Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 10 - Témoignages du 5 novembre 2009
OTTAWA, le jeudi 5 novembre 2009
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 5, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité. J'aimerais d'abord demander aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Mahovlich : Je suis le sénateur Frank Mahovlich, de l'Ontario.
Le sénateur Finley : Je suis le sénateur Doug Finley, de l'Ontario.
Le sénateur Plett : Je suis le sénateur Don Plett, du Manitoba.
Le sénateur Rivard : Je suis le sénateur Michel Rivard, de la ville de Québec.
Le sénateur Fairbairn : Je suis le sénateur Joyce Fairbairn, de Lethbridge (Alberta).
Le président : Le comité poursuit son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada. Aujourd'hui, nous allons nous intéresser tout particulièrement à l'utilisation du bois dans la construction non résidentielle.
Honorables sénateurs, nous accueillons ce matin deux architectes, M. Larry McFarland et M. Lubor Trubka. Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation à comparaître. Je vous invite maintenant à prendre la parole. Votre exposé sera suivi d'une période de questions et commentaires. Nous allons débuter avec M. Trubka.
Lubor Trubka, architecte, à titre personnel : Merci pour l'invitation. J'aimerais vous fournir un peu de contexte en vous donnant un aperçu très rapide de quelques-unes des possibilités qu'offre le bois dans le secteur de la construction. J'en ai pour environ cinq minutes, après quoi je pourrai répondre à vos questions.
Je vais vous présenter quelques exemples que j'ai regroupés en différentes catégories. Il ne s'agit en aucun cas de construction résidentielle ni de bâtiments communément ou normalement construits en bois. J'ai fait bien attention de choisir des projets financés par le gouvernement fédéral.
Le projet réalisé à l'Université du Nord de la Colombie-Britannique à Prince George a bénéficié d'un financement conjoint. Le mandat était de construire toute l'université en bois. Vous pouvez voir ici le dernier bâtiment en construction qui est totalement fait de bois. Les structures, les planchers et les murs extérieurs sont tous en bois.
Les universités et les écoles sont les bâtiments les plus exigeants pour les concepteurs, les ingénieurs et les architectes, car les édifices de cette catégorie sont considérés comme des lieux de rassemblement par les codes du bâtiment national et provinciaux.
À Bella Coola, en Colombie-Britannique, une école a été entièrement construite à partir du bois des arbres qui se trouvaient sur son terrain. Les arbres ont été abattus et le bois a été utilisé sur place par les travailleurs de la bande indienne locale. L'école a été construite en 1985 et est encore aujourd'hui en parfait état. Absolument tout le bois utilisé pour cette construction provenait du site même.
De nombreuses écoles sont construites, surtout en Colombie-Britannique. Ces projets bénéficient toujours du financement du gouvernement fédéral par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord, parfois conjointement avec Santé Canada lorsque des cliniques de santé y sont intégrées. Elles sont toujours bâties pour des collectivités des Premières nations. Celles-ci exigent que l'école soit construite en bois. On nous répète sans cesse qu'on ne veut pas de « l'une de ces écoles de Blancs ».
Nous utilisons des matériaux et des produits standards, conventionnels et disponibles dans le commerce. Il n'y a rien d'unique ou d'exceptionnel à propos de ces projets.
Les cliniques médicales, les centres administratifs et différents autres types d'installations sont généralement aussi financés, tout au moins partiellement, avec l'aide du gouvernement fédéral. Voici d'ailleurs un bâtiment entièrement construit de bois qui abrite une clinique médicale, un centre communautaire et des bureaux administratifs.
Il va de soi qu'aucun de ces projets n'a été érigé en suivant les méthodes traditionnelles de construction résidentielle en bois. Ils ont tous plus ou moins été conçus suivant un procédé de préfabrication.
Les établissements de sport et de récréation forment une autre catégorie où le recours au bois est très avantageux, surtout dans le cas des arénas. Le Canada en compte sans doute des centaines de milliers. Ils sont construits autour d'armatures en acier comme des cages ou des « bunkers » en béton, alors que l'acier est le matériau qui convient le moins bien à la construction de toits au-dessus d'une surface glacée. Je pourrais vous fournir bien des détails et des informations techniques pour vous expliquer pourquoi il en est ainsi, mais les images se passent de commentaires. Tant du point de vue structurel que du génie, ces projets ne sont limités d'aucune manière par les conditions de grand froid. Les seules limites viennent de la mentalité des concepteurs ou de leur manque de motivation.
Certains des projets que nous avons conçus entièrement en bois ont une portée dépassant les 350 pieds. Pour qu'ils soient rentables d'un point de vue économique, il faut qu'ils utilisent un nombre maximal de répétitions des mêmes éléments, comme vous pouvez le voir sur cette structure. Vous dessinez un élément, vous le fabriquez, vous le reproduisez à 120 reprises et vous avez toute la structure de votre toit. De tels travaux peuvent être réalisés à très peu de frais.
Il y a aussi le secteur des centres commerciaux. Voici les plans établis pour un grand centre commercial destiné à une première nation de Port Alberni. Pour que le projet soit économique et viable, nous l'avons basé sur un procédé de préfabrication. Le même élément est répété dans toutes les colonnes, toutes les poutres et toutes les pièces du toit. On estime que le coût de construction sera environ 30 p. 100 moins élevé qu'avec toute autre forme traditionnelle de construction. Le bois permet en outre de faire les références appropriées au patrimoine traditionnel du conseil tribal.
Larry McFarland, architecte, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à prendre la parole en faveur du bois et de l'industrie du bois.
Je vous ai fourni les documents auxquels vous pourrez vous référer en suivant mon exposé.
Je suis architecte depuis 1978. Ma pratique est axée sur la recherche de solutions de construction durable en tenant compte des particularités du site et des utilisateurs. Tout comme M. Trubka, j'ai passé une bonne partie de ma carrière à travailler avec les gens des Premières nations dans toute la Colombie-Britannique.
Il pourrait vous dire tout comme moi que le travail auprès des Premières nations est souvent assimilable à une « réorientation culturelle » pour composer avec les notions d'esprit, de site, de forêt et de culture autochtone. Ma carrière en conception durable s'est pour ainsi dire amorcée lorsque j'ai commencé à travailler avec les membres des Premières nations, car leurs valeurs à l'égard de la terre — dans leur rôle traditionnel de protecteurs du territoire — m'en ont beaucoup appris sur l'importance à accorder au site, la façon de s'y adapter et les considérations environnementales à prendre en compte.
Si l'on fait exception des projets avec les Premières nations, la plupart de mes mandats me viennent du secteur institutionnel. Ce n'est pas non plus ce que l'on qualifierait nécessairement de projets commerciaux, mais l'essentiel pour les fins de votre étude, c'est qu'ils concernent la construction non résidentielle. Il s'agit notamment d'écoles, de collèges, d'universités et, à l'occasion, d'édifices gouvernementaux y compris un bâtiment qui a été terminé il y a quatre ans à Sidney (Colombie-Britannique) pour Parcs Canada. Il s'agissait du premier bâtiment construit au Canada à obtenir la cote Platine du système LEED, et cet édifice a été construit en bois. L'acronyme LEED désigne un système d'évaluation environnementale des bâtiments.
Pour aller dans le sens de votre convocation à comparaître, j'ai essayé de faire ressortir les éléments susceptibles de mettre en valeur la construction en bois au Canada. En 1978, je suis devenu membre du comité directeur provincial de l'organisme Wood WORKS! British Columbia. Environ 12 ans plus tard, je devenais membre du comité consultatif du Conseil canadien du bois.
On voulait que j'apporte ma contribution, en ma qualité de concepteur et de constructeur utilisant le bois, dans différents dossiers d'importance pour cette industrie. Cette contribution m'a permis de me faire une bonne idée de la situation. Ces gens ont magnifiquement bien réussi dans leurs efforts, car cela nous ramène essentiellement à 1999, pour créer une culture du bois en Colombie-Britannique.
Chaque province a son propre programme Wood WORKS!, et c'est le Conseil canadien du bois qui supervise le tout. Chaque province essaie de développer sa propre industrie du bois, parce que chacune a besoin de cette industrie.
Vous avez aussi soulevé la question de l'évolution récente des codes du bâtiment et des normes en matière de bâtiments écologiques. Les dernières normes adoptées en matière de bâtiments durables pénalisent les produits forestiers, car il y a davantage de comptes à rendre à cet égard que pour les autres matériaux comme l'acier et le béton. Il n'est pas nécessairement très dispendieux d'établir la chaîne de traçabilité pour le bois utilisé dans la construction, mais c'est une mesure qui n'est pas exigée pour les autres produits courants. Je me dois de vous transmettre ce message que le conseil essaie de m'inculquer depuis un bon moment déjà.
Wood WORKS! et le Conseil canadien du bois se sont employés activement à mettre en valeur les propriétés du bois dans un objectif de développement durable. Ils ont tenu une vaste campagne de publicité au sujet des avantages de l'utilisation du bois dans la construction et des effets bénéfiques qui s'ensuivent pour nos forêts. L'industrie était toutefois davantage intéressée à mesurer sa réussite à l'aune de la quantité de pieds-planche vendus, ce qui a eu pour effet de miner les efforts déployés pour faire la promotion de l'utilisation du bois en tant que seul matériau de construction durable à notre disposition sur la planète.
