Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 14 - Témoignages du 21 octobre 2009
OTTAWA, le mercredi 21 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 38 pour étudier le Budget des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2010, ainsi que la question des pensions.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Pendant la première partie de notre réunion de ce soir, nous allons avoir le plaisir d'accueillir et d'entendre à nouveau Mme Maria Barrados, présidente de la Commission de la fonction publique du Canada, au sujet de son plus récent rapport annuel. Si nous la recevons au moins une fois par année, et parfois plus, c'est que le mandat de notre comité nous amène régulièrement à nous intéresser au travail que fait la commission qu'elle dirige dans l'intérêt de la fonction publique.
[Français]
Elle est accompagnée ce soir par M. Donald Lemaire, vice-président principal, Direction générale des politiques et par M. Jean Ste-Marie, vice-président intérimaire, Direction générale des vérifications et des services de données.
[Traduction]
Comme nous ne disposons que d'une heure pour cette première partie de notre réunion, je vous saurais gré, mesdames et messieurs, lorsque Mme Barrados nous aura fait part de ses observations préliminaires, de vous en tenir à des questions précises et succinctes quand vous échangerez des commentaires et formulerez vos questions. Chacun pourra ainsi plus facilement participer à la discussion.
[Français]
Maria Barrados, présidente, Commission de la fonction publique du Canada : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de l'occasion de vous rencontrer pour discuter du travail de la Commission de la fonction publique du Canada, plus particulièrement du rapport annuel de la Commission de la fonction publique 2008-2009 et des cinq rapports de vérification, qui ont tous été déposés devant le Parlement le 9 octobre. Je suis accompagnée de M. Donald Lemaire et de M. Jean Ste-Marie.
Le rapport annuel fait état de la troisième année de fonctionnement en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP). En 2008-2009, cette loi touchait 82 organisations représentant plus de 208 000 fonctionnaires, employés occasionnels et étudiants. Nous avons observé une croissance continue au sein de ces organisations.
Nous avons également observé un taux élevé d'activité d'embauche et de dotation. Ce taux d'activité est attribuable à la croissance de la fonction publique, aux départs à la retraite et à un grand nombre de mouvements à l'interne. Par exemple, au cours de la dernière année, nous avons observé une augmentation de 20 p. 100 du nombre de personnes qui étaient nominées à des postes permanents au sein de la fonction publique.
Les différentes activités de surveillance que nous avons réalisées en 2008-2009 nous ont permis de conclure que les valeurs fondamentales que sont le mérite et l'impartialité sont généralement respectées dans l'ensemble de la fonction publique. Néanmoins, la CFP est préoccupée par de nouveaux signes importants indiquant qu'il est nécessaire de faire preuve d'une vigilance accrue pour veiller à ce que les Canadiens continuent de bénéficier, dans les années à venir, d'une fonction publique impartiale et fondée sur le mérite.
Une des attentes principales relatives à la LEFP était la réduction du délai de la dotation, mais celui-ci est encore trop long. Nous n'avons pas eu les gains de rendement prévus quant à la vitesse de déroulement des processus annoncés visant la dotation des postes permanents. En fait, le délai moyen pour doter un poste ne s'est pas amélioré depuis la mise en vigueur de la LEFP de 2005.
D'après notre analyse, la loi actuelle permettrait de réduire considérablement le délai nécessaire pour doter un poste. Selon les évaluations menées auprès des organisations offrant le meilleur rendement, il est possible de réduire jusqu'à 30 p. 100 ce délai. La CFP a également mis à l'essai une nouvelle approche de recrutement externe qui a démontré qu'il est possible d'améliorer cet aspect lorsque les gestionnaires se concentrent à cette tâche et qu'une méthodologie de gestion de projet est adoptée. En utilisant une telle approche pour un processus externe, la dotation a été achevée en 45 jours, à partir de l'annonce jusqu'aux offres de nomination.
[Traduction]
La lenteur de la dotation influence directement la capacité de la fonction publique d'offrir des programmes et des services de qualité à la population canadienne. Lorsque la durée de dotation est excessive, le travail peut être retardé ou le gestionnaire risque d'opter pour des mesures de dotation différentes ou temporaires, comme l'embauche d'employés occasionnels ou des nominations intérimaires, ce qui a des conséquences quant aux valeurs fondamentales et directrices de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la LEFP.
Pour toutes ces raisons, l'amélioration du délai de dotation fait partie intégrante d'autres enjeux que nous avons cernés et qui doivent être réglés, y compris une augmentation, de l'embauche d'employés permanents à partir de la main-d'œuvre occasionnelle. La CFP se dit préoccupée du fait qu'une expérience acquise à titre occasionnel puisse avantager certaines personnes. Elle est aussi préoccupée de l'utilisation inappropriée d'employés temporaires pour doter à long terme des postes existants de la fonction publique.
Nous avons également observé que le Programme fédéral d'expérience de travail étudiant (PFETE) fonctionne relativement bien. Néanmoins, certaines décisions quant à l'intégration des étudiants ne respectent pas la loi, les valeurs directrices ou le cadre de nominations de la CFP.
La CFP a décelé des problèmes de qualité concernant les données et la présentation de rapports. Des données précises sont nécessaires, notamment pour la surveillance du recours aux processus non annoncés et pour la mesure de la représentation des groupes visés par l'équité en matière d'emploi dans les nominations.
Cette année, la CFP a observé de nouveaux défis relativement à la protection de la valeur de l'impartialité. Elle a commencé à noter des cas complexes qui pourraient miner la perception globale d'impartialité politique de la fonction publique, même si ces cas sont appropriés individuellement. Des milliers de nouveaux employés entrent pour la première fois à la fonction publique, et l'utilisation de technologies liées aux médias sociaux fait en sorte que la distinction entre la vie publique et la vie privée s'estompe. Il faudra, à notre avis, redoubler d'efforts pour bien faire comprendre en quoi l'impartialité est une valeur fondamentale de la fonction publique.
Je parlerai maintenant des constatations de nos vérifications récentes. Cette année, selon notre évaluation des risques, nous avons examiné cinq organisations. Nous effectuons nos vérifications dans le contexte de notre responsabilité envers le système de dotation déléguée voulant que nous déterminions les mesures à prendre pour améliorer la gestion de la dotation. Selon nos constatations et la réceptivité de chaque organisation à l'égard de nos recommandations, nous avons pris les mesures suivantes :
Le Bureau de l'Enquêteur correctionnel a mis en place des mesures correctives, et nous avons retiré toutes les restrictions qui avaient été mises sur ses pouvoirs de nomination.
L'Agence des services frontaliers du Canada a déjà pris plusieurs initiatives, et elle fait des progrès. Nous lui avons demandé de nous présenter des plans détaillés, et nous effectuerons une vérification de suivi dans deux ans.
À Santé Canada et à Infrastructure Canada, les cadres supérieurs n'ont pas hésité de prendre des mesures correctives, et se sont engagés à améliorer la gestion de leurs ressources humaines. Ils doivent également nous fournir des rapports supplémentaires afin de s'assurer que le progrès se maintient.
À la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), nous avons trouvé qu'il y a eu un traitement préférentiel dans le cadre de certains processus de dotation qui ont mené à la nomination de cadres de direction (EX) et d'ex-commissaires nommés par décret. Ces derniers sont nommés par les ministres, tandis que les fonctionnaires sont nommés par la CFP, processus qui n'est pas assujetti à la direction de ministres. Les cadres supérieurs à la CISR n'étaient pas d'accord avec certaines de nos constatations. Nous continuerons de faire notre travail de vérification et nos enquêtes au cours de la prochaine année : la CFP enquêtera sur tout processus de nomination interne faisant partie de la vérification et la CISR a convenu de prendre les mesures correctives nécessaires dès réception du rapport d'enquête; si elle le juge nécessaire, la CFP continuera de faire la vérification des processus de dotation de la CISR; et la CISR fera rapport à la Commission quant à la mise en œuvre des recommandations du rapport de vérification d'ici six mois.
Nous poursuivons également nos préparations liées à l'examen quinquennal de la LEFP. À cette fin, la CFP fait le point sur la mise en application de la loi afin de déterminer si elle s'est déroulée comme prévu de même que si elle permettra à la CFP et à d'autres organisations de protéger le mérite et l'impartialité dans les années à venir.
[Français]
Enfin, le Parlement a confié à la Commission de la fonction publique, à titre d'organisme indépendant, la responsabilité particulière de protéger les valeurs que sont le mérite et l'impartialité en tant que fondements d'une fonction publique professionnelle et impartiale. Nous nous sommes engagés à nous acquitter de ce mandat important au nom du Parlement et de tous les Canadiens.
C'est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.
Le président : Madame Barrados, je vous remercie pour vos commentaires.
[Traduction]
Avant que je ne donne la parole aux personnes qui l'ont demandé, pourriez-vous expliquer aux honorables sénateurs, parce que certains d'entre eux ne siègent que depuis peu à ce comité, ce que vous avez dit au sujet des ministres qui désignent les personnes nommées par décret alors que la Commission de la fonction publique nomme des fonctionnaires? Pouvez-vous nous expliquer comment les pouvoirs ont été délégués et le rôle que vous exercez pour vous assurer du respect du processus de nomination?
Mme Barrados : C'est la Commission de la fonction publique qui procède à l'essentiel des nominations, si ce n'est d'environ 3 000 nominations par décret. Ces types de nomination se distinguent par leurs auteurs et par les pouvoirs en vertu desquels elles sont faites.
Il y a une centaine d'années, la question des nominations a fait l'objet d'un important débat politique et il fut alors décidé qu'elles ne relèveraient plus des ministres. C'est pourquoi cet organisme inhabituel, la Commission du service civil, a été mis sur pied. Elle a par la suite changé de nom pour s'appeler la Commission de la fonction publique. C'était la mise en place d'un processus de nominations et d'évaluations non partisan indépendant des directions des ministres.
Par contre, les nominations faites par le gouverneur en conseil, ou nominations par décret, sont faites à la discrétion des ministres; ce sont eux qui prennent les décisions finales. Le gouverneur en conseil procède à plus de 3 000 nominations par décret. Elles visent des sous-ministres, des présidents et des membres de conseils d'administration.
Le sénateur Gerstein : Madame Barrados, j'aimerais que vous nous expliquiez ce qu'il en est des enquêtes, et en particulier dans le cas du processus de dénonciation à la Commission de la fonction publique. Dans le monde de l'entreprise, la personne procédant à des dénonciations peut s'adresser à une personne qui n'appartient pas à sa hiérarchie, comme au président du comité de vérification.
Comment les choses se déroulent-elles à la Commission? Dans quelle mesure ce processus est-il utilisé? Quelle est son efficacité? Quelle protection est assurée au dénonciateur et comment vous y prenez-vous pour détecter les dénonciations frivoles?
Mme Barrados : Je vais vous donner deux réponses parce que j'assume deux responsabilités. Je suis la présidente de la Commission de la fonction publique, qui est responsable de toutes les nominations au sein du gouvernement, mais je dirige aussi une organisation que je dois donc gérer, ainsi que son personnel.
La responsabilité des dénonciations et de la protection des fonctionnaires dénonciateurs incombe au commissaire à l'intégrité, nommé par le Parlement, et non pas à la Commission de la fonction publique. Toutefois, à titre de présidente d'une organisation, je dois gérer les modalités des dénonciations au sein de mon organisation et désigner les personnes qui recevront les plaintes formulées par les personnes, et les enveloppes brunes.
Ce sont deux volets que je gère bien évidemment de façon différente. Au sein de ma propre organisation, j'ai nommé le responsable de mon groupe de vérification interne. Tout un chacun peut s'adresser au responsable de la vérification interne, et aussi communiquer avec le commissaire indépendant, le commissaire à l'intégrité.
Nous adressons des enveloppes brunes aux personnes qui se plaignent ou celles-ci peuvent venir dans nos bureaux, dans les locaux de notre section d'enquête ou de celle de la vérification. Les plaintes empruntent l'une de ces deux voies. Pour vous donner un exemple précis, nous venons de terminer une vérification d'une école de langue qui utilisait mal nos tests linguistiques. Les étudiants fréquentant cette école obtenaient des résultats extraordinaires parce qu'ils avaient des copies de nos tests. Nous l'avons appris parce qu'un fonctionnaire nous a expliqué qu'il venait de passer ce test et qu'il était rigoureusement identique à celui qu'il avait fait comme exercice dans cette école.
Le sénateur Gerstein : Estimez-vous que le dénonciateur est protégé?
