Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 14 - Témoignages du 16 septembre 2009
OTTAWA, le mercredi 16 septembre 2009
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 30 pour étudier les responsabilités constitutionnelles politiques légales et découlant des traités du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis ainsi que d'autres questions généralement relatives aux peuples autochtones du Canada (objet : questions relatives aux élections selon la Loi sur les Indiens).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, membres du public et téléspectateurs d'un peu partout au pays qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, bienvenue. On nous regarde soit sur CPAC ou sur le web, et nous sommes ravis que les délibérations du comité soient télévisées. Je m'appelle Gerry St. Germain, je viens de la Colombie-Britannique et je suis le président du comité.
Le comité a pour mandat d'examiner les lois et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada en général. Le 1er avril dernier, le comité a décidé d'entreprendre une étude pour examiner les questions relatives au régime électoral défini aux termes de la Loi sur les Indiens. Le comité étudie les préoccupations en suspens concernant le système électoral prévu aux termes de la Loi sur les Indiens, y compris le mandat de deux ans des chefs et conseillers de bande, comme le prévoit actuellement la loi.
Le comité veut connaître l'opinion des leaders des Premières nations, des organisations autochtones, des peuples des Premières nations ainsi que des spécialistes du domaine au sujet de la possibilité d'apporter des changements au régime électoral défini aux termes de la Loi sur les Indiens dans le but d'améliorer la gouvernance chez les Premières nations. Cela s'entend, entre autres, d'un renforcement de la responsabilisation politique chez les dirigeants des collectivités des Premières nations.
Pour les téléspectateurs, il est important de prendre note du fait que 252 bandes indiennes, soit près de 40 p. 100 de toutes les bandes indiennes du Canada, ont un processus électoral régi par la Loi sur les Indiens. Notre étude du processus électoral porte précisément sur les collectivités des Premières nations dont les élections sont régies par la Loi sur les Indiens. Les autres bandes indiennes ont recours à des processus différents de nomination des chefs fondés sur des traditions, des ententes sur l'autonomie gouvernementale ou sur l'hérédité.
[Français]
Juste avant d'entendre ce que notre témoin a à dire sur les élections tenues en vertu de la Loi sur les Indiens, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont ici présents ce soir.
[Traduction]
Sont présents ce soir le sénateur Brazeau du Québec, le sénateur Raine de la Colombie-Britannique, le sénateur Hubley de l'Île-du-Prince-Édouard, le sénateur Peterson de la Saskatchewan et le sénateur Dyck, également de la Saskatchewan.
Mesdames et messieurs les sénateurs, laissez-moi vous présenter nos témoins.
M. Jérôme Slavik est avocat au cabinet Ackroyd LLP, en Alberta. Depuis 1983, M. Slavik se spécialise dans le droit autochtone, en particulier la négociation et le règlement des revendications particulières et des droits fonciers issus de traités. Il a représenté les Premières nations dans le cadre de la négociation d'ententes tripartites sur l'autonomie gouvernementale, de différends relatifs à l'environnement, d'accords de redevances et d'accords commerciaux ainsi que d'ententes sur les avantages pour l'industrie. M. Slavik donne également un cours sur les négociations entre l'État et les Premières nations au Banff Centre.
M. Slavik a également fait preuve d'une très grande patience, car nous l'avions invité auparavant et la réunion avait été annulée, nous forçant à reporter sa comparution. Nous le remercions de sa patience et de sa générosité. Monsieur Slavik, nous sommes contents que vous ayez encore une fois accepté notre invitation à comparaître ce soir.
Nous vous souhaitons la bienvenue et nous attendons avec intérêt d'entendre votre opinion au sujet des élections régies par la Loi sur les Indiens. Nous espérons que vous serez prêt à répondre à toutes les questions après votre présentation. Vous avez la parole.
Jerome Slavik, avocat, Ackroyd LLP, témoignage à titre personnel : J'aimerais vous remercier, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'accorder l'honneur et le privilège de comparaître encore une fois. Je crois qu'il s'agit de ma troisième comparution devant ce comité. La dernière fois que j'ai été entendu par le comité, il s'agissait de la question du règlement des revendications particulières. Je remercie les sénateurs d'avoir produit un excellent rapport sur le règlement des revendications particulières qui a mené aux nouvelles dispositions législatives établissant le Tribunal des revendications particulières ainsi qu'au nouveau processus de règlement des revendications particulières. Il est difficile pour le public canadien de comprendre à quel point le Sénat travaille fort et bien, mais je le constate certainement, de même que beaucoup de membres des Premières nations compte tenu du travail que vous avez fait au sujet de la question des revendications particulières. En mon nom personnel, et au nom de beaucoup de mes clients, je vous remercie.
J'ai préparé un exposé écrit, qui je crois vous a été distribué. Vous n'avez peut-être pas eu la chance de le lire, mais, si vous l'avez en main, je peux vous parler du sujet.
Le président : Oui, il a été distribué. Je me permets de vous interrompre pour présenter le vice-président du comité, le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, ainsi que le sénateur Lang, du Yukon.
M. Slavik : Le sénateur Sibbeston et moi nous connaissons depuis au moins 40 ans, mais peut-être que je parle trop, sénateur.
Le président : Eh bien, vous aviez deux ans quand vous l'avez rencontré. Continuez, monsieur.
M. Slavik : La question de la gouvernance des Premières nations mérite beaucoup plus d'attention de la part du gouvernement du Canada. Non seulement devons-nous examiner le cadre législatif actuel établi par la Loi sur les Indiens, mais nous devons examiner les politiques qui sous-tendent actuellement les initiatives d'autonomie gouvernementale à l'échelle du pays, y compris la politique sur l'autonomie gouvernementale qui est maintenant en vigueur depuis plus de 16 ans.
À ce propos, je crois que la politique canadienne sur l'autonomie gouvernementale, notamment en ce qui concerne les traités, est un échec. Après plus de 20 ans de travail en négociations et en politique, je ne vois aucun cas où le gouvernement a pu négocier un accord global ou sectoriel d'autonomie gouvernementale en-dehors du processus relatif aux revendications globales. J'ai connaissance d'un certain nombre de négociations de ce genre dans les Prairies et en Ontario, mais aucune n'a été conclue, et n'est même pas près d'une conclusion. Pour bien des Premières nations, l'exercice a été coûteux, frustrant et inutile. Les sénateurs de la Saskatchewan pourraient en témoigner eux-mêmes, mais ce sera pour une autre occasion.
