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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 9 - Témoignages du 1er octobre 2009


OTTAWA, le jeudi 1er octobre 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-203, Loi modifiant la Loi sur la Banque de développement du Canada (obligations municipales pour infrastructures) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 11 h 35 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je sais que d'autres membres du comité vont arriver sous peu. Peut-être vais-je profiter de l'occasion pour régler les questions préliminaires.

Nous poursuivons l'étude par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce du projet de loi S-203, Loi visant à modifier la Loi sur la Banque de développement du Canada (obligations municipales pour infrastructures) et une autre loi en conséquence. C'est un projet de loi qui a été présenté par notre collègue du Sénat, le sénateur Grafstein — ancien président du comité ici réuni — le 27 janvier.

D'après le sommaire du projet de loi, le projet de loi S-203 aurait l'effet suivant :

[Français]

Il modifie la Loi sur la Banque de développement du Canada afin de prévoir des exemptions d'impôt sur le revenu à l'égard des obligations émises par les municipalités pour financer les projets d'infrastructures.

Nous sommes heureux d'avoir avec nous des représentants de la Fédération canadienne des municipalités, dont les membres incluent les grandes villes, les communautés rurales et les 18 associations municipales, provinciales et territoriales. La FCM a des opinions très claires sur la question de nos infrastructures, la magnitude de son déficit et les actions qui doivent être entreprises afin de pallier au problème.

[Traduction]

Je souhaite la bienvenue à nos témoins de la Fédération canadienne des municipalités, M. Mike Buda, directeur, Politiques et recherches, et M. Adam Thompson, analyste des politiques. Je note que vous comptez à la fois des municipalités rurales et des grandes villes parmi vos membres. La question a été soulevée hier en rapport avec le projet de loi dont il est question ici et l'effet qu'il pourrait avoir sur les unes et les autres. Ses effets seraient-ils semblables ou différents? Vous pouvez sûrement répondre à cette question-là.

Je vous invite à prendre la parole, monsieur Buda. J'espère que vous allez être prêt à accueillir des questions.

Mike Buda, directeur, Politiques et recherches, Fédération canadienne des municipalités : Certainement. Merci au comité de nous avoir invités à participer à la présente séance d'étude du projet de loi S-203.

Je voudrais d'abord signaler que notre président, Basil Stewart, maire de Summerside, regrette de ne pouvoir assister à la séance. Il aurait aimé être là. Il assiste à la conférence annuelle de la Saskatchewan Urban Municipalities Association, à Saskatoon.

Nous sommes heureux de pouvoir participer à la présente séance : chaque fois que les parlementaires examinent et débattent des solutions à certains des problèmes des municipalités, nous en sommes encouragés. La présente audience en est la preuve, et il est reconnu à Ottawa que bon nombre des difficultés auxquelles nous faisons face en tant que pays se régleront seulement grâce à un travail de partenariat avec les administrations municipales. Nous vous en savons gré.

Merci de présenter la Fédération canadienne des municipalités. Nous représentons 1 800 municipalités situées partout au pays et englobant presque 90 p. 100 de la population du Canada. On y retrouve des collectivités de toutes tailles — petites, moyennes et grandes. Toutes les municipalités de grande taille et de taille moyenne au pays, et un grand nombre de municipalités de moindre taille aussi. Un grand nombre de très petites municipalités ne sont pas membres de notre fédération du fait de leur taille, en partie. Elles sont simplement trop petites pour y apporter une contribution utile. Néanmoins, nous représentons tout le monde.

Nous avons consulté un éventail de nos membres, surtout les responsables municipaux des finances et certains organismes financiers municipaux dirigés par les provinces. Nous ne sommes pas des experts, M. Thompson et moi. Nous avons pu tirer des enseignements des consultations brèves mais instructives, et officieuses, réalisées auprès de certains de nos membres clés. Or, ce sont eux qui, sur le terrain, essaient de déterminer comment financer les infrastructures municipales dans les municipalités.

Nous n'avons pas préparé de mémoire. Je m'en excuse. Cependant, nous pouvons certes préparer un document à la suite de la réunion d'aujourd'hui, si le comité souhaite que nous le fassions.

Le projet de loi représente manifestement une solution à un problème qui relève des politiques gouvernementales. Je vais d'abord passer en revue certains des grands problèmes auxquels font face les municipalités, surtout pour ce qui touche le financement des infrastructures municipales, car il importe de toujours bien saisir le problème que l'on est appelé à résoudre, avant d'analyser l'efficacité d'une solution quelconque.

Cela n'a rien d'étonnant, la difficulté principale qu'éprouvent les municipalités à financer leur infrastructure réside dans le fait qu'elles ne disposent pas de ressources adéquates qui permettraient d'investir dans l'entretien, le renouvellement et l'expansion de l'infrastructure en question. Cela a été le cas entre la fin des années 1970 et la période se terminant il y a quelques années. Tous les ordres de gouvernement — fédéral, provincial, territorial et municipal — ont désinvesti dans les infrastructures municipales. De ce fait, depuis plus de 20 ans, nous assistons à une augmentation de l'âge moyen de l'infrastructure et à une diminution de l'espérance de vie de celle-ci.

Résultat de cette négligence échelonnée sur des décennies : un déficit d'infrastructure accumulé de l'ordre de 123 milliards de dollars. Cela permettrait seulement de renouveler l'infrastructure en place. Il faut ajouter à cela quelque 115 milliards de dollars pour édifier une infrastructure nouvelle en prévision des exigences liées à la croissance de la population et de l'économie.

Il nous a fallu 20 ans pour en arriver là. Il ne nous en faudra pas moins pour régler le problème. Il n'y a pas de solution facile. En envisageant ce projet de loi, il importe de considérer les racines du problème.

Notre analyse nous dit que le problème plonge ses racines dans le resserrement des finances que vivent les municipalités. En termes simples, les rôles et responsabilités des municipalités croissent plus rapidement que leurs recettes. Cela tient en partie au fait que d'autres gouvernements ont transféré des responsabilités aux municipalités et ont imposé par ailleurs des coupes dans les services publics. Du côté des ressources, les municipalités comptent sur une seule catégorie de recettes — la taxe foncière —, qui ne croît pas avec l'économie, à l'inverse des taxes et impôts à la disposition des gouvernements fédéraux et provinciaux.

De chaque dollar versé par le contribuable, 92 cents vont aux gouvernements fédéraux et provinciaux, et 8 cents, aux municipalités. Comme les municipalités sont tenues à l'équilibre budgétaire de par la loi tous les ans, la seule option à leur disposition consiste à transférer le manque à gagner du bilan au budget d'infrastructure. D'où le déficit qui est le leur. Nous croyons que c'est là la cause première du problème qui existe.

Quelles options existent pour régler le problème? Premièrement, évidemment, il faut se pencher sur les sources de revenus que les municipalités ont à leur disposition, soit la taxe foncière. Le produit des taxes foncières représente quelque 53 p. 100 des recettes municipales. N'importe quel contribuable vous le dira, ce n'est probablement pas la meilleure façon d'aller chercher des sommes d'argent supplémentaires. Or, cela tient à plusieurs raisons.

