Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 5 - Témoignages du 28 avril 2009
OTTAWA, le mardi 28 avril 2009
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 32, pour examiner les éléments du projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget 2009, qui concernent la Loi sur la protection des eaux navigables (partie 7).
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Je souhaite la bienvenue aux gens dans la salle ainsi qu'à ceux qui nous écoutent sur le réseau CPAC et sur le Web.
Vous assistez à une séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle David Angus, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Notre comité a pour mandat d'examiner les projets de loi relatifs à l'énergie, à l'environnement et aux ressources naturelles en général. Je profite de l'occasion pour vous présenter mes collègues sénateurs qui siègent au comité et qui sont avec nous aujourd'hui, en commençant par notre vice-président, assis à ma droite, le sénateur Grant Mitchell. Habituellement, je mentionne aussi leur province, mais si je fais une erreur, on me reprend immédiatement, alors je vais simplement les nommer. Aujourd'hui, ce sont tous de grands Canadiens, à tous points de vue.
L'homme distingué aux cheveux blancs assis juste ici est le sénateur Tommy Banks, mon prédécesseur au poste de président. Nous avons ensuite les sénateurs Bert Brown, Richard Neufeld, Dan Lang, Elaine McCoy, Robert Peterson, Lorna Milne, Willie Adams et Mira Spivak.
Le 12 mars 2009, le Sénat a demandé au comité d'examiner les éléments concernant la Loi sur la protection des eaux navigables (partie 7) contenus dans le projet de loi C-10, le projet de loi d'exécution du budget qui a été adopté par le Parlement, et d'en faire rapport d'ici au 11 juin. Jeudi dernier, le 23 avril, nous avons entamé nos audiences sur ce sujet. Nous avons tenu des audiences assez complètes avec M. David Osbaldeston et M. Donald Roussel, des représentants de Transports Canada.
Aujourd'hui, nous poursuivons notre série de réunions à ce sujet. Nous estimons que c'est une question qui intéresse énormément la population. Dans le but de nous préparer à présenter notre rapport au Parlement, nous voulons entendre toutes les parties intéressées de façon équitable et équilibrée.
J'ai le plaisir de vous présenter nos témoins, M. Stephen Hazell, directeur général du Club Sierra du Canada, et M. Jay Morrison, président de la campagne Right to Paddle de la Société pour la nature et les parcs du Canada.
Jay Morrison, président, Campagne Right to Paddle, Société pour la nature et les parcs du Canada : Comme vous vous en doutez, c'est une campagne qui a été lancée tout récemment.
Le président : Nous accueillons également Terri-Lee Reid et Leigh Edgar, toutes deux chercheures en conservation à la Fédération canadienne de la faune. Je vous souhaite à tous la bienvenue.
Je crois que M. Morrison va prendre la parole en premier; il sera suivi de Mme Reid et de M. Hazell, après quoi nous passerons à la période de questions des sénateurs.
Honorables sénateurs, vous devriez tous avoir reçu une copie des mémoires, puisqu'ils nous ont été remis à l'avance.
Nous allons donc commencer par M. Morrison.
M. Morrison : Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais un peu écourter ma déclaration pour gagner du temps. Au nom de la Société pour la nature et les parcs du Canada, je souhaite vous remercier de l'intérêt que vous portez à la Loi sur la protection des eaux navigables et de votre invitation.
Je souhaite présenter au comité un aperçu de certaines lacunes importantes de la LPEN modifiée, notamment le manque de consultation des intervenants, l'absence de définition réaliste des eaux navigables, les pouvoirs arbitraires octroyés au ministre des Transports et le risque accru que l'on omette de procéder à des évaluations environnementales cruciales.
La Société pour la nature et les parcs du Canada est le principal organisme communautaire de promotion de la nature au Canada. Grâce à ses 25 000 adhérents et à ses 13 sections réparties de Terre-Neuve jusqu'au Yukon, la SNAP a joué un rôle capital, depuis 1963, dans la protection des deux tiers des espaces protégés du Canada. Le dossier de la SNAP montre qu'elle peut collaborer avec les gouvernements locaux, provinciaux et fédéral de toutes allégeances et en particulier avec les Premières nations.
Le principal objectif de la Société pour la nature et les parcs du Canada consiste à garantir le maintien de l'intégrité environnementale et à protéger le droit des Canadiens de pagayer dans notre nature, qui fait l'envie du monde entier.
Le personnel du bureau du sénateur McCoy m'a suggéré de vous donner des exemples de ce qui peut ou non être considéré comme des eaux navigables à la suite des modifications à la loi. J'ai ici quelques photographies prises durant mon excursion en canot à travers le Canada que j'aimerais faire circuler, si vous me le permettez, monsieur le président.
Le président : D'accord. Je vous suggère de les remettre à la greffière, qui pourra les annexer à la documentation. Nous allons les faire circuler parmi tous les sénateurs de façon à ce qu'ils puissent les regarder dans le contexte de votre témoignage.
M. Morrison : Excellent. Je vais les laisser ici pour le moment.
Le président : Merci, sénateur McCoy. Une image vaut mille mots.
Le sénateur McCoy : C'est une phrase typiquement irlandaise. Merci.
M. Morrison : Jusqu'à ce qu'elle soit modifiée, la LPEN était une loi clé qui favorisait une protection efficace de l'intégrité environnementale et du développement durable, en plus de réaliser son objectif principal, dont on vous a parlé la semaine dernière, je crois, à savoir protéger le droit public de naviguer en vertu de la common law.
La SNAP a suivi les délibérations du comité de la Chambre des communes, qui a examiné les modifications à la loi l'année dernière. Le rapport publié en juin 2008 par le comité citait de nombreux témoins, représentant des instances gouvernementales régionales, qui souhaitaient que des changements soient apportés à la loi pour faciliter des projets de construction.
Cependant, le comité n'a entendu les témoins que d'un groupe environnemental, n'a pas entendu de représentants d'organisations de pagayeurs, de pêcheurs ou de chasseurs, ni de pourvoyeurs, ni de voyagistes ou d'entreprises d'équipement de plein air, ni d'aucun groupe autochtone, ce qui est carrément révoltant. Dans le rapport, le comité promet d'autres consultations, qui n'ont pas encore eu lieu.
Le président : Je ne veux pas vous faire perdre le fil de vos idées, mais vous lisez en partie votre déclaration. Certaines personnes ici ont froncé les sourcils, y compris moi-même, quand vous avez parlé du manque de consultation, parce que nous avons reçu des témoins du ministère qui nous ont dit que le comité de la Chambre des communes, présidé par M. Tweed, avait tenu des audiences. Ce comité a publié un rapport. Ils nous ont également dit que sur une période de 15 ans, on a effectué des travaux et élaboré ce qu'on a qualifié de modifications essentielles pour la modernisation et la mise à jour de la loi, et que tous les intervenants avaient été consultés. Je suis surpris de vous entendre dire que vous n'avez jamais été consultés.
Le sénateur Spivak : Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Quand j'ai questionné les représentants du ministère, je leur ai demandé quels intervenants du public avaient été consultés, parce que dans leur déclaration, ils ont affirmé que les intervenants avaient été consultés. Il faut indiquer au compte rendu que nous n'avons reçu aucune réponse à cette question concernant les membres du public.
Le président : Le compte rendu indique ce qu'il indique, mais je vous remercie et je prends note de votre rappel au Règlement.
Je suis désolé de ces interruptions. Nous essayons seulement de rétablir les faits.
M. Morrison : C'est un point tout à fait pertinent, monsieur le président. Plus tard dans mon exposé, je vais élaborer un peu sur cette question et évidemment répondre à vos questions. Toutefois, je parle précisément du comité de la Chambre des communes qui s'est réuni à peu près à ce temps-ci l'année dernière. Il a tenu des audiences au cours du printemps et a déposé son rapport en juin.
Durant ce processus, selon la liste des témoins publiée dans le cadre du rapport, la quasi-totalité des témoins étaient des organisations régionales ou municipales qui, sans doute, s'intéressaient à des projets de construction et pour qui la loi posait manifestement problème, en ce sens qu'elle leur impose plus de délais et de coûts liés à leurs projets.
Il n'y a qu'un groupe environnemental qui a été entendu. Plusieurs organisations ont présenté des mémoires, mais elles n'ont pas été entendues comme témoins. Nous savons tous qu'il y a une énorme différence entre l'envoi d'une lettre qui dit : « Nous pensons que ce n'est pas une bonne chose — s'il vous plaît, arrêtez. » et une vraie consultation avec ces organisations. Les organisations de pagayeurs, de chasseurs et de pêcheurs, de même que les groupes environnementaux — sauf celui-là — n'ont pas pu se faire entendre devant le comité.
Je peux vous en parler tout de suite sans lire ma déclaration. Toutefois, en ce qui a trait à ce qui s'est produit ces dernières années, le sénateur Spivak, bien sûr, a tout à fait raison. Lorsqu'on lui a posé la question, M. David Osbaldeston a dit...
Le président : Oui, cela figure au compte rendu. Si vous avez des éléments factuels à nous présenter concernant ce qui s'est passé durant ces années, cela nous intéresse. Nous aimerions également savoir qui a présenté des mémoires, à part ceux qui ont été invités à témoigner.
M. Morrison : Je ne crois pas que l'on ait invité d'autres témoins à comparaître, l'année dernière, à tout le moins.
Le sénateur Milne : Monsieur le président, puis-je vous suggérer de permettre au témoin de terminer son exposé?
Le président : C'est une excellente suggestion.
M. Morrison : En février 2009, les intervenants ont été pris de court lorsque les modifications à la LPEN ont été intégrées au projet de loi C-10, la Loi d'exécution du budget. Depuis, de nombreux groupes ont manifesté officiellement leur opposition à ces modifications.
Toutefois, cette loi très imparfaite n'aurait peut-être pas vu le jour si le ministère des Transports avait mené ses propres consultations auprès des intervenants avant de proposer de modifier la LPEN. Or, comme vous l'avez peut- être entendu la semaine dernière, le gouvernement n'a consulté personne, si ce n'est pour « examiner les dossiers » des plaintes formulées dans le passé.
On a justifié l'adoption à la hâte des modifications à la LPEN par le besoin de simplifier le processus pour une approbation accélérée des projets d'infrastructure comportant des mesures de relance économique. Cet objectif pourra certainement être atteint. La loi modifiée autorise le ministre des Transports à exempter de certaines dispositions de la loi des catégories d'eaux et d'ouvrages qui ne sont toujours pas définies, et la décision du ministre sera sans appel.
En réponse aux questions du Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel siège le sénateur Mitchell, le ministre des Finances a affirmé qu'il était nécessaire d'éliminer sur-le-champ les retards et les doubles emplois causés par les évaluations environnementales fédérales qui seraient automatiquement déclenchées par l'ancienne LPEN, lesquelles risquaient d'être suivies d'évaluations environnementales provinciales.
Le comité souhaite peut-être examiner la pratique actuelle des évaluations environnementales avec le concours de témoins experts d'organismes environnementaux, comme mon collègue M. Hazell, et qui sait, peut-être de fonctionnaires de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale. Pourquoi? Même si je suis néophyte en ce qui concerne les évaluations environnementales — ce n'est pas mon domaine de compétences —, je crois comprendre qu'il n'y a pas eu de cas de double évaluation environnementale fédérale-provinciale pour un grand projet depuis le barrage de la rivière Oldman, il y a 20 ans.
Je crois également comprendre que l'Agence canadienne d'évaluation environnementale dirige des bureaux provinciaux qui veillent à éviter expressément le chevauchement des EE. Je serais fort étonné d'apprendre que des projets récents ont fait l'objet d'évaluations environnementales indépendantes par les instances fédérale et provinciale. En fait, l'exemption de certaines catégories d'eaux ou d'ouvrages de la LPEN pourrait avoir l'effet contraire, à savoir l'absence totale d'évaluation environnementale.