Ce soir, j'aimerais parler plus précisément de l'élection des gouvernements des Premières nations. Je crois que les lois et règlements électoraux sont au cœur d'une gouvernance démocratique, responsable et efficace chez les Premières nations. Sans cadre électoral réfléchi et bien établi, il est impossible de faire respecter ces valeurs importantes dans tous les ordres de gouvernement, ce qui est le souhait, je crois, de tous les Canadiens et membres des Premières nations. Comment faire valoir ces valeurs importantes? Au cours des dernières années, on a entendu dire que bien des gouvernements des Premières nations ne respectaient pas ces valeurs. Ces critiques ont eu un effet sur les relations entre les Premières nations et les autres gouvernements, notamment en ce qui concerne le financement. Elles ont aussi eu un effet sur les relations avec les tiers comme les institutions financières et les partenaires de l'industrie. Il doit y avoir, à mon avis, un ensemble de règlements électoraux beaucoup plus efficaces et plus compatibles avec les valeurs que tous les Canadiens, y compris les Premières nations, privilégient.
Pour donner un peu de contexte, le projet de développement économique autochtone commencé à l'Université Harvard en 1990 est actuellement mené par l'Université de l'Arizona. Le projet a été lancé par Stephen Cornell et Manley Begay, deux spécialistes de la gouvernance autochtone bien connus aux États-Unis. Ils parlent de l'importance d'établir un système de gouvernance fort qui est adapté à la culture des Premières nations, responsable politiquement, transparent et favorisant la reddition de comptes avant même d'entreprendre des initiatives socioéconomiques conçues pour sortir les collectivités autochtones de la pauvreté et pour atténuer leurs problèmes sociaux. Comme le dit le Conseil tribal de Meadow Lake, pour avoir un bon programme de développement économique et des affaires pour sa communauté, il faut des règles de gouvernance.
Je travaille avec les Premières nations depuis 38 ans, dont 26 en tant qu'avocat. J'ai vu une quantité innombrable de bons projets d'entreprise échouer en raison d'un problème dans la gouvernance de la Première nation ou de l'entreprise concernée, qui possèdent souvent les mêmes caractéristiques. Il s'agit, selon moi, d'une question essentielle.
La Loi sur les Indiens prévoit deux façons d'établir un régime électoral chez les Premières nations. La première, bien entendu, est la réglementation en vertu de la Loi sur les Indiens. La deuxième est ce que j'appelle règlement sur les élections coutumières. Il s'agit d'un règlement que les Premières nations ont conçu pour se donner un régime électoral qui, d'une part, respecte leur culture et leur tradition et qui, d'autre part, est démocratique, transparent, responsable et axé sur la reddition de comptes.
J'explique dans mon mémoire ce en quoi constitue habituellement le règlement sur les élections coutumières. Si on compare ce qu'on trouve d'habitude dans le règlement sur les élections coutumières — ou ce qu'on devrait y trouver — avec le contenu de la Loi sur les Indiens et les règlements connexes, on observe des différences importantes. Le règlement compte plus d'une douzaine de règles. Comme elles exposent en détail les divers aspects du régime électoral, elles comptent toutes au moins 35 pages.
Si ces règles sont aussi détaillées, ce n'est pas parce que les avocats sont payés au mot. En fait, les règles doivent être très complètes, bien définies et claires afin d'aborder un éventail de questions et de permettre l'atteinte des résultats souhaités par les Premières nations, et plus largement, par la population dans son ensemble.
À la page 4 de mon mémoire, je parle de questions qui concernent le règlement sur les élections coutumières. Pour ce faire, je peux tirer parti ma propre expérience. Lorsqu'elles sont formulées de façon convenable et cohérente avec des Premières nations et des avocats qui comprennent ce qu'exige la tenue d'élections démocratiques, responsables et favorisant la reddition de comptes, les règles sur les élections coutumières sont bien supérieures à ce que peut offrir la Loi sur les Indiens et les règlements connexes. J'en explique les raisons dans mon document.
Ces règles prévoient des mandats plus adéquats, qui sont fixés par la communauté. Elles permettent à la communauté de déterminer le nombre d'élus en fonction de ses besoins, des circonstances économiques et financières, de son emplacement géographique et d'autres facteurs. Elles assurent le maintien d'un processus électoral plus vaste et plus responsable. Elles établissent des critères clairs sur l'admissibilité aux postes convoités. Elles permettent de compter sur des fonctionnaires électoraux indépendants et qualifiés. Elles prévoient des procédures conçues pour faciliter la participation et non pour l'éviter. Elles précisent des critères et des procédures clairs concernant les appels. Elles clarifient les rôles et les responsabilités des chefs et des conseils, et elles prévoient des critères et des procédures pour la suspension et la destitution des conseillers qui, pour une raison ou pour une autre, ne s'acquittent pas de leurs rôles ou de leurs responsabilités ou qui, dans certains cas, ne respectent pas les règles applicables.
Parmi les collectivités assujetties à la Loi sur les Indiens, j'ai connaissance de deux chefs qui ont été accusés de crimes graves. L'un d'eux a été accusé de meurtre, et rien dans les règles ne permettait sa destitution. Il gouvernait donc à partir de la prison. C'est un exemple extrême, mais il illustre le besoin, pour les Premières nations, d'avoir des règles sur la destitution des chefs qui ne s'acquittent pas de leurs obligations ou qui, pour une raison ou pour une autre, ne servent pas convenablement leurs collectivités. Les lois et règlements fédéraux ne prévoient pas clairement de règles en ce sens.
Les règles communautaires efficaces — je préfère les qualifier de communautaires plutôt que de coutumières —, lorsqu'elles sont formulées de façon correcte et détaillée, peuvent permettre d'améliorer grandement la qualité de la gouvernance chez les Premières nations.
Lorsque nous sommes appelés à travailler avec des Premières nations qui ont des problèmes de gouvernance, nous commençons toujours par le règlement sur les élections. Il ne s'agit pas des politiques adoptées après les élections ni des règlements financiers. Il s'agit avant tout des critères d'admissibilité aux postes de direction, du déroulement des élections, de la prise de décision transparente par le conseil et de la possibilité, pour la collectivité, de réagir à cette décision. Les règles efficaces sur les élections coutumières abordent tous ces points. J'ai joint à mon rapport une liste de ce que doit contenir habituellement un règlement sur les élections coutumières.
Étant donné que, à mes yeux, le règlement sur les élections coutumières est bien supérieur à la Loi sur les Indiens et aux règlements connexes sur les élections, je vous recommande d'envisager certaines initiatives qui aideraient les Premières nations à concevoir et à mettre en œuvre leurs propres règlements sur les élections coutumières. Je crois qu'Affaires indiennes et du Nord Canada n'offre pas suffisamment de soutien technique, juridique mais surtout financier, pour permettre aux Premières nations d'adopter un règlement qui les sert mieux. Je vous demanderais donc de faire la recommandation suivante au ministère : s'il faut privilégier les règlements sur les élections coutumières — et je crois que c'est le cas parce qu'ils sont le cœur et l'âme de l'autonomie gouvernementale — il doit y avoir plus de ressources et plus d'initiatives stratégiques en ce sens. J'ai quelques suggestions précises à cet égard.
