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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 10 - Témoignages du 2 juin 2009


OTTAWA, le mardi 2 juin 2009

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 29 pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions relatives aux élections selon la Loi sur les Indiens).

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je veux souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs, aux membres du public et aux téléspectateurs de tout le pays qui suivent ces délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le réseau CPAC et sur Internet. Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique. J'ai l'honneur de présider le comité. Le mandat du comité consiste à examiner des dispositions législatives et des questions qui intéressent les peuples autochtones du Canada.

Le 1er avril, le comité a décidé de mener une étude sur les questions liées aux élections tenues aux termes de la Loi sur les Indiens. Le comité examine les préoccupations actuelles se rapportant au système électoral prévu dans la Loi sur les Indiens, y compris le mandat de deux ans que prévoit actuellement la Loi sur les Indiens pour le chef et les membres du conseil. Le comité sénatorial sollicite les points de vue des dirigeants des Premières nations, des organisations autochtones, des membres des Premières nations et des spécialistes du domaine quant à d'éventuels changements qu'il faudrait apporter au régime électoral prévu par la Loi sur les Indiens pour améliorer la gouvernance des Premières nations, y compris le renforcement de la responsabilité politique des dirigeants envers les citoyens des Premières nations.

À l'intention de nos téléspectateurs, je signale que 252 bandes indiennes tiennent des élections aux termes de la Loi sur les Indiens. Cela représente environ 40 p. 100 de toutes les bandes indiennes au Canada. Nous traitons uniquement de ce groupe. Les autres choisissent leurs dirigeants en vertu d'ententes sur l'autonomie gouvernementale ou selon d'autres mécanismes de désignation des dirigeants, par exemple les systèmes héréditaires ou claniques.

Ici, nous parlons d'environ 252 bandes indiennes qui relèvent à cet égard de la Loi sur les Indiens.

[Français]

Pour discuter de notre étude sur les élections tenues en vertu de la Loi sur les Indiens, nous recevons aujourd'hui deux experts des questions autochtones. Mais avant d'entendre ce qu'ils ont à dire sur le sujet, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont présents.

[Traduction]

Les membres du comité qui sont présents ce matin sont le sénateur Brazeau, du Québec, le sénateur Lang, du Yukon, le sénateur Martin, de la Colombie-Britannique, le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Dyck, de la Saskatchewan, le sénateur Peterson, de la Saskatchewan, le sénateur Carstairs, du Manitoba, et le sénateur Fairbairn, de l'Alberta.

Honorables sénateurs, permettez-moi de vous présenter les deux témoins qui nous exposeront leurs points de vue ce matin. Il s'agit de membres du Comité consultatif ministériel conjoint, le CCMC, qui a été créé en 2001 pour fournir des conseils techniques au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien relativement à d'éventuelles modifications des dispositions de la Loi sur les Indiens qui touchent la gouvernance. La sélection des dirigeants et les droits de vote sont des thèmes clés sur lesquels le CCMC a dispensé des conseils techniques.

Nous accueillons donc Mme Wendy Cornet, qui représentait le Congrès des Peuples autochtones au sein du CCMC. Cette consultante compte 30 années d'expérience comme analyste des politiques et chercheuse spécialiste des relations gouvernementales, des droits de la personne et des questions juridiques intéressant les peuples autochtones. Elle a travaillé pour plusieurs organisations autochtones nationales et régionales ainsi que pour diverses collectivités des Premières nations. Ses travaux ont porté sur les droits de la personne, les droits ancestraux et issus des traités, la Loi sur les Indiens, sur des questions relatives au Nord et aux Inuits, aux droits fonciers et à l'autonomie gouvernementale, et sur des dossiers autochtones constitutionnels et internationaux. Elle est l'auteure d'articles de journaux, de chapitres de livres et d'importants rapports sur des questions autochtones. Elle a animé de nombreux ateliers sur des questions autochtones, y compris la consultation et la gouvernance.

Notre deuxième témoin est James R. Aldridge, c.r., qui était coprésident du CCMC. M. Aldridge, un avocat de Vancouver, est professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique. Il représente la nation Nisga'a dans les négociations relatives au traité depuis 1980, et il a été l'avocat principal dans ces négociations pendant la plus grande partie de cette période. Il est membre de l'équipe juridique qui représente la Manitoba Métis Federation dans sa poursuite judiciaire actuelle concernant les droits fonciers des Métis aux termes de la Loi sur le Manitoba. M. Aldridge a également représenté un certain nombre d'autres clients dans le domaine du droit autochtone ainsi que dans les domaines du droit constitutionnel, administratif, et de l'immigration. Il aime donner des conférences et enseigner; il participe régulièrement, parfois en qualité de président, aux travaux de divers comités et à des conférences juridiques.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux, ce matin. Nous sommes heureux que vous ayez pu venir nous exposer vos points de vue sur les élections menées aux termes de la Loi sur les Indiens. Avant de donner la parole à Mme Cornet, j'ai un mémoire à faire circuler, qui n'est qu'en anglais. Est-ce que les membres du comité veulent avoir en main un exemplaire de ce mémoire pendant l'exposé?

Le sénateur Carstairs : Non.

Le président : Cela est refusé. Madame Cornet, nous allons écouter votre exposé.

Le sénateur Carstairs : Il sera distribué lorsqu'il aura été traduit.

Le président : Oui, il sera distribué une fois traduit. C'est bien cela. Il sera versé au compte rendu traduit, de toute façon. Est-ce que vous demandez une traduction et une distribution particulière, sénateur?

Le sénateur Carstairs : Non, je veux simplement qu'il soit diffusé dans les deux langues officielles.

Le président : Cela sera figurera dans le compte rendu.

Le sénateur Carstairs : Merci.

Wendy Cornet, à titre personnel : Aujourd'hui, je vais parler de certaines des grandes questions de politique et de processus qui me paraissent liées à l'examen de toute initiative législative proposée relativement aux élections tenues dans les collectivités des Premières nations. Je vais également traiter des questions juridiques directement liées aux élections dont vous avez entrepris l'étude. Je le ferai pour illustrer les grandes questions stratégiques qui, inévitablement, surviennent lorsque des propositions législatives fédérales ciblent des questions comme la loi électorale, qui se répercuteront très certainement sur le droit à l'autonomie gouvernementale des Premières nations.

Un thème commun de mes commentaires est la nécessité de réfléchir plus à fond à des stratégies et à des mécanismes de règlement des différends. Au niveau national, il nous faudrait un processus mixte pour discuter des programmes respectifs de changement législatif et stratégique. Je crois que le chef régional Shawn Atleo a abordé certaines de ces questions lorsqu'il est venu ici.

Ni la politique fédérale sur l'autonomie gouvernementale ni les déclarations fédérales concernant la politique de consultation et l'obligation juridique du gouvernement en matière de consultation ne traitent de la façon dont les propositions législatives devraient être élaborées et pilotées par l'exécutif avant d'être présentées au Parlement sous forme de projet de loi.

Malgré la promulgation de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la reconnaissance de principe, dans la politique fédérale sur l'autonomie gouvernementale, de l'existence d'un droit inhérent des Premières nations à l'autonomie gouvernementale, protégé par l'article 35, les Premières nations sont régulièrement priées d'accepter des interventions législatives fédérales à titre de mesures temporaires, en attendant leur accession à l'autonomie gouvernementale. De plus en plus, on s'efforce de modifier graduellement la Loi sur les Indiens sans offrir de tribune ni discuter des questions plus générales concernant la politique sur l'autonomie gouvernementale. Pourtant, le gouvernement fédéral lui-même a, à maintes reprises, reconnu qu'à l'échelle nationale, les travaux visant à instaurer des ententes sur l'autonomie gouvernementale étaient d'une lenteur inacceptable et que la politique fédérale sur l'autonomie gouvernementale n'avait pas suivi le rythme de la jurisprudence connexe à l'article 35.

Le problème en termes de processus de gestion des conflits, au niveau national, a été amplement confirmé par diverses initiatives législatives. Je pense notamment à un cas où M. Aldridge, moi-même et le sénateur Brazeau sommes intervenus. Faute d'un processus politique mixte pour gérer les grands dossiers stratégiques, les Premières nations et le gouvernement fédéral aboutissent constamment à une impasse. Un processus mixte devrait permettre de déterminer quelles initiatives législatives et stratégiques constituent des priorités communes et comment il convient de les mener.

Au niveau communautaire, il faut généralement créer des institutions et renforcer les capacités pour régler diverses questions d'accès à la justice et de règlement des différends, y compris les appels en matière électorale. Ces problèmes ne peuvent pas être réglés de façon efficace ou économique par de simples directives législatives imposées unilatéralement aux conseils assujettis à la Loi sur les Indiens pour qu'ils créent des mécanismes locaux de règlement des différends. Il faut aussi prendre des engagements concernant les ressources nécessaires pour appuyer ces mécanismes et établir un plan de travail pour régler l'éventail plus large des besoins en matière de règlement des différends, qui peuvent porter tant sur les droits de la personne que sur les droits fonciers dans les réserves.

Les gouvernements fédéraux qui se sont succédé ont présenté des initiatives législatives touchant la Loi sur les Indiens et qui supposent la suspension provisoire du programme stratégique global d'autonomie gouvernementale. En l'absence de ce programme général, les Premières nations sont donc priées d'envisager des modifications successives.

La difficulté à laquelle les députés et sénateurs se heurtent souvent semble être que le dépôt de propositions modifiant la Loi sur les Indiens suscite inévitablement plusieurs questions politiques fondamentales. Premièrement, pourquoi ces propositions ou modifications précises sont-elles placées au haut de la liste plutôt que d'autres? Qui détermine les priorités législatives absolues des Premières nations? Pourquoi le gouvernement fédéral peut-il décider du moment et des modifications à présenter, et non pas les Premières nations et le Canada dans le cadre d'un processus politique conjoint? Finalement, il y a la réalité concrète, la philosophie et les hypothèses sous-jacentes à la Loi sur les Indiens dans son ensemble, et ces aspects font toujours problème lorsque l'on cherche à réformer la Loi sur les Indiens, quelle que soit l'ampleur du projet de réforme et malgré les bonnes intentions de ses promoteurs.

Les initiatives fédérales destinées à réformer la Loi sur les Indiens s'accompagnent en outre toujours d'un effort pour limiter les gouvernements des Premières nations, pour en faire des organisations aussi semblables que possible aux notions non autochtones de gouvernance et de démocratie, sans trop s'efforcer d'explorer ou de vraiment comprendre ensemble les concepts de gouvernement et de démocratie propres aux Premières nations.

Un aspect important du contexte politique et stratégique général dans lequel votre étude s'inscrit est le fait que la Loi sur les Indiens et les politiques fédérales, notamment la Politique sur la conversion à un système électoral communautaire, constituent des efforts en vue de réglementer le choix des dirigeants pour les Premières nations qui n'ont pas encore négocié d'entente sur l'autonomie gouvernementale.

Homi Bhabha, un éminent spécialiste de la théorie culturelle, a publié des remarques acerbes sur la dynamique et la psychologie des rapports coloniaux. Il a expliqué le phénomène d'imitation et le caractère ambivalent des stéréotypes coloniaux. Ce concept d'imitation peut être décrit comme l'impulsion du pouvoir colonial de créer et de contrôler

un « Autre » réformé, reconnaissable, sujet d'une différence qui est presque identique mais pas tout à fait.