L'application des lois provinciales en matière d'évaluation environnementale est très variable. En Colombie- Britannique, par exemple, les projets hydroélectriques de moins de 50 mégawatts ne font pas automatiquement l'objet d'une EE. J'espère que vous aurez l'occasion d'entendre des représentants d'organisations de la Colombie-Britannique qui sont préoccupés par les quelque 700 rivières ciblées par le gouvernement provincial pour l'exploitation hydroélectrique privée. Si aucune EE n'est effectuée, qui sait quelles seront les répercussions sur l'environnement.
Il y a aussi le fait que la nouvelle loi ne comporte pas de définition claire des eaux navigables. C'est la raison pour laquelle j'ai apporté ces photos, qui ont été prises au cours de mon excursion pancanadienne en canot. Les cours d'eau que l'on y voit pourraient être des eaux navigables ou non, selon la définition que l'on adopte. Nous serons probablement tous d'accord pour dire que ce sont des endroits magnifiques et que nous ne devrions probablement pas les troubler sans une évaluation en bonne et due forme.
La semaine dernière, les sénateurs ont entendu le témoignage d'un fonctionnaire qui a tenté de réduire l'application de la LPEN en définissant les eaux non navigables comme étant les eaux « trop peu profondes, trop étroites, à trop forte déclivité ou trop obstruées pour permettre raisonnablement le canotage ».
En réponse à une observation du sénateur Milne, je crois, il a été avancé qu'un pied d'eau ne permettait pas à un canot chargé de passer sans frotter. Je suis instructeur certifié de canot en eau vive et comme je l'ai dit, l'année dernière, j'ai effectué un périple pancanadien de 8 000 kilomètres en solo. Croyez-moi, j'en ai vu des rivières peu profondes, étroites et obstruées, dont certaines sont désignées rivières du patrimoine canadien. Je peux déclarer sans équivoque que pour flotter, un canot normal avec deux adultes à bord n'a besoin que de 4 pouces ou 10 centimètres d'eau.
Les sports de pagaie et les activités connexes représentent une industrie de 1 milliard de dollars, sans parler de leur valeur récréative et culturelle. La SNAP s'est associée à Mountain Equipment Coop, ou MEC, pour créer un mouvement de protection de la nature appelé The Big Wild, destiné à sensibiliser les gens et à financer des initiatives de conservation.
MEC estime que le tiers de ses trois millions de membres sont des pagayeurs. Des milliers de canoéistes d'eau vive recherchent précisément les rivières à forte déclivité comportant des rapides. Leurs canots sont faits pour frotter. Dans le Grand Nord, les Autochtones descendent et remontent des rapides en canots et en bateaux à moteur, car ces cours d'eau constituent souvent la seule voie de communication.
Existe-t-il une réelle différence entre un pied d'eau et quatre pouces d'eau? Je le crois. La définition moins optimiste d'eau navigable permettrait au ministre des Transports de déclarer que la plupart des milliers de petites rivières et que certains tronçons de grandes rivières ne sont pas navigables et peuvent par conséquent être obstrués par des ouvrages dont il ne serait pas nécessaire d'évaluer les incidences sur le droit public de naviguer ou sur l'environnement.
Franchement, il est inadmissible que la LPEN ne contienne aucune définition claire de la navigabilité qui tienne compte de la véritable utilisation qui est faite de nos voies d'eau.
Le temps dont nous disposons aujourd'hui et dans le cadre de ces audiences est fort limité. Au cours des derniers mois, j'ai travaillé avec des organisations tout à fait dignes de foi, mais qui n'auront probablement pas l'occasion d'être entendues. J'espère toutefois que vous aurez la possibilité d'entendre d'autres témoins vous parler du processus stratégique vicié, du manque de consultation, des pouvoirs discrétionnaires octroyés au ministre et du risque accru que l'on omette de procéder à des évaluations environnementales.
Ces informations devraient permettre au comité de recommander au gouvernement de ne pas attendre cinq ans avant d'évaluer la LPEN. Le gouvernement devrait lancer sur-le-champ un processus ouvert et exhaustif de consultation de tous les intervenants afin d'élaborer, en vertu de la LPEN, des ordonnances et des règlements destinés à protéger le droit public de naviguer, y compris les droits autochtones issus de traités, et l'intégrité environnementale de nos voies d'eau.
Le président : Je vous remercie, monsieur Morrison. C'était très intéressant.
Terri-Lee Reid, chercheuse en conservation, Fédération canadienne de la faune : Nous sommes très heureuses d'être ici ce soir. Je vais d'abord vous donner un bref aperçu de la Fédération canadienne de la faune.
La FCF est l'un des plus vieux et des plus grands organismes de conservation de la faune du pays. Elle représente 300 000 adhérents au Canada. Depuis plus de 45 ans, nous encourageons l'exploitation durable des ressources naturelles du pays et la conservation de sa faune et de son habitat.
Nous nous inquiétons beaucoup des modifications apportées à la LPEN par la Loi d'exécution du budget de 2009, le projet de loi C-10. L'une de nos craintes, c'est que le gouvernement s'accorde le pouvoir de catégoriser des ouvrages et des eaux navigables de façon à les exempter du processus d'approbation prévu par la Loi sur la protection des eaux navigables. La loi actuelle exige que tout ouvrage ayant un impact sur les eaux navigables fasse l'objet d'un processus d'approbation et donc d'une évaluation environnementale fédérale.
Les modifications proposées réduisent considérablement le nombre de cours d'eau protégés par la loi et les remet à la seule discrétion du ministre des Transports et du cabinet. Les modifications ne semblent pas envisager d'autres mesures individuelles ou globales pour protéger les eaux canadiennes de ces ouvrages, ce qui est inacceptable.
L'un des objectifs du programme de protection des eaux navigables, qui figurent sur le site Web de Transports Canada, est la protection de l'environnement. Toute modification devrait renforcer ou du moins maintenir les normes environnementales, et non s'en éloigner.
Tous les cours d'eau, du plus grand fleuve au plus petit ruisseau, fournissent aux Canadiens l'élément le plus essentiel à la vie, l'eau. Dans les prochaines années, les réserves d'eau et la qualité de l'eau au Canada ressentiront les effets négatifs des changements climatiques, de la pollution et des ouvrages de toutes sortes. Pour protéger les ressources en eau du Canada, la Fédération canadienne de la faune aimerait qu'on apporte les modifications suivantes à la loi :
Premièrement, nous aimerions qu'il y ait des critères clairs, transparents et cohérents pour l'exemption d'une catégorie d'ouvrages ou de cours d'eau du processus d'approbation.
Deuxièmement, nous souhaitons qu'il y ait d'autres mesures de protection pour les cours d'eau exemptés de la procédure d'approbation.
Troisièmement, nous croyons que toutes les petites voies navigables sont essentielles à l'approvisionnement en eau du pays; l'exemption d'un seul ouvrage du processus d'approbation n'a peut-être qu'un effet minime sur l'environnement aquatique, mais l'effet cumulatif de l'exemption de nombreux cours d'eau ou ouvrages dans un même bassin versant pourrait avoir un impact négatif profond. Il est essentiel d'inclure des outils pour réduire le plus possible les effets cumulatifs potentiels des ouvrages sur des cours d'eau donnés et les bassins dans leur ensemble.
Quatrièmement, nous aimerions que l'on maintienne le nombre actuel de consultations publiques sur les projets d'ouvrages. Actuellement, tous les projets d'ouvrages qui gênent la navigation doivent être annoncés dans la Gazette du Canada et au moins deux journaux locaux, ce qui donne amplement l'occasion de divulguer des renseignements et de mener des consultations. Selon les modifications proposées, seuls les ouvrages qui, selon le ministre des Transports, gênent considérablement la navigation seraient annoncés dans la Gazette du Canada et un journal local. Cette modification ferait en sorte que des ouvrages seraient construits presque à l'insu du public et sans guère de consultation.
Stephen Hazell, directeur général, Club Sierra du Canada : Je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de m'adresser à vous ce soir. Je représente le Club Sierra et je pense qu'il est utile de mentionner qu'il y a quelques années, j'étais directeur des affaires réglementaires à l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, soit à l'époque où ont été pris bon nombre des règlements découlant de la LCEE.
Mon exposé concerne principalement l'impact des modifications à la Loi sur la protection des eaux navigables sur le rôle du gouvernement fédéral quant aux évaluations environnementales. Le Sierra Club soutient que ces modifications semblent être motivées par un objectif plus vaste visant à obtenir les trois résultats suivants : premièrement, éliminer l'obligation légale du gouvernement fédéral d'effectuer des évaluations environnementales; deuxièmement, accorder davantage de pouvoirs discrétionnaires au ministre de l'Environnement et au ministre des Transports; et troisièmement, réduire la participation du public dans les évaluations environnementales.
Qu'est-ce qu'une évaluation environnementale? Pourquoi devrions-nous nous en préoccuper? L'évaluation environnementale est tout simplement un outil destiné à informer les décideurs de l'impact de projets sur l'environnement. Pourquoi effectuer des évaluations environnementales? Pour assurer le développement durable. Sans évaluation environnementale, il y aurait peut-être des projets néfastes pour l'environnement et l'on ne pourrait pas établir de mesures d'atténuation pour réduire les effets négatifs des projets que l'on veut entreprendre. À mon avis, le développement durable est tout simplement impossible sans les informations que fournissent les évaluations environnementales. Je tiens à souligner que l'évaluation environnementale n'est qu'un outil destiné à fournir de l'information. Ce n'est pas un mécanisme décisionnel. C'est un processus de collecte et de diffusion de renseignements destiné à aider les décideurs.
Nous soutenons que lorsque les décideurs écartent cet outil, ils ferment les yeux sur les effets possibles sur l'environnement. Ils présument qu'ils savent ce qu'il convient de faire, et c'est parfois le cas.
La plupart des évaluations environnementales effectuées en vertu de la LCEE, c'est-à-dire environ 99 p. 100, sont des examens préalables qui peuvent être effectués en un court laps de temps. Ceux qui attirent le plus l'attention du public sont les plus importants, soit les examens conjoints et les études approfondies.
Ces modifications à la Loi sur la protection des eaux navigables accordent au gouverneur en conseil le pouvoir de réglementer et au ministre des Transports celui d'ordonner que certains ponts, barrages et autres ouvrages qui gênent la navigation fassent l'objet d'une exemption de permis et, par conséquent, d'une exemption d'évaluation environnementale fédérale.
Le pouvoir extraordinaire conféré au ministre des Transports d'ordonner que certains projets soient exemptés de l'exigence d'un permis en vertu de la LPEN n'est pas limité aux petits projets ou ouvrages. L'article 13, qui confère ce pouvoir au ministre du Transport, est sans doute l'un des éléments les plus déplorables de la loi. Je tiens à le souligner.
Le ministre des Transports pourrait, par exemple, ordonner que soient exemptés de grands projets comme celui du pont routier de la rivière des Outaouais, qui va relier Ottawa à Gatineau. Ceux d'entre vous qui connaissent un peu la région ont sûrement entendu parler du projet de construction d'un pont, à la hauteur de l'île Kettle, qui traverse une zone protégée, un écosystème unique au milieu de la rivière des Outaouais. C'est le plus grand écosystème de cette rivière, et on propose d'y construire un pont. S'il le voulait, le ministre des Transports, John Baird, pourrait dire au moment opportun et sans avoir consulté ses collègues ni personne d'autre : « Nous n'avons pas besoin d'un permis en vertu de la LPEN pour cela, alors nous n'avons pas besoin d'une évaluation environnementale, voilà tout. Allez-y, vous avez ma bénédiction. » C'est pour nous un grand sujet de préoccupation.
Le ministre des Transports justifie les modifications de deux façons. Premièrement, il dit qu'elles vont faciliter les projets de relance économique, mais en fait, la plupart des retards dans le financement des projets prévus dans le budget de 2008 n'ont absolument rien à voir avec les évaluations environnementales. Deuxièmement, il justifie les modifications en disant qu'elles vont éliminer les lourdeurs administratives telles que le double emploi avec les processus d'évaluation environnementale des provinces. C'est faux, comme mon collègue l'a mentionné.
