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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 6 - Témoignages du 7 mai  2009


OTTAWA, le jeudi 7 mai 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier les systèmes de cartes de crédit et de débit au Canada et leurs taux et frais relatifs, particulièrement pour les entreprises et les consommateurs.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte.

[Français]

Bonjour à tous. Ce matin le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce tient sa dernière réunion portant sur les questions relatives aux systèmes de cartes de crédit et de débit au Canada.

[Traduction]

Le comité a été chargé d'effectuer cette enquête après adoption, par le Sénat, d'une motion déposée à cet effet par le sénateur Ringuette. Jusqu'à présent, le comité a entendu les témoignages de certains intervenants clés des systèmes de cartes de crédit et de débit, notamment des représentants des établissements émetteurs de cartes, des marchands, des responsables du traitement des paiements, des compagnies de cartes de crédit, du réseau canadien de débit et des consommateurs.

Aujourd'hui, nous entendrons un autre son de cloche. Au cours de la première moitié de notre séance, nous entendrons le témoignage d'universitaires et de décideurs du domaine des cartes de crédit et de débit. Nous accueillons M. Roger Ware, professeur de sciences économiques, Faculté d'économie, Université Queen's; et deux administrateurs de la société Edgar, Dunn & Company, M. Peter Dunn et M. Robert White. Merci de vous être déplacés pour venir à Ottawa témoigner devant notre comité. Nous accueillons également de l'Université Carlton, M. Saul Schwartz, professeur à l'école de politique publique et d'administration.

Permettez-moi de présenter les membres du comité. À l'extrême droite, le sénateur Oliver, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Gerstein, de l'Ontario; le sénateur Goldstein, du Québec, le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick; et le sénateur Harb, de l'Ontario.

Au Sénat, il y a un sénateur Gerstein, un sénateur Grafstein et un sénateur Goldstein et chacun d'entre eux peut nous réserver une surprise. Quoi qu'il en soit, nous sommes ravis de la présence du vice-président du comité, le sénateur Goldstein.

Monsieur Dunn, vous avez la parole.

Peter T. Dunn, administrateur, Edgar, Dunn & Company : La société Edgar, Dunn & Company remercie sincèrement les membres du comité de l'avoir invitée à participer à cette étude sur les systèmes de débit et de crédit au Canada. Je suis un administrateur fondateur de la firme. Depuis 35 ans, dans divers pays, je m'occupe des systèmes de cartes de paiement, y compris le système d'interchange. Aujourd'hui, je suis accompagné de Robert White, comme moi administrateur de la firme, qui a été étroitement mêlé aux modifications apportées au marché des paiements en Australie. Nous avons préparé des documents à l'intention des membres du comité qui les renseigneront sur notre firme et le système de cartes de paiement. Si vous le souhaitez, je pourrai développer certains points plus tard.

Comme nous le signalons dans le document fourni, Edgar, Dunn & Company travaille depuis quelque 30 années avec une vaste gamme d'intervenants dans les systèmes de paiement en général, mais plus particulièrement dans les systèmes bancaires. Les systèmes de cartes bancaires constitués dans divers pays s'appuient sur de solides principes commerciaux qui reconnaissent la spécificité de ces systèmes, lesquels ont fait leur preuve. Le plus important, c'est que le recours à ces principes fondamentaux a permis l'éclosion de systèmes de paiement féconds et concurrentiels, à l'échelle locale et mondiale, dont tous les intervenants tirent des avantages considérables. Les systèmes de cartes bancaires ont connu un tel succès que certains aspects qui leur sont propres sont considérés comme allant de soi. Je voudrais parler de quelques-uns de ces aspects.

Tout d'abord, le système mise sur un équilibre judicieux des intérêts du marchand, qui accepte la carte, vend un bien et reçoit rapidement un paiement garanti, et ceux du titulaire de la carte, qui l'utilise parce qu'elle est pratique, sûre et qu'elle peut lui valoir des récompenses et une marge de crédit supplémentaire. Les établissements qui offrent ce genre de services se font concurrence auprès des titulaires de cartes et des marchands, mais ils doivent se soumettre à une série de règles et de principes et ils doivent coopérer entre eux et assurer une coordination à l'appui de leurs clientèles respectives. Les recettes servant au financement et aux investissements dans le système proviennent de deux sources, des deux clients principaux, c'est-à-dire le titulaire de la carte et le marchand. Toutes les autres recettes proviennent des transactions entre ces deux pôles.

Du point de vue de la taille et du succès des systèmes de cartes bancaires, il est crucial que ces deux pôles — le marchand et le titulaire de carte — aient l'impression que la valeur qu'ils tirent de leur usage mérite le prix qu'ils payent. Les intermédiaires, ceux qui font le lien entre les deux, se font concurrence et essaient de maintenir aussi élevée que possible la valeur correspondant au prix qu'ils exigent en tant qu'établissements émetteurs ou acquéreurs. Il arrive parfois que les intérêts des établissements acquéreurs et émetteurs n'aillent pas dans le même sens.

Pour que les différents établissements puissent offrir des éléments du service complet, des frais d'interchange s'imposent. Ces frais servent à maintenir la croissance et le fonctionnement du système et ne constituent pas de nouvelles recettes pour le système. On comprendra que les deux pôles du système contestent souvent la question des frais. Pour l'établissement émetteur, les frais sont toujours trop bas. Et inversement pour l'établissement acquéreur. Le rôle des intermédiaires est de gérer cette tension positive quand elle se présente et d'en faire profiter l'ensemble du système.

Les structures et les niveaux de frais d'interchange sont fixés par les intermédiaires. Ils traduisent la valeur qu'obtiennent les usagers des établissements acquéreurs, quand il y a transaction à un point de vente, et celle qu'obtiennent les usagers des établissements émetteurs, quand il y a transaction à un guichet automatique, GAB, car les frais d'interchange couvrent partiellement les coûts de fonctionnement engagés par l'établissement émetteur pour les transactions au point de vente et l'établissement acquéreur pour les transactions GAB. Ces frais peuvent être fixes ou être calculés suivant un pourcentage ou une combinaison des deux dans le même système, selon ce que dicte le marché. Le système de paiement par carte est complexe et bien des éléments sont intereliés. Des modifications qui touchent un aspect ou un usager peuvent avoir des conséquences directes pour les autres usagers et une incidence sur l'efficacité et la taille de tout le système. C'est ce qui arrive quand la structure d'interchange est en cause.

Inévitablement, cette complexité soulève des contestations, on s'en doutera dans le but de servir les intérêts des contestataires. En tout état de cause, ces contestations doivent être évaluées dans le contexte de l'ensemble du système ou du réseau. Il y a concurrence à tous les paliers du système, types de paiement, intermédiaires, émetteurs et acquéreurs, processeurs et agents. Sur le plan des paiements, la concurrence se fait entre l'argent liquide, le débit, le crédit ou le chèque. Entre les intermédiaires, c'est entre Proprietary, Visa, MasterCard, Interac, American Express et Discover. Entre les émetteurs, ce sont les grandes banques au Canada, la Banque Royale, la CIBC, la Banque de Montréal, et cetera. Ces dernières sont acquéreurs et processeurs, ou agents, à la fois comme établissements émetteurs et comme établissements acquéreurs.

S'il est vrai que, dans presque tous les pays, les caractéristiques d'ensemble de ces systèmes de cartes de paiement sont les mêmes, ce sont des facteurs économiques, sociaux et politiques reliés à la situation économique locale qui régissent essentiellement les divers mécanismes économiques, les frais et les pratiques commerciales relatives à la transaction complète. Nous pouvons tirer des leçons de la situation qui prévaut dans d'autres pays et apporter des améliorations, mais les solutions aux enjeux que suscitent le débit et le crédit au Canada passeront sans doute par des mesures spécifiquement canadiennes, qui tiendront compte de nos antécédents et de nos particularités.

Nous sommes impatients d'entendre vos commentaires et de répondre à vos questions.

Roger Ware, professeur en économie, faculté d'économie, Université Queen's : Bonjour. Je remercie les membres du comité de me donner l'occasion de venir témoigner. J'ai essayé de préparer un résumé qui cerne le débat et les conclusions des universitaires pour ce qui est de la concurrence entre les réseaux de cartes de crédit et de débit, et je vais tenter d'offrir quelques remarques sur la conception de régimes de réglementation de ces réseaux. Mes remarques liminaires seront brèves pour réserver un maximum de temps aux questions.

Les économistes adorent offrir des théories sur tout et sur rien et c'est ce qu'ils ont fait à propos des réseaux de cartes de paiement au cours des 20 dernières années environ. Le pivot de cette théorie tient au fait que l'on comprend que le secteur des cartes de crédit et de débit est un exemple de ce que les économistes appellent désormais « un marché bilatéral ». La caractéristique de ce genre de marché est le fait qu'il y a deux groupes d'usagers, chacun ayant besoin de l'autre pour que le marché fonctionne. Dans le cas des marchés de cartes de crédit et de débit, ces deux groupes d'usagers sont les titulaires de cartes et les marchands, chacun obtenant quelque chose de ces systèmes de paiement électroniques.

Étant donné qu'il s'agit de réseaux, plus il y a de marchands qui acceptent la carte Visa, plus il est avantageux pour une banque donnée de l'émettre. En tant que consommateur, plus il y a de commerces qui acceptent la carte Visa, plus c'est avantageux pour moi. S'agissant de réseaux, on constate en général une combinaison de deux types de concurrence. Il y a ce que l'on appelle la concurrence interréseaux, entre deux réseaux, et on l'appelle parfois la concurrence de système. Par exemple, la concurrence entre Visa et MasterCard est une concurrence interréseaux. Du côté des cartes de débit, bien entendu, il faut reconnaître que, pour l'instant, il n'y a qu'un seul réseau, Interac.

Il existe également une concurrence intraréseaux, à l'intérieur d'un système, celle que se livrent les membres du même réseau. Par exemple, les établissements bancaires émetteurs de la carte Visa, les institutions financières et non financières, se font concurrence pour offrir des cartes de crédit aux consommateurs. Comme vous le savez, il existe un grand nombre de cartes à la disposition des consommateurs, chacune offrant diverses nuances dans les taux d'intérêt, les frais de cartes, les périodes libres d'intérêts, les programmes de récompenses et divers avantages liés à la marque. On peut donc dire que la concurrence au niveau de l'émission des cartes est intense. Cette concurrence existe également du point de vue des marchands qui ont le choix d'un établissement acquéreur. Il en est ainsi parce que les établissements acquéreurs font des offres alléchantes pour que les marchands acceptent leur carte ou l'adoptent. Cette concurrence n'est pas aussi féroce que du côté des établissements émetteurs car, dans certains cas, on applique la règle voulant qu'il faille honorer toutes les cartes. Ainsi, un marchand ne peut pas décider que la seule carte Visa qu'il acceptera sera celle de la Banque Royale, car Visa impose cette règle si un marchand décide qu'il accepte la carte Visa.

Soit dit en passant, cette règle prête à confusion, car l'expression « honorer toutes les cartes » n'a pas la même signification aux États-Unis qu'en Europe quand on l'utilise dans le débat. Aux États-Unis, l'expression a été évoquée dans diverses affaires antitrust pour signifier que si un marchand accepte la carte de crédit Visa, il doit accepter également la carte de débit Visa. En Europe, si un marchand accepte la carte Visa, il doit accepter toutes les cartes Visa.

Le président : Qu'en est-il au Canada alors?

M. Ware : Je pense qu'actuellement, au Canada, la carte de débit Visa n'est pas encore utilisée, mais Visa a déclaré que, lorsqu'elle le serait, on n'exigerait pas des marchands qu'ils adoptent les deux.

Les frais d'interchange, c'est-à-dire les frais versés par le marchand à l'établissement émetteur, essentiellement ce qui passe de l'acquéreur à l'émetteur, ne correspondent pas à un prix conventionnel comme le prix des pommes ou d'une autre denrée. Dans le cas du prix des pommes, nous reconnaissons tous que si le prix des pommes augmente, les consommateurs en pâtissent. Les frais d'interchange représentant un paiement de l'acquéreur à l'émetteur, c'est un prix bilatéral. Ces frais visent à équilibrer les intérêts des marchands, c'est-à-dire à quantifier la valeur obtenue par le marchand, pour ainsi dire, ou encore à quantifier la valeur que représente l'adoption d'une carte, et les intérêts des émetteurs afin qu'ils trouvent leur compte dans l'émission d'une carte en particulier. Si les frais d'interchange augmentent unilatéralement dans un réseau de cartes de crédit, à court terme, du moins, cette augmentation va réduire la marge des marchands, mais ajouter aux recettes des émetteurs. À long terme, l'incidence n'est pas aussi simple. Si vous le voulez, je pourrai développer cet aspect-là. Essentiellement, pour optimiser les frais d'interchange, il faut un équilibre entre l'acceptation d'une carte par les marchands et ce qu'elle rapporte aux émetteurs.

