Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 2 - Témoignages du 7 mai 2009
OTTAWA, le jeudi 7 mai 2009
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 6 pour examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite tous la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Joyce Fairbairn de l'Alberta, et je suis vice-présidente du comité.
Le comité se réunit aujourd'hui pour la cinquième fois dans le cadre de son étude spéciale sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada. Pour que nous puissions avoir une idée d'ensemble de l'industrie forestière, la première phase de l'étude consiste à rassembler des informations d'ordre général. C'est dans cette optique que nous accueillons aujourd'hui deux groupes de témoins. Le premier groupe se compose de représentants de deux organisations. Il s'agit de M. Guy Caron, représentant national des projets spéciaux au Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, ainsi que de M. Robert Matters, président du Conseil sur le bois des métallos, du Syndicat des métallos. Nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous ce matin. Nos audiences sont un élément important du travail que nous accomplirons dans le cadre de notre tournée. Merci de témoigner devant nous.
Robert Matters, président, Conseil sur le bois des métallos, Syndicat des métallos : Merci de nous avoir invités. Je m'appelle Robert Matters, je suis président du Conseil sur le bois des métallos, qui est le principal syndicat dans le secteur forestier. Je voulais le dire en premier, car je sais que M. Caron vous dirait la même chose.
Je suis sûr que vous savez tous de quoi il s'agit, mais permettez-moi de dresser néanmoins une toile de fond. Nos membres font l'abattage des arbres. Ces arbres servent à construire des édifices et à produire des produits de consommation et de l'énergie. Nous travaillons dans des usines de fabrication de produits forestiers. Nous replantons les forêts qui ont subi des coupes afin que les générations à venir puissent elles aussi travailler dans les meilleures forêts du monde. Ce qu'il faut savoir, c'est que nous faisons notre travail principalement dans les communautés rurales de tout le Canada.
Je vois dans mes notes que vous n'avez pas reçu à l'avance le mémoire que nous avons envoyé. Je ne vais pas m'étendre sur le contenu du document, si ce n'est pour dire qu'il contient une explication détaillée des raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans la situation déplorable actuelle. Je ne vais pas traiter particulièrement de ces raisons, mais je vais mentionner l'Accord sur le bois d'œuvre résineux.
Que l'on appuie l'Accord sur le bois d'œuvre ou non, et de toute évidence nous ne l'appuyons pas, il est un fait indiscutable, et c'est que les gouvernements des provinces et le gouvernement fédéral sont dans l'incapacité de faire leur travail qui consiste à aider les citoyens, surtout en temps de crise, quand des communautés entières sont menacées de disparaître. C'est tout ce que je dirai pour l'instant sur l'Accord sur le bois d'œuvre résineux.
La modernisation du secteur forestier n'a pas été avantageuse pour les collectivités rurales du Canada. À l'heure actuelle, la plupart des tenures forestières appartiennent à quelques entreprises. Ces tenures ne créent pas d'emploi, ou très peu, dans le secteur manufacturier. Il en découle que les exportations de billes de bois sont excessives et que, dans certaines parties du pays, on use de pratiques monopolistiques et prédatrices. Il y a même des cas particuliers, comme celui de l'entreprise qui, en Saskatchewan, possède des droits sur plus de trois millions d'hectares de forêt, mais n'emploie pas un seul travailleur.
Ce qui manque, de toute évidence, c'est une stratégie pour le secteur manufacturier en général et, plus précisément pour notre industrie, une politique nationale qui encourage et facilite une utilisation maximale des ressources qui appartiennent à nos citoyens et un recours maximal à nos travailleurs. Dans les domaines qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, par exemple les exportations des billes de bois provenant de boisés privés, il faut des efforts coordonnés pour encourager la production manufacturière nationale à partir de ces ressources. Pour les questions de compétence provinciale, il faut un leadership pour promouvoir ce que j'appellerai la « préférence canadienne », et favoriser l'emploi au maximum. Le gouvernement fédéral peut manifestement jouer un rôle de chef de file pour ce qui est d'élaborer une vision à laquelle les autres compétences peuvent se rallier.
Les métallos estiment qu'il faudrait un programme massif de revitalisation de nos forêts. Il faut planter plus d'arbres pour restaurer les forêts durement touchées par des fléaux comme le dendroctone du pin ponderosa en Colombie- Britannique et en Alberta, et produire le bois d'œuvre de qualité dont nous aurons besoin plus tard au cours du siècle.
Le gouvernement devrait examiner les résultats de programmes comme les ententes I et II sur la mise en valeur des ressources forestières signées par la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada. Ce serait un moyen de faire en sorte que les chômeurs des communautés tributaires de l'industrie primaire puissent conserver un revenu tout en garantissant un héritage viable à long terme pour les générations futures. Nous devons produire plus de bois d'œuvre de qualité.
Le Canada devrait également devenir un chef de file dans les échanges de droits d'émission de carbone. Nos forêts nous offrent d'excellentes possibilités de financer des projets futurs de mise en valeur des forêts au moyen de la vente de crédits de carbone. Toutefois, nous n'avons pas besoin pour cela d'une bourse des crédits de carbone à Bay Street ou à Wall Street, où les combines visant à s'enrichir rapidement viennent polluer notre économie. La vente des crédits de carbone doit plutôt servir à rééquiper nos industries, à les rendre plus écologiques et à financer la transition de notre main-d'œuvre actuelle pour qu'elle devienne plus écologique.
Il faut encourager un usage accru du bois dans les produits de construction. Permettez-moi de faire ici une parenthèse pour signaler que j'ai lu les transcriptions des témoignages de certains autres groupes qui ont parlé des modifications qui devraient être apportées aux codes du bâtiment en Colombie-Britannique et des mesures qui sont prises en Europe. Ce sont des idées formidables et nous devrions les appliquer davantage au Canada. Le gouvernement fédéral a un rôle essentiel à jouer pour ce qui est d'aider l'industrie à se diversifier en trouvant de nouveaux usages aux produits ligneux.
[Français]
Guy Caron, représentant national responsable des projets spéciaux, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier : Madame la présidente, je m'appelle Guy Caron. Je suis le représentant national pour les projets spéciaux pour le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier. M. Ménard vous envoie ses regrets. Malheureusement, il est retenu à Montréal aujourd'hui pour un jugement qui a trait à AbitibiBowater et le refinancement des « unfunded liabilities ».
[Traduction]
Le SCCEP est l'un des principaux syndicats du secteur forestier. Il représente 150 000 membres, dont 60 000 dans l'exploitation forestière et 7 500 à AbitibiBowater. C'est donc un dossier essentiel pour nous.
[Français]
Je voudrais remercier le comité de nous avoir invités pour discuter des problèmes particuliers que vit l'industrie présentement. C'est donc ce sur quoi nous nous sommes concentrés dans cette présentation. On considère qu'il y a quatre problèmes principaux qui affectent la foresterie. Il y en a beaucoup d'autres, mais je vais me concentrer sur ces quatre principaux.
Le premier est le manque de vision à long terme de l'industrie. L'industrie forestière se trouve dans une fâcheuse situation, une situation qu'on aurait probablement pu éviter si les industries et les compagnies elles-mêmes avaient eu une plus grande vision à long terme, au-delà de l'immédiat. C'est particulièrement frappant dans le domaine du papier journal.
Si vous regardez les deux premiers graphiques de la présentation, vous voyez que depuis les cinq dernières années, la diminution de la demande en termes de papier journal est assez dramatique. En conséquence, les producteurs ont diminué leur production, fermé les usines pour faire grimper les prix éventuellement afin de se soutenir.
Ce n'est évidemment pas une situation qui est durable. La baisse de la demande elle-même en papier journal était prévisible avec la popularité croissante d'Internet et la diminution de la consommation des journaux. On voit que les principaux conglomérats médiatiques ont des difficultés présentement en ce qui a trait aux médias écrits. Les difficultés financières étaient prévisibles. L'industrie elle-même a à peine bougé; que ce soit dans le papier journal ou dans d'autres domaines, elle n'a pas innové. Un des tableaux que j'ai inclus dans la présentation démontre que la question de l'innovation et du réinvestissement en recapitalisation a réellement été déficiente.
L'industrie a cessé d'investir en recherche et développement; elle s'est tout simplement rabattue sur les produits de base sécuritaires, comme le papier journal, la pâte kraft, la pâte marchande, plutôt que d'essayer de s'adapter aux nouveaux créneaux. En ce qui concerne les produits de base eux-mêmes, le Canada subit une concurrence difficile à combattre, de la part de pays où la main-d'œuvre est beaucoup moins dispendieuse. On parle de l'Amérique du Sud, de l'Asie.
Mais l'industrie elle-même, pendant les 15 dernières années, a préféré s'asseoir sur un taux de change favorable pour éviter d'amener des changements profonds qui auraient pu l'aider à mieux concurrencer. Aujourd'hui, elle le paye chèrement, et nos travailleurs également.
Le deuxième problème que nous voyons, c'est l'absence de coopération entre les différents joueurs de l'industrie. L'industrie forestière est hautement concurrentielle. Les joueurs, au lieu d'essayer de s'entraider, pratiquent la stratégie du « last man standing », un peu comme des vautours qui vont voler au-dessus d'une proie possible afin de s'en emparer. On le voit par exemple dans le cas d'AbitibiBowater, il n'y a absolument aucune aide de la part de l'industrie. Je pense que les autres joueurs attendent de voir ce qui va se passer pour pouvoir aller chercher les morceaux de choix qui se trouvent au sein de l'entreprise.
C'est d'ailleurs cette mentalité qui a mené aux difficultés que vit AbitibiBowater présentement, du fait qu'elle a cumulé une dette tout à fait ingérable, par l'acquisition, par emprunts, de différentes compagnies plus faibles, comme Price, comme Donahue, comme Consolidated Bathurst, et autres.
Ce qu'il faut comprendre c'est que l'industrie a deux stratégies : une canadienne et une américaine. Ce ne sont pas des entreprises qui sont canadiennes maintenant, ce sont des entreprises qui sont multinationales, qui sont basées, par exemple, encore une fois pour AbitibiBowater au Canada et aux États-Unis, deux sièges sociaux. C'est pour cette raison qu'il est illusoire de penser que l'industrie a les intérêts canadiens à cœur. C'est la raison pour laquelle le gouvernement ne peut pas simplement s'asseoir et se refuser à prendre des décisions pour rediriger les compagnies dans le meilleur intérêt des Canadiens en ce qui a trait à la foresterie. Et essayer de les inciter à se doter d'une vision à long terme pour l'industrie.
Troisième problème, l'accord sur le bois d'œuvre. Monsieur Matters en a parlé, je n'insisterai pas sur le sujet. Nous avions appuyé l'accord, un peu à contrecoeur, parce qu'on voyait les possibilités d'effets pervers, et nous les constatons présentement. On a payé plus d'un milliard de dollars pour avoir un accord qui devait assurer une stabilité. Le problème c'est que depuis que nous avons signé l'accord, l'industrie n'est plus concurrentielle. Il n'y a pas eu un seul mois où on n'a pas eu à payer le maximum de la taxe sur l'exportation, pour ceux qui ont choisi une option, ou qu'on a été réduit au quota minimum, dans l'autre option.
