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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 13 - Témoignages du 15 septembre 2009


OTTAWA, le mardi 15 septembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 17 h 35, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères en général (sujet : frontière Canada-États-Unis).

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette toute première réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international depuis la relâche d'été.

En 2008, le commerce de biens et de services du Canada avec les États-Unis était évalué à 742 milliards de dollars. Les exportations vers les États-Unis représentaient 407 milliards, alors que les importations s'élevaient à 334 milliards. Environ 28 p. 100 de nos échanges bilatéraux prennent la forme d'entrées et de sorties de biens à la frontière, parfois à maintes reprises, pendant les cycles de production, entre différentes entreprises ou même différentes industries.

Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur la frontière Canada-États-Unis. Nous avons le plaisir de recevoir Mme Shirley-Ann George, première vice-présidente, Politiques, de la Chambre de commerce du Canada; ainsi que M. Patrick Kilbride, directeur, Activités de l'hémisphère occidental, de la Chambre de commerce des États-Unis. En juillet 2009, la Chambre de commerce du Canada et la Chambre de commerce des États-Unis ont publié, en partenariat avec 47 associations d'entreprises des deux côtés de la frontière, un rapport conjoint intitulé À la recherche d'un équilibre : la frontière commune de l'avenir. Nous allons également entendre Margaret Kalacska, chercheuse associée en sécurité frontalière au Conseil international du Canada et professeure adjointe au Département de géographie de l'Université McGill. Elle est l'auteure d'un article intitulé Technological Integration as a Means of Enhancing Border Security and Reducing Transnational Crime. Notre quatrième témoin d'aujourd'hui est M. Michael Burt, directeur adjoint, Groupe économique industriel, Conference Board du Canada. M. Burt s'est joint au Conference Board en mars 2004 après avoir travaillé au sein d'une société de consultants en économie aux États-Unis.

Je propose que nous nous laissions le plus de temps possible pour la discussion après les exposés, qui ne devraient pas dépasser dix minutes chacun.

Madame George, la parole est à vous.

Shirley-Ann George, première vice-présidente, Politiques, Chambre de commerce du Canada : Merci beaucoup. Les Chambres de commerce du Canada et des États-Unis sont heureuses de présenter leur point de vue sur la question fondamentale de la frontière Canada-États-Unis. En ce moment de ralentissement économique mondial, nous devons veiller à ce que nos rouages économiques de base fonctionnent bien. Malheureusement, la récession amplifie les problèmes structurels inhérents à nos économies, dont celui de la frontière Canada-États-Unis. Comme vous le savez, le Canada et les États-Unis partagent la relation commerciale la plus intense au monde. Tous les jours, le commerce entre les deux pays représente 1,6 milliard de dollars, et 300 000 voyageurs traversent la frontière. On dit souvent que nous bâtissons des choses ensemble, mais parlez à certains de nos membres, et vous comprendrez ce que cela signifie vraiment.

Le tiers de nos échanges vise la livraison inter-compagnie de produits auxiliaires. Nous parlons souvent des pièces automobiles qui traversent la frontière à maintes reprises pendant le cycle de production, mais il y a aussi divers ingrédients et produits qui entrent dans la fabrication d'une boîte de soupe qui traversent la frontière à maintes reprises. Cette relation nous confère de nombreux avantages, dont 7 millions d'emplois aux États-Unis et 3 millions au Canada.

L'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis a aplani les obstacles tarifaires au commerce, créant du même coup une économie intégrée. Compte tenu des mesures de sécurité qui ont été prises après le 11 septembre et de l'application à la pièce des règles applicables à la frontière, les coûts d'inventaire et de transport ne cessent de croître, même si les entreprises réduisent leurs dépenses. Ces coûts accrus ont des conséquences sur les résultats nets des entreprises, ce qui nuit au tourisme dont nous avons tant besoin et met en péril beaucoup trop d'emplois. Nul besoin de s'aventurer bien loin au centre-ville pour constater les effets des coûts liés à la frontière. Les voyages des États-Unis vers le Canada ont diminué de 50 p. 100 depuis cinq ans, en partie à cause de la nouvelle obligation de présenter un passeport à la frontière des États-Unis. Depuis l'an dernier seulement, le nombre de touristes canadiens aux États-Unis a diminué de plus de 20 p. 100 également.

