Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 13 - Témoignages du 5 novembre 2009
OTTAWA, le jeudi 5 novembre 2009
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-203, Loi modifiant la Loi sur la Banque de développement du Canada (obligations municipales pour infrastructures) et une autre loi en conséquence, s'est réuni aujourd'hui, à 10 h 34, pour étudier ce projet de loi ainsi que la situation actuelle du système financier canadien et international (sujet : crise économique mondiale).
Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce est ouverte. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi S-203, Loi modifiant la Loi sur la Banque de développement du Canada (obligations municipales pour infrastructures) et une autre loi en conséquence.
Ce projet de loi a été déposé au Sénat le 27 janvier par le sénateur Grafstein, un collègue et ancien président de ce comité. Selon le sommaire, le projet de loi S-203 viendrait :
[Français]
[...] modifie la Loi sur la Banque de développement du Canada afin de prévoir des exemptions d'impôt sur le revenu à l'égard des obligations émises par les municipalités pour financer des projets d'infrastructure.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui Jack Mintz, directeur et titulaire de la chaire Palmer en politique publique de l'Université de Calgary, et ancien président et directeur général du C.D. Howe Institute. M. Mintz a été invité à faire connaître son opinion sur les aspects de ce projet de loi liés au financement public, et sur le financement public des infrastructures en général, s'il le souhaite.
Comme nous le savons, M. Mintz est un économiste et un intellectuel respecté et bien en vue. Durant la deuxième heure — qui ne sera pas une heure entière puisque M. Mintz a un autre engagement et doit quitter à 12 h 20 —, nous écouterons les réflexions qu'il pourrait avoir au sujet des causes et conséquences de la crise financière et économique mondiale, au sujet des mesures que les décideurs canadiens devraient prendre ainsi que des domaines que notre comité devrait examiner par suite de la crise économique.
Avant de vous laisser commencer, monsieur Mintz, j'aimerais vous présenter les personnes présentes à cette table. Nous avons le sénateur Harb, de l'Ontario, le sénateur Peterson, de la Saskatchewan, le sénateur Oliver, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Gerstein de l'Ontario, le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse et moi-même, de l'Ontario. Notre vice- présidente, le sénateur Hervieux-Payette, du Québec, devrait arriver sous peu.
Ceci étant dit, aimeriez-vous faire une déclaration d'ouverture et quelques remarques? Par la suite, seriez-vous disposé à répondre à des questions?
Jack Mintz, directeur et titulaire de la chaire Palmer en politique publique, École de politique publique de l'Université de Calgary : Oui. Je vous remercie, monsieur le président. C'est avec grand plaisir que je me présente à nouveau devant ce comité, comme je l'ai fait à quelques reprises par le passé. Je traiterai précisément de la question des obligations municipales exemptes d'impôt, une question qui a déjà été soulevée auparavant au Canada. Une administration a même tenté de les utiliser. J'aimerais aborder les incidences de ces obligations, et voir s'il s'agit de la meilleure politique publique à adopter présentement dans ce pays.
La proposition du projet de loi S-203, qui vise à engager les administrations municipales à émettre des obligations municipales exemptes d'impôt, emprunte une voie pavée de bonnes intentions, mais il n'en demeure pas moins que c'est la mauvaise voie.
Permettre aux administrations municipales d'émettre des obligations municipales exemptes d'impôt est, à mon avis, une mauvaise politique publique pour trois raisons. Premièrement, les gouvernements ne devraient pas encourager une forme plutôt qu'une autre de financement ou de dépenses publiques pour les municipalités. Si l'exemption d'impôt a pour résultat de faire baisser le coût des obligations municipales, c'est donc dire que le gouvernement subventionne une dette. Ainsi, certaines municipalités pourraient être tentées de dépasser leur capacité, ce qui obligerait les provinces à prendre en charge les risques si les municipalités se retrouvent en situation de difficultés financières. Il n'est pas judicieux de financer l'endettement et les dépenses des municipalités dans l'optique où d'autres formes de financement, y compris l'imposition, sont toutes aussi importantes.
Deuxièmement, dans une économie sensible aux fluctuations des marchés financiers internationaux, ce sont principalement les investisseurs, généralement parmi les plus nantis, qui seraient intéressés par la détention de ces obligations et qui en récolteraient les fruits, plutôt que les municipalités. Les investisseurs étrangers jouent un rôle important dans l'évaluation du coût des obligations, et les marchés internationaux ne profiteront pas de l'exemption d'impôt puisque les autres pays imposeront les intérêts gagnés par leurs résidants qui détiennent des obligations municipales canadiennes. L'exemption ne réduirait donc pas énormément le coût des obligations puisque les investisseurs internationaux ne pourraient s'en prévaloir. En étudiant des obligations imposables comparables, une tâche plutôt ardue j'en conviens, on constate que moins de la moitié de l'exemption d'impôt a été profitable pour les municipalités, dans le cas des obligations municipales exemptes d'impôt émises en Ontario.
Je crois que cette évaluation est sans doute généreuse, car la garantie provinciale aurait réduit les coûts de financement de toute manière et car certains des avantages sont érodés par le coût des transactions des courtiers. En fait, la province de l'Ontario aide dorénavant les municipalités grâce à sa propre cote de solvabilité, ce qui permet l'application de taux d'intérêt plus faibles sur les obligations imposables.
Troisièmement, la responsabilité politique est un concept tenu en haute estime en vertu duquel les administrations qui dépensent de l'argent devraient être chargées de percevoir des impôts auprès des contribuables actuels et futurs plutôt que de dépendre du soutien financier provenant d'ordres supérieurs de gouvernement, qui doivent, eux, imposer leurs électeurs. Pour quelle raison les résidants d'Halifax, par exemple, devraient-ils financer des obligations émises par la Ville de Toronto?
L'exemption d'impôt fédéral-provincial pour les obligations municipales amoindrit la responsabilité politique. Pire encore, en encourageant l'endettement, le risque est pris en charge par la province, à qui incombe la responsabilité ultime des affaires municipales.
Ce que j'écrivais en juin 2002 dans un article pour le National Post, il y a presque sept ans donc, est encore valide aujourd'hui. Je vous cite un extrait :
Le fait d'exempter d'impôt les intérêts sur les obligations municipales, une politique en vigueur aux États-Unis, est un mauvais concept économique. Même Mel Lastman, le maire de Toronto, qui n'avait pas peur de demander la charité aux gouvernements provinciaux, critiquait cette approche, avec raison. Pourquoi voudrions-nous encourager le financement de l'endettement qui ferait en sorte le gouvernement laisserait aux futurs travailleurs encore plus d'impôts à payer que maintenant? Après tout, dans deux décennies, ces mêmes contribuables auront déjà une foule de programmes à payer, y compris les soins de santé publique et les prestations de retraite. N'ajoutons pas les dettes municipales à la liste des factures que nos enfants devront payer.
De plus, les données économiques sont plutôt concluantes quant à l'inefficacité patente des obligations municipales exemptes d'impôt comme moyen d'offrir du soutien aux municipalités. Des études réalisées aux États unis ont prouvé, l'une après l'autre, qu'une partie importante des avantages fiscaux revient aux investisseurs bien nantis, qui ne paient pas d'impôt sur les intérêts, plutôt qu'aux municipalités pour qui les coûts d'emprunt sont plus favorables. En fait, plus de 40 p. 100 des avantages reviennent aux investisseurs (sans compter ceux des courtiers en obligations au moyen des coûts de transaction) plutôt qu'aux municipalités. Comme les titulaires non résidants ne profitent pas d'exemption d'impôt sur ces obligations, il est probable que les municipalités ontariennes obtiennent beaucoup moins d'avantages que ce qui a été démontré aux États-Unis. Il serait beaucoup plus économique pour les provinces de verser une subvention pour chaque dollar d'endettement des municipalités.
Il serait préférable de considérer deux autres idées. La première serait de permettre aux municipalités de profiter des faibles taux d'emprunt de la province, comme l'Ontario l'a fait dernièrement. Les provinces jouent déjà un rôle dans les finances municipales et disposent des mécanismes pour minimiser les risques découlant de l'endettement municipal.
La deuxième serait d'accorder aux municipalités des pouvoirs d'imposition plus importants comme c'est le cas dans d'autres pays. Il s'agit cependant d'une décision qui relèverait des provinces.
Je crois qu'accroître les pouvoirs d'imposition des municipalités est la meilleure option, car elle permet aux municipalités d'être un peu plus créatives dans leurs méthodes d'imposition. Elle ne récompense pas l'endettement de façon coûteuse, et elle assure la responsabilité politique.
Voici qui conclut mon exposé.
Le président : Je vous remercie. Pendant votre exposé, les sénateurs Ringuette du Nouveau-Brunswick, Hervieux-Payette du Québec et Frum de l'Ontario se sont joints à nous.
Je sais qu'il y aura des questions. Après avoir répondu aux questions sur les obligations municipales, j'aimerais que vous élaboreriez sur les leçons à tirer ou sur les avenues à explorer relativement à la crise économique qui est derrière nous, du moins je l'espère mais pas nécessairement non plus.
Le sénateur Harb : Est-ce que le professeur Mintz pourrait faire sa présentation sur la crise économique dès maintenant? Ainsi, nous pourrions poser des questions sur ses deux exposés.
Le président : Je vais laisser M. Mintz nous dire s'il lui convient de procéder de la sorte.
M. Mintz : Je devrais laisser à la discrétion du président du comité le soin de déterminer la manière la plus appropriée de tenir cette discussion. Traiter de deux sujets à la fois peut parfois prêter à confusion. Cependant, il y a peut-être peu de questions sur les obligations municipales exemptes d'impôt. Comme vous le savez, je ne passe pas par quatre chemins.
Le président : Sénateur Harb, je vois très peu de corrélation entre ces deux sujets.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je suis d'accord. Je crois qu'il y aura peu des questions sur les obligations municipales, car M. Mintz a été très explicite quant aux avantages et inconvénients.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Mintz, en ce qui concerne l'avantage pour les municipalités de profiter du même taux d'emprunt que leur province. Je ne sais pas pourquoi ce n'est pas déjà le cas.
Si on les autorisait à emprunter, quel ratio d'endettement recommanderiez-vous pour éviter que les municipalités nuisent davantage aux générations futures, qu'elles ne déclarent faillite ou qu'elles n'engendrent de problèmes graves? Les Québécois croient que la responsabilité de toutes les dettes municipales revient au gouvernement. Ce n'est pas si simple. Elles émettent leurs obligations, et les grandes municipalités sont présentes sur le marché. Je crois qu'il faut évaluer l'administration avant d'acheter des obligations municipales.
Il existe sûrement une approche équilibrée qui pourrait être adoptée dans l'éventualité où les municipalités seraient autorisées à emprunter, plutôt que de toujours avoir à s'adresser aux administrations provinciales. Selon vous, quelle serait une approche équilibrée quant à leurs pouvoirs d'imposition et au ratio d'endettement?