Je crois en outre que la Loi sur les Indiens et les règlements connexes, et plus particulièrement les dispositions qui concernent les élections dans les Premières nations, sont anachroniques. Pour toute modification apportée à la Loi sur les Indiens, il doit y avoir une disposition de réexamen qui dit que le gouvernement du Canada doit, tôt ou tard, abandonner tout droit de regard sur les élections dans les Premières nations. Selon moi, une telle disposition dirait que « À un certain moment, la Loi sur les Indiens et le gouvernement du Canada ne seront plus responsables de la tenue d'élections dans les Premières nations, de l'établissement de règlements et du traitement des appels. Il appartiendra alors aux gouvernements des Premières nations d'assumer cette responsabilité, pour laquelle il est à espérer qu'ils recevront les ressources nécessaires ».
J'aimerais maintenant dire quelques mots sur les règlements sur les élections qui découlent de la Loi sur les Indiens. Je sais que l'un des points que vous avez abordés est la durée du mandat. La loi prévoit des mandats de deux ans. Comme je l'explique dans mon document, cette disposition sur la durée du mandat est le principal obstacle au développement des Premières nations. Et je sais de quoi je parle.
Lorsque j'ai commencé à travailler avec l'Indian Association of Alberta, en 1973, mon mentor était William Bull, un vieux chef aguerri de Goodfish Lake. William Bull est devenu un deuxième père pour moi. Pendant de nombreuses années, j'ai visité avec lui les territoires indiens. J'étais un jeune Blanc fraîchement sorti de l'université et un peu naïf — si je peux m'exprimer ainsi — qui avait été appelé à travailler dans une organisation indienne bien établie, dirigée à cette époque par Harold Cardinal. Certains d'entre vous se souviendront d'Harold.
À mon deuxième jour dans mon nouvel emploi, j'ai demandé bien naïvement à William pourquoi les collectivités indiennes avaient tant de difficultés. Je pensais qu'il allait me parler de pauvreté, d'alcoolisme ou de pensionnats. Il m'a plutôt parlé des dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les élections. Il m'a dit : « Tous les deux ans, il faut qu'on se batte entre nous, mais en fait ce n'est pas tous les deux ans. Étant donné que nous sommes élus tous les deux ans, nous devons nous battre entre nous quotidiennement. Nous ne pouvons pas, en deux ans, acquérir le type de leadership tourné vers l'avenir, la capacité d'administration et de planification qui nous permettrait de surmonter nos difficultés. »
C'était le 20 septembre 1973 que William Bull m'a dit ces paroles, et je ne les ai jamais oubliées. Je travaille avec les Premières nations depuis plus de 38 ans, et j'ai pu voir chaque jour la vérité de ces propos. Lorsque je commence à travailler avec une collectivité, peu importe l'enjeu, je demande toujours au conseil : Voulez-vous continuer à faire des mandats de deux ans? Si c'est le cas, nous devons composer avec des intérêts politiques à courte vue et avec les conséquences qui en découlent. En tant qu'avocats, nous devons respecter les volontés de notre client. Mais il y a une autre façon de procéder.
Une fois que la plupart des communautés des Premières nations voient quelles sont leurs options, comment elles peuvent se donner un règlement sur les élections coutumières et quelles en sont les conséquences, elles mettent en marche le processus pour se doter d'un tel règlement.
Tout d'abord, il faut régler les questions concernant le mandat. Il faut faire preuve d'une certaine délicatesse dans la façon de s'y prendre. On pense peut-être qu'il convient de légiférer un mandat de quatre ans. Cependant, la loi devrait pouvoir permettre à la Première nation de déterminer quelle est la durée appropriée d'un mandat sans être nécessairement obligé de rédiger son propre règlement sur les élections coutumières. Serait-il possible dans la loi ou dans le règlement de créer un mécanisme intérimaire ou transitoire qui permettrait aux Premières nations d'avoir un mandat plus long sans qu'il soit nécessaire d'adopter entièrement un règlement sur les élections coutumières? À l'heure actuelle, cela n'est pas possible.
Le deuxième problème important que pose la Loi sur les Indiens et son règlement est le processus d'appel. Le fait que ce soit le sous-ministre d'un autre représentant du gouvernement qui entreprenne le processus d'appel des Premières nations pose au départ plein de problèmes. J'ai lu le témoignage des représentants du MAINC au sujet du processus d'appel en ce qui a trait aux élections : ce processus peut prendre en moyenne de 12 à 18 mois; il est loin de constituer un processus d'audience juste et suffisant; il est mené entièrement par des fonctionnaires du ministère; et il ne satisferait pas aux normes juridiques de quelques processus d'appel ou examens quasi-judiciaires que je connaisse.
C'est cependant le mécanisme d'appel avec lequel les Premières nations se retrouvent aux termes de la Loi sur les Indiens. Si la Première nation a un système électoral de deux ans et que son appel prend 18 mois, vous voyez le problème. Elles se retrouvent pendant 18 mois avec un gouvernement qui n'est peut-être pas légitime du point de vue électoral. Comment est-ce que les banques, les agences gouvernementales et les tierces parties peuvent traiter avec un gouvernement des Premières nations dont la légitimité fait l'objet d'un examen par le MAINC et le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord?
Il y a un problème du fait que le processus d'appel se fait au sein du MAINC. Ce dernier n'est peut-être pas perçu par les Premières nations comme étant neutre ou crédible et son processus ne répond à aucune des exigences d'un processus d'appel électoral équitable. Si on examine de près un règlement sur les élections coutumières bien rédigé, on y consacre de nombreuses pages pour s'assurer que le processus d'appel électoral est transparent, rapide, efficace et qu'il répond aux exigences d'équité en matière de procédure. Par conséquent, avec tout le respect que je vous dois, je dirais que vous devez régler le problème du mécanisme d'appel aux termes de la Loi sur les Indiens.
Troisièmement, la Loi sur les Indiens et son règlement ne comportent aucun motif ou mécanisme pour suspendre ou destituer un conseil. La seule option serait de s'adresser aux tribunaux. Je ne connais aucun cas particulier où on se soit adressé à un tribunal pour destituer un chef ou un conseil. Je sais qu'il y a eu des cas où on s'est adressé à un tribunal en alléguant que les obligations fiduciaires n'avaient pas été respectées en raison de conflit d'intérêt, mais pas pour demander la destitution.
Il s'agit là d'un gros problème. Il faut faire bien attention pour ce qui est de la façon dont on va s'y prendre pour régler ce problème. Il faut cependant régler ce problème si on veut continuer d'avoir un cadre législatif et de réglementation en place.
Permettez-moi de faire des suggestions très différentes quant à la façon dont le MAINC devrait régler les problèmes électoraux des Premières nations. Tout d'abord, dans la mesure du possible, il faudrait retirer cette responsabilité du MAINC pour la donner à ce que j'appellerais une commission électorale des Premières nations. Cette commission serait responsable de remplacer toutes les fonctions du ministère par rapport aux élections des Premières nations. Dans mon mémoire, j'explique en quoi devrait consister ces fonctions.