En sa qualité de membre du Conseil du bâtiment durable du Canada et du chapitre Cascadia de ce conseil, ma firme est bien au fait de l'évolution des normes. Je m'attends à ce que l'on abandonne graduellement un système comme LEED, qui cote les bâtiments au moyen d'une carte de pointage, pour mettre davantage l'accent sur une évaluation fondée sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment. On obtiendrait ainsi une mesure véritable de la durabilité d'un bâtiment, ce qui est plus significatif que de savoir que les planchers de bois sont faits de bambou ou des détails semblables.
À peu près tous les projets auxquels ma firme contribue sont évalués au moyen du système LEED. Nous participons même au Living Building Challenge, une initiative qui met au défi tous les architectes de ne pas laisser d'empreinte carbone sur la terre. Selon la définition du Conseil du bâtiment durable, cette initiative permet d'aller encore un peu plus loin que le programme LEED. L'un des critères est que le bois utilisé doit être certifié par le Forest Stewardship Council. La plupart des forêts de la Colombie-Britannique — par exemple, celles de pins victimes du dendroctone — n'obtiennent pas cette certification. Nous nous retrouvons ainsi avec de formidables ressources que nous ne pouvons pas utiliser pour ce type de construction en raison d'une certaine interprétation qui a été faite de la qualité des forêts. Quoi qu'il en soit, nous allons abaisser quelque peu nos normes pour utiliser ce bois de toute manière.
L'un des principaux impacts de la construction de bâtiments durables pour notre secteur a été l'adoption d'une approche de conception intégrée. Ainsi, l'expert-conseil principal, celui qui dirige la conception, travaille avec tous les autres entrepreneurs suivant un mode de consultation basé sur la recherche d'un consensus, plutôt que sur les décisions dictées par un responsable unique. Nous prêtons une oreille attentive aux arguments que font valoir les spécialistes des autres professions. Nous obtenons ainsi des bâtiments mieux construits et plus durables. Il s'agit certes d'un moyen à notre disposition pour progresser en ce sens. Nous ne nous déchargeons pas des problèmes sur le dos des autres. Nous prenons en considération des éléments comme l'orientation du bâtiment et les matériaux utilisés.
Le comité s'intéresse également aux codes du bâtiment. Le Code national du bâtiment du Canada est assorti d'un processus quinquennal d'examen dans le cadre duquel des modifications sont apportées. Au chapitre de la durabilité, il faudra probablement 50 ans pour que le code se mette au diapason des changements intervenus dans l'industrie de la conception architecturale. Ce régime normatif qui restreint l'utilisation du bois est remis en question dans le cadre de l'approche de conception intégrée dont je viens de vous parler. Dans la quête d'un objectif commun, nous essayons, de concert avec les autres experts participants, de contourner le code. Il s'est créé une nouvelle industrie d'experts-conseils en matière de code du bâtiment auxquels nous faisons appel pour régler les difficultés associées à la construction en bois. La plupart des bâtiments que nous concevons sont destinés à un usage institutionnel et il est toujours plus facile d'utiliser pour ce faire des matériaux non combustibles. Dans le document soumis au comité, vous verrez des photos du North Cariboo Community Campus à Quesnel (Colombie-Britannique). Cet édifice non combustible selon la définition du code du bâtiment est presque entièrement construit de bois. Le code du bâtiment pourrait être changé, mais cela prendrait des années. Il est plus facile de mobiliser toute l'équipe de conception et d'aborder le problème dans une perspective différente. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a procédé récemment à la troisième lecture d'un projet de loi modifiant le code provincial du bâtiment de manière à permettre notamment la construction d'édifices à charpente en bois pouvant atteindre six étages. On faciliterait ainsi l'utilisation des produits du bois tout en favorisant une plus grande densité dans nos villes, ce qui réduirait les coûts d'infrastructure à grande échelle. C'est un projet de loi fort prometteur. La province en a pris l'initiative. Lors d'une rencontre avec le président du comité directeur de Wood WORKS!, le premier ministre a appris qu'il nous était impossible de construire des bâtiments de bois de plus de trois étages en Colombie-Britannique et alors décidé que le code devait être modifié. Il est possible de le faire en Europe, mais nulle part au Canada, exception faite de la Colombie-Britannique. J'ai l'impression que les autres provinces ne vont pas hésiter à lui emboîter le pas. Vancouver a un objectif de densification urbaine. En dehors du centre-ville, il y a une série de quartiers composés de résidences unifamiliales de deux ou trois étages seulement. Il faut augmenter la densité résidentielle en construisant des bâtiments de bois pouvant atteindre six étages. Les codes du bâtiment doivent être changés; il est primordial d'intervenir à cette fin.
Par ailleurs, l'industrie du bois et de la foresterie se tourne de plus en plus vers les panneaux de bois stratifié croisé, une technologie utilisée abondamment en Europe. Il n'y a pas de fabricants en Amérique du Nord pour ce matériau qui consiste en un entrelacement de pièces de bois. Les propriétés acoustiques et isolantes des panneaux de bois stratifié croisé sont extrêmement prisées dans la construction de l'enveloppe structurelle des bâtiments. La quantité de bois utilisée est de quatre à cinq fois plus élevée, ce qui pose un défi pour l'industrie de la construction. Je note que le code du bâtiment de la Colombie-Britannique est axé sur la construction résidentielle, et que l'avènement des panneaux de bois stratifié croisé changera la manière dont les bâtiments de bois sont conçus et construits ainsi que leur rendement en matière de durabilité, d'efficacité énergétique et d'acoustique.
Quant au rôle que peut jouer le gouvernement fédéral pour favoriser la construction en bois, j'ai toujours rêvé de dicter une ligne de conduite aux instances gouvernementales, mais je vais m'en abstenir. Les modifications apportées au code du bâtiment de la Colombie-Britannique nous offriront amplement l'occasion d'augmenter notre utilisation du bois. D'autres provinces envisagent de procéder à des changements semblables pour ce qui est de leur propre code du bâtiment. Je ne crois pas qu'il incombe au gouvernement fédéral d'intervenir à ce niveau. Le gouvernement fédéral ne devrait pas préconiser l'utilisation d'un produit, le bois en l'occurrence, au détriment d'autres matériaux comme le béton ou l'acier. Tous ces produits ont leur place dans l'industrie de la construction. Le gouvernement fédéral devrait se concentrer sur l'objectif plus général de réduire l'empreinte carbone de tous les bâtiments, y compris les édifices fédéraux. Dans le cas du Centre des opérations de la réserve de parc national du Canada des Îles-Gulf, un petit édifice que nous avons construit pour Parcs Canada, nous avons réduit l'empreinte carbone de 32 tonnes par année par rapport à un bâtiment conventionnel. C'est une légère amélioration, mais il se construit des édifices beaucoup plus imposants que celui-là. En diminuant l'empreinte carbone de tous les édifices fédéraux, le gouvernement ferait implicitement la promotion de l'utilisation du bois, car c'est le seul matériau de construction qui emmagasine le carbone dans ses fibres. Le gouvernement n'aurait pas à dicter la conduite de qui que ce soit, car c'est un choix qui se ferait tout naturellement. Ni les architectes, ni les ingénieurs n'apprécient vraiment se faire dire ce qu'ils ont à faire.
Il faut également songer à l'établissement de programmes d'éducation postsecondaire favorables à cette démarche. Lorsque nous avons fondé Wood WORKS!, l'un de nos objectifs était de nommer quelqu'un à la chaire de construction en bois d'ingénierie à l'Université de la Colombie-Britannique. Voilà maintenant neuf ans que l'on s'efforce de recruter quelqu'un pour occuper ce poste. Nous devons pouvoir compter au sein de notre système d'éducation postsecondaire sur des gens qui comprennent la problématique du bois. Ce n'est peut-être pas aussi attrayant que la recherche sur les génomes, mais nous avons besoin d'ingénieurs qui savent quoi faire avec le bois.
Je vous prie d'appuyer Wood WORKS! et le Conseil canadien du bois dans leurs programmes de sensibilisation. Ils ont vraiment besoin d'aide. Ils fonctionnent avec un budget de 3 millions de dollars par année qui leur vient en grande partie du gouvernement fédéral, de l'industrie et des provinces. Ils accomplissent un formidable travail de communication et de sensibilisation du public et de l'industrie quant aux utilisations appropriées que l'on peut faire du bois. Lorsque Mary Tracey est devenue directrice exécutive de BC Wood WORKS!, elle est venue à Ottawa et a fait modifier le code à son retour en Colombie-Britannique lorsqu'elle s'est rendue compte que cela était nécessaire pour promouvoir l'utilisation du bois. Il en ira de même dans les autres provinces, mais je répète que ce n'est pas nécessairement votre rôle.
Il est également important d'appuyer la formation dans les métiers pour la construction en bois d'ingénierie. De nombreux édifices sont construits de cette manière, mais l'effet recherché avec le bois est perdu si l'on ne peut pas compter sur une équipe de construction qualifiée. Une chaîne de traçabilité est établie pour le bois dans un objectif de développement durable, mais une fois que le bois est livré sur un chantier de construction, certains entrepreneurs en font un usage inapproprié. On ne travaille pas de la même manière avec des panneaux de bois stratifié collé qu'avec du bois d'œuvre ordinaire. Comme ces panneaux sont beaucoup plus lourds, des techniques totalement nouvelles doivent être utilisées pour les déplacer. Il est donc important de former des gens en la matière. Nous travaillons actuellement à cinq projets où des panneaux de bois stratifié collé devraient être utilisés. Nous espérons qu'ils seront disponibles au Canada d'ici l'été prochain. Sinon, nous devrons modifier nos plans, mais nous espérons bien pouvoir être des chefs de file de l'industrie dans l'utilisation de ces matériaux.