Depuis 20 ans, la taxe foncière augmente tous les ans. Il a fallu que les recettes municipales augmentent tous les ans — pas aussi rapidement que les recettes fédérales et provinciales —, même si les taux d'impôt fédéraux et provinciaux, de fait, ont diminué chacune des années en question. Presque tous les ans, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux peuvent réduire leurs taux d'imposition, mais leurs recettes continuent de croître, étant donné que ce sont des sources de recettes qui croissent avec l'économie — impôts sur le revenu, taxes de vente et tout le reste. Les taxes foncières sont conçues non pas pour croître, mais pour demeurer stables. En période de ralentissement économique, cela est avantageux, mais, entre deux périodes de ralentissement, elles demeurent stables.

Cela dit, vous conviendrez pour la plupart que l'idée de presser encore le citron du côté de la taxe foncière n'est pas très heureuse d'un point de vue politique, sans compter que ce n'est pas du tout efficace d'un point de vue technique. C'est une taxe régressive. C'est une bonne taxe dans la mesure où on s'en sert judicieusement, mais les pressions qui s'exercent sur la taxe foncière sont nettement plus grandes que ce qui était prévu à l'origine.

Relever cette taxe équivaudra à taxer la croissance économique. Si vous voulez l'exemple classique, disons que les entreprises qui ne touchent pas de bénéfices ne paient pas d'impôts. Les particuliers qui n'ont pas de revenu n'ont pas à payer d'impôt sur le revenu. Cependant, le propriétaire foncier doit toujours acquitter sa taxe foncière. C'est une taxe très destructrice d'un point de vue économique, mais il ne faut pas en conclure pour autant que c'est une mauvaise taxe. Il faut seulement s'attacher à son application. La dépendance relative des municipalités à l'égard des taxes foncières a augmenté de presque 20 p. 100 depuis 1988.

Les droits d'utilisation représentent une possibilité importante. Sans aucun doute, d'un point de vue économique, nous devrions appliquer des droits d'utilisation pour financer davantage les infrastructures — au moyen de trucs comme les péages et la tarification des services publics. Je crois que personne ne se dirait en désaccord avec cela, sauf la population du Canada.

Cela, vous le constaterez chaque fois que ces enjeux sont débattus dans les diverses collectivités ou provinces. Le grand public n'est tout simplement pas prêt à accepter l'application de droits d'utilisation à grande échelle pour ce que bon nombre considèrent comme des services publics de base. Cela ne veut pas dire qu'il a raison; ça veut simplement dire que c'est ce qu'il dit en ce moment. Nous avons beaucoup évolué depuis 20 ans et, d'année en année, les municipalités et les autres administrations gouvernementales font des efforts en ce sens. Par exemple, comme première étape, bon nombre de municipalités ont transféré de l'enveloppe foncière à l'enveloppe des services publics le coût des eaux et eaux usées. Ce n'est peut-être pas encore un recouvrement intégral des coûts, mais cela amène le gens à réfléchir au fait que, pour certains services publics, c'est un tarif unitaire qui devrait s'appliquer.

Cela est en train de se faire. Pourrait-on accélérer le pas suffisamment pour combler le déficit d'infrastructure? Pas à notre avis. Chaque gouvernement qui a essayé de le faire s'est heurté à une vive opposition du public. Nous devrions recourir davantage aux droits d'utilisation. Les municipalités font de lents progrès à cet égard, mais est-ce une solution? À court terme, cela ne nous paraît pas être une solution pratique.

Le recours accru au financement par emprunt représente une option pour qui souhaite accroître les investissements dans l'infrastructure municipale. Il est difficile d'obtenir des données là-dessus, mais il semble que les municipalités soient probablement un peu sous-endettées; autrement dit, elles devraient recourir davantage au financement par emprunt. S'il s'agit d'investissements qui procurent des avantages sur 20 à 50 ou 100 ans, certains des coûts peuvent être transférés aux futures générations. Cela est tout à fait équitable. L'équité entre les générations est un concept important.

Si les municipalités ne recourent pas autant qu'elles le devraient au financement par emprunt, c'est pour plusieurs raisons. Premièrement, au cours des années 1980, aux côtés d'autres administrations gouvernementales, la plupart des municipalités se sont fait échauder par la montée subite des taux d'intérêt; or, il leur a fallu 20 ans pour ramener leur ratio d'endettement à quelque chose de plus raisonnable. Deuxièmement, depuis le début des années 1990, le grand public affiche son déplaisir à l'égard de l'endettement et du financement par emprunt des organismes publics — du fait, selon moi, des efforts tout à fait fructueux menés par les gouvernements fédéral et provinciaux pour réduire leur propre déficit. À certains endroits, ceux qui sont appelés à acquitter la taxe municipale ne voient pas l'accroissement de l'endettement municipal d'un très bon œil. Ça ne veut pas dire que les municipalités ne devraient pas s'efforcer de mieux défendre l'argument politique en question; toutefois, cela explique pourquoi le financement par emprunt n'est pas aussi répandu qu'il devrait l'être. Néanmoins, tous les ans, le recours au financement par emprunt s'accroît. À bien des endroits, les municipalités sont toujours endettées au maximum. Par exemple, au Québec, le ratio d'endettement de la plupart des municipalités est supérieur au maximum prescrit par la loi. Assurément, il y a ici une marge de manœuvre qui ferait que cette option pourrait être mise à profit.

Autre option dont il est question souvent : les partenariats publics-privés. Les partenariats publics-privés représentent un outil de travail utile pour certains projets et certaines régions, mais ce n'est certainement pas la panacée. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais ce n'est pas la solution universelle au problème du financement des infrastructures. C'est un des outils de travail à notre disposition.

Puis, il y a les options qui, à nos yeux à nous, sont les plus solides et les plus importantes. Entre autres, il y a les nouveaux arrangements financiers mis à la disposition des municipalités qui souhaitent générer des recettes elles- mêmes. Après tout, ce sont elles les principaux propriétaires de l'infrastructure publique au Canada, les exploitants de l'infrastructure municipale. Du point de vue de la reddition de comptes, la meilleure façon de financer cela consiste à faire en sorte que l'administration qui est propriétaire de l'infrastructure génère les recettes nécessaires pour la financer. C'est très certainement une partie essentielle de la solution. C'est manifestement une option qui échappe entièrement au gouvernement fédéral. C'est de compétence provinciale et territoriale. L'autorité législative en ce qui concerne la taxation municipale relève des provinces et des territoires.

Cela dit — et nous avons vu sur quoi ces arguments ont débouché en Ontario, notamment —, le transfert des outils fiscaux aux administrations municipales ne sera pas politiquement heureux si aucune marge n'est aménagée par ailleurs pour que le fardeau fiscal dans son ensemble n'augmente pas. Tout le monde s'entendrait probablement pour dire que, dans l'ensemble, le fardeau fiscal imposé aux Canadiens représente probablement ce qu'il devrait représenter, sinon c'est près d'être le cas. Si l'on donne simplement aux municipalités la possibilité de prélever de nouvelles taxes sans prévoir une certaine marge fiscale ailleurs, il sera politiquement difficile pour elles de se servir de ce nouveau pouvoir de taxation. Visiblement, les nouveaux outils financiers sont donc importants, mais le gouvernement fédéral n'a pas d'emprise sur ces affaires-là.