Mme Barrados : Le dénonciateur ne peut pas être protégé de façon parfaite à cause de notre législation sur la protection des renseignements personnels. Si quelqu'un formule une plainte contre une autre personne, cette dernière peut demander qu'on lui communique le contenu de la plainte et l'identité de la personne qui l'a formulée.
Le sénateur Gerstein : C'est passablement différent de la façon dont les choses se déroulent dans le monde de l'entreprise.
Mme Barrados : Oui, et cela tient à la législation sur la protection des renseignements personnels. Ce serait une question intéressante à étudier avec le commissaire à l'intégrité.
Le sénateur Ringuette : Madame Barrados, je suis toujours ravie lorsque vous comparaissez devant notre comité. Je me prépare, parce que les questions que vous abordez m'intéressent toujours. J'ai beaucoup lu, parce que votre rapport est détaillé. J'aimerais vous poser des questions sur quelques sujets que j'ai relevés.
Vous indiquez que le nombre de personnes embauchées pour une période indéterminée à l'extérieur de la fonction publique a augmenté à 20,1 p. 100 et représente 22,4 p. 100 de toutes les nouvelles embauches. C'est une hausse passablement importante par rapport aux années antérieures. En avez-vous cherché les raisons? C'est un sujet dont je me suis plainte au cours des cinq dernières années, mais j'imagine qu'il ne suffit pas de se plaindre.
Mme Barrados : À de nombreux titres, c'est plutôt une assez bonne nouvelle. Les personnes embauchées pour une période indéterminée sont celles qui le sont sur une base permanente. Cette évolution s'explique par deux raisons : il y a tout d'abord eu une augmentation de la taille de la fonction publique, et ce n'est pas de mon fait mais de celui du gouvernement. Le gouvernement a décidé qu'il avait besoin d'un plus grand nombre de fonctionnaires et, dans l'ensemble, leur nombre a donc augmenté.
Ce qui me paraît une bonne nouvelle est que le nombre de personnes de l'extérieur qui sont embauchées sur une base permanente a augmenté. Nous avons donc observé une croissance, et celle-ci s'est accompagnée d'un plus grand nombre d'embauches directes permanentes, ce qui me paraît une meilleure façon de procéder. J'ai toujours trouvé inquiétant de s'en remettre à ce que j'ai déjà appelé une « main-d'œuvre d'urgence », c'est-à-dire d'utiliser comme bassin de recrutement les employés occasionnels ou ceux nommés pour une durée déterminée. C'est une amélioration.
Le sénateur Ringuette : Oui, mais au sujet du processus de nominations non annoncées, vous dites dans votre rapport :
Les administrateurs généraux doivent surveiller de plus près et mieux documenter le recours aux processus de nomination non annoncés afin d'assurer le respect des valeurs fondamentales et des valeurs directrices.
Malgré tout, la CFP estime que, en 2008-2009, le pourcentage des processus non annoncés semble avoir diminué par rapport à l'année précédente, passant de 40 p. 100 à 37 p. 100. Les estimations de la CFP indiquent aussi que 84 p. 100 des nominations intérimaires de quatre mois ou plus ont été effectuées au moyen de processus non annoncés.
Si on juxtapose votre premier commentaire et les 84 p. 100 de nominations intérimaires, cela déclenche une sonnette d'alarme.
Mme Barrados : Oui, cela me préoccupe. La législation met en place des modalités de nomination annoncées et non annoncées. Il m'arrive fréquemment de débattre à l'interne de l'à-propos de l'utilisation des modalités non annoncées. La Commission préfère les processus de nomination annoncés, mais il y a des cas dans lesquels il est logique de recourir à des processus de nomination non annoncés. Nous avons constaté que le nombre de nominations de l'extérieur diminue, mais il est encore de 37 p. 100. Toutefois, je suis vraiment préoccupée de voir un nombre si élevé de nominations intérimaires, parce que cela confère un avantage aux personnes qui obtiennent ces nominations intérimaires. Si votre nomination n'est pas intérimaire, vous n'avez que six chances sur 100 d'obtenir une promotion alors que, si vous occupez votre poste à titre intérimaire, vos chances d'en obtenir une sont de 40 p. 100. Il y a donc là un avantage marqué.
Le sénateur Ringuette : Vous indiquez que, dans le cas de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, vous avez étudié 54 nominations. Les critères de mérite et les valeurs directives ont été respectés pour 21 d'entre elles. Cela veut donc dire que, pour les 33 autres nominations, ces critères et ces valeurs, ou l'un des deux seulement, n'ont pas été respectés ou que cela n'a pas été manifeste. Cela représente 61 p. 100 des cas. C'est très préoccupant parce que je soupçonne qu'il ne s'agissait pas dans tous les cas de processus de nominations annoncés.
Mme Barrados : Un certain nombre d'entre eux étaient non annoncés. Ce que cette vérification révèle de très préoccupant est que, si certaines nominations ont été faites dans les règles, l'examen des dossiers de dotation n'a pas permis d'affirmer que cela avait été le cas pour d'autres. Nous n'étions pas en mesure de dire ce qui s'était passé, parce qu'il n'y avait pas eu d'évaluation faite convenablement ou que les dossiers n'étaient pas documentés comme ils auraient dû l'être.
Je ne cesse de rappeler aux gens que lorsque vous embauchez une personne dans la fonction publique, vous faites un investissement de plusieurs millions de dollars, et ce n'est donc pas une tâche qui laisse place à la désinvolture. La documentation nécessaire ne figurait pas dans les dossiers.
Quand nous avons étudié les processus, nous sommes parvenus à la conclusion que certains cadres ainsi nommés avaient bénéficié d'un traitement préférentiel et que d'anciens employés nommés par décret avaient ainsi pu se joindre à la fonction publique. C'est pourquoi, dans le cas de la CISR, nous continuons à y assurer une présence, ce qui est assez inhabituel.
Le sénateur Ringuette : Sur quel aspect précis de votre vérification dites-vous que vous avez constaté des traitements préférentiels d'employés auparavant nommés par décret?
Mme Barrados : Nous avons examiné comment les choses se sont réellement passées. Dans un cas, il y a eu 174 candidats, mais seulement trois auraient eu les qualifications nécessaires, et toute l'expérience souhaitée. Il s'agissait d'anciens employés nommés par décret, dont le mandat avait expiré, et qui se sont alors vus attribuer des postes permanents au sein de la fonction publique. Quand nous avons étudié ces processus, nous avons estimé qu'ils ne respectaient pas le critère du caractère raisonnable.
Le sénateur Ringuette : Je me souviens d'un projet de loi traitant de responsabilité ou d'imputabilité qui essayait de supprimer ce type d'initiative pour empêcher les personnes nommées par décret de devenir des employés permanents de la fonction publique avant un certain temps, et en imposant le respect de certains critères.
À Santé Canada, vous avez étudié 51 nominations dans toutes les régions du pays. Vous dites être préoccupée par le fait que la plupart d'entre elles, et des processus utilisés, n'étaient pas conformes. Elles ne respectaient pas les dispositions de la LEFP; les valeurs directrices d'équité, d'accès, de transparence et de représentativité, les politiques de la CFP, ou les dispositions des délégations de pouvoir et des instruments de responsabilisation signés avec la CFP. Vous avez relevé 28 nominations pour lesquelles le respect des critères de mérite n'était pas démontré. Cela constitue 64,7 p. 100 des cas étudiés dans votre vérification. Il ne s'agit pas de toutes les nouvelles nominations. Je ne sais pas quel pourcentage de toutes les nominations votre vérification a couvert, mais il ne s'agissait que d'une portion.
Sur cette portion, vous avez relevé que 64,7 p. 100 des cas ne respectaient pas les critères de transparence, de responsabilisation et de représentativité imposés par les délégations de pouvoir de nominations et les politiques en la matière. C'est très inquiétant.
Mme Barrados : Les conditions qui prévalaient à Santé Canada constituent un ensemble de circonstances très intéressant, parce que les processus de gestion avaient été mis en place. Le cadre était là. Leurs politiques étaient en place. Le problème est que tout cela n'avait pas été mis en œuvre et que la haute direction n'exerçait pas un contrôle suffisant pour s'assurer que toutes ces dispositions étaient bien appliquées comme elles le devaient.
Dans le cas de Santé Canada, quand nous avons attiré l'attention de la haute direction sur cet aspect des choses, elle l'a pris très au sérieux et a imposé immédiatement des mesures correctrices. Dans leur cas, nous leur demandons davantage de rapports parce qu'ils se sont déjà engagés à apporter des correctifs et conviennent qu'il faut améliorer la situation. À mes yeux, cela montre bien combien il est important de suivre ce que les gens font.
Le sénateur Ringuette : Oui, et il est important de disposer d'un plan d'action dans le domaine des RH. Toutefois, il semble qu'un tel plan ne soit qu'une façade quand 64,7 p. 100 ne se conforment pas aux politiques de base d'équité, de transparence, et cetera.
Comme j'étais préoccupée par ces questions, j'ai demandé au début août à certains membres de mon personnel de s'informer sur les bureaux de placement dans la région d'Ottawa. Sept sont très actifs. Le gouvernement fédéral annonçait à l'époque 87 emplois de bureau, et nous avons vérifié en consultant le site jobs-emplois.gc.ca pour constater que seulement neuf de ces emplois étaient annoncés sur ce site Web, soit 10 p. 100. Quatre-vingt-dix pour cent de ces emplois de bureau étaient annoncés par des bureaux de placement.
Puis, nous nous sommes penchés sur les contrats de ce même groupe d'agences. Cinquante-deux emplois étaient annoncés. Aucun d'entre eux n'était affiché sur le site d'affichage public jobs-emplois.gc.ca. C'est très préoccupant.
J'observe que de plus en plus de ministères ont recours à des bureaux de placement au lieu de suivre les voies qui conviennent, en utilisant votre système d'affichage public sur le site jobs-emploi.gc.ca. Le problème de l'élimination des restrictions géographiques n'est donc plus valide parce qu'il contourne la politique que vous avez instaurée et seuls les gens de la région d'Ottawa connaissent ces bureaux de placement avec lesquels le gouvernement et les divers ministères font affaire.
Le président : Nous allons maintenant laisser Mme Barrados répondre.
Mme Barrados : Cela me préoccupe aussi. Un certain nombre de députés et de sénateurs ont abordé cette question avec moi. Nous avons travaillé fort pour tenter de cerner avec précision les nombres et le type de situations dans lesquelles cela se produit le plus fréquemment. Un certain nombre d'aspects de ce phénomène présentent un intérêt particulier. Tout d'abord, c'est un phénomène propre à la région d'Ottawa. Quarante pour cent de la fonction publique se trouvent à Ottawa. Ce phénomène est inexistant dans les 60 p. 100 de la fonction publique située à l'extérieur d'Ottawa. Nous parlons d'environ 300 millions de dollars. C'est une somme qui a augmenté. Cette solution n'est pas utilisée que pour les emplois de bureau, mais également pour les postes de professionnels.
Ces personnes ne sont pas embauchées comme fonctionnaires, ce qui constitue un autre aspect du problème. En pratique, elles ne sont pas assujetties à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, mais nombre d'entre elles y travaillent pendant longtemps et y assument des rôles et des responsabilités comme si elles étaient fonctionnaires, mais sans avoir à respecter nombre des exigences des fonctionnaires, comme le bilinguisme par exemple. Cela soulève aussi d'éventuels problèmes en matière de sécurité. Ces personnes ont la possibilité de devenir des employés permanents. Si je vous ai parlé plus tôt de bonnes nouvelles, j'en ai aussi de mauvaises sur le volet informel, parce que les gens qui travaillent pendant 90 jours entrent dans la fonction publique quand ils ont pris connaissance des avantages qu'offre le système.
Madame le sénateur, je partage vos préoccupations. Je ne suis pas convaincue qu'il y ait de solutions faciles parce qu'il ne s'agit pas d'employés de la fonction publique au même titre que les autres, mais ils se comportent comme des employés.
Le sénateur Ringuette : Je vais peut-être devoir réfléchir à nouveau à mon projet de loi et le présenter une autre fois.
Mme Barrados : Nous devrions discuter davantage de ce phénomène.