Je n'ai pas d'images de la First Nations House of Learning que nous avons construite à l'Université de la Colombie- Britannique. C'est un édifice en bois entièrement préfabriqué comportant d'imposantes poutres de 70 pieds de long et de 3 pieds de diamètre. Toutes les pièces de bois ont été manufacturées et coupées à l'avance. Il faut absolument que ces techniques soient enseignées dans l'industrie du bois. Le Centre des opérations de la réserve de parc national du Canada des Îles-Gulf est le premier édifice construit en bois à obtenir la cote Platine du système LEED. Le North Cariboo Community Campus s'est vu décerner la cote Or du même système. L'école autochtone de Saanich verra bientôt le jour. Parmi mes réalisations à venir, il y a le Vancouver Native Youth Centre, un bâtiment en bois mettant en lumière la culture autochtone dans le quartier Downtown Eastside à Vancouver. Nous utilisons des panneaux de bois stratifié collé dans le cadre d'un projet pilote sur l'énergie renouvelable à l'Université de la Colombie-Britannique. L'an prochain, nous allons construire une usine de gazéification des déchets carbone qui répondra à 10 p. 100 des besoins en électricité de l'université. À l'étape de l'étude de faisabilité, il était notamment exigé que cette usine soit construite en bois. On utilisera des panneaux de bois stratifié collé provenant d'une forêt où le gaz carbonique sera capturé. Cette forêt est située à l'Université de la Colombie-Britannique. Il y a de gros arbres tout autour du site. Ce projet servira de symbole pour l'avenir : les arbres vivants, les arbres au travail et les arbres transformés en énergie.
Merci de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de mes réflexions au sujet du bois. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci à nos témoins.
Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Mercer : Merci à vous deux pour votre comparution de ce matin. Vous êtes les derniers d'une série de témoins que nous avons reçus dans le cadre de notre étude sur l'utilisation du bois. Vous avez soulevé différentes questions.
Monsieur McFarland, vous avez parlé de l'utilisation du bois stratifié croisé. Vous avez indiqué que cela pose des défis pour l'industrie de la construction. Quels sont ces défis?
Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit dans la dernière partie de votre exposé, vous utilisez du bois stratifié croisé, mais celui-ci n'est pas fabriqué au Canada. Où vous le procurez-vous?
M. McFarland : Il serait plus précis de dire que nous concevons des plans dans lesquels le bois stratifié croisé est utilisé. Nous avons une équipe d'ingénieurs qui soutiennent de près les efforts en ce sens. Il y a des usines pilotes. Par exemple, Canfor a une petite usine pilote à Vancouver qui produit du bois stratifié croisé, mais pas à un niveau commercialement rentable.
J'ai participé récemment à la réunion nationale du comité directeur de Wood WORKS! à Toronto. L'un des mandats est de mettre le programme en marche aussi rapidement que possible. Les États-Unis ont un programme dans lequel tout le monde investit beaucoup d'argent pour que les projets puissent se concrétiser.
Le sénateur Mercer : C'est ce qu'on appelle le gouvernement.
M. McFarland : On appelle cela un programme de prélèvement. Si le soutien de l'industrie est suffisant, sans que personne ne soit disposé à prendre le risque, chacun y va de sa modeste contribution, principalement au sein de l'industrie, pour établir un programme de financement à cette fin. C'est une façon possible de faire les choses.
Par ailleurs, l'un des membres du conseil de Wood WORKS! est à la tête d'une grande entreprise de fabrication de bois lamellé-collé établie à Penticton (Colombie-Britannique). Il s'est engagé à acquérir l'équipement nécessaire. Il m'a dit que cela serait fait d'ici juin prochain et qu'il pourra alors commencer à produire ce matériau pour nous.
Cela correspond à peu près aux échéanciers établis pour nos projets. Nous allons de l'avant en fonction de cet engagement.
Le sénateur Mercer : D'ici environ 18 mois, nous pourrons voir le produit final?
M. McFarland : Oui. Certains de ces projets s'inscrivent dans les initiatives fédérales-provinciales dans le cadre desquels la construction doit être parachevée d'ici le 31 mars 2011. Nous comptons respecter cet échéancier.
Il pourrait également être difficile de trouver des constructeurs capables d'utiliser ce matériau. L'approvisionnement fait partie des mandats qui échoient traditionnellement au gouvernement; les projets sont octroyés par appel d'offres. On ne trouvera personne ayant déjà construit un édifice avec ce matériau. De deux choses l'une, ou bien nous devrons payer une fortune pour la formation du constructeur ou encore nous allons le mobiliser dès le début du processus de conception pour qu'il apprenne au fur et à mesure.
Le sénateur Mercer : Vous avez aussi parlé de la construction d'édifices ne laissant aucune empreinte carbone en utilisant uniquement du bois certifié. Je ne sais pas trop ce que vous entendez par « bois certifié ». Nous avons récemment passé du temps en forêt et il m'a semblé que nous étions entourés de bois semblable. Comment une pièce de bois peut-elle en venir à obtenir une certification?
M. McFarland : Les gens du Centre du bâtiment durable du Canada seraient sans doute mieux placés pour vous répondre.
Seul le bois certifié par le Forest Stewardship Council serait considéré acceptable dans la construction d'un bâtiment pour obtenir les points prévus à l'égard de cet élément de la norme LEED. Vous pouvez toujours utiliser du bois non certifié, mais vous n'obtiendrez pas ce point-là.
Il existe de nombreux systèmes de certification sur la planète. Nous avons ici l'Association canadienne de normalisation et sa norme CSA. Les forêts canadiennes sont bien gérées, mais à peine 5 p. 100 d'entre elles sont certifiées par le FSC. C'est une forme de garantie quant à la croissance appropriée des forêts; à l'enlèvement du bois coupé de façon adéquate; et au règlement de toutes les autres questions pouvant aller jusqu'à la prise en compte des revendications territoriales à l'égard de la forêt. Ce sont là des objectifs bien nobles, mais ils n'assurent en rien la durabilité de la forêt. Il s'agit de considérations politiques, bien davantage que d'objectifs environnementaux.
Ce sont les inconvénients associés au système d'évaluation du Forest Stewardship Council. Nous disposons d'autres systèmes qui assurent le niveau de précaution que nous estimons nécessaire.
Le sénateur Mercer : Monsieur Trubka, vous avez parlé de l'utilisation du bois dans la construction des arénas. Soit dit en passant, vos photos sont extraordinaires; ce sont de magnifiques bâtiments. Vous avez indiqué que l'acier est le dernier matériau que l'on devrait utiliser pour construire un aréna. Pour quelle raison exactement?
Vous travaillez tous les deux beaucoup pour les Premières nations, mais vous ne semblez ni un ni l'autre faire partie de cette communauté. Est-ce que vos firmes respectives emploient des membres des Premières nations comme architectes, ingénieurs ou consultants?
M. Trubka : Je vais d'abord répondre à votre question concernant l'acier. Les idées fausses et les mythes pullulent concernant l'acier et le bois. On dit que le bois est combustible alors que l'acier ne l'est pas. Les pièces de bois d'œuvre et de bois d'ingénierie que nous utilisons pour le toit des arénas ou les planchers des grands complexes sportifs sont plutôt massives. Si ces pièces sont exposées au feu, elles vont brûler à la surface et créer ainsi une couche de carbone qui empêchera l'oxygène d'avoir accès au bois, ce qui arrêtera l'incendie.
En revanche, une structure d'acier doit être protégée des incendies par des moyens mécaniques — gicleurs ou revêtements. En cas d'incendie, l'acier se transforme en véritable spaghetti al dente et s'écroule immédiatement. Dès que l'acier est chauffé, il perd rapidement ses capacités et sa force structurelle et l'effondrement ne tarde pas.
Avec une structure de bois, l'incendie peut par contre se poursuivre pendant une heure ou deux. Pour la construction d'arénas en Europe, nous devons concevoir des structures qui tiendront au moins 90 minutes en cas d'incendie. Ainsi, tous les occupants peuvent évacuer l'édifice et les pompiers ont amplement le temps de faire leur travail.
C'est l'un des principaux avantages du bois. Il permet d'économiser lors de la construction sur les coûts des systèmes de gicleurs et des autres appareils de protection contre les incendies.
La plupart des architectes et des ingénieurs d'Amérique du Nord ne semblent pas se rendre compte du fait qu'il faut éviter d'intégrer des raccordements métalliques exposés au feu, si l'on veut rendre une structure en bois non combustible. Ils sont en effet nombreux à incorporer de larges lames d'acier au bois à des fins de décoration ou d'expression architecturale. La résistance du bois aux incendies est ainsi automatiquement annulée. Ce sont les plaques métalliques qui cèderont sous l'effet de la chaleur, pas le bois.
