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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 13 - Témoignages du 4 novembre 2009


OTTAWA, le mercredi 4 novembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce continue cet après-midi son étude d'un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence.

Ce projet de loi, vous vous en souviendrez, a été présenté le 31 mars 2009 par notre ancien collègue et l'ancien vice-président de ce comité, l'honorable Yoine Goldstein. D'après le sommaire du projet de loi S-232 :

[Français]

Le texte modifie la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues afin de faciliter la fabrication et l'exportation de produits pharmaceutiques pour remédier aux problèmes de santé publique touchant de nombreux pays en voie de développement et pays les moins avancés, en particulier les problèmes résultant du VIH/SIDA, de la tuberculose, du paludisme et d'autres épidémies.

[Traduction]

Nous commencerons aujourd'hui avec la Campagne des grands-mères de la Fondation Stephen Lewis, une organisation qui fournit un appui aux grands-mères de l'Afrique subsaharienne, qui sont nombreuses à élever leurs petits-enfants devenus orphelins en raison du sida.

Il ne fait pas de doute que vous êtes très occupées, et votre campagne épistolaire porte ses fruits. Le comité avait reçu hier plus de 1 500 lettres en appui à ce projet de loi.

Nous avons avec nous aujourd'hui, de la Campagne des grands-mères, trois représentantes régionales de l'Équipe de direction du Comité national de défense des intérêts, ainsi que la coprésidente du comité. Mme Gillian Sandeman représente le sud-est de l'Ontario, Mme Marilyn Coolen, l'Atlantique et Mme Linda Watson, les Prairies. Enfin, nous avons la coprésidente du comité, Kathleen Wallace-Deering.

Bienvenue à vous toutes. Merci d'être avec nous. Cette séance ne manquera certainement pas d'intérêt. Veuillez commencer avec vos déclarations préliminaires.

Kathleen Wallace-Deering, coprésidente, Comité national de défense des intérêts, Campagne des grands-mères : Honorables sénateurs, nous sommes extrêmement heureuses, en tant que bénévoles, d'orienter les activités d'un mouvement national regroupant des citoyens ordinaires. Nous ne pourrions pas être ici sans votre invitation. Nous l'apprécions énormément.

Comme vous le savez peut-être, la Campagne des grands-mères est un mouvement extraordinaire qui est apparu en seulement trois ans et demi. Partout au pays, il y a plus de 220 groupes de grands-mères et de « grands-parents d'adoption » qui se rassemblent, vivement préoccupés par la situation critique des grands-mères africaines. Notre mouvement national compte plus de 5 000 grands-mères et plusieurs milliers de personnes que nous appelons des « grands-parents d'adoption ». Nous sensibilisons les gens et recueillons des fonds pour répondre aux besoins considérables des grands-mères africaines. Ces 1 500 lettres, cartes postales et courriels proviennent de gens qui partagent notre grande préoccupation.

Je demanderai maintenant à Mme Sandeman, qui a préparé notre mémoire, d'expliquer pourquoi ce projet de loi revêt une si grande importance pour nous et notre mouvement bénévole dans l'ensemble du pays.

Gillian Sandeman, représentante du sud-est de l'Ontario, Équipe de direction, Comité national de défense des intérêts, Campagne des grands-mères : Je voudrais, à l'instar de Mme Wallace-Deering, vous remercier de nous permettre d'être ici aujourd'hui. Je voudrais aussi vous demander de remercier le personnel de votre comité. Tout cela est nouveau pour nous, et votre personnel nous a fourni une aide et un appui considérables.

Le président : Merci beaucoup.

Mme Sandeman : Honorables sénateurs, le projet de loi que vous êtes en train d'examiner a une importance primordiale pour la Campagne des grands-mères, parce qu'il est essentiel pour les personnes au nom desquelles nous parlons. Notre organisation cherche à secourir les grands-mères d'Afrique subsaharienne dont les enfants d'âge adulte sont morts du VIH-sida, laissant orphelins leurs petits-enfants qu'elles doivent élever à présent. Selon les estimations de l'UNICEF, il pourrait y avoir l'an prochain jusqu'à 15,7 millions d'enfants devenus orphelins parce que leurs parents sont morts du sida dans cette région du globe. Ces enfants sont pris en charge par des orphelinats ou des voisins, ou vivent dans des familles qui ont à leur tête un enfant — les aînés élèvent leurs frères et sœurs plus jeunes. Les plus chanceux restent chez des membres de leur parenté, le plus souvent leurs grands-parents.

En ce qui concerne le projet de loi S-232, ces femmes et ces enfants représentent à notre avis des milliers d'autres personnes en détresse que vous êtes en mesure d'aider. Si ce projet de loi est adopté, cela permettra, espère-t-on, de sauver des vies et de fournir des médicaments génériques à prix abordable à des gens qui, autrement, seraient condamnés à mourir.

Pour nous, il s'agit d'abord et avant tout d'une question humanitaire. L'adoption possible — j'aimerais dire probable — de ce projet de loi nous comble de joie et d'espoir. Elle constituerait une solution concrète parmi la panoplie de mesures encore nécessaires pour combattre la pandémie de sida.

En août 2006, des grands-mères canadiennes et africaines se sont rencontrées à Toronto lors de réunions étalées sur trois jours. À la fin de ces rencontres, elles ont émis une déclaration commune. J'aimerais vous lire certains messages des grands-mères africaines. Elles ont dit :

Chacune de nos histoires est unique, différente des autres, et pourtant, nous représentons ici des femmes innombrables qui partagent le même drame : pour chaque grand-mère présente ici aujourd'hui, il y en a 50, 60, 70 000 dans son pays. Nous avons actuellement des besoins, des besoins à court terme et des besoins qui ne disparaîtront jamais. C'est notre devoir solennel de défendre les millions de grands-mères aux souffrances inexprimées, qui nous donnent le courage de réclamer la satisfaction de ces besoins, en leur nom et au nom des enfants à leur charge.

Elles ont ajouté :

Aujourd'hui, nous souhaitons livrer un message aux gens influents : nos doléances s'adressent aux organisateurs de la conférence et aux 25 000 délégués rassemblés à l'occasion de la 16e Conférence internationale sur le sida — qui se tenait à Toronto à ce moment —, au gouvernement hôte qui est celui du Canada, aux représentants du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ainsi qu'aux Nations Unies. Les grands-mères méritent d'être écoutées. Nous voulons être entendues.

Voici ce qu'ont répondu les grands-mères canadiennes :

Nous, les grands-mères canadiennes, sommes en communion avec nos consoeurs africaines... Sachant que nos consoeurs africaines sont submergées quotidiennement par les problèmes de survie, nous leur avons offert de leur prêter nos voix, une offre qui a été acceptée. Nous allons leur servir d'ambassadrices, en élevant le ton jusqu'à ce que les gens entendent et comprennent leurs histoires longtemps étouffées, et qu'ils agissent en conséquence. Nous promettons d'exercer des pressions sur les gouvernements... Nous ne lâcherons pas prise tant que la situation ne se sera pas améliorée suffisamment pour que nous puissions nous reposer.

Depuis le colloque de Toronto, les militantes de la Campagne des grands-mères canadiennes ont pris très au sérieux leur engagement de défendre les intérêts de leurs consoeurs africaines devant les puissants de ce monde. Nous savions dès le départ qu'elles avaient besoin d'antirétroviraux — ARV — à prix raisonnable, ce qui signifie qu'il faut rendre largement disponibles les médicaments génériques. Ces femmes n'ont pas les moyens de payer des médicaments coûteux. Les gouvernements et les ONG susceptibles de leur fournir ces médicaments ou de les subventionner pourraient faire plus avec moins si des médicaments génériques étaient disponibles. Les besoins sont énormes, comme vous le savez tous. Je crois que d'autres témoins vous ont dit que le rapport d'ONUSIDA paru le 30 septembre 2009 soulignait les progrès considérables accomplis dans le traitement et le soin des personnes séropositives dans les pays les plus pauvres. Les deux tiers des nouveaux cas d'infection surviennent en Afrique subsaharienne, la région la plus touchée du globe.

Vers la fin de 2008, près de 3 millions de personnes étaient traitées avec des ARV en Afrique subsaharienne, ce qui représente seulement 44 p. 100 des gens qui en ont besoin, un pourcentage qui croît lentement, mais beaucoup trop lentement. Environ 45 p. 100 des femmes enceintes séropositives ont reçu des médicaments pour préserver leurs bébés de l'infection. La bonne nouvelle, c'est que ce pourcentage a augmenté puisqu'il était de 35 p. 100 l'an dernier.

La mauvaise nouvelle est cependant encore plus frappante : il reste des millions de personnes atteintes du VIH — au moins 5 millions dans le monde, dont plus de 3 millions en Afrique — qui n'ont toujours pas accès aux traitements et aux soins qui permettraient de prolonger leur vie. Cependant, les pays du G8 — dont le Canada est un membre actif, en plus d'être l'hôte du sommet du G8 en 2010 — se sont engagés à assurer un accès universel aux soins et aux traitements requis, ce qui comprend autant les médicaments permettant de maintenir les gens en vie que les campagnes de prévention.

Pour concrétiser cet engagement complexe et difficile à remplir, il faudra mettre en œuvre diverses solutions, et le projet de loi S-232 pourrait en être une de premier plan. Margaret Chan, directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé — et Canadienne —, a affirmé que les gouvernements et les partenaires internationaux devaient accélérer leurs efforts pour rendre universel l'accès aux traitements. Le Sénat, en tant que principal partenaire du gouvernement canadien, peut contribuer à relever son défi en adoptant ce projet de loi.

En 2008, nous, les grands-mères canadiennes, avons présenté une pétition au gouvernement. En parlant avec des citoyens et en recueillant des signatures pour la pétition, nos militantes ont obtenu des appuis solides, surtout quant au fait qu'on pourrait éventuellement fournir plus de médicaments génériques salvateurs à l'Afrique si le RCAM était modifié. Cette pétition demandait au gouvernement d'apporter les modifications législatives nécessaires au Régime canadien d'accès aux médicaments pour faciliter l'approvisionnement immédiat et constant en médicaments génériques à bas prix aux pays en développement.

Nous avons découvert que les gens sympathisent tout naturellement avec les malades qui sont privés de médicaments en raison de leur coût exorbitant. Il est facile de s'imaginer ou d'imaginer un membre de sa famille en train d'agoniser, faute de pouvoir obtenir des médicaments qui sont disponibles, mais trop dispendieux. Beaucoup de grands-mères africaines se trouvent dans cette situation, et elles l'affrontent courageusement et dignement, mais avec une frustration et une douleur compréhensibles. Elles nous ont dit qu'elles avaient des besoins urgents, dans l'immédiat.

Plus de 32 000 personnes ont répondu positivement en signant la pétition. En mars 2009, des députés de chacun des partis en ont présenté les résultats à la Chambre des communes. Ces 32 000 personnes, les milliers de grands-mères et de grands-parents d'adoption, ainsi qu'une foule d'autres personnes ayant entendu les grands-mères parler de ce problème sont convaincus que la modification du RCAM serait une bonne façon d'aider les victimes et de leur redonner espoir. Il est encourageant de constater que les seuls médicaments ayant été autorisés à quitter le Canada en vertu de la loi actuelle étaient des antirétroviraux utilisés dans le traitement du VIH-sida, et j'ai bon espoir que vous adopterez les modifications proposées afin d'aller plus loin en ce sens.

Il faudrait en particulier fournir des médicaments destinés aux jeunes enfants. On devrait idéalement mettre au point une formule médicamenteuse à usage pédiatrique combinant en un seul comprimé des doses adaptées aux enfants et ne nécessitant aucune réfrigération. L'annonce qu'Apotex, le fabricant de médicaments génériques, est en train de concevoir un tel médicament au moment même de l'adoption du projet de loi donne aussi beaucoup d'espoir aux grands-mères canadiennes ainsi qu'aux grands-mères africaines qui prennent soin d'enfants séropositifs.

Les Canadiens sont fiers de leur système de santé grâce auquel l'accès aux traitements ne dépend pas de la capacité de payer. Nous répétons constamment à nos voisins du Sud à quel point nous sommes fiers de notre système, mais la situation est très différente en Afrique. Une multitude de grands-mères africaines — ainsi que leurs enfants et petits-enfants — n'ont pas d'assurances médicales ou de soins de santé fournis par le gouvernement, et ne peuvent pas non plus obtenir d'antirétroviraux à prix abordable. Pour eux, le sida devient une maladie terminale lorsqu'ils deviennent trop faibles pour marcher, sont ravagés par une candidose buccale, une pneumonie, une méningite cryptococcale, une diarrhée chronique, un sarcome de Kaposi ou toute autre maladie opportuniste à laquelle le VIH ouvre la voie. Leurs souffrances sont terribles. Ce qui est tragique dans cette histoire, c'est que non seulement c'est terrible, mais c'est aussi inutile; leurs décès sont évitables.

Prenons le cas de Carol, qui habite à Meru, au Kenya. C'est une élève brillante de neuvième année qui rêve de devenir médecin. Son rêve est inspiré de ses expériences d'enfant : à l'âge de sept ans, elle a dû prendre soin de sa mère qui se mourait du sida, après quoi elle est allée habiter avec sa grand-mère. Carol était séropositive et souffrait déjà de douleurs et d'infections persistantes. Il me semble que cette petite fille doit avoir été terrifiée, ayant vu ce qui s'était passé avec sa mère et sachant que c'était ce qui lui arrivait. Sa grand-mère a dû vendre sa terre par lots pour payer les factures médicales, mais les traitements étaient difficiles à obtenir et très coûteux. L'état de Carol s'est donc détérioré, et à l'âge de 11 ans, un petit hôpital l'a renvoyée chez elle pour y mourir. C'est alors qu'elle a été sauvée miraculeusement. Une petite ONG a pu lui fournir des ARV et soigner la tuberculose dont elle souffrait également. À 14 ans, elle est retournée à l'école, en cinquième année. C'était une excellente élève, et ses frais de scolarité ont été payés afin qu'elle étudie dans une école secondaire prestigieuse.