M. Mintz : Il s'agit d'un sujet dont j'ai traité dans un article pour la Banque mondiale, et je serais heureux d'en discuter avec vous si le comité est d'accord. Cet article, que j'avais rédigé il y a quelques années en collaboration avec Michael Smart, de l'Université de Toronto, traite précisément de ces questions.
À mon avis, il est tout à fait approprié d'utiliser les obligations pour financer les infrastructures, pourvu que ce soit fait intelligemment, et il s'agit d'un enjeu important. Je ne parle pas de ponts qui ne mènent nulle part. Je parle de dépenses en infrastructures ayant des répercussions sur l'économie. Si on investit des fonds dans des infrastructures qui contribuent à la croissance économique, ce n'est pas une mauvaise chose de réserver une part de ce fardeau aux futurs contribuables plutôt qu'aux contribuables actuels. La difficulté réside, bien entendu, dans le fait que ce sont les contribuables actuels qui votent et non pas les futurs contribuables, et que les contribuables actuels ont toutes les raisons de vouloir transférer les coûts aux futurs contribuables. Il faut restreindre l'ampleur de ce phénomène.
En fait, je crois qu'on voudrait peut-être instaurer une certaine limite quant au montant des travaux d'infrastructures pouvant être entrepris. Il s'agit du type de questions dont nous traitons, Michael Smart et moi, dans cet article.
Une autre idée clé, que nombre de provinces ont déjà mise en œuvre, est d'avoir de vrais budgets en immobilisations qui classent les dépenses en infrastructures séparément. Une autre idée serait d'équilibrer le budget d'exploitation, qui comprendrait une charge d'amortissement au titre des infrastructures, puis d'utiliser une certaine partie des obligations, mais pas la totalité, pour le financement des infrastructures. Il pourrait s'agir de 60 p. 100 des dépenses en infrastructures, des deux tiers ou de toute autre proportion. Je suis convaincu qu'il est possible d'aborder raisonnablement cette question.
Le sénateur Peterson : Je vous remercie pour cet exposé. Pour ce qui est de la dette liée aux infrastructures, sépareriez-vous la dette pour laquelle un rendement est prévu au moyen de frais d'utilisation de la dette attribuable à la construction d'un pont pour lequel il n'y a pas de frais d'utilisation, par exemple?
Parmi vos solutions, vous parlez de pouvoirs d'imposition plus importants. Pourriez-vous nous donner des exemples précis?
M. Mintz : Pour ce qui est de votre première question, vous touchez un point intéressant en mentionnant que des infrastructures pourraient être financées sur une longue période au moyen de frais d'utilisation, comme les péages sur certaines routes. La création de rentrées d'argent précisément liées aux infrastructures pourrait profiter aux administrations et aider à absorber les coûts, y compris les intérêts à payer sur la dette, ce qui rendrait possible un ratio d'endettement plus élevé pour les dépenses en infrastructures. Cette décision devrait être prise pour chaque projet. Je ne crois pas qu'il y puisse y avoir une règle unique ici.
Vous soulevez un point important, à savoir que des frais d'utilisation pourraient aider à acquitter une partie des intérêts à payer sur cette dette dans le futur. Cependant, n'oublions pas que ce sont les générations futures qui payeront ces frais d'utilisation pour rembourser les coûts.
En ce qui concerne votre deuxième question sur des pouvoirs d'imposition plus importants, Tom Roberts et moi avons préparé un document il y a environ trois ans pour le C.D. Howe Institute dans lequel nous traitons précisément de ce sujet.
Je crois que certaines municipalités hésitent à percevoir de l'impôt foncier auprès de leurs résidants. En fait, dans certaines provinces, les plaintes le plus souvent formulées relativement au sous-financement des municipalités proviennent des municipalités qui n'aiment pas percevoir des impôts fonciers auprès de leurs résidants. Il y a place à une plus grande utilisation des impôts fonciers au Canada dans certaines régions. Je pense notamment à l'Alberta et à l'Ontario. Bien entendu, les impôts fonciers entraînent leur lot de difficultés financières, entre autres pour les aînés et les personnes à faible revenu, mais des crédits d'impôt foncier pourraient compenser partiellement ces coûts.
Une de mes inquiétudes par rapport au régime d'impôts fonciers est que nous imposons démesurément les immeubles non résidentiels ainsi que les immeubles à logements multiples, qui sont généralement des appartements utilisés par des Canadiens à faible revenu. Au Canada, nous sommes portés à percevoir davantage d'impôt foncier auprès des personnes à faible revenu et des sociétés plutôt qu'auprès des propriétaires de maisons unifamiliales lesquelles, dans plusieurs provinces, comprennent les copropriétés, même s'il existe certaines différences d'une province à l'autre sur le plan de la réglementation.
Je ne crois pas qu'il soit approprié de se fier à l'assiette d'imposition foncière. À l'heure actuelle, les municipalités ont de nombreux besoin, et il est raisonnable d'exiger une forme d'impôt qui ne crée pas d'importantes distorsions économiques mais qui, en même temps, aide les municipalités et permet le recours à une politique fiscale créatrice pour contribuer à subventionner leurs services.
Ma proposition n'est pas une taxe de vente. Au contraire, je crois qu'une taxe de vente serait la mauvaise solution. Les exemples américains sont de mauvais exemples. Les taxes de vente au détail aux États-Unis sont remises en question pour des raisons d'ordre constitutionnel liées au fait que certains États perçoivent des taxes pour le compte d'autres pour d'autres états. En fait, en Californie, une récente proposition préconisait l'élimination complète de la taxe de vente au détail dans cet État ainsi que de l'impôt sur le revenu des sociétés. On optera plutôt pour une taxe sur la valeur ajoutée, en fonction de la consommation, sur les comptes d'entreprises.
Je ne crois pas qu'une taxe de vente soit la solution. Un article ce matin mentionnait qu'une taxe de vente à Toronto serait une mauvaise idée. On ne peut pas non plus créer une taxe sur la valeur ajoutée au niveau municipal. Les taux différentiels engendreraient trop de fraude et de problèmes dans le système. C'est simplement impossible à ce niveau. C'est déjà suffisamment difficile au niveau provincial — bien qu'au Canada nous y parvenions —, mais c'est pratiquement impossible au niveau municipal.
Ce qui nous amène à ma proposition préférée, qui serait de prélever ce que j'appelle un « impôt sur le revenu gagné ». Il s'agirait en effet d'un impôt sur la paye et sur les gains des particuliers. Il pourrait être prélevé au moyen d'ententes de recouvrement de l'impôt sur le revenu au Canada. Il pourrait être prélevé à un certain taux minimal déterminé par les provinces. Il pourrait également être progressif. Les gens n'auraient pas à changer de domicile avec cette forme d'imposition, mais devraient peut-être modifier leurs habitudes de consommation. Par conséquent, cet impôt causerait moins de distorsions.
Une solution de rechange que Richard Bird et moi avons proposée par le passé, que cette commission de la Californie a adoptée dans ses recommandations, est d'envisager ce que j'appelle un « impôt sur la valeur de l'entreprise ». Il s'appliquerait aux entreprises en fonction des comptes. Il s'appliquerait à leurs bénéfices et permettrait la déduction de certains coûts. Je crois que ce serait trop difficile pour les municipalités. Cependant, si un impôt sur la valeur de l'entreprise était instauré à l'échelle provinciale et partagé avec les municipalités, cette solution pourrait être envisagée.
Ce sont là les options qui, à mon avis, valent la peine d'être étudiées. Par contre, il est nécessaire qu'un débat de fond ait lieu sur ces questions, car les taxes de vente ont déjà été une réalité au Canada. Bien entendu, certaines administrations prélèvent de l'impôt sur le revenu. Par contre, certains mécanismes ont été abolis depuis longtemps. Les gens ne sont pas encore prêts. Il doit y avoir un débat sérieux sur les pouvoirs d'imposition. À mon avis, ce seront les provinces qui décideront en fin de compte, car on assiste à des scénarios trop différents à l'échelle nationale. Il n'existe pas de règle unique qui puisse convenir.
Le président : Le sénateur Massicotte, du Québec, s'est joint à nous.
Le sénateur Harb : Un des témoins que nous avons entendus il y a quelques semaines a fait mention de ses inquiétudes sur la question des obligations. Il avait l'impression qu'il n'y aurait pas de preneurs. Il a fait valoir que 90 p. 100 des fonds actuellement sur le marché étaient non imposables, y compris les caisses de retraite et d'autres fonds.
Vous dites qu'on ne parle que d'environ 10 p. 100. Cela représente donc peu d'argent.
Partagez-vous cette opinion? Si oui, pourquoi?
M. Mintz : Je ne pense pas être entièrement d'accord. Si on regarde les différents instruments offerts au Canada, on constate que les investisseurs étrangers représentent environ 40 p. 100 du marché. Les caisses de retraite et les régimes enregistrés d'épargne-retraite, c'est-à-dire les REER, représentent un autre 40 p. 100. Les particuliers forment le 20 p. 100 restant.
Le marché est vaste. Il est fort possible que des obligations municipales exemptes d'impôt seraient une très bonne option aux yeux de nombreuses personnes. Cela est d'autant plus vrai parmi les groupes mieux nantis, comme le démontrerait n'importe quel modèle économique, parce que les comptes d'intérêts de ces groupes sont fortement imposés. Évidemment, l'introduction de comptes d'épargne exempts d'impôt peut dans les faits atténuer une partie de cet effet. Selon moi, ce genre d'obligations susciterait un certain intérêt. Je ne pense pas que ça poserait vraiment problème.
La grande question est de savoir dans quelle mesure une exemption d'impôt permettrait aux municipalités de profiter de taux d'intérêt moins élevés sur leur dette. Si on tient compte de qui détient véritablement les valeurs mobilières — dans la mesure où les caisses de retraite, les REER et les investisseurs étrangers jouent un rôle —, il est dès lors d'affirmer que les municipalités ne réaliseraient que très peu d'économies. La plupart des profits iraient aux investisseurs imposables qui achètent ces obligations.
Le sénateur Oliver : Vous avez en grande partie répondu à ma question en répondant à celle du sénateur Peterson.
Néanmoins, lorsque vous avez donné votre opinion sur les obligations municipales exemptes d'impôt, vous avez clairement indiqué que, à vos yeux, il s'agissait d'une très mauvaise politique publique parce que c'était l'équivalent de subventionner une dette. Vous avez ensuite expliqué ce que vous vouliez dire par là.
Ma question visait à savoir ce que vous recommanderiez, si les obligations municipales exemptes d'impôt n'étaient pas envisageables. Vous avez répondu que vous seriez en faveur d'un impôt sur le revenu gagné.