Il décrit l'imitation comme une stratégie complexe de réforme, de réglementation et de discipline qui approprie l'Autre et vise à créer des versions autorisées de la différence. M. Bhabha voit en outre une ambivalence évidente dans la façon dont le colonisateur passe de la promotion de l'imitation — un état où la différence est quasi nulle, mais pas tout à fait — à la menace, aux concepts stéréotypés des différences perçues chez le colonisé et qui sont considérés comme presque absolus, mais pas tout à fait.

Si l'on applique cette analyse au contexte de la Loi sur les Indiens, je crois que c'est la crainte qui joue, la perception stéréotypée que les Premières nations sont si différentes de la société dominante qu'il faut les contrôler et les réglementer afin de produire un stéréotype plus confortable, fondé sur la croyance en l'imitation : nous pouvons transformer les Premières nations et leurs gouvernements en versions différentes mais autorisées de sociétés non autochtones.

Essentiellement, la Loi sur les Indiens réglemente non pas un quelconque concept de Premières nations ou de gouvernance des Premières nations, mais bien les stéréotypes depuis longtemps appliqués aux Premières nations. La seule façon de faire éclater ces stéréotypes consiste à entamer un dialogue véritable dans le cadre d'un processus de négociation conjoint fondé sur les notions d'égalité entre les peuples et de droit à l'autonomie gouvernementale.

À en croire les stéréotypes actuels, qui ont cours depuis les tout premiers efforts visant à contrôler la gouvernance des Premières nations, les Premières nations n'ont pas de traditions de gouvernance autre qu'un régime imposé par le colonisateur ou, à tout le moins, pas de traditions de gouvernance reconnaissables ou dignes de reconnaissance par le colonisateur. Dans un contexte plus contemporain, cette façon de penser suppose que la réconciliation prévue par l'article 35, malgré au moins un siècle d'intrusions et d'ingérence, ne peut se faire que si les Premières nations acceptent les hypothèses et les valeurs les plus fondamentales de la société dominante au sujet de la gouvernance. Ce conflit est toujours sous-jacent lorsqu'une initiative législative fédérale est présentée par le pouvoir exécutif plutôt qu'à la suite d'un processus politique conjoint.

Depuis 1982, chaque fois que l'on envisage l'avenir de la Loi sur les Indiens, on oublie d'évaluer dans quelle mesure la Loi sur les Indiens en général, et notamment les dispositions précises concernant la tenue des élections, et les politiques fédérales connexes à cette loi, dont la politique sur la conversion à un système électoral communautaire, contreviennent injustement aux droits garantis par l'article 35. Quand il s'agit de la Loi sur les Indiens, les questions liées à la charte et les questions de gouvernance en général sont souvent au rang des préoccupations. Il semble plutôt bizarre que malgré les nombreux mémoires présentés par les Premières nations et toute la documentation disponible à ce sujet, y compris quelques importants rapports de comités parlementaires, cet aspect de l'analyse ne fasse jamais partie des thèmes des consultations relatives aux projets de modification de la Loi sur les Indiens.

La conformité à la charte de la Loi sur les Indiens a été évaluée, tout comme celle d'autres lois fédérales, avant l'entrée en vigueur de la charte. Apparemment, toutefois, aucun exercice de ce genre n'a été mené pour veiller à ce que les droits prévus à l'article 35 entrent en compte et à ce que les empiétements soient minimisés dans l'application continue de la politique législative fédérale et des pouvoirs administratifs prévus dans la Loi sur les Indiens. Un tel exercice semblerait particulièrement opportun et nécessaire si l'on envisage des modifications ou changements fondamentaux de la Loi sur les Indiens dans le domaine de la gouvernance et des élections.

On peut aussi soutenir que les droits ancestraux et issus de traités sont, essentiellement, un type de droits de la personne. Ce point de vue est étayé par le traitement que les Nations Unies ont réservé à ces droits en adoptant la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.

Parmi les dispositions qui devraient probablement faire l'objet d'une analyse fondée sur l'article 35, mentionnons le pouvoir qu'a le ministre des Affaires indiennes, en vertu de l'article 74 de la Loi sur les Indiens, d'imposer le système d'élection prévu dans la Loi sur les Indiens. La détermination du mandat précis du chef et des membres du conseil aux termes de la Loi sur les Indiens nous paraît relever dans une large mesure du contrôle local comme le veut le concept de droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Si tel n'est pas le cas, il est difficile d'imaginer une question qui relèverait de ce contrôle.

Pour ne pas effectuer d'analyse fondée sur l'article 35 afin de valider ses propositions législatives aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1967, le gouvernement fédéral invoque le plus souvent l'argument que la jurisprudence élaborée pour définir les droits existants et issus des traités s'appuie sur l'analyse locale, c'est-à-dire qu'un droit doit être établi par une preuve relative à la portée et à la nature d'un droit particulier dans un lieu géographique donné. Les tribunaux ont eu recours à ce type d'analyse spécifique au lieu géographique principalement dans les cas de poursuites concernant les droits de pêche et de chasse sur les terres fédérales.

Ce qui n'a pas été fait, en matière d'analyse de la politique fédérale ou en matière de politique fédérale, c'est d'examiner la façon dont les droits ancestraux et issus des traités peuvent être analysés suivant une perspective nationale à des fins politiques dans le contexte des activités législatives intéressant les terres de réserve ou les personnes qui y vivent.

Dans l'arrêt Guérin c. la Reine, la Cour suprême du Canada a établi que les terres de réserve ne pouvaient pas être considérées comme ayant une nature distincte du droit ancestral. Elles semblent avoir doit à une certaine forme de protection aux termes de l'article 35. On pourrait donc croire, comme la représentante du ministre dans le dossier des biens immobiliers matrimoniaux sur les réserves, Wendy Grant-John, l'a laissé entendre dans son rapport de mars 2007, que le gouvernement devrait effectuer une analyse aux termes de l'article 35 avant et pendant l'élaboration de toute option législative ainsi que pendant tout le processus législatif qui s'appliquerait aux terres des réserves et à leurs habitants.

Le gouvernement utilise aussi un autre argument pour expliquer pourquoi il ne vérifie pas régulièrement la conformité à l'article 35 avant de proposer des dispositions législatives fédérales prises à l'égard des Autochtones aux termes du paragraphe 91(24) : les droits ancestraux et issus de traités ne seraient pas spécifiquement définis dans la Loi constitutionnelle comme le sont les droits garantis par la charte. Cet argument paraît à la fois fallacieux et désuet, compte tenu de l'importante jurisprudence liée à l'article 35 qui s'accumule depuis 1982 et aux nombreuses affaires précisant la nature des intérêts des Premières nations dans les terres de réserve.

Prise dans son ensemble, cette jurisprudence semble indiquer qu'il serait possible d'analyser en fonction de l'article 35 les répercussions que pourraient avoir les initiatives législatives fédérales sur les droits ancestraux et issus de traités des Premières nations, qu'il s'agisse de gouvernance ou d'intérêts fonciers dans les réserves. Ce travail est depuis trop longtemps relégué à la catégorie des tâches « trop difficiles ». C'était certainement l'opinion de plusieurs spécialistes reconnus qui ont comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles en 2007, dont mon collègue Jim Aldridge, M. John Merit, Roger Jones et M. Brad Morse. Dans son rapport final — Prendre au sérieux les droits confirmés à l'article 35 —, le comité recommandait que le Canada établisse un processus officiel pour valider les dispositions législatives fédérales en fonction de l'article 35, comme s'il s'agissait d'une exigence législative concernant une analyse de conformité à la charte.

Le comité proposait aussi d'élaborer des critères régissant la réalisation d'une telle analyse, en collaboration avec divers ministères et avec les peuples autochtones, et que ces critères ne soient pas figés, mais bien qu'ils puissent être révisés de temps à autre pour refléter l'évolution de la situation juridique et des circonstances factuelles.

Je terminerai par quelques commentaires sur la question de la journée d'élection commune. Moins de la moitié des Premières nations appliquent le système électoral prévu à l'article 74 de la Loi sur les Indiens, et la tendance indique que de plus en plus de Premières nations abandonnent le système électoral prévu à l'article 74 pour adopter des systèmes traditionnels ou définis en vertu d'ententes sur l'autonomie gouvernementale. En conséquence, on se demande quel est l'intérêt de légiférer pour fixer une journée d'élection commune pour les bandes assujetties à l'article 74 plutôt que d'adopter une disposition reconnaissant le pouvoir ou le droit de toutes les Premières nations ou bandes de fixer elles-mêmes la durée du mandat. Comme d'autres témoins l'ont suggéré, les avantages que présente une journée d'élection commune sont une question qui devrait être déterminée par les organisations régionales des Premières nations, notamment les conseils tribaux, ou les organisations provinciales de Premières nations. De la sorte, la question de la journée d'élection commune sera tranchée par les personnes qui sont à la fois habilitées et qualifiées pour le faire.

Les organisations des Premières nations auraient aussi le pouvoir politique et la capacité d'inclure un plus large éventail de Premières nations que ne le ferait une modification fédérale dont la portée serait limitée aux conseils de bande instaurés aux termes de la Loi sur les Indiens et assujettis à l'article 74. En outre, cela permettrait aux Premières nations de dresser leur propre calendrier politique et législatif plutôt que de devoir suivre les méandres d'un processus législatif fédéral sur lequel elles n'exercent aucun contrôle. Si c'est ce que veulent les Premières nations, alors la fonction la plus appropriée pour le gouvernement fédéral serait d'aider les Premières nations à tenir de telles discussions entre elles et de répondre à toute proposition législative qui viendrait des Premières nations à ce sujet.

Le président : Monsieur Aldridge, nous vous écoutons.

Jim Aldridge, à titre personnel : C'est un honneur et un privilège que d'être de nouveau invité à comparaître devant votre comité, en particulier vu l'importance du sujet. J'espère sincèrement que mes commentaires, ce matin, aideront les membres du comité dans leurs délibérations.

Comme l'ont indiqué le président et Mme Cornet, je crois que j'ai été invité ici aujourd'hui en raison de mon expérience de coprésident de ce qui s'appelait le Comité consultatif ministériel conjoint. Le CCMC est le nom qui a été donné au comité au moment de sa création, en novembre 2001, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l'époque, l'honorable Robert Nault, qui le chargeait de lui dispenser des conseils techniques relativement à d'éventuelles modifications des dispositions sur la gouvernance dans la Loi sur les Indiens. Le processus a donné lieu au malheureux projet de loi C-7, une Loi sur la gouvernance des Premières nations, qui a été déposée au Parlement mais qui n'a jamais été promulguée.

Au cours du débat sur le projet de loi C-7, j'ai trouvé une citation que j'ai transmise au ministre. Je ne sais pas si cela l'a réconforté, mais il me semble opportun de la rappeler ici, aujourd'hui. Elle est tirée d'un ouvrage intitulé The Ingenuity Gap, par Thomas Homer-Dixon. M. Homer-Dixon, qui cite Machiavel :

Même dans les meilleures circonstances, il est difficile de réformer les institutions ou d'en créer de nouvelles. Comme l'écrivait Machiavel en 1513 dans Le Prince, « il n'y a point d'entreprise plus difficile, plus douteuse, ni plus dangereuse que celle de vouloir induire de nouvelles lois. Parce que l'auteur a pour ennemis tous ceux qui se trouvent bien des anciennes, et pour tièdes défendeurs ceux mêmes à qui les nouvelles tourneraient à profit. »

Votre comité s'attaque à une tâche et à un ensemble de questions fort difficiles.

