Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 8 - Témoignages du 29 septembre 2009
OTTAWA, le mardi 29 septembre 2009
Le Comité sénatorial permanent sur l'agriculture et les forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 6 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada et pour examiner une ébauche de budget.
Le sénateur Joyce Fairbairn (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Honorables sénateurs, notre président, le sénateur Mockler, est de retour au Nouveau- Brunswick pour y mener de bonnes actions. Je sais qu'il aimerait être ici et qu'il serait heureux de savoir que la salle est pleine, et c'est ce qui importe.
Le comité poursuit son étude de l'état actuel et des perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Avant d'entendre les témoins, nous allons prendre quelques minutes pour examiner le budget que nous avons devant nous.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
La vice-présidente : Je vous remercie de votre présence. Nous sommes ravis de vous avoir comme témoins ce soir.
Monsieur Binot, nous allons commencer par vous et procéder ensuite selon l'ordre établi. Nous sommes heureux de vous avoir avec nous aujourd'hui. Je sais que notre président vous remercierait.
Jean-Marie Binot, professeur titulaire, Faculté de la foresterie, Université de Moncton, à titre personnel : Je suis ravi d'être ici aujourd'hui.
[Français]
Je suis doyen de la faculté de foresterie de l'Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, professeur universitaire depuis 1985, ingénieur forestier en 1975, spécialisé en sylviculture et je bénéficie d'expériences à la fois européenne et canadienne. Mon objectif est de présenter les principales problématiques de la forêt feuillue. Le témoignage que je fais aujourd'hui se situera en amont de la filière « bois ».
Ce que l'on appelle la filière « bois », c'est tout le processus qui part de l'arbre qui est produit en forêt, qui passe par une première transformation, c'est-à-dire la pâte par exemple, une deuxième transformation, qui pourrait être du bois de sciage, et une troisième qui pourrait être du meuble. On constate que durant l'évolution de la filière « bois », nous avons des valeurs de produits qui sont croissantes.
Ma présentation concerne cette partie, c'est-à-dire tous les éléments qui se trouvent dans le milieu forestier. Et l'objectif de ma présentation sera de mettre l'importance sur la nécessité de produire des arbres de qualité, ce qui va permettre de progresser dans la filière « bois » qui est mentionnée ici à droite.
Je vais très brièvement présenter les constats importants de l'industrie forestière. Je ne présenterai pas le détail, je dirai simplement que je me suis inspiré des observations faites par différents organismes tels que l'Association des fabricants de meubles au Québec, Industrie Canada, FPInnovations, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, Forintek Canada, un comité de travail qui s'est développé dans le nord du Nouveau-Brunswick Madawaska- Restigouche, le rapport Roche, développé pour le Nouveau-Brunswick, ainsi que des commentaires de la compagnie Shermag.
Je résume ici très brièvement les principales observations de l'industrie forestière. L'ensemble des compagnies reconnaît qu'il y a actuellement une pénurie de bois feuillu de qualité. J'insiste sur le mot « qualité ». Il n'y a pas une pénurie de bois feuillu; il y a une pénurie de bois de qualité et c'est cette qualité qui déterminera la possibilité d'aller dans les premières, deuxièmes et troisièmes transformations.
L'industrie forestière reconnaît également que nous ne disposons pas aujourd'hui d'inventaire qualitatif. Nous connaissons les volumes de bois disponible, par exemple les volumes de bois de bouleau jaune ou d'érable à sucre, mais nous ne connaissons pas les différentes qualités qui existent, aujourd'hui, en milieu forestier.
Une autre observation de l'industrie forestière concerne la sylviculture des feuillus. Cette sylviculture est très complexe et extrêmement peu connue. Il y a peu de temps que l'on fait la sylviculture des feuillus au Canada.
Les deux derniers constats que j'ai relevés au niveau de l'industrie forestière concernent un manque prononcé de connaissances dans les traitements sylvicoles.
Comme je l'ai mentionné, l'intérêt pour les feuillus est nouveau et, jusqu'à présent, l'on a très peu développé de connaissances sur les différents traitements qui doivent être appliqués en forêt pour obtenir la qualité dont j'ai parlé précédemment.
Enfin, les entreprises forestières observent qu'il existe une très grande incertitude concernant la poursuite de leurs activités économiques pour la raison que les approvisionnements en bois de qualité ne sont absolument pas garantis.
Je suis sylviculteur et je me suis permis de mettre quelques photos illustrant la filière bois dans sa première phase, celle qui se trouve dans la forêt. Au début, nous avons des semis, qui deviennent de jeunes arbres, qui deviennent matures. Il est extrêmement important que le forestier éduque ces arbres depuis le jeune âge. Nous parlons ici d'un horizon de 80 à 200 ans. Il est important que le forestier, en forêt, applique des traitements permettant de récolter des arbres qui ont un niveau de qualité élevé, ce dont l'industrie forestière a besoin. C'est lorsque nous aurons ces arbres de qualité que l'on pourra diversifier la filière bois. Je fais ici référence aux pâtes et papiers, les structures de maison et éventuellement le meuble.
Lorsqu'on parle de qualité, un arbre n'égale pas un autre arbre. On peut obtenir des arbres de qualité comme ce qui est présenté ici, à gauche. Cet arbre a un tronc rectiligne avec peu de branches, il est d'un niveau de qualité élevé. On rencontre en forêt des arbres comme celui de droite ayant un tronc souvent tordu, pas rectiligne et des arbres ayant des branches basses, ce que ne souhaite absolument pas l'industrie forestière pour aller vers des produits de qualité, je le répète.
Donc, si nous reprenons notre schéma de la filière bois, nous constatons que si la première phase n'est pas garantie, si on ne peut pas, en sortant de la forêt, sortir du bois de qualité, tout le reste de la chaîne est compromis. Les premières transformations seront possibles, mais pas les secondes ni les troisièmes. Ces étapes sont génératrices des revenus les plus importants, ce qu'on appelle la plus-value.
Concernant les besoins identifiés par les entreprises forestières, j'ai repris les cinq plus importants. Le premier, c'est d'avoir une meilleure connaissance de la qualité de la ressource feuillue. Je répète une fois de plus que nous connaissons les volumes de bois dans les différentes provinces canadiennes, le volume de bouleau jaune, le volume d'érable à sucre, le volume de frêne, et cetera. Mais aujourd'hui, nous n'avons pas développé de méthodologie qui permette de connaître la qualité du bouleau jaune. Il existe différents niveaux de qualité, mais on n'a aucune connaissance de la qualité des bouleaux jaunes produits ou disponibles en forêt.
Un autre élément important — et je l'ai mentionné : la sylviculture des feuillus est très jeune. Les premiers travaux de jardinage au Québec ont été entrepris il y a seulement 25 ans. C'est extrêmement jeune. Et nous avons aujourd'hui des informations très fragmentaires devant être regroupées pour que les utilisateurs des ressources sachent comment gérer adéquatement la forêt.
Le troisième point, un élément extrêmement important, et un besoin identifié par l'entreprise forestière, c'est la mise en place de programmes de recherche afin de générer les connaissances manquantes. Je me permets de prendre quelques exemples. L'industrie forestière nous demande de livrer du bois de qualité. Aujourd'hui, au moment où nous nous parlons, très, très peu de connaissances existent concernant les mécanismes de régénération des feuillus nordiques. On s'est souvent contenté de couper ce qui existe en forêt sans avoir la préoccupation d'assurer la continuité, le maintien de ces espèces et du niveau qualitatif.
Un autre élément : on connaît très peu les coupes de régénération adaptées aux feuillus. Vous connaissez les méthodes de coupe à blanc appliquées dans le cas des conifères, méthode d'ailleurs très contestée dans certains contextes écologiques. Au niveau des feuillus, c'est pratiquement le néant. On en est aux premières phases et très peu de recherches ont été faites à ce niveau.
Enfin, un élément important, c'est ce qu'on appelle les traitements d'éducation, c'est-à-dire que lorsque la régénération d'un peuplement est assurée, cela ne suffit pas, il faut que le forestier, de façon périodique, tous les dix ou 15 ans, rentre en forêt et applique des traitements qu'on appelle : « éclaircie », « élagage » et « taille de formation ». C'est un élément important qui, aujourd'hui, est manifestement le maillon faible de la chaîne.
Nous avons également un besoin identifié par les entreprises forestières de vulgarisation des informations. Il faut que les informations développées par les centres de recherche universitaires ou autres retournent aux utilisateurs de manière facilement accessible pour eux.
Les recommandations sont les suivantes : il est important de soutenir l'industrie forestière canadienne. L'industrie se trouve présentement dans une position de faiblesse parce qu'elle doit faire des choix importants pour lesquels il lui manque les éléments requis pour ce faire : des choix de traitement et d'investissement.
Il est important également de mettre à profit les forces et structures existantes. Nous avons dans différentes provinces canadiennes, différentes institutions universitaires et centres de recherche, et cetera. Il est essentiel que toutes ces forces soient regroupées et travaillent dans la même direction.