Je me demande et je vous demande : quelle différence l'adoption du projet de loi S-232 et la fourniture de médicaments génériques à prix abordable auraient-elles faite pour Carol? Pour commencer, sa mère serait peut-être en vie aujourd'hui. Aussi, la maladie de Carol était évitable. Si sa mère avait été soignée avant l'accouchement, le risque de transmission de la mère à l'enfant aurait été infime. Et l'existence de sa grand-mère aurait pu être bien meilleure : elle n'aurait pas été obligée de prendre soin de sa petite-fille gravement malade, de voir sa fille mourir et de vendre sa terre. Elle aurait ainsi pu cultiver sa terre de façon rentable et avoir une vie très différente. Le projet de loi S-232 est pour Carol, sa mère et sa grand-mère.

Examinons la situation en Ouganda. Ce pays compte le plus fort pourcentage au monde de jeunes âgés de moins de 18 ans, soit 50 p. 100. Rappelez-vous qu'il n'y a pas de génération intermédiaire dans un pays comme l'Ouganda. Il présente aussi l'un des taux les plus élevés de VIH-sida de l'Afrique subsaharienne. Le nombre d'orphelins y a atteint des proportions critiques en raison des conflits, des maladies et de la mortalité élevée. Le cinquième des jeunes âgés de moins de 18 ans sont orphelins — ils sont 1,7 million dans ce pays relativement petit —, et nombre d'entre eux vivent au sein de familles dirigées par un enfant lui-même orphelin. Les grands-parents doivent composer quotidiennement avec le stress et les traumatismes.

Les problèmes de ce pays ravagé par la guerre sont complexes et démesurés. Il n'est pas toujours facile de trouver ou d'appliquer des solutions efficaces, mais l'absence de panacée ne justifie pas qu'on refuse d'apporter de petits changements. La fourniture de médicaments à prix abordable pour traiter le VIH-sida permettrait d'assurer la survie d'un plus grand nombre d'adultes qui pourront rebâtir le pays. Le projet de loi S-232 est une contribution relativement modeste à la survie de pays comme l'Ouganda, qui ont besoin d'une foule de moyens d'assistance pratique, mais cette contribution serait considérablement utile.

Prenons le cas de Mama Zadwa, qui a pris soin de ses filles sidéennes jusqu'à leur décès. Il lui restait un enfant, un garçon. Elle est récemment rentrée chez elle pour découvrir le corps calciné de son unique fils, qui était séropositif. Il s'était aspergé de kérosène, puis avait frotté une allumette. Il était âgé de 18 ans. Il lui avait laissé une note : « Chère maman, je t'épargne la peine d'avoir à me soigner jusqu'à ma mort. » Le projet de loi S-232 est pour Mama Zadwa, ses filles et son fils courageux et aimant.

J'ai fourni au greffier du comité certaines photographies. J'espère que vous les avez reçues. La première est celle d'une petite fille potelée de 18 mois qui respire la santé et est assise dans un petit fauteuil.

Nous avons une photo que nous pouvons vous montrer.

Mme Wallace-Deering : Nous pouvons la faire passer.

Mme Sandeman : Elle a l'air sérieuse et préoccupée, je crois que la caméra la rendait un peu nerveuse. Nous savons que les infirmières de son orphelinat l'adoraient. Orpheline dès son plus jeune âge, elle était née séropositive, ce qui signifie que sa mère lui avait transmis le virus. Tous les grands-parents auraient été fiers de cette enfant potelée d'allure saine. Les soins attentionnés des infirmières lui avaient permis de prendre du poids et de la vigueur, mais elle est tout de même décédée avant l'âge de deux ans de complications dues à sa maladie.

Nous savons que la moitié des bébés séropositifs meurent avant leur deuxième anniversaire. En Afrique subsaharienne, le VIH est devenu l'une des principales causes de mortalité chez les bambins. Partout dans le monde, plus de 2,3 millions d'enfants âgés de moins de 15 ans sont séropositifs, et là-dessus, 90 p. 100 se trouvent en Afrique subsaharienne. Selon les estimations, 780 000 enfants séropositifs ont besoin d'antirétroviraux, mais seulement 15 p. 100 d'entre eux bénéficient d'un tel traitement, et en Afrique subsaharienne, ce taux dégringole à 6 p. 100. Les statistiques que j'ai mentionnées plus tôt — à savoir que 44 p. 100 des gens reçoivent des antirétroviraux — ne se rapportaient qu'aux adultes. Les enfants séropositifs manquent cruellement de traitements. Or, ceux qui reçoivent des traitements dès les premiers mois de leur vie voient leurs chances de survie augmenter de façon remarquable. Une étude récente réalisée en Afrique du Sud a démontré que le taux de mortalité diminue de 75 p. 100 si les bébés infectés par le VIH sont traités dans les 12 semaines suivant leur naissance.

Avec la photographie d'Amanda se trouve une photographie de son cercueil au cimetière, qui nous rappelle ces cruelles réalités et ces besoins qui pourraient être allégés si le RCAM était modifié de manière à ce que les médicaments pédiatriques indispensables à la survie des jeunes enfants puissent leur être fournis. Le projet de loi S-232 est destiné à Amanda et aux millions d'autres enfants séropositifs.

Nous, les grands-mères, ne sommes pas naïves. Nous savons que le projet de loi S-232 et le projet de loi complémentaire C-393 de la Chambre des communes ne suffiront pas à résoudre tous les problèmes liés à l'accès aux médicaments dans les pays en développement. Cependant, ils peuvent contribuer à régler un aspect important du problème, à savoir la nécessité d'obtenir des médicaments plus abordables. Le permis unique proposé dans le projet de loi simplifierait l'obtention des permis obligatoires pour exporter les médicaments génériques dans les pays en développement auxquels la loi s'applique déjà. La loi actuelle exige des négociations et un processus de délivrance de permis distincts pour chaque commande de médicaments et pour chaque pays, ce qui implique des transactions coûteuses et des retards. Le permis unique libérerait le passage de façon à ce que les fournisseurs de médicaments génériques et les autorités des pays en développement puissent remplir les formalités des appels d'offres et d'achats requises sans se heurter aux multiples incertitudes et obstacles actuels. Le permis unique ferait du RCAM la solution rapide promise il y a quelques années aux pays en développement, un engagement qui tarde à se matérialiser.

L'existence des grands-mères et des enfants dont vous avez lu l'histoire dans notre mémoire aurait pu être très différente si ces promesses avaient été tenues. Combien de temps encore leur demanderons-nous d'attendre? Combien de temps encore continuera-t-on à prétendre qu'une loi ayant donné lieu à l'expédition d'un seul lot de médicaments en l'espace de cinq ans est efficace et n'a pas besoin d'être modifiée?

D'autres arguments ont été invoqués contre la modification du RCAM, des arguments qui, à notre avis, sont fallacieux et ignorent les besoins des gens qui meurent faute de médicaments. Citons entre autres l'affirmation selon laquelle les changements proposés léseraient les entreprises pharmaceutiques qui ont mis au point les formules et freineraient les travaux de recherche et de développement futurs. Cependant, la formule de redevance s'appliquant à l'utilisation des médicaments brevetés demeurerait inchangée. Les règles canadiennes et celles de l'OMC en matière de propriété intellectuelle autorisent n'autorisent l'exportation de médicaments génériques qu'aux pays en développement. En fait, c'est la vente de médicaments brevetés dans les pays riches qui rapporte la grande majorité des profits réalisés et qui motive la décision des entreprises d'investir en recherche et développement.

Nous avons aussi entendu d'autres arguments — que vous avez aussi entendus — selon lesquels la solution repose sur un programme volontaire de dons par les entreprises pharmaceutiques et comme quoi la loi proposée ne serait pas conforme aux règles de l'OMC. Nous avons lu les déclarations de tous les témoins qui ont comparu devant ce comité, et nous avons aussi entendu l'avis d'autres personnes. Nous sommes convaincues que ce projet de loi respecte toutes les exigences légales nécessaires en ce qui a trait à l'OMC.

Selon nous, le principal argument en faveur du projet de loi S-232 se trouve dans la réponse à cette simple question : en quoi l'expérience d'une Canadienne atteinte du VIH-sida est-elle différente de celle des grands-mères et des enfants dont vous venez d'entendre le récit? Ce n'est pas la cause de son infection : le VIH existe malheureusement au Canada, et il se propage toujours, comme en Afrique. Ce n'est pas la progression de sa maladie, le sida, puisque cette maladie se développe parfois rapidement et parfois au bout de plusieurs années chez toute personne infectée par le VIH.

La différence vient du traitement qu'elle reçoit. Certaines des femmes que nous connaissons et dont le sort nous tient à cœur ont obtenu des soins et des médicaments qui leur ont sauvé la vie, mais beaucoup d'entre elles sont mortes ou vont bientôt mourir faute de médicaments à coût abordable. Les Canadiens survivent; nos sœurs africaines sont condamnées à mort.

Maintenant, les grands-mères et les grands-parents d'adoption de l'ensemble du pays veulent que le Canada fasse ce qui convient le mieux pour eux. Nous sommes bouleversés, voire indignés, que le Canada n'ait pas été en mesure d'aller de l'avant avec la promesse initiale du RCAM — des drogues utilisées à des fins humanitaires internationales. Cette loi a été appuyée par tous les partis et adoptée à l'unanimité il y a cinq ans. Nous savons que la grande majorité de la population canadienne est d'accord avec nous. Nous sommes heureux que le Sénat du Canada ait pris l'initiative de demander que soient apportées, par le biais du projet de loi S-232, les modifications qui nous aideront à tenir la promesse que nous avons faite à l'Afrique et au reste du monde en développement. Nous espérons que les sénateurs canadiens prendront la bonne décision. C'est avec plaisir que nous répondrons aux questions.

Le président : Merci, madame Sandeman, pour votre exposé éloquent.

Le sénateur Massicotte : Merci de votre exposé aujourd'hui. Meilleure est notre compréhension du problème, meilleures sont nos chances de vous aider et d'appuyer la loi proposée. Nous sommes tous conscients ici aujourd'hui du besoin de trouver une solution au problème. Il n'y a aucun débat à ce sujet. Nous sommes tous compréhensifs. Nous habitons tous dans le même monde, et nous devons, dans la mesure du possible, nous aider les uns les autres. Parallèlement, nous voulons nous assurer d'apporter une solution au problème et de ne pas revenir cinq ans en arrière : Nous pensions l'avoir résolu, mais nous n'avons été d'aucune aide.

Nous essayons de comprendre le problème. Nous savons qu'il y a un projet de loi et que certaines personnes sont intimement persuadées qu'il s'agit de la solution. Nous avons besoin de plus amples détails. Certaines personnes se demandent, lorsque deux envois quittent le Canada, pourquoi n'y en a-t-il pas 20 ou 30 autres qui sont effectués ailleurs. Il doit exister au moins 50 pays dans le monde qui produisent des médicaments génériques et qui ont la capacité de s'attaquer à ce problème. L'OMC a adopté une résolution, à l'effet que, avec la compréhension de la communauté internationale, les médicaments génériques doivent être rendus disponibles pour les pays d'Afrique.

Pourquoi aucun pays n'a fourni une aide appréciable à ces pays? Le Brésil semble avoir agi quelque peu en vertu de son ancienne loi, à ma connaissance, mais en vertu des nouvelles. De toute évidence, ces autres pays n'ont pas les mêmes problèmes que nous avec la loi existante, que nous essayons de modifier. Il doit exister quelque chose d'autre lié à la résolution de leurs problèmes. De quoi s'agit-il et que devons-nous faire pour trouver la bonne solution pour réellement régler le problème?

Mme Sandeman : Je crois que vous avez entendu la réponse de certains experts à cet égard. Nous comprenons que, oui, il y a des médicaments génériques disponibles. Le RCAM touche les médicaments qui font actuellement l'objet d'un brevet. Les décisions de l'OMC ont rendu possible l'approvisionnement en médicaments qui font actuellement l'objet d'un brevet en permettant qu'on en fasse des médicaments génériques. Cependant, de nombreux pays tentent toujours de rédiger des lois qui respectent cette décision. Le Canada était le premier, à ma connaissance, et les autres pays nous regardent.

Nous n'avons pas encore atteint notre objectif; ils luttent toujours avec cela. Certaines des raisons qui expliquent le peu d'utilisation, comme vous l'ont laissé entendre d'autres témoins, c'est qu'il s'agit d'une loi complexe. Lorsque Médecins Sans Frontières et Apotex, travaillant de concert sur l'Apo TriAvir, qui est un médicament combiné, ont tenté d'encourager les pays à s'y intéresser, ils ont finalement réussi avec le Rwanda. Cependant, sept autres pays, incluant la Tanzanie et le Ghana, ont répondu qu'ils ne pouvaient pas se lancer là-dedans. Je crois qu'un représentant de la Tanzanie était au Canada et a prononcé un discours à cet effet, en disant qu'il ne pouvait utiliser notre loi. Je crois que la loi canadienne est définitivement un obstacle.