Notre tâche consistait à étudier ce genre de choses, mais elle ne se limitait pas à cela. La composition de notre comité était plutôt remarquable. J'ai eu l'honneur de coprésider le comité avec M. Roy Bird, qui était alors directeur général d'Affaires indiennes et du Nord Canada pour la Saskatchewan. Parmi les autres membres, il y avait deux avocats de Justice Canada; une représentante de l'Association nationale des femmes autochtones; M. Bernd Christmas, qui était alors directeur général de la Première nation Membertou et membre à titre personnel; mon amie et collègue Mme Wendy Cornet, au nom du Congrès des peuples autochtones, appuyée quotidiennement et très opportunément par le sénateur Brazeau; M. Roger Jones, pour l'Assemblée des Premières Nations et par la suite au nom d'un certain nombre de groupes régionaux.

Malgré la diversité des personnes réunies à cette table, nous avons réussi à établir un consensus remarquable. Nous avons publié un rapport unanime qui a été remis au ministre le 8 mars 2002. Dans mes notes de l'époque, j'ai indiqué qu'il avait été publié sur le site web du ministère peu de temps après. Je l'ai cherché, hier, mais il semble qu'il ait disparu de la pyramide ou, peut-être, qu'il ait été classé dans un endroit où mes modestes habiletés de recherche sur le web ne m'ont pas permis de le trouver. Je suis certain que le très compétent personnel du comité en trouvera un exemplaire et l'époussettera un peu, au cas où quelqu'un voudrait le lire. Pour une raison quelconque, le ministère ne l'affiche plus sur son site web.

Un projet de loi a ensuite été rédigé et déposé, dans le cadre du processus. Le projet de loi C-7 ne reprenait pas toutes nos recommandations, mais nous nous y attendions. Nous avons agi uniquement à titre consultatif et nous n'avons pas participé à la rédaction du projet de loi. Il y a eu d'autres contributions d'autres sources. Le projet de loi a suscité un vif débat. Le bureau national de l'Assemblée des Premières Nations l'a condamné, car selon lui il contrevenait à la Constitution en termes de droits ancestraux et issus de traités et il était l'aboutissement d'un processus de consultation très imparfait. Le gouvernement fédéral, par contre, y voyait un moyen de réduire les ingérences inopportunes dues aux dispositions complètement désuètes de la Loi sur les Indiens en matière de gouvernance, en attendant les négociations et la mise en œuvre du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

Notre processus s'était déroulé avant cela. Nous comprenions que l'initiative s'inscrivait dans un contexte qui existe encore aujourd'hui, dans lequel divers processus sont menés concurremment pour permettre aux Premières nations de négocier des ententes relativement à divers aspects de l'autonomie gouvernementale. Il y a des négociations aux termes de la Politique sur le droit inhérent et de la Politique des revendications territoriales globales. Dans notre province, monsieur le président, il y a le Processus des traités de la Colombie-Britannique et la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Toutes ces initiatives, d'une façon ou d'une autre, intéressent la question de l'autonomie gouvernementale.

Ces processus appuient implicitement la notion qu'il est non seulement probable mais encore inévitable, dans un pays aussi diversifié que le Canada, qu'il existe tout un éventail de solutions aux difficiles questions de l'autonomie gouvernementale, y compris celles que votre comité étudie. Ces processus reconnaissent que des solutions durables peuvent être élaborées uniquement si chaque Première nation participe directement à leur conception et définit les détails de son propre régime d'autonomie gouvernementale et de sa relation permanente avec le gouvernement du Canada. Les aspirations de chaque Première nation sont uniques, il n'existe pas d'approche universelle qui pourrait donner à chacune les outils qu'il lui faut pour répondre à ses besoins et aspirations propres.

Toutefois, ces processus sont lents. Ils nécessitent du temps et des ressources. Entre-temps, les bandes, et en particulier celles qui sont assujetties à l'article 74 et qui font l'objet de votre étude, doivent continuer de fonctionner en vertu des dispositions archaïques et paternalistes de la Loi sur les Indiens qui, de l'avis de tous, ne sont pas particulièrement efficaces.

Je crois qu'il ne servirait à rien de simplement modifier ces dispositions tant qu'elles seront administrées par un ministère « qui perpétue un héritage empreint de colonialisme et de paternalisme ». Ce sont là les mots que votre comité a utilisés dans une existence antérieure, dans une excellente étude sur la mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales globales.

Une amie et collègue du Yukon est un chef très pince-sans-rire. Elle m'a fait remarquer un jour que personne ne s'étonnait qu'il y ait au ministère des Affaires indiennes une direction appelée Direction de l'autonomie gouvernementale. De fait, il est fort ironique de trouver une Direction de l'autonomie gouvernementale au ministère des Affaires indiennes.

Nous devions examiner la possibilité d'instaurer une mesure progressive qui aurait des avantages immédiats pour la gouvernance des Premières nations. Cela devait faciliter plutôt que d'entraver l'établissement d'ententes durables sur l'autonomie gouvernementale. Nous avions pour instructions de formuler des recommandations concernant la rédaction de modifications qui : ne porteraient pas atteinte aux droits existants — ancestraux ou issus de traités; ne modifieraient pas la relation de nature fiduciaire qui lie les Premières nations à la Couronne; seraient compatibles avec les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et notamment l'article 25; maximiseraient la capacité de chacune des bandes à choisir son propre régime de gouvernance tout en offrant la faculté à celles qui le préfèrent d'opter pour un régime de fonctionnement prévu dans la loi; établiraient des règles fondamentales d'imputabilité financière et politique applicables à toutes; n'imposeraient pas d'obligations dont nombre des bandes seraient incapables de s'acquitter à cause de carences en matière de ressources ou de capacité ou bien à cause d'une population peu nombreuse.

Notre étude était très ambitieuse. Les membres du comité devaient examiner et discuter des exigences ou impositions qui pourraient de bon droit être inscrites à la loi et, au bout du compte, s'entendre sur le plus petit nombre possible d'entre elles. Il faut comprendre qu'il est toujours possible de revenir à ce que l'on appelle la coutume.

Comme le président l'a indiqué, environ 40 p. 100 des bandes au pays sont assujetties à la Loi sur les Indiens. Les autres ont soit conclu des ententes contemporaines sur l'autonomie gouvernementale, par exemple ma cliente, la nation Nisga'a, ou fonctionnent selon ce que l'on appelle la « coutume ».

Voici ce que je veux dire, au sujet de cette distinction : l'évolution historique du leadership des bandes aux termes de la Loi sur les Indiens a été absolument, clairement et définitivement déterminée il y a longtemps pour promouvoir l'assimilation et remplacer les formes traditionnelles de gouvernement. Je vous résume la teneur de notre rapport. La loi supposait que les bandes choisiraient leurs dirigeants selon la coutume jusqu'à ce que le gouverneur en conseil et, ultérieurement, le ministre déterminent qu'une bande était suffisamment « avancée » ou « civilisée » pour qu'il soit possible de remplacer son système traditionnel par un système électoral défini dans la loi.

La décision du gouvernement d'exiger que les bandes adoptent le système électoral a été contestée par certaines Premières nations alors que d'autres semblent avoir bien accueilli les changements. C'est ce qu'indique le témoignage du professeur Shin Imai, que j'ai eu le plaisir de lire. Il ne faut pas oublier que le processus par défaut que prévoit la Loi sur les Indiens pour la sélection des dirigeants a toujours été la coutume. Cette coutume est maintenue tant que le ministre n'a pas déterminé que les dispositions électorales doivent s'appliquer. Récemment, comme l'ont indiqué les représentants du ministère, le gouvernement a autorisé certaines bandes à revenir au régime coutumier en révoquant l'ordonnance qui imposait à ces bandes l'application des dispositions de la loi.

La terminologie dans ce domaine prête à confusion. Le mot « coutume » conjure toujours une pratique qui se perpétue ou qui, du moins, est fondée sur la coutume indigène traditionnelle pour le choix des dirigeants. Pourtant, tel n'est pas nécessairement le cas. La loi n'exige nullement qu'une coutume soit consacrée par les pratiques traditionnelles. Au contraire, les tribunaux ont nettement reconnu que les coutumes peuvent évoluer. Les tribunaux ont également affirmé — et si je peux me permettre de le dire, cela est particulièrement important — que le pouvoir de déterminer la coutume de sélection des dirigeants n'est pas un pouvoir conféré par le Parlement mais plutôt un pouvoir inhérent à la bande. Il émane de la bande, il ne lui est pas accordé.

En l'occurrence, et c'est un avis que je le partage avec d'autres — Mme Cornet l'a d'ailleurs mentionné précédemment —, le pouvoir de déterminer les règles de sélection des dirigeants est presque certainement un droit ancestral protégé par l'article 35. Peu d'éléments se dégagent aussi clairement de la jurisprudence que le fait que cette capacité est un droit inhérent de la bande.

Dans ce domaine, les ingérences dues à l'article 74 de la loi n'ont pas aboli ce pouvoir. Je le répète, les coutumes ne sont pas immuables. Elles peuvent évoluer et devenir des règles qui sont fort différentes des modes traditionnels de sélection des dirigeants. Les tribunaux ont aussi décrété que pour que leur adoption soit valable les coutumes relatives au leadership ne doivent pas nécessairement être approuvées par une majorité des électeurs de la bande. Les tribunaux ont parlé de la nécessité d'un vaste consensus parmi les membres. En l'absence de règles précisant comment un tel consensus doit être manifesté, les tribunaux trancheront en fonction des faits.

Pourquoi est-ce que je m'attarde à cette question alors que votre étude porte sur les bandes assujetties à l'article 74? C'est parce qu'une bande qui n'aime pas le régime prévu par l'article 74 peut revenir à la règle coutumière qui constitue le statu quo. Sous réserve des considérations que vous ont exposées les représentants du ministère, elles peuvent unilatéralement établir leurs propres règles au sujet — par exemple — de la durée du mandat ou des dates d'élection.

De nombreuses bandes dans notre pays ont déjà établi des procédures électorales efficaces qui donnent de bons résultats et ne semblent créer aucune difficulté. De nombreuses autres souhaitent en faire autant. Est-ce que dans certains endroits on éprouve des difficultés? Évidemment, c'est le genre de problème que l'on rencontre dans les élections partout au pays, pour tous les dirigeants élus. En règle générale, toutefois, il est reconnu que les régimes conçus à l'interne semblent bien fonctionner.

D'autres bandes ne souhaitent pas définir leurs propres procédures. Elles sont parfaitement satisfaites des règles de l'article 74 parce qu'elles ont d'autres intérêts et d'autres priorités. La capacité des bandes de prendre cette décision est essentielle à la protection de leurs droits ancestraux.

J'en viens à ma conclusion et je répondrai ensuite avec plaisir à vos questions. Qu'est-ce que nous avons recommandé? Nous avons proposé des modifications qui conviendraient à toutes ces situations différentes, et en voici la liste :

Établir des procédures électorales par défaut, qui s'appliqueraient à toutes les bandes sauf dans les cas où les membres de la bande adopteraient un régime différent. Un régime électoral par défaut pourrait s'appliquer tel quel. Il s'agirait d'une version modifiée du régime actuellement prévu dans la Loi sur les Indiens.