Deuxièmement, il faudrait établir un tribunal d'appel des élections soit dans le cadre de la commission électorale soit séparément. Les Premières nations qui n'ont pas de règlement sur les élections coutumières avec des procédures d'appel pourraient s'adresser à ce tribunal, même si elles relèvent de la Loi sur les Indiens, de façon à avoir un processus transparent, efficace et rapide plutôt qu'un fonctionnaire fédéral qui relève d'un sous-ministre et qui prend une décision 12 ou 18 mois plus tard.
Dans mon mémoire, j'explique les problèmes que le ministère a cernés en ce qui concerne ces procédures d'appel et pourquoi je pense qu'un tribunal consisterait un mécanisme approprié.
Je voudrais dire une dernière chose. Si les Premières nations ne disposent pas d'un système d'appel coutumier et si le système d'appel de la Loi sur les Indiens ne comporte aucune des caractéristiques d'un appel approprié, la troisième option est le tribunal. Je sais qu'au cours des cinq dernières années, les Premières nations ont dépensé plus de 12 millions de dollars en frais juridiques pour porter les résultats d'élection en appel devant un tribunal. Ce ne sont là que quelques cas dont je suis au courant.
La Cour fédérale entendra ces cas. Cela prendra des années. Cela coûtera des dizaines sinon des centaines de milliers de dollars. Un certain nombre de cas seront portés en appel. Le processus d'appel peut prendre entre deux et quatre ans devant les tribunaux. Pour être franc, je dirais que le tribunal ne veut pas intervenir dans les appels des Premières nations concernant les élections. Il devrait y avoir un mécanisme plus efficace, impartial et à faible coût qui satisfasse à toutes les normes d'un examen quasi-judiciaire.
Je vous remercie de m'avoir écouté. Je me rends compte que j'ai parlé pendant plus de quinze minutes; toutes mes excuses. Je voulais tout simplement donner le contexte pour les questions.
Le président : Merci, monsieur Slavik. J'ai quelques petites questions, honorables sénateurs, si vous voulez bien, j'aimerais les poser dès le départ.
Vous avez dit qu'il devrait y avoir une transition de l'article 74 de la Loi sur les Indiens à autre chose. Y a-t-il une raison pour laquelle vous ne recommandez pas tout simplement d'abroger la Loi sur les Indiens et de passer à un autre système? Cela peut-être peu réaliste et vous pouvez peut-être répondre à la question avec votre expérience.
M. Slavik : Bon nombre de Premières nations sont à l'aise avec la disposition de la Loi sur les Indiens qui prévoit un mandat de deux ans. Une partie importante de l'autonomie gouvernementale des Premières nations consiste à gérer ses propres procédures électorales. Je pense qu'elles ont besoin à la fois d'un bâton et d'une carotte pour le faire.
C'est pourquoi je pense qu'un échéancier est nécessaire pour indiquer qu'à un moment donné le Canada ne s'occupera plus des élections des Premières nations. Quoi qu'il en soit, en même temps, le MAINC devrait fournir les ressources, les possibilités et les institutions pour faciliter la tâche aux Premières nations afin qu'elles le fassent elles- mêmes. C'est pour cette raison que j'ai proposé une commission électorale des Premières nations. Son travail consisterait à offrir des compétences juridiques, de l'expérience et des connaissances afin d'aider les Premières nations à mettre en place un règlement sur les élections coutumières.
À l'heure actuelle, la seule façon pour les Premières nations d'obtenir tout cela est de s'adresser à un conseiller juridique. Les conseillers juridiques coûtent cher et ils ne sont pas très bons pour faire cela. Avec tout le respect que je dois à mes collègues du barreau, je dois nuancer cela, mais je n'ai pas envie de le faire certains jours.
Le sénateur Sibbeston : Je voudrais remercier M. Slavik d'être ici et de nous faire profiter de ses nombreuses années d'expérience et de compétence dans le domaine.
J'ai eu la possibilité de lire votre mémoire avant ce soir et je suis d'accord avec tout ce que vous dites. Les recommandations que vous faites en ce qui a trait à une commission électorale et un processus d'appel sont exactement ce dont ont besoin les Premières nations de notre pays.
Il m'est venu à l'esprit que le MAINC confie déjà certaines responsabilités aux Premières nations. Je pense par exemple au Conseil de gestion financière des Premières nations et à l'Institut de statistique des Premières nations qui ont été mis sur pied par le gouvernement il y a un certain nombre d'années. Il s'agit là de précédents qui montrent que le gouvernement fédéral a mis sur pied des organismes de type autochtone ou des organismes indépendants qui serviraient mieux leurs collectivités que le ministère ne le ferait.
Toute cette question de gouvernance est j'en conviens très importante. C'est essentiel à la vie et au bien-être et à la croissance des peuples autochtones de notre pays, et c'est une question qu'il faut régler. Je suis tout à fait d'accord avec votre recommandation pour que nous fassions cela.
Je n'ai pas à faire campagne, mais je me prononcerai tout à fait en faveur de ces recommandations dans notre rapport lorsque nous le rédigerons. Je vous remercie de nous avoir éclairés. Il n'a rien que je puisse ajouter.
Nous entendons des experts et des fonctionnaires. Ils ont intérêt à préserver leur emploi, à assurer leur longévité; mais dans votre cas, vous n'avez rien à gagner en comparaissant devant notre comité, vous voulez tout simplement aider et faire avancer la cause des peuples autochtones de notre pays. Merci, et je vous trouve très crédible à cet égard.
Le sénateur Lang : Je voudrais moi aussi souhaiter la bienvenue au témoin, et je le remercie du travail qu'il a fait dans son mémoire. J'aurais quelques petites questions.
Tout d'abord, nous parlons des coûts ici. Quel est le coût moyen pour rédiger un règlement sur les élections coutumières d'une Première nation? Pouvez-vous nous donner le coût approximatif?
M. Slavik : Il est difficile de donner un coût approximatif. Cependant, si une Première nation était vraiment décidée à faire cela, il faudrait tout d'abord qu'elle fasse appel à un conseiller juridique car un règlement sur les élections coutumières doit respecter la Constitution et être conforme aux dispositions du droit administratif. Il y a un certain nombre de questions juridiques qui interviennent.
On a des problèmes avec un règlement sur les élections coutumières lorsque ce dernier est conçu par les Premières nations et des experts-conseils qui n'ont pas les antécédents juridiques appropriés. On peut rédiger rapidement un mauvais règlement pour 10 000 $, mais on va se retrouver avec des centaines de milliers de dollars de problèmes. Pour rédiger un règlement avec l'aide d'un conseiller juridique qui sait ce qu'il fait il faudrait dépenser entre 20 000 et 35 000 $. Sur une période d'un an, cela représenterait sans doute quatre ébauches avec un certain nombre de consultations pour une collectivité qui compte entre cinq et 1 000 habitants.
