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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 7 - Témoignages du 14 mai  2009


OTTAWA, le jeudi 14 mai 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du Commerce se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour étudier les éléments concernant la Loi sur la concurrence (Partie 12) contenu dans le projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget de 2009.

Le sénateur Céline Hervieux-Payette (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se penche sur les éléments concernant la Loi sur la concurrence contenu dans le projet de loi C-10, Loi d'exécution du Budget de 2009. Le comité a été autorisé à étudier les changements à la Loi sur la concurrence instauré par le projet de loi C-10, le 12 mars 2009, la journée même où la gouverneure générale lui a accordé la sanction royale.

[Traduction]

Entre autres choses, le projet de loi C-10 a modifié la Loi sur la concurrence en y ajoutant de nouvelles exigences en matière de divulgation de renseignements pour les grandes fusions, en élargissant la définition du trucage d'offres et en modifiant des dispositions relatives aux pénalités dans le but d'accroître la protection des consommateurs contre la publicité mensongère et les pratiques de commercialisation trompeuses.

[Français]

Pour discuter des changements à la Loi sur la concurrence, il me fait plaisir d'accueillir aujourd'hui de l'Association du Barreau canadien.

[Traduction]

John D. Bodrug, président, Section nationale du droit de la concurrence; Paul Collins, vice-président, Section nationale du droit de la concurrence; Janet Bolton, présidente, comité de la législation et des politiques, Section nationale du droit de la concurrence; et Omar Wakil, président, comité de fusion, Section nationale du droit de la concurrence.

[Français]

Je vous invite à procéder à vos présentations.

[Traduction]

John D. Bodrug, président, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien : Je vous remercie. Nous apprécions l'occasion qui nous est donnée de comparaître devant le comité aujourd'hui dans le cadre de l'étude de la Loi sur la concurrence. Je ne pense pas avoir besoin d'exposer longuement au comité les antécédents de l'Association du Barreau canadien, l'ABC, cependant, la Section nationale du droit de la concurrence est l'une des sections de l'ABC les plus actives. Nous avons 1 500 membres.

Je tenais à remercier le Sénat et le féliciter d'avoir entrepris cette étude approfondie des modifications de la Loi sur la concurrence que renferme le projet de loi C-10. Ces modifications ont une profonde portée et toucheront bien des entreprises canadiennes, petites et grandes.

Nous avons soumis d'assez longs commentaires par écrit, alors nous nous efforcerons d'abréger nos observations préliminaires.

La Section nationale du droit de la concurrence a appuyé certaines des modifications à la Loi sur la concurrence que renferme le projet de loi C-10; nous avons exprimé des réserves relativement à d'autres et nous sommes opposés à d'autres encore. Dans le peu de temps que nous avons aujourd'hui, nous n'avons aucune intention de pleurer sur les pots cassés ni d'essayer de revenir sur les principes fondamentaux sur lesquels s'appuient les modifications qui ont été adoptées avec le projet de loi C-10. Nous voudrions nous concentrer sur deux aspects où nous pensons que des modifications additionnelles non seulement contribueraient à l'atteinte des objectifs que vise le projet de loi C-10 relativement à la Loi de la concurrence, mais aussi comporteraient un certain degré de certitude dont ont besoin les entreprises canadiennes.

MM. Collins et Wakil parleront de certains éléments de l'examen des fusions. Mme Bolton et moi-même discuterons de la nouvelle infraction, à l'article 45, relativement aux ententes entre concurrents et de certaines modifications proposées qui, selon nous, contribueraient à atténuer en partie l'énorme malaise que suscite la nouvelle loi.

Parlons d'abord de l'infraction criminelle constituée par les ententes entre compétiteurs. L'un des principaux éléments de la série de modifications visait à abroger l'infraction actuelle pour les ententes qui limitent la concurrence et la remplacer par une nouvelle infraction per se — en termes juridiques — selon laquelle il est illégal pour les compétiteurs de convenir de fixer un prix, de fixer ou limiter la production ou d'octroyer des marchés, que cela ait ou non un effet défavorable sur la concurrence. L'interdiction s'applique également aux petites et aux grandes entreprises, même aux petites entreprises qui ne pourraient avoir la moindre incidence sur les prix du marché.

Un motif de défense est prévu dans le nouvel article 45, lequel doit entrer en vigueur en mars prochain. Il y aura un motif de défense pour les ententes qui sont accessoires à une entente plus importante ou distincte, et qui sont raisonnablement nécessaires, lesquelles ententes ne sont pas en infraction avec l'article. Cependant, il reste à voir comment les tribunaux interpréteront ce motif de défense.

Vendredi dernier, le Bureau de la concurrence au Canada a diffusé une ébauche de lignes directrices sur la manière dont le bureau appliquera le nouvel article 45, ainsi que les nouvelles dispositions relatives aux moyens non criminels de remettre en cause des ententes entre concurrents. Nous félicitons le bureau pour ses efforts. Bien que les lignes directrices n'aient pas force exécutoire pour le bureau, nous estimons qu'elles apporteront aux entreprises canadiennes une importante mesure de certitude quant aux situations dans lesquelles le bureau intentera des poursuites criminelles dans le but d'obtenir des peines d'emprisonnement.

Le projet de lignes directrices indique clairement en particulier que le bureau n'intentera de poursuites criminelles que lorsque les ententes seront si susceptibles de défavoriser la concurrence et de ne présenter aucun avantage pour elle qu'elles justifieraient une poursuite sans enquête approfondie sur leur incidence réelle sur la concurrence.

Le problème, à notre avis, c'est que le libellé actuel du nouvel article 45 pourrait donner lieu à une interprétation beaucoup plus élargie et le projet de lignes directrices ne cherche pas à définir les limites extérieures de cette interdiction. Même si elles le faisaient, ces lignes directrices n'ont aucune force exécutoire devant un tribunal. Elles n'éliminent pas tout à fait l'incertitude qui pèse dans le milieu des affaires relativement à l'interprétation que pourraient faire les tribunaux du nouvel article 45, par exemple dans des poursuites civiles, y compris les poursuites collectives. Nous constatons une tendance à la hausse du nombre de poursuites collectives au Canada dans le contexte du droit de la concurrence.

Les infractions à cette nouvelle disposition exposent les parties à des actions en dommages-intérêts, potentiellement à des injonctions et à ce que des parties cherchent à éviter les contrats pour motif d'illégalité, outre le risque d'exposition à des poursuites au criminel.

Je vais maintenant laisser la parole à Mme Bolton, qui donnera quelques exemples des types d'ententes dont, selon nous, le statut légal pourrait être rendu incertain par la nouvelle loi et certaines des exemptions qui, à notre avis, pourraient contribuer à corriger cela.

[Français]

Janet Bolton, présidente, Comité de la législation et des politiques, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien : Il me fait plaisir d'être ici aujourd'hui.

[Traduction]

Permettez-moi de dire tout d'abord que l'ABC appuie pleinement le régime juridique qui permet de porter devant la justice les complices d'activités purement collusoires, de fixation des prix et d'autres ententes du genre. Les modifications au projet de loi C-10 faciliteront pour le gouvernement l'adoption de sanctions contre les ententes injustifiables, et pour nous, c'est très positif. Cependant, nous nous inquiétons que la loi favorise certains accords inoffensifs entre compétiteurs, y compris des petites entreprises, à une époque où notre économie peut le moins se le permettre.

Comme le disait M. Bodrug, les craintes de l'ABC découlent du libellé de la loi elle-même. Ce libellé est extrêmement vaste, et il n'est pas clair que la défense accessoire pourrait être invoquée dans tous les cas pour protéger les ententes commerciales parfaitement légitimes.

Par exemple, la nouvelle interdiction criminelle vise tout accord entre concurrents pour contrôler ou fixer le prix d'un produit. Comme vous le savez probablement, il est très courant que les petites entreprises fassent front commun et forment des consortiums d'achat dans le but de négocier des modalités favorables et des ristournes avec les fournisseurs. C'est vraiment le seul moyen pour les entreprises familiales de continuer d'avoir des prix concurrentiels avec ceux des plus grosses entreprises.

Cependant, une entente de consortium d'achat est une entente entre concurrents, et vise à contrôler le prix d'un produit. Bien que le bureau ait indiqué dans ses lignes directrices ne pas estimer que l'article 45 englobe les ententes d'achat, ce n'est pas clair dans le libellé de la loi et, au bout du compte, c'est aux tribunaux qu'il incombera d'en décider.

Il n'est pas clair, non plus, que la défense accessoire puisse être invoquée dans ces circonstances parce que le but même de la création d'un consortium d'achat est de contrôler les prix, et on pourrait donc alléguer que les ententes sur les prix ne sont pas accessoires à une entente plus vaste.

Une autre catégorie d'ententes qui pourraient poser problème est celle des ententes entre un mandat et un agent. Je sais que l'Association canadienne de l'immeuble a écrit au comité pour lui exposer la situation mandat-agent dans l'industrie immobilière, qui pourrait soulever des problèmes. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je vous incite à lire cette lettre. Nous vous avons donné des exemples d'ententes problématiques dans les documents que nous vous avons remis. Je n'en parlerai pas parce que je préfère me concentrer sur les moyens de remédier à la situation.

L'ABC propose de résoudre l'incertitude créée par le nouvel article 45 au moyen d'autres modifications à la Loi sur la concurrence qui pourraient exempter certains types d'ententes des nouvelles dispositions criminelles. J'insiste sur le fait que ces exemptions ne viseraient que les ententes dont il est clair qu'il n'avait pas été prévu qu'elles soient visées par l'article 45.

Permettez-moi maintenant d'expliquer certaines des exemptions que nous proposons dans nos documents. Tout d'abord, nous proposons une exemption mandat-agent pour régler la situation que décrit l'Association canadienne de l'immeuble.

Deuxièmement, nous proposons deux modifications à la loi pour corriger des lacunes du libellé. Le projet de loi C- 10 exempte les ententes conclues entre les sociétés affiliées, par exemple une compagnie parente et sa filiale en toute propriété. Cette exemption s'applique à la fois à la disposition criminelle et au régime civil relativement à l'examen des ententes entre concurrents. Selon un principe juridique déjà établi, il ne peut y avoir complot quand tous les acteurs sont sous contrôle commun parce qu'il faut deux parties pour conclure une entente, et il n'y en a qu'une dans un cas de contrôle commun. Le problème, avec l'exemption qu'énonce le projet de loi C-10, c'est que celle-ci est fondée sur la définition de « filiale » dans la Loi sur la concurrence, et cette définition est étroite et technique. Elle ne s'appliquerait pas à bien des types d'organisations, dont les fiducies. Il pourrait en découler des sanctions criminelles contre les ententes entre parties apparentées. C'est quelque chose qu'il faut corriger.