Établir un mécanisme grâce auquel les bandes pourraient adopter leurs propres codes électoraux ou d'autres régimes de sélection des dirigeants, à condition que certaines normes fondamentales de responsabilité politique soient maintenues. La loi que nous avons proposée déterminait clairement les normes fondamentales de responsabilité politique, conformes aux règles par défaut, que le régime conçu par la bande aurait dû respecter.

Veiller à ce que ces normes fondamentales soient aussi simples que possible en cherchant à assurer un maximum de responsabilité politique.

Veiller à ce que tous les régimes comprennent le droit de tous les membres de la bande de participer de façon opportune, conformément à la charte et notamment à l'article 25.

Autrement dit, chaque bande pourrait choisir essentiellement entre trois options. Premièrement, elle pourrait adopter le régime par défaut, qui serait une version modifiée du système prévu dans la Loi sur les Indiens, duquel on aurait entre autres éliminé le rôle du ministre et du gouverneur en conseil. Une institution indépendante ou un mécanisme quelconque serait instauré pour remplacer cette fonction si les bandes ne proposaient pas leur propre solution.

Deuxièmement, elles pourraient définir leur propre régime de sélection des dirigeants. Il ne serait pas nécessaire de tenir des élections. Si les dirigeants n'étaient pas élus, il faudrait tout de même imposer certaines exigences. C'était l'ensemble d'exigences fondamentales le plus discret que nous ayons pu définir : le code de sélection des dirigeants devait être consigné par écrit et diffusé publiquement, quel qu'il soit; le code constituait une loi de la bande et pourrait donc être appliqué par les tribunaux; il fallait instaurer un processus d'appel indépendant, peut-être grâce à l'institution indépendante que nous recommandions; il fallait créer un mécanisme pour que les membres de la bande puissent modifier le code en fonction d'un vaste consensus ou se rallier au régime par défaut.

Troisièmement, une bande pouvait déclarer qu'elle voulait élire ses dirigeants, mais pas suivant le régime électoral qui lui était proposé, qu'elle voulait concevoir elle-même son régime. Nous avons donc dit, très bien, quelles sont les règles fondamentales à tout régime électoral. Nous avons dressé la liste suivante : le droit de voter pour chaque membre de la bande — évidemment, à partir d'un certain âge. Le droit de proposer des candidats. Il fallait que la bande définisse ses propres règles quant à la taille du conseil. Il lui fallait établir ses propres règles concernant les candidats, par exemple l'âge, la résidence, des questions comme le fait d'avoir déjà été condamnés pour une infraction, des délits liés à des élections antérieures, et cetera. Il fallait préciser le rôle, le cas échéant, de l'institution indépendante. Il fallait prévoir un scrutin secret. Il fallait définir des procédures — un mécanisme électoral, en quelque sorte —, désigner les agents électoraux, établir les procédures de mise en candidature, produire les avis, les bulletins, et cetera. Il fallait instaurer une procédure d'appel. Il fallait adopter des règles pour déterminer si le chef était élu au scrutin universel ou par les seuls conseillers.

Quant au mandat, un aspect qui intéresse particulièrement votre comité, nous avons dit qu'il ne devrait pas être supérieur à cinq ans. Certains pourraient préférer quatre ans, d'autres cinq. Nous avons pensé que s'il y avait des élections, il faudrait probablement fixer le mandat à cinq ans au maximum, ce qui, aux termes de la Constitution du Canada, correspond à la durée maximale d'une législature pour le gouvernement du Canada ou d'une province. Il y a bien longtemps que personne n'a siégé pendant cinq ans, toutefois. Il faudrait prévoir des règles pour la destitution, la vacance éventuelle d'un poste et les élections partielles, et il devrait y avoir une quelconque procédure de modification. Ce sont les éléments qui, selon nous, devraient figurer dans tout code électoral.

C'était là, dans les grandes lignes et très rapidement, l'ensemble des recommandations consensuelles qu'a présentées le Comité consultatif ministériel conjoint. Le débat a été long et fascinant, et tous les membres du comité y ont contribué. J'ai eu l'honneur d'y participer. Le rapport sera peut-être remis sur le site Web, ou vous aurez peut-être l'occasion de l'examiner à loisir.

Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

Le président : Je vais commencer, si mes collègues n'y voient pas d'objections.

J'ai écouté vos deux exposés avec attention. Vous dites que tout le processus était conçu en vue de l'assimilation. Ce faisant, parce que nous avons dispersé les grandes organisations historiques des Premières nations, notamment la nation algonquine et la nation Crie, nous avons vraiment changé la donne.

Que pensez-vous de la capacité de certaines de ces petites bandes d'exercer leur droit inhérent à la gouvernance? C'est bien joli de dire qu'elles devraient avoir un droit inhérent — et je suis d'accord, historiquement —, mais on les a expédiées dans des réserves et leurs nations elles-mêmes ont été détruites. C'est un aspect sur lequel j'aimerais connaître votre opinion.

L'autre chose, c'est que si elles doivent instaurer un processus électoral — et je pense que c'est ce qui se passe dans certaines régions visées par un traité —, le gouvernement doit participer. Nous disons qu'elles doivent faire tout cela d'elles-mêmes et que nous ne devrions pas soulever d'obstacles, mais elles ont si peu de financement, parce qu'elles n'ont que ce que le gouvernement veut bien leur donner, malheureusement. Il n'y a pas de partage de recettes tirées des ressources, rien de tout cela. Voilà donc certains des problèmes.

Et finalement, pourquoi le projet de loi C-7 a-t-il échoué?

Mme Cornet : Je vais commencer par votre dernière question — pourquoi le projet de loi C-7 a-t-il échoué? Je crois que ce qui s'est passé est un phénomène qui se répète constamment, pour chacune de ces initiatives législatives. C'est une question de processus car il n'y a pas de formule magique pour les dispositions juridiques, qu'il s'agisse de dispositions consacrées par le Parlement du Canada ou de dispositions consacrées par les Premières nations elles- mêmes.

Divers facteurs interviennent. M. Aldridge a parlé de la peur du changement, qui est commune à toutes les collectivités lorsque des changements sont proposés, en particulier si ces changements sont proposés de l'extérieur, si ce sont des changements que vous ne contrôlez pas vraiment.

Pour que des processus comme le choix des dirigeants et les élections se déroulent sans heurts, il faut plus que de simples dispositions législatives. Il faut une certaine réflexion sur les besoins des collectivités des Premières nations en termes de règlement des différends au sein de ces collectivités. Il ne s'agit pas seulement d'élections.

Il semble que la question du règlement des différends dans les collectivités des Premières nations fasse toujours surface, quel que soit le thème de l'initiative législative en cause. Toutefois, la réflexion à ce sujet s'arrête souvent à la création d'un tribunal. Dans le cas de la Loi sur la gouvernance des premières nations, par exemple, il avait été décidé, je crois vers la fin du processus législatif, d'insérer quelques dispositions pour dire que tous les conseils de bande assujettis aux dispositions de la Loi sur les Indiens allaient créer un mécanisme de règlement des différends, un point c'est tout. Il y avait peut-être quelques mots de plus, mais pas beaucoup.

On ne précisait pas quelle serait la fonction de cet organisme pour les plaintes relatives aux droits de la personne qui pourraient être présentées à la Commission canadienne des droits de la personne ou aux tribunaux. Personne n'avait songé aux ressources nécessaires; il n'y avait aucun engagement au sujet des ressources.

C'est simplement qu'en général, la question du règlement des différends n'entre pas vraiment en compte. Je crois que le règlement des différends est presque toujours un problème, que ce soit au niveau national en termes de discussions entre les organisations qui représentent les Premières nations et le gouvernement, ou au sein des collectivités elles- mêmes. C'est un processus. Nous n'avons pas consacré assez de temps à déterminer comment les processus de consultation devraient se dérouler pour réduire les conflits.

M. Aldridge : Je vais commencer moi aussi par cette question, puis passer à la première. Les trois questions sont très importantes.

Pourquoi le projet de loi C-7 a-t-il échoué? Il présentait des lacunes. Lorsque j'ai vu le projet définitif, quand il a été déposé, il y avait certains aspects — et je ne veux pas en faire une critique complète ici —, mais certains aspects étaient très troublants. Je sais qu'il y avait des éléments qui auraient pu être modifiés à l'étape de l'examen par le comité. Ce qu'envisageait le ministre, si je peux m'avancer sur ce terrain, c'était qu'à l'étape de l'étude en comité, il y aurait un débat éclairé et intelligent et que des améliorations seraient apportées au projet. Toutefois, le projet de loi C-7 n'a jamais fait l'objet d'un tel débat.

Ce qui m'irrite dans ce qui s'est passé il y a si longtemps, c'est que personne n'a vraiment discuté de ce que disait effectivement le projet de loi. Le débat est demeuré à un niveau de généralité assez élevé. Je ne désignerai personne en particulier, mais il y avait des politiciens de toutes les allégeances, au Parlement et dans les milieux autochtones, qui, pour diverses raisons, ont simplement mal présenté le projet de loi, son esprit et ses effets, et qui ont ainsi exploité la peur du changement dont Mme Cornet a parlé.

C'est amusant, on est presque toujours prêt à croire au pire. Si quelque chose vous effraie, vous serez plus porté à y croire. Au sujet du projet de loi, on a cru des choses qui étaient tout simplement fausses. Finalement, est-ce un échec de la politique, un échec des communications ou un échec de la consultation? Je ne sais pas comment le caractériser, mais selon moi ce projet de loi n'a pas échoué parce qu'il n'était pas bon, même si j'hésitais vraiment à accepter certaines de ses dispositions; il a échoué en raison de réactions politiques particulières et de la façon dont les choses se sont déroulées.

Monsieur le président, votre première question est extraordinairement importante. Il ne fait aucun doute que les véritables nations indigènes, les Autochtones qui occupaient cette terre que l'on appelle maintenant le Canada, ont été dispersées par les Britanniques et les Français et, finalement, par les gouvernements canadiens, au moyen de mesures comme l'imposition de la Loi sur les Indiens.

Les bandes n'étaient pas des nations. Selon moi, avec tout le respect que je dois à ceux qui ne sont peut-être pas de cet avis, l'expression « Premières nations » ne devrait pas être un simple euphémisme imposé par la rectitude politique pour désigner les « bandes indiennes ». Les nations sont des entités plus importantes. Mon opinion sur cette question a peut-être été dans une large mesure façonnée par des années de contacts avec mes clients, les Nisga'a. Dans les années 1980, lorsque je me suis lancé dans ce domaine et que nous avons travaillé à définir l'entente de règlement des revendications territoriales, les avocats du ministère de la Justice ne permettaient jamais à mes clients d'utiliser l'expression « nation Nisga'a » dans des documents qu'ils devaient signer. Ils préféraient « tribu Nisga'a » ou « communauté Nisga'a ». Tout à coup, les choses ont changé, et les gens ont commencé à écrire aux représentants du gouvernement Nisga'a — à la « Première nation Nisga'a » —, mais les Nisga'a ont alors refusé cette appellation parce que seulement quatre petits conseils de bande avaient été amalgamés pour former la nation historique des Nisga'a.