Quels sont les faits? Au cours des 10 dernières années, on a beaucoup étudié le sujet et les études ont été effectuées essentiellement aux États-Unis en raison d'affaires retentissantes antitrust, en Australie, où l'on a tenté une expérience très médiatisée de réglementation des frais d'interchange, et au Royaume-Uni, où le Bureau britannique de la concurrence a fait une étude. Le problème est que les conclusions ne sont pas probantes, du moins pour moi.

La Reserve Bank d'Australie qui a réglementé les frais d'interchange dans ce pays, affirme dans un rapport que la réduction des frais d'interchange s'est révélée bénéfique. Je trouve son analyse peu convaincante, mais j'ajoute que c'est là la conclusion de la banque et il a été décidé de poursuivre l'expérience. Le Bureau britannique de la concurrence a tiré une conclusion semblable.

Le président : Quand vous dites que c'était bénéfique, qui en profitait ou en pâtissait?

M. Ware : Le système ainsi configuré n'est nettement pas bénéfique aux établissements émetteurs de cartes de crédit, mais les Australiens ont pour objectif un équilibre sophistiqué qui combine les avantages pour les consommateurs et les institutions financières et tous les autres intervenants dans le système. Toutefois, comme je vous le disais, je ne trouve pas leur analyse convaincante.

J'ajouterai deux choses à ce sujet. La Reserve Bank d'Australie estime que faire baisser les frais d'interchange par voie de réglementation réduit l'écart qui existe entre les frais d'interchange, versés par l'établissement acquéreur à l'établissement émetteur, et l'escompte du marchand, qui est l'escompte que l'établissement acquéreur demande au marchand. Les Australiens arguent du fait que réduire cet écart permet de rendre le système plus concurrentiel. Je ne suis pas sûr de trouver cet argument particulièrement convaincant ou qu'on puisse compter sur des preuves solides pour le défendre.

La banque prétend qu'il faut réglementer, car les marchands n'ont pas assez de pouvoir de négociation lorsque vient le temps d'établir les frais d'interchange. Les Australiens qualifient cette situation de problème de coordination. Ainsi, si tous les marchands pouvaient se regrouper et faire cause commune pour négocier, ils pourraient alors sans doute optimiser leurs avantages au moment où les frais d'interchange sont fixés. Étant donné que ce n'est pas le cas et que chaque marchand prend sa propre décision en concurrence avec les autres, les marchands sont dans une position de faiblesse, ce qui aboutit à des frais d'interchange trop élevés. C'est là l'argument de la Reserve Bank d'Australie.

Je vais parler brièvement des cartes de débit. Quand, au milieu des années 1990, le système Interac a été constitué dans la forme que nous lui connaissons, j'ai agi comme conseiller, et certains pensaient que ce système de débit électronique était ce que les économistes appellent un monopole naturel. Il était fort avantageux de pouvoir compter sur une seule technologie, un seul réseau, et de permettre à tous les marchands et à tous les établissements émetteurs en bonne posture financière de se connecter à ce réseau. Cette approche se défend, car c'est une réussite. Le réseau a connu un énorme succès et sa croissance a été vertigineuse. Il a été adopté avec enthousiasme et utilisé avec bonheur. Au début des années 1990, l'utilisation était nulle et désormais environ 20 p. 100 de tous les achats à la consommation se font par Interac.

Il faut dire cependant qu'il n'y a pas de concurrence. La concurrence est prisée par les économistes et j'y suis favorable. Je ne vois aucune raison de dire que l'arrivée d'un nouveau réseau de débit n'accroîtrait pas la concurrence.

S'agissant du débit, les frais d'interchange sont actuellement nuls au Canada — et il en va de même dans les autres pays. Si le marché était concurrentiel, nous aimerions que les parties établissent ces frais en respectant le principe de la minimisation des coûts. Actuellement, nous sommes en présence d'un monopole réglementé et la question qui se pose est de savoir à combien établir ces frais? Il est difficile de prétendre que nous avons les éléments nécessaires militant en faveur d'une modification immédiate des frais d'interchange.

Pour ce qui est des frais du marchand, ces derniers et les frais Interac sont perçus à un taux fixe par transaction. Je ne sais pas ce que Visa prévoit pour sa carte débit mais, comme je suis tenant de la concurrence, je préconise de laisser la concurrence jouer afin que ces frais s'établissent à un taux efficace, sans réglementation.

En terminant, je voudrais aborder la question des transactions liées mais je pense que c'est hors sujet ici. Cet aspect a été largement couvert lors des affaires antitrust aux États-Unis. Cela a quelque chose à voir avec l'acceptation de toutes les cartes. Là-bas, Visa a exigé des marchands qu'ils acceptent la carte Visa débit s'ils acceptaient la carte Visa crédit et nous avons déjà reconnu que ce ne serait pas le cas ici. C'est ce que les économistes appellent une « restriction de liaison ». Voilà, c'était mes remarques préliminaires.

Saul Schwartz, École d'administration publique, Université Carleton : Je tiens à remercier les membres du comité de m'avoir invité. Il est important de signaler le rôle que votre comité a joué dans le débat public sur toute une gamme de questions financières au Canada.

Chaque fois que j'ai voulu me renseigner sur des questions comme les faillites personnelles, le remboursement des prêts étudiants ou, en l'occurrence, les cartes de débit et les cartes de crédit, et que j'ai utilisé Google pour ce faire, je suis toujours tombé sur des témoignages prononcés devant votre comité. Vos délibérations ont toujours été une source de renseignements fiables et d'opinions réfléchies.

Je voudrais vous présenter deux arguments brefs et simples et je vais demander ici l'aide de mon appareil ménager de prédilection, le grille-pain. Il est particulièrement utile, car les fentes sont assez larges pour accueillir un bagel. C'était une innovation de taille, il y a quelques années.

Je dirais tout d'abord que les cartes de débit et les cartes de crédit sont des outils utiles, comme mon grille-pain, et que les gens les adorent. Les gens adorent leurs cartes de crédit. Malheureusement, comme le grille-pain, ces objets peuvent être dangereux.

Je vais emprunter une idée à Elizabeth Warren, professeure à l'école de droit de l'Université Harvard, qui est à la tête du comité du congrès chargé de surveiller le décaissement des 700 milliards de dollars que les Américains consacrent au renflouement de l'économie. Selon elle, tous les pays, et j'y inclus personnellement le Canada, devraient pouvoir compter sur une commission de sûreté des produits financiers qui réglementerait les modalités d'utilisation des cartes de débit et de crédit, mais pas nécessairement le prix de ces produits. C'est une première chose.

Deuxièmement — et je ne pense pas que l'idée ait jamais été émise devant le comité —, pour garantir l'utilisation sécuritaire des produits financiers par les consommateurs, faire œuvre éducative auprès des jeunes gens ou de la population en général, même si c'est souhaitable, ce n'est pas la solution. Nous n'avons pas de preuve convaincante que les programmes d'éducation financière améliorent les décisions financières que prend le consommateur. On serait porté à croire que oui mais, pour ma part, je n'en ai jamais eu la preuve.

Il n'y a pas de preuve non plus que l'éducation financière des gens, soit une formation sur les cartes de crédit, les taux d'intérêt, et cetera, contribue même à améliorer leurs connaissances financières. On interroge les gens sur le cours qu'ils ont suivi un an auparavant, on constate que leurs connaissances se sont dissipées, sont parties en fumée. Par conséquent, je n'arrive pas à comprendre, et j'en parlerai davantage tout à l'heure, pourquoi on est tellement enthousiaste — surtout les établissements émetteurs de cartes de crédit, les banques et les gouvernements — à l'idée de donner une éducation financière aux gens.

Mais je reviens à mon grille-pain. Pourquoi le Canada doit-il se doter d'un organisme de réglementation indépendant et efficace, un organisme qui réglementerait les services financiers et qui aurait pour modèle les organismes canadiens existants qui réglementent les produits dangereux? Songez à mon grille-pain. Un Canadien qui achète un appareil électrique peut le faire en toute confiance. Quand j'y ai mis mon bagel ce matin et que je me suis absenté pour aller consulter Internet, je n'ai pas eu à me faire de souci car, si je m'étais attardé à mes courriels, le bagel n'aurait pas brûlé et ma maison n'aurait pas été incendiée. Je n'avais pas à m'inquiéter que le grille-pain explose. Si donc je suis détourné de mon affaire, il y a un petit lutin là-dedans qui comprend ce qui se passe et qui stoppe le grille- pain. Il s'arrête. Il n'y a ni surchauffe ni explosion.

Qui prend les choses en main? Je l'ignore, mais lorsqu'on m'a demandé de témoigner devant le comité, j'ai tenté de le découvrir. Il y a une organisation dont je n'avais jamais entendu parler qui s'appelle l'Office de la sécurité des installations électriques. C'est une organisation provinciale, à but non lucratif, qui s'occupe de la sécurité publique dans le domaine de l'électricité en Ontario. Elle est régie par le gouvernement. Elle relève du ministère des Petites entreprises et des Services aux consommateurs de l'Ontario.

Tous les appareils électriques vendus en Ontario doivent répondre aux exigences du code de sécurité sur l'électricité, un ensemble de dispositions découlant d'une loi de 1998. L'existence même de cette organisation et sa réglementation témoignent du fait que ces appareils très prisés, utiles et précieux peuvent présenter des dangers et qu'il faut exercer une surveillance.

Les cartes de crédit et de débit ne sont pas du tout simples ni sans danger. Elles ressemblent davantage à des grille- pain qu'à d'autres biens moins complexes.

Une commission de la sécurité des produits financiers est nécessaire pour plusieurs raisons. Les renseignements fournis doivent notamment être clairs et complets. Je veux voir clairement combien d'intérêts, de frais et de pénalités j'ai payés sur ma carte de crédit.

L'industrie s'est toujours opposée à ce genre de divulgation exhaustive. Un pas a été franchi dans la bonne direction, mais je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas divulguer clairement les modalités d'utilisation des cartes de crédit et des cartes de débit.

Le Canada dispose déjà d'une organisation appelée Agence de la consommation en matière financière du Canada. Toutefois, si je ne m'abuse, et j'aimerais bien apprendre que ce n'est pas le cas, cette agence joue un rôle essentiellement éducatif. Elle ne dispose pas des pouvoirs qui, à mon avis, et d'autres sont d'accord avec moi, devraient revenir à une commission de la sécurité des produits financiers.

Par ailleurs, que pouvons-nous dire de ces programmes d'éducation financière? Les évaluations faites de ces programmes montrent clairement que leur incidence sur l'éducation financière des gens est faible, si seulement ils en ont une. Au mieux, ces programmes ont une incidence bien modeste.

Au pire, ces programmes constituent une tentative cynique de la part des fournisseurs de services financiers d'éviter la réglementation directe qu'effectuerait une commission de la sécurité des produits financiers. Ils prétendent que le problème, ce sont les utilisateurs; s'ils pouvaient seulement les sensibiliser, la réglementation directe ne serait pas nécessaire. Même chose pour la divulgation efficace et la réglementation des modalités.

Permettez-moi de revenir à l'exemple du grille-pain. Imaginez que l'Office de la sécurité des installations électriques dans sa forme actuelle n'existe pas. Supposons qu'il n'y a que l'industrie, laquelle affirme que ce genre de réglementation n'est pas nécessaire. L'industrie n'est pas tenue de respecter les règles du code de sécurité sur l'électricité de l'Ontario; elle n'a qu'à s'assurer que les utilisateurs savent comment utiliser un grille-pain. Il faut informer les gens. Pourquoi assujettir les fabricants de grille-pain à ces règlements oppressifs quand les consommateurs de grille-pain pleinement informés peuvent apprendre comment fonctionnent ces appareils, comment reconnaître les défauts potentiellement dangereux et comment les réparer le cas échéant?

À mon avis, cette approche ne fonctionnera pas. Mon père a travaillé toute sa vie dans une usine. Il pensait qu'il pourrait m'apprendre à régler des problèmes de tuyauterie, mais il s'est trompé. Je ne peux pas le faire.