La LPEN est l'élément déclencheur le plus important des dispositions de la LCEE et dans certains cas, elle est le seul mécanisme qui permette d'entamer une évaluation environnementale fédérale ou provinciale. Le Sierra Club a fait ce que personne d'autre n'a fait, selon moi, pas même les fonctionnaires du ministère des Transports. Nous avons examiné le registre d'évaluation environnementale. Nous avons fait un examen de toutes les évaluations rendues nécessaires par la Loi sur la protection des eaux navigables. Nous avons choisi celles pour lesquelles le mécanisme de la LPEN est le seul qui se soit appliqué, c'est-à-dire celles qui n'ont pas été rendues nécessaires par le mécanisme de la Loi sur les pêches, ni par le fait qu'il s'agissait d'un territoire autochtone. Il n'y avait aucun autre mécanisme fédéral ni aucune autre évaluation provinciale, et l'on trouve cette information pratique dans le registre, que tout le monde peut consulter en ligne.
Nous avons découvert que neuf des 65 projets de centrales hydroélectriques et de construction de barrages, de même que 107 des 173 projets de construction de ponts et de ponceaux n'ont fait l'objet d'évaluations environnementales que grâce au mécanisme de la Loi sur la protection des eaux navigables. Cela veut dire qu'environ 115 ou 120 projets actuellement évalués en vertu de la LCEE ne le seraient pas selon les modifications à la LPEN. Après avoir examiné ces projets, je suis d'avis, en tant qu'ancien directeur des affaires réglementaires, qu'une minorité de ces projets devraient être exemptés d'une évaluation environnementale.
Pourquoi en est-il ainsi? Comment se fait-il que nous puissions simplement approuver ces projets sans que les provinces n'interviennent? Bien souvent, nous les laissons s'en occuper. Le problème, c'est que les lois provinciales varient. C'est un véritable fouillis. Elles diffèrent d'une province à l'autre et ont une portée limitée, même dans le cas des grands projets d'aménagement. Par exemple, la procédure d'évaluation environnementale de l'Ontario ne s'applique pas aux projets du secteur privé; elle ne vise que les projets du secteur public, comme les centrales nucléaires, et ces projets sont si souvent exemptés des règles d'évaluation environnementale que la loi ontarienne est depuis longtemps surnommée la loi de l'exemption environnementale. La procédure applicable en Colombie-Britannique exempte les nouvelles routes de moins de 20 kilomètres de longueur et les centrales hydroélectriques de moins de 50 mégawatts des évaluations environnementales. On peut imaginer tout le tort causé à l'environnement par une autoroute de 19 kilomètres qui traverse une zone humide.
Dans certains cas, des évaluations environnementales (EE) fédérales et provinciales sont requises pour le même projet. J'abonde dans le sens de mon collègue, M. Morrison, c'est-à-dire que depuis la fin des années 1980, les gouvernements conservateurs et libéraux ont fait des efforts remarquables pour harmoniser les processus afin d'éviter les évaluations fédérales et provinciales menées en parallèle — comme ce fut le cas pour le barrage de la rivière Oldman et les projets Rafferty-Alameda au milieu des années 1980. Les gouvernements se sont attaqués au problème et, à mon avis, ils l'ont même enrayé, ce qui me porte à croire que le gouvernement s'en sert maintenant comme prétexte pour faire avancer son programme.
Plus récemment, qu'a-t-on fait pour assurer l'harmonisation? Le gouvernement actuel a créé le Bureau de gestion de grands projets, qui relève de Ressources naturelles Canada. C'est l'honorable Gary Lunn qui l'a mis sur pied lorsqu'il était ministre. Le bureau a été conçu pour simplifier l'examen des grands projets par l'administration fédérale. On y affecte beaucoup de fonds, mais le ministre Baird n'en a pas beaucoup parlé récemment, si je ne m'abuse.
Les modifications à la Loi sur la protection des eaux navigables constituent une attaque contre le processus fédéral d'évaluation environnementale. Les autres attaques — si je puis me permettre d'utiliser ce terme, car je sais qu'il est relativement fort — sont le Règlement sur la liste d'exclusion et le Règlement d'adaptation qui ont été publiés dans la Gazette en mars dernier. Ces règlements ont été adoptés sous l'autorité de l'honorable Jim Prentice, le ministre de l'Environnement. Le premier règlement exempte d'une évaluation environnementale fédérale les quelque 2 000 projets prévus dans le cadre de Chantiers Canada.
Le Règlement d'adaptation, quant à lui, autorise le remplacement du processus provincial d'évaluation environnementale par le processus fédéral en ce qui concerne les projets de Chantiers Canada qui ne sont pas exclus par le Règlement sur la liste d'exclusion.
La semaine dernière, le Club Sierra, représenté par Ecojustice, a déposé une requête en vertu de la Loi sur les Cours fédérales contestant la légalité de ces deux règlements. Je tiens à parler du Règlement d'adaptation; il est le plus radical puisqu'il vise à modifier la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il s'agit là de la « clause dite Henri VIII ». Le comité devrait particulièrement s'y intéresser, car bien que l'on l'appelle un règlement d'adaptation, il modifie la loi. Or, je croyais que c'était là une responsabilité du Parlement.
La troisième preuve de l'élimination des exigences fédérales en matière d'évaluation environnementale est une proposition de loi, qui remplacerait la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, qu'a fait circuler à l'interne le gouvernement. Les renseignements proviennent d'un exposé qui a été fait vers la fin janvier à l'Agence canadienne d'évaluation environnementale. Il s'agit là d'une énorme modification, et je tiens surtout à vous faire comprendre que le projet de loi donnerait au ministre de l'Environnement une discrétion quasi-totale quant à la nécessité d'une évaluation environnementale. Ainsi, le ministre pourrait tout simplement décider qu'à partir de maintenant, on ne fera plus d'évaluations environnementales fédérales, puisque les provinces détiennent les ressources pour les effectuer. Le gouvernement fédéral leur en laisserait donc la responsabilité.
Le président : Votre témoignage se déroule très bien, et nous sommes tous bien attentifs. Vous semblez vous dépêcher. Prenez votre temps; nous sommes ici pour vous écouter.
M. Hazell : J'ai presque terminé.
Le président : Rappelez-vous que ce n'est pas une course contre la montre.
M. Hazell : D'accord.
Ce document — j'en ai un exemplaire, mais il n'est pas inclus dans les documents que je vous ai fournis — est largement distribué.
Le 19 mars, lorsque le ministre Prentice a présenté les règlements auxquels je viens de faire allusion, il a déclaré que le projet de loi qui remplacerait la LCEE serait déposé au Parlement dans les deux prochaines années. Il semble qu'il y ait eu un certain désistement par rapport à cette proposition législative. Nous ne savons pas où en sont rendues les choses, mais il ne fait aucun doute que les fonctionnaires de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale en ont été informés. De fait, comme je vous l'ai dit, cette séance d'information a eu lieu vers la fin janvier 2009.
Il y a trois choses qui portent à croire que le gouvernement souhaite éliminer les exigences fédérales en matière d'évaluation environnementale. Pourquoi? Laissez-moi me pencher là-dessus brièvement. Selon moi, le gouvernement estime que les provinces détiennent l'autorité exclusive d'évaluer l'impact environnemental des projets de développement. Le gouvernement fédéral ne se sent aucunement concerné.
C'est une position logique si l'on se base sur l'idée générale du fonctionnement d'une fédération. Malheureusement, cela fait abstraction de certains pouvoirs conférés au gouvernement fédéral par la Constitution. Il a notamment la compétence législative exclusive en ce qui a trait aux eaux navigables et aux pêches, ainsi que des pouvoirs partagés quant aux oiseaux migrateurs. Il y a également d'autres rubriques de compétence. Ce sont là des responsabilités fédérales. Elles ne peuvent pas être déléguées sauf par voie de modification constitutionnelle.
Dans la mesure où le gouvernement fédéral a une compétence non attribuée pour évaluer l'impact environnemental des projets de développement, il semble estimer que les ministres fédéraux — et par extension le Cabinet du Premier ministre — doivent avoir l'entière discrétion pour décider s'il faut mener une évaluation environnementale. Cela nous ramène au début des années 1980. Des règles environnementales avaient alors été mises en œuvre. Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement a été promulgué lorsque M. Caccia était ministre de l'Environnement sous le gouvernement Trudeau, ce qui remonte à il y a fort longtemps. La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE) a par la suite suivi en 1992.
Cette approche est un grand pas vers l'arrière, et le Club Sierra du Canada s'y oppose fermement. La destruction de la capacité biologique de la biosphère par les activités humaines et le risque croissant d'un chaos climatique mondial causé par les gaz à effet de serre sont les enjeux les plus importants du XXIe siècle, à mon avis. Le Club Sierra du Canada et moi sommes d'avis qu'un gouvernement national agit de façon irresponsable lorsqu'il se débarrasse délibérément des moyens-clés de lutte contre ces fléaux.
J'aimerais souligner que j'ai discuté avec Nature Canada de mon mémoire, et l'organisme souscrit au point de vue du Club Sierra. Il est alarmé par cette atteinte portée à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
J'ai maintenant quelques propositions à vous faire quant aux prochaines démarches. Dans un monde idéal, nous aimerions que le gouvernement dépose lui-même à la Chambre des communes un projet de loi visant à abroger les articles 5 et 13 de la Loi sur la protection des eaux navigables. Je suis conscient que c'est peu probable, mais j'invite néanmoins le comité sénatorial à le recommander. L'autre approche consiste à déposer au Sénat un projet de loi — un projet de loi émanant d'un député, peut-être — visant à abroger ces articles de la LPEN dont l'ignominie est flagrante.
Enfin, voici une proposition qui ne vous a peut-être pas encore été faite. À l'automne, il doit y avoir un examen parlementaire quinquennal de la LCEE. Cet examen est prévu par la loi; il faut le faire. Le comité pourrait notamment recommander que l'impact des modifications apportées à la LPEN en matière d'évaluation environnementale fédérale fasse l'objet de l'examen. Vous pourriez exprimer vos préoccupations quant au projet de loi en disant au ministre Prentice que le comité parlementaire chargé de l'examen de la LCEE — je crois que ce sera renvoyé à un comité de la Chambre des communes — se penche également sur la LPEN. Ce sera un moyen de poursuivre le travail.
Voilà qui met fin à ma déclaration préliminaire.
Le président : Merci, monsieur. Vos observations nous sont effectivement très utiles.
Les exposés des témoins étant terminés, nous passons à une série de questions. La parole est au vice-président, le sénateur Mitchell.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais tout d'abord obtenir une précision. Chacun d'entre vous a parlé d'une façon ou d'une autre de la même chose. Est-ce donc vrai que dans la majeure partie des cas, la seule façon d'obtenir qu'une évaluation environnementale soit menée, c'est d'invoquer la LPEN?
M. Hazell : Oui.
Le sénateur Mitchell : Ainsi, dans ces cas-là, si par exemple le ministre des Transports décide de ne pas faire d'évaluation environnementale, le ministre de l'Environnement ne peut pas simplement exercer sa discrétion pour en exiger une tout de même?
M. Hazell : En vertu de la loi actuelle, le ministre de l'Environnement a un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de prendre un arrêté pour que soit menée une évaluation environnementale dans certaines circonstances. Un certain nombre d'articles le permettent; il faut donc se pencher sur le libellé de chacune des dispositions. Le ministre de l'Environnement a beaucoup de latitude et peut exiger par arrêté une EE même si elle n'est pas justifiée par la LPEN ou un autre texte fédéral. Dans certains cas, le ministre peut dire que l'intérêt national exige que le gouvernement fédéral soit tenu d'effectuer une évaluation environnementale en raison de l'intérêt national. Certains articles de la loi le prévoient, d'ailleurs.
Le sénateur Mitchell : Il en reste encore une grande partie.
M. Hazell : C'est en vertu de la loi actuelle, c'est-à-dire la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, et non de la Loi sur la protection des eaux navigables. Je parle des compétences du ministre de l'Environnement en vertu de la LCEE.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie.
Le sénateur Banks : Merci à tous d'être des nôtres aujourd'hui. Je suis heureux de vous revoir, monsieur Hazell.
Vous avez tous fait allusion aux EE et à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, alors qu'il est question d'un tout autre projet de loi. Il s'agit d'un projet de loi visant à modifier la Loi sur la protection des eaux navigables, et non la Loi canadienne de l'évaluation environnementale. Est-ce exact?