Pour ce qui est de l'humidité, il existe deux points de condensation ou de rosée distincts pour l'acier à des niveaux d'humidité relative plutôt faible. Dans le cas d'une structure en bois, il faut que l'humidité relative soit beaucoup plus élevée avant qu'il y ait condensation. Si la structure est en acier, vous devez déshumidifier l'aréna — ce qui entraîne d'importants coûts d'électricité — sans quoi la condensation se formant sur la structure d'acier s'écoule sur la surface glacée et cause des imperfections. C'est inacceptable en vertu des normes de la LNH et encore davantage pour les compétitions de patinage artistique ou de patinage de vitesse. Il faut enlever l'humidité. En entrant dans un aréna à structure d'acier, vous remarquerez quatre grosses boîtes à chacun des coins. C'est le système de déshumidification à déshydratant. Il en coûte quelque 40 000 $ par année pour faire fonctionner chacune de ces unités. C'est une dépense considérable.
En revanche, si vous avez une structure en bois, il n'est pas nécessaire de déshumidifier l'air. Dans certains arénas, nous nous contentons de la ventilation naturelle de l'air ou encore de pousser ou tirer l'air au moyen d'une grosse hélice placée à l'une des extrémités, sans déshumidification.
Cela permet d'importantes économies d'énergie, mais il y a aussi des avantages secondaires pour la glace et les athlètes. Le plus haut degré d'humidité relative de l'air permet aux athlètes d'offrir un rendement bien meilleur, car ils peuvent respirer plus aisément; ils ne risquent pas de s'étouffer ou de manquer de souffle comme c'est le cas lorsqu'ils patinent dans un environnement sec. La surface glacée devient également beaucoup plus rapide.
Ce sont les avantages les plus manifestes d'une structure en bois. Vous avez pu voir quelques-unes des structures les plus imposantes que nous érigeons. Les pièces peuvent être coupées, fabriquées et modelées à l'avance dans l'environnement contrôlé d'une usine, puis transportées sur place pour être assemblées. Règle générale, une structure comme celle-ci peut être érigée par une petite équipe de quatre ou cinq personnes dans un délai de trois ou quatre semaines.
Les arénas que nous avons construits en Colombie-Britannique, celui d'Abbotsford par exemple, ont été bâtis durant la période d'application de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui interdisait le financement municipal axé sur une seule industrie. Le conseil municipal nous demandait donc de concevoir deux structures : l'une à base d'acier et l'autre de bois.
Dans tous les cas, la structure en bois était nettement moins coûteuse que celle d'acier, malgré le fait que les entrepreneurs retenus n'avaient jamais rien construit de semblable auparavant. Ils n'avaient aucune expérience en la matière. Cependant, si la structure est conçue comme un jeu de Meccano ou de Lego ou à partir d'un ensemble d'éléments que l'on répète, il suffit de les guider un peu sur la façon d'assembler les pièces pour monter la structure; c'est très simple.
L'aréna d'Abbotsford a été construit par deux menuisiers québécois, accompagnés chacun de leurs deux fils. Ils ont habité au motel pendant six semaines, le temps qu'il a fallu pour monter toute la structure. Le coût était inférieur de 640 000 $ à la soumission la plus basse. Il y a assurément des avantages.
Selon moi, la principale difficulté se situe au chapitre de la motivation. Nous devons fonctionner dans un contexte où la concurrence est très vive. Les architectes, les ingénieurs et les équipes de conception doivent soumettre des propositions pour qu'on leur confie un projet. Il faut généralement entre une et deux semaines pour préparer ces propositions, ce qui exige beaucoup de main-d'œuvre et de nombreuses dépenses remboursables.
Le client potentiel — une université, un collège, une municipalité, ou peu importe — reçoit ensuite ces propositions parmi 15 à 30 autres en provenance de 15 à 30 équipes. On réduit cette liste à cinq candidats que l'on convoque en entrevue. Il est bien précisé dans toute la documentation que le prix définitif fera l'objet de négociations. Cela signifie que l'on retiendra deux derniers candidats pour négocier avec eux les honoraires à verser. On rogne sans cesse sur les coûts de telle sorte que les deux dernières équipes, après avoir consacré beaucoup de temps au projet, se retrouvent avec un prix minime ou de base qui ne correspond en rien avec leurs estimations du départ. À cette étape, auront-elles encore la motivation de concevoir des plans prévoyant un système ou des matériaux structurels avec lesquels elles n'ont jamais travaillé? Non, elles vont plutôt choisir l'option la plus facile et la plus rapide de manière à récupérer les investissements qu'elles ont consentis dans ce processus.
Le président : Monsieur McFarland, des commentaires?
M. McFarland : Je n'ai pas pu répondre à la question concernant notre personnel et j'aimerais apporter des précisions à cet égard.
J'ai pu compter sur de nombreux employés des Premières nations au fil de ma pratique qui s'étend maintenant sur une trentaine d'années. Ils finissent par passer à autre chose; certains ambitionnent d'établir leur propre firme. Ainsi, Alfred Waugh, l'architecte du Lillooet Cultural Centre à Whistler, a travaillé pour moi pendant environ cinq ans avant de se lancer à son compte.
Pour travailler avec les membres des Premières nations, il n'est pas nécessaire d'être des leurs, mais il faut être capable de les écouter. C'est la même chose pour l'éducation des enfants, tout au moins selon mon épouse. Notre expérience avec les services de garde nous a appris qu'il était utile de savoir bien écouter. Nous nous sommes gagnés la confiance de nos clients des Premières nations en les écoutant. Parfois, il faut ainsi les écouter pendant des mois. Nous sommes rémunérés; nous avons un mandat pour réaliser le projet, mais nous devons gagner leur respect et leur confiance. L'écoute est donc importante. Nous n'avons jamais jugé essentiel d'embaucher des membres des Premières nations au sein de notre personnel, mais c'est toujours une bonne chose d'en avoir.
Le sénateur Eaton : Je trouve que les édifices que vous construisez sont magnifiques. J'applaudis toutes vos réalisations.
Vos propos à tous les deux se limitent essentiellement à la Colombie-Britannique. Dans quelle mesure le climat affecte-t-il ces édifices? Pourriez-vous construire les mêmes édifices dans le Nord de l'Ontario, au Québec ou même ici à Ottawa? Résisteraient-ils à la neige et à la glace?
M. McFarland : Oui. Le bois est le matériau de construction traditionnellement utilisé partout au Canada. Il faut tenir compte du froid qui crée un environnement sec; il faut prévoir que le bois va se contracter, un phénomène qui ne se produit pas avec les autres matériaux de construction. C'est un aspect essentiel. En revanche, nous avons beaucoup de pluie en Colombie-Britannique, ce qui fait que nous nous retrouvons avec du bois mouillé.
Tous les plans de construction que je propose — et je suis pas mal persuadé que c'est la même chose pour M. Trubka — pourraient être menés à terme dans n'importe quel environnement au Canada, pour autant que l'on tienne bien compte du climat. Il ne faut pas croire que la profession d'architecte nous place au-dessus de tout. Il faut écouter ce que nous dit l'environnement afin de pouvoir proposer la réponse appropriée.
Le sénateur Eaton : Nous avons reçu deux architectes, l'un de l'Alberta et l'autre du Québec, qui étaient tout comme vous de fervents partisans du bois. L'architecte du Québec, qui fait beaucoup de projets de construction en utilisant abondamment le bois, a soutenu que ce matériau était excellent pour l'intérieur, mais que d'autres étaient peut-être préférables à l'extérieur. C'est parce que les Canadiens n'ont pas encore développé le goût des Autrichiens ou des Allemands, par exemple, qui laissent vieillir le bois. Il prend ainsi une teinte de gris. En Autriche, on utilise une technique de carbonisation du bois, ce qui fait que les édifices sont noirs. Il a fait valoir que les gens d'ici ne sont pas encore prêts à apprécier ce genre d'aspect pour l'extérieur d'un bâtiment.
M. McFarland : C'est une question de culture. C'est un goût que l'on peut acquérir avec le temps. Cela n'a rien à voir avec le rendement du matériau pour protéger l'édifice ou le maintenir debout.
Je suis d'accord avec vous, car les normes canadiennes sont généralement, dans leur forme prescrite, inférieures aux normes européennes dictées par le consommateur. Les édifices en bois que l'on peut voir en Europe ont une belle finition. Dans bien des cas, le bois est recouvert, surtout à l'intérieur. Vous avez raison, mais c'est une question de perception, plutôt qu'un enjeu pratique relié à la construction.
M. Trubka : Il n'y a aucune restriction climatique à l'utilisation du bois nulle part au monde. À Obihiro, au Japon, il y a un grand anneau de patinage de vitesse qui est exposé non seulement à d'énormes risques de tremblement de terre, mais aussi à pas moins de trois mètres de neige par année. Le code local du bâtiment ne permet pas qu'on enlève la neige du toit, ce qui fait que la charge de neige demeure en place pendant tout l'hiver. En outre, les bouleversements climatiques sont si importants là-bas qu'une journée de gel peut très bien être suivie d'un dégel accompagné de pluie. La neige forme alors une épaisse couche de glace. Pour autant que la structure de bois soit conçue de manière à pouvoir supporter cette charge — et vous pouvez voir qu'il s'agit d'un toit plat, le plus difficile à construire en bois pour un ingénieur de structure — et pour autant que ces différents éléments soient exposés à des charges de compression, la structure en bois tiendra mieux le coup qu'une autre en acier. Lorsqu'on la conçoit et la fabrique en utilisant une répétition normalisée d'éléments identiques, cela devient aussi simple qu'un jeu de Meccano.