Lui, il saurait quoi faire. Si un bagel commençait à brûler, il dirait que la minuterie à l'intérieur du grille-pain est brisée et qu'il lui suffit de démanteler l'appareil pour la réparer. Il pourrait le faire, mais ce n'est pas mon cas, et je pense que peu de gens dans cette pièce pourraient réparer le grille-pain. Voilà pourquoi la réglementation est nécessaire, informer les gens ne constitue pas la réponse aux problèmes potentiellement dangereux que pourrait causer le grille-pain.

J'estime que c'est la même chose pour les services financiers. Il est extrêmement difficile à notre époque de comprendre leur fonctionnement. Les connaissances en finances n'ont rien à y voir.

Soyons clairs : la mesure législative vise à protéger les consommateurs. Elle ne porte pas sur la réglementation des prix, des frais d'interchange ou encore des frais d'escompte.

J'aimerais formuler une dernière observation. Il existe une incohérence fondamentale dans l'appui donné à l'éducation financière par les sociétés émettrices de cartes de crédit. Elles croient qu'elles appuient l'éducation financière. Elles voudraient que nous sachions comment fonctionnent les cartes de crédit, les taux d'intérêt et les frais. Elles souscrivent au principe de la valeur, c'est-à-dire que, de concert avec les commerçants, elles croient que les gens achètent plus lorsqu'ils utilisent leurs cartes de crédit. Nombre d'études économiques indiquent que c'est bien le cas.

Prenez l'expérience qui a été menée à Boston. On a mis en vente des billets pour les parties des Celtics de Boston pendant les séries éliminatoires. On a dit à un groupe d'étudiants en administration qu'ils pouvaient acheter ces billets s'ils utilisaient une carte de crédit ou une carte de débit. Les étudiants ont misé l'un contre l'autre jusqu'à ce que quelqu'un achète les billets. À un autre groupe d'étudiants en administration, on a dit que les billets étaient en vente, mais qu'ils devaient payer comptant. Les étudiants ont misé et celui qui a remporté la mise a obtenu les billets. Immanquablement, la mise du groupe qui a utilisé les cartes de crédit a été plus élevée que l'autre.

Ce genre de preuve indique que les gens achètent plus lorsqu'ils utilisent leurs cartes de crédit. Ce ne serait pas le cas si les gens avaient des connaissances en matière de finances. Le principe de la valeur ne revêtirait pas la même importance pour les commerçants. Il y aurait toujours des considérations liées à l'aspect pratique et à la sécurité, c'est vrai. Toutefois, l'important, c'est que la valeur pour l'industrie, c'est-à-dire les commerçants, les émetteurs et les acheteurs, dépend du fait que les consommateurs n'ont pas de connaissances financières.

En bref, le Canada doit se doter d'une commission de la sécurité des produits financiers indépendante et robuste pour veiller à ce que les cartes de débit et les cartes de crédit ne nuisent pas à la santé financière des consommateurs canadiens. Les programmes d'éducation en matière de finances ne rendront pas à eux seuls l'utilisation de ces cartes plus sûre.

Le président : Merci de vos exposés.

Le sénateur Oliver : Les deux premiers intervenants, M. Dunn et M. Ware, n'ont pas parlé d'éducation financière. Plusieurs témoins en ont fait mention entre autres choses. Notre comité se penche sur les questions de politique gouvernementale. On nous a demandé d'évaluer si des programmes d'éducation financière sont nécessaires et, dans l'affirmative, quelle forme ils devraient prendre et qui devrait les mettre en œuvre. Pour reprendre les propos de M. Schwartz, ce ne sont pas seulement les banques qui militent pour l'éducation financière, bien d'autres groupes de consommateurs le font aussi. Monsieur Dunn, monsieur Ware, que pensez-vous de l'éducation financière?

J'aimerais aussi savoir si M. Dunn pense que notre comité, du point de vue de la politique gouvernementale, devrait examiner la possibilité d'utiliser la réglementation pour établir des frais d'interchange équitables. Peut-être devrait-on laisser la concurrence et les forces du marché décider?

M. Dunn : Je répondrai à vos questions l'une après l'autre.

J'estime que l'éducation peut être utile des deux côtés. M. Schwartz s'est concentré sur l'éducation des consommateurs, ce qui touche le lien entre les consommateurs et la banque émettrice. Aux États-Unis, on a constaté ce que l'on pourrait décrire comme des abus dans ce genre de pratiques.

D'abord, on doit informer les commerçants et leurs acheteurs. Dans bien des cas, les commerçants qui s'inquiètent des divers aspects du système ne se sont pas bien fait expliquer son fonctionnement. C'est aux commerçants qu'il appartient de trouver l'information. Ensuite, l'éducation financière comporte des exigences pour les deux parties et nombre de ces exigences ont trait à la divulgation. Enfin, l'éducation peut aider tout le monde à comprendre le fonctionnement du système. On doit se pencher sur ces trois volets.

En ce qui concerne la réglementation, je préfère utiliser le terme « surveillance ». La surveillance peut jouer un rôle utile pour éviter que le système profite des utilisateurs finaux. Les entreprises se livrent une concurrence à tous les niveaux du système et il n'est pas donc pas nécessaire de réglementer les frais d'interchange. Les forces économiques et les intérêts des quatre parties concernées portent les frais à un taux raisonnable qui profite aux utilisateurs finaux et qui accroît la taille du réseau.

Le sénateur Oliver : Si on ouvre pleinement la voie à MasterCard et à Visa pour émettre des cartes de débit au Canada, est-ce qu'Interac aura une chance?

M. Dunn : Je pense qu'Interac se trouve dans une situation difficile que l'on ouvre la porte ou non à MasterCard et à Visa. Le Canada a créé un système de débit qui a connu un succès immense, mais ce système ne dispose pas du financement nécessaire pour pouvoir faire face aux changements qui surviennent dans l'industrie et effectuer les investissements nécessaires. Interac doit trouver d'autres sources de revenu.

Le sénateur Oliver : Que recommanderiez-vous?

M. Dunn : Vous devriez évaluer sérieusement la possibilité d'apporter les changements appropriés pour permettre à Interac de soutenir la concurrence de façon plus efficace. Ces changements augmenteront le coût du système Interac pour les commerçants, parce qu'il est pratiquement nul à l'heure actuelle. Les coûts afférents au système ne sont pas transmis à l'acheteur ni au commerçant. Il serait injuste de dire qu'Interac ou toute autre organisation tire des revenus lorsque l'une des parties n'assume aucun coût. Tous les revenus devraient provenir de l'établissement émetteur, ce qui est ce que l'on constate à l'heure actuelle.

L'actuel mode de gouvernance du système Interac est lourd. À l'heure actuelle, Interac a du mal à soutenir la concurrence mondiale. Si l'on modifie la façon dont le système Interac fonctionne, les coûts pour les commerçants augmenteront. Je ne pense pas que ce soit nécessairement une mauvaise chose. Les coûts du système peuvent demeurer bas. Il n'est pas certain que MasterCard et Visa fixeront des coûts semblables ou plus élevés. C'est la valeur fournie aux consommateurs finaux qui déterminera qui l'emporte. Je ne pense pas qu'Interac puisse continuer à fonctionner comme il le fait à l'heure actuelle.

M. Ware : Au chapitre de l'éducation financière, je dois vous dire que je suis professeur à l'université. Ainsi, je ne m'élèverai pas contre l'éducation. Je suis favorable aux politiques gouvernementales axées sur l'éducation. Il s'agit de déterminer comment et où maintenant. Ces détails restent à fixer.

Un ami de Kingston m'a dit récemment qu'il avait étudié l'économie à l'école secondaire et que la seule chose qu'il avait apprise était de tenir un chéquier. J'ai été étonné car, bien qu'aujourd'hui on enseigne l'économie à l'école secondaire, on n'apprend pas aux élèves à tenir un chéquier.

Nous n'informons pas autant que nous le devrions nos enfants au sujet des contraintes budgétaires, de leur fonctionnement, de l'épargne à long terme, et cetera. C'est une partie du problème.

Parallèlement, il faut déterminer si, oui ou non, il serait utile de favoriser la transparence pour les utilisateurs de cartes de crédit. Quels autres frais ceux-ci paient-ils? Si on va de l'avant, c'est ce qui se produira. En règle générale, j'appuie la transparence. Elle n'est pas facile à mettre en œuvre. On a proposé d'apposer sur les cartes de crédit des avertissements semblables à ceux que l'on trouve sur les paquets de cigarettes, mais j'ignore où on pourrait les mettre et ce qu'on y trouverait. Je pense qu'il serait bon de favoriser la divulgation, la transparence et l'acquisition de connaissances en matière de finances.

Le président : Le sénateur Massicotte sera le prochain intervenant. Toutefois, je voudrais rappeler aux sénateurs qu'après le sénateur Massicotte, il reste quatre autres intervenants et nous disposons d'environ 20 minutes.

Le sénateur Massicottte : Nous sommes tous d'accord, l'utilisation d'un système de cartes de débit et de cartes de crédit acceptées un peu partout constitue un atout important pour le système. Monsieur Ware, vous affirmez bien connaître la concurrence. L'histoire a montré qu'une société profite grandement d'un système concurrentiel. Nous sommes aussi tous d'accord sur ce point.

Les choses ne sont pas si simples dans cette industrie. Nombre de témoins semblent s'entendre : les commerçants n'ont pas suffisamment de pouvoir de négociation ou ne participent pas aux délibérations lorsque les frais sont négociés. La question est la suivante : les frais sont-ils aussi bas qu'ils devraient être? Nous sommes tous d'accord, il devrait y avoir une vaste gamme de possibilités.

J'aimerais maintenant aborder la question du système de cartes de débit, monsieur Ware. Vous avez affirmé aimer la concurrence. Moi aussi. Nous connaissons les avantages qui en découlent. Toutefois, parlons de ce qui pourrait arriver dans ce cas : Visa a déclaré qu'elle s'opposerait à l'obligation d'honorer toutes les cartes, cela laisserait beaucoup de flexibilité, entre autres. Toutfois, étant donné que les commerçants qui acquittent les frais n'ont pas suffisamment de pouvoir de négociation, même en ce qui a trait aux cartes de débit, verra-t-on apparaître un système semblable à celui des cartes de crédit qui offrira, dans quelques années, des incitatifs importants aux utilisateurs de la carte de débit Visa, comme des voyages gratuits? Si c'est le cas, les commerçants ne pourront pas refuser les cartes de débit Visa parce qu'ils ne voudront pas perdre des ventes.

Du jour au lendemain, ils devront faire face à des frais d'interchange élevés en raison du succès remporté par le nouveau système de Visa, quels que soient les coûts en cause. Interac devra se montrer concurrentiel et offrir les mêmes avantages. Nous nous retrouverons alors avec un système semblable à celui des cartes de crédit, où les frais d'interchange sont élevés. Malgré le fait que nous aimons la concurrence, le système actuel ne semble pas fonctionner.

Qu'en pensez-vous?

M. Ware : Je comprends votre préoccupation. Je vois les choses d'une façon légèrement différente.

Je pars du principe qu'Interac est actuellement le réseau dominant. Interac a le monopole. Cela me semble un peu prématuré de craindre que le nouveau joueur, disons, l'un des deux nouveaux joueurs, devienne le joueur dominant. C'est possible, mais ce n'est pas certain. À l'heure actuelle, ce n'est pas le cas. Interac est le joueur dominant.

Je m'attends à ce que Visa pénètre le marché des cartes de débit, et peut-être aussi MasterCard. Il y aura de la concurrence. La première étape, c'est de se diriger vers un système fondé sur la concurrence. À mon avis, la concurrence ne présente que des avantages.

Elle profite à tout le monde et elle oblige les établissements émetteurs de cartes à innover et à offrir des produits attrayants pour demeurer concurrentiels.

Vous êtes allé plus loin et vous avez affirmé ceci : « Nous savons que ces entreprises sont immenses et disposent de moyens énormes. De plus, elles ont un grand réseau de cartes de crédit. Par conséquent, nous devrions craindre qu'elles deviennent les joueurs dominants dans le marché des cartes de débit. »

J'ignore si cette préoccupation est justifiée. J'imagine que la chose est possible. Je suis d'accord avec mon voisin qui affirme qu'Interac doit apporter des changements à son cadre réglementaire pour être à même de soutenir la concurrence. Toutefois, je ne vois pas pourquoi les cartes de débit Visa seraient beaucoup plus attrayantes, inonderaient le marché et y occuperaient une place prépondérante.

