez-vous, avant l'ère moderne et avant l'arrivée de la Loi sur les Indiens. Là où il s'agit d'élections fondées sur les coutumes de la bande, il s'agit donc entre autres de reconnaître que les gens ont déjà vécu sur divers segments de la rivière et des lacs, sur divers segments des terres. Il y a là différents groupements familiaux, dont les membres se retrouvent tous aujourd'hui en ville — mais ce sont des familles différentes. Il y a peut-être une dizaine de groupements familiaux différents.
Avec des élections fondées sur la coutume, il s'agissait entre autres d'avoir un représentant de chacune des familles principales. Si c'est une grande famille, il pourrait y avoir plus d'un représentant. On a essayé de reconnaître — dans notre région à nous aussi — le rôle des aînés. Les aînés sont respectés; par conséquent, les aînés doivent avoir un rôle à jouer dans notre démarche.
En ce moment, on s'occupe d'élire les grands chefs. Il y a un conseil des aînés qui donne son approbation, qui vérifie toutes les candidatures, non pas pour exercer un droit de veto, mais pour signaler quels candidats sont convenables selon eux. À mes yeux, ce sont là des choses qui diffèrent des règles modernes, qui découlent de la combinaison d'approches traditionnelles ou propres au Nord et que l'on essaie d'appliquer dans la société d'aujourd'hui.
J'allais vous demander quelque chose. Je ne sais pas combien de membres compte votre conseil de bande. L'expérience que les Canadiens ont de la démocratie, ça se ramène à des gens rassemblés dans une ville. Ce n'est pas une tribu ou un groupe de personnes. Des gens de partout dans le monde viennent s'installer au Canada. C'est donc tout à fait différent du cas des Premières nations dont la plupart des membres sont parents et qui sont liés à une famille. C'est d'essayer d'appliquer un régime démocratique dans un milieu où il y a beaucoup de familles, de relations et ainsi de suite.
Êtes-vous prêt à décrire cette situation-là et à nous dire en quoi elle est différente de la situation des Canadiens ordinaires? Elle est bel et bien différente, et il faut peut-être aborder la question du leadership et de la représentation et ainsi de suite de façon particulière. C'est compliqué.
M. Meeches : Je crois qu'il y a deux points à retenir. Premièrement, sur le plan géographique, il faut savoir, que dans les régions éloignées, il y a les élections et il y a la « coutume »; là, la coutume a été préservée et demeure plus importante, par rapport au Sud, où on a tendance à s'éloigner de la coutume, étant donné que tout nous est plus accessible. Il y a une différence fondamentale entre la communauté en milieu éloigné et notre communauté à nous.
Si on regarde la démarche électorale type qui vaut aujourd'hui, où tout repose sur la circonscription, il y a circonscription sur circonscription, on voit que tous les commettants à l'intérieur d'une circonscription votent pour un candidat — chaque parti présente habituellement un candidat; il peut y avoir aussi des indépendants, de temps à autre. Là où il y a une différence importante, c'est que les membres de notre comité votent, où qu'ils se trouvent.
Pour le scrutin que nous venons d'organiser dans notre communauté, nous avons reçu des bulletins de vote provenant de toutes les régions du Canada. Voilà la différence fondamentale entre l'élection type et notre scrutin fondé sur la coutume et ce qui est prévu pour nous dans la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Sibbeston : Pourriez-vous parler des familles, du fait que les Premières nations se composent habituellement de grandes familles. Il est difficile de passer à côté de ce fait. Le membre d'une famille nombreuse a beaucoup de chance d'être élu. Parfois, il y a une certaine rivalité entre les familles.
M. Meeches : Eh bien, il en sera toujours ainsi. J'en suis moi-même un très bon exemple. Le dernier chef contre lequel je me suis présenté aux élections, que je respectais par ailleurs, s'appelait lui aussi Meeches.
Je crois avoir entendu le témoin précédent parler de... avec tout le respect que je vous dois, je dois dire que, si je ne suis pas assis avec les membres du groupe visé par le Traité no 1, c'est que, comme d'habitude, je suis arrivé en retard. C'est la seule raison.
Au sein de notre communauté, pour parler des candidats qui s'opposent aux élections, nous devons nous structurer davantage. En ce moment, c'est tout un fatras. Encore une fois, je reviens au fait qu'il s'écoule 35 jours entre le moment de la mise en candidature et le moment du scrutin. Notre communauté compte 3 500 personnes. Quatre personnes voulaient être élues chef. Durant la campagne, on se croisait et on se coupait le chemin pour savoir lequel allait se rendre en premier à la maison. Ce n'est donc pas une démarche facile.
Quant aux familles, il n'y a pas grand-chose à faire à ce sujet, sinon de mener une campagne classique, d'aller cogner aux portes, qu'on vous renvoie sur votre chemin ou non. Je ne sais pas si vous voulez dire qu'il est avantageux de provenir d'une grande famille, ou encore désavantageux. Je ne sais pas très bien si ce l'est, comme je l'ai dit.
Le sénateur Sibbeston : Permettez-moi d'expliquer qu'il est très difficile, dans les familles, de voir les choses de manière objective. Vos cousins vont voter contre vous ou voter pour vous automatiquement étant donné que ce sont des Meeches, non?
Dans la communauté que j'habite, Fort Simpson, il y a deux ou trois grandes familles. Invariablement, le poste de chef passe des mains d'un membre d'une grande famille à un autre. Ça semble fonctionner de cette façon-là. La famille devient donc importante; elle est un facteur dans toute élection.
Cela ne survient pas à Edmonton ou à Winnipeg, là où il n'y a pas de grandes familles. Peut-être qu'il y a des Français, peut-être qu'il y a des Ukrainiens, c'est le genre de choses qui a une influence sur les élections. Cependant, au sein des Premières nations, les familles représentent le facteur le plus important. La taille de la famille détermine dans une certaine mesure si une personne sera élue ou non. C'est vrai, n'est-ce pas?
M. Meeches : Regardez le cas de Long Plain. Notre ancien chef est un proche parent à moi. Il a été élu en 1998. En 1998, il m'a défait aux élections. On ne s'y trompe pas en regardant la liste des membres de notre bande : la famille Meeches est très, très nombreuse. C'est donc vrai, oui. Par contre, si on étudie une population de 3 500 habitants, on voit qu'il y a une différence importante du point de vue de la taille des familles — dans une population de 3 500 personnes, par opposition à une Première nation qui compte 500 personnes, où la répartition familiale ou la taille des familles sera un facteur déterminant.
Le sénateur Lang : Au début, en 1989, vous avez appliqué un code dit fondé sur la coutume, qui prévoyait des mandats de quatre ans. Vous dites que, aux dernières élections, vous avez été élu pour un mandat de trois ans. Avez- vous modifié votre code coutumier pour que ce soit trois ans?
M. Meeches : Oui.
Le sénateur Lang : Ce sont donc des mandats de trois ans, maintenant, pour la bande et pour les conseillers à la fois?
M. Meeches : Trois ans, oui.
Le sénateur Lang : Vous avez dit que c'était trop long. Qu'est-ce que vous vouliez dire?
M. Meeches : Eh bien, regardez le gouvernement minoritaire qu'il y a aujourd'hui — quand le moment est bien choisi, vous allez déclencher des élections.
Ce que nous avons remarqué à ce moment-là, c'est que, sur le plan stratégique, il était dans notre intérêt de le faire. Ce que je n'ai pas expliqué, c'est que nos élections, pour la plupart, étaient controversées — cela vaut probablement, je dirais, pour la première moitié de la décennie. Nous avons passé beaucoup de ce temps-là à la Cour fédérale.
Il est question d'une disposition relative à la destitution. Dans notre tradition à nous, nous nous sommes toujours tournés vers nos aînés. À ce moment-là, nous nous sommes adressés à nos aînés en disant : « Nous n'arrivons pas à travailler ensemble; nous voulons savoir ce qu'il faudrait faire, selon vous. »
Ils nous ont dit de nous remettre au travail et d'essayer encore pendant six mois. Ils nous ont dit de revenir si ça ne marchait pas. Nous sommes retournés les voir. Ils nous ont donné pour consigne de dissoudre l'administration et de déclencher de nouvelles élections, ce que nous avons fait. Résultat, nous nous sommes trouvés à la Cour fédérale dans une affaire où l'autorité des aînés était contestée. Le juge a convenu du fait que les aînés avaient l'autorité nécessaire pour faire cela au sein de notre communauté. C'était notre coutume, notre usage.
