Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 3 - Témoignages du 14 mai 2009
OTTAWA, le jeudi 14 mai 2009
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 9, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et merci d'être ici. Je déclare la séance ouverte.
[Français]
Au nom de tous les sénateurs, je veux souhaiter la bienvenue aux témoins à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
[Traduction]
Je suis le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick. Je demanderais aux honorables sénateurs qui m'accompagnent aujourd'hui de se présenter, à commencer par madame ici à ma gauche.
Le sénateur Cordy : Sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Fairbairn : Je suis le sénateur Fairbairn, de Lethbridge, en Alberta.
Le sénateur Mahovlich : Sénateur Mahovlich, originalement de Timmins, en Ontario.
[Français]
Le sénateur Poulin : Je suis le sénateur Poulin, je représente le Nord de l'Ontario au Sénat depuis 1995. Bienvenue à notre comité. Nous avons hâte d'entendre vos présentations et de discuter avec vous.
Le sénateur Eaton : Je suis le sénateur Eaton, je viens de l'Ontario.
Le sénateur Rivard : Je suis le sénateur Rivard, je viens de la ville de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Campbell : Je suis le sénateur Campbell, de Vancouver.
Le président : C'est la septième fois que le comité se réunit pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
[Français]
Nous accueillons aujourd'hui, de Solidarité rurale du Québec, Mme Claire Bolduc, présidente et M. Cherkaoui Ferdous, secrétaire général. Également, M. Charles Provost, directeur de La Grappe agroénergétique des Coteaux.
[Traduction]
Du Réseau de développement économique communautaire du Nord de l'Ontario, nous accueillons M. Joseph LeBlanc. Nous accueillons également, de la Rural Ontario Municipal Association, M. Eric Rutherford, qui est aussi président de l'Ontario Good Roads Association.
Mesdames et messieurs, le comité vous remercie d'être ici aujourd'hui avec nous. Je vous invite maintenant à faire vos exposés préliminaires, qui seront suivis d'une période de questions et réponses.
[Français]
Je vous invite maintenant, madame Bolduc, à faire votre présentation.
Claire Bolduc, présidente, Solidarité rurale du Québec : Monsieur le président, je tiens à remercier le comité du Sénat de nous avoir invités à présenter nos réflexions sur l'avenir et le développement de la forêt.
Je préside une coalition, Solidarité rurale du Québec, qui est au cœur de la ruralité depuis maintenant 18 ans et qui intervient sur plusieurs dossiers. La crédibilité de l'organisation a été reconnue par le gouvernement du Québec qui nous a nommés instance-conseil en matière de ruralité auprès de l'ensemble du gouvernement.
Je ferai une présentation qui décrit quelques constats et qui se termine par des recommandations et des souhaits.
Le monde d'hier n'existe plus. Nous sommes devant un tout nouveau monde, un monde où nos forêts ne sont plus ce qu'elles étaient et où notre patrimoine collectif est fortement affaibli. Un monde aussi où l'économie de notre principal client s'effondre, un monde où d'autres pays commencent à exploiter leur forêt et ce nouveau monde, n'en déplaise à qui veut l'entendre, est là pour rester. Il faut donc revoir la façon dont on gère nos forêts publiques, apprendre à faire plus avec moins et surtout, valoriser tous ses produits sans exception.
Rappelons-nous en effet que le bois n'est qu'une des centaines de richesses que recèlent nos forêts. Le modèle de développement soutenu par Solidarité rurale du Québec trouve ses assises dans la déclaration du monde rural formulée à l'issue des états généraux du monde rural et il mise sur la spécificité des ruraux au plan de son environnement naturel, comme de son organisation sociale et culturelle. En matière de forêt, nous sommes donc face à un moment historique, un moment où des pans entiers de l'économie de nos communautés sont appelés à une refonte en profondeur. C'est vrai pour la forêt comme pour l'agriculture.
Il faut donc parler d'avenir, imaginer le futur de nos forêts dans un monde en bouleversement. Il faut surtout se convaincre que le monde de demain ne sera pas à l'image du passé parce que les changements sans précédent que nous connaissons nous imposent une rupture avec ce passé. Cela implique que nous ayons de l'imagination, de l'audace, du courage et de la détermination.
Sachons d'abord tirer les leçons de ce passé qui n'est quand même pas si lointain. En effet, l'histoire nous apprend que l'on a toujours cherché à concilier les intérêts des communautés et ceux des industriels et nous avons cherché à inscrire cet équilibre dans un régime forestier à toutes les provinces. Au Québec, ce régime est maintenant dépassé et vétuste. Nous n'avons plus la diversité industrielle que nous avons déjà connue, les scieries ayant été pour l'essentiel intégrées par les papetières et à cette intégration verticale, s'est ajoutée une vague de fusions et d'acquisitions. C'est vrai ailleurs au Canada également. Il en a résulté une concentration de la propriété, un éloignement des centres de décision de nos communautés et de nos territoires. À chaque crise, on a repris la même recette, on a tenté de consolider un peu plus, on a fermé des usines, on a concentré les activités pour faire plus de volume. La crise actuelle nous invite encore à reprendre les mêmes mécanismes.
Or, on le constate, la consolidation d'usines est une fuite en avant qui ne réglera rien. On ne développe pas; on ne développe plus une forêt forte en creusant davantage le statu quo. Les ressorts pour rebondir ne résident pas dans la défense d'acquis ou des structures d'hier, mais bien dans des changements profonds de nos façons de faire. C'est autour d'une vision globale de la foresterie de demain et non autour de solutions à court terme qui préservent les acquis des uns et demandent des sacrifices aux autres que doit s'amorcer cette réforme, car la gestion centralisée de la forêt publique a démontré ses limites. On l'a vu, l'effet distributeur des retombées sur le territoire a été dépassé par les vagues de fusions et d'acquisitions et les consolidations successives.
Il ne faut pas se fermer les yeux et penser que l'on demeurera concurrentiel dans les marchés de produits de masse face à des pays comme la Chine, le Brésil ou l'Inde. Et ceux qui croient que la crise va se résorber d'elle-même, que la reprise va venir de l'extérieur, ceux qui espèrent que la valeur du dollar ou le cours du pétrole vont changer les choses en foresterie se leurrent.
Nous sommes dans un monde où les produits de commodité et de masse sont moins coûteux à produire et à transformer ailleurs qu'ici. Nous sommes dans un monde où notre marché naturel, celui des États-Unis est en récession et où la Chine occupe désormais une place fort importante comme fournisseur.
C'est donc une invitation à faire autrement. Faire autrement en forêt, faire autrement en usine et faire autrement sur les marchés. La foresterie de demain, la foresterie qu'on espère rapidement en est une qui cultive les savoirs et la culture, qui remet au travail des jeunes et la relève, qui valorise les métiers et qui développe un rapport avec la communauté. On crée ainsi un nouveau rapport forêt/communauté et on favorise dans ce rapport que la forêt apporte et profite à l'ensemble des citoyens de cette communauté. C'est aussi une occasion pour les communautés de participer au développement et d'apprivoiser chaque jour cette ressource inestimable. Le fait que la communauté s'y implique est une garantie pour l'avenir, pour la pérennité de la forêt. Ce seront les communautés impliquées dans cette vitalité qui seront les premières à défendre une foresterie qui, ancrée dans leur territoire, notamment contre le gaspillage et la surexploitation.
Nous en appelons à une forêt de demain qui innove, qui n'est pas figée dans un type de produits, qui est agile et en mesure de saisir les nouvelles opportunités et qui saura intégrer de nouveaux joueurs. Il faut donc créer plus de valeurs et non plus simplement faire plus de volume. Plus de valeurs en forêt, plus de valeurs en usine, plus de valeurs sur les marchés.
Vous comprendrez que je passe très rapidement sur les valeurs ajoutées en forêt et en usine et je vais me concentrer sur un mandat plus global, canadien, celui des marchés. En effet, il faut repenser nos marchés. Nous sommes actuellement trop dépendants du seul marché américain. Pensons seulement que les petites entreprises indépendantes, Chantiers Chibougamau notamment, qui exportent sur le marché européen ne souffrent actuellement pas de la valeur du dollar ou de la baisse de la demande. Donc pour influencer ce redéploiement sur d'autres marchés à partir de nos territoires, il faut s'engager résolument dans la diversification, car diversifier, c'est donner une chance à des modèles d'affaires différents, à de nouveaux joueurs, à de nouveaux procédés, à de l'innovation.
Les outils dont on dispose, comme les centres locaux de développement et les chambres de commerces, de même que tous les acteurs économiques, doivent se mobiliser, attirer les talents, les compétences et les investissements pour faire autrement avec la ressource. Un message fort du gouvernement canadien dans la diversification des marchés serait un atout majeur.
Le défi ne se limite donc pas à créer de la valeur, il faut le faire en stimulant de la variété et cette variété s'inscrit dans nos territoires parce que chacun des territoires est différent et la forêt de proximité ou habitée ne peut pas être soumise à la même approche que la forêt septentrionale.
Pour être un levier porteur pour les communautés, la foresterie doit être adaptée à son milieu, à sa dynamique et à ses acteurs, peu importe le modèle de développement qu'ils auront choisi : coopérative, entreprise privée, OSBL ou autres.
Cela suppose un régime et des marchés en mesure d'intégrer la diversité et un régime qui repose sur une véritable décentralisation. Il faut réaliser maintenant et se convaincre que l'avenir de notre société, tant sur le plan économique que sur les plans sociaux et environnementaux, ne pourra se faire sans la mobilisation des citoyens dans chacune des communautés. L'État ne peut à lui seul régler les choses à la place des communautés. Il doit apprendre à accompagner, à mobiliser, à faire confiance. Les communautés doivent disposer de véritables leviers pour influencer leur développement et mobiliser leurs ressources plutôt que d'attendre des emplois par centaines annoncés par une multinationale.
Dans chaque milieu il faudra user d'ingéniosité, se doter de vision pour attirer des hommes et des femmes qui peuvent faire la différence. Tôt ou tard, les communautés devront disposer des leviers nécessaires pour voir et saisir les opportunités.
En conclusion, Solidarité rurale du Québec n'a jamais cessé de réclamer au gouvernement fédéral un cadre global pour traiter des questions rurales. Sans une politique rurale globale, on continuera à ne pas considérer les caractéristiques propres du monde rural, à affaiblir les communautés rurales par des programmes sectoriels inadaptés, des déréglementations qui réduisent l'accessibilité des services et par des normes mur-à-mur qui nous affaiblissent.
Nous appelons donc encore une fois à une politique globale rurale qui n'est pas que des sommes d'argent, mais qui est d'abord et avant tout une approche, une vision et une approche transversale qui amènent plus de cohérence et plus de synergie entre les secteurs, entre les ministères et entre les différents ordres de gouvernement. Merci de votre attention.
Le président : Merci beaucoup, Madame Bolduc.
Charles Provost, directeur, La Grappe agroénergétique des Coteaux : Monsieur le président, je vous remercie de l'occasion que vous me donnez aujourd'hui de vous entretenir au sujet des pistes de solution pour sortir de la crise forestière.