En conclusion, je voudrais dire que c'est la raison pour laquelle la Loi sur la concurrence existe. Si le marché devient concurrentiel, il relèvera du Bureau de la concurrence et du commissaire de la concurrence. Le Bureau de la concurrence assurerait une surveillance du marché des cartes de débit.

Le sénateur Massicotte : J'ai une petite question. Vous affirmez que nous devrions rapidement adopter ce système de cartes de crédit. Il y a quelques compagnies dominantes, soit Visa, MasterCard et peut-être American Express, et un groupe de commerçants qui ne disposent pas des pouvoirs de négociation suffisants pour participer aux délibérations et fixer des frais qui leur paraissent justes, vous semblez le reconnaître.

Cependant, il y a beaucoup de concurrence chez les institutions financières qui émettent les divers types de cartes de crédit — et 94 p. 100 sont des banques canadiennes. Croyez-vous qu'il y ait une concurrence suffisante? Pour le consommateur et l'établissement émetteur, il y a beaucoup de concurrence, laquelle tire profit du fait qu'il y a un duopole ou peut-être un monopole dans la façon d'établir les taux d'interchange. Cependant, la façon de dépenser cet argent est décidée par un groupe de personnes qui sont en concurrence les unes avec les autres.

Croyez-vous que ce système est suffisamment concurrentiel pour que la société en bénéficie?

M. Ware : Oui, je le crois. J'apporterai une correction : je ne souscris pas à l'idée voulant que les marchands n'ont pas suffisamment de pouvoirs de négociation. Je ne trouve pas les faits à ce sujet suffisamment convaincants.

Le président : Monsieur Schwartz ou monsieur Dunn, voulez-vous ajouter quelque chose?

Le sénateur Ringuette : Monsieur Schwartz, je trouve intéressante votre idée d'une agence réglementaire permanente qui examine la sécurité de ces produits financiers au nom des consommateurs et des marchands canadiens. Je crois que notre comité devrait examiner cette suggestion, puisque c'est la première fois que nous l'entendons. Elle me plaît.

Monsieur Dunn, monsieur White, merci de vous joindre à nous de San Francisco. Nous reconnaissons la valeur de vos témoignages, et du vôtre également, monsieur Ware.

J'ai devant moi un document de la Federal Reserve Bank de Kansas City. C'est une étude que les gens de cet organisme ont faite sur l'augmentation des poursuites intentées par les commerçants aux États-Unis pour les frais qu'ils se voient imposer. En passant, ce document est en ligne.

Ils ont étudié cette question, et dans leur rapport d'avril 2008 — qui date donc d'un an —, ils font la liste des pays qui ont mis en place des lois concernant le marché des cartes de débit et de crédit : l'Argentine, en 1999; l'Australie, en 2003; l'Autriche, en 2006; le Canada, pas encore; le Chili, en 2005; la Colombie, en 2004; le Danemark, en 1990; l'Union européenne, en 2002; la France, en 1990; Israël, en 2006; le Mexique, en 2006; le Panama, en 2003; la Pologne, en 2007; le Portugal, en 2006; la Corée du Sud, en 2008, était en train de le faire; l'Espagne, en 2005; la Suisse, en 2005; la Turquie, en 2005; le Brésil, en 2006; la Hongrie, en 2006; la Nouvelle-Zélande, en 2007; la Norvège, en 2004; l'Afrique du Sud, en 2004; et le Royaume-Uni, en 2005, 2006 et 2007.

Monsieur Ware, avez-vous examiné les lois de ces pays et, le cas échéant, que pourriez-vous nous dire à leur sujet?

M. Ware : Je ne les ai pas toutes examinées. J'ai examiné les lois australiennes et britanniques, et j'ai peut-être regardé brièvement le document que vous avez entre les mains. Je ne connais pas les détails de toutes ces interventions réglementaires, en particulier quels aspects sont réglementés. On comprend facilement que les gens s'inquiètent des marchés des cartes de crédit parce qu'ils sont difficiles à comprendre, étant donné leurs particularités. Par exemple, les gens se demandent pourquoi les taux d'intérêt calculés sur les soldes des cartes de crédit sont trois fois plus élevés que le taux d'intérêt du marché.

Le sénateur Ringuette : Vous avez étudié le modèle du Royaume-Uni, mais pas du tout les autres.

M. Ware : Oui.

Le sénateur Ringuette : Lors de votre recherche, avez-vous examiné pourquoi les frais imposés au commerçant lors d'une transaction par carte de crédit sont basés sur un pourcentage de la vente, y compris la taxe de vente, et pourquoi ceux imposés pour une transaction par carte de débit sont fixes? Pourquoi cette différence?

M. Ware : Il faut se rappeler qu'une transaction par carte de crédit peut devenir un prêt.

Le sénateur Ringuette : Que le commerçant rembourse.

M. Ware : Me demandez-vous pourquoi les frais imposés au commerçant lors d'une transaction par carte de crédit sont calculés en pourcentage?

Le sénateur Ringuette : Oui.

M. Ware : Je suis désolé. C'est peut-être parce que le paiement est garanti pour cette transaction. En fait, je n'en ai aucune idée. Je ne sais pas.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Dunn, monsieur White, avez-vous mené des recherches pour le gouvernement du Canada, l'Association des commerçants du Canada, les banques canadiennes, Visa ou MasterCard ou American Express ou toute autre société de cartes de crédit au Canada?

M. Dunn : Nous avons mené des recherches. J'étais présent à la rencontre à Kansas City, alors je connais le dossier. Chacun des pays que vous avez nommés se trouvait dans des circonstances différentes lorsqu'ils ont étudié la question. En Amérique latine, par exemple, une fois le taux d'escompte du commerçant et les frais d'interchange calculés, les banques obtenaient un certain pourcentage du taux d'escompte du commerçant, une partie allait à l'établissement émetteur et une autre à l'établissement acquéreur. Dans de nombreux cas, ces deux entités s'occupaient du traitement de toutes les transactions. Tout leur revenait et elles partageaient les profits.

Le sénateur Ringuette : Nous avons la même situation ici.

M. Dunn : On peut regarder la liste des pays et leurs lois, mais les circonstances sont différentes pour chaque pays.

Le sénateur Ringuette : Pour en revenir à ma question initiale concernant la situation au Canada, vous avez dit avoir mené des études sur les systèmes de paiement au Canada. Pour qui avez-vous mené ces études?

M. Dunn : Nous en avons fait pour les associations et les sociétés émettrices de cartes et quelques-unes également pour les banques.

Le sénateur Ringuette : Vous n'avez pas fait d'étude concernant les associations de commerçants.

M. Dunn : Non.

Le sénateur Ringuette : Merci.

Le sénateur Fox : J'ai un problème avec les règles d'acceptation pour les commerçants. Premièrement, ils ne peuvent exiger de frais supplémentaires lorsqu'un client utilise une carte de crédit plutôt qu'un autre mode de paiement. D'après moi, cette règle est discriminatoire, parce que la personne qui veut payer comptant est pénalisée. Je crois que vous comprenez mon point de vue.

Deuxièmement, il semble que l'éducation financière ne donne pas de bons résultats. J'ai reçu récemment une carte de crédit d'une des cinq grandes banques canadiennes, avec un taux d'intérêt de 24,2 p. 100 sur les achats et les avances de fonds. Évidemment, cela signifie qu'une telle approche fonctionne. On me dira qu'il y a environ 15 différents taux d'intérêt disponibles, mais si une des grandes banques envoie une carte avec un taux si élevé, c'est parce qu'il y a des gens qui l'acceptent.

Une autre grande banque canadienne a pour politique d'exiger que si un détenteur ne fait qu'un remboursement partiel un mois, il doit faire deux remboursements complets les deux mois suivants afin de ne pas payer d'intérêts. Cette politique ne s'applique pas à toutes les cartes. Cela nous indique que les banques canadiennes ne croient pas à l'éducation financière, puisqu'elles peuvent imposer ce type de situation.

En ce qui concerne les règles d'acceptation pour les commerçants, ils se voient imposer une pratique dont ils aimeraient probablement bien se débarrasser.

M. Schwartz : Je suis complètement d'accord avec vous.

M. Dunn : Ce que vous avez dit a plutôt trait à la divulgation — je ne parlerais pas d'éducation financière — de la part de l'établissement émetteur et du consommateur, et il y a place à l'amélioration.

Le sénateur Fox : Je ne crois pas que la divulgation fonctionne.

Le président : C'est ce que nous a dit M. Schwartz.

M. Ware : Je suis d'accord.

Le président : Sommes-nous certains de savoir avec quoi M. Ware est d'accord?

Le sénateur Fox : La réponse me satisfait.

Le sénateur Moore : Je voudrais parler de l'éducation financière de base. L'idée derrière l'éducation financière de base, c'est de blâmer la victime de la transaction. On dit à la victime qu'elle aurait dû faire preuve de plus de discernement. Mais où sont les informations provenant des institutions? Des témoins nous ont dit aujourd'hui que les relevés de cartes de crédit devraient être très clairs. Je ne crois pas que les commerçants savent de quoi il en retourne lorsqu'ils concluent un accord, et je crois que c'est la même chose pour les consommateurs. On en revient à l'établissement émetteur, aux règles, aux frais imposés — que ce soit par la banque ou l'établissement émetteur de la carte, et les relevés mensuels fournis au consommateur concernant leurs obligations. Les grandes entreprises veulent nous forcer à croire que c'est le consommateur qui est à blâmer. Les consommateurs paient l'addition et ils sont également à blâmer. Ce raisonnement est faux. Des commentaires?

M. Dunn : Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que le petit consommateur n'est pas à blâmer. Cependant, je crois également que l'industrie a la responsabilité de s'assurer, comme on le fait pour un prêt, que les conditions sont claires pour le client. J'ai dit que l'on pouvait faire mieux à ce sujet. De même, lorsqu'un commerçant signe un contrat avec une organisation de vente indépendante ou un établissement acquéreur, il devrait connaître les conditions détaillées.

Dans la mesure où les établissements émetteurs peuvent faire la même chose pour les clients dans un cadre économique raisonnable, l'industrie a cette responsabilité.

M. Schwartz : Je suis complètement d'accord. C'est comme lorsque les propriétaires à faible revenu aux États-Unis se font reprocher d'avoir créé la crise économique parce qu'ils ont acheté des maisons à des taux d'intérêt exorbitants. Ce n'est pas toujours le cas, mais les victimes sont souvent blâmées.

Le sénateur Goldstein : Merci, messieurs, de nous éclairer. J'ai deux questions. Je vais les poser toutes les deux, et je suis conscient qu'il ne nous reste plus de temps.

J'ai de la difficulté à croire que le marché est concurrentiel. Il y a, en réalité, un duopole de la part de Visa et MasterCard. Si ces sociétés décidaient d'augmenter de façon unilatérale leur taux d'interchange de 5 p. 100, le consommateur ne l'apprendrait pas, et le commerçant ne pourrait rien faire, si l'on oublie pour le moment que les deux sociétés pourraient faire l'objet d'une enquête du Bureau de la concurrence pour avoir apporté cette augmentation en même temps. Le commerçant ne peut rien faire parce qu'il est forcé d'accepter ces cartes et, en fait, d'accepter toutes les cartes de l'établissement émetteur, même si le taux d'interchange varie grandement d'une carte à l'autre, par exemple, pour les cartes à primes qui sont utilisées pour gagner des parts de marché. Ce sont les commerçants qui paient pour que l'établissement émetteur de la carte puisse gagner des parts de marché en convainquant les détenteurs de choisir une carte à primes.

Il n'y a pas de concurrence pour les commerçants. Techniquement, il pourrait y en avoir, mais en fait ce n'est pas le cas. Il n'y a pas de concurrence pour les consommateurs, parce qu'ils ne peuvent pas faire entendre leurs voix. La concurrence n'intéresse personne d'autre. Les banques ne sont pas intéressées à réduire ou simplifier leurs taux.

De plus, les consommateurs qui n'utilisent pas de cartes de crédit paient pour les consommateurs qui, comme moi, utilisent des cartes de crédit à primes parce que les commerçants intègrent à leurs prix un montant qui comprend le coût des cartes de crédit.

