Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 12 - Témoignages du 16 juin 2009
OTTAWA, le mardi 16 juin 2009
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 31 pour faire une étude sur les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions relatives aux élections selon la Loi sur les Indiens).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance est ouverte. Bonjour, mesdames et messieurs.
Je souhaite la bienvenue aux honorables sénateurs, aux membres du public et à toutes les personnes qui suivent ces délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, sur CPAC ou peut-être sur le site web.
Je m'appelle Gerry St. Germain et je suis de la Colombie-Britannique. J'ai le privilège de présider ce comité. Le mandat du comité est d'examiner les dispositions législatives et les questions générales relatives aux peuples autochtones.
Le 1er avril de cette année, le comité a décidé d'amorcer une étude dans le but d'examiner des questions relatives aux élections selon la Loi sur les Indiens. Le comité examine les préoccupations qui subsistent au sujet du système électoral de la Loi sur les Indiens, notamment le mandat de deux ans pour les chefs et les membres du conseil, tel que prescrit actuellement par la loi. Le comité sénatorial essaie d'obtenir l'avis de chefs de Premières nations, d'organisations autochtones et de membres des Premières nations ainsi que celui d'experts dans le domaine, sur l'opportunité d'apporter certaines modifications et sur la nature des modifications à apporter au régime électoral prescrit par la Loi sur les Indiens, afin d'assurer aux Premières nations une meilleure gouvernance, et notamment de renforcer la responsabilisation politique des chefs des membres des Premières nations.
Pour notre auditoire, il est important de préciser que 252 bandes indiennes tiennent des élections conformément à la Loi sur les Indiens. Ce nombre représente environ 40 p. 100 des bandes indiennes du Canada. Notre étude porte uniquement sur ce groupe. Les autres bandes choisissent leurs chefs à la suite des ententes sur l'autonomie gouvernementale qu'elles ont passées ou suivent d'autres mécanismes de sélection des chefs, comme les systèmes héréditaires ou les systèmes de clans. Dans le cadre de la présente étude, nous nous intéressons aux 252 bandes indiennes qui sont sous le régime de la Loi sur les Indiens.
[Français]
Pour poursuivre notre étude sur les élections tenues en vertu de la Loi sur les Indiens, nous recevons aujourd'hui des témoins représentant les Premières nations de la province de l'Ontario. Mais juste avant d'entendre ce qu'ils ont à dire sur le sujet, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont ici présents.
[Traduction]
Les honorables sénateurs ici présents sont le sénateur Brazeau, du Québec, le sénateur Lang, du Yukon, le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique, le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Peterson, de la Saskatchewan, le sénateur Fairbairn, de l'Alberta, et le sénateur Carstairs, du Manitoba.
Je présente maintenant les témoins qui feront un exposé aujourd'hui. Ils représentent Chiefs of Ontario, un organisme de coordination pour 133 collectivités des Premières nations situées dans la province de l'Ontario. Chiefs of Ontario a pour objectif de permettre aux dirigeants politiques de discuter des priorités régionales, provinciales et nationales touchant les Premières nations en Ontario et de présenter un front commun dans ces dossiers. Leurs activités sont régies par une confédération politique composée des grands chefs des quatre organisations politiques territoriales : Association des Iroquois et des Indiens alliés, nation Nishnawbe-Aski, le Grand Council of Treaty 3 et la Union of Ontario Indians. Sont également inclus dans la régie des activités de l'organisme un représentant des Premières nations indépendantes, organisme supervisé par un aîné de la région et présidé par le chef régional de l'Ontario, Angus Toulouse, qui est des nôtres ce matin. Soyez le bienvenu, chef Toulouse.
Le chef Toulouse est accompagné de Johanna Lazore. Nous sommes heureux que vous ayez trouvé le temps de venir ici pour partager vos opinions et peut-être répondre à nos questions en ce qui concerne les élections sous le régime de la Loi sur les Indiens.
Vous avez la parole, chef Toulouse.
Angus Toulouse, chef régional de l'Ontario, Chiefs of Ontario : Merci, sénateur.
Au nom de Chiefs of Ontario et en ma qualité de chef régional et de membre du comité de direction de l'Assemblée des Premières nations, j'ai été invité à témoigner devant le comité et j'en suis très heureux.
Je suis de la Première nation Sagamok Anishnawbek, située sur la rive nord du lac Huron, en Ontario. Regroupant 133 Premières nations de l'Ontario, Chiefs of Ontario est une tribune politique et un secrétariat où, collectivement, nous prenons des décisions, menons des interventions et défendons notre cause.
Les élections et le choix d'un chef constituent une question cruciale pour nos gouvernements et constituent peut-être l'exemple le plus éloquent du fait que nous subissons toujours une oppression culturelle et un déni de nos droits fondamentaux en tant que peuples autochtones et gouvernements des Premières nations.
Partout au pays, nos gouvernements disposaient de modes de sélection de chefs efficaces et parfaitement opérationnels bien avant l'arrivée des Européens. L'imposition de l'autorité coloniale sur notre système de leadership était, et est encore, un déni illégitime et inacceptable de nos droits et responsabilités. Des études, comme la Harvard Study on Indian Economic Development, établissent clairement l'importance cruciale du leadership dans une gouvernance propre à stimuler le développement.
De telles études établissent également l'importance cruciale d'une concordance culturelle et de l'exercice d'une souveraineté réelle. Par ailleurs, la Loi sur les Indiens a produit des systèmes électoraux très imparfaits, incohérents, faisant trop intervenir les mécanismes d'appel et qui, en fin de compte, ont déstabilisé nos gouvernements.
Sur ce point, les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sont d'accord avec les Premières nations. En fait, depuis plus de dix ans, les deux parties s'entendent sur la nécessité de changer le système. Le changement s'est toutefois avéré difficile, les Premières nations et le MAINC partant d'un point de départ différent et visant des résultats différents.
Le débat se poursuit depuis plus de dix ans, et nous avons toujours les mêmes problèmes, la même politique et la même législation. Il importe de noter, dès le départ, que la Loi sur les Indiens, pour ce qui est de ses buts et de son approche en matière d'élections et de sélection des chefs pour notre collectivité, a toujours été fondée sur un effort délibéré visant à miner les systèmes des Premières nations et à intégrer des valeurs et modèles européens. C'est cette réalité qu'il faut changer afin de corriger tout d'abord ce défaut fondamental — un changement lourd de conséquences, dans la voie du respect et de la concrétisation de la compétence des Premières nations en la matière.
Les règles et processus actuels concernant les élections aux termes de la Loi sur les Indiens ne reflètent ni nos droits ni nos aspirations en tant que Premières nations et manquent de pertinence par rapport aux réalités et aux exigences d'une gouvernance moderne et responsable.
Le ministre continue d'avoir un pouvoir unilatéral, et la loi n'a jamais exigé le consentement des Premières nations. Cette situation constitue, à nos yeux, un conflit fondamental avec l'article 35 de la Loi constitutionnelle et la protection des droits inhérents que celui-ci garantit.
Autre problème crucial : les Premières nations ont dû se plier à de nouvelles exigences, mais le financement dont elles bénéficiaient a été fortement réduit, voire abandonné. Le MAINC ne finance pas les élections. Il fournit plutôt aux Premières nations un financement de soutien des bandes. Le financement est une somme établie par répartition selon une formule et qui n'a aucun lien avec les besoins ou les exigences. Il s'agit d'une affectation dont la progression a été plafonnée à 2 p. 100 pendant dix ans. Enfin, c'est une affectation qui n'augmente pas au même rythme que l'inflation, ni même que la population, et ne tient pas compte de la nécessité d'adopter de nouvelles technologies ou de répondre à de nouveaux besoins comme ceux liés au vote par correspondance et aux appels.
Les Premières nations sont tenues de modifier leurs priorités en matière de financement tous les deux ans afin de pouvoir mener des élections. Selon des études du MAINC, étude sur les facteurs de coûts menée en 2006, le programme de financement des bandes ne fournit que 3 000 $ pour effectuer des vérifications, alors qu'elles en coûtent près de 30 000. On peut mettre en parallèle le fait que pour les élections, le gouvernement fédéral dispose d'une agence indépendante qui reçoit un financement pour s'occuper de tous les aspects des élections générales. C'est sans comparaison. Il y a deux poids, deux mesures.