M. Hazell : Oui.
Le sénateur Banks : En ce qui a trait à la question de droit dont nous sommes saisis, je comprends bien que l'» évaluation environnementale » est liée à la Loi sur la protection des eaux navigables, mais il est ici question des modifications qui y sont apportées en vertu du projet de loi C-10, point final. Est-ce bien cela?
M. Hazell : Tout à fait.
Le sénateur Banks : Monsieur Hazell, lorsque vous parlez d'aller de l'avant en abrogeant les articles 5 et 13, voulez- vous dire le projet de loi C-10 plutôt que la LPEN? Je présume que vous parlez du projet de loi modificatif.
M. Hazell : Je fais effectivement référence aux modifications apportées à la Loi sur la protection des eaux navigables.
Le sénateur Banks : D'accord.
M. Morrison : Puisque le projet de loi a été adopté, il est maintenant question de la nouvelle loi, soit la Loi sur la protection des eaux navigables, telle que modifiée.
Le sénateur Banks : Telle que modifiée, c'est exact. Je voulais être certain d'avoir bien compris.
Ma prochaine question s'adresse à tous les témoins. Croyez-vous qu'il faudrait établir des catégories d'eaux navigables? Veuillez donner le plus de détails possible. Monsieur Morrison, vous nous avez montré des photos de plans d'eau qui, je présume, sont navigables, puisque vous y avez navigué. Cependant, j'ai vu des ruisseaux descendant plutôt abruptement le long de collines. En tant que néophyte ignorant tout de l'hydrologie, je pourrais difficilement dire que c'est navigable. Je ne suis pas un spécialiste du canot, mais reconnaissez-vous qu'il y a diverses catégories d'eaux vives, excluant cependant les— fossés, les fossés d'irrigation des fermes, et ainsi de suite? Êtes-vous d'avis qu'il faut établir des catégories de navigabilité ou qu'il faut exclure une catégorie d'eaux vives des eaux navigables?
M. Morrison : C'est une excellente question. Ce qui me vient rapidement à l'esprit, c'est que les eaux vives sont les plus problématiques. Les rivières coulent et emportent avec elles des déchets toxiques à des endroits où nous ne voulons pas qu'ils soient transportés. Je crois que M. Osbaldeston a expliqué que si l'on fermait la porte et que l'on remplissait cette salle à moitié d'eau, elle serait considérée comme une eau navigable. Il s'agirait alors d'un petit étang ou un lac stagnant, ce qui me préoccupe moins qu'une petite rivière.
Votre question porte sur deux aspects : les eaux vives et la nécessité de définir les « eaux non navigables » dans la loi. Je suis convaincu qu'il faut inclure une définition des « eaux navigables » dans la loi. Pour être juste envers M. Osbaldeston, d'après ce que je comprends des propos qu'il a tenus devant votre comité et le Comité sénatorial permanent des finances nationales, les responsables du programme essaient ou ont essayé de définir l'expression « eaux navigables ». Leurs discussions avanceront peut-être s'ils consultent les utilisateurs de ces eaux, mais ce n'est pas une tâche facile. Je crois que vous avez également dit qu'ils manquent peut-être de ressources, et les consultations que nous recommandons requièrent beaucoup de temps et de ressources, mais sont essentielles.
La réponse à votre question est donc la suivante. Selon moi, il faut définir clairement ce que sont les « eaux navigables » dans la loi. Vous demandiez également — j'estime qu'il s'agissait de deux questions distinctes — s'il faut également des catégories de plans d'eau et d'ouvrages. Le ministère des Transports ne nous a pas fourni de définitions ou de propositions relatives à de pareilles catégories. Je n'ai pas d'opinion particulièrement arrêtée et je suis donc ouvert à entendre les raisons justifiant chaque catégorie, mais nous n'avons jusqu'à maintenant pas reçu de justifications à cet effet. Il semble — et M. Hazell y a également fait allusion — que le gouvernement envisage peut-être la création de diverses catégories d'eaux lui permettant d'exempter certains ouvrages des dispositions de la LPEN, et nous nous interrogeons sur le bien-fondé d'une pareille mesure.
Le sénateur Banks : Avez-vous de grands principes à nous proposer pour nous aider à les définir?
M. Morrison : Comme je l'ai mentionné tout à l'heure — et M. Osbaldeston en a également parlé —, l'expression « eaux navigables » désigne généralement des eaux dans lesquelles peut flotter un canot, une expression très chargée de sens dans le contexte historique, culturel et commercial du Canada. La définition conserve toute son actualité et, comme je l'ai dit, elle signifie qu'il ne faut que quatre pouces d'eau. Le canot — chargé de matériel de camping et de nourriture à bord duquel j'ai traversé le Canada à la pagaie — avait un tirant d'eau de trois pouces, ce qui ne m'a pas empêché de naviguer 99 p. 100 de la route menant de l'océan Atlantique à l'océan Arctique.
Mme Reid : S'il faut des catégories d'eaux navigables et d'ouvrages, il est important qu'elles soient élaborées dans le cadre d'un processus clair et transparent, avec l'aide du grand public.
Le sénateur Banks : Vous parlez d'un processus qui permettrait de s'entendre sur les définitions?
Mme Reid : Oui. Si les diverses catégories d'ouvrages ou de plans d'eau à exclure du processus d'approbation sont assorties de critères, il faut voir à ce qu'ils soient cohérents, clairs et transparents et à ce qu'ils tiennent compte de l'avis du public.
M. Hazell : Je souscris à ce que viennent de dire mes deux collègues. Par ailleurs, un autre aspect me préoccupe vivement. Le gouverneur en conseil a le pouvoir de réglementer les catégories d'ouvrages ou de plans d'eau, ce qui ne nous pose pas de problème. Cependant, le fait de conférer au ministre le pouvoir de créer, par exemple, une catégorie unique pour le pont de l'île Kettle de manière à ce qu'il ne soit pas nécessaire d'obtenir un permis en vertu de la LPEN permettrait de jeter un pont sur la rivière des Outaouais dans la partie Est plutôt qu'Ouest de la ville, là où se trouve la circonscription du ministre actuel. Les résidents de l'Est absorberaient alors tout le trafic supplémentaire en provenance de Gatineau, mais les gens de l'Ouest seraient tranquilles. Dans le contexte de la ville d'Ottawa, le problème est bien réel.
Le sénateur McCoy : J'aimerais seulement enchaîner sur les questions du sénateur Banks. Premièrement, je remercie tous les témoins de leurs excellents exposés. Les articles 5 et 13 sont ceux qui semblent poser problème et, si je ne m'abuse, il y en a un autre dans la partie Obstacles ou obstructions. Je suis en train de le chercher. Voilà! Il s'agit de l'article 14.1. Les ouvrages et les plans d'eau mineurs en sont également exclus.
À mon avis, si l'on déclare qu'un ouvrage ou qu'un plan d'eau est mineur, on l'exclut par le fait même des dispositions relatives à la sécurité en vertu de la partie 2 : Obstacles et obstructions. Pouvez-vous me dire si que ce que j'avance est exact?
M. Hazell : C'est bien là ce que je comprends, sénateur.
Le sénateur McCoy : Vous semblez également dire que la loi ne renferme pas de critères sur lesquels se baser. Le Parlement n'a pas imposé de contraintes au ministre; il est tout à fait libre d'agir à sa guise. L'arrêté du ministre ou le décret du gouverneur en conseil fait loi.
M. Morrison : Le texte modifiant la loi ne semble effectivement pas prévoir de mesures contraignantes.
Le sénateur McCoy : Qui plus est, la décision est sans appel, si je ne m'abuse?
M. Morrison : C'est vrai.
Le sénateur McCoy : Il revient donc à un autocrate de déterminer ce qu'est, par exemple, un plan d'eau mineur.
M. Morrison : Je crois que c'est une manière de dire qu'il faut faire entièrement confiance au ministre, mais je doute que soit la façon de faire habituelle d'un régime parlementaire démocratique comme le nôtre.
Le sénateur McCoy : Nous avons entendu jeudi dernier M. Osbaldeston, le gestionnaire du Programme de protection des eaux navigables. Il a dit qu'il cherchait à définir l'expression « plan d'eau raisonnablement navigable ». Selon lui, un pied d'eau n'est pas suffisant pour faire flotter un canot. Il n'est vraisemblablement pas un spécialiste en la matière; il ignore ce vous nous avez appris ce soir.
M. Morrison : Je dois vous avouer que, si je me fie à ses propos, j'ai supposé qu'il n'était pas un pagayeur.
Le sénateur McCoy : Ou qu'il n'a jamais mis les pieds dans un canot.
Le sénateur Milne : Il a déclaré que les pagayeurs ne veulent pas que leur canot talonne le fond.
M. Morrison : Lorsque les explorateurs se déplaçaient en canots d'écorce, ils en débarquaient et les délestaient pour éviter, si possible, qu'ils touchent le fond. Cependant, les canots d'aujourd'hui sont faits de kevlar et de plastique ABS. Les amateurs de plein air ne craignent plus de toucher le fond; ils en rêvent!
Le sénateur McCoy : Vous avez sûrement un avis sur les cours d'eau sinueux et sur la largeur d'un plan d'eau. Je présume qu'il peut être très étroit. Je ne suis pas un pagayeur, raison pour laquelle j'ai demandé à voir des photos.
M. Morrison : Je serais heureux de vous emmener en excursion un jour.
Le sénateur McCoy : En êtes-vous bien certain? Vous pourriez le regretter!
J'ai une question pour le président. Jeudi dernier, M. Osbaldeston a dit que le ministre avait signé les arrêtés en vertu de l'article 13 la veille, soit le 22 avril 2009. Les arrêtés sont donc une réalité et il faut qu'ils soient publiés dans les trois semaines.
Nous avons demandé à les obtenir au plus tôt, si je me souviens bien, et on a promis de nous les envoyer. Monsieur le président, la greffière vous a-t-elle informé de leur réception?
Le président : En fait, comme il a alors été convenu — le jeudi 23 avril —, nous avons rédigé une lettre dans laquelle étaient mentionnés tous les renseignements que ces deux personnes nous ont promis. Nous n'avons rien reçu jusqu'à maintenant. Lorsque vous nous l'avez rappelé aujourd'hui, nous leur avons demandé de se dépêcher et de nous transmettre les documents. On nous a répondu que nous allions les avoir bientôt.
Le sénateur McCoy : Bientôt?
Le président : Je ne réponds habituellement pas à des questions en tant que témoin, mais j'essaie de faire preuve de transparence, comme toujours.
Le sénateur McCoy : Tout à fait.
Le président : Poursuivons. Avez-vous d'autres questions à poser au témoin?
Le sénateur McCoy : Oui. À mon avis, il convient peut-être de rappeler les témoins et de leur demander leur avis quant au contenu des arrêtés, comme le sénateur Banks a commencé à le faire. À tout le moins, nous avançons des hypothèses sans savoir ce qu'il en est vraiment. Il est difficile d'être transparent quand on ne sait pas de quoi on parle.
J'ai une dernière question cependant.
Le président : Faites, je vous en prie, que je puisse céder la parole à un autre.
M. Morrison : Pour être juste envers M. Osbaldeston, il a effectivement affirmé la semaine dernière qu'il tentait d'élaborer des critères objectifs, mais que ce n'était pas chose aisée. En fait, il a dit avoir commandé des études à leur sujet. Je propose que vous demandiez à obtenir les rapports d'étude afin d'en savoir plus.
En tant qu'ancien gestionnaire au Conseil du Trésor, où j'étais principalement responsable de la gestion des programmes et des questions relatives à la reddition des comptes plutôt qu'à la politique, je suis bien placé pour dire que la réussite du programme dépend fortement de critères objectifs. J'encourage donc les responsables du programme à le faire.
Le président : Merci pour cette observation.
Le sénateur McCoy : La question suivante concerne la consultation et la participation du public. Nous avons établi que la décision ministérielle est sans appel. On a soulevé la question du préavis, mais c'est un tout autre débat.