Pour une collectivité de 2 500 habitants, le coût augmente car il est nécessaire de tenir des consultations beaucoup plus complexes. Cela dépend du degré de consultation, de la taille de la collectivité et de la complexité du processus de consultation.
Le sénateur Lang : Une fois que cinq ou six différents modèles de règlements sur les élections coutumières ont été rédigés au pays, il me semble qu'il serait alors possible d'avoir un règlement générique qui pourrait être mis en place en y apportant quelques petits changements mineurs. Cela ne prendrait donc pas une année; il ne serait pas nécessaire de dépenser 40 000 $.
M. Slavik : C'est exactement ce que je pense lorsque je recommande une commission électorale des Premières nations. Les Premières nations pourraient s'adresser à la commission pour obtenir des conseils juridiques et autres concernant le processus et les questions de fond pour la rédaction d'un tel règlement.
En un sens, en recommandant une commission électorale j'enlève du travail aux membres de ma propre profession car une commission électorale qui aurait un mandat d'éducation et de développement pourrait faire une bonne partie de ce travail à un coût beaucoup moins élevé.
Le sénateur Lang : A-t-on envisagé la possibilité que les différentes provinces passent un contrat avec le bureau électoral de la province qui s'occuperait des élections lorsque ces dernières sont déclenchées? Vous pourriez passer un contrat avec elles, vous ne seriez pas obligés d'embaucher des fonctionnaires et de les maintenir en place de façon permanente.
M. Slavik : C'est un autre service que pourrait fournir à mon avis la commission électorale des Premières nations; donc, pour les Premières nations qui souhaitent avoir des fonctionnaires électoraux impartiaux, indépendants et bien informés, la commission pourrait leur en fournir.
Le sénateur Lang : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a dédoublement des services. Dans notre partie du monde, nous avons en place un bureau électoral. Il y a des gens qui y travaillent; ils s'occupent des différentes élections. Il me semble que si on passait un contrat avec eux, il y aurait alors un organisme impartial, les coûts seraient beaucoup moins élevés et il ne serait pas question de parti pris.
M. Slavik : Nous avons un certain nombre de clients qui font cela. D'autres Premières nations estiment qu'il n'est pas approprié de passer un contrat avec des représentants d'autres paliers de gouvernement, mais un certain nombre de nos clients embauchent. Par exemple, un de nos clients a embauché leur fonctionnaire électoral d'une ville voisine et un autre a embauché quelqu'un qui formait des fonctionnaires électoraux provinciaux.
On a recours à cette formule au cas par cas, mais ce n'est pas là une pratique qui est généralement adoptée, d'après mon expérience. C'est pour cette raison que s'il y avait une institution qui était gérée par les Premières nations et qui avait réputation de fournir des fonctionnaires électoraux indépendants et bien informés, je pense qu'on ferait énormément appel à ces derniers. Cela pourrait se faire à un coût relativement peu élevé.
Si vous me permettez de dire une dernière chose, parfois on hésite à faire appel à des fonctionnaires électoraux qui ne connaissent pas bien les Premières nations. Je dis tout simplement que c'est là un facteur.
Le sénateur Lang : J'ai remarqué dans votre mémoire que, sous « Motifs de révocation », vous donnez l'exemple de dispositions pour faire révoquer un chef ou un conseil pour des motifs spécifiés à la suite d'un référendum, avec 50 p. 100 plus un.
M. Slavik : Ce n'est qu'un exemple tiré d'un règlement d'un de nos clients sur les élections. C'est un des mécanismes qu'ils ont choisi pour la révocation.
Le sénateur Lang : Vous ne recommandez pas cela?
M. Slavik : Non, je ne le recommande pas. Cela doit vraiment être spécifique à la collectivité, et il faut que cela soit très bien rédigé du point de vue juridique. Ce n'était là qu'un exemple.
Le sénateur Lang : Ce qui me préoccupe, c'est que si l'on commence à mettre en place ce genre de dispositions, alors on a constamment cette perturbation politique de la part de quelques personnes qui peuvent contrôler la majorité.
M. Slavik : C'est exact. C'est pour cette raison qu'il faut faire bien attention lorsqu'on rédige un règlement individuel sur les élections coutumières ou si l'on tente de régler cette question peu importe le cadre fédéral. Il faut être très prudent dans la façon dont on s'y prend pour faire cela. Franchement, je n'ai pas de réponse rapide ni facile à cette question.
Le sénateur Hubley : Bienvenue monsieur Slavik. Je dois vous remercier d'avoir félicité notre comité pour le travail que nous faisons. Nous prenons notre tâche très au sérieux.
Ma question concerne toute violation aux droits des Premières nations. Je vous demanderais ensuite de vous reporter à l'article 35 de la Loi constitutionnelle et à toutes modifications que nous pourrions apporter à la Loi sur les Indiens, plus particulièrement pour prolonger le mandat et établir des dates d'élections fixes.
À votre avis, est-ce que les Premières nations pourraient considérer cela comme une violation de leurs droits, ou est- ce qu'elles le verraient comme étant un changement positif?
M. Slavik : Pour vous donner une réponse complète, il faudrait parler plus longuement de la portée de l'article 35 et du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
À mon avis, la loi actuelle ne va à l'encontre d'aucuns droits prévus à l'article 35. Le fait est que les droits prévus à l'article 35 sont des droits négociés, dans la mesure où ils ont rapport à la gouvernance. Ils ont été négociés soit dans le cadre d'ententes globales ou d'ententes sectorielles en matière d'autonomie gouvernementale et sont donc reconnus par la loi fédérale comme s'appuyant sur les droits.
Il y a très peu de décisions judiciaires pour étoffer la portée des droits en vertu de l'article 35. En fait, dans une décision, les tribunaux ont déclaré qu'il n'y avait comme tel aucun droit d'autonomie gouvernementale inhérent à l'article 35, sauf ce que les parties ont négocié et ceux qui ont été reconnus par le Parlement.
Un droit doit être reconnu. Il peut être reconnu soit par les tribunaux, soit par le Parlement. Les tribunaux préfèrent de toute évidence que la reconnaissance des droits aux termes de l'article 35 soit négociée et reconnue par le Parlement. Ils ont un point de vue très étroit de la reconnaissance judiciaire des droits en vertu de l'article 35 par rapport aux questions de gouvernance.
Le sénateur Brazeau : Merci, monsieur Slavik, d'être avec nous ici ce soir.
Ma question porte sur la notion ou la recommandation d'établir une institution indépendante qui surveillerait ces élections. Si je fais un petit calcul rapide, il en coûterait 35 000 $ pour élaborer ces codes, multiplié par plus de 600 collectivités des Premières nations au Canada, ce qui donne un total de plus de 21 millions de dollars. Je ne crois pas qu'il soit possible de financer l'élaboration de plus de 600 différents modèles de systèmes électoraux.