Selon un autre principe juridique établi, lorsqu'une instance de réglementation exige ou autorise des concurrents à conclure une entente, celle-ci est exemptée des dispositions de la Loi sur la concurrence. Dans un passé relativement lointain, des commissions de commercialisation agricole ont contesté devant les tribunaux à diverses reprises. On alléguait de complots illégaux. Les commissions étaient, et dans bien des cas sont encore, sous le contrôle de groupes de producteurs — des concurrents qui, d'un commun accord, fixent les prix de produits agricoles dans le cadre d'un scénario de gestion de l'approvisionnement. Les tribunaux ont toutefois conclu que comme les commissions agissaient en vertu d'un règlement valide, la Loi sur la concurrence ne s'appliquait pas à ces ententes. La jurisprudence a établi ce qu'on appelle la défense fondée sur des actes réglementés. Dans le projet de loi C-10, le Parlement a tenté de codifier ce motif de défense. Le libellé pose pourtant problème. Le paragraphe 45(7) adopte la règle comme étant établie dans la jurisprudence. Malheureusement, dans un cas récent, la Cour suprême du Canada a laissé entendre que ce motif de défense ne s'applique que lorsque le libellé de la Loi sur la concurrence laisse une certaine marge de manœuvre pour la réglementation provinciale. Les tribunaux ont soutenu que les termes « réduction indue de la concurrence » donnaient cette marge de manœuvre.

Cependant, comme l'a dit M. Bodrug, le projet de loi C-10 supprime l'expression « réduction indue de la concurrence » à l'article 45. En conséquence, un tribunal pourrait conclure qu'une conduite réglementée par la province, y compris les éléments de notre système de gestion de l'approvisionnement agricole, n'est plus protégée par l'application de la Loi sur la concurrence. C'est un problème de formulation. Je ne pense pas que c'était le but visé, et il faudrait corriger cela.

Nous avons expliqué dans la documentation que nous avons remise et dans d'autres contextes que la défense fondée sur des actes réglementés devrait pouvoir être un motif de défense de façon plus générale. Dans le projet de loi C-10, ce motif aurait dû être ajouté au nouvel article 90.1, la disposition d'examen civil des ententes entre compétiteurs.

Dans notre documentation, nous proposons aussi plusieurs autres exemptions générales et spécifiques, notamment le pouvoir de prévenir les exemptions en bloc. Les exemptions constitueraient une espèce de valve de sûreté dans ce qui pourrait autrement être un régime inflexible. Le pouvoir d'octroyer des exemptions serait plus rapide et plus efficace que s'il fallait retourner devant le Parlement pour composer avec les conséquences imprévues du régime pénal pour les ententes entre concurrents.

Je tiens à souligner que la liste que nous vous avons remise est préliminaire. À la Section nationale du droit de la concurrence, nous ne faisons qu'amorcer notre débat sur les détails d'un régime d'exemptions, mais nous estimons que c'est quelque chose qui mérite une réflexion et une discussion plus approfondies. Nous vous remercions de votre intérêt et du temps que vous nous accordez. Je vais maintenant laisser MM. Wakil et Collins poursuivre la présentation.

[Français]

La vice-présidente : Je suis désolée de vous interrompre. Je vous signale que nous avons jusqu'à 11 h 15. Par conséquent, je suggère que vous fassiez de brèves présentations afin de permettre aux sénateurs qui le désirent de vous poser des questions.

[Traduction]

Paul Collins, vice-président, (application), Section nationale du droit de la concurrence : Je serai bref. Dans les prochaines minutes, je vais parler des conséquences du projet de loi C-10 relativement à la Loi sur Investissement Canada, particulièrement un élément de cette loi, soit la création d'un critère relatif à la sécurité nationale et d'un processus pour passer en revue les achats, par des acheteurs qui ne sont pas Canadiens, d'entreprises canadiennes auxquels pourrait s'appliquer un critère relatif à la sécurité nationale.

La vice-présidente : Si nous devons parler de cet aspect, nous n'en traiterons pas en profondeur, comme il le mériterait. Vous pouvez poursuivre. Je ne vous interromprai pas, mais je pense que notre comité préférerait avoir une consultation axée uniquement sur ce projet de loi après ceci, pour que nous puissions faire examiner le projet de loi par tous les intervenants et les Canadiens en général.

Nous sommes aussi limités dans le temps — c'est-à-dire pour ce qui est de la Loi sur la concurrence qui doit entrer en vigueur l'année prochaine. Nous pourrions être en mesure d'apporter des corrections et de présenter de nouvelles modifications au Parlement. Je tiens à vous en prévenir.

M. Collins : Je prendrai deux minutes pour parler d'un élément de principe, c'est-à-dire que l'ABC ne s'oppose pas au concept d'un critère relatif à la sécurité nationale. Ce qui, pour nous, est important de supprimer, c'est l'incertitude qui naîtra dès lors du libellé actuel de la loi. Il y manque deux choses qui sont importantes pour favoriser plus de certitude. L'une est l'absence d'une définition de la sécurité nationale. Il serait important d'en avoir une, bien que nous comprenions que ce soit un concept fluide et qu'il puisse être difficile de l'exprimer dans le contexte d'une loi.

Autrement, l'ABC souhaiterait une combinaison de deux choses. Tout d'abord, certaines lignes directrices afin que la communauté des affaires comprenne ce qui, selon le gouvernement, relèverait du domaine de la sécurité nationale et le poids des divers facteurs qui pourraient entrer en jeu; et deuxièmement, un processus par lequel les parties pourraient, à titre volontaire, s'adresser à Industrie Canada pour obtenir une espèce d'autorisation ou savoir si une transaction sera traitée de quelque manière que ce soit sous l'angle du critère de la sécurité nationale, que ce soit en tout ou en partie.

Le critère relatif à la sécurité nationale est très vaste. Il capterait même les plus petites transactions et sa portée est immense. En l'absence de ce type de protocole de procédure, les parties à une transaction nagent dans l'incertitude. Ce sur quoi je me concentre, c'est le processus de mise en œuvre de ce que ce critère vise à réaliser de manière à ce que la communauté des affaires puisse avoir une certaine assurance quand elle planifie et essaie de réaliser des transactions.

Je n'en dirai pas plus, compte tenu de vos commentaires.

Omar Wakil, président, Comité des fusions, Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien : Moi aussi, je serai bref, pour que nous puissions rapidement passer aux questions.

Je me propose de parler brièvement des modifications aux dispositions visant les fusions de la Loi sur la concurrence. Comme le comité le sait, l'un des grands objectifs des modifications était de mettre en œuvre les recommandations du comité Wilson. Une importante recommandation de ce comité, d'après notre section, a été laissée pour compte dans les modifications budgétaires. Ce comité a recommandé que « en plus de l'accroissement des seuils financiers, ou comme mesure de substitution », l'augmentation du seuil financier déclenchant l'émission d'un avis de fusion, « on pourrait examiner le bien-fondé de créer d'autres exceptions à l'avis de fusion pour les catégories de transactions qui ne soulèvent pas de préoccupations au titre de la concurrence ». Le comité Wilson a aussi ajouté que de tels changements — et c'est certainement juste —- peuvent être effectués assez facilement en prescrivant des règlements afférents à l'article 124 de la Loi sur la concurrence.

La Section nationale de la Loi sur la concurrence estime que l'ajout de catégories d'exemptions augmenterait l'efficacité et l'efficience du processus d'examen des fusions au Canada. Les frais juridiques et taxes de dépôt seraient réduits pour les parties aux transactions de fusion exemptées. Le Bureau de la concurrence, pour sa part, n'aurait pas à consacrer du temps et des ressources au traitement des autorisations d'un grand nombre de transactions de fusion qui ne posent aucun problème.

Le Bureau de la concurrence continuerait certainement d'exercer et de maintenir son autorité sur ces transactions. Cela signifierait seulement que les parties aux fusions n'auraient pas à passer par le processus obligatoire d'examen d'avis de fusion dans tous ces cas.

La section de la Loi sur la concurrence estime qu'il faudrait envisager d'ajouter ou d'élargir les exemptions relatives aux acquisitions immobilières, aux acquisitions dans le secteur en amont du pétrole et du gaz, aux conversions de fiducie du revenu, aux transactions de vente et de cession-bail, et aux réorganisations d'entreprises quand le contrôle ultime reste inchangé.

Depuis une vingtaine d'années, le Bureau de la concurrence n'a contesté aucune fusion portant sur aucun de ces types d'acquisition. Nous pouvons clairement en conclure, à notre avis, que ces catégories de transactions de fusion posent généralement peu de problèmes. La Section de la Loi sur la concurrence ne connaît aucune déclaration publique, d'aucun membre du bureau, voulant qu'on envisage des exemptions, ou même qu'on soit en train d'en rédiger, comme celles que propose le comité Wilson, et il nous semble qu'il serait utile que le comité appuie les recommandations de ce comité et recommande l'ajout d'autres exemptions dans la loi pour les avis de fusion.

C'est là-dessus que je termine mes observations et celles de mes collègues. Nous répondrons maintenant volontiers à vos questions.

Le sénateur Ringuette : Je suis heureuse de vous voir ici aujourd'hui. Vous avez soulevé une grande problématique relativement à la communauté agricole. Nous savons tous que depuis trois ans, le gouvernement actuel s'évertue à défaire ou démanteler la Commission canadienne du blé.

Vous avez parlé des modifications au projet de loi C-10 relativement au Bureau de la concurrence et du problème de l'absence d'un régime d'exemption. Ce n'est pas non plus dans les lignes directrices. C'est une question théorique. En ce qui concerne la question de l'abus et la concurrence, qui est l'un des problèmes, et de la fixation de prix, j'aimerais savoir si, d'après votre expertise juridique, la Commission canadienne du blé pourrait faire l'objet de poursuites, que ce soit pénales ou au civil, en vertu des modifications au projet de loi C-10? Par exemple, est-ce que l'office des pommes de terre du Nouveau-Brunswick pourrait faire l'objet d'une enquête criminelle du Bureau de la concurrence, ou encore l'office de mise en marché du lait?

De mon point de vue jusqu'à maintenant, vous avez fait ressortir ce qui, selon moi, est un gros problème, surtout en regard des négociations actuelles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Ce genre de loi donnerait carte blanche au gouvernement pour affirmer, en se fondant sur la Loi de la concurrence, qu'ils ne sont pas compétitifs. Ils fixent les prix; au moyen des quotas de production, ils gonflent les prix. On pourrait l'affirmer. C'est d'importance.