Les transferts provenant d'autres ordres de gouvernement sont importants. Les transferts des autres ordres de gouvernement aux municipalités ont connu une chute tout au long des années 1980 et 1990 et jusqu'au début de la présente décennie. Au cours des sept ou huit dernières années, la tendance a été renversée tout à fait, d'abord en raison des investissements fédéraux dans l'infrastructure municipale. De nombreux types d'infrastructures municipales concourent à la réalisation des objectifs fédéraux, par exemple en matière d'immigration. La plupart des immigrants s'établissent d'abord dans les grandes villes et s'en remettent dans la très grande majorité des cas aux transports en commun. Si ce n'était de bons services de transport en commun dans nos grandes régions métropolitaines, le pays ne pourrait probablement pas accueillir 225 000 immigrants par année au coût actuel du point de vue du gouvernement fédéral. Il faudrait que ce dernier subventionne davantage le transport. Cependant, les municipalités soutiennent le transport en commun, ce qui profite au gouvernement fédéral. Certes, le gouvernement fédéral a intérêt à fournir les fonds en question et, manifestement, les transferts provenant d'autres ordres de gouvernement font partie de la solution.

Voilà certaines des options qui se présentent. De notre point de vue à nous, quelles que soient les options employées, il faut que tous les ordres de gouvernement s'entendent sur l'idée d'éliminer le déficit et établissent des plans à long terme. Il a fallu 20 ans pour en arriver là et il en faudra 20 encore pour nous en tirer. Il faut un plan clair comportant des jalons et des objectifs pour que des comptes puissent être rendus; de même, il faut l'engagement d'investir de la part de tous les ordres de gouvernement à long terme. Ce n'est pas un problème qu'on peut régler en trois à cinq ans dans la mesure où les investissements doivent être financés sur une période de 20 ans ou plus. Le Fonds permanent de la taxe sur l'essence que le gouvernement du Canada s'est engagé à appliquer dans le budget de 2007, après l'avoir introduit dans le budget de 2005, représente probablement le point de départ de la contribution fédérale au plan en question.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais prendre quelques minutes pour analyser en quoi le projet de loi S-203 permettrait de régler le problème que nous avons relevé, compte tenu de la série d'options qui existent selon nous.

Certes, les coûts d'emprunt des municipalités seraient moins importants s'ils pouvaient émettre des obligations pour infrastructures exemptes d'impôts ou faisant l'objet d'un avantage fiscal quelconque. Moyennant un taux d'intérêt plus bas, cela donnera aux investisseurs particuliers un rendement réel plus important. Pour vous donner une idée de ce que peuvent représenter des taux d'intérêt plus bas, disons qu'une réduction de 100 points de pourcentage des taux d'intérêt sur une obligation de 10 ans se traduirait, pour la municipalité, par une économie de 10 p. 100. L'émission d'une obligation de un million de dollars pour une période de dix ans avec une réduction de 100 points de pourcentage donne une économie de 100 000 $ à la municipalité pour le coût de financement total, capital et intérêts y compris. Il y a d'importantes économies à réaliser à ce chapitre. Cependant, la différence du point de vue des frais d'intérêt n'est pas claire. En mai 2003, l'Ontario a essayé quelque chose du genre. Il semble que les économies touchant les taux d'intérêt varient entre 50 et 75 points de pourcentage. Bien entendu, cela s'appliquait seulement à la fiscalité provinciale.

Cela ne fait aucun doute, ce genre de mesure encouragerait les municipalités à accroître leur recours à l'endettement, étant donné que la seule façon de profiter de ce programme fédéral consisterait à se servir des outils en question. Vraisemblablement, le financement des infrastructures par emprunt serait mieux en vue et mieux appuyé par le public. Évidemment, la mise en marché des obligations en question peut être unique et ciblée, mais cela permettra aux gens de comprendre que la meilleure façon de financer les investissements dans l'infrastructure à long terme consiste à emprunter. Certes, c'est là un avantage important.

Quant aux lacunes de telles mesures, du point de vue de l'efficacité, à nos yeux, cette proposition ne représente pas le moyen le plus efficace de s'attaquer au problème de base, qui se situe du côté des recettes. Le problème ne réside pas dans l'acquittement des intérêts ou l'accès à un prêt pour une municipalité; c'est le remboursement du principal qui est plutôt en cause. Réduire les coûts d'emprunt sera utile, mais, si le problème de la municipalité consiste d'abord et avant tout à rembourser le principal, ce n'est pas là la façon la plus efficace de s'y prendre. De fait, c'est une dépense fiscale, étant donné que cela sera pris dans le budget fédéral. Le financement fédéral viendra forcément remplacer les investissements directs dans l'infrastructure municipale, par exemple au moyen du Fonds de la taxe sur l'essence ou du Fonds Chantiers Canada, ce qui réduira le capital à la disposition des municipalités qui souhaitent refaire leur infrastructure. En outre, les économies dont les municipalités pourront profiter dans le cadre d'un programme du genre ne représenteront pas l'intégralité des dépenses fédérales. Certains des avantages de cette dépense fiscale fédérale profiteront aux municipalités, alors que d'autres profiteront aux investisseurs particuliers s'étant procuré les obligations en question. Ce sera un jeu à somme nulle, et les municipalités ne seront pas les seules à en profiter, ce qui est le but du programme, alors que l'autre bénéficiaire sera l'investisseur particulier, qui peut faire partie ou non de l'objectif d'une telle mesure.

Comme il est question d'une dépense fiscale, il sera très difficile pour le gouvernement fédéral de cibler certaines régions ou catégories d'infrastructure. Par exemple, s'il décide que l'un de ses objectifs nationaux consiste à canaliser les recettes et les ressources sur l'amélioration des installations de traitement des eaux au pays, il ne sera pas très facile d'employer ce genre d'instruments à une telle fin. D'un point de vue pratique, il sera difficile pour le gouvernement fédéral d'obtenir beaucoup de reconnaissance pour une dépense fiscale qui se révélera très importante.