Le sénateur Mitchell : Madame Barrados, vous connaissez sûrement fort bien les modifications que le projet de loi C-10 a apportées aux modalités de la parité salariale et aux processus et appels dans ce domaine. Pourriez-vous nous dire en quoi ce processus ou cette question au sein de la fonction publique vous concerne ou relève de votre responsabilité? Ensuite, avez-vous une idée de l'ampleur et de l'importance des questions de parité salariale dans la fonction publique, en particulier en ce qui concerne les femmes? Enfin, pourriez-vous nous dire si, à votre avis, ce nouveau processus va réellement faire progresser cette cause ou non?
Mme Barrados : Je suis dans la même situation que de nombreux autres cadres supérieurs de la fonction publique puisque j'ai été informée de l'initiative que le gouvernement a mise en œuvre, mais la Commission de la fonction publique n'assume pas de responsabilité dans ce domaine. Nous sommes responsables de la dotation, des promotions et de l'embauche. C'est l'employeur, c'est-à-dire le gouvernement, qui définit le système de classification et les questions connexes de rémunération.
Je n'ai vraiment rien à ajouter du point de vue de la Commission de la fonction publique, au sujet de la façon dont cela va fonctionner ou des progrès que ce texte de loi va permettre de réaliser.
Étant donné les discussions que vous avez eues à ce comité, nous avons pris soin d'étudier les questions de sexe et de les analyser. La Loi sur l'équité en matière d'emploi nous impose des responsabilités et le groupe des femmes est l'un des groupes désignés.
Nous avons étudié la progression de carrière, c'est-à-dire la façon dont les gens entrent dans la fonction publique, et cherché si certains groupes bénéficient d'un avantage. Nous avons constaté, pour tous les groupes d'emploi, que les hommes ne sont pas plus avantagés que les femmes. Toutefois, quand on se penche sur certaines catégories et sur certains niveaux précis, on observe dans de nombreux cas que les hommes bénéficient d'un avantage.
Le sénateur Mitchell : Et aux niveaux de direction?
Mme Barrados : Les chiffres que j'ai vus portent davantage sur les niveaux subalternes.
Le sénateur Mitchell : Si je ne me trompe, ces chiffres relèvent de votre responsabilité? Si c'est le cas, pourquoi ne chercheriez-vous pas à obtenir ces nombres pour les cadres supérieurs?
Mme Barrados : Je peux trouver le détail de ces chiffres. Toutefois, lorsque les nombres sont petits, les tendances qu'ils révèlent ne sont pas nécessairement significatives. Nous pouvons voir si ces nombres sont suffisamment significatifs.
Le sénateur Mitchell : Je me contenterai de ceux que vous avez. Par exemple, au sein des 75 postes les plus importants de la GRC, on ne trouve que six femmes. Les chiffres sont faibles, mais révélateurs de quelque chose. En un sens, ils ne signifient pas grand-chose. La situation aux niveaux de direction est un problème très sérieux. Ce serait très bien si vous pouviez nous fournir cette information.
Dans votre exposé, vous avez indiqué que le nombre de postes permanents de la fonction publique a augmenté de 20 p. 100 au cours de la dernière année. Alors que le gouvernement se dit très préoccupé par un déficit de 56 milliards de dollars, cela conduit à poser une question évidente : Pourquoi? Il y a peut-être une raison. Dans quels secteurs ou domaines de l'activité gouvernementale cette hausse s'est-elle produite?
Mme Barrados : Il est évident que la fonction publique est confrontée à un problème de départs en retraite et à un besoin de renouvellement. On a fait de gros efforts pour combler les postes des employés qui prennent leur retraite. Cela soulève toute une série de questions concernant la relève qui convient, le partage des connaissances et les divers aspects de la transition.
Même en tenant compte de tout cela, il y a eu une croissance nette. Vous trouverez dans notre rapport de longs tableaux donnant les chiffres détaillés. Vous observerez tout particulièrement une hausse du nombre d'employés à la Défense, à la Sécurité publique, au Service correctionnel, à Santé Canada et à RHDC. Dans l'ensemble, on enregistre une croissance nette de 4,5 p. 100.
Le sénateur Mitchell : Ceci est purement anecdotique, mais j'ai entendu dire qu'il y a eu une réduction de l'offre de formation linguistique en français pour les anglophones qui en ont besoin pour faire progresser leur carrière dans la fonction publique. Il se peut fort bien que la réciproque soit vraie pour les francophones. L'offre de formation linguistique a-t-elle été modifiée?
Mme Barrados : La Loi sur la modernisation de la fonction publique a été adoptée en 2003 et est entrée en vigueur en 2005. La formation linguistique ne relève plus désormais de la Commission de la fonction publique. Si cette responsabilité ne nous incombe plus, nous procédons toutefois aux évaluations linguistiques. Avec le système en place, c'est nous qui procédons à l'évaluation des connaissances linguistiques.
Les responsabilités en matière de formation linguistique ont été déléguées aux ministères. Au sein de mon organisation, il m'incombe de fixer le volume de la formation linguistique et la façon de la donner. Il y a deux types d'obligations. Tout d'abord, si vous avez affecté un employé qui devrait être bilingue à un poste à nomination non impérative, l'employé est tenu d'apprendre le français et l'employeur est tenu de lui fournir l'occasion de suivre une formation en français. C'est une entreprise coûteuse. Vous devez envoyer la personne à l'extérieur, tout en lui versant son salaire.
Vient ensuite l'obligation d'offrir une formation linguistique en langue seconde aux employés dans le cadre de leur plan personnel de formation et de perfectionnement. Cela sous-tend une forme différente de formation et un type différent d'obligations que dans les cas des postes à nomination non impérative. Avec ce type de formation, l'employé et l'employeur sont tenus de définir leur plan de formation et de perfectionnement pour la personne. La première obligation de l'employeur est de s'assurer que les employés respectent les exigences de l'emploi qu'ils occupent.
Le sénateur Mitchell : En partageant les responsabilités et en les confiant aux ministères, cela ne rend-il pas ces programmes plus vulnérables dans les ministères victimes de coupures? Ils cherchent ce qu'ils peuvent couper et cela se produit sans que nous le sachions parce que cette formation linguistique n'est plus gérée de façon centrale comme auparavant.
Mme Barrados : C'est possible, mais même lorsque vous aviez l'École des langues, les ministères dispensaient également de la formation. Mon expérience m'a permis de constater que les sous-ministres tiennent à la formation linguistique dans les langues officielles. Il y a toutefois une limite à ce que vous pouvez faire et au nombre de personnes que vous pouvez retirer de leurs postes pour les envoyer à l'extérieur apprendre leur langue seconde.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais maintenant vous entendre sur les revenus provenant du recouvrement des coûts. J'ai lu quelque part que vous avez de la difficulté à atteindre les chiffres figurant dans le budget de 2008-2009. Est-ce exact?
Mme Barrados : Le commentaire que j'ai formulé dans le rapport annuel tient compte de la nécessité, pour la Commission, de réduire son budget à la suite de l'examen horizontal. L'examen stratégique auquel sont soumis tous les ministères s'est traduit pour nous par une perte de cinq pour cent de notre budget. J'ai estimé que les nouveaux pouvoirs en matière de recouvrement des coûts qui nous ont été accordés nous permettent de gérer cette réduction parce que nous sommes maintenant en mesure d'offrir un certain nombre de nos services sur une base de recouvrement des coûts. Il ne s'agissait pas d'une plainte. J'expliquais : voilà ce qui s'est passé. Il y a une réduction, mais je crois que nous pouvons y faire face en recourant aux nouveaux pouvoirs qui nous sont accordés en matière de recouvrement des coûts.
Le sénateur Callbeck : Je crois que le budget indiquait 12 millions de dollars l'an dernier pour la période couverte par ce rapport de 2008-2009. De façon approximative, quel montant avez-vous recouvré?
Mme Barrados : Nous avions un objectif de 12 millions de dollars. Le résultat était légèrement inférieur puisque nous avons recouvré 11,8 millions de dollars.
Le sénateur Callbeck : Cette année, c'est 14 millions de dollars.
Mme Barrados : Oui.
Le sénateur Callbeck : Est-ce un chiffre réaliste?
Mme Barrados : Il se peut que je sois trop optimiste. Pour l'avenir, nous avons prévu une réserve d'environ deux millions de dollars. Si je ne parviens pas à atteindre mon objectif de recouvrement des coûts, je disposerai de cette réserve et n'aurai pas à licencier de gens.
Le sénateur Callbeck : Comment fixez-vous le montant du recouvrement des coûts? Des montants sont-ils inscrits dans les budgets des ministères clients qui correspondent à ces 14 millions de dollars?
Mme Barrados : Oui. Vous ne le verrez pas dans les ministères importants qui paient ces montants. Nous fixons ce chiffre en nous appuyant sur notre expérience de l'année précédente. Nous avons au sein de notre organisation un groupe de services qui entretient des relations étroites avec eux. Ils sont passablement bons pour commercialiser ce qu'ils font et conclure des ententes et obtenir des autres ministères du gouvernement les évaluations qu'ils font de leurs besoins. Une grande partie de ces fonds proviennent du Centre de psychologie du personnel. Les activités de celui-ci sont permanentes. C'est un outil unique auquel ont recours les ministères du gouvernement.
S'il devait y avoir des réductions importantes de l'effectif, nous aurions encore les promotions et les transferts au sein de la fonction publique. Il se peut qu'il y ait une réduction. C'est tout simplement une question que nous devrons gérer de façon attentive.
Le sénateur Callbeck : Le chiffre de 14 millions de dollars pour les recouvrements traduit donc une hausse supérieure à 20 p. 100.
Mme Barrados : Oui. Alors que nous mettions en place la modernisation et toutes les mesures qui en ont découlé, le premier ministre a nommé un groupe consultatif pour étudier le fonctionnement de la gestion des ressources humaines. L'un des conseils formulés par ce groupe, qui m'a paru raisonnable et que j'ai donc volontiers accepté, était que les offres de service exigées de la Commission n'avaient plus de caractère obligatoire. Par le passé, la commission devait tout faire elle-même. Nous fonctionnons maintenant dans un modèle de délégation de pouvoir. Ces pouvoirs sont discrétionnaires. Le conseil qui nous a été donné a été que, si ces pouvoirs sont réellement discrétionnaires, nous devrions soumettre ces services à un test de marché : si les gens veulent vraiment ces services, ils devront les payer. Ces décisions relèvent de choix discrétionnaires. Nous utilisons un test de marché et nous nous efforçons de recouvrer les coûts. Cela me paraît une approche raisonnable parce qu'elle favorise l'efficience et signifie que la Commission ne produit que des services que les gens veulent réellement.
Le sénateur Dickson : Votre réponse est précise et détaillée. Mes questions portaient plus précisément sur ce que vous dites des vérifications des cinq organisations dans votre exposé, soit aux points 4 et 5 de vos remarques préliminaires.
Je vous donne rapidement les noms des cinq organisations : le Bureau de l'enquêteur correctionnel, l'Agence des services frontaliers du Canada, Santé Canada, Infrastructure Canada et la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Je remarque que toutes ces organisations réagissent de façon satisfaisante et favorable aux questions que vous avez soulevées avec elles. Ai-je raison?
Mme Barrados : La seule pour laquelle j'émettrai quelques réserves est la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, parce que ses représentants n'ont pas été d'accord avec certaines des conclusions de notre vérification. Ils ne partagent pas certains aspects de l'interprétation que nous avons faite des cas. Cela nous a amenés à conclure une entente avec eux. Nous allons continuer à travailler chez eux dans le but de leur permettre de mieux comprendre ce que nous tentons de faire et, quant à moi, cela me permettra d'avoir davantage confiance qu'ils comprennent réellement ce qu'ils doivent faire et qu'ils le font effectivement.
Le sénateur Dickson : Ma deuxième question porte sur l'Agence des services frontaliers du Canada. Alors que les échanges commerciaux avec les États-Unis posent en permanence des difficultés et qu'il y a des problèmes à la frontière, quels sont les points forts et les points faibles de cette organisation? Pourriez-vous donner au comité un aperçu des plans détaillés que l'Agence a l'intention de vous soumettre comme plan d'action?
Mme Barrados : Je vais demander à Jean Ste-Marie de vous parler du rapport détaillé qu'ils doivent nous transmettre, mais permettez-moi auparavant de vous parler de l'Agence des services frontaliers. C'est une organisation qui a été mise sur pied il y a environ cinq ans. Elle a regroupé diverses sections provenant de divers organismes du gouvernement, dont l'ARC, qui ne fait plus partie du gouvernement.
