Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 14 - Témoignages du 1er décembre 2009
OTTAWA, le mardi 1er décembre 2009
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17 h 26 pour examiner l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement) et en faire rapport.
Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : La séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles est ouverte. Nous poursuivons notre examen du secteur de l'énergie du Canada, de l'état actuel du secteur et de l'élaboration d'un cadre pour l'avenir de cet important secteur de l'économie canadienne.
Je souhaite la bienvenue aux honorables sénateurs, aux membres du personnel, aux invités et à ceux qui nous regardent sur CPAC et sur Internet.
[Français]
Je m'appelle David Angus. Je suis un sénateur de la province de Québec et le président de ce comité.
[Traduction]
À ma droite, se trouvent le vice-président, le sénateur Grant Mitchell, de l'Alberta, nos attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement, le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique, le sénateur Bert Brown, de l'Alberta, le sénateur Judith Seidman, du Québec, et le sénateur Daniel Lang, du Yukon. À ma gauche, se trouvent Lynn Gordon, greffière du Comité, le sénateur Elaine McCoy, de l'Alberta, et le sénateur Bill Rompkey, qui remplace le sénateur Tommy Banks, de Terre-Neuve-et-Labrador, et les sénateurs Pana Merchant et Rob Peterson, de la Saskatchewan.
Nous avons le privilège d'accueillir ce soir deux grands spécialistes de la question que nous examinons. De l'Université de Calgary, David Layzell, directeur général, Institute for Sustainable Energy, Environment and Economy, et Thomas Homer-Dixon, professeur, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, Chaire des systèmes mondiaux, à la Balsillie School of International Affairs. Les deux témoins ont remis au comité les textes de leurs exposés.
Monsieur Layzell, votre réputation vous précède. Il a un baccalauréat en sciences de l'Université de Waterloo; une maîtrise en phytologie, de Guelph; et un doctorat en physiologie végétale de l'University of Western Australia. Il a fait des études postdoctorales à l'Université Cornell et est venu à Calgary en 2008 après une carrière prestigieuse à l'Université Queen's, où il a enseigné pendant 27 ans la biologie, les études environnementales et les études des politiques. Il a écrit plus de 100 publications examinées par les pairs et détient sept brevets américains. Ses contributions à la recherche lui ont valu plusieurs prix, notamment la Bourse Steacie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, et le titre de membre de la Société royale du Canada.
Honorables sénateurs, M. Layzell a distribué, par l'entremise de la greffière, les divers documents que j'ai mentionnés il y a un instant.
Veuillez présenter votre exposé. Nous nous sommes entretenus en privé. Je sais que vous connaissez notre étude et que vous avez exprimé votre intérêt pour cette étude et votre désir de nous aider en cours de route. Vous êtes bien connu de certains de mes collègues du comité, ce qui rend la réunion encore plus amicale.
David Layzell, directeur général, Institute for Sustainable Energy, Environment and Economy, Université de Calgary : Merci. C'est un plaisir d'être ici et je vous remercie de votre invitation. Je vous félicite, sénateur Angus, ainsi que les autres membres du comité, pour l'approche globale que vous avez adoptée afin d'examiner les questions qui, selon moi, sont cruciales pour l'avenir énergétique du Canada, ainsi que pour notre environnement et pour l'économie nationale.
Je vous présenterai d'abord l'Institute for Sustainable Energy, Environment and Economy. Comme ce nom est plutôt long, nous utilisons l'acronyme ISEEE. Nous sommes une organisation de recherche et d'enseignement, qui regroupe plusieurs facultés de l'Université de Calgary et qui a pour mandat de développer des solutions efficaces pour relever les défis environnementaux de la production et l'utilisation de l'énergie. Nous travaillons avec 120 ingénieurs, scientifiques et chercheurs en sciences sociales de notre université pour développer les capacités humaines et les modalités de recherche nécessaires afin de fournir les technologies critiques et les idées qui guideront les politiques en énergie et environnement ainsi que les décisions d'investissement des gouvernements canadiens et de l'industrie.
Une des réalisations d'ISEEE au cours des 18 derniers mois a été la création de Gestion du carbone Canada, un organisme national de recherche universitaire, axé sur la gestion du carbone dans le secteur des carburants fossiles. Notre travail, et celui de notre partenaire, la Canada School of Energy and Environment, a été couronné de succès ce matin, lorsque les Réseaux de centres d'excellence ont annoncé une subvention fédérale de 25 millions de dollars pour notre réseau Gestion du carbone Canada. Cette nouvelle nous réjouit beaucoup.
Au cours des cinq prochaines années, Gestion du carbone Canada mettra l'accent sur la recherche visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre associées à la production et l'utilisation des carburants fossiles, ainsi que sur le développement des technologies et des connaissances pour capter et stocker en toute sécurité les émissions de dioxyde de carbone dans des réservoirs géologiques.
Maintenant que Gestion du carbone Canada est officiellement lancée, l'ISEEE concentrera ses efforts vers l'établissement d'une nouvelle capacité de recherche interdisciplinaire qui œuvrera à comprendre et à formuler des recommandations concernant le futur des systèmes énergétiques nord-américains afin de nous guider vers un avenir durable.
Aujourd'hui, je voudrais vous exposer certaines de nos réflexions dans ce domaine.
Il y a environ trois semaines, le 10 novembre, l'Agence internationale de l'énergie a publié son rapport intitulé 2009 World Energy Outlook. Cet ouvrage de 691 pages a proposé deux scénarios pour les systèmes énergétiques futurs et les implications qui en découlent pour les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces scénarios sont illustrés dans le tableau 2 du document que je vous ai remis.
Le scénario de référence, dans le coin supérieur droit du tableau, suppose un maintien des politiques énergétiques actuelles durant les 40 prochaines années et prédit une augmentation de 58 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre dans le monde d'ici 2050. Un tel scénario aurait probablement des effets dévastateurs sur le système climatique mondial, avec des conséquences graves pour l'économie mondiale et le bien-être de ses habitants. Le scénario de 450 ppm, figurant à droite, en bas du tableau 2 et recommandé par l'Agence internationale de l'énergie, indique la tendance des émissions mondiales de gaz à effet de serre nécessaire pour limiter le réchauffement planétaire à 2º Celsius, une température qui devrait empêcher un changement climatique dangereux ou hors de contrôle.
Le tableau 3 montre l'engagement du gouvernement canadien à l'effort mondial visant à atténuer les changements climatiques, y compris une réduction de 20 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020 et une réduction de 65 p. 100 d'ici 2050. L'engagement correspond à l'écart entre le scénario de référence en haut et le scénario en bas, soit le résultat que nous devrions atteindre pour que le Canada respecte son engagement climatique d'ici 2050.
Une petite partie seulement de cet engagement pourra être atteinte par des réductions des émissions provenant de sources non énergétiques telles que les sites d'enfouissement des déchets, les systèmes de production animale, ou la déforestation. La majorité des réductions d'émissions devront provenir du secteur de l'énergie, qui représente actuellement environ 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Canada.
Les initiatives dont nous avons besoin pour réduire les émissions de sources énergétiques sont de trois types. Premièrement, l'efficacité et la conservation dans l'ensemble du système énergétique, depuis la production jusqu'à l'utilisation de l'énergie, ce qui aura pour effet de réduire la taille par habitant du marché de l'énergie primaire au Canada. Deuxièmement, la mise en œuvre de sources d'énergie renouvelable et autre qui ont de faibles émissions de carbone, notamment l'énergie dérivée de la biomasse, et les énergies éolienne, solaire, géothermique et nucléaire. Troisièmement, le captage et le stockage des émissions de carbone fossile, dans des systèmes de stockage géologiques ou biologiques.
Chacune de ces trois stratégies pour réduire les émissions associées à l'énergie nécessitera des changements importants de la taille du marché et des parts de marché dans le domaine de la production et de l'utilisation de l'énergie au Canada.
En fait, nous aurons besoin d'accomplir un changement de presque 2 p. 100 des parts de marché chaque année durant les 40 prochaines années. Cela représente une transformation énorme des systèmes énergétiques.
Le tableau 4 se trouve dans les deux séries de documents. C'est celui qui a tous les diagrammes à barres. Je ne vous l'expliquerai pas maintenant. Il montre l'ampleur de la transition énergétique que nous devons effectuer.
Le tableau 5, intitulé « Leçons à tirer des transitions énergétiques du passé », montre l'histoire des changements de part de marché dans le domaine de l'énergie primaire aux États-Unis au cours des 200 dernières années. Quelles leçons pouvons-nous tirer des transitions énergétiques du passé afin de nous guider dans les transitions futures?
Durant cette période de 200 ans, il y a eu deux grandes transitions énergétiques : une vers la fin du XIXe siècle quand les États-Unis sont passés de la biomasse au charbon, et une après la Deuxième Guerre mondiale, qui a vu une transition en faveur du pétrole et du gaz.
Les transitions énergétiques du passé révèlent trois choses. Premièrement, les parts de marché des sources d'énergie primaire ont été exceptionnellement stables durant les 40 dernières années par rapport aux 160 années précédentes.
Deuxièmement, avant qu'une source nouvelle d'énergie primaire, comme le charbon, le pétrole ou le gaz, commence à prendre une part de marché importante, il y a eu une longue période d'incubation. De fait, des études de Marchetti et d'autres chercheurs sur l'évolution des systèmes énergétiques dans le monde révèlent qu'il faut environ 40 ans pour faire passer la part de marché de 1 p. 100 à 10 p. 100. Ceci a des implications qui donnent à réfléchir en ce qui concerne les nombreuses sources d'énergie renouvelable qui représentent aujourd'hui moins de 1 p. 100 du marché.
Troisièmement, le taux maximal de changement de part de marché au cours des 200 dernières années a été de 1 à 2 p. 100 par an. Je vous rappelle que, d'ici 40 ans, nous aurons besoin d'un changement de part de marché de près 2 p. 100 par an afin de respecter les engagements relatifs aux changements climatiques.
Quels sont les facteurs qui favoriseraient une transition rapide des systèmes énergétiques? La situation actuelle se compare-t-elle aux conditions qui ont provoqué les transitions énergétiques passées?
En bref, les conditions actuelles en Amérique du Nord ne sont pas très favorables. Nous ne sommes pas susceptibles d'avoir une croissance rapide de la demande en Amérique du Nord d'ici 40 ans. Les solutions de rechange ont tendance à être plus dispendieuses que les sources d'énergie actuelles. Nous ne faisons pas face à pas à l'épuisement des ressources, en particulier au Canada. Plusieurs des autres technologies n'ont pas été prouvées pour le déploiement à grande échelle.
Les politiques gouvernementales sont donc les seules forces motrices pour une transition énergétique, que ce soit aux niveaux régionaux, national ou international. De toute évidence, la prochaine transition énergétique va être plus difficile et va être plus dépendante des politiques gouvernementales que les transitions précédentes.
Alors, quels sont les instruments politiques qui pourraient être mis en œuvre maintenant pour faciliter cette transition?
Je dirais que les gouvernements doivent façonner leurs politiques dans le but d'obtenir des résultats optimaux sur trois périodes distinctes durant les 41 prochaines années, comme le résume le tableau 6.
Pour des résultats à court terme — plus ou moins les 14 prochaines années — nous devons encourager l'efficacité et la conservation, deux objectifs assez faciles à atteindre, et le déploiement à grande échelle de systèmes énergétiques à faible intensité de carbone qui peuvent s'intégrer à nos infrastructures énergétiques existantes.
Pour des résultats à moyen terme, de 2024 à 2037, nous devons préparer le terrain pour le déploiement à grande échelle des technologies énergétiques existantes à faible intensité de carbone, comme le captage et le stockage du carbone, l'énergie nucléaire, et les véhicules électriques, et subventionner la recherche et le développement qui ont pour but la réduction des coûts ou la suppression des obstacles.
Pour des résultats à long terme, aux environs de 2050, nous devons investir maintenant dans la recherche fondamentale hautement innovante, qui offre la possibilité d'inventer des technologies qui pourraient « changer les règles du jeu » de la production et de la conversion de l'énergie. Je ne pense pas que nous possédons maintenant les technologies qui vont nous permettre de nous rendre là où nous devons nous rendre en milieu de siècle.
Atteindre ces résultats exige véritablement une stratégie énergétique nationale qui répondra aux préoccupations concernant la sécurité énergétique et le changement climatique, mais sans créer des problèmes dans d'autres domaines tels la production alimentaire, l'utilisation de l'eau ou la biodiversité.
Je suis encouragé de voir que le travail de votre comité pourrait nous aider à avancer dans cette direction. Merci de votre invitation.
Le sénateur Lang : Merci d'avoir accepté notre invitation. Votre curriculum vitae est impressionnant.
Les domaines qui reviennent sans cesse sont l'innovation, la technologie et les changements qui ont été apportés ou sont en train de l'être. Je constate que, de 1998 à 2008, soit une période de 10 ans, votre université a reçu 54 millions de dollars des gouvernements aux fins de la recherche. Durant cette période, avez-vous pu contribuer à certains de ces changements technologiques qui seront nécessaires à l'avenir?
M. Layzell : Mon travail à BIOCAP Canada était une recherche regroupant 38 universités au Canada. Notre fondation de recherche était administrée à l'Université Queen's, mais il s'agissait d'un groupe de recherche universitaire national. Les 54 millions de dollars ont été répartis entre 38 universités et quelque 250 chercheurs d'un océan à l'autre.
Cette initiative a apporté des renseignements précieux dans des domaines comme la gestion du carbone forestier. Notre réseau et les recherches effectuées grâce à ces investissements ont aidé à montrer au gouvernement canadien et aux provinces que l'utilisation des forêts pour gérer le carbone, une idée populaire à la fin des années 1990 et au début des années 2000, serait probablement problématique. Les puits de carbone forestier du Canada ont été touchés par les feux de forêts et des infestations par les insectes, et ils pouvaient devenir un inconvénient plutôt qu'un atout.