Essentiellement, je tiens à vous entretenir de deux sujets : la nécessité pour les communautés rurales forestières d'avoir accès à la forêt public et la nécessité que les programmes gouvernementaux fédéraux soutiennent financièrement la valeur du territoire de proximité afin de permettre l'émergence et le déploiement de projets ruraux innovateurs comme celui de La Grappe agroénergétique des Coteaux, que je représente.
Je suis un gestionnaire qui, depuis une trentaine d'années, a œuvré à titre de dirigeant et de conseiller dans différentes entreprises, beaucoup dans le secteur de l'économie solidaire. Mais depuis trois ans, j'ai agi à titre de coordonnateur d'un comité de relance et de diversification pour des communautés mono-industrielles forestières durement touchées par la crise.
Ce travail a conduit à la création du projet que je représente aujourd'hui. Je viens d'un secteur quelque part entre Amos et Lebel-sur-Quévillon, en Abitibi, au cœur du Québec forestier. Mon grand-père est originaire de Field en Ontario. Le sénateur Poulin l'a connu, et il ne serait peut-être pas d'accord avec tous les propos que je tenais parce qu'il avait une petite scierie à l'époque. Mais je suis à l'aise avec les petites scieries. Ce sont les plus grosses qui posent problème.
D'entrée de jeu, je dirais que nous devons aujourd'hui faire le constat de l'échec d'avoir, depuis 200 ans, collectivement privilégié le soutien à l'industrie plutôt que celui accordé aux communautés forestières, tant du point de vue des politiques nationales que des programmes. La crise économique actuelle accentue les difficultés du secteur forestier et illustre avec éloquence les excès et les conséquences de l'utilisation abusive d'outils financiers à haut risque pour faciliter les fusions et la concentration de l'industrie, et surtout pour faciliter la concentration de l'accès au droit d'utiliser la forêt afin de créer des entreprises plus intégrées et de plus grande taille. Au Québec on parle de CAF. Ailleurs au Canada, on parle d'autres systèmes. Ces entreprises croulent actuellement sous le poids de leur dette qui a essentiellement permis de payer un bon dividende aux propriétaires précédents.
La concentration actuelle de l'industrie est le fruit d'un très long processus qui n'a pas eu les effets structurants durables escomptés sur notre économie. Au lieu de pouvoir compter sur une diversité d'acteurs et d'approches permettant de réagir rapidement en cas de crise, le Canada forestier se retrouve dépendant des décisions de quelques banquiers américains qui planifient leurs actions en fonction de stratégies continentales et non plus nationales, encore moins régionales ou locales.
Nous nous sommes collectivement placés à la remorque d'industriels qui, au lieu d'innover afin d'engendrer davantage de retombées locales et régionales, ont ni plus ni moins bloqué l'accès à la forêt à de nouveaux joueurs qui ont de nouvelles idées, en plus de drainer nos ressources dans un modèle d'affaire qui a fait son temps.
Alors que la planète entière prend le virage informatique depuis quelques décennies, ces entreprises ont préféré mettre tout leur poids pour continuer de drainer nos ressources vers des produits dont la demande est en chute libre. Il ne fallait pas être devin pour prédire que cela allait se produire. Il suffisait de regarder dans le sac d'école de nos enfants pour s'apercevoir qu'il y avait moins de livres et davantage de bidules électroniques pour rechercher et stocker de l'information sur Internet.
En tant que nation, nous aimons notre forêt et la considérons comme un patrimoine collectif. Pourtant, nous n'avons aucun droit de regard sur l'élection des dirigeants des compagnies qui maintenant ont le pouvoir de décider quelle communauté demeurera ouverte ou sera fermée. Cela doit changer.
En ce moment au Québec, il y a un important exercice de réforme du régime forestier, et tous espèrent que cela apportera des changements importants, notamment permettre aux communautés rurales d'être des acteurs dans la gestion de la forêt de proximité. C'est une quête qui a lieu aussi dans de nombreuses régions du Canada et il y a quelques années, la Colombie-Britannique a légiféré sur la question.
Pour éviter que la crise forestière ne se transforme en crise des communautés forestières, nous devons tous convenir que les interventions que nous faisons en forêt doivent mener à la création de richesses et le développement durable des communautés et non l'obtention de rendement pour le capital privé. Les emplois que nous souhaitons tous voir liés à la forêt doivent être des cibles premières, non seulement les retombées aléatoires de la recherche du rendement financier.
Bien que la législation en matière de gestion des ressources naturelles relève des provinces, le gouvernement du Canada est en position d'envoyer des signaux forts en définissant les paramètres de certains programmes et enveloppes budgétaires qui relèvent de lui, qu'il s'agisse de recherche, de développement régional ou de stimulation économique. Le gouvernement du Canada peut et doit contribuer à la relance et à la diversification du secteur forestier en priorisant le soutien au développement des communautés rurales forestières, surtout celles porteuses de projets novateurs pouvant contribuer à développer une nouvelle économie basée sur un meilleur bilan-carbone.
Les interventions publiques doivent stimuler des changements en profondeur dans la structure même du secteur, et non seulement s'intéresser aux mesures d'atténuation qui, bien que nécessaires, ne remettent rien en question. Le temps n'est plus aux demi-mesures. Les élus des petites municipalités agroforestières que je représente, de Champneuf, la Morandière et Rochebaucourt dans le secteur des Coteaux en Abitibi, ont refusé de se soumettre à ce décret et ont misé sur l'innovation pour réinventer leur économie locale récemment privée de la seule scierie qui restait encore active, en prenant appui sur leur territoire de proximité et les ressources qu'il contient.
Leur détermination a fait en sorte que le gouvernement du Québec leur a octroyé le statut de laboratoire rural. La Grappe agroénergétique est un projet multipartenaire qui, essentiellement, vise à réunir les conditions de réussite pour faire lever une filière complète de production et de transformation de biomasse de source agroforestière en Abitibi. Les différents partenaires de ce projet proviennent tant du milieu agricole, de l'industrie forestière, que celui de la production et de la distribution d'énergie, ainsi que du monde de la recherche.
Ils ont choisi de s'allier à un organisme local, piloté par trois petites municipalités, afin de mettre en œuvre ce projet. Il suffit, c'est relativement simple, dans un rayon de 30 kilomètres autour d'une usine de sciage récemment fermée, d'établir des plantations énergétiques, principalement avec du saule à croissance rapide, jusqu'à une superficie d'environ 10 000 hectares. Cette biomasse servirait à développer des activités de transformation, de la production de granules de chauffage et, éventuellement, d'éthanol cellulosique. Toutefois, pour réussir ce projet et d'autres similaires, on a besoin d'investissements importants dans le territoire, tant agricole que forestier.
En Europe, il y a des programmes de subvention, par exemple, de 2 000 dollars l'hectare, pour soutenir le développement de plantations énergétiques. Au Canada et au Québec, nous n'en avons pas. Nous avons donc des milliers d'hectares de friche qui sont fertiles, qui ont été abandonnés par les colons dans les années 1930, 1940, et qui ne demandent qu'à être remis en production. Toutefois, les instances gouvernementales trouvent que la production de matières premières n'est pas très « sexy », si vous me permettez l'expression.
La majeure partie des programmes fédéraux actuels de soutien aux régions est dirigée vers la deuxième transformation. Il est nécessaire que les programmes permettent des investissements dans le territoire, dans le développement de nouvelles matières premières et dans la transformation primaire, afin que celle-ci puisse engendrer un nouveau cycle qui permettra la création d'une nouvelle valeur ajoutée. Qui dit nouvelle économie doit dire nouveaux points de vue.
Je parle d'un projet particulier, mais la situation que nous vivons est similaire à celle de nombreuses autres communautés rurales agroforestières, qu'il s'agisse de développer des bleuetières pour accroître l'exportation en Asie, d'investir en foresterie communautaire pour faire autre chose que des 2 X 4 ou de mettre sur pied des infrastructures récréotouristiques pour attirer de nouveaux visiteurs ou de nouveaux résidents. Tous les projets qui sont issus de communautés innovantes sont encore malheureusement considérés comme marginaux parce qu'on les examine à la lueur d'un paradigme mourant et non comme les signes avant-coureurs d'un renouveau entrepreneurial prenant appui sur la mise en valeur de son territoire.
Selon moi, le gouvernement du Canada est en position d'envoyer deux signaux importants pour appuyer ce renouveau entrepreneurial. Le gouvernement a récemment annoncé un important budget pour stimuler le développement des régions et des communautés touchées par la crise des ressources naturelles. Ces sommes doivent soutenir l'innovation locale. À titre d'exemple, la Grappe agroénergétique des Coteaux compte mettre sur pied une fiducie foncière pour acquérir des terres délaissées afin de prévenir la spéculation, de même qu'à investir dans le démarrage de plantations énergétiques. Une contribution du gouvernement du Canada à une telle fiducie lui procurerait un important levier pour générer des investissements privés très substantiels. Le gouvernement du Canada contribuerait ainsi à propager une nouvelle avenue de développement rural.
Deuxièmement, le gouvernement du Canada soutient actuellement de manière significative la production d'éthanol à base de maïs. Pour diverses raisons, dont la question éthique de l'utilisation des terres servant historiquement à l'alimentation humaine, le Québec a décidé de ne pas poursuivre le développement de cette avenue et privilégie la filière de l'éthanol cellulosique. Les programmes fédéraux destinés à l'éthanol doivent rapidement s'ajuster et soutenir le développement de plantations énergétiques de grande envergure sur des terres dites marginales, ainsi que d'augmenter son soutien à la recherche, tant dans le domaine de la biologie végétale que des technologies et processus de production de bioénergie de sources renouvelables.
En temps de crise, nous sommes plus ouverts aux remises en question et aux changements fondamentaux. C'est donc le temps d'agir. Il faut toutefois, comme le disait Einstein, rechercher les solutions à l'extérieur du corps dans lequel le problème a vu le jour.
[Traduction]
Joseph LeBlanc, étudiant, Réseau de développement économique communautaire du Nord de l'Ontario : C'est un grand plaisir pour moi de vous parler de l'importance du secteur forestier et en faire l'état des lieux. Je m'appelle Joseph LeBlanc et je suis doctorant en sciences forestières à l'Université Lakehead de Thunder Bay. Je suis également coordonnateur à la recherche et au développement pour les aliments issus de la forêt au Food Security Research Network, en plus de faire partie du Northern Ontario Sustainable Communities Partnership.
Le Food Security Research Network, qui fait partie du Réseau de développement économique communautaire du Nord de l'Ontario, croit que la solution aux problèmes de nos localités doit être de nature holistique et participative. Pour être efficaces, les solutions doivent provenir du milieu lui-même, et reposer sur les connaissances locales.
Les questions à l'étude aujourd'hui revêtent une importance vitale pour les gens du Nord de l'Ontario, et c'est un honneur pour moi de pouvoir commenter l'état du secteur forestier. Pour les régions qui dépendent de la forêt, les répercussions de la crise que traverse actuellement le secteur forestier vont bien au-delà des emplois perdus. Ce sont les moyens et les modes de subsistance des gens qui sont remis en question. Nous croyons que le secteur forestier du Nord de l'Ontario pourra s'en tirer à plutôt bon compte, à condition que l'on mette l'accent sur la restructuration, que le milieu puisse se doter d'une vision locale pour ses forêts et qu'il prenne conscience des retombées sociales, économiques et écologiques que lui offrent les terres sur lesquelles il vit.