Ça me semble problématique, pour deux raisons. D'abord, le gouvernement actuel souhaite trouver des façons de réduire les impôts des particuliers et des sociétés plutôt que de les augmenter, mais vous proposez le contraire. Si les particuliers et les sociétés avaient plus d'argent à leur disposition, ils pourraient investir dans l'économie, la stimuler, ce qui mènerait à davantage de croissance.
Ensuite, de nombreuses municipalités se partagent les régions rurales du Canada. Beaucoup de terres agricoles ou autres seraient difficilement imposables en fonction du revenu gagné. Qu'avez-vous à dire à ce sujet, étant donné la nature de la plupart des municipalités et des régions rurales du Canada?
M. Mintz : Vous avez raison en ce qui a trait aux régions rurales du Canada. Un impôt sur le revenu gagné ne s'appliquerait pas aux intérêts, aux dividendes ou aux gains en capital, mais seulement au revenu d'un travail indépendant et à la paye que les particuliers reçoivent. J'ai fait l'analyse que vous suggérez lorsque je me suis attardé aux règles qui s'appliqueraient à un impôt sur le revenu gagné.
Le sénateur Oliver : Vous l'avez fait ou vous ne l'avez pas fait?
M. Mintz : J'ai effectué l'analyse par province, mais pas en comparant les régions rurales et urbaines. Vous avez tout à fait raison. Il faudrait examiner attentivement ces questions. C'est pourquoi j'ai mentionné que ce n'est pas une solution à adopter dans l'immédiat. Le même principe s'applique aux taxes de vente. Pouvez-vous imaginer un instant de petites régions rurales qui tenteraient d'imposer une taxe de vente? C'est inconcevable. Une taxe sur la valeur ajoutée donnerait des résultats encore plus farfelus.
Je comprends votre de point de vue. D'autres facteurs seraient à considérer. Il y a d'importantes différences d'une province à l'autre, puisque de nombreux aspects varient en fonction des provinces.
En ce qui a trait à votre remarque sur l'imposition, comme vous le savez, j'ai toujours été préoccupé par les taux d'imposition au Canada au fil des ans. Nous avons fait des progrès remarquables en 15 ans, autant sous la gouverne des libéraux que des conservateurs, pour réduire les taux d'imposition qui s'étaient gonflés au cours de nos années de lutte contre le déficit. Récemment, au début de la récession mondiale, le Canada présentait un excellent bilan grâce aux nombreuses politiques économiques intelligentes mises en place au cours des 15 dernières années. Par conséquent, je lève mon chapeau à tous les gouvernements, fédéraux et provinciaux, pour cette réussite.
Les municipalités remettent en question les contraintes par rapport aux pouvoirs d'imposition. Certains impôts sont préférables à d'autres. L'impôt foncier est plutôt avantageux pour les municipalités. Il est simple et facile à gérer. Peut- être que d'autres avenues pourraient être explorées davantage, comme les frais d'utilisation et d'autres frais semblables. Par exemple, au moment où j'ai fait mon étude il y a trois ans, l'Alberta comptait très peu sur les frais d'utilisation, mais elle pourrait s'y mettre pour assurer le financement des services municipaux. Encore une fois, ces questions varient énormément d'une province à l'autre. Certaines provinces pourraient opter pour l'ajout d'un nouvel impôt aux municipalités. D'autres pourraient refuser de le faire. Ultimement, c'est aux électeurs de décider ce qu'ils veulent.
Il ne faut pas oublier que les obligations municipales exemptes d'impôt ont un coût fiscal. Moins d'impôts seraient prélevés auprès des particuliers. Cela entraîne des coûts qu'il faut récupérer quelque part. Soit on hausse les impôts ailleurs, soit on réduit les dépenses pour veiller à garder un budget équilibré. Rien n'est gratuit.
Le président : Y a-t-il d'autres questions pour M. Mintz à ce sujet? Vos opinions semblent avoir été fort bien comprises, monsieur Mintz, tout comme votre présentation des autres options qui pourraient s'avérer utiles pour les municipalités.
Si vous le voulez bien, peut-être pourrions-nous changer de cap à l'instant et vous demander de donner un coup de main au comité, puisqu'il entreprend du travail préliminaire pour tenter de cibler un domaine où réaliser une étude approfondie des aspects qui découlent de la crise économique. Tout commentaire de votre part sur les causes et les conséquences de la crise ainsi que sur les domaines potentiellement d'intérêt pour le comité sera apprécié.
M. Mintz : Merci. Je ne prévoyais pas m'étendre sur le sujet. En fait, je pourrais sans doute en discuter pendant une heure, si je le voulais. J'ai prononcé de nombreux discours récemment sur des sujets liés à la crise financière que nous avons connue l'année dernière, ainsi que sur ses répercussions économiques.
Si vous me demandez qui sont les responsables ou ce qui s'est produit, je suis d'avis que presque tout le monde est à blâmer. Je pense que les gouvernements, particulièrement aux États-Unis — quoique certaines remarques pourraient également être faites au sujet du Royaume-Uni, de l'Irlande et de quelques autres administrations qui ont assoupli leur réglementation —, ont permis aux gens d'acheter très facilement des maisons, et ce, avec un crédit et un acompte minimaux, ce qui a assurément exacerbé le problème. Il ne fait aucun doute que le problème des prêts hypothécaires à haut risque survenu aux États-Unis, qui découlait de la réglementation gouvernementale et des lois qui ont été modifiées dans les dernières années de l'administration Clinton, a eu d'importantes répercussions sur la hausse du risque de crédit dans le marché immobilier. À mon avis, il s'agit indéniablement de l'une des raisons qui explique ce qui s'est produit, mais ce n'est pas la seule.
Par ailleurs, les prêteurs et les emprunteurs croyaient que le prix des maisons allait continuer à augmenter et que le risque de crédit était pratiquement nul. Pensant qu'ils pourraient répartir le risque partout dans le monde au moyen de produits structurés, les prêteurs se croyaient capables de faire disparaître le risque. Par conséquent, leur prise de décisions s'effectuait à partir de raisonnements très bancals, parce qu'elle s'appuyait sur des modèles qui n'intégraient pas adéquatement certaines caractéristiques structurelles des marchés financiers. Ces modèles étaient donc hautement défaillants, mais tout le monde s'y fiait.
Les emprunteurs étaient à blâmer parce qu'ils se sont placés dans une situation où ils pouvaient facilement perdre leur maison si les taux d'intérêt augmentaient. Je vous donne un exemple tiré de ma vie personnelle. Mes parents, qui ont connu la dépression des années 1930, ne se seraient jamais placés dans la situation de certains emprunteurs américains, à savoir de contracter une dette hypothécaire beaucoup trop grande en comparaison à leur revenu, de sorte que si une hausse des taux d'intérêt, une perte d'emploi ou tout autre malheur était survenu, ils auraient perdu leur maison par le fait même. La faute revient autant aux emprunteurs qu'aux prêteurs, qui ont incité beaucoup de personnes à profiter de ce crédit à faible coût.
Les grandes banques sont aussi à blâmer parce qu'elles ont dit que nous étions dotés de politiques monétaires axées sur l'inflation et que nous avions éliminé les cycles économiques, et les gens croyaient fermement qu'il n'y aurait absolument aucun problème dans les marchés financiers et que les taux d'intérêt resteraient bas. De mon côté, ayant notamment assisté aux présentations de nombreux gestionnaires de fonds d'obligations devant divers comités de dotation dont je faisais partie, j'ai entendu ces gestionnaires répéter sans cesse que les taux d'intérêt ne hausseraient jamais, que les grandes banques avaient maîtrisé l'inflation et que, essentiellement, l'économie mondiale se portait à merveille. Les grandes banques elles-mêmes étaient essentiellement de cet avis. J'imagine que certaines personnes se sont interrogées sur la situation en cours et sur les éventuels problèmes mais, de façon générale, la plupart des gens — moi y compris —, ne comprenaient pas pleinement les conséquences de cette grave erreur dans la façon dont nous avions évalué le risque dans les marchés.
Aujourd'hui, je dirais que nous n'avons rien appris du tout. En fait, on semble désormais croire que si nous transférons le risque aux contribuables et aux gouvernements, celui-ci disparaîtra d'une manière ou d'une autre. Mais le risque existe toujours. En fait, les gouvernements assument à l'heure actuelle une importante part du risque du secteur privé et il est faux de croire que cette pratique va prendre fin.
C'est là un aperçu de mon point de vue sur ce qui s'est produit. Assurément, lorsque l'Asie a amorcé une croissance et que le prix des marchandises a augmenté aux environs de 2004, nous avons pu voir, par la suite, la hausse des taux d'intérêt en Europe et aux États-Unis, la dégringolade du marché immobilier en raison de l'accumulation de stocks et, à partir de 2007, une chute des prix. Tout le monde connaît la suite, soit la perte subséquente de billions de dollars.
En tant que comité, vous devriez examiner quelques-unes des leçons à tirer. D'abord, il faut comprendre le rôle de la réglementation financière sous-jacente et les mesures qui devront être prises à ce chapitre pour veiller à ce qu'au moins une partie des risques apparus dans les marchés financiers soit traitée ou évaluée adéquatement au moyen d'instruments financiers. Ainsi, on évitera de revivre une situation où le monde entier assiste à l'émergence d'un risque systématique capable de nuire à l'ensemble de l'économie mondiale d'un seul coup. Selon moi, ce domaine d'étude vous intéressera.
Par chance, au Canada, nous avons profité d'un meilleur système bancaire. Certains diront que c'est grâce à une meilleure réglementation, d'autres donneront le mérite aux banquiers, qui semblaient peut-être stupides il y a quelques années mais qui ont l'air plutôt intelligents aujourd'hui. Nous avons été capables de maintenir un système bancaire plus solide, ce qui a également été le cas dans d'autres pays où le système bancaire ne faisait pas l'objet de grandes menaces. Cependant, lorsque le risque systématique s'est répandu dans l'ensemble de l'économie mondiale, même nos banques ont eu à affronter leur part de difficultés. Certains aspects méritent d'être examinés, et j'ai d'autres idées sur la manière dont le cadre de réglementation des marchés doit dorénavant être établi. Nous pourrions nous y attarder pendant la période de questions.
À mon avis, le deuxième aspect à considérer a trait à l'augmentation des déficits gouvernementaux et de la dette au Canada. Comme je le mentionnais précédemment, nous avions maintenu un bon bilan à l'amorce de la récession mondiale. En effet, autant au fédéral qu'au provincial, la dette nette avait été réduite à 28 p. 100 du PIB, ce qui est assez remarquable. À mes yeux, nous avons entrepris des mesures de stimulation économique relativement opportunes et temporaires, qui n'ont pas causé de coûts à long terme qui s'inscriraient à notre déficit. Par conséquent, même si notre dette augmente actuellement et atteindra les 30 p. 100, notre ratio d'endettement net, en pourcentage du GDP, finira par osciller autour de 35 p. 100. Je ne crois pas que nous faisons face à un problème majeur ou du moins pas aussi majeur que celui des États-Unis, où les mesures de stimulation économique utilisées n'étaient ni temporaires ni suffisamment opportunes pour affronter une récession jusqu'à maintenant beaucoup plus prononcée chez eux.