Cela n'a pas mis fin non plus aux revendications des groupes comme la Coalition for Fair Lumber, qui va toujours trouver un prétexte pour prétendre que l'industrie canadienne rivalise de manière injuste et déloyale.
Dernier facteur, c'est peut-être un facteur qui est moins connu, c'est quelque chose qui nous touche maintenant, c'est la liqueur noire. Les problèmes qu'on vit présentement par rapport au fait que les États-Unis accordent des subventions qui donnent un avantage déloyal à leur industrie.
La liqueur noire, pour résumer la situation qui est quand même complexe, est un résidu du procédé de transformation des copeaux en pâte kraft. C'est également un combustible qui est réutilisé par les compagnies elles- mêmes pour réduire leur dépendance à l'énergie.
Étant donné que c'est un combustible qui provient des arbres — c'est donc considéré comme un combustible renouvelable — les États-Unis en 2005, pour encourager entre autres l'industrie de l'éthanol, ont décidé de créer un crédit d'impôt pour les énergies renouvelables, pour les combustibles alternatifs. Ils voulaient financer à 50 cents par gallon la quantité d'éthanol ou d'un carburant renouvelable ajouté à des carburants fossiles. L'industrie a réalisé quatre ans plus tard, en 2008-2009, que si elle ajoutait un peu de diesel à sa liqueur noire, elle devenait admissible à ce crédit d'impôt, parce que ça devient un mélange de carburant fossile et de carburant renouvelable. Donc pour toute la liqueur noire que ses usines de pâte produisent, elle obtient 50 cents par gallon. C'est une subvention de 200 dollars la tonne, les coûts de production étant de 400 ou 500 dollars, selon les usines.
Notre industrie n'est donc plus concurrentielle et on commence déjà à voir un mouvement. Par exemple, Domtar, à Espanola en Ontario, s'en va maintenant aux États-Unis. Nos usines perdent leurs commandes qui sont faites maintenant aux États-Unis, étant donné que c'est là que l'industrie est profitable. Cela permet également à des usines qui auraient été fermées d'être subventionnées pour produire du papier et de la pâte à des prix inférieurs à ceux que le marché permettrait.
Donc on a de gros problèmes. Je ne vais pas nécessairement présenter des solutions, étant donné qu'on nous a demandé de parler des problèmes. Nous avons quelques solutions dans la présentation, mais je suis sûr que j'aurai l'occasion de répondre à des questions intéressantes à ce sujet.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci beaucoup. Je vais maintenant demander à nos sénateurs de vous poser des questions à tous les deux. Je vous encourage tous à participer à la discussion et à poser des questions aussi rigoureuses que possible afin que nous ayons tous la possibilité d'obtenir les réponses que nous voulons de ces témoins.
[Français]
Le sénateur Poulin : Messieurs, merci beaucoup de vos présentations. Ma première question s'adresse à M. Matters. Vous avez fait la première présentation et vous êtes président du Conseil sur le bois des métallos.
Je représente le Nord de l'Ontario au Sénat depuis 1995. Quand j'entends votre premier commentaire qui dit que le plus grand danger, c'est la dissémination de nos communautés importantes au Canada à cause de l'industrie, je le vois particulièrement dans ma région. Il y a un impact non seulement sur l'industrie, mais sur les familles et sur toutes les institutions d'une communauté.
Vous avez déposé au comité une analyse que vous appelez votre « backgrounder ». C'est un excellent dossier de sept pages. Vous avez dit que dans ce dossier, vous analysiez les raisons pour lesquelles on se retrouve dans la crise actuelle. Au comité, c'est notre premier élément de recherche, c'est-à-dire analyser les raisons qui sont derrière la situation actuelle. J'apprécierais si vous pouviez non seulement déposer officiellement votre papier pour qu'on puisse en tenir compte dans la rédaction de notre rapport, mais que vous attiriez notre attention aujourd'hui sur les principales causes qui sont présentées justement dans ce document d'information.
[Traduction]
M. Matters : Merci beaucoup de vos observations. En fait, je me suis rendu à Kapuskasing il y a trois semaines pour rencontrer nos membres. Comme vous le savez, les choses vont mal là-bas à l'heure actuelle.
J'ai un excellent adjoint de recherche, mais il arrive que nos attachés de recherche se laissent parfois emporter. II a fait un excellent travail, à mon avis, et il a probablement présenté l'information dans une perspective que d'autres n'avaient pas abordée, malgré tout le respect que je leur dois. Il donne beaucoup de détails sur les institutions financières américaines et la santé financière des constructeurs aux États-Unis, avec des explications particulières et détaillées. Ces explications démontrent les excès que nous avons constatés, surtout aux États-Unis.
Pour répondre à votre question, je ne crois pas qu'il existe beaucoup d'informations ou de connaissances qui puissent être utiles à votre comité, compte tenu des raisons pour lesquelles nous nous retrouvons dans cette situation déplorable. En bref, le problème vient de la déréglementation des institutions financières aux États-Unis. C'est la cause, en résumé. Je peux vous fournir une explication plus étoffée, mais je crois que les Américains sont en train de corriger le problème. Ils sont en train de modifier les pratiques prédatoires et la réglementation des banques. Nous pouvons donc laisser cet aspect de côté et espérer qu'un problème semblable ne se reproduira pas à l'avenir. Je ne sais pas si cela répond à votre question au sujet du document d'information.
Le sénateur Poulin : Oui. Notre étude a quatre objectifs. Le premier est d'examiner les causes et les origines de la crise actuelle dans le secteur forestier. C'est pourquoi j'essayais de mieux comprendre et de faire inscrire au compte rendu quelles sont d'après vous, qui représentez les métallos, les origines de ce que vous appelez « la situation déplorable d'aujourd'hui ».
[Français]
Monsieur Caron, merci beaucoup d'être ici. Vous avez parlé d'Espanola. Il s'agit d'une petite communauté très importante à l'extérieur de Sudbury qui se retrouve très fragilisée. Vous avez étudié attentivement les causes et les origines de la présente crise. Selon vous, la première cause est le manque de vision à long terme. Un de nos objectifs, dans notre étude, c'est justement le troisième objectif, c'est-à-dire développer une vision pour notre positionnement à long terme au Canada pour l'industrie forestière. Pourriez-vous nous dire comment vous voyez cette vision à long terme?
M. Caron : La première chose que l'industrie devra faire, c'est justement arrêter les manœuvres prédatrices et arrêter de se tourner autour pour espérer éventuellement être le plus fort après une série de faillites qui risquent de survenir. On voit la situation d'AbitibiBowater, mais ce n'est pas la seule usine en difficulté. Smurfit-Stone est déjà en faillite également, même si elle est davantage basée aux États-Unis, elle a plusieurs usines au Canada. On sait que White Birch et Tembec sont également en difficulté avec les mêmes problèmes de dettes ingérables.
Le sénateur Poulin : Pourriez-vous donner un exemple concret d'une manœuvre prédatrice? Sans nommer de nom.
M. Caron : La question de la liqueur noire est un bon exemple. Autour de la liqueur noire, l'industrie s'est rassemblée pour essayer de convaincre le gouvernement canadien d'agir vis-à-vis des États-Unis afin qu'ils mettent fin au crédit d'impôt ou à tout le moins à l'échappatoire. Ce ne sont pas toutes les compagnies canadiennes qui font partie de cette coalition de l'industrie. Domtar n'en fait pas partie. Pourquoi? Parce qu'elle gagne aux États-Unis avec ses usines qui produisent de la liqueur noire. Donc elle refuse de se joindre à l'effort pour mettre fin à cette subvention parce qu'elle reçoit la subvention aux États-Unis. Elle y tire son avantage et refuse de joindre l'effort du reste de l'industrie. Domtar espère voir éventuellement certains joueurs plus faibles faillir à la tâche et éventuellement ramasser certains morceaux. C'est probablement l'exemple le plus direct et le plus immédiat que je peux trouver.
Maintenant, l'une des causes de l'industrie, c'est le fait qu'elle s'est fiée aux produits de base : papier journal, pâte marchande, pâte kraft.
Dans le monde, on n'est vraiment plus concurrentiels. On peut produire pour nos besoins locaux, mais pour les marchés d'exportation, on ne peut plus faire face à l'Amérique du Sud et à l'Asie. Il faut commencer à regarder les produits dérivés, les sous-produits du bois et également, éventuellement, le biocarburant. Je ne parle pas nécessairement de couper des arbres pour produire du granulé de bois, mais au moins utiliser les déchets du bois.
Le sénateur Poulin : Comme disait mon grand-père, les copeaux?
M. Caron : Oui, mais les copeaux spécialement conçus pour remplacer le charbon. Certaines personnes voient cela comme étant l'avenir, mais on ne voit pas cela comme étant très écologique comme solution. Cependant, l'utilisation des déchets du bois pour produire des énergies écologiques peut être un marché vers lequel on va se tourner. Et d'ailleurs, il y a une usine qui est ouverte, je pense que c'est à Miramichi, au Nouveau-Brunswick, avec l'ancienne usine UPS, qui est sur le point d'être convertie pour produire ce genre de carburant.
C'est donc le genre de mentalité que l'industrie devra acquérir pour pouvoir survivre. Dans l'état actuel des choses, je ne pense pas qu'il soit pertinent ou réaliste de penser que l'industrie pourra le faire. On est en difficultés financières. On a bien comparé la situation à celle de l'industrie automobile. La foresterie n'est pas une industrie en déclin, on a le même poids que l'industrie automobile pour l'économie canadienne. On occupe tous les deux 14 p. 100 du marché manufacturier.
J'ai d'ailleurs fait une comparaison, au troisième tableau, entre l'industrie automobile et l'industrie forestière. Non seulement on occupe le même poids en termes d'impact sur l'économie, mais on emploie deux fois plus de personnes. Pourtant, au niveau de l'aide apportée par le gouvernement fédéral en termes de prêts et de garanties de prêts, l'industrie automobile était censée recevoir 2,7 milliards — 4 milliards, fédéral et provincial combinés, pour les usines en Ontario. Je pense que l'industrie aura besoin de ce type d'aide, on ne parle pas de subvention, on parle réellement d'aide en prêts et en garanties de prêts. Peut-être, éventuellement rattacher les conditions pour que l'industrie puisse se réorienter en fonction de sa vision à long terme. D'avoir la carotte et le bâton sera probablement la seule manière de convaincre l'industrie de changer pour son propre bien.
Le sénateur Poulin : Merci, messieurs.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux et je vous félicite de vos activités. Je suppose que M. Ménard n'a pas pu venir parce qu'il participe à des procès devant les tribunaux. Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier se trouve dans une situation inhabituelle. Je dois néanmoins vous féliciter du succès récent que vous avez remporté à la défense des travailleurs retraités, de leur conjoint survivant ou des membres de leur famille dont les pensions ont été brièvement interrompues, ainsi que de votre intervention fructueuse au nom de tous les Canadiens dans ce dossier.