Le MAINC a entamé un processus de conversion aux pratiques coutumières, de sorte que les Premières nations puissent tenir leurs élections selon leurs coutumes. Là encore, le ministère a établi une politique qui prescrit et limite ce mode de fonctionnement. Cette politique est mise en œuvre alors que rien n'exige la mobilisation de la collectivité ni l'approbation de cette dernière pour que la Loi sur les Indiens s'applique.
Une fois encore, la politique de conversion du MAINC énoncée à l'article 74 est probablement contraire à la Loi constitutionnelle de 1982, et plus particulièrement à l'article 25 de la Charte, qui protège les droits ancestraux et issus de traités contre toute ingérence de la Charte. Et pourtant, le MAINC continue d'imposer la Charte et d'exiger que les codes coutumiers s'y conforment.
Découragées, les Premières nations ont demandé au Ministère de changer son approche pour qu'elles puissent plus facilement mettre en place leurs propres systèmes électoraux, en y intégrant leurs traditions. Nombre de ces préoccupations portent sur des questions de processus prévus aux dispositions électorales de la Loi sur les Indiens, notamment la normalisation des procédures de nomination, le mandat, l'accès aux listes d'électeurs, les mécanismes de résolution de conflits et d'appel, les procédures de recomptage et les élections partielles.
Plus particulièrement, la durée du mandat continue de faire problème. Nous estimons tous, je pense, qu'un mandat de deux ans ne permet pas d'élaborer et de planifier des interventions dont on peut être tenu responsable. La fréquence des élections peut causer instabilité et incertitude pour les membres de la collectivité et les entreprises, et elle nuit au développement global de la collectivité. Il y a certainement de meilleures façons de procéder et les Premières nations doivent les trouver.
Ce sont les membres et les chefs des Premières nations qui sont les mieux placés pour comprendre les besoins de notre collectivité et travailler ensemble à leur satisfaction; il s'agit de trouver l'équilibre entre les systèmes traditionnels et les exigences d'aujourd'hui pour répondre aux besoins des collectivités à l'avenir.
Il importe de noter que la démocratie et l'engagement politique se portent bien dans les collectivités des Premières nations — bien mieux que dans le reste du Canada, en fait. La population canadienne se désintéresse de plus en plus de ses élections, alors que nos taux de participation à nos élections sont très élevés, entre 80 p. 100 et 95 p. 100. Le Canada n'a pas à imposer ses idées en matière de démocratie et de responsabilité, mais nos gouvernements ont peut-être beaucoup à montrer à l'ensemble de la société canadienne au chapitre de la participation à la vie politique.
Contrairement à tous les mythes que nous avons entendus à maintes reprises dans ce Parlement, les chefs des Premières nations ne tentent pas de maintenir le système fondé sur la Loi sur les Indiens pour leur propre intérêt. Rien ne pourrait être plus faux. Nos chefs travaillent fort pour dépasser la Loi sur les Indiens, pour avancer malgré elle. Les Premières nations désirent un changement et sont disposées à y travailler, surtout dans le domaine des élections et de la sélection des chefs.
La Loi sur les Indiens ne prévoit pas de système électoral qui tienne compte des besoins ou des valeurs des Premières nations ou y réponde. Il serait bon de se tourner vers des solutions qui tiennent compte du travail des Premières nations dans le sillage de la Loi sur la gouvernance des Premières nations, qui a été abandonnée. Dès 2003, les Premières nations ont adhéré à un objectif commun, se doter d'une vision pour mettre sur pied des gouvernements modernes et responsables et pour élaborer les principes et les processus nécessaires à un véritable changement.
Le plan de reconnaissance et de mise en œuvre des gouvernements des Premières nations, ou PRMOGPN, comportait trois grands axes de travail : réformes politiques, changement structurel et édification de gouvernements capables. Il énonçait également les éléments ou principes clés de la reconnaissance, notamment : reconnaissance et respect de l'article 35 de la Constitution, reconnaissance des relations existantes et issues de traités, reconnaissance de la compétence des Premières nations, reconnaissance des gouvernements des Premières nations et reconnaissance de la nature évolutive de la relation.
La question connexe de la réconciliation a également été renforcée par les éléments suivants, qui représentent le travail de mise à jour de la relation dans une optique de reconnaissance : facilitation de l'édification de la nation, relations budgétaires, dispositions intergouvernementales, résolution de conflits et responsabilité.
L'objectif du cadre est de modifier et d'améliorer la façon dont le gouvernement fédéral traite les Premières nations, des négociations à la rédaction de lois et politiques. Ce travail et l'accord signé par le Canada et les Premières nations en 2005 demeurent un fondement important de changement et constituent une solution de rechange clairement structurée aux pratiques actuelles du ministère et au maintien d'un système colonial fondé sur la Loi sur les Indiens.
Je clos mes remarques en répétant que les chefs des Premières nations ne s'opposent pas au changement. Nous sommes opposés à toute nouvelle oppression de la part du gouvernement du Canada et aux mesures qui sapent nos droits autochtones et issus de traités ainsi que les normes établies par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous savons que le ministère souhaite imposer les solutions à la va-vite, notamment en ce qui concerne le mandat. Ces mesures tombent à côté du but visé, car elles ne tiennent aucun compte du fait qu'il faut commencer le travail réel en matière de réconciliation et que c'est là une belle occasion de le faire.
J'ai entendu des membres du Parlement et du Sénat dire que nous devons faire de petits pas pour progresser sur ces dossiers. Bien que je ne sois pas tout à fait en désaccord, je sais qu'il faut établir la direction à suivre. Rafistoler la Loi sur les Indiens, la modifier légèrement n'est pas la bonne voie. S'engager directement et résolument avec les Premières nations à édifier les capacités et la compréhension est la bonne direction.
Nul n'est aussi découragé par l'inaction que nous. Pour certains, ces questions sont un sujet d'étude; pour nous, c'est une question de survie culturelle, pour nos collectivités et pour nos générations futures. Nous ne voulons rien de moins que des gouvernements capables ayant un véritable pouvoir de décision sur les questions qui touchent nos vies. Continuer de rafistoler des bouts de la Loi sur les Indiens ne nous rapproche pas du but. C'est comme repeindre une maison dont les fondations s'effritent.
Ce que nous devons faire, c'est bâtir une nouvelle structure à partir des assises pour nous éloigner d'une orientation stratégique établie à la fin des années 1800. J'encourage le comité à recommander au gouvernement d'aller dans la direction de l'engagement authentique, afin de permettre et de faciliter des solutions forgées par les Premières nations à cette question clé de la gouvernance des Premières nations.
Le président : Merci, chef. Chers collègues, c'est moi qui poserai la première question.
Dans votre exposé, chef, vous avez mentionné que :
Le MAINC a entamé un processus de conversion aux pratiques coutumières de sorte que les Premières nations puissent tenir leurs élections selon leurs coutumes.
Je sais qu'un grand nombre des Premières nations que vous représentez ont un système de chefs héréditaires. Est-ce que cela s'est jamais fait, à votre connaissance; s'est-on notamment éloigné d'élections conformes à la Loi sur les Indiens pour opter pour les pratiques coutumières et adopter un système héréditaire aux termes de ces pratiques?
M. Toulouse : Je ne connais pas de cas où ça s'est fait de façon intégrale. Je sais que, dans le contexte d'un système héréditaire, on a certaines difficultés à traiter de questions qui concernent une Première nation. Je ne suis pas Haudenosaunee, je suis Anishnabe et, par conséquent, je ne peux pas expliquer le fonctionnement intégral de leur système, mais ils ont un système de gouvernance traditionnel. Ils ont également un système d'élections selon la Loi sur les Indiens. Ils ont également eu un changement. Ils n'ont pas intégré complètement leurs coutumes, mais ils ont leurs propres pratiques.
Ils essaient encore de concilier les deux. La communauté s'applique encore à faire en sorte que le gouvernement traditionnel soit le gouvernement dans son intégralité.
Ils ont encore deux types de gouvernance. L'une concerne les terres et certaines zones de compétence et les dirigeants élus sont responsables de l'administration de la Loi sur les Indiens, selon leur interprétation; ils administrent les programmes et les services au sujet desquels ils ont signé des ententes.
Le président : Dans le cas des Nishnawbe-Aski, avez-vous des chefs héréditaires et une assemblée élue également? Avez-vous le « système double »? Ce n'est peut-être pas la bonne expression.
M. Toulouse : Dans ma collectivité, les Sagamok Anishnawbek, et dans les collectivités voisines, il n'y a pas de système héréditaire. Il y en avait sans aucun doute un. Est-ce un système qui a été maintenu? Il n'a pas été maintenu dans toutes les collectivités. On comprend les responsabilités qu'ont les membres de la collectivité. Il y a les guérisseurs, les enseignants et les praticiens, en rapport avec les cérémonies et autres activités semblables. Ces responsabilités sont toujours intactes. Nous n'avons pas de documentation indiquant clairement la nature de ce rapport.