Cela a eu pour résultat que nous avons obtenu trois ensembles différents de systèmes. Vous aviez des systèmes de RH différents, des systèmes de classification différents et des systèmes de rémunération différents. L'ensemble des systèmes de gestion était différent. Il fallait les regrouper. En même temps, il y avait un nouveau programme complet indiquant comment nous allions gérer les services frontaliers. Cela représente un travail et des défis énormes pour cette organisation.
Lorsque nous nous sommes rendus sur place, nous avons constaté que tous les éléments que nous espérions y voir n'étaient pas en place, mais étant donné tout ce qu'ils avaient à faire, les progrès qu'ils ont réalisés m'ont paru raisonnables. Il faut faire preuve de raison quand on porte un jugement sur leur situation. Je suis d'avis qu'ils faisaient des efforts pour résoudre leurs problèmes.
Nous n'avons pas eu à prendre un échantillon de dossiers dans cette organisation, parce qu'ils l'avaient fait eux- mêmes. Il était donc inutile pour nous de le refaire. Nous ne leur demandons même pas un rapport spécial. Nous leur avons dit que nous allions revenir et procéder à une vérification dans deux ans pour voir quel type de progrès ils avaient fait.
Jean Ste-Marie, vice-président intérimaire, Direction générale des vérifications et des services de données, Commission de la fonction publique du Canada : Nous avons commencé en précisant que nous allions examiner le cadre et les systèmes. C'est ainsi que nous avons cherché à voir s'ils avaient des politiques de RH en place, et c'était le cas. Ils avaient également des éléments de bonne planification. En ce qui concerne les systèmes, ils comprennent clairement les rôles que les gestionnaires sont censés jouer quand ils donnent des conseils en matière de RH. Ils offrent également de la formation aux gestionnaires. Ils disposent d'un certain nombre d'éléments que l'on s'attend à trouver dans un bon système de RH.
Bien évidemment, comme Mme Barrados l'a indiqué, nous allons y retourner, parce qu'il reste du travail à faire. Comme vous pouvez vous en douter, c'est une organisation importante. Il nous est impossible de tout faire en une seule visite, et nous y retournerons donc pour étudier certaines de leurs transactions.
Le sénateur Dickson : Toujours au sujet de l'Agence des services frontaliers du Canada, un délai lui a-t-il été imposé pour la présentation de son plan détaillé?
Mme Barrados : Nous y retournerons dans deux ans. Nous avons demandé aux autres ministères de nous faire rapport dans un délai de six mois. Nous recevons un rapport de tous les ministères chaque année. Nous y retournerons dans deux ans.
Le président : Pour faire suite aux questions du sénateur Dickson, quelles seraient les conséquences d'un désaccord? Leur retireriez-vous, par exemple, la délégation de pouvoir? Vous la leur avez accordée et vous vous êtes entendus avec eux pour pouvoir exercer des contrôles, mais à part cela, nous avons parlé précédemment d'un certain nombre d'embauches qui, vous l'avez constaté, ne se sont pas faites dans le respect des règles. Est-ce que ces gens finissent par perdre leur emploi ou le conserve-t-il, ou vous contentez-vous de voir ce qui se passera à l'avenir?
Mme Barrados : Ces examens peuvent déboucher sur un certain nombre de mesures. C'est ainsi que nous disposons de divers outils en matière de délégation de pouvoir. Cette délégation nous permet d'imposer un certain nombre de conditions. Il peut s'agir d'exiger des rapports spéciaux, d'intervenir dans des types précis de transactions, de leur interdire de procéder à certaines et de les autoriser à en faire d'autres. Il y a toute une gamme de mesures. Je dois dire que, avec le temps, nous avons essayé d'utiliser divers modèles pour obtenir les meilleurs résultats, parce que notre objectif n'est pas de reprendre le contrôle, mais d'obtenir un meilleur rendement. Tout ce que nous faisons vise à tenter d'obtenir cette amélioration du rendement.
En ce qui concerne chacune des transactions, celles des nominations individuelles qui ont posé problème lors des vérifications, nous procédons ensuite à une enquête, qui prend la forme d'un processus quasi judiciaire. S'il s'avère qu'il s'agit d'un processus externe, où que nous fassions face à une fraude ou à des mesures politiques inadaptées, ou à des interférences, nous pouvons ordonner que des mesures correctrices soient prises, pouvant aller jusqu'à suspendre la personne de son poste, voire de la fonction publique. S'il s'avère que c'est le résultat d'un processus interne, étant donné les dispositions de la loi, c'est au sous-ministre qu'il incombe d'agir. Cela nous pose quelques problèmes parce que, comme dans le cas de la CISR dans lequel un désaccord survient entre nous et la direction de l'organisme, la loi est rédigée de telle façon que c'est à l'administrateur général qu'il incombe d'agir. C'est pourquoi nous continuons à travailler avec cette organisation. C'est une des caractéristiques de la loi qui nous pose quelques problèmes.
Le sénateur Di Nino : Vous ne serez pas trop surprise par ma première question, parce qu'elle porte sur un sujet dont nous avons déjà discuté de nombreuses fois auparavant. En ce qui concerne l'embauche des minorités visibles, quels résultats obtenons-nous? S'agit-il d'une réussite ou non?
Mme Barrados : Il s'agit là d'un autre domaine dans lequel je crois avoir de bonnes nouvelles. J'aime bien, à l'occasion, avoir de bonnes choses à raconter. Nous avons eu de la difficulté à obtenir le chiffre exact. Avant de vous dire ce qu'il en est, sachez que nous avons analysé les chiffres et les résultats des embauches, et ce, de tous ces processus qui ont été annoncés, ce qui n'englobe pas les nominations non annoncées dont parlait le sénateur Ringuette, parce que je ne sais rien à leur sujet. Le pourcentage des personnes embauchées appartenant aux minorités visibles était de 18,8 p. cent.
Le sénateur Di Nino : Et cela se compare à quoi?
Mme Barrados : C'est une hausse par rapport à 16 p. 100 l'année dernière et à 15 p. 100 l'année précédente. Nous avons enregistré une hausse régulière chaque année. Cela s'explique en partie parce que nous disposons d'une bien meilleure façon de mesurer les résultats. Nous avons consacré passablement de temps à automatiser l'ensemble du processus de traitement des candidatures. J'ai fort heureusement obtenu l'argent pour le faire, ce qui fait que je dispose maintenant d'un système qui me permet d'identifier les candidats et de les apparier avec les nominations.
Ce que j'ignore cependant c'est ce qu'il en est dans l'ensemble de la fonction publique, parce que les chiffres que nous avons posent des problèmes. Je n'ai pas grande confiance dans ces chiffres. En ce qui concerne les embauches de l'an dernier, nous avons fait beaucoup mieux.
Le sénateur Di Nino : Je vous en félicite.
Le programme fédéral Expérience de travail étudiant est relativement nouveau. Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit et comment les choses se déroulent?
Mme Barrados : Ce programme existe depuis un certain temps. C'est une forme de programme d'emplois d'été pour étudiants, si ce n'est qu'il englobe également le volet coopératif. Nous avons procédé à une vérification de ce programme et observé qu'il se comportait raisonnablement bien, encore une fois parce que nous sommes parvenus à investir dans l'automatisation de ce processus. Nous pouvons automatiser l'ensemble du processus, qui le rend beaucoup plus équitable. Environ 10 000 étudiants participent chaque année à ce programme. Le Plan d'action économique lui consacre des fonds additionnels pour permettre à un plus grand nombre d'étudiants d'y participer. Ils y viennent tous par l'intermédiaire de la Commission de la fonction publique.
Quand un étudiant obtient un travail d'été grâce à ce programme, que ce soit comme étudiant d'été dans le cadre du système coopératif, il peut être « préparé » à la fonction publique. La personne peut entrer dans la fonction publique, que ce soit par un processus interne ou même par un processus non annoncé.
Ce qui m'inquiète est que le processus n'est pas documenté comme il le devrait. Une fois encore, il s'agit d'investissement dans une carrière qui durera toute une vie, et je m'attends donc à ce qu'on fasse un meilleur travail sur l'évaluation des exigences de l'emploi et de l'apport de la personne à celui-ci.
Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé des nominations par décret. Je crois que vous avez indiqué qu'il y en a environ 3 000 sur un effectif de 21 000 personnes. Au total, c'est un petit nombre, n'est-ce pas?
Mme Barrados : Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un petit nombre. Les nominations par décret sont concentrées. Elles ont tendance à se faire à des postes de direction. C'est ainsi que, moi, j'ai été nommée par décret.
Le sénateur Di Nino : Je m'apprêtais à le dire, mais je suis ravi que vous l'ayez fait.
Mme Barrados : Il me semblait bien que vous alliez le faire. C'est pourquoi je l'ai dit. J'ai donc été nommée par décret. Les sous-ministres sont nommés par décret.
Le sénateur Di Nino : Je suppose que les sénateurs le sont aussi à leur façon.
Une voix : Non, ce n'est pas notre cas.
Le président : Non, nous sommes nommés par le gouverneur général.
Le sénateur Di Nino : Dans votre exposé, vous avez conclu que les valeurs de base du mérite et de la non-partisanerie sont généralement respectées dans l'ensemble de la fonction publique et vous laissez entendre ensuite qu'il faut faire preuve d'une vigilance additionnelle dans certains domaines, ce qui sera toujours le cas parce que rien n'est parfait.
Cela fait maintenant plusieurs années que nous nous entretenons avec vous et il semble que les choses fonctionnent, que les améliorations se poursuivent. Comme je l'ai dit à l'instant, la situation ne sera jamais parfaite, mais vous êtes, pour l'essentiel, convaincue que nous allons dans la bonne direction et que les choses évoluent bien?
Mme Barrados : Je suis très fière de notre fonction publique. Je reçois un certain nombre de visiteurs de l'étranger et, quand je leur explique ce que nous faisons dans notre fonction publique, je crois que nous avons toutes les raisons d'être fiers. Dans l'ensemble, nous sommes une fonction publique professionnelle et une fonction publique intègre. Quand nous préparons ces rapports, je m'attarde aux domaines qui, à mon avis, présentent des risques et dans lesquels nous devons mieux faire.
Le volet qui me préoccupe plus et dont je ne vous ai pas parlé autant que je l'aurais voulu est celui de la non- partisanerie et de la façon de la protéger dans notre fonction publique. C'est un aspect essentiel de la fonction publique canadienne. Nous avons tenu pour acquis que les gens comprenaient nos traditions et notre façon de travailler, car les changements et les taux de roulement du personnel étaient faibles. Nous avons maintenant beaucoup de nouveaux employés qui arrivent, que ce soit du fait du renouvellement de la fonction publique, de la croissance de celle-ci ou des départs en retraite, et nous sommes à une ère de technologie qui fait que nous sommes maintenant exposés à des types de pressions différents.
Dans le rapport annuel, je cite l'exemple d'une jeune personne qui est allée travailler au Bureau du Conseil privé et qui a déclaré faire de la politique activement. Personne ne lui a parlé, et c'est là une première erreur, pour lui dire « Maintenant que vous êtes au Bureau du Conseil privé, vous devez faire très attention. » Cette personne a ensuite ouvert une page sur Facebook dans laquelle elle a louangé une personne de l'opposition, et l'a envoyée à un ami. Cela ne pose pas de problème, car cela relève du privé, mais l'ami en question l'a envoyée à l'un de ses amis, et cet ami à un autre de ses amis, et la chose est devenue publique. Voilà le type de monde dans lequel nous vivons maintenant. C'est quelque chose de nouveau dont nous devons nous préoccuper pour nous assurer que tous comprennent leur obligation et nous, la Commission de la fonction publique, nous contribuons de notre côté à ce que tous le comprennent. Ce sont là de nouvelles questions pour moi. Nous faisons des progrès. Il nous reste des choses à faire. Nous avons encore un travail à faire.
Le sénateur Di Nino : Nous avons quelqu'un de bien qui s'en occupe.
[Français]
Le sénateur Chaput : Madame Barrados, selon le rapport, 70,1 p. 100 des personnes nommées aux organisations assujetties à la Loi sur l'emploi de la fonction publique ont comme langue maternelle l'anglais et 29,9 p. 100 de ces personnes ont comme langue maternelle le français.
Combien de ces organisations sont assujetties à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique?
Mme Barrados : Quatre-vingt-deux.
Le sénateur Chaput : Les postes bilingues impératifs sont ceux qui exigent la connaissance des deux langues officielles du Canada, soit l'anglais et le français. Vous dites que 26,9 p. 100 des postes à la fonction publique sont bilingues impératifs. Êtes-vous en mesure de nous dire si tous ces postes seront comblés par du personnel bilingue?