Je suis d'avis que ce genre de reconstruction est une étape nécessaire de l'évolution, avant qu'une véritable autonomie gouvernementale puisse voir le jour, et ce, pour des raisons liées à la taille, à la capacité, au passé et à la logique, mais que l'autonomie gouvernementale ne peut pas être décrétée. Les gens devront être habilités pour progresser vers ce but, et les obstacles devront être éliminés. C'est l'orientation qu'il faut prendre.

Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur : certaines bandes comptent moins de 100 membres. Il ne sert à rien de leur laisser entendre qu'elles doivent concevoir un régime électoral complet, avec tous les coûts que cela implique, les difficultés et le processus de règlement des différends, car tout cela est coûteux et long. C'est pourquoi le CCMC a recommandé un régime par défaut : ces bandes n'ont pas à concevoir leur propre processus électoral, mais si elles veulent le faire, elles le peuvent.

C'était ce que nous avions trouvé de mieux, comme mesure provisoire, pour mener à l'objectif à long terme des Premières nations et des bandes indiennes. Elles le feront lorsqu'elles seront prêtes à reformer leurs nations traditionnelles ou quelque chose qui y ressemblerait ou une expression nouvelle de leurs nations traditionnelles, selon moi.

Le sénateur Brazeau : J'ai eu l'honneur et l'occasion de travailler avec vous deux, et je peux dire sans craindre de me tromper que les connaissances, la patience et la passion de M. Aldridge ont certainement contribué au succès du CCMC. J'ai aussi eu le plaisir de travailler avec Mme Cornet en 2001.

Ma question est fort simple, et nous en avons discuté par le passé. D'après votre opinion d'expert, est-ce que le projet de loi C-7 aurait été adopté s'il s'était agi d'un projet de loi habilitant plutôt que d'une loi imposée, à l'époque?

Mme Cornet : L'un des problèmes que présentait ce projet de loi, comme bien d'autres, c'est le processus de consultation dont il était l'aboutissement. Encore aujourd'hui, nous n'avons pas de politique publique sur la consultation fédérale, encore moins une politique qui indiquerait comment le gouvernement fédéral a l'intention de procéder lorsqu'il élabore des propositions législatives. Ce manque de clarté est nuisible.

Nous avons utilisé des termes comme « mobiliser ». Nous savons que, parfois, les Premières nations ne veulent pas s'engager dans des consultations jugées officielles, alors le mot « mobilisation » est utilisé. Parfois, le mot « mobilisation » est utilisé comme synonyme de consultation. Le processus n'est jamais clair au départ. Il n'y a pas un ensemble de règles mutuellement acceptées sur la façon dont le processus de consultation se déroulera.

Le genre de processus le plus susceptible de réussir est celui qui est conçu en collaboration. Nous avons vu cela dans le cadre d'initiatives législatives réussies, par exemple la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Ce projet, qui était au départ une initiative de 14 Premières nations qui ont dû se battre longtemps pour éveiller l'intérêt du gouvernement de l'époque et pour que le projet soit présenté. En règle générale, les processus élaborés en collaboration ont plus de chances de succès que les processus contrôlés par l'une ou l'autre des parties.

M. Aldridge : Je pensais que c'était une loi habilitante. C'était un hybride, monsieur le sénateur. Mme Cornet a raison. Au bout du compte, il a bien fallu se rendre à l'évidence, le projet avait échoué — la consultation était inadéquate. Il y a eu de nombreux cas, les sénateurs le savent, où les consultations étaient en cause. Le gouvernement du Canada, si je peux le dire sans vous manquer de respect, avance à tâtons pour essayer de définir une approche de consultation, et il n'y est pas encore arrivé. Une affaire entendue par la Cour suprême du Canada traite de la façon dont l'envergure des consultations varie selon la solidité du droit affirmé. Nous faisions tous la même blague : maintenant, le ministère va recruter des analystes de la profondeur des consultations, pour déterminer comment il doit consulter.

La réponse est toute simple. Vous savez, si vous voulez instaurer une loi nationale d'application universelle, habilitante ou autre, il vous faudra consulter de nombreuses personnes et il sera très difficile de parvenir à un consensus. C'est pourquoi je suis sceptique à l'idée de définir des types de consultations qui pourraient produire un processus national efficace.

La Loi sur la gestion des terres des premières nations est souvent citée comme une réalisation qui fait honneur aux personnes qui ont participé à son élaboration. Toutefois, elle a été conçue par un petit groupe qui a pu établir un consensus et négocier. D'autres personnes peuvent y avoir adhéré, mais elles n'ont pas participé à sa conception. Les probabilités de succès sont beaucoup plus élevées lorsque chaque nation négocie directement et élabore ses propres règles.

Le sénateur Brazeau : Ma deuxième question porte sur le processus et la consultation. En autant que je sache, le projet de loi C-7 était un pas dans la bonne direction et il était nettement préférable aux prescriptions de la Loi sur les Indiens, en particulier en matière de responsabilité politique envers les citoyens des Premières nations qui vivent dans ces collectivités et à l'extérieur des réserves. Mais c'est simplement mon opinion.

En termes de processus, en tant que membre d'une ancienne organisation nationale autochtone, on nous a donné la même occasion qu'à l'Assemblée des Premières Nations et à d'autres intervenants de participer à ce processus. Qu'il ait été normatif ou pas, nous avions cette possibilité. Nous recevions des fonds du gouvernement de l'époque pour consulter les intéressés et obtenir leurs points de vue au sujet de notre position sur le projet de loi et de certaines de nos recommandations. Nous pouvions tenir compte de cette information dans le processus, en particulier le processus du CCMC.

Certaines autres organisations nationales autochtones qui ont comparu devant le comité ont mentionné que le projet de loi portait atteinte aux droits ancestraux et issus de traités. Cela me paraît ironique, car je crois que l'imposition de la Loi sur les Indiens est une atteinte aux droits ancestraux. Le projet de loi C-7 allait un peu plus loin et offrait à ces collectivités l'occasion d'élaborer leurs propres systèmes de sélection des dirigeants, leurs propres codes de reddition de comptes, et cetera.

Ces mêmes dirigeants autochtones ont affirmé qu'il s'agissait d'un empiétement et qu'il n'y avait pas eu de consultation. Ils avaient le sentiment d'avoir été écartés du processus et que cela était contraire à leurs traditions et à leurs coutumes. Toutefois, si vous parlez avec les habitants de ces collectivités, vous découvrez qu'ils étaient en faveur du projet de loi C-7. De fait, un sondage du ministère des Affaires indiennes indiquait que plus de 50 p. 100 des citoyens des Premières nations qui ont été interrogés appuyaient l'adoption du projet de loi, même s'il n'était pas parfait.

J'ai posé cette question à divers témoins par le passé : croyez-vous qu'il serait possible, pour le gouvernement fédéral, de tenir un référendum à l'intention de tous les citoyens des Premières nations pour déterminer le sort d'une modification de la Loi sur les Indiens, en mettant l'accent précisément sur la reddition de comptes et les codes de sélection des dirigeants?

M. Aldridge : Eh bien, non, je ne crois pas que cela serait possible, pour la raison que j'ai mentionnée il y a quelques instants. Il faut que cela soit conçu par chaque groupe, quelle que soit la définition que ce groupe a de lui-même. « Est- ce que ce groupe veut adopter un autre régime? Est-ce que cette nation [...] », et cetera. Je crois qu'il serait ironique d'avoir un référendum national qui serait appuyé par 53 p. 100 des électeurs et, tout à coup, les habitants d'une région qui a massivement rejeté la proposition constateraient qu'ils doivent maintenant accepter ce résultat.

Si vous me le permettez, je dirais qu'il faut procéder nation par nation.

Le sénateur Brazeau : Est-ce que vous nous dites que, tant que les diverses bandes d'une nation ne se seront pas réunies ou amalgamées ou qu'elles n'envisageront pas de former ou de reconstituer leur véritable Première nation historique, il sera très difficile d'aller au-delà du statu quo en termes de gouvernance dans les réserves?

M. Aldridge : Je ne crois pas que j'irais aussi loin. J'ai dit qu'à mon avis, à long terme, il faut procéder en se basant sur la nation véritable. Cela répond aussi à la question du président. Toutefois, j'ai également mentionné que d'ici là bien des choses pouvaient se faire, en revenant à la coutume, en adhérant à la Loi sur la gestion des terres des premières nations ou en négociant des revendications globales ou la politique des droits inhérents. Nous avons encore toute une gamme d'options.

Je m'inquiète des toutes petites bandes. C'est à elles que je pensais quand j'ai parlé de la capacité d'assumer effectivement toutes les responsabilités du gouvernement. La nation de Westbank est un excellent exemple de bande qui s'en tire très bien en régime d'autonomie gouvernementale. Il y a autant de solutions qu'il y a de bandes.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé, et merci de nous aider à examiner cette question très difficile.

Nombre de Premières nations vous diront qu'il y a bien d'autres problèmes urgents, en plus de la réforme électorale, notamment le logement, les soins de santé, et cetera. Elles éprouvent une méfiance viscérale à l'égard de la Loi sur les Indiens; elles ne l'aiment pas et elles ne font pas vraiment confiance à AINC. Si nous tentons de procéder de globalement, nous n'arriverons probablement à rien.

Toutefois, s'il y avait un groupe de bandes visées par un traité qui était disposé à participer à un projet pilote de réforme électorale, avec le financement d'Affaires indiennes, est-ce que cela nous emmènerait dans la bonne direction?

Mme Cornet : Votre question nous porterait peut-être, à nouveau, à examiner certaines des grandes politiques fédérales, par exemple la politique sur l'autonomie gouvernementale, la politique des revendications globales et, tant qu'à faire, la question de la politique de mise en œuvre des traités, pour les moderniser. Comme je l'ai indiqué, les fonctionnaires fédéraux ont reconnu que ces politiques n'avaient pas été modifiées depuis la constitution d'une bonne partie de la jurisprudence liée à l'article 35. Il faut les réviser.

Je crois qu'il vaudrait la peine d'explorer cette avenue, d'examiner certains des nouveaux processus, pour voir s'il est possible de progresser dans le processus d'autonomie gouvernementale, parce que la politique existante et le processus ne permettent pas d'en arriver assez rapidement à des ententes. La seule autre solution qui semble être envisagée est le type d'initiative législative nationale qui aboutit toujours à une controverse.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question porte sur la destitution pour cause de manœuvres frauduleuses pendant des élections. D'après mon expérience, la GRC et AINC refusent d'intervenir en cas d'élections frauduleuses. Pensez- vous qu'il devrait y avoir un recours? À qui devrait appartenir la décision? Qu'est-ce qu'il faudrait prévoir?

Mme Cornet : Ce sont là des questions stratégiques qui pourraient être réglées par n'importe quel groupe de personnes en régime d'autonomie gouvernementale. Il y a sans doute tout un éventail de réactions variées dans diverses démocraties, en termes de mécanismes de destitution. Il s'agit vraiment de discussions de politique qui doivent se dérouler dans les collectivités des Premières nations.

J'ai vu certains travaux de l'Institut sur la gouvernance des Premières nations au sujet des codes électoraux coutumiers que l'institut a étudiés. On suggère diverses options pour répondre à diverses questions stratégiques, y compris celle que vous évoquez au sujet de la destitution.

