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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 9 - Témoignages du 9 juin 2009


OTTAWA, le mardi 9 juin 2009.

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 18 h 25 heures pour étudier le projet de loi C-16, Loi modifiant certaines lois environnementales et édictant des dispositions ayant trait au contrôle d'application de lois environnementales.

Le sénateur Grant Mitchell (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, la séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles est ouverte. Je m'appelle Grant Mitchell et je représente la province de l'Alberta. Je souhaite la bienvenue à mes collègues du comité, aux témoins, aux représentants ministériels et aux membres du public présents dans cette salle ou qui suivent nos débats à la télévision.

Je préside la séance d'aujourd'hui parce que je suis le vice-président du comité. Le sénateur Angus, le président du comité, a dû s'absenter et j'ai le plaisir de le remplacer pour cette séance.

J'aimerais d'abord présenter nos témoins ainsi que les sénateurs avec qui j'ai le plaisir de travailler au sein de ce comité. Ces derniers sont le sénateur Tommy Banks, un collègue de l'Alberta, en fait d'Edmonton où nous habitons tous les deux, le sénateur Richard Neufeld de la Colombie-Britannique, le sénateur Fabian Manning de Terre-Neuve, le sénateur Bert Brown, un autre collègue de l'Alberta, le sénateur Gerry St. Germain de la Colombie-Britannique, le sénateur Lorna Milne de l'Ontario, le sénateur Pana Merchant de la Saskatchewan, le sénateur Nick Sibbeston des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur Mira Spivak du Manitoba, le sénateur Larry Campbell de la Colombie- Britannique, et le sénateur Willie Adams du Nunavut. Permettez-moi de souligner que cette séance est la dernière pour le sénateur Adams. Cette journée est empreinte de tristesse pour nous tous qui avons appris à le connaître et à travailler avec lui pendant plus de 32 années de présence au Sénat. Il nous manquera beaucoup.

Je vais maintenant présenter les témoins de ce soir qui sont John O'Connor, président du Comité sur la pollution et l'environnement maritime, de l'Association canadienne de droit maritime, Mark Boucher, président national de la Guilde de la marine marchande du Canada, le capitaine Stephen Brown, président de la Chamber of Shipping of British Columbia, Kaity Arsoniadis Stein, présidente et secrétaire générale de International Ship-Owners Alliance of Canada Inc., et Peter Lahay, coordonnateur national de la Fédération internationale des ouvriers du transport.

Je crois comprendre que vous avez tous un exposé à faire. Je vous invite à être assez brefs de façon à laisser assez de temps aux sénateurs pour vous poser leurs questions. Veuillez donc commencer, nous avons hâte de vous entendre.

Mark Boucher, président national, Guilde de la marine marchande du Canada : Merci, monsieur le président. Comme vous venez de l'indiquer, je suis président national de la Guilde de la marine marchande du Canada, une association regroupant 5 000 officiers de marine canadiens.

La guilde est affiliée à la Fédération internationale des ouvriers du transport, organisation qui se consacre à l'amélioration des conditions de travail des marins de toutes nationalités et qui œuvre pour une bonne réglementation du transport maritime. Nous attachons une importance particulière à toutes les questions législatives concernant les marins. Alors que la Guilde de la marine marchande du Canada représente des officiers de navires, des membres d'équipage de rang supérieur et des pilotes de navires du Canada, la FIOT représente les 15 000 marins, de toutes catégories, du secteur canadien du transport maritime.

Si cela vous intéresse, j'expliquerai avec plaisir où se trouvent nos membres au Canada et pourquoi ce qu'ils font est important. Nous savons que vous avez dû prendre une décision à très court préavis pour nous permettre de comparaître aujourd'hui et nous vous remercions de nous donner l'occasion de témoigner devant vous.

Les marins constituent la première ligne de prévention de la pollution sur les navires. Les marins canadiens, en particulier, ont un excellent bilan dans ce domaine. Nous sommes en faveur de lois efficaces sur la protection de l'environnement. Nous comprenons et partageons le profond désaveu de la société canadienne à l'égard des infractions environnementales.

L'une des choses fondamentales que je tiens à souligner est que le secteur du transport maritime a énormément de mal à recruter des marins canadiens. C'est d'ailleurs un problème mondial de notre secteur. L'âge moyen des marins au Canada est élevé. Nous essayons de faire face à la pénurie chronique de marins en faisant tout notre possible pour recruter des jeunes. La Guilde de la marine marchande du Canada et la FIOT ont mis en œuvre plusieurs initiatives à ce sujet, en collaboration avec d'autres organisations, mais cela ne suffit pas.

Malgré ces efforts, l'un des facteurs qui ne manqueront pas d'effrayer les candidats éventuels est ce type de législation. En 2005, le Canada a modifié la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, au moyen du projet de loi C-15, et il a ainsi instauré un principe de responsabilité absolue pour les capitaines de navires et les mécaniciens en chef. La seule obligation faite à la Couronne est de prouver qu'un acte prohibé a été commis, par exemple un déversement polluant. La Couronne n'est absolument pas tenue de prouver que l'accusé avait l'intention de commettre cet acte, ni même de prouver qu'il a fait preuve de négligence à cet égard. La notion de responsabilité absolue se retrouve aujourd'hui à l'article 13 du projet de loi dont vous êtes saisis.

À notre avis, le projet de loi C-16 aggrave nos difficultés d'un cran dans la mesure où il signale aux candidats potentiels de l'industrie de transport maritime qu'ils s'exposent à de lourdes sanctions s'ils deviennent marins. Ils risquent de se voir infliger des amendes énormes et de devoir dépenser des fortunes pour se défendre.

Le Canada a certes besoin d'une solide protection environnementale, mais il a aussi besoin d'une solide industrie du transport maritime. Nous devons être en mesure d'attirer une nouvelle génération de marins en nous assurant qu'ils ne seront pas traités de manière injuste, même si nous savons que nous travaillons dans un milieu où existent une nécessité et un appétit d'application renforcée de la législation environnementale.

Diverses parties du projet de loi C-16 nous préoccupent vivement, notamment l'article 126 instaurant un nouveau régime de sanctions pécuniaires environnementales. Il est dit au paragraphe 9 que le seul devoir du ministre est d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que la personne a commis l'infraction. Cela réduit le fardeau de la preuve qui serait imposé à la Couronne dans un procès pénal, où l'on doit établir la preuve au-delà de tout doute raisonnable, en l'abaissant au niveau d'un procès civil, la prépondérance des probabilités. Selon nous, cela veut dire que le tribunal devra condamner l'accusé s'il conclut qu'il est plus probable que non qu'il a commis l'infraction, même s'il y a un doute raisonnable.

L'article 11 de ce nouveau régime de sanctions va même jusqu'à dire qu'une personne nommée dans un acte d'accusation ne peut arguer pour sa défense qu'elle a fait preuve de diligence raisonnable pour prévenir l'infraction. À notre avis, ce niveau de preuve est trop bas. Certes, il permettra à la Couronne d'intenter des poursuites plus facilement, mais il ne protègera pas les droits légitimes des marins accusés, et nous craignons que cela facilite les condamnations.

Il faut de nombreuses années pour obtenir les qualifications, la formation professionnelle et l'expérience requises pour accéder au niveau d'officier supérieur — plus même que pour devenir médecin. Seuls les marins les plus consciencieux sont capables d'accéder à ce niveau et sont prêts à assumer les responsabilités additionnelles qui en découlent. Or, c'est précisément au niveau des officiers supérieurs que la pénurie de personnel licencié et qualifié est le plus aiguë.

La criminalisation des marins ne peut qu'aggraver le problème. Sans officiers qualifiés et certifiés, un navire ne peut pas bouger. Quelle que soit l'utilisation importante envisagée, il ne bougera pas s'il a les trois quarts de son équipage mais pas les personnes-clés.

Si nous voulons éviter cela, nous devons faire tout notre possible pour traiter tout le monde de la même manière et convaincre les marins qu'ils seront traités de manière juste et raisonnable. Il existe déjà des mécanismes efficaces d'exécution des lois et il n'est donc pas nécessaire de renforcer la criminalisation des marins et d'ajouter de nouveaux facteurs de dissuasion des jeunes que ce secteur pourrait intéresser.

Les marins sont des employés qui travaillent avec diligence pour leurs employeurs. Ils ne conçoivent pas les navires, ils ne les construisent pas, ils ne prennent pas de décisions d'acquisition d'immobilisations pour remplacer les vieux navires ou le vieil équipement, et les navires canadiens sur lesquels ils travaillent sont dans bien des cas très vieux. Or, ce sont ces marins qui seront accusés et à qui on infligera des amendes, et leurs employeurs ne viendront pas les défendre ni ne paieront leurs amendes. Le bassin de candidats prêts à accepter ce risque en devenant marins ne cesse de se rétrécir.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'exprimer notre opinion sur ce projet de loi. Nous vous avons envoyé un mémoire il y a quelques jours et espérons que nos remarques seront prises en considération.

[Français]

John O'Connor, président, Comité sur la pollution et l'environnement maritime, Association canadienne de droit maritime : Monsieur le vice-président, étant donné que je suis le seul de la belle province, je ne vous entretiendrai pas en français toute la soirée. Nous sommes flattés d'être invités et il nous fait plaisir d'être ici. Je suis président, Comité sur la pollution et l'environnement maritime, du Association canadienne de droit maritime.

[Traduction]

Nous sommes une association pancanadienne — l'ACDM, l'Association canadienne de droit maritime — et nous représentons toute la gamme des intérêts de l'industrie du transport maritime du Canada, comme les armateurs, les associations de travailleurs, les affréteurs, les expéditeurs, les destinataires, et cetera. Nous avons une vision globale du système.

Nous sommes également membres du CMI, le Comité maritime international. L'ACDM est la branche canadienne du CMI, dont le rôle consiste à harmoniser la législation maritime internationale. L'ACDM a collaboré avec Transports Canada dans le passé pour atteindre cet objectif. Nous avons travaillé sur la quasi-totalité des projets de loi présentés depuis les années 1970 : la Loi sur les océans, la Loi sur la marine marchande du Canada, la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Notre but a toujours été d'essayer d'harmoniser la législation et de veiller à ce que les dispositions des conventions internationales soient respectées.

Nous ne sommes pas ici ce soir pour parler de ce que nous contestons, même s'il y a des choses que nous contestons. J'ai eu la possibilité de lire les mémoires des autres témoins et j'ai le plaisir de dire que nous les appuyons en grande mesure. Par exemple, M. Boucher vient d'exposer avec éloquence nos problèmes de recrutement. L'an dernier, l'ACDM a tenu une assemblée à Vancouver et le Pacific Institute, qui est le centre de formation des marins de la côte Ouest, est venu expliquer combien il lui est difficile de recruter des jeunes. En réponse à nos questions, nous avons appris qu'il y a deux raisons à cela : premièrement, les jeunes n'aiment pas être loin de chez eux — dans la marine, on est loin de chez soi pendant longtemps — et, deuxièmement, ils ont peur de la criminalisation. Certes, disent-ils, être loin de chez soi, c'est une réalité depuis qu'on a inventé des bateaux, mais pas la criminalisation.

Je crois que c'est une chose à garder en tête. Pour les jeunes, la criminalisation, ce n'est pas bien. Nous arrivons au 20e anniversaire de la catastrophe de la Place Tienanmen, et le président de la France vient de dire ceci :

[Français]

Une société qui tire sur sa jeunesse n'a pas d'avenir.

[Traduction]

Écoutons bien ce que nous dit M. Boucher. J'ai aussi lu l'exposé de Mme Arsoniadis Stein et nous l'approuvons aussi. L'aspect constitutionnel de ce projet de loi est extrêmement important.

Cela dit, je suis ici pour parler de trois choses. Premièrement, lorsque le projet de loi C-15 a été adopté, en 2005, le ministère soutenait qu'il n'y avait aucun conflit entre ce texte et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Les choses ont changé depuis.

Je peux vous dire qu'il y a un espion dans cette pièce — M. Woodworth, de l'autre Chambre — qui a désormais admis officiellement qu'il existe un tel conflit. Toutefois, il y a un protocole, un protocole sur les poursuites judiciaires, en vertu duquel on ne poursuivra pas quelqu'un si cela entre en conflit avec nos obligations internationales, par exemple au titre de l'UNCLOS.

Tout ce que je peux dire à ce sujet, c'est que j'en suis fort aise. Je travaille dans ce domaine depuis 30 ans mais c'est la première fois que j'entends cela. J'en suis vraiment très heureux mais il me semble aussi, puisque vous êtes des politiciens, que vous savez que l'apparence est aussi importante que la réalité. Il ne suffit pas de faire ce que l'on doit, il faut aussi qu'on le croie.

Je pense qu'il faudrait ajouter un article. Nous en proposons un dans notre mémoire, qui dit simplement que ce projet de loi — et il faudrait l'ajouter à chaque loi qui est modifiée par ce projet — entérine les obligations internationales du Canada et que, s'il y a conflit, c'est la convention internationale qui prime. Voilà notre première suggestion. Je ne pense pas que cela puisse causer de difficulté. M. Woodworth n'a pas pu me dire s'il appuyait cette proposition car, si j'ai bien compris, il n'est pas sûr qu'il existe un article de ce genre dans d'autres lois. Malheureusement, je n'ai pas vérifié moi-même. Je n'avais pas envisagé cet argument, qui est excellent. Toutefois, même s'il n'y en a pas, il n'y a aucun mal à dire ce que nous voulons dire dans notre propre protocole, et le monde entier comprendra alors comment ça marche.