Une autre facette de ce problème c'est qu'il y avait des médicaments génériques disponibles de l'Inde. Cependant, avec l'adoption de la Loi sur les brevets rendue obligatoire par les règles de l'OMC en 2005, l'approvisionnement en médicaments génériques à partir de l'Inde est appelé à tarir. Par conséquent, il est encore plus important que nous ayons une loi qui facilite l'accès aux médicaments génériques pour les médicaments qui font actuellement l'objet d'un brevet. Je ne suis pas certaine que ça répond à votre question.

Le sénateur Massicotte : Si 50 pays produisent des médicaments génériques, je suppose qu'ils sont près de 50 à vouloir régler le problème. Pourquoi les 49 autres pays n'en sont-ils pas au même point que nous? Ça ne peut pas seulement être attribuable aux obstacles législatifs. Il doit y avoir quelque chose encore plus important du côté de la demande; peut-être est-ce du côté du pays. J'essaie de comprendre le problème.

Linda Watson, représentante des Prairies, Équipe de direction, Comité national de défense des intérêts, Campagne des grands-mères : Je crois qu'il y a eu des répercussions sur les pays en développement qui ont utilisé les dispositions de la loi par le passé. En Thaïlande, Abbott Pharmaceuticals et le gouvernement américain ont imposé des sanctions, et d'autres choses, lorsqu'ils ont essayé de se prévaloir de ces alternatives. C'est probablement une partie de la raison pour laquelle, des huit pays qui étudiaient la possibilité de faire affaires avec le Canada, sept ont décliné l'invitation.

Ces histoires sont inquiétantes — c'est-à-dire le fait que cette pratique pourrait avoir lieu tout court. Je n'ai pas en ma possession la documentation à ce sujet, mais nous pourrions vous la fournir si vous ne l'avez pas. Je crois que c'est là un élément.

De plus, dans les pays développés, les fabricants de médicaments de marque se montrent réticents à laisser aller la situation. Je crois que c'est un facteur dans certains de ces autres pays. En conséquence, rien ne s'est produit. Nous avons vu l'adoption d'une loi historique. Nous avons vu la première commande, la première application de cette loi et la première occasion de voir où il y aurait lieu, peut-être, d'apporter des modifications.

Le président : Avant de donner la parole à la vice-présidente, le sénateur Hervieux-Payette, j'aimerais savoir si vous avez eu l'occasion de faire valoir votre point de vue devant des comités similaires. En 2007, la Chambre des communes a examiné le RCAM.

Mme Watson : Nous n'y avons pas pris part.

Mme Wallace-Deering : Nous étions au courant de l'examen et nous avons fait une demande, mais je crois que notre mouvement était trop récent pour qu'on nous invite.

Le président : Nous sommes heureux de vous avoir invitées.

Le sénateur Hervieux-Payette : Comme je suis la grand-mère officielle du comité — je me suis qualifiée à plusieurs reprises —, ma question est pragmatique. Nous sommes aux prises avec des problèmes humanitaires. Pourquoi les médicaments génériques seraient-ils la solution plutôt que les médicaments officiels, si ce n'est pas une question de prix? J'aimerais que vous me disiez quelle serait votre opinion si le prix était abordable, que le médicament vienne d'une entreprise pharmaceutique ou d'un fabricant de produits génériques.

Au cours de cette séance, j'ai appris que les médicaments sont plus coûteux et que les génériques au Canada le sont moins, mais qu'il existe des génériques dans d'autres pays qui sont encore moins coûteux. Comment pouvons-nous utiliser l'argent que nous voulons dépenser? En tant que pays, devons-nous créer des emplois ou sauver la vie des gens?

Mme Watson : Je ne crois pas que c'est le choix qui s'impose. D'abord, les compagnies qui fabriquent des génériques au pays emploient 11 000 personnes. Elles font de la recherche et du développement; elles font don de médicaments; elles sont très actives. De ce fait, si les fabricants de produits génériques canadiens sont prospères, cela profite aux Canadiens. Évidemment, cela profite également aux fabricants de produits de marque si les choses passent par les génériques, parce qu'ils obtiennent des redevances.

Ne perdons pas de vue l'objectif. À l'origine, cette loi a reçu le soutien unanime des deux chambres, en partant du principe humanitaire que des vies étaient perdues dans notre monde en raison d'un manque de médicaments adéquats. Nous avons la capacité de produire les médicaments par l'entremise des fabricants de produits de marque, par l'entremise des fabricants de produits génériques. Faisons-le. C'est la bonne chose à faire. Nous pouvons le faire.

J'ai été impressionnée par certains des résultats des études menées dans diverses régions du monde. Par exemple, en septembre dernier le Royaume-Uni a publié un rapport parlementaire sur le sida signé par tous les partis. Selon eux, le facteur le plus important qui a permis de réduire les coûts a été la production générique. La concurrence accroît les mesures d'incitation pour que les fournisseurs trouvent des façons de réduire les coûts.

La première question concernant l'accès au traitement doit concerner le service offert et l'accessibilité économique. En raison de la concurrence des génériques, le coût des antirétroviraux par personne par année dans les pays en développement est passé de 10 400 $ par personne par année en 2001 à 88 $ en 2008. On parle de médicaments de première ligne.

Le problème qui se pose déjà, et qui réapparaîtra et qui entraînera une seconde série de problèmes, c'est que des personnes développent une résistance aux médicaments de première ligne. Les médicaments de seconde ligne les moins chers qui sont offerts actuellement, par l'entremise des fabricants de produits génériques, coûtent 597 $ par personne par année, soit sept fois le coût des médicaments de première ligne. Les produits de marque — les mêmes produits biochimiques de base offerts par les fabricants de produits de marque — coûteraient 17 fois plus que ce que les fabricants de produits génériques sont en mesure de fournir en ce moment.

C'est un principe de base d'une économie de marché : la concurrence fait baisser les prix. Dans ce cas, cette concurrence ne signifie pas simplement qu'on obtient des chaussures en cuir breveté moins chères, mais que des vies sont sauvées. Nous vous demandons de garder à l'esprit cet objectif ou ce but à mesure que vous suivez le processus qui vous attend encore — la question consiste à sauver des vies.

Si nous pouvions recouvrir l'Afrique subsaharienne d'antirétroviraux, nous le ferions. Nous en transporterions dans nos fourre-tout. Nous les apporterions là-bas par tous les moyens possibles.

Les génériques contribueront à ce que ça arrive. Il en résultera que beaucoup d'autres personnes seront traitées; que beaucoup d'autres personnes auront la chance de vivre; que beaucoup d'autres personnes pourront élever leurs propres enfants; que beaucoup d'autres enfants auront la chance de vivre au-delà de l'âge de cinq ans.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les entreprises pharmaceutiques craignent qu'il y ait un marché noir et de la contrebande. Elles croient que les gens profiteraient du système et que les médicaments, en fait, n'iraient pas à la clientèle. Elles disent que certaines personnes échangeraient les produits pour leur propre bénéfice.

Quel serait un réseau de distribution sécuritaire qui pourrait garantir que le bas prix initial ira à la bonne personne de la bonne manière?

Mme Sandeman : Il est de plus en plus clair que les ONG — Médecins Sans frontières, UNICEF, et cetera — sont les moteurs de l'achat de médicaments dans les pays en développement. Elles travaillent avec les gouvernements de ces pays. Leurs systèmes de contrôle sont très sévères.

Les pays cherchent désespérément à sauver leur population. Ces pays eux-mêmes, peu importe les difficultés — le terme « corruption » flotte dans l'air autour de nous —, ont des mesures d'incitation si fortes pour améliorer la santé de leur peuple, dans tous les sens possibles, que les médicaments antirétroviraux sont moins susceptibles d'être revendus aux pays développés que pratiquement n'importe quoi d'autre.

Les protections qui existent dans la loi pour les génériques sont clairement énoncées. Aucun changement à la loi initiale n'a été apporté dans le projet de loi que vous avez entre les mains. Il y a des protections claires contre le détournement de médicaments. Dans ce monde, personne ne peut promettre — on ne le peut jamais — qu'aucune activité criminelle aura lieu. Bon nombre de médicaments sont déjà distribués dans les pays en développement, et le détournement ne semble pas être un problème avec ce genre de médicaments.

Selon moi, et je le pense des personnes ici présentes, il y a peut-être un petit risque. Nous sommes réalistes. Il y a toujours un risque d'activités criminelles. Marchez dans la rue et quelqu'un peut voler votre sac à main. Cela ne vous empêche pas de marcher dans la rue.

Certains risques, lorsqu'on les compare aux avantages, sont si petits que nous sommes obligés de reconnaître que la vie est une affaire risquée. Nous devons être prêts à prendre certains de ces très petits risques pour un avantage humanitaire considérable.

Le sénateur Hervieux-Payette : Les grands-mères d'Afrique et les grands-mères du Canada font-elles la promotion de moyens de prévention différents? Nous devons éduquer les gens afin qu'ils réduisent les taux d'infection, de façon que le nombre de cas diminue et que moins de pression soit mise sur ces pays. Une fois que nous avons fourni les médicaments aux personnes infectées, nous ne voulons pas voir le nombre de patients augmenter de manière exponentielle au fil des années.

Marilyn Coolen, représentante de l'Atlantique, Équipe de direction, Comité national de défense des intérêts, Campagne des grands-mères : Les grands-mères d'Afrique ne veulent pas le voir non plus. L'un de leurs plus grands objectifs, c'est que leurs petits-enfants soient éduqués. C'est un processus très difficile en soi pour elles. Elles essaient certainement de faire de l'éducation et de mettre fin à cette pandémie à sa base en collaborant à de nombreux projets, en travaillant dans des cliniques, et cetera.

Malheureusement, le problème est répandu. C'est une pandémie. Il faudra une autre génération pour commencer à réduire les chiffres. C'est pourquoi il s'agit d'une question humanitaire. Il est important de prendre conscience qu'un petit risque en vaut la peine en raison de l'énorme avantage qu'il est possible d'en retirer. Comme quelqu'un l'a suggéré plus tôt, pourquoi la vie d'un enfant africain vaudrait moins que la vie d'un enfant canadien?

Le sénateur Harb : Merci de votre excellent exposé. Nous avons entendu deux choses de votre part aujourd'hui.

La première, c'est que le Canada a abandonné l'Afrique parce que nous avons fait une promesse que nous n'avons pas tenue. Nous avons présenté une loi et l'avons soumise à l'industrie, mais cela n'a pas fonctionné. Je crois, dans l'ensemble, que beaucoup d'entre nous sont d'accord avec vous à ce sujet. Je ne vais pas vous poser de questions là-dessus.

La seconde, c'est que certains d'entre vous ont des connaissances dans le domaine des obligations découlant du projet de loi. Je suppose que vous avez eu l'occasion de lire le projet de loi. Lorsque nous rédigeons des projets de loi et que nous les adoptons, nous devons nous assurer qu'ils réussissent le test sur le plan de nos obligations tant à l'international au sein de l'OMC qu'au pays pour ce qui est nos lois, comme la Loi sur les brevets. Le Canada a des obligations.

Vous avez déjà dit que vous appuyez le projet de loi et nous comprenons cela. Selon vous, y a-t-il des aspects du projet de loi qui ne réussissent peut-être pas le test au sein de l'OMC ou par rapport à la Loi sur les brevets?

Mme Watson : Nous ne sommes pas avocates, encore moins avocates spécialisées en propriété intellectuelle. Vous avez déjà accueilli des avocats spécialisés en propriété intellectuelle à votre comité. Aucun d'entre eux ne vous a encore dit que le projet de loi, tel qu'il est rédigé, n'est pas conforme à l'OMC.

Nous savons que le Réseau juridique canadien VIH-sida a présenté un document de 45 pages qui constitue un avis juridique. Dans le document, on décompose chaque détail des amendements proposés et on les compare à la déclaration de Doha, à l'ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), à la décision du 13 août, et cetera. Dans tous les cas, on a été clair : les amendements sont conformes à l'OMC. Je crois que le directeur exécutif du réseau juridique a comparu plus tôt et vous a laissé quelque chose d'autre à examiner. Il a créé un tableau dans lequel figure les questions choisies et qui montre comment chacune s'intègre dans les diverses clauses, les différents paragraphes, et cetera.

Tout ce que nous avons vu nous convainc qu'il n'y a aucun doute au sujet de la conformité.

Je comprends qu'il est possible qu'avant la fin de la semaine, un expert juridique de l'OMC donne un avis au comité pour confirmer cela. Cette question est réglée, en ce qui nous concerne. Nous avons la documentation, laquelle est très convaincante.

Le sénateur Harb : C'est très important. Nous espérons que l'avis sera communiqué aux membres du comité.

Vous avez dit qu'il vous importait peu que les médicaments soient génériques ou non génériques, pour autant que le produit soit livré entre les mains de ceux qui en ont besoin, afin que des vies puissent être sauvées. Je ne vous ai pas entendu dire qu'on manquait d'argent. Il y a des fondations, des gouvernements et des engagements. Le Canada a pris un engagement financier, mais il ne peut pas dépenser l'argent parce qu'il n'y a aucun mécanisme en place lui permettant de le faire. Nous pourrions encourager les entreprises canadiennes à fabriquer les produits et à les envoyer en Afrique, mais le système ne fonctionne pas ainsi. L'argent n'est pas la question; ce sont la volonté et le mécanisme pour le faire qui posent problèmes. Vous avez dit que d'autres pays surveillent l'adoption d'une loi canadienne qui portera ses fruits, afin qu'ils puissent reproduire le même système.

