Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 8 - Témoignages du 29 avril 2009
OTTAWA, le mercredi 29 avril 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 12 pour étudier l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
[Traduction]
Le comité poursuit son étude spéciale visant l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et ses incidences sur la politique canadienne.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Lan Lijun, ambassadeur de la République populaire de Chine au Canada. Il est accompagné de Shan Jiang, ministre-conseiller (commerce) et de Wenze You, conseiller.
Son Excellence a été ambassadeur de Chine en Indonésie de 2005 à 2008, ministre de l'Ambassade de Chine à Washington (DC) de 2002 à 2005, et consul général, au rang d'ambassadeur, au consulat général de Chine à Los Angeles.
Citons parmi ses autres affectations à l'étranger Vancouver, ainsi que Trinité-et-Tobago. Auparavant, de 1996 à 2000, il avait été directeur et directeur général adjoint du service des affaires de l'Amérique du Nord et de l'Océanie.
Son Excellence connaît bien le Canada. Né dans la province du Jiangsu, il a obtenu un B.A. en littérature anglaise de l'Institut de langues étrangères de Beijing en 1974, pour ensuite poursuivre ses études de deuxième cycle à l'Université Queens et à l'Université McGill, de 1974 à 1976, puis à la Kennedy School of Government de l'Université Harvard, où il a obtenu une maîtrise en administration publique.
Bienvenue au Sénat. Nous commencerons par un exposé de son Excellence qui a eu la bonté de nous accorder une heure de son temps. Nous l'en remercions. Il va parler dix minutes, ce qui laissera aux membres du comité beaucoup de temps pour lui poser des questions et obtenir des réponses.
À vous, votre Excellence.
Son Excellence Lan Jijun, ambassadeur, Ambassade de la République populaire de Chine au Canada : Merci, monsieur le président, de votre aimable présentation.
Honorables sénateurs, c'est effectivement avec grand plaisir que je m'adresse au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, pour parler du développement économique de la Chine et des relations Canada-Chine.
Tout d'abord, j'aimerais faire le point sur l'économie de la Chine.
Comme nous le savons, les derniers mois ont été vraiment mouvementés pour l'économie mondiale. L'écroulement soudain du marché des hypothèques à risque et le retournement du secteur immobilier aux États-Unis se sont transformés en une crise économique mondiale. Les vagues provoquées par la crise se font sentir en Chine, comme dans les autres pays en développement. La croissance économique de la Chine est passée d'un impressionnant 11,9 p. 100, en 2007, à 9 p. 100 en 2008, puis à 6,1 p. 100 au cours du premier trimestre de cette année. Le prix des actions s'est également effondré; le chômage a été exacerbé; pour la première fois depuis 2005, les prix des logements urbains ont enregistré un déclin par rapport à l'année passée; les prix des producteurs ont continué d'augmenter de plus en plus vite, tandis que les prix à la consommation se mettaient à diminuer; des secteurs industriels comme la production d'électricité, le textile, les métaux non ferreux et la technologie de l'information ont encaissé de lourdes pertes; l'entrée d'investissement direct de l'étranger en Chine s'est affaiblie; et les exportations d'une année sur l'autre se sont contractées de 2,8 p. 100 en décembre 2008, soit la plus grosse diminution depuis une décennie.
La valeur totale des échanges, importations et exportations, lors du premier trimestre de l'année, a diminué de 24,9 p. 100 par rapport à l'an dernier, soit 19,7 p. 100 de moins pour les exportations, et 30,9 p. 100 de moins pour les importations.
Les répercussions de l'évolution de la crise sur l'économie de la Chine sont bien réelles, mais ne doivent pas être exagérées. Parce qu'elle dépend beaucoup de l'exportation, la Chine est vulnérable à la baisse de consommation à l'étranger, mais ses institutions financières restent en grande partie fiables et solides, vu son peu d'exposition aux actifs adossés à des hypothèques à risque et aux instruments dérivés comportant un risque élevé. La croissance économique de la Chine est encore au sommet par rapport à d'autres pays. L'importance de ses réserves de devises étrangères et de ses recettes fiscales lui permet une réglementation et un contrôle gouvernementaux efficaces. D'autre part, la richesse croissante des habitants de la Chine et la réforme structurelle vont stimuler la consommation. La Chine a donc des raisons de conserver un optimisme prudent.
Qu'a fait la Chine pour affronter la tempête mondiale? Pour faire face à la crise financière internationale, le gouvernement chinois a fait de l'augmentation de la demande intérieure, en particulier de la consommation, la base de la stimulation de la croissance. Il a résolument mis en œuvre une politique financière proactive et une politique monétaire légèrement assouplie. Le gouvernement chinois a élaboré des mesures de stimulation visant à promouvoir une croissance économique stable et relativement rapide par divers moyens : augmenter l'investissement gouvernemental par la mise en œuvre d'un plan d'investissement sur deux ans se chiffrant à 4 billions de yuans, dont 1,18 billion pour de nouveaux investissements de la part du gouvernement central — 4 billions de yuans représentent, honorables sénateurs, 578 milliards de dollars américains; procéder à une réduction structurelle des impôts et accroître la demande intérieure; revoir en profondeur les plans de modernisation industrielle afin d'améliorer la compétitivité de l'économie nationale; encourager l'innovation scientifique et technologique afin de consolider l'assise du développement à venir; améliorer la sécurité sociale dans son ensemble; augmenter l'emploi dans les secteurs urbains et ruraux; et stimuler le progrès des initiatives sociales. Récemment, nous avons créé un régime national de soins médicaux dans le cadre des mesures de stimulation.
La politique monétaire proactive a cinq volets. Le premier est l'accroissement des investissements gouvernementaux publics et la stimulation de la consommation. Le deuxième est l'accélération de la réforme fiscale et la mise en œuvre d'une réduction structurelle des impôts. Le troisième est la rectification du modèle de distribution du revenu national afin d'augmenter le revenu des pauvres. Le quatrième est l'optimisation plus poussée de la structure de dépenses fiscales, afin de garantir et d'améliorer les moyens de subsistances des gens. Le cinquième et dernier volet est l'appui total à l'innovation scientifique et technologique, à l'économie d'énergie et à la réduction des émissions, ainsi que l'accélération de la restructuration économique et de la modification du modèle de développement économique.