Aujourd'hui, notre code s'éloigne de ce processus-là. Tout de même, nos dispositions relatives à la destitution sont très importantes; voilà pourquoi nous avons fait cela.
Le sénateur Lang : Je voudrais creuser ce sillon pour un instant, si vous le permettez. Je crois que vous avez dit que votre élection a donné lieu à un appel, mais que ça n'a duré que cinq jours. Parlez-vous d'un nouveau dépouillement qui viserait à s'assurer que tous les bulletins de vote étaient valides ou d'une destitution éventuelle visant à savoir si vous étiez éligible ou non, s'il y avait eu corruption ou quelque autre acte répréhensible?
M. Meeches : J'imagine que vous parlez de l'application de notre loi. Je vais vous donner quelques renseignements là-dessus. Durant les six mois précédant notre élection, nous avons tenu un référendum sur la révision de notre code électoral. Pour faciliter la vie des membres de notre communauté qui se trouvent en dehors de la réserve, nous avons organisé un scrutin dans les grands centres du Manitoba. Nous avons organisé un scrutin à Brandon, le premier jour. Nous en avons organisé un à Winnipeg, le lendemain. Puis, un scrutin à Portage la Prairie, et un autre encore dans notre communauté, où les gens pouvaient venir voter. Nous avons aussi permis le vote par correspondance. Nous avons pris toutes les mesures possibles pour que les gens en dehors de la réserve puissent voter. Cela a porté fruit, étant donné que presque 1 000 personnes ont participé à notre scrutin. C'était très exaltant, très stimulant. Je l'ai emporté par seulement 16 voix.
Naturellement, comme le résultat a été si serré, ce sont les votes par correspondance qui ont été mis en doute. Tout de même, je témoigne devant vous en tant que chef de Long Plain; tout s'est donc réglé.
Le sénateur Lang : Une précision, simplement, monsieur le président : c'était comme dans toute autre élection, que le scrutin soit municipal ou provincial ou fédéral. Dans le cas d'un résultat très serré, les bulletins de vote sont dépouillés de nouveau. C'est pourquoi cela s'est fait en cinq jours et que le dénombrement des bulletins s'est fait encore une fois.
M. Meeches : Non. Selon nos dispositions — et je pourrais me tromper — si c'est de un à dix, il y a automatiquement un nouveau dépouillement.
Le sénateur Sibbeston : Voilà.
M. Meeches : Et si c'est plus que 10, il faut présenter une demande en ce sens.
Le sénateur Lang : L'adversaire doit présenter une demande.
M. Meeches : Oui. Non, ce n'est pas le nouveau dépouillement qui est en cause. C'est que l'agent d'élection a appliqué son jugement pour trancher un cas qui n'était pas prévu expressément, en pensant au vote transmis par la poste.
Le sénateur Lang : Ou c'est une question d'interprétation.
M. Meeches : Oui. Comme un pouvoir discrétionnaire, et c'est le même pouvoir discrétionnaire que celui qui s'applique sous le régime de l'article 74.
Le sénateur Lang : Monsieur le président, je ne veux pas dominer la période prévue pour les questions, mais il y a un point qui semble revenir assez souvent, soit la possibilité de destituer le candidat ou d'en appeler autrement de l'élection, premièrement; deuxièmement, la possibilité de destituer les membres élus si la majorité est en désaccord avec la décision qui vient d'être prise la semaine dernière. Que diriez-vous si cette disposition-là était éliminée?
Selon moi, il n'y a pas de disposition prévoyant la destitution d'un élu, du moins là où je vis. Évidemment, les gens peuvent protester, mais cela entraînerait beaucoup de divisions au sein de la communauté — si un groupe de dissidents peut en appeler n'importe quand à la destitution d'un élu, étant donné la population peu nombreuse. Croyez-vous que cet article particulier devrait être éliminé?
M. Meeches : Cela ne me pose pas de difficulté. Si cela se justifie, je crois qu'il faudrait pouvoir destituer un agent d'élection, non seulement dans le cas des Premières nations, mais dans tous les cas, partout au pays. Cependant, il faut appliquer un sens stratégique à la conception de la mesure. À mon avis, il faut concevoir la démarche de manière que les gens puissent exercer leur jugement. Je crois qu'il faut établir des critères pour que la destitution se fonde non pas sur des allégations, mais plutôt sur des renseignements concrets et des conditions concrètes.
Pour ce qui est de la destitution de l'élu, cela variera selon les cas, à mon avis. Selon la démarche que nous avons, dans la mesure où la personne a posé certains actes, qu'elle a eu telle ou telle conduite, en devenant membre du conseil ou en nuisant à un membre de la communauté, on peut dire qu'il y a des dispositions qui s'appliquent en matière de destitution. Par contre, ce n'est pas automatique.
À propos de la conduite d'un conseiller — si c'est ma conduite à moi qui est en cause, ce sera un conseiller qui le fera —, je peux présenter une demande à notre comité d'appel électoral, qui organisera une audience. Je devrai être présent pour me défendre. Les faits reprochés doivent être exposés. Un comité de trois personnes provenant de l'extérieur de notre communauté entend l'affaire et prend une décision.
Sauf pour l'incident où je me trouvais au conseil, avant, je ne me souviens même pas que nous ayons eu recours à cela. Tout de même, ça s'est déjà fait.
Le sénateur Lang : Est-ce que c'était au moment du scrutin ou par la suite, une fois que vous avez été élu ou une fois qu'il ou elle a été élu, qu'une plainte a été déposée et que vous avez été contraint de vous adresser à un comité pour déterminer si vous pouviez continuer à siéger?
M. Meeches : Oui, historiquement. Pas aujourd'hui, mais en 1996, oui.
Le sénateur Peterson : Dans le même ordre d'idées, plusieurs chefs expriment aujourd'hui des préoccupations à propos de ces appels. Sont-ils catégorisés? L'appel peut-il porter sur n'importe quoi? Pouvez-vous nous donner quelques exemples?
M. Meeches : Il y a les appels discrétionnaires, disons, qui relèvent du pouvoir discrétionnaire de l'agent d'élection à propos des bulletins transmis par la poste. Il y a des appels concernant le dénombrement des bulletins transmis par la poste. J'ai déjà vu cela. Il y a des appels relatifs à la corruption, où des gens ont accusé les élus d'avoir accepté un pot- de-vin. Je crois que l'article 74 de la loi et nos coutumes à Long Plain prévoient tous deux plusieurs raisons pouvant fonder un appel de l'élection.
Le sénateur Peterson : Tout est très bien, donc, mais que se passe-t-il alors? Y a-t-il une marche à suivre? Dans la plupart des cas, il peut s'agir de mécontents, de gens qui ne vous apprécient tout simplement pas, de sorte qu'ils décident d'en appeler. Est-ce qu'il faut corroborer l'accusation de corruption, par exemple, en convoquant un témoin?
M. Meeches : L'article 74 du Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens ne prévoit pas l'occasion d'exposer son allégation. Si vous en appelez du résultat, vous n'aurez pas l'occasion, selon la loi, de dire : « Voici ce que j'allègue. » Il n'y a pas de structure d'appel. Si on m'accuse, si j'obtiens gain de cause, l'article 74 du Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens ne me donne pas l'occasion de me défendre.
Voici comment les choses se déroulent, de manière générale. D'après la Loi sur les Indiens, si quelqu'un en appelle du résultat d'un scrutin, il envoie d'abord son document. Il y a une période d'attente de 30 à 35 jours. Puis, tous ceux qui ont été touchés par le scrutin sont avisés. Ils ont l'occasion de réagir, et c'est tout. Puis, on attend les résultats. Si quelque chose d'important se produit — et je suis au courant de quelques cas où des gens sont venus faire enquête sur les allégations... tout de même, cela prend entre 30 jours et, dans certains cas, deux ans.
Le sénateur Peterson : Qui veille sur cette structure? Est-ce Affaires indiennes?