Je ne laisserais jamais une structure semblable être exposée aux intempéries. Le bois doit toujours être protégé. Si l'on prend l'exemple de l'Université de Prince George, vous pouvez constater que les bâtiments sont construits en bois. Vous ne voyez toutefois pas le bois lorsque vous regardez les édifices de l'extérieur. Le bois est à l'intérieur de manière à être protégé. On le retrouve sur les murs, les toits et les planchers. On a toutefois recours à un revêtement extérieur dans un autre matériau que le bois pour résister aux conditions climatiques de Prince George, où la température peut passer de -40 degrés en hiver à +40 en été.
Tous les projets que nous avons menés avec les Premières nations, un total de 47 en 35 ans, ont été financés par le ministère des Affaires indiennes et par Santé Canada. La construction s'est toujours faite en vertu de contrats de pilotage sans qu'il n'y ait d'appel d'offres, ce qui a permis de créer beaucoup d'emplois dans ces collectivités éloignées des Premières nations. Les édifices ont été construits principalement par la main-d'œuvre locale. Bon nombre des jeunes membres de ces collectivités ont pu obtenir une carte d'apprenti après leur participation au projet. Plutôt que le financement bénéficie à des entrepreneurs de l'extérieur, les fonds sont demeurés au sein des communautés visées, ce qui a contribué d'autant à améliorer leur situation financière. Bien que nous n'employions pas d'ingénieurs, d'architectes et de concepteurs des Premières nations, nous avons travaillé avec ces collectivités qui ont pris elles- mêmes en charge la mise en chantier et la construction.
Le sénateur Eaton : Pour encourager l'utilisation du bois dans la construction, quels arguments pouvons-nous faire valoir? Faut-il sensibiliser directement les architectes ou bien nous adresser à la population canadienne afin qu'elle exige des architectes des constructions en bois? Par où faut-il commencer?
M. Trubka : J'ai parlé de la motivation et c'est la première étape.
Le sénateur Eaton : S'agit-il de la motivation des instances municipales? Ce sont tout de même ces gens qui siègent en conseil et qui doivent rendre des comptes.
M. Trubka : Je parle de la motivation des architectes et des ingénieurs. Pourquoi auraient-ils recours au bois s'ils ne savent pas vraiment comment s'y prendre? Environ 95 p. 100 des architectes et des ingénieurs canadiens n'en ont aucune idée ni aucune expérience, n'ayant jamais bâti rien d'autre que des immeubles résidentiels à structure de bois conventionnelle de deux ou trois étages. Dans l'ensemble des universités canadiennes, il n'y a pas une seule chaire ou faculté consacrée à l'architecture ou à la technologie du bois. On se demande pourquoi quand on sait que notre pays est l'un des principaux producteurs de bois au monde. En Europe, toutes les grandes universités ont une faculté semblable où l'on retrouve professeurs, assistants, ateliers, programmes informatiques et de nombreux étudiants suivant des cours obligatoires sur l'ingénierie du bois, l'ornementation et les raccordements.
Le sénateur Eaton : Comment pouvons-nous changer la situation? Comment pouvons-nous faire comprendre aux universités que le bois est la meilleure solution pour la construction?
M. Trubka : M. McFarland a parlé de pressions en faveur de l'établissement d'une faculté de l'ingénierie du bois à l'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. Cette campagne a débuté il y a quelque 18 ou 20 ans, mais ne s'est poursuivie que sporadiquement. À tous les deux ou trois ans, il y a des pressions en ce sens, mais on n'est jamais allé de l'avant parce qu'il n'y a jamais eu de financement.
Le sénateur Eaton : Est-ce à cause d'un manque de financement ou de l'absence de demandes?
M. Trubka : Il n'y a pas de financement.
M. McFarland : Il n'y a pas de demande non plus, si je puis me permettre.
M. Trubka : J'estime que l'éducation est du ressort du gouvernement et que celui-ci devrait fournir les fonds nécessaires pour l'établissement d'une chaire en génie. Deux professeurs ont été trouvés pour cette faculté proposée à l'Université de la Colombie-Britannique. Ils étaient tous les deux disposés à quitter l'Europe pour venir enseigner au Canada. Toutefois, cela ne s'est jamais concrétisé en raison d'un manque de financement. Forest Renewal BC a versé 250 000 $ pour cette faculté, mais cela ne permettra pas d'aller très loin.
[Français]
Le sénateur Rivard : La question que vient de poser le sénateur Eaton change totalement ma question. Lorsqu'il y a un projet non résidentiel, que ce soit un promoteur privé, un gouvernement ou une institution publique, on va vous voir et on vous dit : « J'ai tel besoin, je veux faire construire tel immeuble de telle dimension. » Votre rôle est de conseiller. Plus souvent vous allez conseiller du bois, plus souvent il y aura du bois. Cependant, vous venez de répondre qu'à peine 5 p. 100 des architectes sont favorables à recommander le bois, soit par ignorance, par négligence ou à cause d'autres intérêts. Peut-on espérer qu'à court ou à moyen termes, les architectes vont, de plus en plus, suggérer fortement l'utilisation du bois dans les constructions non résidentielles?
Ce n'est pas demain la veille que nous allons voir pratiquement autant de constructions en bois que de constructions avec des matériaux traditionnels tels que le béton ou l'acier. Cependant, je me mettais à rêver avant d'écouter votre réponse. Le jour où, majoritairement, les architectes vont proposer des immeubles non résidentiels en bois, serait-il possible, au-delà de cela, d'espérer qu'à moyen terme, les producteurs de bois pourront exporter des structures de bois, que ce soit aux États-Unis, en Europe, en Amérique du Sud ou en Asie? Si je comprends bien, avec seulement 5 p. 100 d'architectes qui semblent favoriser le bois, je pense que je devrais poser la question dans quelques années.
[Traduction]
M. Trubka : Les produits canadiens dérivés du bois sont les meilleurs au monde. Ils sont de loin supérieurs aux produits européens. Le Parallam a été créé en 1966. Ses inventeurs ont reçu le prestigieux prix Marcus Wallenberg en Europe. Le produit est resté sur les tablettes pendant 15 ou 20 ans, car les constructeurs ne s'en servaient que pour les abris d'auto et les poutres de garage. L'aréna dont nous avons dessiné les plans pour South Surrey a été le premier projet à utiliser vraiment ce produit. Ses capacités structurelles sont de 30 à 50 p. 100 supérieures à celles de tout autre produit laminé dérivé du bois.
Aucun ingénieur canadien n'a voulu nous donner son appui pour convaincre le conseil municipal. Nous avons donc fait venir un ingénieur de Suisse, Julius Natterer. Grâce à sa contribution, la structure a pu être construite.
À la suite de cette réussite, le projet a fait grand bruit partout en Europe par l'entremise des magazines spécialisés. MacMillan Bloedel a établi un réseau de 55 centres de distribution en territoire européen. Les pays européens ont permis l'importation du Parallam sans droits de douane parce qu'il était considéré comme une ressource renouvelable. Pendant presque 10 ans, on a pour ainsi dire inondé le marché européen avec ce produit qui a été utilisé dans la construction de nombreux édifices, dont certains à partir de nos plans. Et voilà qu'une tempête de vent hivernale qui a balayé l'Europe est venue tout bouleverser en faisant tomber d'énormes quantités d'arbres sur les routes et les voies ferrées en Autriche, au Liechtenstein, en Suisse et en Allemagne.
Une société autrichienne, Kaufmann Holz, a négocié avec le gouvernement l'achat de tous les ventis, qu'il fallait récupérer afin de prévenir l'infestation des forêts. Tout ce bois obtenu pour une bouchée de pain a fait cesser l'importation de Parallam (bois de copeaux parallèles) en Europe. Par la suite, MacMillan Bloedel a été vendu à Weyerhaeuser et à deux grandes sociétés américaines.
Les produits canadiens du bois d'ingénierie sont très recherchés, et on se les arrache sur les marchés de la Corée, de Taiwan et du Japon. Je suis toujours déconcerté, quand, à l'étranger, je constate la haute estime dans laquelle on tient les produits canadiens. Pourtant, je ne trouve personne au Canada, qui soit dans les mêmes dispositions, particulièrement chez les architectes et les ingénieurs.
Cela nous ramène, encore une fois, aux observations que j'ai faites sur les études et la motivation.
M. McFarland : Je veux répondre, moi aussi, à cette question. Je l'ai peut-être effleurée dans mon mémoire. Je crois que la meilleure façon de promouvoir la construction en bois est d'exiger pour les immeubles — tous, idéalement, mais les bâtiments fédéraux, au moins — une empreinte carbone réduite. On incitera ainsi le secteur à réfléchir sur les bons matériaux à utiliser.
M. Trubka a raison. La construction de nombreux édifices obéit au plus petit dénominateur commun. Notre pays est couvert de ces édifices, en raison d'importantes compressions des honoraires et parce que les promoteurs veulent dépenser le moins possible.
Toutefois, si, pour tous les édifices, il devient obligatoire d'avoir une empreinte carbone réduite ou de satisfaire à une certaine norme, le bois s'imposera. Les architectes apprendront. Ce n'est pas sorcier. Dans la plupart des cas, c'est simplement une question de gros bon sens.