Quelles sont les conséquences de cette situation? Il y a deux enjeux. Le premier a trait aux conséquences sur les finances fédérales pendant plusieurs années à venir et la pression qu'aura le gouvernement fédéral concernant certaines enveloppes budgétaires essentielles aux yeux des Canadiens, y compris la santé et l'éducation. Ces secteurs sont tout aussi importants à l'échelle provinciale. En fait, mes inquiétudes par rapport aux déficits se situent davantage au niveau provincial que fédéral. Le déficit de l'Ontario se chiffre désormais à 24,7 milliards de dollars et celui de l'Alberta à près de 7 milliards de dollars, et la plupart des autres provinces accusent aussi d'importants déficits. Quelques-unes d'entre elles se trouvent potentiellement en situation de déficit structurel. En plus de gérer ces difficiles situations déficitaires, elles réduiront les dépenses dans des domaines comme les infrastructures et l'éducation, qui constituent des éléments essentiels à la croissance de l'économie canadienne.
Nous devrons réfléchir aux manières dont les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent coordonner leurs efforts par rapport à leurs objectifs pour veiller au maintien futur de la productivité par l'intermédiaire des programmes publics clés qui jouent un rôle primordial dans des domaines comme les dépenses publiques et l'éducation.
Évidemment, nous savons que les soins de santé pigent dans les assiettes de tout le monde au provincial. Comme c'est la plus grande dépense, les questions relatives aux soins de santé seront inévitablement au menu. Le gouvernement fédéral sera contraint d'examiner les paiements de transfert qu'il verse aux provinces. Il s'agit là du deuxième enjeu auquel il faudra réfléchir à la suite de cette récession mondiale.
D'autres enjeux méritent probablement qu'on s'y attarde, mais le troisième auquel nous devrons réfléchir attentivement a trait à notre future politique commerciale et à nos relations, non seulement avec les États-Unis, mais avec d'autres pays partout dans le monde.
Au Canada, en raison de notre relation étroite avec les États-Unis, nous avons jugé important d'améliorer nos relations commerciales avec ce pays au cours des dix dernières années. À mon avis, nous n'avons fait que de petits pas en cette direction. Des pas vers l'avant, certes, mais rien de majeur. Désormais, nous devons traiter avec un Congrès et un président encore plus exigeants qu'avant sur les questions de commerce. Il faut se pencher sur ces questions, parce que le commerce demeurera d'une grande importance au Canada.
Nous constatons aussi que les ressources économiques continuent de se déplacer vers les pays émergents, notamment les pays asiatiques, mais aussi le Brésil et les pays d'Amérique latine. Cet important déplacement du pouvoir économique vers de nouveaux endroits signifie que le Canada voit de nouvelles options s'offrir à lui. À mes yeux, ce n'est pas une question de diversifier le commerce, mais plutôt d'adopter des politiques habiles qui pourraient, en fait, nous aider dans notre relation avec les États-Unis.
En ayant une solution de rechange crédible, il est plus facile de négocier avec d'autres partenaires. Sans solution de rechange, dans 90 p. 100 des cas, l'autre partie a le dessus pendant les négociations.
Une des choses que nous devons faire est de voir à développer d'autres marchés qui constitueraient une réelle solution de rechange pour les sociétés canadiennes afin que, dans toutes nos négociations et discussions avec d'autres pays sur des politiques commerciales, il soit clair que de nouvelles options s'offrent au Canada. Et si les pays ne veulent pas s'asseoir à la table des négociations et convenir d'un libre-échange, ou du moins d'un échange avantageux pour les deux parties, nous disposerons d'une option auprès d'un pays qui recherche les mêmes types d'avantages.
Les négociations commerciales actuelles avec l'Union européenne et la nécessité de réfléchir plus attentivement à ce que nous pouvons faire par rapport à l'Asie et, potentiellement, au Brésil sont des aspects auxquels nous devons nous attarder dans le cadre de l'élaboration de notre politique commerciale. De nouveau, il s'agit d'un domaine d'étude pertinent pour votre comité.
Je n'ai plus d'autres commentaires à ce sujet.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Mintz. Voilà qui fournit amplement de matière à réflexion aux membres et qui apporte son lot de questions.
En ce qui a trait à votre premier point sur la réglementation financière, si on regarde la crise financière et le Canada, comme vous l'avez dit, bon nombre de raisons font en sorte que nous nous en tirons assez bien pour l'instant. Voyez- vous un besoin de renforcer la coordination des organismes de réglementation au sein du Canada? Le cas échéant, qui doit mener cette initiative, selon vous? Le gouverneur de la Banque du Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières — le BSIF —, ou un autre organisme?
Par ailleurs, une bonne partie des dommages subis ici provenait de l'extérieur de nos frontières. Il semblerait que la solution à ce problème passe par la réglementation internationale. Par le passé, nos amis au sud du 49e parallèle ne se sont pas montrés très ouverts à l'idée de céder une part de leur souveraineté au profit d'institutions internationales. Qu'espérez-vous au chapitre d'une réglementation internationale plus présente, si bien sûr vous êtes d'avis qu'il s'agit d'un mécanisme utile pour prévenir une autre crise économique mondiale?
M. Mintz : En ce qui a trait à la coordination de nos organismes de réglementation canadiens, deux aspects sont à considérer. D'abord, il y a la coordination au sein du gouvernement fédéral, où plusieurs personnes différentes participent à la réglementation des marchés financiers. Puis, il y a la coordination des gouvernements fédéral et provinciaux, puisque les provinces jouent également un rôle à l'égard de certains aspects de la réglementation des marchés.
Par conséquent, ces deux enjeux sont à étudier attentivement par rapport aux différences entre la situation actuelle et ce qui sera nécessaire à l'avenir.
Pour ce qui est de la réglementation fédérale, je suis d'avis que la meilleure approche consiste probablement à mettre en œuvre ni plus ni moins ce dont les gens parlent, et ce qui s'est d'ailleurs fait auparavant, c'est-à-dire de mettre sur pied un comité officiel constitué des principaux organismes de réglementation fédéraux. La question alors est de savoir qui en serait le président.
À mon avis, le ministre des Finances doit être à la tête de la réglementation financière au niveau fédéral. Donc, ce serait à lui de nommer un président — soit le BSIF ou quelqu'un d'autre. Je ne pense pas que cette responsabilité doit incomber à la Banque du Canada, notamment parce que, d'après moi, cette institution doit continuer à se concentrer sur la politique monétaire et les questions connexes. Je suis conscient du fait que les développements financiers ont d'importantes répercussions sur la politique monétaire, et c'est pourquoi la Banque doit absolument jouer son rôle de soutien de dernier recours pour les banques, au besoin. Toutefois, dans l'ensemble, un certain nombre de politiques clés élaborées au Canada ne relèvent pas seulement de la Banque du Canada, mais aussi d'autres secteurs gouvernementaux. Tant que nous veillons à ce que les organismes de réglementation se parlent, l'idée d'un comité semble la voie à suivre pour la coordination au sein du gouvernement fédéral.
Ce qui nous amène à la coordination des gouvernements fédéral et provinciaux. Il a été question d'un organisme national de réglementation des valeurs mobilières. Nous aurions peut-être avantage à orienter notre réflexion vers une réglementation financière coordonnée, et pas uniquement par rapport aux valeurs mobilières, dans le contexte fédéral- provincial.
C'est un sujet épineux. Cependant, j'ai été impressionné par le Québec, notamment, et par la manière dont cette province a développé son cadre de réglementation des marchés au cours des dernières années, dans une approche sensiblement différente de celle adoptée par les autres provinces. Nous devons poursuivre les discussions à la fois sur le contenu et la structure de la réglementation au Canada.
En ce qui a trait à la réglementation internationale, je crois qu'il s'agit d'une tâche beaucoup plus ardue. Toutefois, nous disposons désormais d'organismes importants qui facilitent la coordination des différentes parties sur la scène internationale. Chaque pays a sa propre approche de réglementation pour ses institutions, mais lorsqu'il est question de grandes institutions actives à l'échelle mondiale, il faudrait s'attarder aux ratios d'adéquation du capital et aux autres éléments pertinents en vue d'une réglementation internationale.
Ce sera beaucoup plus difficile à réaliser. Selon moi, compte tenu de ce que nous avions au Canada, à savoir la réglementation et l'attitude des banques beaucoup plus prudentes ici comparativement au Royaume-Uni et aux États- Unis, nous devons nous assurer que notre système soit aussi solide que possible. Évidemment, lorsque nous faisons face à un problème mondial, comme la dernière crise financière où, notamment, les banques ne se prêtaient plus d'argent, nous devons agir, et c'est ce que nous avons fait en collaboration avec d'autres pays.
Il faut se doter d'institutions à l'échelle internationale qui nous permettront de maximiser notre potentiel de coordination. Cependant, à mon avis, ce n'est pas une tâche facile à l'échelle internationale.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup, monsieur Mintz, pour votre présentation. J'ai quelques questions à vous poser, d'abord au sujet des taux d'intérêt.
Au cours des récessions précédentes, pendant les années 1980 et les années 1990, les taux d'intérêt sont demeurés très élevés. Le gouvernement et les banques affirmaient qu'ils voulaient faire en sorte que les consommateurs ne vivent pas au-dessus de leurs moyens et évitent de dépenser de l'argent qu'ils n'avaient pas.
Fait intéressant, cette récession-ci a été différente, et j'aimerais vous entendre à ce sujet. En 2004-2005, les taux d'intérêt ont amorcé une hausse que la banque fédérale a justifié par le fait que l'économie s'emballait et qu'il fallait calmer le jeu — soit. Soudainement, lorsque l'économie s'est écroulée, on a assisté à un virage à 180 degrés, et le taux d'intérêt a descendu jusqu'à 0 p. 100 aux États-Unis.
Le parallèle entre les deux est fort intéressant. Au cours de la présente récession, les gouvernements de part et d'autre de l'océan disent aux consommateurs de dépenser encore et encore. Est-ce là une approche économiquement raisonnable? Jusqu'à quel point peut-on inciter les consommateurs à dépenser de l'argent, argent qu'ils n'ont parfois même pas?
M. Mintz : Votre question est très importante. J'ai écrit un contre-éditorial à ce sujet il y a quelque temps. Cette idée voulant qu'économiser soit mauvais et que consommer soit bon repose trop lourdement sur une théorie macroéconomique keynésienne, qui a pour principe sous-jacent un concept voulant que le seul moyen de stimuler la demande économique est d'inciter les gens à consommer davantage et que l'épargne ne constitue rien d'autre qu'une perte sur le plan économique. Par conséquent, lorsque les gens épargnent davantage, la consommation et l'activité économique diminuent. Il y a un peu de ce phénomène dans le marasme actuel.