Je vais répéter ce que j'ai dit précédemment : il n'y a pas nécessairement une seule et unique réponse pour tous, ni même une seule réponse pour une Première nation donnée. Toutefois, les Premières nations doivent être encouragées à dialoguer et elles doivent posséder les ressources nécessaires pour tenir des dialogues sur ces questions.

Il semble que ces questions soient discutées uniquement lorsqu'il y a une initiative législative fédérale sur la table.

M. Aldridge : C'est une excellente question.

Ma cliente, la nation Nisga'a, a élaboré son propre code de conduite. Ce code est sans doute le plus complet et, de bien des façons, le plus strict jamais adopté par un organisme élu au pays, autochtone ou non autochtone. Il a été utilisé pour destituer une personne et il prévoit des réprimandes. Il est accepté parce que les Nisga'a l'ont conçu eux- mêmes. Il n'a pas été négocié avec le gouvernement. Ils l'ont défini eux-mêmes.

C'est le premier point. Deuxièmement, je pense que c'est un problème si la GRC se refuse ou « hésite » — si je peux m'exprimer ainsi — à enquêter sur des allégations de comportement criminel lorsque cela a trait à l'administration des élections des Premières nations. Elle hésite probablement aussi à s'immiscer dans les processus électoraux municipaux. En toute justice pour les policiers, il faut dire que des décisions devraient être prises au sujet de leurs priorités et de ce sur quoi ils font enquête. Toutefois, je crois que cela a été une source de frustration.

Nous avons remarqué entre autres le caractère étrange de la règle actuelle. Le paragraphe 78(2) stipule ceci :

(2) Le poste de chef ou de conseiller d'une bande devient vacant dans les cas suivants :

b) le ministre déclare qu'à son avis le titulaire, selon le cas :

(i) est inapte à demeurer en fonctions parce qu'il a été déclaré coupable d'une infraction,

(ii) a, sans autorisation, manqué les réunions du conseil trois fois consécutives,

(iii) à l'occasion d'une élection, s'est rendu coupable de manœuvres frauduleuses, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a accepté des pots-de-vin.

C'est un étrange assortiment, n'est-ce pas? Toutefois, la question n'est pas de savoir s'il convient de comparer l'absence à trois réunions et les manœuvres frauduleuses dans un contexte électoral. Plutôt, le fait est qu'en situation de statu quo, c'est l'opinion du ministre qui prévaut. C'est l'une des raisons pour lesquelles le CCMC a recommandé d'éliminer les rôles de ce type pour le ministre et d'instaurer un quelconque processus indépendant ou de permettre aux gens d'en concevoir un eux-mêmes.

Les gens le concevront eux-mêmes. C'est une des choses qu'ils feront; ils concevront le processus pour régler les problèmes, lorsque ces problèmes surviendront.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Est-ce que cela est facile ou difficile, et qu'est-ce que cela comporte, pour une Première nation, d'accéder à l'autonomie gouvernementale? Je ne comprends pas.

M. Aldridge : J'ai commencé à travailler pour les Nisga'a en 1980. Ils négociaient depuis 1976. Le sénateur St. Germain se souviendra très bien que le document a été adopté ici et qu'il a obtenu la sanction royale le 13 avril 2000.

C'est comme cette histoire au sujet des belles pelouses d'Angleterre. Un couple de touristes demandait « Comment pouvez-vous avoir de si belles pelouses? », et le jardinier leur a répondu « C'est facile : il faut semer, arroser et tondre pendant 400 ans. » Il est très difficile de parvenir à un résultat à cause du gouvernement, mais c'est une autre histoire. Qu'il suffise de dire que le processus est long et pénible.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Donc, il est presque impossible pour les Premières nations de déterminer de leurs propres codes ou critères d'élection. Il est difficile d'accéder à l'autonomie gouvernementale.

M. Aldridge : Elles peuvent revenir à leurs coutumes ancestrales sans négociations.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui, mais ce n'est pas ce que souhaitent toutes les bandes.

Le sénateur Dyck : Merci de vos exposés.

Je veux revenir à la question des traités, que le sénateur Peterson a soulevée. Nous étions à une réunion, la semaine dernière, où l'on parlait des traités avec les organisations de la Saskatchewan. Il est très clair que lorsque les traités ont été signés, ils l'ont été de nation à nation. Selon moi, nous n'aurions pas besoin de tenir cette discussion si des traités avaient été mis en œuvre et avaient été respectés.

Le sujet qui nous occupe aujourd'hui se rapporte à l'autonomie gouvernementale telle que l'envisage la Loi sur les Indiens ou le gouvernement du Canada dans le contexte de la Loi sur les Indiens ou d'une autre loi, plutôt qu'à ce qu'étaient véritablement les Premières nations lorsqu'elles ont signé les traités. Elles étaient à l'époque des nations autonomes. Si les traités avaient été respectés, si leurs territoires avaient été restaurés et si des ressources leur avaient été allouées, les Premières nations seraient autonomes. Elles seraient en mesure de se gouverner elles-mêmes. Elles peuvent décider de tenir ou non des élections de la façon expliquée aujourd'hui.

Est-ce que les notions d'autonomie gouvernementale, d'élections et de retour à la coutume devraient être enchâssées dans la Loi sur les Indiens ou devraient-elles être laissées aux Premières nations visées par les traités? Est-ce que la question des élections doit être réglée par négociation de traités ou dans le cadre de la Loi sur les Indiens ou d'une autre loi?

M. Aldridge : Je suis tout à fait d'accord avec vous, madame le sénateur. Ce qu'il faut souhaiter, c'est que cela s'appuie sur les organisations liées à des traités.

La question qu'on nous a posée revient à ce que disait le sénateur Lovelace Nicholas. Tout cela est tellement lent; que doit-on faire en attendant? Nos propositions étaient toujours conçues comme des mesures provisoires, parce qu'il est frustrant de progresser avec une telle lenteur. Ce que vous décrivez, c'est le but ultime.

Le sénateur Dyck : En Saskatchewan, le Traité no 4 a été signé en 1874. C'était il y a 135 ans. Vous avez donc bien raison. Il nous faut des mesures provisoires.

Le CCMC a présenté des recommandations. Plutôt que de les intégrer à un projet de loi, est-ce qu'on aurait pu utiliser ces recommandations pour modifier les dispositions de la Loi sur les Indiens ou les positions du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en ce qui concerne le rétablissement de la coutume?

Mme Cornet : Nos recommandations portaient sur des questions précises, qui avaient été présentées au comité, ainsi que sur certains domaines stratégiques plus généraux.

Une des questions clés concernait les mesures provisoires. Le comité a formulé une recommandation qui allait au- delà de la proposition législative comme telle, pour faire la transition avec la Loi sur les Indiens, qui reconnaît les bandes mais non pas les peuples ou les nations, contrairement à la Constitution, aux traités et au droit international. Nous recommandions de mentionner dans le préambule que le gouvernement s'engageait à tenir un processus pour examiner les grandes questions d'autonomie gouvernementale qu'il fallait régler pour en arriver à une situation où la relation serait établie avec les nations visées par des traités plutôt qu'avec les bandes et conseils de bande assujettis à la Loi sur les Indiens. Je ne crois pas que cette recommandation ait été intégrée au projet de loi.

Il y avait bien une mention dans le préambule indiquant que le projet de loi n'était pas destiné à instaurer l'autonomie gouvernementale, mais aucun engagement quant à la création d'une table pour discuter des grandes questions stratégiques qu'il fallait régler pour en arriver à ce stade entre la Loi sur les Indiens et l'autonomie gouvernementale des nations.

Le sénateur Dyck : Lorsque vous dites « une table », est-ce que vous pensez à une table où les divers partenaires se réuniraient pour discuter de la façon dont il faut procéder? Est-ce que ce serait une table à laquelle siégeraient des ministres, un représentant d'Affaires indiennes et des représentants de diverses Premières nations ou d'autres organisations politiques?

Mme Cornet : Il s'agirait d'une table où les dirigeants politiques peuvent venir discuter avec le Canada des obstacles que créent les contextes politiques des négociations en cours, qui portent généralement sur l'autonomie gouvernementale, les revendications globales ou la mise en œuvre de traités.

Le sénateur Martin : Merci de votre exposé.

Je viens d'arriver dans cet univers. Il me semble qu'il y a une manne d'information, y compris toutes les données historiques et les événements qui ont mené à cette situation. J'ai beaucoup de respect pour ce que j'entends aujourd'hui. Au Comité des affaires sociales, nous avons discuté de la migration des Autochtones qui quittent les réserves et s'installent dans les centres urbains. J'ai vécu à Vancouver presque toute ma vie. Les connaissances et l'expérience que j'ai relativement aux Premières nations, je les ai accumulées dans les écoles. J'ai enseigné pendant 21 ans. J'ai parlé des Premières nations dans le programme scolaire et j'ai vu ce qui se passait dans les écoles.

Je pense aussi au point de vue fédéral lorsque j'apprends ce qui se passe dans le dossier de l'autonomie gouvernementale, dans celui des régimes électoraux, toutes ces choses dont vous avez traité aujourd'hui. Je commence à comprendre l'ampleur du défi auquel nous sommes tous confrontés. Vous assurez la liaison, vous faites le pont, vous saisissez la perspective fédérale et vous travaillez avec les divers groupes.

Est-ce que vous constatez que le déplacement des populations des réserves suscite d'autres difficultés? On nous a dit, au Comité des affaires sociales, que les centres d'amitié s'occupaient de répondre à certains des besoins supplémentaires des clients qui ils travaillent en milieu urbain. Il y a un fossé entre la réalité des villes et celle des réserves. Il y a des écarts, parce qu'ils s'installent dans divers endroits du Canada, et nous vivons dans un si grand pays. Comment peut- on veiller à ce que tous les habitants des réserves ou tous les membres des nations puissent se prononcer sur les changements proposés en matière d'autonomie gouvernementale? Quels sont les défis auxquels les Premières nations sont confrontées parce que les habitants des réserves se déplacent?

M. Aldridge : Vous soulevez une question essentielle.

J'en reviens à ce que je connais de la nation Nisga'a, de son traité et de son entente sur l'autonomie gouvernementale. Les Nisga'a ont insisté pour que les droits issus de traités s'appliquent aux citoyens Nisga'a et non pas à des entités définies dans la Loi sur les Indiens. Ils ont reconnu qu'un fort pourcentage de leur population habitait à l'extérieur de la vallée de la Nass, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, et vivait dans des centres urbains, le phénomène auquel le sénateur vient de faire allusion.

Aux termes du traité et de la constitution Nisga'a, ils ont créé des entités qu'ils appellent « locaux urbains ». Il y a trois locaux urbains : un à Terrace, un à Prince Rupert/Port Edward et un à Vancouver. Ainsi, les Nisga'a qui se sont établis à Vancouver, à Terrace ou à Prince Rupert — et ils sont assez nombreux — ont leur propre organisation, leur local urbain, avec représentation directe au sein du gouvernement Nisga'a.

Si vous ne les connaissez pas encore, vous entendrez certainement parler en temps et lieu des effets de l'arrêt Corbiere c. Canada sur les terres assujetties à la Loi sur les Indiens et de toute la question du droit de vote dans les réserves et hors réserve. Les Nisga'a avaient pris les devants et veillé à ce que tous les citoyens Nisga'a puissent participer à la vie politique, quel que soit leur lieu de résidence, grâce au système d'entité urbaine locale.