Mme Barrados : Vous parlez des postes impératifs?
Le sénateur Chaput : Oui. Les postes bilingues impératifs seront tous comblés par du personnel bilingue? Les activités de dotation sont tout de même assez bien faites, si l'impératif est respecté.
Mme Barrados : Pour chaque nomination, les candidats doivent subir une évaluation de leur niveau de compétence linguistique. Cette évaluation est effectuée par la Commission de la fonction publique du Canada. Nous sommes responsables de tous ces examens linguistiques.
Le sénateur Chaput : Les programmes de recrutement se font-ils auprès des étudiants postsecondaires à travers le Canada?
Mme Barrados : Oui.
Donald Lemaire, vice-président principal, Direction générale des politiques, Commission de la fonction publique du Canada : Le programme de recrutement postsecondaire est un programme national. Les universités et collèges peuvent faire une demande pour ces programmes. On fait des tests un peu partout au Canada.
Le sénateur Chaput : Les universités doivent faire une demande? Elles ne sont pas sollicitées?
M. Lemaire : Les campagnes de recrutement postsecondaires s'effectuent depuis une trentaine d'années. Elles sont donc très connues sur les campus universitaires et sont lancées à l'automne chaque année. Les étudiants sont alors sollicités. Cette année nous avons reçu 77 000 candidatures.
Le sénateur Chaput : Elles ne se font pas uniquement à Ottawa ou dans de grandes villes?
M. Lemaire : Non.
Le sénateur Chaput : Elles se font partout au Canada?
M. Lemaire : Oui et même à l'échelle internationale. Si des Canadiens à l'étranger désirent postuler, nous avons même des mécanismes disponibles aux ambassades pour tester les candidats.
Mme Barrados : Les demandes d'emploi se font sur notre site Internet et sont disponibles à tous.
Le sénateur Chaput : Les pratiques organisationnelles par rapport au respect de la Loi sur les langues officielles sont donc adéquates?
Mme Barrados : Le mot est peut-être fort. Je crois que nous avons un système de dotation qui répond aux exigences des postes. Toutefois, on peut se poser la question à savoir si, par la suite, les personnes utilisent leurs langues en milieu de travail.
Si votre question est à savoir si les personnes se conforment aux exigences de la loi, j'ai bien confiance au processus de nomination et de dotation. Toutefois, il y a d'autres aspects.
M. Lemaire : Au niveau du mérite, si le poste est bilingue, la condition est essentielle. Si la personne ne répond pas aux exigences linguistiques du poste, elle ne peut pas l'occuper. Et si toutefois cela se produit, on peut même révoquer la nomination. Donc, c'est une condition essentielle.
Le sénateur Chaput : Peut-il arriver qu'une personne soit embauchée dans un tel poste par intérim si l'on n'a pas trouvé une personne bilingue? Est-ce que certains postes sont dotés en attendant?
M. Lemaire : Dans ce cas ils font une dotation non impérative.
Le sénateur Chaput : Est-il possible que cela se produise?
M. Lemaire : Il y a de la dotation non impérative qui a lieu, oui.
Le sénateur Chaput : Êtes-vous en mesure de nous dire s'il y a beaucoup de dotation non impérative pour ces postes?
M. Lemaire : Il me semble que c'est autour de 7 p. 100 maximum.
Le sénateur Chaput : Sept pour cent dans les postes bilingues impératifs?
M. Lemaire : C'est non impératif.
Mme Barrados : Ce n'est pas possible de mettre quelqu'un qui n'est pas bilingue dans un poste impératif.
Le sénateur Chaput : Ce n'est pas possible?
Mme Barrados : Non.
Le sénateur Chaput : Merci.
Le président : Merci beaucoup, sénateur Chaput.
[Traduction]
Le président : Malheureusement, le temps dont nous disposions est épuisé, même si je sais fort bien que les sénateurs auraient eu encore beaucoup de questions à vous poser. Ce fut un plaisir de vous avoir parmi nous, madame Barrados, monsieur Lemaire et monsieur Ste-Marie. Merci beaucoup d'être venus, et je tiens à vous remercier de l'excellent travail que vous faites au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Mme Barrados : Je vous remercie.
Le président : Les honorables sénateurs se souviendront que ce comité a convenu que nous pourrions faire une étude préalable de la question des pensions dans le but d'aider le comité de direction à déterminer si nous voulons nous lancer dans une étude de grande envergure sur les pensions et, si c'est le cas, définir les paramètres de cette étude.
Nous sommes ravis d'accueillir ce soir M. Phil Benson, représentant de Teamsters Canada et, représentant la Sauvegarde des Retraités et anciens employés de Nortel Canada, Don Sproule qui est président national et pensionné. Nous avons également parmi nous Diane Urquhart, analyste financière indépendante; François Meunier, président d'Ottawa et pensionné, et Frank Mills, membre exécutif du Conseil d'administration.
Je dois vous demander de vous limiter à des remarques préliminaires aussi succinctes que possible. Nous tentons de comprendre les nombreuses questions qui vous concernent.
Phil Benson, lobbyiste, Teamsters Canada : Je vous remercie. Je suis ravi de comparaître à nouveau devant ce comité. Teamsters Canada représente environ 125 000 membres de toutes les régions du pays et dans tous les secteurs de l'économie. Les gens imaginent que nous sommes avant tout le syndicat des transports du Canada, mais nous sommes également présents dans le secteur des boissons, des brasseries, des produits laitiers, des casinos, et dans pratiquement tous les autres.
Cela fait environ cinq ans que nous travaillons sur ce dossier. Pour être direct, nous sommes d'avis que les régimes actuels de pension en vigueur au Canada souffrent de trois ou quatre lacunes importantes. Quand on s'interroge, d'un point de vue philosophique, sur la nature et l'origine de l'argent investi dans les régimes de pension, la réponse est qu'il s'agit d'une forme de rémunération reportée des travailleurs. Cet argent n'appartient pas aux entreprises. Il est conservé en fiducie pour les pensionnés et c'est là son seul objet. Ensuite, les pensionnés doivent avoir préséance sur tous les créanciers en cas de faillite, sauf en ce qui concerne les revendications des travailleurs eux-mêmes dans le cadre des législations les protégeant. Enfin, les régimes de pension devraient être gérés comme des compagnies d'assurance; leurs avoirs devraient être placés sous forme d'obligations et non pas sur le marché des valeurs mobilières. Je vais aborder ces trois points en traitant des critiques auxquelles nos propositions sont confrontées.
Nous avons entendu dire que les marchés étaient perturbés, que toute l'économie allait vaciller et que c'est ce qui expliquait les problèmes des régimes de pension. Ce n'est pas vrai. C'est là réécrire l'histoire. Les entreprises se sont adressées au gouvernement en 2004, en 2005 et en 2006 pour obtenir de l'aide. Les régimes de pension se trouvaient dans des situations désespérées à proximité de la fin de la plus longue période de croissance économique soutenue que notre pays ait connue et que le monde occidental ait jamais vue. Nous sommes d'avis que, après 40 ans de réglementation, la réglementation a complètement échoué et c'est pourquoi il est nécessaire d'y apporter maintenant des changements.
Les entreprises nous disent aujourd'hui que les difficultés économiques actuelles leur imposent de faire ceci, cela et encore d'autre chose. C'est curieux. Lorsque l'économie était en croissance, elles affirmaient avoir besoin de ces changements parce qu'elles n'étaient pas en mesure de respecter leurs obligations. Elles ne pouvaient pas respecter celles-ci, parce qu'elles n'avaient pas traité l'argent comme s'il s'agissait de l'argent des travailleurs.
Nous voulons un fonds d'obligations et la première critique à ce sujet est qu'il n'y a pas assez d'obligations. Les gouvernements fédéral et provinciaux mettent sur le marché 90 milliards de dollars d'obligations cette année et vendront 300 ou 400 milliards de dollars en obligations au cours des années à venir. S'il faut diversifier les portefeuilles, il est possible d'acheter des obligations aux États-Unis, en Allemagne ou dans tout autre pays occidental.
La seconde critique veut que le marché des valeurs mobilières obtienne toujours de meilleurs résultats que le marché des valeurs obligataires. Les documents que je vous ai remis reproduisent deux articles du National Post, un grand ami des syndicats, citant deux experts des États-Unis qui affirment que cela est faux, que les obligations obtiendront de meilleurs résultats que les valeurs mobilières. Même si cela n'est pas totalement garanti, les actuaires de Teamsters Canada sont d'avis que la sécurité de nos régimes de pension est assurée. Ceux-ci comprennent des obligations et non pas des actions, à cause des risques. Le risque encouru par les bénéficiaires et les pensionnés est nul. Ils ne peuvent se permettre de prendre des risques. Les entreprises décident cependant de prendre des risques avec les régimes de pension parce qu'elles peuvent utiliser cet argent pour se développer. Je le sais, parce que des entreprises l'ont déclaré devant le comité de la Chambre des communes. Et tant pis pour les devoirs de fiduciaire. Si c'est l'argent de quelqu'un d'autre, vous ne pouvez pas l'utiliser à votre profit personnel.
Une autre critique veut qu'il soit trop coûteux d'investir en obligations. Une entreprise, que je ne nommerai pas pour ne pas l'embarrasser, gère 1,5 milliard de dollars, je crois. Il lui en coûterait 100 millions de dollars sur un an ou 150 millions de dollars en procédant sur 10 ans pour se débarrasser de ses éléments de passif.
Lors d'une réunion publique, l'un de nos membres a interrogé leur PDG. Il voulait savoir combien il leur en coûterait pour avoir un fonds d'obligations. Il a répondu au-delà de 40 millions de dollars par année. Au lieu de dépenser 40 millions de dollars par année, ils sont prêts à risquer 150 millions de dollars sur 10 ans ou 300 millions de dollars sur cinq ans. Nos membres, les bénéficiaires de ce régime, ne peuvent se permettre ce risque. L'entreprise, elle, l'a manifestement fait.
On nous a dit que cela poserait un problème pour la capitalisation des entreprises. Il existe quelque chose qui s'appelle régime de retraite interentreprises. Il s'agit d'un type de régime dans lequel un groupe important d'employeurs cotisent à un régime de retraite administré par un syndicat et la direction. Les cotisations sont fonction du salaire horaire, disons huit dollars de l'heure. Cet argent va dans un fonds distinct que l'entreprise ne peut toucher, utiliser ou quoi que ce soit d'autre du genre. Ces fonds sont là uniquement pour les bénéficiaires. Il n'y a pas d'interruption des paiements, vous y versez continuellement de l'argent.
Au fait, ces régimes se comportent bien parce qu'ils sont soumis à des règles distinctes, ils doivent être pleinement capitalisés en tout temps. Aucune de ces entreprises n'affirme que nous aurions de la difficulté à emprunter auprès des banques. Ces entreprises comptent parmi les plus importantes dans ce pays dans les domaines de la construction et des transports. Ce sont par exemple celles qui construisent les installations pour l'exploitation des sables bitumineux. Elles n'ont aucun problème à obtenir des milliards de dollars en prêts. Ont-elles un problème de capitalisation? Je ne le crois pas.
Tout cela nous ramène à ce qu'on entend par caisse de retraite. Si les fonds que celle-ci détient sont perçus comme des salaires reportés ou s'ils sont protégés, nous ne permettons plus à une entreprise de les utiliser à n'importe quelle autre fin, sauf pour leur fonction première, soit de répondre aux besoins des pensionnés. Nous ne croyons pas que cela se produira du jour au lendemain ou que cela peut se faire de façon instantanée parce que les entreprises vont avoir besoin de temps pour s'ajuster, mais nous disons qu'il s'agit là d'un principe de base que nous voudrions voir appliqué à l'avenir aux régimes de pension.
Don Sproule, président national et pensionné, Sauvegarde des retraités et anciens employés de Nortel Canada (SRNC) : Je vous remercie. Je ne m'occupe pas des questions de retraite depuis aussi longtemps que M. Benson puisque je ne me suis impliqué activement dans ce domaine qu'à compter du 14 janvier, soit la date à laquelle Nortel s'est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Nous sommes d'avis que Nortel est l'incarnation de ce qui se passe en général dans les sociétés canadiennes qui s'apprêtent à se placer sous la protection de cette loi. Ce qui nous touche est que, en application de celle-ci, les déficits de nos régimes de pension se retrouvent être les créances les moins prioritaires. Nous sommes dans l'insécurité. Tous mes collègues, mes amis et les membres de ma famille disent que cela est impossible, alors qu'en vérité, notre régime de retraite est exposé. Ils ont été aussi surpris que moi de le découvrir.