Les entreprises forestières du Nouveau-Brunswick ont fortement soutenu la création d'un centre des feuillus nordiques régional qui servirait le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse. Ce sont des régions qui sont éminemment forestière. Le Nouveau-Brunswick est une province qui est à 80 p. 100 boisée de forêt productive. Il est important de travailler en réseau, d'assurer un regroupement des forces et des compétences.
Et depuis que nous, aux niveaux universitaire et provincial, nous songeons à un centre des feuillus, nous sommes en discussion avec des représentants de FPInnovations et nous croyons qu'il est important de travailler en étroite collaboration entre le centre des feuillus nordiques et FPInnovations. Nous avons des approches, des ressources, des sites écologiques qui sont tout à fait complémentaires et je crois qu'il serait extrêmement intéressant de travailler ensemble.
Du travail a déjà été fait au Nouveau-Brunswick. Je citerai ici notamment le rapport Roche relatif à la situation forestière au Nouveau-Brunswick et qui plaide, qui encourage fortement et qui recommande la mise sur pied d'un centre sur les feuillus nordiques. Les feuillus nordiques, c'est le bouleau jaune, c'est l'érable à sucre, c'est l'érable rouge pour les principales espèces.
Nous avons, au Nouveau-Brunswick, le comité des gestions durables des lots boisés privés du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Ce comité a été mis sur pied il y a environ deux, trois ans et bénéficie de l'appui du ministre des Ressources naturelles du Nouveau-Brunswick pour créer quelque chose de spécial. C'est un forum où nous retrouvons autour de la table l'entreprise forestière, le gouvernement, le monde de la recherche ainsi que les utilisateurs et propriétaires de lots boisés privés.
Nous avons, dans le nord du Nouveau-Brunswick, une région profondément marquée par la fermeture d'entreprises forestières qui a mis sur pied le comité de travail pour la gestion intégrée des forêts publiques du Madawasca- Restigouche et qui a développé une vision qui s'appelle « Vers une gestion écologique et économique des forêts publiques. »
Et enfin, l'Université de Moncton a développé, avec le concours de l'industrie forestière et d'autres centres, un projet de centre de recherches sur les feuillus nordiques de l'est du Canada. Nous avons déjà un plan d'affaires qui est disponible et qui a été fait il y a un an et demi.
J'ai ici avec moi des rapports qui donnent un peu plus de détails que ce que je vous ai présenté aujourd'hui. J'ai un certain nombre de rapports qui sont en anglais et un certain nombre qui sont en français. Lorsque j'aurai terminé ma présentation, je vous donnerai une copie à chacun et à chacune d'entre vous. Ce sont les références, les éléments dont je me suis servi pour alimenter notamment ma présentation aujourd'hui. Je vous remercie beaucoup. Si vous avez des questions, il me fera plaisir d'y répondre.
[Traduction]
Pierre Lapointe, président et chef de la direction, FPInnovations : Lorsque nous avons reçu votre invitation, nous avons dû faire face à un défi important. Pour vous convaincre des perspectives d'avenir de la bioéconomie au Canada, notre exposé aurait duré au moins une heure. Vous avez une copie papier de l'exposé, mais nous avons plutôt décidé de vous transmettre trois messages. D'abord, l'ère de la bioéconomie commence. Ce sera l'avenir du Canada. Nous parlons maintenant d'or vert. Il s'agit des produits forestiers du Canada.
J'ai décidé d'inviter deux de mes champions de l'évolution que nous allons voir. Ils vont vous présenter de nouveaux produits et de nouvelles façons de faire et vous parler des raisons pour lesquelles nous pensons qu'il s'agit de l'avenir de la foresterie.
Votre trousse comporte beaucoup d'informations et de photos, et je vous demanderais de les regarder, parce qu'une image vaut mille mots. Dans ce cas, il s'agit réellement d'autre chose.
FPInnovations est l'un des plus importants organismes de R-D en matière de produits forestiers au monde. Six cent cinquante personnes travaillent à Vancouver, à Ottawa, à Montréal, à Québec et partout ailleurs au Canada. Il s'agit d'un organisme appuyé par des partenaires fédéraux et provinciaux et par l'industrie. J'y reviendrai plus tard.
M. Berry va nous parler de l'un des nouveaux produits et d'une évolution.
Richard Berry, directeur de programme, Mise en pâte chimique, FPInnovations : M. Lapointe a dit que nous allions traiter d'or vert. Si vous pensez à ce qui s'est passé au cours du dernier siècle environ, nous avons diverses façons de produire l'or vert. Au XIXe siècle, nous broyions simplement le bois pour en faire du papier. Au XXe siècle, nous avons séparé les composantes et avons produit tous les matériaux que vous avez devant vous : des lanternes en papier, des emballages utilisés quotidiennement ainsi que des mouchoirs et des essuie-tout qui sont essentiels à la vie.
Qu'arrive-t-il au XXIe siècle? Nous allons réorganiser les composantes à notre disposition. Il ne suffira pas d'examiner le papier et l'emballage. Nous allons nous tourner vers les carburants renouvelables, les produits chimiques et les plastiques, et ces produits changeront notre matrice de départ. Plutôt que d'être à base de pétrole, ces produits seront fabriqués à base de bois.
Il y a aussi le nanomatériau contenu dans le bois. Je veux vous donner un peu plus d'information sur ce matériau unique et sur ses propriétés uniques. La nanotechnologie utilise des matériaux à l'échelle nanométrique. Comme je l'ai dit, nous avons quelque chose dans le bois à cette échelle que nous pouvons extraire.
Juste pour vous donner une idée de ce que cela signifie, une fourmi a environ un millimètre de longueur. Les bactéries, mille fois plus petites, mesurent un micron, et une molécule de glucose mesure un nanomètre. Ce que vous mettez dans votre thé et votre café et que vous mélangez représente environ un nanomètre, soit le produit chimique de base qui s'y trouve. Voilà ce qu'on entend par matériau à l'échelle nanométrique.
Dans le bois, nous avons un matériau cristallin de 200 nanomètres de longueur et de 10 nanomètres de largeur. Il a des propriétés uniques. Il peut renforcer des matériaux. Il a des propriétés optiques remarquables. Il est électromagnétique à cette échelle. Il a des propriétés d'auto-assemblage. On peut construire des barrières avec ce matériau. Si vous avez une grande surface, vous pouvez l'utiliser comme substrat catalytique, et il présente une activité optique.
Je vais me servir de la cellulose nanocristalline pour vous donner un exemple de ce qu'on peut faire avec un nanomatériau. Vous avez devant vous de la cellulose, soit le papier sur lequel vous écrivez. Ce que nous avons ici est de la cellulose. Il n'est composé de plastifiant qu'à 10 p. 100. Avec le matériau nanocristallin, nous pouvons faire des pellicules colorées. Je vais faire circuler cet écran. Nous pouvons changer la couleur de ce matériau en changeant le procédé de fabrication. On peut donc convertir une chose qui est normalement de couleur blanche grâce à cette pellicule.
Comment pouvons-nous nous en servir? Elle peut servir d'enduit résistant aux égratignures et aux impacts. Voilà un exemple visible, mais on peut aussi en faire des obstacles contre les rayons UV et infrarouges. Ce faisant, on peut fabriquer des composés légers. On peut s'en servir dans l'industrie du transport pour renforcer les matériaux. On peut améliorer la possibilité de recycler les emballages à l'aide de ce matériau. On peut développer de nouveaux systèmes de catalyseurs en travaillant avec ce produit cellulosique.
Nous allons être témoins de la transformation du secteur forestier. Nous n'allons pas simplement approvisionner les vieux secteurs traditionnels. Nous allons fournir des matériaux au secteur aéronautique, automobile et même aérospatial. Il y a des applications médicales également. Si nous avons le temps plus tard, nous vous montrerons d'autres exemples de ce que nous pouvons faire et nous vous parlerons de nouveaux produits de consommation.
On peut arriver à faire tout ça avec une empreinte écologique inférieure à ce à quoi on s'attendrait normalement pour tout nanomatériau. Nous estimons que ce produit est durable, biodégradable et non toxique. Avec ce nouveau nanomatériau, nous avons l'occasion extraordinaire de développer une nouvelle économie avec des matériaux provenant du secteur forestier.
[Français]
M. Lapointe : La prochaine présentation sera faite par Richard Desjardins et rendra très heureux le sénateur Rivard. Nous allons vous montrer quel devrait être le visage urbain de nos villes canadiennes dans quelques années.
Richard Desjardins, directeur, Systèmes de construction, FPInnovation : L'objectif fondamental est de transformer notre industrie forestière et notre industrie de la construction. De façon traditionnelle, nous avons travaillé depuis des années au Canada et en Amérique du Nord à développer une industrie qui s'est principalement orientée sur la fourniture de composantes pour le milieu résidentiel et la construction locative de bas étage, ce qu'on appelle traditionnellement notre construction de 2x4 qui a été un très bon marché et très lucratif pendant plusieurs années.
