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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 10 - Témoignages du 29 octobre 2009


OTTAWA, le jeudi 29 octobre 2009

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 14 pour examiner l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris l'énergie de remplacement).

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs, membres du comité et téléspectateurs qui nous regardez sur le CPAC et sur le Web. Nous tenons aujourd'hui la troisième séance dans le cadre de notre étude des questions énergétiques au Canada en général, en vue d'élaborer une stratégie nationale dans ce domaine à un moment où nous en avons grandement besoin. Les questions relatives à la sécurité énergétique au Canada et en Amérique du Nord sont clairement liées aux préoccupations soulevées par les changements climatiques.

Nous avons aujourd'hui le privilège d'avoir parmi nous un certain nombre de personnes, des sénateurs qui remplacent d'autres sénateurs. Le sénateur Tommy Banks est à l'extérieur de la ville aujourd'hui. C'est malheureux, car c'est grâce à lui que nous avons l'honneur d'accueillir un témoin spécial. Je vais vous présenter dans un moment, monsieur. Je souhaite la bienvenue au sénateur Cowan, chef de l'opposition au Sénat. Le sénateur Cowan remplace le sénateur Banks. Bienvenue à vous. Nous accueillons aussi le célèbre sénateur de Vancouver, le sénateur Larry Campbell. Nous sommes heureux que le sénateur Campbell puisse voir aujourd'hui comment fonctionne une séance de comité. Une dame qui se passe de présentation, le sénateur Nancy Greene, remplace également l'un de nos sénateurs absents, le sénateur Richard Neufeld. Nous accueillons le seul sénateur élu, le sénateur Bert Brown, de l'Alberta. Mon estimé vice-président est le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta. Nos attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement sont Marc LeBlanc et Sam Banks. Le sénateur Pana Merchant vient de la Saskatchewan. Le sénateur Nick Sibbeston vient des Territoires du Nord-Ouest. Le sénateur Judith Seidman est notre nouveau sénateur du Québec. Le sénateur Dan Lang vient du grand territoire du Yukon. Je m'appelle David Angus, et je viens de Montréal, au Québec. J'ai l'honneur de présider le comité.

Honorables sénateurs, nous étions d'abord censés accueillir aujourd'hui la ministre des Ressources naturelles ou certains hauts fonctionnaires de ce ministère. Mardi dernier, à leur demande, nous avons accepté de les accueillir plutôt mardi prochain. Nous n'avions donc plus de témoins à entendre pour cette séance. Le sénateur Banks a alors laissé entendre que nous étions aux prémices, aux premières étapes de notre étude sur l'énergie et les changements climatiques. Il a mentionné qu'il connaissait un professeur, M. John Stone, et qu'il tenterait de communiquer avec lui.

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du comité. Vous avez accueilli chaleureusement et gentiment notre demande et vous êtes venu ici à cette heure déraisonnable pour nous faire profiter de vos connaissances.

Nous nous penchons aujourd'hui sur le lien entre les changements climatiques et les questions énergétiques. M. John Stone est professeur-chercheur auxiliaire au Département de géographie et d'études environnementales de l'Université Carleton. Je crois qu'il a déjà témoigné au Parlement, à l'autre endroit, relativement à certaines de ces questions. M. Stone a obtenu un baccalauréat en chimie, avec distinction, en 1966 et un doctorat en spectroscopie moléculaire en 1969, tous deux à l'Université de Reading, au Royaume-Uni. Il est venu au Canada en 1969 pour travailler comme chercheur postdoctoral au Conseil national de recherches du Canada.

Soit dit en passant, monsieur, mon fils a étudié à l'Université de Reading. Je sais que c'est un endroit extraordinaire, car cet établissement lui a permis d'exploiter au maximum ses capacités. C'est épatant.

Après avoir travaillé au Conseil national de recherches, M. Stone a passé une année à Prague, où il s'est joint à l'Académie des sciences de la Tchécoslovaquie, puis il est revenu au Canada pour poursuivre ses recherches à l'Université de Sherbrooke. En 1972, M. Stone a commencé à travailler pour la fonction publique du Canada, où il a assumé des responsabilités croissantes dans divers dossiers. Au cours des 15 dernières années, il a dirigé des programmes de recherche en sciences climatiques et atmosphériques, et il a élaboré des politiques à l'égard d'une vaste gamme de questions environnementales.

Il a acquis une vaste expérience en sciences sur la scène internationale. En effet, il a servi le Canada en tant que membre du Comité pour la science de l'Organisation du Traité de l'Atlantique du Nord, l'OTAN; de l'Institut international pour l'analyse des systèmes appliqués; et de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe, la CEE; comme conseiller principal en matière de sciences et de technologie pour l'élaboration de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques; comme membre du Comité directeur scientifique du système d'analyse, de recherche et de formation concernant les changements planétaires, le programme START; comme coprésident de l'Accord de coopération scientifique et technologique Canada-Allemagne; et, enfin, en tant que membre du bureau du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC.

J'ai oublié de présenter notre fort compétente greffière, Lynn Gordon, qui a préparé ces notes pour moi.

Monsieur Stone, je vous remercie d'être venu témoigner. Vous avez distribué une présentation PowerPoint qui illustre vos remarques. Vous ferez un exposé de 30 à 40 minutes. Par la suite, nous laisserons les sénateurs poser des questions.

John M.R. Stone, professeur-chercheur auxiliaire, Études géographiques environnementales, Université Carleton : Honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup.

Je souhaite aborder la question des changements climatiques, que je désigne comme la menace des changements climatiques. À l'origine, les changements climatiques étaient considérés comme une question environnementale. Ils sont certainement liés à la question environnementale, mais nous pouvons les envisager de nombreuses autres façons, y compris par rapport à la question de la sécurité énergétique.

Comme l'a mentionné le président, je suis un scientifique. J'étudie la question des changements climatiques, d'une façon ou d'une autre, depuis au moins 20 ans, sinon plus. Cette question n'a rien de nouveau pour moi.

La question des changements climatiques suscite un intérêt politique et médiatique considérable, beaucoup de bruit et parfois de la colère, mais ces réactions ne signifient pas toujours grand-chose. C'est une question qui alimente un cycle presque ininterrompu de réunions internationales et de grandes promesses, mais, jusqu'à maintenant, aucune mesure concrète n'a encore été prise. Malgré les progrès scientifiques importants et les indices flagrants d'une accélération des changements climatiques, cette question n'est toujours pas traitée avec toute l'urgence nécessaire.

C'est une question très facile à comprendre, mais qui est peut-être l'un des plus grands défis scientifiques de notre temps. C'est une question de moralité, car les mesures prises aujourd'hui dans un pays donné auront des répercussions positives sur les gens d'autres pays et sur les générations futures, des personnes que nous ne rencontrerons peut-être jamais, et c'est une question qui va parfois au-delà de la simple logique économique. C'est une question qui constitue un nouveau type de défi, vague quant à sa forme et à son étendue, jusqu'à maintenant insidieux plutôt que directement manifeste, à long terme plutôt qu'immédiat. Malheureusement, nous avons tendance à fermer les yeux, mais je crains que cette question ne disparaisse pas de sitôt.

J'ai distribué aux membres du comité une présentation PowerPoint. Je vais la parcourir et fournir des explications au fur et à mesure. La première diapositive est intitulée « Au commencement... ». Ce graphique illustre bien l'avancée des sciences et la manière dont elles ont influé sur les politiques. Il montre les résultats de l'observation méticuleuse de la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone, important gaz à effet de serre. Le premier point à souligner, c'est que ces mesures ont commencé à être prises plusieurs années avant que les changements climatiques ne deviennent une préoccupation, c'est-à-dire vers 1957. Au fil des années, la concentration de dioxyde de carbone a augmenté de façon constante. Il était déjà évident au début des années 1970 que la concentration de dioxyde de carbone dépassait celle mesurée avant l'ère industrielle. En 1979, un rapport de l'Académie des sciences des États-Unis concluait qu'il était fortement probable que le doublement des taux de CO2 dans l'atmosphère entraînerait un réchauffement climatique de l'ordre de 1,5 à 4,5 degrés Celsius.

Toutefois, ce n'est que dans les années 1980 que les scientifiques ont commencé à faire état de leurs constatations et à avertir les gens du fait que, si les taux de CO2 continuaient de grimper, il pourrait y avoir de graves conséquences sur la société et l'environnement. En 1988, deux événements importants ont eu lieu. D'abord, le Canada a tenu la Conférence sur l'atmosphère en évolution. Cette conférence n'était pas censée aborder principalement la question des changements climatiques, mais, comme elle s'est déroulée pendant l'apparition d'une vague de chaleur et d'une sécheresse aux États- Unis, les changements climatiques en sont devenus le thème central. La conférence, à laquelle ont participé nombre de gouvernements et de scientifiques, a mené à l'adoption d'une résolution qui recommandait la réduction des émissions de CO2 de 20 p. 100 par rapport aux taux de 1988 d'ici l'an 2000. Cette résolution est le premier engagement que nous avons pris et le premier que nous n'avons pas respecté. Par la suite, en raison de l'attention accordée à cette question, les Nations Unies ont créé le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Le GIEC avait pour mandat de fournir aux gouvernements des évaluations éclairées et accessibles sur l'état des connaissances concernant les changements climatiques. J'ai eu l'honneur de faire partie du bureau du GIEC pendant la rédaction de ses troisième et quatrième évaluations détaillées.

Le GIEC a publié sa première évaluation en 1990 et l'a présentée au cours de la Deuxième conférence mondiale sur le climat, à Genève, en novembre de cette même année. Cette conférence a incité les Nations Unies à entreprendre des négociations sur ce qui est devenu la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, laquelle a été ratifiée par plus de 150 gouvernements à l'occasion de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, à Rio de Janeiro, en 1992. Le GIEC a déposé sa deuxième évaluation complète en 1995. La même année, on a engagé des négociations pour améliorer la Convention-cadre des Nations Unies, ce qui a mené à l'adoption du Protocole de Kyoto, en 1997. Toutefois, ce n'est qu'en 2005 que le Protocole de Kyoto est entré en vigueur.

Comme vous pouvez le constater, malgré toutes ces conférences, la concentration de CO2 a continué de grimper. Si vous vous demandez ce que représentent les oscillations de la courbe sur la diapositive, il s'agit simplement de la respiration de la Terre. Pendant l'été, lorsque les arbres croissent et que l'herbe verdit, une grande concentration de CO2 est absorbée par la biosphère, de sorte que, chaque été, les taux de CO2 dans l'atmosphère diminuent, tandis que, à l'hiver, c'est le contraire qui se produit. Essentiellement, c'est ce que vous pouvez voir sur la diapositive.

La prochaine diapositive est essentielle à la compréhension de toute la question, car elle montre les résultats obtenus grâce à l'extraction d'une carotte de glace creusée dans le glacier continental de l'Antarctique. Elle mesure trois kilomètres de longueur. Chaque couche de glace et de neige qui se forme chaque année en Antarctique emprisonne dans sa structure une partie de l'atmosphère. Cette atmosphère est donc capturée chaque année dans les cristaux de glace et enfouie de plus en plus profondément. Les données sont conservées là. Si nous extrayons une carotte de trois kilomètres de longueur, nous avons accès à ces données, qui révèlent la concentration atmosphérique de CO2 pour chacune des années où une couche de glace et de neige s'est déposée.