Pour ce qui concerne l'exportation d'unités préfabriquées, l'industrie pétrolière canadienne des Prairies a mis au point des constructions modulaires appelées unités ATCO. On en trouve partout dans le monde, et elles sont de taille habitable. Au Canada, pour autant que je sache, très peu d'assembleurs de produits du bois seraient capables de fabriquer des éléments de construction destinés à l'exportation.
Les fabricants de lamellé-collé ne peuvent pas répondre à la demande que nous avons dans une industrie de la construction en déclin. Il y en a un en Colombie-Britannique, un autre en Alberta et deux au Québec. Je ne sais pas s'il y en a en Ontario. Nous comptons sur les importations des États-Unis.
Il y a un fossé dans notre industrie de la fabrication. Je parlais à ces messieurs de Structurlam Products, au sujet de la création de produits en lamellé-croisé. Cette société se contente d'en fabriquer. Dès que le produit quitte ses entrepôts, elle ne se soucie plus de ce qui lui arrive. Dans la filière, nous devons nous assurer que les utilisateurs du produit s'en servent comme il faut, mais cette société ne veut pas se charger de cette responsabilité.
Ce n'est pas le cas en Europe. Ici, peut-être manque-t-on d'initiative ou fait-on trop d'argent; je ne sais pas. Je vais essayer de persuader ce fabricant.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je vous remercie pour vos commentaires et pour votre suggestion concernant les édifices gouvernementaux.
[Traduction]
Le sénateur Mahovlich : Vous avez dit qu'en Europe on construit des bâtiments en bois de six étages. Pourquoi, ici, n'autorise-t-on que trois étages? Il doit y avoir une raison.
M. Trubka : À mon arrivée au Canada, il y a 40 ans, je me suis posé la même question. J'ai commencé par apprendre à construire des immeubles d'habitation en bois. À mon avis, le bois n'impose aucune limite. Les services municipaux chargés de l'habitation m'ont dit que la hauteur était limitée par la longueur des échelles de camions d'incendie.
J'ai conçu mon premier immeuble de quatre étages il y a 38 ans. Autour du périmètre de l'édifice, à une quinzaine de pieds de distance, j'ai construit une banquette surélevée. Ainsi, l'échelle du camion d'incendie pouvait atteindre la hauteur de l'immeuble qui satisfaisait ainsi à la hauteur réglementaire de trois étages. J'ai mené cette campagne à la manière d'une comédie bouffonne à la Laurel et Hardy. C'est toutefois tout ce que je peux donner comme réponse. Peut-être que M. McFarland sait quelque chose de plus concret.
Comme M. McFarland l'a dit, les codes de la construction ne sont pas vraiment un obstacle. Ils n'empêchent pas le changement. Après tout, la loi oblige les architectes et toute l'équipe de concepteurs à garantir des vices de construction.
M. McFarland : D'après moi, la limite de trois étages correspond à la capacité de l'équipement de lutte contre les incendies. Rappelons-nous que ces codes existent depuis 45 à 50 ans. Dans mon exposé, j'ai voulu faire comprendre que les codes n'évoluent pas assez rapidement. Parfois, il est bon que le changement se fasse lentement; mais, en matière de durabilité, beaucoup de choses dépendent de nos méthodes de construction.
Le sénateur Mahovlich : Les Européens ont-ils des échelles qui leur permettent d'atteindre le sixième étage?
M. McFarland : Ce n'est peut-être pas le critère qu'ils ont utilisé. Des renforts et des éléments de protection permettent de construire de plus gros immeubles en bois, mais il reste encore une marge de manœuvre.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné que la construction en bois est meilleure pour la santé. Il y a 40 ou 50 ans, à Davos, en Suisse, j'ai vu une patinoire construite en bois. J'étais stupéfait, je n'avais jamais rien vu de tel. J'y ai joué au hockey, et ma respiration était beaucoup plus facile.
Pensez-vous qu'il serait avantageux de construire nos aérogares en bois, parce qu'elles sont très peuplées et que ce pourrait être plus sain?
M. Trubka : Absolument. J'ai été très déçu lorsque le contrat de l'aérogare de Vancouver nous a échappé. Elle est entièrement en acier — des colonnes d'acier qui se ramifient et qui évoquent des arbres.
Les ingénieurs qui l'ont conçue ont eu un bureau près du mien pendant une quinzaine d'années. J'étais toujours en train de les taquiner, en les traitant plaisamment d'incompétents pour ne pas avoir pu la concevoir en bois, parce que, ensuite, ils ont enveloppé les colonnes de placage pour leur donner l'apparence du bois. Cependant, ils ont prétendu qu'ils ne pouvaient pas faire la structure en bois. Je ne les crois pas.
Au fond, c'était encore une fois parce que c'était un procédé nouveau pour eux. Le concours tirait à sa fin. Ils ont réduit leurs honoraires à l'essentiel, ce qui les a obligés à choisir la technique avec laquelle ils étaient le plus à l'aise et qu'ils savaient qu'elle leur permettrait de travailler très rapidement.
Pour répondre à votre question, oui, tous les grands édifices publics sont des candidats de choix pour la construction en bois.
Le sénateur Mahovlich : Je sais que l'architecte qui a conçu l'aérogare d'Ottawa voulait la construire en bois, mais qu'il ne pensait pas que c'était possible; mais vous, vous dites que cela reviendrait meilleur marché.
M. Trubka : Oui, à la condition de savoir comment s'y prendre. On revient sans cesse à la même conclusion. Beaucoup d'aérogares en Europe, particulièrement en Scandinavie, sont tout en bois.
Le sénateur Mahovlich : En Finlande, la plupart des édifices sont en bois.
Nous parlions des Autochtones. Saviez-vous que, pour la construction de l'Empire State Building, à New York, on a embauché des Mohawks de Maniwaki et de Montréal? Pour travailler en hauteur, les Mohawks ont moins le vertige que n'importe qui d'autre; vous pouvez commencer à en embaucher.
M. Trubka : Mon premier projet et mon tout premier contact avec les Premières nations se situent en 1975. Pour la rencontre, j'avais apporté beaucoup d'esquisses et j'avais beaucoup d'idées. Tous mes hôtes, ils étaient 50 ou 60, étaient très calmes, et je n'ai pu tirer d'eux ni un mot ni un commentaire.
J'ai proposé une pause pendant laquelle ils pourraient écrire ce qu'ils pensaient des esquisses, qui étaient toutes exposées sur les murs. De retour de la pause, j'ai pu lire un message qui disait : « Nous te parlerons quand tu auras la même odeur que nous. »
Je les ai toutefois trouvés extrêmement capables. D'instinct, ils sentent et comprennent le bois et ils peuvent le façonner. Ils n'ont pas de formation professionnelle — ils ne sont ni charpentiers ni menuisiers — mais, avec des outils, ils peuvent, sur un morceau de bois, effectuer du travail d'une qualité exceptionnelle.
Tous ces bâtiments sont exposés à un climat rigoureux. On apporte un soin énorme aux détails et à la finition, de l'intérieur comme, particulièrement, de l'extérieur, et ces constructions durent. Il n'y a pas de vandalisme ni de bris de vitres, parce que ces nations se chargent elles-mêmes de la construction.
M. McFarland : Je reviens sur les observations du sénateur Mahovlich sur la sensation de bien-être qu'il a ressentie dans la patinoire de bois. J'ai mentionné le Centre des opérations de la Réserve de parc national des Îles-Gulf, construit à Sidney pour l'Agence Parcs Canada. Je sais que la plupart d'entre vous ont visité la côte Ouest et vu les îles Gulf. La réaction des utilisateurs a été l'une des choses les plus agréables que m'a apportées la réalisation de cet ouvrage.
Ce sont des bureaux pour les gardiens qui vont sur le terrain. Là-bas, le terrain c'est un bateau, une île, entourés de pygargues et de poissons. On nous a félicités pour le plaisir qu'on éprouve à travailler dans le bâtiment. Il est fait en bois, son aération est naturelle, et c'est une construction durable; on trouve autant de bonheur à travailler à l'intérieur qu'à l'extérieur. Quel plaisir que de se trouver dans un immeuble en bois bien conçu, durable. Il fait mieux qu'ailleurs d'y vivre, d'y étudier, et cetera.
Le sénateur Plett : Merci de votre présence et de votre excellent exposé. Mon appréciation des produits du bois a vraiment changé au cours des derniers mois et, plus particulièrement, des dernières semaines.
Le sénateur Mercer a parlé de notre bruyante expédition forestière de la semaine dernière. Nous avons assisté au cycle complet de vie d'un arbre, depuis sa plantation jusqu'à sa transformation en usine, en passant par les étapes de sa croissance, que nous avons observées, puis son abattage et son ébranchage.
Vous avez parlé de la certification du bois. Je suis du même avis que le sénateur Mercer : pour moi, du bois c'est du bois. Il y en avait beaucoup là-bas, et on devrait pouvoir tout l'utiliser.
Les sénateurs Eaton et Mahovlich ont abordé les raisons pour lesquelles nous n'en utilisons pas davantage, les matières à enseigner, et cetera. Un certain nombre de témoins semblent ne pas savoir à qui attribuer la faute. Certains accusent les architectes et les ingénieurs de délaisser le matériau. Des architectes et des ingénieurs disent qu'ils n'ont pas suffisamment appris dans les universités qu'ils ont fréquentées.