Mme Bolton : Je suis d'accord que ce pourrait être énorme. Je pense que c'est plus une erreur de formulation qu'un but en ce qui concerne l'infraction criminelle. L'objectif visé était de maintenir le motif de défense. C'est seulement la manière dont cela a été formulé à la lumière du cas dont a été saisie la Cour suprême du Canada. Cela crée la possibilité qu'il puisse y avoir deux interprétations diamétralement opposées de la même disposition, l'une voulant que le motif de défense est valable et l'autre voulant qu'il ne peut s'appliquer si on se fonde sur la jurisprudence. C'est quelque chose qui peut être corrigé.

J'aimerais souligner que le bureau a déclaré — et je le répète, ces lignes directrices n'ont pas force exécutoire — qu'il n'a aucune intention de s'en prendre à une conduite réglementée. L'autre problème, c'est que la défense fondée sur des actes réglementés n'est citée que dans la disposition criminelle. Il serait donc possible, en vertu de la loi modifiée, qu'une commission de commercialisation agricole se fasse traîner devant le Tribunal de la concurrence pour s'expliquer. Il peut être difficile, d'après le régime, de se sortir positivement de cet examen avec le nouvel article 90.1.

C'est quelque chose qui peut être corrigé avec des modifications relativement mineures à la loi. Ces modifications seraient dans l'esprit de ce que le Parlement recherchait pour commencer.

Le sénateur Ringuette : Pourriez-vous remettre aux membres de ce comité un projet de modification pour régler ce problème particulier?

Mme Bolton : Certainement. Nous vous la ferons parvenir.

Le sénateur Ringuette : Je réitère les préoccupations que suscitent chez moi les actions passées de l'actuel gouvernement. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ouvrir une fenêtre qui pourrait mettre en péril notre communauté agricole.

Mme Bolton : Nous proposerons volontiers une exemption.

M. Bodrug : Outre ce qu'a dit Mme Bolton, le risque que le Bureau de la concurrence intente des poursuites pour ce type de conduite est faible, mais l'ambigüité invite les poursuites au civil du côté privé aussi.

Le sénateur Ringuette : Ceci augmente le risque en regard des discussions concernant le commerce international, et particulièrement l'accord de libre-échange que nous avons conclu avec les États-Unis et le Mexique. Le problème du lait est énorme, ainsi que celui des produits dérivés du lait. Nous ouvrons la porte à de nombreux conflits avec nos partenaires commerciaux, en plus de créer une situation des plus incertaines dans nos communautés agricoles. Le moment est mal choisi pour agir ainsi.

Le sénateur Gerstein : Madame Bolton, dans vos observations, vous avez parlé — et vous sembliez heureuse — du principe de certitude illustré par certains éléments de la loi. Si je passe maintenant à un autre commentaire que vous avez fait sur les accords inoffensifs, je ne saisis pas très bien votre position sur le degré de certitude que vous recherchez quant à qui fixe les limites entre ce qui pourrait être considéré inoffensif et préjudiciable, et comment. Pourriez-vous m'éclairer?

Mme Bolton : J'inviterai mes collègues à répondre aussi. Il est universellement reconnu, au Bureau de la concurrence, que les accords préjudiciables sont ce que nous appelons des ententes caractérisées : les ententes sont conclues uniquement aux fins de fixation des prix, de répartition des marchés ou de limitation de la production. Ce sont des modes de concurrence universels. Malheureusement, c'est devenu le genre de chose qu'on ne sait que quand on les voit.

Selon nous, tout le reste devrait être vu sous l'angle civil. Il existe cette position civile. Le tribunal a la capacité d'examiner d'autres ententes, et nous pensons que tout le reste peut être intégré au processus civil. S'il y a problème, le tribunal peut y remédier, mais ce n'est plus un enjeu criminel. Je pense que nous devrions repousser autant que possible les limites de manière à confiner les dispositions criminelles aux ententes collusoires injustifiables.

Le sénateur Gerstein : Je vous remercie pour ces éclaircissements.

Le sénateur Fox : J'ai deux questions à vous poser. La première s'adresse à M. Collins, si vous voulez bien. Vous avez parlé des vives préoccupations que suscite chez vous le fait que l'expression « sécurité nationale » n'ait pas de définition. En l'absence d'une définition, est-ce le ministre qui décide de ce qu'est la sécurité nationale dans un cas particulier?

M. Collins : Oui, le ministre soulèverait la question, et elle serait acheminée en bout de ligne au gouverneur en conseil.

Le sénateur Fox : Y a-t-il moyen de contester le résultat? Y a-t-il une différence entre la sécurité nationale et l'intérêt national?

M. Collins : Oui. Le critère standard pour les questions qui ne touchent pas à la sécurité nationale est à savoir si la transaction présente un avantage net pour le Canada. C'est évalué en regard de plusieurs critères réglementaires. Bien qu'il soit empreint d'une certaine subjectivité, le processus a été raisonnablement efficace au fil des années, et c'est une pratique généralement assez bien acceptée. La manière dont sera évaluée la sécurité nationale suscite beaucoup d'incertitude.

Le sénateur Fox : Par quels moyens pourriez-vous en contester l'évaluation? Est-ce un certificat du ministre, comme dans d'autres domaines où le ministre décèle un élément de sécurité nationale parce que quelqu'un essaie d'entrer dans le pays? Est-ce que c'est la même chose qu'un autre certificat relatif à la sécurité nationale, où le ministre détermine avec ses conseillers que la sécurité nationale est en jeu? Est-ce qu'il y a possibilité d'appel?

M. Collins : À la façon dont fonctionne le processus, si je le comprends bien — et nous sommes tous ici en territoire peu connu en ce qui concerne le mode d'application — c'est que la question est soulevée. Ce n'est pas comme si c'est déterminé à l'avance. La question est soulevée, et les parties ont la possibilité d'argumenter et d'expliquer pourquoi ce ne devrait pas être un facteur de préoccupation ou, si c'en est un, il est possible de le régler au moyen de certaines mesures.

Le simple fait, pour une transaction, de soulever des questions de sécurité nationale ne lui sera pas nécessairement fatal. Il faudra simplement que les parties en cause prennent certaines dispositions. Si le ministre n'est pas convaincu que les difficultés peuvent être surmontées, il pourra alors bloquer la transaction.

Le sénateur Fox : Qu'est-ce qui vous inquiète alors? Le fait qu'il n'y ait pas de lignes directrices qui définissent ce qui constitue une question de sécurité nationale?

M. Collins : Nous en avons tous une bonne idée. Et nous sommes bien conscients qu'il peut s'agir d'un concept difficile à codifier dans une loi.

Nous aurions en fait besoin de directives, d'une sorte de manuel d'instruction. Même si nous savons que ces directives n'auraient pas force de loi, elles seraient tout de même vues d'un bon œil par le milieu des affaires. Ce genre de chose se fait déjà ailleurs. Je pense notamment au Comité sur les investissements étrangers, aux États-Unis, qui a publié une liste non exhaustive de points susceptibles de soulever des questions de sécurité nationale et qui, surtout, a créé un processus volontaire permettant aux parties d'obtenir certaines assurances quant au risque que la transaction qu'elles se proposent de conclure pose problème à cet égard.

Enfin, si on ne définit pas mieux des balises à suivre, nous ouvrons tout grand la porte aux tiers qui, par des manœuvres stratégiques ou tout simplement frivoles, tenteraient de bloquer la transaction ou du moins de la retarder.

Le sénateur Fox : De toute évidence, vous avez étudié la situation aux États-Unis et pris connaissance des directives expliquant les circonstances dans lesquelles les investissements étrangers peuvent soulever des questions de sécurité. Que dites-vous des lignes directrices que vous avez consultées? Devraient-elles être intégrées aux pratiques canadiennes?

M. Collins : Je vous répondrai à titre personnel. Selon moi, on ne peut pas les reprendre telles quelles. Il s'agirait cependant d'un bon départ. Nous devrions certes les étudier soigneusement, mais il faudrait aussi faire en sorte qu'elles tiennent compte de la réalité canadienne, qui ne correspond pas toujours à ce qui se fait au sud de notre frontière.

Le sénateur Fox : J'imagine que vous voulez parler de situations où un groupe étranger voudrait acheter, pour citer un exemple au hasard, la totalité des installations de production de potasse du Canada. Auriez-vous d'autres exemples en tête?

M. Collins : À brûle-pourpoint, je pense immédiatement au matériel militaire et à la défense, à ce genre de choses.

Nous avons déjà entendu dire, lors de consultations antérieures, que l'origine des sommes investies et l'identité de l'investisseur entraient aussi en ligne de compte. Par exemple, si un investisseur avait son siège social aux États-Unis, la transaction ne soulèverait aucune question de sécurité nationale. Au contraire, si son siège social était situé ailleurs, la même transaction pourrait poser problème. Nous sommes conscients qu'il s'agit d'un concept flou, et c'est précisément là que les directives prennent toute leur importance.

Le sénateur Fox : Est-ce que l'Association du Barreau canadien compte produire des directives en ce sens? Est-ce que votre comité pourrait s'en charger?

M. Collins : Pourquoi pas. Nous y avons déjà pensé. Nous avons déjà un sous-comité, issu de la Section du droit de la concurrence, qui s'occupe des activités du Comité d'examen sur l'investissement étranger. Alors oui, nous pourrions certainement nous pencher sur la question.

Le sénateur Fox : Je suis bien tenté, ayant à ma disposition autant d'éminents spécialistes du droit de la concurrence, de leur demander un avis juridique, mais je vais me retenir. Certains de mes collègues comprendront probablement où je veux en venir.

Voici ce que dit votre mémoire à propos de l'article 45 :

Tant les petites que les grandes entreprises canadiennes continueront à faire face à une incertitude de taille, laquelle pourrait facilement être efficacement éliminée par des modifications législatives. Par exemple, si un accord entre concurrents — même entre des entreprises n'ayant aucune emprise sur le marché — contrevenait au nouvel article 45, les parties s'exposeraient à actions privées [...]

C'est grave, il me semble. La nouvelle Loi sur la concurrence permet-elle à une personne qui entretient des relations commerciales avec une grande entreprise qui a, de son côté, une grande emprise sur le marché, de négocier avec elle, disons pour le besoin de la cause qu'il s'agirait du duopole, sans encourir les foudres de l'article 45? Est-ce que je me fais bien comprendre?

Mme Bolton : C'est en effet l'un des aspects où il pourrait y avoir des problèmes. Selon toute vraisemblance, le Bureau de la concurrence ne s'en prendra pas aux négociations légitimes dont les parties tentent de s'allier contre un gros joueur ayant beaucoup d'emprise sur le marché.

J'imagine cependant une situation où le gros joueur en question, ne voulant pas négocier avec les autres parties réunies, serait tenté d'alléguer qu'il est illégal de négocier conjointement parce qu'il y a infraction aux dispositions à l'étude, et tenterait de contester leurs démarches.