Les gens du Nord de l'Ontario se sont habitués à la présence des entreprises transnationales. Pourtant, l'industrie forestière traditionnelle s'est montrée si peu résiliente qu'il nous faut maintenant envisager un nouvel avenir pour le secteur forestier.
Nous adhérons à la vision du Conseil canadien des ministres des Forêts, pour qui la transformation du milieu forestier doit aller de pair avec les efforts visant à atténuer les répercussions des changements climatiques et à s'y adapter. Si nous misons sur la diversification de la production, le renouvellement des pratiques de gestion et le contrôle communautaire accru, nous pourrons faire de la vision du Conseil canadien des ministres des Forêts une réalité.
En mars dernier, le Northern Ontario Sustainable Communities Partnership a organisé un colloque réunissant des représentants des entreprises forestières, des gouvernements provinciaux, des Premières nations et des municipalités du Nord de l'Ontario. Durant les deux jours qu'a duré l'atelier, ils ont tenté de déterminer si la foresterie communautaire constituait un moyen intéressant de réformer le mode de tenure dans le Nord de l'Ontario. Les participants ont tous insisté sur le fait qu'ils se sentaient partie prenante à un traité, et que ce sentiment devait servir de point de départ aux actions à venir. Ils ont également beaucoup discuté des causes et des origines de la crise que traverse actuellement l'industrie forestière de notre région.
Le peu de diversité du secteur forestier est la principale cause de nos vulnérabilités actuelles. Les politiques et les pratiques de gestion des ressources naturelles, parce qu'elles n'en ont que pour les producteurs de matières premières, ont créé une relation de dépendance entre la population, l'industrie et le gouvernement.
La population dépend des installations de production parce qu'elle y travaille, tandis que les municipalités en dépendent parce qu'elles en perçoivent des taxes. À cause du déclin des marchés, l'industrie forestière dépend quant à elle des divers ordres de gouvernement pour demeurer viable. Le marché tel qu'on le connaît n'existe tout simplement plus. C'est pourquoi la simple revitalisation du secteur forestier traditionnel ne fournira pas aux régions dépendantes de la forêt le même soutien que celui sur lequel elle pouvait auparavant compter.
Il faudra se doter d'un vaste processus de planification communautaire, qui tiendra compte de tous les usages possibles de la forêt, si l'on veut concrétiser notre vision et faire en sorte que le secteur forestier se diversifie et soit viable à long terme. Les impératifs économiques, sociaux et écologiques supposent une transformation du secteur. Les régions dépendantes de la forêt ne verront jamais leurs besoins comblés si le secteur forestier n'ouvre pas ses horizons.
Bref, nous ne voulons pas continuer de traîner les mêmes vulnérabilités qui ont mené à la crise qui secoue actuellement l'industrie forestière. Nous cherchons à améliorer le bien-être des collectivités et à miser davantage sur la diversité de la forêt, et non à simplement revitaliser l'industrie forestière traditionnelle. Les obstacles à la diversification, à l'adaptation et à la transformation doivent être éliminés, et la gestion prévisionnelle communautaire représente un mode de tenure valable qui nous permettra d'atteindre cet objectif.
Comme je le disais plus tôt, nous adhérons à la vision nationale qu'a le Conseil canadien des ministres de la Forêt du secteur forestier. J'aimerais maintenant explorer la manière dont le gouvernement fédéral peut contribuer à faire de cette vision une réalité pour les régions dépendantes de la forêt.
D'abord et avant tout, le Nord de l'Ontario doit vivre une réforme en profondeur de son mode de tenure, selon laquelle le contrôle des forêts sera remis à la collectivité. Celle-ci pourra alors définir sa propre vision de la forêt et prendre conscience de tout le parti qu'il y a à tirer du milieu environnant. En dissociant les planificateurs forestiers des installations de production, le mode de tenure communautaire permettra à chacun de ces deux groupes de se concentrer sur ce qui importe vraiment.
Pour le Nord de l'Ontario, il faudra redéfinir le mandat de FedNor de manière à permettre aux intervenants de tisser des liens qui faciliteront une utilisation plus diversifiée de la forêt et renforceront la gestion communautaire.
Il faudra ensuite restructurer le secteur forestier actuel. De toute évidence, il ne suffit pas de mettre en œuvre des programmes qui créent de l'emploi à court terme ou qui atténuent les répercussions des périodes de marasme économique, comme le fait l'assurance-emploi. Il faudrait plutôt instaurer des programmes qui permettent au milieu de gérer ses forêts et pour que les gens puissent encore en tirer leur subsistance.
Enfin, il faut redéfinir l'industrie forestière. Même si, jusqu'à maintenant, le Canada a su tirer parti de la forêt en misant sur les produits du bois, tout semble indiquer que les beaux jours de ce marché sont maintenant révolus et que la demande ne reviendra jamais à ses anciens niveaux. Il faut donc se préparer à une restructuration globale de l'industrie, une restructuration qui a pour cœur la santé même des collectivités et qui rendra ces dernières moins vulnérables.
Il faut diversifier les activités forestières, et s'éloigner des seuls produits du bois. Et cette démarche passe par la R-D. Les produits forestiers non ligneux, dont les produits biochimiques, les produits alimentaires issus de la forêt et les services écologiques, contribueront à assurer l'avenir du secteur forestier. Le gouvernement fédéral peut certainement aider à promouvoir le développement de ces produits et à conscientiser le public quant à l'avenir du secteur forestier.
Le Nord de l'Ontario est composé de gens passionnés qui veulent collaborer avec vous et avec le gouvernement fédéral à la naissance d'un nouveau secteur forestier, qui reposera sur le contrôle communautaire et la diversification des activités forestières.
Je vous remercie pour tout l'intérêt que vous portez à ce sujet, et je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de prendre la parole aujourd'hui.
Eric Rutherford, membre, Rural Ontario Municipal Association, et président de l'Ontario Good Roads Association : Monsieur le président, madame la vice-présidente et honorables membres du comité, permettez-moi d'abord de vous remercier de l'occasion que vous m'offrez de vous parler de cette question cruciale qu'est le secteur forestier au Canada.
Je suis conseiller de la petite municipalité de Greenstone, dans le Nord-Ouest de l'Ontario. J'ai été maire et préfet du canton de Beardmore pendant 25 ans. J'ai aussi été directeur d'une école primaire avant de prendre ma retraite de l'enseignement. Je suis aujourd'hui PDG de Beardmore Forest Products, président de l'Ontario Good Roads Association, ou OGRA, et une des voix de la Rural Ontario Municipal Association, ou ROMA.
Je suis ici aujourd'hui en qualité de représentant de l'OGRA et de la ROMA.
L'OGRA est un organisme voué à la défense des intérêts des municipalités et des Premières nations de l'Ontario en matière d'infrastructures. Nous offrons des services de sensibilisation, de consultation et de formation, en plus de certains services ciblés. La quasi-totalité des municipalités de l'Ontario font partie de notre association, ainsi que 24 communautés des Premières nations.
La ROMA, vous le savez peut-être, est la voix des municipalités rurales de l'Ontario. Elle fait partie intégrante de l'Association des municipalités de l'Ontario, ou AMO, et certains membres de son conseil d'administration siègent également au conseil d'administration de l'AMO. Le personnel de l'AMO aide la ROMA dans ses activités stratégiques et ses recherches.
Pour plus de détails sur ces organismes, je vous invite à lire le document annexé à la copie papier de mon exposé. Je souligne que l'OGRA et la ROMA travaillent ensemble à répondre aux besoins des gens, des collectivités et des entreprises des régions rurales de l'Ontario en matière d'infrastructures, de croissance économique, d'impôt et de services.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de l'industrie forestière dans l'Ontario rural, plus précisément de la période difficile que traverse cette industrie et des nombreuses localités rurales qui sont touchées.
L'OGRA comme la ROMA souhaitent aider le comité dans ses efforts et contribuer à rendre cette industrie vitale à nouveau profitable et concurrentielle sur la scène internationale.
L'exploitation forestière et la fabrication de produits de la forêt sont des activités absolument essentielles pour bon nombre de collectivités rurales. Elles sont même, pour certaines, leur seule source de croissance économique. La faiblesse et la non-rentabilité de l'industrie forestière ne font pas qu'affecter l'économie rurale de l'Ontario, elles s'attaquent au cœur même de l'économie de la province ainsi qu'à l'une des valeurs importantes qui la caractérisent, soit la liberté de vivre et de gagner sa vie dans un milieu rural économiquement prospère et sans danger pour l'environnement.
Je sais que le comité a bien des gens à entendre et un horaire assez serré. J'aimerais soulever rapidement quelques points concernant l'industrie forestière. J'ai aussi une demande de la part de l'OGRA et de la ROMA. Nous aimerions participer activement à vos travaux à mesure qu'ils vont avancer.
Nous n'avons pas beaucoup de moyens de recherche technique ni de ressources de gestion de réserve, mais nous représentons depuis bien des années, et avec beaucoup de succès je crois, des gens et des entreprises établis dans les régions rurales de l'Ontario qui contribuent pour une grande part à l'économie de la province. Voilà pourquoi nous aimerions avoir voix au chapitre.
Nous pensons pouvoir présenter un point de vue sur une vaste gamme de sujets, qu'on ne saurait couvrir correctement en une dizaine de minutes aujourd'hui.
Vous trouverez un bref aperçu de certains des sujets que j'aimerais aborder avec vous dans la copie papier de mon exposé. L'OGRA et la ROMA aimeraient toutes deux revenir devant vous — sans trop tarder cependant, car il s'agit de questions très urgentes — afin de faire des recommandations précises dans le but de résoudre les problèmes dans l'industrie forestière.
Voici les principaux points que je voudrais soulever : premièrement, l'industrie forestière représente une part importante de l'économie de l'Ontario et des exportations canadiennes. En 2008, l'Ontario a exporté pour 5,3 milliards de dollars de produits de la forêt. C'est une baisse de 41 p. 100 par rapport au sommet de 2004, mais c'est quand même 18 p. 100 du volume des exportations canadiennes dans ce domaine. J'ai avec moi plusieurs graphiques qui illustrent mes propos.
Deuxièmement, contrairement à ce que pensent bien des gens, et peut-être même des membres du comité, l'industrie forestière n'est pas sur son déclin. Il s'agit en fait de l'une des industries connaissant la plus forte progression à travers le monde. Selon les données de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, les exportations de produits de la forêt à l'échelle mondiale ont augmenté de 8,5 p. 100 en moyenne chaque année au cours des 60 dernières années et plus.
Troisièmement, le problème au Canada est que, depuis bien des années, notre industrie ne contribue pas pleinement à cette croissance mondiale. Environ 77 p. 100 de nos exportations sont expédiées aux États-Unis, et la gamme de produits que nous fabriquons est, pour une grande part, impropre au commerce outre-mer. Les répercussions sont nombreuses, et ne peuvent manquer d'inquiéter l'OGRA comme la ROMA.