Si jamais un fabricant de produits de marque, qui a investi des milliards de dollars en recherche et développement pour fabriquer un produit, affirmait que le projet de loi le dérangeait, que diriez-vous à ce fabricant? Seriez-vous prêtes à discuter de propositions visant à amender le projet de loi pour qu'il fonctionne, ou lui diriez-vous, en dépit de vos préoccupations concernant la Loi sur les brevets, que vous voudriez qu'il soit adopté de toute façon?

Mme Watson : La dernière réponse, sans hésiter.

Mme Sandeman : Je lui dirais que ses arguments me convaincraient davantage s'il pouvait produire et s'il produisait les médicaments dont on a besoin, en particulier les formulations pédiatriques, au même prix que les fabricants de produits génériques les produisent.

Je crois que le facteur décisif, c'est le coût. Je ne crois pas que ce soit tout à fait vrai qu'il y a de l'argent disponible qui ne peut être dépensé. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est nettement sous-financé. C'est généralement à ce moment de l'année que les engagements à l'égard de ce fonds sont pris. Le fonds peine présentement à déterminer lesquels des besoins criants mis en avant par les pays devront être négligés. Il n'y a tout simplement pas assez d'argent disponible pour les médicaments génériques, encore moins pour les médicaments de marque déposée.

Un autre avantage de leur fournir des médicaments génériques abordables est que l'argent — que je donne, en tant que contribuable, au fonds mondial par l'entremise du gouvernement du Canada — permet de faire plus. Si de l'argent était dépensé pour l'achat d'un médicament de marque coûteux, il pourrait sauver la vie d'une personne, mais si le même argent servait à acheter un médicament générique multiformule abordable, il pourrait faire bien davantage.

Je suis peut-être un peu naïve, mais je ne saisis pas pourquoi les fabricants de médicaments de marque avancent un si grand nombre d'arguments voulant que certaines dispositions du projet de loi ne soient pas conformes à divers autres textes législatifs.

Le sénateur Harb : Nous n'avons pas entendu parler d'eux. Je ne fais qu'émettre des hypothèses. Je suis ingénieur de formation. Si je travaille 18 heures pour concevoir un produit et le fabriquer, je voudrai protéger ce produit. Comme vous le savez sans doute, les fabricants de médicaments de marque investissent beaucoup d'argent dans leur réalisation et ils espèrent la même chose en retour.

Le président : N'avons-nous pas entendu des témoignages voulant que l'on se soit mis d'accord, dans une large mesure, sur les redevances, et que personne n'y voyait d'inconvénient majeur d'un côté comme de l'autre? Comme vous l'avez dit plus tôt, c'est le système de distribution qui est le problème. Nous le savons parce qu'on nous a présenté un grand nombre de raisons qui l'expliquent. Peut-être devrions-nous nous attaquer au problème.

Le sénateur Harb : Comme l'a dit le président, c'était un problème dans le passé. Le gouvernement et les fabricants de médicaments génériques devraient-ils en discuter? Autrement, d'après ce que j'entends, vous le ferez de toute façon. Si on devait déterminer que le projet de loi n'est pas conforme aux règles de l'OMC, les compagnies auraient le droit de poursuivre le gouvernement en vertu des lois internationales, ce qui retarderait encore davantage la distribution des médicaments à ceux qui en ont besoin.

Mme Coolen : Il est fort peu probable que le gouvernement serait poursuivi en justice. Nous n'avons rien vu qui donnerait à penser qu'on en viendrait à cette solution extrême. En tout cas, notre point de vue est le suivant : peu importe ce qu'il faut faire pour que les médicaments soient envoyés en Afrique subsaharienne, faites-le. C'est la bonne chose à faire. Nous devons revenir à l'intention initiale derrière le RCAM qui a été voté par les deux Chambres et nous y tenir.

Le président : C'est décourageant parce que nous étions parvenus à un bel accord entre les divers partis politiques dans les deux Chambres. Mais même avec les meilleures intentions du monde, cela n'a pas marché.

De toute évidence, cela vous tient vraiment à cœur. À qui avez-vous parlé? Je ne veux pas que vous me révéliez des secrets commerciaux, mais avez-vous parlé à des représentants des fabricants de médicaments de marque et de médicaments génériques?

Mme Sandeman : C'est sur notre liste.

Le président : Nous sommes les premiers.

Mme Sandeman : Nous avons parlé à beaucoup de personnes, et certains des sénateurs ici présents ont eu la gentillesse de nous accueillir dans leur bureau. Nous avons parlé à des députés, à des membres du Réseau juridique canadien VIH-sida et nous avons entendu des représentants de MSF. Vous savez sans doute qu'il y a des réseaux de personnes concernées par le problème du sida dans le monde. Nous faisons partie de ces réseaux et nous parlons à tous ces gens.

Les sociétés pharmaceutiques fabriquant des produits de marque ne semblent pas faire partie du réseau. Il nous faut l'élargir. Nous parlerons à ces gens s'ils veulent nous rencontrer.

Le président : Parfait. Ne partez pas trop vite. Je vous remercie grandement d'avoir été ici aujourd'hui. Vous avez été des plus utiles pour les travaux du comité.

Nous allons maintenant accueillir le groupe de témoins suivants pour notre séance. De toute évidence, vous avez soulevé beaucoup d'intérêt. Votre présence ici est appréciée.

[Français]

Nous sommes maintenant prêts à écouter les représentants de GlaxoSmithKline, de Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée et des Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada sur le projet de loi S-232.

[Traduction]

En 2007, le commissaire aux brevets a émis une licence obligatoire en vertu du RCAM pour les brevets détenus par GlaxoSmithKline et Boehringer Ingelheim. Cette licence a permis à Apotex d'exporter le médicament Apo TriAvir au Rwanda. Les deux entreprises ont l'expérience du régime du point de vue de détenteurs de brevets et elles peuvent donc nous informer des points forts et des points faibles du RCAM et des améliorations qu'il est possible d'y apporter.

Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada détiennent un certain nombre de brevets pharmaceutiques qui pourraient avoir une incidence sur le projet de loi S-232. Nous sommes donc heureux d'entendre leur point de vue sur le projet de loi et sur ses répercussions possibles pour elles s'il était promulgué.

Nous avons avec nous aujourd'hui M. Russell Williams, président des Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada; M. Richard Dearden, associé de la société d'avocats Gowling, Lafleur, Henderson; M. Paul Lucas, président et chef de la direction de GlaxoSmithKline; et M. Uwe Looper, directeur des brevets à la société Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée.

Messieurs, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui. M. Williams va faire une déclaration. Veuillez commencer.

[Français]

Russell Williams, président, Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada : Monsieur le président, mes collègues et moi sommes heureux d'être ici aujourd'hui pour discuter du projet de loi S-232.

Permettez-moi d'abord de préciser que notre association et nos compagnies appuient le Régime canadien d'accès aux médicaments.

[Traduction]

Nous croyons que c'est là une réponse utile au défi de fournir des médicaments indispensables aux habitants des pays en développement. Le RCAM doit être placé dans le contexte approprié, compte tenu des nombreux autres partenariats, innovations et initiatives visant l'accès accru aux médicaments dans les pays en développement. De plus, nous accueillons avec plaisir l'occasion qui nous est donnée de participer à la discussion parce qu'il s'agit d'aider les personnes qui en ont besoin. Nous croyons fermement qu'en nous engageant dans ce débat, nous pourrons contribuer au progrès et à l'innovation pour ce qui est de procurer des médicaments aux personnes qui en ont besoin.

[Français]

Je voudrais dire que le régime est inutile pour combattre la maladie dans les pays en développement.

[Traduction]

Au cours des 17 dernières années, nos compagnies membres au Canada ont participé à Partenaires pour la santé internationale. Nous avons volontairement donné pour plus de 225 millions de dollars de produits. Partenaires pour la santé internationale s'assure que les produits vont aux bonnes personnes et de la bonne façon. À l'échelle mondiale depuis 2000 — et nous sommes des compagnies internationales —, nos sociétés pharmaceutiques innovatrices ont donné plus de 9,2 milliards de dollars américains pour procurer de meilleurs services de santé à plus de deux milliards de personnes.

Je vous donne ces chiffres parce que nous sommes fiers de ce que nous avons fait, bien que beaucoup plus reste à faire. Une certaine partie de ce travail commence à donner des résultats. Un rapport récent de l'Organisation mondiale de la santé a permis de constater que plus de quatre millions d'adultes et d'enfants ont reçu la thérapie antirétrovirale dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire en 2008, ce qui représente un chiffre dix fois plus élevé qu'il y a cinq ans. L'augmentation la plus forte a été constatée dans l'Afrique subsaharienne, où les besoins sont les plus grands. Des gains similaires ont été réalisés en ce qui a trait à la fourniture de médicaments à des femmes enceintes pour prévenir la transmission du sida à leurs enfants.

Pour ce qui est du processus du RCAM et des changements proposés à ce régime dans le projet de loi S-232, j'aimerais d'abord parler de la question des brevets, de façon générale et de façon spécifique, dans le cas du Rwanda. Ce cas est très important, comme vous pourrez le constater ici, parce que c'est la seule fois que les règles du RCAM ont été suivies. De fait, il s'agit du seul exemple d'un pays membre de l'OMC qui a mis en œuvre un texte législatif semblable.

Vous avez probablement entendu dire que le RCAM est un processus extrêmement complexe. Vous avez probablement entendu aussi que le seul moyen de s'en sortir est de renverser le processus du RCAM d'adopter la prétendue solution de la licence unique. Cela permettrait un accès ouvert aux brevets : durée illimitée, volume illimité de produits et aucune information à savoir si un pays a demandé ou non un médicament en particulier. Ces prétentions et ces solutions ne sont pas corroborées par les faits.

Deux mois environ après la demande d'aide du Rwanda durant l'été 2007, le gouvernement fédéral a accordé à Apotex des autorisations visant la propriété intellectuelle de nos trois compagnies membres : GSK, Boehringer Ingelheim et Shire. Le temps qu'il a fallu pour le déroulement du processus complet, du début à la fin, a été de 68 jours. À l'approche de l'automne, Apotex a demandé au gouvernement fédéral de prolonger de deux ans l'autorisation initiale d'une durée de deux ans. La demande a été faite le 10 septembre. La prolongation a été accordée le 17 septembre. Il a fallu sept jours pour l'obtenir.

Il s'est écoulé 27 mois depuis la demande du Rwanda. Pendant cette période, environ 2,5 mois concernaient le RCAM. En nous fondant sur ces données, nous nous permettons respectueusement de contredire l'affirmation voulant que les mécanismes du RCAM sont difficiles à utiliser et donnent lieu à des retards significatifs.

Outre ces faits, les trois membres de R-D concernés ont pris une autre mesure importante pour poursuivre notre engagement et le travail important que nous accomplissons. Le 19 octobre, ils ont annoncé qu'ils s'engageaient à aller de l'avant afin de permettre à Apotex d'obtenir l'autorisation de poursuivre pour deux ans encore ses activités sans devoir payer de redevances. Je crois qu'il s'agit là d'une prise de position claire qui montre notre appui des principes du RCAM.

Quant aux brevets, ils jouent un rôle important et indubitable quand il s'agit de rendre les médicaments disponibles. Sans brevets, on ne peut pas découvrir de nouveaux médicaments. L'OMS a désigné 319 médicaments comme étant essentiels à la santé humaine dans les pays en développement. Plus de 90 p. 100 de ces médicaments ne sont pas couverts par des brevets et, par conséquent, peuvent être produits sous forme de génériques.

Les 10 p. 100 restants, grâce au leadership de nos compagnies, ont été rendus disponibles dans tout le réseau. Nous améliorons la circulation des médicaments par l'application de prix différenciés, de dons et d'accords de licence générale.

Comme vous le savez, le RCAM a mis en œuvre la décision de 2003 du Conseil général de l'OMC de créer un régime de licence obligatoire pour les produits pharmaceutiques destinés à l'exportation vers les pays admissibles, sous réserve de conditions obligatoires.

Le projet de loi S-232 élimine toute référence à l'accord sur les ADPIC et à la décision du Conseil général. Selon les dispositions du projet de loi, le régime de licence obligatoire proposé est en contradiction directe avec les obligations du Canada en vertu des traités internationaux qu'il a signés.

[Français]

Je voudrais discuter de quatre dispositions majeures dont il est question dans la loi.

[Traduction]

Premièrement, l'obligation actuelle de demander une licence volontaire en vertu du RCAM serait révoquée. Deuxièmement, la notification des pays et les limites sur les quantités de produits existant actuellement seraient supprimées. Troisièmement, le projet de loi ne contient aucune disposition permettant l'annulation d'une licence quand les circonstances de sa délivrance n'existent plus. Quatrièmement, le projet de loi dont vous êtes saisi abrogerait unilatéralement les obligations du Canada en matière de droit commercial international et mettrait en question la conformité aux obligations découlant des traités signés par le pays, ce dont M. Dearden parlera plus tard.

[Français]

Je voudrais également mentionner trois autres sujets, soit les questions de l'innocuité, des limites de prix et de détournement.

[Traduction]

La sûreté des produits, les limites de prix et la capacité sont quelques-uns des éléments qui contribuent à l'équilibre que l'on trouve dans le RCAM actuel. Ces éléments ont été placés là expressément par le Parlement et le projet de loi à l'étude n'en tiendrait pas compte de manière appropriée.