Par ailleurs, il peut en coûter plus de 100 000 $ en frais initiaux pour devenir expéditeur préapprouvé. Ajoutez à cette myriade de coûts les frais directs additionnels imposés au passage de la frontière, comme les droits de l'APHIS, aux États-Unis, qui coûtent aux entreprises 78 millions de dollars par année. Le temps d'attente imprévisible à la frontière et les longues inspections ne font qu'aggraver le problème. Les dirigeants d'une entreprise nous ont dit qu'il leur en coûtait un million par année pour se conformer aux règles de sécurité et absorber les coûts frontaliers excessifs qui leur sont imposés. Ces coûts font mal aux économies du Canada et des États-Unis, ils nuisent à la création d'emplois dans les deux pays en plus de diminuer leur compétitivité devant des concurrents toujours plus nombreux dans le monde.

Nous avons récemment formé une coalition de 47 regroupements de gens d'affaires canadiens et américains afin de présenter au gouvernement des recommandations pratiques, à court terme, pour rendre la frontière plus sécuritaire et le commerce plus efficace. Chacune de ces recommandations peut sembler modeste, mais ensemble, elles recentrent les ressources frontalières sur les échanges commerciaux et les voyageurs inconnus. Ces mesures permettent aux expéditeurs et aux voyageurs préapprouvés de se déplacer aisément entre les deux pays. Nous croyons que nos recommandations peuvent et devraient être mises en place d'ici 18 mois.

Le premier ministre Harper et le président Obama se rencontreront demain à Washington. Le ministre Van Loan et le secrétaire Napolitano se préparent en vue de prochaines rencontres binationales sur la frontière, et vous vous apprêtez à rencontrer vos homologues des États-Unis. Le moment est idéal pour que nos gouvernements s'engagent à adopter les recommandations contenues dans ce rapport.

J'aimerais vous faire part de certaines des principales recommandations du rapport.

Nous appuyons vivement les programmes volontaires pour expéditeurs et voyageurs préapprouvés, comme C- TPAT, EXPRES et NEXUS, qui améliorent la chaîne d'approvisionnement et la sécurité à la frontière. Ces programmes devraient rendre les passages à la frontière plus prévisibles et faire diminuer la fréquence d'inspection de leurs participants. Les services frontaliers pourraient concentrer leurs ressources sur le contrôle des voyageurs et des marchandises inconnus, de sorte que la proverbiale recherche de l'aiguille se ferait dans une botte de foin plus petite. Les frais d'adhésion aux programmes d'expéditeurs préapprouvés sont élevés et peuvent dépasser les 100 000 dollars, mais ils sont nécessaires pour accroître la sûreté de nos chaînes d'approvisionnement. Les participants à ces programmes devraient pouvoir profiter d'un feu de circulation qui reste au vert quand ils traversent la frontière.

Malheureusement, trop peu d'entreprises observent une réelle diminution de leur taux d'inspection. Très peu estiment que l'investissement dans ces programmes leur procure suffisamment d'avantages pour en justifier le coût. Certaines entreprises évitent même ce type de programme parce qu'elles s'attendent à être inspectées moins souvent si elles n'y adhèrent pas. Les voyageurs préapprouvés connaissent les mêmes problèmes. Il faut traiter les expéditeurs et les voyageurs préapprouvés différemment des voyageurs et des marchandises inconnus.

Le Canada et les États-Unis doivent adopter une stratégie de gestion des risques à la frontière qui augmente l'adhésion aux programmes de voyageurs préapprouvés. C'est très important. Nous devons avoir des avantages clairs, mesurables et observables à offrir aux participants pour les attirer. Ce n'est pas le cas en ce moment. Ces mesures pourraient convaincre des milliers d'autres entreprises d'adhérer à ces programmes, qui sont si nécessaires.

Nous aimerions également élargir l'admissibilité à ces programmes pour que les entreprises régies par d'autres ministères que nos services frontaliers puissent y participer elles aussi. Nos dirigeants devraient élargir la définition de la frontière pour que le terme ne se rapporte pas uniquement aux opérations effectuées à la frontière même, au 49e parallèle.