Nous avons largement conseillé le gouvernement et l'industrie sur l'utilisation optimale de la masse terrestre pour réduire les effets des changements climatiques. Nous avons indiqué que fabriquer des carburants liquides comme l'éthanol de grain serait une solution coûteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et qu'il vaudrait mieux utiliser les matières lignocellulosiques, comme le bois et la paille, pour remplacer le charbon dans les centrales électriques. C'est une utilisation beaucoup plus rentable des ressources biologiques pour réduire les effets des changements climatiques.
Voilà le genre de résultats qui ont découlé de nos recherches, ainsi que quelques technologies. Quand il y a des centaines de projets, il est difficile d'en choisir seulement un. Mais l'un des résultats les plus précieux de cet investissement est qu'il a permis de guider les gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi que les entreprises qui travaillent dans ces secteurs, en montrant quelles solutions biologiques sont les plus utiles, celles qui ont un avenir prometteur et celles qui n'en ont pas.
Le sénateur Lang : Vous avez affirmé dans votre exposé que les politiques gouvernementales sont les seules forces motrices pour une transition énergétique, que ce soit aux niveaux régionaux, national ou international.
Quel rôle joue le coût de l'énergie?
Au cours de la dernière récession, le coût du baril de pétrole est descendu à un peu moins de 40 $. Dans la récession précédente, il était bien inférieur à 20 $ le baril, si je me souviens bien. Il est actuellement de 80 $ le baril. Quand j'ai fait le plein l'autre jour, j'ai été stupéfait par le montant que j'ai dû payer. Je suis devenu tout à coup très conscient du prix de l'énergie.
Êtes-vous d'accord que le prix élevé de l'énergie aura une grande influence sur notre mode de vie?
M. Layzell : Mon exposé a porté sur le facteur essentiel pour tenir l'engagement que le gouvernement fédéral a pris à l'égard des changements climatiques et dont parle la communauté internationale à Copenhague. Il y aura une transition énergétique au cours des 20 à 30 prochaines années, quoi que nous fassions, mais je parlais de l'ampleur et de la nature de la transition nécessaire pour tenir les engagements climatiques.
Je dirais que notre énergie est extraordinairement bon marché; même à 80 $ le baril, c'est encore très bon marché.
Je pense que M. Homer-Dixon donne peut-être dans son livre des exemples qu'il pourra évoquer, au sujet de la qualité ou de la quantité d'énergie que nous possédons et du prix que nous payons pour cette énergie, et pour montrer à quel point l'énergie ne coûte pas cher.
Nous ne l'utilisons pas efficacement, et c'est l'une des transitions que nous devrons faire. Nous devons développer des technologies et des stratégies pour utiliser beaucoup plus efficacement nos précieuses ressources.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Layzell. C'est un plaisir de vous accueillir.
Dans la veine de l'observation du sénateur Lang, je dirais que l'une des ironies du marché est que, lorsqu'on commencera à obtenir d'autres sources d'énergie, la demande de pétrole et de gaz naturel pourrait diminuer. À mesure que la demande diminuera, le prix baissera, ce qui réduira le besoin de développer d'autres énergies, et démontre clairement la nécessité d'imposer des plafonds et des règlements pour dire quoi faire.
Vous êtes un scientifique accompli et évalué par vos pairs. Il ne fait aucun doute dans votre esprit que les changements climatiques résultent de l'activité humaine, n'est-ce pas?
M. Layzell : Cela ne fait aucun doute dans mon esprit. Mais je ne saurais dire quelle sera la gravité du problème à l'avenir. Nous savons, et la preuve scientifique a été établie, que l'utilisation des combustibles fossiles et la déforestation accroissent le dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Cela ne fait aucun doute.
Il ne fait aucun doute que le CO2 est un gaz à effet de serre. Ce qui est moins certain, c'est la relation entre les concentrations de CO2 dans l'atmosphère et l'ampleur et la nature des changements climatiques que nous verrons et que nous voyons déjà. La science semble indiquer assez clairement qu'on ne peut pas expliquer les changements climatiques des 20 dernières années sans l'effet du CO2. On ne peut pas l'expliquer par les variations normales et naturelles. Cela va au-delà de ce à quoi on pourrait s'attendre. Mais on ne sait pas si cela deviendra trois fois pire, plus grave ou moins pire.
Notre talent se trouve dans la gestion des risques. Pour un groupe de ce genre, il s'agit de gérer les risques. De nombreux modèles scientifiques semblent indiquer que le risque potentiel pourrait être très grave. S'il est grave, les incidences sur l'économie, la richesse, la qualité de vie, les systèmes de production des aliments et l'inondation des terres basses seront dévastatrices pour la planète.
La question est combien dépenser maintenant pour réduire le risque? Un autre facteur entre en jeu. La demande mondiale d'énergie, surtout le pétrole mais aussi le gaz naturel, augmentera très rapidement au cours des prochaines années, et l'on se demande sérieusement si ces ressources mondiales existent. Le Canada est riche en énergie et nous resterons un exportateur net d'énergie pendant de nombreuses décennies. Le monde se dit également que, ne serait-ce que pour résoudre les problèmes d'approvisionnement en énergie et répondre à l'énorme demande d'énergie dans le monde, il faut envisager de changer les systèmes énergétiques.
Le défi pour votre comité et pour le gouvernement à Ottawa, et ailleurs dans le monde, c'est comment trouver un juste milieu entre les changements qui devront être apportés pour résoudre les problèmes de sécurité énergétique et d'approvisionnement en énergie dans le monde et les changements climatiques. Je pense qu'on reconnaît qu'il faudra investir dans les changements et qu'il pourrait y avoir des avantages économiques à agir rapidement pour résoudre certains de ces problèmes.
Le sénateur Mitchell : Vous avez étudié la question pendant des années, et je crois que cela transparaît implicitement dans vos propos. Supposons que vous êtes le premier ministre et que vous devez décider quelles seront les politiques du gouvernement. Comment établiriez-vous des priorités parmi les mesures à prendre pour réduire les émissions de carbone?
Vous avez évoqué des problèmes au sujet de l'éthanol et des biocarburants, même si certains ont été surmontés. La séquestration du carbone est fort critiquée — vous venez de l'Alberta, vous êtes donc au courant. Il n'y a pas de solution sans difficulté.
Que feriez-vous et comment vous y prendriez-vous?
M. Layzell : L'une des questions les plus importantes actuellement est comment réduire considérablement nos émissions croissantes de gaz à effet de serre et notre consommation d'énergie au cours des 10 prochaines années. La solution la plus facile est l'efficience énergétique et la conservation de l'énergie. Nous devons mettre en place des politiques et des règlements afin d'accroître l'efficience et la conservation de l'énergie. La plus importante consiste à mettre un prix sur le carbone. Je ne pense pas qu'il faut commencer avec un prix élevé, mais le prix doit augmenter graduellement. Les entreprises, les industries et la population doivent savoir que le prix augmentera. Nous devons fixer un prix crédible pour le carbone.
Nous devons également mettre en place des normes sur l'efficience qui nous aideront à réduire ce que j'appelle notre « obésité énergétique ». Les États-Unis et le Canada consomment presque deux fois plus d'énergie par habitant que d'autres pays développés comme ceux de l'Europe ou le Japon. Nous invoquons comme excuse que notre pays est grand et froid. Mais regardez la quantité d'énergie que nous consommons par habitant, la taille de nos voitures, et cetera. Nous pourrions encore avoir une qualité de vie sans utiliser toutes ces ressources. Les générations futures diront de notre génération que nous n'avons pas su utiliser efficacement ces ressources extrêmement précieuses.
Ces mesures incitatives seront utiles. Nous devons encourager les énergies renouvelables et les technologies connexes parce qu'elles peuvent être mises en place. Elles ne le seront pas au cours des 10 à 20 prochaines années. Elles ne résoudront pas le problème parce que notre problème est beaucoup plus grave.
Il y a donc des mesures que nous pouvons prendre. Je suis très en faveur des investissements dans la séquestration du carbone effectués en Alberta et par le gouvernement fédéral parce qu'il s'agit des investissements dont nous aurons besoin au cours des cinq à dix prochaines années. Il faudra peut-être investir massivement, surtout si l'on commence à observer des incidences énormes sur le climat dans le monde. Il nous faudra des technologies. Il est important d'effectuer ces investissements qui seront utiles plus tard si le problème des changements climatiques commence à devenir plus évident qu'il ne l'est actuellement.
Le président : Vous ne voulez pas poser la prochaine question sur l'existence d'un système de plafonnement et d'échange. Laissez-moi vous la poser.
M. Layzell : Je préférerais une taxe quelconque parce que problème que posent les systèmes de plafonnement et d'échange est que les coûts transactionnels peuvent être élevés. Les échappatoires peuvent aussi poser des problèmes si certains secteurs peuvent se soustraire à certaines exigences, par exemple. Je préférerais une taxe parce que c'est beaucoup plus simple et facile à gérer.
Je pense que c'est une politique formidable, mais aussi de la politicaillerie de bas niveau. C'est peut-être un rôle que devrait jouer le Sénat; il y a peut-être une possibilité pour le Sénat de parler davantage de la politique et d'oublier la politicaillerie.
Le président : Êtes-vous contre le plafonnement et l'échange des droits d'émission? Préférez-vous une taxe sur le carbone?
M. Layzell : Je préférerais une taxe. Je pense qu'on pourrait commencer par une espèce de translation de l'impôt; ce ne serait pas un mauvais mécanisme. C'est logique. Mais je pense que si l'on veut vraiment changer le comportement humain pour modifier les façons de faire ou les investissements, il y aura un prix à payer. Il faudra obtenir des fonds suffisants et accroître le coût de l'énergie. On peut accroître le coût de l'énergie en effectuant une certaine translation de l'impôt.
Mais au bout du compte, nous devrons payer davantage pour l'énergie et investir dans les technologies qui nous amèneront là où nous devons aller. Nous devrons donner un prix à l'environnement et reconnaître que les coûts environnementaux de certaines sources d'énergie sont plus élevés que pour d'autres.
Comment intégrer cela dans une économie? Une structure fiscale est probablement la méthode la plus efficace et la plus simple. Les systèmes d'échange de crédits de carbone ont leurs avantages. Faute de mieux, nous devrions mettre en place un système d'échange. Mais je m'inquiète un peu des coûts transactionnels et je me demande s'il nous mènerait là où nous devons aller.
Le sénateur McCoy : Merci pour votre exposé très intéressant. Je n'avais jamais vu la question sous cet angle.
Je vais peut-être mettre votre mémoire à dure épreuve, mais j'ai une question sur le tableau où vous présentez des « solutions concrètes ». Vous proposez trois méthodes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L'efficience et la conservation en 2020 semblent représenter environ le tiers de la réduction. D'où vient ce chiffre?
M. Layzell : Un tiers, un tiers et un autre tiers sont des chiffres approximatifs, qui ne sont pas déterminés mathématiquement. Mais un grand nombre de ceux qui se sont interrogés sur les composantes d'une stratégie — surtout pour des pays comme le Canada et les États-Unis — pour réduire l'écart lié aux changements climatiques pensent qu'environ le tiers proviendra probablement de l'efficience et de la conservation.
Permettez-moi de vous donner un exemple. À l'heure actuelle, le charbon qui sert à produire de l'électricité est efficace à environ 30 p. 100. Nous pourrions accroître cette efficience et la porter à plus de 50 p. 100. C'est un exemple de ce qui se ferait du côté de la production. Mais le coût plus élevé et le prix de la matière première détermineront si cette solution est rentable.
Le sénateur McCoy : Quel sera le tonnage approximatif en 2020? Est-ce 850 tonnes en 2050?
M. Layzell : Vous voulez dire l'écart, en tonnes? C'est une bonne question. Je pourrais probablement faire un calcul rapide.
Le sénateur McCoy : Je peux vous laisser y penser.
M. Layzell : Ce serait environ 200, 250 à 300 tonnes probablement. Ce qui représente environ 25 p. 100. Je peux faire ces calculs pour vous, mais pas maintenant.
Le sénateur McCoy : Peut-être quand vous ne serez plus sous les feux de la rampe.
En guise de comparaison, le plan de l'Alberta d'ici 2020 représente environ 24 tonnes sur ces 300 tonnes, n'est-ce pas? C'est pas mal moins. Probablement à cause de la composition industrielle.
M. Layzell : Oui. Le plan de l'Alberta ne représente que 4 p. 100 de moins qu'en 1990, ou quelque chose du genre, en 2005.
C'est 65 p. 100 par rapport à 2006. Il faut utiliser les mêmes points de comparaison.
Le sénateur McCoy : D'accord.
Au tableau suivant, intitulé « Passage du Canada aux hydrocarbures du XXIe siècle », je suis intrigué de voir le nucléaire dans l'énergie de remplacement renouvelable.
M. Layzell : Oui. Vous avez une question?
Le sénateur McCoy : Je n'ai pas l'habitude de considérer le nucléaire comme une source renouvelable.
M. Layzell : Je le mets dans les énergies de remplacement, parce que le nucléaire peut remplacer les combustibles fossiles. Nous sommes une économie de combustibles fossiles; environ 82 p. 100 de notre énergie provient actuellement des combustibles fossiles. Les énergies de remplacement sont celles qui remplacent les combustibles fossiles, alors je les ai regroupées. Ce n'est pas une énergie renouvelable, c'est évident, mais je pense que ce sera une grande source et je pense qu'elle fait partie des technologies que le Canada devra envisager sérieusement.
Le sénateur McCoy : La production d'électricité, c'est de cela qu'il s'agit. On dit que cela coûte à peu près l'équivalent d'une centrale au charbon s'il y a captage et stockage complets du carbone.