L'une de mes plus grandes préoccupations est que le projet de loi S-232 permettrait que des médicaments canadiens soient exportés vers les pays en développement sans le sceau d'approbation de Santé Canada. Concrètement, cela créerait une situation où il y a deux poids, deux mesures. Nous aurions des normes pour les médicaments offerts aux Canadiens et une norme différente pour ceux qui sont envoyés dans les pays en développement. Les fabricants de médicaments génériques sont d'accord avec nous sur ce point et ils s'opposent également à cet aspect du projet de loi.

Notre autre préoccupation a trait au potentiel de détournement. Certains témoins ont affirmé que le détournement est un faux problème, mais c'est évident qu'il s'agit d'un problème grave. L'OMS a fait savoir qu'un médicament sur quatre dans les pays en développement est contrefait.

[Français]

Toutes les questions de contrefaçon sont de plus en plus une préoccupation de nos compagnies et, les membres de nos compagnies pourront en discuter plus tard.

[Traduction]

Nous devons nous assurer que, comme l'a demandé instamment le secrétaire général des Nations Unies, des mesures soient prises collectivement par les pays pour empêcher que des gens soient victimes de ce commerce insidieux et illicite des médicaments contrefaits. Le projet de loi S-232 rendrait nébuleux les dispositifs de protection actuels du RCAM qui empêchent les détournements vers le marché noir. Nous voudrions savoir, en particulier, dans quel but on retirerait la possibilité de mettre fin à une licence si un produit destiné à des fins humanitaires était réexporté par le pays auquel il avait été envoyé à l'origine. C'est là une question fondamentale.

Nous voulons travailler en collaboration. Nos entreprises veulent établir les partenariats et lancer les initiatives dont j'ai parlé. Nous travaillons activement pour mettre en place des projets partout dans le monde et participer à ceux qui existent déjà. Nous croyons que le RCAM est l'un des outils qui peuvent nous permettre d'y parvenir. Nous sommes fiers de notre engagement, mais nous croyons qu'il y a encore à faire. Nous ne pensons pas, à l'heure actuelle, que le projet de loi S-232 est la réponse aux préoccupations qui ont été soulevées par les pays en développement.

Paul Lucas, président et chef de la direction, GlaxoSmithKline Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui pour parler de l'expérience de GlaxoSmithKline en ce qui a trait au Régime canadien d'accès aux médicaments, et des efforts soutenus déployés par notre entreprise pour améliorer l'accès aux soins de santé dans les pays en développement. J'aimerais également vous expliquer pourquoi les modifications proposées à la loi devraient tous nous préoccuper, tant au Canada que dans le reste de la communauté internationale.

J'aimerais soulever trois points. Premièrement, le RCAM, lorsqu'on l'utilise, est efficace et permet d'atteindre les objectifs prévus. Deuxièmement, l'envoi de médicaments n'est qu'un des éléments essentiels dont il faut tenir compte pour régler la question des soins de santé dans les pays en développement. Troisièmement, GSK s'est engagé à se pencher sur ces questions et a pris des mesures en conséquence.

[Français]

Selon notre expérience, le régime permet au Canada de concilier deux objectifs clés : remplir ses obligations internationales et améliorer l'accès aux médicaments pour les pays en voie de développement.

[Traduction]

La chronologie des événements que je veux vous présenter est importante. Elle démontre qu'il ne s'est écoulé que 68 jours entre le moment où Apotex a présenté la demande à GSK et celui où Apotex a obtenu l'autorisation de commencer à exporter la zidovudine et la lamivudine. Laissez-moi vous expliquer.

Vous vous rappellerez que le projet de loi C-9 est entré en vigueur en mai 2005, devenant la Loi de l'engagement de Jean Chrétien envers l'Afrique, maintenant connue sous le nom de RCAM. Près d'une année complète s'est écoulée avant qu'Apotex s'adresse à GSK et à deux autres titulaires de brevets pour obtenir une licence volontaire. GSK a répondu rapidement, ce qui indique que nous étions prêts à discuter de l'octroi d'une licence. Nous avons demandé des précisions sur les mesures anti-détournement et la sécurité des patients — deux enjeux très concrets. À l'époque, Apotex n'a pas répondu à notre demande d'information.

Quatorze mois plus tard, GSK a reçu une autre demande d'Apotex pour l'octroi d'une licence volontaire. En l'espace de 26 jours, nous avons donné notre approbation au commissaire aux brevets pour qu'une autorisation soit accordée en vertu du RCAM. Finalement, il s'est écoulé une autre année avant le premier envoi par Apotex, de Toronto au Rwanda, de traitements de trithérapie contre le VIH-sida.

Apotex a attendu plus d'un an avant de commencer à envoyer son médicament générique au Rwanda. Ce n'était pas à cause de formalités administratives ou d'un processus long et complexe, mais bien pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le processus administratif et juridique et qui ne relèvent pas de GSK.

[Français]

Notre expérience prouve que le régime peut fonctionner lorsqu'il est mis à l'épreuve. Tout récemment, mon entreprise est même allée plus loin en affirmant qu'elle voulait continuer à travailler de manière constructive pour que les objectifs du Canada soient atteints.

[Traduction]

Il ne faut pas oublier les besoins des patients dans les pays en développement. Mais il ne faut pas non plus utiliser le RCAM comme prétexte pour relancer le débat sur la propriété intellectuelle au Canada, car on ne ferait ainsi qu'augmenter l'instabilité et passer à côté d'investissements cruciaux dont notre pays a besoin.

Permettez-moi de mentionner une autre chose que le RCAM a permis à GSK de faire. C'est bien de fournir des médicaments, que ce soit des médicaments de marque ou des médicaments génériques, mais ça ne permet pas de régler les problèmes que connaissent les pays en développement, comme l'insalubrité, les lacunes dans le système d'éducation, les infrastructures insuffisantes et le détournement des médicaments, qui ne se rendent alors pas aux patients visés.

GSK a adopté depuis longtemps une approche innovatrice, responsable et durable pour améliorer la santé des patients dans les pays en développement. En collaboration avec les gouvernements, les ONG et le secteur privé, GSK a entre autres délibérément concentré ses efforts de recherche et de développement sur les maladies qui touchent les pays en développement, comme le VIH, la tuberculose et le paludisme, elle a cherché à éliminer de nombreuses maladies, comme la filariose lymphatique, l'une des maladies les plus invalidantes qui soient, et elle a toujours vendu à des prix préférentiels les antirétroviraux et les vaccins.

Mais ces gestes d'engagement ne sont pas suffisants. Nous avons cessé de nous dire : « Ce n'est pas notre faute s'il n'y a aucune infrastructure pour fournir des soins de santé », et nous avons commencé à nous demander : « Que pourrions-nous faire pour qu'il y ait une infrastructure? »

Nous avons donc lancé plusieurs initiatives pour continuer à nous attaquer à ces questions fondamentales et promouvoir de façon convaincante le rôle de leadership de GSK. Plus particulièrement, nous avons récemment commencé à lever l'exclusivité sur notre propriété intellectuelle dans le cas des maladies tropicales négligées en établissant une communauté de brevets et en invitant d'autres sociétés à se joindre à nous. Nous avons aussi accueilli d'autres chercheurs dans notre centre de recherche consacré aux maladies qui touchent les pays en développement. Enfin, nous avons réduit le prix des médicaments brevetés offerts dans les pays les moins développés afin qu'il ne leur en coûte pas plus de 25 p. 100 du prix que paient les pays développés, et nous nous sommes engagés à réinvestir dans des projets locaux d'infrastructure de soins de santé 20 p. 100 des profits générés par les médicaments dans ces pays.

Pour conclure, nous avons démontré que le RCAM n'était qu'un élément parmi tant d'autres. Mais il permet d'obtenir des résultats efficaces et d'atteindre les objectifs prévus, pour peu qu'on se donne la peine de l'appliquer. GSK croit que la meilleure façon de voir nos projets et nos efforts collectifs porter fruit est de se concentrer sur l'amélioration globale des soins de santé dans les pays en développement, grâce au leadership et à des mesures concrètes. Je vous remercie de votre attention.

Richard Dearden, associé, Gowling, Lafleur, Henderson LLP : Je vous remercie, honorables sénateurs, de me donner l'occasion de comparaître pour expliquer pourquoi le projet de loi S-232 n'est pas conforme aux obligations internationales du Canada qui sont énoncées dans l'Accord sur les ADPIC. Je suis associé au cabinet Gowling, Lafleur, Henderson, où je pratique le droit commercial international depuis plus de 30 ans. J'ai travaillé pour le gouvernement des États-Unis à la mise en œuvre et à la négociation de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et pour le gouvernement du Mexique à la mise en œuvre et à la négociation de l'ALENA. J'ai également présidé le groupe spécial prévu par le chapitre 19 de l'ALENA qui a réussi à annuler la décision du département du Commerce des États-Unis selon laquelle les exportations canadiennes de bois d'œuvre pouvaient être assujetties aux droits compensatoires. Je vous ai fourni ma biographie, qui fait état de mon expertise dans le domaine du droit commercial international. Ma contribution a aussi été reconnue dans des publications évaluées par des pairs.

J'ai présenté au comité des observations écrites dans lesquelles j'explique pourquoi le projet de loi S-232 viole les obligations en matière de licence obligatoire dont le Canada a convenu. Ces obligations sont décrites dans l'article 31 de l'Accord sur les ADPIC et dans une solution internationale négociée avec soin concernant le problème d'accès aux médicaments que renferme une décision du Conseil général datant de 2003. J'aurais trois points à porter à l'attention du comité.

Premièrement, le régime de licence unique prévu par le projet de loi S-232 n'est pas autorisé par les mesures d'assouplissement contenues dans l'Accord sur les ADPIC. Deuxièmement, les exceptions limitées énoncées dans l'article 30 de l'Accord sur les ADPIC n'autorisent pas le Canada à abroger ses obligations en matière de licence obligatoire. Troisièmement, si le régime prévu par le projet de loi S-232 était adopté, il s'agirait d'une renégociation unilatérale des obligations actuelles du Canada en matière de licence obligatoire.

Concernant mon premier point, le comité a entendu plusieurs témoins qui prétendent que le projet de loi S-232 peut remplacer le RCAM grâce à la marge de manœuvre que prévoit l'Accord sur les ADPIC. Cependant, aucune marge de manœuvre n'autorise l'établissement d'un régime de licence unique. Les seules mesures d'assouplissement relatives à la licence obligatoire qui existaient à l'époque de la Déclaration de Doha en 2001 concernaient la consommation intérieure. Aucune mesure contenue dans l'Accord sur les ADPIC ne permet l'octroi de licences obligatoires pour l'exportation. Je vais lire le paragraphe 6 de la Déclaration de Doha, adoptée le 14 novembre 2001, qui explique pourquoi les ministres ont donné des instructions au Conseil général relativement à l'Accord sur les ADPIC :

Nous reconnaissons que les membres de l'OMC ayant des capacités de fabrication insuffisantes ou n'en disposant pas dans le secteur pharmaceutique pourraient avoir des difficultés à recourir de manière effective aux licences obligatoires dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC. Nous donnons pour instruction au Conseil des ADPIC de trouver une solution rapide à ce problème et de faire rapport au Conseil général avant la fin de 2002.

La solution rapide dont il est question dans cet extrait a été la décision du Conseil général d'août 2003. Le Canada ne peut se fonder que sur cette décision pour délivrer des licences obligatoires aux fins d'exportation s'il veut se conformer aux conditions qui y sont énoncées. Le RCAM respecte ces conditions, contrairement au projet de loi S-232.

Je tiens à préciser que mes observations écrites ne concernent que l'Accord sur les ADPIC. Si ce projet de loi était adopté, il violerait le paragraphe 10 de l'article 1709 de l'ALENA, qui comprend essentiellement les mêmes obligations relatives aux licences obligatoires que celles que l'on retrouve dans l'Accord sur les ADPIC. Le Canada et les États-Unis ont conclu un protocole d'entente dans lequel ils consentent à la suspension de l'application, entre eux, de l'alinéa 1709(10)f) de l'ALENA, dans le contexte de l'octroi de licences obligatoires aux termes de la décision du Conseil général de l'OMC. Le projet de loi S-232 abroge les conditions énoncées dans la décision du Conseil général.

Concernant mon deuxième point, certains témoins ont affirmé devant ce comité que le régime prévu par le projet de loi S-232 était autorisé par l'article 30 de l'Accord sur les ADPIC, ce qui est faux. N'oublions pas que les membres de l'OMC ont estimé que l'article 30 de l'Accord sur les ADPIC n'était pas la bonne solution pour régler le problème de l'accès aux médicaments. Même si le Canada pouvait s'appuyer sur l'article 30 pour défendre les mesures énoncées dans le projet de loi S-232 devant un groupe spécial de l'OMC, le projet de loi en question devrait tout de même respecter les trois conditions qui sont énoncées dans cet article, ce qui n'est pas le cas.

Le Canada a perdu une cause soumise à l'OMC qui portait sur une disposition de la Loi sur les brevets permettant aux fabricants de médicaments génériques d'utiliser un brevet pharmaceutique seulement au cours des six derniers mois de la période de validité du brevet, qui était de 20 ans. On a jugé que cette disposition, qui permettait aux fabricants de médicaments génériques d'accumuler des médicaments brevetés et de les mettre en vente dès l'expiration du brevet, violait l'article 30, car elle ne respectait pas les conditions qui y sont énoncées. Le groupe chargé de l'affaire s'est entendu avec la Communauté européenne pour dire que :

Six mois représentaient une période significative du point de vue commercial, d'autant qu'il n'y avait absolument aucune limite quant au volume de production autorisé ou quant à la destination commerciale de cette production.