Quatrièmement, les coûts élevés de l'énergie partout dans le monde fournissent à l'industrie forestière canadienne la possibilité de devenir un important producteur de biocarburants émettant très peu de gaz à effet de serre et réduisant l'empreinte écologique des combustibles fossiles, dont le classique charbon thermique utilisé ici en Ontario. Sauf qu'il faut créer les bonnes conditions d'investissement pour que cette possibilité se matérialise.
Cinquièmement, l'arboriculture a beaucoup d'avenir au Canada, surtout dans les collectivités rurales. Nous pouvons fixer et transformer en produits forestiers un volume imposant de gaz à effet de serre créés de par le monde, mais pour cela, il va falloir que nos politiciens fassent preuve d'audace. Ce point a d'ailleurs été abordé par l'un des intervenants qui m'ont précédé.
Sixièmement, nous sommes convaincus qu'après la période de récession que nous connaissons actuellement, l'industrie forestière au Canada et en Ontario devra sortir de ses ornières si elle veut prospérer.
Je vous demande maintenant de vous rendre à la page 4 de mon exposé. Le premier graphique, qui illustre la situation du Québec et de l'Ontario par rapport au reste du Canada, parle de lui-même. On y montre qu'après le sommet de 2004, les exportations de produits forestiers ont chuté dramatiquement en 2008.
À la page 5, le graphique illustre la progression rapide des exportations de produits forestiers dans le monde au cours des 50 dernières années, jusqu'à la situation telle qu'elle était en 2007.
À la page 6, le point de rupture illustre la récession mondiale que nous traversons en 2008-2009. De l'avis de plusieurs, la demande devrait reprendre et imprimer une tendance à la hausse pour les années 2014 à 2020.
La page 7 nous indique qu'en 1950, c'est-à-dire il y a environ 60 ans, le Canada — et l'Ontario — est passé de l'un des rares fournisseurs mondiaux à l'un des nombreux fournisseurs des marchés mondiaux. C'est la réalité telle qu'elle est, et il faut absolument que nous soyons compétitifs.
À la page 8, j'explique que, pour se positionner stratégiquement, le Canada et l'Ontario devront comprendre certaines questions fondamentales et agir en conséquence. Premièrement, pourquoi les deux grandes régions exportatrices traditionnelles que sont la Scandinavie et le Canada ont-elles vu fondre constamment leur part de marché cours des 50 dernières années? Il nous faut une réponse si nous voulons établir un plan d'attaque. Deuxièmement, comment les pays faisant partie des trois régions exportatrices émergentes ont-ils acquis leur part de marché? Ces pays, ce sont nos concurrents d'aujourd'hui.
Troisièmement, la tendance va-t-elle se maintenir et va-t-on voir apparaître de nouvelles régions exportatrices? Je vous laisse poursuivre la lecture des autres points, mais ne vous en exhorte pas moins à la réflexion.
Vous trouverez, à la fin de mon exposé, un bref historique qui illustre les recoupements et les points communs entre l'OGRA, la ROMA et la municipalité de Greenstone.
Je vous inviterais en terminant à consulter la carte que je vous ai remise. Les X indiquent les usines qui, dans notre région, ne fonctionnent plus. Greenstone multiplie les démarches pour qu'elles rouvrent leurs portes, car elles sont situées directement sur le territoire de notre municipalité. Vous voyez d'ailleurs que les limites de Greenstone s'étendent assez loin. Nous sommes peu nombreux, mais nous occupons beaucoup d'espace.
Pour que vous compreniez bien tous les tenants et les aboutissants, je vous parlerai d'abord de l'usine de Marathon, dont les portes sont fermées, probablement pour de bon. Nous avons en revanche l'usine de Terrace Bay, dont les locaux sont chauffés, éclairés et patrouillés par l'équipe régulière de gardiens de sécurité, et dont la cour est pleine de fibre de bois, mais dont la situation financière et bancaire est précaire. Cette usine-là pourrait rouvrir ses portes demain matin si elle réussissait à écouler ses anciens stocks, dont l'entrepôt est plein à craquer, et c'est exactement ce qu'elle essaye de faire. Tout est en place.
Continuons sur la rive nord, jusqu'à Nipigon. L'usine est disparue. Partie en fumée. On y produisait du contreplaqué d'excellente qualité. L'expertise est toujours là, mais plus les bâtiments.
De l'autre côté de la baie, à Red Rock, l'usine de papier qui se trouvait là a été abandonnée par Domtar, et est presque entièrement démantelée. Présentement, il y a un groupe de gens de la région qui tentent d'y déménager les activités qui se trouvaient auparavant à Nipigon.
Poursuivons vers le nord, jusqu'à Longlac. Deux X sur la carte, donc deux usines touchées. La première est une usine de Kruger qui ne fonctionne plus. La municipalité, en collaboration avec le personnel de l'endroit, tente de trouver un processus de fabrication d'aggloméré qui permettrait de se débarrasser de 30 ans de déchets et de trouver une nouvelle utilisation à la fibre de bois qui se trouve déjà sur place.
Il y a une scierie dans ce coin-là qui ne fonctionne pas pour le moment, et dont 80 p. 100 du personnel provient de la bande de la Première nation no 58 de Longlac, les Ginoogaming. Le bois est déjà dans la cour et les activités pourraient reprendre demain matin si on le pouvait. Il suffit que la tendance économique s'inverse et ils retrouvent leur place au soleil.
C'est la même chose à Nakina, l'usine est éclairée et chauffée et la cour est pleine de bois. Bref, certaines de nos usines pourraient reprendre leurs activités du jour au lendemain, d'autres pas. J'imagine que c'est la même situation partout au Canada.
Voici un portrait de la situation dans notre coin de pays. Je vous remercie de votre temps.
[Français]
Le sénateur Poulin : Les témoins des quatre associations ont fait des présentations tout à fait exceptionnelles. J'aimerais les remercier d'avoir pris le temps de se rendre ici et d'avoir pris le temps de réfléchir. Ils aident à la réflexion que nous faisons actuellement sur les défis auxquels fait face le Canada avec l'industrie forestière.
La crédibilité des témoins est un élément très important dans le processus judiciaire. Chaque fois que je siège à ce comité, je porte attention à la crédibilité des témoins. Je suis frappée par le fait que pour des raisons complètement différentes, la crédibilité des quatre témoins ici présents est impeccable.
L'étude que nous faisons a pour objectif premier d'examiner les causes et les origines de la crise forestière actuelle. Vous en avez parlé brièvement au début, mais j'aimerais qu'on regarde, avec la sagesse et le recul, où nous en sommes aujourd'hui par rapport à il y a 20 ans. Madame Bolduc, comment analysez-vous les causes de la présente crise forestière?
Mme Bolduc : Je vais laisser M. Ferdous répondre à votre question.
Cherkaoui Ferdous, secrétaire général, Solidarité rurale du Québec : C'est une question très vaste à laquelle je vais tenter de répondre.
Comme le disait M. Provost, en ce qui concerne l'histoire de la foresterie, on peut remonter à 15 ans ou à 200 ans. Si on se limite à la période récente des 15 à 20 dernières années, pour le Québec il y a des facteurs qui relèvent davantage de la structure industrielle, facteurs qui étaient peut-être intéressants et sources de compétitivité au départ, parce qu'on avait une industrie diversifiée, basée sur une filière où il y avait des acteurs qui entretenaient un ensemble de rapports commerciaux de marché et qui amenaient une certaine concurrence et une compétitivité intrinsèque au secteur.
J'entends par là qu'il y avait un secteur de la scierie qui était indépendant des papetières et qu'il y avait des producteurs de ressources. Donc il y avait une segmentation dans la chaîne des valeurs qui favorisait une certaine efficience dans la création de la valeur ajoutée.
Avec les situations de marché, avec la structure industrielle qui a évolué, on a d'abord assisté à une vague d'intégration verticale, où les papetières ont racheté une part de l'industrie de sciage. Dans un tel contexte, il fallait davantage de synergie et d'efficience, et peut-être que cela était justifié à l'époque. Ce qui fait qu'aujourd'hui au Québec, 70 p. 100 des capacités de sciage appartiennent à des papetières.
Cela a pour effet de connecter la ressource, la forêt, sur le papier qui est un produit en perte de vitesse sur les marchés. Cela a figé le modèle, d'autant plus que le régime qui régit l'accès à la ressource forestière est donné aux bénéficiaires au bout de la chaîne, ce sont les papetières. Cela fait en sorte qu'on a connecté la forêt sur l'usine et l'usine était dans un marché mature qui n'avait plus de capacité de croissance et qui est de plus en plus concurrencé par de nouveaux joueurs. C'était une situation relativement confortable qui a généré énormément de bénéfices qu'on aurait pu réinvestir en modernisation, profitant ainsi de notre position dominante sur le marché, pour engranger des gains de productivité qui nous amèneraient beaucoup plus loin, chose qu'on n'a pas réussi à faire.
Cette situation confortable qui a généré énormément de bénéfices n'a pas été synonyme de réinvestissent. Une des sources est la structure industrielle. L'autre, et tout est lié dans cela, on ne peut parler séparément de chacun des facteurs, est l'état de la ressource aujourd'hui. Elle s'explique par une sur surexploitation. C'est une responsabilité partagée par les industries, les gouvernements, par notre capacité de surveiller et de contrôler ce qui se fait en forêt, et cetera. Il s'agit d'une responsabilisation des acteurs. L'état de la ressource est extrêmement affaibli aujourd'hui. On nous amène dans un discours où il faut baisser le coût de la fibre. On peut baisser ce coût, celui des redevances, le faire sur le dos des travailleurs et continuer de couper les coûts, mais le gouvernement du Québec n'engrange plus de surplus des redevances, au contraire, on paie l'accès à la forêt pour les forestières. Donc il y a une limite à cela. En fait pour s'attaquer au coût de la fibre, il faut reconstituer le capital forestier. C'est un travail à très long terme dans lequel les communautés peuvent être une partie de cet investissement.
Le sénateur Poulin : Merci, vous éclairez énormément l'analyse de la question.
M. Provost, aimeriez-vous ajouter quelque chose ou pardon, ce serait vous Mme Bolduc.
Mme Bolduc : Une conséquence de cette crise majeure est tributaire au fait que les entreprises ont servi davantage les actionnaires que les entreprises. Et cela est une conséquence due au modèle de développement. M. Ferdous a bien expliqué le problème de la forêt. Notre forêt est malmenée, peu importe où au Canada, elle est mal en point.
On a pensé à un modèle d'entreprise qui servait des actionnaires en tout premier lieu avant de voir à la pérennité des ressources et des communautés. Et cela questionne fondamentalement les modèles d'exploitation dans le monde industriel.