M. Layzell : Il est difficile de connaître le coût réel du nucléaire. Le coût en Ontario a été élevé, et je pense que c'est en partie à cause de la manière dont cette énergie a été gérée et déployée. C'est l'un des problèmes, parce que c'était une source d'énergie riche en technologie. Nous devons tenir compte du coût de la gestion des déchets, de l'élimination des déchets, et cetera.
Le sénateur McCoy : C'est un autre de ces facteurs externes qui n'ont pas été pris en considération dans le coût de l'énergie nucléaire.
M. Layzell : Il pourrait l'être, surtout pour le Canada. Le Canada a un choix.
En fait, l'une des observations faites plus tôt est que, finalement, nous devons faire des choix. Tous les choix énergétiques ont des avantages et des inconvénients, même l'énergie éolienne. Bien des gens n'aiment pas l'allure des éoliennes et luttent contre elles. Les panneaux solaires comportent eux aussi leur lot de difficultés, tout comme les métaux terreux rares et les autres ressources. Tous les choix énergétiques ont un coût.
Le défi pour les décideurs, c'est comment évaluer les compromis. Il faut un débat national sur cette question. C'est en partie le rôle d'une stratégie énergétique, soit déterminer ce que nous voulons de nos systèmes énergétiques futurs.
Il faudra notamment tenir compte de la réalité de la communauté internationale et de ce qu'elle exigera des systèmes énergétiques du Canada. Nous sommes un grand exportateur d'énergie. Nous sommes probablement l'un des rares pays développés du monde qui est exportateur net d'énergie. Nous devrons concevoir une stratégie énergétique qui tient compte de ce fait.
Le sénateur McCoy : Il y a environ 50 p. 100 de sources de remplacement et renouvelables dans ce tableau et 50 p. 100 pour combustibles fossiles sans émissions sans carbone.
M. Layzell : Oui. Je me pose de grandes questions sur ce que sera la répartition réelle.
Le sénateur McCoy : Oui. Je suppose que les points d'interrogation pour les limites supérieures et inférieures veulent dire que c'est une hypothèse, pas une prédiction.
M. Layzell : Ce n'est pas une prédiction. J'ai examiné quelques chiffres sur quelques transformations que nous devons apporter pour tenir les engagements pris par le gouvernement fédéral — soit 20 p. 100 de moins d'ici 2020 et 65 p. 100 de moins d'ici 2050. Voilà les transformations dont nous avons besoin.
Il est important de le reconnaître, parce que nous pouvons prendre ces engagements à long terme. Nous avons pris un engagement important il y a 12 ans à Kyoto; nous n'y avons pas donné suite. C'est important, et les universitaires ont peut-être le devoir de dire : « Voilà ce que cela représente, quand nous prenons ce genre d'engagements. »
Comment ferons-nous pour tenir ces engagements? Quelles sont les technologies et les transformations du marché à mettre en place pour y arriver? De quels types de technologies avons-nous besoin? Quels sont les critères pour ces technologies? Ce sont des analyses qui font réfléchir quand on pense aux outils dont nous disposons actuellement pour atteindre les objectifs.
Nous pouvons commencer à avancer, mais je ne pense pas que nous disposons actuellement des technologies nécessaires pour aller jusqu'au bout. Nous avons certainement les technologies que nous pouvons mettre en place d'ici 10 à 11 ans pour atteindre l'objectif d'une réduction de 20 p. 100 d'ici 2020. Il y aura une transformation. J'espère que dans dix ans, si nous faisons les bons investissements, nous aurons une bonne idée du tableau pour les 20 ou 30 années suivantes.
Le sénateur McCoy : J'ai une autre question brûlante, mais par courtoisie pour les autres, j'attendrai, ou puis-je la poser maintenant?
Le président : Est-elle courte?
Le sénateur McCoy : Non. La question est courte, mais je pense que la réponse sera longue, alors je cède la parole aux autres.
Le sénateur Rompkey : Je voudrais moi aussi poser des questions sur les énergies de remplacement. Je voudrais insister sur l'hydroélectricité, l'énergie éolienne et d'autres formes d'énergie. Je constate sur le tableau que la contribution de l'hydroélectricité pourrait être importante.
Premièrement, quelle pourrait être cette contribution et serait-elle importante?
M. Layzell : Le Québec et le Manitoba peuvent accroître fortement la part de l'hydroélectricité, le potentiel est énorme. Il y a aussi de petites possibilités de développement de l'hydroélectricité ailleurs au pays. Je n'ai pas de chiffres à ce sujet. Je sais que d'autres ont fait ce genre de calculs.
Il est certainement possible d'accroître la contribution de l'hydroélectricité dans notre panier d'énergies. Ce serait logique pour nous de l'envisager. Il y a évidemment des coûts — les terres inondées, par exemple.
Le président : Vous savez que ce sénateur vient du Labrador.
M. Layzell : Absolument.
Le président : Il ne faut pas oublier le potentiel, parce que Danny Williams nous regarde
M. Layzell : Non. Terre-Neuve-et-Labrador possède des ressources hydroélectriques colossales, et il y en a aussi un peu en Colombie-Britannique. L'Ontario a un certain potentiel, mais beaucoup moins grand, sauf quand on pense à la baie James.
Le sénateur Rompkey : L'Ontario a des besoins.
M. Layzell : Oui, l'Ontario a des besoins énormes.
L'hydroélectricité est l'une des sources d'énergie les plus propres et les plus attrayantes. En bout de piste, nous devons électrifier beaucoup plus notre système énergétique.
Le sénateur Rompkey : Vous avez déclaré également que les politiques gouvernementales sont les seules forces motrices pour une transition.
M. Layzell : C'est une force pour les transitions énergétiques dont nous avons parlé et plus particulièrement pour la transition liée aux changements climatiques.
Le sénateur Rompkey : Aussi bien au niveau régional, que national ou international.
En ce qui concerne les politiques énergétiques nationales et régionales, de quelles nouvelles politiques avons-nous besoin pour ajouter des ressources hydroélectriques au panier?
M. Layzell : Premièrement, pour les grands projets hydroélectriques, nous devons fixer une cible de carbone parce que l'hydroélectricité émet peu de carbone par unité d'énergie. Deuxièmement, nous devrions examiner le transfert de l'électricité de l'est vers l'ouest. La plupart de nos lignes d'électricité vont du nord au sud, pas de l'est à l'ouest. Il serait bien de les développer pour que le Labrador fournisse de l'hydroélectricité à l'Ontario. Ce serait une formidable occasion à ne pas rater.
Le sénateur Rompkey : Que faut-il pour cela? Y a-t-il un vide politique?
M. Layzell : Ce n'est pas facile, parce que l'énergie est une compétence provinciale. Le gouvernement fédéral a donc du mal à entrer en jeu. Deuxièmement, les provinces doivent coopérer et comprendre la valeur de la coopération pour élaborer une stratégie énergétique nationale afin d'atteindre les buts.
J'ai du mal à voir clair parce que nous ne savons pas exactement comment procéder. Il faut que toutes les provinces conviennent qu'il y a des compromis et des possibilités pour celles qui possèdent des ressources hydroélectriques et des possibilités pour celles qui ont des ressources en combustibles fossiles.
Le sénateur Rompkey : Y a-t-il un rôle pour le gouvernement fédéral et, si oui, comment devrait-il être joué?
Le président : Un budget plus important pour le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles serait une bonne idée.
M. Layzell : C'est une question difficile. Je peux comprendre la difficulté. J'aimerais demander aux membres du comité comment vous procéderiez. Comment amener les provinces à coopérer dans ce dossier? Sans coopération, le pays prendra certainement du retard.
Un moteur éventuel pourrait être une modification de la politique énergétique et environnementale à Washington, qui serait imposée au Canada. Cela pourrait exercer une pression suffisante sur les provinces pour les inciter à travailler plus étroitement ensemble. C'est peut-être la seule façon d'y arriver. Cela ne se fera peut-être pas si ce n'est pas imposé.
Le sénateur Neufeld : Votre exposé est intéressant. J'aimerais revenir sur Gestion du carbone Canada parce que le captage et le stockage du carbone m'intéressent. Vous avez évoqué la capture et le stockage du carbone en Alberta. De quoi s'agit-il?
M. Layzell : Il y a trois ou quatre lieux de stockage dans Gestion du carbone Canada. Les quelque 75 chercheurs qui participent à Gestion du carbone Canada viennent de toutes les régions du Canada, de la Colombie-Britannique aux Maritimes. Ce projet de recherche national est dirigé par l'Université de Calgary.
Quelques chercheurs parlent de réinjecter le CO2 dans les puits abandonnés de gaz naturel et de pétrole. Un autre volet est la récupération assistée du pétrole, mais ce n'est pas important. Il y a beaucoup de stockage dans les aquifères salins et un peu dans le méthane houiller mais pas beaucoup. La plus grande partie de la gestion du carbone se fait par les aquifères salins; l'injection de CO2, qui est un sous-produit des systèmes de production de gaz naturel; ou l'injection du CO2 capturé provenant de la postcombustion dans les centrales au charbon.
Le sénateur Neufeld : Corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai eu affaire à l'industrie du gaz pendant de nombreuses années. Le processus le plus courant dont j'entends parler en Alberta et la récupération assistée du pétrole. Quel est l'avantage net de la séquestration du carbone par rapport à la récupération assistée du pétrole? Combien de carbone revient avec le pétrole quand la récupération est assistée?
M. Layzell : Une grande partie du carbone revient avec le pétrole. Quand on produit du pétrole par récupération assistée et par les sables bitumineux, les émissions nettes de la récupération assistée sont moins élevées que les émissions nettes du cycle de vie des sables bitumineux. Cela enlève au moins un peu de CO2 de l'air et le renvoie dans le sol.
Le sénateur Neufeld : Nous produisons du pétrole de cette façon.
M. Layzell : Oui.
Le sénateur Neufeld : Je pense toujours à produire davantage de pétrole, parce que le CO2 ne reste pas dans la terre. Il revient et doit être éliminé, ce qui n'est pas le cas avec les solutions des aquifères marins, comme le fait Spectra Energy en Colombie-Britannique. Nous n'avons pas parlé de la capture et du stockage du carbone qui se feront là-bas. Ce sera la plus grande source de captage et de stockage du carbone si tout le monde trouve exactement comment le faire. Les bassins salins sont en place; il suffit seulement d'avoir les technologies et de payer les coûts.
M. Layzell : Oui.
Le sénateur Neufeld : Avons-nous l'énergie pour subvenir à nos besoins à l'avenir? C'est une question de taille. Je crois que nous avons un effet sur le climat. J'ai fait partie d'un gouvernement qui a imposé une taxe sur le carbone, la première au Canada. Les combustibles fossiles font tourner le monde, pas seulement l'Amérique du Nord. C'est bien de dire que nous allons construire des éoliennes, mais nous avons besoin d'acier et d'autres matériaux pour le faire. Nous utiliserons cette énergie pendant des décennies. Nous devons dépendre de gens comme vous pour trouver la manière intelligente de procéder.
Vous avez déclaré que, pour atteindre les objectifs de 2038, nous devons investir maintenant dans la recherche fondamentale novatrice afin de développer des technologies énergétiques qui changeront les règles du jeu, y compris celles nécessaires pour que les combustibles fossiles n'émettent aucun carbone. Qu'entendez-vous par combustibles fossiles sans émissions de carbone?
M. Layzell : Pour atteindre le niveau d'émissions de gaz à effet de serre dont parlent le gouvernement du Canada, les États-Unis et le monde entier à cause des changements climatiques et pour continuer à consommer des combustibles fossiles, la plupart d'entre eux devront être des émetteurs nets de CO2. Les chiffres sont assez clairs là-dessus.
En ce qui concerne les autres technologies envisagées, il est peut-être possible d'extraire l'hydrogène des combustibles fossiles et d'enterrer ensuite le CO2. L'autre possibilité consiste à extraire l'hydrogène et à le combiner et le transporter en CO2, mais en capturant ensuite le CO2 dans l'atmosphère. Essentiellement, cette composante serait recyclée. Une autre possibilité vient du fait que le Canada possède de grands systèmes biologiques et les technologies nécessaires pour que nos forêts et nos terres agricoles retirent du carbone de l'atmosphère, mais qu'elles le convertissent en une forme de carbone qui ne peut pas être mobilisée.
Des études intéressantes ont été publiées la semaine dernière dans Nature Geoscience sur les technologies permettant de convertir le CO2 à la fin des émissions en calcaire ou en pierre, une forme solide qui peut être utilisée. Nous pourrions faire une petite chaîne de montagnes à l'aide de cette technologie.
Ces technologies d'avant-garde permettraient de continuer à utiliser les ressources en combustibles fossiles sans compromettre le climat sur la planète.
Le sénateur Neufeld : Je lis dans votre rapport qu'il faudra une orientation du gouvernement pour commencer à changer ce que nous faisons et comment nous le faisons.
Je veux faire une observation. On parle souvent du Danemark et de sa conversion à l'énergie éolienne. Il a intérêt à se convertir parce qu'environ 50 p. 100 de son électricité provient du charbon, et ce, depuis longtemps, la plupart du temps avec une technologie très dépassée. La dernière fois que j'ai vérifié, le prix de l'électricité pour les consommateurs était d'environ 45 cents le kilowattheure comparativement à environ 7 cents au Canada. Le coût n'a certainement pas changé comment le Danemark produit son électricité, sauf qu'il y a maintenant un peu d'énergie éolienne.
Comment nous nous y prendrons à l'avenir pose un problème énorme. Le coût sera exorbitant par rapport à ce que nous payons pour l'électricité et vu qu'il faut remplacer le charbon par autre chose, ne pensez-vous pas?
M. Layzell : Je ne pense pas que le coût doit être de 45 cents le kilowattheure. Certains pays européens, comme l'Allemagne et le Danemark, ont rendu l'électricité très chère, mais elle n'a pas besoin d'être aussi chère.
Le sénateur Neufeld : Vous parlez de l'énergie éolienne?