Je demande par ailleurs depuis longtemps la création d'une institution indépendante, mais j'aimerais avoir votre avis sur la façon dont cela pourrait être avantageux pour les Premières nations au pays. Je pense que bon nombre de collectivités, peut-être pas toutes ni la majorité d'entre elles — voudraient garder leurs compétences pour surveiller leurs propres élections plutôt que d'avoir cette institution indépendante. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Slavik : Merci beaucoup d'avoir soulevé cette question. Je vais commencer par votre dernière observation.
Je vois le tribunal comme une ressource à laquelle elles pourraient faire appel. Si elles veulent un fonctionnaire électoral indépendant, elles peuvent le demander au tribunal. Le tribunal ne serait pas obligé de faire cela; ça se fait à la suite d'une invitation. Il serait invité à aider à la rédaction du règlement sur les élections coutumières et invité à aider dans le cas d'appels, et cetera. Ce serait là une ressource moins coûteuse, plus sensible, plus efficace que les autres options qui sont le palais de justice ou les Affaires indiennes. Je tente tout simplement de créer une autre option pour s'occuper de ces activités. Je ne considère pas cela comme étant une imposition; c'est plutôt à mon avis une ressource.
En ce qui concerne votre première observation au sujet des coûts, si j'ai bien compris — je sais que c'était dans vos documents d'information — environ 250 des 630 Premières nations au pays, ou peut-être environ 300 — ont déjà un règlement sur les élections coutumières et s'occupent déjà de leurs propres élections, dans la plupart des cas à leurs propres frais.
N'oubliez pas que tout ce qui est fait aux termes de la Loi sur les Indiens se fait aux frais du ministère. Je ne sais pas exactement combien le ministère dépense chaque année pour les élections et les appels, et cetera. J'imagine que le montant est assez élevé, mais ce n'est qu'un point mineur réellement.
L'important, c'est jusqu'à quel point l'arrangement actuel est dysfonctionnel. Le fait de ne pas avoir un bon système électoral qui produit des gouvernements des Premières nations démocratiquement responsables représente un coût énorme. Cela représente un coût qui dépasse de loin les 21 millions de dollars par an. Comme je l'ai dit dans mes observations liminaires, le développement économique, socioéconomique et commercial des Premières nations doit commencer par une bonne gouvernance, et nous n'avons pas encore le cadre législatif ou réglementaire qui permette de mettre cela en place. J'ai fait des suggestions de nouvelles idées pour toutes les institutions à cet égard. Le statu quo, pour de nombreuses raisons, ne devrait pas être maintenu.
Le président : Pour votre gouverne, ma très compétente analyste a dit qu'il y avait 334 bandes à l'heure actuelle sous le programme coutumier.
M. Slavik : Oui, j'avais 340. Merci.
Le président : C'était tout simplement à titre d'information. Désolé de l'interruption.
Le sénateur Brazeau : Je vous en remercie. Je ne peux pas être en désaccord avec vous car vous avez tout à fait raison.
Ce que j'essaie de dire, c'est que l'ancien gouvernement libéral, avec la loi qu'il proposait sur la gouvernance des Premières nations, donnait aux collectivités l'occasion de participer à l'élaboration de leurs propres codes électoraux. Peu importe quel aurait été le résultat, ces codes auraient reflété leurs propres coutumes, traditions, pratiques, valeurs, et cetera. La majorité des dirigeants ont rejeté ce processus.
Conjointement avec ce projet de loi, on a établi également le Centre national pour la gouvernance des Premières nations qui devait aider les collectivités des Premières nations à faire exactement ce que nous proposons de faire ici, c'est-à-dire élaborer leur propre code afin que ce dernier puisse refléter leurs propres systèmes de gouvernance.
Je peux vous dire — j'ai siégé au comité consultatif de ce centre pendant une brève période — que la demande au pays n'était pas élevée, que l'on a fini par laisser tomber le centre.
Je constate que vous proposez ou recommandez que le Sénat recommande au gouvernement du Canada de faire en sorte que le règlement de la Loi sur les Indiens cesse d'être en vigueur en 2015.
M. Slavik : Ce n'est qu'une suggestion. Cela pourrait être à une autre date.
Monsieur le sénateur, ce n'est peut-être pas un point de vue politiquement correct, mais vous me demandez de vous faire part de mon point de vue d'expert à ce sujet à la lumière de mon expérience. Comme je l'ai déjà dit, il faut une carotte et un bâton. Le bâton c'est la décision du gouvernement du Canada de ne plus s'occuper du processus électoral des Premières nations. Les Premières nations doivent mettre en place un cadre de travail approprié pour élire leurs propres gouvernements des Premières nations. Bon nombre d'entre elles l'ont déjà fait. D'autres, pour toutes sortes de raisons, hésitent peut-être à le faire; mais quoique ce soit la raison pour laquelle elles refusent de le faire, on doit les encourager à aller dans cette direction.
Par ailleurs, elles doivent avoir les ressources nécessaires pour le faire. Les ressources ce n'est pas seulement le financement. C'est aussi les institutions comme la commission électorale des Premières nations qui pourrait leur fournir les compétences, l'aide et les ressources nécessaires pour les aider à aller dans cette direction.
Je crois, sénateur, que nous pourrions sans doute être d'accord sur la principale direction dans laquelle nous devons aller ici. Je propose une série particulière d'institutions et une stratégie pour y arriver. Je n'ai rien vu d'autre à l'horizon qui nous permette d'aller dans cette direction, franchement.
Le sénateur Brazeau : Je suppose que ce sera ma dernière question. Nous sommes tous les deux d'accord et la plupart d'entre nous ici autour de cette table sont d'accord pour dire que le statu quo est en quelque sorte inacceptable, mais il s'agit de déterminer comment nous allons y arriver. Étant donné votre expérience et vos connaissances avec des clients que vous représentez, comment pouvons-nous convaincre les dirigeants partout au pays que le fait d'apporter des changements au système de gouvernance et au système électoral profitera à toute la collectivité? Si on a l'impression que nous voulons imposer quoi que ce soit, ce sera rejeté à chaque fois. Même si je suis entièrement d'accord avec la possibilité de créer une institution indépendante, encore une fois on crée une crainte quant à ce que nous ferons pour le logement et l'éducation et l'allocation de certains programmes et services en matière de santé. Allons-nous commencer à créer des institutions indépendantes pour la prestation de tous ces programmes et services comme pour le système électoral?
M. Slavik : Je suis ici ce soir pour aborder une question, monsieur le sénateur. Croyez-moi, les Premières nations touchent à de nombreuses questions complexes et difficiles, mais je reviens à mon principal message : pour régler ces problèmes, il faut régler le problème de la gouvernance; pour régler la gouvernance, il faut régler le problème du système électoral.