Le sénateur Poulin : M. Provost aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Provost : Oui. M. Ferdous a été très éloquent. Un élément très important, la foresterie au Canada repose sur la forêt naturelle. Les grandes compagnies multinationales ont depuis 1020 ans commencé à investir plus au sud, aux États-Unis et en Amérique latine. On ne peut plus « concurrencer » avec cela. J'étais au Minnesota, l'été dernier, à 150 kilomètres des frontières du Canada et les plantations de peupliers étaient déjà récoltées, les arbres avaient pratiquement un pied de diamètre après huit ou dix ans. La forêt naturelle canadienne ne peut pas « concurrencer » avec cela. Ces industries se préparent à se désinvestir du Canada pour se rapprocher des marchés. La moitié de l'approvisionnement des usines et des papetières américaines commence à provenir de plantations. Elles louent des terres où l'on faisait pousser du maïs autrefois et font maintenant pousser du peuplier hybride sur ces terres. Le peuplier d'Abitibi, du Témiscamingue ou du nord de l'Ontario ne pourra pas « concurrencer » avec ces produits.
On doit commencer à penser autrement. Ce que l'on peut sortir de la forêt n'est plus du bois à proximité et à très faible coût, on n'a plus cet atout. Ce sont les éléments conjoncturels de la crise qui affaiblissent beaucoup notre position. Cela démontre que la concentration de l'industrie a été basée sur des produits de financement à très haut risque. AbitibiBowater est aujourd'hui endettée à l'extrême et sur le bord de la faillite. Dès qu'on ne peut plus refiler la facture à une autre, le modèle arrive à sa limite. Il est important, comme nation, de ne pas adhérer à cela et d'éviter un « bail-out » qui servira uniquement les actionnaires et les banquiers afin qu'ils encaissent leur profit.
[Traduction]
Le sénateur Poulin : Monsieur LeBlanc, veuillez nous indiquer comment vous analysez ce qui s'est passé au cours des 20 dernières années et les origines de la situation actuelle.
M. LeBlanc : Je crois que les intervenants avant moi ont très bien résumé la situation. J'ajouterais seulement à leur portrait les problèmes d'accessibilité que pose la structure actuelle de gestion. Comme la totalité de l'approvisionnement en bois d'œuvre est attribué par permis, les gens de la place ont maintenant beaucoup de mal à démarrer leur propre entreprise, car ils sont incapables de s'approvisionner en bois. Le bois coupé est toujours destiné aux grandes usines. Nous avons vu une carte recensant les usines dont les portes sont fermées. Or, elles conservent toujours leurs droits d'accès, même si elles ne fonctionnent plus. Vous comprendrez que cet obstacle empêche la création d'une valeur ajoutée dans l'industrie.
Dans le cadre de mes études, nous faisons, en collaboration avec plusieurs communautés des Premières nations, la promotion des produits alimentaires issus de la forêt, notamment des bleuets. Outre les pratiques de gestion de l'accessibilité, comme le problème que pose l'application des herbicides, nous avons constaté que la gestion prévisionnelle ne tient absolument pas compte des valeurs alimentaires. Il faut se battre pour garantir l'accès aux aliments, car la gestion prévisionnelle n'en a que pour les arbres et rien d'autre, et que la sylviculture, en favorisant la croissance des arbres, se trouve à tuer les plants de bleuets.
Le sénateur Poulin : Et nous savons tous que les bleuets du Nord de l'Ontario n'ont pas leur pareil.
M. LeBlanc : Ce sont les meilleurs. Dans la même veine, nous savons que l'industrie du bleuet est bien établie ailleurs dans l'Est du Canada, alors qu'elle est pour ainsi inexistante dans le Nord de l'Ontario. Nous y travaillons, mais il faut que les politiques aillent dans le même sens.
Le sénateur Poulin : Monsieur Rutherford, votre expérience est inestimable pour les travaux du comité. Souhaitez- vous ajouter quoi que ce soit à l'analyse de vos collègues?
M. Rutherford : J'aimerais seulement ajouter une chose concernant les bleuets. Un certain nombre des communautés de Premières nations ont déjà exploré cette avenue, mais elles se sont heurtées à un mur : celui du bâtiment où elles allaient embouteiller ou transformer leur produit, et celui encore plus strict des règles et des règlements. Je pense qu'il s'agit d'un secteur prometteur, parce que je crois entre autres qu'il y a quelque chose à faire avec la sève de bouleau, qui sert notamment en cuisine, et que ce ne sont pas les possibilités qui manquent.
Si je peux revenir sur certains des points à l'étude, je dirais que le coût élevé de l'énergie est l'un des principaux handicaps des entrepreneurs du Nord-Ouest de l'Ontario. Sa production ne coûte presque rien, mais nous traînons la dette d'Hydro Ontario, ce qui fait exploser les prix. J'irais jusqu'à dire que toutes les usines qui sont prêtes à rouvrir leurs portes dans le Nord-Ouest de l'Ontario pourraient le faire si elle voyaient leur facture d'électricité descendre. Elles devraient en contrepartie trouver quelqu'un à qui vendre leur produit, et c'est un cauchemar en soi. L'énergie doit faire partie de l'équation. Nous étudions différents moyens de contourner le problème, et nous songeons notamment à produire nous-mêmes notre électricité à partir des déchets.
Voici un exemple réel qui risque d'intéresser le comité. Je suis de près l'évolution d'une usine à Niagara Falls, dans l'État de New York. Si jamais l'envie vous prend de visiter une usine de papier, je vous recommande celle-là. Les déchets sont sa seule matière première. Au total, 90 camions sillonnent les routes et rapportent du carton de Hamilton, de St. Catharines, de la péninsule de Niagara, du Nord-Ouest de l'État de New York. L'usine va bien, et les profits sont au rendez-vous. Là où ça devient intéressant, c'est que l'usine s'est aussi associée à l'incinérateur voisin, qui brûle toutes les ordures du voisinage. Il est situé tout juste à côté. L'incinérateur, en retour, utilise l'électricité de l'usine.
Les deux entreprises sont maintenant regroupées. L'usine de papier et de carton peut ainsi économiser en achetant à moindre coût de l'incinérateur la vapeur qui lui fournit l'énergie dont elle a besoin. Sans compter qu'elle contribue également à gérer les déchets de la région.
Dites-moi, qui croyez-vous est aussi intéressé à obtenir les rebuts de carton utilisés par ces deux entreprises? La Chine, qui achète le même carton, le transporte à New York, le charge sur des navires vides qui l'emportent jusqu'en Chine, où il sert enfin à la fabrication d'autres produits du papier.
Si je vous raconte tout cela, c'est que j'ai l'impression que, souvent, nous ne voyons pas plus loin que le bout de notre nez. Peut-être devrions-nous élargir nos horizons. Si nous voulons trouver une nouvelle vocation aux usines du Nord de l'Ontario, nous pourrions par exemple brûler les déchets ligneux ou d'autres types de produits, et peut-être pourrions-nous du même coup résoudre nos problèmes d'enfouissement sanitaire, ce qui n'est pas peu dire.
Il y a les coûts de l'énergie, mais il y a aussi les coûts de fonctionnement. Il ne faut pas négliger le marché international. Jusqu'à maintenant, j'ai l'impression que nous nous sommes bornés à notre seul marché, et que notre seule préoccupation consistait à charger nos stocks sur un train ou un camion et à leur faire traverser la frontière jusqu'aux États-Unis. Nous n'avons pas envisagé d'autres endroits où nous pourrions les expédier. Je crois que c'est l'une des choses qui pourraient ressortir des travaux du comité.
Il faut dire que nos usines commencent à se faire vieilles. Elles fonctionnent toutes à plein régime depuis des années, et personne n'a jamais pensé à les moderniser. On compte de plus en plus d'usines ultramodernes un peu partout dans le monde, comme en Autriche ou en Allemagne, et les compagnies les plus entreprenantes tournent maintenant les yeux vers l'Europe pour s'inspirer des méthodes de modernisation qui y ont cours. L'une des entreprises avec lesquelles j'ai discuté songe même à se doter d'une nouvelle chaîne de montage. Si votre équipement et votre machinerie consomment moins d'électricité qu'auparavant, vous vous facilitez nécessairement la vie.
Il y a bel et bien des solutions que le comité et nous-mêmes pouvons suggérer.
[Français]
Le sénateur Poulin : Je pense qu'on a eu une excellente analyse de la part de nos quatre témoins sur les causes de la crise actuelle.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Monsieur Rutherford, vous devriez appeler le maire David Miller. À Toronto, les ordures sont un véritable casse-tête. Si nous pouvions trouver une solution, ce serait merveilleux.
Madame Bolduc et monsieur LeBlanc, est-ce exact de dire que, dans vos exposés, vous favorisez tous les deux les entreprises de plus petite taille? Si je ne m'abuse, vous avez parlé de grands conglomérats. Préconisez-vous que l'on revienne au petites usines communautaires typiquement rurales?
[Français]
Mme Bolduc : En fait, on milite pour une diversité de modèle. Dans l'industrie forestière, il y avait un seul modèle de grandes entreprises. Elles se sont consolidées et « surconsolidées ». On milite pour une diversité de modèle.
Le sénateur Eaton : Pour chaque région, un différent modèle.
M. Provost : Non pas nécessairement. On pourrait retrouver plusieurs modèles, des petites entreprises comme des plus grandes, à l'intérieur d'un même territoire, mais qu'il y ait place à plusieurs modèles. Cela va reposer sur l'ouverture de marchés différents et sur l'accessibilité à la ressource.
Je donne des exemples de ce qui est problématique en ce moment. Une entreprise, Chantier Chibougamau, a des produits de haute technologie dans le bois. Elle a accès à des marchés, mais elle n'a pas accès à la ressource. Nous avons expliqué ce modèle d'entreprise : la ressource est allouée à un type d'entreprise seulement. Cela limite le développement d'autres modèles d'entreprise. Un autre exemple : une entreprise relativement grosse, Boissaco, sous le modèle coopératif a des activités à Sacré-Cœur et sur la côte nord. Son modèle coopératif fait en sorte que sa priorité est de créer de l'emploi dans les communautés et non pas de servir des actionnaires et de générer de grands bénéfices. Il s'agit de créer de l'emploi et de l'activité dans la communauté. L'objectif est d'avoir des entreprises ancrées dans les territoires, selon différents modèles et différentes grosseurs. Ceci va mieux servir les Canadiens, en commençant avec les communautés près de la ressource.
[Traduction]
M. LeBlanc : Nous recommandons que la planification se fasse et que les décisions se prennent à l'échelle communautaire. Comme je le disais dans mon exposé, nous recommandons de dissocier la planification de la production, et c'est le lien dont Mme Bolduc parlait. Les grandes sociétés qui...
Le sénateur Eaton : Où trouvez-vous vos investisseurs? Je suis sympathique à votre cause, mais j'essaie seulement de voir le côté pratique des choses. Si la planification se faisait à l'échelle communautaire, où trouveriez-vous vos investisseurs?
M. LeBlanc : En dissociant la planification de la production, les décisions relatives à l'accès aux ressources se prendront localement. L'industrie forestière traditionnelle, les fabricants offrant une valeur ajoutée et les producteurs locaux, tous solliciteraient l'accès aux ressources auprès d'éventuels conseils communautaires de planification. On créerait ainsi de la valeur. La production serait plus diversifiée et plus localisée. Elle favoriserait les gens de la place et les aiderait à démarrer leur propre entreprise.