Le plan de stimulation économique commence à porter ses fruits, et certains indicateurs économiques sont en progrès. Cette année, le produit intérieur brut de la Chine devrait croître d'environ 8 p. 100. La Chine continuera à prendre des mesures énergiques pour maintenir une croissance économique constante et rapide et pour jouer son rôle dans le rétablissement accéléré de l'économie mondiale. Nous sommes tout à fait convaincus de pouvoir atteindre cette année nos objectifs de développement économique et social. Les mesures que je viens de mentionner et leur succès bénéficieront à la Chine, mais elles se traduiront aussi par d'excellentes occasions d'affaires pour les autres pays, y compris le Canada.
Laissez-moi aborder maintenant la question des échanges commerciaux entre la Chine et le Canada. Les échanges et l'investissement ont toujours été et demeureront un moteur important du développement des rapports bilatéraux. Nos échanges bilatéraux ont commencé modestement il y a plusieurs décennies, par un simple commerce de marchandises. Il s'agit désormais de liens multidimensionnels allant du commerce de biens et de services aux flux de capitaux, en passant des échanges de personnel.
L'an dernier, la Chine a enregistré 34 milliards de dollars américains d'échanges et d'investissements, dépassant ainsi la cible de 30 milliards de dollars américains fixée par nos chefs d'État pour 2010. Pendant ce temps, l'investissement canadien en Chine est passé à près de 6,2 milliards de dollars américains, ce qui accompagne une croissance soutenue de l'investissement de la Chine au Canada. Ces résultats peuvent sembler suffisants, mais si on les met en contexte, au vu du rendement économique et des résultats commerciaux de nos deux pays, on constate un écart marqué entre ce qui existe et ce qui pourrait exister.
Malgré leur augmentation par bonds, nos échanges bilatéraux représentent moins de 5 p. 100 du total des échanges avec l'étranger de chacun de nos deux pays. L'investissement canadien en Chine, même s'il a connu une croissance de 14 p. 100 en 2007, représente seulement 0,3 p. 100 de son investissement total à l'étranger en 2008. L'investissement étranger direct de la Chine au Canada, quant à lui, n'est que de 0,1 p. 100. Ces chiffres sont loin de refléter la nature profondément complémentaire de nos deux économies, et l'investissement est loin de ce qu'il devrait être.
Nos deux économies sont hautement complémentaires, le Canada étant le plus grand pays développé, du fait de sa masse géographique, et une puissance mondiale importante en matière de ressources naturelles. La Chine, de son côté, est le plus grand pays en développement et l'économie mondiale qui connaît la plus forte croissance. La Chine est maintenant le quatrième marché d'exportation du Canada et son deuxième partenaire en matière d'échanges, n'étant devancée que par les États-Unis. Dans l'autre sens, le Canada arrive en onzième place parmi les partenaires commerciaux de la Chine. Le Canada est une superpuissance en matière d'énergie et de ressources; compte tenu de la lancée de la Chine sur la voie du développement et de son essor immobilier qui se poursuit, nous pouvons établir un nouveau record en matière d'échanges et d'investissements bilatéraux.
Le Canada peut être fier de posséder de ses services bancaires et de ses services d'assurance parfaitement au point, et le reste du monde ferait sans doute bien d'émuler la connaissance et le savoir-faire du Canada qui ont permis à son secteur financier de maintenir le cap, malgré une situation économique houleuse. Le Canada dispose aussi d'un certain nombre de technologies de pointe, en matière d'énergie propre et de protection de l'environnement, et cetera. Il figure parmi les leaders mondiaux dans l'aérospatiale, les technologies de l'information et de la communication, la technologie sans fil et le domaine de la santé et des sciences — la biotechnologie, la cybermédecine et l'équipement biomédical, par exemple.
Les entreprises canadiennes des secteurs de l'infrastructure et des technologies des transports jouissent en Chine d'une solide réputation établie de longue date. De plus, avec la montée en flèche de l'investissement chinois à l'étranger, un nombre croissant d'entreprises chinoises cherchent à conclure avec le Canada des ententes de coopération menant à des gains mutuels. La stratégie de la porte d'entrée du Pacifique et de l'Atlantique peut présenter de bonnes occasions de multiplier les coentreprises et les partenariats. L'histoire montre que la Chine et le Canada peuvent avoir une coopération qui profite aux deux pays. Dans le monde d'aujourd'hui, une coopération bilatérale de ce type revêt encore plus d'importance pour les deux partenaires.
Étant donné la situation actuelle, il est normal que nos deux pays collaborent encore plus étroitement pour faire face aux difficultés. Vous savez peut-être que le mot chinois pour crise, « Wei Ji », est composé de deux caractères chinois; un qui signifie danger et l'autre, occasion. Bien que ce soit pour nous tous une période de crise, nous avons aussi l'occasion de travailler ensemble pour surmonter les difficultés et remédier à certains des facteurs d'instabilité sous- jacents. Pour que notre relation progresse, il nous faut davantage de mesures audacieuses et une plus grande volonté politique, ce qui nous permettra de profiter des immenses occasions qui se présentent à nous et de les concrétiser. Une occasion ratée est une occasion perdue. Il ne faut pas attendre à demain, mais agir dès aujourd'hui.
Bien que le commerce soit au cœur de presque tous les partenariats entre pays, la relation Chine-Canada ne tient pas qu'à de simples ventes et achats. Notre relation va bien plus loin et comprend des discussions animées au sujet du développement durable, de l'application de la loi, de l'éducation, de la culture et du milieu universitaire, entre autres.
L'an prochain, nous allons célébrer le 40e anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et le Canada. Il y a beaucoup de raisons de célébrer. La Chine et le Canada ont établi plus de 20 mécanismes bilatéraux de dialogue et de consultations visant la coopération dans les domaines de la politique, de l'économie et du commerce, de l'agriculture, de l' énergie, de la santé, du contrôle des armes, du changement climatique, de la science, de la technologie et de toutes sortes d'autres choses. La Chine et le Canada collaborent étroitement sur des questions régionales et internationales d'intérêt commun, de même qu'aux Nations Unies.
Pour de meilleures relations Chine-Canada, il faut encore plus de participation et de dialogue, mais surtout, il faut une vision — une vision qui nous permettra de sortir des goulots d'étranglement pour que dans dix ou vingt ans, nous repensions aux efforts que nous avons faits et nous soyons assurés d'avoir pris les bonnes décisions pour les Chinois et les Canadiens.
Pour conclure, je veux vous remercier encore une fois de m'avoir invité. Votre appui à l'amélioration des relations Canada-Chine est essentiel pour aller de l'avant non seulement sur le plan politique, mais également en ce qui concerne l'économie et le commerce.