Le tracé noir au bas du graphique représente une approximation de la température. Le graphique couvre une période d'environ 650 000 ans, et vous pouvez constater que le tracé monte et descend de temps à autre. La concentration atteint un sommet pendant une période interglaciaire et un creux pendant une période glaciaire. Ce graphique couvre six ou sept périodes glaciaires. Le tracé rouge représente la concentration atmosphérique de CO2, et il indique une tendance semblable à celle observée dans le cas du tracé noir. Le tracé monte et descend et culmine pendant une période interglaciaire et fléchit pendant une période glaciaire. La conclusion principale tirée de ce graphique est la suivante : au cours d'une période d'un peu plus de 650 000 ans, la concentration atmosphérique de CO2 n'a jamais été inférieure à environ 200 parties par million et n'a jamais été supérieure à 280 parties par million. Actuellement, la concentration atmosphérique de CO2 est de 390 parties par million, et ce taux continue d'augmenter. À l'évidence, nous avons mené l'atmosphère en terrain inconnu, en zone tempérée. La concentration atmosphérique de CO2 atteint des sommets inégalés depuis près d'un million d'années.

La prochaine diapositive montre les résultats associés aux 1 000 dernières années, ce qui comprend la révolution industrielle. Pendant la majeure partie de cette période, la concentration est demeurée à environ 280 parties par million, mais, depuis la révolution industrielle, où nous avons commencé à remplacer la puissance musculaire des hommes et des bêtes par la puissance mécanique des machines à vapeur, la concentration a subi une hausse. Des mesures minutieuses effectuées au moyen de rapports isotopiques indiquent clairement que cette hausse est largement attribuable aux émissions résultant de l'utilisation des combustibles fossiles pour produire de l'énergie.

La diapositive suivante porte sur les émissions de gaz à effet de serre, plus particulièrement le dioxyde de carbone. Le graphique montre la hausse des émissions mondiales au cours des 20 dernières années; il s'agit d'une augmentation constante. Actuellement, les émissions augmentent d'environ 3 p. 100 par année. Par le passé, les modèles climatiques prévoyaient généralement une hausse annuelle de 0,5 p. 100 par année. La hausse actuelle est de loin supérieure à ce que nous avions initialement prévu.

Les lignes de couleur représentent les estimations des futures émissions. Elles sont tirées d'études réalisées par le GIEC vers 2000 pour élaborer des scénarios plausibles d'émissions futures. Vous pouvez constater que les points correspondant aux années 2005 à 2008 sont tous sur la ligne — ou légèrement au-dessus — qui représente le pire scénario que le GIEC avait envisagé il y a tout juste quelques années, en 2000. Ce pire scénario prévoit une concentration de CO2 de près de 900 parties par million d'ici la fin du siècle et une température moyenne mondiale d'environ 4 degrés Celsius. À mon avis, nous ne voulons certainement pas en arriver là, car les résultats seraient catastrophiques.

La diapositive suivante montre que, non seulement les émissions — et par le fait même la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre — ont continué d'augmenter et de le faire plus rapidement qu'avant, mais que les températures ont également subi une hausse. Pour citer la quatrième évaluation du GIEC, le réchauffement climatique est maintenant une évidence. Les températures moyennes mondiales se situent en dehors des plages observées au cours des 1 300 dernières années. La dernière fois que les régions polaires ont été sensiblement plus chaudes qu'aujourd'hui pendant une période prolongée, c'est-à-dire il y a environ 120 000 ans, le niveau de la mer est monté de quatre à six mètres en raison de la réduction du volume de la glace polaire.

Dans ce graphique, les points noirs représentent les températures observées et la zone bleu gris correspond à l'incertitude quant à ces observations. Si on trace une ligne droite représentant la moyenne des températures observées au cours des 150 dernières années, on obtient la ligne rouge. Si on fait de même pour les 100 dernières années, on obtient la ligne violette; pour les 50 dernières années, on obtient la ligne orange; et pour les 25 dernières années, on obtient la ligne jaune.

Le président : Monsieur, permettez-moi de vous interrompre quelques instants, mais vous avez mentionné que les points noirs qui se trouvent dans ce graphique couvraient une période qui débute avant 1860. Dois-je comprendre qu'il s'agit de données scientifiques qui ont été recueillies?

M. Stone : Exactement.

Le président : En 1860?

M. Stone : Exactement.

Le président : Merci.

M. Stone : Ce qui est troublant, c'est que la tendance de réchauffement linéaire des 50 dernières années correspond à près du double de celle des 100 dernières années. Autrement dit, plus on se rapproche du présent, plus la cadence de l'augmentation des températures mondiales s'accélère, ce qui donne à penser que les changements climatiques sont peut-être plus proches que nous le croyons.

Dans sa quatrième évaluation, le GIEC s'est abstenu de conclure que les changements climatiques pourraient s'accélérer parce que, en général, les scientifiques sont de nature prudente, mais les chapitres de l'évaluation comportent beaucoup de données probantes nous permettant de croire que cela pourrait être le cas.

La prochaine diapositive porte sur le réchauffement récent dans l'Arctique. Le graphique nous permet de mettre en perspective cette augmentation de la température. On peut voir les températures arctiques des 2 000 dernières années qui ont été mesurées au moyen de thermomètres, d'échantillons de noyaux de glace et d'autres méthodes semblables. Vous pouvez voir qu'il s'est produit une lente baisse de la température pendant la majeure partie de cette période de 2 000 ans jusqu'à aujourd'hui, où la température commence à augmenter. Le lent refroidissement est bien compris. Il résulte de l'inclinaison de la Terre par rapport au Soleil, qui détermine le taux de radiation solaire en période estivale. En moyenne, la région s'est refroidie jusqu'aux alentours de 1900, puis elle s'est réchauffée d'environ 1,2 degré Celsius, soit le double de la moyenne mondiale.

Vous pouvez voir la période chaude médiévale, qui s'est produite il y a environ 1 000 ans; les données historiques donnent à penser que, à la même époque, les Vikings se sont établis au Groenland et ont cultivé le raisin à Terre-Neuve. Vous pouvez également observer le Petit Âge glaciaire qui s'est produit autour des XVIe et XVIIe siècles; la Tamise et d'autres cours d'eau en Europe ont gelé au cours de cette période. Toutefois, les températures arctiques enregistrées au cours des 100 dernières années ou plus sont plus chaudes que celles des 2 000 dernières années.

Le graphique suivant illustre les causes de cette hausse de température. Les faits que j'ai présentés jusqu'à maintenant montrent que nous avons bel et bien détecté des changements climatiques; autrement dit, les températures actuelles ne sont aucunement le résultat de la variabilité climatique observée par le passé. Il est difficile de cerner les causes des changements climatiques, car il faut pour cela utiliser non seulement d'excellentes données et statistiques, mais également des modèles climatiques. La confiance à l'égard des modèles climatiques s'accroît; nous pouvons maintenant les utiliser pour reproduire de façon assez précise le climat du dernier siècle. Les modèles climatiques sont influencés par des éléments comme la variabilité de l'activité solaire et volcanique et, plus particulièrement, par la concentration des gaz à effet de serre.

Si nous soumettons les modèles climatiques uniquement à des facteurs de forçage naturel, comme l'activité solaire et volcanique, alors nous obtenons la ligne bleue qui se trouve dans la partie inférieure du graphique. Cette ligne bleue correspond aux résultats associés à de nombreux modèles climatiques élaborés par divers groupes dans le monde; certains de ces modèles ont été utilisés plusieurs fois. Nous avons très confiance dans ce graphique.

Nous pouvons constater que les observations réalisées pendant la première partie du dernier siècle, qui forment la ligne noire, correspondent très bien aux résultats des modèles. Ce n'est que dans la seconde moitié du dernier siècle que les observations s'éloignent de plus en plus des résultats découlant uniquement du forçage naturel.

Si nous soumettons également les modèles climatiques au forçage de la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre, nous obtenons alors la ligne orange qui se trouve dans la partie supérieure du graphique. Vous pouvez constater qu'il y a une meilleure correspondance entre les résultats des modèles et les observations, soit la ligne noire. D'ailleurs, nous ne pouvons reproduire les changements de température observés au cours des 100 à 150 dernières années sans tenir compte de la concentration des gaz à effet de serre, les GES, dans l'atmosphère.

Dans son quatrième rapport d'évaluation, le GIEC conclut ce qui suit :

L'essentiel de l'élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES anthropiques.

Lorsque le GIEC utilise un terme comme « très probablement », c'est qu'il parle en connaissance de cause et qu'il est certain à plus de 90 p. 100. Dans le domaine scientifique, si nous sommes certains de résultats à plus de 90 p. 100, c'est que nous avons obtenu le meilleur résultat possible.

Permettez-moi maintenant d'aborder la question de l'évolution des changements climatiques au Canada, ce qui m'amène à vous présenter la prochaine diapositive, qui montre les taux d'émissions de gaz à effet de serre au Canada de 1990 à aujourd'hui. Vous pouvez constater que les émissions continuent d'augmenter. La négociation du Protocole de Kyoto — dont j'ai parlé plus tôt et qui était la première initiative visant à contrer les changements climatiques — s'est terminée en 1997, et le Protocole de Kyoto est entré en vigueur en 2000 après avoir été ratifié par la Russie.

Au cours de la négociation du Protocole de Kyoto, le Canada a proposé de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 6 p. 100 par rapport aux taux de 1990. Il s'agissait d'un objectif qui, à défaut d'être éclairé, a été choisi volontairement. Depuis 1997, malgré l'élaboration de nombreux plans proprement canadiens, nos émissions continuent d'augmenter, et on prévoit actuellement que la concentration de gaz à effet de serre atteindra quelque 829 mégatonnes d'équivalent CO2 d'ici 2010.

La réalisation de notre objectif de réduction de 6 p. 100 exige une diminution énorme des émissions, soit une diminution de quelque 270 mégatonnes d'équivalent CO2, ce qui représente près de 10 tonnes par Canadien. C'est là tout un défi. Le simple fait de ratifier le Protocole ne résout pas en soi le problème.

Les scientifiques sont maintenant d'avis que, si nous ne prenons pas des mesures très bientôt, la situation ne fera qu'empirer. Malheureusement, au Canada, nous n'avons pas encore assisté à la tenue d'un débat national éclairé sur la menace que constituent les changements climatiques. Je ne parle pas d'un débat scientifique, car la communauté scientifique tient déjà un tel débat au moyen d'articles soumis à l'examen des pairs et de conférences. Pour déterminer ce qui est valide sur le plan scientifique, il faut s'appuyer sur des observations reproductibles et des hypothèses éprouvées. Il ne s'agit pas d'un concours de beauté, et les sondages d'opinion publique ne permettent pas d'établir cette validité. À mon avis, un débat national viserait à expliquer en quoi consiste la menace des changements climatiques, à accepter le fait que nous contribuons grandement au problème, à établir un consensus et à mobiliser tous les secteurs de la société pour contrer les changements climatiques. Aujourd'hui, à la lecture de la page couverture du Globe and Mail, je constate que nous avons fait un premier pas important : on a organisé un débat national, assorti d'un rapport rédigé par l'Institut Pembina et la Fondation David Suzuki.

La prochaine diapositive donne un aperçu des sources d'émissions de gaz à effet de serre au Canada. Ce diagramme m'a été gracieusement offert par l'Institut Pembina. Il montre que 50 p. 100 des émissions de GES sont attribuables à l'industrie lourde, à la production et à la transmission d'énergie et à d'autres types d'industries énergivores.