Cependant, la situation géopolitique et économique nous force à repenser, à avancer d'une étape et à utiliser les attributs écologiques de la construction de bois, qui sont intrinsèquement intégrés à la construction et au développement de nouveaux matériaux.
La construction de bois a l'avantage fondamental du côté écologique lorsqu'on la considère en substitut aux matériaux qu'elle devra utiliser. Par exemple, en ce moment en Amérique du Nord, le marché de la construction résidentielle est principalement occupé par la construction de bois, alors que le potentiel de marché que l'on identifie très facilement est celui de la construction non résidentielle multilocative de moyens étages. Il s'agit de bâtiments de six à dix étages qui représentent la vaste majorité de la construction canadienne.
L'introduction du matériau de bois dans ce système permettra de développer une série de produits industriels de deuxième et de troisième transformation, de composantes et d'industries de la construction en substituts directs.
Ce que vous voyez en ce moment sur les photos, ce sont quatre exemples de bâtiments phares du Canada. En bas, il s'agit de l'anneau de glace de Richmond, qui constitue la vedette des Jeux olympiques d'hiver de Vancouver. En haut à gauche, c'est le bâtiment qui intéresse le plus le monde de la construction de bois au monde. Situé sur le boulevard Charest à Québec, c'est à ce jour le plus haut bâtiment contemporain multiétagé en bois au monde qui se construit au cœur de Québec avec des produits développés du secteur forestier.
À droite, on se rapatrie le droit de construire des stades, des bâtiments publics et des bâtiments sportifs. Par exemple, deux bâtiments sportifs ont été construits au Québec, dont un qui est situé à Laval, dans la région de Montréal, et un autre qui est en construction dans la région de Québec et qui s'appelle le stade Chauvreau.
Ces matériaux ont l'attribut écologique, lorsqu'ils sont extraits de forêts bien gérées, de nous permettre de substituer un matériau à un autre — dans ce cas-ci l'acier ou le béton — et de réduire la trace écologique et environnementale du matériau. Évidemment, le défi est de maintenir en vie l'industrie de ces matériaux. De plus, toujours dans l'esprit de la sécurité et de l'occupation du bâtiment, il fait l'objet d'une analyse scientifique poussée.
Finalement, l'objectif est la création de toute l'industrie. Qu'il s'agisse des composantes, de la fabrication ou de l'ingénierie, nous devons être capables de construire chez nous et d'exporter notre savoir-faire.
[Traduction]
M. Lapointe : Je vais vous donner un exemple qui témoigne des perspectives d'avenir et de l'évolution qui a cours. Vous avez pas mal d'information dans la trousse sur le bioraffinage et sur de nouveaux produits comme la lignine, le méthanol, soit des produits chimiques verts. Ces technologies en sont à l'étape de la démonstration et du plan de commercialisation, alors nous voulons procéder aussi rapidement que possible afin de sauver certains de nos collègues dans le domaine.
Il est important de comprendre qu'il n'y a même pas un an, il était impossible de construire ces immeubles, et avec le soutien des gouvernements de la Colombie-Britannique et du Québec, et tout particulièrement celui de Ressources naturelles Canada, ces technologies sont maintenant sur le marché et prêtes à être mises à l'essai. Nous serons heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir.
La vice-présidente : Merci. Je suis heureuse d'avoir entendu parler de cela.
Le sénateur Eaton : J'ai adoré tous vos exposés. Je suis fascinée par ce que vous avez tous à dire. J'aime jardiner, et ma première question est la suivante, monsieur Binot : dans quelle proportion du territoire canadien pouvons-nous faire pousser des forêts de feuillus? Existe-t-il dans l'industrie forestière des zones horticoles, un peu comme en jardinage?
M. Binot : Oui. Je m'attendais à cette question.
[Français]
Le sénateur Eaton : Vous pouvez me répondre en français. C'est seulement que je m'exprime mieux en anglais qu'en français.
M. Binot : Il y a quelques mois, je présentais le Centre sur les feuillus tolérants, ici à Ottawa. Pour répondre directement à votre question, je dirais qu'on parle beaucoup ces temps-ci du réchauffement climatique, de la séquestration du carbone et des modifications qu'apportera le réchauffement climatique. Je vais répondre à votre question avec une approche un peu plus globale.
Nous avons ici deux cartes qui ont été développées pour la France. Vous avez la carte de végétation actuelle et à droite vous avez la carte de végétation estimée en fonction du réchauffement climatique.
On voit qu'en l'espace qu'un siècle, la carte écoclimatique des régions forestières a complètement changé. Au moment où on se parle, le gouvernement français a déjà entrepris l'adoption de programmes forestiers qui tiennent compte de ces cartes. Au Canada, particulièrement au Nouveau-Brunswick, il y a environ 40 p. 100 de feuillus et 60 p. 100 de conifères.
Le sénateur Eaton : À travers le Canada?
M. Binot : À travers le Nouveau-Brunswick. Au niveau canadien, il y a un peu plus de conifères et un peu moins de feuillus. Mais ce que l'on sait, c'est qu'avec le réchauffement climatique, les conditions de végétation favoriseront davantage les feuillus.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Des mesures ont-elles été prises pour régler le problème? Les gouvernements provinciaux en tiennent-ils compte, et reboisent-ils en utilisant du bois dur?
[Français]
M. Binot : Actuellement, relativement peu. Des efforts de reboisement avec des feuillus ont été entrepris en Ontario et des recherches ont été faites par le professeur Von Alten. Au Québec, on fait de la recherche sur les feuillus de qualité, mais il n'y a pas encore de véritable programme sylvicole d'ensemble sur les feuillus.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Le gouvernement fédéral devrait-il prendre des mesures à cet effet?
[Français]
M. Binot : Je crois qu'à partir du moment où le faciès écologique du Canada est en transformation, il faut prendre des mesures qui vont satisfaire les besoins de l'entreprise. Je pense qu'il faut adopter une approche globale.
[Traduction]
Le sénateur Eaton : Selon ce que vous dites et d'après ce que je sais au sujet des arbres, il s'agirait d'un projet de 100 à 150 ans; est-ce exact?
M. Binot : Oui.
Le sénateur Eaton : Le pays contient-il suffisamment d'arbres pour entreprendre certaines des initiatives de FP? Si les usines d'automobiles s'adressaient à vous demain en vous disant qu'elles souhaitent produire des tableaux de bord en cellulose, disposerions-nous des arbres dont nous avons besoin pour le faire?
M. Berry : Absolument; la quantité de matériau dont nous avons besoin est relativement petite. Par exemple, pour renforcer le matériau, on ajoute 2 p. 100 de ce matériau dans le composite. En fait, nous envisageons d'utiliser la pâte kraft que nous produisons déjà et d'en convertir une petite partie dans ce type de matériau. Cela n'aurait pas d'impact majeur sur la quantité de bois que nous utilisons actuellement.
M. Desjardins : Il importe de réaliser que le Canada est un important exportateur de bois depuis un certain nombre d'années. Ce que nous proposons, c'est de recourir davantage aux produits locaux, en particulier pour l'utilisation du bois en construction, et de dépendre moins des marchés d'exportation. Nous proposons un agencement des deux idées. La situation est différente pour les feuillus, et pour les conifères. La forêt de feuillus a été gérée au cours des années, ce qui fait qu'elle est assez durable. Bien entendu, il faut continuer de l'entretenir et de la maintenir à jour, mais oui, nous avons suffisamment de bois pour le faire.
Le sénateur Eaton : Lorsque vous parlez de construction, parlez-vous des feuillus?
M. Desjardins : Non, je parle surtout des conifères.
Le sénateur Eaton : Notre pays devrait-il se doter de codes afin de régir la quantité de bois que vous aimeriez voir utiliser dans la construction?
La France n'a-t-elle pas créé de tels codes, qui exigent un certain pourcentage du bois?
M. Desjardins : Ce n'est pas un code qui l'exige. Le code explique où et comment l'utiliser. Nous en avons un. Je pense que vous parlez d'une politique d'utilisation du bois. Si vous nous demandez ce que nous pensons d'une politique d'utilisation du bois, nous sommes tout à fait d'accord, bien entendu.
M. Lapointe : À ce sujet, le ministre Bell en Colombie-Britannique a créé une politique sur le bois; elle fait l'objet de la première lecture à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique mardi.
M. Desjardins : De plus, il y a un an, le gouvernement du Québec a fait de même avec sa politique d'utilisation du bois pour les constructions non résidentielles qui sont financées par le gouvernement québécois. Par conséquent, oui, c'est quelque chose que nous appuyons fermement.
Le sénateur Eaton : Y aurait-il un pourcentage de bois utilisé dans les constructions publiques?