Le sénateur Oliver : Vous êtes tous des avocats. L'Association du Barreau canadien est composée d'avocats, et il y a tout plein d'avocats qui travaillent dans le domaine de la concurrence. Vous souhaiteriez avoir une loi qui vous permettrait d'informer plus facilement vos clients de ce qui risque d'arriver s'ils concluent une entente avec des gens avec qui ils font déjà affaire.

Au Canada, beaucoup de lois sont assorties de règlements, de directives ou de lignes directrices. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que des lignes directrices se rattachent à une loi ou à un amendement à un projet de loi.

Dans les faits, ces lignes directrices aideront les avocats à conseiller leurs clients quant aux démarches susceptibles d'attirer l'attention du bureau. Il y a beaucoup de certitudes, mais à vous entendre aujourd'hui, on pourrait croire que la loi à l'étude est déjà adoptée, qu'elle a déjà reçu la sanction royale, et qu'on nage en pleine incertitude. Je crois que c'est loin d'être le cas.

Une partie des lignes directrices n'a été rendue publique que vendredi dernier, et vous n'avez certes pas eu la chance de les étudier en profondeur, mais je m'en voudrais de vous laisser l'impression que, simplement parce que le bureau a publié des lignes directrices, nous nageons maintenant en eau trouble et que les choses sont maintenant rendues très compliquées, parce que je ne pense pas que ce soit le cas.

Ma deuxième question porte sur les exemptions. Vous aimeriez bien, du moins c'est ce que je pense, que l'on ajoute toutes sortes d'exemptions, pour que soient ainsi exclues différentes activités susceptibles de se prendre au filet de la législation sur la concurrence, et vous fondez vos demandes sur ce qui se fait ailleurs en Europe et aux États-Unis. L'annexe B de votre mémoire propose une série d'exemples, et je me demande jusqu'où vous voulez aller. On y lit :

Par exemple, aux États-Unis, il y a une longue liste d'exceptions prévues par la loi (p. ex., pour les organisations de normalisation, les agences de commercialisation des produits agricoles et les accords d'alliance entre transporteurs aériens), un certain nombre d'exemptions élaborées par les tribunaux (p. ex., pour le baseball), et plus de 100 ans de jurisprudence portant sur l'interprétation de la doctrine des « restrictions accessoires ».

Souhaitez-vous aller jusque-là?

M. Bodrug : Chose certaine, nous ne voulons pas donner au comité l'impression que, selon nous, les lignes directrices du bureau nous amenaient en eau trouble. Ces lignes directrices nous seront très utiles et vont probablement aussi loin que le bureau peut raisonnablement aller. Nous nous inquiétons davantage des poursuites civiles.

Le sénateur Oliver : Vous savez que les tribunaux ne les reconnaissent pas comme exécutoires.

M. Bodrug : Il est arrivé que le bureau change d'avis — et c'est son droit — et il est arrivé aussi que les tribunaux ne suivent pas nécessairement les lignes directrices du bureau. Ce n'est pas la fin du monde, nous le savons bien, mais nous tentons de signaler ce qui constitue un véritable problème pour nous qui conseillons nos clients au quotidien.

Le sénateur Oliver : Vous aimeriez pouvoir vous appuyer sur davantage de certitudes.

M. Bodrug : Nous avons tenté de recenser les catégories d'ententes qui ne devraient jamais être visées par la nouvelle loi, ce qui nous aiderait à répondre aux entreprises canadiennes avec plus de certitude.

Le sénateur Oliver : Vous savez pourtant que le projet de loi C-10 a été adopté, qu'il a reçu la sanction royale et qu'il a maintenant force de loi.

M. Bodrug : Oui, sauf que la disposition dont nous parlons, l'article 45, n'entre pas en vigueur avant le mois de mars prochain. Je crois donc que nous pouvons encore y apporter quelques révisions mineures. Selon nous, il s'agit bel et bien de révisions relativement mineures, qui vont certainement dans le même sens que l'intention initiale des dispositions. Peut-être suis-je trop optimiste, mais le projet de loi sur le budget a été adopté plutôt rapidement lui aussi, alors je me dis que nous pourrions peut-être régler certains points avant le mois de mars.

Mme Bolton : Pour ce qui est de vous dire jusqu'où sommes-nous prêts à aller, nous avons à peine commencé à étudier la question des exceptions. En effet, comme vous le savez, les choses vont très vite, et le projet de loi a été adopté. La liste que nous avons dressée aux fins de notre mémoire se fondait sur deux ou trois semaines de consultation auprès de nos membres. Nous devrons creuser la question.

Je veux souligner l'avantage que présente le régime des exceptions par rapport à des lignes directrices du Bureau ou même par rapport à la demande d'un avis du Bureau sur une éventuelle poursuite contre un accord particulier. L'avantage serait de protéger les parties contre les actions civiles. Les poursuites civiles en matière de concurrence, les recours collectifs notamment, se sont multipliées au Canada. Elles commencent vraiment à coûter cher aux entreprises.

Le sénateur Oliver : Prévoyez-vous tous une augmentation du nombre de poursuites en recours collectif du fait des dispositions du projet de loi C-10?

Mme Bolton : Les statistiques que nous avons consultées ne sont pas exhaustives. Cependant, au cours de la dernière décennie, on compte une trentaine de recours collectifs en matière de concurrence. C'est un chiffre approximatif, parce qu'il faudrait recenser toutes les poursuites intentées devant tous les tribunaux du Canada. Notre liste en compte au moins 30. Les parties n'ayant plus à prouver une diminution excessive de la concurrence, cela avantage les plaignants. Comme leurs avocats deviennent des spécialistes du droit de la concurrence, les recours collectifs seront probablement plus nombreux à l'avenir.

M. Bodrug : Il n'y a pas que les recours collectifs. Une partie du problème vient du fait que, en général, le risque modifie la dynamique de la négociation, ce qui rend difficile la mesure du phénomène. Il est difficile de prévoir si cela se traduira par plus de recours collectifs ou, de façon générale, par plus d'actions civiles. Cependant, ce facteur modifie sans contredit les positions de négociation des parties.

[Français]

La vice-présidente : Certaines personnes avec qui j'ai discuté ont indiqué que le système européen n'a pas retenu l'option de poursuite au criminel. On traite seulement ces infractions au civil en imposant des amendes beaucoup plus élevées.

Je parle de principes. À mon avis, les pénalités financières sont d'une autre époque. Lorsqu'on veut empêcher des hommes et femmes d'affaires de commettre des infractions, les poursuites au criminel ne sont pas idéales.

J'aimerais entendre votre point de vue philosophique sur le fond de cette question sur le plan juridique. A-t-on encore de la place dans notre système juridique pour traiter ces infractions comme étant d'ordre criminel, alors qu'une amende maximale pourrait aller jusqu'à 100 millions de dollars et même plus? Si on compare le système européen au système nord-américain, avez-vous une préférence? Le niveau de preuves au criminel est beaucoup plus élevé. Le civil serait-il plus efficace pour empêcher les infractions et maintenir un niveau de concurrence acceptable?

[Traduction]

M. Bodrug : En principe, la nouvelle disposition de la Loi sur la concurrence concernant les accords entre concurrents n'est pas aussi controversée. La proposition d'appliquer plus rapidement des sanctions non criminelles dans le cas d'accords entre concurrents qui ne se rangent pas dans la catégorie des ententes injustifiables ne soulève pas beaucoup d'opposition. Cela, nous le reconnaissons. De façon générale, on semble accepter de réserver les sanctions criminelles aux accords vraiment crapuleux entre concurrents visant à fixer les prix ou, comme Mme Bolton et beaucoup d'autres les appellent, aux cartels flagrants, caractérisés ou ouvertement collusoires. On estime généralement que ce type d'entente devrait être passible de sanctions criminelles, même s'il est reconnu qu'il est plus difficile et plus long de poursuivre les coupables et qu'il faut respecter des critères plus rigoureux. Toutefois, on ne peut pas nier qu'il y ait place aussi pour des sanctions non criminelles.

[Français]

La vice-présidente : Au Québec, on a récemment condamné des détaillants qui opéraient chacun une petite station d'essence d'infractions en vertu du Code criminel. Je trouve ridicule que la sanction soit appliquée en vertu du Code pénal. Si on avait dit à ces gens qu'ils pourraient perdre leur maison, leur commerce et qu'ils seraient passibles de sanctions financières importantes, on aurait peut-être pu empêcher ce genre de collusion.

On a gardé sans doute un côté de moral. Sur le plan de la gouvernance des activités économiques d'un pays, on se doit d'être efficace. Je serais tentée de croire que la poursuite au civil serait plus efficace. On interviendra plus souvent, on n'aura pas le même niveau de preuve à obtenir et les enquêtes dureront moins longtemps. On aura donc un système beaucoup plus efficace. Cette pratique est en usage depuis longtemps en Europe, là où effectivement on est intervenu. Je vous soumets cet argument aux fins de réflexion.

L'amende de 25 millions de dollars ne me semble pas suffisante. Les entreprises souvent peuvent s'entendre. Ces entreprises ont un chiffre d'affaires pouvant s'élever à des milliards de dollars. Je parle toujours du principe des sentences. À mon avis, il s'agirait plutôt de fixer une sentence minimale plutôt que maximale afin de permettre aux juges, qui se trouvent devant deux grandes multinationales, d'imposer une sanction beaucoup plus sévère que celle qui est prévue.

[Traduction]

Mme Bolton : J'aimerais signaler que le montant actuel de l'amende, celui qui est en vigueur jusqu'en mars 2010, soit 10 millions de dollars, n'a pas empêché l'imposition d'amendes plus salées. Les condamnations, généralement consécutives à des plaidoyers de culpabilité, faisaient suite à des accusations multiples. L'amende maximale imposée au Canada a été, je crois, de 50 millions de dollars. Autre précision, la vaste majorité des grands cartels ne sont pas montés au Canada. En conséquence, le même cartel peut être puni aux États-Unis et en Europe ainsi que dans d'autres juridictions, ce qui fait intervenir des principes de courtoisie internationale pour le comptage en double des amendes au Canada.

Le sénateur Moore : Monsieur Bodrug, j'ai sous les yeux votre lettre du 3 février à M. Ron Parker, d'Industrie Canada. Les dispositions de la Loi sur la concurrence dont nous discutons aujourd'hui sont enfouies dans ce projet de loi budgétaire fourre-tout qui a été déposé à la Chambre des communes le 27 janvier et qui a reçu la sanction royale, comme vous le savez, le 12 mars. Dans cette lettre, je lis : « J'écris [...] pour vous présenter nos points de vues préliminaires sur les modifications possibles au processus d'examen des fusions en vertu de la Loi sur la concurrence recommandées par le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence ». C'est le panel Wilson, n'est-ce pas? En février, vous écriviez une note au ministère en réponse aux recommandations du groupe d'étude.