M. Meeches : La région.
Le sénateur Peterson : C'est probablement une question qu'il faudra approfondir, en allant de l'avant avec toute cette idée d'élections.
M. Meeches : Il faut certainement revoir le processus d'appel. C'est un processus qui crée beaucoup d'incertitude et de désordre. Comme je l'ai souligné, j'ai été candidat à des élections qui ont fait l'objet d'un appel. À ce moment-là, vous ne savez pas si vous pouvez prendre telle ou telle décision, car vous ne savez pas si vous avez vraiment l'autorité de le faire.
Le sénateur Hubley : En 1989 et en 1990, lorsque les Premières nations de Long Plain ont choisi de retourner à la démarche électorale coutumière pour élire un chef, qu'est-ce qui s'est passé? Vous êtes vous tournés vers vos gens à ce moment-là. Cette année-là, avez-vous consulté les membres des communautés? Vous pouvez peut-être nous expliquer la démarche.
M. Meeches : Eh bien, c'est que la démarche était nouvelle pour nous — encore une fois, je reviens à la question de l'opposition structurée. Nous avons mis au point une opposition structurée. Nous avons mis au point la loi électorale A et la loi électorale B, puis nous avons proposé les deux aux gens et demandé laquelle ils préféraient. Nous nous sommes assis et nous avons discuté vivement de ce qu'il faudrait inclure dans notre loi et ce qu'il faudrait en exclure.
Les gens ont eu le choix entre deux projets de loi. Le premier limitait les candidatures. Le candidat devait avoir au moins 30 ans pour être éligible selon la coutume — bien entendu, comme j'avais 19 ans, je me suis opposé à cela. C'était donc l'occasion de devenir structuré et de discuter face à face. Nous avions une opposition à ce moment-là. C'est ce qui a été créé pour nous.
Au bout du compte, une loi a été retenue et transmise aux autorités, puis il y a eu le décret, et voilà, une nouvelle élection suivant la coutume. Tout de même, c'était pour nous une période difficile. Ce n'était pas facile.
Le sénateur Hubley : Vous dites aussi avoir apporté quatre ou cinq changements depuis ce temps-là. Est-ce que c'était pour la vérification des antécédents criminels et les autres trucs du genre? Est-ce que ce sont les modifications qui vous paraissaient nécessaires à ce moment-là ou qui le paraissent encore aujourd'hui?
M. Meeches : Eh bien, oui.
J'ai pris congé pendant un certain temps et je me suis adonné à d'autres activités. Je n'ai pas participé aux changements en question. Par contre, le processus de communication au sein de notre communauté est tel que, où que vous résidiez, vous allez être tout à fait renseigné sur ce qui se passe au sein de la communauté et connaître les raisons pour lesquelles des changements sont apportés. Chaque fois qu'il y avait un changement, les gens en étaient informés. Fait encore plus important, le but consistait à améliorer les candidatures.
L'exigence relative aux études représente un autre bon exemple. Selon une autre disposition, la personne devait posséder cinq ans d'expérience de travail à l'échelle communautaire, de participation aux affaires de la communauté. Un autre membre de la communauté devait en attester, par voie de correspondance.
Il y a beaucoup de choses qui ont évolué. Parfois, on est allé trop loin, par contre. Encore une fois, en organisant des élections, ce que j'ai apprécié, c'est qu'il y avait non seulement la loi électorale ou le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, mais aussi le manuel du président d'élection. Souvent, les bandes font fausse route parce qu'elles essaient d'intégrer les procédures administratives prévues dans la loi électorale, plutôt que de les exclure. C'est ce qui devient compliqué.
Le sénateur Hubley : Avez-vous constaté une amélioration au sein de votre communauté? Croyez-vous qu'il est plus facile maintenant de gouverner?
M. Meeches : Du fait d'être passé au code coutumier?
Le sénateur Hubley : Oui.
M. Meeches : Je crois que c'est le cas, je le crois vraiment. Cela a permis d'établir que la démarche est la nôtre. C'est la chose la plus importante que nous puissions dire : c'est notre démarche, nous l'avons en main.
Historiquement, le fait d'avoir été contraint de défendre cela devant la Cour fédérale, de nous appeler à nous dépasser les uns les autres, a été salutaire à ce moment-là. Aujourd'hui, je suis heureux de ne pas avoir à faire cela. Il aurait été si facile pour un des membres de communauté de contester la dernière élection devant la Cour, la Cour fédérale, mais ça ne s'est pas fait.
À mes yeux, ce qui était apprécié à propos de l'article 74, c'est que, en cas d'appel à votre encontre, vous avez peu de recours devant la cour fédérale. Ce n'est pas le cas chez nous.
Robert Daniels, chef intérimaire de la direction générale, Dakota Ojibway Tribal Council : Comme le chef Meeches l'a souligné, au DOTC, nous avons la responsabilité, par le truchement des services consultatifs, j'imagine, d'organiser pour nos Premières nations des élections découlant de la Loi sur les Indiens. Au DOTC, la Première nation sioux Birdtail relève de la Loi sur les Indiens, Canupawakpa relève aussi de la Loi sur les Indiens, Dakota Plains relève du système héréditaire; il n'y a pas d'élections là. Long Plain relève du régime coutumier de la bande. Roseau River relève aussi du régime coutumier de la bande. La Première nation de Sandy Bay relève du régime coutumier de la bande, mais elle a été associée à l'article 74 de la Loi sur les indiens. La Sioux Valley Dakota Nation relève du régime coutumier de la bande, la Première nation de Swan Lake relève de la Loi sur les Indiens. Waywayseecappo relève aussi de la Loi sur les Indiens. Cela compromet donc toutes les Premières nations du DOTC. Comme vous l'avez entendu ce matin, certaines des Premières nations visées par le Traité no 1 font partie aussi du conseil tribal.
Nous venons de tenir une élection sous le régime de l'article 74. J'étais président d'élection, et David, de la Première nation sioux Birdtail, était mon adjoint. L'élection n'a pas donné lieu à un appel. Ça peut donc se faire, j'imagine, à condition de faire correctement tout ce qui doit être fait.
Pour le compte rendu, je dirais simplement que le chef Chalmers, Ken Chalmers, président du conseil tribal, avait été invité à assister à l'audience d'aujourd'hui. Il m'a demandé de transmettre un message en ma qualité de chef intérimaire de la direction générale du DOTC, soit qu'il ne pourrait être présent durant les prochains jours, qu'il préférerait être entendu à Ottawa, au moment où le comité reprendra ses audiences.
Il voulait pouvoir consulter d'abord les huit autres Premières nations, avant de venir présenter une déclaration collective au nom du DOTC. Je tenais simplement à le dire pour le compte rendu. Nous avons demandé à votre greffière de prendre les dispositions nécessaires pour que cela se fasse, dans la mesure du possible, au moment où vous allez reprendre les audiences à Ottawa.
Autrement, cela conclut mon exposé. Merci, encore une fois.
Meegwetch.
Le président : Je tiens à vous remercier tous les deux d'être venus témoigner. Merci d'avoir présenté un exposé et merci d'avoir répondu à nos questions.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant ouvrir notre tribune libre. Je tiens à souligner que nous avons discuté de cela, que nous voulions entendre des membres du grand public, à propos de notre étude sur les Premières nations. Nous accueillons trois témoins : Clifton Starr, Gerald McIvor et Norman Traverse.
Messieurs, je vais devoir tenir un compte serré du temps qui vous est alloué : cinq minutes. Veuillez présenter votre déclaration, puis les sénateurs, espérons-le, auront l'occasion de vous poser des questions, s'il y a lieu.
Comme je vous ai nommé d'abord, monsieur Starr, je vous demanderai d'y aller en premier. Vous disposez de cinq minutes.
Clifton Starr, à titre personnel : Merci de l'occasion que vous m'offrez en ce moment, mesdames et messieurs les sénateurs. Vous ne savez pas à quel point il est cool pour moi, un jeune, d'être là et de vous remercier, vous, des sénateurs.
Plus tôt, le président a affirmé que, de façon générale, la séance porte sur la loi électorale ou la Loi sur les Indiens, mais, de façon générale, il s'agit d'améliorer le sort des Premières nations de toutes les manières possibles.