Je trouve cela difficile à accepter. Pourquoi croyez-vous que c'est la bonne approche, car moi je n'y crois pas? D'autres témoins nous ont dit que les consommateurs peuvent magasiner et dire : « Je veux payer comptant; quel est mon rabais? » Je l'ai essayé dans quatre magasins à Ottawa, et les caissiers n'ont pas compris de quoi je parlais, alors cette option n'existe pas. Tout le monde ici dit qu'elle existe, mais vous n'avez qu'à aller au centre-ville, et vous verrez que tel n'est pas le cas. Comment pouvons-nous parler de concurrence lorsque les deux acteurs qui contrôlent le marché n'ont aucun intérêt à réduire leurs taux parce qu'ils détiennent une si grande part du marché? Pourquoi dire que c'est un marché libre et concurrentiel alors que nous savons que ce n'est pas le cas?

M. Ware : Je voudrais rapidement apporter une nuance. Je crois qu'il y aura un processus concurrentiel, dans votre exemple hypothétique, si le taux d'interchange augmentait de 5 p. 100. Il y a deux facettes au marché. Les coûts pour le commerçant augmenteraient immédiatement mais, comme tous les commerçants seraient touchés, l'effet serait semblable à celui de toute autre augmentation de coûts. En fin de compte, les prix demandés par les commerçants augmenteraient du montant correspondant, mais cela ne les placerait pas en situation de désavantage, puisque tous se trouveraient dans la même situation.

Senator Goldstein : Mais ce sont les consommateurs qui paient pour cette augmentation, n'est-ce pas?

M. Ware : Oui, c'est exact, mais de l'autre côté du marché, du côté de l'émission des cartes, les établissements émetteurs recevront ces sommes supplémentaires liées au taux d'interchange. La concurrence entre les établissements émetteurs de cartes s'intensifiera et les mènera à redonner aux consommateurs une partie de cet argent sous forme de primes, de réduction des frais de carte ou même de réduction des taux d'intérêt.

Le président : Monsieur Schwartz, monsieur Dunn, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Dunn : Ces cartes à primes sont entrées au Canada récemment, mais l'expérience d'autres pays démontre qu'il y a une augmentation substantielle des ventes moyennes pour les commerçants avec la plupart des cartes à primes, alors, même si un petit pourcentage est utilisé par le taux d'escompte du commerçant, l'augmentation des ventes compense facilement.

M. Schwartz : J'ai une formation en économie, alors je ne suis pas contre la concurrence. Cependant, tous les modèles dont parle M. Ware présument des agents rationnels complètement informés. Dans notre cas, je ne crois pas qu'un seul des agents soit complètement informé ou rationnel, surtout les consommateurs.

Le sénateur Massicotte : Voilà le cœur du point soulevé par le sénateur Goldstein. Vous admettez que les sociétés comme Visa ont le pouvoir d'augmenter le taux d'interchange à 5 p. 100. Étant donné le pouvoir de négociation des commerçants, vous semblez être d'accord pour dire qu'ils n'auraient pas le choix de l'accepter. Vous dites que, quand bien même il n'y aurait pas suffisamment de concurrence en ce qui concerne cet aspect de la transaction, les établissements émetteurs en retirent des avantages, qui eux amènent une concurrence. Pour un autre consommateur, le marché des cartes de crédit, il y a suffisamment de concurrence pour compenser le premier aspect, car il y a une réaffectation des coûts. Les consommateurs dans les épiceries et les magasins au détail paient plus cher qu'ils paieraient normalement s'il y a une augmentation, mais vous dites qu'un autre consommateur en profite, celui qui détient la carte de crédit. Le problème n'est pas la concurrence, mais la réaffectation ou la mauvaise affectation des coûts. Est-ce un bon résumé de la discussion?

M. Ware : Oui, j'essaie d'être bref. Je ne crois pas que ce soit nécessairement une mauvaise affectation des coûts. C'est plutôt une réaffectation des coûts. Dans une situation extrême, il pourrait n'y avoir aucun effet, ou aucun effet réel à long terme. À propos de Visa, vous dites que l'objectif de Visa est de trouver un équilibre entre les intérêts des commerçants et des établissements émetteurs, et les intérêts de l'ensemble du réseau. On pourrait se demander si Visa est contrôlée par ses administrateurs ou ses membres, mais nous n'avons pas le temps de discuter de cette question.

Le président : Merci à tous nos témoins. Les sénateurs aimeraient poser plus de questions, et c'est la preuve de l'intérêt que vous avez soulevé avec vos témoignages.

[Français]

(La séance reprend.)

Le président : La deuxième partie de notre rencontre ce matin nous donnera un aperçu des enjeux relatifs au système de cartes de crédit et de débit du point de vue des épiciers indépendants et des commerçants québécois.

[Traduction]

Plus précisément, nos témoins représentent la Fédération canadienne des épiciers indépendants, M. John Scott, président-directeur général, et Gary Sands, vice-président.

[Français]

Et faisant partie d'une coalition de commerçants québécois, nous recevons du Conseil québécois du commerce de détail, M. Gaston Lafleur, président-directeur général de l'Association des détaillants en alimentation du Québec, Pierre-Alexandre Blouin, directeur des affaires publiques et de l'Association des hôteliers du Québec, Danielle Chayer, vice-présidente et directrice générale. Bienvenue à tous. C'est M. Scott qui commence.

[Traduction]

John Scott, président-directeur général, Fédération canadienne des épiciers indépendants : Merci de nous donner l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. La Fédération canadienne des épiciers indépendants, la FCEI, est une organisation à but non lucratif qui a été fondée en 1962. Nous représentons environ 4 000 épiciers indépendants et franchisés partout au Canada. Notre organisation nationale est respectée. Nous parlons d'une seule voix aux intervenants de l'industrie et du gouvernement. Vous avez une copie de ma déclaration et j'en couvrirai certains points.

Avant de commencer à parler de frais d'utilisation des cartes de crédit et du projet de restructuration d'Interac, je trouve important de placer la situation en contexte afin que les membres du comité comprennent bien la situation unique des épiciers détaillants dans le marché canadien.

L'industrie des aliments au détail, secteur fortement concurrentiel et très concentré, génère 72 milliards de dollars par année. Près de 85 p. 100 de la distribution des aliments repose entre les mains de seulement cinq grandes sociétés. Or, les statistiques montrent que les épiceries indépendantes occupent environ 40 p. 100 du marché total de la vente des aliments au détail.

Comment expliquer un tel écart? Par le fait que les indépendants de moindre taille qui n'achètent pas leurs produits directement du manufacturier doivent se les procurer auprès des magasins de gros d'un de ces gros fournisseurs. En fait, le Canada est le seul pays développé où une entreprise peut exploiter des magasins de détail, des magasins de gros et des franchises dans un même marché. Essentiellement, l'entreprise se livre concurrence à elle-même.

Pour survivre dans cet environnement hostile, les indépendants doivent se démarquer de leurs compétiteurs, par exemple en connaissant bien les produits, en appuyant la collectivité et en offrant des produits frais et uniques, des primeurs locales et des services améliorés. Voilà pourquoi les consommateurs nous apprécient tant, nous, les indépendants — qu'il s'agisse d'une épicerie ethnique, unique, de spécialité ou simplement du magasin de quartier le plus populaire.

Par ailleurs, la concentration du marché fait qu'il est très difficile pour les indépendants de demeurer concurrentiels. Leurs prix doivent rester concurrentiels sans nécessairement être les plus bas, mais les indépendants doivent projeter une image de commerce qui pratique des prix raisonnables. Pour y arriver, les indépendants doivent tenir compte de tous les éléments de coût et pouvoir se fier à leur structure de prix.

Les frais de transaction financière associés à l'utilisation croissante et omniprésente des cartes de débit et de crédit sont un de ces éléments. Il fut un temps où c'était une « commodité » de les accepter. Aujourd'hui, c'est une obligation. En fait, ces modes de paiement sont presque devenus un service public, aussi essentiels à la santé des entreprises que l'électricité ou les routes empruntées pour se rendre au magasin.

Les distributeurs de cartes sont devenus des partenaires inattendus qui coûtent cher. Un certain contrôle sur les frais que leur occasionnent ces nouveaux partenaires ainsi qu'une stabilité minimale des coûts sont essentiels à la prospérité des indépendants qui contribuent tant à l'économie canadienne.

Je ne veux pas perdre de temps à répéter les statistiques et les pourcentages dont vous avez été bombardés tout au long de vos audiences. Le nœud de l'affaire du point de vue de l'indépendant est que, comme Visa et MasterCard contrôlent 94 p. 100 du marché de la carte de crédit au Canada, ils peuvent imposer des tarifs exorbitants aux détaillants comme aux consommateurs. Compte tenu de leurs antécédents, on peut penser que l'arrivée de ces deux géants sur le marché de la carte de débit fera augmenter les frais.

Au cours des 18 derniers mois, Visa et MasterCard ont beaucoup pris à nos détaillants. Les cartes de crédit améliorées qui font l'objet d'une publicité intensive ont fait grimper de plus de 10 p. 100 les frais que paie le détaillant. Il ne peut pas savoir ce que seront ses coûts et n'a aucun contrôle sur eux.

Quand je parle de tout cela avec des représentants du gouvernement et du secteur bancaire, ils nous recommandent de refuser certaines cartes. Quelle naïveté! En un mot, l'établissement émetteur de cartes dit au consommateur que tous les détaillants acceptent ses cartes. Le détaillant, peu importe sa taille, doit donc accepter toutes les cartes ou perdre un pourcentage de sa clientèle.

Examinons la situation sous un autre angle. Comment peut-on apprendre au personnel à accepter un type de carte Visa ou MasterCard et en refuser un autre? Comment nos épiciers ou leurs employés peuvent-ils même savoir quelles cartes sont améliorées?

Nous sommes convaincus que, si ces frais continuent d'augmenter de façon aléatoire, injustifiée et illimitée, certains indépendants devront se retirer du marché. La marge de profit en alimentation est déjà très mince et un indépendant n'a pas la force de frappe nécessaire pour négocier un tarif inférieur comme peut le faire la poignée de grandes sociétés qui contrôlent la majorité de notre marché.

Pour l'épicier indépendant, des frais gonflés menacent sa marge concurrentielle, parce qu'il doit tôt ou tard les refiler au consommateur. Les pressions exercées sur les coûts lui font perdre son avantage compétitif et il n'y peut rien.

Une telle situation devrait être inacceptable dans notre société. Tous devraient être très préoccupés par l'impact que ces frais ont et continueront d'avoir sur les prix.

Parlons clairement. Quand de petites entreprises, comme les épiciers indépendants, subissent des pressions constantes et imprévisibles sur leur structure de coûts, elles sont souvent obligées de fermer. Plusieurs éléments de notre société en subissent alors le contrecoup, y compris les consommateurs, les employés locaux, les producteurs locaux — n'oublions pas que nous achetons des produits locaux — et même la diversité culturelle que leur entreprenariat apporte à l'économie canadienne en souffre.

Honorables sénateurs, nous ne sommes pas uniques. Pendant les campagnes électorales, tous les partis politiques s'entendent pour dire que les petites entreprises sont la colonne vertébrale de l'économie. Si c'est bel et bien le cas, alors pourquoi rendre le commerce plus difficile en acceptant des éléments de coûts incontrôlables?

Revenons maintenant à la carte de débit et à la situation d'Interac. C'est un énorme problème pour nos membres. La réalité est que nos clients paient beaucoup plus souvent par carte de débit qu'avec de l'argent comptant ou des cartes de crédit. En fait, de 60 à 70 p. 100 des transactions dans nos magasins sont faites par carte de débit, et les détaillants paient quelques cents par transaction. Au départ, les indépendants sont désavantagés par rapport aux gros détaillants, parce qu'ils ne peuvent pas négocier des tarifs de transaction aussi bas.

Toutefois, parce qu'Interac est sans but lucratif, nous savons plus ou moins quel sera l'impact sur notre structure de coûts et nous livrons concurrence sur cette base. Cette certitude relative aux coûts est capitale. Le moindre changement à ce système ou — scénario fort redoutable pour nous — un retour aux frais de transaction en pourcentage ne ferait qu'exacerber l'écart actuel entre les coûts et mettrait en péril beaucoup de petites entreprises.

C'est pourquoi il est impérieux, si les grandes compagnies de cartes de crédit sont autorisées à mettre en place un système de cartes de débit au Canada, que ce système soit régi par des règles établies ici par notre Parlement. Il est impératif que notre système de cartes de débit demeure accessible et équitable.

Personne n'a encore prouvé pourquoi les frais de débit devraient avoir un rapport quelconque avec le montant de la facture. L'argent est transféré du compte du client à l'établissement émetteur en temps réel. Il ne s'agit pas d'un prêt et aucuns frais de crédit ne s'appliquent. Pour l'instant, aucune justification n'est requise, parce que le système n'est pas réglementé.