Je souhaite également la bienvenue à Robert Matters. Pour ceux qui nous regardent à la télévision, il s'agit du fameux Bob Matters de la Colombie-Britannique, une véritable légende, que certains définissent comme une personne « motivée par une idéologie ».
Ma première question s'adresse à M. Caron. Comme vous le savez, Air Canada, Algoma Steel et Stelco ont pu se restructurer en se plaçant sous la protection de la loi sur les faillites sans encourir les problèmes auxquels vous êtes confrontés dans le secteur forestier.
D'une façon générale, quelles modifications souhaiteriez-vous voir apportées à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour protéger le secteur forestier lorsqu'une intervention des tribunaux est nécessaire? Vous pouvez également commenter le fait qu'on a versé une prime de départ de 4,5 millions de dollars au PDG d'une entreprise.
Monsieur Matters, vous avez parlé de l'exportation des billes brutes. À votre avis, que devrait recommander notre comité pour résoudre ce problème? Je sais que le gouvernement de la province a imposé un prélèvement quelconque, mais cette mesure est bien inférieure à ce qui se fait dans d'autres pays. Par exemple, je crois savoir que la Russie taxe lourdement l'exportation des billes brutes, parce que le gouvernement a décidé de protéger les emplois en Russie.
M. Caron : C'est une question très intéressante. J'ai examiné ce problème récemment. Le projet de loi C-36 a été adopté en 2007. Il modifiait la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ainsi que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, qui offre des mesures de protection contre les créanciers. Ces mesures visaient les cotisations déjà payées par les travailleurs et les employeurs, et elle accordait à ces cotisations la priorité en cas de faillite. Ces mesures ont été ajoutées aux deux lois afin que l'entreprise en faillite ne puisse pas se prévaloir de la loi la plus avantageuse. Des mesures correspondantes ont été adoptées dans le projet de loi C-36, qui a reçu la sanction royale.
Malheureusement, cette loi n'a pas été mise en œuvre. Certains éléments, notamment celui accordant la priorité aux cotisations et aux salaires dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ont été mis en œuvre, mais ceux qui ont été inclus dans la LACC ne l'ont pas été. Ces dispositions ne sont pas en vigueur, même si elles ont été adoptées par le Parlement et ont reçu la sanction royale.
Le Congrès du travail du Canada examine cette question pour voir pourquoi le gouverneur en conseil n'a pas mis en œuvre cette loi qui a été démocratiquement adoptée par le Parlement.
Le projet de loi C-36 ne traitait pas du passif actuariel, non plus que de la solvabilité des plans, ce qui demeure un problème. Idéalement, le projet de loi aurait dû accorder la priorité au financement du passif actuariel, mais ce n'est pas le cas.
Nous avons travaillé avec nos vérificateurs pour trouver une solution au problème des régimes de pension privés qui sont menacés. C'est par exemple le cas chez Air Canada. Le secteur forestier n'est pas le seul à être touché. D'autres secteurs le sont également. Cela représente un obstacle énorme pour les entreprises qui essaient de se restructurer.
Nous savons que ce problème existe. Nous avons proposé une solution viable, mais nous avons besoin de temps pour terminer son élaboration. Nous commencerons probablement à publier cette solution d'ici la semaine prochaine.
Je ne peux pas entrer dans les détails. Toutefois, nos actuaires pensent qu'ils ont mis au point une solution innovatrice qui aidera l'industrie à résoudre ce problème.
Le sénateur Baker : J'ai une autre question avant de passer à M. Matters.
Vous avez entendu parler des cas de débiteur-exploitant, dans lesquels un gouvernement peut intervenir. Les États- Unis sont intervenus dans votre secteur, auprès de la plus grande société forestière au monde, AbitibiBowater. Pour venir en aide au quart des employés de l'entreprise, aux États-Unis, le gouvernement a versé 200 millions de dollars en financement de débiteur-exploitant. La province de Québec verse un maximum de $100 millions. Est-ce exact?
M. Caron : C'est exact.
Le sénateur Baker : Devrions-nous proposer que le gouvernement fédéral prenne des mesures pour protéger nos intérêts, comme le gouvernement américain l'a fait chez lui? Si l'on peut se fier à l'exemple d'Air Canada, de Stelco et de toutes les autres entreprises de ce genre, AbitibiBowater continuera d'exister après cette crise. La compagnie continuera d'être exploitée au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Corée du Sud. Devrions-nous demander au gouvernement fédéral d'intervenir?
M. Caron : Oui, tout à fait. À l'heure actuelle, AbitibiBowater représente 41 p. 100 du marché du papier journal. On dit souvent qu'une entreprise est trop importante pour faire faillite. Dans le secteur forestier, je dirais qu'AbitibiBowater est trop importante pour faire faillite, car les conséquences seraient inimaginables. Mais AbitibiBowater produit plus que du papier journal, et il faudrait l'aider à réorienter ses activités afin qu'elles soient plus durables pour l'avenir. Cette aide pourrait prendre la forme de prêts ou de garanties de prêts aux termes par exemple d'un financement de débiteur-exploitant, afin que les gouvernements ne soient pas empêchés d'intervenir.
Permettez-moi d'ajouter que la contribution de 100 millions de dollars du Québec a été contestée par la Coalition for Fair Lumber Imports, qui conteste tout ce que fait n'importe quel gouvernement. Si vous craignez cette contestation et la réaction des Américains, il faut comprendre que la Coalition for Fair Lumber Imports obtient gain de cause environ une fois sur 15. Elle conteste tout et espère remporter une victoire quelque part. D'après de bonnes opinions juridiques obtenues par l'industrie, une telle contribution du gouvernement est complètement légitime et ne peut pas être considérée comme une subvention illégale à l'industrie. Le gouvernement fédéral est en mesure d'apporter une contribution semblable.
Le sénateur Baker : Monsieur Matters, avez-vous des observations à ce sujet?
M. Matters : Si le comité me le permet, j'aimerais ajouter quelque chose à cette réponse. Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer lorsqu'il se produit une crise particulière, mais il faut aussi penser à plus long terme, même s'il est important d'apporter une aide.
Je prendrai l'exemple du secteur automobile. Il est important de garantir qu'il existe au Canada des emplois dans la production d'automobiles et de pièces d'automobile, mais il serait illogique que les contribuables canadiens renflouent General Motors si cette entreprise se contente à l'avenir d'importer les voitures d'autres pays, dont la Corée du Sud, le Japon, et cetera. Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer, mais ils doivent s'assurer que l'entreprise a un plan à long terme visant l'embauche de Canadiens, si on se sert de l'argent des Canadiens pour l'aider.
Dans le cas des exportations de billes de bois, la Colombie-Britannique a créé une table ronde sur l'exploitation forestière. J'ai fait des démarches auprès du ministre des Forêts, et Range et moi avons participé à la table ronde. Notre plan en quatre points portait sur la taxe à l'exportation. Nous avons demandé au ministre des Forêts de la Colombie- Britannique, comme je l'ai fait moi-même dans d'autres réunions distinctes, d'organiser des rencontres avec les personnes pertinentes ici, à Ottawa, afin que nous puissions collaborer pour résoudre le problème des exportations de bois venant des boisés privés. La compétence fédérale n'est pas la même selon que le bois vient de boisés privés ou de terres domaniales.
Pour ce qui est des terres publiques, nous n'avions aucune distinction pour que cela s'applique aux terres privées. Par conséquent, nous avons voulu communiquer avec Ottawa. Nous voulions une taxe d'équivalence. Il existe un système en Colombie-Britannique, d'où la plupart des exportations de rondins du Canada viennent, mais c'est un processus fictif. Même le ministère admet qu'il faut y travailler.
Nous avons proposé d'appliquer une taxe d'équivalence qui équivaudrait à la différence entre le prix auquel le rondin est vendu au Canada et le prix à l'exportation. Ainsi, il n'y aurait aucun incitatif spécifique visant à exporter les rondins, puisqu'ils pourraient être vendus au Canada et être tout de même rentables. Ainsi, on n'aurait pas à appliquer ces critères d'excédents provinciaux aux exportations. Si une taxe d'équivalence s'appliquait aux exportations de rondins des terres publiques en Colombie-Britannique, et si nous avions la collaboration du gouvernement fédéral pour le faire sur les terres privées, je pense que nous pourrions avancer grandement en vue de régler le problème.
Il faut comprendre que les rondins que nous exportons sont, de façon générale, les meilleurs rondins de catégorie A dont nous disposons. Les Japonais n'achètent pas notre camelote. Ils ne les amènent pas par bateau à travers l'océan pour simplement les faire passer par leurs installations et en faire des déchets. Nos scieries ont des désavantages concurrentiels pour toutes sortes de raisons, comme M. Caron l'a indiqué, y compris un manque d'investissement. Si nous pouvions faire passer nos meilleurs rondins par les scieries existantes, le facteur de recouvrement dans la productivité de nos moulins grimperait en flèche. C'est la tactique que nous avons adoptée au sujet des exportations de rondins.
Le sénateur Cordy : Le projet de loi C-36 a été adopté par les deux chambres du Parlement et a reçu la sanction royale. Toutefois, vous avez dit que vous ne pouviez pas vous y fier lorsque vous tentez de protéger les pensions de vos travailleurs.
M. Caron : C'est exact. AbitibiBowater a demandé d'être placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, alors que les changements proposés par le projet de loi C-36 n'ont pas encore été mis en application.
Le projet de loi a été adopté en décembre 2007 et le gouverneur en conseil a mis en œuvre certaines de ses recommandations qui modifient, entre autres, la Loi sur la protection des salariés et la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, mais pas la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Le sénateur Cordy : Je trouve cela tout à fait stupéfiant et je suis bouleversée par cette information. En ces temps de ralentissement économique, lorsqu'on en a le plus besoin, on ne peut pas y avoir accès. Je présumais que le projet de loi avait été adopté par les deux chambres et avait reçu la sanction royale et qu'il était donc devenu loi. Il faudra se pencher là-dessus.
Pour ce qui est du rôle du fédéral, vous avez tous deux parlé de la vision fédérale. Nous savons que ce domaine relève à la fois des compétences provinciales et fédérale, de sorte que tous marchent sur des œufs. Toutefois, quel est le rôle principal que devrait jouer le gouvernement fédéral dans l'industrie forestière? Quelle est cette vision dont vous avez tous deux parlé?
M. Matters : J'ai parlé de la préférence canadienne. Je pense que tous dans cette salle seront d'accord pour dire que nous avons besoin d'emplois. Nous pouvons dire que nous avons besoin d'une industrie en santé et d'entreprises qui font de l'argent et qui peuvent investir. Mais si elles investissent tous leurs profits aux États-Unis, comme le font celles de la Colombie-Britannique, ça ne donne pas grand-chose ici, au Canada. Nous voulons tout revoir pour veiller à créer des emplois au Canada.