Bon, à mes yeux, tout l'exercice dont il est question — les modifications de la loi électorale — ne sont pas vraiment une grande priorité. Personnellement, j'aime le moment des élections, la fièvre électorale. C'est le seul moment où les gens s'animent. C'est le seul moment où les gens se soucient de quelque chose. Peut-être faudrait-il avoir des élections 12 mois par année. C'est le seul moment où les gens s'engagent dans des processus.
À mes yeux, il s'agit de créer une responsabilité au sein des Premières nations. Pour qu'il y ait responsabilité et transparence au sein des Premières nations, il faut mobiliser les gens. À l'heure actuelle, les gens ne sont pas mobilisés, ils abordent très nettement la situation avec apathie. Ce qu'il faut aux gens, ce sont des exemples dramatiques qui secouent leur apathie. Il leur faut un symbole incorruptible qui représente leurs espoirs et leurs rêves.
Le bureau du chef indien lui-même est propice à la corruption. Peu importe qui occupe le poste — les probabilités sont bonnes que la personne soit corrompue par le système. Ayant grandi avec un sentiment d'impuissance à l'idée d'améliorer son sort, un jour, la personne est investie de ce grand pouvoir; elle devient alors corrompue. Trop souvent, c'est le cas, beaucoup trop souvent.
Selon moi, pour créer la responsabilité et la transparence qu'il faut, il faut passer par l'éducation. Je crois que le Sénat devrait se donner pour priorité de convaincre le gouvernement en place d'éliminer le maximum établi pour le financement des études postsecondaires. Voilà la seule façon de créer la responsabilité et la transparence : instruire les jeunes. Les jeunes comprendront comment s'y prendre pour créer la responsabilité et la transparence.
J'ai entendu un témoin affirmer qu'il est difficile de créer responsabilité et transparence. À mon avis à moi, qui chemine en vue d'obtenir un diplôme, il n'est pas vrai du tout que ce serait si difficile. Simplement, c'est que les gens n'agissent pas.
Les conditions dans la réserve sont telles que je suis maintenant contraint de fomenter une rébellion contre les chefs. Ça semble être une histoire de fou, je sais. Je ne parle pas de révolution violente ou de quoi que ce soit du genre — je n'appuie aucunement la violence. Cependant, il est nécessaire de changer, d'établir un nouvel ordre dicté par le peuple, et non pas par les agents de Sa Majesté, et certainement pas par les chefs —, mais, plutôt, par le peuple.
Même si les chefs affirment avoir essayé de consulter le peuple, du fait de m'être souvent senti exclu, je suis contraint de mener cette révolution, essentiellement, afin d'établir un nouvel ordre pour le peuple.
La dame ici est en train de distribuer un document. C'est une constitution — pour un groupe d'étudiants. Je crois que ce groupe d'étudiants est... je ne sais pas comment dire cela. Je demande au Sénat de demander au gouvernement d'éliminer la limite rattachée au financement.
Trouvez-moi 10 bons Anishnaabe à l'université pour faire partie de mon groupe, et je peux vous garantir qu'il y aura responsabilité et transparence. Trouvez-moi 20 bons Anishnaabe, et je peux vous garantir que nous allons contrer les problèmes sociaux que sont le suicide, l'alcoolisme, la perte de la langue, la perte de la culture. Trouvez-moi 30 bons Anishnaabe à l'Université de Winnipeg, et je vous donnerai des citoyens des Premières nations qui sont fiers et responsables, prêts à faire ce qu'il faut pour être des membres en règle du Commonwealth, en tant que nation, et à mettre fin une fois pour toutes au cycle de dépendance. Voilà ce qui détruit vraiment les gens des Premières nations — le cycle de dépendance qui nous a été imposé par les traités, par les agents de Sa Majesté.
Je suis un patriote du Canada et je suis un patriote du Commonwealth et je suis un des sujets les plus loyaux de Sa Majesté. Je ne peux plus tolérer cette corruption. Je ne peux pas attendre.
Je vous demande de faire circuler ce document. C'est un appel à la rébellion des jeunes, pour que nous devenions maîtres de notre vie et de notre destin. Voici l'avenir.
Bientôt, vous ne traiterez plus avec des chefs; vous traiterez avec des jeunes qui s'identifient comme « ogemak ». C'est tout ce que j'ai à dire.
Le président : Eh bien, vous avez défendu votre point de vue, et en cinq minutes pile. Voilà un bon signe.
M. Starr : J'en aurais encore beaucoup à dire.
Le président : Le temps est notre pire ennemi.
M. Starr : Bien sûr.
Le président : Gerald McIvor.
Gerald McIvor, à titre personnel : Je suis membre de la bande de la nation ojibway de Sandy Bay, signataire du Traité no 1.
À mes yeux, la loi d'uniformité électorale n'est qu'une autre petite mesure adoptée pour pousser les Premières nations signataires de traités vers la zone des administrations municipales. On voit que le gouvernement actuel fait des pressions en faveur de la privatisation des logements et du transfert des terres en propriété privée, qu'il y a le potentiel fiscal des réserves qui est envisagé, comme les documents publiés dans le Globe and Mail à la suite d'une fuite l'indiquent — ces documents portent la cote « Très secret ». Nous parlons ici du gouvernement conservateur. Mettez tout cela ensemble — regardez le tableau dans son ensemble — et vous verrez que c'est pour instaurer une administration de type municipal.
Les traités présentent un caractère international, ce sont des ententes entre pays. Quand vous posez la question : « Qu'est-ce qui conviendrait pour les élections relevant de la Loi sur les Indiens? » ma solution, c'est qu'il n'y ait pas d'élections relevant de la Loi sur les Indiens. Pour ce qui est de la réunion d'aujourd'hui — avec tout le respect que je dois à chacun d'entre vous —, je dirais que c'est une farce. Ce n'est pas vous qui allez prendre la décision dans les faits — ce sont les gens des Premières nations, à la base. Ce sont ces gens-là que vous devriez entendre.
Avant le premier contact, nous avions la meilleure structure gouvernementale qui soit dans le monde, la structure démocratique participative. Les Européens sont venus et ont imposé une structure démocratique représentative. Vous allez tous être d'accord avec moi pour dire, j'en suis sûr, que c'est un échec lamentable. Regardez tous les gouvernements fédéraux que nous avons eus jusqu'à maintenant. Vous voulez parler d'absence de responsabilité? Il n'y a pas de mécanisme de destitution, rien. Néanmoins, par le truchement de la Loi sur les Indiens, vous êtes prêts à nous imposer une mesure comme celle-là. Non, mais quand même... je serai le premier à faire des pressions contre cela.
Je m'oppose à Ron Evans sur ce point-là. Il m'a congédié de ce fait, mais voilà une autre histoire. Je me suis prononcé contre cette mesure. Tout ce qui menace l'avenir, le droit conféré de naissance, le traité pour mes petits- enfants et leurs enfants à eux — c'est contre cela que je me prononce. Je parle avec mon cœur. Tant que le soleil brillera, que l'herbe poussera et que les rivières couleront, ces droits perdureront à mon avis.
Au moment où le chef Shannacappo parlait, le sénateur Dyck a soulevé un point, en demandant si les élections relevant de l'article 74 de la Loi sur les Indiens étaient anticonstitutionnelles. Je peux vous en dire davantage là-dessus. La Loi sur les Indiens au grand complet est anticonstitutionnelle; elle est illégale et immorale, et il n'y a pas de place pour elle dans un monde libre. C'est une version occidentale de l'apartheid — voilà ce que c'est. C'est une restriction. Oui, peut-être que nos chefs en veulent, mais vous ne posez pas la question aux bonnes personnes. Vous ne posez pas la question aux membres de la communauté; vous la posez seulement aux chefs. C'est comme demander à mon adolescent : « Veux-tu que j'augmente ton allocation? » Bien sûr qu'il dira oui. Voilà comment sont ces gens-là.
Quant à la prolongation du mandat, pour qu'il passe de deux à quatre ans, allez poser la question dans n'importe quelle communauté. La majorité des membres de la bande va répondre : « Regardez le fouillis qu'ils ont fait en deux ans; imaginez le fouillis si c'est quatre ans. » Voilà la mentalité qui existe.