Aujourd'hui, il a été question des codes. J'aimerais creuser un peu plus à partir des questions du sénateur Eaton et demander comment nous pouvons améliorer ces codes. Est-ce par la faute du lobbying que les codes continuent de privilégier le béton et l'acier? Visiblement, les codes sont établis dans une certaine mesure par l'État, mais, bon sang, les auteurs de ces codes veulent également que les matériaux et les bâtiments soient les meilleurs.
Est-ce la cause véritable du problème ou est-ce que les architectes et les ingénieurs n'en veulent pas? Si ce sont les codes, que peut faire le comité? Le gouvernement peut-il faire quelque chose pour modifier les exigences des codes de construction pour les immeubles de quatre et de six étages en bois? Il doit y avoir une autre solution.
M. McFarland : Pendant 10 ans, j'ai fait partie du conseil consultatif du Conseil canadien du bois. Chaque année, le personnel technique du conseil revoit le code. Le Conseil canadien du bois est associé à l'American Wood Council. Ils produisent un rapport qui porte souvent sur les modifications à apporter au code. Je pense que vous avez fait mouche lorsque vous avez dit que les modifications apportées au code font l'objet d'un lobbying. Une activité incroyable de lobbying touche les prescriptions du code — sur tous les aspects, depuis le plastique jusqu'à la combustibilité en passant par le verre. Les gros joueurs sont les secteurs du bois, de l'acier et du béton. L'industrie du bois est plus petite et n'a pas poussé l'art du lobbying au même degré de perfection que les grosses organisations. Prise dans son ensemble, l'industrie forestière canadienne est constituée de nombreux petits joueurs.
Le personnel technique du Conseil canadien du bois surveille les modifications apportées au code et il fait des exposés sur les enjeux qui en découlent. Dernièrement, l'industrie du bois était censée devoir être exclue de certaines discussions, mais après beaucoup de protestations auprès de l'organisme qui rédige le Code national du bâtiment, elle y a été réadmise. Elle craignait de perdre la position qu'elle occupait dans la construction en bois et de perdre du terrain par la faute d'un plus grand nombre de contraintes.
Indéniablement, le code sert à protéger les gens. C'est sa raison d'être générale. Je refuse d'attribuer la cause du problème à un joueur, parce que c'est davantage une question de changer notre culture et de nous amener à apprécier, comme critères de durabilité d'un bâtiment, les caractéristiques du bois, depuis sa carbonisation jusqu'à son aspect.
J'ai fait une observation sur la neutralité de l'empreinte d'un immeuble. Il faut que tous y soient sensibilisés et qu'ils agissent. Si nous ne pouvons pas utiliser le bois dans les aérogares ni dans les immeubles à plusieurs étages, nous devrons faire preuve de créativité, et la solution au problème ne se trouvera pas dans un secteur particulier. Il faudra faire mille petites choses. Les mots me manquent pour décrire le travail de sensibilisation des responsables du programme Wood WORKS! aux enjeux de la durabilité.
Je ne sais pas si je peux répondre à plus de questions. J'aimerais avoir un élément de réponse, mais alors que chacun accuse son voisin, en réalité, nous sommes tous concernés et nous devons tous faire de notre mieux. Ces dix dernières années, la qualité des constructions et de l'architecture inspirées par le programme Wood WORKS! a vraiment décollé en Colombie-Britannique, et le phénomène est en train de se répéter en Ontario. Demain soir, à Toronto, j'assisterai au gala de Wood WORKS! Des constructions urbaines très stimulantes seront construites, avec des quantités considérables de bois, ce qui ne se serait pas vu il y a 10 ou 15 ans. Pour la conception et la construction de l'Anneau olympique de Richmond, nous sommes redevables à l'extraordinaire créativité de nombreux concepteurs, assembleurs et ingénieurs. Pour diriger ce genre d'équipe, le propriétaire, l'architecte ou l'ingénieur doit avoir de la vision. Dans ma profession, le plus difficile est de trouver la vision du projet. Une fois que l'on a cette vision, on s'arrange pour la réaliser. Si la vision consiste à construire en bois, on s'en donne les moyens.
M. Trubka : Je serais d'accord avec M. McFarland. Je n'ai jamais considéré le code comme un obstacle. Vous avez vu des projets que nous réalisons. Le code n'est pas l'obstacle. Modifier les codes n'encouragera pas les architectes ni les ingénieurs à concevoir des bâtiments en bois. Il leur faut une autre motivation, parce qu'ils peuvent choisir entre l'acier, le béton ou le bois. Actuellement, 95 p. 100 des architectes et des ingénieurs ignorent cette trinité; ils pensent acier ou béton. L'idée de construire en bois est l'apanage d'une poignée de fanatiques tels que M. McFarland et moi ainsi que quelques autres ingénieurs et architectes qui aiment passionnément le bois. L'idée d'utiliser le bois n'effleurerait même pas l'esprit de la plupart des architectes et des ingénieurs.
Cependant, en Colombie-Britannique, grâce au programme Wood WORKS!, l'idée prend de l'ampleur. Beaucoup de jeunes architectes essaient de s'approprier le concept, parce que, grâce au programme Wood WORKS!, ils peuvent être reconnus et appréciés. J'ai prononcé beaucoup de conférences et fait beaucoup d'exposés en Ontario, en Alberta et en Saskatchewan devant des architectes et des ingénieurs. Ces manifestations ont été organisées par un programme Wood WORKS! et le Conseil canadien du bois. L'attitude semble être que le bois est un beau matériau, mais qu'il convient davantage à la Colombie-Britannique et ne peut pas être mis en œuvre ailleurs. Je demande : « Pourquoi pas? Qu'est-ce qui vous arrête? » La réponse : « Nous n'avons jamais essayé. Personne ne le fait. » Il faut que quelque chose les motive pour les amener à penser au bois comme solution de remplacement à l'acier et au béton. Ce serait un bon point de départ.
Le sénateur Plett : Y a-t-il suffisamment d'immeubles à construire en bois en vertu des codes actuellement en vigueur? Si, collectivement, nous nous appliquons à construire en bois, nous n'aurons peut-être pas à modifier immédiatement les codes.
M. Trubka : En effet.
Le sénateur Plett : Cette photo représente un édifice de 110 mètres sur 220. Quelle est sa hauteur? Quel est le nombre de places?
M. Trubka : De la surface de la glace au pinacle, la hauteur est de 25 mètres; le nombre de places est de 5 000.
Le sénateur Plett : Vous dites que, à Abbotsford, votre édifice a coûté 640 000 $ de moins que s'il avait été construit en acier. Est-ce à cause des matériaux locaux? Si cette patinoire avait été construire à Regina, où aucun arbre ne pousse à 100 milles à la ronde, auriez-vous économisé autant?
M. Trubka : Cela n'aurait rien changé, parce que nous utilisons le Parallam (bois de copeaux parallèles) et le TimberStrand, des matériaux d'ingénierie très en vue, dotés d'excellentes propriétés structurales. Ils sont fabriqués en Colombie-Britannique et en Géorgie. Le transport du produit américain est économique, particulièrement si les éléments de l'ouvrage à construire sont préfabriqués et transportés en conteneurs. Certains éléments sont conçus pour loger dans des conteneurs de 40 pieds de longueur destinés au Japon ou à l'Europe.
Il aurait fallu que l'acier provienne de l'Ontario, pour construire le même type d'ouvrage quelque part en Saskatchewan ou au Manitoba. Je ne vois pas beaucoup de différence entre le transport de l'acier à partir de l'Ontario ou du bois à partir de la Colombie-Britannique. Le coût dépend des modalités de conception et des calculs techniques pour assembler la combinaison la plus simple d'éléments. L'ouvrage peut être érigé avec un minimum de main-d'œuvre et de grues.
Cette diapo montre un chantier où, le premier jour, quatre grues travaillaient à l'érection du premier élément de l'ossature. Les composantes devaient être maintenues par les quatre grues, avec un système de câbles en place, pour éviter l'affaissement de l'ensemble. Le lendemain, nous n'avons eu besoin que de trois grues, parce que nous avons érigé le deuxième élément de l'ossature et nous l'avons immédiatement entretoisé avec le premier élément. Ces deux éléments en place, nous avons réduit le nombre de grues à un. En construction, le poste le plus coûteux est celui de l'équipement lourd et de la machinerie. Nous nous sommes bornés à quatre grues pendant une journée, à trois grues le lendemain, et, par la suite, à une seule grue. En trois ou quatre semaines, toute la structure était érigée, et nous avons construit le reste à l'aide d'un chariot à fourche et de nacelles. On peut voir que le bois de charpente a subi un premier débit. Les composants sont tous préalablement aux bonnes dimensions, puis on les monte, on les boulonne ou on les visse ensemble sur le chantier. Si l'ouvrage en bois est conçu et calculé pour être simple, il le sera et il sera économique et rapide à monter. Une structure d'acier aurait été beaucoup plus compliquée à réaliser.
Le sénateur Plett : Je pense que vous avez répondu à ma question.