Quant à l'efficience de la mesure, d'un point de vue municipal, jusqu'à maintenant, l'analyse donne à penser que les coûts d'administration seraient très élevés, si élevés, de fait, qu'ils annuleraient tout avantage découlant de la mesure. En ce moment, bon nombre de municipalités émettent leurs obligations en passant par un organisme provincial. C'est habituellement sur le marché institutionnel que cela se fait, mais les investisseurs institutionnels ne profitent pas de ce type de mesure parce qu'il s'agit d'entités qui ne paient pas d'impôt ou qui refilent le coût fiscal à l'utilisateur final. Par conséquent, le rendement inférieur ne sera aucunement profitable. Même dans les cas où la municipalité ne s'en remet pas à l'institution financière provinciale, elle doit se tourner vers le marché institutionnel, ce qui est une façon plus efficace de procéder. L'émission d'obligations pour le marché des particuliers est plus complexe et suppose dix fois plus de travail, par rapport à l'émission d'obligations institutionnelles. Cela revient simplement à une question d'expertise. Notre industrie bancaire est experte en vente d'obligations, ce que les municipalités ne sont pas. Les banques disposent des canaux de mise en marché et des clients, alors que les municipalités auraient à construire ces assises-là. Empiriquement, l'expérience vécue en Ontario en 2003 donne à penser que les coûts administratifs ont peut-être absorbé la majeure partie, si ce n'est pas l'intégralité des économies réalisées au chapitre des frais d'intérêts. Cette possibilité-là est de nature à inquiéter du point de vue de l'efficience.

Quant à l'efficience au niveau provincial, il y a les organismes provinciaux de financement. Cela renvoie à un genre de mesure qui rivalisera avec certains des outils de financement très efficaces que les gens ont à leur disposition en ce moment. Cela exigera aussi des modifications législatives dans bon nombre de provinces, peut-être la plupart d'entre elles, car la loi limite les capacités d'emprunt des municipalités. Il y aura aussi certains coûts administratifs à ce niveau- là.

En ce moment, le projet de loi S-203 ne semble pas s'appliquer aux organismes municipaux de financement dont le contrôle ou l'administration revient à la province; il y a donc là une question plus directement préoccupante. À l'échelle fédérale, toute modification du régime fiscal tend à être coûteuse à administrer et à ajouter un degré de complexité à un système qui est déjà complexe. Entre autres, le ministère des Finances craint qu'il soit difficile d'estimer le coût d'une telle mesure et que ses décisions budgétaires s'en trouvent être compliquées à l'avenir.

Quant au capital dont elles disposent — ce qui m'amène à traiter de vos préoccupations, monsieur le président —, les petites municipalités n'ont pas ce qu'il faut pour gérer des instruments d'emprunt complexes; c'est pourquoi la plupart des régions ont un organisme de financement qui appartient à la province ou dont l'administration relève de celle-ci. Essentiellement, l'organisme fonctionnant à l'échelle de la province réalise des économies d'échelle et amortit les coûts d'administration des municipalités de moindre taille en les appliquant à l'ensemble de la province et du territoire, plutôt que d'obliger les municipalités à les supporter toutes individuellement.

Les petites municipalités n'émettent pas forcément seules des titres d'emprunt; elles ne vont donc pas être en mesure de participer au programme. Par exemple, en Nouvelle-Écosse, on a essayé d'encourager l'émission de titres municipaux il y a plusieurs années de cela, mais deux municipalités seulement se sont prévalues du programme, et les deux s'en sont retirées rapidement. La seule participation sérieuse a été celle de Halifax, mais il s'agit là d'une municipalité d'une taille relativement plus grande.

Le programme en question forcera aussi les municipalités ou les autorités provinciales à fractionner leurs titres de créance en éléments imposables et libres d'impôt. Cela fera baisser les liquidités dans l'ensemble et fera augmenter les coûts globaux d'emprunt à long terme.

Enfin, pour considérer l'avoir dans son ensemble, tous les contribuables auront à faire les frais de cette subvention, mais seuls ceux qui investissent en toucheront les bienfaits.

Pour conclure, nous sommes heureux de constater l'attention accrue qui est portée à ce débat. C'est la preuve que l'on voit qu'il s'agit d'un problème grave. À notre avis, il faut un plan à long terme pour s'attaquer à ce déficit. Ce genre de proposition permettrait, entre autres, de créer un mécanisme de financement beaucoup plus permanent, durable et prévisible. La situation le fait voir, c'est davantage ce qu'il nous faut. Tout de même, nous croyons que l'idée d'encourager un recours accru au financement par emprunt représenterait la première partie de la solution sans que cela ne remplace les investissements directs, et la possibilité que ce soit le cas est certainement une source de préoccupation.

Si l'objectif du projet de loi consiste à accroître le recours aux emprunts pour les municipalités, certes, l'analyse que nous avons réalisée jusqu'à maintenant donne à voir que ce n'est pas là la façon la plus efficace de faire le travail. Les programmes existants de financement à frais partagés sont vraisemblablement plus efficaces à cet égard. C'est forcer les municipalités qui tirent parti de programmes fédéraux d'infrastructures à frais partagés, par exemple Fonds Chantiers Canada, à émettre des titres d'emprunt et à persuader le public de la nécessité de procéder ainsi pour obtenir les fonds de contrepartie du gouvernement fédéral, provincial ou territorial. Cependant, à l'inverse de ce type de proposition, les programmes à frais partagés en question ne précisent pas la façon dont les municipalités doivent s'y prendre pour générer les sommes d'argent voulues. Ils mettent les fonds à la disposition des municipalités, qui sont libres de déterminer comment elles vont trouver leur part à elle. C'est accessible à toutes les municipalités.

Nous souhaitons certainement poursuivre le dialogue sur la question de l'infrastructure, garder celle-ci à l'avant- plan. Ce n'est pas un sujet follement attrayant; néanmoins, chaque fois que quelqu'un traite d'infrastructure, nous sommes ravis. À nos yeux, les fondements de bon nombre de solutions à appliquer aux problèmes d'ordre public auxquels nous faisons tous face résident dans une infrastructure publique durable et de bonne qualité.

Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci d'avoir présenté une analyse complète et équilibrée, de votre point de vue à vous.

À titre de précision, vous avez dit que la loi obligeait toutes les municipalités à équilibrer leur budget. Toutes les provinces ont-elles adopté une telle loi? Je sais qu'une telle loi existe dans certaines provinces, mais a-t-on adopté une loi semblable dans chaque province et dans chaque territoire?

M. Buda : Oui. C'est du côté des opérations. Évidemment, les municipalités ont le droit d'emprunter pour pourvoir leurs budgets d'immobilisations, mais, dans chaque province et dans chaque territoire, elles sont tenues par la loi d'équilibrer leurs budgets d'opération.

Le président : Merci de la précision.

Le sénateur Massicotte : Merci d'être avec nous aujourd'hui. Le fait que vous appuyez très nettement le projet de loi est apprécié. Cela dit, j'apprécierais un débat sur la meilleure façon possible de trouver des fonds pour les municipalités, pour que nous puissions être mieux instruits sur la question.

Pour commencer, disons que tout ordre de gouvernement souhaite obtenir des fonds dans la mesure où c'est quelqu'un d'autre qui en est la source : il ne veut pas avoir à défendre cela devant ses citoyens. Cela ne fait aucun doute, tout le monde veut plus d'argent, et adorerait en recevoir plus du gouvernement provincial et fédéral.