Dans le cas de la faillite de Nortel, nous avons maintenant à nous battre comme des créanciers ordinaires contre les détenteurs vautours d'obligations et les gouvernements étrangers. Je vais m'attarder un peu sur ce point.
Dans le cas des créanciers obligataires, ces gens, les premiers à avoir vendu des obligations à Nortel, se sont inquiétés de la possibilité que cette société fasse faillite. Ils se sont inquiétés au point d'avoir réduit la période pendant laquelle les obligations étaient financées, d'avoir relevé les taux d'intérêt, et d'avoir pris, en réalité, des polices d'assurance en se servant de swaps sur défaillance pour s'assurer que, si Nortel devait faire faillite, ils seraient protégés.
Le 14 janvier, ces gens ont vendu toutes leurs obligations à des fonds d'obligations à vautour, et, maintenant, ces obligations à vautour ont rattrapé celles de Nortel à 10 cents pour un dollar et ils se préparent à réaliser un beau profit.
Dans notre cas, ces obligations bénéficient en réalité de cautionnement réciproque du Canada et des États-Unis. Comme Nortel est en faillite au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, qu'advient-il des biens canadiens? Ils peuvent compléter les paiements qu'ils vont recevoir à même les biens canadiens et passer ensuite aux biens américains. Ils ont géré les risques. Ils ont compris les risques et ils sont sophistiqués.
Lorsque j'ai pris ma retraite, je ne m'inquiétais pas que Nortel puisse faire faillite. Ce qui me préoccupait était de savoir si je vivrais suffisamment longtemps ou non pour que ma femme ne soit pas laissée démunie. Pour moi, le risque était lié à la question de savoir si je bénéficierais de prestations de maladie si je devenais malade. Pour moi, c'est là que se situait le risque. Je me retrouve maintenant en situation d'infériorité en devant affronter des créanciers obligataires vautours devant les tribunaux canadiens.
Le second point concerne les organismes des gouvernements étrangers. En dehors du Canada, en ce qui concerne les employés de Nortel aux États-Unis, la Pension Benefit Guaranty Corporation des États-Unis, la PBGC, est intervenue en déclarant qu'elle assurerait une garantie jusqu'à un montant de 54 000 $ par an sur les pensions. Elle a pris la place du régime de pension. Au Royaume-Uni, le chiffre est équivalent. Nous sommes maintenant confrontés à une situation dans laquelle ces organismes gouvernementaux américains et britanniques vont maintenant s'adresser aux tribunaux canadiens pour payer leurs factures, et ils vont nous retirer notre argent parce qu'ils se sont occupés des pensionnés dans leurs pays respectifs. J'affirme que nous ne sommes pas sur un pied d'égalité. C'est très injuste et nous estimons être victimes de discrimination face à la façon dont les choses se déroulent.
Que faisons-nous? Le régime de retraite de Nortel est actuellement soumis à la réglementation ontarienne et nous nous battons avec le gouvernement ontarien pour qu'il ne ferme pas le régime. Il y a une commission de spécialistes sur les pensions qui a déclaré que, quoi qu'on fasse, il faut maintenir le régime. Actuellement, le régime de pension de Nortel est composé à 40 p. 100 d'actions et à 60 p. 100 d'obligations. Ne fermez pas le régime, il faut qu'il se maintienne et, lorsque le marché reprendra, nous nous en tirerons bien. Nous n'avons pas obtenu d'engagement du gouvernement ontarien dans ce domaine.
En second lieu, le gouvernement ontarien a conclu que Nortel est une entreprise trop grande pour la laisser échouer; et qu'il ne peut se permettre de nous assurer une protection quelconque dans le cadre du Fonds de garantie des prestations de retraite de l'Ontario. Je sais fort bien que le Sénat est un organisme fédéral, mais oubliez-le un instant pour penser au risque auquel nous expose le gouvernement ontarien.
Alors que les pensionnés de Nortel aux États-Unis peuvent dormir tranquilles, parce qu'ils savent qu'ils ont une garantie de 54 000 $, ceux de Nortel en Ontario ne peuvent dormir, parce que le gouvernement ontarien ne veut pas s'engager à garantir les 12 000 $ qu'il avait promis dans le cadre du Fonds de garantie des prestations de retraite.
Nous avons étudié la législation qui relève du fédéral. Le gouvernement fédéral nous a dit que les régimes de pension ne relèvent pas de sa responsabilité, mais de celle des provinces. Il se peut que cela soit vrai, mais la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies sont de responsabilité fédérale. Nous comptons sur vous pour adopter un amendement nous accordant un statut privilégié devant les tribunaux de la faillite afin de nous permettre de nous trouver sur un pied d'égalité. C'est ce qui serait équitable à mes yeux.
Il y a aujourd'hui environ 4 000 employés de Nortel qui manifestent sur la Colline du Parlement en faveur de modifications immédiates à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité afin de nous accorder un statut privilégié par rapport aux créanciers obligataires vautours et un statut privilégié par rapport aux gouvernements étrangers.
Diane A. Urquhart, analyste financière indépendante, Sauvegarde des retraités et anciens employés de Nortel Canada (SRNC) : J'aimerais recommander au comité de réaliser effectivement une étude officielle sur la crise des régimes de retraite au Canada. Les remarques que je vais vous faire portent sur deux domaines précis dans lesquels, à mon avis, la sécurité des régimes de retraite n'est pas assurée.
J'aimerais tout d'abord vous entretenir du Régime de pension de retraite de la fonction publique. Il faut que nous examinions le programme de rémunération des gestionnaires de fonds du Régime de pensions du Canada et du RPRFP, qui, comme vous le savez, englobe les régimes dont bénéficient le personnel de la GRC, les militaires et la fonction publique.
Vous savez tous fort bien que le Régime de pensions du Canada a enregistré des pertes d'environ 24 milliards de dollars et que, malgré cela, la haute direction a reçu des primes de 7 millions de dollars. Les plans de rémunération qui permettent à des employés du gouvernement, même s'ils ont des compétences très pointues, de toucher des primes de plusieurs millions de dollars après avoir perdu un tel montant d'argent du gouvernement, nous posent problème.
Le problème, et c'est un problème omniprésent dans le secteur financier et pas uniquement dans celui des caisses de retraite, est que le régime de rémunération privilégie le versement d'importantes primes à court terme afin d'inciter les gestionnaires à prendre des risques excessifs à court terme. Ensuite, lorsque les risques se concrétisent et que des pertes de milliards de dollars sont enregistrées par les grandes banques et les caisses de retraite, ces gens peuvent quitter l'organisation tout en ayant reçu des millions de dollars et en étant tranquilles pour le reste de leurs jours. Ils ne sont pas tenus responsables du recouvrement des pertes qu'ils ont laissées derrière eux en remboursant les primes. Nous devons manifestement modifier ces régimes afin qu'ils s'appliquent sur une plus longue durée, ne permettant pas de prendre des risques à court terme sans subir de conséquences pour les milliards de dollars de pertes qu'ils ont enregistrées.
L'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public a des investissements de quatre milliards de dollars sous forme de papier commercial adossé à des actifs, et il a été vendeur de swaps sur défaillance, dont je vais traiter brièvement. Il s'agissait là d'investissements très risqués qu'Investissements PSP n'aurait jamais dû faire. Il n'a manifestement pas fait preuve de diligence raisonnable, et ses dirigeants ont reçu des primes de plusieurs millions de dollars pour les profits additionnels que ces investissements ont générés au cours de leurs premières années. Bien évidemment, tout cela s'est effondré.
Les indices de référence utilisés par Investissements PSP et le RPC devraient être étudiés et faire l'objet de vérifications pour s'assurer que ces profits ne sont pas mesurés de façon artificielle en regard d'indices de référence qui ne sont pas justifiés. Nous devrions en particulier nous pencher sur les secteurs des capitaux privés et du crédit structuré pour nous assurer qu'ils ne jouent pas tout simplement avec le système en générant un indice de référence arbitrairement faible qui est ensuite facilement dépassé, dans le but de faire grimper leur rémunération.
Il est inutile que je vous rappelle que lorsque des risques sont pris et que les pertes sont subies, alors que les gestionnaires de fonds reçoivent des millions de dollars, ce sont les bénéficiaires qui assument ces pertes. Lorsque les régimes de la fonction publique enregistrent des déficits, cela aboutit bien évidemment à deux types de mesures, soit une réduction de la protection contre l'inflation parce que le gouvernement n'est pas prêt à combler le manque au nom des fonctionnaires ou, dans le cas du Régime de pensions du Canada et, c'est encore plus grave, c'est l'argent des contribuables qui sera mis à contribution si toutes les prestations sont maintenues.
Je crois savoir que le ministre des Finances, M. Flaherty, a demandé qu'on procède à un examen des régimes de rémunération en vigueur dans toutes les sociétés d'État, y compris à Investissements PSP et au RPC. J'aimerais continuer à faire preuve de diligence et inciter le Sénat à étudier attentivement ces régimes pour s'assurer qu'ils ne privilégient pas le court terme, ce qui inciterait les gestionnaires de fonds à prendre des risques excessifs.
J'aimerais maintenant aborder la question des régimes de pension qui ne sont pas protégés lorsque des entreprises se mettent sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Je tiens à commencer par affirmer que les modalités aboutissant à une faillite posent un problème, aussi bien au Canada qu'aux États-Unis, à cause d'une innovation datant de 10 ans qui s'appelle swaps sur défaillance.
Les swaps sur défaillance sont de nouveaux produits dérivés qui permettent aux créanciers obligataires de s'assurer contre la possibilité d'un défaut de crédit. Ils se comportent comme une police d'assurance. Un créancier obligataire peut verser des primes à un organisme de contrepartie qui les accepte et s'engage, en retour, à payer les créances irrécouvrables en cas de faillite ou d'autres impondérables. Nous avons vu se développer en 10 ans un marché de 50 billions de dollars, et c'est lui qui est au cœur de la crise financière.
Comment ce mécanisme intervient-il dans les faillites? Si vous êtes un créancier obligataire qui a assuré ses risques sur le marché des swaps sur défaillance de crédit, vous allez préférer demander à un tribunal à bénéficier de la protection contre les faillites ou à obtenir une déclaration de faillite qui vise à procéder à une réorganisation en dehors du tribunal. La raison pour laquelle vous préférez qu'il en soit ainsi est que vous avez besoin qu'un incident de crédit se produise pour vous adresser à l'organisme de contrepartie qui s'est engagé à payer votre assurance en cas de défaut de crédit. Si une demande de protection est soumise à un tribunal, le contrat prévoit que vous allez encaisser le règlement de votre assurance dans un délai d'un mois.
Ce que nous avons vu se produire dans le cas de Nortel, pour vous donner un exemple, est que non seulement ils ont obtenu une couverture complète, mais... disons qu'ils ont acheté une obligation 100 $ et que, à la suite du dépôt de la demande de protection contre les créanciers de Nortel devant un tribunal, ils vont récupérer leurs 100 $, et faire un profit. Je vais vous expliquer cela. Comment pouvez-vous faire un profit, même sur l'assurance?
Ce qui s'est passé est qu'ils ont demandé la tenue d'enchères pour le règlement au comptant immédiatement après le dépôt de la demande de protection contre les créanciers, et les obligations de Nortel ont ainsi chuté à 12 cents pour un dollar. Dans ce cas, 88 cents sont versés à titre de dommages au créancier obligataire pour chaque dollar qu'il possède. Il doit conserver l'obligation. Le cours des obligations de Nortel est remonté à 50 cents pour un dollar et Nortel a ainsi non seulement récupéré son argent, mais fait un profit d'environ 38 cents sur un dollar parce que ce marché a payé une assurance, le tout à un montant dépassant nettement les dommages réels imputables à la liquidation.
C'est comme un producteur de céréales dont les cultures seraient dévastées par une giboulée. La valeur intégrale de sa récolte lui est versée et, ensuite, le soleil revient et le grain continue à pousser. Il le récolte et conserve les recettes de l'assurance-récolte encaissées plus tôt dans le cours de l'année et vend ses céréales. Du fait de la présence de ce marché des swaps sur défaillance de crédit, il s'agit maintenant d'acheter des obligations pourries, d'acheter ensuite des swaps sur défaillance à des prix raisonnables bien avant que la situation financière ne se dégrade et enfin, d'exercer par la suite des pressions sur la direction pour qu'elle demande la protection de la législation sur les faillites.