M. Layzell : L'énergie éolienne ne coûte pas si cher, mais produire de l'électricité à partir de digesteurs biologiques sur une petite échelle peut coûter très cher. Nous devons être plus intelligents à certains égards et tirer des leçons des erreurs commises par d'autres pays.
Il n'est pas nécessaire que le coût atteigne 45 cents, mais il sera plus élevé que 7 cents.
Le sénateur Merchant : Vous savez peut-être que je viens de la Saskatchewan. Je suis intéressée par le carbone.
Vous nous avez présenté un instrument de transition à moyen terme. Le court terme était 14 ans et le long terme, 50 ans. La période entre le court et le long terme se situe entre 2025 et 2050.
Aurons-nous ces grands projets pilotes d'ici cinq à sept ans?
M. Layzell : Oui.
Le sénateur Merchant : Quel est le délai entre le projet pilote et l'application? Quels investissements en infrastructure devront être effectués pour que la technologie de séquestration stockage du carbone du Canada soit en place en 2020?
M. Layzell : Les initiatives déjà en cours en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et en Alberta ont porté sur des projets pilotes de capture et de stockage du carbone, et environ 3 milliards de dollars ont été investis. Grâce à ces études, nous devrions avoir une bonne idée des différentes technologies qui fonctionnent le mieux ou qui ne fonctionnent pas aussi bien d'ici 2015 ou 2016.
C'est de ce type d'investissement dont nous avons besoin. À partir de là, nous pouvons commencer à construire des installations plus grandes et à déployer la technologie si l'on détermine que c'est un bon investissement sur une plus grande échelle. En 2024, nous devrions pouvoir capter et séquestrer d'importantes quantités de carbone.
Le tableau 6 portait sur ce que nous devons faire au cours des cinq ou six prochaines années pour réduire de manière significative les émissions à moyen terme. À l'heure actuelle, nous devons développer ces projets pilotes et les essais pour la capture, la compression, le transport, l'entreposage sûr, la mobilisation publique et les communications connexes. Cela nous permettra un déploiement à l'échelle dans environ huit, dix ou douze ans. Mais nous ne pouvons pas le faire avant 10 ans, parce que nous devons apprendre, et abaisser les coûts. Admettons-le, le coût est trop élevé actuellement. Nous devons abaisser le coût et nous assurer de faire un déploiement à l'échelle afin de réduire les risques.
Le sénateur Brown : À votre avis, dans quelle mesure le stockage du carbone est-il vraiment fiable?
M. Layzell : Le stockage du carbone se fait en Colombie-Britannique et en Alberta depuis des décennies, mais pas à l'échelle que nous envisageons. Mais pour que le dioxyde de carbone reste stocké, nous connaissons suffisamment les aspects scientifiques et si nous stockons le carbone aux bons endroits, nous pourrons savoir si c'est sûr et sans danger. Dans le cadre de Gestion du carbone Canada, nous développons des technologies pour surveiller les panaches de CO2 plume sous terre, par exemple, de nouvelles technologies sismiques, et cetera afin de mesurer, surveiller et vérifier tout cela.
Je ne suis pas géoscientifique, mais je passe beaucoup de temps avec eux. J'ai posé un grand nombre de ces questions et je suis devenu de plus en plus convaincu que nous savons comment faire. Nous pouvons réduire les risques, mais il y a encore quelques inconnues. La question que je me pose n'est pas si le stockage peut être sûr, mais combien nous pouvons stocker et à quel moment. Combien de carbone pouvons-nous stocker? Des millions de tonnes. Mais comment stocker des milliards de tonnes? Pour relever le défi carbone dont nous parlons, il faut penser en milliards de tonnes.
La vraie question, c'est si nous pouvons atteindre cette échelle. Nous ne le saurons pas tant que nous n'aurons pas stocké quelques millions de tonnes.
Le sénateur Brown : J'avais deux raisons de vous poser cette question. Dans les régions rurales autour de Calgary et dans le sud de l'Alberta, il y a une grande quantité de gaz dans les réservoirs aquifères. Je pense que vous avez évoqué la possibilité d'utiliser ces aquifères pour le stockage.
M. Layzell : Je ne parle pas de ces aquifères. Au lieu des aquifères dont vous parlez, nous utiliserions ceux qui se trouvent à 1,2 ou 1,5 kilomètre sous terre. Nous parlons des aquifères salins profonds. Ils n'ont pas d'échange avec les aquifères qui fournissent l'eau potable. Une fois de plus, j'ai posé ce genre de questions à mes collègues géoscientifiques, à propos des probabilités du degré de sécurité ou de confiance. Nous devons certainement nous assurer d'étudier chaque formation avec soin. De grands travaux sont effectués en ce sens. Nous possédons aussi les technologies nécessaires pour sceller les sites d'entreposage et les surveiller.
Le sénateur Brown : Bien. Je m'inquiète du fait qu'on veut les sceller. Ces aquifères dans les régions rurales de l'Alberta ont de plus en plus de méthane et de SO2 simplement à cause du forage qui s'est effectué dans le sud de l'Alberta. Maintenant, nous forons quatre puits par quart de section pour trouver du méthane. Les géologues nous disent que la nature déteste le vide. Quand on commence à extraire quelque chose d'un aquifère, la nature veut remplacer la pression à partir d'ailleurs et cherche les fractures pour le faire. C'est pour cela que je crains que le carbone s'échappe. Je ne suis pas contre le stockage du carbone, mais je me demande si nous pouvons le garder là où il est stocké.
Êtes-vous au courant de la récente étude réalisée en Alberta pour essayer de déterminer si le stockage du CO2 peut provoquer des tremblements de terre?
M. Layzell : Oui, je la connais. Je connais les chercheurs qui ont fait cette étude importante. C'est de ce type d'étude dont nous avons besoin. C'est ce qu'il faut faire au cours des 10 prochaines années.
Il y a de nombreux œufs dans le panier de la séquestration du carbone au Canada. Nous devons réaliser ces études parce que si cela ne fonctionne pas, le défi est d'autant plus grand.
Il se pourrait que nous puissions trouver d'autres façons d'extraire le carbone de l'atmosphère et de le stocker dans la pierre, comme je l'ai mentionné, essentiellement pour le transformer en calcaire. Mais nous ne possédons pas les technologies pour le faire de manière rentable.
Nous avons de nombreux œufs dans le panier actuellement. Nous avons besoin des cinq à dix prochaines années pour réaliser les projets pilotes et répondre exactement aux questions que vous posez. Ce sont des questions extrêmement importantes.
Le président : Qui dirige cette étude?
M. Layzell : David Eaton, le chef du département de géoscience à l'Université de Calgary.
Le sénateur Lang : Vous avez adopté une approche multidisciplinaire pour ces études, et nous avons parlé et entendu parler des coûts afférents, même si nous ne savons pas ce que cela coûtera aux Canadiens. Au bout du compte, Joe Payeur veut savoir quel sera le coût moyen pour la famille canadienne moyenne si nous allons de l'avant avec le plafonnement et l'échange, si les coûts de l'énergie augmentent et si nous acceptons tous les aspects connexes. Faisons-nous des modélisations pour pouvoir indiquer aux Canadiens la facture complète et réelle?
M. Layzell : Je pense qu'on pourra connaître le coût. Le coût ne serait pas imposé tout de suite, mais il augmenterait graduellement. Cela stimulera les énergies renouvelables et de remplacement afin qu'il n'y ait pas de coût environnemental. Si l'on planifie sur une période de 20 à 40 ans et que les régions du pays collaborent, on peut réduire ce coût.
Il faudra peut-être compter entre 50 et 100 $ la tonne, mais pas pour toutes les tonnes. C'est probablement le prix à payer avant de voir d'importantes réductions des émissions de CO2. On peut obtenir certaines réductions de CO2 pour beaucoup moins que 50 $ la tonne.
Cinquante dollars par tonne de CO2 émis par baril de pétrole, cela accroît le coût du baril d'environ 25 $. Le prix du baril de pétrole a augmenté de 25 $ ces dernières semaines. Dans ce cas, ces 25 $ serviraient à stimuler des énergies de remplacement.
Je ne propose certainement pas d'imposer cela maintenant et je ne crois pas que personne le propose. Mais cela donne une idée de l'ordre de grandeur.
Le sénateur McCoy : Une étude crédible prévoit le coût en fonction du PIB régional et de l'emploi. Elle est parrainée par la Banque Toronto-Dominion.
M. Layzell : Je la connais.
Le sénateur McCoy : Elle se fonde sur une modélisation effectuée par Mark Jaccard, qui, je crois, a conseillé le gouvernement de la Colombie-Britannique sur les plans relatifs aux changements climatiques. Dans cette étude, M. Jaccard a estimé la pénétration technologique que son modèle apporterait en supposant un coût de 50 à 100 $ par tonne de carbone.
Est-ce que cela correspond à l'avenir énergétique que vous nous avez décrit ce soir?
M. Layzell : Je ne sais pas. Je n'ai pas fait d'analyse assez détaillée à ce sujet.
Le sénateur McCoy : Nous devrons vous inviter à nouveau, dans ce cas.
Le président : Monsieur, je ne saurais vous dire à quel point nous apprécions que vous soyez venu ici pour échanger avec nous. Vous pouvez voir que nous nous attaquons à un dossier de taille et que nous apprenons à mesure que nous avançons. Heureusement, nous sommes au début de notre étude. J'espère donc que nous pourrons vous inviter à nouveau.
Chers collègues, notre prochain témoin est M. Thomas Homer-Dixon, qui dirige le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, Chaire des systèmes mondiaux, à la Balsillie School of International Affairs à Waterloo, au Canada. Il est professeur au Centre pour l'environnement et les affaires de la faculté d'environnement de l'Université de Waterloo.
Bienvenue, monsieur.
Thomas Homer-Dixon, professeur, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, Chaire des systèmes mondiaux, Balsillie School of International Affairs : Bonsoir. J'aimerais d'abord gérer un peu les attentes. Je suis sociologue de formation, même si je fais depuis deux décennies des recherches sur les politiques reliées aux changements climatiques et sur les relations complexes entre l'énergie et la société. En règle générale, mes recherches portent sur la manière dont les sociétés s'adaptent et innovent sous des pressions complexes, comme le stress des ressources, le stress environnemental et la pénurie d'énergie.
Mes propos feront en grande partie écho à ceux du professeur Layzell. J'ai pensé qu'il serait utile que je fournisse au comité quelques outils vous permettant de réfléchir à la nature du défi énergétique actuel, d'une ampleur colossale. Nous devons reconnaître que ce défi pourrait ébranler profondément la civilisation humaine. C'est plus facile à comprendre quand on comprend quelques caractéristiques fondamentales de l'énergie et comment les caractéristiques de certaines des sources cruciales d'énergie dont nous dépendons sont en train de changer.
Le président : Dois-je comprendre que vous croyez dans la science des changements climatiques et que la nécessité de revoir le système énergétique de la planète est une conséquence directe de cette science?
M. Homer-Dixon : C'est une conséquence de deux choses. C'est en partie la conséquence du fait que 80 p. 100 de l'énergie consommée sur la planète provient de combustibles fossiles, et que ce la rejette du dioxyde de carbone, qui provoque les changements climatiques.
Le président : Vous croyez cela et vous êtes à l'aise avec cette science?
M. Homer-Dixon : Je pense que la science est solide. Je suis d'accord avec le professeur Layzell. Je pense qu'il y a un vaste et profond consensus parmi les scientifiques à ce sujet. Les aspects fondamentaux des changements climatiques sont assez bien compris. Les détails, en particulier plus on va loin dans le siècle, sur la gravité future, le sont moins. On peut au moins présenter des arguments plausibles démontrant que la situation pourrait être extrêmement grave. La prudence dicte de commencer maintenant à s'attaquer énergiquement au problème.
L'autre fait qui provoque cette transition énergétique est la hausse rapide du coût énergétique du pétrole conventionnel, illustrée dans le diagramme que nous avons devant nous.
Il faut garder en tête deux séries de caractéristiques des sources d'énergie. Certaines caractéristiques sont liées aux propriétés intrinsèques de la source d'énergie. J'y reviendrai dans quelques minutes.
Une autre caractéristique des sources d'énergie est liée aux processus de production d'énergie. J'insiste sur l'énergie dépensée par énergie produite, qu'on appelle parfois le rendement sur l'énergie investie, représenté par EROEI sur l'axe de gauche du premier graphique.
Combien faut-il d'énergie pour obtenir cette énergie? Quel est le rendement par unité d'énergie dans laquelle on investit? C'est une caractéristique matérielle fondamentale des sources d'énergie. Elle ne dépend pas des forces du marché ou de l'économie; elle est reliée aux technologies utilisées pour obtenir l'énergie et à la quantité d'énergie que consomment ces technologies.
J'aimerais consacrer presque tout mon temps à ce premier graphique parce qu'il contient une foule de renseignements. Vous remarquerez qu'il porte sur les sources d'énergie nette aux États-Unis. Il n'y a pas de calculs équivalents pour le Canada, mais on peut supposer que les résultats seraient semblables pour le Canada.
L'axe de gauche représente le rendement sur l'énergie investie. Pour le pétrole, il s'agit essentiellement du nombre de barils de pétrole obtenus par baril de pétrole d'énergie dépensé pour forer le sol et extraire ce pétrole. L'ordonnée du bas indique la quantité totale d'énergie dépensée ou produite pour chacune des sources, en quadrillions de BTU.
J'attire votre attention sur quelques aspects particulièrement importants. Vous remarquerez qu'il y a trois bulles pour le pétrole national aux États-Unis. En haut, elle indique environ 100 pour un pour le pétrole en 1930. Cela veut dire que les foreurs texans obtenaient environ 100 barils de pétrole par baril de pétrole d'énergie investi pour extraire ce pétrole. Le ratio est descendu autour de 30 pour un en 1970, mais remarquez que la quantité de pétrole d'énergie consommée ou produite aux États-Unis a nettement augmenté entre les années 1930 et les années 1970. Le ratio est descendu à environ 15 pour un ou 17 pour un vers 2005.