Mais voici où le bât blesse : le gouvernement du Canada ne voit pas les choses de cette façon. Le gouvernement du Canada affirme que les programmes et services qu'il finance sont essentiellement destinés aux Indiens inscrits qui vivent dans les réserves. Il est très difficile de convaincre le gouvernement du Canada de fournir, grâce aux mécanismes de financement établis, des fonds suffisants pour que les citoyens Nisga'a qui habitent les villes puissent demeurer sous le toit de la nation Nisga'a, qui est l'entité politique chargée d'exécuter les programmes et services.

Le gouvernement du Canada préfère dire que dans les centres urbains, il distribue des fonds par l'entremise d'entités comme les centres d'amitié. En conséquence, il rejette cette idée. C'est un problème fondamental.

Vous finissez par fragmenter la nation, comme l'a mentionné le président au début de la séance, mais d'une façon différente. Sans trop nous écarter du thème des travaux du comité, la représentation politique est là. C'est un modèle, ce n'est pas le seul, qui permet de garantir la participation à la vie politique; mais il est entravé par la notion rétrograde que le ministère des Affaires indiennes applique au financement.

Le sénateur Martin : Compte tenu de ce défi supplémentaire que présente la migration des membres des Premières nations vers les villes, je me demande quel rôle le gouvernement fédéral pourrait jouer pour faciliter la création de ce régime électoral. Le défi est immense. Vous vous demandez comment nous pouvons encourager chaque groupe à créer son propre système. Le fait est que ce processus serait long et difficile en raison de cette autre réalité.

Quel serait le rôle le plus efficace pour le gouvernement? Nous avons pour ainsi dire une perspective nationale. Je pense que des personnes comme vous peuvent très bien faire le lien pour travailler en partenariat avec le gouvernement, mais je peux percevoir la difficulté pour chaque groupe. Comment arriverons-nous à nos fins?

Nous voulons obtenir ces résultats particuliers, mais je vois un immense défi à l'horizon. Quel est le rôle important que vous pouvez jouer, et le rôle très important que le gouvernement fédéral devrait jouer, vu la perspective nationale que nous avons, pour aider chacune des bandes à relever ce défi très concret?

Mme Cornet : La prohibition, l'interdiction pour les citoyens des Premières nations de vivre à l'extérieur des réserves, vient à l'origine de la Loi sur les Indiens. Cette loi contenait auparavant des dispositions qui interdisaient aux membres des Premières nations à l'extérieur des réserves de voter ou d'occuper un poste au sein du conseil. Les tribunaux se sont prononcés dans les deux cas.

Ces décisions, au moins, ont encouragé un dialogue positif et la définition de diverses options permettant de représenter les membres ou citoyens qui vivent à l'extérieur des réserves. Là encore, il n'y a pas nécessairement une formule unique qui conviendrait à tous, mais l'arrêt Corbiere et, récemment, l'affaire Esquega c. Canada ont au moins confirmé la notion que le gouvernement fédéral ne devrait pas créer de nouvelles distinctions ni de divisions chez les Premières nations. Nous en avons eu bien assez, tant en raison des dispositions relatives au statut d'Indien et à l'appartenance à la bande qu'en ce qui concerne les droits des membres qui vivent à l'extérieur des réserves, comme le sait le sénateur Brazeau.

Au moins, grâce à ces décisions des tribunaux, un dialogue a été engagé. Les Premières nations, je crois, ont défini un éventail d'options. Là encore, dans l'arrêt Corbiere, le tribunal a prévu qu'il pourrait y avoir plus d'une façon de représenter les membres de l'extérieur des réserves et, comme il le fait si souvent, il a encouragé les intéressés à discuter de ces questions.

Le président : Vous mentionnez tous deux que le ministre a trop de pouvoir relativement aux élections des Premières nations. Que penseriez-vous si notre comité recommandait de limiter le rôle du ministère dans les élections? Nous allons essayer de produire un rapport, comme vous le savez. Comment pouvons-nous éliminer ces obstacles?

Mon autre question se rapporte à l'applicabilité de la charte aux codes électoraux. Je sais bien qu'il s'agit de questions complexes. Toutefois, pour ma première question, est-ce que vous avez des suggestions à nous faire?

M. Aldridge : Je crois que l'idée de retirer au ministre et au ministère le rôle qu'ils assument actuellement dans les élections est tout à fait salutaire et important. Il est très difficile de savoir comment y parvenir sans mener un processus de réforme législative, parce que cela est inscrit dans la loi.

Il faudrait modifier la Loi sur les Indiens. Puis il faudrait se demander par quoi nous allons remplacer le ministre et le ministère. Qui va s'acquitter des rôles et des fonctions qu'ils remplissent actuellement? Nous avons fait quelques suggestions à ce sujet, mais c'est un peu comme lorsqu'on tire sur un bout de fil et que, tout à coup, le tissu tout autour se met à faire des plis.

C'est pourquoi nous avons recommandé un changement législatif à titre de mesure intérimaire, la création d'un organe ou d'un institut quelconque, d'un mécanisme local qui entendrait les appels relatifs aux élections, qui trancherait le genre de questions dont le sénateur Lovelace Nicholas parlait. Toutefois, à cette étape, le fait de simplement proposer une modification de la loi soulèvera plus de questions qu'il n'en résoudra. Des gens plus futés que moi pourront peut-être trouver une solution.

Je crois que personne n'aimerait autant cela que le ministère. Je crois que le ministère n'aime pas devoir intervenir dans ces questions, mais c'est le système que nous avons.

C'est pourquoi je dirais encore, pour ce qui est du rôle à long terme, qu'il faut revenir à la coutume, conclure des ententes sur l'autonomie gouvernementale et progresser de cette façon. Laissez chaque Première nation ou chaque nation créer ses propres institutions.

Le sénateur Brazeau : Pour ce qui est de progresser, d'aller au-delà du statu quo, qu'est-ce que vous recommandez au gouvernement fédéral? Cela concerne encore la gouvernance et l'amélioration des pratiques de gouvernance dans les réserves. Qu'est-ce que vous pourriez recommander au fédéral de faire pour peut-être établir un processus?

Évidemment, je ne crois pas qu'un gouvernement quelconque soit en mesure de régler ce genre de question pour plus de 600 réserves. Prenez les ententes sur l'autonomie gouvernementale qui ont été signées dans notre pays. Elles ont vu le jour parce que les citoyens d'une nation donnée se sont réunis dans un but commun, pour défendre et promouvoir leurs propres programmes politiques dans notre pays.

Prenons un exemple. Selon vous, comment le gouvernement fédéral devrait-il intervenir auprès des organisations assujetties à des traités? Est-ce qu'il devrait promouvoir l'amalgamation de réserves individuelles, la réunion, la reconstitution des Premières nations historiques, pour progresser dans cette direction? J'aimerais bien le savoir.

Mme Cornet : Vous essayez d'imaginer un processus qui permettrait d'avancer, qu'il s'agisse de consultations en vue de réformes législatives ou d'un processus de réforme générale pour discuter de l'orientation à prendre. Le concept de processus est très important.

Je vais vous donner quelques exemples précis de ce qui se passe toujours lorsque des initiatives législatives sont proposées. En règle générale, des organisations comme l'Assemblée des Premières Nations reçoivent de l'argent au niveau national, et cet argent est distribué aux organisations régionales. Vu les exigences relatives à la prise de décision dans le système parlementaire, le temps est généralement limité et vous finissez par tenir une réunion régionale à laquelle les représentants de toute la province sont conviés pour exposer leurs points de vue sur la question du jour, peut-être le régime électoral. Il semble que l'on ne pense jamais qu'une Première nation ne sera peut-être pas en mesure d'assister à la réunion parce que, par exemple, elle est en train de négocier une entente sur l'autonomie gouvernementale ou qu'il y a une crise dans la collectivité.

On accorde beaucoup d'importance aux exigences liées à la prise de décision du gouvernement fédéral et à ce qu'il faut pour le processus de consultation. Il est tout à fait légitime d'encourager la reddition de comptes chez les gouvernements des Premières nations et les autres gouvernements, mais on semble s'attendre à ce que les dirigeants des Premières nations assistent à toutes les réunions et donnent leur opinion sur des questions juridiques très complexes sans avoir eu le temps de consulter les membres de leurs collectivités, y compris les membres de l'extérieur de la réserve. Cela se produit toujours ainsi, et il ne semble jamais y avoir de nouvelles façons de faire. Nous refaisons toujours la même chose. Inévitablement, nous aboutissons au même résultat : ils n'ont pas eu le temps de consulter leurs collectivités respectives. Ils ont raison; ils n'ont pas eu le temps.

Dans le cadre d'un processus national, il faudrait bien déterminer les facteurs qui permettront aux Premières nations de prendre des décisions de façon responsable dans leurs collectivités et il faudrait ensuite tenir compte de ces facteurs dans le processus consultatif. C'est une des suggestions que je ferais.

Le sénateur Brazeau : Dans ce cas, voyez-vous un autre avantage au fait que le gouvernement du Canada traite avec des organisations politiques autochtones d'envergure nationale? J'imagine, et M. Aldridge me dira si je me trompe, qu'aucune organisation politique autochtone d'envergure nationale n'a reçu de financement pour les consultations dans le cas des Nisga'a. J'imagine que les Nisga'a ont reçu des fonds pour consulter leurs membres avant d'élaborer leur entente.

M. Aldridge : Je ne sais pas si des organisations nationales ont reçu des fonds pour la consultation au sujet de l'entente des Nisga'a. Si elles ont reçu des fonds, je ne sais pas ce qu'elles ont fait avec cet argent parce que nous n'en avons rien vu. Je suis certain qu'elles n'ont rien reçu. Les Nisga'a n'ont pas reçu de financement pour mener des consultations au sujet du traité, mais ils ont reçu un prêt pour les négociations. Ils remboursent ce prêt pour la consultation de leurs propres membres.

Est-ce que les organisations autochtones nationales ont un rôle à jouer dans la consultation? Je suis convaincu que oui. Le gouvernement fédéral doit toutefois reconnaître qu'aucun point de vue, qu'il soit exprimé par l'Assemblée des Premières Nations, le Congrès des peuples autochtones ou le Ralliement national des Métis, n'est nécessairement partagé par tous les citoyens. À ma connaissance, aucune organisation nationale n'a pour mandat de prendre au nom de tous ses membres une décision exécutoire concernant une initiative législative quelconque. Parfois, la consultation avec l'organisation nationale, menée de bonne foi des deux côtés, peut susciter des malentendus et des attentes quant à l'importance du consensus qui existe au pays entre les membres de l'organisation nationale.

Le rôle comprendrait la diffusion d'information et l'éducation du gouvernement au sujet de ce qui constitue une véritable consultation dans les diverses régions du pays. Si une décision doit être exécutoire pour les nations membres, je dirais qu'il faut être très, très prudent. Je ne crois pas qu'elles aient ce pouvoir.

Le sénateur Brazeau : Selon vous, est-ce qu'il serait plus facile d'abandonner le statu quo dans ces dossiers si le gouvernement fédéral établissait un processus pour traiter directement avec les parties intéressées, les intervenants, ou avec un regroupement de collectivités, plutôt qu'avec des organisations politiques qui, trop souvent, ont d'autres intérêts dans le cadre de tels processus?