L'Association du Barreau canadien a-t-elle eu un mot à dire sur d'éventuelles modifications au projet de Loi sur la concurrence avant son dépôt à la Chambre des communes? Est-ce votre première tentative pour faire connaître votre point de vue?

M. Bodrug : Cette lettre a d'abord été inspirée par cette recommandation du rapport Wilson. Il se peut que je me trompe un peu, mais je crois que la plateforme du Parti conservateur, avant l'élection — la date précise m'échappe — faisait à quelques reprises allusion à l'adoption de cette disposition, des recommandations de ce groupe d'étude. Nous avons créé un groupe de travail, quelque temps avant cette lettre, en fait, pour répondre à cette recommandation particulière, car nous estimions que la recommandation ou la question n'avait pas été examinée à fond. Nous avions l'impression que, dans le document original qu'il a publié pour solliciter les commentaires, le groupe d'étude Wilson avait manifesté de la tiédeur dans sa démarche. Cela nous a pris au dépourvu. Il nous a fallu un certain temps. Nous avions un groupe avec qui MM. Wakil et Collins ont travaillé, je pense, et qui a consacré du temps à la lettre. Vous constaterez que c'est une lettre détaillée.

Le sénateur Moore : Onze pages.

M. Bodrug : Nous avons reconnu que le Bureau éprouvait des craintes légitimes quant à l'obtention, de façon assez rapide, d'une quantité suffisante d'informations. Nous craignions que cette proposition ne fasse fausse route. Il nous a fallu du temps pour formuler une solution de rechange. Nous ne savions pas que le projet de loi budgétaire était sur le point d'être déposé — il l'a été la semaine suivante —, de sorte que l'on peut parler d'accident ou de coïncidence fortuite.

Le sénateur Moore : M. Parker a-t-il répondu?

M. Bodrug : Je ne crois pas, pas officiellement, de toute façon. Je sais qu'il a reçu la lettre. J'ai lui ai parlé, et il a reconnu avoir reçu la lettre.

Le sénateur Moore : Vous lui avez envoyé une lettre de 11 pages, et il ne vous a pas répondu.

M. Bodrug : Nous avons peut-être reçu un bref accusé de réception — je ne me le rappelle pas précisément —, mais pas une réponse détaillée.

Le sénateur Moore : N'y était-il pas question des problèmes que vous avez soulevés?

M. Bodrug : Pas en profondeur.

Le sénateur Moore : Au début de votre lettre, vous faites allusion aux recommandations du groupe d'étude, dans deux alinéas pointés. Le deuxième alinéa, dans lequel vous citez le groupe d'étude, se lit comme suit :

« (l)a période initiale d'examen devrait être fixée à 30 jours, et le commissaire à la concurrence devrait avoir le pouvoir, à sa discrétion, de lancer une deuxième étape d'examen qui prolongerait le processus et qui se terminerait 30 jours après la pleine conformité avec une deuxième demande d'information. »

Pour ce qui concerne la deuxième étape d'examen qui prolongerait la période d'examen d'une période supplémentaire qui se terminerait 30 jours après la pleine conformité, pourriez-vous me donner un exemple détaillé de son mécanisme de fonctionnement?

M. Wakil : Les parties présenteraient un préavis de fusion et elles ne seraient pas en mesure de parachever l'opération, la fusion, avant 30 jours. Pendant ces 30 jours, le commissaire pourrait demander des renseignements supplémentaires aux parties, et la loi prévoit que les parties ne peuvent pas parachever l'opération de fusion tant que le commissaire n'a pas reçu les renseignements demandés. Elles doivent réunir ces renseignements, les communiquer au Bureau de la concurrence et, une fois qu'elles ont fourni une réponse, complète et exacte sous tous ses rapports pertinents, on entre dans une autre période de 30 jours, pendant laquelle le Bureau examine ces renseignements. À la fin de cette deuxième période, les parties peuvent conclure leur fusion. Si la demande vise de nombreux renseignements, longs à réunir, les parties pourraient prendre des mois ou une année pour y répondre. Dans le cas contraire, elles prendront peut-être quelques jours ou quelques semaines.

M. Collins : Au cours de la deuxième période de 30 jours, après une conformité substantielle, à moins que le Bureau de la concurrence entreprenne une autre mesure d'action quelconque, les parties seraient légalement dans une situation qui leur permettrait de compléter la transaction. Toutefois, le Bureau de la concurrence a toujours le droit de s'adresser au Tribunal de la concurrence pour obtenir une injonction afin d'arrêter la transaction s'il estime que l'information qu'il a reçue justifie de le faire. Alors, il doit satisfaire à un critère juridique devant le tribunal pour obtenir l'injonction. Par conséquent, vous n'êtes pas assuré d'être en mesure de compléter la transaction même après que les 30 jours additionnels se sont écoulés.

Le sénateur Moore : Est-ce que les parties reçoivent une lettre du bureau pour accuser réception de l'information additionnelle qui a été demandée, et lorsqu'elles reçoivent cette lettre, est-ce à ce moment-là que la deuxième période de 30 jours débute?

M. Wakil : Non. Je pense qu'on s'attend à ce que les parties attestent que leur demande est complète et exacte à tous les égards importants.

Le sénateur Moore : Pensez-vous que c'est quelque chose provenant du bureau qui dirait : « Très bien, vous avez respecté cela? »

M. Wakil : Je ne suis pas certain si le bureau a élaboré un processus ou s'il a déterminé comment il répondra à cela. Il est probable qu'il ne répondra pas parce qu'il pourrait s'agir d'un volume d'information considérable et qu'il pourrait hésiter à avoir un document officiel confirmant qu'il croit que votre demande est correcte à tous les égards importants.

Cela fonctionnerait vraisemblablement de la manière suivante : vous attesteriez que votre demande est complète et exacte, et le bureau aurait 30 jours pour l'examiner et, potentiellement, la contester parce qu'il pourrait dire qu'elle n'est pas complète et exacte à tous les égards importants, qu'il y a des lacunes ici, qu'il y a non-conformité.

M. Collins : Vous faites l'attestation de la présentation de vos renseignements sous serment.

Le sénateur Moore : Oui, certainement.

M. Collins : De toute évidence, les parties examineront la question sérieusement et feront tout pour s'assurer d'être conformes.

Le sénateur Moore : Elles veulent que la transaction se réalise.

M. Collins : Elles ne veulent pas qu'elle soit contestée.

Le sénateur Moore : C'est pourquoi je trouve intéressant que le bureau ait encore l'occasion d'obtenir une injonction. Quelque part au cours du processus, n'a-t-il pas à dire aux parties qu'elles ont rempli les exigences et qu'elles peuvent aller de l'avant avec certitude et compléter la transaction? Je trouve extraordinaire le fait que vous pouvez avoir suivi le processus et que le bureau peut tout de même contester après que vous lui avez donné tout ce qu'il vous a demandé. Où cela s'arrête-t-il?

M. Wakil : Cela pourrait être un résultat préférable, mais vous avez raison; il y aura de la subjectivité et de l'incertitude. La loi prévoit également la possibilité d'imposer une amende de 10 000 $ par jour où, en tant que partie à une fusion, vous êtes en non-respect des périodes d'attente pendant lesquelles une transaction ne peut être complétée en vertu de la loi.

Par exemple, si vous attestez la conformité en ce qui a trait à la deuxième demande, vous attendez l'épuisement de la période de 30 jours, vous complétez la transaction et, par la suite, le bureau conteste le tout et dit : « Non, vous êtes en fait en état de non-conformité. Vous n'avez pas respecté la demande. « Non seulement le bureau pourrait chercher à obtenir une injonction, mais les parties pourraient également devoir payer des amendes substantielles pour avoir violé les périodes d'attente pendant lesquelles une transaction ne peut être complétée en vertu de la loi.

Le sénateur Moore : Vous n'avez pas ménagé vos efforts pour mettre en évidence les lacunes du processus américain de demandes de renseignements supplémentaires, et vous n'avez pas obtenu de réponse à cela. Vous dites que ce processus est réputé dans les cercles internationaux de droit sur la concurrence, alors pourquoi s'engager dans cette voie? Le barreau sait de quoi il parle. Nous connaissons l'expérience internationale et vous n'avez pas de réponse. Je trouve cela extraordinaire parce que nous parlons d'amendes pouvant s'élever à des millions de dollars.

M. Wakil : Nous étions également préoccupés par le fait, comme l'a dit M. Bodrug, qu'il n'y a pas eu de consultation du public sur cette question pendant tout le processus. Sur environ 150 mémoires adressés au groupe d'étude Wilson, je n'en connais aucun — il y a peut-être un ou deux — qui traitait des modifications potentielles aux dispositions de la loi concernant les fusions. Cela a dérouté beaucoup de gens. Nous ne l'avions pas vu venir, et ce sont des changements énormes.

À un certain moment, au sein du groupe d'étude Wilson, certains de ces changements ont été qualifiés de mises à jour relativement modestes de la loi, alors qu'il s'agit certainement, à notre avis, de modifications énormes, particulièrement dans le domaine des fusions et des cartels.

[Français]

La vice-présidente : Je voudrais souhaiter la bienvenue à Tim Kennish, avocat à la l'étude Osler, Hoskin et Harcourt. Me Kennish vous pouvez procéder à votre présentation. Nous avons déjà votre document.

[Traduction]

S'il vous plaît, veuillez nous donner un résumé de votre document plutôt que de le lire.

Tim Kennish, avocat, Osler, Hoskin & Harcourt LLP : Je suis heureux d'être ici. Je suis avocat-conseil auprès du cabinet d'avocats Osler, Hoskin & Harcourt LLP, situé à Toronto. Je m'exprimerai aujourd'hui en mon nom personnel et non en tant que représentant de ce cabinet. Par conséquent, les propos que je tiendrai représentent uniquement mon opinion personnelle.

Je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'est accordée de vous parler de ces modifications. Ce sont les modifications les plus importantes et les plus ambitieuses qui ont été apportées à la loi depuis 20 ans. À mon avis, il s'agit de modifications nécessaires qui amélioreront notre droit de la concurrence. Toutefois, je suis conscient qu'il s'agit de modifications controversées, encore aujourd'hui même si le processus parlementaire a mis fin au débat sur cette question.

Bien que je sois d'accord pour dire qu'il est possible d'améliorer ces dispositions pour ce qui est de clarifier leur portée, je reconnais que nous avons affaire à la loi générale qui s'applique à une multitude de transactions. Elle sera nécessairement rédigée en termes généraux et il y aura certaines zones d'incertitude. Les lignes directrices dont nous avons parlé ce matin aident beaucoup à éliminer une partie de cette incertitude.

Bien que je sois en faveur de ces modifications apportées à la loi, j'éprouve des réserves à l'égard du libellé de certaines dispositions, et j'ai mis ces réserves dans les annexes du document qui vous a été remis.