Suivant le régime actuel de planification à plus grande échelle, les compagnies sont en mesure de fermer des usines et de transférer l'approvisionnement en bois d'une unité d'aménagement forestier à une autre. La société Buchanan Forest Products, à laquelle nous avons fait allusion, est parvenue à fermer une usine, à retirer à la localité son approvisionnement en bois — qu'elle a sorti de l'unité d'aménagement forestier — en ne lui laissant pour ainsi dire que la coupe de bois comme seule source de revenus possible. La planification à l'échelle locale nous permet donc de décider qui a accès aux ressources et comment on les utilise.
Le sénateur Eaton : L'Université Lakehead offre-t-elle un programme de foresterie aux Premières nations? Selon les représentants que nous avons entendus récemment, les Premières nations sont très intéressées à mettre en valeur les terres qui leur ont été cédées en vertu de traités. L'Université Lakehead offre-t-elle des programmes d'initiation à la foresterie pour les Premières nations?
M. Leblanc : Pas précisément. Je suis Autochtone. Il y a très peu d'inscriptions d'Autochtones en foresterie. À Lakehead, les Autochtones constituent une fraction importante de la population étudiante.
Pour revenir à ce que je disais sur la redéfinition de l'industrie forestière, je pense que les Premières nations perçoivent l'industrie forestière comme contraire à leurs intérêts et destructrice pour les produits traditionnels qu'elles utilisent. Nous voulons bien mettre les ressources en valeur, mais à nos conditions.
Le sénateur Eaton : En effet, c'est ce que ces représentants nous ont dit. Avez-vous constaté l'existence d'un large fossé culturel quand vous vous êtes inscrit au programme de foresterie de Lakehead?
M. Leblanc : Absolument. On dit souvent que l'éducation postsecondaire est une expérience traumatisante pour les Autochtones. C'est un choc de cultures. Il faut voir l'éducation d'un œil critique; et le phénomène existe parce que notre vision du monde n'est pas prise en compte.
Telle est, je pense, l'utilité de l'éducation postsecondaire. Mon projet est centré sur l'aménagement des ressources naturelles dans une perspective autochtone, et nous espérons combler ce fossé interculturel.
Le sénateur Campbell : Nous n'avons pas parlé de l'Accord de libre-échange nord-américain ou ALENA. Vous pouvez compter sur ma totale indépendance d'esprit. Aucun gouvernement, peu importe lequel, n'a fait du bon travail, et chaque fois que l'éléphant américain se secoue, nous sommes éclaboussés.
Quel effet cela a-t-il eu sur les usines de l'Ontario? En Colombie-Britannique, il a été dévastateur.
M. Rutherford : Nous aurons bientôt à acquitter une facture impayée à cause d'une erreur de calcul sur les montants qui étaient censés changer de mains.
Si j'ai bien compris, quiconque se met à produire du bois de résineux en vue de l'exportation sera, si c'est un nouveau venu, facturé le plein montant, qu'il soit responsable ou non de cette facture.
Tout cela n'est pas très clair pour moi, mais c'est ainsi que je crois comprendre la situation. Cet obstacle mettra fin à tout projet de ce genre avant même qu'il ne démarre.
Le sénateur Campbell : Monsieur Provost, vous avez parlé d'acheter des terres. À qui appartiennent-elles?
M. Provost : Dans notre région, jusqu'à 50 p. 100 du territoire appartient à des non-résidants. Un chasseur, qui passe deux semaines par année dans la région, est propriétaire. Des propriétaires sont du Moyen-Orient, et certains d'entre eux ont acheté les terres sur Internet. Des courtiers ont obtenu des terres de mourants. Des propriétaires vivent sur leur terre, mais n'ont pas réussi à l'exploiter selon les méthodes de l'agriculture traditionnelle. Ils continuent d'espérer y faire croître une nouvelle culture.
Le sénateur Campbell : Je vous pose la question parce que le gros des actifs d'une compagnie se trouve dans le sol — les droits de coupe, les droits relatifs à l'eau, les droits relatifs à l'énergie. À Terre-Neuve, nous l'avons constaté dans le cas d'AbitibiBowater, lorsque le premier ministre a affirmé qu'il ne préserverait pas ces droits après le départ de cette société.
Ai-je raison de croire que lorsque la compagnie ferme l'usine, elle conserve les droits de coupe.
M. Provost : Oui, et on observe aujourd'hui un effet pernicieux. Les droits de coupe sont devenus des contingents. La valeur d'une usine se trouve dans le volume de ses droits de coupe. Au Québec, une loi adoptée il y a environ deux ans permet de limiter le maintien de ces droits à environ 18 mois après la fermeture de l'usine.
Tout cela se négocie en coulisse, entre les banquiers et les nouveaux acheteurs. Quand le marché est présenté, les entrepreneurs ont une chance; mais les localités, elles, n'ont pas la possibilité de faire une offre ou de proposer une autre utilisation du sol.
Le sénateur Campbell : En Colombie-Britannique, nous voyons de grandes sociétés forestières se transformer en sociétés immobilières. Elles rasent la forêt. L'ayant pillée, elles tentent ensuite de la lotir. Le sol devient bien immobilier, et la compagnie forestière une société immobilière.
Le dernier sujet que je veux aborder est celui des biocarburants et biocombustibles. Je ne sais pourquoi, j'avais l'impression que, pour les obtenir, il fallait choisir entre les aliments du bétail et la cellulose. Pourquoi est-ce que ça ne pourrait pas être les deux en même temps? Selon les adversaires de la culture du maïs à cette fin, nous devrions utiliser la cellulose des arbres. Ne pourrait-on pas utiliser les deux?
M. Provost : Cela dépend. Au Québec, par exemple, les meilleures terres agricoles sont dans la vallée du Saint- Laurent. Dans le Nord du Québec, une région peu propice aux cultures traditionnelles, c'est très différent. On peut utiliser le bois ou la paille de certaines céréales, comme celles que l'on est à sélectionner dans l'Ouest; ou avoir recours à un nouveau type de culture énergétique, qu'il s'agisse de peuplier hybride ou de saule en rotation courte. Ce sont de nouvelles pistes.
Dans le Sud du Québec ou de l'Ontario, on peut utiliser la paille des céréales, peu importe lesquelles, pour obtenir de l'éthanol cellulosique ou d'autres biocarburants. Une partie de la matière première se trouve là, mais les collectivités disposent de plus d'options pour ce qui concerne l'utilisation du sol après la coupe des arbres. Toutefois, dans les régions rurales plus au nord, ces options sont inexistantes.
M. Rutherford : L'industrie des granulats en est encore à ses premiers balbutiements et nous devenons plus conscients de ses possibilités. Il y a quelques jours, un agent de mise en valeur du Nord m'a parlé d'un granulat obtenu par combinaison avec du plastique résiduaire. Ce granulat très solide, résiste aux intempéries et peut donc être entreposé à l'extérieur.
Le sénateur Campbell : Qu'en est-il des émissions provenant du plastique?
M. Rutherford : Je lui ai posé aussi la question. Ce produit n'est pas destiné à l'exportation. Cependant, on pourrait peut-être l'utiliser dans l'une des centrales d'électricité de l'Ontario. C'est ce que je pense, mais vous avez également raison.
Pour augmenter le pouvoir calorifique, d'autres combinaisons sont possibles. Ce serait parfait pour nous débarrasser de nos déchets. Dans certains cas, on pourrait utiliser les déchets accumulés depuis 40 ans.
Le sénateur Campbell : Hydro Ontario fixe-t-elle le prix? Par exemple, puis-je vendre à qui je veux et au prix qui me convient l'électricité que je fabrique grâce à la combustion des ordures, ou dois-je la vendre via le réseau d'Hydro Ontario au prix qu'elle aura établi?
M. Rutherford : Si vous n'utilisez pas directement cette électricité, vous devez l'acheminer sur le réseau et Hydro Ontario fixera le prix qu'elle veut vous payer pour cette électricité.
Le sénateur Campbell : Je ne pourrais pas ériger une usine de traitement des déchets à côté de la vôtre et produire de l'électricité que vous utiliseriez directement dans votre usine, pour vos besoins, au prix que je vous fais.
M. Rutherford : Je pense que l'on considérerait qu'il s'agit d'un processus interne et qu'on laisserait tranquille une usine ou un groupe de deux qui voudraient fonctionner de la sorte.
Le président : On parlerait sans doute de cogénération.
Le sénateur Eaton : Est-il vrai que la production d'éthanol à partir de la cellulose n'exige pas autant d'eau qu'à partir de maïs?
M. Rutherford : Je ne connais pas la réponse à cette question. Je devrai la dénicher pour vous.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur LeBlanc, pouvez-vous cultiver les bleuets sauvages dont vous parlez dans le Nord de l'Ontario? Ils poussent sur la roche, dans la forêt et dans les sablières de Timmins. L'hiver, je ne peux jamais obtenir mes bleuets préférés. On me vend ces gros bleuets insipides du Chili, des bleuets cultivés.
M. LeBlanc : Des bleuets sont cultivés. La plante est arborescente. On peut aussi cultiver les variétés naines. Cette culture est répandue dans l'Est du Canada. C'est une technique mixte. De l'agroforesterie en fait. Une forme de domestication des bleuets sauvages sur une terre agricole. Nous nous y essayons. Nous tentons d'acclimater des bleuets sur 10 acres de plantation forestière. Actuellement, 30 acres sont en production en Ontario. Nos 10 acres constituent donc une adjonction importante. La culture est un long processus. On estime qu'il faut environ cinq ans entre l'implantation et la production.
Le sénateur Mahovlich : Est-ce seulement pour la croissance?
M. LeBlanc : C'est la croissance. L'implantation de plantes ligneuses prend du temps. La récolte ne peut pas se faire la même année que la plantation. Cinq ans sont nécessaires avant que ne commence la production. C'est pourquoi nous cherchons des terres publiques.
Le sénateur Mahovlich : Y a-t-il moyen d'accélérer le processus? Il ne me reste plus beaucoup de temps.
M. LeBlanc : Nous y travaillons. Nous essayons plusieurs méthodes.
Le sénateur Mahovlich : Madame Bolduc, votre modèle de communauté m'a intéressé. Il y a une trentaine d'années, j'ai passé deux semaines dans le Nord de la Suède, près du cercle polaire arctique, dans une localité qui vivait des pâtes et papiers et qui possédait un club privé. Si nous voulions en profiter, pour 1 $ nous obtenions une serviette et pouvions utiliser le sauna, les courts de tennis et la piscine. C'était comme le Granite Club de Toronto. Il y avait une patinoire pour jouer au hockey. Il y avait un lac où on pouvait pêcher. C'était libre-service. Est-ce de ce type de communauté dont il est question?
[Français]
Mme Bolduc : Je viens de Baie-Comeau, et la ville a été développée un peu sur le modèle de la communauté en Suède dont vous parlez. Cela date du début du XXe siècle où une entreprise s'installait sur un territoire donné, développait l'ensemble des services disponibles pour les citoyens et les rendait accessibles pour l'ensemble des citoyens qui travaillait dans les usines ou en forêt. Ce modèle était performant à l'époque. C'était un modèle intéressant de communauté, en cercle fermé un peu. Baie-Comeau avait et a toujours sa propre centrale énergétique. La difficulté est venue des modèles financiers et industriels.