Notre deuxième remarque concerne la Convention sur la responsabilité civile, la CRC. Cette convention fait partie de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et l'ACDM avait été très active lors de son adoption, en témoignant devant la Chambre et devant le Sénat. En fait, j'avais comparu moi-même. Nous appuyons la CRC. La CRC est un mécanisme permettant d'indemniser en cas de pollution, et c'est une convention internationale que le Canada a signée.

Le problème de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, avant l'amendement, était qu'il y avait des éléments de ce projet de loi, par exemple dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la LCPE de 1999, en vertu desquels un tribunal pouvait obliger un contrevenant à verser des indemnités à n'importe qui. C'était un peu comme si l'on avait voulu contourner les conventions internationales.

Avec la CRC, nous disposons d'un mécanisme permettant d'imputer la responsabilité à l'armateur. C'est une manière d'obtenir une indemnisation. Il est dit dans la convention qu'on ne peut pas réclamer d'indemnités à certaines personnes, notamment les marins, les affréteurs et les exploitants. On a voulu que le système soit simple pour que chacun sache qui poursuivre pour être indemnisé. De ce fait, on a retiré le droit de réclamer des indemnités à ces autres personnes. Si l'une d'entre elles, un marin par exemple, commettait une infraction et se voyait infliger une amende, nous ne contesterions pas l'amende, mais le tribunal aurait le pouvoir d'ajouter qu'il doit payer des indemnités.

M. Woodworth a dit que la Chambre des communes a réglé cette question en ajoutant un article indiquant que cette législation ne s'appliquera pas si la personne a le droit de formuler une réclamation au titre de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Nous disons la même chose. Nous demandons un changement mineur de façon que, si la réclamation est touchée par la Loi sur la responsabilité en matière maritime, nous ne soyons pas pris dans un cercle vicieux. Si quelqu'un ne peut pas formuler de réclamation au titre de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, à cause du libellé de cette convention, et qu'il vient alors devant le juge pour dire : « Je ne peux pas formuler cette réclamation et je vous demande donc de lui ordonner de m'indemniser », cela reviendrait à court-circuiter la convention.

Ma dernière remarque porte sur le « non-usage ». Le non-usage est une bactérie qui nous vient des États-Unis. Ce n'est pas une bonne idée. Le non-usage est une idée qui a été inventée aux États-Unis et qui signifie que, même si nous n'indemniserons pas en cas de pollution et ne dépolluerons pas, nous attribuerons une valeur au fait que tel ou tel élément ne pourra plus être utilisé à l'avenir, par exemple un récif corallien. Combien cela vaut-il? C'est une chose qui n'appartient à personne, en principe, ou qui appartient à l'État. Ce sont les États-Unis qui ont inventé ça. Nous n'en avons pas besoin ici. La Convention internationale, la CRC, dispose qu'aucune indemnisation ne peut être ordonnée sauf pour des choses qui sont faites ou seront faites. On ne peut pas ordonner à quelqu'un de payer des indemnités pour un non-usage. C'est ce que dit la convention.

Avec cette loi, le tribunal peut ordonner à un contrevenant de payer pour le non-usage, et je peux vous donner la liste des dispositions pertinentes si vous voulez. À mon avis, ce n'est pas une bonne idée. Si vous ajoutiez un paragraphe semblable à celui que nous suggérons sur le respect de nos obligations au titre de la convention, nous pourrions probablement vivre avec ça parce que nous pourrions y échapper en invoquant la convention. C'était la troisième et dernière remarque que je souhaitais faire au sujet de ce qui devrait être modifié.

J'espère que tous les membres du comité ont reçu un exemplaire de mon rapport, qui ne fait que trois ou quatre pages. Je suis évidemment prêt à répondre à vos questions. Encore une fois, merci de votre invitation.

[Français]

Kaity Arsoniadis Stein, présidente et secrétaire générale, International Ship-Owners Alliance of Canada Inc. : Je voudrais remercier les sénateurs de l'occasion de nous exprimer sur ce projet de loi. J'aimerais également remercier Mme Gordon et Mme Saville d'avoir organisé cette rencontre.

[Traduction]

Je suis présidente et secrétaire générale de la International Ship-Owners Alliance of Canada Inc. Notre groupe représente environ 400 navires, localement et internationalement, gérés à partir de Vancouver et comprenant des navires transporteurs, des pétroliers, des conteneurs, des remorqueurs, B.C. Ferries — l'un des plus gros exploitants de traversiers au monde — et Teekay Corporation, l'un de nos membres fondateurs qui transporte plus de 10 p. 100 du pétrole mondial transporté par bateau.

Je m'exprime aussi devant vous au nom du Council of Marine Carriers, une association exploitant des remorqueurs et des barges tout le long de la côte Ouest de l'Amérique du Nord et dans l'Arctique.

Nous avons reçu l'appui total du conseil d'administration de la Vancouver Maritime Arbitrators Association ainsi que de North American Indian Charter of Shipping and Trade et de diverses associations internationales du transport maritime dont nous vous avons remis les lettres : la Chambre internationale de la marine marchande, l' International Group of P & I Associations, BIMCO — le Conseil maritime baltique et international — et la Fédération internationale des armateurs.

Notre groupe a comparu devant le Sénat lors de la 38e législature au sujet du projet de loi C-15 qui faisait d'un incident de pollution un acte criminel, que l'accusé ait été ou non coupable d'inconduite volontaire. On voyait ainsi apparaître la notion de responsabilité absolue. Nous comparaissons à nouveau devant vous avec les mêmes préoccupations.

Nous espérons cependant cette fois que les solides dispositions environnementales du projet de loi C-16 et les mesures d'exécution renforcées que Transports Canada a mises en œuvre, comme la surveillance aérienne et la technologie satellitaire, rendront inutile de limiter la présomption d'innocence. Nous croyons qu'il convient de revoir cette question.

Nous sommes préoccupés par l'impact de la criminalisation et du traitement injuste des gens de mer, comme disait M. Boucher. Le projet de loi C-15 a un effet discriminatoire sur les entreprises canadiennes. Depuis son adoption, aucune société de transport maritime ne s'est établie au Canada, à notre connaissance. Le capitaine Brown vous donnera des précisions sur son effet dissuasif à l'égard des investissements au Canada.

M. O'Connor a exposé les incohérences du Canada à l'égard des traités internationaux auxquels il a adhéré, dans la mesure où il fait une distinction fondamentale entre la pollution accidentelle et intentionnelle et où il établit l'emprisonnement comme la sanction normale, au lieu des sanctions pécuniaires. Vous avez reçu des mémoires détaillés de nos homologues internationaux de Londres, du Danemark et de Hong Kong exposant en détail les transgressions du Canada.

Le commerce international a toujours été déterminant pour notre économie. Dans les années 1950, le Canada était considéré comme une grande nation maritime, ce qui n'est plus le cas. Nous nous sommes fourvoyés. Cette situation va à l'encontre du programme de relance économique exhaustif annoncé par le gouvernement pour stimuler l'économie canadienne. Comme le gouvernement investit plus de 2,5 milliards de dollars dans la Porte de l'Asie-Pacifique, et d'autres sommes dans les corridors commerciaux de l'Atlantique, nous ne devrions pas négliger le transport maritime qui peut devenir un puissant moteur économique pour notre pays, surtout en période de crise économique.

Nous ne nous opposons pas au projet de loi C-16. Nous attachons beaucoup d'importance à l'environnement. Nous approuvons des lois environnementales rigoureuses, ainsi que le principe du pollueur payeur. Nous ne nous opposons pas aux amendes proposées dans un contexte de responsabilité absolue. Nous ne nous opposons pas aux peines d'emprisonnement. Par contre, nous nous opposons à la suppression de la présomption d'innocence lorsque la sanction est une peine d'emprisonnement. On prétend que, par ce projet de loi, nous nous alignons sur les États-Unis et l'Union européenne. C'est complètement faux. Pour les sanctions pénales, la présomption d'innocence existe toujours dans ces pays.

Du point de vue constitutionnel, nous pouvons tous convenir que le projet de loi constitue une transgression prima facie de l'alinéa 11 d) de la Charte des droits qui entérine le droit d'être présumé innocent tant qu'on n'a pas été trouvé coupable. La question est de savoir si cette transgression peut être tolérée au titre de l'article 1 de la Charte qui dispose qu'une loi limitant les droits énoncés dans la Charte est valide si elle est raisonnable et si sa justification peut être démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Le critère à appliquer à ce sujet a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R c. Oakes. Ce critère, appelé le critère Oakes, exige que quatre conditions soient satisfaites. Nous sommes certains que la troisième et la quatrième ne le sont pas.

La troisième, concernant des « moyens moins draconiens », touche au cœur même de la justification au titre de l'article 1, et c'est la plus exigeante à cause du risque de condamner un innocent. Elle signifie que la loi doit porter le moins possible atteinte aux droits ou à la liberté en question. Autrement dit, le législateur doit essayer d'atteindre son objectif par les moyens les moins draconiens.

La quatrième, concernant la « proportionnalité », sera également difficile à satisfaire. Elle signifie que les moyens choisis doivent être tels que leur effet sur la limitation des droits est proportionnel à l'objectif visé. Autrement dit, le législateur ne doit pas limiter les droits plus que nécessaire. Dans l'arrêt-clé à ce sujet, R. c. Wholesale Travel Group, Inc., la Cour a déclaré que le but du renversement du fardeau de la preuve est d'éviter qu'on ne puisse pas condamner parce qu'on a des problèmes à établir la preuve. Étant donné la nature de ces conditions, et considérant que le projet de loi C-16 rehausse les sanctions pécuniaires sur une base de responsabilité absolue jusqu'à des maximums de 6 et 12 millions de dollars par jour, ces amendes sont largement plus qu'un simple coût normal des affaires.

La Couronne détient des pouvoirs considérables d'arrestation et de détention d'un bâtiment dont la valeur peut atteindre 200 à 300 millions de dollars, sans compter celle des marchandises qu'il contient. Par ailleurs, on trouve dans le projet de loi C-16 d'autres mécanismes d'exécution, d'autres mécanismes de sentence et d'autres procédures qui abolissent la crainte d'une perte de condamnation et, partant, la nécessité de limiter des droits protégés par la Constitution.

À notre avis, la responsabilité pénale absolue dans ce contexte est ultra vires du point de vue constitutionnel et la loi fautive a de fortes chances d'être invalidée. Le législateur pourrait-il atteindre les mêmes objectifs sans porter atteinte à la Charte? Le procureur général s'est-il assuré qu'il est nécessaire de menacer la liberté individuelle alors que des amendes de 12 millions de dollars peuvent être infligées et qu'on aura en plus la possibilité de détenir le bâtiment concerné? Il incombe au Sénat de modifier ce projet de loi de façon à éviter des poursuites que le procureur général n'a aucune chance de gagner.

L'amendement à adopter serait simple et ses avantages, importants. Nous recommandons d'inclure dans le projet de loi la disposition suivante :

Nonobstant toute disposition contraire de cette loi, lorsqu'une peine d'emprisonnement est requise, l'accusé est présumé innocent tant que la Couronne n'a pas établi sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.

Nous sommes prêts à collaborer avec le gouvernement du Canada pour assurer la prospérité de notre industrie du transport maritime dans le cadre de relations toujours productives et fondées sur la coopération.

[Français]

J'espère que nous trouverons une solution qui plaira à tous.

Le vice-président : Merci.

[Traduction]

Le capitaine Stephen Brown, président, Chamber of Shipping of British Columbia : Monsieur le président, sénateurs, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité. Je m'adresse à vous en qualité de président de la Chamber of Shipping of British Columbia, de directeur général de la Western Marine Community, et aussi d'administrateur du Vancouver International Maritime Centre. Vous serez heureux d'apprendre que je ne suis pas avocat, mais j'ai un avocat dans mon conseil d'administration. En fait, c'est un conseiller de la reine. Je précise aussi que je comparais avec l'appui total de mon conseil d'administration. Je suis un simple matelot, comme on vous l'a dit tout à l'heure, qui a décidé à un très jeune âge d'aller voir ce que le monde avait à lui offrir et qui, 14 ans plus tard, à la surprise de tout le monde, surtout la sienne, s'est retrouvé capitaine de navire, avec toutes les possibilités, les responsabilités et, parfois, l'angoisse qui vont avec cette fonction.

Quand on fait une longue carrière en mer, on est en contact avec de nombreuses cultures et on découvre souvent des histoires humaines très tristes. On est confronté à des pertes de vie, des incendies, des inondations, des collisions, du piratage, des zones de guerre, des mesures de sécurité portuaire renforcées et toutes sortes de dispositions législatives qui caractérisent aujourd'hui et, parfois, écrasent la vie du matelot. À preuve, au moment où je vous parle, plus de 300 marins innocents sont détenus par des pirates de la mer au large des côtes de la Somalie, et un nombre inconnu au large des côtes du Nigéria. Depuis le 11 septembre, il est de plus en plus difficile aux marins de passer des permissions à terre dans de nombreux pays.

Le Canada étant un pays commerçant, plus de 90 p. 100 de son commerce hors ALENA dépend du transport maritime international. Le transport maritime est essentiel à l'économie mondiale et canadienne. C'est peut-être même le seul secteur industriel dont le monde ne pourrait absolument pas se passer. Le monde reconnaît depuis longtemps qu'une industrie aussi internationale, tout comme celle du transport aérien, exige un cadre législatif cohérent pour pouvoir fonctionner.

Si vous me le permettez, j'aimerais prendre une minute pour parler du transport maritime et du changement climatique. J'ai constaté que cette question a été soulevée lors de vos délibérations de la semaine dernière et j'aimerais y revenir.