En raison des contraintes de temps, je vais parler de trois domaines particuliers. Le premier est la réforme de l'article 45, le second est l'examen des fusions et le troisième est la position dominante. Le projet de loi touche à d'autres domaines, mais il s'agit là des domaines les plus importants et ce sont ces domaines qui reçoivent la plus grande priorité dans notre approche à la loi dans ce domaine.

Je vais parler un peu du processus législatif. Un facteur qui a contribué un peu à la controverse qui se poursuit toujours autour de ces modifications a été le processus d'adoption dans le cadre d'un projet de loi d'exécution du budget très étoffé. Il n'y a pas eu de consultations publiques réelles portant sur le projet de loi. Il est regrettable que le processus législatif n'ait pas fourni l'occasion de discuter de ces dispositions particulières. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les préavis de fusion qui n'ont jamais fait l'objet de consultations publiques.

Toutefois, à l'exception des préavis de fusion, qui est certainement un domaine important du projet de loi, presque toutes les autres modifications à la loi qui ont été recommandées par le groupe d'étude ou incluses dans le projet de loi avaient fait l'objet d'un débat public très étendu qui s'est échelonné sur une longue période de temps. Certaines de ces questions ont fait l'objet de discussions ou ont fait partie de projets de loi ou de propositions au cours des 15 dernières années. Nous avons eu des livres blancs, des rapports du bureau, des études commandées par le bureau et des projets de lois qui ont été déposés et qui ont franchi plusieurs étapes du processus d'adoption avant de mourir au Feuilleton. Plus récemment, nous avons eu un examen relativement poussé du domaine qui a été réalisé par le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes ainsi que le rapport du groupe d'étude, qui représentaient des sondages complets sur les points de vue liés à leur sujet.

En ce qui a trait aux réformes proposées à l'égard des préavis de fusion, le groupe d'étude a reçu des mémoires de plusieurs juristes chevronnés qui soutenaient que le système était devenu problématique et avait besoin d'être réformé tant pour accélérer le processus d'examen des fusions les plus simples, mais également pour donner plus de temps au bureau pour analyser les cas les plus difficiles.

Je pense que le groupe d'étude a vu dans cette situation l'occasion de recommander l'adoption d'un système — je parle du système américain d'approbation des fusions — qui pourrait régler ces deux problèmes tout en harmonisant en même temps notre processus d'examen des fusions avec celui des États-Unis. Il y a plusieurs énoncés dans le rapport du groupe d'étude Wilson témoignant d'une préférence pour une harmonisation des lois entre différentes entités administratives qui pourraient avoir à se pencher sur les mêmes transactions d'affaires.

Les changements les plus importants apportés par ces modifications étaient liés à la nécessité urgente de réformer l'article 45. Cette disposition de la loi, qui célèbre cette année son 120e anniversaire, est la pierre angulaire de notre loi. Malgré son importance, elle comportait, à mon avis, des lacunes importantes et avait un pouvoir d'application limité. C'est malheureux, parce que les cartels sont considérés à travers le monde comme étant les ententes commerciales les plus nuisibles pour la concurrence. Par conséquent, les poursuites qui concernent les cartels figurent habituellement en haut de la liste des priorités des autorités de réglementation de la concurrence du monde entier.

Bien qu'elle ait suscité une certaine controverse, la nécessité de cette réforme était assez évidente à mes yeux depuis un certain temps. Le Canada a une loi qui constitue un outil important pour l'application à l'échelle internationale des règles antitrust, mais qui est dépassée par rapport aux lois similaires de presque tous les autres pays développés. Cela serait attribuable au fait que bien que cet article crée une infraction criminelle, il incorpore dans la loi une règle de raison.

Ainsi, la cour doit non seulement démontrer qu'une entente ou un arrangement avec un concurrent est anticoncurrentiel dans les faits, mais également qu'il restreint indûment la concurrence sur un marché donné. Par conséquent, cela nous oblige à mesurer et à déterminer quels produits et quels marchés géographiques sont touchés par l'entente et ensuite, à déterminer à quel degré les effets nuisibles sur ces marchés sont indus. De plus, tous ces éléments doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable conformément à la règle du droit criminel.

De leur côté, les lois comparables de presque tous les autres pays développés appliquent la règle de la preuve « per se » qui dispense de ces exigences. De plus, dans la plupart des pays qui ont adopté cette règle de la preuve « per se », son application se limite strictement à une courte liste d'ententes qui nuisent clairement à la concurrence, telles que les ententes de fixation des prix, les ententes de répartition de clients ou de marchés et les ententes visant à réduire ou à plafonner la production, ce qu'on appelle les ententes injustifiables.

Cela n'est pas vrai de l'article 45 actuel, avant sa modification. Il pouvait s'appliquer à toutes les ententes intervenues entre des concurrents. C'est la difficulté, d'un autre côté, pour faire face à des ententes entre concurrents qui ne sont pas des ententes injustifiables. Il était clairement nécessaire d'avoir une disposition distincte en droit civil portant précisément sur ce genre d'ententes qui permettrait une analyse plus nuancée des effets sur la concurrence de ce genre d'ententes, d'entreprises en coparticipation, « et cetera », pour déterminer s'il y a un résultat nuisible. Dans les autres cas, il était présumé à cause de la nature des ententes.

La refonte de l'article 45 apportée par l'intermédiaire du projet de loi C-10 a pour effet de diviser cet article en deux articles distincts, dont l'un demeure une disposition de nature pénale, mais remplace la règle de raison par une règle « per se » et s'applique uniquement aux infractions commises par les grands cartels traditionnels. C'est une partie. L'autre partie est une nouvelle disposition civile, l'article 90.1, qui vise toutes les autres ententes ou tous les autres arrangements horizontaux entre concurrents et applique la règle de raison et évalue la légalité des arrangements à la lumière de la règle de preuve du droit civil, qui est habituellement plus douce et moins stricte. La capacité de mise en application a été considérablement augmentée par les amendes plus élevées qui sont envisagées, la limite de 25 millions de dollars, et la possibilité de peines d'emprisonnement accrues pour les gens qui violent la disposition criminelle.

L'une des principales critiques fomentées par des organismes tels que l'Association du Barreau canadien, est qu'en raison du fait que l'article 45 du Code criminel n'exigera plus une preuve de l'effet défavorable mais présumera qu'il découlera du type d'entente, de nombreuses ententes dans lesquelles les parties ne sont pas en position de créer des effets défavorables pourraient donc contrevenir à l'article 45. L'exemple souvent cité est celui de deux vendeurs de journaux au coin d'une rue à Toronto qui décident de vendre leurs journaux au même prix, ce qui théoriquement pourrait constituer une infraction technique. Cependant, le fait est que le ministère, du moins le bureau, a des ressources d'application limitées et il serait tout à fait insensé qu'il consacre son temps à intenter des poursuites pour ce type d'arrangements. Je conviens qu'il ne s'agit pas d'une défense en droit, mais dans la pratique beaucoup de gens concernés y réfléchiront à deux fois avant de lancer de telles poursuites.

On cite souvent des exemples d'accords commerciaux comportant un élément qui prévoit qu'il y a une entente pouvant aller à l'encontre de l'article 45. On peut penser, par exemple, à la vente d'une entreprise dans le cadre de laquelle le vendeur et l'acheteur concluraient une convention de non-concurrence pendant une certaine période après la conclusion de la vente. En théorie, cela pourrait être une violation de l'article 45 sous prétexte qu'il s'agit d'une entente de répartition de marché. En même temps, elle est directement liée à la vente de l'entreprise car elle n'en ferait pas partie si ce n'était pour faciliter la conclusion de cet accord. En réalité, l'acheteur refusera d'acheter si immédiatement après la vente, le vendeur qui connaît mieux les clients risque de les lui soutirer. Cet exemple illustre bien la défense relative au caractère accessoire dont il a été question lors de la précédente séance et qui est utilisée car elle répondrait aux exigences de l'article et de nombreux autres types de situation où ce genre d'entente peut être conclue.

Une autre question a été soulevée : Qu'en est-il des particuliers qui intentent des poursuites? Ils ne sont pas obligés de respecter ce que dit le bureau. Le bureau ne s'en soucie peut-être pas, mais nous pouvons intenter une action privée. Je pense que la capacité ou la volonté des demandeurs particuliers d'intenter des poursuites à l'égard de ce qu'on pourrait appeler des transactions neutres sur le plan de concurrence pouvant techniquement transgresser l'article 45 sont encore plus limitées. Le demandeur a peu de chance de recouvrer ou d'essayer de recouvrer des dommages et intérêts qu'il a subis par suite d'une violation de l'article. S'il n'y a aucun effet défavorable sur la concurrence, il n'y aura ni recouvrement de dommages et intérêts ni dédommagement. En outre, les poursuites à cet égard sont fastidieuses, et généralement dans la plupart des juridictions où sont intentées des actions privées et où il y a des mesures d'application publiques, les plaideurs particuliers attendent qu'il y ait une condamnation avant de prouver qu'ils ont subi des torts par suite de la violation de la loi et d'obtenir des dommages et intérêts. Si le bureau n'accepte pas un dossier, les demandeurs particuliers auront plus de difficulté à poursuivre l'affaire, même en supposant qu'ils puissent déposer une demande de dédommagement.

Le mémoire que je vous ai présenté fait mention du préavis de fusion. Même s'il n'était pas notoirement déficient, le processus de fusion comportait un certain nombre de lacunes. J'ai indiqué auparavant que l'on compte parmi ces lacunes certains dossiers dont tout le monde s'accorderait à dire qu'ils ne seront jamais contestés devant le tribunal pourtant ils prenaient plus de temps que prévu. Deuxièmement, selon la loi, la période d'attente maximale imposée au bureau est de 42 jours. Certains cas ont fait apparaître des problèmes épineux — il y en a tout au plus 10 par an — qui ne sont pas réglés en moins de 42 jours. Le bureau estime qu'il ne disposait pas de suffisamment de temps pour régler ce genre de dossiers

L'adoption du processus d'examen américain a permis de faire quelque chose pour régler cette situation.

Troisièmement, du fait qu'un grand nombre de nos fusions examinées ici sont également examinées en parallèle aux États-Unis, on pense qu'à des fins d'optimisation de l'efficacité et du processus d'examen il n'est pas souhaitable que les deux systèmes ne soient pas synchronisés, mais une plus grande cohérence entre les deux systèmes serait désirable.

Le système américain, qui est différent du processus canadien tel qu'il existe jusqu'à présent, comporte une ou deux étapes. Si l'examen ne comporte qu'une seule étape et qu'aucun renseignement supplémentaire n'est demandé pour une « deuxième requête », l'approbation est donnée à la fin de la période de 30 jours et la fusion est autorisée. En cas de demande de supplément d'information, l'examen se fait dans le cadre d'une deuxième requête et le processus est plus long. Ce mécanisme a fait l'objet d'une discussion. Je ne le tiendrai pas pour acquis. Il peut s'avérer long et coûteux. Toutefois, l'expérience des États-Unis indique que plus de 97 p. 100 des cas sont autorisés au cours de la période initiale de 30 jours et moins de 3 p. 100 des cas ont fait l'objet d'une deuxième requête.