Aux États-Unis, une partie du problème provient des taux d'épargne extrêmement bas et, par le fait même, de la situation de dette colossale dans laquelle le pays se trouve par rapport au reste du monde, en ce sens où il doit compter sur d'autres pays pour le financer à l'heure actuelle et pour les années à venir. Par exemple, le Japon affiche un ratio dette-PIB extrêmement élevé. J'ai oublié le chiffre exact, mais il dépasse largement 100 p. 100 et est en voie d'atteindre 200 p. 100 dans un avenir assez rapproché, puisque les déficits du Japon sont plutôt énormes.
La grande différence entre le Japon et les États-Unis est que le Japon a conservé des taux d'épargne correspondant à 30 p. 100 du PIB, ce qui lui permet de profiter d'une charge d'intérêts très peu élevée. Les taux d'intérêt du Japon sont d'environ 1 p. 100. Le pays a été en mesure de financer une grande partie de sa dette grâce à ses épargnes, mais il finira par subir la pression causée par l'ampleur de ses déficits. Certains affirment que le Japon pourrait se trouver en situation de déficit courant, ce qui signifie qu'il aurait à effectuer des emprunts sur le marché international pour financer sa consommation. Le Japon a un ratio d'endettement élevé depuis plusieurs années, mais ses épargnes ont atténué une partie des problèmes associés à ce type de situation. La dette extérieure par rapport au PIB constitue un problème plus grave. Le modèle de prédiction des taux de change de la Banque du Canada a toujours tenu compte du ratio de la dette extérieure par rapport au PIB parmi les facteurs qui influencent le dollar canadien. Plus la dette extérieure est élevée, plus le dollar canadien est faible. Le dollar canadien affiche un meilleur rendement parce que nous avons réduit notre dette extérieure depuis le début des années 1990.
Actuellement, les États-Unis se dirigent dans la direction opposée. C'est pourquoi je suis d'avis que, avec le temps, étant donné les importants déficits américains, d'ici 2014 la dette accumulée fera ressembler les États-Unis au Canada en 1994. Ils auront un grave problème en raison de leurs faibles taux d'épargne et, par conséquent, ils seront d'autant plus dépendants des fonds souverains de la Chine et du Moyen-Orient ou encore d'autres fonds pour approvisionner ou financer leur dette. Évidemment, ces pays pourront choisir de ne pas financer la dette américaine et d'opter pour d'autres instruments financiers.
Ce matin, le Wall Street Journal annonçait que l'Inde a acheté de l'or et, naturellement, le cours de l'or a grimpé hier. L'Inde a procédé ainsi notamment dans le but de s'éloigner du dollar américain. Par conséquent, nous assisterons à une baisse continue de ce dernier. Pour certaines de ces questions, le Canada se trouve en bien meilleure position que les États-Unis. Les délibérations de ce comité doivent notamment servir à comprendre les perspectives d'avenir des États-Unis, ses perspectives fiscales et ses perspectives en matière de politique monétaire, ainsi que les conséquences potentielles de tout cela sur l'économie canadienne, qui pourraient être importantes.
Le sénateur Harb : Ma prochaine question concerne l'économie de marché. Nous formons une société capitaliste. Lorsqu'un secteur traverse une crise, il y a toujours des gagnants et des perdants. Dans ce cas-ci, nous savons qui sont les perdants. Pourriez-vous dire au comité qui sont les gagnants?
M. Mintz : Voulez-vous dire les gagnants sur le plan des répercussions économiques?
Le sénateur Harb : Oui. Lorsque quelqu'un perd, dans une économie de marché, quelqu'un d'autre gagne. Je veux savoir qui sont les gagnants.
M. Mintz : En situation de ralentissement économique, les gagnants sont peu nombreux. De façon générale, l'ensemble de l'activité économique se replie. Certains portent un fardeau économique plus lourd. Ceux qui perdent leur emploi, en particulier, font alors face aux problèmes les plus sérieux. Quelques gagnants ont émergé du marasme économique actuel. Même aux États-Unis, l'emploi dans le secteur de la santé était jusqu'à récemment en croissance et non en déclin. Il vient un temps, bien sûr, où les gouvernements n'ont plus les fonds nécessaires pour payer toutes les factures et ils commencent à chercher des moyens de couper dans le secteur des soins de santé. Aux États-Unis, ce secteur a connu un certain recul.
Au Canada, d'une certaine façon, ce sont les fonctionnaires qui jusqu'ici sortent gagnants, en raison des mesures de stimulation budgétaire qui ont entraîné l'embauche de nouveaux employés par le gouvernement. Nous avons aussi remarqué une croissance en santé et en éducation. Plus d'étudiants retournent à l'université ou au collège, ce qui fait grimper la demande en programmes d'enseignement. Ces secteurs sont parmi les gagnants. Comme les gouvernements provinciaux ont accumulé d'importants déficits, on commence à voir qu'ils ne sont pas près de faire partie des gagnants. À n'en pas douter, nous sommes témoins d'une certaine retenue sur le plan fiscal, ce qui aura également une incidence sur le secteur public.
En toute honnêteté, je dirais que les gagnants sont peu nombreux lorsque le repli économique est aussi marqué que celui que nous avons connu. Globalement, tout le monde s'en tire moins bien, parce que les revenus sont moindres, et la marge de manœuvre des gouvernements est elle aussi restreinte par la diminution des recettes fiscales. En conséquence, tout le monde y perd.
Le sénateur Harb : Vous avez indiqué que les fonctionnaires pourraient être les gagnants. On sait toutefois que de nombreuses caisses de retraite, dont certains régimes de retraite du secteur public, ont perdu des milliards de dollars. Il faudrait peut-être réfléchir au fait que pour cette récession-ci, contrairement à d'autres, nous n'avons pas de réglementation financière ni de règles adéquates qui nous indiqueraient comment jouer le jeu. On peut accuser la Chine tant qu'on veut, il reste que le problème ne provient pas de la Chine, mais plutôt de la bourse de New York qui a refusé de laisser le gouvernement réglementer certaines activités financières. Tout le monde y a perdu parce que, comme on nous l'a dit lors de notre passage à New York, tout le monde achetait pendant que les cours montaient, et plus personne n'achetait une fois que les cours ont commencé à descendre. Si les gens avaient acheté lorsque les cours descendaient, il y aurait eu plus de gagnants.
Le président : Peut-être que les gagnants sont simplement ceux qui ont le moins perdu.
Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai une question concernant ce qui arrivera si l'État intervient moins, mais qu'on modifie les lois. Je me réfère, pour donner un exemple, au rôle des cotisants — tous des citoyens canadiens —, votre 20 p. 100 de gens qui ont énormément perdu, non seulement eu égard à leur pension mais aussi personnellement. Ils ont perdu sur les deux fronts : leur caisse de retraite a fondu, et ils ont personnellement subi des pertes. C'est là l'état de leurs économies pour l'avenir.
Je me demande si vous savez comment nous pourrions donner plus de pouvoir aux cotisants. Les cotisants aux caisses de retraite ne décident pas de la façon dont est investi leur argent. Nous envisagerons certainement de modifier nos lois concernant les caisses de retraite. Je ne vois pas, par contre, comment nous pouvons influencer l'orientation de nos caisses de retraite, et les cotisants n'exercent aucune influence. Le conseil d'administration joue un rôle de fiduciaire pour le compte de ces gens. Ces gens n'ont pas voix au chapitre quant à la façon dont leur argent est investi.
Avez-vous des remarques à faire ou avez-vous rédigé un article récemment au sujet de l'habilitation des cotisants, afin d'atténuer leur frustration, en leur permettant d'avoir leur mot à dire, pas sur ce qui se passe à la Bourse — c'est une toute autre histoire —, mais quelque chose qui donnerait un sens à notre éventuel vote par procuration. En ce moment, je n'ai pas l'impression qu'il vaut la peine de remplir les procurations, parce que je sais que la voix des cotisants n'a aucune influence. C'est en fait contraire à l'esprit de la loi, puisque ce sont les cotisants qui devraient profiter de la gestion et des décisions du conseil.
M. Mintz : J'évoquerai pour commencer un livre écrit il y a bien des années par Albert O. Hirschman au sujet de l'opposition silencieuse et de la prise de parole. Il y a deux façons d'exercer une influence sur quelqu'un. L'une consiste à avoir davantage son mot à dire dans ce qu'il entreprend. Dans le cas d'une société, on parlerait d'une place au conseil d'administration ou, à tout le moins, d'une plus grande influence immédiate sur les gestionnaires. L'autre façon, l'opposition silencieuse, consiste à vendre ses actions.
Dans le cas des sociétés, les actionnaires peuvent de toute évidence vendre les actions qu'ils détiennent, ce qui se traduit par d'importantes pressions sur la direction, puisque la paye et la réputation des gestionnaires dépendent de la réussite de la société. Donc, dans la mesure où nous nous assurons que la rémunération de la direction dépend du rendement à long terme de la société et non seulement des résultats à court terme, je crois que cette façon de faire contribue grandement à concilier les intérêts des actionnaires et ceux de la direction. Bien sûr, si les actionnaires ne sont pas satisfaits de l'organisation et de la rémunération de la société — dont les méthodes sont publiques et devraient toujours l'être —, ils peuvent décider de ne plus faire partie de cette société et de se départir de leurs actions. Nous devrions laisser les forces du marché agir, tout particulièrement en ce qui concerne les actions.
Pour ce qui est de la question des caisses de retraite, plus intéressante encore, il nous faut examiner leur gestion et leur fonctionnement de plus près. Leurs cotisants sont captifs. À partir du moment où une personne cotise à une caisse de retraite, elle est prise avec cette caisse et avec ses pratiques, à moins de carrément interrompre les cotisations en quittant son emploi et en transférant éventuellement les fonds dans un REER immobilisé. Cette situation est totalement différente de celle de l'actionnaire d'une société qui, lui, a au moins une porte de sortie, à savoir la possibilité de vendre ses actions et de se dissocier entièrement de cette société.
La question est maintenant de savoir comment nous traitons les caisses de retraite dans le pays. Prenons l'exemple des régimes de retraite à prestations déterminées, qui ont assumé de gros risques conjointement avec leurs placements. Une étude menée par l'Organisation de coopération et de développement économiques — l'OCDE — et publiée l'été dernier indique que le secteur des caisses de retraite du Canada se classe troisième pour ce qui est du mauvais rendement. Les pertes moyennes des caisses de retraite — aussi bien publiques que privées, je crois — au Canada ont été de 18 p. 100 pendant la récession. Il se classe troisième parmi les pays offrant un mauvais rendement. En passant, les Américains ont fait encore pire. Ce n'est qu'en moyenne que la perte a été de 18 p. 100.