Le projet de loi S-232 est une violation encore plus grave que la disposition sur l'accumulation des médicaments que l'OMC a annulée, puisqu'il permet non pas une exception limitée, mais bien une exception illimitée qui autorise l'octroi d'une licence obligatoire pour tout médicament, pas seulement pour les médicaments qui sont nécessaires pour contrer des maladies comme le VIH ou le paludisme. Le projet de loi autorise l'exportation en quantité illimitée, pour une durée illimitée, et dans plus de 140 pays. Essentiellement, le régime prôné par le projet de loi S-232 confère des droits de propriété de brevet à des fabricants de médicaments génériques sans tenir compte des intérêts légitimes des patients. En effet, les patients bénéficient des avantages découlant des mesures de protection des brevets sur le plan de la recherche et du développement, car elles permettent la fabrication de nouveaux médicaments qui peuvent sauver des vies.

Concernant mon troisième point, le projet de loi S-232 constituerait une renégociation unilatérale des obligations du Canada en matière de licence obligatoire. La représentante de Médecins Sans Frontières, Mme Kiddell-Monroe, a témoigné devant ce comité le 21 octobre. Elle a dit que le RCAM n'avait pas réussi à atteindre ses objectifs parce que la décision du Conseil général de l'OMC de 2003 était fondamentalement erronée et qu'elle était à l'origine du problème. Elle a affirmé que le projet de loi S-232 visait à combler ces lacunes. En d'autres mots, le problème résiderait dans la solution proposée dans la décision du Conseil général que le Canada et les autres membres de l'OMC ont négociée pour régler le problème. Les représentants de Médecins Sans Frontières ont également affirmé que la décision du Conseil général était réellement problématique, qu'il fallait l'examiner de nouveau et dire à l'OMC que la solution ne fonctionnait tout simplement pas. Autrement dit, l'instance appropriée pour régler tout problème lié à la décision du Conseil général est l'OMC à Genève. Les partisans du projet de loi S-232 vous demandent de contourner l'OMC à Genève et de renégocier unilatéralement les obligations actuelles du Canada en matière de licence obligatoire en adoptant ce régime de licence unique.

En conclusion, j'aimerais poser la question suivante au sujet du respect des obligations du Canada dans le cadre de traités internationaux : Qu'est-ce qui a changé depuis la publication du rapport du ministre de l'Industrie en 2007 sur l'examen législatif du RCAM, selon lequel aucune modification n'était requise? Le seul changement depuis la publication du rapport s'est produit en juin 2009, lorsque le Canada a accepté le protocole modifiant l'Accord sur les ADPIC, qui prévoit l'enchâssement de la décision du Conseil général dans l'Accord sur les ADPIC. Le Canada ne s'est pas retiré du RCAM; il a plutôt réitéré son engagement envers le régime en adoptant le protocole qui enchâsse la décision du Conseil général dans l'Accord sur les ADPIC, en faisant ainsi une modification permanente.

Merci de votre attention.

Le président : Merci, monsieur Dearden. Il n'est pas toujours facile de présenter une opinion juridique de façon concise, mais vous y êtes très bien parvenu.

M. Dearden : Merci, monsieur le président.

Le président : Monsieur Looper, c'est maintenant à vous.

Ywe Looper, directeur des brevets, Affaires juridiques, Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée : Le rôle que j'ai joué pour Boehringer Ingelheim a été de rédiger en grande partie les deux licences volontaires qui ont été accordées à Apotex, en plus d'une déclaration de renonciation, conformément à une politique d'accès européenne qui s'applique aux activités de Boehringer Ingelheim. Pendant la période de questions et réponses, j'aimerais fournir plus de détails, mais, à plusieurs égards, l'approche que nous avons adoptée nous a permis d'avoir une portée plus vaste que le RCAM.

Je travaille au centre de recherche de BI, qui a choisi d'établir son centre principal de recherche en virologie à Laval, au Québec. Tout le monde a un rôle à jouer pour l'atteinte des objectifs d'aide humanitaire du RCAM. L'un de ces objectifs est très important : il faut obtenir un approvisionnement constant de médicaments de deuxième ligne contre le VIH, comme la névirapine, afin de pouvoir les exporter. Si ces médicaments n'existaient pas, nous ne serions pas en train de discuter du RCAM.

À Laval, 165 scientifiques travaillent pour découvrir et optimiser les meilleurs composés pour la fabrication de médicaments, qui ne sont pas seulement des antirétroviraux. Aujourd'hui, on essaie également de mettre au point des traitements permettant une rémission sans médicaments. Il s'agit là d'un grand pas en avant.

Je pense que nous pouvons entrevoir le jour où le RCAM nous permettra d'exporter à des fins humanitaires non seulement des produits antirétroviraux fabriqués au Canada, mais également des antirétroviraux fabriqués et découverts au Canada.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Looper.

Puisqu'il y a beaucoup d'intervenants, il se peut que je manque de temps pour poser des questions à la fin. Si vous le permettez, je profiterais donc de ma position pour en poser une tout de suite.

Monsieur Dearden, il s'agit d'un domaine complexe pour ceux qui connaissent peu, voire pas du tout, l'industrie pharmaceutique et l'exportation. Vous en avez peut-être parlé dans votre déclaration, mais le sénateur Fox, qui n'est pas avec nous ce soir, a déjà soulevé la possibilité d'une modification du projet de loi S-232 au cours de nos délibérations. Supposons que l'on apporte quelques petites modifications au projet de loi et qu'il devienne ainsi beaucoup plus acceptable pour toutes les parties. Existe-t-il un mécanisme à l'OMC qui permettrait ce qu'on pourrait appeler une décision anticipée?

M. Dearden : Pas que je sache. Quand j'ai dit qu'il fallait s'adresser à l'OMC si les lacunes qui ont été soulevées sont effectivement des lacunes, je voulais dire qu'il faudrait aller négocier à Genève.

Le président : Ce qui signifierait une négociation entre la partie qui demande la modification, c'est-à-dire le Canada, et tous les membres?

M. Dearden : Oui, ce serait effectivement une négociation avec tous les membres. Lorsqu'ils ont négocié la solution qui a été adoptée, ils ont tenu compte des intérêts légitimes de toutes les parties. Mais vous avez raison de dire qu'il s'agit d'un domaine complexe. Il faut se rappeler que les droits de brevet faisaient également partie des intérêts dont on a tenu compte. Les droits de brevet étaient garantis par l'article 31 de l'Accord sur les ADPIC avant que ce problème soit soulevé, et la Déclaration de Doha a réglé cette question. Et ce n'est pas grâce aux mesures d'assouplissement qui existaient déjà que le problème a pu être réglé; il a fallu créer une toute nouvelle solution. C'est pourquoi j'ai cité le paragraphe 6 de la déclaration. On a dit au conseil de « trouver une solution rapide à ce problème ». Que l'on soit d'accord ou non et que l'on estime qu'il y a des lacunes ou non, il reste que c'est la solution internationale à laquelle le Canada a adhéré. En juin 2009, elle a été acceptée comme une modification permanente. Si l'on veut modifier ces obligations, il faut le faire à Genève en présence de tous les membres.

Le sénateur Harb : Merci pour votre présentation.

J'ai trouvé les témoignages intéressants. D'abord, il y a un brevet. On ne veut évidemment pas que des lois permettant la violation d'un brevet soient adoptées. Ensuite, il y a la question du détournement. Je comprends que vous avez beaucoup de préoccupations au sujet des difficultés qu'ont les gens qui souffrent de maladies. M. Lucas a mentionné que vous versiez environ 9,2 milliards de dollars pour aider les quelque 2 milliards de personnes partout dans le monde qui combattent la maladie. M. Dearden a également soulevé un point intéressant lorsqu'il a dit qu'on peut bien prendre toutes les mesures possibles, au bout du compte, il faut quand même songer que toute loi qui n'est pas conforme aux obligations internationales peut être contestée et annulée.

Pour poursuivre dans la même voie que le président, un témoin a dit déjà que nous recevrions bientôt un avis provenant de l'OMC sur la conformité du projet de loi avec les dispositions qui ont été négociées à l'OMC. Si c'est bien le cas et que nous recevons cet avis, j'ai bien l'impression que M. Dearden, qui est extrêmement bien renseigné en la matière, se penchera sur cet avis pour l'examiner attentivement. Est-ce que j'ai raison?

M. Dearden : Vous avez tout à fait raison. Je serais d'ailleurs fort intéressé à entendre une opinion qui expliquerait en quoi l'élimination de la licence volontaire serait conforme à l'Accord sur les ADPIC. J'ajouterais qu'il est impossible d'affirmer qu'un régime qui éliminerait la licence obligatoire, qui est clairement établie dans l'article 31 de l'Accord sur les ADPIC, est conforme. Je ne sais pas si un responsable de l'OMC émettrait une opinion selon laquelle le projet de loi S-232 est conforme à l'OMC. Je me demande vraiment qui pourrait émettre une telle opinion. Je peux songer à un exemple où ce ne serait pas le cas.

M. Lucas : Vous avez mentionné la question du détournement et notre manque d'intérêt à cet égard. Je voudrais y répondre.

Pour ce qui est de mon entreprise, je sais qu'il y a de très nombreux cas de détournement, tout particulièrement en Afrique. Ce qui s'y passe est tout à fait flagrant.

Je peux vous donner un exemple bien concret. Mon collègue en Afrique se trouvait sur une piste d'aérodrome et a vu un avion atterrir. Il a vu une enveloppe changer de mains et l'avion repartir pour l'Europe. C'est une situation fréquente, et une grande préoccupation. Nous avons dû prendre des mesures de sécurité extraordinaires pour empêcher que cela n'arrive. Ces situations ne cessent de nous préoccuper.

Le sénateur Harb : Lorsque les fabricants de médicaments génériques ont comparu devant nous, ils semblaient très enthousiastes. Ils n'ont rien dit de négatif à propos des fabricants de médicaments d'origine. De fait, ils sont intéressés à travailler avec eux et avec les compagnies de recherche pharmaceutique. Y aurait-il, disons, une possibilité que les parties s'entendent afin que le Canada devienne un modèle de collaboration entre les fabricants de médicaments génériques et les fabricants de médicaments d'origine pour faire toutes les bonnes choses que vous faites déjà et que les fabricants de médicaments génériques veulent faire aussi? Est-ce une possibilité?

M. Williams : Il y a plusieurs possibilités. Nous en avons rapidement mentionné quelques-unes. Au cours des 16 dernières années, nous avons, avec Partenaires Canadiens pour la Santé Internationale, donné des produits aux pays en développement; les fabricants de médicaments génériques et les fabricants d'appareils médicaux le font aussi. Voilà un exemple de collaboration.

Comme l'a dit M. Lucas, nous devons nous assurer que le produit arrive à bon port, sans détournement. L'exemple du RCAM, celui de GSK ou encore celui de Shire et Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée, démontrent que ces entreprises sont prêtes à travailler de concert, de façon volontaire. Au lieu de porter toute notre attention sur ce débat qui devrait peut-être se régler ailleurs, nous pourrions ensemble faire preuve de créativité afin de placer le Canada à l'avant-plan, mais pas juste dans le domaine des produits pharmaceutiques, des médicaments d'origine et des médicaments génériques. Le Canada dans son ensemble pourrait alors jouer un rôle plus actif dans l'apaisement de la crise humanitaire.

Le sénateur Harb : Serait-ce une bonne chose que le président du comité diffuse la lettre auprès de votre association et de celle des fabricants de médicaments génériques pour en arriver à une entente?

M. Williams : Nous sommes toujours disposés à aller de l'avant et à proposer des solutions créatives.

Il est surprenant de constater la grande attention que cet outil a suscitée. C'est une situation d'envergure partout dans le monde. Il s'agit là d'un outil, mais il y en a bien d'autres, à part ceux que j'ai mentionnés, qui nous permet d'être très créatifs. Nous avons de nombreux documents attestant d'autres exemples de collaboration que nous pouvons transmettre au comité.

Le sénateur Harb : Merci. J'espère que vous le ferez.

M. Looper : À propos de la démarche concertée et de la capacité de l'envisager dans les textes de loi — en vertu du RCAM actuel — les fabricants de médicaments génériques doivent avoir tenté d'obtenir une licence du breveté dans les 30 jours précédant le dépôt de la demande. Cela peut être utile.

Lorsque Apotex a présenté sa plus récente demande, j'ai constaté que la disposition relative au délai de 30 jours nous a permis de nous rendre compte que — à Boehringer Ingelheim — nous avions déjà un programme, que nous appelons la politique d'accès à la névirapine. J'ai déposé des documents qui font état précisément de la générosité avec laquelle Boehringer Ingelheim ne revendique pas les brevets au Rwanda, ni dans le reste de l'Afrique, ni dans les pays les moins développés. Il s'agit d'un territoire bien plus vaste que celui qui est couvert par le RCAM. Sans le délai de 30 jours, il aurait été impossible d'envoyer la déclaration de non-revendication en même temps que l'offre de licence volontaire.

J'ai participé à la rédaction des modalités de la licence volontaire. Il n'était pas nécessaire qu'elles répondent au RCAM, parce qu'elles n'en relèvent pas. Voilà qui illustre l'importance d'un effort concerté parmi les signataires de l'Accord sur les ADPIC afin d'arrimer des programmes qui existent déjà.

Les licences volontaires de BI étaient bien supérieures aux modalités proposées par le RCAM, de plusieurs façons. En ce qui concerne le territoire, la licence volontaire offerte à Apotex — d'ailleurs, nous avons fait deux propositions pendant le court laps de temps qu'ont duré les discussions — s'étendait à tous les pays couverts par la déclaration de non-revendication. Nous avons déposé un exemplaire de cette déclaration, que tous peuvent consulter. Elle vise tout pays d'Afrique, tout pays faisant partie des pays les moins développés, selon la définition des Nations Unies, et tout pays à faible revenu, selon la définition de la Banque mondiale.