Permettez-moi de dire quelques mots au sujet du GIEC et de certains des résultats généraux qu'il a obtenus. Le GIEC a été créé pour fournir des renseignements accessibles et équilibrés aux gouvernements. Il existe depuis 20 ans. Son rôle est non pas d'entreprendre des études scientifiques, mais d'évaluer les données scientifiques en s'appuyant sur des articles publiés par des scientifiques. Ce qu'il y a de merveilleux au sujet du GIEC, c'est qu'il fait participer les gouvernements. Il s'agit d'un groupe d'experts intergouvernemental qui s'est révélé une collaboration réussie entre le milieu scientifique et les responsables des politiques.

La diapositive montre à quel point la certitude à l'égard des conclusions du GIEC s'est accrue. Dans la première évaluation, en 1990, le GIEC a conclu qu'il y avait bel et bien une hausse des températures moyennes mondiales, mais que cette hausse pouvait être attribuable tant à la variabilité des facteurs naturels qu'aux activités humaines. Dès 1995, le GIEC a été en mesure de soutenir pour la première fois que la prépondérance des données probantes indiquait qu'il y avait une influence humaine perceptible sur le climat. Dans sa troisième évaluation, publiée en 2001, le GIEC a présenté des arguments plus convaincants, et, par la suite, il est parvenu aux conclusions de son quatrième rapport d'évaluation, dont j'ai déjà parlé. À mon avis, le GIEC s'en est rapporté à la science pour déterminer l'ampleur du défi.

Même si la science a beaucoup progressé et qu'on constate une hausse évidente de la concentration des gaz à effet de serre et de la température, les émissions continuent malheureusement d'augmenter. À l'évidence, les sciences, bien qu'elles soient essentielles, ne suffisent plus à la tâche.

Où en sommes-nous rendus aujourd'hui, 20 ans après la création du GIEC? Permettez-moi de faire quatre commentaires, puis je m'interromprai.

D'abord, les faits scientifiques sont maintenant bien établis. Nous devons donc cerner le problème, puis nous concentrer sur la recherche de solutions.

Deuxièmement, l'engagement politique est plus marqué. Il y a 20 ans, seuls quelques dirigeants, comme Margaret Thatcher, reconnaissaient la menace des changements climatiques, et ce n'est que grâce à la publication de la deuxième évaluation du GIEC que les États membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, l'OPEP, ont pris conscience des répercussions que pourraient avoir les changements climatiques sur l'économie de leur pays. Maintenant, la question des changements climatiques figure à l'ordre du jour de la plupart des sommets internationaux.

Troisièmement, on constate que les changements climatiques représentent davantage qu'un problème environnemental. Ils sont maintenant perçus comme un problème de développement, de sécurité, de technologie, et cetera. En effet, je crois que, plus nous pourrons envisager la question des changements climatiques sous divers angles, plus nous mobiliserons des groupes d'intérêts prêts à s'y attaquer.

Enfin, le GIEC ne fait plus cavalier seul. L'un des ajouts les plus importants a été le rapport sur les aspects économiques des changements climatiques rédigé il y a quelques années par Lord Stern pour le compte du gouvernement du Royaume-Uni. Il semble maintenant exister un flot continu de rapports de gouvernements, d'organisations non gouvernementales et d'organismes internationaux. Le GIEC a sans contredit rempli son mandat en évaluant l'état des connaissances. Toutefois, vu l'absence de mesures concrètes, cette évaluation est loin d'être suffisante.

Le président : Monsieur Stone, votre exposé était formidable, car il passait en revue des siècles d'évolution naturelle et, ultérieurement, d'intervention humaine. Les premiers graphiques montrent les cycles qui s'échelonnent sur des centaines de milliers d'années, d'abord une période de réchauffement, puis une période de dégel suivie d'un âge glaciaire ou d'un petit âge glaciaire, puis il y a une autre période de réchauffement, ainsi de suite. Actuellement, nous nous trouvons dans une période de réchauffement d'une manière ou d'une autre.

Il existe un groupe de gens amorphes qui se désignent eux-mêmes comme des négateurs. Je crois qu'il est juste d'affirmer que la plupart d'entre nous sommes convaincus de la gravité de la situation. Nombre des scientifiques que vous avez mentionnés, y compris M. Stern, ont témoigné à l'une ou l'autre des séances du comité. Nous devons maintenant décider de ce qu'il faut faire pour contrer les changements climatiques et de la façon de régler la question de la sécurité énergétique, sans aggraver le problème et en optant pour des solutions durables. Pouvez-vous résumer quels sont les arguments des négateurs? Il y a encore des gens en Australie, au Royaume-Uni et dans tous les pays que je visite qui contestent, comme vous dites, des faits scientifiques établis. Pourriez-vous exposer leurs arguments, aux fins du compte rendu?

M. Stone : Oui, je vous remercie beaucoup. Vous avez utilisé le terme « négateurs ». Ce terme est probablement plus précis que le terme « sceptiques », car le scepticisme est l'un des fondements mêmes de la méthode scientifique. La science ne progresse que lorsque d'autres scientifiques sont sceptiques à l'égard des résultats obtenus par leurs collègues. Sans le scepticisme et le doute, nous n'aurions aucune confiance dans les résultats scientifiques.

Les négateurs obtiennent beaucoup de succès. Selon moi, ils se sont donné la mission de retarder la mise en œuvre de toute mesure visant à contrer les changements climatiques. Pour ce faire, ils sèment le doute en avançant que les données scientifiques ne sont pas encore probantes. Ils obtiennent beaucoup de succès, ont une machine bien huilée et ont établi des relations avec des personnes influentes dans le monde.

De façon générale, ils ne mènent pas de recherche. Nombre d'entre eux ne sont pas des scientifiques. Seuls quelques négateurs, s'ils sont des scientifiques, possèdent une longue expérience ou ont publié des ouvrages dans le domaine des sciences atmosphériques ou climatiques. Ils proclament qu'il y a trop d'incertitudes et, jusqu'à maintenant, ils réussissent très bien à ce chapitre.

Je les ai côtoyés dans plusieurs réunions où on invite un scientifique dont la position représente celle de la majorité de la communauté scientifique. Évidemment, les négateurs vont quitter la réunion avec le sentiment que la science n'a pas encore réponse à tout. Ils s'attardent généralement aux exceptions dans le domaine scientifique. Si vous regardez l'une ou l'autre de ces diapositives, vous constaterez qu'il n'y a jamais de ligne tout à fait droite. Il y a une variabilité naturellement présente. Il y aura toujours des périodes pendant lesquelles les températures seront constantes ou déclineront. Il y aura toujours des périodes pendant lesquelles les concentrations seront supérieures à celles enregistrées par le passé. Il existera toujours des régions dans le monde qui feront exception à la règle.

Le GIEC a tenté de brosser un portrait global de la situation. Je crois qu'il est maintenant clair que les changements climatiques sont réels et se produisent maintenant.

Le président : Encore une fois, pour conclure à propos des négateurs, ils existent bel et bien, et il y a des personnes qui les écoutent et qui observent ce qu'ils font. Quelle est leur motivation? Est-il question d'une théorie économique subversive ou d'une autre activité, comme le vaudou?

M. Stone : Des auteurs d'articles de revues et de journaux et d'ouvrages ont tenté de découvrir comment ils fonctionnaient. L'un des ouvrages les plus récents à ce sujet est intitulé Climate Cover-up; il a été rédigé par James Hoggan, qui vient de Vancouver. Il y a des déclarations écrites attestant que certaines de ces personnes ont reçu du financement de sociétés pétrolières, d'énergie et charbonnières.

Cette information est maintenant attestée. Il est intéressant de voir quelles sont les personnes qui appartiennent à ce mouvement. Ce sont les mêmes personnes qui étaient impliquées dans la controverse concernant le lien entre le tabagisme et l'apparition du cancer, il y a un certain nombre d'années. Qu'est-ce qui les motive? C'est difficile à dire. Par exemple, si vous faites partie du camp restreint des négateurs, jusqu'à maintenant, vous avez reçu beaucoup plus d'attention des médias que si vous vous rangiez du côté de la majorité des scientifiques. Je crois que certains d'entre eux aiment attirer l'attention des médias.

J'ai passé beaucoup de temps à les côtoyer, à leur parler, à essayer de les comprendre et de les convaincre. Toutefois, au bout du compte, j'ai du mal à comprendre ce qui les motive.

Le président : Je n'ai pas l'habitude de poser des questions lorsque je préside une séance. Je souhaitais seulement souligner que, comme nous approchons de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, à Copenhague — où se réuniront 192 pays pour faire avancer le débat —, le moment ne pouvait pas être mieux choisi. Vous nous aidez à mettre la question en perspective.

Le sénateur Mitchell : Votre exposé était convaincant. Vous nous avez rendu un immense service. Vous avez répondu à un certain nombre de questions qu'avaient soulevées des membres du comité pendant que nous tentions de comprendre ce dossier et de jeter les bases de notre étude.

Le sénateur Angus a posé à ma place la question essentielle suivante : comment traiter avec les négateurs? Jusqu'à maintenant, ils ont lancé des attaques virulentes qui montrent qu'ils sont compétents sur le plan technique.

Récemment, nous avons rencontré des membres du haut-commissariat de Grande-Bretagne. Ils ont souligné, tout comme vous, que Margaret Thatcher avait été l'un des premiers dirigeants politiques à attirer l'attention sur la menace des changements climatiques, en 1988. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne est en voie de réduire d'ici 2008 ses émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 par rapport aux taux de 1990, alors que, comme vous le savez, son objectif dans le cadre du Protocole de Kyoto était une réduction de 12,5 p. 100. La Grande-Bretagne a vraiment une longueur d'avance sur nous.

Cela tient entre autres au fait que la Grande-Bretagne s'est attaquée aux changements climatiques avant que les négateurs n'entrent en scène. Les négateurs sont apparus plus tard. Par conséquent, la Grande-Bretagne n'a pas été freinée par ce groupe. La plupart des initiatives amorcées en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde ont été ralenties par les négateurs parce que nous avons tardé à nous attaquer au problème.

Je crois que, en général, même si les gens mettent en doute ou veulent mettre en doute l'existence des changements climatiques, ils n'osent pas nier ouvertement leur existence, car, à l'évidence, les changements climatiques sont en train de se produire. Les négateurs nuisent encore au débat en soutenant que les changements climatiques sont attribuables aux activités des taches solaires, à un autre type de dioxyde de carbone et qu'on ne peut pas faire grand-chose pour contrer cela, car ce sont des cycles naturels. Bref, vous avez entendu tous leurs arguments.

Si les changements climatiques sont bel et bien la conséquence de cycles naturels, nous sommes vraiment dans le pétrin. Si nous ne causons pas les changements climatiques, nous ne pouvons rien faire pour les empêcher. D'une certaine façon, espérons seulement que nous agirons de façon responsable devant les conséquences des changements climatiques. Nous aurons alors au moins la possibilité de corriger le problème.

L'un des arguments que ces personnes invoquent se trouve dans votre graphique montrant le récent réchauffement dans l'Arctique et la période chaude médiévale. Ces gens font parfois valoir qu'il y a eu un réchauffement à cette époque, malgré l'absence d'émissions de dioxyde de carbone, alors ils se demandent ce qui a causé cela. On parle ici d'un phénomène qui est survenu non pas il y a 150 000 ans, mais il y a seulement 1 000 ans. Que répondez-vous à cette question? Pourquoi semble-t-il y avoir eu une hausse soudaine de la température?