J'aimerais toutefois demander à chacun des témoins si le Programme de protection des eaux navigables, le ministère des Transports ou le ministre actuel des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités a déjà invité vos organisations respectives à donner leur avis sur une politique proposée ou déjà mise en œuvre? J'aimerais entendre en premier la réponse de M. Hazell.
M. Hazell : J'œuvre au sein du Sierra Club depuis trois ans environ. Pendant cette période, je ne me souviens pas d'avoir été invité à donner mon opinion sur ce qu'étudie le comité aujourd'hui, soit les questions ayant trait à la Loi sur la protection des eaux navigables. Je n'en garde aucun souvenir.
M. Morrison : Pour ma part, je siège au conseil de la division d'Ottawa de la Société pour la nature et les parcs du Canada et je suis un ancien gestionnaire national. Si le ministère des Transports a tenté de nous consulter à ce sujet, je n'en ai pas été informé.
Mme Reid : Quant à la Fédération canadienne de la faune, on ne nous a pas contactés — du moins, que je sache.
Le sénateur Spivak : Je ne suis même pas certaine que le public en saisit bien l'importance. Lors de son témoignage la semaine dernière, M. Osbaldeston a dit notamment que pour diverses raisons comme la prorogation et les élections, il a malheureusement fallu préparer le dossier à toute vapeur, sans mener de réelles consultations. C'est ce qu'il a dit, si je me souviens bien.
Je crois que c'est un point important, mais ma question porte plutôt sur l'aspect le plus abject de cette loi, soit le pouvoir discrétionnaire sans limites du ministre. Ma question s'adresse à M. Hazell, mais les autres témoins peuvent faire des observations s'ils le veulent.
Je remarque que le processus juridique à l'étude est relié au fait qu'un changement à la réglementation n'est pas la même chose qu'un amendement à un projet de loi. Où s'arrête la capacité juridique d'un ministre quant à son pouvoir discrétionnaire? Comment peut-on conférer autant de pouvoir à un ministre en si peu de temps? Selon vous, est-ce en tous points légal?
M. Hazell : Je vais tenter de répondre. En ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire du ministre des Transports en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, il n'est pas le seul ministre à être habilité à prendre de pareils arrêtés. Aux termes de la Loi sur les pêches par exemple, le ministre des Pêches a des pouvoirs élargis pour prendre des arrêtés mettant fin à la pêche du saumon rouge dans telle ou telle zone de pêche, par exemple. Rien ne s'oppose à ce que les ministres soient habilités à prendre des arrêtés. Cependant, dans ce cas précis, je ne crois pas que ce soit justifié et que ce soit la bonne voie. Il n'y a pas de limite constitutionnelle à conférer un pareil pouvoir et il est bien sûr possible de libeller la Loi sur la protection des eaux navigables comme elle l'est. Ce n'est probablement pas inconstitutionnel de le faire, mais je crois que c'est une mauvaise politique et qu'elle est antidémocratique.
Le sénateur Spivak : Ce que je veux dire, c'est que ce projet de loi ne modifie pas la loi existante; il la rend nulle. Qu'à cela ne tienne, le tout ne me semble pas être légal. Je suis certaine qu'il est possible de procéder ainsi dans beaucoup d'autres pays, mais au Canada, il faut respecter un ensemble de lois. Je suis probablement l'une des seules personnes ici qui était présente lorsque la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale a pris forme sous divers gouvernements, mais surtout sous un régime progressiste-conservateur.
Le président : Avez-vous une question, cher collègue?
Le sénateur Spivak : Oui.
Le président : Allez-y.
Le sénateur Spivak : Voici ma prochaine question.
M. Hazell : Puis-je y répondre?
Le sénateur Spivak : Vous avez indiqué l'incidence économique sur les organisations de loisirs et ainsi de suite. Savez-vous combien de personnes seront touchées par la loi, si l'on tient compte des groupes comme Canards Illimités Canada, ainsi que des pêcheurs et d'autres intervenants?
M. Morrison : Il est plus difficile de calculer l'incidence économique. Certaines des associations que j'ai consultées n'ont pas pu produire de chiffres. Comme on a pu comprendre, la majorité des Canadiens ne sont toujours pas au courant de la situation. Les médias n'en ont pas vraiment fait de cas. En ce qui concerne le nombre de personnes qui seraient directement touchées, qu'elles le sachent aujourd'hui ou non, les pagayeurs représentent facilement plus d'un million de personnes, et ce ne sont que les amateurs de canot et de kayak. Quant à la chasse et la pêche, la Fédération des pêcheurs et chasseurs de l'Ontario regroupe à elle seule 100 000 membres. Il y a ensuite les peuples autochtones. L'Assemblée des Premières Nations représente un million de personnes. D'ailleurs, celle-ci a déclaré publiquement devant un comité de la Chambre des communes en février qu'elle était concernée, qu'elle n'avait pas été consultée et que c'était inacceptable. S'ajoutent à cela les groupes environnementaux. Je crois que les propriétaires ruraux, qui sont d'ailleurs représentés par de nombreuses associations, devraient être très préoccupés. Les gens sont encore en train de prendre connaissance du dossier. Ils ont été étonnés que la loi soit modifiée par la Loi d'exécution du budget déposée en février.
Le comité de la Chambre des communes qui a déposé son rapport en juin 2008 s'était engagé à poursuivre ses consultations. Je crois que le comité reconnaissait qu'il y avait encore du pain sur la planche. Il se peut qu'il ait seulement sondé le secteur industriel et qu'il avait l'intention de consulter d'autres intervenants. Or, de telles consultations n'ont jamais eu lieu. Les parties intéressées attendent toujours la possibilité de se faire entendre. Les Canadiens ne sont tout simplement pas au courant du dossier.
À mon avis, il y a aisément au moins de trois à quatre millions de personnes qui seraient directement touchées par la loi, dont les Autochtones, écologistes, pagayeurs, chasseurs, pêcheurs, propriétaires ruraux, et ainsi de suite. Sur le site Web ispeakforcanadianrivers.ca du réseau Canadian Rivers Network, on retrouve énumérées à la droite quelques douzaines d'organisations qui appuient le réseau et qui s'opposent aux modifications apportées à la LPEN. La liste est déjà longue et elle continue de grandir.
Le président : Sachez que nous entendrons bientôt des témoins de ces divers groupes et que nous aurons l'occasion de prendre connaissance de leur position.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie de vos exposés. J'œuvre au sein du gouvernement depuis suffisamment longtemps pour savoir que l'on parle toujours des grands ponts et des petits ruisseaux sans aborder les sujets essentiels, à savoir ce qu'il faut faire pour pouvoir circuler raisonnablement en canot, sans pour autant avoir une liberté totale, tout en permettant un certain développement afin d'offrir les services publics nécessaires. Il est difficile de trouver le juste équilibre, je le sais.
Je tiens d'abord à faire certaines déclarations. Je crois que M. Destin a été fort raisonnable dans ses propos, car je l'ai entendu ici et au Comité des finances, dont je suis également membre. Il nous a dit que la loi, adoptée en 1882, a été légèrement modifiée dans les années 1960. En 1882, certaines des provinces actuelles ne faisaient même pas partie du Canada. Pensez-vous que les législateurs de l'époque ont pu prévoir les conditions actuelles? Peut-on aborder le dossier de façon logique en tenant compte de toutes les facettes, y compris le contexte moderne? Il faut le faire, cependant. M. Destin a déclaré publiquement que son organisation avait travaillé à ce dossier avec les ministères pendant 20 ans. Cette période a vu de nombreux gouvernements; on ne peut donc pas parler de manœuvre politique. Son organisation a néanmoins connu des problèmes. Reconnaissez-vous qu'il faut apporter des changements à la Loi sur la protection des eaux navigables compte tenu du contexte moderne?
M. Hazell : Oui. La loi doit certainement être modifiée.
M. Morrison : Je suis d'accord. Il faut la mettre à jour, mais de façon ouverte et transparente dans un contexte de consultation. Nous serons heureux de rencontrer des représentants du ministère des Transports pour en discuter.
Mme Reid : Je suis d'accord avec les autres témoins. Les modifications devraient être apportées de façon ouverte et transparente et il faut trouver le juste équilibre entre l'économie et l'environnement afin que l'environnement ne soit pas le perdant.
Leigh Edgar, chercheur en conservation, Fédération canadienne de la faune : J'abonde dans le même sens. La situation actuelle ressemble en rien à celle du XIXe siècle, lorsque la loi a été adoptée. Parmi les changements, il y a notamment le volume du trafic et le nom du projet. Tous ces petits projets réunis ne sont pas une quantité négligeable. Il faut absolument trouver un équilibre, mais ce n'est pas le moment d'éliminer toutes les mesures de protection environnementales actuelles dont bénéficient tous les Canadiens.
Le sénateur Neufeld : Tout à fait. Je vous comprends. C'est ce que nous devons viser. Vous-mêmes et vos diverses organisations, dont je reconnais le mérite du travail, ainsi que les ministères et gouvernements, quel qu'en soit la couleur, devez prendre des décisions raisonnables sur la façon de faire avancer le dossier.
Quelqu'un a dit que les évaluations environnementales provinciales, c'était du n'importe quoi. Je me formalise, monsieur Hazell. Je ne crois pas que les évaluations environnementales de la Colombie-Britannique soient du n'importe quoi. En fait, elles sont très bonnes. J'ai passé la plupart de ma vie dans cette province, j'y habite actuellement, et je crois que les résidents de cette province peuvent prendre de bonnes décisions concernant l'environnement et s'en tirent même plutôt bien. Je ne parlerai pas au nom des autres provinces ni des territoires, car je suis sûr qu'ils peuvent se défendre.
En fait, mon opinion a été confirmée lorsqu'on vous a demandé si vous aviez été consultés par le gouvernement fédéral. Vous avez tous répondu que non. Je sais qu'en Colombie-Britannique, nous tenons des rencontres et des consultations. Lorsque j'étais ministre de l'Énergie, j'ai instauré des rencontres annuelles avec des groupes comme le vôtre. Je ne dis pas que tout était parfait, mais nous rencontrions vos groupes et nous parlions de questions propres à la Colombie-Britannique.
Ce n'est donc pas du n'importe quoi. Je dirais même que le système est meilleur, car il prévoit des consultations qui s'avèrent importantes. À vrai dire, c'est la raison pour laquelle j'ai instauré des consultations.
M. Morrison : Pardon, monsieur le sénateur, mais la Société pour la nature et les parcs du Canada a dit que l'application de la loi variait.
M. Hazell : C'est plus ou moins ce que je voulais dire.
Le sénateur Neufeld : Vous retirez donc vos propos?
M. Hazell : Non, je crois que « n'importe quoi » exprime bien, stricto sensu, ce que je voulais dire. Le système d'évaluation environnementale provincial varie énormément selon les provinces et donne des résultats imprévisibles. Chaque province a un système différent. Il y a bon nombre de préoccupations concernant le processus de la Colombie- Britannique, préoccupations qui ont d'ailleurs été relevées par la West Coast Environmental Law Association et Ecojustice. Je peux vous fournir une copie d'une note d'information de ces groupes qui porte sur le système de la Colombie-Britannique. Il existe des préoccupations, mais le système comporte également de bons éléments.
Le sénateur Neufeld : On pourrait s'y perdre en palabres à ce sujet.
M. Hazell : Effectivement.
Le sénateur Neufeld : Je pourrais vous fournir maintes lettres attestant le bon fonctionnement du système. Or, ce n'est pas mon intention. Je tente de répondre à votre question en indiquant les bons aspects. Je crois sincèrement que la Colombie-Britannique fait du beau travail. Je ne suis pas centraliste. Je ne crois pas qu'il incombe à Ottawa d'élaborer des projets pour la Colombie-Britannique ou une autre province. Il se peut que les autres provinces ne soient pas d'accord, mais j'estime que les résidants de la Colombie-Britannique sont suffisamment intelligents pour faire certaines choses. Vous n'êtes pas forcément du même avis. Soit.