Le président : Afin de circonscrire complètement la relation entre nos deux pays, que certains décrivent comme étant déséquilibrée parce que nous importons plus que nous exportons, je crois que nous devons aussi inclure une des principales exportations que nous recevons de la Chine, c'est-à-dire le grand nombre de vos fils et filles qui viennent s'établir au Canada pour y construire leur avenir. Nous vous en sommes éternellement reconnaissants.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question, Excellence, ne concerne pas la déclaration que vous avez faite aujourd'hui. J'ai posé la question suivante à Son Excellence, l'ambassadeur de l'Inde.
Au sommet de Londres, le 20 avril dernier, qui regroupait 20 des principales économies du monde, la discussion a porté notamment sur une nouvelle architecture financière globale. La situation ses intensifiées. Alors que la Russie et la Chine préconisaient une organisation multipolaire du monde, les États-Unis, pour leur part, rejetaient cette idée, en proposant de garder le dollar américain comme unité de monnaie essentielle dans le monde.
En quelques mots, pouvez-vous nous parler des initiatives chinoises concernant cette monnaie de référence alternative au dollar américain?
[Traduction]
M. Lijun : C'est une question très technique. Et c'est également un important sujet de discussion en ce moment. L'arrivée de la crise et ses conséquences mondiales nous forcent à voir qu'il reste des questions sans réponse. De quel type de monnaie de réserve avons-nous besoin pour assurer la stabilité financière et faciliter la croissance économique mondiale? Le Fonds monétaire international a été créé en partie pour répondre à cette question.
Au dernier sommet du G20 à Londres, ce sujet a été brièvement abordé. On a essayé d'y trouver une solution. Vous savez peut-être que le gouverneur de la Banque populaire de Chine a rédigé un article sur cette importante question. Premièrement, en théorie, la monnaie de réserve internationale devrait être arrimée à un étalon stable et émise selon un ensemble clair de règles garantissant une disponibilité ordonnée. Deuxièmement, sa disponibilité devrait être suffisamment souple pour permettre des ajustements opportuns selon la demande.
C'est une discussion courante. Et il faudra du temps pour que les différentes parties principales en arrivent à un accord. La Chine aimerait que le FMI subisse certaines réformes pour mieux s'adapter à la situation actuelle et être à même de faire face à l'avenir. La Chine aimerait jouer un rôle et travailler avec les autres membres du FMI et de la communauté internationale à ce sujet.
Le sénateur Wallin : Ambassadeur Lijun, merci pour votre aperçu de l'état de l'économie. Peut-être pourriez-vous nous donner plus de détails sur certains points précis. Vous avez parlé d'une croissance au ralenti — nous sommes tous dans la même situation — et de l'effet en cascade de la crise économique.
Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure le ralentissement de la croissance est dû à une baisse de la demande internationale, et quelle part découle des problèmes internes que vous connaissez?
Depuis novembre dernier, il y a eu des manifestations dans les rues de la Chine, et même quelques grèves. Des problèmes internes surgissent alors que vous devez déjà faire face à un ralentissement. Pourriez-vous chiffrer ces problèmes?
M. Lijun : La croissance du PIB chinois au cours des dernières années dépendait largement des exportations. Avec la baisse de la demande mondiale, surtout celle des États-Unis, nos exportations ont chuté de façon spectaculaire. Cette situation crée beaucoup de pression pour les entreprises exportatrices chinoises.
J'ai donné quelques pourcentages concernant le ralentissement économique de la Chine. Nous essayons en même temps d'accroître la consommation nationale. Diverses mesures à cet effet ont été mises en place par le gouvernement central.
Premièrement, nous allons beaucoup investir dans l'infrastructure. Par exemple, pour le secteur ferroviaire cette année, le gouvernement prévoit 600 milliards de yuans pour le développement de chemins de fer, et encore 600 milliards l'an prochain. Ce n'est qu'un des investissements.
Deuxièmement, nous allons investir pour résoudre le problème du chômage. Le nombre de travailleurs migrant en Chine qui ont perdu leur emploi équivaut aux deux tiers de la population canadienne environ, soit 20 millions de personnes, ce qui est énorme. Le développement économique a amené les agriculteurs qui travaillaient à la campagne à déménager dans les zones urbaines pour travailler, par exemple, dans le secteur de la construction. Ce secteur a été touché par la crise.
Nous essayons de créer des emplois non seulement pour les citadins, mais également pour les agriculteurs. Nous espérons créer cette année environ 9 millions d'emplois. Selon nos estimations, pour atteindre cette cible, il nous faut maintenir une croissance de 8 p. 100 du PIB. Pour chaque point de pourcentage de croissance du PIB, nous pouvons créer environ 820 000 emplois. Diverses mesures nous permettront de créer ces 9 millions d'emplois cette année.
Au cours du premier semestre, je crois que nous avons déjà créé 2,5 millions d'emplois. La liste de tout ce qui s'est produit et de tout ce que nous faisons est longue.
Le sénateur Wallin : Il y a l'effet des forces externes et la baisse de la demande mondiale et les problèmes nationaux. Je sais qu'il est difficile de chiffrer une telle situation, mais lorsque les travailleurs migrants ou d'autres personnes quittent les villes, la demande nationale diminue également. J'aimerais savoir dans quelle mesure cela peut constituer un problème.
J'ai une question semblable concernant la croissance de 8 p. 100 du PIB que vous essayez de maintenir et votre plan de stimulation de 4 billions de yuans, ou 578 milliards de dollars. Est-ce que cela représente 6 p. 100 du 8 p. 100, ou 2 p. 100 du 8 p. 100? Quelle partie du plan de stimulation vise à maintenir la croissance du PIB?
M. Lijun : Il est difficile de mesurer l'effet du plan de stimulation sur la croissance du PIB. Certains projets du plan de stimulation n'auront des effets concrets qu'après un certain temps, mais d'autres produiront des effets immédiats, comme la réduction de la taxe de vente sur certaines automobiles en Chine. Pour la première fois, la Chine a vendu plus d'autos que les États-Unis au cours du premier trimestre de l'année.
Le sénateur Wallin : C'était environ 10 000 par semaine? Quelque chose comme ça?
M. Lijun : En janvier seulement, le premier mois, nous avons vendu près de 700 000 automobiles. Normalement, février est un petit mois à cause des célébrations du nouvel an chinois et des longs congés. Dans l'ensemble, au cours du premier trimestre, nous avons vendu près de 1,5 million d'automobiles. Et ce n'est qu'un des secteurs pour lesquels le gouvernement encourage la consommation.