Ma collectivité est régie par l'article 74 de la Loi sur les Indiens, en ce qui concerne les élections. Nous n'avons pas de chef héréditaire dans notre collectivité.
Le sénateur Lang : Nous vous souhaitons la bienvenue. Vous avez signalé que vous estimiez tous qu'un mandat de deux ans ne permettait pas d'élaborer et de planifier des interventions dont on peut être tenu responsable et, pourtant, vous insistez beaucoup sur le fait qu'il ne faut pas apporter de changements, à moins de modifier tout le système. De toute évidence, cette approche vous placerait dans une situation telle que, si des changements ne sont pas faits progressivement, il faudrait peut-être attendre une dizaine d'années avant que quoi que ce soit d'important se fasse. Nous avons examiné la loi sur la gouvernance et l'Accord de Kelowna. Nous devrions peut-être consulter l'histoire et nous demander si nous pouvons en tirer des leçons.
Est-ce que votre organisation tient beaucoup à une prolongation du mandat du chef et des conseillers de deux à quatre ans par exemple, pour atténuer cette instabilité politique?
M. Toulouse : La réponse rapide est que les collectivités des Premières nations s'occupent de cette question. Je pense que toutes les Premières nations reconnaissent que la période de deux ans doit changer. Nous estimons que le gouvernement devrait apporter des modifications, car tout ce que nous avons vu, c'est le statu quo qui consiste à adopter l'attitude suivante : nous réglerons tout pour vous, vous les chefs et les membres des Premières nations; nous avons toutes les solutions.
Il est essentiel que nous nous réunissions et que nous collaborions pour déterminer les priorités. L'élection des chefs deviendrait probablement une question prioritaire que les Premières nations seraient disposées à régler. Tout ce que nous voulons, c'est qu'on s'asseye, qu'on fixe les priorités, qu'on établisse le plan d'action et qu'on examine les lacunes à combler sur le plan de la politique.
Nous constatons que nous sommes capables de régler très rapidement ces questions si nous adoptons une approche plus efficace, axée davantage sur la collaboration; c'est d'ailleurs ce qu'ont préconisé l'Assemblée des Premières Nations et Chiefs of Ontario. Il faut s'asseoir pour discuter de façon respectueuse et établir un plan d'action dont on pourra clairement vérifier les résultats à mesure qu'on réglera les différentes questions et les différentes politiques ou les dispositions législatives, en l'occurrence, qui continuent d'avoir quelque impact négatif au niveau des Premières nations.
Le sénateur Lang : De toute évidence, cette tribune vous donne, en partie du moins, la capacité nécessaire à cet engagement. Le comité a pris la décision que c'était un domaine à étudier parce que la question a été mise sur le tapis par vos organisations et par d'autres personnes; il s'agit de déterminer si nous pouvons faire quelque chose pour atténuer les faiblesses, quelque chose qui puisse être utile. C'est la raison pour laquelle nous sommes tous ici.
Tout est lié à l'instabilité causée par la durée de deux ans du mandat. On s'accorde à dire que la période devrait être prolongée, pour autant qu'on rende des comptes.
Je tiens à ce que ceci soit bien clair : bien que nous ne modifierons pas complètement la structure actuelle par ce processus, nous avons la capacité de recommander des changements qui pourront être mis en œuvre conjointement par le gouvernement et par les Premières nations. Si nous recommandions une modification habilitante à la Loi sur les Indiens, qui permettrait aux Premières nations de prolonger la durée du mandat de deux à un maximum de quatre ou cinq ans, l'appuieriez-vous? La décision appartiendrait aux Premières nations concernées, mais du moins la loi leur permettrait de le faire. Appuieriez-vous ce type de modification?
M. Toulouse : Les Premières nations qui sont soumises au régime du mandat de deux ans l'appuieraient sans aucun doute. Il ne faut pas seulement envisager de rafistoler certaines dispositions de cette loi, mais il faut aussi y apporter des changements constructifs ayant un impact plus important; dès lors, pourquoi ne pas collaborer, s'asseoir et établir un plan d'action qui ne consisterait pas seulement à rafistoler la disposition qui fixe la durée du mandat à deux ans mais qui apporterait aussi bien d'autres changements qui seraient plus utiles pour la reconnaissance et la mise en œuvre des gouvernements des Premières nations?
Je reviens toujours à cette question-là car c'est celle dont discutent les chefs et les membres des Premières nations. On se demande comment améliorer la vie des membres au niveau de base, à celui de la collectivité. D'après ce qu'on m'a dit, c'est par l'engagement et par des discussions dans un esprit de collaboration qu'on ira de l'avant. Il est essentiel d'établir un plan d'action commun. Je le répète, l'imposition d'une politique et de dispositions législatives se heurtera à de l'opposition, comme vous avez déjà pu le constater, quand on suggère de modifier des dispositions de la Loi sur les Indiens.
L'opposition est due au fait que la Loi sur les Indiens présente un tel nombre de défauts que les chefs des Premières nations aimeraient probablement beaucoup avoir l'occasion d'indiquer au gouvernement comment aller de l'avant ou lui suggérer de s'asseoir pour établir au moins cinq volets communs d'un plan d'action sur lesquels on pourrait travailler pendant un certain temps. Il n'est pas nécessaire que cette collaboration dure des dizaines d'années, ni même des années, mais elle doit capitaliser sur les gouvernements des Premières nations qui sont déjà capables et sur le type de changement structurel qui est essentiel pour que les autres le deviennent.
Le sénateur Lang : Je voudrais revenir à la question de la prolongation de la durée du mandat de deux ans à quatre ans. Si l'on apportait une modification à la loi, le changement ne serait pas imposé. Il s'agirait d'une modification habilitante. Ce sont les Premières nations qui décideraient si elles veulent le prolonger de deux à quatre ans.
Est-ce qu'un mandat de quatre ans, par exemple — pour les Premières nations qui le souhaitent, s'il leur apportait une plus grande stabilité politique — serait préférable pour faciliter un remaniement important du régime actuel? Les organisations concernées disposeraient alors, sur le plan politique, d'un délai plus long pour vous fournir la base nécessaire à d'autres changements politiques.
M. Toulouse : Je connais ce commentaire. Je connais votre argument. Revenons à la situation que j'ai évoquée tout à l'heure, avec les Six nations. Je ne suis pas Haudenosaunee. J'espère que je ne leur manque pas de respect. Leur gouvernance traditionnelle est là depuis toujours. Ils doivent malgré tout concilier toutes les contraintes que le MAINC a imposées à la collectivité.
Ça n'avance pas cette collectivité qu'on s'intéresse uniquement à la question des chefs. Depuis plusieurs années, elle doit examiner la possibilité d'établir un mécanisme ou un moyen qui lui permettrait de concilier sa situation actuelle et les contraintes. On ne peut affirmer que si on prolongeait le mandat à quatre ans, cela améliorerait la situation pour les collectivités; leur situation pourrait s'améliorer, mais bien d'autres facteurs entrent en ligne de compte.
On ne peut donc pas dire que tout devrait bien aller parce qu'on a prolongé la durée du mandat prévue dans la Loi sur les Indiens de deux à quatre ans. Ce ne sera pas nécessairement le cas, car il y a une question de ressources, il y a la question du plafonnement à 2 p. 100 et de nombreuses autres questions avec lesquelles les collectivités des Premières nations sont aux prises. Le problème est lié en grande partie aux politiques actuelles qui ne permettent pas de tenir des négociations sur l'autonomie gouvernementale, qui empêchent les groupes des Premières nations ou les nations d'aller de l'avant avec une entente sur l'autonomie gouvernementale.
La prolongation du mandat de deux à quatre ans ne réglera pas tous les problèmes des Premières nations car ceux qui sont liés à la sécurité et à la stabilité, par exemple, persisteront. J'insiste sur le fait qu'il est essentiel de reconnaître et de mettre en œuvre les gouvernements des Premières nations, d'apporter des réformes sur le plan des politiques et des changements structurels.
Le sénateur Carstairs : Monsieur Toulouse, je vous comprends clairement pour ce qui est de ne pas seulement rafistoler la Loi sur les Indiens et que, si l'on veut la modifier, il faut le faire globalement et pas par petits bouts.