Je parle aux gens à la base. Les chefs en question se parlent entre eux. Vous allez avoir 64 personnes qui déterminent l'avenir de plus de 100 000 citoyens des Premières nations au pays —, dont la plupart ne sont même pas au courant de ce qui se passe. Je connais les chefs. La plupart d'entre eux sont bien motivés; ils veulent bien faire. Cependant, à long terme, ça ne fonctionnera pas. C'est une même et unique approche pour tous que vous essayez d'imposer ici. La CRPA comportait la recommandation suivante : donnez aux Indiens leur autonomie gouvernementale; laissez-les exercer leur droit à l'autodétermination, leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Laissez-les exercer cela.
Selon l'étude de Harvard, il manque un élément essentiel pour qu'il y ait une véritable autonomie gouvernementale : l'autonomie indépendante. La Loi sur les Indiens nous empêche d'exercer cette autonomie indépendante, tout comme le fait l'accord de transfert des ressources naturelles conclu en 1930. Donnez-nous une part des ressources, et nous allons créer nos propres institutions, nos propres systèmes de prestation des services, et vous ferez l'envie du monde pour cela. Il n'y aura jamais de chômage au sein des Premières nations — 11 milliards de dollars par année, c'est une industrie de misère. Voilà ce que c'est. Il est dans l'intérêt de notre gouvernement de nous garder dans un tel état — dépendants. Si vous nous donniez tout ce que nous voulons, tout ce qu'il nous faut pour nos gens, qui aurait le taux de chômage le plus élevé dans le monde libre? Ce ne serait pas une Première nation du Canada ou de l'Amérique du Nord, ou des États-Unis, de fait.
Pour le compte rendu, je dirai que, si le Canada souhaite sincèrement aider les citoyens des Premières nations à se déprendre de la condition de paysan que ses lois leur ont imposée — il y a aussi la déclaration des Nations Unies relative aux droits des peuples autochtones —, laissez tomber votre appel de la décision dans l'affaire McIvor et commencez à négocier un accord de partage des revenus avec les Premières nations, pour les revenus générés grâce à la vente des ressources naturelles — qui, légalement, nous appartiennent selon le droit international. À ce moment-là, nous allons pouvoir vous montrer ce que nous savons faire.
Les gens diront : Mais vous êtes malades. Oui, nous sommes malades — d'avoir fréquenté les internats qui nous ont été imposés par le gouvernement et l'Église en même temps. Tout le monde s'attache encore aux Premières nations. Aidons les Premières nations à guérir, aidons les Premières nations à guérir. De nombreux aînés m'ont dit : « Les survivants... et puis qu'en est-il des malades qui nous ont fait cela? » L'Église a admis ses torts. Qu'en est-il du Canada? Et de la mentalité politique qui est centrée sur une idée : « faisons en sorte que les Premières nations nous demeurent dépendantes de nous »?
Pourquoi ne pas adopter l'idée d'une entente entre nations, comme le dit le traité, tant que le soleil brille, que l'herbe pousse et que les rivières coulent. Voyez-vous, le système colonial, le système à trois volets — vous nous avez abordés en amis, vous avez conclu avec nous un accord, puis vous nous avez neutralisés. Pourquoi ne commencez-vous pas à défaire cela? En tant que pays, guérissons ensemble, étant donné que nous devons tous vivre ensemble. Pour être réalistes, nous pouvons difficilement remettre les gens sur leur bateau pour les renvoyer en Europe. Peut-être que Stephen Harper et George Bush le feraient, mais voilà une autre histoire. Voyez-vous où je veux en venir?
Le président : Je vous entends. Je ne suis pas en désaccord avec vous. Le hic, c'est que notre comité n'est pas là pour imposer quoi que ce soit.
M. McIvor : Tout à fait.
Le président : Le comprenez-vous? Nous n'imposons nullement notre démarche. Nous sommes là pour écouter les gens. Nous avons organisé cette tribune libre — et nous en aurions organisé d'autres, nous aurions prévu plus de temps pour cela, s'il y avait eu une réaction. Nous avons fait notre possible.
Au moment de la période de questions, je vais vous demander comment il faut faire pour accéder à la base. Écoutez : si vous croyez que cela nous laisse indifférents, vous avez tout à fait tort, monsieur McIvor. La question nous touche. Nous aimerions trouver les gens à la base, mais nous ne savons tout simplement pas quoi faire pour y arriver — tout au moins, je ne sais pas comment y arriver; je ne peux parler pour les autres.
Tout de même, allez-y monsieur Traverse, c'est à votre tour de parler.
Norman Traverse, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci de l'occasion que vous m'offrez d'exprimer mon point de vue. Je viens de la région des lacs au Manitoba, d'une Première nation signataire du Traité no 2.
Je n'étais pas du tout au courant de ces réunions avant de voir que ça existait sur Internet. Puis, j'ai décidé qu'il valait mieux que je vienne témoigner, même si, d'un point de vue juridique, je ne représente aucun organisme. Je parle avec conviction. En tant que membre d'une Première nation, j'ai le droit de m'exprimer. J'essaierai d'être très bref.
Pour ce qui est des élections, des élections au sein des Premières nations, Lake St. Martin est victime de toute cette démarche, la Première nation de Lake St. Martin.
J'y ai été chef, pendant six ans. J'ai perdu le poste en 2000. De ce fait, la bande plonge dans une profonde récession comme dans une spirale, au moment même où je vous parle aujourd'hui.
Je veux que nos élections se déroulent de meilleure façon, car j'ai vu de mes yeux ce qui s'y passe. Ce qui se passe au moment de nos élections, tous les deux ans, ce que je vois, c'est de la corruption; je vois des pots-de-vin qui sont versés, des bulletins de vote destinés à être transmis par la poste, mais qui sont achetés et qui circulent au sein de la communauté. Cela donne aux jeunes une certaine mentalité.
Bon, les jeunes ne voient pas l'autre côté de la médaille, ils ne voient pas ce que cela leur fait. Je m'inquiète pour nos jeunes. Je suis déjà âgé, mais je veux que cela cesse. Je veux voir une démarche où les membres de ma bande peuvent aller voter, choisir le candidat qu'ils souhaitent voir gouverner pendant peut-être un mandat de quatre ans, enfin, quelle que soit la durée.
Du fait de cette anomalie — vous pouvez employer le terme que vous voulez —, la bureaucratie, la région décèle une faiblesse au niveau de la direction et en tire parti.
De ce fait, nous avons perdu une école, nous avons perdu des enseignants. La liste est longue. Il y a des manœuvres qui sont censées avoir été négociées en coulisse. Il y aurait dû avoir déjà des mesures d'atténuation, mais le problème demeure entier.
Les conditions environnementales qui prévalent au sein de notre communauté sont horribles. On déverse des eaux d'égout brutes dans ce qui était l'étang de l'école, et les bactéries gagnent les fossés et se retrouvent sur les routes, et nos jeunes, nos enfants, y sont exposés.
Tout cela nous ramène à l'élection. J'ai fait ce que j'ai pu pour ma communauté.
Et maintenant, les gens... à cause de la fraude électorale qui est devenue largement répandue, la communauté est déstabilisée. Notre communauté n'est plus du tout stable d'un point de vue économique ou social; la spirale infernale continue avec les suicides et tout le reste. J'aimerais qu'il y ait de la stabilité au sein de ma communauté et que les gens commencent à guérir.
J'ai vu des élections où une personne est allée porter un sac de plastique au président d'élection. Savez-vous de quoi il s'agissait? C'était les bulletins de vote destinés à être transmis par la poste. Une personne est allée porter 90 bulletins de vote. Enfin, on ne peut pas dire que les gens ont voté par la poste; c'est de la corruption.
Je veux vous laisser là-dessus, étant donné que je pourrais dire une chose que je ne veux pas dire. Je veux simplement exprimer ici mon point de vue, dire ce qui se passe au sein de ma communauté. Pour le bien des gens, je veux que la stabilité revienne.
J'aimerais qu'il y ait un lien direct avec l'administration centrale, car, avec ce qui s'est passé, le bureau régional ne m'inspire plus confiance.
Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Traverse.