En Chine, beaucoup de familles sont devenues riches et ont de grosses épargnes à la banque. Si je me souviens bien, l'épargne dans les banques représente 46 billions de yuans, si bien que les gens ont des liquidités sous la main. Ils hésitent à dépenser, car ils doivent prévoir l'entretien de leurs maisons, les études, les services médicaux et le reste. Pour inciter les gens à dépenser davantage, il faut leur offrir en même temps des régimes d'assurance adéquats. Il n'y a pas très longtemps, nous avons instauré un régime d'assurance médicale à l'échelle du pays. Les gens des régions urbaines et rurales profitent du régime de soins médicaux. Pour la première fois, nous offrons ce service à l'échelle du pays. Grâce au régime, les inquiétudes des gens en matière de santé sont en partie apaisées.
Il y a d'autres mesures. Par exemple, nous avons encouragé les agriculteurs à consommer. Le gouvernement a encouragé les fabricants d'appareils ménagers électroniques à distribuer leurs produits dans les régions rurales grâce à une subvention. Le gouvernement verse des subventions aux agriculteurs qui achètent des téléviseurs couleur, des réfrigérateurs, des lave-linge, et cetera, ou qui échangent leurs vieux appareils contre des neufs.
La population rurale en Chine représente environ 80 p. 100 de la population chinoise, ce qui constitue un énorme marché potentiel. Il faut espérer que ces mesures et d'autres donneront des résultats plus positifs et plus prometteurs. Même si notre PIB n'est que d'environ 6,1 p. 100 pour le premier trimestre, nous sommes plus confiants et optimistes.
Le sénateur Grafstein : Bienvenue au comité. Comme vous l'avez dit, le Canada est un ami de longue date de la Chine. Avant les Américains, nous avons reconnu la Chine et nous sommes fiers de cela. Ma ville — Toronto — et la Chine entretiennent de bonnes relations. Je suis intervenu dans le jumelage de Toronto et de Chongqing. Le maire de la ville, le dirigeant du parti et le gouverneur sont devenus de bons amis. Nous les avons invités à Toronto, et c'était pour eux leur premier voyage dans un pays occidental — vous n'étiez alors qu'un jeune homme. Toronto, la Chine, Chongqing et la province de Sichuan entretiennent de bonnes relations de travail.
Cela dit, j'ai quatre brèves questions. Premièrement, vous dites qu'il nous faut prendre des mesures plus audacieuses dans nos relations commerciales et j'en conviens. Quelles mesures plus audacieuses recommandez-vous aux membres du comité?
Deuxièmement, on a critiqué la Chine parce que le taux de change n'est pas flottant. Pour libéraliser son économie, le Canada a adopté un taux de change flottant. Le taux varie ouvertement et librement. Quelle est la position actuelle de la Chine en ce qui concerne les taux de change et toute mesure qui stimulerait le commerce?
Troisièmement, quelle est la position de la Chine en ce qui a trait aux barrières tarifaires, afin qu'elle accepte plus de produits agricoles en provenance du Canada pour réduire le déséquilibre commercial?
Enfin, mon sujet de prédilection, ce sont les services. Je conviens avec vous que les services sont la solution. C'est l'avenir. Comment faciliter un échange de services plus nourri entre nos deux pays? Je constate qu'il représente un milliard de dollars et que les choses n'évoluent pas. C'est trop peu. Étant donné toute l'expérience et les compétences linguistiques que nous avons au Canada, je ne vois pas pourquoi les services ne prendraient pas plus d'expansion, et ce, rapidement. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi nous ne pouvons pas favoriser un échange plus nourri du côté des services?
M. Lijun : Pour ce qui est des mesures audacieuses, nous devrions nous tourner vers la façon dont nos deux économies sont complémentaires et trouver un point de rencontre, un point de fusion de nos deux économies. Récemment, le gouvernement canadien a envoyé le ministre du Commerce international, Stockwell Day, en visite en Chine pour étudier les débouchés permettant aux deux économies de coopérer et c'est une bonne mesure. Pendant cette visite, le gouvernement canadien a annoncé l'ouverture de nouveaux bureaux commerciaux pour promouvoir le commerce. Des initiatives de ce genre sont certes bienvenues.
Nous devrions aller au-delà et songer à d'autres mesures et au potentiel qui s'offre à nous. Mon collègue, ici présent, est spécialiste des relations économiques et commerciales. Depuis de nombreuses années, même en Chine, il s'efforce de faire la promotion de nos relations commerciales bilatérales. Tout d'abord, nous devons avoir une image juste de l'attitude de nos pays respectifs à l'endroit de l'autre : le Canada présente-t-il un intérêt pour la Chine, ou la Chine présente-t-elle un intérêt pour le Canada? Du point de vue de la Chine, ses relations avec le Canada revêtent une grande importance, non seulement sur le plan politique, mais également sur les plans économique et commercial. Grâce à nos efforts conjugués, nous souhaiterions des relations encore plus étroites dans tous les secteurs. Personnellement, je souhaiterais que les discussions se poursuivent et que nous trouvions le moyen de donner de l'ampleur à notre coopération économique et commerciale, de même qu'aux investissements.
Vous vous occupez de l'élaboration de la politique. Je tiens à dire que le gouvernement chinois encourage les entreprises chinoises à soigner leur crédibilité et leur capacité afin de se mondialiser. Nombreuses sont celles qui investissent au Canada. J'espère que les modalités appropriées seront mises en place pour permettre aux entreprises chinoises d'envisager des investissements dans les débouchés et les projets canadiens afin d'augmenter nos investissements ici. J'espère également qu'on va changer d'attitude à l'égard des entreprises chinoises qui appartiennent à l'État. C'est le message que je transmets aux ministres et aux fonctionnaires.
Pendant les 30 années de réforme et d'ouverture économique de la Chine, les entreprises appartenant à l'État ont subi des réformes structurelles spectaculaires. Presque toutes les entreprises appartenant à l'État sont aujourd'hui cotées en bourse. La nature de ces entreprises a changé. J'espère qu'une compagnie chinoise qui viendrait au Canada sera considérée comme une entité commerciale plutôt qu'autre chose.
Depuis 2005, nous avons adopté une réforme du mécanisme servant à fixer le taux de change du RMB. Nous avons instauré ce que nous appelons un régime géré de taux de change flottant fondé sur l'offre et la demande et tenant compte d'un panier de monnaies. Dans le passé, nous fixions le RMB en fonction du cours du dollar américain, mais désormais il est fixé en fonction d'un panier de monnaies.
La Chine s'est employée à développer un marché des devises étrangères et à en améliorer la gestion. En fait, dès le mois d'août de l'année dernière, le taux de change du RMB avait grimpé de 21,3 p. 100 par rapport au dollar américain. Il y a plusieurs années, je me rappelle que le dollar américain équivalait à 8,2 RMB; aujourd'hui, il équivaut à 6,8 RMB.