Contrairement aux affirmations ou aux prétentions de certains milieux, le transport maritime ne réclame pas un traitement spécial. Au contraire, nous sommes à l'avant-garde de la réaction mondiale aux défis du changement climatique. L'approche de l'industrie internationale du transport maritime est coordonnée sous l'autorité des Nations Unies, dont le Canada est l'un des pays fondateurs, et de l'Organisation maritime internationale, notre chère OMI. En 1997, le Comité de l'OMI chargé de la protection de l'environnement maritime avait adopté un protocole appelé MARPOL, Annexe VI, qui est entré en vigueur en 2005 après avoir été ratifié par la majorité des États membres. MARPOL, Annexe VI, fixe des limites aux émissions de soufre, d'oxydes d'azote, de matières particulaires et d'autres éléments et, jusqu'à présent, quelque 40 pays représentant plus de 80 p. 100 de la flotte mondiale ont ratifié cette annexe. Malheureusement, le Canada ne l'a pas encore fait, malgré un lobbying intense, si je peux dire, de la communauté maritime nationale et internationale. L'Administration américaine, malgré sa forte tendance à l'unilatéralisme en matière de changements climatiques, a reconnu l'importance de ce protocole et l'a ratifié en 2008.

Des modifications apportées à l'Annexe VI en 2007 obligent les navires à utiliser des carburants progressivement plus propres et elles disposent que les États membres peuvent, s'ils le souhaitent, demander ce que nous appelons une zone de contrôle des émissions. Il est décevant de constater que le Canada, comme il n'a pas encore ratifié l'Annexe VI originelle, a été privé du droit de voter dans cette assemblée internationale sur ces modifications progressistes qui ont bénéficié d'un appui vigoureux de la communauté canadienne et internationale du transport maritime.

Il vaut peut-être la peine de mentionner que, même s'il s'agit d'un protocole non signé, les États-Unis et le Canada ont déposé en mars 2009 une demande commune d'établissement d'une telle zone nord-américaine de contrôle des émissions. Cette zone s'étendra jusqu'à 200 miles nautiques à partir des côtes. Cette mesure jouit d'un appui considérable auprès de la communauté canadienne et internationale du transport maritime, malgré un échéancier ambitieux et l'incertitude régnant au sujet de la disponibilité des carburants requis à l'avenir.

Dans un contexte plus local, la Chamber of Shipping in British Columbia a effectué en 2005 un inventaire détaillé des émissions atmosphériques, en coopération avec Environnement Canada, pour faire face à certains rapports de presse erronés. Nos membres ont coopéré à cette initiative et les résultats, qui ont fait l'objet d'une vérification indépendante, ont révélé que la pollution atmosphérique causée par les navires représentait moins de la moitié de ce qu'on avait prétendu. Un autre inventaire est prévu pour 2010.

En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, qui ont fait l'objet d'un débat animé la semaine dernière, notre industrie attend avec intérêt une réunion du Comité de l'OMI chargé de la protection de l'environnement maritime qui se tiendra à Londres le mois prochain et représentera l'aboutissement de nombreux mois d'efforts pour forger un consensus destiné à assurer une réduction efficace des émissions. Si vous le souhaitez, je vous donnerai avec plaisir d'autres informations à ce sujet pendant la période des questions.

En s'adressant à l'institut Howe la semaine dernière au sujet du changement climatique, le ministre a déclaré que la démarche de notre pays est fondée sur la reconnaissance que le consensus de Copenhague est crucial mais qu'il doit englober à la fois les pays industrialisés et les pays en développement, opinion que nous partageons totalement. Le ministre a dit ensuite que tels sont les principes canadiens fondamentaux. Ce sont des principes que nous défendons à l'échelle internationale. Nous sommes très heureux qu'il ait fait cette déclaration car nous estimons que la seule manière d'avancer en matière d'environnement, à en juger d'après ses remarques, est d'agir dans cette tribune internationale pour que tous les participants établissent les paramètres d'un accord international. Comme nous sommes une industrie internationale, nous approuvons sans réserve les remarques du ministre.

Passons maintenant au projet de loi C-16. La semaine dernière, le ministre a déclaré devant votre comité qu'il estime « qu'on ne peut pas atteindre l'excellence en politiques publiques si l'on n'est pas prêt à parler aux gens », ce qui est aussi notre avis. Le problème, et c'est ce qui a profondément déçu l'industrie du transport maritime, c'est qu'il n'y a eu aucune consultation avant le dépôt du projet de loi C-16 ou de son prédécesseur, C-15. Cette absence de consultation a fait que nous ne savions pas que ces projets de loi allaient être déposés en Chambre. Comme le gouvernement a déclaré à maintes reprises, à plusieurs niveaux, que la clé du succès est d'agir en collaboration avec nos partenaires dans le cadre de l'ONU, il est troublant de constater que nous en sommes arrivés à cette étape, avec le projet de loi C-16, malgré les critiques internationales incessantes formulées depuis 2005 au sujet du projet de loi C-15.

On a déclaré ici la semaine dernière qu'il n'y a absolument rien dans le projet de loi actuel qui va à l'encontre de l'UNCLOS et qu'il ne nous reste plus qu'à accepter, comme pratique fiable, que les procureurs du gouvernement Canada ne réclameront pas de peines d'emprisonnement si cela n'est pas conforme au droit international. C'est un aspect fondamental de ce projet de loi. Le procureur général invoquera clairement son pouvoir discrétionnaire pour s'assurer que le gouvernement ne transgresse pas le droit international. Cela vous a été dit la semaine dernière.

Si tel est le cas, direz-vous, où est le problème? Le problème, je dois le dire, c'est de savoir ce qu'on entend par une pratique fiable. Quelle est la définition de la fiabilité et de la pérennité à cet égard? Combien de temps durera cette pratique fiable?

Le problème, mesdames et messieurs, c'est qu'il y aura inévitablement une réaction du public en cas d'incident et que les médias pousseront les hauts cris jusqu'à ce qu'on leur donne des têtes sur un plateau. Croyez-moi, je sais de quoi je parle. Le capitaine et le second du Hebei Spirit savent aussi de quoi je parle puisqu'ils sont en détention en Corée du Sud depuis décembre 2007. Ce fut un terrible incident. J'ai envoyé la semaine dernière une bande vidéo au greffier du comité à ce sujet. Je ne sais pas si vous l'avez vue. Elle montre une histoire très pénible qui nous a particulièrement sensibilisés, de notre côté de la table, à ce qui peut arriver quand on réclame des têtes. C'est un très bon exemple.

Il est clairement dit à l'article 102 du projet de loi qu'il pourrait y avoir des peines d'emprisonnement de six mois à trois ans. En vertu des articles 13.12 et 13.13 proposés, la menace d'amende et de peine d'emprisonnement est étendue au-delà du capitaine et du mécanicien en chef — qui sont directement désignés — pour englober tout dirigeant, administrateur ou mandataire qui a ordonné l'infraction, l'a autorisée, y a consenti ou y a participé. Le paragraphe 13.13(2) va encore plus loin en étendant la responsabilité à chaque administrateur et dirigeant qui a dirigé ou influencé les orientations ou activités de la société concernée. On franchit encore une autre étape avec l'article suivant qui dispose sans aucune ambiguïté qu'il suffit, pour établir la culpabilité de l'accusé, de prouver que l'infraction a été commise par un employé ou un mandataire de ce dernier, que cet employé ou mandataire soit ou non identifié ou poursuivi.

J'affirme qu'il n'est pas acceptable que la seule défense de l'accusé soit celle de diligence raisonnable. J'espère que chacun conviendra qu'il est inacceptable, dans ces circonstances, que la Couronne ne soit pas obligée de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.

Quant aux solutions possibles, je les résume. À l'évidence, si l'emprisonnement des gens de mer ne peut pas être envisagé en conformité avec l'UNCLOS, nous demandons qu'il soit clairement et absolument éliminé du projet de loi, ce qui vaut aussi pour tous les autres responsables de l'entreprise.

Si l'emprisonnement est maintenu comme possibilité, nous pourrions envisager une disposition comme celle que recommandait Mme Arsoniadis Stein : « Nonobstant toute disposition contraire de cette loi, lorsqu'une peine d'emprisonnement est requise, l'accusé est présumé innocent tant que la Couronne n'a pas établi sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. »

Nous avons beaucoup de problèmes à Vancouver en ce moment, notamment avec des gangs de criminels qui sillonnent nos rues. Chacun sait qui ils sont. On connaît les noms mais on ne peut pas les poursuivre parce qu'on ne peut pas établir de preuve au-delà de tout doute raisonnable, comme l'exige la loi actuelle. C'est la seule raison pour laquelle ces gens-là courent encore. Malheureusement, cela semble montrer qu'il y a deux poids, deux mesures au Canada et, dans mon humble esprit de matelot, j'ai du mal à accepter ça.

En ce qui concerne la Porte de l'Asie-Pacifique, je m'adresserai demain à Vancouver à 31 délégués commerciaux qui partiront ensuite sillonner le monde pour faire connaître notre bon pays et, nous l'espérons, vendre ce que nous avons à offrir. La semaine dernière, on vous a dit que plusieurs ministères fédéraux font la promotion de la Porte de l'Asie- Pacifique, comme ceux des Transports, de l'Industrie et des Affaires étrangères, sans oublier les gouvernements provinciaux de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. Mentionnons aussi l'initiative fédérale-provinciale de création du Vancouver International Maritime Centre en 1991, fruit du souci louable, et favorable aux affaires, d'inciter spécialement des armateurs internationaux à établir des bases opérationnelles dans cette ville.

Je rappelle respectueusement aux sénateurs qu'aucune loi similaire aux projets de loi C-15 et C-16 n'a été envisagée dans aucun autre centre maritime international. Il est difficile, pour ceux qui appuient les perspectives offertes par le Vancouver IMC, de comprendre ce qui pousse le Canada dans cette voie. J'affirme respectueusement que ce n'est pas notre industrie qui voit des squelettes ou des croque-mitaines.

Nous trouvons dommage que le projet de loi C-16 ait touché une corde sensible de notre industrie en aggravant les problèmes causés par le projet de loi C-15. Il y aura un prix à payer sur le plan économique. D'aucuns s'imaginent peut-être que tout cela est sans conséquence mais il sera difficile d'en convaincre ceux qui perdront leur gagne-pain et leur carrière.

Un autre élément de ce débat concerne la nécessité de créer des installations de délestage portuaires. Il y a plusieurs recommandations de l'OMI à ce sujet. Si nous recherchons la tolérance zéro, nous devons offrir aux navires la possibilité de se délester de ce qu'ils ne souhaitent pas conserver à bord. Le Canada doit faire beaucoup plus à ce sujet et je serai heureux de vous donner des détails si vous le souhaitez.

En ce qui concerne l'avenir, il existe malheureusement un fossé entre le gouvernement et l'industrie sur cette question, ce qui est d'autant plus regrettable que nous sommes très importants l'un pour l'autre. Nous comprenons qu'il soit difficile d'un point de vue purement politique de ne rien faire quand on a un projet de loi qui semble excellent sur le plan environnemental. J'admets que ce projet peut donner cette impression mais celle-ci est infirmée par ses détails.

Le problème fondamental, à nos yeux, est que le projet de loi donne l'impression qu'on sera sévère avec les délinquants environnementaux, sans tenir compte du risque d'enfreindre nos engagements en matière de traités et d'endommager notre réputation internationale. Pousser sur nos océans de vastes machines pesant parfois plusieurs centaines de milliers de tonnes est tout un défi humain et technologique. Admettons une fois pour toutes que personne ne veut délibérément polluer les océans, pas plus qu'on espère voir un avion tomber du ciel avec 228 personnes à bord, comme c'est arrivé la semaine dernière. Personne ne veut de ce genre de choses.

Notre objectif primordial doit être de tirer des leçons des événements imprévus afin d'éviter qu'ils se reproduisent. Telle est la politique, cohérente et efficace, que nous appliquons en matière de transport aérien et elle est certainement tout aussi valide pour le transport maritime.

Le vice-président : Je vous remercie beaucoup de vos exposés. J'ai déjà une liste de plusieurs sénateurs qui souhaitent vous interroger.

Le sénateur St. Germain : Je vous remercie tous de vos excellentes communications. À mon avis, le cœur du problème est la présomption d'innocence. Quel dommage cause-t-on à l'habitat? Combien d'oiseaux sont mazoutés et tués chaque année par l'industrie du transport maritime? Avez-vous des chiffres à ce sujet?

Peter Lahay, coordonnateur national, Fédération internationale des ouvriers du transport : C'est Transports Canada qui pourrait vous donner des statistiques. Ils ont maintenant un excellent programme de surveillance aérienne. Vous constaterez que les chiffres ont beaucoup baissé et sont probablement aujourd'hui extrêmement bas, depuis l'entrée en vigueur du projet de loi C-15 qui modifiait la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.

Le ministère a aujourd'hui des avions qui font de la détection par radar et par infrarouge sur nos deux côtes. On peut ainsi repérer un cadavre d'oiseau qui flotte dans l'eau s'il est recouvert de pétrole. Aujourd'hui, aucune goutte de pétrole ne peut échapper aux diverses technologies de Transports Canada. Le ministère possède donc les chiffres que vous demandez, sénateur, tout comme Environnement Canada, j'en suis sûr. Je ne pense pas que l'un d'entre nous ait ces chiffres avec lui mais nous pourrons vous les communiquer plus tard si vous voulez.