La licence volontaire que nous avons offerte, et qui n'a pas été acceptée, ne se limitait pas aux 15 600 000 comprimés demandés dans l'avis déposé par le Rwanda.

En fait, la licence volontaire envisageait un mécanisme selon lequel, lorsqu'un pays déposait un avis, et qu'il était ajouté à la licence volontaire, elle se poursuivrait automatiquement jusqu'à ce que le total soit atteint.

Cette licence volontaire dépasse donc les conditions établies par le RCAM. En effet, le RCAM prescrit une période de deux ans, renouvelable pour deux ans, tandis que la licence volontaire était valable pour toute la durée de vie du brevet.

Pour finir, elle ne comportait aucune redevance.

Je mentionne ce point simplement parce que sans l'exigence selon laquelle il faut s'adresser au breveté à l'avance, nous n'aurions pas pu dire que nous disposions déjà, en dehors du RCAM, d'une politique qui permet l'octroi d'une licence pour la pleine production de la névirapine à des fins humanitaires.

La déclaration de non-revendication est maintenant publiée. Elle a été suivie d'une première offre de licence volontaire dans les 12 jours suivant la demande d'Apotex. Je sais qu'on a fait beaucoup de cas des délais. Mais en l'occurrence, dans les 12 jours suivant le 13 juillet 2007, date à laquelle Apotex a présenté sa demande aux brevetés, on a fourni une déclaration de non-revendication à portée élargie. Dix-neuf jours se sont écoulés à partir de la date de la demande jusqu'à la présentation de l'offre de licence volontaire.

Le président : Merci, monsieur Looper. D'autres sénateurs voudront peut-être examiner la question.

Il est intéressant de constater que les versions concernant les négociations sur la licence volontaire sont pour le moins diamétralement opposées.

Je me rappelle que le représentant du fabricant de médicaments génériques a laissé entendre qu'il aurait été plus approprié d'avoir directement recours à la licence obligatoire, car l'autre ne sert à rien.

C'était intéressant d'entendre votre point de vue.

M. Lucas : Si je peux me permettre : c'est en 2006 que Jack Kay m'a appelé pour me demander ce que j'en pensais et si nous étions prêts à aller de l'avant. Je lui ai répondu que nous en serions très heureux.

Pour être honnête, il semble que j'étais plus enthousiaste que lui, parce qu'il lui a fallu un an pour me rappeler. Deux mois après que je lui aie parlé, nous lui avons envoyé une lettre pour lui demander s'il était intéressé à aller de l'avant, mais c'est juste un an plus tard qu'il a répondu. C'est un peu étrange.

Le sénateur Ringuette : Vous donnez des médicaments depuis 19 ans. Quels sont vos canaux de distribution?

M. Williams : L'exemple que je donne habituellement est celui de Partenaires Canadiens pour la Santé Internationale. C'est cet organisme qui s'occupe de la distribution, et il le fait par les voies appropriées.

Le sénateur Ringuette : Quelles sont ces voies?

M. Williams : Je crois que Partenaires Canadiens pour la Santé Internationale a demandé à comparaître devant vous. Ses représentants pourront vous donner des précisions. La date prévue est le 18 novembre. Il serait préférable que ce soit eux qui vous donnent les explications.

J'ai également mentionné qu'au cours des neuf dernières années, les multinationales ont donné pour plus de 9 milliards de dollars de produits, par l'entremise de la collectivité internationale.

Le sénateur Ringuette : Si je comprends bien, le Canada a donné pour 228 millions de dollars au cours des 19 dernières années, ce qui représente 11,8 millions de dollars par an, montant qui, si on le répartit également entre les 50 entreprises partenaires, revient à 236 000 $ par année pour chacune.

Pour en revenir à la distribution, avez-vous la preuve que les deux cargaisons de médicaments génériques qui ont été envoyées en Afrique sont passées au marché noir?

M. Williams : Non. Je ne sais rien à ce sujet.

M. Lucas : Espérons que le filet de sécurité prévu par le RCAM aura permis d'empêcher que ça arrive.

M. Williams : Il y a des mesures de protection qui sont prévues pour l'empêcher, mais nous craignons de les perdre.

Le sénateur Ringuette : Exactement. Elles figurent toujours dans le projet de loi. Je suis étonnée que vous ayez introduit la question du marché noir. Lorsque vous distribuez des produits médicaux, quel est votre mécanisme de distribution? Comment vous assurez-vous qu'ils ne passent pas au marché noir? Quelle est la preuve? Puisque vous avez soulevé la question, avez-vous la preuve que les deux cargaisons qui ont été envoyées en Afrique sont passées au marché noir? Ce sont des questions légitimes.

M. Williams : C'est une excellente question. Grâce aux mesures de protection prévues par le RCAM, la réponse est non, pour autant que je sache — je n'ai aucune preuve en ce sens. Nous avons peur de les perdre.

M. Dearden : Nous avons quelques préoccupations, madame le sénateur, à propos des mesures antidétournement prévues dans le projet de loi S-232.

Il n'y a notamment aucun avis préalable à l'exportation permettant au Canada de faire des inspections. Pour une raison inconnue, cette exigence est éliminée du projet de loi S-232.

Comme je l'ai déjà mentionné, la possibilité de mettre fin à une licence obligatoire d'exportation, si elle n'est pas utilisée aux fins prévues, ne figure pas non plus dans le projet de loi S-232. Je ne peux rien dire au sujet des faits ni de l'existence d'un marché noir. Mais on se demande si les mesures antidétournement prévues dans le projet de loi correspondent bien à ce dont nous avons besoin pour empêcher un éventuel détournement.

Le sénateur Ringuette : Je ne suis pas avocate, et vous êtes très certainement un expert en la matière. Pourtant, en lisant le projet de loi, je n'avais pas l'impression que nous dénaturons le RCAM, mais plutôt que nous le bonifions. Alors, comment avons-nous fait pour retirer les éléments dont vous venez de parler?

M. Dearden : Dans l'exemple que je vous ai donné, il s'agit bel et bien d'une élimination. Je n'ai pas dit qu'avec le projet de loi S-232, vous sabotez complètement les mesures antidétournement qui sont actuellement prévues au RCAM. Mais c'est bien le cas pour certaines d'entre elles.

M. Looper : Je voudrais intervenir au sujet d'une disposition du RCAM qui serait éliminée et qui se rapporte directement au détournement ou au risque d'un détournement. Il s'agit de la disposition concernant l'étiquetage et l'emballage des médicaments. C'est un élément très important du mécanisme permettant de déterminer que les produits sont fabriqués au Canada à des fins humanitaires.

Je voudrais également expliquer pourquoi il y a toujours un risque de détournement. C'est parce les produits sont toujours en demande, particulièrement dans les pays qui appliquent la théorie de l'expiration des droits de brevet à l'international sur les produits vendus. C'est-à-dire que lorsque Apotex vend de grandes quantités de médicaments au Rwanda, de nombreux pays appliquent, en vertu de leur doctrine, la notion de l'expiration dès la vente conclue. Cela signifie que le médicament peut être importé et qu'il n'est plus assujetti à un brevet. Les droits de brevet ont expiré une fois la vente conclue. C'est le moteur d'un marché parallèle de l'importation et de la réexportation d'articles après la vente.

L'emballage et l'étiquetage permettant de reconnaître que les produits servent à des fins humanitaires constituent un aspect que nous avons jugé très important d'intégrer dans notre démarche de licence volontaire parallèle au RCAM.

Le sénateur Ringuette : Monsieur Looper, y a-t-il des preuves permettant de lier au marché noir les produits que les 50 entreprises envoient annuellement en Afrique ou les deux cargaisons?

M. Looper : Je n'ai pas participé à la livraison. Je n'ai aucune preuve...

Le sénateur Ringuette : Je vous pose la question.

M. Looper : Je ne sais pas.

Le sénateur Ringuette : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci d'être comparus devant nous. Nous recueillons beaucoup de renseignements. Manifestement, nous avons de la difficulté à rassembler les morceaux du casse-tête et à comprendre la situation. Mais c'est là notre but.

J'aimerais revenir un peu en arrière. Ce que j'entends, c'est que nous souscrivons tous aux objectifs du projet de loi qui a été adopté il y a quelques années afin d'aider les pays pauvres, comme ceux de l'Afrique, à obtenir des médicaments génériques à bon marché. Vous souscrivez à cet objectif.

Nous avons tous pensé — et je n'étais pas présent à ce moment-là — que ce projet de loi constituerait la solution et qu'il ferait du Canada un pays avant-gardiste. Cependant, nous voici de nombreuses années plus tard avec deux cargaisons, dont la plupart des gens dirait qu'il s'agit d'un échec, ou du moins d'une immense déception par rapport au programme. Certains disent que c'est une réussite, mais j'affirme avec véhémence que deux cargaisons, ce n'est pas assez.

J'entends toutes sortes de raisons qui sont invoquées pour expliquer la situation, comme l'OMC, qui serait un problème. Donc, revenons en arrière. Nous souscrivons à l'objectif. Vous avez de l'expérience à l'échelle internationale. Vous avez des voies de distribution. Vous connaissez très bien le territoire. Vous connaissez les problèmes : c'est votre travail, votre vie professionnelle et votre mission.

Quelle est la solution? Comment y arriver? Si nous mettons de côté l'excuse de l'OMC et tout le reste, que devons-nous faire pour atteindre notre but? Je ne veux pas que vous me parliez de ce que vous faites d'autre. Comment devons-nous modifier le RCAM pour parvenir à la solution? Que devons-nous faire pour nous assurer que dans les deux prochaines années, il y ait 20, 30 ou 40 cargaisons?

M. Lucas : Il est important de reconnaître que la situation a énormément changé en Afrique au cours des dernières années. Par exemple, GSK, et ses partenaires sous licence en Afrique, a envoyé 350 millions de doses de médicaments contre le VIH en Afrique, à bas prix, à prix préférentiel. Le RCAM a envoyé 15 millions de doses. Aujourd'hui, les médicaments bon marché sont facilement accessibles en Afrique.

Le sénateur Massicotte : Le problème a-t-il disparu?

M. Lucas : Non. Je pense que le RCAM est un outil utile dans certaines circonstances. Mon entreprise, tout comme de nombreuses entreprises dans le domaine de l'innovation, vend ses produits à bas prix en Afrique et dans les pays en développement. Il y a de nombreux médicaments bon marché qui sont destinés aux pays en développement, et nous sommes en concurrence.

Le sénateur Massicotte : Donc, la raison pour laquelle il n'y a eu que deux cargaisons, c'est que d'autres produits ont satisfait à la demande?

M. Lucas : C'est un des facteurs importants, parce que les prix sont abordables.

Le sénateur Massicotte : L'objectif du projet de loi est largement atteint; il a donc perdu sa pertinence aujourd'hui. Devrions-nous consacrer du temps à le corriger ou à corriger une partie du problème?

M. Lucas : C'est une très bonne question. Je ne crois pas que nous devrions passer du temps à retoucher le RCAM. Nous devrions plutôt songer à ce que, en tant que pays, nous pourrions faire dans les pays en développement. On a déjà mentionné que plusieurs fonds ont besoin d'argent pour acheter des médicaments à bas prix et les distribuer. Mais ils pourraient aussi régler certains problèmes d'infrastructure en Afrique. C'est une question clé dont il faut s'occuper dès maintenant. C'est peut-être sur ce point que le Canada devrait concentrer ses efforts pour obtenir les résultats que jamais le RCAM ne produira.

Le sénateur Massicotte : C'est très important. Si je résume bien vos propos, la nature du problème a changé radicalement parce qu'à défaut de le résoudre complètement, on l'a réglé en grande partie, à un point tel qu'on reconnaît peu les mérites de l'ancienne loi et de nos efforts, vu qu'il existe de meilleures solutions.

M. Lucas : Vous avez bien résumé ce que j'ai dit.

M. Williams : Lorsque le projet de loi a été adopté, vous pensiez qu'il constituait la solution. On a essayé de le vendre en disant qu'il constituait une des solutions. Le projet de loi règle une partie du problème, mais nous devons aller beaucoup plus loin.

Le sénateur Massicotte : C'était évidemment une solution inefficace.

M. Williams : Le fait de débattre du sujet en présumant que la solution est inefficace me laisse perplexe. Je ne comprends pas pourquoi Apotex n'a pas fait un deuxième essai. Il s'agit d'une crise humanitaire. Nous sommes tous assis ici à discuter et à chercher des solutions au problème. La question est juste. Pourquoi n'y retourneriez-vous pas? Si vous pouviez nous donner quatre ou cinq exemples de ce qui n'a pas fonctionné, vous marqueriez peut-être un point.

Le sénateur Massicotte : Si cela n'a pas fonctionné, pourquoi croyez-vous qu'Apotex et les autres fabricants de médicaments génériques ne vont pas de l'avant alors qu'il n'y avait pas de problème?

M. Williams : Ils ont d'autres plans à ce sujet. Tant mieux pour eux. Si on regarde attentivement, on constate que le problème n'est pas là. Pourquoi n'ont-ils pas davantage mis le système à l'épreuve? Si cela a fonctionné pendant deux mois, qu'on nous laisse recommencer et le faire correctement.