Une bonne partie du travail des agents frontaliers pourrait être fait avant que la marchandise ou les voyageurs n'atteignent la frontière. Actuellement, 12 millions de passagers par année sont prédédouanés pour l'entrée aux États- Unis par les aéroports canadiens. Les transporteurs par train, autobus et bateau devraient offrir le même service. Selon certaines estimations, le prédédouanement pourrait diminuer d'une heure le voyage entre Montréal et Plattsburgh, Toronto et Niagara ou Vancouver et Seattle. Le prédédouanement des marchandises pourrait se faire à l'intérieur des usines de transformation.

Par exemple, les activités des inspecteurs de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, l'ACIA, sont régies par un protocole d'entente signé par la Food and Drug Administration des États-Unis, la FDA, ainsi que le Département de l'agriculture des États-Unis, le USDA. Ils sont présents dans les usines de transformation de viande et de volaille au Canada et pourraient facilement effectuer les inspections douanières nécessaires avant que les produits quittent l'usine. Le prédédouanement pourrait réduire la congestion des artères aux principaux ports d'entrée, accélérer la livraison des éléments de la chaîne d'approvisionnement et réduire les coûts à la frontière.

Par ailleurs, l'absence d'un système conjoint de transmission électronique des rapports sur les importations et les exportations des deux côtés de la frontière demeure une frustration pour les entreprises. Différentes marchandises sont régies par différents ministères. Selon nos informations, il y a 10 ministères qui mènent 43 programmes différents. Les agences frontalières du Canada et des États-Unis sont en train de passer à un système de rapports électroniques sur les importations et les exportations. D'autres ministères utilisent d'autres systèmes, dont certains sont même toujours sur support papier.

Les entreprises du Canada et des États-Unis ont pris les mesures nécessaires pour faire parvenir électroniquement leurs données à Customs and Border Protection (CBP), aux États-Unis, et à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Elles ne l'ont pas fait seulement parce qu'on leur avait demandé de le faire, mais pour la sécurité de nos deux pays.

Pourquoi les autres ministères ne sont-ils pas tenus de faire la même chose? Les rapports électroniques aident nos agences frontalières à gérer le risque. Un système de rapport uniforme pour tous les ministères faciliterait grandement le partage d'information au sein du gouvernement en plus de simplifier les procédures de rapport pour les entreprises.

Nous appuyons vivement l'interface à guichet unique du Canada et l'International Trade Data System des États- Unis. Nous recommandons aux deux gouvernements de consacrer les ressources qu'il faut à la mise en œuvre d'un système de rapport uniforme.

Une autre grande source de mécontentement pour les gens d'affaires, c'est qu'il n'y a pas assez de voies et des services d'inspection durant les périodes de pointe du trafic commercial et touristique. La circulation routière, et particulièrement le trafic commercial, est prévisible dans une grande mesure et c'est elle plutôt que l'heure qui devrait dicter les niveaux de dotation. Nous recommandons que le Canada et les États-Unis offrent des services frontaliers 24 heures sur 24, 7 jours par semaine à tous les principaux postes de douane. Il faudrait alors que les kiosques d'inspection secondaire et les services de soutien aux utilisateurs de la frontière soient ouverts. Il ne sert à rien que la frontière soit ouverte si les inspecteurs rentrent chez eux à 17 heures.

Un des enjeux frontaliers le plus litigieux est l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental, l'IVHO. Nous sommes heureux de constater que les gens peuvent utiliser des cartes de voyageur préapprouvées et des permis de conduire améliorés pour entrer aux États-Unis. Cependant, nous déplorons qu'il n'y ait pas encore de masse critique de documents conformes à l'IVHO en circulation. À défaut de cette masse critique, les voyageurs risquent d'éviter la frontière en général. Malheureusement, c'est ce qui se dégage clairement du rapport que Statistique Canada a publié en juin.

Les permis de conduire améliorés et les cartes NEXUS sont des produits de la technologie d'identification par radiofréquence (IRF), c'est-à-dire des puces qui pourraient réduire considérablement le temps d'attente à la frontière. Une étude montre que si tous les utilisateurs de la frontière possédaient un document de voyage doté de la technologie d'IRF et que chaque kiosque était doté d'un lecteur approprié, le temps d'attente pourrait passer de 65 minutes à 8 minutes. Toute l'information dont les agents frontaliers ont besoin pour autoriser ou refuser l'entrée à quelqu'un apparaîtrait sur son écran dès que le voyageur s'approcherait du poste terrestre. Le gouvernement canadien devrait installer des lecteurs dans tous les kiosques d'inspection des principaux postes frontaliers.