Le sénateur St. Germain : Vous avez dit qu'on a du mal à recruter des marins à cause des projets de loi C-15 et C-16. Parmi les raisons avancées, vous avez mentionné le fait que les jeunes n'aiment pas être loin de chez eux, et on ne peut pas faire grand-chose à ce sujet. En ce qui concerne la criminalisation, pouvez-vous nous donner des précisions? À mon avis, un jeune qui envisage d'entrer dans une profession ne va pas se préoccuper d'abord de ce phénomène de criminalisation. Comme j'ai été pilote de l'air dans les forces armées, je peux vous dire qu'il est facile de commettre des délits en avion, par exemple en faisant du rase-mottes au-dessus des villages, ce que certains pilotes faisaient à l'occasion mais pas moi, bien sûr. J'aimerais donc d'autres précisions sur cette question de criminalisation. Ça me semble un peu exagéré car c'est une industrie où les salaires sont excellents.

M. Brown : Pas tant que ça.

Le sénateur St. Germain : J'ai eu un voisin qui était pilote de navire et il vivait très bien.

Mme Arsoniadis Stein : Je vais vous répondre avec grand plaisir et M. Brown pourra compléter ma réponse.

La criminalisation des gens de mer est un problème absolument énorme. On a publié beaucoup d'articles à ce sujet. C'est une préoccupation majeure de l'OMI et de son secrétaire général Mitropoulos. L'UNCLOS et nos conventions internationales disposent que les sanctions ne doivent pas être des sanctions pénales mais pécuniaires.

J'ai avec moi un rapport de Roger Tupper, l'un des administrateurs de la Région administrative spéciale de Hong Kong, de la République populaire de Chine. C'est intitulé : « The Trend Towards Criminalisation of Seafarers in Pollution Accidents ». Il y en a bien d'autres. Vous avez reçu un document de la Hong Kong Shipowners Association soulignant l'importance de la criminalisation.

Le problème, c'est la criminalisation sans présomption d'innocence. Nous ne disons même pas que nous nous opposons à des sanctions pénales. Nous disons que, si des sanctions pénales doivent faire partie de la panoplie, la présomption d'innocence doit être maintenue. Je ne vois pas ce que je peux vous dire d'autre, si ce n'est répéter que c'est un problème grave pour le secteur.

Le sénateur St. Germain : Pourquoi le gouvernement prend-il le risque d'enfreindre la Charte? Il y a manifestement une raison à cela, et c'est la difficulté d'intenter des poursuites. On peut bien faire de la surveillance aérienne. J'ai survolé moi-même la côte Est lors d'exercices des forces armées. C'est parce qu'il veut avoir la possibilité d'intenter des poursuites qu'il remet en question la présomption d'innocence, et c'est ce que vous nous demandez d'inclure dans le projet de loi C-16.

Mme Arsoniadis Stein : C'est une bonne remarque. Le projet de loi C-15 instaure la responsabilité pénale absolue. Peut-être que les dispositions sentencielles n'existaient pas à ce moment-là. Depuis le projet de loi C-15, le contexte a complètement changé. On dispose aujourd'hui des outils nécessaires pour une bonne application de la loi.

M. O'Connor : Je crois que les projets de loi C-16 et C-15 constituent une exagération. Il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin. Je ne dirais pas que c'est de la poudre aux yeux mais ça semble très sévère. Je pense que nous sommes tous en faveur de mesures rigoureuses mais on n'a pas besoin d'ajouter tous ces éléments-là pour condamner quelqu'un.

Nous avons déjà un excellent système. Il y a de nombreux cas de poursuites intentées au sujet de navires ayant pollué. Il n'est pas nécessaire de remettre la Charte en question. Certains estiment que le texte porte atteinte à la Charte, d'autres non. On n'arrivera pas à l'unanimité ce soir à ce sujet mais la question est de savoir pourquoi on est prêt à prendre ce risque et à aller si loin. Nous n'avons pas besoin de la responsabilité pénale absolue comme on le propose à l'article 11 des sanctions pécuniaires administratives de la disposition 126 du projet de loi. Je n'ai jamais vu ça dans une autre loi fédérale, dans n'importe quel domaine. C'est une première. J'ai même posé la question à mon ami de l'autre Chambre qui m'a dit la même chose. Toutefois, il pense que cela existe dans certaines provinces et, si c'est le cas, pourquoi pas au niveau fédéral?

Ce n'est pas la bonne solution. Nous avons la Charte et elle prime sur tout. On n'a pas besoin de cette disposition, on n'en a pas besoin pour intenter des poursuites. Quand nous avons modifié la Loi sur la marine marchande du Canada, en 2001, il y a eu un énorme débat. Le ministère des Transports est parvenu à la conclusion qu'il n'avait pas besoin de ce genre d'outil. À mon avis, c'est totalement inutile.

Le sénateur Banks : Monsieur O'Connor, selon mes informations, les infractions de responsabilité absolue n'ont pas été créées avec le projet de loi C-15. Elles existaient auparavant dans la loi sur l'environnement. Je crois que c'est vrai. Si ça ne l'est pas, c'est qu'on m'a mal informé. Je pense que vous pouvez en trouver plusieurs exemples dans la loi environnementale du Canada, et elles existaient avant le projet de loi C-15, qui porte sur un sujet que le comité connaît fort bien.

En ce qui concerne la requête du capitaine Brown sur des installations de déchargement, notre rapport sur le projet de loi C-15 était très ferme mais nous n'avons peut-être pas été assez fermes au sujet de l'absence d'installations de déchargement. Il y a des tentations quand on a un navire contenant plein de choses dont on ne peut pas se débarrasser légalement. S'il n'existe pas d'installations dans les ports canadiens, comme vous l'avez dit, il y aura manifestement un décalage entre ce qu'on souhaite et ce qui se fait réellement. Vous avez raison et j'espère que nous en parlerons dans notre rapport. Ça n'a pas beaucoup changé depuis.

Dans l'ensemble, les gens de mer et les sociétés que vous représentez ne sont probablement pas ceux qui enfreignent ces lois. Vous avez parlé de plusieurs poursuites contre des personnes qui ont enfreint la loi. Toutefois, c'était essentiellement par inadvertance et les amendes ont été minimes. Certaines de ces personnes ne faisaient pas partie de vos associations.

Le capitaine Brown nous a dit que personne ne veut vraiment polluer les océans. J'aimerais bien que ce soit vrai. Je suis sûr que c'est vrai des gens qui travaillent dans les organisations que vous représentez mais ce n'est pas vrai partout. Je crois, et d'autres membres du comité croyaient quand nous avons traité de ces questions de responsabilité absolue dans le projet de loi C-15, qu'il faut établir le principe de responsabilité personnelle en plus de la possibilité d'imposer des amendes et de faire des saisies. Nous devons souligner l'importance accrue des lois environnementales en ce qui concerne les mers et les gens qui y travaillent.

Supposez qu'il y ait une responsabilité personnelle entre les propriétaires, les capitaines, les mécaniciens, et cetera. Supposez qu'un navire, à minuit, dans le brouillard, au large de Terre-Neuve, se débarrasse en pleine mer de son mazout de cale. On va peut-être le mettre sous séquestre, peut-être à Newport News, en Virginie, puisqu'il n'ira peut- être pas dans un port canadien. Le capitaine, le chef mécanicien, le deuxième mécanicien et le second officier disent tous qu'ils n'ont rien fait ou rien autorisé. Le concept de responsabilité absolue exige qu'on prouve simplement que l'acte a été commis pour qu'une responsabilité soit imputée aux personnes désignées. Comment appliquerions-nous une responsabilité personnelle à un tel événement?

M. O'Connor : Deux remarques. Premièrement, au sujet de la responsabilité absolue, il est vrai qu'elle existe dans d'autres lois environnementales. Il y a cependant un malentendu au sujet de ce qu'elle signifie. La responsabilité absolue signifie la responsabilité sans que la Couronne ait à prouver le mens rea, comme on dit en droit, l'intention délictueuse. La Couronne doit simplement prouver que l'événement s'est produit. Il y a cependant un astérisque à cela : la Couronne doit établir la preuve au-delà de tout doute raisonnable. En vertu des règles ordinaires du droit pénal, elle ne peut pas dire qu'elle pense que le navire a pollué. Elle doit prouver au-delà de tout doute raisonnable qu'il a pollué. Si cette preuve est faite, l'accusé sera trouvé coupable à moins qu'il puisse démontrer qu'il a fait preuve de diligence raisonnable pour éviter l'événement.

Le sénateur Banks : Selon la prépondérance des probabilités.

M. O'Connor : Oui. C'est ce que la Cour suprême a dit en 1978, avant la Charte, et en 1994, après la Charte. Il faut être prudent car c'est tout ce qu'elle a dit. Elle n'est pas allée au-delà pour réduire le fardeau appartenant à la Couronne de prouver la pollution. Elle n'a pas parlé de priver l'accusé du droit d'invoquer la diligence raisonnable. Or, c'est ce que fait ce projet de loi. Il faut faire très attention à différencier la responsabilité absolue, qui existe, de tous ces éléments additionnels qui n'existent pas et ne devraient pas exister, à mon sens.

Vous demandez comment on pourrait sanctionner ces navires et ce qu'on devrait faire. En droit, le navire est personnifié depuis des siècles. C'est une machine à faire de l'argent. Si vous poursuivez un navire, vous portez un dur coup aux gens qui gagnent de l'argent avec lui.

Qu'avez-vous fait dans ce projet de loi? C'est presque gênant. Vous avez dit que nous n'avons pas besoin de prouver qui a pollué. Si le pétrole vient du navire, on considérera ou on présumera que le mécanicien en chef et le capitaine n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir l'acte. Par conséquent, ce n'est pas de la responsabilité absolue, c'est un renversement du fardeau. Vous ne pouvez pas garder le silence. Ces deux-là ne savent pas qui a commis l'acte. Le pétrole provenait du navire. Le mécanicien en chef était peut-être dans les bras de Morphée en plein milieu de la nuit et n'a rien eu à voir avec ça mais il devra prendre un avocat et prouver qu'il avait essayé de prévenir l'acte, même s'il ne savait pas ce qui s'était passé.

Je répète, il n'y a pas de problème de responsabilité absolue pour le moment, à moins que la Cour suprême en décide autrement un jour. Notre problème vient des éléments ajoutés, du renversement du fardeau de la preuve dont on a voulu faciliter l'établissement en allant au-delà de la responsabilité absolue.

Au fait, si vous lisez le discours prononcé par l'ancien juge en chef Laskin à Sault Ste. Marie en 1978, il disait qu'il s'agit là d'infractions au bien public qui sont pour l'essentiel passibles de petites amendes. Dans ce contexte, la responsabilité absolue tient debout. C'était son raisonnement à l'époque. Aujourd'hui, nous parlons d'amendes de 6 et 12 millions de dollars par jour. Le juge en chef Laskin, qui n'est plus parmi nous, n'aurait pas tenu le même raisonnement car ce ne sont plus les petites amendes de 1978. Je sais que tout coûte plus cher aujourd'hui mais quand même !

Mon argument est que nous acceptons la responsabilité absolue mais pas les éléments additionnels consistant à supprimer des moyens de défense, à réduire l'obligation de la Couronne de prouver même qu'il y a eu de la pollution, à permettre que le mécanicien en chef et le capitaine soient trouvés coupables parce qu'ils ne savent pas pourquoi le navire a pollué. Personne ne sait qui l'a fait; c'était peut-être un accident, et cetera. Ce n'était pas nécessairement intentionnel. Le pétrole est juste sorti du navire et ils ont donc l'obligation de prouver qu'ils ont fait tout leur possible pour l'éviter, et cetera.

Cela va largement au-delà de ce qui est nécessaire. Ce qui devrait vraiment se passer, c'est de poursuivre le navire et, ensuite, de poursuivre les vrais...

Le sénateur Banks : Avec l'exemption de la suppression de la diligence raisonnable comme argument de défense, ce que vous venez de décrire existait déjà dans le projet de loi C-15.

M. O'Connor : Le projet de loi C-15 était un texte auquel nous nous étions opposés, évidemment, et certaines de ces choses-là s'y trouvaient. Ce qui ne s'y trouvait pas, c'étaient les sanctions pécuniaires administratives. D'aucuns vous diront peut-être que ce sera pour des petites choses, mais la sanction maximum est de 50 000 $. C'est une sanction bien lourde pour certaines personnes et elle n'existait pas à l'époque du projet de loi C-15.

Ce qu'il y a d'autre, c'est que l'obligation du mécanicien en chef et du capitaine est rehaussée dans le projet de loi C- 16. Elle existait déjà et nous nous y étions opposés. Nous l'avions qualifiée de responsabilité absolue du fait d'autrui, ce qui veut dire qu'on vous tient responsable de ce qu'a fait quelqu'un d'autre et que vous n'avez même pas fait. Ça existe encore.

Oui, c'était un point de départ. Ça n'aurait jamais dû exister, à mon humble avis, mais c'était là et le Parlement l'a approuvé. Nous devons vivre avec, certes, mais pourquoi faire encore pire maintenant?

Le sénateur Banks : Avez-vous constaté une coïncidence entre le fait que M. Lahay a parlé de réduction du nombre et de la gravité des cas, d'une part, et l'entrée en vigueur du projet de loi C-15, d'autre part?

M. O'Connor : J'en avais pris note. C'est la première fois que j'entends cela. Je n'ai aucune confirmation qu'il y a moins d'oiseaux mazoutés. En fait, je pense qu'ils disent le contraire à Terre-Neuve mais je n'ai pas de chiffres à vous donner. Je ne sais pas si le projet de loi C-15 a eu un effet quelconque à ce chapitre.