Vous avez indiqué, à titre d'exemple, que les projets de construction hydroélectriques de moins de 50 mégawatts sont exemptés des évaluations environnementales en Colombie-Britannique. Je le sais pertinemment. Cependant, de tels projets font l'objet d'un examen approfondi qui se rapproche d'une évaluation. Vous le savez aussi bien que moi. On consulte les Autochtones et les collectivités concernées, s'il y a lieu. C'est le processus que nous suivons.
Le président : Sénateur, je dois veiller à l'application uniforme des règles. Je ne m'oppose pas aux préambules qui précèdent les questions, soit les déclarations, pour reprendre l'expression du sénateur Milne. Cependant, il y a des limites. Vous n'êtes pas ici en qualité de témoin. Chacun son tour.
Le sénateur Neufeld : Je voudrais tant être témoin en ce moment.
Le président : Soyez succinct et faites honneur à votre région.
Le sénateur Neufeld : D'accord. On nous a donné comme exemple des ruisseaux qui s'assèchent pendant une bonne partie de l'année mais que l'on peut néanmoins classer comme eau navigable en vertu de la loi actuelle. Croyez-vous qu'un ministre devrait être habilité à les exempter du processus?
M. Morrison : Vous voulez dire exempter des ruisseaux asséchés?
Le sénateur Neufeld : On pourrait les exempter de la Loi sur la protection des eaux navigables. Il ya des exemples de cas extrêmes dans les deux sens.
M. Morrison : C'est vrai.
Le sénateur Neufeld : Moi-même, je suis au courant de quelques exemples. Seriez-vous d'accord?
M. Morrison : On pourrait en discuter. Ce que j'ignore, car les représentants du ministère ne sont pas venus pour en parler avec nous, c'est leur avis quant aux critères spécifiques qui définiraient ces classes d'eaux, c'est-à-dire comment on définit une eau navigable. Je crois que la plupart d'entre nous seraient d'accord pour dire qu'il faut en discuter.
Le sénateur Neufeld : Je crois que de telles discussions sont envisagées dans cinq ans, si ma mémoire est bonne.
M. Morrison : À mon avis, de telles discussions devraient avoir lieu maintenant, plutôt que d'attendre cinq ans pour voir l'usage que fera le ministre de sa discrétion.
Le sénateur Neufeld : Certaines discussions auront lieu pendant cette période.
M. Morrison : C'est possible.
Le sénateur Neufeld : Ce n'est pas un délai de cinq ans mythique. Les discussions vont se poursuivre, si j'ai bien compris M. Osbaldeston.
Le sénateur Lang : Tout comme mon collègue, moi aussi, je viens d'une région qui est loin d'Ottawa. Nous croyons que dans bien des cas, nous sommes tout à fait en mesure de nous occuper de ce qui nous concerne. Nous devons un certain respect au gouvernement fédéral et nous reconnaissons qu'il a une certaine autorité, mais j'aimerais dire publiquement que nous disposons d'un processus d'évaluation environnemental fédéral-provincial depuis quelques années déjà. Dans l'ensemble, il fonctionne très bien. Il n'y a donc pas les redondances que nous avons observées au cours des 20 dernières années.
Je cherche à trouver l'équilibre entre nos responsabilités environnementales et le gros bon sens. Je crois que nous avons tous entendu parler de cas où on est allé trop loin dans un sens et il devient presque impossible de faire quoi que ce soit, ou alors cela coûte tellement cher qu'il est impossible d'apporter des changements, quelle qu'en soit la nature.
Je voulais que l'on sache mon point de vue. J'ai une question. Vous vous montrez très critique à l'égard de la loi, sans doute pour de bonnes raisons. Cependant, vous n'avez fait aucune mention d'éventuelles améliorations apportées à la loi. On a notamment modifié en profondeur le régime des amendes.
La seule disposition de l'ancienne loi qui pouvait être invoquée était celle qui prévoyait une amende de 5 000 $. Si ma mémoire est bonne, on nous a donné l'exemple d'un monsieur qui a demandé quelle était la pénalité, a fait un chèque d'un montant de 5 000 $ et a continué ses travaux de construction. Les dispositions de l'ancienne loi, prises une à une, n'étaient pas vraiment utiles.
Ma question est la suivante : êtes-vous satisfaits des nouvelles dispositions de la loi prévoyant des pénalités qui, si j'ai bien compris, sont maintenant passées à 50 000 $ par incident par jour?
M. Morrison : Monsieur le sénateur, je ne suis pas constructeur de barrages, mais je serais sensible à une amende de 50 000 $ par jour. Je ne suis point expert dans le domaine, mais c'est certainement une amélioration.
Le président : Vous parlez là de dissuasion, n'est-ce pas?
Le sénateur Lang : Oui.
Pensez-vous que les nouvelles dispositions sont utiles à titre dissuasif?
M. Morrison : La loi est certes boiteuse, mais je n'ai entendu personne critiquer ces dispositions.
Le sénateur Lang : J'aimerais également vous parler des consultations. Il paraît qu'un comité parlementaire a tenu des audiences il y a environ un an. Diverses organisations ont comparu ou ont soumis des mémoires. Saviez-vous que ces audiences avaient lieu? Dans l'affirmative, pourquoi n'avez-vous pas soumis un mémoire si vous teniez tant à la question?
M. Morrison : Nous savions effectivement que les audiences avaient lieu. Nous nous attendions à être convoqués, du moins, nous l'espérions. Comme je l'ai dit auparavant, nous croyions qu'il s'agissait d'une première série d'audiences et de consultations. Dans le rapport déposé en juin 2008 par le comité, il était précisé qu'il y aurait d'autres consultations. J'ai également entendu que certaines organisations ont demandé de témoigner mais ont été refusées.
Certaines organisations ont effectivement soumis des mémoires, mais n'ont pas comparu à titre de témoins. Comme je l'ai déjà dit, je crois qu'il y a une différence énorme entre envoyer un bout de papier qui pourrait être lu et avoir la possibilité, comme nous en jouissons aujourd'hui, de vous parler ou de discuter avec des représentants ministériels sur une période de quelques semaines ou de quelques mois. C'est ce que nous recherchons.
Je ne suis pas en mesure de vous dire si la Société pour la nature et les parcs du Canada a demandé de comparaître à l'époque. Je sais cependant que nous n'avons pas comparu.
Mme Reid : J'ai été chargée du dossier après la période en question.
Mme Edgar : J'étais en congé de maternité.
Le sénateur Lang : Vous étiez certainement bien occupée.
M. Morrison : J'étais rendu à la dernière étape de mon voyage en canot. J'ai traversé tout le Canada.
Le sénateur Lang : Dans des eaux profondes, j'espère bien?
M. Morrison : Vous seriez étonné de constater le nombre de voies navigables qui sont étroites, peu profondes, obstruées et tortueuses. J'ai suivi la route principale de la traite des fourrures en partance non pas de Montréal, mais du golfe du Saint-Laurent, jusqu'à Inuvik. J'ai également pagayé au Yukon.
Le président : On peut se noyer dans quatre pouces d'eau.
Le sénateur Milne : Puis-je commencer par une déclaration?
Le président : Commencez plutôt par un préambule. Vous vous débrouillez fort bien. Vous n'en abusez pas autant que d'autres.
Le sénateur Milne : Ce qui est problématique, c'est que le projet de loi a été adopté. Nous sommes confrontés à la situation que vous avez décrite aujourd'hui. J'aimerais vous remercier de certaines des suggestions positives que vous avez avancées. Nous pourrons les étudier et éventuellement les incorporer à notre rapport. J'aimerais vous poser une question : je ne sais pas si c'est de l'ordre de la tragédie ou de la comédie, mais dans la Loi sur la protection des eaux navigables, il n'y a pas de définition d' « eaux navigables ». Pourquoi le titre de la loi comporte ce terme alors qu'il n'est pas défini? C'est ma première question. Deuxièmement, je vous demanderais tous d'essayer de définir « eaux navigables ». Si vous n'arrivez pas à le faire maintenant sur-le-champ, couchez une définition sur papier et envoyez-la nous.
Le président : J'estime que c'est une question juste et intéressante, à condition que les témoins y soient disposés. Vous n'êtes pas obligés de rentrer chez vous et de faire des devoirs, mais cela nous serait utile vu l'expérience pratique et l'expertise de M. Morrison, notamment.
M. Morrison : Je serais ravi d'essayer. Je suis du genre à parler et à réfléchir après coup à ce que j'aurais dû dire. Je le ferais avec plaisir.
Le président : Et vous, monsieur Hazell?
M. Hazell : Je n'oserais proposer une définition. C'est d'ailleurs une question vexatoire. Ce n'est pas faute d'efforts que les législateurs n'ont pas pu en proposer. Je reconnais la difficulté de la question. Nous sommes insatisfaits de l'approche retenue pour ce qui est de la définition des classes d'ouvrages et d'eaux.
Nous pouvons certainement nous pencher sur une définition pour voir si nous arrivons à quelque chose qui se tienne. C'est une question qui comporte des aspects pratiques. M. Morrison a soulevé un point important : si nous n'arrivons pas à une bonne définition, il nous faudra alors un ensemble de critères qui guideront les pouvoirs discrétionnaires du ministre et du gouverneur en conseil, quoi que pour ce dernier, les choses se corsent un peu.
Si la loi comportait des critères concrets, les juges pourraient y faire référence et dire, par exemple : « Comment pouvez-vous dire que ce pont était un ouvrage mineur lorsque tous les critères énoncés dans la loi indiquent le contraire? Je vous écoute, monsieur le procureur. » Ce serait une autre approche, plutôt que d'accorder au gouverneur en conseil l'autorité de décider quels ouvrages sont mineurs et lesquels ne le sont pas.
Le président : Honorable sénateur Lang, voulez-vous poser une question supplémentaire sur le même sujet? Le sénateur Milne a la parole, mais si vous avez une question à poser, je suis sûr qu'elle vous permettra de le faire.
Le sénateur Lang : Non, continuez.
Le sénateur Milne : Monsieur Hazell, j'ai une autre petite question à vous poser. Si l'on n'arrive pas à définir le terme « navigable », peut-on le faire pour « non navigable »? Est-ce plus facile?
M. Hazell : Je ne voudrais pas me mouiller. Cependant, dans certains cas il est effectivement plus facile de définir par exclusion. C'est une technique dont se servent souvent les légistes.
Le sénateur Milne : Et vous, madame Reid?
Mme Reid : Là encore, je n'oserais me prononcer sur cette question en ce moment. J'abonde cependant dans le même sens que M. Hazell, c'est-à-dire qu'il faut approfondir la question.
Le président : Avez-vous une question supplémentaire, honorable sénateur Lang?
Le sénateur Lang : Merci, monsieur le président. Nous ne sommes pas en mesure d'établir les classes d'eaux, ou alors vous êtes d'avis que nous ne sommes pas en mesure de le faire. Cependant, les canoéistes fixent des classes d'eaux, allant de 1 à 5, à partir du danger.
M. Morrison : Oui.
Le sénateur Lang : Ne pourrait-on pas établir des classes d'eaux navigables en ayant comme références les petits ponts et les grands ouvrages?
M. Morrison : C'est poussé. Le lien avec les ponts et les ouvrages n'est pas évident. Si l'on souhaite établir une définition de la navigabilité qui, si j'ai bien compris, est la première étape du processus, il faut savoir, entre autres, que les conditions changent radicalement au fil des saisons et selon les précipitations. Une voie facilement navigable aujourd'hui ne l'est pas forcément en septembre ou en octobre. Je reconnais la difficulté de la tâche pour les fonctionnaires, mais il faut qu'ils en arrivent à bout d'une façon ou d'une autre.
C'est une question difficile, mais je ne crois pas pouvoir élaborer davantage.
M. Hazell : J'ai un bref commentaire. Je crois qu'il y a une différence entre la classification d'une rivière basée sur le niveau de difficulté qu'elle représente pour un pagayeur, comme classe I, classe II, classe III, classe IV, et ainsi de suite, et la classification qui établirait s'il s'agit d'un cours d'eau principal. Dans le deuxième cas, la classification a des conséquences d'ordre juridique : il faut peut-être un permis, ou une évaluation environnementale. Un pagayeur qui descend une rivière doit se demander s'il s'agit d'une classe III ou d'une classe IV. Je croyais que M. Morrison présenterait l'argument qu'une rivière de classe IV au printemps peut devenir une classe III à l'été et une classe II à l'automne. La classification risque de varier beaucoup au cours d'une saison. Le pagayeur doit comprendre que même si la rivière est désignée classe III, s'il est là à la mi-mai, il se peut qu'elle soit plus difficile.