M. Stone : Il y a deux ou trois raisons à cela. Si vous regardez attentivement le graphique et les températures observées il y a 100 ans...

Le président : S'agit-il du graphique intitulé « Réchauffement récent dans l'Arctique », qui correspond à la page 7 de votre exposé?

M. Stone : Oui. Si vous regardez les températures observées il y a 100 ans, elles n'étaient pas plus élevées que celles des quelque 2 000 dernières années. C'est au cours des 100 dernières années que les températures ont dépassé les plages de températures qui ont été observées au cours des 2 000 dernières années ou plus.

Le climat varie naturellement au cours de différentes périodes de temps — années, décennies, siècles ou périodes encore plus longues. Ça, nous le savons. La plupart des variations de longue durée sont provoquées par l'orbite de la Terre autour du Soleil. Elles se mesurent habituellement en milliers ou en dizaines de milliers d'années. Nous avons constaté qu'il y a un réchauffement qui s'est produit au cours des 100 ou 150 dernières années à un rythme beaucoup plus rapide que ce qui a été observé par le passé. Par conséquent, nous atteignons des niveaux qui ne se sont jamais vus au cours des 2 000 dernières années ou plus.

Toutefois, nous ne pouvons pas expliquer de façon précise une grande partie de cette variabilité naturelle, entre autres parce que le système climatique, qui est complexe, a toutes sortes de réactions. Il peut engendrer des interférences. Des phénomènes comme la période chaude médiévale font partie de cette variabilité naturelle. Cette variabilité naturelle influe également sur la hausse des températures qui découle des activités humaines.

Par exemple, les négateurs soutiennent que les températures n'ont pas beaucoup augmenté au cours des 10 dernières années. C'est vrai, quoique les températures enregistrées au cours des 10 dernières années sont parmi les plus élevées que nous ayons observées depuis un millier d'années. Tout cela fait partie de la variabilité naturelle du climat.

Il y a eu des périodes dans les années 1940 où on a enregistré une légère baisse des températures. Il arrive qu'une variation naturelle donne lieu à une diminution des températures qui annule la hausse provoquée par les activités humaines, de sorte que le climat atteint un plateau. Toutefois, à d'autres périodes, une variation naturelle entraînera une hausse des températures. Cette hausse, ajoutée à la hausse causée par les activités humaines, occasionne une augmentation beaucoup plus marquée des températures. On doit tenir compte de ces deux tendances. J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Mitchell : De nombreux écrits abordent la question du coût de la lutte contre les changements climatiques. Dans le journal ce matin, l'article qui portait sur une étude était encourageant, car il semble que, dans l'ensemble, la lutte contre les changements climatiques ne coûtera pas très cher à l'économie. Savez-vous s'il existe des études crédibles qui examinent le coût de l'inaction face aux changements climatiques?

M. Stone : Oui; dans son rapport d'évaluation, le GIEC a tenté d'évaluer le coût. Nicholas Stern s'est également penché sur cet aspect dans son rapport. Le coût augmentera à mesure que s'intensifieront les changements climatiques. Certaines conséquences pourraient être irréversibles, par exemple la disparition de certaines espèces en raison de la hausse continuelle des émissions et des concentrations.

Le président : À quelles espèces faites-vous allusion?

M. Stone : Jusqu'à maintenant, des espèces d'amphibiens ont disparu. Je n'ai pas l'intention de me prononcer sur la question de savoir si les humains disparaîtront; cela pourrait soulever des railleries, quoiqu'il s'agisse d'une éventualité très grave. Toutes les études que j'ai lues — et Nicholas Stern insiste sur ce point — donnent à penser que nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas agir et que le coût associé aux conséquences sera très probablement supérieur au coût de la lutte contre les changements climatiques.

Le sénateur Lang : Je ne crois pas que je souscris entièrement à la déclaration de mon bon ami le sénateur de l'Alberta selon laquelle nous serons en mesure de régler tous les problèmes découlant des changements climatiques. Monsieur Stone, vous avez parlé de la variabilité naturelle et du fait que, même sans l'intervention humaine, des changements climatiques se produisent naturellement. Je conviens que les activités humaines qui génèrent des émissions de CO2 ou notre inaction à l'égard des changements climatiques accentuent considérablement ces changements.

Les Canadiens comparent nos émissions à celles des autres pays. Il y a deux ou trois semaines, on a annoncé que le nombre de véhicules vendus en Chine en un seul mois avait grimpé de 78 p. 100. J'ignore combien il y a de véhicules en Chine, mais les émissions qu'ils produisent contribuent grandement à l'augmentation des taux de CO2 même dans ce seul mois. Je suis préoccupé par cette annonce. On se demande ce qu'on peut faire et ce que le reste du monde peut faire pour résoudre ce problème.

Les résultats de vos recherches révèlent qu'il y a un problème majeur et que nous l'aggravons. Existe-t-il un modèle économique qui montre quelles seront les répercussions sur l'économie générale si nous atteignons les objectifs visant à réduire les émissions de 20 ou de 30 p. 100?

Je pense ici à M. Tout-le-monde. Aura-t-il encore un emploi? Assisterons-nous à une hausse marquée du taux de chômage? Il est bien que nous soyons ici et que nous tenions cette discussion, mais, au bout du compte, quelle sera l'incidence de la réalisation de ces objectifs sur les hommes et les femmes qui tentent de gagner leur vie? De façon générale, comment la réalisation de ces objectifs de réduction des émissions changera-t-elle nos vies?

M. Stone : Je tiens d'abord à souligner que les changements climatiques sont un problème mondial, car les gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone, restent dans l'atmosphère de 100 à 1 000 ans. Pendant cette période, ils se mélangent bien, alors la source d'émissions n'a aucune importance. Puisqu'il s'agit d'un problème mondial, il faut trouver une solution mondiale. Tous les pays doivent agir.

Les pays en développement continuent d'invoquer l'argument des responsabilités historiques, car le dioxyde de carbone qui a été émis par les pays industrialisés par le passé se trouve encore dans l'atmosphère et est la cause d'une grande partie des changements climatiques qui se sont produits jusqu'à maintenant ainsi que de certains des changements climatiques qui commencent à se faire sentir. Les pays en développement soutiennent que les pays industrialisés ont la responsabilité historique de faire preuve de leadership et de prendre l'initiative de réduire les émissions. Essentiellement, leur argument a été accepté à l'échelle internationale, et c'est pourquoi, dans le cadre du Protocole de Kyoto, seuls les pays industrialisés membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, se sont fixé des objectifs quantifiés de réduction des émissions.

La Chine produit beaucoup d'émissions. Vous avez tout à fait raison. L'économie de la Chine a connu une expansion remarquable au cours des 10 dernières années, et elle continue sa croissance, ce qui a pour effet d'élargir sa classe moyenne. Les gens de la classe moyenne commencent à conduire des automobiles et à consommer beaucoup plus de viande. Par conséquent, les émissions de la Chine augmentent et équivalent maintenant à celles des États-Unis, auparavant le plus grand émetteur du monde. Je constate que la Chine prend ce problème très au sérieux. Lorsque j'étais membre du bureau du GIEC, le vice-président de l'un des groupes de travail était le chef du service de météorologie de la Chine. Il était un éminent spécialiste de l'Arctique et de l'Antarctique qui comprenait très bien la menace des changements climatiques. Il occupait un poste ministériel et était une autorité scientifique aux yeux de la population chinoise.

La Chine a constaté quels pouvaient être les effets secondaires de sa consommation d'énergie, car la mauvaise qualité de l'air cause des problèmes de santé. Si vous êtes allé en périphérie de Beijing ou à Beijing, vous savez de quoi je parle. La Chine a également constaté que les changements climatiques avaient une incidence sur ses sources d'approvisionnement en eau. Le gouvernement chinois a déclaré que les changements climatiques devaient être pris au sérieux, et il a commencé à prendre des mesures. À l'occasion du Sommet sur les changements climatiques organisé par le Secrétaire général des Nations Unies il y a deux ou trois semaines, le président chinois a pris des engagements fermes au nom de la Chine. La Chine a accompli des choses extraordinaires. Par exemple, j'ai été surpris d'apprendre que la Chine se classe au deuxième rang des principaux producteurs et consommateurs de panneaux solaires. Nous aurions pu mettre au point cette technologie au Canada. Si je veux installer un panneau solaire sur mon toit, je ne veux pas aller au Walmart en acheter un qui a été fabriqué en Chine, alors qu'il aurait pu être fabriqué au Canada.

Le Canada doit jouer un rôle sur le plan international; tous les pays ont un rôle à jouer, particulièrement ceux qui produisent beaucoup d'émissions. Je crois que, si nous intervenons de façon intelligente, nous n'allons pas faire s'écrouler l'économie ni l'emploi.

On peut envisager une économie canadienne restructurée, de nouvelles technologies et des modes de vie différents — un pays qui n'est pas plus pauvre, juste différent. Des débouchés industriels s'offrent à nous qui pourraient amener M. Tout-le-monde à exercer un emploi différent, à se servir de ses compétences, mais dans un emploi différent. Il existe des possibilités, et, si nous n'en profitons pas, le Canada pourrait se retrouver du côté de ceux qui seront jugés par l'histoire.

Le sénateur Lang : Je ne m'oppose pas à ce que vous venez de dire, du moins en partie, mais je reviens toujours à la question de savoir où nous en sommes rendus au Canada et comment l'économie évoluera dans les 10 ou 20 prochaines années, car nous devons faire en sorte de maintenir un certain niveau de vie et une économie qui évolue de concert avec le reste du monde.

Je sais que la Chine prend cette question au sérieux, mais qu'en est-il de l'effet de rebond? Il est vrai que, en Chine, on construit des centrales au charbon à la fine pointe de la technologie pour subvenir aux besoins en énergie. Je crois savoir que, chaque semaine, une nouvelle centrale entre en activité. Le fait est que, soudainement, il y a 30 centrales au charbon plutôt que deux, de sorte qu'il y a une augmentation marquée des émissions de CO2, même si on utilise des technologies de pointe. Comment pouvons-nous régler la question de l'effet de rebond? On met en place des programmes d'efficacité énergétique et d'autres initiatives et on utilise les nouvelles technologies, mais on consomme quatre fois plus d'énergie et on double les émissions de CO2. Comment pouvons-nous remédier à cette situation?

M. Stone : J'ai seulement lu les articles de journaux qui portaient sur l'étude menée par l'Institut Pembina et la Fondation David Suzuki. Selon l'une des conclusions, même en atteignant certaines des cibles particulièrement contraignantes, le Canada poursuivra sa croissance et les taux d'emploi continueront à être élevés. L'économie sera différente, mais elle ne s'en ressentira pas nécessairement, et le taux de chômage n'augmentera pas nécessairement. Certains des gains les plus importants sont liés à l'efficacité énergétique, qui nous permet de réaliser des économies. J'ai déjà réalisé des économies importantes sur ma facture d'électricité, et de grandes sociétés, comme British Petroleum, ont fait des économies énormes, ce qui a entraîné une augmentation considérable de la valeur de ces sociétés.

À mon avis, nous entrons dans une nouvelle ère, une ère où le carbone aura un prix. Nous nous dirigeons vers une ère qu'on pourrait qualifier de révolution du carbone. Les pays qui en sortiront gagnants sont ceux qui prennent cette révolution au sérieux et commencent à transformer leur économie en fonction de cette nouvelle réalité afin qu'elles donnent naissance à des technologies et à des industries de l'avenir, et non pas du passé. Il est possible de mettre au point ces technologies et ces industries. Il faut seulement faire preuve d'intelligence. Plus nous attendons, plus nous raterons d'occasions, malheureusement.