Mme Arsoniadis Stein : Je voudrais répondre à la question du sénateur Banks. Étant donné que le transport maritime est une industrie mondiale, il est absolument dans notre intérêt que ces pollueurs « voyous », si je peux dire, soient appelés à rendre des comptes et soient sévèrement sanctionnés. Nous croyons que le projet de loi C-16, avec des amendes de 6 et 12 millions de dollars par jour, réglera le cas de ces opérateurs voyous. Ils sont à l'étranger, pas au Canada. Comme vous l'avez dit, ce ne sont pas nos sociétés.

Quelle serait la situation, si vous me permettez de brosser un tableau? Vous avez un navire-voyou qui vient de se délester. Vous l'arrêtez et vous lui imposez une amende quotidienne de 6, 12, 18 millions de dollars, et la facture monte vite. Vous avez alors toute l'attention de son armateur. Il vous écoute attentivement. Pour obtenir la libération de son navire qui contient 100 millions de dollars de pétrole brut, il va devoir payer 60 millions de dollars d'amende. Croyez- moi, il vous prend au sérieux.

Si vous arrêtez un matelot, que vous l'envoyez en prison et que vous le traînez devant un tribunal, cet armateur voyou n'enverra pas ses avocats le défendre. En fait, c'est la sanction pécuniaire qui va retenir son attention et le dissuader, pas le fait d'imputer la responsabilité au matelot.

Le sénateur Banks : Je suis désolé d'intervenir à nouveau mais je ne suis pas sûr qu'on puisse dire que ce sont les sanctions pécuniaires qui ont eu un effet dissuasif et qui ont entraîné une réduction des cas, par opposition aux sanctions pénales éventuelles.

Je termine en disant qu'il est ironique de constater que, lorsque nous avons adopté le projet de loi C-15, c'était un projet de loi libéral auquel le gouvernement s'était opposé avec véhémence. C'est le même parti qui défend aujourd'hui ce projet de loi.

Le sénateur Milne : Vous parlez du Parti conservateur de l'époque — de l'opposition, pas du gouvernement?

Le sénateur Banks : C'est le gouvernement aujourd'hui. C'est amusant, parce que c'était un bon projet de loi.

M. Brown : Si vous le permettez, sénateur, j'aimerais compléter la réponse à la question car elle est importante. Pourquoi y a-t-il moins de pollution aujourd'hui qu'autrefois?

J'admets que les normes n'étaient pas ce qu'elles auraient dû être quand je suis entré dans la profession. Cela a changé dans le monde entier et il y a eu de nombreux incidents qui y ont contribué. Évidemment, le mois dernier, on nous a rappelé l'incident de l'Exxon Valdez. C'était dans tous les journaux et beaucoup de gens en ont fait leurs choux gras.

Le fait est que le transport maritime a considérablement changé depuis l'époque de l'Exxon Valdez, grâce aux conventions internationales. Sur tous les gros pétroliers qui sillonnent aujourd'hui les océans pour nous garder en vie, il n'en reste à peu près que 110 à coque simple et il y en a des centaines à coque double. Les investissements qu'ont faits les armateurs au cours des 25 dernières années, volontairement ou à cause des lois, sont gigantesques. C'est en partie à cause des pressions exercées, mais aussi en partie parce que les normes environnementales devaient changer. Les systèmes de navigation à bord des navires sont largement supérieurs. Vous ne trouverez pratiquement plus personne aujourd'hui qui utilise un sextant sur un navire. Les navires aujourd'hui sont tous équipés de deux ou trois GPS, de radars et de toutes les aides à la navigation possibles et imaginables, et les types à bord ont reçu une très bonne formation pour apprendre à s'en servir.

Cela a été le résultat de mesures législatives mais aussi d'une énorme amélioration des normes opérationnelles et de la construction des navires, à un point tel que les océans sont aujourd'hui beaucoup plus propres qu'il y a des années. Je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est dû à une chose en particulier.

Pour revenir à votre question précédente — je ne sais pas si c'était une question ou une observation —, le Comité de l'OMI chargé de la protection de l'environnement maritime a insisté en 2006 sur l'importance d'installations de délestage adéquates. Il a déclaré que :

Dans la chaîne de mise en œuvre de la Convention MARPOL, la politique de tolérance zéro pour les déversements illégaux provenant des navires ne peut être appliquée efficacement que s'il existe dans les ports des installations de délestage adéquates.

C'est l'alpha et l'oméga. Je pense que c'est une pièce très importante du casse-tête. Il ne s'agit pas nécessairement de s'attaquer directement aux pollueurs mais plutôt, comme nous sommes une nation tellement tributaire du commerce international, de veiller à ce que nos ports soient bien équipés pour le délestage des navires — et nous avons encore beaucoup de chemin à faire à ce chapitre, monsieur.

Le sénateur Milne : Capitaine Brown, vous avez dit tout à l'heure que des gens risquent de perdre leur gagne-pain et leur carrière à cause de ce projet de loi. Combien de gens ont perdu leur gagne-pain et leur carrière à cause du projet de loi précédent, le C-15?

M. Brown : Je ne sais pas s'il y en a eu car, après le projet de loi C-15, les armateurs n'ont plus bougé. Ce qui s'est passé, sénateur, comme vous le savez, c'est que des pressions ont continuellement été exercées sur le gouvernement canadien — par nous-mêmes et par des organismes internationaux — pour que le projet de loi C-15 soit révisé. On s'attendait à ce qu'il le soit au bout d'un certain temps et à ce que les articles les plus controversés soient corrigés.

Ce qui s'est passé, et c'est ce qui change la situation, c'est que nous avons aujourd'hui le projet de loi C-16 qui renforce le précédent et qui, dans un sens, va encore plus loin. Il y a moins de deux semaines, les armateurs se sont réunis dans le cadre d'une réunion du conseil d'administration du International Maritime Centre. Ils ont dit très clairement qu'il leur sera difficile de rester, en particulier si les sanctions doivent s'appliquer au conseil d'administration. Vous pouvez imaginer ce qui va se passer quand tous les autres centres maritimes internationaux qui nous font concurrence recevront ce message. Il y en a beaucoup qui sont très professionnels et ne sont pas que des pavillons de complaisance. L'un des meilleurs centres maritimes est celui de Copenhague, au Danemark. Plus de 13 p. 100 du PIB du Danemark provient du centre maritime international. Les armateurs ont beaucoup d'autres solutions, même s'ils ne se sont pas encore retirés. Ils surveillent attentivement ces audiences. Le message m'a été communiqué en termes très clairs : « Nous ne pensons pas qu'il nous sera possible de continuer à promouvoir nos activités à Vancouver si la législation canadienne s'en va dans cette voie ».

Le sénateur Milne : Ce que j'essaie de dire, c'est que personne n'a encore fait l'objet de poursuites au titre du projet de loi C-15. Selon ce qu'on nous a dit, ce texte a permis de réduire la pollution des eaux. Qu'est-ce qui vous fait croire que des gens seront poursuivis au titre du projet de loi C-16?

M. Brown : Je serais très heureux de vous fournir une copie de la bande vidéo. Elle a complètement transformé la manière dont l'industrie du transport maritime envisage ce qui pourrait arriver aux armateurs.

Le sénateur Milne : De quelle bande vidéo parlez-vous?

M. Brown : D'une bande vidéo réalisée par des professionnels sur la collision du Hebei Spirit. Il s'agissait d'un gros navire ancré au large de la Corée en décembre 2007. Il s'occupait de ses affaires, si je peux dire, quand une barge-grue est passée par là en compagnie de trois remorqueurs. Les trois remorqueurs ont perdu le contrôle, la barge-grue a heurté le navire, du pétrole s'est déversé et le capitaine et son second sont incarcérés en Corée depuis lors.

Le sénateur Milne : Vous dites que les amendes sont trop lourdes mais Mme Arsoniadis Stein nous a dit qu'elles sont adéquates pour les transporteurs voyous. Le gouvernement ne peut pas prévoir deux séries d'amendes, une pour les bons et une autre pour les voyous. On ne peut pas faire ça. Ça doit être la même chose pour tout le monde.

M. Brown : Veuillez m'excuser, je n'ai pas parlé des amendes.

Le sénateur Milne : Je crois que si. Nous vérifierons le procès-verbal mais je suis sûre que vous avez parlé des amendes.

M. Brown : Je vous en prie, vérifiez.

Le sénateur Milne : Je ne comprends pas ce que vous pensez qu'il faudrait faire au sujet de ces amendes. J'ai entendu des témoins dire au sujet du projet de loi C-15 que payer pour les dégâts environnementaux est considéré comme un simple coût des affaires, mais c'est au grand détriment de l'environnement du Canada, sans parler du reste du monde. Si vous pensez que les sanctions prévues dans le projet de loi sont trop lourdes, que proposez-vous pour les remplacer?

M. O'Connor : Je crois que c'est moi qui avais parlé des amendes, pas mon collègue. C'était en réponse au sénateur Banks qui avait demandé ce qu'on pouvait faire. J'ai répondu qu'une des solutions était de s'attaquer au navire, qui est une machine à fabriquer de l'argent. Je crois que Mme Arsoniadis Stein avait dit sensiblement la même chose. Aucun d'entre nous ne conteste le principe des amendes. Je ne pense pas que vous ayez pu entendre cela ce soir. Autrement dit, s'il faut prévoir de lourdes amendes, tant pis.

Notre problème, à l'Association canadienne de la marine marchande, concerne les amendes minimums. En vertu du projet de loi, un navire ou une société pourra se faire imposer une amende minimum. Cela revient à essayer de forcer la main au juge parce que le législateur pense qu'il ne fera pas son travail correctement. Nous, nous croyons que le juge doit avoir le pouvoir de déterminer l'amende en proportion du crime. Nous n'avons pas de problème avec des maximums élevés. Si le juge croit qu'une amende de 6 ou de 12 millions de dollars est nécessaire, il doit pouvoir l'imposer. Mais nous ne pensons pas qu'on devrait lui forcer la main pour qu'il impose une amende d'un demi-million ou d'un million de dollars s'il pense qu'une amende moins élevée serait justifiée. Il y a cependant une petite disposition exigeant qu'il démontre que cela causerait des difficultés financières et qu'il donne ses raisons s'il ne veut pas imposer l'amende minimum. Nous n'avons rien contre les amendes mais je ne crois pas que l'un d'entre nous ait déclaré ce soir que les amendes sont trop lourdes.

Le sénateur Milne : C'est encourageant.

Mme Arsoniadis Stein : La question portait sur le recrutement des marins. Il est décevant que le Canada n'ait pas d'industrie maritime. Il serait difficile de vous donner des chiffres sur l'effet que cela a eu sur les Canadiens.

Le sénateur Milne : Vous dites que nous n'avons pas d'industrie maritime mais, si je ne me trompe, c'est bien au nom de l'industrie maritime canadienne que vous êtes ici ce soir.

Mme Arsoniadis Stein : Permettez-moi de préciser ma réponse. Nous avons une petite industrie du transport maritime que nous souhaitons développer. Dans les années 1950, le Canada était une grande nation maritime mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Je crois que la flotte canadienne comprend quelque 200 navires battant pavillon canadien. Certains des navires du groupe que je représente ne viennent jamais au Canada. Notre argument est que nous devrions développer cette industrie parce qu'elle a un potentiel extraordinaire, surtout parce que nous sommes riches en ressources naturelles.

J'ai parlé brièvement de l'Administration de Hong Kong et de la République de Chine, et du document produit sur la criminalisation des marins. Les auteurs laissaient entendre qu'il existe divers rapports insistant sur le fait que les jeunes Asiatiques hésitent à entrer dans ce secteur à cause du risque de criminalisation. Cette situation a également été évoquée par le Comité économique et social de l'Union européenne au sujet du recrutement et de la formation des marins. J'insiste sur le fait qu'il s'agit de criminalisation où le droit d'être présumé innocent est préservé.

Le sénateur Milne : Qu'en est-il du recrutement de jeunes Canadiens?

M. Lahay : Au Canada, c'est une petite industrie, sur les Grands Lacs et sur la côte Est. Marine Atlantique est le plus gros employeur là-bas. Il y a aussi un service plus ou moins saisonnier dans l'Arctique, assuré par Northern Transportation Limited.

Sur la côte Ouest, comme l'a dit M. Boucher, les facteurs démographiques sont tels que nous faisons face à une pénurie imminente. Le sénateur St. Germain disait qu'il est difficile de savoir comment un jeune pourrait savoir que la criminalisation aurait un impact. En fait, les jeunes le savent parce que la plupart des marins, au Canada, commencent au premier échelon, comme cuistots ou comme matelots de pont et progressent peu à peu pour devenir marins ou lieutenants après un minimum de trois ans en mer, ce qui leur permet d'obtenir leur certificat. Si cela les intéresse, ils peuvent ensuite envisager d'acquérir une formation de capitaine. Il y a divers types de licences pour les différents types de navires que l'on peut être appelés à piloter. Le monde connaît fort bien la situation à l'heure actuelle.

Beaucoup de membres de ma génération n'ont aucune envie de devenir capitaines parce que les responsabilités sont énormes. J'ai rencontré un capitaine philippin qui avait passé une année sur un navire battant pavillon étranger. Je lui ai demandé pourquoi il était resté si longtemps sur ce navire. Il m'a répondu qu'il avait été second pendant six mois et qu'on l'avait ensuite promu capitaine. Il avait été second pendant 14 ans. Autrement dit, il avait été qualifié pour piloter des navires pendant 13 de ces 14 années mais il n'avait jamais franchi ce pas. Il m'avait dit qu'il n'avait pas voulu assumer cette responsabilité mais qu'il s'était finalement décidé à cause de la pénurie mondiale de gens de mer.