Enfin, une pandémie, une catastrophe naturelle ou un acte terroriste pourrait entraîner une fermeture totale ou partielle de la frontière. Or, l'importance inhérente de la frontière pour 10 millions d'emplois signifie qu'il faut absolument mettre en œuvre un plan d'urgence solide pour faire face à ce genre de situation. Nous félicitons le Canada et les États-Unis pour les progrès réalisés ces dernières années à cet égard, mais nous les exhortons à élaborer rapidement un plan de mesures d'urgence frontalières et une stratégie de communication en vue de la réouverture de la frontière après une fermeture partielle ou totale, particulièrement pour les expéditeurs et les voyageurs préapprouvés.

Pour conclure, le gouvernement joue un rôle critique dans l'efficacité et la sécurité des déplacements de biens et de personnes. Un grand nombre de personnes travaillent avec application et acharnement à trouver des solutions à ces problèmes au sein de notre agence frontalière.

Cependant, il reste beaucoup à faire. Il est essentiel d'améliorer les chaînes d'approvisionnement et l'accès à la frontière pour stimuler la relance économique et notre santé économique à long terme. Nous voyons ces améliorations comme un investissement dans l'avenir du commerce international et la prospérité. Elles sont un investissement dans la prospérité future du Canada et des États-Unis.

Nous doutons fort que ce que nous vous demandons coûte excessivement cher ou soit très difficile. Quand vous lirez notre rapport, vous vous demanderez pourquoi ces mesures ne sont pas déjà en place.

Le climat économique actuel amplifie l'urgence de la situation : ces mesures rapporteront beaucoup au Canada et aux États-Unis, pour les emplois et la sécurité de l'Amérique du Nord. Je précise que c'est avec plaisir que je répondrai à toutes vos questions après les exposés.

Patrick Kilbride, directeur, Activités de l'hémisphère occidental, Chambre de commerce des États-Unis : Bonjour monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie d'avoir invité la Chambre de commerce des États-Unis à se joindre à vous aujourd'hui. J'aimerais également remercier ma collègue, Mme George, de partager son temps avec moi à ce comité.

Concernant la teneur de notre rapport conjoint sur la frontière, j'aimerais m'associer aux observations de Mme George. La Chambre de commerce des États-Unis est fière de travailler en partenariat avec la Chambre de commerce du Canada à ce chapitre. Nous sommes déterminés à travailler également avec les représentants au Congrès des États- Unis et les dirigeants des organismes fédéraux afin de donner vie à ces recommandations importantes. Nous jugeons critique la relation bilatérale entre le Canada et les États-Unis pour notre sécurité nationale et économique et croyons fermement au rôle central d'échanges commerciaux ouverts et efficaces entre nos deux pays pour notre bien-être économique commun.

Mme George a décrit notre relation commerciale avec beaucoup d'éloquence en rappelant simplement que nous bâtissons des choses ensemble. C'est précisément la nature des liens d'affaires bilatéraux qui nous unissent et que la Chambre de commerce des États-Unis souhaite préserver et renforcer au nom de ses membres. Nous avons la ferme volonté de bâtir toutes ces choses avec nos partenaires canadiens.

Nos interactions avec le Canada sont vastes et profondes. Nous travaillons avec beaucoup de partenaires de confiance au Canada, dont la Chambre de commerce américaine au Canada, ainsi que le Conseil canadien des chefs d'entreprise, et bien sûr, nous entretenons une relation très spéciale avec la Chambre de commerce du Canada. En plus de ce second rapport conjoint sur la frontière, nous allons tenir ensemble, le 18 novembre prochain, ce qui est en train de devenir une conférence annuelle sur les relations Canada-États-Unis à Washington. Aujourd'hui, la Chambre de commerce des États-Unis a eu le plaisir de se joindre à la Chambre de commerce du Canada pour rencontrer bon nombre de vos collègues parlementaires et de hauts fonctionnaires fédéraux au sujet de notre rapport conjoint. Le 18 novembre, nous allons avoir la chance d'accueillir la Chambre de commerce du Canada à l'occasion d'une visite réciproque, au cours de laquelle nous allons essayer de faire valoir ces recommandations auprès des principaux représentants au Congrès et des dirigeants de notre administration.