Le Canada a laissé un système unique se développer dans lequel nos épiciers indépendants évoluent actuellement. Des systèmes ouverts et non réglementés ont suscité des difficultés énormes et l'imposition de frais injustifiés pour les cartes de crédit améliorées n'ont fait qu'aggraver la situation.

Il est urgent que nous développions un système de paiement canadien équitable. Mon mémoire renferme plus d'information, mais je crois que j'en ai assez dit et je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de nous avoir permis, à M. Sands et à moi-même, de comparaître devant vous aujourd'hui. Nous répondrons volontiers à vos questions.

Le président : Je vous remercie d'avoir présenté un exposé aussi clair et concis.

[Français]

Nous allons procéder tout de suite avec M. Lafleur. Je vous souhaite la bienvenue.

Gaston Lafleur, président-directeur général, Conseil québécois du commerce de détail : Monsieur le président, je m'appelle Gaston Lafleur et je suis le président-directeur général du Conseil québécois du commerce de détail. Je m'adresse à vous à titre de porte-parole d'une coalition d'organismes québécois qui représentent les détaillants des secteurs alimentaires et non alimentaires ainsi que des restaurateurs et des hôteliers.

[Traduction]

J'aimerais tout d'abord, au nom des membres de la coalition du Québec, remercier le comité de nous donner l'occasion de présenter notre point de vue sur le système de paiements canadien.

[Français]

Les entreprises de nos membres sont présentes dans toutes les régions du Québec, certaines à l'extérieur du Québec au Canada et certaines un peu moins nombreuses, ailleurs, aux États-Unis. On y emploie, tout au moins au Québec, près d'un million de personnes. Nos membres sont de grandes et petites entreprises, des chaînes comme des franchisés et des propriétaires indépendants. Je dirige le CQCD depuis plus de 20 ans et je dois vous dire que j'ai rarement vu une mobilisation autour d'un dossier de la part d'un si grand nombre de détaillants. C'est en effet rare que les commerçants demandent une réglementation du marché. C'est même un peu contre-nature pour la grande majorité de nos membres respectifs.

Pourquoi une telle mobilisation dans un dossier aussi complexe qu'aride? Parce que les commerçants se sentent piégés dans un système volontairement complexe. Malgré leur poids économique et commercial, ils n'ont aucun pouvoir de négociation avec les géants du crédit, Visa et MasterCard, qui détiennent plus de 94 p. 100 du marché au Canada.

Les entreprises doivent absorber les hausses et tenter de maintenir les prix aux consommateurs les plus bas possible. Ce sera malheureusement impossible. Je serai bref parce que je sais que vous avez déjà entendu beaucoup d'intervenants dans ce dossier. J'irai donc à l'essentiel de ce que les commerçants souhaitent vous dire et ce sera un plaisir de répondre à vos questions.

Dans le dossier du débit, voici les faits. Le mode de paiement par cartes de débit est efficace, peu coûteux et populaire auprès des consommateurs et commerçants. Nous sommes convaincus que le changement de statut corporatif d'Interac, s'il est accordé, et la nouvelle concurrence de Visa et MasterCard dans le marché du débit pourraient mener à l'introduction de frais semblables à ceux existants du marché du crédit. Les conséquences de l'introduction de ces nouveaux frais seraient très importantes pour les commerçants et auraient un impact direct sur les prix à la consommation.

Je prends pour exemple le secteur des détaillants en alimentation. Mon collègue Pierre-Alexandre Blouin, de l'Association des détaillants en alimentation, pourra préciser davantage si vous souhaitez le faire pendant la période des questions.

À cet égard, le coût moyen pour ses membres, pour une transaction par Interac approche de 0,03 $. La grande majorité des transactions chez les entreprises qu'il représente sont effectuées par cartes de débit. Si le taux devenait semblable à celui en vigueur pour le débit Visa aux États-Unis, cette transaction pourrait coûter 0,15 $, plus 3/4 de 1 p. 100 de frais proportionnels à l'achat. Imaginez les conséquences? Comment ne pas transférer ces coûts aux consommateurs?

J'ai envie de vous dire que dans le cas du débit : « If it's not broken, don't fix it! »

Nous comprenons le besoin d'innovation technologique. Nous payons des frais depuis toujours pour le système et nous sommes conscients que des investissements dans la technologie du réseau et pour sa protection sont nécessaires. Là où nous voulons dresser une barrière, c'est dans l'implantation d'un système de frais d'interchange similaire à celui existant dans le système de paiement par cartes de crédit qui sert en grande partie à financer des promotions et des primes plutôt que le système lui-même.

Voici nos recommandations à l'égard du débit : Visa et MasterCard ne devraient pas avoir l'autorisation d'entrer sur le marché canadien du débit avec la possibilité d'introduire des frais d'interchange ou autres frais basés sur la valeur de la transaction. Les frais liés aux transactions par cartes de débit devraient être établis d'une manière transparente et sur la base des coûts d'exploitation du système. Le changement de statut corporatif d'Interac, s'il est accordé, devrait être assorti de ces mêmes conditions.

Voyons maintenant le dossier du crédit. Voici les faits tels que vécus sur le terrain par les commerçants. Les cartes de crédit sont devenues indispensables autant pour les consommateurs que pour les commerçants. Prenons l'exemple du secteur de l'hôtellerie au sujet duquel Mme Chayer, qui m'accompagne, pourra vous entretenir davantage au cours de la période des questions. En effet, dans son secteur, 95 p. 100 des transactions sont effectués par cartes de crédit et souvent celles dont les taux sont les plus élevés. C'est non seulement un système de paiement, mais bien un système de gestion qui est mis à mal par la croissance et la multiplication des taux. Lorsqu'on les transpose en dollars, les augmentations des derniers mois sont effarantes. Pour les hôtels, on parle d'augmentations de 11 000 $ à 65 000 $ par année.

Encore une fois, comment ne pas transférer ces coûts dans les prix? Les frais de transaction pour les commerçants augmentent de façon importante. Les entreprises que nous représentons constatent indéniablement ces hausses.

Les contrats et la façon dont les relevés de transaction sont structurés n'offrent aucune marge de manœuvre aux commerçants pour mieux gérer leurs frais. Ce qui est aussi frustrant pour les commerçants est que la majorité des frais qu'ils paient ne servent pas à la gestion du réseau ou à sa protection, mais bien au marketing et aux primes. Vous avez aussi entendu parler du nombre grimpant des cartes de prime sur le marché qui sont assorties de frais beaucoup plus élevés. Les consommateurs sont incités d'utiliser beaucoup plus fréquemment ces cartes. Les commerçants paient donc pour le marketing, incitant les consommateurs à utiliser ces cartes qui leur coûtent plus cher.

Nous recommandons que le Canada réglemente le système de paiement par cartes de crédit. Le système canadien pourrait s'inspirer du modèle australien sur les coûts réels du système de paiement, plus de transparence et de souplesse devrait être exigée, notamment dans les contrats et les relevés fournis aux commerçants. En conséquence, le nombre de taux devrait être significativement réduit. Ce nombre pourrait revenir à un taux unique si les conditions rigides des contrats ne changent pas.

Nous ne pouvons qu'insister sur l'importance de ce dossier pour les entreprises commerciales, pour les consommateurs et pour la santé des systèmes de paiement par crédit et débit qui sont devenus essentiels.

Le président : Je vous remercie de la clarté de votre présentation.

Le sénateur Hervieux-Payette : En fait, j'ai deux questions et demi pour vous, monsieur Lafleur. La première est facile. Quel est le pourcentage des cartes de crédit, cartes de débit et du paiement en argent comptant dans les magasins d'alimentation? Je vois de plus en plus de gens utiliser des cartes lorsque je vais faire mes emplettes.

Il y a eu un moment où l'on n'avait pas le droit d'utiliser une carte de crédit dans un supermarché. Maintenant on peut acheter de la nourriture à crédit, par carte de débit ou en argent comptant. Si vous avez un petit tableau sur la progression, cela m'intéresse, car cela change toute la donne. Voulez-vous le chercher, le temps que je pose une autre question?

[Traduction]

M. Scott : De façon générale, toutes les cartes de crédit sont négociées. Il n'y a pas de taux fixe. Les grandes sociétés, dont certaines ont leurs propres cartes de crédit, paient de faibles taux. Le taux de transaction des cartes de débit est fixé à quelques cents par transaction, mais certains paient jusqu'à 7 cents tandis que des grandes compagnies paient moins de 1 cent par transaction. Dans le cas des cartes de crédit, les frais de transaction correspondent à un pourcentage qui peut aller jusqu'à 1,75 p. 100 pour un épicier détaillant. M. Blouin pourra peut-être donner des renseignements plus précis.

[Français]

Pierre-Alexandre Blouin, directeur, Affaires publiques, Association des détaillants en alimentation du Québec : Au niveau du ratio, dépendamment du type de commerce, cela va évoluer. Pour un supermarché, comparé à une épicerie de quartier ou un dépanneur, ce sont des ratios différents. À la page 18 de notre présentation, ainsi qu'à la page 7, vous avez ce tableau; il a été coupé en deux pour pouvoir répondre dans la mise en page du mémoire. Le débit, malgré ce qu'on pourrait penser — du moins dans les commerces que nous représentons —, a un taux quand même plus ou moins important. Cela a une grosse importance au niveau des coûts pour nous, mais cela atteint de 10 à 15 p. 100 selon les commerces.

En revanche, on voit que le débit est très bien implanté dans notre secteur : cela peut atteindre de 50 à 55 p. 100, et en moyenne c'est 30 p. 100; les supermarchés : 39 p. 100; les épiceries : 26,7 p. 100; les dépanneurs et commerces spécialisés : 39,5 p. 100. Il y a des extrêmes et des minimums.

Il est certain qu'une transition d'un mode de paiement par transaction à un mode de paiement au pourcentage serait dramatique pour nos membres.

Le sénateur Hervieux-Payette : Si je comprends bien, quand on est une grosse chaîne — et dans l'alimentation on le voit aussi chez COSTCO; ce n'est que tout récemment qu'ils acceptent les cartes de débit — on paierait un sou alors que le marchand de quartiers peut payer 7 cents?

M. Blouin : Exactement. Vous avez également des exemples de taux; évidemment, ce sont des moyennes, ce n'est pas la réponse parfaite, mais il y a des taux très divergents selon le type de commerce et le volume de transaction. La problématique est que, maintenant, même de gros joueurs ont beaucoup de difficulté à négocier des taux intéressants. Tout le monde se retrouve avec des taux très élevés. Par le passé, pour l'introduction du mode de paiement par carte de débit, on avait un taux préférentiel par rapport à d'autres types de commerce. Présentement, du moins à notre connaissance, ces avantages ont disparu.

Le sénateur Hervieux-Payette : En ce qui concerne le paiement comptant, étant donné que le consommateur va faire ses emplettes à côté de chez lui du fait de la proximité des magasins de quartier, est-ce qu'on pourrait octroyer un rabais ou un avantage pour le consommateur? Dans ce cas-ci, vous êtes en concurrence avec les grosses chaînes; quel serait le mécanisme qui ferait que quelqu'un serait plus intéressé, compte tenu aussi du fait que vous achetez en moins grande quantité? Sachez que j'ai travaillé chez Steinberg, je connais la différence des prix d'achats des produits par rapport à un petit marchand. Est-ce que le paiement comptant est quelque chose dont les gens font la promotion ou est-ce que tout le monde est résigné à utiliser des cartes? Finalement, il n'y a-t-il plus d'avantages à aller chercher de l'argent à la banque?

M. Blouin : Je vais répondre avant de passer la parole à John qui, je crois, pourra fournir plus d'information. Un grand pourcentage des transactions est effectué par paiement comptant. Toutefois, pour nous, ce qui serait vraiment intéressant serait de pouvoir offrir une prime pour le paiement par débit. Dans les conditions actuelles du marché, c'est là que nous aurions un avantage. Nous avons également des coûts avec l'argent comptant, il faut le comprendre.

Présentement il nous est interdit de faire ce type de promotion en magasin. C'est un exemple, chaque commerce pourrait avoir différents besoins et dans notre cas ce serait cela, car nos coûts sont plus intéressants au niveau du paiement par carte de débit.