Les Philippines sont notre plus gros fournisseur de main-d'œuvre au monde, avec environ un million de marins. Typiquement, les Philippins ne veulent pas dépasser le niveau de deuxième mécanicien. Ils ont du mal à trouver des gens prêts à accepter les responsabilités, afin de combler les pénuries. Ce sont des gens qualifiés mais ils n'acceptent pas d'être promus à ces postes.

Le sénateur Milne : Est-ce la même situation dans d'autres pays que le Canada?

M. Lahay : C'est absolument la situation au Canada. Nous ne sommes pas le seul pays où existe la criminalisation, bien que ce soit moins formel dans d'autres cas. Le capitaine Brown décrivait le cas du Hebei Spirit en Corée. Ces histoires-là se répandent comme des traînées de poudre.

De fait, l'Organisation maritime internationale reconnaît que les gouvernements qui y siègent — les gouvernements ont le droit de siéger à l'OMI — ont pris conscience du problème puisqu'ils viennent d'adopter des lignes directrices sur un traitement équitable des marins. J'ai demandé à des cadres de Transports Canada quand nous allions les adopter, puisqu'ils permettraient de résoudre ce problème. L'un d'entre eux m'a dit qu'on ne va pas les adopter. Je lui ai dit : « Je suppose que c'est à cause de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs » et il m'a répondu qu'il ne dirait pas officiellement que c'est à cause de cela.

Je pense que ces fonctionnaires savent qu'il y a un problème de recrutement, à la fois au niveau international et au Canada. Il y a des jeunes qui veulent entrer dans ce secteur. Au Canada, cela donne accès à de bons emplois. Tous nos enfants n'ont pas nécessairement envie de devenir des professionnels — des courtiers en bourse, des avocats ou des juges. Certains ont envie de travailler dans le secteur des transports, par exemple pour conduire des camions, des trains, et cetera. Nous avons besoin de personnes bien scolarisées, intelligentes, compétentes et responsables pour exploiter nos navires mais les jeunes nous disent qu'ils ne veulent pas accepter cette responsabilité. Quant un remorqueur prend la mer par grand vent, il peut arriver des choses. Je crois que les jeunes ne sont pas convaincus que devenir capitaine pour remplacer un capitaine qui part en retraite ou un mécanicien en chef soit nécessairement une vocation qui en vaut la peine.

Le sénateur Milne : Une autre question. Mes questions sont brèves mais j'obtiens de longues réponses.

Le vice-président : Notre temps n'est pas illimité et, même si tout cela est très intéressant, je vous invite à être un peu plus concis dans vos réponses, si possible.

Mme Arsoniadis Stein : Voici une statistique pour le sénateur Milne. Selon le rapport BIMCO-ICS de 2005, la marine marchande mondiale fait face à une pénurie d'environ 10 000 officiers qualifiés, chiffre qui atteindra 27 000 en 2015. Les auteurs du rapport précisent que leurs estimations sont très modérées et qu'ils s'attendent en fait à des pénuries plus élevées.

Le sénateur Milne : On peut penser qu'avoir 200 navires au Canada entraînera absolument une augmentation de ces chiffres.

Mme Arsoniadis Stein : Nous espérons et souhaitons qu'une industrie du transport maritime commence à se développer au Canada. Si nous jetons les bases nécessaires — le capitaine Brown a parlé du centre maritime international, dont il est l'un des administrateurs... Nous travaillons avec Transports Canada et avec les Affaires étrangères pour voir comment nous pourrions bâtir cette industrie au Canada.

M. Brown : Les armateurs canadiens souhaitent activement étendre leur proportion de la flotte mondiale. Le pavillon canadien ne représente aujourd'hui que 0,1 de 1 p. 100 environ de la flotte mondiale. Le gros problème, s'ils veulent renouveler leur flotte, c'est qu'ils doivent importer les navires avec une surcharge de 25 p. 100. Quand vous construisez un navire à l'étranger, vous le faites venir au Canada pour le mettre sous pavillon canadien. C'est intenable. C'est vraiment ce qui entrave le renouvellement de la flotte canadienne.

Le sénateur Spivak : Merci. Si je comprends bien, votre argument fondamental est que la criminalisation bloque le recrutement, mais je pense que vous avez aussi expliqué de manière très convaincante que les sanctions pécuniaires contribueront probablement à la dissuasion, ce qui me semble être l'objectif essentiel de ce projet de loi, et qu'elles seront probablement préférables à l'incarcération de certaines personnes. C'est votre argument.

J'ai cependant plusieurs questions à vous poser à ce sujet. Tout d'abord, il me semble très difficile de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable dans un cas de déversement des eaux de cale, par exemple. Pourriez-vous aborder la question en vous plaçant de l'autre côté? Est-ce qu'il serait difficile d'établir cette preuve? J'ai l'impression que ce serait très difficile.

Votre argumentation sur la réduction de la pollution est moins convaincante parce que cela coûte au pays des milliards de dollars pour les espèces exotiques. Voyez simplement les Grands Lacs et ce qui peut résulter du mazout de cale. Il faut donc trouver un juste équilibre. On ne peut pas permettre que cette situation continue, sinon nous aurons de gros problèmes.

Je ne suis pas sûre de partager votre opinion que les océans sont moins pollués. Ce n'est pas le genre d'informations que nous donne l'autre côté. Toutefois, j'aimerais avoir des précisions sur la difficulté d'établir la preuve ainsi que sur les centres de délestage. Peut-être devrions-nous exercer des pressions sur les pouvoirs publics pour améliorer ces centres puisque ce serait en partie une solution au problème. Voilà donc mes deux questions.

M. O'Connor : Je réponds à votre question sur la preuve. En qualité d'avocat, j'ai souvent plaidé dans des affaires de pollution. Plus d'une cinquantaine, je crois. Je dois dire que nous ne nous opposons pas aux dispositions de responsabilité absolue, nous nous opposons aux éléments qui y sont ajoutés.

Le sénateur Spivak : Je comprends.

M. O'Connor : En vertu des dispositions existantes de responsabilité absolue, si du pétrole sort d'un navire, quelle que soit la raison, quel que soit le lieu et quelle que soit la personne, le navire est coupable de pollution.

Le sénateur Spivak : Êtes-vous d'accord avec ça?

M. O'Connor : Nous appuyons ce principe. Ce n'est pas dans ce projet de loi. Ce n'est pas dans le projet de loi C-15 ou le projet de loi C-16 seulement. C'est dans la Loi sur la marine marchande du Canada. C'est dans MARPOL, la convention internationale que nous avons approuvée et que nous approuvons encore.

Le fait est que la preuve au-delà de tout doute raisonnable est simplement ce qui s'applique en droit pénal, et c'est le genre de preuve que chaque juge est censé appliquer en droit pénal. Comment peut-on l'obtenir? On l'obtient en photographiant, parfois en interrogeant des témoins, et aussi par la surveillance aérienne, MARSAT, des échantillons, des observations ou des pêcheurs. Il y a différentes manières d'établir cette preuve, et il y a des pollutions que personne ne voit et pour lesquelles il n'y a donc pas de poursuites. Si c'était vrai, ce projet de loi n'aurait pas d'effet là-dessus.

Le niveau de preuve exigé et les outils dont dispose la Couronne sont exactement les mêmes pour que n'importe quelle autre infraction, et le système semble bien fonctionner. Les critiques que j'ai entendues de la part des politiciens concernent surtout le fait que les amendes ne sont pas assez lourdes. Elles ne concernent pas le fait qu'on ne réussit pas à prouver la pollution. On la prouve mais le juge n'impose pas une amende assez élevée. En réalité, cependant, les amendes ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années.

Aujourd'hui, un cas de pollution déboucherait sur une amende de centaines de milliers de dollars, ce qui n'est probablement pas assez si le Sénat veut que ce soit des millions de dollars. Les amendes n'ont cessé de monter mais, selon moi, ce n'est pas l'établissement de la preuve qui pose problème.

Le sénateur Spivak : Concentrons-nous là dessus. Voulez-vous dire que le problème du projet de loi C-16, selon vous, ce sont les ajouts et l'incarcération criminelle, alors que les autres dispositions sont satisfaisantes? Si nous décidions de revoir cela et, Dieu nous en garde, d'amender...

M. O'Connor : C'est exactement ça. Il n'est pas nécessaire de réinventer le fil à couper le beurre. Ce n'est pas ce que nous demandons. Nous demandons simplement de laisser les choses telles qu'elles sont dans l'autre législation.

Le problème est qu'Environnement Canada est un néophyte dans le monde maritime. C'est un néophyte au sens où c'est seulement par le truchement du projet de loi C-15 qu'il y joue un rôle. Combien de poursuites ont été intentées en vertu du projet de loi C-15? Environnement Canada a établi un protocole avec Transports Canada.

Le sénateur Spivak : Exact. Toutefois, je dois dire que notre objectif n'est pas d'atténuer l'élément dissuasif. Nous voulons que la dissuasion soit très forte. Si nous avons une dissuasion assez forte, il y aura peut-être moins de poursuites.

Que pouvez-vous dire au sujet des centres de délestage?

M. Brown : C'est une question à deux volets. Vous avez parlé des centres de délestage du mazout de soute et des autres déchets de cale, et vous avez aussi fait référence aux espèces envahissantes.

Le sénateur Spivak : Les deux volets sont reliés, non?

M. Brown : Les espèces envahissantes relèvent essentiellement de la Convention sur les eaux de ballast et nous serions heureux que le Canada la ratifie. Ce qui se fait actuellement est essentiellement volontaire en termes de navires qui échangent le ballast avant d'entrer dans les ports canadiens.

Le sénateur Spivak : Le Canada n'a pas ratifié cette convention?

M. Brown : Pas encore. Il y a beaucoup de mesures volontaires à l'heure actuelle, et les inspecteurs qui contrôlent les ports, lorsque des navires entrent dans des ports canadiens, vérifient si l'eau de ballast a été échangée. Ils vérifient la gravité spécifique du ballast dans les citernes pour s'assurer que c'est de l'eau de mer pure et non pas quelque chose qui est arrivé à bord dans un port étranger.

En ce qui concerne votre deuxième question, sur les installations de délestage, c'est un fait. Disons, par exemple, qu'un navire se déleste de ses eaux de cale dans un port comme Vancouver afin d'embarquer un cargo relativement propre. Ce navire devra aller à l'extérieur, au large, pour se délester des eaux de lavage parce qu'il n'y a pas d'installations adéquates à Vancouver. L'OMI envisage un réseau d'installations de délestage au niveau mondial, pour n'importe quel navire. Qu'il s'agisse de boues ou d'eaux de lavage n'a pas d'importance. Quel que soit le cas, il devrait y avoir une norme et tous les grands ports devraient être en mesure d'assurer le délestage de ces déchets. Comme l'a dit l'OMI, si vous voulez vraiment une tolérance zéro, les deux vont ensemble.

Le sénateur Spivak : Savez-vous combien cela coûterait?

M. Brown : La création d'un centre de délestage? Non, je ne me suis jamais posé la question mais il en existe dans beaucoup de ports et, à mon avis, ça devrait être un devoir public pour un port d'offrir ce genre d'installations.

Mme Arsoniadis Stein : Si vous me permettez d'intervenir brièvement, nous avions comparu en 2005 lorsque le projet de loi C-15 était à l'étude et nous nous étions opposés à des sanctions pénales sans la présomption d'innocence. Nous comparaissons à nouveau à ce sujet parce que nous espérons que les sénateurs pourront revoir la question étant donné qu'ils sont maintenant saisis d'un projet de loi d'application. Nous ne nous opposons pas au projet de loi C-16 et nous ne nous opposons pas aux lourdes amendes qui y sont prévues. Nous disons qu'il s'agit à notre avis d'un bon outil d'application mais que les sénateurs pourraient dire aussi : « Nous pouvons rétablir la présomption d'innocence dans les sanctions pénales. Nous pouvons permettre cela au lieu de l'éliminer. » Voilà ce que nous demandons.

Le vice-président : Il nous reste une trentaine de minutes et nous aurons besoin d'une quinzaine de minutes après le départ des témoins pour faire le reste de notre travail. Veuillez en tenir compte.

Le sénateur Campbell : Pouvez-vous me dire combien de sociétés de transport maritime s'établissaient chaque année au Canada avant le projet de loi C-15?

Mme Arsoniadis Stein : Le capitaine Brown, qui fait partie du conseil de l'IMC, pourra peut-être vous répondre. Une poignée d'armateurs étaient venus au Canada avant le projet de loi C-15. On avait apporté certaines améliorations à une loi de l'impôt sur le revenu et cela en avait attiré un assez bon groupe. Je sais que deux sociétés japonaises attendaient de voir ce qui arriverait avec le projet de loi C-15 avant de venir s'établir ici. Le 28 juin 2005, lorsque le projet de loi C-15 a été adopté, ces deux sociétés japonaises sont reparties au Japon.

Je peux vous dire aussi qu'on a largement diffusé le fait que le Canada est un pays qui impose des sanctions pénales sans présomption d'innocence. Cette information a été diffusée par des clubs P&I, des circulaires, des annonces, des avis de Londres, de Hong Kong, du Danemark, de l'Union européenne, et nous n'avons connaissance d'aucune autre société qui soit venue s'établir au Canada.