Il y a une autre personne qui a une déclaration à présenter, soit M. Cyril Keeper. Le nom me dit quelque chose. N'êtes-vous pas rendu très loin de chez vous?
Cyril Keeper, à titre personnel : Non, de fait, je suis chez moi, justement. Oui, j'étais député fédéral au siècle précédent.
Le président : C'est très bien. Vous êtes citoyen, citoyen d'une Première nation?
M. Keeper : Non, de fait. Voyez-vous, ma grand-mère, qui venait de Sagkeeng, a perdu son statut. Mon grand-père, nous sommes du côté paternel, maintenant, venait de Peguis, mais il a perdu son statut lui aussi. Bon, quand mon père est allé à l'école des Indiens, il s'est rendu jusqu'en quatrième année avant que les gens découvrent qu'il n'avait pas de numéro. Je viens de cette communauté-là. Je prends mon nom de Joe Keeper, qui a son statut d'Indien, et de sa famille, la même famille que Tina. Le nom a été traduit du cri à l'anglais durant les années 1850. Ça ressemble beaucoup à l'histoire d'un chef de la Saskatchewan, qui a vécu la période pendant laquelle les bisons se mouraient et qui a essayé de sauver son peuple. Il s'appelait Star Blanket, pour donner son nom traduit en anglais. Voilà donc d'où je viens. Je n'ai pas de numéro.
Le président : Vous disposez de cinq minutes.
M. Keeper : Je vais entrer directement dans le vif du sujet. Premièrement, vous êtes sénateurs.
Le président : Nous le sommes.
M. Keeper : Vous disposez d'un avantage sénatorial, si je puis dire — c'est-à-dire que le Sénat peut prendre le temps d'écouter les gens, de réfléchir et de soupeser ce qu'ils vont recommander. Je vous écoutais. Vous avez parlé de la base. Je recommanderais que vous teniez les audiences comme celle qui a lieu aujourd'hui dans quelques communautés. Je pense à Norway House, je pense à Peguis, je pense à Roseau, à Island Lake. J'ai fait cela moi-même. J'aimerais que vous vous rendiez dans les communautés pour tenir des réunions et des audiences. De cette façon-là, à mon avis, vous allez en arriver à un point de vue différent sur le monde. À mon avis, en écoutant les gens pendant plusieurs jours, dans plusieurs communautés, vous allez en arriver à votre propre compréhension de ce qui se passe, à une compréhension plus profonde.
Si vous parlez aux gens de la communauté, vous allez vous faire une idée particulière; si vous parlez aux chefs, vous allez vous en faire une autre. Si vous parlez aux gens de l'organisation, vous allez parvenir à une autre idée encore.
Je viens de terminer un cours que je donnais à l'Université de Winnipeg sur la politique et les Autochtones au Manitoba. La question des élections à date fixe et de ce qui s'ensuit a été soulevée par un de nos étudiants dans ses travaux. Eh bien, voyez-vous, l'attitude de la personne tient à l'endroit où elle se trouve, à l'organisation où elle travaille, et cetera.
Selon moi, l'avantage que vous avez en tant que sénateurs, c'est que vous pouvez prendre le temps d'écouter et de réfléchir, puis, quand vous dites enfin quelque chose, c'est après avoir compris, du moins après en être arrivés à votre propre compréhension de la question, à une compréhension plus profonde.
Je vous recommanderais — s'il est possible de le faire... Je vous recommanderais de faire cela, car vous n'auriez peut-être pas la même priorité à votre retour. Vous auriez peut-être encore une recommandation à formuler à propos de cette question-là, mais vous allez peut-être dire : eh bien, la priorité, c'est autre chose.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Les trois quarts des gens chez nous ne terminent pas leurs études secondaires. Ils ne fréquentent pas l'université, ils ne fréquentent pas le collège communautaire, ils ne deviennent pas apprentis — il faut aller à l'école secondaire pour faire cela. Néanmoins, les trois quarts, la majorité, la grande majorité doivent faire partie de notre économie. Si vous écoutez les gens au sein des communautés elles-mêmes, vous allez peut- être revenir et vous demander : qu'est-ce que ces gens-là considèrent comme leur priorité? C'est peut-être une question que vous avez soulevée, c'est peut-être autre chose encore.
Je vous recommanderais de tirer parti de votre avantage sénatorial. Et je vous remercie beaucoup de m'avoir écouté.
Le président : Voici ma question : comment faire cela sans être perçu comme empiétant sur l'autorité du groupe dirigeant? Disons que je prends Roseau River pour exemple — il se trouve que je connais le chef, personnellement. Comment faire cela, de votre point de vue? Vous y êtes depuis un moment. Vous dites que nous pourrions nous rendre là-bas?
M. Keeper : Oui.
Le président : C'est pourquoi nous avons organisé notre tribune libre, que nous avons d'ailleurs annoncée. Plutôt que d'aller dans les réserves, nous avons jugé bon de tenir l'audience en terrain neutre pour ainsi dire. Les trois hommes qui se trouvent à votre gauche sont venus témoigner, ce dont nous leur sommes reconnaissants — mais je ne sais pas comment aller chercher la base. Les problèmes, monsieur Keeper, sont aussi complexes que la Loi sur les Indiens.
M. Keeper : Puis-je répondre à votre question?
Le président : Oui.
M. Keeper : D'abord, j'ai fait cela dans plusieurs contextes différents : me rendre dans les communautés et tenir une audience, essentiellement. Bon, par exemple, je donnais un cours sur le développement communautaire au CIER, le Centre for Indigenous Environmental Studies. Nous nous sommes rendus dans les communautés et nous y avons tenu des réunions — en passant une semaine entière là — et nous avons écouté les gens, nous avons écouté. Ça vous change une perspective, cela est incroyable.
Je l'ai fait aussi sous d'autres formes. Je suis allé à Roseau au moment où la communauté elle-même et les conseillers ont convoqué des assemblées, et — là, vous écoutez et vous entendez les gens.
Visiblement, vous rencontrez déjà les hauts dirigeants.
Le président : Cela ne fait aucun doute.
M. Keeper : Oui. Vous rencontrez des dirigeants ici, vous rencontrez des membres de la communauté ici. Il faut les féliciter d'être venus. Tout de même, je crois que vous pouvez rencontrer les gens de toutes les strates. Si vous vous rendez dans plusieurs communautés et prenez le temps d'écouter les gens, cela aura un effet sur votre perception, si vous y demeurez assez longtemps pour que les gens parlent. Ce n'est pas pour dénigrer les dirigeants — c'est simplement que cela permet d'améliorer la compréhension qu'on a d'un problème que vivent les gens, que vivent les dirigeants.
Le président : J'ai fait cela comme député, vous savez.
M. Keeper : Oui, bien sûr, vous l'avez fait.
Le président : Comme vous le savez, j'ai déjà siégé à la Chambre des communes.
M. Keeper : Je me souviens de vous.
Le président : Je suis allé dans mes communautés, mes communautés des Premières nations, à l'époque où je représentais Mission-Port Moody. Ça faisait partie du travail. Je me rendais là et je tenais des réunions pour essayer de mieux comprendre les faits complexes qui caractérisent la situation là. Tout de même, en tant que comité — c'est toute une structure que l'on charrie, avec le comité complet qui voyage.
La seule présence du comité est intimidante aux yeux de bien des gens. Il y a un garçon ici qui fréquente l'université, monsieur Starr, et il y a M. McIvor qui, évidemment, connaît très bien la politique des Premières nations et il y a aussi un ancien chef ici.
M. Keeper : Puis-je réagir à la question que vous posez à propos de l'intimidation?
Si vous vous rendiez dans une communauté et que vous y passiez une semaine à écouter tout le monde qui vient exprimer son point de vue, permettez-moi de vous dire, les gens ne seraient pas intimidés. Une fois qu'ils se mettraient à parler, tandis que vous êtes chez eux, ils prendraient la parole et vous diraient ce qu'ils pensent, ceux qui s'y intéressent et y vont. Le sentiment d'intimidation finirait par disparaître. Il serait ressenti pendant une heure ou deux, mais, ensuite, il disparaîtrait.