C'est pourquoi il est urgent de réviser la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la LFI, parce que le compromis qu'elle met en place n'est plus équitable. On a estimé, pendant des décennies, que les revendications liées à l'emploi étaient des demandes de créanciers, tout comme celles des créanciers obligataires. Comme tout le monde a des revendications, elles devraient être traitées également. Ce ne peut plus être le cas dans le monde financier moderne du fait des marchés de swaps sur défaillance de crédit et nous disons que les créanciers obligataires devraient également subir des pertes, afin que tout le monde partage le fardeau.
Comme les créanciers obligataires ont accès à ces marchés larges et liquides de swaps sur défaillance de crédit, ils peuvent récupérer leur argent et même réaliser un profit. Nous pouvons très certainement réviser la législation sur les faillites afin que les pensionnés, les personnes handicapées à long terme et même les travailleurs ayant perdu leur emploi soient prioritaires pour recouvrer les produits de la faillite. Eux n'avaient pas accès aux marchés de l'assurance. Ils subissent réellement des pertes alors que, pendant ce temps, les acheteurs de dette en défaut du monde et les fonds de couverture sont parvenus à réaliser des profits à même le carnage qui touche l'industrie des caisses de retraite.
Actuellement, la majorité de nos caisses de retraite sont déficitaires. La plupart des observateurs conviennent, et les faits le montrent parfois clairement, pour dire que les swaps sur défaillance ont été un élément déterminant de la faillite de Quebecor, de celle d'AbitibiBowater et, à mon avis, de celle de Nortel également. Ce n'est pas un cas isolé. C'est un nouveau phénomène qui n'a qu'une dizaine d'années et qui est l'une des causes de la crise.
Je recommande fortement à votre comité de se pencher sur les marchés de swaps sur défaillance de crédit dans le contexte des faillites et que ce gouvernement convienne de la nécessité, comme question de politique sociale et comme base d'équité fondamentale dans le monde des affaires, de permettre aux caisses de retraite déficitaires de passer devant les créanciers obligataires en cas de faillites.
Le président : Merci beaucoup, Mme Urquhart. Vous nous avez présenté un cas clair et convaincant. Nous avons apprécié vos explications sur les swaps sur défaillance et sur les autres questions.
[Français]
François Meunier, président d'Ottawa et pensionné, Sauvegarde des Retraités et anciens employés de Nortel Canada (SRNC) : Merci, monsieur le président. Je ne répéterai pas le discours de M. Sproule qui parle en ma faveur. Je vais seulement ajouter un point.
Vous avez mentionné au début que l'on recherche les sources ou les solutions. Un point additionnel, même si c'est trop tard pour les employés de Nortel sans doute, est que les lois sur l'impôt des compagnies n'aident pas la cause à l'heure actuelle. En période de croissance, les compagnies qui contribuent à leur fonds de retraite sont prévenues de contribuer un montant en excès de 110 p. 100 de la valeur actuaire requise. Lorsque c'est suivi d'une période creuse, ces valeurs, étant donné qu'elles sont investies sur le marché, souvent perdent une grosse valeur. Cela donne un déficit très grand, comme on a pu le voir dans le cas de Nortel. À ce moment-là, on impose à ces compagnies de renflouer les caisses de retraite sur une période de cinq ans. Elles sont encore en période creuse, c'est très difficile de manœuvrer. Il y aurait lieu de vérifier ou de voir si on ne pourrait pas changer ces limites au point de vue de la contribution en période de croissance au bénéfice de ces compagnies en période creuse.
Quand la période creuse est étendue ou qu'elle est très grave, ce qui arrive c'est que les compagnies ne se permettent plus ces contributions, même si elles sont échelonnées sur une période de trois, cinq ou même dix ans. Le résultat est que l'on obtient la faillite stratégique dans le but d'éviter des dépenses additionnelles et d'être capable de renflouer, de pourvoir aux détenteurs d'obligation comme dans le cas de Nortel. C'est un point seulement, mais je pense qu'il est important, certainement, pour les autres compagnies qui n'y ont pas encore fait face.
[Traduction]
Frank Mills, membre exécutif du Conseil d'administration, Sauvegarde des retraités et anciens employés de Nortel Canada (SRNC) : Honorables sénateurs, en faisant un peu de recherche avant de me présenter à cette réunion, j'ai découvert, et cela n'a rien de péjoratif, que j'ai au moins deux ans de plus que le membre le plus âgé de ce comité. Je suis votre aîné.
Les arguments que vous ont présentés mes compagnons sont d'une efficacité écrasante. C'est si logique que cela l'emporte sur toute description de la situation. L'appel que je vous lance est de nature plus humaine. Je ne saurais élaborer davantage sur les détails que mes compagnons vous ont présentés, mais je vais vous apporter un certain éclairage.
Tout au long de ma carrière, j'ai eu à subir un certain nombre d'échecs importants d'entreprises. Vous avez devant vous un ingénieur qui a travaillé sur le projet Avro Arrow. Il y en a encore.
Le président : Félicitations.
M. Mills : J'ai fini par travailler pour Nortel. J'illustre la définition d'un double danger.
Je suis également le père de quatre enfants et j'ai neuf petits-enfants. Ce qui me préoccupe avant tout actuellement, puisque je vous ai fait part de mon âge, concerne ces enfants et petits-enfants.
Lorsque j'étais un jeune ingénieur chez Nortel, j'étais motivé par l'idéalisme. C'était notre motivation. Nous nous sommes penchés sur nos problèmes et nous nous y sommes attaqués sérieusement. Nous savions que nous étions assurés d'avoir une retraite et d'autres formes d'avantages. L'entreprise nous avait expliqué qu'une partie de nos salaires était mise de côté pour que, lorsque nous parviendrions à la fin de nos carrières, nous disposions de moyens pour prendre soin de nous. Nous l'avons considéré comme un acquis.
Cela nous a permis d'être idéalistes et de nous concentrer sur ce que nous faisions. C'était vrai à l'époque, ce qui a fait Nortel aller de l'avant était l'idéalisme. C'était l'idéalisme de jeunes gens qui avaient la volonté et la force de changer le monde et de mettre au point des choses qui feraient une différence. Ce n'est que plus tard dans l'évolution de la société que l'idéalisme a été remplacé par l'avidité et l'égocentrisme. À mon avis, c'est à cette époque que Nortel a commencé à dérailler.
Bien que je sois vraiment une personne âgée, je prétends que l'ensemble assez accablant de preuves montre que c'est là une injustice. Si la situation n'est pas corrigée, le cynisme que l'on voit apparaître chez les personnes plus jeunes l'emportera sur tout. Lorsque mes enfants voient ce qui m'arrive, cela les rend cyniques face au système politique. Pourquoi devraient-ils voter? C'est ainsi que la faiblesse du vote chez les personnes les plus jeunes est l'un des principaux problèmes auxquels notre système politique est aujourd'hui confronté. Si ces injustices ne sont pas corrigées, cela alimentera ce cynisme.
Le président : Je vous remercie. C'est là un sujet de réflexion important.
Le sénateur Eggleton : J'espère, tout comme vous, qu'il y aura une étude exhaustive. J'ai présenté une motion à cet effet au Sénat, mais les choses n'avancent pas pour l'instant. Je suis ravi que nous fassions un peu de travail préliminaire à ce comité.
Je n'en reviens pas qu'on s'occupe des employés de Nortel aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais pas ici. Je réalise que ces deux pays disposent de régimes nationaux. Nous n'en avons pas. Nous avons un régime provincial. L'Ontario est la seule province à disposer d'un tel régime.
Je veux comprendre comment les choses se passent avec le régime provincial. Vous dit-on que vous n'êtes pas admissible ou qu'ils n'ont plus d'argent parce qu'ils ont aidé l'industrie de l'automobile?
M. Sproule : Ce que nous savons est ce que nous lisons dans la presse. Ils disent qu'il n'y a plus d'argent dans le Fonds de garantie des prestations de retraite, le FGPR. Nous avons essayé de nous entretenir avec des membres du cabinet de Dwight Duncan et nous avons parlé à certains de ses représentants. Ce que nous lisons dans la presse est qu'il n'y a plus d'argent.
J'ai rencontré un retraité de Nortel qui a travaillé pendant dix ans au Canada et 17 ans aux États-Unis. Il a dû prendre sa retraite en 2003. Aux États-Unis, il y a la Pension Benefit Guarantee Corporation et, en Ontario, le Fonds de garantie des prestations de retraite. Il m'a dit alors que Bush étant en poste qu'il ne fallait pas compter que l'American Pension Benefit Guarantee Corporation le sorte d'affaire. Il n'aurait d'autre choix que de prendre la valeur escomptée de sa pension et de s'en aller, parce que cela ne se produirait pas. Il pensait être en sécurité au Canada et qu'il y conserverait sa pension. Il a été frappé deux fois par le mauvais sort. Il a accepté une valeur escomptée, à rabais, aux États-Unis. Obama a pris ses fonctions et a renfloué un plan sous-financé. Il est allé en Ontario et Dalton McGuinty y dit : « Je regrette, nous ne savons pas ».
Le sénateur Eggleton : Ce plan existe. Il doit obéir à des critères. Vous pouvez certainement demander à votre avocat de leur écrire pour leur demander les conditions précises d'admissibilité.
M. Sproule : Nortel a acquitté toutes ses obligations envers le régime du FGPR. Le problème est que ce régime est sous-financé, comme c'est le cas aux États-Unis. Toutefois, le gouvernement ontarien explique qu'il est sous-financé et qu'il ignore s'il est en mesure d'honorer cet engagement. C'est la meilleure réponse que nous ayons obtenue jusqu'à maintenant.
Le sénateur Eggleton : Vous devriez probablement continuer à vous battre.
M. Sproule : Nous le faisons.
Le sénateur Eggleton : Qu'adviendra-t-il si Nortel se redresse? Nortel bénéficie de crédits d'impôt dans le cadre du Programme d'encouragement fiscal à la recherche scientifique et au développement expérimental. Ils valent quelque chose. Éventuellement, si la situation se redresse, seriez-vous en mesure de demander à en bénéficier?
Mme Urquhart : Vous devez réaliser que Nortel est en cours de liquidation. La société n'existera plus après juin 2010. Alors que dans la plupart des cas de demande de protection contre les créanciers, dans lesquels l'objectif est d'appliquer un plan de réorganisation pour assurer la survie de l'entreprise, ce n'est pas ce qui se passe ici. En ce qui concerne les reports en aval de pertes aux fins de l'impôt, si une valeur marchande négociable devait être payée, j'estime qu'elle serait de 1,3 milliard de dollars. Ces crédits d'impôt expirent lors de l'acquisition par une autre entité, à moins que celle-ci ne se trouve précisément dans le même secteur d'activité.
Nous avons demandé à l'Agence du revenu du Canada de faire des concessions à Ericsson, Avaya et Ciena pour qu'ils puissent acheter les reports en aval de pertes aux fins de l'impôt qui expireraient autrement. Nous n'avons pu trouver aucun responsable au gouvernement fédéral qui s'implique dans cette question. Nous ignorons si elle est étudiée sérieusement ou non.
J'ai toujours été d'avis que ce serait bien si nous ne pouvions même obtenir que la moitié de la valeur. Cela serait une forme de subvention parce que, même si quelqu'un a payé ces avantages fiscaux, mais sans acquitter leur pleine valeur, le gouvernement subventionne l'entreprise qui achète ces crédits.
Le sénateur Eggleton : Comment pouvez-vous mettre la main dessus? Est-ce l'entreprise qui les possède ou Ericsson?
Mme Urquhart : Ils ont expiré. Ils n'ont aucune valeur à moins que l'Agence du revenu du Canada soit prête à faire une concession. Si l'Agence du revenu du Canada déclare être prête à permettre que ces reports en aval de pertes aux fins de l'impôt, y compris ceux liés aux crédits pour la recherche scientifique, soient inclus dans l'achat, ces crédits d'impôt s'ajouteraient au prix d'achat. Toutefois, puisqu'il s'agit d'une concession du gouvernement du Canada, le gouvernement pourrait imposer des conditions à respecter. En d'autres termes, il n'est pas indispensable de les comptabiliser avec l'ensemble des biens pour qu'ils soient partagés avec les détenteurs de titres d'emprunt.
Le sénateur Eggleton : C'est encore une possibilité.