Cette transition a une importance extraordinaire. Je le répète, deux faits marqueront la transition énergétique pendant notre siècle. Le premier est le problème climatique et le second, la hausse du coût énergétique des sources d'énergie les plus cruciales.
Il y a eu une importante baisse du rendement sur l'énergie investie pour le pétrole importé de 1970 à 2005. Voyons quelques-unes des autres sources d'énergie indiquées sur le graphique. Le rendement sur l'énergie investie pour le gaz naturel est inférieur à 20 pour un. Le rendement pour le nucléaire est controversé, mais on peut affirmer que, selon la qualité du minerai extrait pour produire le combustible, selon les caractéristiques du système, selon qu'on inclut ou non le déclassement de la centrale ou l'élimination des déchets, par exemple, le rendement sur l'énergie investie varie de cinq pour uu à 15 pour un ou 20 pour un, ce qui correspond à peu près à ce qui est indiqué sur le graphique. Comme l'a déclaré M. Layzell, l'hydroélectricité donne un assez bon rendement par joule d'énergie investie. Mais ce n'est pas le cas pour l'énergie solaire photovoltaïque. L'éolienne n'est pas mal, mais ce n'est pas un succès retentissant non plus.
Le président : L'éolienne ne donne pas et ne donnera pas de bons résultats, ou pouvons-nous tirer cette conclusion?
M. Homer-Dixon : Cela dépend d'une autre caractéristique de l'énergie éolienne, sur laquelle je reviendrai dans un instant.
Je veux attirer votre attention sur la bande au bas du graphique au sujet de l'EROEI minimum requis. Certains chercheurs diraient que, dans l'ensemble, lorsqu'un rendement tombe au-dessous de 10 pour un ou 8 pour un environ, l'économie ne devient plus viable; elle ne peut plus soutenir la complexité de la société. Il n'y a pas assez d'excédent d'énergie pour faire vivre des villes, des institutions et des technologies complexes, par exemple. Il y a actuellement un débat afin de savoir si c'est vrai, si l'on peut effectivement déterminer un EROEI minimum absolu qu'il faut assurer pour maintenir une société complexe. Mais il semble y avoir un certain fondement raisonnable à cet argument.
Compte tenu de toutes les sources d'énergie dans l'économie, à mesure qu'on descend sur la pente, de 100 pour un à 17 pour un, où se situe le pétrole conventionnel en Amérique du Nord actuellement, à 4 pour un, où se situent les sables bitumineux et à un pour un, où se situe l'éthanol de maïs, à mesure qu'on descend sur cette pente donc, on utilise une proportion de plus en plus grande de richesse et de capital dans l'économie simplement pour produire de l'énergie. Il en reste moins pour tout le reste, y compris s'attaquer aux autres problèmes de plus en plus graves, comme les changements climatiques.
Les changements climatiques demanderont beaucoup d'énergie. Il faudra creuser plus profondément pour trouver de l'eau, dessaler l'eau le long des côtes et pomper l'eau des nouvelles régions humides vers les nouvelles régions sèches. Comme nous l'avons entendu ce soir, des milliards de tonnes de dioxyde de carbone seront enfouies sous terre. Il faudra pour cela des quantités colossales d'énergie, à ce point précis de l'histoire humaine où s'effectue une transition fondamentale de l'EROEI pour l'une des sources d'énergie les plus cruciales.
Le pétrole conventionnel fournit encore 40 p. 100 de l'énergie commerciale de la planète et 98 p. 100 de l'énergie pour le transport. C'est encore la plus importante source d'énergie dans l'économie mondiale. Il n'y a pas de plan B clair, une source d'énergie de remplacement, à mesure que le pétrole conventionnel devient de plus en plus cher.
La conclusion est claire pour tout le monde. Il faudra creuser plus profondément dans des environnements plus hostiles pour trouver de plus petites quantités de pétrole de moins bonne qualité. Il faudra travailler plus fort pour chaque baril de pétrole supplémentaire. Cela ne changera pas. C'est une nouvelle réalité fondamentale à laquelle nous devons nous adapter.
Le dernier point au sujet du premier graphique est que la transition de l'EROEI, qui a été constatée par le passé dans d'autres civilisations, a parfois provoqué le déclin de ces civilisations. On peut soutenir de manière crédible que ce qui est arrivé durant les 300 premières années de notre ère, le déclin de l'Empire romain, découle en grande partie du fait qu'il y a eu une transition de l'EROEI à laquelle la civilisation n'a pas pu s'adapter. L'empire ne pouvait tout simplement pas produire assez d'énergie — toute l'énergie venait du bois — pour les armées, les villes, les bureaucraties, les systèmes de transport, l'infrastructure routière et le transfert d'information dans l'empire. Ce sont des défis fondamentaux. L'énergie est la ressource essentielle de nos sociétés et si elle n'est pas disponible, rien n'est possible.
Passons maintenant à la suite de l'exposé, puis je tirerai quelques conclusions. Nous voyons maintenant le graphique intitulé « Composition des émissions des carburants fossiles ». J'attire votre attention sur le fait que les émissions de charbon ont augmenté rapidement depuis une décennie environ et dépassent maintenant celles du pétrole. C'est une conséquence directe du déclin du rendement sur l'énergie investie du pétrole conventionnel. À mesure que le pétrole est devenu plus rare, plus difficile à obtenir, et que la production de la Chine a plafonné et a commencé à décliner — et c'est le cas aussi dans de nombreuses autres régions du monde — les économies, les entreprises et les industries en général ont commencé à se tourner vers le charbon comme principale source d'énergie et ont délaissé le pétrole, en particulier, parce qu'il était devenu beaucoup plus cher. Cette hausse des émissions de charbon coïncide presque exactement avec la hausse des prix du pétrole. Elle a été provoquée par la hausse des prix du pétrole, et la hausse des prix du pétrole est attribuable en grande partie à la hausse du coût énergétique du pétrole.
Pour situer cette transition dans son contexte, je dirais qu'au cours des 200 dernières années, on constate dans les sociétés humaines ce que les spécialistes appellent une décarbonisation continue des sources d'énergie. On est passé du bois au charbon, puis au pétrole et au gaz naturel comme principale source d'énergie et à chacune de ces transitions, on a émis moins de carbone dans l'atmosphère par unité d'énergie produite. Au cours des six dernières années, toutes les régions du monde ont commencé à carboniser à nouveau leur énergie. La décarbonisation s'est arrêtée, elle s'est renversée et, maintenant, la production de carbone par unité d'énergie produite augmente dans toutes les régions du monde. C'est un changement fondamental très important pour les politiques sur les changements climatiques, surtout parce qu'on supposait, il y a cinq ans encore — et des gens éminents le supposent encore — qu'il y a une tendance naturelle des systèmes énergétiques humains vers la décarbonisation, vers la fusion nucléaire, par exemple, sans aucun contenu en carbone.
Je conviens avec le professeur Layzell qu'on utilisera des combustibles fossiles à base de carbone pendant de nombreuses décennies et qu'il y aura probablement pendant très longtemps non pas une décarbonisation du système énergétique mondial mais plutôt une recarbonisation de ce système.
Les deux graphiques suivants illustrent les émissions de carburants fossiles actuelles et selon les scénarios du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Divers scénarios d'émissions du GIEC jusqu'en 2015 sont présentés. La ligne rouge continue correspond au scénario le plus catastrophique, A1F1, produit par le GIEC. Jusqu'à l'an dernier, nous avons été au-dessus ou près de ce scénario A1F1 pendant plusieurs années, à cause de l'accroissement de l'utilisation du charbon dans le monde.
Il y a ensuite un graphique identique sur lequel est ajouté un point rouge qui représente la projection du Global Carbon Project pour cette année. Il y a une baisse substantielle, ce qui est une bonne nouvelle. C'est le seul beau côté de la crise économique mondiale, selon moi. Mais il n'y a pas de quoi se réjouir si la seule façon de réduire les émissions de carbone dans l'atmosphère consiste à provoquer une récession mondiale ou une grave contraction économique.
Nous devrions cependant réfléchir à la possibilité de prolonger cette tendance. C'est peut-être un tournant. Au lieu de revenir à la croissance comme avant la crise économique, nous pouvons peut-être profiter de cette transition et commencer à réduire les émissions mondiales par une politique du carbone énergique.
Deux pages plus loin, on voit essentiellement la même feuille, sur laquelle figurent quelques notes. La prochaine porte sur les émissions des carburants fossiles par les principaux émetteurs, qui représentent plus de 4 p. 100 du total. Elle vise simplement à montrer le principal facteur de cette tendance, la Chine. La Chine ajoute environ 1 500 mégawatts d'électricité par des centrales au charbon toutes les semaines. Cela représente environ 70 000 mégawatts par année, soit l'équivalent de toute la production annuelle d'électricité de la France.
Si les Chinois n'adoptent pas la séquestration du carbone, tous les efforts des autres sur le front de la politique du climat ne servent pas à grand-chose. Les Chinois doivent s'engager dans ce domaine et commencer à réduire leurs émissions de carbone liées à la combustion du charbon. Ils dépendent de plus en plus du charbon, notamment parce que leurs principaux champs de pétrole s'épuisent brusquement. Ainsi, ils commencent à construire des usines de liquéfaction du charbon afin d'obtenir des carburants liquides destinés à leur parc automobile en expansion rapide.
J'ai parlé des caractéristiques d'une source d'énergie en fonction de la quantité d'énergie nécessaire pour la produire. J'aimerais maintenant décrire quelques caractéristiques intrinsèques des sources d'énergie. Sur le graphique illustrant la densité énergétique du carburant, l'axe vertical montre la quantité d'énergie, en mégajoules par litre, dans une source d'énergie donnée, et l'axe horizontal montre les mégajoules par kilogramme; donc la densité gravimétrique et la densité volumétrique.
Une source d'énergie idéale se trouverait dans le coin supérieur droit. Mais pour avoir une bonne source d'énergie de transport, il faut une densité volumétrique élevée parce qu'il faut pouvoir concentrer beaucoup d'énergie dans un petit espace afin de pouvoir la transporter dans un véhicule.
Il se trouve que, parmi toutes les sources d'énergie connues, les hydrocarbures comme le pétrole, le diesel et l'essence sont des carburants de transport extrêmement bons. Il se pourrait qu'on finisse par produire de l'hydrogène à l'aide d'une source d'énergie sans carbone et qu'on convertisse cet hydrogène en un hydrocarbure servant de carburant de transport, mais on retirerait le carbone de l'atmosphère et on le rejetterait ensuite dans l'atmosphère par la combustion de ce carburant.
Le dernier graphique illustre les densités énergétiques comparées de production et de consommation. Il vise simplement à montrer que certaines énergies de remplacement ne règlent pas le problème efficacement, en particulier l'énergie solaire. Il compare les densités énergétiques de la production et de la consommation. Cela signifie essentiellement le nombre de watts par mètre carré produits par un système de production et le nombre de watts par mètre carré consommés dans un système de consommation donné.
Les systèmes de production solaires se trouvent tous en bas : phytomasse, éolien, et cetera. En règle générale, leurs densités énergétiques sont relativement faibles en watts par mètre carré. Les systèmes nécessaires pour alimenter des immeubles de grande hauteur, des supermarchés, des aciéries et des raffineries, des industries et des villes entières ont tous tendance à se trouver vers le haut du graphique. Cela signifie essentiellement qu'il y a une asymétrie géographique fondamentale entre les sources d'énergie renouvelables comme l'éolien, le solaire et la biomasse et la consommation concentrée d'énergie dans les industries et les villes actuellement. Il faut une énergie concentrée, des sources d'énergie concentrées, une densité énergétique énorme. Malheureusement, pour de nombreux usages, l'éolien et le solaire ne font pas l'affaire.
Je conclurai par quelques suggestions pour l'avenir. J'ai essayé d'insister sur le fait que nous sommes aux prises avec un grave problème de l'énergie, assez insoluble, et qu'il n'y a pas de réponses claires. La hausse rapide du coût énergétique du pétrole constitue un défi énorme, à cause de l'importance du pétrole dans l'économie mondiale. Il n'y a pas de substitut évident. Le charbon n'est pas un bon substitut à cause des conséquences sur le carbone de l'utilisation de grandes quantités de charbon. Les émissions de dioxyde de carbone par unité d'énergie produite par le charbon sont beaucoup plus élevées que pour les autres combustibles fossiles. La seule façon d'utiliser le charbon sur grande échelle consiste à séquestrer le carbone. La plupart des autres sources d'énergie, y compris les sources renouvelables comme l'énergie éolienne et l'énergie solaire, ne fournissent pas une énergie possédant les caractéristiques nécessaires pour maintenir les économies, technologies et sociétés modernes et complexes. Cela veut donc dire que le principal objectif devrait être la réalisation d'un gigantesque programme de recherche-développement nécessitant des investissements massifs dans la R-D liée aux technologies de l'énergie.
Il faut des progrès importants dans quatre grands domaines. Le professeur Layzell en a déjà mentionné deux, l'efficience et la conservation. On peut faire beaucoup sans de nouvelles technologies. Mais de nouvelles technologies pourraient contribuer grandement à rendre l'efficience et la conservation plus acceptables dans nos sociétés.
Comme l'a fait remarquer M. Layzell, il faut beaucoup de recherche-développement, surtout pour accélérer la séquestration du carbone accumulé pendant des décennies d'utilisation continue des combustibles fossiles.