Ma question porte sur un autre sujet que vous avez abordé et qui concerne la vérification. Vous avez signalé que les fonds de 3 000 $ qui vous sont accordés sont réservés pour la vérification mais qu'en réalité, le coût moyen de la vérification pour une collectivité des Premières nations est de 30 000 $. Où trouvez-vous les 27 000 $ manquants pour payer cette vérification? Quels autres services doivent être réduits pour réunir les fonds nécessaires pour payer la vérification?
M. Toulouse : Chaque collectivité doit se démener à sa façon pour payer le coût de la vérification. Certaines collectivités créent un déficit. Certaines ajoutent cela à un déficit existant. Après des années de déficit, elles constatent peut-être que la cogestion est nécessaire parce qu'en vertu de la politique du MAINC, lorsque le déficit atteint un certain pourcentage, cela nécessite une mesure corrective qui pourrait inclure l'intervention d'un gestionnaire tiers pour gérer les affaires de la collectivité concernée.
Dans la plupart des cas, on réduit certaines dépenses. On comprime les dépenses. Cela peut être au niveau de l'administration de la bande ou du logement social ou alors une réduction dans les travaux de voirie ou dans l'entretien du réseau de canalisations d'eau existant. Les Premières nations doivent se priver à cause des ressources insuffisantes prévues dans le cadre du financement de soutien des bandes. La vérification n'est qu'un exemple. On constate dans bien d'autres cas également qu'on ne reçoit pas les ressources auxquelles on est en droit de s'attendre de la part du gouvernement ou d'autres parties, pour le financement de soutien des bandes. Il faut toujours prendre à Pierre pour donner à Paul quand il y a des élections, des vérifications ou d'autres dépenses à faire.
Le sénateur Carstairs : Dans le même ordre d'idées, lorsque j'étais députée à l'Assemblée législative du Manitoba, nous consacrions 34 p. 100 de notre budget provincial à la fourniture des soins de santé. Maintenant, c'est 44 p. 100 qu'on y consacre. En 1996, mon gouvernement a imposé un plafonnement de 2 p. 100. Quel impact ce plafonnement a- t-il eu sur la fourniture de services comme le logement social, les soins de santé et l'éducation?
M. Toulouse : La croissance a été très forte dans les collectivités des Premières nations. Le fait que c'est dans notre population qu'on enregistre la plus forte croissance démographique au Canada a été reconnu. Les impacts ont été considérables. L'écart s'est creusé davantage dans le domaine de l'éducation de nos enfants. Dans certaines régions, les collectivités autochtones reçoivent jusqu'à 4 000 $ de moins que d'autres commissions scolaires provinciales pour l'éducation de chaque enfant.
Depuis la mise en œuvre du plafonnement à 2 p. 100, le pouvoir d'achat du dollar a diminué. Un dollar de 1996 vaut environ 20 cents actuellement. Les administrations des Premières nations font plus avec moins et ce, à cause de l'impact du plafond de 2 p. 100. On nous pousse à continuer à fournir les rapports que la vérificatrice générale a signalés. Les Premières nations sont inondées de plus de 160 rapports par année. On est tellement occupé à préparer des rapports qu'un grand nombre de nos services ne font pas ce qu'ils sont supposés faire, à savoir servir les membres de la collectivité. Les Premières nations sont occupées à préparer des rapports et à rendre des comptes pour les ententes de contribution signées par de nombreuses administrations.
Le plafonnement de 2 p. 100 a eu un impact extrêmement dommageable sur les administrations de nos Premières nations, pour ce qui est de poursuivre leur travail pour leur collectivité et de faire ce qui a été convenu dans les ententes de contribution qu'elles ont signées.
Le sénateur Carstairs : Ma dernière question ne porte pas sur la gouvernance. Pourriez-vous faire le point en ce qui concerne le virus H1N1 dans la collectivité dont vous êtes le grand chef?
M. Toulouse : Je reçois des mises à jour régulières. Ça devient grave dans le nord de l'Ontario où il y a une vingtaine de collectivités qui ne sont accessibles que par avion. La rapidité avec laquelle ce virus peut faire son entrée dans une collectivité est surprenante. Ce virus effraie la population et immobilise la collectivité. On a parallèlement de nombreuses inquiétudes au sujet de la pénurie d'infirmières qui est récurrente. La question du maintien de ce service se pose. Ce qui est encore plus préoccupant, c'est la présence du H1N1 dans six collectivités des Premières nations du nord de l'Ontario.
De nombreux autres cas de grippe ou d'autres maladies ont été confirmés et c'est très inquiétant pour les collectivités concernées. Je suppose qu'on se demande comment il se fait que ces collectivités très isolées soient les plus touchées. Est-ce parce qu'on a tous les chiffres et qu'il est plus facile de faire un suivi? Est-ce parce qu'il est plus facile de se tenir au courant de la situation dans une collectivité qui est très restreinte, dans une réserve? Je ne sais pas très bien.
C'est préoccupant. On se demande si ces collectivités auront la capacité de maintenir les soins infirmiers et le type de traitement qui sont nécessaires. Le directeur pour la région de l'Ontario de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits m'a assuré que son service fait absolument tout ce qu'il y a à faire pour que les antiviraux ou tout ce qui est nécessaire soient prêts, si on n'est pas déjà en train de vacciner les membres de ces collectivités contre la grippe. J'espère que la situation ne s'aggravera pas, mais c'est inévitable. Il s'agit d'une pandémie.
Dans plusieurs collectivités, une maison qui était prévue pour une famille abrite trois ou quatre familles. C'est une situation attristante. J'ai vu des collectivités qui ont de la difficulté à survivre, dont on a parlé dans les actualités.
Ce n'est pas différent de ce que vous avez vu dans le nord du Manitoba. C'est exactement le même type de situation où les services manquent et où l'absence de développement résidentiel a engendré un problème.
Des chefs m'ont dit ceci : « Chef régional, il faut que vous preniez notre défense. Nous voulons obtenir de la Société canadienne d'hypothèques et de logement une partie des fonds et des ressources qui nous sont destinés pour le logement, d'après ce que le gouvernement fédéral a annoncé, mais nous n'y arrivons pas car le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne nous a pas permis de développer notre infrastructure, autrement dit d'aménager des terrains à bâtir avec les services. » Il n'y a pas de terrains à bâtir avec les services dans la plupart des collectivités des Premières nations et, par conséquent, ces collectivités ne peuvent pas obtenir les fonds destinés au logement. Elles sont coincées. Les fonds prévus pour le logement restent là pendant que les collectivités des Premières nations essaient d'aménager des terrains à bâtir avec les services, sans trop de succès, pour faire avancer les choses. On leur dit qu'il n'y a pas de ressources pour leur permettre de faire leur planification en matière d'immobilisations, pour s'assurer qu'elles aient des terrains avec services.
Certaines collectivités des Premières nations sont obligées d'abattre des maisons condamnées parce que ces maisons ne sont plus assez sécuritaires pour y vivre ou même pour être rénovées. Dans certaines collectivités, des familles vivent actuellement dans ces maisons délabrées; ces collectivités essaient au moins de faire des travaux de réfection, mais c'est tout ce qu'elles peuvent faire, car elles n'ont pas de terrains à bâtir avec services.
Ça pose vraiment un défi et c'est très préoccupant quand la plupart des collectivités des Premières nations vivent dans une trop grande promiscuité et sont donc exposées aux conséquences potentielles de cette pandémie.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je vous remercie et vous souhaite la bienvenue. Vous avez fait plusieurs allusions à la collaboration dans votre exposé. Vous voulez collaborer avec les chefs et avec les gouvernements. Est-ce que des organisations féminines participent à ce processus?
M. Toulouse : Absolument; je vois un conseil des femmes dans chacune des organisations comme l'Union of Ontario Indians, le Grand Council Treaty 3, les organisations provinciales-territoriales et les Nishnawbe Aski. Nous voyons également des conseils des jeunes et des anciens. Les conseils représentent tous les groupes démographiques de nos collectivités. Je viens d'une famille de 13 enfants et j'ai dix sœurs; je respecte donc les femmes. Je n'ai pas eu le choix et j'ai dû vivre avec des représentantes du sexe féminin. Je respecte les femmes et je comprends qu'elles ont beaucoup à offrir sur le plan des responsabilités également.