M. Desjardins : Aucun chiffre n'a été avancé. Ils réclament des solutions de rechange au bois pour les constructions actuelles. Nous savons que le bois ne peut pas être utilisé partout, pour chaque construction. Toutefois, nous demandons qu'une solution relative au bois soit analysée et, à tout le moins, envisagée dès l'étape de la conception de la construction.
M. Lapointe : Selon la proposition faite en Colombie-Britannique, il faudrait envisager en premier lieu l'utilisation du bois pour toute construction financée par le secteur public de façon à montrer qu'il s'agit de la meilleure option. Sinon, il faudrait se tourner vers le ciment ou le métal. Toutefois, dans chaque cas, il faudrait présenter des arguments très solides.
Le sénateur Mercer : Merci, messieurs, pour vos exposés. Comme le sénateur Eaton, je suis fasciné parce que notre comité parle d'innovation en recherche depuis des mois et, enfin, nous recevons des témoins qui peuvent nous parler de vraies innovations.
Toutefois, au sujet des investissements en sylviculture et en reboisement, si les résultats prennent entre 100 et 150 ans pour se faire sentir, il faudra attendre longtemps avant que cet investissement soit rentable. Ainsi, il est parfois difficile de convaincre les gens d'envisager cette option. Cela fait partie de notre travail. Nous allons y arriver.
Monsieur Berry, que doivent faire les gouvernements pour appuyer la mise en marché des innovations? Je veux que vous vous concentriez également sur les effets positifs — je présume — que cela pourrait avoir sur l'emploi. Les gens qui perdent leur emploi actuellement pourront-ils être transférés facilement vers ces nouveaux produits et la récolte des nouveaux produits?
M. Berry : J'essaierai de répondre en premier. À l'heure actuelle, le gouvernement nous aide considérablement. Comme M. Lapointe l'a mentionné, nous travaillons à des démonstrations de la technologie.
Un fonds a été créé à la suite de l'un des derniers budgets. Il contient environ 40 millions de dollars pour construire des usines de démonstration et, de ce montant, environ 10 millions de dollars seront utilisés pour construire au moins une usine de nanocellulose cristalline. Le gouvernement provincial de la province où cette usine de démonstration sera construite ferait la même contribution.
Il s'agit d'une démonstration; celle-ci permet de démontrer que la technologie que nous utilisons pour l'extraction fonctionnera. La prochaine étape sera la commercialisation. À l'heure actuelle, nous établissons les marchés du produit. Les besoins financiers futurs se feront sentir lorsque nous passerons d'une usine de démonstration — où nous démontrons le principe de ce que nous pouvons faire — aux opérations commerciales.
Nous avons déjà conçu des usines pouvant produire 10 tonnes par jour de ce matériau. Cette innovation ne profitera pas seulement au secteur forestier, mais elle permettra également la création d'une industrie secondaire. Il se peut que l'une de ces usines soit ajoutée à une fabrique de pâte kraft déjà existante. Ensuite, une industrie secondaire se développera. Selon nous, c'est l'application de ce type de système qui pourra créer d'autres emplois.
Le sénateur Mercer : Lorsque nous parlons des innovations, nous parlons de mettre de côté une partie de la production normale de bois dans le pays, comme les pâtes et papiers. Dans ma province, les pâtes et papiers constituent un enjeu majeur. J'ai l'impression que nous l'avons un peu oublié.
Existe-t-il des innovations dans le domaine des pâtes et papiers qui méritent d'être examinées? Par exemple, les Brésiliens ont trouvé des façons novatrices d'utiliser ces produits. En fait, nous perdons de l'argent parce qu'ils en font une utilisation plus grande et à meilleur coût.
M. Berry : L'idée n'est pas de remplacer l'industrie actuelle avec ce que nous faisons, mais plutôt de la compléter. M. Lapointe vous en dira davantage sur ce que nous faisons dans ce secteur industriel actuellement.
M. Lapointe : J'aimerais apporter une correction à ce que vous avez dit. Il faut comprendre que la nanocellulose cristalline dont M. Berry parle vient de la pâte. Nous n'abandonnons pas la production de pâte.
Le sénateur Mercer : Vous changez la façon dont la pâte est utilisée.
M. Lapointe : Nous changeons son utilisation.
Le sénateur Mercer : Vous transformez le papier que je tiens dans ma main en quelque chose d'autre.
M. Lapointe : C'est de cela qu'il s'agit. Je dis que la pâte sera utilisée pour fabriquer de nouveaux produits, dans de nouveaux domaines. Par exemple, vous voyez à l'écran un nouveau type de papier qui sera en mesure de détecter, de capturer et de désactiver les pathogènes. On pourrait donc fabriquer un masque avec ce produit. Nous pouvons également fabriquer une nouvelle sorte de mouchoir, qui contiendrait un agent antiviral. Nous ne mettons pas la pâte de côté.
Manifestement, l'aspect « papier » deviendra moins important, mais nous espérons le remplacer grâce à ces nouvelles technologies.
Le sénateur Mercer : En général, combien de temps peut-il s'écouler entre la fin des activités de recherche et la commercialisation d'un nouveau produit? Est-il réaliste de s'attendre à ce qu'une partie des travaux de recherche menés actuellement puisse contribuer au règlement de la crise actuelle?
M. Berry : Permettez-moi de vous exposer l'échéancier que nous avons actuellement. Nous sommes en train de concevoir l'usine. Cela prendra six mois. Il faudra 18 mois pour la construire. Notre intention est de mettre ce matériau sur le marché dans deux ans. Il nous serait pour ainsi dire impossible de mettre en œuvre cette partie de notre programme d'innovation plus rapidement.
[Français]
Le sénateur Poulin : Je suis d'accord avec mes collègues, les sénateurs Eaton et Mercer. Votre enthousiasme pour l'industrie, la recherche et l'innovation est extrêmement emballant pour nous. Nous avons rencontré plusieurs témoins qui nous ont fait l'analyse en profondeur de la crise actuelle. J'ai maintenant l'impression que vous êtes en train d'ouvrir des portes sur l'avenir afin de voir ce qui est possible pour cette ressource naturelle propre à notre pays et qui est tellement une grande richesse. J'aime vous entendre appeler cela « l'or vert ».
Ma première question s'adresse à M. Binot. J'aimerais vous donner l'occasion de vanter votre paroisse. J'aimerais que vous nous parliez de la Faculté de foresterie de l'Université de Moncton. Comme le disaient mes collègues, la recherche est tellement importante. Qui sont vos étudiants? D'où viennent-ils? Où vont-ils travailler? Vous avez combien de professeurs? Pouvez-vous nous parler un peu de votre institution?
M. Binot : Tout d'abord, la Faculté de foresterie de l'Université de Moncton a été créée en 1985. C'est la deuxième faculté au pays à offrir le programme en français. Lorsqu'on a décidé de mettre en place une faculté de foresterie au Nouveau-Brunswick, il y a eu des débats à savoir où on allait l'implanter. Finalement, elle a été placée au nord-ouest de la province, une région qui a un centre de gravité industriel important. On y retrouve la compagnie Irving, la compagnie Fraser et le Groupe Savoie. Le Groupe Savoie et la compagnie Irving sont deux entreprises qui utilisent le feuillu.
La faculté compte actuellement une dizaine de professeurs. Lorsqu'elle a été créée, tous les professeurs engagés étaient des professeurs chercheurs, donc on a une recherche assez dynamique dans différents domaines, que ce soit dans le domaine de la technologie des bois, de l'aménagement faunique, de la sylviculture des conifères et des feuillus, des produits forestiers non ligneux, les PFNL.
Notre clientèle universitaire vient du Nouveau-Brunswick et du Québec. Nous avons des accords avec différents pays tels la France, la Belgique, le Bénin, le Pérou, la Roumanie, l'Italie, Haïti et d'autres. Nous avons beaucoup rayonné sur le plan international. Il y a trois mois, je suis allé en Italie et en Hongrie avec un groupe d'étudiants. Je suis universitaire et dans le mot « universitaire » il y a le préfixe « univers ». Il est important que les jeunes universitaires aient cette ouverture sur le monde.
Pendant longtemps, le Canada a vécu avec une industrie traditionnelle, notamment les pâtes et papiers. Il existe aujourd'hui dans le monde une très forte compétition. Il faut aller vers des produits innovants et innovateurs; vers des produits à valeur ajoutée. Mes collègues de droite travaillent surtout avec des conifères.
Le message que j'ai voulu transmettre tantôt faisait référence à la foresterie des feuillus. Les beaux meubles, les pièces en bois tourné, les belles poutres dans les maisons sont faits en chêne ou en érable, en feuillus.
Pour répondre à la question du sénateur Eaton, oui, nous avons assez de feuillus au Canada. Nous respectons globalement la possibilité annuelle de coupe, mais le problème consiste en une disponibilité de bois de qualité.