Évidemment, vous devez respecter certains protocoles pour aller là. Je vous adresse simplement la recommandation — car vous formez le Sénat, vous êtes les sénateurs; or, les sénateurs ont l'occasion de réfléchir mûrement aux questions. Vous n'avez pas à vous soucier de l'idée d'être réélus dans six mois ou dans deux mois, sinon dans un an. Vous prenez votre temps, et je vous recommande de le faire.
Le président : Eh bien, je comprends ce que vous dites.
M. Starr : Vous voulez savoir comment allez rejoindre la base — c'est aux élections qu'il faut le faire. C'est le seul moment où les gens se soucient de quelque chose. Avant le scrutin, tout le monde est en mode électoral, même les gens qui ne cherchent pas à se faire élire.
Le président : C'est comme entrer dans une fabrique d'explosifs. Vous provoquez toute une déflagration.
M. Starr : Je suis certain que vous allez bien vous en tirer.
Le président : Écoutez, il s'agit ici d'une situation complexe et, sans aucun doute, nous n'aimerions rien de mieux que de faire cela. Cependant, nous devons vivre avec des restrictions aussi.
Monsieur Keeper, pouvez-vous imaginer quel serait le coût d'un tel déplacement? Je serai prêt à gager qu'il y a très peu de Premières nations au Canada qui sont absolument semblables.
Je suis né métis ici même et j'habite maintenant la côte ouest, où j'ai affaire aux Haïdas, puis voilà que je me trouve en Nouvelle-Écosse à traiter avec les Micmacs. Il y a une telle différence entre les besoins et les structures globales de ces peuples là; c'en est effrayant. C'est effrayant dans le sens où c'est vraiment complexe.
M. Keeper : Sénateur, vous saisissez que je vous mets au défi de...
Le président : Je vous entends.
M. Keeper : ... et je crois que vous pourriez faire un bon travail de ce point de vue-là. Évidemment, vous devez en arriver à former votre propre avis sur ces choses-là, mais je crois que ce serait une bonne façon d'enrichir votre compréhension de la question. Oui, ça coûterait beaucoup d'argent, mais c'est de l'argent que vous consacreriez aux communautés des Premières nations.
Le président : Voilà qui est vrai : c'est une façon de stimuler un peu l'économie.
Le sénateur Sibbeston : Tous les témoins s'expriment si bien. Il est bon d'entendre les gens. Ce n'est pas par manque de scolarité... tout le monde est bien instruit et tout le monde s'exprime bien.
Monsieur Starr, il est bien d'avoir de tels idéaux, de tels espoirs, de telles aspirations. Je vous encourage à continuer dans la même veine. En dosant idéalisme et pragmatisme politique, on peut faire beaucoup de chemin.
Jeune, j'ai grandi dans un internat, mais j'ai toujours su que quelque chose n'allait pas. Ça n'allait pas, pour une raison ou une autre. Ce n'est pas une vie normale. Les Blancs n'envoient pas leurs enfants à l'internat. Je savais que quelque chose clochait. J'ai donc grandi en ayant cette impression-là : ce n'était pas la bonne chose que l'on faisait.
Dans ma communauté, j'ai vu ma grand-mère et d'autres personnes que les Blancs ne traitaient pas très bien. En grandissant, j'étais déterminé de faire quelque chose à ce sujet un jour. C'est ce qui me motivait à continuer chez nous. Quand je suis arrivé à la neuvième année, et je crois que je suis le seul à avoir atteint la neuvième année, puis la dixième année, personne n'avait jamais atteint ou dépassé la dixième année, mais, moi, je l'ai fait... Ce qui me motivait à continuer, c'est que, un jour, j'allais aider les gens, un jour, j'allais bien le faire. J'allais m'assurer qu'il y ait une certaine équité. C'est ce qui m'a motivé toute ma vie durant.
J'ai fini par me lancer en politique. La politique, c'est la voie rapide du changement. Je suis aussi avocat et j'ai travaillé comme avocat, mais c'est là une démarche lente, où vous travaillez dans les limites du système. La politique, c'est la voie rapide du changement.
J'encourage tous les jeunes comme vous qui éprouvent ces sentiments-là à agir — vous avez raison. Il suffit simplement de rester concentré sur la tâche, de s'instruire comme il faut. Éducation égale pouvoir, pouvoir, pouvoir — il faut s'instruire pour pouvoir agir. Le système où nous vivons — il y a beaucoup de personnes intelligentes. Afin de pouvoir fonctionner et se tailler une place dans la société où nous vivons, il faut être instruit. Il n'y a pas d'autres façons. Instruisez-vous donc, donnez-vous le pouvoir d'agir, et vous avez la motivation essentielle pour faire quelque chose à ce sujet.
Je vous encourage et je vous souhaite bonne chance dans vos projets. Les choses que vous observez, la corruption et le reste, elles sont bien là. Vous ne fantasmez pas, vous n'imaginez pas des trucs, vous voyez la réalité. Le défi consiste donc à changer les choses. Engagez-vous et changez le système. C'est la seule chose que j'ai à dire.
Quant à ce que M. McIvor a dit... visiblement, vous avez évolué dans un système, vous avez vu certaines choses. Vous faites des observations pour avoir vu ces choses-là. Tout ce que vous dites est vrai. Je vois les Affaires indiennes comme une misère, une industrie de misère. Souvent, je pense à tous les gens qui, au fil du temps... à tous les Blancs qui ont fait des gains sur le dos des Indiens — il y en a eu beaucoup. C'est toute une industrie, il y a tout un ministère qui s'occupe de cela à Ottawa. Ces gens-là ont un emploi tout simplement parce qu'il y a des Indiens au pays, il y a tout ce ministère des Affaires indiennes et du Nord, des milliers et des milliers de Blancs qui travaillent et qui ont un travail parce qu'il y a des Indiens.
C'est là la vérité, c'est là une réalité. Pourquoi voudraient-ils changer? Enfin, pourquoi travailleraient-ils à perdre leur emploi? Conserver son travail, c'est la nature humaine.
Voilà une réalité politique. Exactement comme vous le dites. Vous parlez du projet de Harvard et de l'importance de l'autonomie, de l'espoir que notre pays puisse partager avec vous toutes les ressources, de l'espoir que vous deveniez indépendants. Tout ça est assez extraordinaire, ce sont de très beaux idéaux.
Les Canadiens sont mis au défi d'agir. En règle générale, ils ne veulent pas voir les Autochtones vivre ainsi. Ils veulent que la situation s'améliore. Ils dépensent neuf milliards de dollars par année, sinon plus pour essayer d'y arriver. Tout le monde au Canada, tous ceux qui ne sont pas Autochtones, la plupart des Blancs, se sentent coupables face à la façon dont les Autochtones ont été traités.
C'est une misère pour le Canada sur le plan international. Quand il critique ce qui se passe en Afrique, pour ne pas mentionner de nombreux autres pays, les gens lui répondent : « Qu'en est-il de vos Premières nations? Qu'en est-il de la pauvreté, du fait que vous ayez fait de vos Autochtones des citoyens de seconde zone? » et ainsi de suite. C'est donc un peu honteux pour le Canada; il y a une certaine culpabilité à ce sujet, c'est pour cela en partie qu'on continue tout simplement à consacrer des fonds à ce problème. On veille à ce que les fonds coulent toujours, en pensant, en partie, que cela va régler la situation des Autochtones.
Les Canadiens ne savent pas comment améliorer la situation. Je suis vraiment de cet avis. Je crois que la plupart des Canadiens éprouvent de la sympathie pour les Autochtones, mais ils ne savent pas comment procéder. Selon eux, la façon de procéder, c'est de continuer à transférer de l'argent aux Premières nations — cela devrait régler le problème —, mais il n'y a pas que ça.
En partie, ce sont les Premières nations elles-mêmes qui doivent faire le travail, à mon avis. Comme vous le dites, les Blancs ne peuvent jamais le faire à votre place, à notre place; il faut le faire soi-même. À un moment donné, si nous reconnaissons, en tant que Premières nations, qu'il nous appartient à nous de nous sortir de cette situation, de la pauvreté et ainsi de suite, je crois que ce sera déjà un bon bout de chemin fait dans la bonne direction.
Les Canadiens ont donc un défi à relever, mais les Premières nations aussi ont un défi à relever, tout comme les dirigeants en place et les jeunes comme vous; ce n'est pas futile.