Le sénateur Massicotte : Pourrais-je obtenir des copies de votre correspondance avec Apotex? Vous dites qu'Apotex avait fait une demande et que vous y aviez répondu. Pouvons-nous obtenir une copie de cette correspondance?

M. Lucas : Je crois qu'elle est disponible.

M. Looper : Je l'ai déposée hier, et je vois une copie sur le bureau du sénateur Oliver.

Le sénateur Massicotte : On se demande souvent pourquoi les entreprises ne produisent pas ces médicaments maintenant. Pourquoi ne suivent-elles pas le processus? Nous avons des documents relativement à un problème qui serait apparu entre Abbott et la Thaïlande. Des entreprises comme la vôtre ont dit que si vous empruntiez la voie des médicaments génériques à bon marché, même si ce n'était pas dans votre intérêt sur le plan financier, nous serions moins coopératifs en ce qui concerne les autres aspects de notre relation avec vous. Vous vous servez de votre poids financier, ou de vos avantages sur le plan des médicaments, pour décourager les entreprises d'aller de l'avant.

Certaines personnes diraient que vous avez tellement effrayé les pays les plus faibles qu'ils n'utiliseront pas le processus par peur de représailles. À mon avis, c'est du chantage, quoique le mot est peut-être un peu trop fort. Pourriez-vous nous éclaircir à ce sujet et nous aider à comprendre? Quels sont les faits? Bien entendu, vous ne feriez rien de tel vous-mêmes, mais on dirait que d'autres l'ont fait.

M. Williams : Je ne suis pas au courant de cette situation. Je crois que ces allégations sont sans fondement.

Nous travaillons en collaboration. Regardez combien d'exercices nous avons faits pour obtenir une nouvelle structure des prix, faire des dons et rendre le produit disponible par d'autres moyens.

J'ai entendu les rumeurs, mais je n'en sais pas plus.

M. Looper : Il y a un moment, on m'a demandé des preuves concernant des détournements.

Le sénateur Massicotte : Je n'ai rien demandé de tel.

M. Looper : Je n'ai rien vu qui permette de croire qu'il y a eu des pressions injustifiées de la part des entreprises pharmaceutiques.

Le sénateur Massicotte : Parlez-vous des détournements ou de la Thaïlande?

M. Looper : Des détournements.

Le sénateur Massicotte : À quelle question tentez-vous de répondre?

M. Looper : On m'a demandé des preuves. J'avais compris que vous nous demandiez de commenter au sujet des allégations de...

Le sénateur Massicotte : Découragement. Vous dites qu'il n'y a rien?

M. Looper : C'est exact.

Le sénateur Massicotte : C'est la réponse que j'ai entendue.

Le président : Monsieur Williams, je suis sûr que vous avez lu le témoignage d'Apotex. Vous savez pourquoi ils n'ont pas pris une nouvelle chance. Ai-je raison? Ils ont dit que la bureaucratie était trop lourde, sauf à Santé Canada. C'est ce qu'ils ont répondu.

M. Williams : C'est deux mois.

Le président : Vous pouvez lire leur témoignage et acquiescer ou non, mais ils disent que c'était trop.

M. Williams : Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis que le RCAM a été adopté. Il y a beaucoup de problèmes autour du prix des médicaments génériques dans ce pays. Nous avons parlé à 25 ambassadeurs africains pour mieux comprendre leurs besoins. Ils nous ont dit qu'il était plus important qu'ils aient des ressources pour s'attaquer au problème plutôt que des discussions sur la propriété intellectuelle à l'échelle locale. C'était un message très clair.

Le sénateur Carstairs : Il est clair que je ne partage pas un grand nombre d'opinions parmi celles qui ont été présentées aujourd'hui, surtout en ce qui concerne le manque d'accès à des médicaments abordables. Nous savons qu'en fait, la plupart des antirétroviraux sont fournis par les fabricants de médicaments génériques.

Vous avez parlé des détournements. Les médicaments contre la malaria, la tuberculose et le VIH-sida sont rarement détournés. Vous avez mentionné que ces médicaments ne répondent pas aux besoins de Santé Canada, mais vous n'avez pas soulevé le fait qu'ils devaient être conformes aux exigences de l'OMS. À mon avis, on a été sélectif sur le choix des preuves nous avons entendues.

Monsieur Dearden, j'ai beaucoup de respect pour vos avis juridiques. Pourriez-vous me renvoyer à la disposition précise de la décision de l'OMC d'août 2003 qui empêcherait le Canada de délivrer une licence obligatoire avant qu'on ait identifié un pays en particulier?

M. Dearden : C'est en vertu de l'ensemble des modalités de la décision. Les pays importateurs et exportateurs ont leurs obligations respectives. La première obligation, c'est la notification. Tout part de là. On ne peut pas simplement choisir une ou deux obligations établies par la décision. On doit toutes les appliquer.

Selon l'alinéa 2c), le Canada, à titre de membre exportateur, doit avertir le Conseil des ADPIC pour chaque licence accordée et divulguer les conditions de la licence, le nom et l'adresse des titulaires, les produits visés, les pays destinataires, les quantités, et cetera.

Une notification est également nécessaire de la part du pays importateur admissible, qui doit présenter ses besoins en matière de quantités. Ces besoins doivent être exprimés en chiffres. On ne doit pas seulement présenter un texte dans lequel on peut lire qu'une licence a été délivrée en raison des quantités prévues. Avant que la licence ne soit délivrée, on doit donner des chiffres et nommer le pays destinataire. Le Canada doit transmettre cette information. La solution du 30 août 2003 est une solution globale.

La solution prévue par le projet de loi S-232 est différente. Elle ne respecte pas les conditions inscrites dans la décision. Il faut aviser au préalable.

Le sénateur Carstairs : Je ne suis pas d'accord avec vous parce que je ne vois pas où se situe la différence dans l'entente.

Vous avez utilisé le terme « quantités prévues ». Le RCAM parle de « quantités maximales ». Pourquoi les règles du Canada doivent-elles être plus strictes que celles de l'ADPIC, de l'OMC et de la décision d'août 2003?

M. Dearden : L'ADPIC établit des normes minimales. Un membre de l'OMC peut employer des mesures plus fortes pour protéger les brevets s'il le désire.

Le sénateur Carstairs : Pourquoi?

M. Dearden : Cela a peu d'importance.

Ce que je voulais dire au sujet du problème entourant les quantités, c'est qu'on parle de quantités illimitées. La licence obligatoire doit prévoir une quantité chiffrée pour qu'on puisse contrôler ce qui sera fabriqué ainsi que la manière dont sera utilisée cette licence liée à des produits pharmaceutiques brevetés.

Dans le projet de loi S-232, on n'exige aucun chiffre. Les quantités sont illimitées. La durée de la licence est illimitée. C'est comme si la propriété du brevet était transférée aux fabricants de médicaments génériques. Ce n'est pas correct.

Le sénateur Carstairs : Malgré tout le respect que je vous dois, l'ADPIC parle de « quantités prévues » et non de « quantités maximales ». Dans la loi actuelle, on parle de « quantités maximales ».

Pourquoi le Canada ressent-il le besoin d'aller plus loin? On peut regarder derrière nous et décider que cela ne marche pas. Peut-être que nos difficultés — je ne choisis qu'un domaine très restreint — viennent en partie du fait que les exigences du Canada sont beaucoup plus strictes que celles de l'OMC.

M. Dearden : Je vais répondre en vous posant une question.

Pourquoi le projet de loi S-232 ne requiert-il pas que l'on spécifie une quantité? Dans la décision, on exige des chiffres, ce qui n'est pas le cas dans le projet de loi S-232. Un fabricant de médicaments génériques peut utiliser un brevet pharmaceutique pour des quantités illimitées de n'importe quel médicament tant qu'il souhaite les revendre à un des quelque 140 pays visés. Ce n'est pas conforme à l'ADPIC. C'est tout ce que je voulais dire, madame.

Le sénateur Carstairs : Monsieur Lucas, j'étais très heureuse de vous entendre parler de votre enthousiasme relativement à l'octroi de licences couvrant plusieurs pays. Je ne comprends pas votre opposition envers le projet de loi.

M. Lucas : En somme, on a déjà essayé cette façon de faire pour un médicament complexe — une triple combinaison — qui n'a jamais été produit auparavant. On serait porté à croire que le processus a été long, mais au contraire, il n'a pas pris beaucoup de temps. Le médicament a été testé une fois et on a prouvé son efficacité et son efficience. Les délais étaient serrés. Je ne sais pas pourquoi on devrait modifier une loi qui a toujours répondu à nos besoins. Lorsqu'on a mis la loi à l'épreuve, elle a donné les résultats escomptés.

Le sénateur Carstairs : Mon dernier commentaire — c'est plus qu'une question — porte sur les divergences entre les allégations des gens d'Apotex et ce que nous avons entendu ici aujourd'hui. Il serait très utile que les deux parties présentent toute leur correspondance. Un groupe dit que 14 mois ont été nécessaires pour arriver à s'entendre tandis que l'autre parle plutôt de 14 jours. La différence entre ces deux affirmations est très grande.

Le sénateur Massicotte : Monsieur le président, le suivi sera-t-il assuré? Je ne vois pas ce dont vous nous parliez tout à l'heure.

Le président : Oui.

Le sénateur Frum : Selon le témoignage d'Apotex, un des problèmes, c'était le fait que l'entreprise ne faisait pas d'argent. Le processus du RCAM n'est-il pas conçu comme un mécanisme du marché? Vous essayez de faire du travail humanitaire dans un contexte de marché qui ne fonctionne pas. C'est un des problèmes.

Monsieur Dearden, vous avez dit à deux reprises que ce projet de loi ouvrirait les portes à n'importe quel médicament. Je comprends que le RCAM établit une liste précise de médicaments pour des maladies données. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

M. Dearden : Oui. On trouve une liste de médicaments à l'annexe 1 de la Loi sur les brevets. On a ajouté de nouveaux médicaments à cette liste à deux reprises depuis que le RCAM est entré en vigueur. Les médicaments ont été approuvés par l'OMS, qui a reconnu qu'ils répondaient aux besoins et satisfaisaient aux objectifs établis pour les solutions qui ont été élaborées.

Le problème que j'ai soulevé concernant le projet de loi S-232, c'est que le projet de loi s'applique à tous les médicaments. Il n'y a plus de liste de médicaments. Tous les médicaments connus sont admissibles. Il ne s'agit plus seulement des médicaments essentiels aux pays en voie de développement et aux pays les moins développés, et pour lesquels nous devions délivrer des licences obligatoires pour l'exportation. On inclut également toute une gamme de médicaments dont on n'a pas besoin. Pourtant, on pourra délivrer une licence pour n'importe quel médicament régi par la Loi sur les aliments et drogues. Ce changement est énorme. Une gamme aussi étendue de produits ne résistera jamais à un examen par un groupe de l'OMC.

Le sénateur Frum : Est-ce que cette modification apparaît dans le projet de loi?

M. Dearden : Oui. On s'est débarrassé de l'annexe 1. Tout médicament régi par la Loi sur les aliments et drogues est un médicament au sens du projet de loi. On élargit grandement la gamme des médicaments qui pourraient être visés par une licence obligatoire pour exportation.

Le président : Avant de clore la séance, je veux m'assurer que tout est clair en ce qui concerne les documents. Madame Gravel, quels sont les documents qui n'ont pas été distribués parce qu'ils n'ont pas encore été traduits?

Line Gravel, greffier du comité : Cet après-midi, à 14 heures, nous avons reçu des copies de la correspondance en anglais seulement. Je crois que j'ai ici une lettre datée du 25 juillet 2007. Nous l'avons envoyée immédiatement aux traducteurs. Vous l'aurez dès qu'elle sera traduite. C'est une lettre adressée à M. Radomski, chez Goodmans.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais voir la demande qui vous a été envoyée et dans laquelle on établissait les éléments pour lesquels on souhaitait une approbation. J'aimerais voir votre lettre dans laquelle on peut lire : « Veuillez me donner cette information. » J'espère qu'elle ne fait pas 22 pages. J'aimerais jeter un coup d'œil sur son contenu, ainsi que sur la correspondance. Je veux connaître les faits. Nous serions très reconnaissants si nous obtenions ces documents.

Le président : Il est clair que nous n'avons pas fait le tour de la question relativement aux écarts entre les délais allégués par les deux parties, mais je peux vous assurer que la différence est très grande.

J'ai une autre question. Monsieur Dearden, selon mon expérience, je crois comprendre que vous nous présentiez un avis juridique, mais je ne vois pas de signature sur le document.

M. Dearden : Je peux signer immédiatement si vous le désirez, monsieur.

Le président : Ce serait excellent.

M. Dearden : Désirez-vous que je signe? C'est absolument un avis juridique.

Le président : Si vous me dites que vous m'avez présenté un avis juridique couvert par vos assurances et tout le reste, nous le traiterons comme tel.

M. Dearden : C'est le cas, bien entendu.

Le président : Vous assimilez ce document à une présentation. Je ferai donc de même.

M. Dearden : Je peux signer votre copie de ma propre main, monsieur.

Le président : Je crois que les assurances de Gowling ratissent plus large que les vôtres. Si vous me dites que c'est un avis juridique, cela me suffit.

Merci beaucoup à tous. J'apprécie votre participation, qui était enrichissante. Vous avez probablement répondu à plus de questions que vous en avez soulevées. Nous devrons examiner les documents. Pouvons-nous communiquer avec vous une fois de plus si nous avons besoin d'éclaircissements de votre part? Vous pouvez toujours nous envoyer une présentation par écrit.

M. Williams : Absolument.

(La séance est levée.)


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