Le processus en vigueur aux États-Unis oblige l'autorité chargée de l'examen à décider rapidement si le cas fera ou non l'objet d'une deuxième requête. Ce qui explique qu'ils traitent plus de dossiers que nous durant les 30 premiers jours.

L'adoption du système américain est assurément le fruit d'un compromis, car un certain nombre de lacunes ont été relevées aux États-Unis, surtout en ce qui concerne les cas les plus difficiles mentionnés dans le mémoire de l'Association du Barreau canadien.

Selon moi, il est clair que si le bureau suivait l'exemple de ses homologues américains, un nombre accru d'opérations serait approuvé au cours des 30 premiers jours et, de ce fait, le nombre de dossiers dont l'examen prendrait plus de 30 jours diminuerait. Toutefois, la façon dont le système sera appliqué dépendra de ce qu'ils feront, parce qu'ils ne sont pas obligés de suivre le modèle américain. Cependant, puisque le Parlement semble vouloir adopter le processus des États-Unis pour en retirer les avantages, on peut s'attendre à ce que le bureau essaie de faire de même. Nous verrons bien.

De plus, le processus des États-Unis permet d'éviter d'avoir recours de manière formelle et embarrassante à des ordonnances judiciaires pour l'obtention de renseignements alors que le processus canadien invoque les ordonnances de l'article 11.

L'abus de position dominante est le dernier point que je soulèverais. À l'exception de l'abrogation des dispositions visant à prévenir les abus des transporteurs aériens, qui découle du projet de loi C-10, un important changement a été apporté à ce sujet, il s'agit de l'imposition de sanctions administratives pécuniaires pour abus de position dominante.

Dans le domaine civil, contrairement au pénal, depuis que nous avons commencé à incorporer des dispositions civiles dans la loi au milieu des années 1970 pour les pratiques commerciales manifestement moins dommageables — par exemple : l'exclusivité et les ventes liées qui, selon les circonstances, ont parfois des effets défavorables et parfois n'en ont pas —, les remèdes en cas de violation étaient effectivement de dire » Ne refaites pas cela » une fois qu'ils avaient déterminé que ces pratique avaient des effets défavorables. En fait, par le passé, aucune sanction n'était imposée à une partie qui aurait transgressé l'article de la loi. Il y avait donc une lacune au niveau de la dissuasion. Les gens parlaient d'une chance de s'en tirer, ou de ne s'arrêter qu'une fois qu'on leur dirait qu'ils contreviennent à la loi.

Pour ce qui est de l'abus de position dominante, il y a un recours et c'est là l'aspect le plus important de la disposition civile : le dessaisissement de l'entreprise de l'auteur de la violation peut être ordonné. Ce recours est très sévère. En fait, c'est ce qui pose problème, car du fait de cette sévérité, le tribunal hésitera à imposer ce genre de solution ultime pour régler une question compte tenu de la difficulté à déterminer parfois si ces pratiques commerciales sont illégales ou non, ce qui est un comportement concurrentiel audacieux et ce qui limite la concurrence et a des effets défavorables sur le public.

Cependant, même dans ce domaine, il n'était pas possible d'imposer une sanction pour un comportement passé. Les amendements abordent efficacement aussi cette question en autorisant le Tribunal de la concurrence à imposer des sanctions administratives pécuniaires. Le montant maximal est de 10 millions de dollars pour la première ordonnance et de 15 millions de dollars pour toute ordonnance subséquente.

J'ai mentionné dans le mémoire que ces plafonds sont trop élevés, et vous avez pu lire ces derniers jours que la Commission européenne a imposé, en s'appuyant sur sa disposition relative à l'abus de position dominante, une sanction de plus de un milliard d'euros à Intel pour violation. J'explique dans le mémoire les raisons pour lesquelles ce montant est probablement inutilement élevé. Plusieurs situations de ce genre sont apparues depuis et le montant peut sembler plus modeste.

Je veux conclure en disant que je reconnais que votre comité est chargé d'une tâche difficile, celle de présenter un rapport rétrospectif sans avoir eu l'occasion de formuler des commentaires avant l'adoption du projet de loi. Je suis ici pour vous dire que bien que je reconnaisse qu'il y a des lacunes — j'ai essayé d'en mentionner quelques-unes et l'Association du Barreau canadien en a certainement soulignées d'autres —, je pense que la mesure législative touche d'importantes améliorations à notre loi dans les domaines essentiels de son application, et je l'appuie évidemment. Je me ferai un plaisir de répondre à toute question.

La vice-présidente : Merci, monsieur Kennish. Votre exposé est très exhaustif.

Étant donné que nous avons deux autres témoins et que nous terminons normalement à 12 h 30, je m'en remets à la décision des membres du comité. Nous pouvons peut-être poser deux questions seulement et nous continuerons ou nous prolongerons la séance pour les prochains témoins car nous voulons tous entendre aussi leurs témoignages. Il incombe au comité de décider. Je m'en remets à vous.

Le sénateur Tkachuk : Nous avons une réunion spéciale du groupe parlementaire à 12 h 45.

Le vice-président : Que diriez-vous de cinq minutes au maximum pour une question posée par votre côté et une par le nôtre?

Le sénateur Tkachuk : Je n'ai pas de question.

Le vice-président : Vous nous avez fourni beaucoup d'informations, monsieur Kennish, il y a là matière à réflexion.

Le sénateur Moore : Je serai bref. Merci d'être venu témoigner, monsieur Kennish.

Vous avez mentionné le mémoire, la lettre et les observations de l'Association du Barreau canadien au sujet du système américain, de la deuxième requête. Appuyez-vous la position du Barreau? Avez-vous lu la lettre de cette association?

Je l'ai lue. Je ne l'ai pas étudiée en détail. Je rejoins la position du groupe de témoins. Certaines choses dont on voudrait faire des exemptions sont aussi des choses qui ne sont pas prévues dans la loi actuelle. Je pense qu'il y a une certaine légitimité dans les critiques faites là-bas et d'autres que nous avons vues par le passé et qui ne semblent pas poser de problème.

Je n'ai pas relu la lettre depuis au moins deux semaines, aussi je ne me souviens pas exactement ce dont il s'agit précisément.

Le sénateur Moore : Merci.

Le sénateur Fox : Une question courte sur la défense fondée sur le comportement réglementé dont le paragraphe la concernant se trouve à la page 2 de l'Annexe A. Compte tenu de ce qui s'est passé entre le CRTC et le Bureau de la concurrence, vous dites essentiellement dans ce paragraphe qu'il n'est pas clair qu'en vertu de l'article 45, le comportement réglementé soit un moyen de défense. Que se passerait-il si ce n'est pas clair? Ne serait-ce pas un moyen de défense?

M. Kennish : La défense fondée sur le comportement réglementé est un principe juridique élaboré par les tribunaux. Les tribunaux l'ont appliqué même en l'absence de moyens de défense dans un certain nombre de lois, notamment dans la Loi sur la concurrence. La Loi sur la concurrence a été utilisée dans certains de ces autres.

Ce qui est surtout préoccupant, c'est que la dernière déclaration sur la défense fondée sur le comportement réglementé a été faite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Garland. L'arrêt Garland a examiné la Loi sur la concurrence telle qu'elle était. Dans le nouveau système, le point majeur soulevé par la Cour suprême du Canada au commencement de la mise en œuvre du principe était — Mme Bolton l'a mentionné — la marge de manœuvre et le mot « abusif. « Ce mot ne se trouve plus dans l'article 45 de la loi.

Ce qui se trouve dans le projet de loi, peu importe quelle était la loi, reste la loi. Je pense que nous sommes maintenant dans une situation où si l'on veut protéger les mesures mandatées ou légiférées par le gouvernement, ou lorsque la loi l'autorise, nous devons le dire sans ambages. Il n'est maintenant pas clair du tout si une protection sera assurée dans cette situation.

Il est inadmissible pour un conseil ou pour des gens qui agissent sous les directives d'un conseil, si quelqu'un est intervenu sous l'autorité de la loi, de lui imposer une amende dans le cadre d'un processus concurrentiel pour avoir fait précisément cela. Par conséquent, je suis du même avis que le Barreau à cet égard. La doctrine de conduite réglementée relativement à l'article 45 modifié n'est pas touchée. Il n'y en a pas une semblable pour la version civile, qui se trouve à l'article 90.1. On peut présenter de meilleurs arguments pour la version civile.

C'est mon point de vue à cet égard. J'espère qu'on fera preuve d'une certaine ouverture d'esprit lorsqu'on examinera la question, bien qu'elle soit un sujet de controverse entre le bureau et le Barreau.

[Français]

La vice-présidente : J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos représentants du Centre pour la défense de l'intérêt public, Michael Junigan, directeur exécutif et avocat-conseil, ainsi que Mme Anu Bose, d'Option Consommateurs, responsable du bureau d'Ottawa.

Anu Bose, responsable du bureau d'Ottawa, Option consommateurs : Madame la vice-présidente, nous sommes un organisme à but non lucratif dont le siège social est à Montréal. Fondé en 1983, Option consommateurs a pour mission de promouvoir et de défendre les intérêts des consommateurs ainsi que de veiller à ce qu'ils soient respectés.

Au cours des ans, Option consommateurs a notamment développé une expertise dans le domaine des services financiers, de la santé et de l'agroalimentaire, de l'énergie, du voyage, de l'accès à la justice, des pratiques commerciales, de l'endettement et de la protection de la vie privée.

Je suis accompagnée par Maître Janigan de PIAC, qui est un organisme à but non lucratif dont le siège social est à Ottawa. Créé en 1956, le PIAC offre des services de représentation juridique, des services de recherche et de défense des intérêts publics au nom des consommateurs qui n'ont pas les ressources pour participer activement aux décisions touchant la prestation d'importants services publics.

Pendant plus de trois décennies, le PIAC a joué un drôle premier plan dans les démarches réglementaires entreprises par des industries du secteur de l'énergie, du transport aérien, des télécommunications et des services financiers. Il s'agit d'une présentation conjointe de nos deux organismes.

Le PIAC et l'OC ont participé conjointement au débat public sur les modifications apportées à la Loi sur la concurrence contenue dans le projet de loi C-10 à la fois dans les médias et devant le Comité des finances de la Chambre des communes.

[Traduction]

Bien que le projet de loi dont nous sommes saisis ne soit pas parfaitement adapté aux besoins des consommateurs, il représente un effort sincère pour faire en sorte que la promotion des marchés concurrentiels et l'application des interdictions visant les conduites anticoncurrentielles deviennent des priorités.