Ce qui n'a pas été souligné dans l'exposé précédent, c'est qu'il faut des percées dans les technologies de stockage de l'énergie renouvelable. Le bilan de l'énergie solaire et de l'énergie éolienne serait beaucoup plus positif s'il y avait une bonne capacité de stockage de l'énergie afin que l'intermittence de ces sources ne soit plus un handicap si flagrant au déploiement de ces technologies. Il faut de meilleures technologies de stockage de l'énergie pour les véhicules électriques. Le stockage est l'obstacle le plus important au déploiement sur grande échelle de véhicules électriques. Il faut de meilleures batteries de voiture, pour employer la langue de monsieur Tout-le-monde.
Enfin, il faut rester à l'affût des technologies énergétiques qui pourraient changer les règles du jeu, des technologies qui pourraient permettre d'obtenir de l'énergie sans carbone. Cela pourrait révolutionner les économies.
Rien de tout cela n'arrivera rapidement. Il y a des domaines où le Canada pourrait être un chef de file. J'en ai évoqué deux. Le premier serait la gazéification du charbon, qui présente des possibilités énormes en Alberta, à cause des grandes veines de houille très profondes et inexploitables, qui pourraient être gazéifiées. On fait remonter le gaz à la surface, on enlève le dioxyde de carbone et on le renvoie dans le sol, puis on utilise l'hydrogène qui reste pour produire et exporter de l'électricité. Enfin, il y a la géothermie profonde stimulée, qui consiste à creuser à plusieurs kilomètres, chauffer l'eau à des centaines de degrés Celsius, la pomper à la surface et s'en servir pour faire tourner des turbines et produire une énergie essentiellement sans carbone.
L'Alberta et le Canada en général peuvent être des chefs de file mondiaux de la géothermie profonde. Il faudrait y consacrer des ressources. Dans la période de questions, nous pourrons discuter plus en détail des problèmes potentiels de la géothermie. Il s'agit cependant d'une technologie qui pourrait changer les règles du jeu. Elle procurerait de l'énergie sans carbone à toutes les sociétés du monde. Elle pourrait résoudre de nombreux problèmes actuels par une seule grande transformation énergétique.
Le président : Où en est-on actuellement?
M. Homer-Dixon : Elle est très controversée actuellement.
Le président : À cause du coût?
M. Homer-Dixon : D'abord, soyons clairs sur ce que cela suppose. Il faut creuser très profondément, pas dans la roche sédimentaire, mais dans la roche ignée. C'est difficile par forage conventionnel, mais ce n'est pas insurmontable. C'est un défi technique et de génie. En principe, rien n'empêche de résoudre ce problème.
Je peux vous donner deux exemples récents. Il y a quelques années, il y a eu un projet de géothermie profonde stimulée à Bâle, en Suisse. Ils ont creusé très profondément. Il faut creuser en profondeur, puis aller à l'horizontale et fracturer la roche parce qu'il faut injecter de l'eau dans la roche fracturée, où elle se réchauffe, et la remonter à la surface. Quand ils ont commencé à fracturer la roche, ils ont provoqué d'importants tremblements de terre.
Le président : En Suisse?
M. Homer-Dixon : Oui, à Bâle. Cela a suffi pour faire arrêter l'expérience. Les travaux se sont arrêtés complètement.
Cette année, l'administration Obama a jugé que la géothermie profonde constituait l'une des plus intéressantes possibilités de nouvelles sources d'énergie. Des fonds importants sont prévus pour la géothermie profonde dans le programme de relance économique de 700 milliards de dollars adopté au début de l'année. Une partie de ces fonds a appuyé une entreprise appelée AltaRock Energy Inc., au nord de la Californie, qui faisait une expérience dans une zone sismique.
Quand on a su, grâce à des articles publiés dans le New York Times, que l'expérience à Bâle avait provoqué un tremblement de terre, le département de l'Énergie des États-Unis a réexaminé la proposition d'AltaRock Energy et déterminé que l'entreprise n'avait pas été transparente au sujet de l'expérience de Bâle. Il a déclaré qu'AltaRock Energy ne pouvait creuser qu'à 12 000 pieds et qu'il ne fallait pas fracturer la roche parce que ce cela semblait être la cause des tremblements de terre. En fait, ils devaient creuser plus profondément.
Le président : C'était dans quelle région des États-Unis?
M. Homer-Dixon : Au nord de la Californie. La zone de fracture se trouvait à quelque 15 000 ou 20 000 pieds. L'entreprise a été autorisée à creuser à cette profondeur, mais — et c'est important — à 12 000 pieds, elle a atteint une couche qu'elle n'a pas pu pénétrer. Elle a dépensé 3 millions de dollars pour passer au travers de cette couche mais a dû finalement abandonner le forage parce qu'elle n'y arrivait pas.
Il y a des obstacles techniques, et un récent rapport du Massachusetts Institute of Technology — le MIT — a décrit les détails techniques. Mais la beauté de cette technologie potentielle est qu'on utilise la chaleur produite par la désintégration nucléaire dans le noyau terrestre. Ce réacteur est aussi confiné que n'importe quel réacteur nucléaire dans le système solaire. Il est beaucoup plus logique de creuser simplement dans le sol et d'extraire la chaleur qui se trouve sous nos pieds que de construire des réacteurs nucléaires sur la planète. Si cette technologie peut être mise au point, on pourrait pouvoir dire adieu au problème du réchauffement climatique.
J'aimerais voir de fortes hausses des investissements dans ces quatre domaines, mais aussi des investissements importants dans la « recherche risquée » sur des technologies qui pourraient changer les règles du jeu. La plupart d'entre elles ne fonctionneront pas. Un grand pourcentage ne fonctionnera pas, mais si l'on peut en trouver une ou deux qui fonctionnent, ce serait une véritable percée. Cela pourrait faire toute la différence du monde, et stimuler des industries qui rapporteraient gros au Canada.
Le président : C'est tout?
M. Homer-Dixon : Oui.
Le président : C'est fascinant.
Le sénateur Rompkey : J'aimerais revenir sur l'hydroélectricité, si je le peux. Je constate sur le graphique que le rendement n'est pas mal; il est aussi élevé que pour le pétrole importé et le bois de chauffage. Je crois qu'il ne faudrait pas sous-estimer le bois de chauffage. De nombreuses régions rurales du Canada retournent au bois pour alimenter des chaudières ou des poêles. Bien des gens chauffent au bois.
Je voudrais répéter les questions que j'ai déjà posées, soit quelle contribution l'hydroélectricité peut apporter au panier d'énergies de remplacement. Vous avez déclaré dans votre exposé que l'énergie éolienne ne sera pas très efficace. Étant donné la quantité d'hydroélectricité que nous produisons, quelle contribution pourrait-elle apporter à l'économie canadienne, et que faut-il faire pour lui permettre d'apporter cette contribution?
M. Homer-Dixon : J'ai plein de choses à ajouter aux observations de M. Layzell. Mais en ce qui concerne l'interprétation de ce graphique, vous laissez entendre par cette question que vous voulez déplacer l'ellipse de l'hydroélectricité vers la droite. Vous voulez qu'elle représente une part croissante de la production totale d'énergie au Canada, et peut-être aussi de l'Amérique du Nord, par exemple.
Le problème, avec l'hydroélectricité c'est qu'il y a des limites matérielles à cause de la nature du paysage. On ne peut construire des barrages qui produisent des quantités suffisantes d'énergie qu'à certains endroits. La plupart des meilleurs emplacements pour les barrages sont déjà utilisés. On pourrait commencer à mettre en œuvre certaines des suggestions de M. Layzell, par exemple, harnacher la baie James. Mais je crois que cela ne serait pas accepté, en raison des sensibilités environnementales actuelles. Vu que ces mégaprojets sont souvent des catastrophes et que des conséquences imprévues viendraient hanter de nombreuses générations à avenir, il serait impossible de harnacher la baie James.
Aux États-Unis, la tendance consiste à ouvrir les barrages — on les démantèle et on laisse les rivières couler librement pour reconstituer les stocks de poisson, au lieu de construire de nouveaux barrages.
Quelques spécialistes et experts diraient que l'apogée de la construction des barrages dans le monde est probablement derrière nous. Je pense que c'est probablement faux. Les exigences du problème énergétique nous obligeront à accroître l'hydroélectricité. Nous en utiliserons le plus possible et de toutes les manières possibles. Ce pourrait être souvent par des microcentrales sur de petites rivières et des ruisseaux, grâce à des systèmes de production conçus spécialement pour ne pas perturber les frayères à poisson et ne pas ruiner les écosystèmes. Il y a de la place pour la recherche-développement dans ce domaine.
Pour répondre à votre question, finalement, je ne suis pas convaincu que l'hydroélectricité contribuera grandement à résoudre le problème. C'est une question d'échelle. La plupart des gens ne reconnaissent pas l'échelle énorme de la consommation d'énergie dans les riches économies modernes. Même dans les régions de l'Amérique du Nord ou les pays riches qui en produisent beaucoup, l'hydroélectricité dépasse rarement 50 p. 100 des besoins en énergie de la région. C'est peut-être plus élevé dans certaines régions comme la Colombie-Britannique ou Terre-Neuve-et-Labrador, mais c'est encore une part relativement faible. Je ne crois pas que cette part changera grandement dans les décennies qui viennent, à cause simplement des contraintes des sites où peuvent se construire les centrales. Il reste peut-être encore quelques bons endroits pour des barrages, mais la plupart ont déjà été exploités.
Le sénateur Rompkey : Serait-il utile d'élaborer une politique nationale et d'investir dans ce domaine?
M. Homer-Dixon : Je pense que l'hydroélectricité peut jouer un rôle. Les micro-centrales peuvent jouer un rôle important, surtout pour fournir de l'électricité aux régions rurales ou aux petites villes.
Mais au lieu de mettre l'accent sur l'hydroélectricité, je laisserais le marché appliquer ses connaissances et son entrepreneuriat. Fixer un prix pour le carbone commencerait à inciter tout le monde à faire tout ce qui est possible pour produire de l'énergie sans carbone. Si c'est l'hydroélectricité à un endroit donné ou dans une région donnée, soudainement elle devient relativement plus intéressante du point de vue économique que les sources d'énergie basées sur le carbone.
Par conséquent, dès qu'un prix significatif est établi pour le carbone, les règles du jeu deviennent favorables pour tout un éventail d'autres sources d'énergie — dont l'hydroélectricité — qui n'émettent pas beaucoup de carbone. On laisse ensuite le marché déterminer ce qui est bon pour des pays, régions, situations géographiques et besoins industriels et urbains donnés, au lieu de se concentrer sur l'hydroélectricité et de subventionner, en quelque sorte l'hydroélectricité, ou de promouvoir uniquement l'hydroélectricité par un régime fiscal ou réglementaire.
Le problème, c'est le carbone. Il faut se concentrer sur le carbone, et l'hydroélectricité deviendra un élément de la solution, mais probablement comme des douzaines d'autres choses en même temps.
Le sénateur Rompkey : J'aimerais attirer votre attention sur l'Arctique et les ressources énergétiques qui s'y trouvent. L'Arctique possède environ 12 p. 100 des réserves mondiales de gaz naturel et 30 p. 100 des réserves de pétrole. Mais c'est un environnement hostile, loin des marchés, et la technologie pour extraire ces ressources n'est pas prouvée. Nous ne savons pas non plus quelle part de ces ressources se trouvera sur notre territoire.
M. Homer-Dixon : C'est exact.
Le sénateur Rompkey : S'il y en a une partie sur le territoire canadien, que devrions-nous faire?
M. Homer-Dixon : Je pourrais parler pendant des heures des ressources pétrolières et gazières de l'Arctique. Les estimations que vous avez vues et les statistiques que vous citez sont tirées en grande partie du U.S. Geological Survey, USGS. Quand on examine soigneusement les méthodologies employées pour obtenir ces estimations, on constate qu'elles sont presque entièrement statistiques. Autrement dit, ils ont obtenu des estimations des probabilités des ressources qui pourraient se trouver dans le bassin arctique. Dans bien des cas, elles ne reposent pas vraiment sur l'exploration ou la prospection sur place, parce qu'il a été impossible d'en faire. On n'a pas réussi à aller sur place et à effectuer la prospection sismique pour déterminer ce qui pourrait exister. Ces ressources sont tout à fait hypothétiques pour le moment.
Il y a raison de croire que les estimations du Geological Survey sont beaucoup trop optimistes. Il y aura peut-être des ressources, mais peut-être pas. Je doute qu'il soit facile de les extraire. Les forages pourraient se faire dans un environnement extrêmement hostile. La glace n'aura pas disparu complètement; elle sera mobile; il y aura de nombreux icebergs, surtout au large du Groenland, une région où il y aurait, semble-t-il de grandes réserves de pétrole et de gaz. Dans certaines régions, l'exploration pourrait être tout à fait impossible, à cause des mouvements accrus des icebergs. Il se peut aussi que les changements climatiques provoquent des tempêtes beaucoup plus fortes dans l'Arctique, ce qui empêcherait l'exploration. Et même si de grandes ressources sont trouvées, comment les extraire?
Je ne pense pas que les ressources dans le bassin arctique feront une grande différence pour relever le défi énergétique auquel l'humanité est confrontée actuellement.
Le sénateur Brown : Votre exposé est fascinant. S'il était possible de puiser dans le magma terrestre à l'échelle mondiale, l'équation inévitable de l'action-réaction ne se déclencherait-elle pas?
À Yellowstone, on a tenté d'injecter de l'eau dans un des geysers qui souffle toutes les 24 heures environ.
M. Homer-Dixon : Le geyser Old Faithful.
Le sénateur Brown : Oui. Le premier résultat a été identique à ce que vous avez expliqué pour la Californie — une série de tremblements de terre.
Si l'on commence à retirer la chaleur du magma, il me semble que tôt ou tard, le magma se transformera en roche dure à mesure qu'on enlèvera la chaleur. La première chose qui se perdra, ce seront les mèches parce que le magma est très chaud.
M. Homer-Dixon : On ne creuserait pas jusqu'au magma. On creuse dans la zone juste au-dessus de la transition entre la croûte et le magma, si je comprends bien. C'est entièrement du roc solide.