Vous devez aussi savoir que nous travaillons avec assiduité à réparer le tort que les dispositions protectionnistes incluses dans le programme de relance des États-Unis et la American Recovery and Reinvestment Act ont causé aux chaînes d'approvisionnement à notre frontière commune. Aujourd'hui, à Detroit, le président de la Chambre de commerce des États-Unis, Tom Donohue, s'est exprimé avec conviction sur cette question, pour souligner l'importance de résister au protectionnisme en général. Notre ferme engagement avec le Canada commence avec M. Donohue pour se poursuivre dans toute notre organisation.

Nous avons également publié aujourd'hui une étude qui présente l'incidence aux États-Unis de mesures protectionnistes comme le « Buy American », et ce rapport conclut qu'elles nous ont fait perdre 500 000 emplois aux États-Unis.

Je vous remercie de me permettre de représenter la chambre ici aujourd'hui. Je suis tout disposé à répondre à vos questions.

Margaret Kalacska, chercheuse associée en sécurité frontalière, Conseil international du Canada, et professeure agrégée, Université McGill : Bonsoir tout le monde. Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de quelques conclusions de notre rapport, qui porte sur l'utilisation de la technologie et son intégration pour améliorer la sécurité sans imposer de restrictions supplémentaires au commerce et aux déplacements légitimes. L'un des principaux phénomènes que nous avons remarqué récemment, c'est l'augmentation des mesures de sécurité, tant pour les touristes que dans les programmes d'expédition, comme l'a bien dit Mme George.

En concentrant presque toute notre attention sur les ports d'entrée légitimes, qu'il s'agisse des aéroports, des postes frontière terrestres ou des postes frontière marins, nous négligeons tous les endroits entre eux, et les zones qui séparent les points d'entrée légitimes sont poreuses et facilitent les mouvements des biens illicites et des personnes clandestines que nous aimerions voir directement touchés par ces mesures de sécurité. Si nous nous concentrons seulement sur les ports d'entrée pour freiner les mouvements de biens illicites, nous allons rater la cible des centaines de kilomètres qui les séparent et où de nombreuses personnes et de nombreux biens traversent la frontière tous les jours.

Par exemple, parmi les principales marchandises à passer du Canada vers les États-Unis, il y a le cannabis et toutes les autres formes de drogue, dont la méthamphétamine. Ici, au Canada, il y a une forme de complaisance populaire à l'égard du cannabis, qu'on considère souvent comme une drogue utilisée à des fins personnelles et qui ne fait pas de victimes, mais où pourrait-on considérer qu'une plantation de 10 000 plants ne sert qu'à des fins personnelles? Il est commun de voir de telles plantations dans l'Est du Canada, de même que dans l'Ouest, et l'essentiel de cette production vise l'exportation, surtout aux États-Unis, en échange d'autres marchandises comme des armes ou des drogues dures. Ces drogues ne traversent pas la frontière par les points d'entrée légitimes, mais par les régions rurales. Elles arrivent par camion, par VTT ou par bateau, mais pas dans le bagage d'un passager à l'aéroport.

Nous devons tout faire pour accroître la sécurité sans imposer de nouvelles restrictions aux voyageurs légitimes. Le Canada et les États-Unis déploient beaucoup d'efforts communs, notamment pour la mise en place des équipes intégrées de la police des frontières, mais les deux pays sont limités par les ressources dont ces équipes disposent. Le renforcement de l'infrastructure technologique, des technologies éprouvées sur le terrain, accroîtrait leur efficacité sur le terrain, notamment en augmentant le nombre d'agents en mesure d'intervenir en temps réel. Il est bien que ces équipes sachent qu'une personne a traversé la frontière, mais elles ne sont pas en mesure d'arriver à temps pour l'intercepter. Si elles avaient les outils et l'effectif nécessaire pour se rendre dans les régions les plus isolées de notre frontière, elles seraient bien plus efficaces.