Pas plus tard que l'année dernière, nous avons entrepris un travail concret au sujet de la déclaration sur l'eau et les femmes ont dit que cela relevait de leur responsabilité. Elles se sont mises à exécuter la cérémonie et ont continué de nous instruire sur les responsabilités qu'elles ont dans tous les aspects de la vie, surtout pour ce qui est de prendre la tête des opérations dans des contextes comme celui de notre déclaration sur l'eau et de la nécessité de protéger l'eau.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Nous avons déjà entendu des témoins mentionner les problèmes et les difficultés qui se posent en ce qui concerne les bulletins de vote par correspondance dans leurs collectivités. Quelle est la situation dans votre collectivité? Si un problème se pose, avez-vous une solution à suggérer?
M. Toulouse : On a un problème pour ce qui est de communiquer avec tous les membres d'une collectivité des Premières nations qui ne vivent pas dans la réserve. De nombreuses collectivités sont confrontées à la difficulté du traitement des bulletins de vote par correspondance et à d'autres problèmes semblables.
Le coût pose un problème. Les collectivités n'ont pas les ressources nécessaires pour se mettre à la recherche de leurs membres. Je pense que les Premières nations ont manifesté beaucoup de bonne volonté pour ce qui est de localiser bon nombre de leurs membres, mais ça pose un défi quand on n'a pas les ressources nécessaires. Je pense qu'elles ont placé des avis dans les villes, afin d'attirer l'attention de leurs membres qui résideraient en milieu urbain, sur la tenue d'élections. Le problème est davantage dû au coût lié au temps et à l'équipement nécessaires pour localiser des membres de la collectivité qu'à tout autre facteur. Je pense que la majorité des Premières nations veulent localiser leurs membres. Elles n'en ont toutefois généralement pas les moyens.
Le sénateur Brazeau : Chef Toulouse, je voudrais continuer à poser des questions sur le problème des vérifications. Vous avez mentionné l'étude du MAINC, l'étude sur le facteur de coûts. Je ne conteste pas les chiffres relatifs au coût des vérifications. Prétendez-vous toutefois que, dans le cadre des demandes et des propositions de financement que les collectivités remettent au Ministère, le poste budgétaire pour le coût comme tel des vérifications n'est pas couvert par les ententes de financement qui les concernent?
M. Toulouse : Je pense que ce serait formidable si le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien acceptait les propositions. Il ne les accepte toutefois pas. Le financement fait par le ministère est entièrement fondé sur une formule. Si une bande compte un certain nombre de membres et a un certain type d'infrastructure, ces facteurs sont intégrés à une formule qui indique quel sera le financement de soutien de la bande concernée. La formule est basée sur de vieux facteurs.
Par exemple, il y avait des facteurs sensibles à l'évolution des coûts et d'autres qui ne l'étaient pas. Si je m'y connais dans ce domaine, c'est parce que nous faisions cette procédure manuellement avant l'arrivée des ordinateurs et avant que tout ne soit automatisé. Lorsque j'étais administrateur de bande, nous faisions les calculs manuellement, notamment en ce qui concerne le nombre total de membres vivant dans la réserve, et hors réserve, le nombre d'employés, le type de chemins et le nombre de maisons. Tout était intégré à une formule qui indiquait ce que devait être le financement de soutien de la bande.
C'était ridicule au bout du compte car, dans certains cas, nous savions que les coûts de vérification s'élèveraient à 30 000 $ mais que, d'après la formule et les facteurs pris en compte, nous ne recevrions que 3 000 $. Une question qui se posait constamment quand j'étais administrateur, c'était celle des possibilités de s'adapter à cette situation, de s'assurer que le gouvernement ne pense pas que nous pouvions faire une vérification pour 3 000 $ alors que le montant de la facture envoyée par le vérificateur était de 30 000 $; on se demandait comment on pourrait continuer ainsi. Ce sont les déceptions et les préoccupations que les chefs n'ont cessé de signaler au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
C'est un mythe que les collectivités des Premières nations touchent 10 milliards de dollars. Ce n'est pas le cas. Si elles touchaient 10 milliards de dollars, la pauvreté ne serait pas aussi grande sur les plans de l'infrastructure ou du logement et tous les problèmes sociaux qui se posent actuellement seraient inexistants. Nous aurions au moins une bonne infrastructure, une bonne gouvernance et la capacité de former des gouvernements capables. Le financement de soutien des bandes est censé financer de nombreuses fonctions et responsabilités au niveau administratif alors qu'en réalité, la plupart de ces fonctions et responsabilités ne sont pas financées.
J'espère que la plupart des personnes ici présentes reconnaissent que l'autofinancement est quasi inexistant dans la plupart des collectivités des Premières nations. Le sénateur Carstairs a demandé d'où viennent les autres fonds; eh bien, ils viennent du déficit. C'est le grand vide qui se crée quand ce besoin n'est pas reconnu.
Le sénateur Brazeau : Voulez-vous dire que le Ministère roule les collectivités des Premières nations en ne leur permettant pas d'avoir les ressources nécessaires pour faire faire une vérification en bonne et due forme? Dans ce cas, pouvons-nous voir un document attestant qu'une collectivité des Premières nations a payé elle-même le coût d'une vérification et que le ministère a refusé d'envoyer les fonds nécessaires en sus des 3 000 $ actuellement accordés?
M. Toulouse : Je peux probablement signaler quelque 620 collectivités qui pourraient facilement vous fournir des preuves, si elles savaient que ça leur servirait à quelque chose.
Si chaque Première nation devait envoyer les factures qu'elle reçoit effectivement, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne saurait qu'en faire.
Vous demandez pourquoi les Premières nations n'indiquent pas les coûts réels. Elles l'ont fait. Le problème, c'est que, puisqu'elles ont reçu une formation d'administratrices, elles savent maintenant très bien qu'elles perdent un temps et une énergie précieux en essayant d'obtenir des fonds supplémentaires, connaissant la réponse d'avance, à savoir que la formule est appliquée au pied de la lettre. De nombreux chefs des Premières nations écrivent au gouvernement pour suggérer d'autres possibilités et faire des propositions, faire peut-être des ajustements ou du moins tenter de régler le problème. Ces propositions tombent toutefois toujours dans l'oreille d'un sourd ou bien alors les fonds de développement qui sont destinés aux initiatives ou la latitude que l'on a sont tellement minimes que, pour les collectivités, les organisations ou les administrations des Premières nations, ça ne vaut pas la peine d'essayer d'obtenir quelques sous supplémentaires pour tenter d'obtenir de quoi couvrir les besoins réels, compte tenu de tout le travail et de tous les efforts que ça représente.
C'est, je le rappelle, un domaine dans lequel le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a fait savoir à chaque administration que c'est à prendre ou à laisser, que l'entente de contribution est ce qu'elle est et que, si ça ne plaît pas à l'administration concernée, elle ne recevra rien du tout. C'est, je le rappelle, cette situation qui a incité la plupart de nos collectivités à signer ces ententes de contribution dans 99 p. 100 des cas, selon un certain type de procédure. Elles savent que si elles n'acceptaient pas de les signer et que si elles se plaignaient de ce que les fonds ne correspondent pas à leurs véritables besoins, elles ne recevraient rien. Les membres des Premières nations demandent à leurs chefs ce qu'ils font et ceux-ci essaient de leur expliquer qu'ils sont obligés de prendre position, mais leurs administrés crèvent de faim.
Le résultat ne rend pas justice au problème initial qui est qu'on profite de ce que les membres de nos collectivités crèvent de faim pour avoir gain de cause. Du fait qu'ils sont dans le besoin, le gouvernement a de la facilité à inciter les administrateurs, les chefs et les conseils à signer ces ententes de contribution chaque année, à leur faire admettre qu'elles répondent à leurs besoins et qu'elles sont conformes aux modalités prévues. Nous savons tous que si les bandes refusent de les signer, elles ne recevront pas un sou.
Le sénateur Brazeau : Vous avez mentionné tout à l'heure que vous vous opposiez à toute nouvelle imposition par le gouvernement du Canada de dispositions législatives qui saperont les droits autochtones et issus de traités. Comment expliquez-vous le fait que l'actuelle Loi sur les Indiens, qui a été imposée en 1876, ait sapé nos droits autochtones et issus de traités et continue de le faire? C'est un obstacle à la plupart des progrès que nous pouvons réaliser dans des domaines comme le développement économique et l'accès aux ressources naturelles, par exemple.
Vous avez également signalé que vous étiez opposé à des modifications par petits bouts de la Loi sur les Indiens. Si je prends l'exemple du projet de loi C-31 qui représentait une modification partielle de la Loi sur les Indiens, cette modification a apporté quelques notions constructives et éliminé une grande partie de la discrimination pratiquée dans le contexte de la Loi sur les Indiens, en rendant leur statut à certaines personnes.