M. Brown : Une quinzaine de sociétés étaient venues au Canada avant le projet de loi C-15.

M. O'Connor : N'oubliez pas que les sociétés venues avant le projet de loi C-15 n'avaient pu le faire que pendant une période donnée. Le projet de loi C-15 a été adopté en 2005 et cette période s'est ouverte lorsqu'on a adopté la législation sur le transport maritime international en ce qui concerne l'impôt sur le revenu. Ce fut une période très courte. Ce n'est pas comme si elle avait duré 50 ans. Ce fut simplement quelques années.

Le sénateur Campbell : Je voudrais faire une remarque. Je ne fais pas officiellement partie de ce comité et je ne participerai donc pas à l'étude article par article. J'ai lu tous les documents qu'on nous a présentés. Il me semble que notre sens de l'équité s'envole dès qu'on parle d'oiseaux mazoutés ou d'environnement. Un millier de coupables restent en liberté avant qu'une seule personne soit incarcérée, je vous le rappelle. Je ne sais pas pourquoi, nous semblons l'oublier.

Il s'agit ici d'un renversement du fardeau. J'ai horreur du fardeau renversé. Ça porte atteinte aux droits des citoyens. Je suis prêt à parier avec n'importe qui que ce projet de loi sera invalidé du point de vue constitutionnel. Je pense que c'est un mauvais projet de loi.

Le sénateur Neufeld : Si cela peut être utile au sénateur Campbell, je lui rappelle que ce texte a été adopté par tous les partis dans l'autre Chambre.

Le sénateur Campbell : Je m'en moque. Ça n'en fait pas un meilleur projet de loi.

Le sénateur Neufeld : Je voulais simplement vous répondre. Le projet de loi dont nous sommes saisis ne change rien aux neuf lois si ce n'est qu'il augmente les amendes et met la structure en place. En fait, j'ai posé la question au ministre et il était d'accord avec moi. Le projet ne change rien aux neuf lois qui sont touchées par ce projet et qui régissent les activités de nos témoins.

J'ai été intéressé par ce que disait M. Brown au sujet des nombreux gangs de Vancouver. Je suis de la Colombie- Britannique, mais pas de Vancouver, et il y en a d'autres ici qui sont de Vancouver. Vous avez dit qu'il y a beaucoup de gangs à Vancouver parce que le gouvernement doit établir la preuve au-delà de tout doute raisonnable, et vous avez dit ensuite que cela ne devrait pas se faire dans le transport maritime. J'ai l'impression que c'est un peu contradictoire. D'une part, vous dites que nous pourrions nous occuper de ces gangs si nous avions des lois différentes mais, d'autre part, vous ne voulez pas de ce genre de loi dans votre cas. Je vous ai peut-être mal compris mais j'aimerais obtenir des explications.

M. Brown : Je suis un simple matelot et je vais vous répondre du point de vue d'un simple matelot, si vous me le permettez. Il est regrettable que nous ayons cette situation à Vancouver. Il est regrettable que ce soit l'obligation de prouver au-delà de tout doute raisonnable qui permet à ces bandes de sillonner nos rues. En même temps, ce que nous avons dit ce soir, sénateur, c'est qu'il existe une convention internationale. Si vous faites partie d'un système international, comme le Canada fait partie de l'ONU et de toutes ses organisations, vous devez être cohérents et appuyer les principes de cette législation. Nous sommes l'un des membres fondateurs. À mon avis, nous ne pouvons pas choisir parmi ces conventions celles que nous allons respecter rigoureusement et celles dont nous n'allons pas tenir compte.

Le problème que nous posait le projet de loi C-15, et que nous pose maintenant le projet de loi C-16, c'est la difficulté réelle de concilier la norme internationale avec la norme que le Canada envisage d'imposer par le projet de loi C-16. Ce que nous disons au sujet de l'incarcération, et je pense que c'est ce que j'ai dit dans mon exposé, c'est que si nous envisageons l'incarcération, nous nous devons de prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Si l'on envisage l'incarcération, on ne doit pas s'en remettre à un fardeau de la preuve renversé. Je crois que c'est ce que j'ai dit tout à l'heure.

Le sénateur Neufeld : Monsieur Boucher, vous avez dit qu'il est difficile de recruter des marins. Vous avez dit que c'est probablement la criminalisation — et vous n'êtes pas le seul à l'avoir dit — qui est l'un des principaux obstacles en la matière. Avez-vous des chiffres à ce sujet? Avant le projet de loi C-15, y avait-il à Vancouver beaucoup de jeunes qui souhaitaient obtenir des emplois pour aller sillonner les mers? Est-ce le même problème dans d'autres pays? En Europe, je suppose qu'ils n'ont pas les mêmes lois et qu'ils doivent donc avoir énormément de jeunes désirant embarquer sur les bateaux. C'est en tout cas ce que votre argument me porte à conclure.

J'aimerais savoir s'il est facile de recruter dans d'autres pays, par rapport au Canada. Je peux parler de la situation sur la côte Ouest puisque je vis en Colombie-Britannique. Il y a un certain temps, il était impossible d'engager qui que ce soit au Canada, pour n'importe quel emploi, parce que l'économie était surchauffée. C'était le cas en Alberta. Des habitants de la côte Est allaient en Alberta par avions complets pour trouver du travail et c'était la même chose en Colombie-Britannique. Cela joue-t-il un rôle? Ces gens pourraient peut-être rester un peu plus près de chez eux au lieu de partir au loin pendant longtemps. Certaines de ces choses-là jouent un rôle dans ce scénario. J'aimerais que vous m'expliquiez ça.

M. Boucher : Vous avez parfaitement raison. Rester loin de chez soi pendant de longues périodes n'est pas un petit facteur, c'est un énorme facteur. Pour un jeune courageux et brillant qui cherche un emploi de col bleu, il y a beaucoup d'autres possibilités que la marine marchande. Vous avez raison de dire que personne ne pouvait trouver de main- d'œuvre lorsque l'économie était surchauffée. Le recrutement de marins n'est pas plus facile dans l'Union européenne ou n'importe où ailleurs. Comme je l'ai dit, c'est un problème international à l'heure actuelle, et l'une des raisons en est qu'il y a eu beaucoup d'autres possibilités, surtout lorsque la conjoncture était meilleure.

Notre argument est qu'il faut renverser la situation et faire en sorte que travailler sur un navire soit une option plus attrayante, notamment au Canada. Comme l'ont dit mes amis, l'industrie du transport maritime est très petite au Canada par rapport à d'autres pays. Elle reste néanmoins importante, comme disait M. Lahay. Entre les ports du Canada, des navires canadiens doivent transporter des marchandises, et il faut que ce soient des équipages canadiens et des navires canadiens. C'est extrêmement important et c'est pourquoi nous devons nous concentrer sur le recrutement, parce qu'il faut que ce soient des Canadiens. Il y a quelque temps, et ce n'est pas très vieux, le nombre de candidats était largement supérieur au nombre d'emplois offerts sur les navires canadiens.

Parmi les catégories que nous représentons, il y a les officiers de la Garde côtière canadienne, qui a été intégrée à l'ancienne flotte du ministère des Pêches et Océans et qui a le collège de la Garde côtière canadienne à Sydney. Il y avait autrefois beaucoup plus de candidats que de places disponibles au collège pour devenir officier de la Garde côtière mais la situation s'est maintenant inversée.

Cela ne résulte pas seulement du projet de loi C-15 ou de la législation environnementale. Ce n'est pas ce que nous prétendons, ni que ce soit dû au projet de loi C-16 ou simplement à la criminalisation des marins, mais c'est l'un des facteurs, et il est important. Les navires-baliseurs, les brise-glaces, les navires de patrouille des pêches, toute la flotte de la Garde côtière canadienne, ainsi que les navires commerciaux qui approvisionnent les collectivités de l'Arctique, tous les bateaux qui transportent des produits pétroliers raffinés au Canada, les bateaux des lacs qui transportent des céréales des Grands Lacs jusqu'aux installations d'exportation du golfe ou de la côte, les remorqueurs qui aident les navires de croisière à entrer dans les ports, et qui aident les porte-conteneurs, et cetera, tous ces navires ont besoin de pilotes et de marins. Tous doivent être des Canadiens, c'est une exigence. Ce n'est peut-être pas une grosse industrie si on la compare à la scène internationale mais c'est une industrie essentielle, importante et vitale. Or, choisir ce genre de carrière est aujourd'hui beaucoup moins attrayant à cause du spectre de la criminalisation qui s'ajoute à l'ensemble comme facteur dissuasif additionnel.

Vous avez entendu mes amis parler des facteurs de dissuasion. Être loin de chez soi en fait partie, évidemment, tout comme plusieurs autres inconvénients de l'industrie du transport maritime, et c'est pourquoi la Guilde, la FIOT et divers autres acteurs ont lancé un certain nombre d'initiatives intéressantes en matière de RH avec l'assistance du gouvernement fédéral. Cela dit, notre argument reste que la criminalisation des marins a un effet particulièrement dissuasif.

Le sénateur Neufeld : Ce que je retiens de cette réponse, c'est que la criminalisation ne joue pas un rôle si important que cela dans les difficultés de recrutement de marins. Je parle de l'Ouest canadien depuis 2005, après l'entrée en vigueur du projet de loi C-15. L'économie était surchauffée en Colombie-Britannique, c'est incontestable. C'était également le cas dans l'Ouest canadien, et même depuis des années auparavant. Il y a donc d'autres facteurs qui jouent probablement un rôle dans ce genre de situation. Si vous pouviez m'envoyer des chiffres à ce sujet, je vous en serais reconnaissant. Sinon, tant pis.

Mme Arsoniadis Stein : Je voudrais faire une brève remarque à l'intention du sénateur Neufeld au sujet de ce que disait le capitaine Brown sur les gangs. L'un des arrêts fondamentaux à ce sujet est l'arrêt R. c. Ellis Don, et c'est dans contexte de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Voici ce qu'avait dit le juge Galligan :

Il est clairement établi qu'il est inacceptable que quelqu'un soit condamné lorsqu'il y a un doute raisonnable au sujet de sa culpabilité. La question constitutionnelle est donc de savoir si l'objectif législatif, aussi important soit- il, justifie l'imposition de cette situation insatisfaisante. Je suis profondément troublé qu'on puisse affirmer que l'objectif de cette loi [...]

Je répète qu'il s'agit de santé et de sécurité au travail.

[...] revêt une importance telle qu'on doive prendre le risque de condamner quelqu'un qui pourrait être innocent [...] Il m'est impossible de dire que cela est plus important que protéger des citoyens innocents contre l'homicide. Pourtant, la loi ne permet pas de condamner une personne accusée de meurtre si la cour a un doute au sujet de sa culpabilité.

Le sénateur Adams : Je connais bien le projet de loi C-15 qui avait été étudié par notre comité. Le président était le sénateur Banks. À l'époque, nous avions eu peu de difficultés à l'adopter, surtout avec les agents d'application. Il s'agissait de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Avant l'adoption du projet de loi C-15, nous ne pouvions pas trouver d'experts sur les marées noires ou les déversements en mer à Transports Canada, à Environnement Canada ou à la Garde côtière. À l'époque, le ministère nous avait dit qu'on ne trouvait personne. On envisageait même de faire appel à des agents de conservation pour faire appliquer la loi au sujet des déversements en mer.

Entre-temps, des militants des droits des animaux ont exercé des pressions pour que le projet de loi C-15 soit adopté. Ce sont eux qui ont fait des pressions.

Comme je vis dans l'Arctique, j'ai vu beaucoup de navires passer dans la région, surtout des pétroliers. Nous n'avons pas de ports équipés pour les ravitailler ils doivent utiliser des tuyaux qui flottent sur l'eau, à un quart de milles de distance des côtes, pour pouvoir se ravitailler en mazout.

L'an dernier, à Rankin Inlet, il y avait un pétrolier qui était arrivé tard dans la saison alors que les glaces commençaient à se former. Ils ont sorti un tuyau et ont essayé de l'amener avec un bateau équipé d'un moteur de 250 chevaux, qui traversait les glaces, mais il a finalement été bloqué et ils ont dû continuer en motoneige. Je les regardais et je pensais qu'ils travaillaient bien. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi le gouvernement aurait pu leur imposer une amende supplémentaire, jusqu'à 12 millions de dollars par jour. Ça fait beaucoup d'argent.

Depuis l'adoption du projet de loi C-15, nous n'avons pas de données indiquant les dégâts qui ont été causés par des déversements de pétrole ni combien d'oiseaux ont pu être mazoutés. Les militants des droits des animaux nous disent qu'il y en a à peu près 300 000 qui sont tués chaque année. J'ai demandé comment ils savaient qu'il y a 300 000 oiseaux morts dans la mer et s'ils avaient un bateau. Ils m'ont dit qu'ils trouvaient les cadavres sur la grève. C'est le genre d'information qu'on nous a donnée.

Je suis préoccupé par le transport maritime dans l'Arctique. Nous percevons des droits de passage. Au-delà de la baie de Frobisher, le gouvernement fait payer un droit de passage pour aller jusqu'à Iqaluit. Il y a quelques années, Transports Canada avait décidé de suspendre ce droit de passage pendant un an. Si ce projet de loi est adopté, le droit de passage sera rétabli.

En ce qui concerne le transport maritime dans l'Arctique, est-ce que ce sera plus efficace à l'avenir? Nous avons un seul transport par mer chaque année. Les primes d'assurance augmenteront si mon bateau déverse du pétrole. Plus tard, peut-être, l'assurance me coûtera plus cher. Est-ce que le projet de loi C-16 aura une incidence sur les primes d'assurance des armateurs?