À partir du moment où on consolide, on rachète, on fusionne les entreprises, l'esprit de communauté, qui avait lancé la municipalité de Baie-Comeau, a été perdu. Alors, on est parti d'un modèle qui pouvait être intéressant. On a évolué dans ce modèle et on a perdu les apports de communauté amenés par l'usine. Lorsqu'on regarde l'évolution, c'est à partir du moment où on a oublié qu'il y avait une communauté à proximité de cette usine qu'on a perdu le lien avec la communauté et qu'on a vraiment corrompue le système.
Si vous me posez la question, à savoir si ce modèle est approprié, je reprendrais ce qu'a dit M. Leblanc : la ressource forestière, la ressource « bois » et les autres ressources n'appartiennent pas à un propriétaire, mais à l'ensemble de la communauté. Et c'est dans cet esprit qu'on doit envisager les prochains modèles d'industrie forestière. Si l'ensemble de la communauté veut faire confiance à une seule entreprise et que l'entreprise réinvestit dans la communauté, cela peut être gagnant pour tout le monde.
Mais on doit se rappeler que c'est l'ensemble de la ressource forestière qui appartient à la communauté et pas à une usine ou à un propriétaire unique. Je pense qu'en ce sens, le modèle n'est pas à rejeter, mais on doit se souvenir que la ressource doit rester la propriété de l'ensemble de la communauté. Quand Solidarité rurale du Québec en appelle à une politique globale de la ruralité, c'est à ce genre d'orientation qu'on fait référence. On donne vraiment le message que les ressources ne sont pas des ressources qu'on va donner ou attribuer à un promoteur qui en retire tous les bénéfices, qui part avec les surplus, qui va les investir dans les paradis fiscaux, mais que les retombées restent dans les communautés, au profit des communautés et des territoires.
Le sénateur Rivard : Alors, on constate qu'on a des gens qui viennent nous présenter des propos très intéressants. Cela m'amène à des questions qui n'ont pas été soulevées dans les mémoires.
On sait que présentement, le premier ministre du Canada est à négocier un projet de libre-échange avec la communauté européenne. Croyez-vous que cela pourrait être avantageux pour votre industrie?
M. Provost : L'accès à de nombreux marchés avec moins de contraintes est toujours très intéressant. On parle de projets basés dans les communautés, mais il y a des entrepreneurs, comme Mme Bolduc le disait, la communauté peut contrôler l'accès à la ressource. Mais l'entreprise doit la commercialiser. Ces entreprises doivent s'inscrire dans les échanges internationaux, pour ceux qui fabriquent des produits qui se vendent ailleurs.
Dans notre cas, la production de granule de chauffage, un des grands marchés où il y a beaucoup de demandes, c'est l'Europe. Donc faciliter l'accès à ces marchés sera bon pour nous.
Le sénateur Rivard : Existe-t-il présentement des statistiques qui nous démontrent la valeur des exportations aux États-Unis et en Europe? Par exemple, la clientèle américaine représente-t-elle 90 p. 100 de votre marché d'exportation?
M. Provost : On est plutôt en phase de démarrage et on n'a pas ces informations, mais les marchés, par exemple, concernant la granule de chauffage, l'Europe est beaucoup plus avancée que le continent nord-américain, notamment en raison du bas prix de l'électricité au Canada et dans le Nord-Est des États-Unis malgré tout. Il y a donc plus de demandes de ce côté.
Le sénateur Rivard : Vous avez dans votre mémoire présenté l'exemple des plantations énergétiques. Vous dites qu'en Europe, elles sont subventionnées et vous aimeriez que le gouvernement canadien participe via une fiducie où vous auriez pratiquement les mêmes avantages. Avez-vous calculé ce que cela coûterait au gouvernement canadien pour équivaloir le programme européen?
M. Provost : En Europe, c'est une équivalence. Les pays qui ont un programme bien établi donnent 2 000 $ l'hectare pour le démarrage. Sur des plantations à courte rotation, surtout si elles sont implantées sur des friches délaissées depuis 10 ou 20 ans, on parle de 5 000 $ sur le premier cinq ans. Il y a une période de retour sur l'investissement initial de dix ans et la plantation est bonne sur 25 ans. Le 2 000 $ permet de couvrir la partie du risque et le reste peut se financer de manière un peu plus conventionnelle avec des prêts ou des emprunts à des taux de type hypothécaires.
Le sénateur Rivard : J'aurais une question pour Mme Bolduc, pour faire mon éducation forestière. On parle de gaspillage en forêt, pouvez-vous nous expliquer comment on peut gaspiller une forêt?
Mme Bolduc : Rappelons-nous le propos de Solidarité rurale du Québec : le bois qu'on retire de la forêt n'est qu'une des centaines de richesses qu'on y retrouve. Monsieur Leblanc faisait référence aux petits fruits. Dans la forêt, il y a une multitude de produits comestibles, de produits qui peuvent servir au secteur pharmaceutique. De la façon dont on exploite la forêt actuellement, c'est généralement une exploitation de masse. On arrive avec de l'imposante machinerie. On retire le bois intéressant et on laisse sur place le bois qui ne l'est pas, c'est déjà en soi une perte. Et on saccage, c'est le mot à utiliser, des territoires qui pourraient être porteurs encore de denrées alimentaires ou autres ressources.
Une anecdote m'a été racontée par des gens qui font de l'aménagement forestier. J'habite en Abitibi- Témiscamingue.
La forêt est une industrie omniprésente. Les gens qui ont abattu la forêt au début du siècle dernier, dans les années 1930 ou 1940, quand la région a été ouverte, prenaient le bois et ils n'avaient pas de machineries. Ils ont pris les parties de bois qu'ils étaient en mesure de sortir. Ils ont laissé tous les troncs et la première partie. Lorsqu'ils sont arrivés avec la machinerie dans ces forêts, la machinerie brisait souvent, car les troncs étaient trop gros et empêchaient la machinerie d'avancer. Ce qui a fait en sorte qu'ils ont dû rechercher d'autres moyens pour trouver le bois intéressant. Ils ont découvert des ressources insoupçonnées : des produits pour faire des tisanes, des ressources bleuetières et framboisières, des plantes médicinales. Le fait d'avoir été incapable d'entrer avec de la grosse machinerie a permis de sauver une partie des ressources naturelles.
Si vous regardez ce qui s'est passé dans la force boréale, cela a été amplement dénoncé par d'autres que nous, c'est quasiment désertique maintenant. C'est catastrophique, car même réimplanter de la forêt devient difficile. C'est un fait, les façons d'exploiter la forêt sont catastrophiques. Il y a d'autres ressources que le bois dans la forêt et on devrait y faire attention. Il y a les ressources halieutiques et la chasse. On oublie que la forêt est un milieu environnemental très complexe. Il faut y penser.
Le sénateur Rivard : Je comprends mieux la notion de gaspillage, c'est l'exploitation qui ne se fait pas comme pour les bleuetières et aussi l'abattage sauvage ou sélectif.
Lorsqu'on pense à la transformation de la forêt, on parle souvent de « 2 par 4 ». Vous l'avez souligné abondamment. Vous pourriez faire une liste exhaustive d'autres exemples de transformation. Quels sont les produits d'exportation autres que le « 2 par 4 »?
Mme Bolduc : Il y a des produits de haute technologie et M. Provost peut en parler abondamment. Il y a des poutres, du bois laminé; Chantier Chibougamau fait un produit de construction de haute technologie. C'est de la deuxième et troisième transformation très intéressante.
M. Provost : J'étais à la compagnie Goodfellow à La Prairie l'année dernière, et ils y fabriquaient des pylônes de téléphone de 150 pieds de haut avec un bois lamellé et collé. C'était très gros à la base. Il y a des États américains qui exigent maintenant des pylônes d'électricité faits en bois. Donc ils les achètent au Canada. Nous ne le faisons pas ici. Toutes les formes de « lamellage », de collage et de « jointage » permettent de faire des bois de structure utilisés par les industries, les commerces et les institutions.
Il n'y a pas de politique au Canada et au Québec actuellement d'obligation d'inclure le bois dans les structures des bâtiments publics. Il y en a en Europe. Cela fait de très beaux bâtiments. Cela part avec des deux par quatre, mais ils sont ensuite valorisés, regroupés pour faire des produits esthétiques et solides.
Le sénateur Rivard : On sait qu'il y a un projet d'un nouveau complexe sportif à Québec, un nouveau Colisée. Guy Chevrette amenait l'idée que ce soit fait en bois. Vous n'êtes sûrement pas contre l'idée.
M. Provost : Non.
[Traduction]
Le sénateur Cordy : Vous avez été d'excellents témoins et vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion pour la réunion de notre documentation et la rédaction de notre rapport.
Vous nous avez tous mentionné que l'industrie devait changer. Madame Bolduc, vous avez dit que le monde d'hier n'existait plus dans l'industrie forestière.
Messieurs LeBlanc et Rutherford, vous avez parlé de sensibiliser le public à l'avenir du secteur forestier. Nous savons que l'industrie forestière canadienne a changé de façon spectaculaire. Nous dépendions énormément du marché états-unien, et la baisse des mises en chantier aux États-Unis a eu un effet marqué sur l'industrie forestière. Quelqu'un, aujourd'hui, a fait allusion au nombre de produits du bois que nous importons de Chine, notamment. Beaucoup de meubles que nous achetons sont fabriqués en Chine. La semaine dernière, un témoin nous a parlé des armoires de cuisine. Beaucoup de ces armoires sont fabriquées en Chine. Cette situation touche notre industrie du bois ici au Canada, également.
Lorsque vous parlez de sensibiliser le public à l'avenir du secteur forestier, de quoi parlez-vous exactement? Parlez- vous d'« acheter canadien »? Parlez-vous d'utilisations non traditionnelles du bois? De quoi exactement parlez-vous?
Je pense aux domaines où le gouvernement fédéral, en particulier, a un rôle à jouer. Un programme d'achat au Canada en serait un.
M. LeBlanc : Une politique d'achat au pays serait une des actions possibles. Dans sa vision de l'avenir de l'industrie, le Conseil canadien des ministres des forêts a dressé une liste des produits qui caractériseraient une industrie transformée. Je vous encourage à prendre connaissance de cette liste.
En faisant croire au public que la foresterie n'est pas destructrice pour la terre, la promotion de ces produits et de leurs fabricants a un effet destructeur — bien que, sous certains rapports, cette opinion soit légitime.
Toutefois, le gouvernement fédéral peut jouer plusieurs rôles, par exemple, offrir des bourses aux étudiants et aux diplômés pour leur permettre de mettre ces produits au point et d'étudier de nouvelles pratiques d'aménagement; il peut également financer la R-D de ces produits, pour que nous puissions transformer les industries.
M. Rutherford : Je veux vous faire part de mes réflexions sur ce point particulier.
Des personnes avec lesquelles notre municipalité a été en relation et qui s'intéressent à l'avenir estiment que, en Russie et, peut-être, en Chine, la forêt a été exploitée à outrance. Nous pourrions assister à une diminution de la production de ces pays. Je crois que des compressions ont lieu à l'étranger. Je ne sais pas si ces arrivages de meubles moins chers continueront, parce que les coûts du transport augmentent.