Nous n'en avons pas encore parlé à nos chercheurs, mais que peut faire le gouvernement fédéral au sujet de l'imposition? Une solution serait d'avoir un système d'imposition fondé sur la valeur ajoutée du point de vue de l'emploi. Par exemple, lorsqu'une entreprise coupe un arbre et le vend, elle touche 10 $ et doit payer des taxes sur les 10 $. Lorsqu'une autre entreprise abat un arbre, le scie, le convertit et brûle son énergie, elle fait tout de même 10 $ et doit payer les mêmes impôts sur les 10 $. Les deux entreprises doivent payer les mêmes impôts. Pourquoi ne pas créer un système d'imposition qui récompenserait l'entreprise qui comprenait tout l'emploi à valeur ajoutée et a créé 15 fois plus d'emplois? C'est une idée méritante que le gouvernement fédéral devrait examiner.
M. Caron : Je pense que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer parce que le problème est trop important pour que les provinces puissent s'y attaquer seules. Le Québec ne peut pas donner plus de 100 millions de dollars, et l'Ontario a déjà dit qu'il ne pouvait pas couvrir indéfiniment les passifs des régimes de pension des travailleurs de l'automobile, et probablement pas ceux des travailleurs forestiers non plus.
Le gouvernement a un rôle à jouer sur deux fronts. Premièrement, il s'agit d'une question de commerce international et nous souhaitons exporter. Nos produits ne s'adressent pas à la consommation nationale uniquement. Nous produisons pour les marchés étrangers.
Deuxièmement, nous devons faire participer les provinces. Elles peuvent collaborer avec le gouvernement fédéral. De toutes les provinces, le Québec fait actuellement partie d'un comité mixte dont l'objectif est de résoudre les problèmes de l'industrie forestière.
Je pense qu'un tel comité mixte composé de représentants des ministères provinciaux et fédéral des Ressources naturelles devrait être créé dans toutes les provinces, pas seulement au Québec. Nous avons été assez étonnés de voir que le comité n'a été créé que dans une seule province. Nous sommes heureux de voir que le comité a été créé, mais nous ne pensons pas qu'il fera grand-chose tant que chaque province et le gouvernement fédéral décident de s'attaquer au problème.
Le sénateur Housakos : Bienvenue à nos invités de ce matin. J'ai des opinions assez arrêtées sur la raison pour laquelle nous faisons face à un tel gâchis et j'aimerais que vous formuliez vos observations lorsque j'aurai exprimé mon point de vue. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord et, si non, j'aimerais entendre vos commentaires.
Mon opinion est simple; parfois, je pense que plus la réponse est simple et moins elle est compliquée, plus on peut s'attaquer à la racine du problème. Nous avons dépendu trop longtemps du marché américain florissant. Nous avons dépendu trop longtemps d'un dollar valant 70 ¢, dans les années 1990. À cause de ces deux facteurs, notre industrie est devenue trop peinarde et trop à l'aise. Par conséquent, elle ne s'est pas diversifiée. Elle n'a pas eu à devenir créative ni à se préparer pour les temps difficiles auxquels nous faisons face actuellement. D'après les recherches et les lectures que j'ai faites, il semble que pendant cette période florissante, l'industrie des pâtes et papiers avait le pire pourcentage de réinvestissement en R-D, par rapport aux autres industries canadiennes.
Je pense que ce sont des facteurs qui ont fait que le ralentissement et la récession ont probablement fait plus mal à l'industrie de la foresterie qu'aux autres industries canadiennes. J'aimerais savoir ce que vous pensez. J'aimerais également connaître votre vision au sujet de ce ralentissement ou cette récession. Quelle sera la chronologie, d'après vous? Pensez-vous que la situation se prolongera? Pensez-vous qu'elle prendra fin rapidement?
J'ai donc trois questions. La raison pour laquelle nous nous retrouvons dans ce gâchis, dont je viens de parler. Ce que nous devons faire pour nous sortir de cette situation et, malheureusement, comme tout ce que nous avons fait dans cette industrie et dans d'autres domaines également, nous nous attaquons au problème trop tard. Lorsque nous finirons par trouver quoi faire, si Dieu le veut, nous nous serons sortis de ce problème et aurons redressé la situation. Il y a également la nature humaine et lorsque nous reprendrons notre chemin, nous oublierons à quel point les dernières années ont été douloureuses et nous reprendrons nos vieilles habitudes.
Ma dernière question touche le troisième élément. Au bout du compte, j'aimerais que notre comité trouve des solutions lorsque, à l'avenir, nous ferons face à un tel ralentissement, ce sera plus tolérable pour la main-d'œuvre et l'industrie, et moins douloureux qu'aujourd'hui. Si on est bien préparé, on peut régler les problèmes.
J'aimerais avoir votre vision, du point de vue du syndicat. Les employés sont-ils aussi responsables que les gestionnaires de certaines des souffrances auxquelles l'industrie fait face actuellement? Auriez-vous dû agir de façon plus proactive et sensibiliser la gestion à ce qui s'en venait? Quelle est votre vision de l'avenir à long terme, de l'industrie? Que fait le syndicat pour mieux préparer ses adhérents qui traversent actuellement des temps très difficiles?
La dernière question est la suivante : lorsque l'industrie se rétablira, sera-t-elle en mesure de reprendre tous ses employés, comme elle a fait il y a dix ans, ou certains individus auront-ils été oubliés lorsque l'industrie aura repris du poil de la bête, par manque de planification?
M. Caron : Pour ce qui est des origines du problème, je suis d'accord avec la plupart de vos arguments. Oui, l'industrie a omis de réinvestir et de recapitaliser, d'investir suffisamment en R-D et à profiter longtemps du dollar à 0,70 $, ou même à 0,60 $ ou 0,65 $.
Cela dit, l'industrie a un avenir. Le papier et le bois sont des produits écologiques. Si on envisage de construire quelque chose avec du bois ou du béton, le bois est en fait beaucoup plus logique du point de vue du carbone et permet également de stocker du carbone. Pour produire du béton, il faut du carbone. Le bois comporte donc un élément environnemental. Il y aurait beaucoup à dire sur l'avenir du bois et des produits du bois si l'industrie changeait d'attitude et s'adaptait aux nouvelles réalités du marché, ce qu'elle n'a pas fait jusqu'à maintenant.
Que pouvons-nous faire? Devrions-nous simplement abandonner l'industrie et dire qu'il s'agit d'une industrie en déclin qui n'a pas d'avenir? Ce qui n'est pas vrai, car elle a un avenir. Nous avons les ressources. L'industrie a fait des erreurs du point de vue environnemental dans le passé en faisant des coupes à blanc et en n'embarquant pas dans le phénomène de la durabilité assez rapidement, mais elle peut apprendre de ses erreurs. Soyons francs. À l'heure actuelle, l'industrie constitue le gagne-pain de plus de 300 000 Canadiens qui occupent des emplois directs dans le domaine, et plus de 800 000 Canadiens ont des emplois indirects. C'est un secteur très important.
Le secteur de l'automobile se situe généralement près des grands centres. C'est pour cette raison que nous en entendons davantage parler. Le secteur de la foresterie mène ses activités dans des collectivités éloignées, loin des centres médiatiques, de sorte que le problème reçoit moins d'attention. Si l'industrie de la foresterie est abandonnée, ces collectivités se retrouveront plus isolées et seront abandonnées également, parce que dans de nombreux cas, l'industrie représente leur principal moyen de subsistance.
Je conclurai en disant que les employés ont fait leur part. Nos membres, et particulièrement ceux des scieries d'AbitibiBowater, ont formulé des idées pour procéder à des innovations locales et à des changements aux conventions collectives locales. Ces changements valent des centaines de millions de dollars. Je n'ai pas d'exemple précis avec moi ce matin, mais je pourrai en faire part au comité plus tard.
À l'heure actuelle, nous faisons notre part et tentons d'aider les entreprises à élaborer un nouveau plan pour restructurer les régimes de pension privés et, ainsi, veiller à ce qu'il ne s'agisse plus d'un passif pour elles à l'avenir, sans mettre en danger l'avenir des travailleurs. Nous allons bientôt trouver une solution au problème. Je pense que nous faisons notre part.
Le sénateur Mahovlich : Merci, messieurs, de comparaître devant le comité. Ma question porte sur le dendroctone du pin ponderosa. Le gouvernement fédéral a fourni un aide de 400 000 millions de dollars pour mettre un frein à l'infestation il y a quelques années. L'infestation de dendroctone du pin ponderosa a-t-elle pris fin, ou continue-t-elle d'être présente au Canada?
M. Matters : Heureusement, cette année, il y a eu un coup de froid assez tôt. Les tests ne sont pas encore concluants. Selon des informations recueillies à ce moment-là, la propagation s'arrêtera sans doute, en raison de la mortalité massive. Nous n'avons pas encore vu les chiffres finals pour prouver que c'est bien le cas.
Le sénateur Mahovlich : Avons-nous fait suffisamment de recherche pour mettre un terme à cette infestation, ou les températures froides sont-elles les seules à pouvoir stopper le dendroctone du pin ponderosa?
M. Matters : Essentiellement, ce sont les températures froides. Il y a une réponse complète et longue à cette question, et j'aimerais beaucoup vous en parler, mais il faut des températures froides tôt dans l'année.
Le sénateur Mahovlich : S'agit-il de notre seul espoir?
M. Matters : Oui.
Le sénateur Mercer : Pas le réchauffement de la planète, mais plutôt le refroidissement de la planète.
Le sénateur Mahovlich : Ce qui est positif, c'est qu'une partie du bois a été utilisé pour construire le plafond de l'édifice ovale à Vancouver, et c'est très beau.
M. Matters : Je sais que vous avez discuté avec d'autres personnes qui ont parlé du marketing et de cet édifice. Des choses fantastiques se déroulent actuellement, mais ce sont les ingénieurs qui le font, à la pièce. Il y a tout un avenir pour l'entreprise de la foresterie et les produits du bois.
Le sénateur Duffy : Monsieur Matters, votre syndicat mène des activités des deux côtés de la frontière Canada-États- Unis. Je suis fier de dire que les métallos ont sensibilisé leurs frères et sœurs aux États-Unis, et des gens comme Lynn Williams sont venus du Canada et ont mené l'effort international.
J'aimerais entendre votre point de vue sur ce qui se passera à l'avenir. Il y a un nouveau président à la Maison- Blanche. Pendant la dernière campagne électorale, nous avons vu un certain penchant pour le protectionnisme.
Que fait votre syndicat pour expliquer à vos collègues de l'autre côté de la frontière que les tactiques déployées par la Coalition for Fair Lumber Imports, par exemple, sont très nocives pour une relation mutuellement fructueuse entre les gens des deux pays qui travaillent pour gagner leur vie?
M. Matters : Merci beaucoup pour cette question essentielle. Le président actuel de notre syndicat est en fait Léo Gérard, que bon nombre d'entre vous connaissez de Sudbury.