M. Trubka : Je trouve plus facile et plus simple de concevoir une structure en bois qu'en acier.
Le sénateur Eaton : J'ai une remarque rapide à faire. Avez-vous vu la nouvelle et magnifique salle de bois de Frank Gehry au Musée des beaux-arts de l'Ontario, à Toronto?
M. McFarland : Oui. Voilà un exemple d'un chef de file des architectes canadiens qui se convertit de l'acier, son matériau préféré, au bois. C'est ce que je trouve personnellement de particulièrement stimulant dans cet édifice.
Le sénateur Eaton : Le sénateur Rivard peut aussi vous parler de nombreux édifices qui sont construits en bois au Québec et qui ont le même effet.
Le sénateur Fairbairn : Ce matin, nous avons pu voir beaucoup de choses merveilleuses.
Vous avez parlé d'entrer en rapport avec des confrères ou des étudiants en Alberta. Y a-t-il des endroits en Alberta où vous avez construit ce genre d'ouvrages que vous nous avez fait découvrir dans toute leur gloire?
M. Trubka : Des architectes et des ingénieurs de Calgary et d'Edmonton nous ont demandé de collaborer avec eux lorsqu'ils répondaient à des demandes de propositions sur différents projets. Nous avons formé équipe avec Sahuri + Partners Architecture. Ils ont des bureaux à Calgary, à Edmonton et à Medecine Hat. Nous avons échoué, parce que les contrats sont toujours attribués au soumissionnaire le moins disant.
La mentalité, dans les conseils d'administration des parcs qui lancent les appels d'offres, c'est de ne s'attendre qu'à des offres concernant des structures d'acier, les seules qu'ils reçoivent depuis 20 ans. Dans les municipalités, on se défie beaucoup du bois, victime de beaucoup de préjugés relativement à sa combustibilité, à sa putrescibilité et à toutes sortes d'autres défauts. Comme ses clients n'ont jamais vu de patinoire comme celle-là, ils ne tiennent pas à être des cobayes.
Cette patinoire est ma première que j'ai conçue. Elle était destinée à la ville de Surrey. La maire et son conseil m'ont alors demandé de déclarer publiquement, pendant qu'on m'enregistrait, que mon projet n'était pas expérimental. Il m'a fallu leur expliquer que ce genre de projet était courant, peut-être pas à Surrey ni en Colombie-Britannique, mais en Europe. J'exagérais peut-être un peu, mais si c'était ce qu'il fallait pour construire en bois, nous étions prêts à passer par là.
Le sénateur Fairbairn : J'aimerais dans ma province voir ce type de constructions qui figurent sur ces images magnifiques. Elles sont remarquables. J'imagine ce que vous pourriez faire avec les montagnes, et cetera. Je regrette que vous n'ayez pas été là.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, j'en ai deux, avant le départ des témoins.
Nous avons un programme appelé Le bois nord-américain d'abord. Vous avez parlé d'une chaire universitaire en technique du bois. Quelle serait la façon la plus efficace de convaincre 95 p. 100 — 5 p. 100 sont déjà convertis selon vos estimations — des architectes et des ingénieurs qui travaillent à peine avec le bois de commencer à penser au bois d'abord?
M. Trubka : Beaucoup d'immeubles appartiennent au gouvernement fédéral. S'il exigeait notamment l'emploi du bois comme élément structural essentiel de ces immeubles, vous seriez stupéfié de voir à quel point les choses changeraient. Nous vivons dans un monde d'âpre concurrence. Rapidement, les ingénieurs et les architectes constateraient qu'il existe un certain type de structure qu'ils doivent apprendre à maîtriser et qu'il leur faut augmenter leur expérience de ce matériau. Il faut les motiver.
Comme M. McFarland l'a dit, il ne faut pas distinguer le secteur du bois des autres secteurs, mais il faut exiger des immeubles dont l'empreinte carbone est la plus petite. Le bois s'imposerait naturellement.
M. McFarland : Je répéterai ce que M. Trubka a dit. Je pense que le fait de rendre un matériau obligatoire est quelque chose que les provinces font, mais je ne pense pas que ça soit nécessairement la seule bonne façon.
Pour régler la question de l'environnement, si vous croyez, tout comme moi, que le bois est le seul matériau durable qui permet d immobiliser le carbone pendant des siècles, tant que l'immeuble est sur pied, exigez la réduction de l'empreinte carbone des édifices fédéraux. Les architectes et les ingénieurs apprendront rapidement l'importance du bois.
Le bois peut ne pas nécessairement toujours convenir; j'en suis désolé. Cependant, le bois peut servir ailleurs dans le bâtiment et permettre d'en réduire l'empreinte carbone.
Le président : Nous avons entendu différents joueurs, principalement des industriels, des scieurs et des transformateurs de bois de feuillus et de résineux. Ils nous ont montré leur certification, en vertu, par exemple, de l'ISO et de normes internationales que je sais que vous connaissez. Ils ont parlé de pratiques durables d'exploitation forestière et de solidarité communautaire, par exemple, avec les Premières nations et les collectivités dont la vie est axée sur la forêt.
Nous avons également vu l'affaissement du marché du bois pour la construction des maisons aux États-Unis. C'est l'une des causes des difficultés actuelles de l'industrie forestière et de la nécessité de trouver de nouveaux procédés et de nouveaux produits à valeur ajoutée.
J'ai une question, que je ne sais pas vraiment comment formuler, et, à cette fin, j'improviserai. Nous savons que, actuellement, les édifices commerciaux sont construits avec des montants en métal, dans les cloisons intérieures. Si nous comparons l'utilisation de ces montants en métal à celle des montants en bois, uniquement pour le marché des édifices fédéraux, quel pourcentage du marché cela représente-t-il? C'est-à-dire l'emploi de deux par quatre plutôt que de montants d'acier?
M. Trubka : Si je vous répondais, je ferais comme John Wayne, je tirerais l'arme à la hanche ou, pour parler au figuré, en ne sachant pas de quoi je parlerais.
Le sénateur Plett : Il ne ratait jamais son coup.
M. Trubka : Moi, je raterais mon coup.
M. McFarland : C'est parce qu'il tirait sur la personne qui posait la question.
Le président : Pouvez-vous essayer de répondre à cette question? Je connais l'étendue de notre pays, mais si je devais vous dire : « En tant qu'architecte et en connaissant la situation qui existe à Vancouver, Winnipeg et Ottawa, pourriez- vous nous donner une estimation à vue de nez de ce que nous utilisons aujourd'hui? Quelle serait la proportion du bois par rapport au métal? » Est-il possible de répondre à cette question?
M. Trubka : Il faudrait le calculer scientifiquement, logiquement, raisonnablement. Nous avons effectué des calculs semblables du cubage en mesure de pieds-planche pour nos clients des Premières nations, lorsqu'ils ont demandé un permis d'exploitation du bois pour la réalisation de leur projet; mais un calcul serait nécessaire, indispensable pour ma réponse.
M. McFarland : Je crains que ce ne soit la même chose pour moi. Votre question met en jeu tant de variables que je ne peux pas imaginer de réponse.
Si vous tenez à une réponse, je serais heureux d'emporter cette question avec moi à Toronto pour la refiler au Conseil canadien du bois. Je suis convaincu que la réponse vous parviendrait rapidement.
Le président : Voudriez-vous, s'il vous plaît, le faire pour nous? Je m'adresse aussi aux autres témoins : si vous estimez que vous pouvez amplifier vos réponses aux questions des membres du comité, n'hésitez pas. Si vous avez des recommandations pour le gouvernement, des façons d'utiliser les produits du bois d'abord dans nos constructions non résidentielles, nous vous en serions reconnaissants.
Avez-vous quelque chose d'autre à ajouter en guise de conclusion?
M. Trubka : J'aimerais, un jour, voir une université canadienne se doter d'une chaire en architecture et en technique du bois. Par l'entremise de l'ambassade à Prague, j'ai été délégué par le gouvernement fédéral, deux fois en cinq ans, pour assister aux conférences internationales de la construction en bois. Cette manifestation, qui dure deux jours, réunit près d'un millier d'ingénieurs, d'architectes, de savants, de chercheurs et de professeurs de partout dans le monde, de tous les types d'universités.
Le niveau de science, de connaissances et de compétences dont je suis alors le témoin me donne un complexe d'infériorité. Ici, je me sens comme le borgne parmi les aveugles. Dans ces conférences, j'ai l'impression de n'avoir rien à apporter. Tous ces participants savent tout, et j'ai tant à apprendre.
Nous avons besoin d'une chaire universitaire qui permettrait de réunir deux ou trois spécialistes de cette envergure, pour commencer à former de jeunes architectes et ingénieurs, les initier à la masse de connaissances et de science qui existe déjà à l'échelle internationale.
M. McFarland : J'aimerais vous remercier de l'occasion que vous nous avez donnée de parler pour le bois et au nom de notre profession. J'aimerais terminer en vous rappelant l'effet positif que l'architecture de bâtiments durables peut avoir sur l'engagement du Canada en matière de changement climatique. Je pense que c'est la façon de résoudre le problème; en effet, la société, dans son ensemble, veut faire la bonne chose dans la bonne direction, et, en général, les Canadiens font la bonne chose.
On peut s'en servir comme d'un levier. Personne ne niera les mérites des constructions dont l'empreinte carbone est réduite.
Le président : Il n'y a pas d'autres questions. Au nom du comité, je vous remercie beaucoup.
(La séance est levée.)