M. Morrison : Je suis certainement d'accord. Il incombe toujours au pagayeur d'évaluer la situation lorsqu'il arrive aux rapides parce que les conditions varient. Je dirais qu'il incombe au gouvernement d'évaluer les rivières dans différentes conditions parce que la navigabilité varie selon elles.
Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre sur le même sujet. Dans notre partie du monde, du moins — et j'imagine que c'est le cas partout au Canada...
Le président : Votre partie du monde étant?
Le sénateur Lang : Le Yukon.
Je veux parler de la responsabilité du gouvernement fédéral et des ressources en eau. Nous possédons maintenant une très bonne banque de renseignements qui nous permet de connaître, au bout d'un certain temps, le flot moyen d'une voie navigable. Selon moi — et j'aimerais savoir ce que les témoins en pensent —, ces données nous aideraient à classer certaines voies navigables, si c'est la méthode que nous choisissons d'adopter. En fait, je ne vois pas quelle autre méthode nous pourrions choisir; aucune autre option n'a été présentée.
M. Morrison : Vous soulevez un excellent point. On pourrait se baser sur le volume de l'eau. De nos jours, normalement, le volume est exprimé en mètres cubes par seconde. Je vais vous donner un exemple tiré de votre territoire, la rivière Snake, sur laquelle j'ai navigué à la pagaie. C'est une rivière d'un volume important. Elle attire des touristes de partout dans le monde, pas seulement des gens d'Ottawa qui veulent se payer des vacances pas chères, mais aussi des Allemands. Je suis très sérieux. J'ai été très surpris de découvrir qu'un avion complet, un vol direct de Francfort, en Allemagne, rempli de touristes qui dépensent beaucoup d'argent, atterrit à Whitehorse chaque semaine — du moins c'était le cas quand j'y suis allé. L'écotourisme est très important dans le Grand Nord. Ces touristes sont à la recherche d'espaces intouchés; c'est ce qui les attire. La rivière Snake est tout à fait intouchée et sauvage. Elle a un assez grand volume et elle offre assez de défis au pagayeur, mais c'est une rivière anastomosée. Elle se sépare en de très nombreux petits chenaux remplis de rochers. Parfois, ces petits chenaux ne contiennent que deux, trois, quatre, cinq ou six pouces d'eau. Avec une embarcation pleine, il faut parfois débarquer pendant une quinzaine ou une trentaine de secondes afin de passer un petit banc de gravier. C'est fréquent. Est-ce que vous voudriez donc que la rivière Snake — ou une de ses parties — soit classée comme non navigable et, par conséquent, qu'on y construise un pont? Je ne crois pas.
Encore une fois, cet exemple illustre simplement à quel point il est difficile d'établir une définition pour les termes « navigable » et « non navigable ». Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question sans réponse ou quasi impossible à résoudre, mais je pense qu'il va falloir réunir des écologistes, des groupes de pagayeurs, des groupes d'utilisateurs, des Autochtones et des représentants du ministère des Transports pour mettre au point une définition.
Merci de votre question. La rivière Snake exemplifie parfaitement le dilemme.
Le sénateur Lang : Moi aussi, j'ai navigué sur la rivière Snake. Je ne l'ai jamais fait à la pagaie, mais je me suis rendue au bout à quelques reprises.
Je veux simplement faire remarquer aux membres du comité et aux témoins qu'il faut trouver un équilibre parce qu'il est évident qu'il y a en ce moment des problèmes majeurs. Mon collègue a souligné que la loi date des années 1880, avec une modification, ce qui ne répond pas à la situation actuelle.
Le sénateur McCoy : J'aimerais préciser...
Le président : Faites-vous un rappel au Règlement?
Le sénateur McCoy : Oui. C'est faux qu'une seule modification a été apportée à la loi depuis la date que vous mentionnez. Si vous lisez la loi et vous regardez les annotations, vous verrez que la dernière modification a été apportée en 2004. Avant 2004, la loi avait été modifiée en 1998, et avant 1998, elle avait été réimprimée je ne sais pas combien de fois. Je voulais simplement qu'on arrête de répéter ces renseignements inexacts du point de vue juridique. Voilà mon rappel au Règlement, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup, sénateur McCoy. Nous allons devoir déterminer ce qu'il en est parce qu'on nous a dit que la loi datait de 1882 et qu'elle avait seulement été modifiée une fois. Peu importe. Sénateur Spivak, avez-vous aussi un rappel au Règlement?
Le sénateur Spivak : Ce n'est pas un rappel au Règlement, mais c'est une question complémentaire. Il me semble que la question de navigable et non navigable est sans importance puisque, ultimement, c'est le ministre qui décide.
Y a-t-il quoi que ce soit qui vous porte à croire que des critères seront établis? L'objectif est de ne pas entraver le développement économique; c'est tout ce qu'on a donné comme raison. Pensez-vous qu'il y aura d'autres critères?
M. Morrison : Les propos de M. Osbaldeston me portent à croire qu'il essaie d'établir une définition du terme « navigabilité ». Les gens du ministère, du moins, souhaitent établir une définition.
Je présume qu'ils travaillent de près avec le cabinet du ministre et qu'ils sont au courant de ses intentions à ce sujet. Je présume donc et j'espère qu'ils établiront certains critères.
Toutefois, la question clé, comme je crois que vous le soulignez, est de savoir si le fait d'avoir une définition de la navigabilité influera beaucoup sur la réalisation d'évaluations environnementales.
Le sénateur Spivak : Exactement. J'ai l'impression que même si une voie est dite navigable, s'ils sentent qu'une structure doit y être mise pour des raisons économiques, elle y sera mise parce que le ministre en décidera ainsi.
Le sénateur Brown : Jusqu'où voulons-nous aller sur le plan écologique?
J'aimerais expliquer pourquoi je pose la question. D'abord, je crois aux écologistes. Sans les écologistes, je ne pense pas qu'il y aurait de parcs nationaux au Canada ou aux États-Unis. Je crois que le secteur canadien de la pêche souffre du fait qu'il n'y a pas eu d'écologistes assez forts pour nous empêcher de détruire littéralement une des richesses que nous offraient les côtes canadiennes dans plusieurs provinces, notamment la Colombie-Britannique et tout le Canada atlantique.
Mais l'écologisme peut aussi donner de très mauvais résultats. Les bernaches du Canada envahissent nos parcs et nos terrains de golf. Elles menacent les vols d'avion dans de nombreuses villes. Voilà un exemple de cas où nous sommes allés trop loin.
Aux États-Unis, pendant presque toute une génération, on a empêché la construction de nouvelles centrales électriques comme les barrages Hoover et Grand Coulee, et les raisons données étaient parfois risibles. On ne voulait pas construire de barrages dans certaines vallées parce qu'on disait que c'était l'habitat des chouettes tachetées. Puis, il y a quelques années à peine, on a découvert que les chouettes tachetées « s'entendent » très bien avec les autres chouettes, et qu'elles perdent leurs taches lorsqu'elles se reproduisent avec d'autres espèces.
Ensuite, nous avons éprouvé des difficultés en raison de la chasse aux phoques; nous avons tenté de l'arrêter, ce qui a eu des répercussions sur les peuples autochtones du Nord. Puis, en Alberta, on a été frappé d'un ardent désir de conserver les loups, et maintenant, il y a en a tellement qu'on a décidé d'en donner au Montana parce qu'eux n'en ont pas, ce qui n'a pas plu aux éleveurs, qui ont perdu beaucoup de veaux.
Nous avons des exemples pour illustrer les deux côtés. Que tirer de tout cela? Je sais qu'il y a quelques années, le gouvernement de l'Alberta a déclaré que toute voie d'eau en mouvement était navigable — non seulement qu'elle était navigable, mais aussi qu'elle lui appartenait.
Je suis au courant parce qu'à l'époque, j'étais consultant en zonage des terres et en lotissement, et un de mes clients avait construit plein de caniveaux et d'autres structures. Tout d'un coup, il s'est fait dire que les caniveaux qu'il avait construits il y a 40 ans n'étaient plus adéquats, même s'il s'agissait juste d'un fossé de drainage qui servait seulement à la fin de la campagne d'arrosage. Il drainait un petit barrage. Les caniveaux servaient aussi quand il tombait beaucoup de pluie.
Le président : Vous en venez à votre question, n'est-ce pas?
Le sénateur Brown : J'ai déjà posé ma question : jusqu'où voulons-nous aller sur le plan écologique? Je crois que c'est très dangereux d'aller trop loin. Nous devons faire confiance aux gouvernements provinciaux et aux habitants des provinces.
Je suis très préoccupé par la création d'une agence nationale. Les agences nationales me préoccupent parce qu'elles deviennent très grandes, elles coûtent très cher, et je ne suis pas convaincu qu'elles fonctionnent, comme les sénateurs Neufeld et Lang l'ont déjà dit.
M. Hazell : Je suis tout à fait en désaccord avec vous. L'opinion générale — je ne dirais pas universelle — que partagent tous les scientifiques crédibles qui travaillent dans le domaine du climat et des émissions de gaz à effet de serre ainsi que tous ceux qui travaillent dans la biodiversité, est que nous, en tant qu'espèce humaine, sommes en train de détruire les sources de vie de la planète plus vite qu'elle peut les remplacer. Nous dévorons le capital naturel de la planète à un rythme incroyable.
Vous dites que l'écologisme va trop loin, mais ce ne sont pas les écologistes qui font ces déclarations. Ce sont les scientifiques qui travaillent sur ces questions qui disent que l'espèce humaine a un énorme problème; que nous ne pouvons pas continuer à agir comme nous le faisons, à augmenter nos émissions de gaz à effet de serre. Il y a quelques années, la concentration de CO2 dans l'atmosphère augmentait d'une partie par million; aujourd'hui, ce chiffre a triplé, et il continue à monter.
Nous ne pourrions pas nous trouver dans une pire situation. Pour parler de votre exemple, le nombre de bernaches du Canada qui se trouvent à Toronto a augmenté parce que nous avons détruit leur habitat. Il y a plein d'espaces libres, et les bernaches ont décidé qu'elles préféraient rester dans le coin de Toronto que d'aller passer l'hiver dans le Sud. L'augmentation du nombre de bernaches du Canada est le fruit direct d'un excès d'interventions humaines dans les habitats fauniques. Si la forêt était toujours là, les bernaches ne le seraient pas. Nous sommes à blâmer pour beaucoup des problèmes que vous avez décrits.
L'introduction du loup dans la région de Yellowstone a été un énorme succès, et elle a été très avantageuse sur le plan écologique dans la mesure où elle a permis de contrôler les populations d'ongulés. Elle a aussi permis de rétablir le tremble, pour différentes raisons écologiques dont nous pouvons parler. Je crois comprendre qu'il y a encore quelques problèmes à régler avec les éleveurs, mais le programme d'introduction du loup au Montana est un énorme succès. Heureusement qu'il y avait assez de loups en Alberta et au Yukon pour que nous puissions les réintroduire aux États- Unis.
Le président : Si j'ai bien compris, nous allons devoir changer le surnom de Toronto de Hogtown à Goosetown, n'est-ce pas?
Le sénateur Brown : Pour résoudre le problème des outardes, il suffit d'éliminer Toronto, Regina et le parc Stanley à Vancouver. Si c'est le sens du mot environnementalisme, alors je dis que cela va trop loin parce qu'il faut toujours conserver un certain équilibre. Nous avons perdu d'énormes quantités d'électricité qui auraient pu être produites aux États-Unis. Toute l'Amérique du Nord dépense beaucoup d'argent parce qu'aucune centrale électrique n'a été construite. Maintenant, nous allons probablement devoir nous tourner vers l'énergie nucléaire, et je doute que cela va plaire aux environnementalistes, mais c'est probablement le seul choix qui nous reste parce que nous ne pouvons plus construire de barrages hydroélectriques. Lorsqu'on le pousse trop loin, l'environnementalisme nous fait du tort. C'est comme le reste. Lorsque l'on porte quelque chose à l'extrême, cela a des conséquences non voulues.