Notre industrie a été incroyable dans tout le Canada et dans différentes régions où on fabriquait des meubles de bonne qualité. C'est encore le cas des groupes mennonites, par exemple, dont les produits restent excellents. Peut-être votre comité devrait-il examiner cet aspect; c'est-à-dire essayer de revigorer ou de réanimer ce secteur de taille modeste qui a déjà offert d'excellentes possibilités à l'échelon des collectivités.
Je vais vous citer l'exemple d'un organisme ontarien appelé Wood Works, à l'extérieur de North Bay. Il a fait la promotion, dans un certain nombre de nos conférences et séminaires municipaux, de l'utilisation architecturale du bois. Souvent, pour la construction d'un édifice municipal, la firme d'architectes à qui on s'adresse conçoit un édifice tout en angles plats, utilisant les matériaux les plus nouveaux, y compris les montants métalliques et les blocs de béton. À cela, nous répondons : « Ajoutons-y du bois». De merveilleux exemples surgissent, dont le Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay.
Sénateur Rivard, j'ai regardé une émission de télévision sur un nouveau stade de soccer en construction à Montréal. Il aura des fermes en bois. Cela m'a séduit. Les autorités, qu'elles soient fédérales, provinciales ou municipales, pourraient demander que l'on intègre du bois dans ce genre de projet parce que cela serait avantageux. Je pense aux compétences que l'on permettrait aux jeunes ébénistes d'acquérir. Les autorités devraient toutes essayer de mettre cette idée de l'avant.
Nous parlions d'ouvrir la forêt, par exemple, aux entrepreneurs qui veulent mettre quelque chose sur pied, que ce soit pour la construction de cabanes de bois rond ou l'utilisation du bois de thuya. En Ontario, nous avons commencé à favoriser l'implantation de laboratoires coopératifs de sciences forestières. La forêt d'une région peut ainsi être gérée par un groupe qui en extrait des produits.
Je crois qu'il y a au Timiskaming une coopérative dont le siège se trouve à Englehart et qui fonctionne assez bien. Nous en avons une dans notre forêt, mais sa survie est assujettie au financement fourni par un gros exploitant.
C'est la direction que nous avons prise. Nous n'avons pas encore atteint notre but, mais nous voulons que ceux qui ont d'autres idées puissent obtenir la fibre ligneuse dont ils ont besoin pour réaliser leurs plans.
[Français]
M. Ferdous : Il y a une nuance importante : acheter Canadien et développer ce réflexe de recourir aux produits du bois d'ici. Ce sera certainement une partie de la solution. Mais cela ne passera pas uniquement par la promotion et par l'incitation des Canadiens à acheter. Il y a une crise de confiance envers le modèle forestier. Il faut donc penser que cela doit passer au-delà des messages incitatifs. Il faut que les citoyens se sentent parties prenantes de ce changement. Aujourd'hui, la façon dont on pense le changement, c'est dire qu'on a un modèle et qu'on ne veut pas changer les marchés ou les produits, qu'on va juste grossir les unités et réussir à concurrencer les autres. Cela ne fonctionne pas. Il faut penser à un autre modèle à l'intérieur duquel les communautés sont parties prenantes de la solution et, à ce moment-là, on aura une culture forestière. Il faut réapproprier la forêt. Les citoyens n'ont pas accès à la forêt, car elle est réservée aux bénéficiaires économiques de la forêt. Donc, développer une culture forestière, c'est voir le territoire forestier de façon différente pour les communautés qui y ont accès. Le réflexe deviendra naturel. Les citoyens au conseil municipal diront : on va construire l'école, mais avec du bois et en plus on va la chauffer avec l'énergie de la biomasse régionale. C'est l'investissement le plus rentable socialement de la réforme du secteur forestier. Il faut mettre les communautés parties prenantes dans l'équation et non simplement des consommateurs qu'il faut convaincre par des messages publicitaires.
[Traduction]
Le sénateur Cordy : C'est une excellente remarque, parce que, compte tenu du coût de certaines importations, il s'agit malheureusement d'une option assez tentante, particulièrement dans les conditions économiques actuelles.
J'étais à Vancouver, il y a quelques semaines, et le sénateur Campbell a amené certains d'entre nous voir le nouvel anneau olympique, qui est fait de bois. C'est spectaculaire. Un édifice de cette taille serait normalement construit de béton et d'acier. C'est incroyable la chaleur qui se dégageait du bois.
Le sénateur Campbell : Du bois de dendroctone, pourrais-je ajouter?
Le sénateur Cordy : C'est exact; du bois tué par le dendroctone du pin. Quelle magnifique construction. Un modèle de ce que l'on peut faire avec du bois.
Madame Bolduc, en parlant de ce que le gouvernement fédéral peut faire, vous avez fait allusion à une politique rurale globale. Pouvez-vous en dire davantage sur cette politique? Vous avez préconisé la collaboration entre les ministères plutôt que leur travail isolé, au bénéfice des régions rurales. Pouvez-vous nous en dire plus long?
[Français]
Mme Bolduc : En fait, au Québec, il existe une politique nationale de la ruralité. On en est à la deuxième version. Cela a comme impact de donner une vision globale du développement des communautés rurales et cela s'imprègne dans chacun des ministères concernés. Cela donne un message. La politique donne aussi des moyens aux communautés locales, aux territoires pour développer de façon particulière des aspects que les communautés et les territoires, les gens qui les habitent ont vu comme étant une valeur sûre dans leur milieu ou un besoin particulier.
Lorsqu'on interpelle le gouvernement fédéral à énoncer une politique globale de la ruralité, ce qu'on souhaite voir émerger, c'est cette vision globale de ce que sont les territoires ruraux du Canada, une vision qui traitera dans l'ensemble de la nécessité d'habiter les territoires, d'avoir des territoires vivants, des communautés actives, pas des gens en attente de partir de ces communautés, mais des gens qui sont réellement des citoyens à part entière.
Cette politique va influencer également tout ce qui concerne les services. Le gouvernement fédéral est promoteur de plusieurs des services qui rejoignent tous les Canadiens, par exemple les postes, Transports Canada, la météo dans les aéroports régionaux et locaux, le CRTC et des orientations énergétiques. On a besoin d'avoir cette vision globale. Et cela fait absolument défaut actuellement. On le voit à travers les politiques agricoles, même celles qui ont tout de même une pensée en matière de ruralité ne rejoignent pas les communautés. On le voit à travers les décisions du CRTC. On le voit dans un ensemble de mesures.
Alors, une politique globale de la ruralité permettrait d'élever les décisions à un niveau de vision d'ensemble et de prendre des décisions au bénéfice de l'ensemble des communautés. Cela permettrait de mieux comprendre les besoins précis ou de modulation de certaines actions du gouvernement parce qu'on comprendrait mieux que l'ensemble du territoire n'est pas homogène, mais qu'il y a des différences et des particularités propres à chacun des territoires.
M. Ferdous : C'est au cœur de toutes les demandes de Solidarité rurale, car peu importe le point de départ de la réflexion, on arrive toujours à cette nécessité. Si on prend la ruralité simplement par la somme des secteurs et dire que c'est la forêt ou l'agriculture, on ne touche au Québec qu'à 12 p. 100 de la population. Il reste 88 p. 100 qui vivent d'autres choses dans le monde rural. C'est pour cela que c'est important de penser de façon territoriale et non pas secteur par secteur.
Un exemple très concret de cela, en juin 2006 ou 2007, il me semble que le gouvernement a procédé à la déréglementation des télécommunications en enlevant les plafonds sur les tarifs de télécommunication. C'est une très bonne chose pour les villes, pour les communautés urbaines, car il y a une concurrence, il y a plusieurs opérateurs.
Mais dans le monde rural, il n'y a pas de concurrence et qu'un seul joueur, cela crée deux catégories de citoyens. Cela amène les gouvernements à se forcer lorsqu'il y a des politiques de voir l'impact pour le monde rural, car les solutions qui s'adaptent pour les Canadiens qui vivent dans les villes ne sont pas forcément les meilleures pour les Canadiens qui vivent en communauté rurale. Le principe de base est une équité et une accessibilité aux services gouvernementaux.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn : À la lumière de ce que j'ai pu entendre de nos participants d'aujourd'hui, je souhaiterais qu'ils fassent tous partie de notre comité. On retrouve dans leurs témoignages le même genre de raisonnements que nous utilisons pour étudier ces questions en comité. Vos propos étaient pertinents. J'aimerais vous garder avec nous, parce que c'est exactement ce que nous voulons faire.
Plutôt que de poser une question, je veux vous remercier tous. Vous nous avez fourni le genre de renseignements qu'on ne trouve pas dans les livres ni ailleurs. Ce que vous nous avez dit, au nom des différentes régions du Canada, c'est exactement ce que nous avons besoin d'entendre pour essayer, autant que nous le pouvons et que vous le souhaitez, d'amener le gouvernement du Canada à vous écouter et à appuyer ce que vous faites dans cet important secteur de notre économie nationale.
Au cours des deux dernières années, nous avons travaillé sur la question de la pauvreté rurale. Partout où nous sommes allés au pays, au Québec, en Ontario et dans l'Ouest — ma province d'origine étant l'Alberta, où nous sommes aux prises avec le dendroctone du pin —, nous avons entendu une grande partie de ce qu'un gouvernement national a besoin de savoir. Vous nous dites à quel point cette situation touche vos collectivités. Nous entendons trop souvent parler de l'industrie forestière comme si c'était une bataille entre deux pays ou quelque chose du genre. Il est bon que nous sachions et que nous puissions, par l'entremise du comité, dire au Parlement du Canada, et aux parlementaires, que le travail que vous faites dans votre région change des vies partout au pays. Nous, à Ottawa, avons besoin de connaître ce que vous nous avez dit aujourd'hui sur ce qui est indispensable à la base.
Je sais que notre président est d'accord pour vous inviter à nous faire part des autres réflexions qui pourraient vous venir après votre départ. Nous espérons que notre rapport, quand il sera terminé, reflétera les propositions que vous avez faites, dans l'espoir qu'on y donnera suite. Nous avons une bonne idée des difficultés que vous éprouvez et de l'énergie que vous dépensez pour essayer de les résoudre. Nous essaierons de vous aider.
La matinée a été très fructueuse et je vous remercie de votre présence ainsi que de l'honnêteté et la sincérité avec lesquelles vous nous avez dit ce que nous avions besoin de savoir.
[Français]
Je remercie les témoins de leur présence ce matin. Je n'ai aucun doute que vous allez suivre les délibérations futures de notre comité, et si vous voulez ajouter quelque chose, n'hésitez pas.
[Traduction]
Je sais que vous suivrez notre travail de préparation du rapport provisoire et du rapport final. Si vous estimez utile de nous informer davantage, s'il vous plaît, n'hésitez pas. Au nom du comité, merci beaucoup.
Notre prochaine réunion, honorables sénateurs, aura lieu le 26 mai.
(La séance est levée.)