M. O'Connor : Vous voulez des informations sur les primes d'assurance?

Le sénateur Adams : Oui.

M. O'Connor : Dans le transport maritime, l'assurance, y compris dans les cas de pollution, est ce que nous appelons une assurance P&I, protection et indemnisation. C'est une vieille expression. Certaines sociétés souscrivent une assurance mais cela concerne les dommages causés. Ça ne couvre pas les amendes mais uniquement les dommages pouvant être causés, c'est-à-dire le nettoyage après un déversement. Si le navire a un accident et qu'il y a un déversement, il y a une assurance. Le Canada applique ce système. Ça commence avec l'armateur et son club de P&I, qui paye la première tranche. Ensuite, si c'est plus important, il y a une deuxième tranche qui est couverte par l'assurance internationale. Il y a actuellement un projet de loi C-7 devant le Sénat. Nous acceptons de nous joindre au fonds supplémentaire, ce qui ajoute une autre tranche d'indemnisation, et le total représente une indemnisation possible de 1,5 milliard de dollars canadiens. Toutefois, cela ne concerne pas les amendes mais uniquement le nettoyage.

Le sénateur Adams : Il y a eu pas mal d'exploration minière ces deux dernières années à Rankin. Il y a des barges qui ont été prises dans les glaces au large des côtes. En hiver, les pétroliers vont jusqu'aux camps d'exploration minière. En été, on n'a pas le droit de faire du transport maritime jusqu'aux camps. Même pour les routes d'hiver, il faut obtenir un permis et on doit s'assurer qu'il n'y a pas de déversements de pétrole durant le trajet jusqu'aux camps miniers.

Ces deux dernières années, il y a eu un pétrolier contenant un million de litres qui était stationné en haute mer et dont la cargaison a été pompée à terre en hiver. Maintenant, il est vide et il doit attendre les prochaines glaces pour partir. Un remorqueur viendra le tirer pour le faire sortir.

Je vis là-bas depuis de nombreuses années et je n'ai pas vu beaucoup de dégâts dans l'Arctique.

M. Lahay : Sénateur, je pense que cela témoigne du bon travail des ouvriers et des marins car ce que vous décrivez correspond au risque que prennent les marins dans toutes sortes d'opérations différentes, comme j'essayais de l'expliquer un peu plus tôt. En tant qu'organisation représentant ces travailleurs, je vous remercie de ces remarques.

Le sénateur Manning : J'aimerais poursuivre les discussions sur le recrutement mais je sais qu'il nous reste peu de temps. J'habite dans une petite collectivité de pêche de la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador, dans la baie de Placentia. C'est une baie où il y a 365 îles et où il y a du brouillard 200 jours par an. Dans le rapport de Bradner Smith, en 1990, dont je suis sûr que vous avez entendu parler, on disait que c'est l'endroit du Canada où il risque le plus d'y avoir un déversement de pétrole. J'ai longé des plages où il y avait des oiseaux mazoutés. J'ai participé au nettoyage et c'est un triste spectacle.

Ma question concerne le fait que, si vous n'êtes pas pris, les amendes ou les règles n'ont aucune importance. Les réactions que j'ai eues des gens de ma région et de ma province sont que ceux qui se font attraper reçoivent les sanctions les plus lourdes prévues par la loi de façon à donner une leçon aux autres.

Dans la petite collectivité où j'habite, qu'il y ait deux personnes ou dix sur un bateau de pêche, c'est le capitaine qui est le patron. S'il n'est pas responsable de ce qui se passe en mer avec les boues de soute, qui peut l'être?

Mme Arsoniadis Stein : Nous ne contestons pas ce que vous dites. Vous avez absolument raison. Si le capitaine est coupable, nous ne contestons pas qu'il fasse l'objet d'une sanction pénale. Tout ce que nous disons, c'est qu'il faut prouver sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.

Je pense que le souci des parlementaires est de s'assurer que la loi a des crocs suffisamment aigus. Ce que nous essayons de vous dire, c'est que le projet de loi C-16 a des crocs extrêmement tranchants. En ce qui concerne les lois touchées par le projet de loi C-16, les lois mères, si vous voulez, nous vous demandons de rétablir la présomption d'innocence là où elle a été supprimée car le projet de loi C-16 a suffisamment de crocs.

Je vais vous donner un exemple. Je ne sais pas si vous êtes au courant du déversement du lac Wabamun. Nous ne contestons pas qu'il s'agissait d'une catastrophe absolue. Huit cent mille litres de mazout lourd ont été déversés dans le lac, ce qui a endommagé l'habitat faunique et l'écologie du lac. À ce moment-là, le projet de loi C-15 était entré en vigueur. L'affaire a été portée devant les tribunaux et le gouvernement a rendu une décision. J'ai des informations sur les amendes qui ont été imposées. Il n'y a pas eu de sanctions pénales. Pourquoi n'y en a-t-il pas eu? Je ne dis pas qu'il aurait dû nécessairement y en avoir mais on n'a pas invoqué les dispositions du projet de loi C-15.

Le CN a accepté de payer 400 000 $ au titre des accusations provinciales et un million de dollars au titre des accusations fédérales. La société a dépensé environ 87 millions de dollars pour le nettoyage immédiat et pour tenter de limiter et de régler les problèmes environnementaux causés par le déversement. Elle a en outre dépensé 45 autres millions de dollars pour régler les revendications des résidents, des propriétaires de bateaux, de la bande de Paul et du village de Wabamun.

Si l'on n'applique pas les sanctions pénales, nous doutons de leur nécessité. À l'avenir, avec le projet de loi C-16, comme il s'agit d'une zone écologiquement fragile, le CN pourrait se voir imposer 12 millions de dollars par jour. Si je ne me trompe, le déversement a été là pendant plus de 60 jours. Multipliez 12 millions de dollars par 60, vous mettez la société en faillite. Avons-nous aussi besoin d'infliger des sanctions pénales?

M. O'Connor : La question était de savoir qui assume la responsabilité si ce n'est pas le capitaine. Sur un bateau de pêche, il y a de bonnes chances que le capitaine soit aussi le propriétaire, en tout ou en partie. Si vous poursuivez le bateau, vous poursuivez la personne qui devra payer l'amende, que ce soit par le truchement d'une compagnie d'assurances ou non. En ce qui concerne l'amende, c'est le propriétaire qui est responsable si vous poursuivez le bateau. Vous demandez qui sera responsable si ce n'est pas le capitaine. Ça devrait être le bateau. En vertu de la législation actuelle, c'est-à-dire non seulement du projet de loi C-15 mais aussi de la Loi sur la marine marchande du Canada, ou de MARPOL, si du pétrole sort du bateau, que ce soit de son chargement ordinaire ou de ses cales, c'est le bateau qui est responsable.

La réponse est qu'il faut poursuivre le bateau et non pas les individus et qu'il n'y a pas de raison de prévoir la possibilité de poursuivre les individus s'ils n'ont rien eu à voir avec la pollution. Poursuivez le bateau. Vous aurez le même effet dissuasif.

Le sénateur Manning : C'est une remarque pertinente. Quand je vais dans ma collectivité, comme sénateur — et c'était aussi le cas lorsque j'étais un politicien élu — les gens me disent qu'il faut faire quelque chose pour rendre la législation plus mordante.

En tant qu'armateurs et que personnes responsables, si un membre de la collectivité vous demandait des suggestions pour régler à sa source le problème des oiseaux mazoutés qui s'échouent sur la grève, que lui diriez-vous?

M. O'Connor : Je lui dirais qu'il faut appliquer rigoureusement la loi. Nous parlons de gros navires. Que ce soit au moyen d'une surveillance par avion ou par satellite, c'est ce qui se fait. Je dirais qu'il faut renforcer cela. Si vous songez aux voyous, ils ne viendront pas au Canada s'ils risquent de se faire attraper. La première chose à faire est de renforcer l'application de la loi.

Accroître les amendes vient ensuite. S'ils savent qu'ils s'exposent à des amendes quotidiennes énormes, ils seront tout à fait dissuadés. Vous n'aurez pas à essayer de trouver à bord du bateau un bonhomme que vous allez priver de ses droits et qui n'a pas d'argent ni le moyen de se payer un avocat. Nous devrions nous attaquer aux navires.

Mme Arsoniadis Stein : Durant et après les audiences relatives au projet de loi C-15, nous avons eu des discussions avec le Fonds mondial pour la nature. Nous lui avons dit : « Augmentez l'amende d'un million de dollars. Attaquez-les dans leur portefeuille. » Il nous a répondu : « Si vous aviez fait au moins une suggestion durant l'étude du projet de loi C-15 au lieu de venir avec votre liste de réclamations — les agents de conservation et tout le reste —, nous l'aurions peut-être envisagé. » À Transports Canada, il a dit : « Pourquoi ne pas accroître les amendes et rendre la présomption d'innocence? » Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec un projet de loi C-16 qui augmente les amendes mais personne ne rétablit la présomption d'innocence.

M. Brown : Une troisième suggestion, sénateur, est de revenir aux installations de délestage.

Le sénateur St. Germain : Durant les audiences, nous avons accueilli le ministre Prentice. En réponse au sénateur Banks qui lui demandait s'il voyait des croque-mitaines partout, il a répondu ceci :

Mais le projet de loi ne contient aucune disposition contraire à la Convention sur le droit de la mer. Il nous faut tenir pour acquis que les services des poursuites dépendant du gouvernement fédéral du Canada ne requièrent pas une peine de prison dans les cas où cela serait contraire au droit international. Cela me paraît être un des aspects essentiels de ce texte de loi. Il est clair qu'en vertu du pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu, le procureur général veillera à ce que ne soit intentée aucune poursuite contraire aux règles du droit international.

Voilà ce qu'a dit le ministre au sujet du droit international. Le ministre, comme M. O'Connor, est avocat. Je vous laisse là-dessus. Vous pourrez répondre par écrit.

Le vice-président : Voulez-vous répondre?

M. O'Connor : Lors de la même séance, M. Woodworth, qui était ici plus tôt — ce n'est pas lui le ministre mais il a participé à l'élaboration du projet de loi — avait déclaré, et je cite ce passage de ce qu'on appelle « les bleus » :

[...] le gouvernement du Canada ne fera rien qui soit contraire à une convention internationale à laquelle il est parti (sic), et c'est pourquoi il a donné pour instruction aux services des poursuites de ne pas requérir de peines d'emprisonnement lorsque l'imposition d'une telle peine serait contraire à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Autrement dit, il a admis que le projet de loi est à l'évidence une infraction mais que la politique du gouvernement est de ne pas enfreindre.

Le sénateur St. Germain : Le fait est que nous parlons du ministre et que c'est lui qui a le dernier mot à ce sujet, monsieur O'Connor. Il y a là une contradiction patente.

M. O'Connor : Le projet va manifestement à l'encontre de la Convention UNCLOS. C'est tout à fait patent. Je comprends qu'il y a une politique disant le contraire. Tout ce que nous demandons, c'est de le dire dans la loi, un point c'est tout.

Mme Arsoniadis Stein : Une loi ne peut pas être légitimée par les pouvoirs discrétionnaires du procureur de la Couronne. Elle se doit d'être légitime en soi. Une politique peut être modifiée à n'importe quel moment. Plus important encore, nous aimerions que la loi s'applique autant à notre industrie locale qu'à notre industrie internationale. Si l'objectif du législateur est de ne pas requérir de peines d'emprisonnement parce que cela constituerait une transgression du droit international, cet objectif doit être codifié dans la loi elle-même.

Le vice-président : Je remercie beaucoup nos témoins qui ont défendu leur cause avec conviction. Nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution.

Honorables sénateurs, nous suspendons la séance pendant deux minutes et nous reprendrons ensuite parce que nous avons encore du travail à faire, si vous êtes d'accord.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)

—————

(La séance reprend en public.)

Le vice-président : Le comité vient de décider d'entreprendre l'étude article par article du projet de loi C-16, Loi modifiant certaines lois environnementales et édictant des dispositions ayant trait au contrôle d'application de lois environnementales.

Le sénateur Banks : Pour que tout se fasse dans les règles, président, pouvez-vous confirmer cet accord?

Le vice-président : Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord? Qui appuie la proposition?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Êtes-vous d'accord pour que les articles soient regroupés selon les différentes parties du projet de loi afin d'entreprendre l'étude article par article?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : D'accord. Le titre est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Adopté. Le préambule est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Adopté. L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Adopté. Les articles 2 à 19 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 20 à 28 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 29 à 40 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 41 à 51 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 52 à 88 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 89 à 93 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 94 à 107 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 108 à 115 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. Les articles 116 à 125 sont-ils adoptés?

Des voix : Adoptés.

Le vice-président : Adoptés. L'article 126 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le vice-président : Adopté. L'article 127 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le vice-président : Adopté. L'article 128 est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le vice-président : Adopté. L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le vice-président : Adopté. Le préambule est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le vice-président : Le titre est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le vice-président : Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Adopté.

Le sénateur Spivak : Avec dissidence, monsieur le président.

Le vice-président : Le comité souhaite-t-il que des observations soient jointes en annexe au rapport?

Des voix : Oui.

Le vice-président : Dois-je faire rapport de ce projet de loi au Sénat?

Le sénateur Banks : Sans modification et avec observations.

Le vice-président : Sans modification et avec observations?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Adopté. Merci beaucoup.

Le sénateur Banks : Je propose que le président et le vice-président soient autorisés à rédiger les observations devant être jointes au rapport du comité.

Le vice-président : Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Adopté.

(La séance est levée.)


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