[Traduction]

M. Scott : Il est intéressant que les consommateurs canadiens aient opté massivement pour la carte de débit. Le taux des transactions effectuées par carte de débit est très élevé au Canada, se situant à environ 60 ou 70 p. 100. À notre grande joie, les Canadiens sont plus réticents à utiliser leurs cartes de crédit pour acheter des aliments. J'aime bien savoir que les gens n'empruntent pas pour faire l'épicerie. L'utilisation de plus en plus fréquente des cartes de débit indique que les consommateurs considèrent ce mode de paiement comme de l'argent comptant. Il serait presque impossible d'établir une différence. Je ne vois pas comment on pourrait le faire.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Je conclurai là-dessus; ce que vous recommandez, finalement, serait d'éliminer la concurrence entre les grands et les petits, car les grands ont un privilège sur les petits. D'ailleurs, les petits magasins de quartier pourraient pratiquement vendre des produits locaux en saison. Nous sommes ici pour servir les consommateurs et pour savoir quels sont les paramètres que vous demanderiez pour veiller à ce que tous les clients soient traités sur un pied d'égalité. Autrement dit, si la transaction coûte cinq sous, c'est cinq sous pour tout le monde, des grands aux plus petits.

[Traduction]

M. Scott : Comme je l'ai dit tout à l'heure, le problème, c'est qu'on ne peut pas savoir avec certitude quels seront nos coûts. À l'heure actuelle, nous survivons dans un marché où les questions d'échelle sont une réalité importante. Pour se tailler une place dans ce marché, l'épicier indépendant ou le petit détaillant doit avoir l'esprit d'entreprise et beaucoup de savoir-faire. Les coûts sont une question importante. La situation devient difficile si, soudainement, des coûts, comme les frais des cartes de crédit améliorées, sont augmentés — et s'ajoutent aux autres coûts dont certains de nos membres doivent acquitter.

Tout d'abord, les indépendants s'occupent du consommateur mieux que quiconque au pays. Nous voulons une certitude pour les coûts, comme c'est le cas pour Interac. Voilà ce que nous souhaitons.

Gary Sands, vice-président, Fédération canadienne des épiciers indépendants : J'aimerais commenter ce qu'a dit M. Ware, je crois, qui est d'avis que ces taux vont se répercuter également sur toutes les entreprises. Cette affirmation ne tient pas la route. Sauf le respect que je lui dois, M. Ware n'a probablement jamais travaillé dans une épicerie. Il ne sait rien de la structure de notre secteur ni de son fonctionnement. Nous avons été plus qu'étonnés de ses propos.

[Français]

Le sénateur Fox : Je trouve très intéressant quand vous nous dites que les gens se tournent plutôt vers la carte de débit que vers la carte de crédit. Étant donné que 70 p. 100 des gens paient le montant complet de leur carte de crédit sans payer d'intérêt, particulièrement s'ils utilisent une carte à primes élevée, pourquoi les gens paient-ils par carte de débit, quand cela ne leur donne aucun avantage, comparé au paiement par carte de crédit? Est-ce que vous avez une idée?

M. Blouin : La réponse est très simple. On leur a appris à utiliser la carte de débit. On leur a donné une possibilité de ne pas traîner beaucoup d'argent comptant sur eux, d'arriver à l'épicerie et de payer quand même en fonction de leurs moyens, sans s'endetter en surconsommant des produits alimentaires. Un lien s'est fait et les gens ont adhéré à ce mode de paiement. Il est certain que le mode de paiement par crédit évolue dans notre secteur également. Dans les deux dernières années, il y a eu une augmentation de 4 p. 100. Cela peut sembler petit, mais pour nous, en termes de coûts, cela signifie une hausse de 37 p. 100. Imaginez si on double encore ce chiffre; cela devient vraiment difficile à supporter.

[Traduction]

M. Scott : Vous parliez de l'éducation ou de connaissances financières lors du dernier exposé et, quand on parle de l'épicerie, la majorité des consommateurs ont des connaissances financières puisqu'ils ont l'argent nécessaire pour acheter ces produits à l'épicerie. Il est intéressant de noter que le pourcentage d'utilisation des cartes de crédit dans les épiceries est de loin inférieur à celui des cartes de débit.

Le sénateur Fox : Ce que je trouve étrange, c'est que si le consommateur paie en utilisant une carte à primes, il reçoit toutes sortes de primes, comme des Air Miles, et 70 p. 100 ou plus de ceux qui utilisent des cartes de crédit paient leur compte en entier à tous les mois. C'est une très bonne chose, mais cela m'étonne que les gens ne se servent pas des cartes de crédit, tout particulièrement s'ils paient le montant approprié à tous les mois.

M. Scott : Je crois qu'il faudrait un sociologue pour analyser la situation. Nous parlons ici uniquement du secteur des épiceries, et nous devrions être très heureux de la situation.

[Français]

Le président : Je vais demander à M. Lafleur de trancher la question.

M. Lafleur : En fait, le commentaire de M. Scott est juste. Dans le secteur non alimentaire, effectivement, la carte de crédit l'emporte substantiellement sur l'usage de la carte de débit. Comme on le disait tantôt, à l'époque au Québec, on ne pouvait pas payer une bouteille de vin ou sa nourriture avec la carte de crédit. Et aujourd'hui, la carte de débit est vraiment perçue comme de l'argent et les changements de mentalité se font graduellement.

Le président : Vous avez une industrie tout à fait spéciale.

Le sénateur Hervieux-Payette : Le profit de cette industrie est généralement aux alentours de 2 p. 100.

M. Lafleur : Oui.

Le sénateur Hervieux-Payette : Aux fins de l'enregistrement, je pense que c'est quelque chose qu'il faut savoir. Parce que quand on constate le profit des cartes de crédit et de débit de deux milliards sur six milliards, on ne se situe pas dans la même marge de crédit.

Le président : Oui. Cela prend du volume pour compenser la marge.

Le sénateur Ringuette : Merci de vos commentaires. J'ai de mauvaises nouvelles pour vous. Les achats des consommateurs dans vos épiceries se font a priori avec la carte de débit, mais Visa et MasterCard le savent aussi et ils ont décidé d'entamer une campagne publicitaire à la télévision explicitement dans les épiceries où l'on voit deux dames : une qui paye comptant et l'autre qui paye avec sa carte Visa et qui dit à l'autre : « Moi j'ai fait 2 dollars en venant faire mon épicerie. Qu'est-ce que toi t'as fait? »

Cette publicité cible spécifiquement votre industrie. Elle a pour but d'inciter les clients qui utilisent la carte de débit à payer par carte de crédit. Voilà la mauvaise nouvelle et elle est réelle étant donné l'énorme capacité de marketing de ces deux géants.

M. Lafleur : Et quelle est la bonne nouvelle?

Le sénateur Ringuette : La bonne nouvelle, c'est que certains témoins sont venus dire qu'il y a une concurrence dans le marché des cartes de crédit. Faisant affaire avec ces gens, ne trouvez-vous pas qu'il y a une coïncidence à l'effet que ces deux géants rajustent leurs frais presque simultanément?

Où est la concurrence? Ce n'est pas une compétition, c'est une collusion. Je le répète, ce sont de mauvaises nouvelles parce que la réalité c'est que nous n'avons pas de réelle compétition sur le plan des cartes de crédit. En ce qui concerne Interac, comme vous l'avez mentionné, s'il y a des changements dans ce système, vous allez être la première cible à cause de la quantité de vos ventes dans ce système.

[Traduction]

M. Scott : Vous avez raison. Je ne dirai rien sur votre deuxième commentaire, mais j'aimerais dire quelques mots sur cette annonce publicitaire. Tout d'abord, c'est très bien fait. Cette annonce est diffusée pendant les heures de grande écoute actuellement, et cela a tout un impact. Je reçois des appels de toutes les régions du pays de gens qui me demandent comment avoir accès à ce genre de programme.

Nous avons été surpris. Nous nous inquiétons de la situation.

[Français]

M. Lafleur : Il serait intéressant de savoir qui a payé cette publicité et d'où provient l'argent. En d'autres mots, il y a une publicité qui se fait, mais est-ce que l'argent ne provient pas des frais d'interchange? Et ces frais d'interchange ont été payés par qui? Ils ont été payés par nos membres et on est en train de diffuser une publicité qui semble effectivement avoir un impact potentiellement négatif sur un des contributeurs sans qu'il ait été consulté. C'est mon seul commentaire.

[Traduction]

M. Scott : Il ne faut pas oublier que c'est une question d'échelle. Et c'est très important. Ces entreprises sont énormes. C'est ce dont nous avons parlé justement toute la matinée. L'échelle, c'est ce qui compte ici.

[Français]

Danielle Chayer, vice-présidente et directrice générale, Association des hôteliers du Québec : Je comprends que le paiement par carte de débit est une préoccupation parce que les modifications n'ont pas encore été apportées.

J'aimerais vous donner un exemple qui est en mesure de démontrer ce qui pourrait se produire dans l'industrie de la carte de débit. Il y a un an, dans le milieu hôtelier on avait un seul taux, par exemple, Visa à 1,70 p. 100, MasterCard à 1,68 p. 100, et ce, peu importe le type de carte utilisée et le type de transaction.

Dans notre milieu, la carte de crédit est obligatoire. Sans carte de crédit, vous ne pouvez pas faire de réservation dans un hôtel. Notre industrie un peu prise en otage à cause de cette obligation de détenir une carte de crédit. Une réalité dans notre milieu, c'est que si on a la carte en main qu'on glisse dans le fameux TPV, cela nous coûte moins cher que lorsqu'on prend une réservation par téléphone ou par Internet.

Tout cela n'existait pas il y a un an. Depuis un an, on se retrouve avec six à huit taux qui varient selon le type de carte. Par exemple, tout dépend si c'est une carte d'individu, de compagnie, une carte à prime, une carte étrangère, et si la transaction se fait; selon qu'on a la carte en main et qu'on la glisse dans le terminal bancaire ou si on la prend par téléphone et qu'on prélève un certain montant.

Tout cela a entraîné des augmentations de coûts de 11 000 $ à 65 000 $ de plus en un an. Donc, on n'a pas encore tous les chiffres, mais dans le contexte économique actuel, les hôteliers essaient d'absorber ce montant, mais d'ici quelque temps ils ne pourront plus le faire.

C'est donc l'ensemble des individus qui vont payer et ils ne resteront pas une nuit de plus pour gagner des points additionnels. On n'achète pas un sac de pommes de plus pour avoir des points en plus, comme l'a mentionné quelqu'un dans sa présentation.

On se retrouve vraiment coincés parce que dans notre secteur, s'il n'y a pas de cartes de crédit, il n'y a pas de modes d'opération. C'est un peu la particularité de notre industrie.

Le président : Est-ce que je peux vous poser une question?

Mme Chayer : Bien sûr.

Le président : Nous savons tous qu'en arrivant dans un hôtel on s'intéresse au prix de la chambre, mais à la fin de notre séjour on reçoit l'addition et on s'aperçoit que là-dessus il y a des taxes, toutes sortes de choses qui s'ajoutent au prix de la chambre.

Il me semble que vous êtes quand même un peu différent de l'industrie de l'alimentation. Si vous aviez un petit montant supplémentaire pour usage de carte de crédit, quel effet cela pourrait avoir sur vos clients?

Mme Chayer : Actuellement on ne peut pas avoir de frais additionnels pour l'usage des cartes de crédit à cause des contrats que nous signons avec les émetteurs de cartes.

Le président : Est-ce que cela s'applique à toutes les cartes?

Mme Chayer : À toutes les compagnies émettrices et toutes les cartes. On a eu jusqu'à 11 p. 100 d'augmentation en un an dans certains domaines. Ce que des hôteliers commencent à faire, c'est deux choses. Premièrement, ils peuvent dire aux clients : « Si vous payez comptant pour une partie de la somme, on va vous donner 3 p. 100 de rabais », parce que le seul mode de paiement sur lequel on peut intervenir, c'est l'argent comptant. Ce n'est pas ce que souhaitent faire les hôteliers parce qu'il y a des risques de manipulation lors de la transaction.

Deuxièmement, un hôtelier peut redemander au client sa carte de crédit à son départ pour le passer dans le terminal bancaire.

Souvent à l'arrivée, c'est un traitement de gestion, on glisse la carte, le client est arrivé, les lumières dans sa chambre sont allumées, la salle à manger est au courant qu'il arrive pour son repas. Et on redemande au client sa carte. On fait beaucoup de gymnastique dans le service à la clientèle parce que le client ne comprend pas qu'on lui redemande sa carte à son départ alors qu'il l'a donnée à l'arrivée. Essayez d'expliquer au client que c'est pour me sauver des frais, cela ne fonctionne pas.