La fiscalité représente probablement le premier outil existant. Il y a de nombreuses années de cela, j'ai réalisé pour la Ville de Montréal une étude spéciale sur son centre-ville. Toutes les villes croient qu'elles assument un fardeau fiscal trop lourd par rapport à leur centre-ville, étant donné tous les gens qui y travaillent, mais c'est compensé par le fait qu'il y a beaucoup de gratte-ciel et ainsi de suite. J'ai participé à ce débat-là. Elles disent toutes non, mais si vous comparez les taxes foncières du Canada et de nombreux pays dans le monde, vous voyez qu'elles sont très raisonnables et qu'il y a même là, pourrait-on le faire valoir, une certaine marge pour qui souhaiterait les augmenter encore.

Vous présenterez un argument valable en affirmant que ce n'est peut-être pas la façon la plus équitable de générer les recettes, étant donné que la capacité de payer est en cause. Si votre parc immobilier est plus grand, votre capacité de payer est plus grande, mais c'est certainement moins équitable si on prend pour mesure le revenu ou l'impôt sur le revenu et ainsi de suite.

Si on regarde ce qui se passe dans le monde, on peut voir qu'il y a là un peu de mouvement. S'il est si important pour eux d'améliorer leur infrastructure, pourquoi ne se lèvent-ils pas à l'assemblée annuelle sur le budget en déclarant : « Concitoyens, je souhaite augmenter les taxes parce que je veux construire un aréna », par exemple. Toutefois, ils ne le font pas parce qu'ils ne veulent pas assumer la responsabilité. Si l'idée a tant de mérite, pourquoi ne persuadent-ils pas leur ville et leur population de la nécessité de la chose?

Vous avez fait valoir que les évaluations sont constantes. Permettez-moi d'exprimer mon désaccord. Si on fait le bilan des 30 ou 40 dernières années, on constate que les valeurs dans l'immobilier ont augmenté plus rapidement que l'inflation, et c'est pourquoi beaucoup de gens y ont investi. Les valeurs ont augmenté de façon très marquée. En outre, on peut toujours modifier le taux par mille. Regardez ce qui se passe aux États-Unis aujourd'hui. En Floride, par exemple, il y a eu une baisse de 30 à 40 p. 100 dans l'évaluation foncière. Le taux par mille a augmenté. De fait, on a modifié les factures fiscales pour que, en dollars constants, les valeurs ne baissent pas; c'est seulement le taux par mille qui augmentait.

Pourquoi y aller si rapidement? Je sais qu'il y a de meilleurs outils qui existent, mais pourquoi ne pas dire : « Madame Municipalité, faites votre travail. Persuadez votre population de la nécessité de la chose; si vous n'y arrivez pas, peut-être la chose n'a-t-elle pas de mérite? »

M. Buda : Tout à fait. D'abord, disons que, chaque année, la plupart des municipalités au pays défendent cette idée- là justement et, chaque année, les taxes foncières augmentent. Quant à la relation entre le taux par mille et l'augmentation de la taxe, dans la plupart des régions de notre pays, les municipalités rajustent le taux par mille pour que leurs recettes demeurent stables. Si le conseil décide qu'il y aura augmentation, l'augmentation est appliquée au regard de l'évolution de l'évaluation foncière.

Si par exemple l'évaluation foncière moyenne dans la ville où nous nous trouvons aujourd'hui augmente de 10 p. 100, le taux par mille sera rajusté à la baisse de 10 p. 100, en moyenne. Si l'administration locale décide qu'il n'y aura pas d'augmentation de la taxe — ce à quoi s'est engagé le maire de la ville, comme vous le savez —, l'évaluation suit le mouvement de l'augmentation moyenne de 10 p. 100; les taxes ne sont donc pas changées par rapport à l'année précédente. Si les taxes augmentent de 20 p. 100, c'est une augmentation de 10 p. 100 de la taxe qu'on assumera. Si l'évaluation demeure stable — inférieure de 10 p. 100 à l'augmentation moyenne en ce qui concerne l'évaluation —, le taux d'imposition baissera.

Le fardeau fiscal est transféré des maisons dont l'évaluation a baissé cette année-là à celle dont l'évaluation a augmenté. Globalement, le taux par mille est rajusté pour que les chances demeurent égales. Vous avez raison : certaines municipalités se sont servies d'augmentations rapides de l'évaluation pour dissimuler une augmentation des recettes. La plupart des municipalités au Canada ne s'adonnent pas à cette pratique-là, mais certaines le font. La plupart ne le font pas parce qu'elles savent ce qui se produit lorsque les évaluations baissent. Il est beaucoup plus difficile alors de sauvegarder ses recettes.

Cela nous ramène à la question de la raison d'être des taxes foncières. Une taxe foncière vise à financer les services que consomment les ménages. Elle n'est pas conçue pour générer des recettes d'après la capacité de payer. Les taxes progressives font ce travail-là parce qu'elles sont conçues pour fournir aux citoyens des services qu'ils ne pourraient se permettre autrement. Les gens vivant de l'assistance sociale ou de l'assurance-emploi ne présentent probablement pas le revenu imposable nécessaire pour toucher les prestations qu'ils reçoivent. C'est pourquoi nous avons un régime fiscal progressif, pour établir un filet de sécurité sociale.

Les taxes foncières sont conçues pour financer les services à l'intention des propriétaires. À l'époque où elles sont nées, on y voyait une façon nettement plus efficace que les autres de recueillir des sommes d'argent pour les services offerts aux propriétaires particuliers. Il aurait été théoriquement possible d'imposer une charge distincte pour les services de police et de lutte contre les incendies — c'est comme ça que les choses ont été prévues à l'origine — durant les années 1800 et au début du siècle dernier, les premiers jours de la création des administrations locales de par le monde, c'était considéré comme une façon nettement plus efficace, d'un point de vue administratif, que de regrouper tous les services locaux offerts au propriétaire dont il est question en une seule et unique taxe foncière.

Dans le monde, les gens emploient divers systèmes d'évaluation. Ici, nous prenons pour référence principale la valeur. Dans d'autres pays, c'est la taille du lot ou le nombre de Chambres à coucher ou de salles de bain et ainsi de suite. C'est toujours une tentative pour financer les services au propriétaire.

Vous avez raison de le dire : si la taxe foncière sert seulement à financer les services au propriétaire, il devient beaucoup plus facile de défendre l'idée de l'augmenter. Le problème au Canada, c'est que maintenant, les municipalités fournissent des services bien au-delà de ce qui va au propriétaire. Elles prennent en charge tout un éventail de services de redistribution, par exemple la construction ou l'entretien de logements sociaux et l'aide à l'établissement des immigrants. Elles prennent en charge une bonne somme de responsabilités policières dont le gouvernement fédéral ou provincial est censé se charger, qu'il s'agisse de surveillance dans les ports ou à la frontière, ou encore d'enquêtes criminelles internationales d'envergure.