Dans ma présentation, j'ai parlé de la compagnie Shermag qui produit des meubles. Shermag était installé dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick et est maintenant fermé. Le Canada devait importer du bouleau jaune et de l'érable des États-Unis faute d'avoir ce bois de qualité. Cette situation est inacceptable. Il est important que le Canada soit en mesure de produire ces tiges de qualité pour faire fonctionner ces entreprises, créer de nouveaux produits ainsi que de nouveaux marchés. Le domaine des pâtes et papier traditionnel connaît une crise sans précédent due à une compétition internationale.
Il faut que le Canada — qui a du bois qui pousse moins vite que les concurrents — ne mise pas nécessairement sur les pâtes et papiers de façon traditionnelle, mais sur les produits à valeur ajoutée. Le Canada doit utiliser ses cerveaux pour créer de nouveaux marchés et de nouveaux produits. Pour cela, toute la chaîne de production part de la disponibilité au départ en sortant de la forêt. Avons-nous des produits de qualité demandés par les entreprises d'ici ou qui veulent venir s'établir ici?
Le sénateur Poulin : Combien y a-t-il de facultés de foresterie incluant les deux facultés francophones au Canada?
M. Binot : Nous avons neuf facultés de foresterie.
Le sénateur Poulin : Quelle est la durée de ce programme?
M. Binot : Au départ, il s'agissait d'un programme de cinq ans. Quelques universités ont réduit leur programme. L'Université du Nouveau-Brunswick, l'Université Laval et nous-mêmes avons réduit notre programme, et aujourd'hui nous offrons un programme de quatre ans.
Le sénateur Poulin : Où se retrouvent les diplômés de ce programme dans l'industrie?
M. Binot : D'abord, nous suivons cela de près et le taux de placement est de 96 p. 100 environ. Malgré toute la crise du bois de l'industrie forestière dont vous entendez parler, il y a énormément de possibilités d'emploi pour les ingénieurs forestiers. La compagnie Irving est à la recherche de 14 ingénieurs forestiers depuis un an et demi et ils ne les trouvent pas.
Nos diplômés se retrouvent dans les grandes industries; pâtes et papier, sciage. Nous avons des gens au Québec qui ont eu une double formation. Ils ont fait des études d'ingénieur forestier chez nous et ont fait un MBA ailleurs. Ils se trouvent à la tête d'entreprises situées au Québec. Nous avons des diplômés en Colombie-Britannique et au Manitoba.
Notre faculté est la deuxième plus jeune au Canada et a toujours eu l'accréditation nationale; ce qui est un label de qualité décerné par une instance neutre et internationale.
Le sénateur Poulin : Vous avez bien répondu à l'objectif de vanter votre paroisse. Monsieur Lapointe, le modèle de votre entreprise m'intéresse. Vous avez parlé de partenariat. Pouvez-vous nous donner une description plus détaillée?
M. Lapointe : Il s'agit d'un modèle basé sur un système d'adhésion. Les différentes compagnies à travers le Canada deviennent membres de FPInnovations. Ils ont une cotisation annuelle basée sur la production que ce soit de pâtes et papier, de bois d'œuvre, et cetera. Nous avons une entente avec Ressources naturelles Canada qui finance deux programmes de technologies transformantes et de transferts technologiques accélérés en plus de programmes de projet de loi pilote. Nous avons également des ententes avec la majorité des gouvernements provinciaux principalement le Québec, la Colombie-Britannique et l'Alberta.
Le sénateur Poulin : Quels services offrez-vous?
M. Lapointe : Ils ont directement accès à l'ensemble de nos propriétés intellectuelles ou des technologies que nous développons et à nos champions qui vont dans les usines regarder quel type de problèmes sont rencontrés et reviennent dans nos laboratoires, définissent les technologies et font l'implantation en usine.
Le sénateur Poulin : Il y a des médecins sans frontières et vous êtes des recherchistes sans frontières.
M. Lapointe : C'est exactement le cas.
Le sénateur Poulin : Juste avant le début de la séance, vous m'avez expliqué être en train d'établir une nouvelle alliance avec une compagnie à Thunder Bay. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
M. Lapointe : C'est une nouvelle alliance avec le gouvernement de l'Ontario qui a investi 25 millions de dollars dans une organisation qui s'appelle CRIBE dont le siège social est à Thunder Bay. CRIBE a la responsabilité de développer le concept de bio-raffinage dans le Nord de l'Ontario et la composante recherche de CRIBE sera FPInnovations. Notre personnel a déjà commencé à s'établir à FPInnovations. Nous avons déjà une préentente avec le ministère de la Recherche et de l'Innovation ontarien et nous mettons une contrepartie. En mettant nos sous plus les sous du gouvernement ontarien, nous sommes à développer pour l'industrie du nord de l'Ontario tout ce qui concerne les différentes étapes en bioraffinage, la lignine, le méthanol, le méthane, et cetera.
[Traduction]
M. Berry : Je n'ai parlé que du matériau que je vous ai montré ici, mais il y a d'autres matériaux : carburants renouvelables, produits chimiques et matières plastiques. Voilà un autre élément intéressant; nous pouvons transformer le matériau et pousser sa conception encore plus loin avec ces nouvelles possibilités. C'est essentiellement ce que nous avons l'intention de faire avec les usines du Nord de l'Ontario.
M. Lapointe : Par exemple, dans le Nord de l'Ontario, nous envisagerions d'extraire la lignine. Cette matière pourrait remplacer le carbone noir dans nos pneus. On produit beaucoup d'hydrocarbures pour fabriquer des pneus et nous pourrions le remplacer par quelque chose de plus écologique. Voilà le type de produit que nous mettons sur le marché pour l'industrie.
[Français]
Le sénateur Poulin : Vous aviez raison de dire Monsieur Lapointe qu'il vous faudrait une heure de présentation pour partager toute votre information. Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Rivard : Je vais m'adresser au professeur et vous demander de vulgariser pour moi et ceux qui nous écoutent, bien qu'il y ait peut-être quelques ingénieurs forestiers qui nous écoutent.
Au début de votre présentation, vous avez parlé de feuillus de qualité et de feuillus de moindre qualité. J'aimerais avoir une brève description de la différence entre les deux et savoir comment on peut, avec de l'aide gouvernementale ou de la formation, avoir un feuillu de meilleure qualité.
M. Binot : Je crois que je vais reprendre le schéma. D'abord, lorsqu'on parle de feuillus nordiques, on fait référence surtout — je l'ai mentionné — à l'érable à sucre, au bouleau jaune et à l'érable rouge. Ce sont les principaux. Lorsqu'on parle de feuillus de qualité, je ne fais pas référence ici à l'espèce; je fais référence ici aux caractéristiques de l'arbre, de la tige.
Le schéma présenté ici montre à gauche un arbre considéré comme étant de qualité. C'est un arbre qui est droit. Imaginez simplement, à titre d'exemple, que si vous voulez produire de la planche, il est plus facile de la produire avec un arbre droit que tordu. Bien que je sache qu'il existe des moyens qui permettent de le faire malgré tout.
Parlons maintenant d'un bois sans nœuds. La Nouvelle-Zélande est le pays au monde qui a créé une niche économique particulière en faisant des moulures — ce qu'on trouve au bas des murs — sans nœuds. Pourquoi? Parce qu'ils pratiquent régulièrement ce qu'on appelle l'élagage.
Une tige de qualité, c'est une tige soit d'érable à sucre ou de bouleau jaune ou de frêne ou de chêne qui, durant le processus de croissance et de maturation, a subi certains traitements pour que la tige présente certaines caractéristiques de rectitude comme l'absence de branches. S'il n'y a pas de branches, il n'y a pas de nœuds dans le bois et s'il n'y a pas de nœuds dans le bois, c'est un bois à valeur ajoutée. C'est un petit peu comme l'éducation des enfants. L'enfant va grandir; on peut ou bien l'éduquer ou ne pas l'éduquer. Si vous l'éduquez, on peut dire qu'il a une valeur ajoutée. C'est la même chose avec les arbres.
Donc je répète, cela ne fait pas référence à l'espèce. On parle des feuillus de qualité, des feuillus nordiques. Ainsi, on peut avoir deux érables : un érable qui a des qualités de rectitude, des branches fines, peu ou pas de nœuds, qui n'est pas endommagé, qui n'est pas pourri ou vous pouvez avoir un arbre qui est tordu avec des branches basses. Cela veut dire beaucoup de nœuds, un arbre structurellement affaibli par la pourriture, par des champignons, et cetera.
Le sénateur Rivard : Merci beaucoup. J'ai une dernière question. Nous avons vu tantôt le stade de Chauveau qui est sur le point d'ouvrir à Québec. C'est une magnifique réalisation, presque entièrement en bois. Avons-nous des statistiques de pourcentages approximatifs, à savoir combien coûte plus cher un tel équipement en bois? Je cherche à comparer avec le traditionnel acier ou béton ou un mélange de matériaux. Est-ce que la différence est grande?
Parce que dans le cas de Chauveau, c'est un choix politique. La ville de Québec a fait un appel d'offres afin d'obtenir une structure de bois. Si cela avait été un marché ouvert ou pour n'importe quel matériau, le bois aurait-il été quand même le gagnant de l'appel d'offres?