Convenez-vous que tout changement progressif ou tout changement qui présente certains avantages par rapport au statu quo est le bienvenu, étant donné que nous sommes sous le régime de cette Loi sur les Indiens depuis plus de 130 ans et que quelques modifications y ont été apportées depuis lors?
M. Toulouse : Pour être clair, j'estime que c'est un devoir de consulter et de faire des accommodements.
En Ontario, par exemple, lorsque le gouvernement provincial voulait modifier la Loi sur les mines, les chefs et les membres de nos collectivités disaient qu'il fallait des consultations et des accommodements sur la décision que la Cour suprême avait rendue en ce qui concerne sa mise en œuvre. Ils se demandaient si, en l'occurrence, cette mesure législative répondait effectivement au critère de « consentement préalable, libre et informé », ce qu'ils estimaient essentiel.
Alors que nous nous appliquions à défendre les intérêts des Premières nations dans le contexte des modifications à cette loi, en notre qualité d'organisation et de représentants d'organisations politiques et territoriales, nous avons discuté avec les représentants du gouvernement provincial et leur avons fait savoir qu'en fin de compte, c'est encore aux collectivités qu'il incombe de décider, si elles estiment que les modifications respectent la notion du consentement préalable, libre et informé, comme elles le jugent indispensable.
C'est une autre chose pour laquelle nous attendons de voir ce qui va se passer. En fin de compte, des modifications comme celles que représente le projet de loi C-31 aident un grand nombre de frères et sœurs à être reconnus comme tels.
Ce dont on n'a pas nécessairement tenu compte dans leur intégralité, c'est de l'aspect financier et des ressources nécessaires — et des impacts de ces facteurs sur le logement et sur l'infrastructure au niveau des collectivités. Tous ces facteurs ne sont pas nécessairement pris en compte au point où le projet de loi modifie des éléments comme le financement de soutien des bandes ou les formules utilisées actuellement par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui ont été élaborés il y a des années, avant le projet de loi C-31.
Il y a ces impacts. La consultation et les accommodements sont, de nos jours, ce que les Premières nations réclament au minimum lorsque le gouvernement envisage d'apporter des modifications à une politique ou à des textes législatifs.
Le sénateur Hubley : Soyez le bienvenu, chef Toulouse. Je m'excuse d'être en retard.
Vous avez mentionné que la Loi sur les Indiens n'instaure pas un système électoral qui reflète les besoins ou les valeurs des Premières nations ou y répond. De nombreuses collectivités s'appuient sur la Loi sur les Indiens pour administrer les élections. Pouvez-vous faire des commentaires un peu plus étoffés à ce sujet-là? Pourquoi la Loi sur les Indiens ne répond-elle pas aux besoins des Premières nations en ce qui concerne les élections? Vous pourriez peut-être ensuite expliquer pourquoi la Loi sur les Indiens ne devrait pas être modifiée et si la présente modification est considérée comme du rafistolage, un ajustement ou une amélioration. Pourriez-vous nous donner votre avis?
M. Toulouse : Pourriez-vous répéter la question? Je ne voudrais pas partir sur une tangente.
Le sénateur Hubley : Vous avez fait dans votre exposé deux ou trois commentaires que j'ai trouvés intéressants. Le premier, c'est que vos chefs travaillent fort pour dépasser la Loi sur les Indiens — pour faire des progrès malgré elle. Ça me chicote d'une certaine façon. J'ai l'impression que la Loi sur les Indiens est en quelque sorte un obstacle à vos priorités et à vos objectifs.
Vous avez également fait remarquer que la Loi sur les Indiens n'instaurait pas un système électoral qui reflète les besoins ou les valeurs des Premières nations ou y répond. Y a-t-il des besoins ou des valeurs dont nous ne sommes pas conscients? Est-ce que le fait de modifier la Loi sur les Indiens ne l'améliorera pas pour les Premières nations ou est-ce un aspect qui est tellement relié aux autres dispositions de cette loi qu'on ne peut pas l'améliorer isolément?
M. Toulouse : Je relaterai une expérience que j'ai vécue à titre de chef des Sagamok Anishnawbek il y a des années. Notre conseil examinait la Loi sur les Indiens et discutait de la modification du code. Nous avons au préalable examiné notre situation financière et avons estimé que si nous demeurions sous le régime de la Loi sur les Indiens, quelqu'un au moins paierait pour les élections. Nous avons estimé que c'était au moins là un avantage, bien que nous savions que cette loi présentait beaucoup de défauts. Depuis lors, le financement de soutien des bandes ne couvre pas entièrement les frais du processus de sélection des chefs; la Loi sur les Indiens ne couvre plus ces frais.
Nous avons examiné un système que nous aurions aimé rétablir, à savoir notre système de clans. Notre système de clans n'est pas nécessairement documenté ni reconnu actuellement, mais nous avons fait les recherches nécessaires. Nous avons fait intervenir les anciens et des personnes qui avaient fait des recherches approfondies et des travaux dans ce domaine, car c'est sur cette information que nous voulions nous baser.
Ce qui nous a empêchés d'aller jusqu'au bout, c'est la magnifique performance de la Loi sur les Indiens pour ce qui est de diviser nos nations. Sagamok Anishnawbek est une collectivité des Premières nations, qui fait partie de la nation Anishnawbek. Dans certaines régions, la Three Fires Confederacy faisait partie de la famille de la nation Anishnawbek.
Dans notre collectivité, à Sagamok, nous reconnaissons que les Anishnawbek qui y vivent sont d'ascendance Ojibwa, Potowatomi et Odawa. Nous faisons partie des Sagamok Anishnawbek. Nous faisons partie d'un conseil tribal qui fournit des services à sept collectivités et il fournit des services qui doivent être partagés, pour des raisons d'économies d'échelle.
Nous faisons également partie d'une organisation politique territoriale appelée Union of Ontario Indians — la nation Anishnawbek, comme on la dénomme également, mais la raison sociale est Union of Ontario Indians.
Nous avons essayé d'élaborer notre propre constitution et d'établir notre autonomie gouvernementale en quelque sorte, et nous élaborons cette constitution à l'intérieur de notre collectivité. Nous avons constaté qu'il existait, et qu'il existe toujours, de nombreux défis et de nombreux obstacles à l'édification d'une véritable nation, qui est essentielle.
En Ontario, par exemple, en ce qui concerne les langues distinctes et les groupes importants, nous avons les Anishnawbek. Il y a les Haudenosaunee, les Mush'kego et les Lenapi.
Ce sont les groupes importants, les nations importantes que les chefs actuels aspirent à rétablir et qui régleraient une grande partie des questions et des problèmes que vous avez soulevés, pour ce qui est de la façon de procéder et de dépasser la Loi sur les Indiens.
C'est le travail auquel je fais allusion, qui est effectué essentiellement en dehors de la Loi sur les Indiens. Les progrès sont lents, car nous n'avons pas les ressources nécessaires pour ce travail. Nous avons des conflits entre chefs, car les chefs sont occupés à administrer des programmes et des services au niveau de la collectivité et n'ont pas beaucoup de temps pour s'intéresser aux enjeux plus généraux touchant à l'édification d'une nation et de s'assurer que les lois que la Première nation veut mettre en œuvre au niveau de sa collectivité sont conformes à celles des autres collectivités Anishnawbek. Ce sont les difficultés auxquelles les Premières nations sont actuellement confrontées dans leur cheminement vers l'autonomie gouvernementale.
Certaines négociations avec le gouvernement fédéral sont, bien entendu, parfois comprises au niveau de la collectivité, au niveau de la Première nation, car elles se situent à un niveau organisationnel et pas nécessairement à celui de la Première nation. Je parle du travail qui se fait réellement au niveau de la Première nation.
Vous avez entendu parler de rassemblements comme ceux de la Three Fires Confederacy. Vous avez entendu dire que le caucus iroquois se réunit. Ils discutent du même sujet. Tout se fait en dehors de la Loi sur les Indiens.
C'est la raison pour laquelle les chefs des Premières nations ont reconnu que, si l'on veut que tout concorde avec l'article 35, tout ce qui concerne notre identité à titre de peuple distinct — nous avons les capacités et le droit inhérent de nous gouverner nous-mêmes et de nous assurer que nos nations, nos langues, nos cultures et nos cérémonies soient préservées. C'est le défi qui se pose aux chefs des Premières nations.