Plusieurs services ont été imposés aux propriétaires assujettis à la taxe foncière municipale, que ce soit expressément ou autrement, au moment où d'autres ordres de gouvernement ont réduit le financement des services publics. À ce moment-là, pour dire les choses avec franchise, c'est l'administration municipale qui hérite des difficultés. L'itinérance en est un exemple. Il est difficile pour un politicien local d'enjamber un itinérant qui est couché sur les marches devant l'hôtel de ville et de faire fi des citoyens qui s'en scandalisent. Cela ne veut pas dire que les policiers municipaux devraient s'occuper des itinérants, évidemment, car ce n'est pas de leur ressort, mais ils le font parce qu'il y a une demande.

En fait, la taxe foncière sert à offrir toutes sortes de services pour lesquels elle n'a pas été conçue. La première prescription de la FCM consiste à renvoyer ces responsabilités d'où elles viennent et à faire en sorte que les autres ordres de gouvernement s'occupent vraiment des services qu'ils sont censés offrir parce que cela est prévu dans la Constitution ou qu'ils disposent d'outils fiscaux supérieurs. Si cela devait advenir, vous avez raison : la taxe foncière suffirait probablement à la tâche. Est-ce que cela va advenir? Je ne le crois pas. Défaire l'écheveau de ces responsabilités représente une tâche très complexe et, fait encore plus important, une tâche très difficile sur le plan politique.

Tout cela pour dire que la taxe foncière est un bon outil. On pourrait l'augmenter, mais je crois qu'il serait très difficile pour les maires et les politiciens provinciaux et fédéraux de défendre l'idée de l'augmenter. C'est pourquoi la politique est l'art du possible et pas forcément l'art le plus rationnel qui soit. Il y a une partie de ce que vous proposez qui correspond à ce que nous considérons comme possible, mais certainement pas comme parfaitement rationnel.

Le sénateur Massicotte : En conclusion, vous estimez donc que les politiciens fédéraux peuvent augmenter les taxes plus aisément que les politiciens municipaux?

M. Buda : Que cela soit juste ou non, c'est le cas en ce moment. Le revers de la médaille, c'est que les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent plus aisément transférer les responsabilités aux administrations municipales, se décharger des responsabilités en question, étant donné que les administrations municipales ne peuvent rien faire pour s'y opposer. C'est donc dans les deux sens que ça se joue.

Le sénateur Harb : Merci, messieurs Buda et Thompson.

Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur l'expérience américaine? Dans son exposé d'hier, le sénateur Grafstein a affirmé que plusieurs administrations territoriales aux États-Unis ont utilisé ces obligations avec succès pour amasser des fonds. Avez-vous des informations dont vous pourriez nous faire part à propos de cette expérience-là?

M. Buda : C'est une des choses auxquelles nous voulions réfléchir pendant quelque temps. Nous avons sondé le groupe des responsables municipaux des finances que nous avons consulté à propos de ces questions, mais, faute de temps, nous n'avons tout simplement pas pu approfondir la question.

D'après les observations dont on m'a fait part et les rapports que j'ai lus, dans certains États, et surtout dans les municipalités de petite taille, c'est un moyen d'amasser des fonds qui s'est révélé efficace. Cependant, le régime de financement des municipalités là-bas est très différent de celui que nous avons ici. Dans de nombreux États, et pour de nombreuses raisons, il n'y a pas d'organismes d'État chargés du financement des municipalités. Cela est dû au fait que, aux États-Unis, de nombreuses municipalités jouissent de la forme d'autonomie politique qualifiée de « home rule », c'est-à-dire que ce sont des entités souveraines sur lesquelles les organismes d'État n'ont pas une grande prise. Autrement dit, le recours à de petites obligations du genre pour le marché des investisseurs particuliers existe parce qu'elles n'arrivent pas à se donner les mécanismes voulus pour accéder à des obligations institutionnelles efficaces et meilleur marché.

Il faut ajouter à cela que le régime municipal aux États-Unis est nettement plus fragmentaire qu'il l'est ici au Canada. Il y a là-bas un grand nombre de municipalités qui sont extrêmement petites. La ville que nous appelons Seattle est en réalité un regroupement de 234 municipalités; et nous parlons ici d'une ville de la taille de Toronto ou de Montréal. Dans certains cas, les responsables municipaux ont dû concevoir ces mécanismes du fait de la structure municipale elle-même, et non pas parce qu'il s'agissait d'une façon plus efficiente ou efficace de procéder. Étant donné le contexte, c'était la meilleure façon de procéder.

Dans la plupart des régions du Canada, il existe un organisme de financement qui travaille à l'échelle de la province, et nous n'avons pas le même système de gouvernance municipale qu'il y a aux États-Unis.

Le sénateur Harb : Vous avez fait des commentaires positifs et des commentaires négatifs sur la proposition. Si cette proposition se concrétisait, les municipalités auraient la capacité de présenter une demande, d'obtenir l'approbation de la province et ainsi de suite, et elles disposeraient des outils nécessaires pour amasser des fonds. D'après votre expérience à vous, croyez-vous que certaines municipalités se prévaudraient d'une telle possibilité? Quel type de municipalités s'intéresserait à ce type de propositions?

M. Buda : L'expérience de la Nouvelle-Écosse est riche d'enseignements. La province de la Nouvelle-Écosse et l'organisme de financement là-bas ont encouragé les petites municipalités à émettre des obligations pour financer l'infrastructure locale, mais pratiquement aucune d'entre elles n'a saisi la balle au bond. Tout de suite, il y a cette inquiétude : si la proposition est conçue pour aider les petites municipalités à accéder au financement par emprunt, cela ne se fera probablement pas, étant donné la complexité de l'administration des instruments d'emprunt et du fait que, souvent, les municipalités ont accès à d'autres instruments d'emprunt, par exemple en s'adressant aux organismes provinciaux de financement.

Selon le groupe que nous avons consulté, certaines personnes s'en prévaudront certainement, mais il est probable que cela ne se fera pas aussi souvent, peut-être, que ce que les concepteurs du projet de loi voudraient voir, vu les coûts d'administration que cela suppose. Certaines personnes s'en prévaudraient là où il est logique de le faire, mais ce ne serait pas toujours logique.

J'ai travaillé pour une municipalité et, d'après mon expérience à moi, moins on fait une chose, moins on est enclin à la faire. Si les gens ne se servent pas de l'outil régulièrement, il est probable qu'ils s'en serviront de moins en moins. C'est que les municipalités ne finiront pas par se donner l'expertise nécessaire pour gérer ce genre de titre d'emprunt.

Globalement, ce serait un outil tout à fait utile à ajouter à l'arsenal des mesures prévues pour lutter contre le déficit d'infrastructure, moyennant quelques réserves. Premièrement, toute dépense fiscale est l'affaire du fisc fédéral et, toutes choses étant égales par ailleurs, le gouvernement fédéral choisirait probablement alors de réduire ses investissements dans les programmes de financement direct. Toutes les personnes que j'ai consultées ont déclaré préférer le financement direct à ce type de financement indirect; voilà donc une réserve importante.

Deuxièmement, le coût d'administration de ce type de programme en annule peut-être les avantages. Si ce n'est pas le cas, c'est assez inefficace pour qu'on conclue que le rapport avantage-coût n'est peut-être pas aussi intéressant qu'on le croirait.