M. Desjardins : Le Stade Laval a été financé par le secteur privé et, pour des raisons économiques et de logistique, cela a été plus économique et il a été fait en bois; c'était d'ailleurs le premier.
Tout dépend de ce qu'on vise sur le plan économique. Si on ne tient compte que de la structure, le bâtiment terminé au niveau économique est actuellement typique parce que notre industrie, dans ce type de structures, est encore en redémarrage.
Historiquement, nous avions une industrie qui le faisait il y a une cinquantaine d'années; vous savez très bien que dans votre région vous avez des arénas et différentes églises qui utilisaient ces systèmes de construction qui ont cessé dans les années 1960.
Sur le plan économique, on parle en ce moment d'une différence de 5 à 15 p. 100 de plus pour les matériaux de structure; mais pas pour le bâtiment. Pour le bâtiment, cela se récupère rapidement. Dans le cas du bâtiment Fondaction, on parle d'une différence pour la structure de l'ordre de 100 000 dollars sur un bâtiment total de 15 millions de dollars.
Étant donné la tendance de non-finition et de non-obligation de finition du produit, c'est à la fin du bâtiment qu'il faut penser sur le plan économique. C'est pourquoi il est économiquement rentable de le faire à terme. Mais nous sommes en effet en train de réinventer une industrie. J'en profite pour remercier les gouvernements pour leur aide, particulièrement Enercan qui nous a permis d'épauler les professionnels qui ont besoin de soutien et de lignes directrices.
En ce qui concerne le bâtiment Fondaction, le côté industriel a été supporté par les chercheurs de FPInnovation, l'industriel a été dans le développement de son produit. Le concepteur a été supporté par différents programmes pour l'aider à faire un effort intellectuel supérieur pour retourner à une habitude de construction en bois et non une construction dite traditionnelle.
M. Lapointe : Si je peux me permettre un supplément d'informations, le recteur Brière me disait la semaine dernière que le pavillon Krueger qui est tout en bois, à Québec, avait une économie de moins 30 p. 100 annuellement au niveau des budgets d'opération, dont moins 20 p. 100 concernant l'aspect énergétique. L'aspect de la capitalisation est une chose, mais il faut également inclure et calculer tous les coûts d'opération. C'est donc une réduction significative.
Le sénateur Rivard : Il me reste à souhaiter, si nous construisons un nouveau centre sportif à Québec, qu'il soit en bois. Si cela coûte un peu plus cher à la construction, comme vous dites, nous économiserons sur l'opération.
M. Lapointe : Les promoteurs nous ont envoyé une lettre pas plus tard que ce matin.
[Traduction]
Le sénateur Cordy : J'ai visité la piste de patinage olympique à Richmond, en Colombie-Britannique. L'installation spectaculaire a été construite, je pense, avec du bois de pins tués par le dendroctone du pin, ce qui est assez remarquable.
Que fait l'industrie pour favoriser la construction au moyen du bois? S'il est vrai que le bois est un produit naturel, il ne s'agit pas nécessairement du premier matériau auquel un architecte ou un constructeur pense. Vous avez mentionné que le Québec et la Colombie-Britannique ont adopté des lois pour encourager l'utilisation du bois dans les structures qui seront construites. Devrions-nous faire de même au niveau fédéral? La loi serait une façon d'y arriver, mais nous pourrions également envisager de construire les immeubles du gouvernement fédéral en bois. Que fait l'industrie, et que devrions-nous faire?
M. Desjardins : L'industrie accroît la promotion qu'elle fait de l'utilisation du bois dans le marché non résidentiel grâce à de nombreux programmes. La Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario disposent d'un programme appelé Wood Works!, qui fait la promotion des constructions non résidentielles en bois. L'industrie entre en contact avec les différents décideurs dans les municipalités, de même qu'avec les architectes et les ingénieurs qui sont au cœur même de la création des immeubles. Une fois qu'un immeuble est conçu, il est trop tard pour changer le matériau. L'immeuble sera construit avec le produit qui a été choisi au départ. Les programmes Wood Works! ont été de grandes réussites. L'anneau olympique de Richmond est un hommage à Wood Works! et démontre l'utilisation possible de bois tué par le dendroctone du pin. Il est possible de construire avec ce bois qui se prête à des utilisations différentes également.
Le gouvernement du Québec et l'industrie ont également créé un programme équivalent dont le mandat est le même : élaboration d'outils, promotion, mise en œuvre et guides techniques qui seront nécessaires pour appuyer les ingénieurs. De plus, l'industrie a créé de nombreux produits et matériaux qui seront lancés sur le marché. Habituellement, l'industrie se concentre sur le secteur du bois de sciage et du panneautage. Il faut créer un secteur secondaire et tertiaire dans l'industrie de la construction et les matériaux qui seront utilisés sur ce marché. L'industrie a pris des mesures actives dans ce domaine.
Le sénateur Cordy : Le sénateur Carstairs est une de mes collègues au Sénat. Elle a beaucoup à cœur les soins palliatifs et elle a travaillé très fort pour la création d'un programme dans les écoles de médecine qui intègre les soins palliatifs à la formation donnée en médecine. Allez-vous dans les écoles d'ingénierie et d'architecture pour parler de cette nouvelle industrie?
M. Desjardins : Tout à fait. L'Ontario dispose des meilleurs exemples d'hôpitaux qui ont utilisé du bois traité venant directement de l'environnement architectural. Nous savons que l'environnement est essentiel au bien-être des patients. Le programme Wood WORKS! et le programme québécois ont comme mandat d'aller dans les écoles et les différentes collectivités.
Le sénateur Cordy : Ce sont de bonnes nouvelles.
Monsieur Binot, quelles ont été les principales observations que vous avez faites dans le cadre de vos études sur l'industrie forestière du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard? S'agissait-il plutôt de celle du Canada?
M. Binot : Excusez-moi, je n'ai pas entendu votre question.
Le sénateur Cordy : Votre étude portait-elle uniquement sur le Nouveau-Brunswick?
M. Binot : J'ai examiné principalement l'Est du Canada.
Le sénateur Cordy : C'est-à-dire l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.
M. Binot : Oui.
Le sénateur Cordy : Bon nombre de vos recommandations et de choses que vous avez apprises seraient applicables à d'autres parties du Canada. Nous ne connaissons pas vraiment la qualité du bois d'œuvre. Nous ne savons pas s'il est bon. Vous avez parlé de créer un programme de recherche pour produire l'information qui manque. Ces recherches ont-elles été entreprises?
M. Binot : Non. Concernant le premier point sur la qualité du bois, je faisais partie d'un tel comité au Nouveau- Brunswick, il y a environ cinq ans. Aujourd'hui, presque rien n'est fait. Nous effectuons des études élémentaires, comme cela a toujours été le cas. Les activités ne sont pas encore intégrées et ne peuvent être appliquées au monde de la foresterie et des industries forestières pour bien comprendre la qualité sur le terrain.
Le sénateur Cordy : Nous ne savons pas vraiment?
M. Binot : Nous devons le faire, mais nous ne savons pas exactement comment. Nous n'avons que des renseignements éparpillés à ce sujet.
Le sénateur Cordy : J'ai l'impression que c'est quelque chose d'important à savoir.
M. Binot : C'est très important. Certaines industries sont aujourd'hui complètement restreintes dans leurs activités parce qu'elles ne sont pas prêtes à faire de nouveaux investissements. Elles ne comprennent pas bien si nous avons suffisamment de bois de qualité pour alimenter notre industrie dans la province. La situation est très difficile.
Le sénateur Cordy : C'est vrai. Si on souhaite faire de la recherche en vue de lancer de nouveaux programmes pour améliorer la qualité du bois, on a besoin de cette information.
M. Binot : Il faut tenir compte de deux choses. Je pense que l'industrie connaît bien la qualité du bois disponible. Toutefois, nous savons que de nombreuses recherches doivent être faites. Par exemple, j'ai entrepris un projet sur l'élagage des arbres résineux. Mon projet est le plus ancien dans l'Est du Canada, à l'exception de celui de Petawawa, en Ontario.
Ce type de recherche n'a pas été réalisé au sujet des feuillus. Notre industrie s'est toujours concentrée principalement sur la production de pâtes et papiers et sur la vente de bois pour la construction des maisons. Ce n'était pas un bois de bonne qualité, et il était caché. Aujourd'hui, nous prenons le bois et l'utilisons pour construire des maisons à ossature de bois dans lesquelles on peut voir le bois. Il a une valeur esthétique, mais le problème, c'est que nous n'avons pas suffisamment de bois de qualité pour le faire.