Le sénateur Poulin : Il s'agit de l'une de nos vedettes du Nord de l'Ontario. Frank Mahovlich n'est pas la seule vedette.
M. Matters : Oui, exactement. Pour ce qui est des États-Unis et du programme Buy America, nous l'appuyons à 100 p. 100. Laissez-moi vous expliquer. Il manque au gouvernement canadien une pièce du puzzle : un programme acheté canadien. Nous sommes une nation exportatrice. Si les États-Unis ne vont pas bien, nous n'allons pas bien.
Par exemple, dans l'industrie de l'automobile, le syndicat des métallurgistes a autant de gens qui travaillent en raison de l'industrie automobile que les travailleurs de l'automobile. Nous fabriquons l'acier, le caoutchouc, le verre et d'autres composantes. Nous ne sommes simplement pas connus parce que nous n'évoluons pas dans les grands centres.
La loi protectionniste dont l'adoption est planifiée aux États-Unis n'est pas réellement nouvelle. Je suis certain que vous le comprenez. Elle renforce des lois existantes.
Pourquoi diable quiconque utiliserait-il l'argent de ses contribuables pour soutenir une industrie étrangère? Je ne choisirais pas de pays. Pourquoi utilisons-nous l'argent de nos contribuables pour soutenir une industrie étrangère grâce à cette aide financière que personne ne veut, mais qu'il faut consentir? Pourquoi ne pas veiller à ce que nos travailleurs en profitent, étant donné que nous le faisons pour veiller à ce que nos travailleurs contribuent à faire fonctionner l'économie?
Notre syndicat tente de faire la promotion d'un programme d'achat canadien. Il n'existe aucune raison pour laquelle notre gouvernement ne pourrait pas faire la même chose que les Américains. Il ne s'agit pas de protectionnisme.
Le protectionnisme est un mot que les partisans du libre-échange veulent utiliser. Les partisans du libre-échange nous ont mis dans ce pétrin économique en prenant toute notre production, notre fabrication, nos emplois permettant la survie de la classe moyenne et en les envoyant à l'étranger. Si les Canadiens ne travaillent pas, nous avons un réel problème.
Oui, notre syndicat international a un programme Buy America. Si les Américains travaillent, les Canadiens travaillent. Nous fournissons les matériaux bruts et les éléments de base. Nous devrions faire la même chose pour veiller à ce que l'argent des contribuables profite aux Canadiens, autant que possible.
Le sénateur Duffy : Le raz-de-marée aux États-Unis se résorbe-t-il, ou prendra-t-il de l'ampleur sous le président Obama?
M. Matters : À mesure que l'économie change, il existe suffisamment d'indices pour me permettre de conclure que nous avons sans doute touché le fond. Je ne m'attends pas à ce que nous remontions en flèche. Toutefois, j'espère qu'une grande partie des pressions protectionnistes s'affaibliront.
La vice-présidente : Vous nous avez donné des éléments de réflexion très intéressants. Nous les examinerons et ils nous aideront à publier notre rapport. Merci.
Honorables sénateurs, poursuivons avec notre second groupe de témoins. De l'Association canadienne du contreplaqué et des placages de bois dur, nous recevons Steve Umansky, président; Michel Tremblay, vice-président exécutif; Robert Kiefer, vice-président, Relations gouvernementales, Commonwealth Plywood Ltd.; et Christian Noël, directeur général, Columbia Forest Products.
Steve Umanski, président, Association canadienne du contreplaqué et des placages de bois dur : Bonjour. Comme la présidente l'a indiqué, je m'appelle Steve Umanski, et je suis président de l'Association canadienne du contreplaqué et des placages de bois dur, l'ACCPBD. Au nom de nos membres, j'aimerais vous remercier de nous avoir donné la possibilité de discuter avec vous aujourd'hui et de vous donner nos points de vue ainsi que, peut-être, quelques recommandations sur la situation actuelle.
Notre association représente 50 entreprises qui fabriquent et récoltent du placage et des rondins de bois durs. Nous mettons en marché du contreplaqué et du placage de bois durs au Canada, aux États-Unis et dans le reste du monde. La plupart de nos entreprises sont situées au Québec et en Ontario.
Quatre de nos membres ont des activités de récolte au Québec et en Ontario. Je suis accompagné de deux des principaux membres de l'association. Il s'agit de M. Robert Kiefer de Commonwealth Plywood Ltd. et de M. Christian Noël, de Columbia Forest Products. M. Kiefer et M. Noël ont des activités de récolte au Québec et en Ontario, respectivement.
Je transmets au comité un message collectif de nos membres, à qui je parle régulièrement. Imaginez-vous que j'ai 50 entreprises derrière moi aujourd'hui qui crient à l'unisson : « Nous avons besoin de votre aide, comité. » « Nous avons besoin de votre aide, gouvernement canadien, pas en 2010, maintenant. » Il est très important que ce message soit entendu aujourd'hui. Mes membres ont beaucoup insisté pour que je transmette ce message au comité.
Certaines entreprises seraient derrière moi et diraient que ce qui se passera avec nos recommandations en 2010 n'aura pas d'importance. Certaines entreprises ne survivront pas jusqu'en 2010 parce qu'elles sont au point de rupture aujourd'hui, à l'aube de l'été. D'autres entreprises vous diraient qu'elles en sont à une capacité de production de 10 ou 20 p. 100 et pensent cesser leurs activités pendant 8 à 12 semaines en été.
Je suis propriétaire d'une petite entreprise à Victoriaville, au Québec. Au-delà des recommandations que je formule aujourd'hui, mon problème principal consiste à dire à mes employés que l'entreprise sera fermée pendant une grande partie de l'été. Étant donné que nous avons eu quelques années difficiles, certains des employés cesseront d'avoir droit à des prestations d'assurance-emploi pendant l'été. Je ne me fais pas d'illusion quant à la possibilité de garder ces employés. Ils devront faire ce qu'ils ont à faire. Notre travail est hautement spécialisé pour mettre sur le marché ces produits.
Je veux me concentrer sur les solutions et formuler à cet effet deux recommandations. Nous devons récolter des billes pour le placage au Québec et en Ontario pour les membres qui mènent des activités forestières, afin qu'ils ne perdent pas leurs chemises lorsqu'ils vont en forêt. C'est l'un de nos problèmes majeurs dans la mise sur le marché d'un produit concurrentiel. Le deuxième problème majeur n'est pas nouveau : nous vous demandons de tout cœur d'équilibrer les règles pour ce qui est des importations asiatiques. Au cours des cinq ou six dernières années, j'ai été témoin de ce problème, qui a complètement dévasté de larges pans du marché.
[Français]
Je vais maintenant passer la parole à M. Robert Kiefer, de Commonwealth Plywood, qui vous donnera un aperçu sur la crise forestière au Québec.
Robert Kiefer, vice-président, Relations gouvernementales, Commonwealth Plywood ltée, Association canadienne du contreplaqué et des placages de bois durs : Madame la présidente, membres du comité, je vous remercie de nous recevoir. Un petit aparté, en débutant : la compagnie Commonwealth Plywood pour laquelle je travaille est une compagnie québécoise, appartenant à des Anglo-Québécois qui sont fiers d'être à la fois Canadiens et Québécois. Ils ont investi depuis maintenant 65 ans, principalement au Québec, un peu en Ontario, et très peu aux États-Unis; ils réinvestissent leurs profits au Québec, en Ontario; ils créent de l'emploi au Québec et en Ontario et ils font de la recherche et du développement au Québec et en Ontario. Ils ne sont pas une multinationale, ils n'exportent pas leurs profits dans les paradis fiscaux ou aux États-Unis; ils auraient eu la possibilité de le faire, mais ils ont toujours refusé; ils sont fiers de leur appartenance.
La forêt québécoise est principalement une forêt résineuse, avec à peu près 15 p. 100 de forêt feuillue et mixte. C'est là où nous travaillons. Nous ne travaillons pas dans le résineux, nous travaillons dans le feuillu et la forêt mixte. Pour pouvoir travailler dans la forêt mixte et feuillue, il faut qu'il y ait une intégration très poussée des différents intervenants. Quand je parle d'une intégration très poussée des différents intervenants, je veux dire que quand je coupe un arbre, c'est parce que je pense qu'il va y avoir une bille qui va me permettre de faire du déroulage; il n'y a en général qu'une seule bille dans l'arbre, mais l'arbre est beaucoup plus gros que la bille que je récupère.
Le reste de l'arbre va servir à quoi? La papetière, l'usine de panneaux, la scierie de bois franc, si je n'ai pas ces partenaires, je ne pourrai pas aller chercher la bille qui va me permettre de faire du placage. Une bille de placage, au mètre cube, pour vous donner une idée de l'impact économique que cela a sur l'emploi, crée entre 9 et 12 fois plus d'emplois que le même mètre cube utilisé pour faire de la pâte, pour la simple et unique raison que la manutention humaine est absolument essentielle pour produire un panneau qui va permettre ensuite de décorer, faire des portes, des armoires, des meubles.
La situation actuelle au Québec est la suivante. Si j'interviens en forêt, lorsque j'ai des preneurs pour les autres produits que je n'utiliserai pas, le prix auquel je dois leur vendre la fibre que je ramasse en forêt est trop élevé. Parce que mes coûts de récolte, et je ne fais pas de profit dessus, sont tels que lorsque je vends le mètre cube de pâte que j'ai ramassé à côté de ma bille de placage à Domtar, à AbitibiBowater, à Tembec ou autres, ils sont capables d'aller la chercher ailleurs pour 20 ou 30 p. 100 moins cher.
Il y a des gens de Domtar qui me disaient l'autre jour que cela leur coûtait moins cher d'importer de la pâte du Brésil, coût de transport inclus, que d'acheter ma pâte. Et comprenons-nous bien : je ne fais aucun profit! Même chose pour le panneau.
Ensuite, dans la forêt mixte, je ramasse du résineux, ce qui veut dire que l'épinette à côté du bouleau jaune me coûte plus cher dans la forêt mixte que si j'étais dans la forêt résineuse pure. Parce que dans la forêt résineuse pure, les méthodes de récolte sont beaucoup moins dispendieuses. Dans la forêt mixte, jamais vous ne verrez d'intervention ou l'impact de l'intervention humaine, parce que la règle m'oblige à prendre un arbre sur trois, l'avoir peinturé à l'avance; cela doit répondre à un certain nombre de paramètres, et cetera, tout cela coûte très cher.
Donc la situation dans laquelle on se retrouve à l'heure actuelle au Québec est la suivante : si je dois intervenir en forêt pour ramasser les billes qui vont me permettre, par la suite, de transformer ce bois en placage, et qui va créer de l'emploi, je n'ai plus de preneurs pour la pâte. Dans la Gatineau, par exemple, tout près d'ici, Smurfit a fermé, il reste Fraser. On n'est même pas certain qu'il va passer au travers. Au Témiscamingue, Tembec n'est pas du tout certain qu'ils vont faire des opérations forestières cette année, et les chances que je puisse leur vendre la pâte sont à peu près nulles. Il reste Domtar, si on est très gentils avec eux et si on casse nos prix. Il reste Smurfit-Stone, en Mauricie. De telle sorte que si envers et contre tout, je décide d'aller en forêt, je suis obligé de subir les pertes sur le bois que je ne peux pas utiliser parce qu'il n'est pas de la qualité dont j'ai besoin pour faire mon placage. Cela représente 75 p. 100 de ma récolte. Donc les pertes subies sur ce 75 p. 100 de ma récolte tombent sur les 25 p. 100 avec lesquels je peux travailler, ce qui fait que ce n'est plus rentable.