Le sénateur Harb : Vous avez dit que, si cette mesure se concrétisait, elle aurait notamment pour avantage de réduire le coût d'emprunt des municipalités. Je soupçonne que certaines personnes profiteront de la possibilité d'émettre ce genre d'obligation en raison du fait que le revenu ne sera pas imposable, même si le taux d'intérêt sera probablement un peu inférieur à ce qu'il pourrait être.

Hier, des témoins provenant du ministère des Finances nous ont dit que 90 p. 100 des obligations émises au Canada sont acquises par des entités qui ne paient pas d'impôt de toute façon. C'est toute une révélation. Selon eux, 7 p. 100 des cas appartiennent à d'autres catégories, ce qui veut dire que les 3 p. 100 qui restent de tout l'ensemble vont aux investisseurs particuliers et aux citoyens ordinaires. Voilà qui a vraiment ouvert les yeux à bon nombre d'entre nous.

J'ai demandé aux responsables des Finances si l'offre ne serait faite qu'à des investisseurs de l'extérieur du Canada qui, autrement, n'y trouveraient pas suffisamment d'attraits. J'ai aussi demandé si la mesure pouvait être conçue en fonction du principe de l'utilisateur-payeur. Le sénateur Grafstein a pris comme exemple la route 407. Si on pouvait proposer un méga projet avec droits d'utilisation qui serait offert seulement à ceux qui ne trouveraient pas la proposition attrayante autrement, est-ce que ce serait utile? C'est en dehors du schéma classique, mais peut-on dire que ce serait un mécanisme attrayant?

M. Buda : Oui, il existe une série de mécanismes de financement autres, de partenariats publics-privés qui portent un autre nom, et qui pourraient servir à accroître le financement à la disposition des municipalités, mais, en dernière analyse, quel que soit le bailleur de fonds du projet, quelqu'un doit rembourser l'intérêt et le principal.

Dans un partenariat public-privé, il existe plusieurs façons de réduire théoriquement les coûts d'affaires. Les entités du secteur privé sont censées gérer ce type de projets de manière plus efficiente, ce qui est sans doute le cas; le transfert du risque de l'entité publique à l'entité privée; et, évidemment, le fait d'exiger des droits d'utilisation.

Comme je l'ai dit pendant mon exposé, il faut certainement accroître les droits d'utilisation, mais comme l'expérience de la route 407 le fait voir, on peut les accroître pour certains types d'infrastructure, mais, comme le débat public dans pratiquement toutes les régions du pays a servi à le montrer, l'idée d'accroître les droits d'utilisation pour les services de base comme l'eau auprès du public se révèle difficile. Je ne dis pas que nous devrions cesser les efforts en ce sens, mais ce ne serait pas là une solution rapide au problème.

Pour répondre à votre question, les mécanismes de financement autres comme ceux qu'ont évoqués les responsables du ministère des Finances existent bel et bien et valent la peine d'être envisagés. Bien entendu, cela n'a rien à voir avec le projet de loi S-203. C'est beaucoup plus complexe. De fait, dans bien des administrations, notamment en Ontario, les mécanismes de ce type servent déjà. Le nouveau bureau P3 Canada fait justement un tel travail, sans que cela n'exige de modifications sur le plan du droit fiscal.

Le président : Avant de me tourner vers le sénateur Gerstein, je voudrais une précision, monsieur Buda. Vous avez parlé de l'expérience de la Nouvelle-Écosse en affirmant, je crois, que l'idée des obligations municipales n'avait pas vraiment trouvé preneur. Est-ce que les obligations étaient garanties par la province? Il faudrait que ce soit le cas, n'est- ce pas?

Adam Thompson, analyste des politiques, Fédération canadienne des municipalités : Oui, elles l'étaient. L'émission se serait faite par la voie de l'organisme municipal de financement là-bas, qui bénéficiait déjà de l'appui de la province.

M. Buda : De manière générale, les obligations municipales en question affichent toujours un taux d'intérêt presque aussi concurrentiel que celui que la province peut offrir, et c'est très légèrement inférieur à ce que le gouvernement fédéral offre. Dans tous les cas, les obligations municipales sont garanties par une charge directe sur les paiements de la taxe foncière. C'est un investissement assez sûr, et c'est pourquoi, de fait, aux jours les plus sombres de la crise du crédit de l'an dernier, ce sont les obligations municipales et les obligations provinciales qui sont devenues les enfants chéris de l'industrie obligataire. C'était un investissement sans risque. Tout le reste s'effondrait; au moins, on pouvait toujours investir dans un pont.

Le sénateur Gerstein : Merci, monsieur Buda, d'avoir présenté aujourd'hui un exposé qui était excellent et complet à la fois. Je voudrais en savoir un peu plus. Quelle est l'ampleur du marché des obligations municipales au Canada aujourd'hui? Est-ce un marché solide ou est-ce très limité? Je ne vous demande pas de me donner beaucoup de détails, mais pourriez-vous me dire si c'est petit, moyen ou grand? J'aimerais comprendre un peu mieux quelles sont les restrictions qui s'appliquent à la capacité pour une municipalité d'émettre les obligations, d'un point de vue juridique?

M. Buda : En réponse à votre première question, je dirai que nous n'avons pas de statistiques particulières à la portée de main.

Le sénateur Gerstein : Diriez-vous que c'est petit, moyen ou grand?

M. Buda : La seule statistique que j'ai pu obtenir, c'est celle des 3 p. 100. Cela veut dire que les investisseurs particuliers représentent 3 p. 100 du marché obligataire dans l'ensemble.

Les obligations municipales, de fait, comptent pour une grande part des obligations d'État sur le marché. Tout cela pour dire donc que le marché des obligations municipales est minuscule. Par exemple, la Municipal Finance Authority de la Colombie-Britannique, qui appartient non pas à la province, mais plutôt aux municipalités de la Colombie- Britannique, n'émet pas une seule obligation sur le marché des investisseurs particuliers. Elle ne le fait pas parce que cela coûte beaucoup plus cher et qu'elle est en mesure de vendre toutes ses obligations sur le marché institutionnel.

Dans la plupart des cas que nous avons pu repérer grâce aux consultations rapides que nous avons effectuées, cela s'avérait. Il est inhabituel pour une municipalité d'émettre une obligation sur le marché des investisseurs particuliers. Si le marché institutionnel s'effondrait, elle n'aurait aucun recours. Cependant, tant que le marché institutionnel propose des taux concurrentiels et des liquidités — c'est le cas jusqu'à maintenant et ça se poursuit, comme je l'ai dit, car même au creux de la crise du crédit, les municipalités n'ont eu aucune difficulté à écouler leurs titres d'emprunt —, il est peu probable que les gens se tournent vers un marché obligataire plus coûteux. Cela n'a rien d'étonnant : il est plus coûteux de vendre à 1 000 clients qu'à cinq seulement, voilà la réalité des municipalités.