L'industrie n'est pas prête à produire ce genre de traitement parce qu'elle ne sait pas comment y arriver dans la forêt. C'est pourquoi nous devons faire de la recherche sur l'émondage formatif, soit comment couper les branches durant la vie de l'arbre sans trop en enlever. Autrement, on réduit le niveau de productivité de l'arbre. Par exemple, des branches de quelle taille doivent être coupées pour réduire le problème des nœuds? L'industrie a cerné certains sujets comme l'éclaircissage commercial, l'émondage et l'émondage formatif. Nous n'avons presque rien fait à cet égard.
Le sénateur Cordy : Il reste donc beaucoup de travail à faire?
M. Binot : Oui. Comme je l'ai dit avant, la sylviculture des feuillus en vue de l'abattage de gros arbres peut prendre de 100 à 150 ans. Nous devons donc agir dès que possible pour pouvoir faire face au monde qui change rapidement. Nous devons faire face au problème du réchauffement climatique. Nous savons que les conditions climatiques seront meilleures pour la croissance des feuillus, mais nous devons profiter de cette occasion pour faire la promotion de la croissance de bons arbres en santé.
Le sénateur Mahovlich : Devrions-nous privatiser toutes nos forêts pour régler certains de ces problèmes? Elles doivent être bien gérées. Devrions-nous avoir davantage de fermes forestières de propriété privée au Canada?
M. Binot : C'est une question difficile, mais une question importante.
Nous avons divers modèles. Je suis d'origine belge, là où il y a de nombreuses forêts productives. Il en est de même pour la France.
Le sénateur Mahovlich : La Finlande, également? La Finlande compte de nombreuses forêts.
M. Binot : Non. Je tente de répondre à votre question du point de vue de la sylviculture des feuillus. La Finlande compte surtout des conifères.
Le sénateur Mahovlich : Plus comme le Canada.
M. Binot : Comme le Nord du Canada.
Le sénateur Mahovlich : Oui.
M. Binot : Si on pense aux feuillus, l'Europe compte depuis longtemps de nombreuses forêts publiques qui sont bien gérées par des forestiers du ministère. C'est une approche différente. Il n'est pas nécessairement certain que des forêts privées seraient mieux gérées.
Au Nouveau-Brunswick, il y a actuellement beaucoup de forêts privées. Les propriétaires ne connaissent pas toujours la meilleure façon de gérer leurs forêts pour l'industrie. De grandes entreprises comme Irving ont été proactives parce que c'est une question d'argent pour elles. Elles ont besoin de bois de haute qualité pour pouvoir ouvrir de nouveaux marchés.
Le sénateur Mahovlich : Les Européens se servent-ils du bois dans la construction de leurs maisons davantage que nous, au Canada?
M. Binot : Je crois que c'est une nouvelle tendance en Europe. Il y a quelques années, j'étais au Luxembourg près des frontières belge et allemande. Là, on construit parfois des écoles et des immeubles publics entièrement de bois, et l'efficacité énergétique de ces immeubles est élevée.
M. Desjardins : En Europe, de façon générale, et au Royaume-Uni, on construit environ 15 p. 100 des maisons résidentielles en bois. Pour les autres, on utilise de l'acier, du béton, de la brique et de la maçonnerie. En France, le pourcentage est d'environ 4 ou 5 p. 100; en Finlande, il est de 10 ou 25 p. 100, et en Amérique du Nord, il est d'environ 95 p. 100.
On ne veut pas prétendre que les chiffres sont élevés, mais plutôt vous donner la répartition. M. Binot parlait des marchés non résidentiels. Notre pourcentage est très faible à cet égard, soit 5 à 15 p. 100, selon la région du pays; le pourcentage est plus élevé en Colombie-Britannique et en Alberta, mais plus faible en Ontario et ainsi de suite. Actuellement, au Québec, il est d'environ 15 p. 100 pour le secteur non résidentiel. La croissance pour nous se fera dans le secteur non résidentiel. Nous sommes inspirés par ce que font les Européens, parce que certains de leurs immeubles non résidentiels sont de nouveau construits surtout de bois, pour des raisons énergétiques surtout — il s'agit du facteur déterminant. C'est ce qui les motive.
Le sénateur Mahovlich : C'est plus chaud.
M. Desjardins : C'est plus chaud, ça retient l'énergie, et il y a moins de ponts thermiques dans l'enveloppe. J'étais en Europe la semaine dernière, et tous les immeubles que j'ai visités comportaient des concepts d'énergie passive, utilisaient moins d'énergie et étaient énergétiquement efficaces, et on se sert du bois pour cela.
Le sénateur Grafstein : Je remercie tous les témoins de leurs excellents exposés. J'ai consacré beaucoup de temps à la lutte sur le bois d'œuvre, laquelle se poursuit. J'étais aux États-Unis la semaine dernière, et les gouverneurs reprennent la lutte sur le bois d'œuvre. J'ai trouvé tellement ironique que le Canada ait dépensé plus de 1,4 milliard de dollars en frais juridiques au fil des ans, alors que votre budget de recherche est de 100 millions de dollars par année. Il y a quelque chose qui ne va pas.
Je veux vous parler du financement de base et de l'utilisation de ce financement. Pour chaque projet, j'aime savoir d'où l'argent vient. Vous obtenez approximativement 100 millions de dollars comme budget de fonctionnement. D'où cet argent vient-il exactement?
M. Lapointe : Puis-je remonter à il y a quelques années?
Le sénateur Grafstein : Certainement.
M. Lapointe : En 2005, l'argent des membres de l'industrie représentait environ 50 p. 100, soit 45 millions de dollars. En raison de la crise, cette proportion a diminué à 8 ou 9 p. 100. Cette année et l'année prochaine, le financement viendra principalement de RNCAN, Ressources naturelles Canada, à hauteur d'environ 50 millions de dollars. La composante industrielle sera d'environ 10 millions de dollars. Le Québec et la Colombie-Britannique se partagent le reste. Il y a aussi des parts plus petites du Manitoba et de l'Alberta. Voilà la ventilation de notre argent.
Le sénateur Grafstein : À combien se chiffraient les ventes de l'industrie l'année dernière, si on tient compte de toutes les sources de bois?
M. Lapointe : Je devrai vous revenir là-dessus. Je peux cependant vous dire, par exemple, qu'en janvier seulement, le marché du papier journal était en baisse d'environ 30 p. 100.
Le sénateur Grafstein : Je sais que les marchés et les pâtes sont en baisse.
M. Lapointe : Je vais vous revenir avec les chiffres.
Le sénateur Grafstein : J'ai posé cette question parce que je crois qu'il est important, à mesure que nous nous dirigeons vers les nouvelles économies, de voir en détail comment l'argent est dépensé et comment il est alloué à la recherche pure et à la recherche appliquée. La clé pour avoir accès à l'industrie du savoir, à l'industrie des nouvelles technologies et à la nouvelle industrie verte est la transition entre l'ancien et le nouveau. Ensuite, on passe à la recherche et à la chaîne d'approvisionnement. Il n'y a rien de nouveau là, bien honnêtement. Vous l'avez très bien expliqué.
Je me suis rendu compte que nous manquons de générosité. Il s'agit d'une industrie importante au Canada. Je crois que de par sa taille, il s'agit de l'industrie la plus importante en Ontario. Elle dépasse l'industrie de l'automobile; toutefois, l'argent qui y est investi par les gouvernements en comparaison est dérisoire. C'est inacceptable.
Comment pouvons-nous vous aider à régler cette question de financement? Par exemple, nous venons d'avoir un débat au Sénat aujourd'hui sur le chômage et le Plan d'action économique. Combien d'argent avez-vous reçu du Plan d'action économique?
M. Lapointe : Nous avons reçu 140 millions de dollars sur deux ans.
Le sénateur Grafstein : Du plan d'action du gouvernement fédéral?
M. Lapointe : Du gouvernement fédéral, pour cette année et l'année prochaine.
Le sénateur Grafstein : Lorsque vous parlez de votre budget de financement de 100 millions de dollars par année...
M. Lapointe : Cinquante pour cent vient du gouvernement fédéral cette année.
Le sénateur Grafstein : À combien se chiffre votre budget de fonctionnement cette année, alors?
M. Lapointe : Dans le cadre du plan d'action, il y a de l'argent pour les immobilisations, soit une usine importante, lequel passe par FPInnovations. Voilà ce qui explique la différence entre les chiffres.
En ce qui a trait aux opérations, 50 millions de dollars proviennent du gouvernement fédéral. Il y a aussi d'autres petits projets intermédiaires.
Le sénateur Grafstein : Je crois qu'il serait bon pour le comité de recevoir une analyse des fonds d'immobilisation que vous avez reçus, ainsi que de la source et de l'utilisation de ces fonds, répartis selon la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les chaînes d'approvisionnement. J'ai toujours accordé beaucoup d'importance aux chaînes d'approvisionnement. Il serait utile pour nous d'envisager différemment la question de l'attribution de fonds à vos projets.
Monsieur Binot, combien d'argent les gouvernements fédéral et provinciaux vous ont-ils accordé cette année pour la recherche?