Le sénateur Grafstein : J'ai vérifié, et aujourd'hui c'est 5,5.
M. Lijun : Ça, c'est pour le dollar canadien. Je parle du dollar américain.
Le sénateur Grafstein : Nous sommes au Canada.
M. Lijun : Oui, pour le dollar canadien, c'est 5,5.
Nous avons adopté des mesures immédiates, mais également des mesures graduelles de réforme du mécanisme du taux de change du RMB et nous allons continuer. Toutefois, le taux de change est essentiellement lié à l'offre et à la demande sur le marché des capitaux.
Récemment, le département du Trésor américain a affirmé...
Le sénateur Grafstein : C'était une bévue.
M. Lijun : ... qu'il existait une prétendue manipulation de la devise chinoise.
Le sénateur Grafstein : Nous en avons eu vent, mais nous n'avons pas pris ça au pied de la lettre.
M. Lijun : Je tiens à vous assurer que le RMB chinois va se maintenir. Nous allons continuer de consolider le RMB et le taux de change. Voilà pourquoi nous avons proposé à la communauté internationale d'envisager la création d'une devise étrangère suprême homologuée par le FMI.
Le sénateur Grafstein : Excellence, à cet égard, vous m'avez convaincu sur un point, mais je ne le suis pas encore sur l'autre.
Le président : Sénateur Grafstein, nous pourrons reprendre cette discussion plus tard. Le temps file.
Le sénateur Grafstein : La question est importante.
Le président : Je le sais.
M. Lijun : Je vais laisser à mon collègue le soin de répondre à votre troisième question. Il a des chiffres sur l'exportation de produits agricoles canadiens vers la Chine.
Shan Jiang, ministre-conseiller (commerce), ambassade de la République populaire de Chine au Canada : La Chine a ouvert ses portes toutes grandes aux produits canadiens, particulièrement aux produits agricoles. Vous avez parlé des tarifs. À la vérité, nous n'avons pas de tarifs restrictifs frappant les produits agricoles canadiens qui arrivent en Chine.
J'ai participé aux négociations visant l'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce et j'ai traité en particulier avec le Canada. Jusqu'à présent, le niveau tarifaire moyen de la Chine est peu élevé, environ 9 p. 100 seulement, ce qui est bien inférieur aux tarifs imposés par nombre de pays développés. La Chine importe du Canada de grandes quantités de matières premières et de produits agricoles, notamment des pâtes et papiers, du nickel, du blé, de l'orge et du canola.
L'année dernière, nous avons importé pour environ 1,4 milliard de dollars US en produits de pâtes et papiers, du nickel d'une valeur de 900 millions de dollars US, du canola d'une valeur de 8,8 millions de dollars US, de la potasse d'une valeur de 500 millions de dollars US, et quantité d'autres produits. C'est énorme.
Comme je l'ai dit plus tôt, les produits agricoles que nous importons du Canada ne sont pas frappés de tarifs élevés. Notre marché est ouvert. Actuellement, notre consommation nationale augmente. Avec une population de 1,3 milliard de personnes, vous pouvez imaginer l'ampleur de notre consommation. Il nous faut importer du Canada.
J'ai eu l'occasion de rencontrer les représentants de quelques sociétés agricoles canadiennes. Ils se disent confiants de pouvoir vendre davantage sur le marché chinois.
M. Lijun : Quant à votre dernière question, je vous parlerai brièvement de l'échange de services. Dans le secteur financier, plusieurs entreprises canadiennes bien connues, comme Manulife et Sun Life, de même que la Banque de Montréal, la Banque Royale et la Banque Scotia ont des succursales en Chine et elles y sont prospères. Nous accueillerons favorablement un plus grand nombre d'institutions financières canadiennes qui s'installeraient là-bas. Cette avenue fait également partie de l'engagement de la Chine en vue de son adhésion à l'OMC.
Le président : Merci, Excellence. Je peux vous assurer, ainsi que tous mes collègues, que nous avons l'intention de vous inviter de nouveau, sans doute à l'automne, quand nous aurons progressé dans notre étude.
Le sénateur Stollery : Je me joins à mes collègues pour souhaiter la bienvenue à l'ambassadeur et à ses collaborateurs.
Pour ma part, je préconise des relations commerciales et autres plus étroites et plus suivies avec la Chine. Nous devrions en faire la promotion.
Des témoins qui ont comparu devant le comité ont critiqué la situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons. Il y a eu des changements et il semble que nous soyons en train d'ouvrir des bureaux commerciaux.
Je suis de Toronto. On parle de diaspora et c'est une chose que je vis tous les jours. Je peux dire si une personne parle le mandarin ou le cantonnais. À Toronto, j'entends de plus en plus parler mandarin. Autrefois, comme nous le savons, les nouveaux arrivants chinois au Canada venaient du Sud de la Chine. Nous avons d'énormes supermarchés chinois; ils sont gigantesques et ils sont nombreux. Pourtant, ces quelques dernières années, nos relations semblent avoir tiédi considérablement.
J'ai fait partie d'un petit groupe qui a rencontré le président de Chine. C'était il y a combien d'années?
M. Lijun : C'était en 2005.
Le sénateur Stollery : J'ai participé à des réunions là-bas, et un petit groupe d'entre nous a rencontré le président. Un ministre progressiste-conservateur, George Hees, a parrainé le premier accord commercial majeur avec la Chine en 1960. C'était le premier accord sur les céréales. Je m'en souviens très bien. George Hees était ministre du Commerce à l'époque, comme vous le savez.
Le sénateur Grafstein : C'était en 1957.
Le sénateur Stollery : Depuis quelques années, toutefois, j'ai l'impression que quelque chose a déraillé. Pour ma part, je pense qu'il faudrait remettre le train en marche. N'avons-nous pas, il n'y a pas si longtemps, vendu quelques réacteurs nucléaires à la Chine?
M. Lijun : Oui, et c'était dans les années 1990. Un réacteur CANDU a été installé à Qinshan, dans la province de Zhejiang. Je me suis rendu sur le site dans les années 1990.
Le sénateur Stollery : Je comprends qu'il y a des problèmes de monnaies de réserve et que la Chine connaît d'énormes problèmes nationaux. On m'a dit qu'il fallait que la Chine ait une croissance de 10 p. 100 étant donné le grand nombre de gens qu'il faut intégrer à l'économie du pays. C'est compréhensible. Je sais que vous devez vous montrer diplomate en la matière. Nous comprenons.