Ces travaux exigent beaucoup de R-D. Mais il pourrait s'avérer que les pires endroits pour effectuer ces travaux sont le nord de la Californie, le parc Yellowstone ou les Alpes, à cause du risque potentiel de tremblement de terre dans ces zones d'activité sismique. De toute évidence, il y a beaucoup à apprendre.
En principe, c'est relativement attrayant. Je ne connais pas les statistiques, mais je dirais que la quantité d'énergie dans le centre de la Terre dépasserait des dizaines de millions de fois les besoins humains.
Je ne pense pas qu'il y aurait un risque de convertir le magma en roche solide. La chaleur sera là pendant très longtemps. Elle se régénère constamment à cause de la décomposition des matières radioactives au centre de la Terre.
Le sénateur Brown : D'après certains experts, il y a un grand besoin pour beaucoup plus d'énergie et il faut la trouver. Votre graphique indiquait des quadrillions de BTU par année, provenant de diverses sources d'énergie.
Est-ce que quelqu'un a tenté de mesurer les quadrillions de BTU par jour que fournit le soleil? Cela me semblerait une source inépuisable.
M. Homer-Dixon : Oui, elle l'est. Je suis content que vous en parliez.
La radiation qui tombe sur la surface de la Terre est des dizaines de milliers de fois plus élevée que la consommation de toute l'humanité au quotidien.
Mon dernier graphique montre que le problème de l'énergie solaire, c'est qu'elle est relativement diffuse. À midi, un jour ensoleillé dans le désert de l'Arizona, on obtient environ 1 000 watts au mètre carré. Un bon système photovoltaïque peut en convertir peut-être 200 watts en électricité dans des conditions idéales. Le reste du monde, la plupart du temps, génère une puissance beaucoup plus faible au mètre carré. Le soleil fournit une quantité énorme d'énergie, mais elle est répartie de manière diffuse sur la surface de la planète. On a tendance à utiliser l'énergie de manière concentrée, par exemple, dans les immeubles urbains. Un gratte-ciel au centre-ville de Toronto consomme des milliers de watts au mètre carré. Il y a un décalage physique fondamental entre les caractéristiques géophysiques de la production d'énergie solaire, d'énergie éolienne et de la biomasse, et celles de la densité de la consommation d'énergie.
Pour régler le problème efficacement, il faut des sources d'énergie à forte densité d'énergie, sinon il faudra reconfigurer complètement nos sociétés et les disperser dans la campagne. De cette façon, l'énergie consommée correspondrait à peu près à la quantité d'énergie solaire qui tombe dans les régions habitées. Cela supposerait une reconfiguration géographique spectaculaire de nos sociétés.
Le sénateur Brown : Un ancien député de Red Deer, en Alberta, Bob Mills, travaille par lui-même dans ce domaine depuis une quinzaine d'années. Chez lui, à Red Deer, il produit plus d'énergie qu'il n'en consomme. Il vend l'énergie excédentaire au réseau albertain. Je n'ai pas vu sa maison, mais j'espère le faire bientôt. Il prétend que cela fonctionne aussi bien les jours ennuagés que les jours ensoleillés.
M. Homer-Dixon : Cela ne m'étonnerait pas. Notre ancien ministre des Finances Donald MacDonald m'a montré le système dans sa maison au nord de Toronto qui produit lui aussi plus d'énergie que ce qui est consommé.
Pendant la période intermédiaire des quelques décennies de transition qui nous éloignera des combustibles fossiles, on vise une hausse de 30 p. 100 de l'efficience et de la conservation et de 30 p. 100 des énergies renouvelables — éolienne et solaire — en grande partie pour la production décentralisée et pour la consommation d'énergie domestique. Il faut des tarifs d'alimentation, comme il y en a en Allemagne, et comme ceux qui ont été instaurés en Ontario, afin d'inciter les gens à installer des panneaux solaires sur leurs toits. C'est une dépense coûteuse et il faut de fortes subventions. Il faut porter un jugement sur les avantages pour le bien public. On ne réussira jamais à alimenter en électricité une aluminerie ou une usine de fabrication d'automobiles avec des panneaux solaires.
Il resterait un besoin de 40 p. 100 pour la production d'électricité sur grande échelle, à forte intensité en capital et distribuée en réseau. Cela veut dire des centrales au charbon qui séquestrent le carbone ou des centrales nucléaires. Cela veut dire également l'électrification des transports. Il y aurait une source centralisée de production de dioxyde de carbone dans les centrales au charbon, le carbone serait séquestré et l'électricité produite alimenterait le parc automobile. Le problème actuellement est que la production de dioxyde carbone est décentralisée dans le parc automobile. On ne peut pas installer une usine de séquestration au bout de chaque pot d'échappement. Électrifions les automobiles et faisons séquestrer dans le sol le carbone produit dans les centrales électriques.
Le sénateur Neufeld : Je parlerai du transport parce que c'est une grande source d'émissions de CO2 partout. Nous avons entendu plus tôt qu'on pourrait utiliser l'hydrogène, qui a fait de grands pas en avant, malgré le problème du transport de grandes quantités pour aller loin. Mais cela pose aussi un problème pour l'électrification.
M. Homer-Dixon : Oui, c'est exact.
Le sénateur Neufeld : Dans combien de temps pourrait-on électrifier le système de transport?
M. Homer-Dixon : Cela pourrait se faire très rapidement.
Le sénateur Neufeld : Je conviens qu'il faudrait rejeter moins de carbone dans l'atmosphère, mais les automobiles électriques ne sont peut-être pas ce qu'il y a de mieux pour l'environnement, vu la construction de base, ne pensez-vous pas?
M. Homer-Dixon : L'incidence environnementale totale du cycle de vie d'une Toyota Prius n'a pas l'air très impressionnante quand on tient compte de tous les éléments, comme la consommation d'énergie, la teneur en carbone, les déchets toxiques, et cetera. Vous avez tout à fait raison. Le comité voudrait peut-être inviter David Keith, directeur du groupe des systèmes de l'énergie et de l'environnement à l'ISEEE. Il possède d'énormes connaissances dans ces domaines.
Le président : Il est sur la liste.
M. Homer-Dixon : M. Keith m'a montré les statistiques qui démontrent que fournir de l'électricité à une roue d'automobile coûte environ cinq fois moins cher que l'essence. C'est beaucoup moins cher. C'est pour cela que les propriétaires de véhicules hybrides électriques rechargeables veulent recharger la batterie, parce qu'aller du point A au point B sur la puissance de la batterie coûte beaucoup moins cher qu'avec l'essence. Le principal problème, c'est l'autonomie limitée que procure la charge de la batterie.
Est-ce que l'hydrogène pourrait résoudre ce problème? L'hydrogène avait le vent en poupe il y a quelques années. Tout le monde était emballé. J'ai travaillé pour une entreprise de capital de risque qui appuyait le développement des technologies de l'hydrogène. En moins de deux ans environ, l'enthousiasme s'est émoussé pour diverses raisons. Il était difficile de trouver comment transporter assez d'hydrogène pour exécuter une tâche importante, comme déplacer un véhicule sur une longue distance. Le problème du stockage était difficile à résoudre.
Sur le graphique que j'ai remis au comité, on peut voir que même lorsque l'hydrogène est liquéfié, la densité volumétrique ou les mégajoules par litre de densité énergétique est très faible. Par conséquent, l'hydrogène est beaucoup moins attrayant que l'essence ou le diesel comme carburant parce qu'il faut de gros réservoirs pour stocker assez de carburant pour parcourir les distances auxquelles les gens sont habitués de nos jours.
Il y a un problème plus fondamental. Quand on a de l'hydrogène dans une automobile, il alimente une pile à combustible, produit de l'électricité et fait tourner un moteur électrique, ce qui entraîne des pertes d'efficience. Pourquoi ne pas stocker simplement l'électricité dans une batterie, faire tourner le moteur électrique et éliminer ces pertes d'efficience? Avec l'hydrogène, on ajoute une étape entre la source d'énergie et l'électricité à la roue. On ferait aussi bien de fournir l'électricité directement à l'automobile au lieu de mettre de l'hydrogène dans l'automobile et de produire de l'électricité à partir de l'hydrogène. On s'est aperçu que, fondamentalement, il était illogique de vouloir mettre de l'hydrogène dans les véhicules de transport à cause de cette perte fondamentale d'efficience. Il était plus logique d'utiliser de l'électricité pure et simple.
Le sénateur Neufeld : Je comprends vos points de vue. J'ai un point de vue différent au sujet de l'hydrogène et de ce qu'il pourrait faire à l'avenir. Il y a eu de nombreuses expériences avec l'hydrogène, pas seulement en Colombie-Britannique. Ford, General Motors et Honda font des expériences, au moment où nous nous parlons. Mais le problème est le même, on ne peut pas aller loin. C'est le même problème que pour les véhicules électriques rechargeables.
M. Homer-Dixon : En effet.
Le sénateur Neufeld : Je conviens qu'il n'y a pas de solution miracle. Il y aura beaucoup de choses à faire. À l'heure actuelle, le gaz naturel comprimé est grandement utilisé dans les gros camions dans l'industrie des transports. La Chine et les États-Unis utilisent la plupart des technologies conçues au Canada. Ce sont des possibilités pour l'avenir et elles devraient rester dans le panier. Des gens comme vous et d'autres qui font ce genre de travail trouveront peut-être la solution miracle.
Sur votre graphique, le gaz naturel est à 20 pour un, si je ne m'abuse.
M. Homer-Dixon : Oui, et probablement moins pour le gaz de schiste.
Le sénateur Neufeld : Ce serait moins pour le gaz de schiste parce qu'il faut plus d'énergie pour obtenir ce gaz.
M. Homer-Dixon : On perce de nombreux trous et il faut de grandes quantités d'eau sous pression.
Le sénateur Neufeld : Pour le pétrole national de 1930 à 1970, on passe de 100 pour un à 30 pour un. Où se situait le gaz naturel il y a 30 ans?
M. Homer-Dixon : Je ne sais pas. Je devrais poser la question aux chercheurs.
Le sénateur Neufeld : Pouvons-nous vous demander de le faire?
M. Homer-Dixon : Le graphique est tiré d'un rapport du Post Carbon Institute paru la semaine dernière. C'est la première fois que je vois cette analyse réunie au même endroit. Vous avez raison de penser qu'il est intéressant de suivre les trajectoires dans le temps. Le charbon a probablement monté. Le charbon a un EROEI qui varie entre 50 pour un et 80 pour un. À mesure qu'on est devenu plus efficace pour faire sauter les sommets des montagnes et transporter la matière extraite dans de gros camions, on a probablement accru le rendement sur l'énergie investie. En principe, il n'y a aucune raison pour laquelle ils doivent tous descendre, pendant un certain temps tout au moins. Il serait intéressant de savoir ce qui est arrivé au gaz naturel. Je pense qu'il a baissé, mais je ne sais pas de combien.
En ce qui concerne l'hydrogène, je suis plutôt incrédule. Le problème, c'est l'autonomie. Le problème, c'est le stockage de l'énergie dans les systèmes de transport. On pourrait peut-être résoudre ce problème avec l'hydrogène ou de nouvelles formes de batteries, ou alors on pourrait électrifier les routes afin de garder une petite batterie dans l'auto et de la recharger rapidement en cours de route. Il y a plusieurs façons de résoudre le problème, mais il faut se concentrer plutôt sur la source d'énergie du véhicule. C'est un problème de recherche, fondamentalement.
Le sénateur Neufeld : Il y a de nombreuses options possibles, mais il faut se rappeler que toute cette énergie doit être produite quelque part d'une façon ou d'une autre et être distribuée ensuite.
M. Homer-Dixon : Du point de vue de l'éducation publique, c'est important, parce que la plupart des gens ne comprennent pas que l'hydrogène ou l'électricité dans une batterie est seulement un véhicule de l'énergie, pas une source d'énergie. Il faut produire de l'énergie électrique pour pouvoir produire de l'hydrogène ailleurs.
Le sénateur Neufeld : Vous avez parlé du stockage de l'énergie, un aspect que nous devons examiner. Je pense que l'hydroélectricité est une grande façon de stocker l'électricité, parce que l'eau peut-être stockée. Près de 90 p. 100 de l'électricité consommée en Colombie-Britannique est propre. Elle vient de l'hydroélectricité et d'énergies renouvelables comme le vent. Je ne pense pas que l'énergie éolienne soit la solution, mais les énergies renouvelables peuvent en faire partie. Il y a des possibilités de minicentrales hydroélectriques lorsque le terrain est accidenté. C'est le cas d'où je viens, ainsi que dans d'autres régions du Canada. C'est plus petit et cela perturbe moins l'environnement. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Homer-Dixon : Je suis d'accord avec tout ce que vous dites. Ma seule réserve serait que, pour que l'hydroélectricité soit un système de stockage de l'énergie combiné à l'éolien, il faut une élévation, ou une situation géographique qui permet de pomper l'eau jusqu'à une élévation, stockée dans un réservoir et utilisée ensuite pour faire tourner les turbines lorsqu'il n'y a pas de vent. Bien des endroits ne possèdent pas les caractéristiques physiques nécessaires à proximité de lieux où il y a beaucoup de vent.
Le sénateur Neufeld : Je ne parle pas de l'eau qu'on pompe. Je parle de l'eau qui descend des montagnes dans le réservoir. On ne pompe pas l'eau.
M. Homer-Dixon : On utilise le vent, quand il vente, pour faire monter l'eau dans un réservoir plus élevé et, quand il n'y a pas de vent, on se sert du réservoir pour produire de l'électricité.
Le sénateur Neufeld : Je parle des immenses réservoirs de stockage. C'est pareil au Québec et au Manitoba. Il y a des possibilités.