Lorsque les jeunes participent à nos assemblées, ils rappellent aux chefs qu'ils ont l'énorme responsabilité de veiller à ce que la langue — c'est ce dont ils ne cessent de parler — ne se perde pas. En ce qui concerne les cérémonies, elles sont restées quelque peu occultes en raison des incidences négatives qu'ont eues les pensionnats et autres phénomènes semblables sur notre identité en tant que peuple. Notre peuple estime que ce n'est plus tolérable.
Il est essentiel que notre peuple ait foi dans ce qu'il est et qu'il défende ses croyances en ce qui concerne son mode de vie et ses cérémonies. Nous avons des médecins, des avocats, des enseignants, des historiens et des archéologues; nous avons toutes les personnes qu'il faut pour que nos nations soient fières et vigoureuses.
Ce dont nous avons besoin, c'est de la capacité de le faire. Les ressources sont ce qui nous manque et ce dont nous avons le plus besoin. Nous voulons avoir une participation active à l'économie canadienne. Nous comprenons la nécessité d'avoir des entreprises dans nos collectivités des Premières nations. Nous comprenons la nécessité de la prospérité économique, non seulement pour les collectivités, mais aussi pour les individus.
Bien que nous croyions tous dans le partage, je pense qu'il est essentiel de contribuer à l'économie canadienne. Nous devons apporter notre contribution à la société canadienne en continuant d'exprimer notre langue et de partager nos cérémonies du mieux que nous le pouvons, car c'est ce que nous sommes et c'est ce qu'ont toujours fait les membres des Premières nations.
Le sénateur Hubley : Je reviendrai à la question de la gouvernance. Vous avez fait brièvement allusion au développement économique à la fin de vos explications.
Estimez-vous que la durée d'un mandat de deux ou de quatre ans est plus ou moins un avantage pour ce qui est d'une structure de gouvernance conforme à celle d'autres gouvernements? Pensez-vous que ce soit de quelque façon un avantage lorsque vous développez votre économie?
M. Toulouse : Comme je l'ai mentionné, personne ne contestera le fait qu'en deux ans, on ne peut pas faire quoi que ce soit en matière d'élaboration ou de mise en œuvre d'un plan. Nous avons besoin d'un délai plus long.
Cependant, en ce qui concerne le développement économique, la stabilité est essentielle. Nous avons également besoin de la capacité d'un gouvernement local de gérer les affaires. Nous avons besoin de réformes des politiques, de changements structurels et de gouvernements capables pour que le développement économique démarre dans les collectivités des Premières nations.
Le sénateur Raine : Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes tous conscients du fait que la gouvernance des Premières nations est un enjeu important. Je vois que, avec l'affaire McIvor, nous avons maintenant une sorte d'échéance à partir de laquelle le nombre d'Indiens inscrits augmentera. L'insuffisance des ressources deviendra encore plus critique.
Je pense que, dans une situation comme celle-ci, les gens peuvent se mobiliser pour prendre des mesures. Vous avez dit que le changement s'était avéré difficile pour les Premières nations et que le MAINC avait commencé à différents endroits et visait des résultats différents. Ça correspond probablement un peu à une réalité.
Si le MAINC devait fournir des solutions à court terme pour aider à obtenir un résultat à long terme — si toutes les parties admettent que le résultat à long terme est bon, à savoir que les Premières nations aient leur autonomie gouvernementale —, quelles seraient deux ou trois solutions à court terme qui pourraient nous aider à atteindre cet objectif?
M. Toulouse : La réponse immédiate est la suivante : il faut mettre en œuvre les traités. Nous avons tous signé des traités. Le juge Linden, qui a mené l'enquête sur Ipperwash, a fait remarquer de façon très pertinente que la province a été fondée sur des traités. Il écrit qu'il est regrettable qu'une seule partie ait tiré profit des traités, et que ce ne sont pas les membres des Premières nations.
Il est essentiel d'examiner la question du partage des profits tirés des ressources, qui est l'esprit et l'objet des traités. Il est essentiel de régler cette question, car les chefs et les administrateurs des Premières nations en ont assez de la routine de la soumission. Chaque fois qu'ils s'adressent au gouvernement provincial ou au gouvernement fédéral, ils le font avec soumission.
C'est frustrant. C'est tout simplement embarrassant de devoir mendier pour obtenir un peu de ressources pour réaliser un projet. Ce ne devrait pas être le cas, car nous avons signé des traités. Il est essentiel qu'ils soient mis en œuvre. Si le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ou le gouvernement du Canada pouvait trouver un moyen de les mettre en œuvre et de mettre en œuvre le principe du partage des profits tirés des ressources, notre vie en serait considérablement améliorée, par rapport à nos ancêtres et à l'esprit de nos ancêtres qui ont signé ces traités pour que notre situation et celle de ce pays progressent. L'entente était fondée sur le partage.
Les quatre principes fondamentaux des Anishnawbek ont toujours été connus comme étant l'honnêteté, le partage, la bienveillance et la capacité d'être heureux en mettant ces principes en pratique. Ce sont des principes fondamentaux pour aller de l'avant.
Je sais qu'on vous a confié la responsabilité de tenter d'améliorer certaines situations. Dans le cas de ces dispositions législatives, il est essentiel d'avoir une vue d'ensemble des causes des souffrances de nos collectivités. Une cause importante est le fait que nos traités ne sont pas mis en œuvre. Si le gouvernement fédéral pouvait examiner le principe du partage des profits tirés des ressources et prendre du recul par rapport au régime des programmes et des services, je pense que les chefs des Premières nations et que les membres prospéreraient.
Le sénateur Raine : Je ferai encore un seul commentaire. Votre réponse est sage. Je pense toutefois que les Premières nations n'ont pas toutes signé des traités. En Colombie-Britannique, où il n'y a pas de traités, les Premières nations ont vraisemblablement tendance à opter pour la conclusion d'ententes concernant le partage des ressources. C'est intéressant, car c'est peut-être une possibilité d'apprendre en voyant ce que d'autres font.
Le président : C'est ce qui se passe.
Le sénateur Raine : Oui, merci.
Le sénateur Peterson : Merci pour votre exposé. Toujours à propos des traités, pensez-vous que la Loi sur les Indiens était, de la part du gouvernement, une tentative de transposer en mots ce qu'il pensait être la teneur des traités?
M. Toulouse : Non; je pense que la Loi sur les Indiens était depuis le début une tentative de contrôle des Autochtones.
Le sénateur Peterson : Les autres enjeux importants comme les ressources, l'éducation, le logement et la santé sont des questions qui, de toute évidence, relèvent des traités. Est-ce que la nature des questions couvertes par les traités a déjà été déterminée?
M. Toulouse : Actuellement, l'esprit et l'objet des traités sont une chose dont nos membres parlent régulièrement. Je suis sous le régime d'un traité appelé le traité Robinson-Huron de 1850.
Nous avons tenu récemment une assemblée réunissant des jeunes, des anciens et des résidents, à proximité de la collectivité des Premières nations où le traité a été signé — nous l'appelons Bawating et vous la connaissez sous le nom de Sault Ste. Marie. L'assemblée a été tenue dans la collectivité des Premières nations situées à l'extérieur de Bawating, Ketaganseebee Garden River et Batchewana. Les membres ont eu l'occasion de parler de ce qu'ils considéraient comme l'esprit et l'objet des traités.
Nos membres disent actuellement qu'il est essentiel de faire les choses d'une autre façon. On continue de nous imposer des programmes et des services. Nos chefs veulent régler des questions d'une portée beaucoup plus large. Nous voulons protéger nos enfants. Nous voulons nous assurer que les femmes aient en permanence leur mot à dire dans l'interprétation de ces responsabilités. Nous voulons nous assurer que l'on prenne soin de nos aînés et de nos anciens. Nous voulons ce que toutes les autres personnes veulent — une place où la vie sera meilleure pour tous nos membres et où ils pourront jouir de tous les avantages qu'ont eus les autres Canadiens et qu'ils continuent d'avoir.
Le sénateur Peterson : Je suis d'accord avec ce que vous dites. Cependant, la Loi sur les Indiens est là. Personne ne l'aime, mais personne ne veut faire quoi que ce soit à son sujet — y toucher ou la modifier. À propos de cette nouvelle structure que vous voulez édifier, pensez-vous à une structure extérieure à la Loi sur les Indiens?
M. Toulouse : Quand je parle de reconnaissance et de mise en œuvre de la gouvernance des Premières nations, il s'agit, bien entendu, d'une structure extérieure à la Loi sur les Indiens, car cette loi ne prévoit pas cela. D'après la Loi sur les Indiens, c'est le ministre qui est responsable d'absolument tout.