Ce n'est donc plus rentable d'aller récolter dans la forêt feuillue et mixte. De là notre première revendication, et il y a des causes historiques que vous verrez dans notre présentation qui expliquent en partie pourquoi la forêt feuillue s'est dégradée. Pour passer à travers la crise, quand les marchés reviendront, quand le prix du placage, aux États-Unis, va augmenter, on pourra sûrement faire face à la situation.
Commonwealth Plywood ltée, il y a deux ans, avait 2 500 travailleurs à la grandeur du Québec. À Belleterre, au Témiscamingue, où nous sommes la seule usine, à Tea Lake, à Rapides-des-Joachim; si nous ne sommes pas là, le village meurt.
De plus, on ne peut pas faire face à la compétition asiatique. Les Asiatiques importent leur bois sans traçabilité, d'à peu près partout — vous le savez aussi bien que moi. Leur main-d'œuvre ne leur coûte à peu près rien, l'État chinois subventionne en grande partie l'industrie, ce qui fait que quand ils arrivent sur nos marchés, on n'est pas capable d'être en concurrence avec eux. Les États-Unis l'ont fait, l'Europe aussi, pourquoi le Canada ne serait-il pas capable de mettre des tarifs? Les Chinois exportent quatre fois plus de produits au Canada que le Canada n'en exporte en Chine. Le levier, ce n'est pas les Chinois qui l'ont, c'est nous.
Christian Noël, directeur général, Columbia Forest Products, Association canadienne du contreplaqué et des placages de bois durs : Ce que M. Kiefer a décrit s'applique aussi en Ontario. Cependant, je voudrais ajouter que la diversité est cruciale pour la survie des régions. Naturellement, la santé et la façon dont les opérations doivent être faites dans le futur sont cruciales pour pouvoir survivre.
Si vous regardez le corridor de la route 17 et de la route 11, au nord de l'Ontario, les usines qui survivent aujourd'hui sont beaucoup plus petites qu'elles ne l'étaient il y a cinq ans. Quand je dis beaucoup plus petites, je fais référence à une dizaine de milliers d'emplois perdus, approximativement, juste sur ces deux routes-là. Donc c'est majeur.
Il y a beaucoup de communautés qui sont à risque, qui sont très bien établies aujourd'hui et qui doivent avoir le soutien nécessaire pour se diversifier et maintenir leurs activités dans le futur. Lorsqu'on va en forêt, c'est certain qu'on a besoin des partenaires, que ce soit sur le plan des industries du bois d'oeuvre ou des papetières. C'est donc tout un consortium qui se réunit pour utiliser notre ressource naturelle le plus adéquatement possible tout en respectant les règles environnementales et en créant une diversité absolument importante. Tous les partenaires doivent être ensemble pour réaliser cela. S'il y a des gens qui ne sont plus dans le marché, demain, que ce soit au niveau des papetières ou du bois d'œuvre, le contreplaqué et le placage vont être dans une situation très critique.
D'un autre côté, lorsqu'on attaque le point de vue des importations, c'est certain qu'il faut rajouter la valeur ajoutée nécessaire, mais une règlementation à ce niveau-là serait largement profitable. Quand je fais référence à la règlementation, c'est sur le plan de l'environnement, de la pollution, de la santé et de la sécurité. Ce sont tous des points sur lesquels on porte attention. On a beaucoup d'employés, on veut maintenir ces emplois, on tient à nos gens. Il faut que ce soit fait de façon équitable et similaire. On devient à un certain point non compétitif parce qu'on a beaucoup de coûts. L'environnement est extrêmement important à la santé et à la sécurité, mais qu'en est-il des autres pays où l'on importe? Cette sérieuse question devrait être soulevée.
[Traduction]
La vice-présidente : Merci beaucoup. Les sénateurs sont impatients de vous poser des questions.
Le sénateur Mercer : Les enjeux sont complexes, comme vous et les témoins précédents nous l'avez dit. Monsieur Umansky, si vous tentiez de nous effrayer, vous avez probablement réussi en nous disant qu'en 2010, il sera peut-être trop tard. C'est une question de temps et vous avez peut-être raison de dire que nous devrions peut-être envisager de produire un rapport intérimaire afin de s'attaquer à ces problèmes à l'avance, parce qu'il nous faudra du temps avant de publier notre rapport final. Il ne s'agit pas d'un engagement, mais d'une suggestion.
Vous avez formulé quelques recommandations, mais j'ai eu du mal à comprendre exactement ce qu'étaient ces deux recommandations, même si j'ai tenté d'écouter avec attention. Vous avez parlé de récolter des billes de façon économique et d'équilibrer les règles du jeu pour ce qui est des importations asiatiques, mais quels sont les détails? Que pouvons-nous faire pour aider immédiatement, ou à l'avenir? Vous devez être un peu plus précis si vous souhaitez que nous agissions immédiatement et que nous formulions des recommandations immédiatement. Nous n'avons pas de temps à perdre si l'enjeu est si grave.
M. Umansky : Vous avez tout à fait raison. Nous en avons discuté hier soir, de ces deux recommandations très larges. Nous nous sommes tous mis d'accord pour dire que s'attaquer au tarif d'importation asiatique sur les produits du bois dur n'est pas simple. Il faut tenir compte de nombreux facteurs.
Comme MM. Kiefer et Noël l'ont mentionné, le comité pourrait prendre des mesures beaucoup plus rapidement pour les forêts. Le comité pourrait prendre des mesures immédiates en finançant les gouvernements provinciaux afin d'aider les secteurs forestiers du Québec et de l'Ontario.
Le sénateur Mercer : Vous parlez d'aider les forêts. Que peut faire le gouvernement fédéral, exactement?
M. Kiefer : Je vous invite à vous rendre à n'importe quel magasin au centre-ville et à comparer le prix d'une table fabriquée en Chine avec des matériaux comparables, s'il en reste, et d'une table ayant été fabriquée au Québec ou en Ontario. Sénateur Mercer, le prix sera probablement deux fois plus élevé. Voilà l'écart. Nous disons qu'il faut mettre un frein à cette situation. Les Américains ont établi des tarifs pour le bois d'œuvre qui ne se compare en rien à la situation que nous avons avec les produits de l'Asie du Sud-Est. Créons des tarifs. Nous n'en souffrirons pas. Ils envoient quatre fois plus de produits ici que nous ne leur en envoyons. Pourquoi avoir peur? Les Européens l'ont fait. Les Américains n'hésitent jamais à le faire. Mettons un peu de pression. Il pourrait s'agir d'un tarif d'environ 30 p. 100.
Le sénateur Mercer : Un tarif de 30 p. 100.
M. Kiefer : Oui, un tarif de 30 p. 100 sur tous les produits du bois qui viennent du Sud-Est de l'Asie.
Le sénateur Mercer : Vous présentez un autre problème au gouvernement. Je ne veux pas défendre qui que ce soit, mais je fais un commentaire. Dans d'autres comités et d'autres endroits, nous parlons d'accroître les échanges commerciaux avec l'Asie.
Cela créerait une situation difficile pour le ministre du Commerce international, de même que pour le gouvernement et les entreprises. Je représente une région où il y a un port majeur et les échanges avec l'Asie se font dans ce port. Il serait difficile pour nous d'accroître nos échanges commerciaux avec l'Asie tout en leur imposant des tarifs, comme vous le proposez.
Je comprends la situation et je suis d'accord avec ce que vous dites, mais j'essaie de comprendre comment nous pourrions vous aider sans faire de mal aux débardeurs à Halifax, Vancouver, Prince Rupert ou Montréal?
M. Kiefer : Il a plusieurs façons d'augmenter les tarifs, y compris les tarifs non monétaires. Mon objectif est 30 p. 100, que ce soit en argent ou sous d'autres formes.
Par exemple, il y a deux ans, les Russes ont décidé que les tarifs sur toutes les matières premières venant de la Sibérie, notamment le cerisier et le bouleau jaune, seraient à un niveau qui permettrait aux Russes de commencer à construire des scieries en Sibérie. Cela a fonctionné et les Chinois achètent toujours leurs produits. Les Chinois ont besoin de la plus grande quantité possible de produits de première transformation. Ils ne veulent pas de produits de seconde transformation, car ils veulent faire cela chez eux et ils ne veulent certainement pas de produits de troisième transformation.
Le Canada est dans une position qui nous permet d'imposer des tarifs, car la Chine nous doit quelque chose. Nous ne leur devons rien. La Chine exporte quatre fois plus de produits ici. Est-ce qu'elle va arrêter d'exporter ces produits pour nous punir? J'en doute.
Nous pourrions essayer. Il faut en discuter. Cependant, nous ne pouvons pas continuer ce que nous faisons maintenant. Tout est en train de fermer et ça ne va pas s'arrêter.
Le sénateur Mercer : Je suis de votre côté, mais je dois aussi penser à mon voisin qui est un débardeur.
M. Kiefer : Je ne vous perçois pas comme un adversaire, sénateur Mercer.
Michel Tremblay, vice-président exécutif, Association canadienne du contreplaqué et de placage de bois durs : Sénateurs, je veux apporter un éclaircissement. Il est important de comprendre que nous n'utilisons qu'une partie de ce que nous trouvons dans une forêt. Cependant, comme M. Kiefer l'a dit, il faut tout récolter pour avoir accès à cette partie. M. Umansky proposait une aide gouvernementale afin de s'assurer que tous les partenaires intéressés s'engagent à travailler ensemble. Cela veut dire qu'ils n'ont pas le choix. Par exemple, si seulement la scierie va se servir et oublie les autres partenaires, nous ne serons pas concurrentiels pour exploiter cette forêt comme M. Kiefer l'a indiqué.
Le sénateur Mercer : Vous parlez d'une intégration de l'industrie, c'est-à-dire que les producteurs de plaqué travailleraient avec l'industrie des pâtes et papiers et d'autres partenaires du secteur du bois d'œuvre, et cetera. Cela comprendrait tous les maillons de la chaîne. Mon Dieu, c'est logique.
Le sénateur Eaton : Je vois jusqu'à quel point vous êtes triste et inquiet; on s'en rend compte rapidement de l'autre côté de la table.
Je vais changer un peu de sujet. Hier, nous avons entendu une personne qui fabrique des armoires de cuisine et des meubles lavabos. Elle a dit que le placage d'Asie que nous pouvons acheter dans les grands magasins entrepôts est maintenant très mince. Plutôt que d'imposer un tarif, ne pourrions-nous pas insister pour que le placage soit plus épais? Est-ce qu'on ne pourrait pas changer le code du bâtiment ou les exigences en matière de qualité?