Mme Urquhart : Cela me paraîtrait une solution fabuleuse, aussi bien dans ce cas-ci que ceux d'autres entreprises en cours de liquidation, en particulier lorsqu'il y a un régime d'assurance-invalidité de longue durée autogéré, et quand celui-ci est déficitaire. Un tel mécanisme pourrait permettre, au lieu d'un renflouement direct comme dans le cas de General Motors, de procéder à la vente à rabais de crédits pour perte fiscale. Il faudrait alors imposer non seulement de retirer réellement de l'argent, mais aussi de concourir efficacement au bien du Canada comme entreprise y travaillant.
Si vous imposiez ces dispositions à Ericsson, à Avaya ou Sienna, le gouvernement pourrait dire qu'elles peuvent acheter ces entreprises. Nous allons vous consentir quelques avantages fiscaux, mais vous devez conserver tel nombre d'emplois ici. Vous devrez procéder à ce montant d'investissement pour continuer à profiter des avantages fiscaux que nous vous offrons actuellement. Cela me paraît une meilleure solution qu'une transaction en espèces du gouvernement canadien, et c'est un mécanisme qui permettrait de faire face à quelques-uns de ces problèmes graves.
Le sénateur Eggleton : Pourriez-vous nous mettre sur papier ce que vous venez de dire, et plus précisément les types de condition que vous voudriez que le gouvernement impose en procédant de cette façon?
Mme Urquhart : Oui.
Le président : M. Sproule, Nortel est une entreprise de dimension nationale et internationale, et qui est implantée dans plusieurs provinces. Comment se fait-il que son régime de pension ait été soumis à la législation provinciale?
M. Sproule : Si je comprends bien, il se trouve tout simplement que le siège social de Nortel se trouvait en Ontario. Les régimes de pension ont été enregistrés dans cette province. Je crois cependant savoir que certains régimes de pension relèvent de la législation fédérale, par exemple ceux d'Air Canada et de Bell Canada.
M. Benson : Du point de vue syndical, ce sont les Teamsters qui représentent le plus grand nombre de travailleurs sur la scène nationale. C'est ce qui explique que la plupart des entreprises du groupe des sept qui demandent des mesures d'aide ont des Teamsters qui travaillent pour elles.
M. Sproule : Je crois que seulement 10 p. 100 sont soumis à la réglementation fédérale et les autres à la réglementation provinciale.
M. Benson : Dans la réalité, ce sont surtout des Teamsters. J'ai entendu dire de Nortel que les travailleurs de Flextronics, qui constituent un groupe de Teamsters bien représenté sur la Colline, comptent aussi parmi les raisons pour lesquelles nous sommes ici, qu'ils font partie de cette bagarre de Nortel.
Le président : Le gouvernement fédéral joue-t-il un rôle quelconque pour imposer le montant qu'une entreprise doit conserver en fiducie pour respecter ses obligations en matière de pension?
M. Benson : Oui. Il joue un rôle. Malheureusement, comme nous l'avons vu, la réglementation en vigueur au cours des 40 dernières années a effectivement laissé tomber aussi bien les entreprises que les travailleurs. Il s'agit d'exigences de financement, mais, comme nous le savons, elles n'ont pas été respectées, et le gouvernement, et pas uniquement celui-ci mais le précédent également, ont consenti diverses mesures d'aide. Vous accordez un délai pour revenir à un financement intégral. Cet objectif est toutefois devenu une cible variable à 10 ans, avec des phénomènes de lissage, qui ne justifie probablement pas actuellement qu'on s'y oppose énergiquement, au moins à court terme. La réponse est oui.
Le président : Cela relève-t-il de la législation sur l'insolvabilité?
M. Benson : Non.
M. Sproule : Les régimes de pension et les normes d'emploi, en ce qui concerne les départs, sont réglementés par la province. Quand la question est soumise à un tribunal de la faillite, on passe à un niveau supérieur, celui de la législation fédérale, et la législation provinciale est alors éclipsée. C'est là le problème.
Le président : Parmi les échos que nous avons entendus à la suite du renflouement de General Motors et de Chrysler, certains laissaient entendre qu'une partie de cet argent destinée au renflouement était utilisée pour remettre à niveau des régimes de retraite de certains de leurs employés. L'avez-vous entendu dire?
M. Benson : J'ai entendu des rumeurs. À ce que je crois savoir, ce n'était pas l'objet de l'argent destiné au renflouement. J'ai entendu des rumeurs, mais je ne dispose d'aucun élément concret.
Mme Urquhart : J'ai lu de la correspondance adressée par la direction de General Motors aux employés salariés et remerciant le gouvernement de cet argent. La direction de GM se disait ravie que l'argent versé par le gouvernement fédéral et le gouvernement ontarien lui ait permis de maintenir les pensions.
Même s'il se peut que le gouvernement n'ait pas souhaité que l'on sache que l'argent serait utilisé à cette fin, les travailleurs de General Motors ont certainement été informés que c'était le cas à la suite des efforts du gouvernement et le versement de cet argent leur a permis de boucher les trous des régimes.
Je tiens à ajouter un point concernant la législation sur les faillites, parce que l'on dit en chambre que le gouvernement fédéral n'a pas les moyens d'aider les retraités de Nortel parce que c'est une question qui relève des pouvoirs de l'Ontario.
Le premier point sur lequel j'insiste est que ce ne sont pas tous les travailleurs de Nortel qui travaillent en Ontario. Nous avons environ 5 000 travailleurs à Montréal et 3 000 en Alberta. L'idée voulant que tout incombe à l'Ontario n'a pas de sens. Il est certain que, du point de vue des garanties, ce serait uniquement les retraités ontariens, dans tous les cas, qui obtiendraient une contribution modeste au régime.
En 2006, Ivaco Inc., une aciérie, a fait faillite. Je tiens à rappeler aux sénateurs que le gouvernement et le surintendant des services financiers de l'Ontario ont présenté au tribunal de la faillite une requête pour qu'ils soient autorisés à exiger une évaluation actuarielle mise à jour du régime. Il s'agissait dans ce cas-ci pour l'Ontario, en application de sa réglementation, d'exiger que des cotisations spéciales soient versées afin de combler le déficit d'Ivaco Inc.
En demandant ces cotisations spéciales, il s'agissait de mettre l'accent sur elles et de veiller à ce qu'elles soient versées dans une fiducie réputée pour que, lors de la liquidation d'Ivaco, ces cotisations — et donc leur montant cumulatif qui aurait alors éliminé l'intégralité du déficit — deviennent une revendication prioritaire par rapport à celle des créanciers ordinaires.
Le juge James Farley a rejeté la motion. Le texte de la Loi sur la faillite ne précise pas que les caisses de retraite sont des créanciers ordinaires. Elle ne dit rien sur cette question.
Dans ce cas de 2006, le juge Farley a conclu que la Loi sur la faillite l'emporte sur la législation provinciale et que, cette loi ne disant rien des déficits des régimes de retraite, et bien que la seule loi en la matière au pays soit la loi provinciale qui exigeait que les cotisations spéciales soient versées, et il a décidé que l'entreprise en question allait faire faillite et qu'il déciderait si ces cotisations spéciales étaient ou non justifiées. Il a conclu que les déficits des caisses de retraite, les cotisations spéciales, ne seraient pas cristallisés et que le déficit d'un régime de retraite constitue une créance ordinaire.
C'est ce précédent et non pas les dispositions de la législation fédérale qui nous ont mis dans cette situation fâcheuse avec les déficits des caisses de retraite et les normes provinciales qui ont été imposées par l'Ontario et par d'autres provinces.
C'est ce qui nous convainc que nous devons maintenant réviser la Loi sur la faillite et l'insolvabilité pour interdire à tout juge d'un tribunal de la faillite de donner préséance aux normes provinciales sur les obligations. C'est pourquoi nous sommes convaincus que Tony Clément a tort quand il dit que cela ne relève pas de nos pouvoirs.
Dans le cas de Nortel, l'Ontario ne peut rien faire d'autre pour résoudre la situation que de procéder à un renflouement des caisses. Tony Clément n'a pas le droit de dire que le gouvernement fédéral va renflouer les sociétés fédérales et que l'Ontario va renflouer les sociétés ontariennes.
Je ne suis pas d'avis que quiconque devrait être renfloué. S'il y a de l'argent dans ces entreprises, ce qui est manifestement le cas de Nortel, avec six milliards de dollars de liquidités, cet argent devrait servir avant tout aux fins prévues par la province, soit en recourant à ces cotisations spéciales qui seraient cristallisées et permettraient d'éliminer le déficit. Nous devons indiquer clairement dans la Loi fédérale sur la faillite qu'elle reprend les normes qui ont été imposées par la province pour qu'aucun juge ne puisse décider que, en cas de faillite, il puisse décider par lui-même dans ce domaine. Cela devrait être bien inscrit dans la loi.
Je suppose que la plupart d'entre vous ont lu l'éditorial du Globe and Mail. Nous estimons que ce journal est celui du monde des affaires. Nous sommes ravis de voir que dans son éditorial, il a également estimé que les obligations en matière de pensions qui sont des rémunérations reportées devraient être inscrites dans la Loi sur les faillites et reprendre les dispositions des législations des provinces pour qu'il ne fasse aucun doute, au moment de la disparition d'une entreprise, que ces rémunérations reportées soient payées lorsque les fonds sont disponibles dans l'entreprise.
La raison la plus fréquente que j'ai entendue évoquer pour ne pas réviser la Loi sur la faillite et l'insolvabilité serait que certains hommes d'affaires prétendent que cela ferait grimper leurs coûts de crédit. Ils disent que, lorsqu'ils auront à emprunter, ils devront acquitter des taux d'intérêt plus élevés.
Fort heureusement, un certain nombre de gens d'affaires plus évolués ont déclaré hier sur le Business News Network qu'ils allaient prendre la parole pour défendre la nécessité d'apporter ces modifications. C'est pourquoi j'ai répondu à ceux qui prétendent que cela entraînerait une hausse des coûts du crédit qu'ils devraient me montrer leurs chiffres et leurs études.
Je crois que les déclarations voulant que le déficit d'un régime de pension entraîne une hausse du coût du capital pour toutes les entreprises du pays ne sont pas justifiées. Je vous dis aussi que c'est là un sujet que vous devriez étudier. Je crois l'avoir étudié au cours des 30 ans que j'ai consacrés aux investissements. La fréquence des défauts n'est pas suffisamment élevée pour que quelqu'un puisse prétendre que ce ne serait pas là une bonne politique. C'est certainement une bonne politique sociale, mais je prétends également qu'elle n'aurait que des effets infimes sur les coûts du crédit. Quand vous prenez en compte ces swaps sur défaillance de crédit, qui incitent à faire faire faillite à une entreprise, je ne crois pas que nous ayons beaucoup d'autre choix que d'aller de l'avant en adoptant une politique qui nous permettra de protéger nos personnes âgées et nos handicapées au moment d'une faillite. La hausse des coûts du crédit sera minuscule et tous les détenteurs de titres d'emprunt concernés par cette question devraient se retirer et acheter leurs swaps sur défaillance.
Le président : Nous allons manquer de temps et le sénateur Mitchell de l'Alberta a été patient. Monsieur le sénateur, vous êtes le dernier à pouvoir prendre la parole et je rappelle qu'il s'agissait là d'une réunion préliminaire pour nous permettre d'avoir un aperçu de ces questions.
Le sénateur Mitchell : J'aurais quelques questions à poser mais elles sont de nature technique, et je pourrais les poser à nouveau à l'avenir. M. Sproule souhaite peut-être ajouter quelque chose.
M. Sproule : En ce qui concerne le coût du crédit, quand vous ferez un point complet de la situation, il ne faut pas prendre en compte uniquement le coût du crédit et la capacité concurrentielle du Canada. Il faut également intégrer le coût social de la situation. Qui étudie les coûts complets, en particulier les coûts sociaux, quand des gens se retrouvent sur l'aide sociale, ou doivent recourir à l'assurance-emploi et que leurs fils et leurs filles doivent s'occuper d'eux pendant leur vieillesse? Lorsque nous voulons faire le calcul, faisons alors un calcul complet.
Le président : Vous nous avez beaucoup aidés à aborder un certain nombre de questions et à nous faire une opinion. Si, comme comité, nous décidons de poursuivre plus avant ces questions, j'espère que nous pourrons compter sur vous pour nous aider à poursuivre une discussion plus détaillée.
M. Sproule : En un clin d'œil.
Le président : Je vous remercie au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales et nous aurons plaisir à vous revoir à l'avenir.
(La séance est levée.)