Je pense que le Canada devrait s'attaquer plus énergiquement et efficacement à cette question, en collaboration avec les Premières nations. Si vous lancez ces idées aux Premières nations, vous pourriez susciter un intérêt considérable. Je n'assumerais pas que les Premières nations s'opposeraient aux types d'idées présentées dans le document. Je suis convaincu que la plupart des collectivités des Premières nations, de la base jusqu'au leadership, désirent de meilleures institutions en matière de gouvernance. Elles en sentent le besoin, et elles subissent les conséquences de leur absence.
Il faut de nouvelles idées et de nouvelles façons de voir les choses. Je ne sous-estime aucunement les difficultés politiques et, peut-être juridiques, qui se présenteraient. Toutefois, j'exhorterais le Sénat à faire preuve d'audace dans ses recommandations à cet égard.
Le sénateur Peterson : Merci, monsieur, de votre présentation et des excellentes recommandations formulées qui, manifestement reflètent vos années d'expérience dans le domaine.
Selon vous, il est clair que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne devrait pas s'occuper du système électoral des Premières nations. Si nous devions formuler une recommandation en ce sens, croyez-vous que le ministère accepterait ou rejetterait cette idée?
M. Slavik : Je crois qu'avec une approche adéquate, le ministère verrait la valeur de ces idées. Le ministère doit respecter des politiques ainsi qu'un cadre législatif et réglementaire, mais l'intérêt n'est pas égocentrique dans ce cas-ci. Le ministère voit manifestement les limites et les problèmes inhérents à la situation. Je ne crois pas qu'aucun des fonctionnaires, au ministère, compte tenu de ce qu'ils ont dans leur cœur et de leur expérience, puisse approuver le statu quo.
J'ajouterais comme deuxième point que beaucoup de gens qui seront appelés à participer à l'établissement de ces nouvelles institutions seront en fait des Autochtones, et que l'on pourra bénéficier d'une expertise bien développée au ministère. Cette très vaste expertise peut être mise à profit pour établir un cadre institutionnel législatif et stratégique plus efficace. En lisant attentivement la documentation, on constate que même les documents produits par les fonctionnaires reflètent le besoin de changement.
Au final, le ministère pourrait être favorable à cette initiative. Ce sera, pour lui, une question politique de moins à régler.
Le sénateur Peterson : Si cette option est exclue et qu'une commission électorale des Premières nations est établie, des fonds pourraient être transférés. Nous n'aurons pas besoin de nouveaux fonds.
M. Slavik : Je ne sais pas, je ne peux pas me prononcer là-dessus. Cependant, selon moi, investir dans de nouvelles institutions pour se donner des gouvernements autochtones plus forts constitue l'un des meilleurs investissements que nous puissions faire. Comme je l'ai indiqué au début de mon mémoire, le Canada est à la tête du palmarès des pays qui investissent dans le développement des institutions démocratiques ailleurs dans le monde, par exemple en Haïti et en Afghanistan, et ce par l'intermédiaire de son ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Nous sommes un chef de file mondial lorsqu'il s'agit d'investir dans d'autres coins du monde. Or, à peine une fraction de ces ressources est consacrée à l'habilitation et au renforcement du développement de gouvernements autochtones plus forts au Canada. Je crois qu'en fin de compte il s'agit d'une initiative à très faible coût et à très haut rendement.
Le président : Honorables sénateurs, durant une catastrophe majeure, en conséquence du système du ministère, une collectivité de Premières nations a fait l'objet d'une gestion par un tiers administrateur. Cela veut dire que la collectivité de plus de 1 000 personnes a dû se passer de leadership au niveau communautaire. Il y a alors eu une inondation majeure. L'absence de leadership était le résultat de dispositions de la Loi sur les Indiens qui s'avèrent encombrantes et impraticables. Je veux attirer votre attention sur cette situation, car j'y pensais à l'instant. Durant l'inondation, le chef, qui, au bout du compte était bel et bien le chef et est demeuré le chef, ne pouvait rien faire. Il était impuissant durant la période de l'incident et sa collectivité aurait dû prendre certaines mesures, mais elle était régie par un tiers administrateur. Je veux vous informer de ce fait.
M. Slavik : Si vous permettez... vous devriez demander au ministère de vous fournir des données sur le nombre de Premières nations gérées par des tierces parties ou par des ententes de cogestion, et ensuite vous devrez demander combien l'on paie ces parties. C'est incroyable.
La semaine dernière, j'ai rencontré le chef d'une bande démunie du Nord de l'Alberta. Dans cette communauté, on paie 60 000 $ par mois à une tierce partie qui travaille à Edmonton.
Le président : Par mois?
M. Slavik : Pour faire cinq jours de travail, qui consiste en gros d'écrire des chèques.
Je connais une autre Première nation où la note s'est élevée à 1 million de dollars par mois. Le vrai coût des gouvernements des Premières nations inefficaces n'est pas simplement celui des occasions perdues ni celui du manque des programmes efficaces, c'est aussi les sommes que l'on verse aux tierces parties du secteur privé pour gérer ces collectivités.
Je pourrais en dire davantage, sénateur, mais je vais m'y arrêter.
Le président : Moi aussi, je pourrais en dire davantage, mais je vois que le sénateur Dyck veut poser une question.
Le sénateur Dyck : Soyez le bienvenu, monsieur Slavik. Vous avez comparu devant notre comité à plusieurs reprises, et j'ai toujours écouté attentivement votre témoignage fort sage. Je pense que c'était il y a quelques années que vous avez dit dans votre témoignage qu'il serait nettement préférable de tenir des élections tous les quatre ans plutôt que tous les deux ans, comme c'est le cas maintenant.
Je n'ai pas vraiment de question car la question que j'allais vous poser portait sur l'article 35 de la Constitution, que vous avez déjà abordé avec le sénateur Hubley. Cependant, j'aimerais reprendre la question des coûts. Vous venez de parler des coûts liés aux changements du processus électoral pour les Premières nations. Le Canada dépense des millions de dollars dans d'autres pays. Gardons le sens des proportions : il faut comprendre que si quelque 300 Premières nations doivent entamer ce processus, et si le coût pour chaque communauté s'élève à 35 000 $, on parle d'une somme totale d'à peu près 10 millions de dollars, qui n'est pas la mer à boire. Qui plus est, lorsqu'on parle du changement au système électoral que cela pourrait entraîner, on ne se pose pas de question sur le coût du processus, même si cette note-là pourrait aussi s'élever à des millions de dollars. Il me semble bizarre de s'en faire pour l'argent qu'on dépense sur les Premières nations, mais non pas pour l'argent qu'on dépense pour d'autres élections. Ça c'est quelque chose dont il faut bien prendre conscience.
Vous avez dit clairement qu'il s'agira d'un bon investissement. Aimeriez-vous faire d'autres commentaires à ce sujet.