M. Umansky : Dans un marché prospère, on pourrait demander cela immédiatement. On pourrait le négocier. Étant donné ce qui se passe sur le marché depuis les quatre à six dernières années, c'est devenu une question de prix. La partie décorative du produit qui vient de la Chine est beaucoup plus mince.
Le sénateur Eaton : Elle dit que la colle passe à travers et qu'en conséquence il y a des fissures.
M. Umansky : Permettez-moi d'être très franc avec vous. Les fabricants d'armoires de cuisine achètent ce produit en masse en raison des pressions des prix sur le marché.
Le sénateur Eaton : La solution serait-elle que vous insistiez sur certaines normes de qualité qui seraient à votre avantage plutôt que d'imposer un tarif?
M. Noël : Nous pourrions établir des règles pour contrôler les niveaux de formaldéhyde, la teinture et le type de vernis pour atteindre un certain niveau de qualité de produits.
[Français]
Le sénateur Eaton : Cela relève les standards.
M. Noël : On va rencontrer exactement ce que les manufacturiers canadiens font aujourd'hui.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Cela crée des règles du jeu équitables. Nous disons que c'est ce que nous voulons pour nos consommateurs.
Sommes-nous aussi bons que possible pour ce qui est de la conception, de la livraison et de la fabrication des articles plaqués comme les armoires de cuisine et le mobilier? Avons-nous tenu à jour le plus possible cet aspect de l'industrie?
M. Kiefer : Notre situation était excellente il y a trois ou quatre ans. Bon nombre d'entreprises au Québec et en Ontario se spécialisent dans la construction d'armoires et de mobiliers. Puis les Chinois sont arrivés.
Les fabricants canadiens avaient le choix : soit réduire la qualité, soit choisir un marché à créneau, ce que certains ont fait. Cette tactique s'est avérée plutôt moyenne. Ils ont investi dans la R-D, dans l'innovation et la nouvelle conception. Cependant, ils ne peuvent pas et ne pouvaient pas faire concurrence aux Chinois. Ils ont soit fermé, soit transféré leur production en Chine, et c'est ce que la majeure partie d'entre eux ont fait.
Il y a des gens qui disent que nous devrions passer à la seconde et à la troisième transformation. Le Québec et l'Ontario font de la seconde et troisième transformation depuis au moins 50 ans. Cela n'est pas nouveau; nous étions sur ce marché et nous sommes en train de le perdre. Nous n'avons pas, à part des marchés à créneaux très spécialisés, pas le marché et la qualité d'acheteurs. Le Canada a une population de quelques dizaines de millions d'habitants, et les Américains ne sont pas européens. La solution fonctionne en Europe avec les Italiens, mais ils ont un marché de 400 millions d'habitants. La solution ne fonctionne pas ici. Nous sommes en train de perdre la bataille.
Le sénateur Housakos : Monsieur Umansky, est-il juste de dire qu'entre 2000 et 2007 les affaires marchaient très bien pour vos membres et votre industrie?
M. Umansky : Je serais d'accord avec la moitié.
Le sénateur Housakos : Avec la moitié des affaires qui marchent bien?
M. Umansky : Cela a bien marché de 2000 à 2003.
Le sénateur Housakos : Voulez-vous dire que ce problème s'est amplifié au cours des cinq ou six dernières années?
M. Umansky : Il s'est amplifié au cours des cinq ou six dernières années. Avec le ralentissement économique récent, le dollar qui a pris de la valeur au cours de la dernière année et les exportations aux États-Unis, je dirais que nous avons maintenant les conditions parfaites pour amplifier le problème. Dans mon genre d'entreprise, nous n'allons même pas songer à produire à pleine capacité.
Le sénateur Housakos : Je comprends.
Ce que j'essaie de dire, c'est que j'ai l'impression que nous sommes tous partis sur la tangente de la main-d'œuvre à bon marché en Chine.
Naturellement, c'est un facteur, mais qui a pris des proportions exagérées. La Chine développe sa main-d'œuvre à bon marché depuis 15 ans, certainement aux dépens de l'Amérique du Nord. Pourtant, au cours de cette période, le Canada a maintenu l'un des taux de chômage les plus bas depuis les 40 dernières années. Par ailleurs, certains des emplois qui sont passés à la Chine sont des emplois dont les Canadiens ne veulent pas, franchement.
L'industrie de la confection de vêtement dans ma ville à Montréal en a pris un coup lorsque les fabricants ont décidé d'aller à l'étranger. Évidemment, beaucoup de gens ont perdu leur emploi et bon nombre d'entre eux étaient proches de la retraite. Pourtant aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de gens à Montréal qui attendent un emploi dans le secteur de la confection de vêtement à 9 dollars de l'heure. Nous avons trouvé d'autres façons d'évoluer et de diversifier l'industrie pour pénétrer les marchés. J'espère que ce n'est pas le cas pour votre secteur qui a du potentiel.
Je suis d'avis que l'industrie a été beaucoup plus touchée par le ralentissement de l'économie aux États-Unis que par les effets de la main-d'œuvre à bon marché en Chine. Je crois qu'il y a toujours un marché pour des produits de haute gamme, des produits d'avant-garde en Amérique du Nord où les gens sont prêts à payer un peu plus pour de tels produits.
Je comprends vos difficultés et le fait que vous demandiez de l'aide au gouvernement maintenant avant 2010, car après cela il sera trop tard. Si en tant qu'hommes d'affaires vous aviez des ressources monétaires illimitées, est-ce que vous investiriez cet argent dans votre industrie? À votre avis, cette industrie a-t-elle de l'avenir? Le gouvernement doit investir dans un secteur qui lui permettra d'avoir un rendement sur son investissement.
Encore une fois, ne voyez pas d'insulte dans cette question. Je tente de tirer cela au clair que vous êtes l'expert et vous connaissez le marché mieux que qui que ce soit. En toute objectivité, croyez-vous que ce secteur a de l'avenir?
M. Umansky : Oui, certainement. Votre première observation portait sur le fait que les gens ne veulent pas le genre d'emploi que les membres de mes entreprises offrent.
Le sénateur Housakos : Je ne parlais pas spécifiquement de votre industrie. Je voulais parler de l'industrie en général. À l'heure actuelle, le marché chinois ne produit pas ce que vous produisez sur le plan de la qualité. Je comprends, et les Chinois ne vendent pas au même prix. Je suis d'avis qu'il y a un marché en Amérique du Nord et dans le monde entier pour un produit de qualité supérieure qui se vend plus cher. C'est là où on devrait mettre l'accent.
M. Tremblay : Comme M. Kiefer l'a mentionné, bon nombre d'entreprises ont survécu en faisant de la sous- traitance, en construisant des usines et en créant des emplois en Chine pour fabriquer tous les meubles de rangement. Pourtant, avec notre excellente conception, nous pourrions être en mesure de produire des portes d'armoires ou des ensembles de chambre à coucher haut de gamme, par exemple, et donner en sous-traitance la production de l'intérieur et des côtés.
Les industries sur la rive Sud de la région de la ville de Québec font venir le produit et changent l'estampille.
[Français]
Le sénateur Eaton : Est-ce qu'on leur vend notre bois?
M. Tremblay : Exactement, on vend nos billots, mais mes collègues sont mieux placés pour vous en parler.
M. Kiefer : Je ne vends jamais de billots, je les transforme.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Le sénateur Housakos a fait valoir que malgré le ralentissement dans le secteur des ventes d'automobiles chez GM et Chrysler qui sont en grande difficulté, les gens achètent toujours des BMW, des Mercedes et d'autres véhicules haut de gamme. Vous construisez les BMW, les Mercedes de l'ameublement, et tous les Canadiens devraient être fiers d'acheter vos produits. À certains égards, les consommateurs devraient savoir que lorsqu'ils achètent dans certains magasins, ils n'appuient pas les producteurs canadiens sauf pour ce qui est de la chaîne d'approvisionnement qui transporte le produit du navire au magasin.
Monsieur Kiefer, vous avez dit que vous ne pouviez utiliser que 25 p. 100 du bois que vous coupez. Je croyais que nous étions en train de passer à ce qu'on appelle la « coupe sélective ». Pouvez-vous nous expliquer un peu comment cela se passe dans le secteur de l'exploitation forestière du bois dur et pourquoi il n'y aurait pas comme le sénateur Mercer l'a suggéré, une approche plus intégrée?
M. Kiefer : Je vais tenter de ne pas vous donner une réponse trop technique, car il s'agit là d'un processus extrêmement technique.
[Français]
Oui, on fait de la sylviculture sélective. Au Québec et en Ontario, on n'a pas exactement les mêmes lois, mais on a la même approche qui consiste à s'assurer que la forêt, sur une longue période, maintiendra la même possibilité de livrer des arbres de qualité.
Donc, en principe, la loi nous dit : vous avez le droit de cueillir à peu près 30 p. 100, 25 p. 100 des arbres dans un périmètre qui s'appelle un hectare. Et là on doit suivre un certain nombre de règles. On n'arrive pas dans l'hectare et on ramasse les 15 premiers arbres et on s'en va avec, cela ne fonctionne pas ainsi. On a des règles à respecter, tel arbre on ne peut pas le cueillir et tel arbre on peut le cueillir. On envoie de marteleurs qui identifient les arbres qu'on peut cueillir. C'est la méthode à partir de laquelle cette cueillette sélective se fait. Nous sommes déjà là depuis plusieurs années.
Les règles sont de plus en plus difficiles et exigeantes, à un point tel où mon patron, le président de la compagnie, a tendance à dire : alors que le cultivateur de tomates, est prêt à récolter quand sa tomate est mûre et prête à être vendue sur le marché, on me force à ramasser la tomate qui est pourrie, par terre, quand l'arbre a déjà perdu 50 p. 100 de sa valeur alors que la tomate qui a atteint son maximum, je n'ai pas le droit d'y toucher. C'est un débat que nous avons actuellement au Québec et probablement en Ontario. À quel moment un arbre doit-il être cueilli pour en faire des produits de qualité?
N'oubliez pas que nous sommes en haut de la chaîne alimentaire. On ne travaille que sur la fibre de la meilleure qualité parce qu'il n'y a personne qui a envie de voir un gros nœud sur sa table. C'est aussi simple que ça. Je récolte à cause des règles générales que 25 p. 100 de bois d'œuvre, c'est-à-dire sciage et déroulage. Sur ce 25 p. 100, il y en à peine 5 p. 100 qui est du déroulage et le reste, c'est du sciage et le 75 p. 100, c'est soit du panneau, de la pâte ou des résidus pour faire des « pellets » ou autres. Cela coûte très cher, faire ce que je fais. C'est beaucoup plus simple d'entrer dans une forêt de résineux, de déterminer un carré, de tout couper et de replanter. On comprend que les coûts sont très différents. Alors, je ne peux pas vendre. Est-ce que cela répond à votre question?