Pourquoi les choses ont-elles déraillé? Comment pouvons-nous redresser les choses?
Le sénateur Prud'homme : Laissez-moi vous dire que ce sera long.
M. Lijun : Entre le moment où je suis arrivé au Canada et celui où j'ai quitté le bureau du Canada en Chine, près de huit années se sont écoulées. Mon collègue, M. Jiang, et moi avons travaillé ensemble à Beijing au bureau du Canada. Il travaillait pour la section commerciale; j'étais à l'emploi de la section politique.
Lorsque les gens affirment que notre relation s'est détériorée, ils veulent dire qu'au cours des dernières années, un ralentissement s'est produit. Peu de visites de haut niveau ont eu lieu.
L'approche que nous avons adoptée à l'égard de certaines questions ne favorise pas l'établissement d'une relation stable et solide. Toutefois, comme nous le savons, le Canada a été l'un des premiers pays occidentaux à reconnaître la Chine en 1970. Aucun différend historique ne sépare la Chine et le Canada, aucun litige territorial. De plus, les Chinois estiment le Canada en raison de cette relation précoce et des ventes de blé à la Chine dans les années 1960, lesquelles leur ont été d'une grande aide. La contribution désintéressée d'un médecin canadien reconnu, Norman Bethune, joue aussi un rôle. Tous ces éléments sont positifs et pourraient favoriser l'établissement d'une relation solide entre nos deux pays.
Vu le contexte mondial actuel, la Chine et le Canada devraient jouir d'une meilleure relation et ils peuvent le faire. Nous essayons de dire que les relations entre États devraient être fondées sur le respect mutuel, l'égalité, la non- ingérence dans les affaires internes et le développement commun. Si nous respectons ces principes de base dans nos relations avec les autres États, je ne vois pas pourquoi la Chine et le Canada ne pourraient pas, à l'avenir, jouir d'une meilleure relation.
J'observe le développement de la relation unissant le Canada et la Chine et le contexte dans lequel elle évolue depuis le début des années 1970. En tant qu'ambassadeur, je suis optimiste. À mon avis, la collaboration nous permettra de renforcer notre relation pour l'avenir.
Des efforts doivent être déployés des deux côtés pour protéger notre relation. Nous pouvons discuter de nos différends, mais comme le dit un proverbe chinois, nous tentons de trouver des points communs tout en mettant en veilleuse certains désaccords. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas discuter de ces divergences d'opinions, mais comment faire? Quelle forme devrait prendre ces discussions? Le contexte social, politique et économique de la Chine et du Canada diffère. Nous ne voyons pas tout de la même manière. Nous devrons tenir compte de l'opinion de l'autre partie et en arriver à une meilleure compréhension mutuelle. C'est ce que nous essayons de faire : favoriser la compréhension mutuelle et le développement de nos pays respectifs.
J'accueillerai avec grand plaisir les suggestions ou les conseils des honorables sénateurs. Nous aimerions collaborer avec vous.
Le sénateur Stratton : Bienvenue, monsieur l'ambassadeur, et bienvenue à tous. J'ai eu le plaisir de souper avec vous il y a quatre ou cinq semaines. La soirée a été fascinante. Votre économie, votre approche élémentaire me fascinent, en tout cas.
Je suis captivé par votre objectif de croissance de 8 p. 100 du PIB, ce qui serait idéal. Vous en avez parlé lors de ce souper. Je suis curieux, vous avez dit avoir vendu 500 000 voitures au mois de janvier.
M. Lijun : Nous avons vendu près de 700 000 automobiles.
Le sénateur Stratton : Le Canada et les États-Unis, en particulier, sont aux prises avec un problème de taille. Ce chiffre est enviable. Le problème, c'est que le système financier américain doit être réparé. S'il est vrai que le nôtre est solide, les banques ont toujours du mal à accorder des prêts. Bien que les taux d'intérêt de la Banque du Canada chutent, les taux d'intérêt sur les prêts automobiles augmentent.
Comment éliminer cet écueil? Vous avez vendu 700 000 voitures et les gens n'ont pas de liquidités, alors je présume qu'ils font comme les consommateurs ordinaires et demandent un prêt à une banque. Quelles mesures sont en place pour encourager les banques à consentir ces prêts?
Vous avez utilisé le mot « encourager » deux ou trois fois, quand il était question des consommateurs. Je serais intéressé à savoir comment vous avez encouragé les banques à accorder ces prêts.
Le sénateur Prud'homme : Ils sont propriétaires des banques.
Le sénateur Wallin : C'est exact. Ils sont propriétaires des banques.
M. Lijun : Les Chinois ont l'habitude d'épargner dans des banques. Nous faisons confiance aux banques parce qu'elles appartiennent à l'État.
Le sénateur Stratton : J'ai entendu cette réponse l'autre soir à votre dîner.
M. Jiang : Elles sont exploitées commercialement.
Le sénateur Stratton : Oui, je le sais.
M. Lijun : D'un autre côté, au début de 2007, le gouvernement a constaté que l'économie était en train de se développer extrêmement rapidement en Chine. Le gouvernement a tenté de ralentir notre économie, car nous estimions qu'un si grand nombre de prêts des banques aux entreprises et au secteur privé risquait de bouleverser le développement économique normal en Chine. Cependant, le gouvernement et les banques ont changé un peu leur façon de penser à partir de la deuxième moitié de l'année dernière, en raison du ralentissement économique et de la crise économique mondiale.
Bien que nous continuions d'adopter une politique monétaire plus proactive, le gouvernement a commencé à demander aux banques d'octroyer un plus grand nombre de prêts à ces entreprises pour qu'elles puissent continuer de fonctionner. Puisque les banques appartiennent à l'État, naturellement elles tentent de coopérer avec les politiques du gouvernement. Le mois dernier uniquement, les banques ont consenti des prêts d'environ 1,8 billion de RMB aux diverses entreprises pour appuyer leur stabilité et leur développement économique.
Dans l'ensemble, à la fin du premier trimestre, je crois que le total des prêts consentis par les banques aux entreprises avait atteint plus de 4,5 billions de RMB, ce qui est énorme; nettement plus que dans le passé. Les montants sont énormes, mais lorsque nous parlons de cette question, nous ne devons pas oublier le nombre de Chinois. Même si le montant est énorme, lorsqu'on le divise par 1,3 milliard, ce n'est pas beaucoup. Nous avons vendu environ 700 000 voitures en Chine, mais les États-Unis en ont vendu environ 600 000. Si nous divisons ce nombre en tenant compte de la population, la moyenne n'est pas élevée, même si ce nombre est énorme. Lorsque nous parlons de ces chiffres, nous ne devons pas oublier la taille de la population en Chine. Lorsque nous avons un problème, c'est un problème énorme si on multiplie par 1,3 milliard.