Pour terminer, la technologie à elle seule ne suffit pas. Il faut des gens en mesure de l'utiliser. L'efficacité de la technologie sur le terrain doit être prouvée, et celle-ci doit être intégrée, faire l'objet de communications des deux côtés de la frontière Canada-États-Unis. Les policiers du Canada doivent pouvoir communiquer directement avec les services frontaliers des États-Unis et vice-versa. Cela ne doit pas aller seulement dans un sens. Un plan intégré de ce type augmenterait la sécurité et limiterait le commerce illicite que nous essayons de freiner, sans toutefois imposer de nouvelles restrictions aux voyageurs légitimes.

Je suis ouverte à toutes vos observations ou questions.

Michael Burt, directeur adjoint, Conference Board du Canada : Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui. Pour tous ceux qui ne le savent pas, le Conference Board du Canada est un groupe de réflexion à but non lucratif et impartial dont les bureaux se trouvent ici, à Ottawa. Nous menons des recherches dans divers domaines, dont la politique publique et l'analyse des prévisions économiques. L'un de nos produits est le Centre du commerce et des investissements internationaux. Sous cette bannière, nous menons diverses recherches sur le commerce et les investissements internationaux du Canada, notamment sur notre relation avec les États-Unis.

Depuis l'ALENA, presque toutes les barrières douanières ont été éliminées pour les produits qui traversent la frontière entre le Canada et les États-Unis. On parle d'ère de barrières non douanières. On entend par là des restrictions sur les investissements, des quotas d'importation, des différences réglementaires et de plus en plus, des problèmes concernant le dédouanement à la frontière.

La principale conséquence de ces barrières non douanières est l'augmentation des coûts pour les entreprises. Certains sont directs, comme les coûts de conformité aux nouvelles politiques de sécurité, qui changent constamment. D'autres sont indirects. Il est désormais évident que bien des entreprises changent de port d'entrée. Ainsi, elles choisissent souvent un point d'entrée sous-optimal pour transporter leurs biens. Cela s'explique par les variations entre les temps d'attente d'un poste douanier à l'autre, entre l'infrastructure disponible d'un endroit à l'autre et par tous les ouï-dire sur les différentes façons dont s'appliquent les politiques d'un endroit à l'autre.

Tout porte aussi à croire que les entreprises gardent souvent un inventaire supérieur à celui qu'elles gardaient avant le 11 septembre. On parle de « juste au cas » plutôt que de « juste à temps ». Bien sûr, ces inventaires élevés entraînent des coûts à cause des profits perdus qui auraient été réalisés grâce à des systèmes de gestion de l'inventaire « juste à temps ».

Il est également manifeste que les chaînes d'approvisionnement Canada-États-Unis sont de moins en moins intégrées. Il y a moins de produits importés qui entrent dans les cycles de production canadiens. Cette réalité a un coût, parce que les entreprises paient parfois plus cher que nécessaire pour certains intrants, ce qui réduit la croissance de la productivité au Canada.

Des recherches montrent que ces problèmes ne touchent pas tous les acteurs de l'économie de la même façon. Les industries qui dépendent le plus du commerce, comme l'automobile, l'électronique, la machinerie et l'équipement sont particulièrement sensibles à ces barrières frontalières. Nous constatons que l'impact sur le commerce des services est généralement supérieur à l'impact sur le commerce des biens. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'impact sur le commerce des biens, mais en règle générale, des facteurs comme la force du dollar canadien ou le rôle croissant de la Chine dans le monde ont une incidence de plus en plus marquée sur les passages à la frontière et nos échanges commerciaux avec les États-Unis depuis quelques années. Cette incidence est d'autant plus grande sur les services qui nécessitent des déplacements de personnes plutôt que de biens. De toute évidence, tout un éventail de nouvelles règles s'applique, il ne s'agit plus seulement de faire passer des biens à la frontière. Il y a maintenant une multitude de règles d'immigration qui s'appliquent au passage de personnes à la frontière, aux visas et au reste.

Par exemple, comme Mme George l'a mentionné, les services d'exportation comprennent le tourisme et les arrivées au Canada. Le nombre de touristes en provenance des États-Unis a chuté de plus de la moitié depuis le sommet atteint à l'été 2001, juste avant le 11 septembre. C'est une énorme perte de revenus d'exportation pour le Canada.

Enfin, les effets de tout cela sont souvent disproportionnés, puisque les petites et moyennes entreprises sont en général plus touchées que les grandes. Cela s'explique par le fait que les grandes entreprises ont généralement les ressources qu'il faut pour retenir les services d'avocats et de courtiers spécialisés pour faciliter les déplacements à la frontière. De même, il est souvent plus facile pour les grandes entreprises, sur le plan des coûts, d'être admissibles aux programmes conçus pour accélérer les déplacements de biens à la frontière.