Quant aux pouvoirs dont disposent les municipalités, cela varie énormément d'une province à l'autre. C'est un des défis que devra relever le gouvernement fédéral en mettant en œuvre ce genre de projet de loi. Vous devrez appliquer différents règlements, chacun étant propre à une province. Par exemple, en Colombie-Britannique, toutes les municipalités sont tenues de faire passer leur financement par la Municipal Finance Authority dans la mesure où l'obligation d'emprunt émise dépasse tel montant. J'ai posé la question à un responsable de la Colombie-Britannique. J'ai demandé si on avait déjà choisi de contourner la MFA en gardant l'obligation en deçà du minimum, et on m'a répondu que non, il n'y aurait pas de raison de le faire. La MFA propose les meilleurs taux au Canada, des taux nettement meilleurs que ceux de la province. Il n'y a aucuns frais d'administration, frais qui sont assurés grâce à une majoration très légère. Il n'y aurait aucune raison d'engager au moins deux personnes à la municipalité pour gérer le type d'emprunt. Vous pouvez oublier ça.

Ailleurs, il faut parfois passer par la province. Dans la province de Québec, les municipalités sont tenues d'obtenir l'autorisation de la province. Dans la plupart des cas, même si les municipalités ont théoriquement l'autorité nécessaire pour le faire, elles choisissent simplement de s'abstenir. C'est que ce n'est pas la façon la plus efficace pour elles de procéder. Ça ne veut pas dire qu'elles ne peuvent le faire.

Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai une question, que j'ai posée hier au ministère des Finances en parlant d'une comparaison avec l'Europe, où les gens achètent leur essence à un prix plus élevé. Qu'est-ce qu'il faudrait en fait d'augmentation? La municipalité serait-elle heureuse si on lui remettait un pourcentage plus élevé de la taxe sur l'essence qu'en ce moment?

M. Buda : C'est ce que la FCM demande justement depuis plusieurs années, que les trois ordres de gouvernement s'engagent à instaurer un plan à long terme pour éliminer le déficit d'infrastructure.

Le sénateur Hervieux-Payette : Cela fait plus de 20 ans.

M. Buda : Oui, plus de 20 ans. Nous avons déclaré une chose qui a étonné le Comité des finances de la Chambre des communes en 2006, de fait : nous ne pouvons pas vraiment dire l'ampleur du déficit étant donné qu'il n'y a jamais eu d'analyse exhaustive du déficit d'infrastructure municipale au Canada, pour la nature et l'ampleur de la chose. C'est vraiment un exercice très complexe.

Par exemple, dans la ville de Montréal, il y a des tuyaux d'égout qui ont plus de 150 ans et qui sont faits de bois. C'est à peine si on sait qu'ils existent. Il n'est donc pas facile de dresser l'inventaire des biens et de déterminer leur âge et le moment où il faudrait les remplacer, ce n'est pas une tâche que les administrations municipales peuvent entreprendre seules.

La première étape de la résolution d'un problème, c'est d'en jauger l'ampleur. La FCM a fait quelques estimations grossières; c'est de là que viennent les 123 milliards de dollars. Mais ce n'est pas suffisamment détaillé ou précis. Nous devons d'abord dresser l'inventaire et, de fait, nous croyons savoir qu'Infrastructure Canada et Statistique Canada travaillent à une telle étude. Cela nous encourage au plus haut point.

Cela dit, à quoi s'élève le coût approximatif de la chose? Eh bien, si le déficit d'infrastructure dans son ensemble représente environ 123 milliards de dollars, il suffit de diviser cela par 20 ans. Évidemment, le gouvernement fédéral n'a pas la responsabilité d'assumer l'intégralité de la facture.

Cependant, nous disons que la taxe sur l'essence constitue le fondement de la contribution du gouvernement fédéral. Nous croyons qu'il faut l'assujettir à un indice, pour qu'elle croisse avec l'économie et la population. Il faut la préserver et la faire croître de pair avec l'économie. De même, il faut des programmes de financement ciblés sur les aspects du déficit d'infrastructure que servirait à relever une enquête plus approfondie, ce qui exigera des investissements supplémentaires.

Est-ce deux milliards ou cinq milliards de dollars de plus? Nous ne saurions le dire, mais ce n'est certainement pas 10 fois plus et ce n'est pas 100 fois plus. Ce n'est probablement pas beaucoup plus que ce que nous dépensons en ce moment. Le gouvernement fédéral investit environ de deux à cinq milliards de dollars par année, en moyenne, depuis plusieurs années dans l'infrastructure municipale, et cela ne compte pas le fonds de relance, qui fera évidemment voir une montée subite, une aberration, en ce qui concerne les investissements fédéraux.

Le président : Quel est votre point de vue sur la responsabilisation, défi persistant? Il y a les opposants à de telles mesures qui disent : eh bien, si vous remettez l'argent à une municipalité, comment pouvez-vous être sûr qu'elle va le consacrer à ce que vous aviez à l'esprit au départ?

M. Buda : C'est juste. J'ai deux observations à faire là-dessus. Premièrement, les programmes d'infrastructure fédéraux existants, par exemple la taxe sur l'essence et le Fonds Chantier Canada, sont associés à des mécanismes de rapport et de responsabilisation rigoureux que le Conseil du Trésor a approuvés, et cela comprend des rapports publics sur la façon dont les fonds en question sont utilisés.

Il y a aussi, lié à cela, le fait que les administrations municipales représentent l'ordre de gouvernement le plus transparent qui soit au Canada, et de loin. Toutes les décisions doivent être prises en public. Les administrations doivent faire état de leurs finances, tous les ans et rendre des comptes à cet égard dans une tribune publique, et cela comprend toute contribution fédérale. Les mécanismes de reddition de comptes sont déjà assez solides.

Enfin, presque tous les sondages d'opinion publique le disent. Lorsque les Canadiens sont appelés à dire quel ordre de gouvernement est le plus digne de confiance, les administrations municipales se trouvent toujours en tête de liste, et toujours beaucoup plus haut que le gouvernement fédéral. On pourrait sûrement renverser la question et demander : comment peut-on être sûr qu'il existe des mécanismes de reddition de comptes pour vérifier que les fonds du gouvernement fédéral sont bien attribués?

Blague à part, vous avez raison. Chaque fois qu'un ordre de gouvernement augmente les taxes et qu'un autre ordre de gouvernement doit dépenser l'argent ainsi amassé, il y a toujours le problème de la reddition des comptes qui se présente; c'est pourquoi nous devons continuer à examiner toute la série de solutions possibles aux problèmes que présente le financement des municipalités.

Le président : Bien dit.

Merci beaucoup, messieurs Buda et Thompson. Avant que la session ne commence, M. Buda a déclaré qu'il allait mettre toutes les questions difficiles entre les mains de M. Thompson. Je ne suis pas sûr du degré de difficulté qu'ont pu présenter nos questions. M. Thompson a eu la vie facile, mais nous sommes quand même heureux de vous avoir accueillis. Nous sommes d'accord avec le sénateur Gerstein, qui a dit que votre exposé était tout à fait complet.

(La séance est levée.)


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