Le président : Sénateur Lang, il nous reste une heure, et notre liste est longue. Avant de donner la parole au sénateur Merchant, j'observe — un peu pince-sans-rire — que, même si j'ai expliqué au témoin avant la séance que notre comité n'est pas partisan et que nous en sommes fiers, nous sommes aussi des Canadiens fiers et nationalistes. Pour cette raison, lorsque vous avez parlé de Maggie Thatcher, je me suis rappelé ses nombreux entretiens avec le premier ministre Mulroney, notre premier ministre le plus écologique. Les deux ont joué un grand rôle dans la conférence de Rio.

Cela dit, je donne la parole au sénateur Merchant.

Le sénateur Merchant : Merci beaucoup, monsieur Stone. Je viens de la Saskatchewan, où nous sommes extrêmement intéressés par cette question. Vous avez dit qu'il s'agissait aussi d'une question morale. À mon avis, cela signifie que chacun de nous, chaque Canadien, doit s'engager. Il y a quelques années, lorsque je siégeais au comité, nous travaillions sur un projet appelé le Défi d'une tonne. Je crois que vous avez dit que nous produisions quatre tonnes de CO2 par personne?

M. Stone : J'ai dit que, si nous voulons honorer notre engagement sous Kyoto, nous devons réduire les émissions de dix tonnes par Canadien.

Le président : D'ici quand?

M. Stone : 2010.

Le sénateur Merchant : Comment rallieriez-vous les Canadiens? Il faut regarder nos actions quotidiennes. Vous avez déclaré avoir apporté des changements qui vous ont permis de faire des économies. Comment convainquons-nous tout le monde de faire sa part à cet égard?

M. Stone : C'est le cœur de la question. Je l'ignore. Je suis toujours ébahi devant la capacité de l'humanité de nier la réalité, en dépit des faits qui lui sont clairement exposés. Vous avez tout à fait raison. Si nous voulons nous attaquer à ce problème, tous les Canadiens, tous les secteurs de notre économie et tous les ordres de gouvernement devront déployer des efforts.

Grâce à la science, on a réussi à convaincre les gouvernements de l'importance stratégique de cette question. On a réussi à sensibiliser la population. Vous pouvez parler à bien des gens et leur demander s'ils ont entendu parler des changements climatiques et du réchauffement climatique, et ils auront une certaine idée de ce dont vous parlez. Toutefois, ils s'en laveront ensuite les mains et nieront cette réalité. Dans une certaine mesure, on peut voir ce qui arrive et on peut comprendre. Sur la plupart du territoire canadien, à l'heure actuelle, les impacts sont négligeables, mais ce n'est pas le cas si vous vivez dans le Nord et vous voyez la glace de l'océan Arctique fondre plus rapidement que même nos modèles l'avaient prévu et que ce phénomène a un impact sur les moyens de subsistance des gens du Nord et, certes, sur la faune.

C'est un problème insidieux. Il nous prend par surprise. Grâce à la science, nous pouvons maintenant prévoir ce problème. Il n'en a pas toujours été ainsi lorsque nous avons fait face à des crises par le passé. Nous avons maintenant la science qui nous permet de voir dans l'avenir, non pas de le prévoir avec exactitude, mais de savoir qu'il y a un danger.

Comment convaincre l'ensemble des Canadiens de faire quelque chose lorsque cela suppose qu'ils changent leur mode de vie? Il y a plusieurs choses. Cela dépend de la façon dont vous présentez le problème. Si vous le présentez tout simplement comme un problème environnemental, la mobilisation, comme nous l'avons vu, sera limitée. Si vous le présentez comme un problème qui touche à la fois la technologie, la sécurité énergétique, le mode de vie, la santé, la sécurité alimentaire, l'accès à l'eau et tout le reste, alors je crois que la mobilisation sera plus importante, à condition que vous puissiez l'expliquer de cette façon, et je crois que c'est possible. Chaque fois que vous présenterez la chose sous un autre angle, le consensus augmentera.

C'est aussi une question d'imagination. Dans un numéro spécial de l'Economist paru en juin dernier, le premier article contenait une phrase que je répète à mes étudiants : l'un des plus grands obstacles à la lutte contre le changement climatique est le manque d'imagination.

Je vous donne un exemple. Parfois, lorsque je parle des changements climatiques, un étudiant me dira : « Je suis convaincu, mais je n'ai pas envie de changer mon mode de vie. » Je dois me retenir, car le mode de vie de mes étudiants est différent du mien à leur âge. Mon mode de vie était tout aussi amusant et satisfaisant. Il était tout simplement différent. Qui dit qu'ils ne peuvent pas adopter un mode de vie différent de leur mode de vie actuel qui serait tout aussi amusant et satisfaisant? D'où vient le mode de vie d'aujourd'hui? Ils ne l'ont pas inventé; ils ont été convaincus de l'adopter par leurs pairs et par ce qu'ils voient à la télévision et dans les boutiques. Ainsi, ils doivent prendre les devants. Qui de mieux placé pour le faire que les jeunes?

C'est une partie de la réponse.

Le sénateur Merchant : Je n'ai peut-être pas beaucoup d'imagination. Selon nos lectures, il est peut-être possible de refléter cette chaleur pour qu'elle retourne dans l'atmosphère. Peut-être que certaines des mesures prises par le secteur industriel ne sont pas les seules solutions. Des provinces comme la Saskatchewan n'ont pas encore vraiment exploité leurs ressources. Nous nous sommes retenus pendant de nombreuses années. Nous gardions nos ressources et nous jetions sur l'Alberta un regard critique. Nous avons maintenant changé, et nous voulons exploiter nos ressources. Nous envisageons cela comme n'étant peut-être pas la seule solution.

Peut-on faire d'autres choses pour aider, au-delà de ce qu'on impose à des provinces comme la Saskatchewan, par exemple?

M. Stone : La question que vous avez soulevée se rattache en partie à ce que certains appellent la « géoingénierie » — injecter des aérosols dans l'atmosphère. Il faut faire attention, car nous ignorons les conséquences. C'est une façon d'éviter de s'attaquer à la cause première du problème. Nous devrions examiner ces propositions en profondeur, afin que nous puissions prendre des décisions éclairées.

La Saskatchewan est une province riche en ressources — des ressources dont nous continuerons à avoir besoin. Comme l'a déclaré le ministre saoudien du Pétrole et des Ressources minérales : « L'âge de la pierre ne s'est pas terminé sur une pénurie de pierres. » Nous continuerons à avoir besoin de grandes quantités de vos ressources.

Votre mode de vie futur sera en grande partie le fruit de différentes technologies — certaines sont déjà à notre disposition, et nous devons nous en remettre à notre imagination pour les autres. La mise au point de ces technologies exige d'importants investissements dans la recherche dans tous les secteurs, partout dans le monde.

La Saskatchewan possède de bonnes universités. On a introduit le premier projet pilote qui consiste à capter le dioxyde de carbone et à l'entreposer sous terre. Si nous sommes les premiers à mettre au point ces nouvelles technologies, le monde entier se précipitera à nos portes.

Nous pouvons nous tourner vers ce genre de choses.

Le président : Vous avez réussi à faire en sorte que notre gentil témoin mentionne Weyburn sans même le lui avoir suggéré explicitement.

Le sénateur Sibbeston : Je viens du Nord du Canada, où il fait froid et...

Le président : Moins froid.

Le sénateur Sibbeston : Il fait encore froid. Je vis à Fort Simpson, et il y a de la neige au sol. Il y a beaucoup de neige dans l'Arctique; il fait froid dans le Nord. En général, les Inuits disent aimer le froid. Nous n'aimons pas le réchauffement climatique; toutes les variations météorologiques et ce genre de choses.

Lorsque je vais dans le Nord, je demande aux gens s'ils ont remarqué des changements liés au réchauffement climatique. Ils répondent par l'affirmative, car le temps est imprévisible en hiver — il y a des redoux inhabituels — et la glace fond plus rapidement au printemps. Il y a des indices qui ne laissent aucun doute.

J'ai au la chance, cet été, de me rendre de la baie Resolute à Coppermine à bord d'un brise-glace. C'était une expérience fantastique. Les scientifiques qui menaient les études à bord ont confirmé le fait qu'il y a moins de glace et plus d'eaux libres et que la couche de glace s'amincit. Des satellites sont utilisés pour observer la situation dans l'Arctique. La NASA, en Californie, peut observer l'état des glaces dans le Nord. Il y a assurément moins de glace.

Cela me rappelle les premiers missionnaires — les Catholiques et les Anglicans — qui sont allés dans le Nord. Ils ont commencé à parler du paradis et de l'enfer aux gens. Si on était méchant, on se retrouverait en enfer. L'enfer était décrit comme un endroit où brûlait un grand feu. Les gens ont commencé à penser que ce n'était peut-être pas si mal. Ils luttent constamment contre le froid. Ils cherchent la chaleur.

Le Nord est composé de glace et de neige. Une grande quantité de glace recouvre les océans, et les terres sont surtout constituées de roc et de pergélisol. Il y aura certainement des changements. Ce n'est pas comme si le Nord allait devenir un endroit où l'on peut cultiver la terre, comme dans les Prairies.

Quels changements surviendront probablement dans le Nord à cause du réchauffement climatique? Y aura-t-il des avantages, comme d'éventuels redoux qui feront en sorte qu'on sera plus à l'aise et qu'on aura moins froid?

M. Stone : Lorsqu'on me questionne au sujet des impacts des changements climatiques au Canada, je réponds que deux choses me préoccupent plus que les autres. Ma première crainte concerne l'Arctique, et ma deuxième se rattache à l'eau, surtout dans les Prairies.

Pour ce qui est de l'Arctique, vous avez mentionné la régression des glaces de mer. Il a fallu attendre l'ère du satellite pour obtenir un portrait exhaustif. La couverture glaciaire a rétréci durant cette période, soit depuis le milieu des années 1970. L'ampleur des changements dépasse toutes les attentes fondées sur ce qu'on avait vu avant 2007. La glace ne s'est jamais vraiment reformée.

La régression est plus importante que ce que nous avaient laissé prévoir nos modèles. Il y a lieu de croire que l'Arctique pourrait commencer à voir des étés sans glace au cours des prochaines décennies. Vous comprenez bien les conséquences de cette éventualité pour les personnes qui vivent dans le Nord : leur mode de vie traditionnel sur le territoire, leurs façons de se déplacer et leur environnement seraient touchés. Par exemple, les phoques et les ours polaires dépendent des glaces de mer pour chasser et se reproduire.

Quelles sont les répercussions probables? Nous en voyons déjà à l'heure actuelle. Aux yeux des habitants de l'Arctique, les changements climatiques ont déjà atteint un niveau dangereux. Et les conséquences ne se rapportent pas seulement aux glaces de mer. Vous avez parlé du pergélisol. Une bonne partie de l'infrastructure du Nord est établie sur de la boue gelée, le pergélisol. Il est en train de se réchauffer et de fondre. Les aéroports, les routes, les maisons et bien d'autres éléments de l'infrastructure sont touchés.