Nous soutenons que les intervenants forment un groupe plus large que les actionnaires. Selon le Conference Board of Canada, les consommateurs représentent plus de 60 p. 100 du PIB. Par conséquent, on peut faire valoir qu'ils sont les principaux intervenants, puisqu'ils achètent les produits et services offerts par les fournisseurs. La réglementation des marchés et des produits est donc étroitement liée au rôle du gouvernement en vue de maintenir un équilibre entre les intérêts des consommateurs et ceux des producteurs.

Dès 2002, le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes a publié un rapport exhaustif sur les politiques en matière de concurrence qui portait sur un grand nombre des nouvelles dispositions législatives figurant dans le projet de loi C-10. Par exemple, il a recommandé le système à deux volets pour l'application de la loi au pénal et au civil, ainsi que des normes plus rationnelles.

En 2004, l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, a examiné un grand nombre des recommandations du comité dans son rapport exhaustif sur les lois et les politiques en matière de concurrence. Parmi d'autres recommandations qui ont été formulées, le rapport a donné le feu vert à de telles réformes, comme l'approche à deux volets à la conduite anticoncurrentielle, le durcissement de sanctions pécuniaires et la réduction de l'accès des particuliers. Comme je ne suis pas avocat, je vais céder la parole à M. Janigan.

Michael Janigan, directeur exécutif et avocat conseil, Centre pour la défense de l'intérêt public : En ce qui concerne le projet de loi C-10, nous avons envoyé une lettre au président du Comité des finances nationales, l'honorable Joseph Day, de même que des copies pour les membres du comité, dans laquelle nous exposons nos opinions au sujet du projet de loi C-10 avant son adoption. Dans un premier temps, nous avons informé le sénateur Day que les modifications proposées, bien qu'elles soient très détaillées, ont fait l'objet de discussions approfondies avec les intervenants. Elles représentent une position assez équilibrée sur les précisions qu'il faut apporter à la loi.

Voici un passage tiré de notre lettre du 4 mars 2009 :

Bien que les changements apportés au cadre, aux pouvoirs et aux procédures seront vraisemblablement très efficaces pour aider les autorités en matière de concurrence à atteindre les objectifs de la loi, ce sont en fait des dispositions dont on a abondamment discuté et qui ont été applaudies par de grandes autorités nationales et internationales. Le gouvernement a, semble-t-il, pris conscience que leur adoption par le Parlement pourrait être le coup de pouce dont les marchés concurrentiels ont tant besoin et un moyen de dissuasion important à la conduite anticoncurrentielle qui élimine les emplois. [Traduction]

Les modifications viennent aussi compléter la réforme des dispositions sur la publicité ou les pratiques commerciales trompeuses qui font l'objet d'un consensus depuis deux décennies. Ces modifications aideront les autorités en matière de concurrence à s'attaquer à cet abus de façon économique et administrative. Ce faisant, l'intention des dispositions sera appliquée plus efficacement et les sanctions infligées seront proportionnelles à la conduite du publicitaire fautif.

Naturellement, on a tenté de renforcer l'efficacité de l'application de la loi sans recourir à la procédure pénale pour encourager le respect de la loi, ce qui comprend des sanctions pécuniaires maximales plus réalistes et des droits nouveaux pour les plaignants. Cette série de modifications met l'accent sur l'importance de décourager la conduite anticoncurrentielle, plus particulièrement dans la situation financière difficile actuelle.

Il est essentiel que les membres du comité comprennent que ces modifications sont conçues pour améliorer le fonctionnement des marchés et protéger les intérêts légitimes des consommateurs et des fournisseurs sur les marchés ouverts. Elles permettront de décourager les gens à se livrer notamment à des pratiques qui nuiraient au fonctionnement d'un marché concurrentiel, qui empêcheraient l'existence d'un marché de consommateurs informés et qui compromettraient la capacité des fournisseurs de rivaliser avec les principaux acteurs en mettant sur le marché de nouveaux produits et services.

Si on examine la mesure législative du point de vue de qui gagne ou de qui perd, je signalerais, honorables sénateurs, que vous n'avez jamais l'occasion d'entendre les entreprises qui ont besoin de ce type de protection. Par exemple, vous n'entendrez pas les gens d'affaire indépendants qui ont investi leurs actifs familiaux pour financer une nouvelle entreprise, seulement pour voir celles-ci détruites par les gestes des fournisseurs de la nouvelle entreprise, à la demande d'un titulaire déjà établi sur le marché.

Vous pourriez lire un article au sujet d'une escroquerie en vue de leurrer les consommateurs pour qu'ils achètent un produit merveilleux qui est faussement représenté et décrit, mais vous ne verrez jamais devant vous le pensionné qui a dû réduire ses dépenses de première nécessité parce qu'il s'est fait berner. Il ne viendra pas vous dire que ce qui lui est arrivé est un risque acceptable qui favorise une plus grande créativité dans la publicité.

Les parties ne se plaindront pas du durcissement des sanctions maximales, ni des amendes suffisamment élevées pour décourager les plus grandes entreprises à contrevenir à la loi qui permettront probablement d'éviter qu'un plus grand nombre de dossiers soient ouverts parce que les entreprises s'autoréglementent pour éviter de telles sanctions.

Il est de la plus haute importance que les sénateurs comprennent que décourager les pratiques anticoncurrentiels comme on le propose ici n'est pas de l'autoritarisme de la part du gouvernement. C'est plutôt propice à l'ouverture des marchés et à une diminution de la réglementation. Le fait est qu'on peut faire beaucoup d'argent en trompant la population ou en ne jouant pas franc jeu avec les concurrents. Si le gouvernement n'a pas les outils sous la main pour prévenir qu'une telle conduite soit récompensée, trois événements malheureux pourraient survenir. Premièrement, cela pourrait faire obstacle aux choix éclairés et à l'innovation éventuelle. Deuxièmement, la fourniture d'un produit ou d'un service pourrait être inefficace. Troisièmement, les gens seraient peu encouragés à mettre un frein au comportement.

Cela ne veut pas dire que tout était parfait dans ces modifications. Nous aurions préféré que les exemptions dans les articles portant sur les fusions soient examinées et révisées. Elles ont donné lieu à des ententes commerciales pouvant nuire aux consommateurs. Ces ententes sont permises en vertu d'un critère sur le bien-être global relatif aux gains en efficience dans la mesure où de telles ententes ou fusions offrent un avantage global aux actionnaires supérieur au tort causé par la perte de choix et la hausse des prix. La raison pour laquelle nous n'avons pas utilisé le premier critère sur le bien-être des consommateurs, c'est à cause d'une économie nébuleuse et d'un protectionnisme rétrograde qui auraient dû disparaître dans notre économie actuelle. Nos entreprises n'ont pas besoin de pouvoir fusionner ou travailler en collusion pour être concurrentielles avec les rivaux sur le continent et sur la scène internationale. Nous avons traversé ce moment difficile dans les années 1990 et les entreprises canadiennes n'en ont pas besoin maintenant. Les fusions et les ententes commerciales ou les actions concertées accompagnées d'effets anticoncurrentiels devraient fournir un avantage net aux consommateurs ou ne devraient pas être admises.

Comme vous le savez peut-être, les groupes de consommateurs, y compris le nôtre, travaillent activement à assurer le respect des lois sur la protection des consommateurs au moyen de recours collectifs. La plupart de ces affaires sont réglées en offrant un pourcentage des fonds aux consommateurs ou aux organisations d'intérêt public pour mener des séances d'éducation ou des projets proactifs semblables entourant les problèmes en jeu dans le litige. Il est dans l'intérêt public que les fautifs paient pour essayer d'arrêter d'autres fautifs.

Dans l'avenir, il est probable que l'on privilégie les recours au civil en vertu de la nouvelle législation aux recours collectifs devant les tribunaux provinciaux. À notre avis, il est important que toute somme résiduelle liée à la restitution serve à accroître la capacité des groupes de défense des consommateurs de faire preuve de vigilance pour prévenir des abus semblables à ceux qui mènent à des poursuites.

Nous sommes prêts à entendre vos questions.

Le sénateur Oliver : J'aimerais revenir à l'un des derniers points que vous avez mentionnés, à savoir les recours collectifs. D'autres témoins qui ont comparu devant nous ont dit que le projet de loi C-10 et le changement apporté au critère laisseront le champ libre à une foule de nouveaux recours collectifs. Ce n'est pas ce que vous semblez penser. Vous avez dit que d'autres recours au civil seront intentés.

Quels autres recours au civil seront présentés à la place d'actions collectives?

M. Janigan : Dans ce cas-ci, c'est le commissaire qui réclame une restitution pour des pratiques trompeuses, où un groupe de personnes profiteront de cette restitution. Dans cette situation, plutôt qu'un recours collectif soit intenté en vertu de la législation provinciale au Québec ou en Ontario, par exemple, on pourrait assister à des mesures prises par le commissaire de la concurrence qui pourraient avoir le même effet. Dans cette situation, nous aimerions voir le même genre de résultat que l'on obtient dans bien des recours collectifs à l'heure actuelle, c'est-à-dire que toute somme résiduelle qui n'a pas été remise aux consommateurs en guise d'indemnité soit versée à des organisations qui s'occupent de ces questions au quotidien et qui tentent de prévenir les actes répréhensibles.

Le sénateur Oliver : Il était possible d'obtenir une restitution auparavant, mais elle est maintenant codifiée et elle existe, et donc le tribunal pourra, sur demande, exiger qu'il y ait restitution parmi les recours possibles. Cela variera selon les faits d'une affaire donnée.

Pensez-vous que ces modifications donneront lieu à bien des nouvelles actions collectives?

M. Janigan : Il est tout simplement trop tôt pour le dire. Les recours collectifs ont certainement foisonné au cours des dix dernières années.

Le sénateur Oliver : Les avez-vous intentés vous-même et, le cas échéant, à combien de recours collectifs avez-vous participé dans ce secteur?

M. Janigan : Non, nous ne sommes pas en mesure en tant qu'organisation d'intenter des actions. De temps à autre, nous avons conseillé des clients sur différentes questions liées à des actions qu'ils ont intentées, la dernière portant sur les instruments financiers, mais nous ne sommes pas en mesure d'intenter des actions, car elles comportent du travail juridique et nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour le faire.

La vice-présidente : Y a-t-il d'autres questions?

Vous avez fait une excellente déclaration. Je suis d'accord avec vous sur le fait que vous représentez probablement un groupe plus large de personnes, c'est-à-dire les consommateurs, et nous examinerons ce que nous pouvons revoir et nous établirons un équilibre entre les vendeurs et les acheteurs. Nous vous remercions pour vos recommandations.

(La séance est levée.)


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