M. Homer-Dixon : Le problème du stockage de l'énergie est crucial dans le cas des énergies renouvelables. Pour l'hydroélectricité, il est presque résolu par définition, parce que le stockage de l'énergie se fait derrière le barrage. Mais pour l'énergie solaire et l'énergie éolienne, ce n'est pas encore résolu. Nous parlons du pompage de gaz naturel comprimé dans des chambres souterraines, par exemple. C'est peut-être là que l'hydrogène entrera en jeu. L'hydrogène sera produit sur le lieu de production de l'énergie, là où se trouvent les turbines éoliennes et l'hydrogène sera ensuite consommé.
Le sénateur Neufeld : J'aimerais avoir plus d'information sur l'expérience à Bâle. Je ne connais rien des puits à 10 000 pieds. Pouvez-vous me renseigner sur les puits?
M. Homer-Dixon : Ils sont descendus à environ 20 000 pieds à Bâle, et c'est aussi ce qu'ils voulaient faire au nord de la Californie. L'entreprise en Californie était AltaRock Energy. Le New York Times a publié deux ou trois longs articles à ce sujet au depuis six mois.
Le président : Nous devrions avoir une séance sur la géothermie. Le transport est un facteur tellement important dans la situation actuelle et pour certaines de ces nouvelles technologies. A-t-on suggéré ou proposé une nouvelle façon de propulser les avions? On m'a posé la question la fin de semaine dernière, vu le débat actuel. J'ai entendu la plupart des idées, mais j'ai raté ce bout-là. Il doit bien y avoir quelque chose.
M. Homer-Dixon : Le transport aérien est l'un des problèmes les plus difficiles à résoudre, mais je ne fais pas partie de ceux qui croient qu'il faut simplement cesser de prendre l'avion.
Le président : C'est exactement ce que j'ai dit. La solution, c'est de cesser de prendre l'avion. Ils ne peuvent plus faire d'argent dans le secteur du transport aérien.
M. Homer-Dixon : Parce qu'ils sont tout à fait spéculatifs, les prix de l'énergie augmenteront fortement au cours des prochaines décennies. En termes réels, par rapport aux autres facteurs de production, je ne serais pas étonné si les prix de l'énergie doublaient, triplaient, voire quadruplaient à cause des deux pressions que j'ai indiquées. Il y aura donc une restructuration ou une reconfiguration profonde des technologies.
Je ne serais pas surpris si, d'ici 2025 ou 2030, on commençait à voir de grandes quantités de matériaux non périssables, de produits manufacturés et de minerais, par exemple, traverser les mers à la voile. Les voiliers seront d'avant-garde et les voiles, fabriquées avec les plus récents tissus. On n'aura jamais vu de bateau de ce genre auparavant. Ils auront des voiles, mais utiliseront les technologies les plus avancées et des ordinateurs de pointe pour tirer le plus d'énergie possible du vent. De grandes quantités de matériaux seront transportées par des voiliers d'ici deux ou trois décennies. Il y aura toute une nouvelle industrie touristique sur les voiliers, on fera le tour de la planète à la voile pendant des mois au lieu de prendre l'avion quelques jours.
Le président : Par le passage du Nord-Ouest, évidemment.
M. Homer-Dixon : Pour le transport aérien, je pense que l'évolution pourrait être la suivante : on reconnaîtra que les hydrocarbures, le kérosène en particulier, ont des propriétés qui en font un carburant idéal pour le transport aérien; soit une volatilité relativement faible et une forte densité énergétique, comme je l'ai indiqué. Pour essayer d'obtenir une autonomie de vol raisonnable avec l'hydrogène — et j'ai vu des images à ce sujet — il faut un réservoir énorme au-dessus de la cabine des passagers, ce qui ne plairait pas à beaucoup de passagers, vu les antécédents de l'hydrogène, par exemple, l'explosion du Hindenburg.
Je pense qu'il faudra continuer d'utiliser un carburant semblable au kérosène obtenu par des procédés sans carbone. Un peu comme l'a dit M. Layzell, on produira de l'hydrogène à l'aide d'une source d'énergie sans carbone, et on combinera ensuite l'hydrogène avec le dioxyde de carbone dans l'atmosphère pour produire un hydrocarbure semblable au kérosène, qui propulsera les avions. Une fois brûlé, le carbone retournerait simplement dans l'atmosphère, de sorte que le cycle serait continu. La clé, c'est trouver la source d'énergie sans carbone au début du processus. Je n'élimine pas le transport aérien, mais il coûtera beaucoup plus cher.
Le sénateur McCoy : Vous avez commencé à répondre à une question du sénateur Neufeld, mais je ne pense pas y être revenue, au sujet de la rapidité avec laquelle le système de transport pourrait être électrifié.
M. Homer-Dixon : Je suis content que vous y reveniez. Là encore, pour revenir à David Keith et à quelques conversations que j'ai eues avec lui, il a mentionné — et il avait raison — que lorsque le moteur à combustion a été inventé et que les premières conceptions viables de voitures sont devenues réalité à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la transition du cheval à l'automobile, surtout dans les villes, s'est faite très rapidement, dans une quinzaine d'années.
Il estime que, compte tenu de l'avantage de coût de l'électricité, que j'ai évoqué plus tôt, le coût de l'énergie électrique pour mouvoir la roue, comparativement à l'essence, est environ cinq fois moins cher. Si l'on peut régler le problème de l'autonomie, la transition pourrait être très rapide. Il y a des avantages énormes à passer à l'électricité, tout au moins pour l'automobile. Pour les camions, c'est une autre histoire, mais pour l'automobile, la transition pourrait se faire très vite.
Je suis étonné de voir que les véhicules hybrides sont déjà aussi populaires malgré le fait qu'ils n'offrent pas encore d'énormes avantages économiques. Quand il y aura un grand avantage économique, la transition pourrait être très rapide. Cela dépend énormément des bons signaux de prix. Dans ce cas-ci, pour offrir les bons encouragements afin de promouvoir la voiture électrique, il faut résoudre le problème de l'autonomie.
Le sénateur McCoy : Pourquoi serait-ce différent pour le camionnage?
M. Homer-Dixon : Je devrais renvoyer la question aux experts, mais si je comprends bien, sur les longues distances, les besoins de forte puissance du camionnage rendent les véhicules électriques inadaptés pour le moment.
Le sénateur McCoy : Pensez-vous que c'est aussi une question d'autonomie?
M. Homer-Dixon : C'est une question d'autonomie et de puissance; il faut une très grande force motrice, que possèdent évidemment les moteurs électriques. Je devrais renvoyer la question à des gens comme M. Layzell. Mais j'ai lu que l'électrification des camions est beaucoup plus problématique que celle des automobiles.
Le sénateur McCoy : J'aimerais revenir sur votre dernier graphique pour mieux le comprendre, mais nous pouvons le faire après la séance.
On suppose que personne ne fait quoi que ce soit à moins qu'il ait un encouragement ou une compulsion. Il semble bien en être ainsi. Personne n'a fait quoi que ce soit de sérieux au Canada pour réduire le carbone, et tous nos plans vont dans le sens d'une obligation quelconque imposée par le gouvernement.
Je constate que vous avez étudié cette question du point de vue de la science cognitive, de la psychologie sociale et de la théorie des systèmes complexes. Je pense que vous êtes le premier à venir nous en parler.
Quelle est la validité de cette hypothèse, selon vous?
M. Homer-Dixon : Pour obtenir les bons encouragements économiques — et je ne parlerai pas de la compulsion — il faut des carottes et des bâtons. Il y a des avantages et des inconvénients économiques à agir de certaines façons. Les encouragements économiques liés à une taxe carbone ou à un prix du carbone feraient une énorme différence.
À l'heure actuelle, en ce qui concerne la psychologie du problème, il y a beaucoup de gens qui veulent faire ce qui est bien, et ils le font de plusieurs manières en assumant le coût. Ils peuvent acheter une Prius, même sans subvention, alors leur voiture leur coûte probablement plus cher au départ. Au bout du compte, elle ne répond peut-être pas à leurs besoins, parce qu'ils sont serrés à l'intérieur, alors ils paient des coûts de diverses façons, petites ou grandes, afin de tenter de faire une différence.
Le problème, maintenant, c'est que les impulsions éthiques poussent dans une direction et les encouragements économiques poussent dans une autre. Les encouragements économiques n'incitent pas à devenir plus écologiques, mais les impulsions économiques, si. Il faut aligner les deux dans le même sens. La réaction publique sera alors plus vigoureuse.
Ces n'est pas seulement une question économique. Les gens font des choix parce qu'ils pensent que c'est la bonne chose à faire. Mais si les encouragements économiques vont dans le sens opposé, il est très difficile de suivre les impulsions éthiques. La pente est très dure à monter.
Vous avez posé la question du plafonnement et de l'échange par rapport aux taxes. Je suis tout à fait d'accord avec M. Layzell. Les taxes sont plus difficiles à faire accepter, et le plafonnement et l'échange créeront d'énormes bureaucraties — ironiquement, parce que c'est généralement l'approche préférée. Mais elle est beaucoup plus lourde du point de vue des bureaucraties et des infrastructures institutionnelles.
Essentiellement, la solution choisie m'importe peu, mais il faut faire comprendre aux gens — et je le dis en termes moraux — qu'ils doivent payer un prix pour utiliser l'atmosphère comme poubelle pour leur carbone, tout comme on paie un prix pour jeter ses déchets dans le dépotoir local.
À Fergus, en Ontario, je dois aller à l'épicerie locale et acheter de petits sacs en plastique jaune qui coûtent 1,50 $ chacun. J'y mets mes déchets ménagers et je les dépose au bord du trottoir. C'est un système d'utilisateur-payeur. Les ménages qui avaient l'habitude d'avoir une douzaine de sacs noirs de déchets par semaine en ont maintenant seulement un ou deux; cela fait une vraie différence.
On commence ensuite à jouer sur les impulsions éthiques. Les gens commencent à penser qu'on peut vraiment réduire la quantité de déchets quand on s'y met. C'est renversant de voir combien de gens, surtout avec les enfants dans les familles, ont ces conversations et transforment la réduction des déchets en un jeu.
Il faut que les encouragements économiques aillent dans le même sens que les impulsions éthiques. Si on la présente comme un prix à payer pour l'utilisation de l'atmosphère comme puits de carbone, une stratégie d'utilisateur-payeur fonctionne. On peut ensuite aborder les taxes et les présenter dans la perspective de l'utilisateur-payeur.
Il faut présenter le problème autrement. On l'a présenté d'une manière qui a empoisonné les politiciens. Je pense qu'on peut le présenter autrement; il faut savoir comment l'expliquer aux gens. On peut ensuite commencer à travailler avec le bon côté des gens, au lieu de leur mauvais côté.
Le président : Sénateur McCoy, vous avez révélé le premier psychiatre de l'énergie. C'est formidable.
Merci, monsieur, pour ces remarques judicieuses. Votre approche est unique et très instructive pour nous faire avancer dans nos études.
Nous quitterons les ondes et demanderons aux sénateurs de rester quelques minutes pour discuter du budget.
Chers collègues, nous examinons le budget supplémentaire dont nous avons besoin pour poursuivre cette étude jusqu'à la fin de l'exercice. Il y a eu un petit pépin, mais ce n'est pas grave. De nombreux aspects entrent en jeu quand nous partons en tournée, comme nous le ferons lorsque nous irons en Colombie-Britannique, sénateur Neufeld. Il est essentiel d'avoir les traducteurs et tout le matériel qui va avec.
Pour des raisons qui ne sont pas pertinentes, cela ne figurait pas dans notre documentation lorsque nous avons présenté le budget au comité. Mais nous avons préparé un budget supplémentaire. Nous en avons profité pour inclure quelques autres petites choses, par exemple, un montant pour la publicité, qui pourrait être nécessaire pour les médias locaux si nous avons des audiences publiques.
Le budget supplémentaire demande environ 35 000 $, comme nous en avions prévenu le comité l'autre jour. Nous pensions pouvoir agir sans passer à nouveau par le comité, mais ce n'est pas possible, alors j'ai besoin de votre approbation. Est-ce que quelqu'un veut faire une proposition?
Si quelqu'un a des questions, Mme Gordon est ici. Je lis le texte : Il est convenu que la demande supplémentaire d'autorisation de budget aux fins de son étude spéciale sur le secteur de l'énergie, pour l'exercice se terminant le 31 mars 2010, soit approuvée pour être présentée au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.
Si j'ai une motion et qu'elle est dûment appuyée, nous pourrons alors en discuter.
Le sénateur Mitchell : Je la propose.
Le sénateur Neufeld : Je l'appuie.
Le président : Elle est proposée et appuyée. Qui avait une question?
Le sénateur Mitchell : C'est moi qui ai fait la proposition.
Le président : Pas de questions. Tout le monde est d'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : Je vois que la décision est unanime. Merci beaucoup. Nous avons eu une formidable séance ce soir. Je serai absent jeudi matin, mais le sénateur Mitchell présidera la séance. Je lirai le compte rendu avec soin le lendemain matin.
Je voudrais dire à tous ceux d'entre vous qui sont encore ici que je suis allé à la séance d'information sur Copenhague, à l'intention d'un groupe maintenant connu sous le nom de groupe consultatif du ministre. Nous étions 27, dont des PDG. J'étais le seul à avoir des liens avec la politique, à part un ou deux membres du personnel du ministre. Il y avait des recteurs d'université et des sommités. Le ministre a été formidable tout comme l'ambassadeur à l'environnement, Michael Martin, et l'autre personne des Affaires étrangères et du Commerce international. Je pense que c'est bien parti. Ce n'est pas seulement ce qu'on lit dans les journaux. Le gouvernement semble engagé sérieusement et veut faire une différence. Quarante bureaucrates professionnels font partie de l'équipe de négociation — ils n'étaient pas présents — qui va à Copenhague. C'est une grosse affaire et je vous tiendrai toujours au courant.
(La séance est levée.)