M. Binot : Seulement pour la recherche?
Le sénateur Grafstein : Oui, pour la recherche. Combien?
M. Binot : Environ 150 000 $.
Le sénateur Grafstein : Je n'ai rien d'autre à ajouter.
Le sénateur Finley : Je vais essayer de poser des questions non politiques. Je m'intéresse à quelques-unes des applications plus obscures que vous avez décrites brièvement, comme les applications commerciales pour la cellulose nanocristalline. Les secteurs canadiens de l'aérospatiale et de l'automobile comptent des fabricants qui sont des utilisateurs très importants de composés et d'enduits. Pouvez-vous nous parler de la collaboration que vous entretenez avec certains de ces fabricants et des applications en cours?
M. Berry : Nous venons de mettre au point un réseau d'application. Il s'agit d'un réseau commercial, de centres d'excellence qui reçoivent le soutien du gouvernement. Il comprend, par exemple, Bell Hélicoptères et le Conseil Bio Auto, qui représentent deux industries primaires. Des sociétés médicales participent aussi au réseau. C'est une des façons que nous utilisons pour faciliter la mise au point d'applications.
Le meilleur moyen reste cependant la formation de partenariats. Grâce à FPInnovations, nous disposons d'une installation pilote qui nous permet de produire ce matériau en assez grande quantité. Nous pouvons ainsi fournir le matériau à nos partenaires dans le cadre d'accords de transfert du matériau. Nos partenaires sont ensuite en mesure d'entamer le développement d'une application et d'en vérifier le fonctionnement.
Je vous donne un exemple : nous travaillons à développer un enduit basique en collaboration avec certains partenaires de l'industrie des vernis. C'est un projet qui nous est cher parce que cet enduit est utilisé sur des produits de bois. Les résultats observés sont positifs : de meilleures propriétés, une plus grande résistance et une abrasivité réduite. Nous voulons mettre en lumière ces résultats dans la chaîne de valeur des secteurs de l'automobile et de l'aéronautique. Notre travail se déploie donc sur deux fronts : nous développons des applications et nous formons des partenariats.
Le sénateur Finley : Vous profitez donc d'une bonne collaboration de différents fabricants primaires qui reçoivent déjà une aide fédérale assez importante, en ce qui concerne notamment la R-D.
M. Berry : Absolument. Nous veillons à mettre au point ce que nous appelons « une proposition de valeur » qui s'articule autour des changements apportés aux propriétés et de la comparaison entre le coût de production du produit et son prix. Notre équipe de marketing travaille à ce dossier présentement. Nous voulons connaître les paramètres cruciaux qui nous aideront à améliorer le produit.
Le produit suscite beaucoup d'intérêt. Nos partenaires veulent absolument l'essayer. C'est le cas des fournisseurs de produits plastiques, et nous travaillons avec deux entreprises de ce secteur présentement. Elles veulent utiliser le produit dès que possible.
Le sénateur Finley : J'ai une question assez simple, qui n'est peut-être qu'un détail. Lorsqu'on a comparé le bon bois de feuillus et le mauvais, on a semblé tenir compte de l'aspect du peuplement. Est-ce que cela a vraiment de l'importance. Autrement dit, est-ce que la qualité du bois franc qui nous est décrite ici a un effet sur la qualité de la cellulose nanocristalline?
M. Berry : Non, pas du tout.
Le sénateur Finley : Alors vous pouvez utiliser du bois de feuillus de mauvaise qualité?
M. Berry : Oui. Oui nous travaillons actuellement avec notre pâte, mais nous estimons que nous pouvons utiliser les matériaux fins tirés du processus. Nous pouvons améliorer notre produit de papier; cela répond peut-être à une autre question qui a été posée, en plus de produire ce matériau. On peut en fait améliorer la valeur d'un complexe dans une plus large mesure que nous l'avons fait par le passé. Pour répondre à votre question, non, ce n'est pas un élément critique en rapport avec la qualité du matériau que nous produisons.
Le sénateur Finley : J'ai une dernière question. Je suis très enthousiaste en ce qui concerne tout ce que vous avez dit. Je suis surtout intéressé par ces applications particulières, évidemment en raison de la façon dont cela peut s'intégrer à bien d'autres choses que nous faisons au Canada.
À l'échelle mondiale, où se situe le Canada en matière de sylviculture et de technologie nanocristalline?
M. Berry : Je peux vous dire qu'en ce qui concerne la cellulose nanocristalline, nous sommes au tout premier rang dans le monde. Nous avons une longueur d'avance. Nous sommes les seuls au monde à produire la sorte de matériau dont il est question. Nous produisons des matériaux de différentes catégories. Certains des aspects décisifs pour l'application dans le système sont la dispersibilité et la stabilité thermique. Nous nous employons à développer des façons d'améliorer ces deux propriétés du matériau. Je dirais que, tant au chapitre de la propriété intellectuelle qu'en termes de démonstration, nous sommes des chefs de file mondiaux en ce qui a trait à cette technologie.
Le sénateur Finley : Excellent.
M. Lapointe : Nous sommes des mois en avance sur nos concurrents, et quatre ans en avance sur les États-Unis.
Le sénateur Finley : Félicitations. C'est intéressant de voir que le Canada est en tête.
Le sénateur Grafstein : Je voulais soulever une autre question qui n'est pas dans vos documents, mais vous en avez parlé, monsieur Berry. Il s'agit d'une importante question sur le carbone.
Nous sommes tous au courant du problème de l'éthanol en ce qui a trait aux terres agricoles et de l'analyse coût/ avantage qui a été faite dans ce domaine. Aux États-Unis, bon nombre d'usines de fabrication d'éthanol font faillite ou doivent fermer leurs portes parce que leur empreinte environnementale est très supérieure à leur rendement.
M. Berry : Oui.
Le sénateur Grafstein : Lorsque je suis allé au Nouveau-Mexique, nous avons parlé aux principaux experts du domaine de la recherche du département de l'énergie, et j'y ai entendu pour la première fois, c'était l'an dernier, que la biomasse forestière allait devenir une source de plus en plus importante dans la production d'éthanol à faible émission de carbone.
Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait sur ce front et où vous en êtes à l'heure actuelle?
M. Berry : Absolument, un des aspects visés par le projet CRIBE consiste à examiner la possibilité de convertir la biomasse en éthanol. Un des sous-produits d'une usine de fabrication de cellulose nanocristalline produite, nous l'espérons, à partir de matières de rebut est un sucre secondaire qui peut être converti en éthanol. Nous examinons la possibilité de fabriquer plusieurs produits dans un petit complexe de production d'éthanol, éthanol qui est appelé de seconde génération, plutôt que de produire de l'éthanol à partir de matières résiduelles agricoles.
Nous croyons qu'avec ces usines, nous ferons la démonstration du potentiel de production d'éthanol et de sa mise en marché.
Le sénateur Grafstein : Êtes-vous les seuls à faire cela au Canada?
M. Berry : Oui, en ce qui touche cet élément particulier, mais d'autres entreprises examinent la possibilité de produire de l'éthanol à partir de matières cellulosiques. Par exemple il y a une société qui examine la possibilité d'utiliser la canne de maïs. Il s'agit plutôt de déchets agricoles. Le processus n'utilise pas le maïs en soi, mais les résidus de la culture du maïs. C'est un exemple de société qui évolue dans ce domaine. La société Lignol serait un autre exemple. Il y a quelques sociétés qui tentent de séparer les différentes composantes du bois.
Dans mon introduction, j'ai expliqué que nous essayons de séparer les différentes composantes. Des sociétés essaient de faire la même chose, et l'une d'entre elles convertit la cellulose en éthanol. Le problème, c'est que les données économiques sont discutables. Parce que, ce qui peut être surprenant, c'est que la pâte de bois, même si on en dit beaucoup de mal, est en réalité un produit relativement bon sur les plans de la profitabilité et des bénéfices qu'il peut générer.
Le sénateur Grafstein : Quelqu'un m'a déjà parlé de biomasse provenant d'algues marines. Quelqu'un a suggéré qu'on se rende dans la région de l'Atlantique sur la côte canadienne, en deçà des 200 milles, et que l'on y construise une île à partir d'algues marines de façon à concentrer la production des algues à partir de cette source. Il y a des choses qu'on peut faire lorsqu'on est créatif. Je vous félicite pour le travail particulier que vous faites, parce que c'est très important pour nous du point de vue de la durabilité énergétique.
M. Berry : Merci beaucoup.
Le sénateur Mercer : Il existe une usine en Nouvelle-Écosse qui récolte les algues marines de façon régulière. Si ça vous intéresse, sachez que leurs produits sont exportés partout dans le monde. Par contre, il y a un pays au monde où on ne fait pas usage de leurs produits, c'est le Canada.
La vice-présidente : Là-dessus, je remercie nos témoins d'avoir accepté notre invitation, d'avoir donné de leur temps et de nous avoir parlé franchement. Ce fut une excellente réunion.
(La séance est levée.)