C'est comme prier. Souvent, je me demande si mes prières ont quelque sens, s'il y a un Dieu qui écoute là haut et qui entend ma petite prière à moi. Cela a-t-il un sens ou est-ce que je perds tout simplement mon temps? Vous qui êtes là aujourd'hui éprouvez probablement le même sentiment. Mes propos ont-ils une quelconque importance? Allons-nous écouter? Allons-nous être en mesure d'influer sur le gouvernement pour que les choses s'améliorent?
Je dois croire qu'il y a de l'espoir. Il faut avoir de l'espoir. Il faut croire qu'il est possible, au Canada, d'instaurer un changement et d'améliorer la situation, mais, pour cela, il faut beaucoup de détermination et beaucoup de travail de la part de tout le monde, du gouvernement notamment, mais aussi des gens comme vous.
Le président : Merci.
Le sénateur Sibbeston : Amen.
Le président : Amen.
Le sénateur Dyck : Je crois qu'il y a, de la part de nos trois premiers témoins tout au moins, une préoccupation à propos de la corruption entourant les élections. Je me demande si vous croyez que, avec les modifications à venir, les pratiques du genre seront contenues ou éliminées de quelque façon? Sinon, recommandez-vous une amélioration quelconque du système électoral pour éliminer ou réduire autant que possible ces pratiques?
M. McIvor : Comme pour toute autre chose, il faut les freins et contrepoids appropriés. Il faut des mécanismes de responsabilité qui sont déclenchés, un filet de sécurité pour les gens qui se trouvent en difficulté. La question est la suivante : qui va créer les freins et contrepoids? Est-ce que ce sera Affaires indiennes? Est-ce que ce sera le Canada? Est- ce que ce sera les chefs? Est-ce que ce sera le peuple? Est-ce que ce sera un code uniforme commun à tous? La Cour suprême a affirmé que nos peuples sont uniques et distincts — c'est comme cela que nous sommes définis au Canada. D'accord, chaque communauté est unique et distincte.
Ma communauté se trouve à 60 milles de Long Plain; il y a là beaucoup de différences déjà. Ce ne sont pas seulement les idéaux dont il est question, mais aussi le climat politique qui façonne votre communauté. Comment en arriver à un juste milieu? Quel est le système de réparation, le système d'appel, le système de destitution qu'il faut? Quelles sont les peines prévues pour, disons, le non-respect de ces conditions-là? D'où vient l'argent?
Nous avons les ressources humaines nécessaires pour le faire nous-mêmes. Ce sont les ressources financières qui constituent un gros point d'interrogation. Si le partage des revenus était instauré, pour que nous puissions progresser vers l'autonomie indépendante, qui nous permettra d'avoir nos propres freins et contrepoids, nous pourrions y arriver. Il y a des gens très intelligents partout au pays, des médecins, des avocats, des sénateurs, des politologues. Chaque domaine, chaque secteur professionnel compte des gens des Premières nations. Il y en a de plus en plus, d'année en année. Nous avons donc les ressources humaines nécessaires pour créer nos propres systèmes, notre propre gouvernance, avec les freins et contrepoids nécessaires pour rendre des comptes.
Mais encore, il faut définir de quoi il s'agit. Je regarde ma façon à moi de définir la responsabilité : je suis responsable devant ma femme et ma famille. C'est tout à fait différent, par contre. Je parle ici de la responsabilité politique.
Le chef et le conseil sont responsables devant AINC. Les gens n'ont rien à dire là-dedans. Ils peuvent toujours aller se plaindre à AINC. AINC, de son côté, peut faire comme bon lui semble. Il suffit d'une signature du ministre pour vous éliminer en tant que chef.
Bon, est-ce que ce sera en place? Cette politique d'intervention sera-t-elle en place? Il y a tant de questions auxquelles il faut trouver une réponse avant de commencer à élaborer un modèle en ce sens. Tout de même, il faut cela, avec le consentement du peuple. Si vous vous installez et que vous écoutez les chefs partout au Canada, bien entendu, vous allez entendre dire : ah oui, nous allons appuyer cela. Savez-vous, si j'étais chef moi-même, je viendrais vous dire moi aussi : oui, allez-y, faisons cela. Après tout, vous doublez mon mandat et vous me garantissez un emploi pour deux années encore. Parlez aux gens, ils peuvent faire cela.
M. Starr : Vous voulez savoir si je crois à la possibilité de ces changements-là — eh bien, un des témoins a mentionné qu'il n'y a pas d'opposition dans les réserves. Ce que j'essaie de faire, c'est de créer une opposition, justement. Le conseil des étudiants autochtones de l'Université de Winnipeg a conçu un plan. Nous avons conçu une série de plans simples pour la préservation de la langue, la prévention du suicide aussi, pour nous assurer d'avoir de bons leaders. Même si ma petite rébellion est un échec, je ne m'en préoccupe pas vraiment. Tout ce que je veux, c'est que les gens se déprennent du désespoir qui les tient.
Je crée pour eux cette opposition, je les mets au défi. Ce ne sont pas forcément des modifications législatives qui vont créer les améliorations nécessaires; ce sera le fait de mobiliser les gens. Les gens vont mettre les leaders au défi d'agir. C'est le tout premier élément à retenir, à mon avis, l'éducation étant le deuxième. Ce sont les deux grandes priorités.
M. Traverse : J'aimerais que la démarche rejoigne vraiment la base, pour que les gens puissent s'instruire un peu et comprendre ce qui se passe. Nous devons affronter d'autres questions, à part ce projet à propos des élections. Il faut penser aux dispositions législatives, à l'article 35, et ainsi de suite. J'en suis tout à fait convaincu : nous devons commencer à la base même.
Bien entendu, ce sont les chefs qui sont élus, mais le véritable mandat provient du peuple à la base, pour que le projet devienne une réalité. Merci.
Le président : Eh bien, voilà qui est juste. Les chefs sont élus, mais ils sont aussi « tassés » à un moment donné; ils finissent donc par faire partie de la base.
Nous vous écoutons attentivement. Chacun apporte, à mon avis, un point de vue qui est tout aussi important que le précédent. Je crois que vos interventions sont aussi importantes que celles des chefs. Je suis sûr que le comité est du même avis.
Le temps est notre ennemi juré, mais nous devons agir pour changer les choses. Si c'est une différence importante qui s'amène — je veux dire, un jour — et je parle non pas à titre personnel, mais plutôt à titre de président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones —, je dois dire que le comité a d'excellentes chances de déclencher les changements que vous estimez nécessaires.
Il y a toute une série de problèmes et d'éléments complexes qui entrent en jeu. Cependant, même le plus long voyage commence par un petit pas. Je crois que notre recommandation reflétera ce que vous avez vraiment dit, tous les quatre, soit que le processus de recommandation doit tenir compte de la base, pour que les idées de celles-ci ne soient pas éliminées et que les idées ne soient pas imposées d'en haut.
Cela dit, je tiens à vous remercier d'être venus témoigner et j'espère pouvoir travailler avec vous bientôt. Si vous avez d'autres observations à formuler, veuillez les transmettre à la greffière de notre comité. Nous allons certainement les prendre au sérieux dans les délibérations que nous devons mener et notamment au moment de dresser la liste des recommandations à faire.
N'oubliez pas : nous n'allons pas imposer quoi que ce soit; nous allons seulement recommander. Il est à espérer que nos recommandations seront prises au sérieux — ce qui a été le cas dans le passé. Il y a donc beaucoup d'espoir.
Merci.
Encore une fois, les sénateurs qui ont participé à la réunion sont : le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, le sénateur Lang, du Yukon; le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest — comme il vous l'a dit, il a passé onze années de sa vie dans un internat, il sait donc de quoi il parle; le sénateur Dyck, qui est autochtone, de la Saskatchewan; le sénateur Robert Peterson, de la Saskatchewan; le sénateur Lovelace Nicholas, Autochtone, du Nouveau-Brunswick; et moi-même, je me trouve à être métis. Je suis originaire du Manitoba. Les chevaux blancs le long de la route, vous savez? C'est dans ce coin-là que j'habitais auparavant.
(La séance est levée.)