Mme Cornet : Je vous ferai remarquer que l'Assemblée des Premières Nations a adopté dès 1989 une résolution sur la consultation et sur la façon dont il convient de procéder pour respecter le droit de chaque Première nation d'approuver un changement législatif. Si je ne me trompe pas, l'organisation est encore liée par cette résolution. Je suis désolée, pourriez-vous répéter la question? Je pensais à cette résolution et j'ai perdu le fil.

Le sénateur Brazeau : Selon vous, est-ce qu'on aurait plus de chance de réussir, de sortir du statu quo dans ces dossiers, si le gouvernement fédéral établissait un processus pour traiter spécifiquement avec la collectivité intéressée ou avec un regroupement de collectivités?

Mme Cornet : Les organisations nationales auraient un rôle à jouer. Elles pourraient nous aider à obtenir des réponses auprès des diverses Premières nations quant aux exigences procédurales susceptibles de donner lieu à un processus de consultation adéquat et significatif, si cela devait se faire. Certaines questions ne semblent jamais être posées : quelles sont les exigences en matière de prise de décision au sein de votre Première nation? Combien de temps faut-il pour mener à bien ces processus et obtenir une réponse appropriée? Trop souvent, les initiatives législatives sont assujetties au calendrier fédéral. Les organisations, qu'elles soient nationales, régionales ou communautaires, savent que la décision sera prise à une date donnée et qu'elles doivent se conformer à ce calendrier. Il ne semble pas possible d'établir un calendrier mixte et un processus mixte. Si cette possibilité existait, nous aurions peut-être plus de succès.

Le sénateur Peterson : Que pensez-vous de l'affaire Sharon McIvor, en Colombie-Britannique? Un des chefs de la Saskatchewan m'a dit que la décision serait maintenue, 85 p. 100 des membres seront radiés.

Mme Cornet : L'affaire McIvor concerne l'un des aspects les plus fondamentaux de la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire la possibilité pour la loi fédérale de décrire et de définir l'identité des Premières nations, que ce soit en termes de statut d'Indien ou d'appartenance à la bande. Les modifications de 1985 n'ont pas entièrement réglé les problèmes qui perdurent en matière d'égalité entre les sexes. Dans le cas McIvor, c'était certainement la conclusion des tribunaux, tant en première instance que devant la Cour d'appel.

La question est importante, parce qu'une bonne partie des effets de la Loi sur les Indiens découle de la création de ces catégories identitaires. Nous définissons certaines personnes comme étant Indiens et certaines autres comme étant membres d'une bande. Si nous n'avons pas ce droit, alors la Loi sur les Indiens suscite de nombreux problèmes. Lorsqu'une initiative législative sur une question précise est présentée, par exemple, pour bien en comprendre les effets il faut déterminer ses diverses conséquences sur les Indiens inscrits qui ne sont pas membres d'une bande, sur ceux qui sont membres d'une bande sans avoir le statut d'Indien, et pour ceux qui sont Indiens inscrits et membres d'une bande. Cela nécessite bien du travail inutile, à mon avis. Ce système n'est pas très cohérent et il faudrait certainement le modifier. Dans l'affaire McIvor, les plaignants qui ont engagé la procédure espéraient obtenir de l'aide pour déterminer la cohérence de la fonction fédérale qui définit l'identité des Premières nations.

M. Aldridge : Je reconnais que la question principale se rapporte à la capacité de chaque nation indienne de définir sa composition. Songez aux mots que nous utilisons : « Indien inscrit » et « Indien non inscrit ». Réfléchissez un peu à ces termes. Cela nous est si familier, j'imagine, que nous en venons à oublier que nous parlons d'être humains. Quelqu'un a le statut d'Indien, et quelqu'un d'autre ne l'a pas.

Là encore, vous me pardonnerez de revenir à ce que je connais le mieux, le traité des Nisga'a n'établit pas de telles distinctions. Vous êtes un citoyen Nisga'a, et cela est défini par le traité; c'est défini par les Nisga'a. Il est absolument essentiel de s'identifier, de pouvoir s'identifier soi-même.

Y a-t-il des critères objectifs que l'on pourrait envisager? Évidemment, il y en a. Toutefois, l'idée que le Parlement du Canada, en quelque sorte, a le droit politique ou moral de diviser une collectivité de personnes et de dire « Vous êtes membre et vous ne l'êtes pas, et vous oui, mais pas vous. » Vraiment, cela me paraît abominable. J'ai des frissons rien qu'à penser qu'on peut diviser ainsi une collectivité.

Je crois que cela est épouvantable.

Le sénateur Peterson : Alors, il me semble qu'il serait absolument essentiel d'en appeler devant la Cour suprême?

M. Aldridge : Je ne peux rien dire à ce sujet. La question est certainement importante.

Le sénateur Dyck : À ce sujet, vous disiez que les Nisga'a ont le droit de définir leurs propres citoyens aux fins du processus électoral. Est-ce qu'il serait possible, si une Première nation donnée revient à sa coutume, de dire « Je définis ainsi mes citoyens, et ils ont donc le droit de voter, quel que soit leur statut »?

Mme Cornet : D'après le libellé actuel de la Loi sur les Indiens, il faut répondre « non ». C'est l'interprétation qu'il faut donner si l'on tient compte des « quatre coins » de la Loi sur les Indiens. Si vous faisiez une analyse en fonction de l'article 35, vous arriveriez peut-être à une autre conclusion.

C'est pourquoi je disais au début qu'il serait peut-être utile d'analyser la Loi sur les Indiens en fonction de l'article 35, comme un tout, pour bien comprendre la portée du problème. Si nous nous penchons uniquement sur les cas individuels comme le mandat d'un représentant élu, le statut d'Indien et les divers types de discrimination, nous n'aurons peut-être pas une idée assez générale. La réponse pourrait être oui, si vous pouviez réaliser une analyse aux termes de l'article 35. Toutefois, si vous vous en tenez au texte de la Loi sur les Indiens, la réponse sera « non ».

M. Aldridge : Je suis d'accord avec Mme Cornet, mais je me suis peut-être mal exprimé : le traité des Nisga'a définit qui est de plein droit un citoyen Nisga'a. La nation Nisga'a ne peut pas retirer la citoyenneté à quelqu'un qui satisfait aux critères. Elle peut élargir les critères, mais elle ne peut pas les restreindre.

Toutefois, cela est un résultat de choix qu'ils ont fait concernant ces critères et de leur inscription dans le traité. Quant à ce que l'on pourrait faire maintenant, je suis tout à fait d'accord, Mme Cornet a raison : aux termes de la Loi sur les Indiens, il semble que la réponse serait « non ». Aux termes de l'article 35 et peut-être de la charte, on pourrait certainement soutenir que la réponse pourrait être positive, si cela était inclusif et non pas exclusif.

Le sénateur Dyck : Je demande une précision. Je pensais que si une Première nation revenait à la coutume et que cela était approuvé, alors Affaires indiennes et du Nord Canada cessait d'intervenir et laissait la Première nation régler ses affaires sans plus d'ingérence.

Est-ce que vous nous dites que la Première nation sera encore assujettie à la Loi sur les Indiens même si elle ne relève plus du ministère?

M. Aldridge : La règle d'appartenance prévue dans la Loi sur les Indiens s'appliquerait encore. Le retour à la coutume vous permet de concevoir votre propre régime pour le choix des dirigeants, mais la Loi sur les Indiens continue de définir ce qu'est un Indien inscrit.

Le sénateur Dyck : Merci.

Le président : Voilà des questions fort intéressantes. La situation est très complexe, chers collègues.

J'ai une question, et je la pose parce que cette notion d'amalgamation m'intrigue, notamment la façon dont les Nisga'a l'ont abordée. Comme vous le savez, monsieur Aldridge, j'essayais de faire adopter certaines dispositions habitantes sur l'autonomie gouvernementale, et bien sûr un des aspects est toujours lié à la capacité. Le sénateur Brazeau en a parlé ici, ce matin.

Prenons l'amalgamation par traités ou par nations historiques. Pensez-vous qu'il soit réaliste de croire que les Premières nations ou les bandes puissent s'amalgamer aux termes d'un traité? Le Traité no 1, par exemple, réunit les Ojibways et les Cris.

Vous connaissez bien la situation au Manitoba. Vous allez reprendre notre terre pour mes ancêtres. Qu'est-ce que vous pensez de cela?

M. Aldridge : On a beaucoup réfléchi et beaucoup écrit sur la notion que l'on peut reconstituer les nations originales. Je vous recommande, par l'entremise de vos adjoints, de consulter le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui traite de la question de façon assez détaillée et plutôt éclairée. Cela est très utile. Prenez l'initiative — ou ce que nous savons de l'initiative — lancée par le premier ministre Campbell avant les élections provinciales en Colombie-Britannique. Les mêmes thèmes semblent revenir. Évidemment, nous ne savons pas quelle loi en découlera.

N'allez pas penser que, selon moi, c'est tout ou rien; que si vous tentez de définir la nation historique, c'est ce que vous obtenez, ou que vous pouvez former cette nation et rien que cette nation. C'est pourrait être quelque chose de nouveau qui évoluerait et qui serait encore fondé sur le concept des nations originales. Ces nations formaient également des confédérations et elles fonctionnaient par l'entremise de confédérations et aux termes de divers types d'ententes politiques.

Si je peux me le permettre, je pense que là où nous nous rejoignons c'est lorsque nous voulons définir une façon de régler les épouvantables « dés-économies » d'échelle qui se produisent lorsque vous avez des unités politiques minuscules qui essaient de se définir avec le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale au XXIe siècle et qui éprouvent des problèmes de capacité, des problèmes de territoire ou des problèmes familiaux. On a beaucoup écrit sur la politique du petit et sur les problèmes particuliers qui en découlent.

Je ne peux pas offrir de solution universelle à ce problème. Je suis toutefois optimiste. J'espère que si on leur en donne l'occasion, le temps et la structure conceptuelle, de plus en plus de groupes de gens sauront qui ils sont et qui ils veulent être, et ils se réuniront pour former des unités plus imposantes et plus cohérentes.

Le président : Monsieur Aldridge, madame Cornet, je vous remercie de nous avoir présenté vos exposés et d'avoir répondu à nos questions. Merci d'être venus ici ce matin. Je vous suis reconnaissant de nous avoir fait profiter de vos connaissances, car vous avez tous les deux beaucoup d'expérience dans le dossier des Premières nations dans notre pays et vous avez tous les deux une excellente réputation. Je crois pouvoir dire au nom de tous mes collègues du comité que nous avons énormément de respect pour vous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, si vous n'avez rien à ajouter, je vous rappelle que notre prochaine séance aura lieu le mercredi 3 juin, à 18 h 30, dans la salle habituelle. Nous entendrons les représentants du Congrès des peuples autochtones.

Si personne n'a rien à ajouter, nous vous remercions à nouveau et la séance est levée.

Le sénateur Peterson : J'ai une question concernant les futurs exposés qui pourraient être présentés au comité. Est-ce que je remets la proposition à la greffière?

Le président : Oui. Nous pouvons en parler. Remettez cela à la greffière, ou nous en discuterons à la réunion du comité directeur. Nous ne nous embarrassons pas trop de formalités; nous voulons simplement faire le travail.

Le sénateur Peterson : Merci.

Le président : Il n'y rien d'autre? Très bien, merci encore.

(La séance est levée.)


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