Nous pouvons nous attendre à des cycles de gel et dégel plus prononcés, ce qui, encore une fois, nuira à l'infrastructure. Nous verrons plus de neige que par le passé. Les immeubles et autres structures supporteront difficilement le poids de la neige et de la glace.

Y-a-t-il des avantages? Oui, dans une certaine mesure. Peut-être que certains verront une diminution du montant de leur facture de chauffage, mais il fera encore froid. Les gens auront toujours besoin de chauffage. Nous observerons des changements dans les écosystèmes, dans une certaine mesure. Nous avons vu des changements, comme la disparition des mousses au profit d'herbes, et ce genre de choses.

Il n'y aura jamais d'exploitation agricole sur le Bouclier canadien, car il est dominé par le roc et dépourvu de terre. Il y aura peut-être des améliorations sur le plan de la santé en raison du réchauffement. Toutefois, avec la montée du mercure arrivent les moustiques, du jamais vu dans l'Arctique. Il y a des avantages, mais je crois que, tout compte fait, les répercussions seront probablement surtout négatives.

J'aborderai le sujet de l'eau lorsque quelqu'un me posera la question.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Stone, il y a plusieurs semaines, le sénateur Sibbeston m'a posé une question très intéressante qui trotte peut-être dans l'esprit de bien des Canadiens : à quoi ressemble une tonne d'émissions? On m'a déjà dit que le volume remplirait une maison de banlieue à deux étages ordinaire. Le sénateur Sibbeston m'a demandé quelle serait la différence avec un tas de pierres qui fait une tonne. Ce sont deux concepts entièrement différents. Les gens ignorent ce qu'est une tonne de carbone. Pouvez-vous nous éclairer à ce chapitre?

M. Stone : Je suis désolé, mais je ne pourrai pas vous éclairer beaucoup, car je ne connais pas ces chiffres par cœur. Toutefois, je peux dire que, en moyenne, les Nord-Américains utilisent deux fois plus d'énergie et, par conséquent, produisent deux fois plus d'émissions que la moyenne des Européens. Ce ratio est d'environ dix pour un par rapport aux Indiens. Nous sommes de gros consommateurs d'énergie. Je ne peux pas répondre directement à la question, mais je devrais trouver cette information, car il faut que je la retienne.

Le président : C'est un concept.

Le sénateur Brown : Si on stockait une tonne d'émissions de carbone dans un conteneur sans y appliquer de pression, elle occuperait beaucoup de place. Si on emprisonnait le carbone dans un contenant étanche et que l'on appliquait mille livres de pression, on pourrait entreposer plusieurs tonnes d'émissions de carbone, car il s'agit d'un gaz.

Monsieur Stone, savez-vous où on enregistre la plupart des températures en Amérique du Nord pour tirer la conclusion selon laquelle il y a eu une augmentation de températures de huit dixièmes de degré au cours des 10 ou 20 dernières années? Je me reporte au tableau de votre présentation intitulé « Températures à la hausse ». Savez-vous où sont situés la plupart des appareils d'enregistrement de la température?

M. Stone : Oui, la plupart des données proviennent des milliers de stations météorologiques dispersées en Amérique du Nord, bien qu'elles soient peu nombreuses à être situées dans l'Arctique, pour des raisons évidentes. Le Service météorologique du Canada et l'Administration océanique et atmosphérique des États-Unis possèdent des données étendues qui remontent loin. Les données sont utilisées pour établir les moyennes que je vous ai présentées.

Le sénateur Brown : Je tiens à souligner que, selon l'Institut Heartland de Chicago, les enregistrements les plus fiables ont été pris aux États-Unis. On a répertorié tous les endroits où étaient situés les indicateurs de température et ont pris des photos infrarouges de l'emplacement. Je ne les ai pas entre les mains, mais je peux les transmettre au comité à n'importe quel moment, puisqu'elles sont dans mon bureau. J'ignorais qu'on allait aborder ce sujet ce matin.

Les indicateurs de température doivent être isolés de toute autre influence, et environ 87 p. 100 sont situés — selon les images infrarouges — à proximité d'éléments qui pourraient fausser les relevés, comme des sorties d'air d'immeubles ou des surfaces qui réfléchissent les rayons du soleil, entre autres. Cette information provient de l'Institut Heartland, qui n'est pas un négateur.

Je tiens aussi à souligner que « négateur » se rattache non pas à un groupe de personnes, mais au titre d'un livre, The Deniers, par Lawrence Solomon. Au début de chaque chapitre du livre figurent le nom et le curriculum vitæ du scientifique afin d'indiquer les diplômes qu'il détient et de préciser si, par exemple, il travaille sur le dossier des changements climatiques depuis 40 ou 50 ans et quelles sont ses conclusions. Un bon nombre d'entre eux ont soulevé la question des effets de l'activité humaine sur le climat.

Le président : Avez-vous une question ou rédigez-vous un chapitre pour le livre?

Le sénateur Brown : Tout d'abord, pourquoi les graphiques sont-ils aménagés de façon à montrer des changements radicaux à tous les égards? Pourtant, si je calcule la variation des chiffres de 1860 à 2000, je n'arrive qu'à 0,8 degré. Si je regarde l'autre côté du graphique et que je calcule la variation de la température moyenne, qui est passée de 13,2 degrés Celsius à 14,4 degrés Celsius, j'arrive toujours à 0,8 degré Celsius. Cette variation, sur une période de 150 ans, semble modeste. Fondons-nous nos conclusions scientifiques — selon lesquelles nous faisons face au réchauffement climatique — sur cette variation de 0,8 degré Celsius?

M. Stone : Non, je qualifie les changements climatiques de danger à cause de ce que nous avons fait pour changer la composition de l'atmosphère, surtout en utilisant des combustibles fossiles. Nous avons augmenté les concentrations dans l'atmosphère d'environ 40 p. 100 depuis le début de la Révolution industrielle, pour atteindre 390 parties par million. Cette concentration est la plus élevée enregistrée depuis près de un million d'années.

Le dioxyde de carbone, par exemple, est un gaz à effet de serre. Nous savons depuis 200 ans, selon des principes bien établis de la physique, que les gaz à effet de serre influent sur le climat. Si ce n'était des gaz à effet de serre, il ferait beaucoup plus froid sur notre planète. Selon de simples principes de physique, nous savons que l'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère influera sur le climat. Pour savoir comment, où et quand surviendront ces changements et déterminer quelles seront les répercussions, nous devons nous fier à des modèles. Je ne peux pas vous dire que les modèles seront parfaitement exacts. Toutefois, je peux vous dire que, grâce à la science, nous savons que les changements climatiques apporteront des transformations sans précédent en raison du changement dans la composition de l'atmosphère. Je suis d'avis que le changement en question constitue une menace.

Vous pouvez essayer de contextualiser ces données selon les changements que nous avons observés jusqu'à aujourd'hui, comme le réchauffement de 0,7 degré Celsius sur les quelque 150 dernières années. Le changement ne s'est pas fait graduellement, et les augmentations de température n'ont réellement eu lieu qu'au cours des 50 dernières années, comme le montre le graphique, et elles sont devenues une source d'inquiétude. La crainte ou le danger associé aux changements climatiques tient davantage à ce qui pourrait arriver qu'à ce qui s'est déjà produit.

Le sénateur Brown : J'aimerais soulever un point. Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur Stone, mais je crois que nous devrions nous attacher à la pollution. Le carbone dont nous parlons provient d'un grand nombre d'automobiles et de la production d'électricité au moyen de centrales au charbon. Les plus grands pollueurs au monde sont les centrales au charbon situées en Chine et aux États-Unis. Au cours des 40 dernières années, j'ai observé les ravages de la pollution à Los Angeles. La situation s'était aggravée à un point tel que les gens ne pouvaient plus lire le panneau d'arrêt qui se trouvait de l'autre côté de la rue par une journée ensoleillée. J'ai vu les effets de la pollution à Las Vegas; le seul immeuble qu'on pouvait voir alors était la tour du Stratosphere. Le jeu est la seule industrie à Las Vegas, alors c'est forcément l'automobile qui est à la source de cette pollution. La pollution provenant de la combustion du charbon est à l'origine d'une grande partie des problèmes de climat dans beaucoup de grandes villes. La ville la plus proche de mon domicile est Calgary, et chaque fois qu'il y a une inversion de température, nous apercevons un voile, qui ressemble à du gaz moutarde, recouvrir la ville. Ensuite, le vent souffle, et ce voile se retrouve 30 ou 40 milles plus loin.

Le président : Sénateur Brown, je vous rappelle que vous assistez à toutes nos réunions — et vous pouvez même venir témoigner si vous voulez —, mais maintenant, nous questionnons M. Stone. Il ne nous reste qu'une demi-heure. Si vous avez une question, veuillez la poser. Il y a encore cinq sénateurs sur ma liste.

Le sénateur Brown : Ne croyez-vous pas que la façon d'aborder cet enjeu et d'amener les gens à y réfléchir sérieusement consiste à insister non pas sur la température qui monte, mais sur le fait que nous polluons la planète? Nous sommes une société de consommation, et nous nous débarrassons constamment de choses qui pourraient encore être utiles. Il faut axer nos efforts sur la réduction de la consommation. Nous devons pointer du doigt les gens qui consomment et leur en faire payer le prix, plutôt que de nous préoccuper d'un éventuel réchauffement climatique. Un scientifique allemand qui a contribué aux travaux de votre organisme, le GIEC, affirme maintenant que nous avons entamé une période de refroidissement qui durera encore 20 ou 30 ans. Selon moi, nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre 20 ou 30 ans avant de réduire la pollution.

M. Stone : Lorsque les gens pensent à la pollution, ils pensent à la détérioration de l'environnement d'une façon ou d'une autre, l'empoisonnement de l'environnement, comme à l'époque où les gens considéraient la pluie acide comme un polluant, car elle nuisait aux arbres et à leur croissance. Les gens considèrent que le mercure est un polluant, car il mine le fonctionnement du cerveau et d'autres choses comme ça. Il est difficile de voir le CO2 comme un polluant au même titre que le mercure parce que, en premier lieu, il ne nuit pas nécessairement à l'environnement. Ce sont les effets du CO2 sur le climat qui sont à l'origine des répercussions.

Je suis d'accord avec vous. On ne devrait pas s'attacher à la température. Comme je l'ai mentionné plus tôt — et je crois que je vais saisir l'occasion pour expliquer cette idée — il y aura des problèmes liés à l'eau. Les lieux arides s'assècheront davantage, et l'humidité augmentera dans les lieux déjà humides. Ce changement aura des répercussions énormes sur des endroits comme l'Afrique, mais ces répercussions seront probablement énormes aussi dans l'Ouest, dans les Prairies. Comme vous le savez, la saison de végétation dans les Prairies dépend en grande partie de l'apport des rivières en provenance des Rocheuses pendant l'été. Dans l'avenir, à cause des changements climatiques, une grande partie des précipitations tombera non plus sous forme de neige, mais de pluie. L'accumulation annuelle de neige qui doit fondre l'été pour assurer l'approvisionnement en eau se volatilisera. Bon nombre de glaciers rétrécissent. La rivière ne s'écoulera plus des Rocheuses pour contribuer à la production agricole des Prairies comme elle le faisait auparavant. L'accès à l'eau peut s'avérer un enjeu particulièrement important pour les Prairies. Nous verrons les températures grimper, alors l'évaporation augmentera durant l'été, c'est-à-dire, justement, pendant la période de végétation. Vous avez raison de dire que les changements climatiques ne sont pas juste une question de température et que nous devons aussi examiner les autres facteurs.