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Oui. Vous avez dit que le règlement provincial vous guide dans votre processus d'exploitation forestière. Y a-t-il une façon d'améliorer ce règlement qui permettrait à votre industrie d'être plus rentable sans que le gouvernement impose un tarif au départ à Vancouver?
M. Kiefer : Il a le même problème.
[Français]
M. Noël : Si on peut utiliser ou valoriser la partie de l'arbre qui est non utilisable avec la biomasse, en termes d'énergie renouvelable, ce serait un choix. Je crois que c'est quelque chose qu'on pourrait examiner. Il y aurait un gain dans la diminution des coûts énergétiques. Aujourd'hui on est lié à l'énergie fossile. Si on peut diminuer notre lien à cela avec de l'énergie renouvelable, il y a un gain pour l'industrie et pour l'environnement.
[Traduction]
Le sénateur Duffy : Est-ce que cela aide les producteurs de placage?
M. Kiefer : Cela aidera, mais le problème avec les granules de bois au Québec c'est que nous ne sommes pas équipés, bien que le gouvernement commence à vérifier les réactions des entreprises. Pour faire cela, une entreprise devrait être assez grande pour pouvoir faire cette dépense, bien que nous ne sachions pas quel serait le coût final?
Pour produire des granules de bois, il faut d'abord sécher le bois. On ne peut pas prendre un tronc d'arbre et le moudre en granule de bois. On ne fait pas cela de cette façon. Le processus de séchage est coûteux. Serons-nous capables de le produire à un prix concurrentiel? Nous ne le savons pas encore. C'est trop nouveau pour nous.
Jusqu'à présent, nous avons utilisé des résidus de bois séché. S'il faut sécher le bois pour en faire des granules, je ne suis pas certain s'il sera possible de faire de l'argent ou même d'atteindre le seuil de rentabilité.
Le sénateur Duffy : Je tente de comprendre la différence entre les compétences fédérale et provinciale et comment, si les deux paliers de gouvernement travaillent ensemble, nous pourrions aider à améliorer votre situation. C'est ce que j'essaie de faire.
M. Kiefer : Nous avons besoin de l'investissement d'entreprise en participation fédérale et provinciale, comme on le fait pour l'industrie de l'automobile.
Le sénateur Mercer : Vous avez commencé à parler d'utiliser des déchets de bois pour la biomasse ou les granules. On nous a déjà dit qu'il y avait une pénurie de granules de bois, particulièrement dans la région de l'Atlantique où l'on utilise des granules de bois pour le chauffage. Ces granules de bois sont devenus extrêmement populaires. Je chauffe ma maison en partie au bois, mais pas avec des granules de bois. Cet hiver, j'ai vu des pancartes disant que tout avait été vendu. En fait, on demandait aux gens qui allaient chez eux pour Noël de s'arrêter à Québec ou en Ontario pour acheter des granules de bois, car ils étaient tellement difficiles à trouver là-bas. Je comprends qu'il est nécessaire de sécher le bois et tout cela, mais il me semble que ces granules de bois présentent de bonnes possibilités d'affaires.
Le sénateur Mahovlich : Sommes-nous le seul fournisseur de produits forestiers pour la Chine? Qui sont nos concurrents?
M. Umanski : Je n'ai pas compris la question. Je suis désolé.
Le sénateur Mahovlich : Lorsque la Chine a besoin de bois, est-ce qu'elle l'importe du Canada, de la Chine ou de la Russie?
M. Umanski : Je crois comprendre que la Russie est le principal exportateur de grumes de bois dur en Chine pour la fabrication de placages. Je ne sais pas où se placent les États-Unis, mais je pense qu'avec les propriétaires de boisés privés, ils seraient assez bien placés.
M. Tremblay : Les propriétaires de boisés privés aux États-Unis envoient leurs grumes en Chine pour les faire transformer et elles sont ensuite renvoyées en Amérique du Nord pour être vendues. Il y a un problème d'exploitation forestière illégale, mais la Lacey Act aux États-Unis tente de régler ce problème. Les Russes expédient de grandes quantités de grumes dans le Nord de la Chine pour y être transformées avant d'être renvoyées en Russie. S'il n'est pas nécessaire de payer très cher pour la grume et qu'on a déjà des salaires raisonnablement peu élevés, il est possible de vendre son produit à un prix peu élevé par rapport aux prix des produits canadiens. Leur système élimine la concurrence des prix.
M. Umanski : Je dois dire que le Canada n'exporte absolument aucune grume de bois dur en Chine. Je ne sais pas si c'est légal de le faire pour la première transformation.
Le sénateur Mahovlich : Je vois.
M. Kiefer : Nous ne le faisons pas.
M. Noël : Il y a un règlement provincial.
Le sénateur Mahovlich : J'ai une maison près d'un magasin IKEA et je crois qu'IKEA vend plus de mobiliers que toute autre entreprise au Canada. D'après ce que je peux constater, le trafic est tout simplement fantastique. Est-ce que leur mobilier est fabriqué en Chine?
M. Kiefer : Le Vietnam est en train de devenir un gros producteur de composantes pour IKEA.
Le sénateur Mahovlich : Elles ne sont pas fabriquées en Suède?
M. Kiefer : On y fait la conception et la planification, mais pas la production ni la transformation.
Le sénateur Cordy : Je regarde toute la question des produits de bois que le Canada importe de l'Asie, particulièrement de la Chine. Ce ne sont pas seulement des meubles et des produits plaqués, mais aussi des jouets pour enfants et toutes sortes de choses, même des meubles de patio qui sont faits en fer forgé. C'est bien beau de dire que nous devrions tous acheter des produits canadiens, et ce devrait être le cas, mais les sondages révèlent que même si les Canadiens pensent de cette façon, lorsqu'il s'agit de faire un chèque ou d'utiliser leur carte de crédit, ils tiennent surtout compte du prix. Les produits qui sont importés de la Chine ne respectent pas les normes canadiennes.
Imposer des tarifs est une façon de régler le problème, et les relations publiques et la commercialisation en sont une autre, mais nous devrions alors changer la façon de penser des Canadiens afin qu'ils dépensent plus d'argent pour un produit de qualité. Pour certaines familles, particulièrement avec le ralentissement économique actuel, ce n'est pas possible. Comme le sénateur Eaton l'a dit, c'est très triste, car les travailleurs canadiens en souffrent.
À part les tarifs et la commercialisation, que pouvons-nous faire? C'est une situation très troublante.
Monsieur Kiefer, vous avez dit également que nos importations de la Chine étaient quatre fois plus élevées que nos exportations vers la Chine. Comment pouvons-nous équilibrer nos échanges commerciaux à cet égard?
M. Kiefer : Je ne veux pas prendre tout le temps pour répondre à votre question, car c'est une question à plusieurs volets, mais pour ce qui est de votre dernière observation, nous devrons faire mieux, mais nous devrons aussi montrer aux exportateurs du Sud-Est asiatique que les règles devraient être équitables. L'une des nombreuses raisons pour lesquelles ils vendent leurs produits si bon marché, c'est que leurs salaires sont peu élevés. Dans certains cas, ils ne paient pas pour le bois. Dans d'autres cas, nous ne savons pas d'où provient le bois; c'est du « bois noir », c'est-à-dire du bois qui provient du marché noir.
Nous devons obéir à certaines lois. Au Québec, il y a des lois provinciales et pour Christian, en Ontario, il y a des lois provinciales également. Nous avons des règles concernant la coupe d'un arbre. Si la Chine devait suivre les mêmes règles, le marché serait beaucoup plus équitable. Mon produit est tout aussi bon que celui de la Chine. C'est ce dont je parlais lorsque j'ai mentionné les tarifs. Il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'argent, mais il faut leur imposer les mêmes règles que nous nous imposons à nous-mêmes, et je pense qu'alors le marché changerait.
Le sénateur Mercer : Monsieur Kiefer, vous faites une suggestion intéressante, mais j'ai du mal à visualiser la façon dont nous pourrions faire cela. Si nous imposions aux exportateurs chinois les mêmes règles que nous imposons à nos fabricants en ce qui a trait à la coupe du bois, comment pourrions-nous surveiller la conformité? Si nous disions au Vietnam ou à la Chine que leur bois doit être récolté de telle ou telle façon, je peux vous assurer qu'ils vous diront demain que c'est exactement de cette façon qu'il est coupé. Comment pouvons-nous prouver que ce n'est pas vrai?
M. Kiefer : Je ne vais pas parler de la main-d'œuvre, mais je vais vous donner un exemple. Il y a des problèmes d'environnement et de marché noir d'arbres en Chine. Il y a 18 mois ou deux ans, les Japonais ont décidé d'imposer un niveau de formaldéhyde et une chaîne de possession pour tous les produits chinois qui entrent au Japon. Les Chinois ont été obligés de prouver la chaîne de possession, c'est-à-dire démontrer d'où venait l'arbre et qu'il avait été récolté de façon légale. Si les Chinois ne prouvent pas la chaîne de possession, les Japonais n'acceptent pas leurs produits. Eh bien, vous savez quoi? Les Chinois ont accepté.
Le sénateur Mercer : Vous m'avez donné exactement ce dont j'avais besoin. Je ne pouvais pas concevoir ce dont vous parliez, mais il s'agit là d'un bon exemple concret.
M. Kiefer : Nous pourrions aussi faire la même chose en ce qui concerne la main-d'œuvre et les salaires.
Le sénateur Cordy : Si on regarde les jouets pour enfants, nous l'avons fait pour le plomb dans la peinture. Lorsque nous avons dit : « Désolés, ces jouets ne vont pas entrer au Canada parce qu'il y a du plomb dans la peinture », cela a fonctionné.
Le sénateur Eaton : Si nous imposions une règle concernant la provenance des arbres comme le Japon l'a fait et si nous imposions aussi des normes au sujet de la qualité et du placage, alors il ne serait pas nécessaire pour nous d'imposer des tarifs.
Le sénateur Duffy : Madame la présidente, je me demande si nos témoins qui nous ont donné toutes ces bonnes idées pourraient nous envoyer par écrit une liste de certains obstacles non tarifaires, disons des règlements, que d'autres pays imposent. Ces règlements feront en sorte que les produits importés seront plus sûrs, plus verts et plus écologiques, et cetera.
Pourriez-vous nous donner cette liste, notamment les émissions de formaldéhyde, l'épaisseur du plaquage et les questions de sécurité?
M. Kiefer : Ce n'est pas seulement l'environnement, mais les travailleurs également.
Le sénateur Duffy : Absolument. Si vous pouviez nous donner cette liste, ce serait très utile au comité.
La vice-présidente : Merci beaucoup, collègues. Ce fut une séance très intéressante. Nous avons entendu beaucoup de nouveaux éléments d'information. Nous vous saurons gré de bien vouloir nous envoyer tout autre renseignement pertinent. Cela a été une très bonne séance, mais une séance troublante en raison du sujet comme tel. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer.
Chers collègues, vous avez très bien fait cela aujourd'hui. Nous avons eu de bonnes questions et de bonnes réponses. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)