Pourquoi cela? Elles détenaient une grande partie du risque, des capitaux privés, ce genre de choses. La question est de savoir comment traiter les gestionnaires et les caisses de retraite. L'une des choses qui me préoccupent à propos du financement des caisses de retraite, et particulièrement des régimes à prestations déterminées ou des régimes hybrides — qui garantissent les prestations jusqu'à un certain point —, c'est que les caisses de retraite n'ont pas à accumuler de réserves pour parer à l'éventualité où elles ne pourraient plus verser les prestations prévues. Donc, d'une certaine façon, le rendement des caisses de retraite pendant les bonnes années était une surévaluation de leur rendement réel puisque, au même moment, elles compromettaient leur capacité à faire face à leurs obligations par rapport aux prestations déterminées qu'elles versent aux travailleurs.
Nous devons examiner de plus près la gouvernance connexe aux caisses de retraite dans ce pays, parce que les gens sont captifs de la façon dont cette gouvernance se fait. Bien sûr, le résultat pourrait être l'imposition d'un risque important aux gouvernements. Dans le cas des caisses de retraite de l'État, des insuffisances liées à leur financement forcent les gouvernements à compenser. Tout régime de retraite gouvernemental place les contribuables devant un risque important associé à ce régime à prestations déterminées, et ce sont eux qui devront compenser les insuffisances. Les grands régimes à prestations déterminées du secteur public, comme le mentionnait le sénateur Harb, connaissent d'importants déficits, et ce sont les gouvernements qui compensent les insuffisances qui en découlent. Je le répète, tout est lié à l'importance des risques que nous sommes prêts à assumer par rapport aux placements des caisses de retraite, et aux garanties offertes par celles-ci.
Du côté des régimes privés, les gouvernements et les contribuables pourraient éventuellement devoir assumer les risques pris par une caisse de retraite qui se retrouve dans l'eau chaude. On l'a vu avec les employés de Nortel, dont les prestations ne correspondent soudainement plus à ce à quoi ils s'attendaient parce que Nortel s'est retrouvée à sous- financer la caisse de retraite.
Aux États-Unis, ils essaient de pallier cela grâce à un fonds de garantie établi par le gouvernement, mais cette façon de procéder entraîne un risque moral puisqu'elle encourage les caisses de retraite à prendre encore plus de risques. Un de mes collègues de l'Université de Calgary, Norman Neilson, a récemment publié un article aux États-Unis qui explique que les caisses de retraite ontariennes ont pris plus de risques que celles des autres provinces en raison de l'existence d'un tel fonds de garantie. Il nous faut donc réfléchir sérieusement aussi bien à la politique à adopter dans ce cas qu'au risque que nous sommes prêts à voir les gouvernements assumer.
J'aimerais en terminant parler de l'approche des autres pays par rapport à leurs régimes à prestations déterminées. L'une des sociétés avec lesquelles j'ai fait affaire s'occupait de cinq régimes de retraite dans différents pays — le Royaume-Uni, l'Irlande, le Canada, les Pays-Bas et la Norvège. Le régime norvégien n'a jamais eu de problème de déficit, il a toujours été pleinement financé. C'est parce que les Norvégiens ont un règlement, dont les détails m'échappent, qui les force à détenir principalement des obligations pour financer les prestations à venir. En conséquence, les régimes norvégiens n'ont presque jamais été en situation déficitaire, et nous n'avons jamais eu à discuter du financement d'un déficit dans leur cas. Lorsque vous êtes obligés de détenir principalement des obligations pour vous acquitter de vos obligations futures, le coût des cotisations associé à ce régime devient un sérieux problème. C'est pourquoi ce régime norvégien coûtait en fait plus cher que d'autres.
Ce dont il faut se rappeler, c'est qu'il est possible de réduire le risque, mais nous devons être prêts à assumer les coûts.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je vous remercie. Je suis totalement d'accord avec votre second argument, concernant l'habilitation des actionnaires. Je sais que les sociétés tiennent évidemment des assemblées annuelles à laquelle les actionnaires sont invités. S'ils tiraient parti des nouveaux médias, comme Internet, pour offrir aux actionnaires la possibilité de poser des questions, alors ce serait une vraie assemblée, mais quand l'assemblée a lieu à 500 kilomètres de chez eux, les actionnaires savent qu'ils ont peu de chance de se faire entendre.
La publication du nom des actionnaires pourrait être envisagée. Ça devrait normalement faire partie du domaine public, alors je crois que nous pourrions agir pour donner plus de force à leur voix. Lorsque quelqu'un vend ses actions, je ne crois pas que cela fasse une grande différence le lendemain, mais lorsqu'un fonds vend un bloc d'actions, cela fait une différence.
Ma dernière question concerne l'avenir. Une fois que le patient s'en sera remis, que l'économie aura retrouvé son équilibre, que nous irons de l'avant et que nous ferons face à la concurrence dont vous avez parlé de la part du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et peut-être d'autres pays, comment arriverons-nous à financer notre nouvelle économie? Comment pourrons-nous réunir les capitaux nécessaires à la commercialisation des résultats de toutes nos recherches?
L'Université de Calgary, à l'instar d'autres organisations partout au pays, mène des recherches extraordinaires en nanotechnologie et dans bien d'autres domaines. L'État investit l'argent des contribuables en offrant des crédits d'impôt pour la recherche et le développement ainsi que pour l'exploration dans d'autres secteurs. Nous investissons des sommes importantes dans ces initiatives, mais nous ne les récupérons jamais quand une société est vendue à des intérêts étrangers. Nous le voyons dans le secteur des technologies de l'information. Arrivée à la dernière étape, la société est achetée par des étrangers qui ont les moyens de poursuivre son exploitation. Nous perdons totalement le contrôle d'une société dans laquelle nous avons beaucoup investi par l'intermédiaire de la R-D. Parfois, ils s'éclipsent avec la technologie en ne laissant aucun emploi au Canada.
Nous avons investi des milliards de dollars en recherche et développement dans de nombreux secteurs. Comment pouvons-nous contribuer à l'émergence d'une nouvelle économie sans les priver de capitaux au moment où ils s'apprêtent à commercialiser leur produit?
Je vous laisse y réfléchir. Nous devons penser à l'avenir que nous réservons à nos nouveaux diplômés. Notre population est la plus scolarisée au monde. Comment allons-nous nous assurer que, lorsque nous finançons des entreprises, la commercialisation a lieu ici et génère des retombées pour les Canadiens?
M. Mintz : Vous soulevez une question complexe à laquelle bien des gens ont de la difficulté à répondre, et je ne crois pas qu'une solution magique ait été trouvée jusqu'ici. Je dirais toutefois que certaines politiques que nous avons adoptées ces dernières années nous aident à protéger la valeur ajoutée provenant de nos activités de recherche et développement, au lieu de la voir s'envoler.
En fait, lorsque je me suis penché sur ce problème il y a plus de 10 ans à titre de président du Comité technique de la fiscalité des entreprises, nous avons constaté qu'un certain nombre de laboratoires canadiens percevaient des redevances pour de la R-D effectuée au Canada. Ils avaient droit au crédit d'impôt pour la recherche et développement, mais tout l'essaimage avait lieu aux États-Unis et ailleurs. Nous ne tirions que peu d'avantages du crédit d'impôt pour la recherche et développement qui sert à encourager la recherche au Canada. Du moins, nous n'en tirions pas autant d'avantages que nous l'aurions pu.
C'est pourquoi nous avions à l'époque fait valoir l'avantage d'une réduction importante du fardeau fiscal des sociétés. En fait, en 1998, le Canada avait non seulement l'un des plus hauts taux d'imposition des bénéfices des sociétés, mais aussi l'un des plus hauts taux effectifs d'imposition sur le capital, tous pays confondus. Par conséquent, même si nous offrions tous ces crédits d'impôt et ces autres mesures d'aide à la R-D, plusieurs des installations se trouvaient à l'étranger, puisqu'il n'était pas rentable d'établir ici les activités à valeur ajoutée.
J'avancerais que, grâce aux modifications apportées en 2000 à notre structure d'imposition des sociétés, il est plus facile de commercialiser davantage les résultats de la recherche au Canada, en faisant en sorte que, à tout le moins, la fabrication et d'autres secteurs, comme les services aux entreprises, mettent à profit ces travaux de recherche et développement.
J'aimerais clarifier une autre chose essentielle à mes yeux, un problème auquel nous sommes parfois confrontés lorsque nous nous penchons sur des questions connexes à la recherche et au développement. Les activités de recherche et développement sont importantes pour le développement de produits, elles le favorisent, mais pour commercialiser les produits nous avons besoin d'un autre aspect de l'innovation qui, lui, ne s'inscrit pas dans la définition officielle que donne l'OCDE de la recherche et du développement. Je parle de tous les autres facteurs essentiels à la commercialisation des biens et des services, y compris la façon de servir les clients, de faire la mise en marché, et cetera.
Au Canada, deux éléments handicapent la commercialisation des résultats de la recherche. D'abord, notre marché intérieur est relativement petit et les fabricants préfèrent parfois s'installer près des endroits où la demande est importante. Ils ont donc tendance à installer ce genre d'activité près des marchés importants. Nous sommes, de plus, loin des marchés importants, ce qui pose problème.
Les politiques commerciales jouent un rôle essentiel dans la commercialisation. Des politiques qui vont au-delà des activités de recherche et développement, qui visent à réduire les coûts gouvernementaux, la réglementation, l'impôt et le reste, peuvent aussi favoriser la production de valeur ajoutée au Canada. Je crois que nous nous sommes engagés sur cette voie, et il sera intéressant de voir les prochaines statistiques à ce sujet.
Prenons l'exemple de l'Ontario, dont le secteur manufacturier connaît d'importantes difficultés, mais où tous les manufacturiers ne font pas nécessairement de mauvaises affaires. Parmi les secteurs vigoureux de l'économie ontarienne, notons le secteur financier, de même qu'une partie de l'industrie des technologies de pointe et du secteur des ressources naturelles. Le Canada dispose toujours d'importantes ressources naturelles. De grands travaux ont été entrepris, y compris les projets gaziers de Shell en Colombie-Britannique et les projets liés aux sables bitumineux en Alberta. Je crois comprendre que même le Québec pourrait exploiter des gisements de gaz naturel. De nouvelles technologies permettent maintenant d'exploiter des gisements autrefois impossibles à atteindre. Ce domaine est témoin de beaucoup d'innovation et de création de valeur ajoutée.
Tout est lié au fait que les sociétés évoluent dans une économie mondiale. Elles installent les différentes étapes de leur production dans différents pays, selon ce qui est le plus avantageux pour elles. En veillant à ce que de nombreux secteurs d'activité canadiens demeurent compétitifs, je dirais qu'en agissant ainsi nous avons accompli, au cours de dix dernières années, d'importants progrès qui nous ont permis d'accueillir des emplois à plus grande valeur ajoutée.