Afin de maintenir un développement économique rapide et stable, le gouvernement a mis en place un certain nombre de mesures de stimulation, notamment la réduction de la taxe de vente sur certains types de voitures. Par exemple, si les émissions de la voiture sont inférieures à 1,6 litre, l'acheteur profite d'une réduction de 5 p. 100 de la taxe. Auparavant la taxe était de 10 p. 100, mais elle a été réduite à 5 p. 100. Cette réduction encourage par ailleurs les gens, et c'est un stimulant pour ceux qui souhaitaient acheter une voiture par le passé. Ils peuvent maintenant le faire.
Par ailleurs, les agriculteurs peuvent échanger leur vieille voiture pour une nouvelle grâce à une subvention du gouvernement. Ce sont là quelques-unes des mesures que nous avons prises pour stimuler et accroître la consommation intérieure.
Le sénateur Stratton : On s'inquiète que cette récession puisse se poursuivre au-delà de deux ans. Comme les gouvernements de la Russie et de la Tunisie, vous avez dit que vous étiez préoccupé par la durée de cette récession. Est- ce toujours une question qui vous préoccupe, ou est-ce que vous entrevoyez une reprise économique en Chine dans un avenir rapproché? Si c'est le cas, dans combien de temps pourrait-il y avoir une reprise? S'agit-il de six mois ou d'un an? Quelle est votre estimation, au meilleur de vos connaissances?
M. Lijun : Aujourd'hui bien des gens disent, particulièrement en occident, que l'économie de la Chine sera la première à reprendre, et que la Chine pourra aider le monde...
Le sénateur Stratton : Vous avez certainement aidé le Canada.
M. Lijun : ... mais ce point de vue est un peu exagéré, à mon avis.
Tout d'abord, nous tentons de bien diriger nos affaires et d'être en mesure de relancer notre économie pour commencer. Pour le premier trimestre, les indicateurs de notre rendement économique révèlent qu'il y a eu des changements positifs dans l'économie intérieure en Chine. Nous espérons que d'ici le deuxième semestre de cette année, nous pourrons avoir un développement économique normal.
Cela dit, aucun pays n'est une île. Nous devenons tous interdépendants les uns des autres, comme les exportations de la Chine. Le commerce se fait avec d'autres pays. Si la Chine est la seule à bien aller et que le reste du monde ne va pas bien, nous allons tenter de nous aider les uns les autres à former une collaboration étroite et solide pour faire face aux défis financiers actuels. Ce qui est encore plus important, c'est que nous tentons d'aider les pays en développement. C'est pour cette raison que la Chine s'est jointe à la communauté internationale pour recueillir davantage de fonds afin d'aider les pays en développement à traverser cette période difficile.
Il y a différentes prédictions quant au moment où l'économie reprendra et recommencera à croître. Tout est possible, mais en ce moment, la plupart des gens s'entendent pour dire que d'ici la fin de l'année ou le début de l'année prochaine, il y aura une reprise économique. J'espère que cela se produira, mais nous devons avoir confiance. Si on n'a pas confiance, on perd espoir. Sans espoir, il n'y a pas d'avenir. Nous devons avoir pleinement confiance en nous- mêmes et dans le rendement économique de notre propre pays, et nous devrons joindre nos efforts pour travailler ensemble.
Le président : Sénateur Grafstein, nous avons déjà dépassé de 20 minutes le temps qu'avait demandé l'ambassadeur. Il y a encore une dernière intervenante que je vous supplie d'accepter. Le sénateur Andreychuk attend depuis un moment. Elle sera la dernière à poser des questions aujourd'hui.
Le sénateur Andreychuk : Merci, monsieur l'ambassadeur, de comparaître ici cet après-midi et de nous faire part de vos franches observations, observations qui sont également très approfondies.
J'aimerais aborder la question suivante, car même si nous nous tournons vers la Chine comme une économie émergente, c'est dans le contexte de notre politique étrangère. Nous sommes ici peut-être pour donner des conseils ou faire des recommandations au gouvernement à long terme.
Vous avez dit que vous vouliez accorder davantage d'attention aux pays en développement au cours de cette crise. Je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question, car c'est un sujet dont on ne parle pas suffisamment. Cette crise financière touchera davantage les pays les moins développés qui commencent à émerger et ces derniers prendront sans doute plus de temps pour s'en remettre. Nous devons tous accorder de l'attention à ce fait.
En tant que sénateur, on me pose une question ici au Canada. On voit tous les jours sur les tablettes des produits portant l'étiquette « fait en Chine » et on parle des importations au Canada. Vous êtes manifestement très présents ici.
Pourtant, nous avons un projet d'aide au développement avec la Chine. Vous avez commencé votre exposé en parlant de la Chine comme d'un pays en développement. Cependant, vous parlez maintenant de la responsabilité de la Chine à l'égard des pays en développement. La question qu'on me pose est la suivante. Nous devrions explorer nos possibilités de commerce et d'investissements. Pourquoi le Canada continue-t- il d'accorder de l'aide à la Chine? »
Comment voyez-vous cette situation? Est-ce quelque chose que nous devrions réexaminer, et devrions-nous consacrer davantage d'efforts aux stratégies commerciales, appuyer des secteurs commerciaux, mettre en place des mécanismes de règlement des différends et renforcer les tribunaux plutôt que d'accorder une aide au développement?
M. Lijun : Tout d'abord, nous sommes reconnaissants pour les projets mis en œuvre par le gouvernement du Canada pour aider la Chine à atténuer la pauvreté dans certaines régions au fil des ans. Ces projets ont aidé le gouvernement chinois dans ses efforts pour faire sortir plus de 200 millions de gens de la pauvreté au cours de la dernière décennie.
Deuxièmement, l'aide actuellement accordée par le Canada à la Chine est petite. C'est minime, et c'est surtout dans le domaine de la formation.
Le sénateur Andreychuk : D'après les chiffres que j'ai ici, c'est environ 32 millions de dollars. Ce montant a peut-être diminué en 2006-2007.