M. Hazell : L'objectif général n'est pas de se débarrasser de Toronto ou de Vancouver, mais plutôt d'atteindre la durabilité écologique et d'essayer de parvenir à un stade où la population humaine peut survivre et prospérer en harmonie avec son environnement naturel. Nous avons de loin dépassé ce stade maintenant.
Comme je l'ai dit, je suis complètement en désaccord avec l'idée que nous en faisons trop pour l'environnement. En fait, nous en faisons beaucoup trop peu. Lisez le plus récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Lisez n'importe quel document relatif à la Convention sur la diversité biologique. Nous courons un grave danger. Notre espèce survivra, mais est-ce que des centaines de millions de personnes mourront? C'est très probable, si nous n'arrivons pas à contrôler les émissions de gaz à effet de serre. Il serait dément d'approuver la construction de ponts conçus pour accueillir plus de voitures qui produiront plus d'émissions de gaz à effet de serre qui accentueront le changement climatique et la fonte des glaciers et entraîneront des conditions atmosphériques de plus en plus imprévisibles.
Le sénateur Brown : Vous et moi nous entendons absolument sur une chose, et c'est la durabilité.
Le président : Nous avons presque atteint la fin de votre tour. J'aimerais que le sénateur Peterson ait aussi son tour, puis le vice-président parlera en dernier.
Le sénateur Peterson : Le haut fonctionnaire qui était ici la semaine dernière a dit qu'ils étaient maintenant déterminés à arrêter une définition des eaux navigables parce que les demandes n'arrêtent pas de s'empiler. Il affirme qu'ils sont en train de mettre au point un modèle de formule qui, dans les cas peu complexes, permettrait de traiter peut-être les demandes en quelques semaines au lieu de six mois. Pensez-vous que c'est faisable?
M. Morrison : Honnêtement, sénateur, il m'est impossible de répondre à cette question sans discuter d'abord avec les représentants du ministère des Transports, parce que nous ignorons complètement en quoi consistent leurs propositions.
Le sénateur Peterson : Pensez-vous que ce qu'ils essaient d'accomplir soit raisonnable?
M. Morrison : Dans mon ancienne profession, lorsque je travaillais à la fonction publique comme conseiller en gestion, j'essayais toujours de trouver une meilleure façon de faire les choses. C'est comme ça que je vis ma vie, du moins je l'espère. Oui, en principe, leurs efforts sont louables.
Le sénateur Peterson : En outre, le ministère des Transports n'a pas le dernier droit de regard là-dessus. Ils peuvent dire « Allez-y, faites-le », mais une autre autorité peut intervenir et dire « Non, attendez, nous ne sommes pas certains. » Cela vous satisfait-il? Ces freins et contrepoids pourraient-ils aider à long terme?
M. Hazell : Pas nécessairement, parce que dans le cas de 107 des 175 ponts qui font actuellement l'objet d'une évaluation, la LPEN est la seule raison pour laquelle une évaluation environnementale est effectuée. Sans ce mécanisme qui n'existera plus, cela veut dire que les provinces ne se livreront pas non plus à une évaluation environnementale et que tout reposera peut-être sur les décisions de zonage des municipalités. En toute honnêteté, il est rarement nécessaire de mener une étude des impacts environnementaux dans le cadre de décisions municipales de ce genre. Donc, peu de choses se passent à ce moment-là. Parfois, un processus provincial intervient et s'occupe de la question, mais, comme je l'ai mentionné, cela varie énormément d'un bout à l'autre du pays.
Le sénateur Peterson : Ces 107 ponts sont tous liés au plan de relance?
M. Hazell : C'est exact.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie tous les deux. Cette discussion a été très instructive. Je vais faire quelques observations, puis je poserai une ou deux questions.
À mesure que vous parliez, monsieur Hazell, j'ai été conquis par vos paroles parce qu'il se trouve que je suis profondément d'accord avec vous. Il y a une relation entre la destruction progressive de l'habitat d'une espèce et le fait de l'ajouter en fin de compte à la liste des espèces en voie de disparition, et elle est de plus en plus évidente. Si nous continuons de détruire notre habitat, à quel moment serons-nous ajoutés à la liste.
De plus, en ce qui concerne la loi de 1882, je sais qu'elle a été modifiée, mais en supposant qu'elle ne l'ait pas été depuis 1882 et qu'il soit nécessaire de le faire, peut-être devrions-nous songer à la rendre plus stricte et plus vigilante et non pas moins, parce qu'en 1882, nous ne construisions pas beaucoup de ponts ou de centrales électriques, et nous n'entreprenions pas beaucoup de grands projets.
Si l'on a besoin de la LPEN pour mettre en branle des projets d'évaluation environnementale, en contrepartie, n'est- il pas vrai que les nouveaux pouvoirs du ministre de l'Environnement, qui lui permettent d'exempter tout projet de moins de 10 millions de dollars, annulent ce mécanisme?
M. Hazell : Je suis heureux que vous mentionniez la limite de 10 millions de dollars, sénateur, parce que c'est une autre façon d'exempter les projets. Lorsque j'étais directeur des affaires réglementaires de l'agence, nous luttions contre cette disposition parce que le montant engagé dans un projet a peu à voir avec l'importance des dommages environnementaux qu'il pourrait causer. Un tout petit projet mis en œuvre dans un milieu humide très fragile pourrait avoir d'énormes répercussions écologiques tandis qu'un projet d'un milliard de dollars pourrait n'en avoir aucune. La limite de 10 millions de dollars est inefficace. Elle est pratique d'un point de vue administratif, mais, à mon avis, elle ne respecte pas vraiment les objectifs de la loi.
Le sénateur Mitchell : Merci. Enfin, à titre de précision, dans le cadre du programme Chantiers Canada, les travaux publics et les travaux gouvernementaux, disons les travaux du gouvernement fédéral, font-ils l'objet d'une exemption particulière ou sont-ils assujettis aux mêmes critères?
M. Hazell : Les règlements dont je parlais, les soi-disant changements apportés au Règlement sur la liste d'exclusion et au Règlement d'adaptation, concernent, pour l'instant, les projets de Chantiers Canada et ne s'appliquent pas aux autres. Je crains que le gouvernement en étende la portée, mais, en ce moment, ces deux séries de règlements se limitent vraiment aux projets de Chantiers Canada.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup.
Le président : Merci, chers collègues. Il est maintenant 19 h 20. Nous avons utilisé tout le temps qui nous était alloué. Nous n'aurons pas de réunion à l'heure habituelle jeudi pour les raisons que vous connaissez tous. Nous nous retrouverons mardi prochain à l'ajournement du Sénat lèvera la séance ou à 17 heures ou peu de temps après. Le témoin sera le secrétaire parlementaire du ministre des Transports et il sera probablement accompagné des mêmes représentants du ministère que nous avons reçus avant. Il semble que nous ayons d'autres questions à poser à ces hauts fonctionnaires du ministère des Transports. Donc, vous êtes prévenus de leur présence. Je suis pas mal certain qu'ils seront là. Je ne peux rien promettre, mais j'imagine mal le secrétaire parlementaire se présenter ici sans les hauts fonctionnaires.
Le sénateur Banks : Avec votre permission, pourrais-je poser une petite question aux témoins qui, je pense, nous aidera à tirer une conclusion à la fin du parcours que vous avez décrit?
Le président : Est-ce que tout le monde est d'accord? Nous aimons toujours entendre les commentaires du sénateur Banks.
Le sénateur Banks : Pas toujours, monsieur le président.
Le président : Vos remarques demeurent très constructives tant que nous ne discutons pas des oiseaux migrateurs.
Le sénateur Banks : Merci, monsieur le président.
J'entends tout le monde utiliser le mot « équilibre », mais il n'a pas nécessairement le même sens pour tout le monde. Si j'ai bien compris la position du gouvernement, il est d'avis qu'il faut parfois maintenir un équilibre entre l'utilisation d'un certain cours d'eau à des fins productives et économiques et la protection contre les impacts environnementaux, y compris les obstacles à la navigation. À l'occasion, la nécessité de développer l'économie l'emportera sur la nécessité de protéger l'environnement.
D'après vous, cet équilibre exige que l'on définisse ce en quoi consistent des eaux navigables et que, si elles le sont, elles deviennent par le fait même sacro-saintes et le principe selon lequel on ne doit rien construire où que ce soit, près de quoi que ce soit, prime, ou convenez-vous que, parfois, certaines eaux navigables — malgré qu'elles soient navigables — peuvent être compromises dans l'intérêt d'un développement quelconque? Reconnaissez-vous que ce genre d'équilibre existe?
M. Morrison : Je vais prendre le risque de répondre par l'affirmative. Prenez, par exemple, la rivière des Outaouais ou la rivière Winnipeg. Sans leurs barrages hydroélectriques, imaginez combien de dioxyde de carbone de plus serait émis. Cependant, je pense parfois que la question de maintenir un équilibre entre l'économie et l'environnement est une fausse argumentation. Il y a une bonne et une mauvaise façon de faire les choses.
Par exemple, j'ai parlé à l'ancien chef de la Première nation de la rivière Pic qui se trouve au bord du lac Supérieur. Sa bande a fait quelque chose d'unique. Elle a été en mesure de former un partenariat avec un promoteur de projets hydroélectriques du secteur privé et de conserver 51 p. 100 des droits de propriété liés au projet. Le projet consistait à construire une centrale hydroélectrique au fil de l'eau; il n'exigeait pas la création d'un bassin en amont et l'inondation de terrains. Les impacts environnementaux étaient donc minimes. Et pourtant, cette bande des Premières nations bénéficie maintenant d'un revenu à perpétuité.
Le sénateur Banks : Pouvez-vous descendre la rivière en canot maintenant?
M. Morrison : En tant que pagayeur — et les autres pagayeurs ne seront peut-être pas très heureux de m'entendre parler ainsi —, c'est le genre de sacrifice ou de compromis qu'à mon avis il est raisonnable de faire. Cependant, dans ce cas-là, le projet a été mené de la bonne manière. Ce que je dis n'est pas étayé par des études ou des documents; j'ai eu une conversation avec le chef et c'est l'impression qu'il m'a laissée. Voilà seulement un exemple de la façon dont on peut faire les choses correctement. Bien entendu, nous avons été témoins de pas mal de cas où les choses n'ont pas été faites correctement.
M. Hazell : La question n'est pas de déterminer si l'on doit développer; on doit le faire. Ce que nous nous efforçons d'accomplir grâce au processus d'autorisation que nous avions l'habitude d'avoir en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables et avec aux évaluations environnementales c'est de veiller à ce que les décideurs comprennent ce qu'ils font lorsqu'ils construisent un barrage sur une rivière et à ce qu'ils ne prennent pas ces décisions dans l'ignorance totale des faits. Voilà ce que nous éliminons. Nous éliminons un outil qui nous permettait de recueillir des renseignements. Nous ne prétendons pas qu'il ne faut pas développer.
En ce qui concerne la question de l'équilibre entre l'économie et l'environnement, c'est un concept dont je croyais que nous nous étions débarrassés depuis la Commission Brundtland en 1986, parce que c'est une fausse opposition. Ce que la commission a essayé de faire et les différents gouvernements qui se sont succédé avant l'arrivée du ministre Prentice — qui n'utilise même plus le mot « durabilité » — étaient également d'accord avec cela, c'est de lancer l'idée du développement durable. Autrement dit, nous voulons développer, mais nous désirons que ce développement soit durable d'un point de vue écologique, social et économique.
Pour une raison quelconque, le gouvernement actuel a rejeté la notion de durabilité et cela inquiète énormément le Sierra Club du Canada.
Le président : J'aimerais remercier sincèrement les témoins de leur contribution à cette question. Chers collègues, je vous remercie tous d'avoir formulé d'intéressantes remarques. Nous nous réunissons mardi prochain à environ 17 heures.
(La séance est levée.)