Le sénateur Seidman : Merci, monsieur Stone, d'être venu discuter de cette question importante avec nous aujourd'hui. Je vais commencer par parler de vos conclusions. Nous pouvons convenir du fait que la preuve scientifique est effectivement bien établie, comme vous le dites, et que les changements climatiques vont au-delà de simples considérations environnementales. Ils sont aussi liés, entre autres, à l'économie. Vous parlez de changer le mode de vie des Canadiens. Si nous croyons que nous pouvons accomplir quelque chose ici au Canada, alors que nous représentons probablement deux pour cent des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale, croyez-vous que le Canada dispose actuellement des technologies nécessaires pour réduire de façon efficiente et rapide les émissions à un degré correspondant à ce que vous décrivez comme une urgence? Le cas échéant, quelles mesures nous recommandez- vous de prendre presque immédiatement?

M. Stone : Encore une fois, votre question échappe à mes connaissances scientifiques, mais je vais essayer d'y répondre.

Selon une étude menée par le professeur Robert Sokolov, de Princeton, il y a trois ou quatre ans, nous possédons déjà les technologies qui nous permettront de limiter nos émissions aux niveaux actuels jusqu'au milieu du siècle. Le problème, c'est qu'on n'utilise pas ces technologies. On n'y recourt pas autant qu'il faudrait y recourir. Ces technologies nous aideront à améliorer l'efficacité énergétique et produiront de nouvelles sources d'énergie renouvelable, comme l'énergie solaire et éolienne, la biomasse et ce genre de choses. Il faudra encore effectuer des travaux de recherche pour commercialiser certaines de ces technologies. Comme je l'ai déjà dit, la recherche est importante.

Toutefois, nous devons créer un environnement économique propice pour convaincre les sociétés et les gens d'adopter ces technologies. Pour ce faire, il y a différentes façons de procéder. Par exemple, on peut établir des règlements, bien sûr. On peut réglementer le rendement du carburant des voitures, et on peut facilement projeter de doubler l'efficacité du carburant des automobiles. On peut aussi créer cet environnement en attribuant un prix au carbone, car les coûts ont une incidence directe sur les finances des gens. On peut créer cet environnement en établissant une taxe sur le carbone, un plafond sur les émissions de carbone ou quelque chose du genre. Le gouvernement devra faire preuve de leadership pour créer l'environnement qui permettra aux gens d'adopter ces nouvelles technologies et les encouragera à le faire.

Un exemple m'apparaît plutôt simple et pourrait se révéler efficace. Je ne suis pas certain des détails, mais l'idée est la suivante : chaque fois qu'une personne achète ou vend une maison, on doit procéder à une vérification énergétique. Cette idée est simple. La vérification énergétique est une infime partie du coût d'une maison.

Toutefois, la vérification énergétique pourrait avoir un effet multiplicateur énorme. Les gens diront : « Je devrais installer un nouvel appareil de chauffage; je devrais renouveler l'isolation; je pourrais faire installer un panneau solaire sur mon toit. » Ces petites choses peuvent avoir un effet multiplicateur énorme sans ruiner personne ni causer plus de chômage. En fait, elles peuvent entraîner le résultat contraire, si nous le faisons intelligemment.

Le président : C'était une excellente question. Le sénateur Merchant a parlé du « Défi d'une tonne », sujet à la mode il y a trois ou quatre ans. Les Canadiens n'ont pas compris; pourtant, on a produit des centaines de brochures et de dépliants expliquant ce qu'on pouvait faire dans la maison. J'ai donné ces brochures à tous les membres de ma famille étendue à Noël. La veille du jour de l'An, je les ai aperçues dans la corbeille et ça m'a dérangé.

Le sénateur Cowan : Les autres sénateurs et M. Stone ont déjà abordé les questions qui m'intéressaient. Je crois que le sénateur Lang a fait le lien entre la difficulté qu'ont les gens à apprécier la gravité de la situation et, peut-être, le fait que nous n'avons pas fait les progrès que nous jugeons tous nécessaires. Les gens me demandent pourquoi on devrait prendre des mesures au Canada, alors que les pays émergents émettent de plus en plus de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. On a aussi l'impression que les mesures que nous adopterons nuiront à l'économie.

Je crois que les données probantes sont claires — et vous y avait fait allusion — : il y a des débouchés économiques qui s'offrent à nous. Cette idée est à l'origine de la question qu'a posée le sénateur Merchant sur la façon de mobiliser les Canadiens. Vous avez avancé que nous devons élargir la portée de l'enjeu. Si nous présentons les changements climatiques comme un enjeu strictement environnemental, seul un petit segment de la population sera intéressé. Si nous pouvons démontrer que l'enjeu a des répercussions sur le plan de l'énergie, de la sécurité et de l'économie et donne lieu à des débouchés économiques, on captera l'intérêt d'une plus grande quantité de Canadiens.

Je tenais à souligner ces arguments. Je vous invite à apporter des commentaires si vous voulez ajouter quelque chose à ce chapitre. Je suis intéressé par ce que vous avez à dire.

M. Stone : Il y a deux choses. Premièrement, un nombre considérable d'études, dont celles du GIEC et de Nicholas Stern, visaient à estimer l'impact sur l'économie. Tous ces calculs dépendent des hypothèses formulées et de l'interprétation des résultats. Selon les études que j'ai lues, pour atteindre les objectifs en matière de réduction que suggèrent les scientifiques, cela reviendrait essentiellement à perdre l'équivalent d'une année de croissance économique d'ici 2050. Si nous répartissons cette perte sur toute cette période, nous obtenons de 0,1 à 0,2 p. 100 chaque année. La plupart des modèles économiques n'offrent pas ce degré de précision. La plupart donnent à penser que les objectifs en matière de réduction peuvent être atteints de façon économique.

Deuxièmement, selon les tribunes scientifiques dont je lis les études — auxquelles je souscris — dont j'ai fait partie, il est urgent que nous nous attaquions au problème maintenant. Plus nous attendons, plus la tâche sera difficile, risquée et onéreuse. J'ai essayé de montrer, dans certaines des figures que j'ai présentées, que les courbes montent plus rapidement que nous ne l'avions prévu. D'un point de vue purement scientifique, les données probantes donnent à penser qu'il ne nous reste que peu de temps.

Il y a aussi le point de vue de la souveraineté économique. Plus nous attendons avant de prendre des décisions et de promouvoir les technologies, plus il est probable que d'autres le fassent. Il n'était pas nécessaire que le Danemark soit le premier pays à adopter l'énergie éolienne. Au Canada, une division sur l'énergie du Centre national de recherches mettait au point des éoliennes et ce genre de choses dans les années 1970. Nous avons mis fin à ces travaux de recherches depuis. Il n'est pas nécessaire que la Chine soit le deuxième producteur en importance au chapitre des cellules solaires. Cette technologie au silicium était présente au Canada, par l'intermédiaire de Nortel et d'autres.

Si nous ne prenons pas ces mesures et ne préconisons pas ces technologies, d'autres vont le faire. Le Canada pourrait se retrouver du côté de ceux qui seront jugés par l'histoire, comme je l'ai dit.

Le sénateur Cowan : Nous raterons aussi des possibilités fantastiques sur le plan économique.

C'est un leadership politique uni qui nous fait défaut. Les données scientifiques sont claires et sans équivoque. Ce n'est pas que le domaine scientifique ne peut pas en faire plus, mais il a fait sa part. Pour reprendre l'idée du sénateur Merchant, chacun d'entre nous qui participe au processus politique — à tous les échelons, pas seulement à l'échelon fédéral — a la responsabilité de passer à l'action dans ce dossier. C'est peut-être ce leadership qui nous fait défaut.

Le président : Pour faire suite à votre commentaire selon lequel on a manqué le bateau au chapitre de l'énergie éolienne, je vous mentionne que, mardi soir, nous avons reçu six témoins de l'Ocean Renewable Energy Group. Ils nous ont donné des renseignements fascinants sur le potentiel énergétique des vagues, des marées et des rivières. Ils ont parlé du fait que le Canada avait manqué le bateau au chapitre de l'énergie éolienne. Actuellement, il y a des débouchés fantastiques sur le plan économique. Je crois que le sénateur Cowan nous a envoyé une lettre ou un courriel au sujet de ce groupe.

Nous commençons à élargir notre perspective dans le cadre de notre étude des choses que nous pouvons faire au Canada.

Le sénateur Campbell : Merci, monsieur Stone, de nous avoir transmis cette excellente information.

Lorsqu'on parle des négateurs — j'ignore si c'est le bon terme — et des personnes qui produisent ces documents à notre intention, y a-t-il lieu de penser que ces documents font l'objet d'une évaluation par les pairs et d'une comparaison avec les documents des négateurs. Lorsque je lis les propos de gens qui sont d'avis que les changements climatiques ne sont pas une réalité et que les efforts que nous déploierons pour nous y attaquer nuiront à notre mode de vie, j'ai l'impression qu'ils s'attachent à des détails et au « grand mensonge » plutôt qu'aux faits qui peuvent être évalués par des pairs. Je conviens du fait que le scepticisme est sain.

Y a-t-il des raisons de croire que les documents scientifiques ont fait l'objet d'une évaluation par les pairs et d'une comparaison avec les documents des négateurs?

M. Stone : Vous faites allusion aux évaluations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution, le GIEC, que vous avez entre les mains. Dans l'ensemble, ces documents sont fondés sur des articles ouverts et accessibles ayant fait l'objet d'une évaluation par les pairs et provenant des quatre coins du monde — pas seulement de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Le GIEC va encore plus loin. Lorsqu'il rédige ses évaluations, il rassemble les meilleurs et les plus brillants scientifiques du monde. Ils examinent à nouveau les documents ayant fait l'objet d'une évaluation par les pairs et établissent le degré de confiance qu'ils lui accordent. Le document est donc soumis à un deuxième processus d'évaluation par les pairs.

J'ai aussi parlé du fait que l'évaluation fait appel aux gouvernements. Les gouvernements ont l'occasion d'évaluer les rapports, pas seulement la nature des propos, mais aussi leur formulation. Une fois que ces rapports d'évaluation sont rédigés, ils appartiennent non seulement au milieu scientifique, mais aussi aux gouvernements participants. Je crois que ce processus est efficace.

Comme je l'ai laissé entendre, bon nombre de ceux qui nient les changements climatiques hauts et forts ne sont pas actifs dans le milieu de la recherche. En général, ces personnes ne publient pas d'articles évalués par les pairs et n'assistent pas à des conférences scientifiques internationales. Nous avons tenté de les intégrer au processus du GIEC, car certains d'entre eux sont des scientifiques compétents, et il importe d'écouter et de comprendre leur point de vue et leur interprétation des données scientifiques. Nous ne leur tournons pas le dos; s'ils ont publié des articles et ont participé au processus scientifique, ils seront intégrés dans le processus du GIEC.

Le sénateur Campbell : J'ai lu une étude fascinante sur la pollution par les cargos. Selon l'article, les cargos sont parmi les plus grands pollueurs au monde, et certains des pires polluants se trouvent dans nos Grands Lacs parce que tous les navires fonctionnent avec de vieilles technologies, comme l'horrible combustible de soute. Dans votre graphique de l'Institut Pembina, les cargos sont-ils compris dans la catégorie « Autres moyens de transport »? Je vois l'aviation, les vols nationaux, et les camions de fret, mais pas les cargos. Selon l'article que j'ai lu, les cargos créent plus de pollution que n'importe quel moyen de transport terrestre.