J'adhère à l'idée qu'il est important d'agir ainsi, parce que nous ne voulons pas voir nos diplômés simplement quitter le pays pour un endroit où ils pourront mettre leur solide formation à profit. L'Irlande a non seulement énormément investi dans l'éducation, mais elle s'est aussi dotée d'une structure de réglementation des sociétés qui a attiré de nombreuses multinationales. Ce pays avait jusqu'à récemment réussi à inverser un exode qui perdurait depuis fort longtemps en raison des insuffisances sur son marché de l'emploi. L'Irlande a été, de la fin des années 1980 jusqu'à récemment, une incroyable réussite sur le plan du développement. Le pays fait aujourd'hui face à sa part de difficultés en raison de la récession mondiale, mais il est tout de même passé, en un court laps de temps, du statut d'un des parents pauvres de l'Europe à celui d'un des parents les plus riches. Cette évolution est attribuable à des politiques bien pensées, à des politiques axées sur la scolarisation de la population et à des politiques visant à attirer les employeurs vers l'Irlande. Le pays a ainsi été témoin de l'arrivée d'immigrants plutôt que d'un mouvement d'émigration.
C'est ainsi qu'il faut penser, au Canada, si nous voulons tirer profit de la commercialisation et de la recherche. Il n'y a pas que les petites choses qui nous permettront d'y arriver, il y a aussi les grandes.
L'Australie est un autre bel exemple de pays ayant réussi à profiter de ses ressources et à créer un certain nombre de secteurs. Si l'Australie va bien, ce n'est bien sûr pas uniquement grâce à son secteur des ressources naturelles, mais aussi grâce à d'autres secteurs, particulièrement les services et la fabrication. Sans par être parfaite, leur situation tire toutefois avantage pour l'instant de la proximité du marché asiatique, dont la croissance est la plus rapide au monde.
Le sénateur Gerstein : Monsieur Mintz, à un moment donné nos efforts de stimulation de l'économie devront être éliminés progressivement. Comment saurons-nous que le temps est venu de commencer à éliminer progressivement ces mesures? En d'autres mots, quels sont les signes qui nous permettront de constater que l'économie est capable de voler de ses propres ailes?
M. Mintz : C'est une question très difficile. À mon avis, c'est la plus difficile des questions auxquelles doivent répondre le gouverneur de la Banque du Canada et le ministre des Finances. C'est qu'il ne faut pas agir trop rapidement à certains égards, comme élever ou abaisser les taux d'intérêt. Il faut soutenir la croissance, oui, mais on ne peut attendre trop longtemps sous peine d'intensifier les pressions inflationnistes, qui pourraient avoir d'autres répercussions importantes sur l'économie canadienne à long terme. Nous sommes actuellement sur la corde raide.
Selon moi, l'économie canadienne a encore des capacités excédentaires considérables, c'est-à-dire que nous ne subirons pas de pressions inflationnistes avant au moins un an. En même temps, nous devrons mettre fin aux mesures de stimulation budgétaire mises en œuvre pour cette année et l'année prochaine. Il faudra qu'elles cessent. Si l'on examine celles qui ont été adoptées au Canada à l'échelle fédérale, on constate que c'est ce qui a été prévu. Les mesures auront disparu en grande partie après l'année prochaine, surtout celles qui concernent le financement des infrastructures. C'est à prendre ou à laisser : si les provinces et les municipalités n'ont pas de projets leur permettant de profiter de ces mesures de stimulation budgétaire avant la fin de l'année prochaine, alors il sera trop tard.
Quant aux prestations d'assurance-emploi, elles n'ont été étendues que temporairement et reviendront elles aussi à la normale. Ce sera peut-être un plus grand défi encore, car je ne suis pas certain que les taux de chômage baisseront rapidement d'ici la fin de la prochaine année. Certains voudront qu'on conserve quelques-unes des mesures d'aide à l'emploi, afin d'aider les travailleurs faisant face au manque d'emplois, surtout dans certaines régions.
D'autres éléments de cette stimulation budgétaire prendront sûrement fin, comme le crédit d'impôt pour la rénovation domiciliaire. Seule l'extension des exemptions visant l'impôt personnel est permanente et ne disparaîtra pas. Ces exemptions demeureront dans les prochaines années. Il s'agit, en fait, d'une réduction d'impôt permanente introduite l'an dernier.
Si l'on regarde l'ensemble des mesures de stimulation budgétaire, on constate que la plupart — je ne me souviens pas du pourcentage exact — prendront fin l'année prochaine, ce qui est probablement un bon moment pour l'économie canadienne. Mais le plus gros problème, c'est que des pressions politiques vont être exercées pour maintenir un niveau élevé de dépenses, et il sera important, je crois, que les gouvernements restent focalisés sur le déficit. La plupart des Canadiens estiment que laisser augmenter le déficit l'année dernière a été une bonne décision sur le plan de la politique publique. La situation était exceptionnelle, mais nous devons maintenant recommencer à gérer les finances de manière prudente et responsable. Ce sera l'avis de la population, et elle s'attendra à ce que les gouvernements agissent en conséquence.
Comme je l'ai mentionné, je me préoccupe surtout des déficits financiers et des déficits structurels des provinces, qui sont maintenant évidents. Les provinces auront besoin de fonds pour les infrastructures, les soins de santé et l'éducation. Ces éléments représentent une grande part de leur budget, la plus importante, en fait. Les provinces auront beaucoup de difficulté à trouver ces fonds dans l'avenir, surtout si les recettes fiscales n'augmentent pas suffisamment.
Trouver un moyen d'équilibrer les finances du fédéral et des provinces, et de répondre aux besoins des provinces en matière de financement des dépenses, est le plus gros défi que nous aurons à relever. Cependant, on ne doit pas hausser exagérément les impôts ni perdre la maîtrise des déficits, ce qui ne ferait qu'augmenter la dette. Voilà les grands problèmes qui nous attendent.
Pour revenir à votre question concernant le moment de stimuler l'économie, il faudra probablement quelques années avant que le chômage commence à diminuer considérablement. Le marché boursier rebondit toujours avant que l'économie et le taux d'emploi se remettent à croître. Toutefois, comme le Canada a connu un ralentissement temporaire et comme le secteur commercial s'en est bien sorti, je suis certain que nous devrons envisager des réductions dans environ un an. Pour l'instant, je crois que les mesures financières et fiscales sont pertinentes. D'ici l'an prochain, il faudra reprendre les réductions budgétaires et hausser les taux d'intérêt en vue d'une éventuelle reprise économique au Canada, en partie grâce à l'expansion en Asie. La demande de marchandises augmentera dans cette région, tout comme les prix sur le marché mondial, et cette nouvelle situation mondiale sera très avantageuse pour le Canada.
Le sénateur Greene : J'aimerais vous poser une question générale sur l'avenir des régimes de retraite. Il y a actuellement un problème. Ils représentent d'énormes dettes publiques non financées. Un grand nombre de régimes privés sont dans une situation périlleuse. Nous ne savons pas ce que sera l'économie dans une dizaine d'années, mais nous savons que l'évolution démographique exercera d'importantes pressions sur ces régimes. Nous pouvons prendre des mesures maintenant pour régler la situation actuelle, mais j'imagine que le problème sera assez grave dans 10 ans ou plus. Nous devrions donc chercher dès maintenant des solutions plus créatrices. Je ne sais pas quelles sont ces solutions, mais on dirait que ce que nous faisons actuellement n'est pas suffisant, peu importe notre situation économique.
M. Mintz : Tout d'abord, au sujet des régimes de retraite, j'aimerais rappeler que le Canada a un régime de pensions national, et qu'il est très bien intégré. Quand nous parlons de régimes de retraite à prestations déterminées — très différents des régimes à cotisations déterminées où le cotisant supporte les risques et reçoit un montant en fonction du rendement du régime —, nous parlons aussi des REER généraux, des REER collectifs et de tous les autres régimes de cette catégorie.
Je suppose que vous êtes particulièrement préoccupé par les régimes de retraite à prestations déterminées, qui ne sont que partiellement capitalisés depuis 2008. Je vous suggère de consulter le rapport du DBRS publié il y a quelques mois. À sa lecture, on constate qu'un bon nombre de régimes ne vont pas si mal que ça, et que la sous-capitalisation n'est pas si importante qu'on le croyait. Avec la reprise du marché boursier, je crois que les régimes ont retrouvé leur niveau antérieur.
Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problème. En fait, en tant qu'analyste de la politique publique, je suis surtout préoccupé par l'abandon des régimes de retraite à prestations déterminées au profit d'autres types de régimes de retraite.
Dans certains cas, abandonner les régimes de retraite à prestations déterminées n'est pas une mauvaise idée sur le plan économique, car ces régimes ont servi pendant les négociations collectives à retenir les travailleurs. Quand une personne quitte son emploi, et je parle d'expérience, elle laisse habituellement beaucoup d'argent derrière elle.
C'est que dans un régime de retraite à prestations déterminées, l'employeur verse moins d'argent au début, quand l'employé est jeune, et en verse davantage à la fin de la carrière de l'employé. Ce type de régimes est utilisé pour essayer de garder les bons employés au sein de l'organisation.
L'adoption des régimes à cotisations déterminées, des REER et REER collectifs, rend le marché du travail plus souple; à cet égard, ce n'est peut-être pas une mauvaise chose. Mais d'un autre côté, délaisser les régimes de retraite à prestations déterminées a fait augmenter la responsabilité des particuliers. Ils assument des risques associés au capital humain, car ils ne savent pas s'ils pourront garder leur emploi et leur salaire, les économies qu'ils investissent en prévision de leur retraite. Ils ont plus de difficulté à diversifier le risque.
L'avantage des régimes de retraite à prestations déterminées est qu'ils font peser le risque non pas sur les particuliers, qui le supportent moins bien, mais sur d'autres éléments de l'économie, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un gouvernement. Le Régime de pensions du Canada en est un exemple, tout comme les régimes de retraite de l'État.
Je crois qu'un des principaux enjeux de la politique publique est de penser davantage à partager les risques liés au revenu de retraite et à favoriser l'accès à ces régimes, pour que les travailleurs puissent assumer ces risques et maintenir un certain niveau de vie après leur retraite.
En passant, les gens consomment moins, en général, après leur retraite que pendant leur vie active. Leurs revenus n'ont donc pas besoin d'être aussi élevés. Même si on parle habituellement de 70 p. 100, ce chiffre sort de nulle part. On ne fait que supposer qu'on aura besoin d'un revenu de retraite équivalant à 70 p. 100 de son salaire. Toutefois, une étude réalisée aux États-Unis a montré qu'on aurait plutôt besoin d'environ 50 p. 100 de son salaire à la retraite, pas de 70 p. 100. En fait, un grand nombre de documents confirment cette conclusion.