Le président : Des fois, vous me dites : avez-vous la carte de la compagnie X au lieu de la compagnie Y?

Mme Chayer : Vous savez que c'est illégal de faire cela selon le contrat. Les hôteliers, en général, risquent de le faire de plus en plus. Dire au client : montrez-moi vos cartes, je vais choisir laquelle je souhaite.

Le président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein : Monsieur Scott, vous avez dit que votre groupe avait été mis sur pied en 1962. Pouvez-vous nous parler brièvement de l'évolution du secteur des épiciers indépendants au cours des 40 ou 50 dernières années, depuis la création de votre organisation? N'oublions pas que si nous étions au début des années 1960, nous parlerions peut-être de l'employeur du sénateur Hervieux-Payette, Steinberg, et de l'incidence que cette entreprise pourrait avoir sur les épiciers indépendants du Québec. Si nous étions dans les années 1970, nous parlerions peut-être des grands défis que présentent les magasins à succursales et, si nous étions dans les années 1970 et 1980, de la construction de centres commerciaux dans toutes les régions du pays et de leur impact sur les épiciers indépendants. Ces derniers ont toujours été exposés à d'importantes pressions. Ils ont su résister et ils existent toujours aujourd'hui. Pouvez-vous placer cette évolution dans son contexte?

M. Scott : Je donne des conférences à ce sujet, et je vous invite à vous inscrire à l'une d'elles. Elles durent environ trois heures.

L'organisation a été mise sur pied en 1962, non pas pour défendre les épiciers indépendants mais pour leur permettre d'apprendre. Les magasins à succursales faisaient leur apparition et on a jugé qu'il était important de se regrouper pour assurer la formation du personnel. Dans les années 1960, il y avait un très grand nombre d'épiciers indépendants, et la majorité des grandes compagnies au Canada, par exemple Sobeys et Loblaws, ont été créées par des épiciers indépendants. Il y a un très grand esprit d'entreprenariat dans notre industrie. C'est un secteur extraordinaire et très efficace. Ce sont là mes seuls commentaires positifs sur les magasins à succursales. Je devais quand même dire quelque chose.

Il est intéressant de noter que, dans les années 1970, les épiciers indépendants ont pris beaucoup d'importance, et ce, dans toutes les régions du pays. Ils sont devenus les principaux intervenants du secteur. Dans les années 1980, les magasins à succursales ont pris le marché et c'est justement à cette époque que Loblaws est apparu sur la scène que Steinberg a essayé de s'installer en Ontario, que Métro est passé d'une entreprise de grossiste à une société ouverte, que A&P USA a ouvert des magasins en Ontario, que Safeway a élargi son réseau dans l'Ouest du pays et que le groupe alimentaire Overwaitea s'est installé sur la côte Ouest. Il y a eu une très grande sensibilisation dans les années 1980. Au début des années 1990, pendant la récession dont nous parlons tous, les supermarchés à succursales ont pu se livrer à une concurrence comme jamais auparavant, et les indépendants, qui n'avaient pas investi et qui s'étaient pour ainsi dire reposés sur leurs lauriers pendant plusieurs années, se sont trouvés écartés.

Pendant les années 1990, un nouveau type d'épicier indépendant est apparu sur la scène, et il existe toujours aujourd'hui. C'est un épicier qui fait preuve d'entreprenariat et qui connaît bien le secteur. En fait, personne ne devient épicier sans bien connaître la structure concurrentielle du secteur.

Aujourd'hui il existe dans l'industrie un grand respect entre d'excellents magasins à succursales canadiens et d'extraordinaires épiciers indépendants qui, tous, font preuve de beaucoup d'entreprenariat. Cet environnement a donné beaucoup de vitalité au système canadien et permis d'excellents débouchés. Aucun autre secteur n'a ce genre d'avantages. Je ne sais si vous connaissez les supermarchés T&T qui ouvrent ici à Ottawa et ailleurs au pays, mais il s'agit de supermarchés asiatiques qui font également partie de notre organisation. Ils occupent une bonne partie du marché pour la nouvelle culture canadienne qui se manifeste de plus en plus.

Les épiciers indépendants se sont bien tirés d'affaire, mais c'est parce qu'ils ont su faire preuve d'esprit d'entreprise, et non simplement parce qu'ils étaient déjà là. Le secteur demeure soumis à une concurrence vive, et vous pouvez vous imaginer la situation dans cette période de récession, où le consommateur veut vraiment économiser.

Dans les trois années précédant 2008, le taux de croissance le plus important a été enregistré chez les épiciers indépendants au Canada. Il y a un million de raisons qui expliquent la situation, et encore une fois je vous invite à participer à mes conférences.

Le président : Nous avons suffisamment de temps pour un dernier intervenant. Je suis heureux de vous faire part d'un moment très important pour notre comité. Le sénateur Goldstein, le vice-président, doit malheureusement, et vous n'arriverez pas à le croire, prendre sa retraite en raison de son âge. Il doit quitter le Sénat. Je ne vous dirai pas à quel âge on doit quitter notre poste. Il nous manquera, et je pense qu'il est parfaitement approprié que je lui accorde la dernière question.

Le sénateur Goldstein : Merci, monsieur le président, merci chers collègues, de m'avoir offert l'occasion et le privilège de travailler avec vous. Je vous en dirai un peu plus long cet après-midi au Sénat.

Je tiens à remercier nos témoins d'être venus nous aider à mieux comprendre le problème.

On va me dire que je me répète. J'ai posé la même question à plusieurs reprises, mais le problème me préoccupe toujours. Tout compte fait, peu importe comment on établit les taux d'intérêt, peu importe qu'ils soient plus élevés ou plus faibles, qu'ils soient contrôlés ou non, peu importe qu'il s'agisse d'une carte de débit ou d'une carte de crédit, une carte de crédit ordinaire ou une carte à primes, le fait est que le consommateur paie parce que le marchand doit intégrer ce coût dans le prix du produit. C'est évident.

Ce qui est injuste, c'est que ceux qui n'ont pas de cartes de crédit, nombre d'entre eux ne sont pas dans une situation financière qui leur permet d'avoir des cartes de crédit, ou ceux qui, peu importe la raison, décident de ne pas utiliser de cartes de crédit paient pour ceux qui, tout comme moi, utilisent des cartes de crédit à primes dont le coût est intégré dans le prix du produit que j'achète et qu'ils achètent aussi. En fait, ils paient pour moi. Pouvez-vous nous aider à songer à des façons de régler ce problème, d'alléger ou de diminuer ces coûts?

M. Sands : Est-ce que je peux faire un commentaire? Il est important que notre groupe signale officiellement que si la tendance actuelle se maintient, certains épiciers indépendants disparaîtront simplement. C'est un fait. Je ne veux pas manquer de respect à l'égard des magasins à succursales, car ils font de très bonnes choses, mais le fait demeure que, lorsque ces taux augmentent, ces dernières ont accès à toutes sortes de façons créatrices d'atténuer l'impact de certains de ces coûts. Or, les épiciers indépendants, eux, n'ont pas cette marge de manœuvre sur le marché. Les épiciers indépendants disparaîtront. Permettez-moi de vous dire que, lorsque cela survient, l'impact est énorme sur l'industrie, sur les collectivités, et sur les exploitations agricoles parce que nous sommes ceux qui achètent leurs produits localement. Je comprends ce que vous dites, monsieur le sénateur, quand vous parlez des consommateurs. Vous avez raison, mais je voulais parler de l'impact qui dépasse le simple consommateur pour décrire ce qui se produit pour l'industrie et pour le pays lorsque des épiciers indépendants disparaissent. Ce sont des collectivités de partout au Canada qui perdent. Tout le monde y perd.

Le sénateur Goldstein : Merci. Pouvez-vous répondre à ma question?

[Français]

M. Lafleur : J'oserais avancer une chose. Si un consommateur reçoit un service particulier ou des privilèges qui représentent un coût, quelque part ce coût ne devrait pas être partagé par ceux qui n'ont aucun bénéfice. On veut établir le concept de l'usager qui paie. Si quelqu'un veut avoir une carte super intéressante et qu'elle lui donne des avantages super intéressants, par exemple, il y a une compagnie de carte de crédit qui peut vous charger jusqu'à 500 $ pour avoir sa carte de crédit avec les avantages qu'on vous donne. On voit qu'il y a une différence dans le prix de la carte. Dans une certaine mesure, les émetteurs de cartes pour une carte tout à fait régulière vont facturer probablement des coûts moindres. En fait le gros du problème, c'est d'être en mesure d'avoir un cadre qui va nous permettre d'évoluer dans un environnement où l'élément de sécurité est important. J'ai entendu ce matin la proposition d'une agence sécuritaire. Elle devrait faire son chemin parmi vos réflexions.

Parce que la solution doit passer par là. Que ce soit au niveau des marchands ou des consommateurs, on est tous dans le même bateau. On sait que la concurrence — si on peut l'appeler ainsi — est une concurrence inversée. Ce sont des entreprises qui concurrencent pour attirer le plus possible les institutions financières de leur côté. Si je prends l'exemple du sénateur Ringuette, on voit l'incitatif qui est de faire en sorte que le client utilise sa carte. En fait, on lui propose de faire beaucoup de transactions, parce que ces transactions génèrent du revenu que les commerçants paient, revenus qui sont par la suite versés aux institutions financières qui sont les émettrices.

Et comme on le mentionnait plus tôt, un moment donné, on se dit, que le consommateur va avoir des avantages, on va lui payer des privilèges. Oui, mais le consommateur va déjà les avoir payés, ses privilèges. Et certains auront même payé pour lui s'il n'a pas la carte privilège. C'est un cercle vicieux. Dans le fond, le consommateur paie lui-même ses avantages à prime. Et souvent beaucoup de consommateurs paient pour les autres et ne reçoivent aucun bénéfice. Je pense qu'on a tous compris le processus.

En conclusion, j'espère que le comité pourra proposer des solutions qui amèneront une forme d'assurance, de protection, de transparence. Et je crois qu'il est essentiel que tout cela se fasse.

Si Visa et MasterCard n'avaient pas l'intention de s'introduire sur le marché de la carte de débit, je ne crois pas que l'on serait ici en train de discuter de la nécessité de faire en sorte qu'Interac devienne une entreprise publique avec ou sans but lucratif.

On a donc un excellent système avec la carte de débit actuelle. On ne dit pas qu'on ne veut pas payer des frais supplémentaires pour améliorer les technologies. Mais si on s'en va vers un concept où l'on paie à la valeur de la transaction, où l'on paie pour donner des mesures incitatives additionnelles aux émetteurs de cartes de débit, je pense qu'on a un gros problème.

Notre message est de vous sensibiliser à ce problème et de faire en sorte qu'en tant que Canadiens et Canadiennes, on soit capable de dire qu'on ne fera pas comme les autres. On va prendre le problème, l'analyser et on va essayer de trouver des solutions acceptables pour les Canadiens.

Le sénateur Goldstein : J'aurais une dernière petite question. Y aurait-il moyen de suggérer aux émetteurs de cartes qu'avec chaque carte de crédit qu'ils émettent, ils doivent, en même temps, émettre une carte spéciale permettant au consommateur d'avoir à la pièce un rabais de 0,5 p. 100? De cette façon, il ne serait pas obligé de payer le coût de ma carte de crédit.

M. Blouin : On a entendu beaucoup parler d'innovations, d'investissements. Vous nous dites maintenant qu'on devrait rembourser, d'une certaine façon, le consommateur. Je ne sais pas comment cela se fait, j'ai de la difficulté à comprendre, mais je peux vous dire qu'il y a des détaillants qui paient présentement 120 000 $ par années en innovations et investissements pour les compagnies de crédit. J'aimerais savoir quelle part de leur profitabilité ils versent réellement en innovations. Parce que présentement, c'est nous qui la payons. En moyenne, un supermarché paye 66 000 $, une épicerie de quartier, 7 700 $. Ce n'est pas toujours à nous de donner afin que le consommateur ait des avantages. On aimerait pouvoir faire des promotions nous-mêmes pour nos magasins.

Mme Chayer : Ce que nous souhaitons, c'est de payer les frais qui sont réels, simplement, et que l'on puisse jouer avec nos prix pour une saine compétition au sein de notre industrie. Mais qu'on n'ait pas à payer le marketing que font les grandes compagnies pour attirer leurs clients.

Le président : Merci à vous tous. La session a été très fructueuse.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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