M. Stone : Tout d'abord, je crois que les cargos sont effectivement regroupés dans la catégorie des « Autres moyens de transport » de ce graphique. Toutefois, il faut faire attention à la façon d'établir des comparaisons. Se fonde-t-on sur la quantité d'émissions par tonne de marchandises, la quantité d'émissions par personne déplacée ou la quantité d'émissions par kilomètre parcouru? Le combustible de soute utilisé dans les cargos particuliers contient une grande quantité de soufre. Le problème que cela occasionne dans la région des Grands Lacs est probablement aussi grave que les émissions de dioxyde de carbone pour lesquelles ils sont aussi responsables.

Le sénateur Raine : Je trouve le sujet fascinant, et on a posé de bonnes questions. Je vous demande d'aller au graphique de la diapositive intitulée « Les dix années perdues du Canada ». Monsieur Stone, en 1995, notre courbe ascendante a changé d'angle, ce qui est bien. Nous voulons continuer à nous améliorer. Qu'a fait le Canada en 1997 pour réduire son taux de croissance?

M. Stone : Je suis désolé; je ne peux pas répondre à la question parce que je l'ignore.

Le sénateur Raine : La baisse est considérable. Nous avons probablement fait quelque chose. Si vous regardez le graphique, vous constaterez que la pente ascendante s'interrompt.

M. Stone : C'est comme lorsqu'on lit des relevés météorologiques. On ne devrait pas trop s'attacher à un seul point, car il importe d'observer la tendance générale.

Je peux vous raconter quelques histoires pour illustrer ce que vous essayez peut-être d'avancer. En 1970, il y a eu une crise de l'énergie, comme vous vous en rappelez peut-être. À l'époque, on voyait l'industrie automobile japonaise faire une percée importante sur le marché nord-américain. Le rendement énergétique s'est alors beaucoup amélioré, et le taux d'émissions a baissé. Les choses sont restées ainsi pour un bon moment, jusqu'à il y a environ dix ans, au moment où nous avons commencé à posséder un plus grand nombre de véhicules, de véhicules plus gros et plus lourds comme des fourgonnettes, des véhicules utilitaires sports et des camionnettes; le taux d'émissions a alors recommencé à grimper. C'est seulement pour démontrer qu'il est possible, grâce à la technologie, de réduire les émissions.

Le cas du réfrigérateur ménager est aussi intéressant. Au cours des 20 ou 30 dernières années, le rendement énergétique de la plupart des réfrigérateurs ménagers a augmenté environ du triple. Leur coût a aussi chuté environ du triple, bien que leur taille ait augmenté environ du triple. Si on ne fait pas preuve de sagesse en utilisant ces technologies, on peut obtenir les mauvais résultats au bout du compte.

Il faut prendre garde lorsqu'on interprète les variations qu'illustre le graphique. Je ne suis pas certain qu'il soit possible de démontrer la cause et l'effet de ce que nous avons fait et d'expliquer pourquoi le taux d'émissions a changé.

Le sénateur Raine : C'est tout à fait raisonnable.

J'ai remarqué que la taille de nos familles rapetisse avec les générations, tandis que nous achetons des maisons de plus en plus grandes que nous remplissons d'une quantité croissante d'articles fabriqués en Chine. J'ai récemment fait construire une maison géothermique, et je trouve ça plutôt bien.

J'ai entendu dire que les serveurs Internet consomment beaucoup d'électricité. Notre utilisation accrue des ordinateurs au quotidien est-elle à l'origine d'une augmentation de la production de CO2 par ces serveurs?

M. Stone : J'ai aussi vu des chiffres qui donnent à penser que c'est le cas. Toutefois, on mettra au point des technologies permettant de rendre ces ordinateurs moins énergivores. Comme vous le savez, les capacités et les coûts en informatique ont beaucoup changé. C'est peut-être un argument anodin, mais si on met à profit les ressources Internet pour tenir des téléconférences plutôt que de se rendre à une conférence par avion, on réduira les émissions.

Le sénateur Raine : Il y a toujours des conséquences inattendues à certaines choses que nous faisons. Par exemple, lorsque nous adoptons les ampoules fluorescentes, qui sont moins énergivores, nous ne pensons pas au moment où on jettera ces ampoules, qui contiennent du mercure. Nous devons faire attention et bien planifier comment nous utiliserons la technologie, mais il ne fait aucun doute que nous devons apporter des changements. J'adhère au principe selon lequel il faut penser mondialement et agir localement. Il est regrettable de constater que la plupart des Canadiens ne prennent pas cet enjeu au sérieux.

M. Stone : L'autre soir, j'ai entendu quelque chose qui m'a frappé et qui est peut-être important. La discussion portait sur la consommation. Il faut secouer le joug de la consommation. L'homme a dit : « Nous sommes des êtres humains, pas des ``avoirs'' humains. » Nous devrions nous définir en fonction non pas de ce que nous avons, mais de ce que nous sommes.

Le sénateur Raine : Pourtant, on nous dit de sortir et de consommer parce que c'est bon pour l'économie.

Le président : La confiance des consommateurs est un important baromètre.

Le sénateur Lang : J'aime à croire que tout le monde ici doit faire preuve d'un certain scepticisme afin d'adopter une approche rationnelle pour s'attaquer à un problème réel. Il est trop facile de se rallier à l'opinion de la majorité lorsque certains événements font la une du « sensationnalisateur » et dire qu'on est d'accord, parce que, évidemment, c'est le cas d'un grand nombre de personnes.

Notre travail consiste à venir écouter des témoins experts, comme M. Stone, évaluer la situation actuelle. À mon avis, il ne fait aucun doute que le CO2 est un problème.

J'aimerais donner suite à la question de ma bonne amie, le sénateur Raine. J'ai lu un livre qui, à mon avis, pourrait s'avérer pertinent à l'ensemble des débats politiques, économiques et sociaux au Canada, et peut-être dans le monde, à savoir l'ouvrage écrit par Jeff Rubin, Why Your World Is About to Get a Whole Lot Smaller. Je me demande si le témoin a lu le livre et s'il a des commentaires.

M. Stone : Non, je ne l'ai pas lu, mais j'ai rencontré Jeff Rubin, et j'ai écouté ses discours. Il a de bons antécédents, et on devrait l'écouter.

J'estime que nous nous mettons en danger en ne passons pas à l'action. Nous souscrivons une assurance si nous craignons que notre maison soit cambriolée, incendiée ou je ne sais quoi, et il faut faire le même genre de calcul dans le cadre de ce dossier.

Le sénateur Lang : Si je peux conclure, je conviens du fait qu'il y a un problème, mais nous devons aussi regarder le portrait global. La réalité, c'est que la population mondiale augmente considérablement, ce qui a une incidence sur la situation et rend le dilemme de plus en plus complexe. Que faisons-nous pour remédier à la situation? Il y a beaucoup de problèmes ici. Nous ne pouvons pas nous contenter de tous les isoler pour les résoudre. Il y a des problèmes plus vastes ici.

M. Stone : Permettez-moi d'ajouter une dernière chose. Dans ma déclaration préliminaire, j'ai dit que nous devions tenir un débat national. Je crois que nous ne l'avons pas encore fait. Je parle non pas d'un débat fondé sur les sondages d'opinion, mais d'un débat national bien éclairé. Le milieu scientifique a contribué et a fait sa part, mais, au bout du compte, ce que nous ferons dépend beaucoup de nos valeurs. La question se rattache aux valeurs. Les scientifiques n'occupent pas une position particulièrement privilégiée à ce chapitre. Un débat doit mobiliser tout le monde dans le cadre d'un processus politique dans lequel vous, mesdames et messieurs, ainsi que d'autres, avez un rôle à jouer. Vous devriez profiter de ce processus politique pour créer un équilibre fondé sur les valeurs des Canadiens, afin que nous puissions prendre les mesures qui s'imposent. Au bout du compte, la décision tient aux valeurs, et non strictement à la science.

Le sénateur Greene : Vous nous avez mis en garde contre la géoingénierie. La séquestration du carbone est-elle considérée comme appartenant au domaine de la géoingénierie, ou est-ce autre chose?

M. Stone : Oui, certains sont de cet avis. Cela dépend de la définition de chacun, et il pourrait y avoir des conséquences imprévues. Toutefois, comme nous le faisons à Weyburn, nous effectuons les expériences et les évaluations pour déterminer si c'est possible et quelles pourraient être les conséquences, alors, oui, vous pouvez inclure la séquestration du carbone dans cette catégorie.

Le sénateur Raine : Je n'ai jamais compris comment le système de plafond et d'échange règle le problème. Nous ne faisons que tourner autour du problème et créer toutes sortes de marchés bizarres. Nous ne changeons pas vraiment pas grand-chose.

M. Stone : Je ne suis pas économiste, mais permettez-moi de vous expliquer mon interprétation. Si nous voulons nous attaquer aux changements climatiques, il faudra limiter nos émissions. Il faudra imposer des contraintes sur le carbone. Nous disons à une entreprise ou à une centrale donnée : « Vous ne pouvez produire qu'une quantité x de dioxyde de carbone. » Nous constatons que certaines entreprises pourront facilement atteindre la cible, tandis que d'autres auront de la difficulté. Celles qui l'atteignent facilement auront peut-être des crédits d'émission dont elles n'ont pas besoin et pourront les vendre aux entreprises qui ont beaucoup de difficultés. Ce faisant, nous établissons un marché. Lorsque nous établissons un marché, nous commençons à fixer un prix pour le carbone. C'est ainsi que fonctionne le système de plafond et d'échange, selon mon interprétation sommaire. C'est en raison des contraintes que nous finissons par créer un marché et fixer un prix pour le carbone. Le marché, comme nous l'avons vu avec le système européen d'échange de quotas d'émissions, peut créer des dynamiques inattendues, mais ce n'est qu'en mettant ce système à l'épreuve et en effectuant des expériences que nous apprendrons comment procéder. L'idée est la suivante : dans le cadre d'un système de plafond et d'échange, nous fixons des cibles d'émissions, puis nous laissons le marché établir le prix, alors que, en imposant une taxe sur le carbone, nous fixons le prix, puis le marché établit ensuite la quantité d'émissions que nous produisons. En pratique, ces deux mesures sont comparables.

Le président : Monsieur Stone, au nom de tous les membres du comité, nous vous sommes infiniment reconnaissants, non seulement de vous être libéré à la dernière minute, mais d'avoir présenté un exposé intéressant qui incite à la réflexion. Vous pouvez voir que nous sommes intéressés à jouer au moins notre petit rôle dans le débat national pour lequel vous militez. Notre mandat est à long terme. Ce n'est pas une étude de deux mois. Nous nous réservons au moins deux ans pour étudier la question en profondeur.

Pour répondre à la question du sénateur Raine, le système de plafond et d'échange fait partie du travail que nous avons fait, et nous avons entendu des témoignages à ce sujet. Nous avons rencontré des gens à Washington il y a quelques semaines. Nous regardons attentivement ce qui se fait au sud de la frontière et ici afin de déterminer si le système qu'on mettra en place afin de gérer ce dossier sera séparé ou intégré.

Vous avez parlé de la question des océans. Cela nous intéresse, monsieur Stone. Il est intéressant de savoir que vous êtes tout près et que nous pouvons peut-être faire appel à vous de nouveau pour nous orienter.

(La séance est levée.)


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