M. Slavik : Il est très difficile de mesurer le vrai coût des occasions perdues, mais pour chaque mois ou année qu'une Première nation n'a pas de gouvernement efficace, elle rate des occasions très importantes; je ne parle pas simplement des occasions économiques et sociales, mais aussi des occasions dans le domaine de la petite enfance, du développement de la famille, et cetera.
Où est-ce qu'on reflète ces coûts dans le système? Je pourrais faire valoir l'argument des coûts sur d'autres plans, et quand je disais 35 000 $, c'était juste un ordre de grandeur. Il s'agit des coûts que le gouvernement du Canada aura toujours à défrayer. À moins qu'il y ait changement, les 300 autres Premières nations seront toujours régies par la Loi sur les Indiens, et ce pour des années à venir, et le gouvernement va continuer à encourir des coûts sans que l'on voit une amélioration dans la qualité ou l'efficacité de la gouvernance.
Voilà, dans les grandes lignes, la justification de ces dépenses, mais j'aimerais faire un dernier commentaire, monsieur le sénateur, dont vous venez de me faire penser. C'est quelque chose que j'ai lue la fin de semaine dernière dans le Globe and Mail. Ne soyez pas fâché contre le Globe and Mail. J'ai lu la chronique de M. Simpson sur les coûts liés au fait d'être toujours prêt à aller aux élections dans un gouvernement minoritaire. Vous êtes tous des anciens de la politique et des personnes intelligentes, et vous comprenez le coût des gouvernements minoritaires qui doivent toujours être prêts pour des élections.
En fin de semaine, M. Simpson a dit, à ce sujet, qu'une bonne gouvernance exigeait un mandat de quatre à cinq ans. Selon les principes de la responsabilité démocratique, les gouvernements doivent demander aux citoyens de voter après quatre ou cinq ans. Il a également dit qu'un mandat de moins de deux ans s'accompagne d'un gouvernement dysfonctionnel, qui ne voit qu'à court terme et qui est motivé par l'opportunisme politique, un gouvernement qui n'est pas efficace et qui ne travaille pas vraiment dans l'intérêt supérieur de sa communauté. Voici la situation dans laquelle de nombreuses Premières nations se trouvent dans le cadre de ce système électoral de deux ans qui n'est pas doté d'un système d'appels efficace.
Serait-il acceptable ici au Canada de tenir des élections tous les deux ans?
Le président : Cela semble être le cas.
M. Slavik : Et ça ressemblerait à quoi?
Le sénateur Dyck : Cela dépend.
M. Slavik : Je ne dis pas que c'est quelque chose de désirable, sénateur, mais aimeriez-vous le voir prescrit dans une loi?
Le sénateur Raine : Merci. Vos observations m'intéressent beaucoup et j'aime bien écouter votre expertise. Étant donné que c'est un sujet qui m'est tout à fait nouveau, j'aimerais savoir premièrement, comment est-ce qu'on a établi ce mandat de deux ans en premier lieu? Savez-vous pourquoi ils ont prescrit ce chiffre dans la loi? Il y a sans doute une raison qui explique cela, quelque part.
M. Slavik : Comme j'ai dit dans ma déclaration préliminaire, sénateur, j'avais 23 ans quand j'ai commencé à travailler pour les Premières nations, et cette loi existait à cette époque. William Bull, qui m'a informé de ce fait et m'a expliqué les conséquences, avait 55 ans à l'époque et avait passé la plupart de sa vie sous ce régime. Vous pouvez vérifier les archives, vous pouvez remonter dans le temps et examiner les versions précédentes de la Loi sur les Indiens, mais je ne sais pas comment on est arrivé à ce chiffre.
Le sénateur Raine : Il serait donc juste de dire que cette mauvaise loi a nui au progrès des Premières nations depuis de nombreuses années, et le fait qu'elle est toujours en vigueur me répugne.
Selon vous, y a-t-il quelqu'un qui le veut? Si le coût de ces élections coutumières venait du budget du ministère fédéral, y a-t-il une Première nation qui pourrait opter de garder ses élections dans le cadre de la Loi sur les Indiens avec un mandat de deux ans?
M. Slavik : Peut-être. En d'autres mots, certains aimeraient élaborer des règlements préconisant des élections coutumières dotées d'un mandat de deux ans, mais ce serait à la communauté de décider. Cette communauté serait alors en mesure d'évaluer les conséquences d'un mandat de deux ans.
Je n'ai pas encore vu une communauté où, lorsqu'elle avait le choix ou lorsqu'elle voulait vraiment explorer d'autres possibilités, avait opté pour un mandat de deux ans dans le règlement régissant les élections coutumières. Mais je vous parle des communautés que je connais, sénateur. Cela ne veut pas dire que des règlements préconisant des élections coutumières tenues tous les deux ans n'existent pas. Toutefois, la plupart de ces communautés comprennent fort bien les problèmes posés par un cycle qui doit se répéter tous les deux ans.
Permettez-moi de courir un petit risque ici et vous dire qu'il se pourrait fort bien qu'il existe des leaders des Premières nations qui ne veulent pas prolonger ce mandat de deux ans pour des raisons d'avantages personnels. Mais je ne dirai pas plus que ça. Mais cela ne veut pas dire que les collectivités ne devraient pas avoir d'autres possibilités ou le moyen de changer de système.
Le président : Il y a également la situation au Manitoba. Cette province a essayé d'établir un système électoral sous forme d'initiative régionale. Pensez-vous que cela pourrait fonctionner de façon régionale?
M. Slavik : Je ne connais pas très bien la proposition du Manitoba, mais, si j'ai bien compris, on veut que les élections des Premières nations soient tenues dans l'ensemble de la province à la même date, après un certain nombre d'années, et un organisme des Premières nations pourrait faciliter le processus. C'est comme ça que je comprends la situation au Manitoba.
Si les chefs et les communautés de cette région aimeraient le faire de cette façon dans le but d'améliorer la gouvernance de la communauté, il nous faut envisager autant de possibilités différentes que possible. J'en ai proposé une. Voici une autre. Les deux sont compatibles.
Le président : Moi aussi, j'aimerais vous remercier, monsieur Slavik, parce que vous êtes toujours prêt à nous faire profiter de votre expertise. Vous avez comparu devant ce comité à titre de témoin pour discuter de diverses questions et à divers moments, et vous avez fait preuve de beaucoup de patience à notre égard étant donné que le comité a dû annuler votre comparution à plusieurs reprises, comme je l'ai dit plus tôt.
J'aimerais vraiment vous remercier au nom de tous les sénateurs de votre disponibilité et de votre franc-parler quant à cette question tellement importante.
Si vous n'avez pas de questions à poser, je vais suspendre la séance pendant cinq minutes avant de poursuivre les délibérations à huis clos. Est-ce qu'il y a autre chose? Est-ce que tout le monde est d'accord?
(La séance se poursuit à huis clos.)