Je suis surtout préoccupé par les régimes de retraite à prestations déterminées. Nous savons que, pour des raisons d'ordre juridique, bon nombre de sociétés ont décidé de ne capitaliser leur caisse qu'en partie, parce qu'en cas de liquidation, elles sont obligées d'assumer le risque, la perte. Par contre, les surplus, ou du moins la plus grande part, vont aux travailleurs. En raison de ces risques, de nombreuses sociétés ne capitalisent leur caisse que partiellement. Ce n'est pas nécessairement celles qui ont des problèmes financiers; ce que je veux dire, c'est que beaucoup de sociétés ont décidé de délaisser les régimes de retraite à prestations déterminées, du moins quand le marché du travail était plus souple.
Au cours des dernières années, nous avons vu des sociétés revenir aux régimes de retraite à prestations déterminées en prévision de la pénurie de main-d'œuvre, pour retenir les bons travailleurs et les traiter correctement. C'est pourquoi elles optent pour ce type de régimes.
J'estime qu'il est primordial que le cadre de réglementation soutienne les régimes de retraite à prestations déterminées dans le secteur privé, parce qu'il s'agit d'un enjeu important pour l'avenir.
Le sénateur Oliver : Nombre des observations que vous avez faites aujourd'hui sur la crise financière m'ont paru très pertinentes, et beaucoup sont fascinantes. Vous avez commencé par parler du financement des résidences privées et de la crise des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis. Vous avez ensuite parlé des lois qui ont été modifiées dans les dernières années de l'administration Clinton. Puis, vous avez brièvement parlé des problèmes que posent les produits structurés.
Je crois que ce qui s'est passé avec certains de ces produits structurés est ce qui a entraîné cette récession. J'aimerais beaucoup que vous nous disiez ce qui a mal tourné, à votre avis. Je parle, par exemple, de la titrisation, du fait que de nouveaux produits dérivés étaient vendus à l'échelle mondiale, et cetera, et aussi du fait que les gens l'ignoraient. Vous avez dit plus tôt qu'un des principaux facteurs est la façon dont nous percevons les risques dans les marchés. Ça s'applique aussi aux produits structurés.
J'aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure ces produits structurés étaient néfastes ou non réglementés, et ce que vous recommandez de faire à ce chapitre, s'il y a quelque chose à faire.
M. Mintz : Les produits structurés, comme les titres adossés à des crédits mobiliers et les titres adossés à des créances hypothécaires, ne sont pas nécessairement mauvais. Ils permettent de répartir le risque entre un grand nombre de titres et de populations, et ainsi de diminuer le coût du risque. À mon avis, les produits structurés sont bons s'ils contribuent à l'élaboration de mécanismes visant à réduire le coût du risque et, par conséquent, le coût que doivent payer les emprunteurs. Ce serait bon pour l'économie s'ils permettaient de faire ça.
Le problème, je crois, c'est que le coût des risques associés aux produits structurés n'était pas réaliste parce que certains risques n'étaient pas pris en compte. Cette situation est attribuable aux modèles utilisés par beaucoup de personnes dans les marchés financiers. J'ai analysé ces modèles et j'ai noté que la plupart s'inspirent d'analyses réalisées par des économistes dans les années 1990. Les économistes aiment partir d'hypothèses très particulières pour élaborer leurs théories. Certaines de ces hypothèses s'apparentaient à un monde sans impôt, à un monde sans frais de transaction et à un monde sans risque associé au crédit. Bref, des modèles douteux.
La notation de ces produits structurés était basée sur ces modèles, qui n'étaient effectivement pas bons. Ainsi, ils ne tenaient pas compte d'éléments qui, à mon avis, sont des facteurs institutionnels importants des marchés financiers qui peuvent influer sur le coût. Bien sûr, quand tout va bien et qu'aucun gros changement ne survient, ça ne dérange pas beaucoup, dans une certaine mesure. Mais dès que quelque chose arrive, comme nous avons pu le voir avec la hausse des taux d'intérêt en 2004-2005, l'accroissement important du parc résidentiel aux États-Unis et la chute du prix des maisons, soudainement, les modèles qui ne tenaient pas bien compte du risque de crédit ont entraîné une évaluation faussée des produits structurés.
Vous avez raison, les produits structurés nous ont menés vers la récession mondiale que nous avons connue parce qu'ils étaient vendus partout dans le monde. Ainsi, les risques courus aux États-Unis se sont propagés dans le reste du monde. Au Canada, notre problème a été le papier commercial adossé à des actifs. En Europe, à l'été 2007, une banque allemande a déclaré faillite à cause de produits structurés provenant des États-Unis.
Ce qui sera difficile, en matière de réglementation du secteur financier dans l'avenir, ce sera de trouver un moyen de s'assurer que les gens évaluent correctement le risque, de manière à favoriser un comportement prudent dans les marchés. C'est pourquoi je crois que nous devrions nous tourner davantage vers les ratios d'adéquation du capital, ou d'autres facteurs du genre.
Permettez-moi de préciser qu'encadrer les marchés financiers signifie d'abord et avant tout faire en sorte que les gens aient confiance dans ces marchés. Pour ce faire, il faut que les bons joueurs se distinguent des mauvais. Leurs actions sur les marchés financiers doivent être la preuve de leur bon comportement, pour que les mauvais négociateurs et les mauvais joueurs paraissent mal. Ça se fait au moyen d'engagements formels. Nous pouvons instaurer bien des choses dans les marchés, à l'échelle institutionnelle, pour favoriser cette distinction. Les clauses restrictives en sont un exemple.
Les règlements adoptés par les gouvernements doivent servir à rendre cette distinction encore plus évidente, sous peine de voir les marchés s'effondrer comme l'an dernier. Les conséquences sur l'économie mondiale sont très importantes. Les règlements qui permettent aux mauvais joueurs d'imiter facilement les bons minent la confiance des citoyens dans les marchés financiers.
Laissez-moi vous donner des exemples. Vous avez une assurance-dépôts non fondée sur le risque. De mauvais joueurs arrivent, font toutes sortes de dépôts et investissent dans des actifs très risqués. Au bout du compte, c'est le contribuable qui en fera les frais. C'est pourquoi je crois qu'une assurance-dépôts devrait être fondée sur le risque et que les primes devraient être calculées en fonction des risques que présentent les établissements financiers, d'après leurs actifs et leurs activités.
En mettant en œuvre, comme on l'a vu récemment, des politiques comme les plans de sauvetage bancaire, en gardant en poste l'équipe de gestion et en n'apportant aucun changement, on crée un risque moral, on laisse les mauvais joueurs dans l'arène, plutôt que de les punir. Aux États-Unis, les plans de sauvetage bancaire étaient nécessaires, car si le gouvernement n'était pas intervenu, on aurait assisté à une épidémie de fermetures. Les plans de sauvetage bancaire devraient prévoir le remplacement de tous les membres de la direction, ou la fusion avec un autre établissement, comme ça s'est fait dans le cas de Bear Stearns et d'autres sociétés. Voilà le genre de mesures qui doivent être prises.
Bref, la réglementation du secteur financier doit viser à faire payer davantage les mauvais joueurs qui tentent d'imiter les bons afin qu'on puisse les distinguer facilement dans les marchés.
Le sénateur Oliver : Une certaine forme de réglementation serait nécessaire pour ce faire. Pourriez-vous nous donner votre avis sur les mesures que le G20 envisage de prendre par rapport à certains de ces produits?
M. Mintz : Certaines des mesures envisagées ont beaucoup de sens, comme les swaps sur défaillance de crédit avec provision, un peu comme on l'exige d'une compagnie d'assurance. En fait, ça correspondrait au cadre que je propose pour une bonne réglementation du secteur financier. Le plus gros problème, à ce chapitre, est de savoir qui inclure dans ce cadre. De toute évidence, les banques doivent l'être, tout comme d'autres grandes institutions financières.
Pour revenir aux ratios d'adéquation du capital, je crois qu'ils permettent aux bons joueurs de se distinguer des mauvais. S'ils n'ont pas suffisamment de capital, il est trop facile pour les mauvais joueurs d'entrer dans la danse et de prendre des risques inconsidérés.
Le sénateur Peterson : J'ai un commentaire à faire au sujet du papier commercial adossé à des actifs. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question de bons et de mauvais joueurs, mais plutôt du fait que les obligations étaient bien notées. Je ne pense pas que les gens savaient ce qui se trouvait dans le panier. Il contenait beaucoup de mauvaises dettes, comme les dettes de cartes de crédit. Ce qui est tragique, c'est que certains des bons joueurs, pour reprendre votre expression, ont pu réunir de l'argent et faire des profits sur leurs ventes, alors que d'autres en ont grandement souffert. J'ose espérer que les règlements mettront fin à de telles situations. Elles ne devraient pas survenir, et j'espère que quelqu'un, comme le BSIF, se penchera là-dessus pendant la rédaction des règlements.
M. Mintz : En ce qui concerne la crise du papier commercial adossé à des actifs, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Certaines personnes connaissaient les risques que cet instrument comportait. En fait, il était très clair que les banques n'auraient peut-être pas eu à soutenir le papier commercial adossé à des actifs vendu au Canada, et qu'elles n'en détenaient pas. De nombreuses personnes ont soit été mal informées ou en détenaient à titre de société. En fait, d'importantes sociétés en avaient acheté et se sont retrouvées avec du papier commercial adossé à des actifs qui était plutôt douteux.
Ce qui s'est produit, évidemment, est le résultat des modèles économiques. Le papier était noté triple A parce que les acteurs, y compris les agences de notation, les banques centrales et les négociateurs eux-mêmes, faisaient confiance aux modèles sous-jacents. Nous avons donc tous été trompés, à quelques exceptions près. Certaines sociétés n'avaient pas de papier commercial, et ne se sont donc pas fait avoir. Elles avaient pris la bonne décision.
Je dirais que ce que nous avons fait avec le papier commercial adossé à des actifs, et la façon dont nous avons réagi à la situation, n'a pas du tout aidé le marché. Nous avons nui à son fonctionnement. Nous avons aidé des gens qui avaient pris de mauvaises décisions. Nous avons bloqué le marché et avons choisi de ne pas appliquer les règles du marché, car certaines personnes auraient vu leurs bénéfices diminuer. Nous avons donc bloqué le marché, et, maintenant, les gens ont du papier qui ne sera pas remboursé avant longtemps, et nous avons du même coup fait disparaître la liquidité associée à ce papier.
Je ne crois pas que nous ayons géré la situation au mieux. À mon avis, nous avons nui aux marchés en tirant d'affaire, d'une certaine façon, les négociateurs qui avaient pris de mauvaises décisions.
Le président : Chers collègues, en votre nom, j'aimerais dire à M. Mintz que cette matinée a été très instructive. Nous avons beaucoup apprécié cette discussion. Nous avons une énorme dette envers vous, si vous me passez l'expression. Nous espérons que nous pourrons encore faire appel à vous et vous remercions vivement d'avoir accepté notre invitation de dernière minute. Au nom de tous, merci beaucoup.
(La séance est levée.)