Il faut qu'on nous confie les responsabilités. Nous voulons la reconnaissance et la mise en œuvre de nos gouvernements des Premières nations. Nous y arriverons par le biais de certains mécanismes incluant des réformes de politiques, un changement structurel et la formation des gouvernements capables dont nous avons besoin. Nous avons mis en place des processus et fait des suggestions sur la façon dont le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pouvait atteindre cet objectif avec notre collaboration. Nous avons discuté de reconnaissance et de respect de l'article 35 de la Constitution. Cette disposition inclut la reconnaissance des rapports fondés sur les traités et des rapports actuels, la compétence des Premières nations, les gouvernements des Premières nations et la nature évolutive des relations.
C'est ce que nous continuons de présenter comme la solution pour l'avenir. Si nous ne faisons pas cela, nous reviendrons au statu quo. Nous savons que le statu quo continue de creuser l'écart entre les nantis et les démunis, pour ce qui est de la pauvreté qui touche nos collectivités.
La vérificatrice générale du Canada a dit qu'il existait un énorme écart dans le domaine de l'éducation. Si nous ne réglons pas ces questions de reconnaissance, cet écart se maintiendra, car ce sera le statu quo ou la même chose. C'est le type de changement qu'il est essentiel d'apporter.
Le sénateur Peterson : Je suis entièrement d'accord avec ce que vous dites sur le plan général, mais les présentes discussions portent sur les élections selon la Loi sur les Indiens. Le sénateur Lang a recommandé d'établir des dispositions législatives habilitantes qui permettraient aux Premières nations de le faire — qui les autoriseraient à le faire, sans plus; elles pourraient dire oui ou non. Est-ce bien la voie qu'il faudrait emprunter?
M. Toulouse : Nous devons examiner les possibilités de procéder autrement que maintenant. Nous voulons avoir des gouvernements qui rendent des comptes et il est essentiel que nous ayons une vision des principes et des processus nécessaires pour provoquer un véritable changement. Je reviens au fait que nous avons besoin de faire des choses qui reconnaissent et mettent en œuvre les gouvernements des Premières nations. Je ne sais pas combien de fois je pourrais le dire. C'est la façon de procéder pour l'avenir.
Si l'on se contente de rafistoler un peu la Loi sur les Indiens, ça pourrait prolonger le mandat des chefs élus de deux ans, mais il y aurait encore toute une série de questions à régler. La reconnaissance et la mise en œuvre des gouvernements des Premières nations sont essentielles. Cependant, si l'on prolonge le mandat de deux à trois ou quatre ans, cela donnerait aux chefs un peu plus de temps pour planifier, élaborer et mettre en œuvre quelques projets.
Le président : C'est notre dernière question. Veuillez être bref, sénateur Brazeau.
Le sénateur Brazeau : Nous avons discuté de la reconstitution des véritables Premières nations telles qu'elles étaient dans le passé. La Commission royale sur les peuples autochtones a recommandé d'examiner la reconstitution de nations telles que les Mi'kmaqs, les Mohawks, les Algonquins, et cetera. J'appuie cette recommandation à 100 p. 100.
Des ententes sur l'autonomie gouvernementale ont été signées dans ce pays, alors que les nations avaient déjà tenu des discussions avec leurs membres pour mettre en œuvre précisément ce dont vous parlez. Elles ont négocié avec le gouvernement du Canada et signé des ententes qui leur apporteront une plus grande autonomie gouvernementale à l'avenir et leur donneront la capacité d'atteindre leurs objectifs en devenant autonomes.
Vous avez mentionné tout à l'heure qu'une des raisons pour lesquelles ces discussions ne progressent pas très vite, c'est le manque de ressources. Y a-t-il un obstacle à ce que les collectivités des Premières nations tiennent ces discussions sur l'édification d'une nation et sur l'autonomie gouvernementale? Je ne vois pas pourquoi le manque de ressources devient un problème lorsqu'il s'agit tout simplement d'aller dans les collectivités et de tenir des discussions sur un plan plus général, plutôt que de maintenir le statu quo.
M. Toulouse : Quand je parle de manque de ressources, ce n'est qu'un des problèmes. La plus grosse difficulté en ce qui concerne des négociations sur l'autonomie gouvernementale, c'est que la politique sur le droit inhérent est restrictive. Elle ne concerne pas vraiment les Premières nations qui veulent exercer certaines compétences. Elle porte sur la capacité administrative de gérer les programmes et services existants. Elle ne va pas assez loin, en ce qui concerne les chefs des Premières nations. Les chefs veulent la reconnaissance et la mise en œuvre des gouvernements des Premières nations par l'exercice des compétences.
J'insiste sur le fait que la politique sur le droit inhérent est restrictive en ce qui concerne ce que les négociateurs peuvent négocier avec le gouvernement fédéral. Cette situation est décourageante pour les chefs des Premières nations. La conclusion d'une entente prend beaucoup de temps en raison de la nature restrictive de la politique sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
Pour ce qui est de l'édification d'une nation et des motifs pour lesquels nous ne nous orientons pas dans cette voie, je pense que les Premières nations essaient de faire ce qu'elles peuvent. Le problème, c'est que la Loi sur les Indiens actuelle charge les chefs des Premières nations de l'administration de programmes et de services pour lesquels le gouvernement signe des ententes de contribution qui en sont le point de mire en quelque sorte. Nous savons tous que nos membres sont passés dans les pensionnats, et nous continuons de subir les conséquences de la Loi sur les Indiens.
Nous avons besoin d'une possibilité de guérir. Nos membres sont encore dans la peine et en voie de guérison. Nous avons subi des impacts qui ont touché plusieurs générations en matière de perte de la langue, de nos cérémonies et de notre culture. Nous sommes en train de récupérer tout cela; nous n'avons pas encore tout perdu. Il est essentiel que nous investissions dans nos anciens, dans nos femmes et dans nos jeunes, pour pouvoir démontrer que la population autochtone du Canada est bien vivante, qu'elle est vigoureuse et qu'elle conserve ses langues, ses cérémonies et sa spiritualité ancestrales, dans l'intérêt de tous. C'est notre identité. Nous sommes un peuple distinct. Nos jeunes nous le rappellent et nous devons agir.
Le président : Monsieur Toulouse, je vous remercie d'avoir partagé vos réflexions avec nous. Vous avez fait un excellent exposé et répondu en toute franchise à nos questions, ce que nous apprécions. Comme vous le comprenez certainement, un défi se pose à nous. Ce n'est pas facile, car bon nombre d'entre nous se demandent comment on peut s'éloigner de la Loi sur les Indiens tout en répondant aux besoins de nos Premières nations, dans l'ensemble du pays. Nous vous remercions, vous et Mme Lazore, d'être venus aujourd'hui.
Sénateurs, nous resterons en comité plénier pour examiner le budget supplémentaire. À l'origine, il était prévu que nous voyagerions en Alberta, mais nous avons modifié nos plans car, en ce qui concerne les élections, la Loi sur les Indiens s'applique davantage à la Colombie-Britannique. C'est donc le comité directeur qui a pris la décision de voyager en Colombie-Britannique, après en avoir discuté.
Nous devons présenter un budget supplémentaire qui est de 172 000 $ au total. Je pense toutefois que le montant ne dépasse que d'environ 42 000 $ le budget qui avait été préparé pour le voyage en Alberta. La durée de notre séjour en Colombie-Britannique sera d'une journée et demie de plus que ce que nous avions prévu pour notre voyage en Alberta. Pour le voyage au Manitoba, nous avions prévu un budget de 138 500 $ et nous n'en avons dépensé qu'environ 80 000 $. Cette différence nous donne une certaine marge de manœuvre pour préparer le budget du voyage en Colombie- Britannique. Nous réduirons les coûts là où c'est possible. Y a-t-il des questions sur le budget supplémentaire?
Le sénateur Raine : Je pense que les frais d'hébergement sont un peu élevés pour cette période-ci de l'année.
Le président : C'est le montant prévu au budget. Quand nous étions au Manitoba, nous n'avons dépensé qu'un peu plus de la moitié du montant prévu. Je suis certain que nous ferons preuve de prudence pour l'hébergement, pour ce volet-ci de notre étude.
Si vous n'avez pas de questions à poser, je cherche un motionnaire. C'est le sénateur Lovelace Nicholas qui propose la motion. Êtes-vous tous pour? Êtes-vous contre? La motion est adoptée à l'unanimité.
Nous poursuivrons les délibérations à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)