M. Lijun : Mon collègue, M. Jiang, me dit que c'est moins de 20 millions de dollars à l'heure actuelle.
M. Jiang : La Chine n'est pas prioritaire sur la liste d'aide du Canada aux autres pays.
M. Lijun : Si nous regardons la Chine, nous parlons de deux ou trois Chines. Premièrement, il y a les régions développées de la Chine, les régions côtières. Si on visite la Chine et si on se rend dans les villes côtières de Shanghai ou Beijing, on pense que la Chine n'est pas un pays en développement. J'entends souvent mes collègues étrangers faire cette observation. Deuxièmement, si on se rend dans les régions centrales de la Chine, on constate qu'il y a à la fois des régions développées et des régions en développement. Troisièmement, si on va dans le Nord-Ouest de la Chine, c'est vraiment une région en développement.
La Chine compte surtout sur ses propres efforts, mais nous sommes également très heureux de bénéficier de la coopération internationale. Les programmes actuels fournis par l'ACDI sont surtout des programmes de formation. Par exemple, le Congrès national du peuple a des programmes de formation avec le Parlement canadien, et dans le domaine judiciaire, la Cour suprême du peuple a des programmes avec la Cour suprême du Canada. Ce sont surtout des programmes d'aide civile plutôt que des programmes de développement.
Le sénateur Andreychuk : J'ai une autre petite question.
Vous avez dit que nous avions peut-être des divergences d'opinions et que nous les avions exprimées d'une façon qui était problématique pour les deux pays. J'aurais tendance à être d'accord avec cela. Je me suis retrouvée dans des contextes internationaux où la souveraineté nationale et la territorialité étaient importantes. D'un autre côté, le problème c'est que certaines valeurs canadiennes n'étaient pas respectées.
Au cours des 15 dernières années en tant que sénateur, j'ai réfléchi et conclu que nous devons aborder certaines normes internationales en matière de droits de la personne, de santé et de sécurité, de main-d'œuvre, d'environnement et de commerce. Êtes-vous d'accord pour dire qu'il serait bon d'aborder nos divergences dans le cadre des normes internationales et de voir comment nos pays réceptifs adhèrent aux engagements qu'ils ont signés?
Nous pouvons laisser aux mécanismes de la scène internationale le soin de régler cette question et de déterminer si nous avons respecté ces normes.
M. Lijun : Comme je l'ai déjà mentionné, la Chine et le Canada sont des pays qui ont des antécédents sociaux et culturels différents et des niveaux de développement économique différents. Naturellement, nous devrions respecter les normes internationales en matière de droits de la personne. Au fil des ans, la Chine a favorisé les droits de l'homme dans toutes les régions du pays alors que nous développions notre économie.
Nous avons sorti les gens de la pauvreté et nous avons changé nos lois et la Constitution à plusieurs reprises pour nous adapter aux temps qui changent. Nous avons tenté d'offrir différentes normes de services à nos gens. Nous avons par ailleurs tenu des dialogues sur les droits de la personne avec un certain nombre de pays — par exemple, l'Union européenne, l'Australie et même le Canada il y a plusieurs années. Nous aimerions continuer d'avoir de tels échanges.
En même temps, la Chine a signé plusieurs conventions internationales sur la protection des droits économiques, sociaux, culturels et politiques de nos citoyens. Nous avons tenté de promouvoir la cause des droits de la personne en Chine en collaboration avec la communauté internationale. Pour un pays qui compte 1,3 milliard d'habitants, le droit fondamental de la personne est d'avoir une vie décente —d'avoir un logement, l'accès à l'éducation, des moyens de subsistance.
Lorsqu'on parle des droits de la personne au Canada, c'est facile car vous n'avez pas eu de guerre sur votre territoire depuis de nombreuses années. Les Canadiens vivent bien. Vous avez beaucoup de ressources et une bonne éducation — toute cette richesse est tenue pour acquis.
Cependant, pour les Chinois, le premier objectif du gouvernement est de faire en sorte que notre peuple ait une meilleure vie, donner aux Chinois une bonne éducation, leur fournir un logement et des emplois convenables, ce qui est une tâche urgente et lourde. Chaque année, nous avons plus de 6 millions de diplômés d'université qui ont besoin de trouver un emploi. Ils ont besoin de se joindre à la main-d'œuvre. Nous avons également des écoles et des manufactures qui ont fait faillite. Le gouvernement doit recycler ces gens afin de les aider à réintégrer le marché du travail. En matière de droits de la personne en Chine, on met actuellement davantage l'accent sur une meilleure vie pour les Chinois. En même temps, du point de vue politique, nous avons accordé aux gens davantage de droits pour ce qui est de voter, de s'exprimer et même de critiquer le gouvernement, de sorte que la situation s'est améliorée sur le plan des droits de la personne.
Cela dit, si nous regardons de l'autre côté de la frontière et partout dans le monde, nous constatons qu'aucun pays n'est parfaitement sans reproche en ce qui concerne les droits de la personne. Il y a toujours moyen de s'améliorer. La Chine est disposée à avoir un dialogue avec d'autres pays sur les droits de la personne pour échanger des idées, pour mieux comprendre la question et pour améliorer ce qui doit être amélioré. Avec le Canada, nous avons établi un dialogue en matière de droits de la personne. Nous avons eu plusieurs échanges en matière de droits de la personne, mais le Canada a décidé de mettre fin à ce dialogue. Je crois comprendre que le gouvernement a l'intention de reprendre le dialogue.
Étant donné l'heure qu'il est, je m'arrêterai ici. J'espère que nous aurons une autre occasion d'échanger à ce sujet.
Le président : Je vous remercie, Excellence. Vous avez une fois encore été généreux de votre temps. Nous avions réservé une heure, mais nous sommes déjà là depuis une heure et demie, et il y a encore quatre sénateurs sur la liste. En conclusion, permettez-moi d'exprimer mon appréciation à vous et à vos collègues. J'étais très heureux de vous entendre dire dans vos commentaires ce soir que vous avez hâte de continuer le dialogue et le débat. Moi aussi, j'estime que le dialogue est la meilleure façon de résoudre ces questions, si nous gardons l'esprit ouvert et si les deux parties font preuve de bonne volonté.
Pour ce qui est de la question pour laquelle nous vous avons invités ici ce soir, les affaires étrangères et le commerce, nous sommes impatients de poursuivre la discussion.. Comme je l'ai déjà dit, nous espérons pouvoir visiter la Chine d'ici trois ou quatre mois, après quoi nous aurons le plaisir de vous inviter une fois encore. Si vous voulez, cela pourrait se produire avant notre voyage. J'espère qu'à cette prochaine rencontre nous aurons un peu plus de temps. Comme vous le voyez, les sénateurs s'intéressent vivement à vos propos. Nous pouvons continuer à bâtir notre amitié dans une atmosphère de confiance et de respect mutuels. Merci beaucoup d'être venus ce soir.
(La séance est levée.)