De nos recherches se dégagent plusieurs recommandations stratégiques, notamment de simplifier la multitude de programmes qui existent. Beaucoup se chevauchent et existent des deux côtés de la frontière sous différents noms. Ce peut être dur à suivre pour une personne ordinaire. À tout le moins, nous devrions créer une fonction d'agent d'information au sein du gouvernement pour aider les entreprises à naviguer parmi la myriade de programmes qui existent dans les États, au gouvernement fédéral et dans les provinces, des deux côtés de la frontière. Il devrait n'y avoir qu'une vérification à la frontière plutôt que diverses agences qui travaillent séparément; l'agence conjointe serait responsable de toutes les marchandises qui traversent la frontière d'un côté comme de l'autre.

La deuxième grande recommandation est l'uniformité. La priorité serait d'harmoniser nos règles de dédouanement frontalier pour que tout expéditeur préapprouvé d'un côté de la frontière soit également préapprouvé de l'autre côté. En ce moment, ce n'est pas toujours le cas.

De plus, les règles devraient toutes s'appliquer de la même façon à tous les postes frontaliers. Les entreprises ne devraient pas choisir l'endroit où elles vont traverser la frontière en fonction de la culture qui y prévaut.

Notre troisième recommandation concerne l'infrastructure : veiller à ce qu'il y ait du personnel, du matériel et de l'infrastructure en place pour tirer pleinement avantage des programmes d'expéditeurs préapprouvés. Certains des problèmes liés aux temps d'attente qui ont été mis en relief après le 11 septembre étaient en fait attribuables à des lacunes qui existaient déjà avant le 11 septembre. Nous avons fait beaucoup d'efforts depuis quelques années pour améliorer l'infrastructure aux passages frontaliers, mais il reste du pain sur la planche afin de mettre en place toutes les ressources nécessaires pour faciliter le commerce qui s'y fait.

Pour terminer, il y a la question du prédédouanement. Mme George en a parlé abondamment : en gros, il faut alléger le fardeau aux postes frontaliers. Quelles sont les fonctions de prédédouanement qu'on pourrait assumer ailleurs qu'à la frontière? Nous diminuerions ainsi le nombre de tâches effectuées à la frontière et du même coup, il est à espérer que les temps d'attente s'en trouveraient réduits.

Le président : Je vous remercie sincèrement, tous les quatre. Nous vous remercions de partager vos points de vue avec nous.

J'ai ici une liste de collègues qui vont vous poser des questions. Je les implore, comme je vous ai implorés, d'être brefs et concis.

Le sénateur Stollery : J'ai relu le quatrième rapport que notre comité a publié en 2003, Accès incertain : Les conséquences des mesures prises par les États-Unis touchant la sécurité et le commerce pour la politique commerciale canadienne. J'ai relu les recommandations formulées par ce comité il y a six ans. M. Richard Harris, qui a comparu devant le comité à maintes reprises, a fait partie du Groupe consultatif de recherche sur la politique commerciale de la Commission MacDonald, qui avait recommandé de libéraliser le commerce avec les États-Unis. Il avait fait remarquer au comité il y a six ans que les augmentations des coûts de passage à la frontière devaient être considérées comme « un des problèmes économiques nationaux les plus importants de la présente décennie », étant donné qu'elles pourraient renverser les tendances économiques favorables des 15 dernières années.

Nous savons très bien à ce comité, parce que nous suivons les relations commerciales des États-Unis avec le Canada depuis quelque temps, que le commerce est passé d'à peu près 86 p. 100 il y a trois ou quatre ans, à moins de 70 p. 100, d'après les derniers chiffres que j'ai entendus. Nos échanges commerciaux ont décliné précipitamment, exactement comme M. Harris l'avait prédit il y a six ans. Le tourisme a diminué de 50 p. 100.

Je suis Torontois. J'ai toujours su ce qu'est la frontière des États-Unis. Si j'étais citoyen de ce pays, je serais vraiment fâché de tout ce qui arrive. De mon vivant, Buffalo s'est dépeuplée de 500 000 habitants; Rochester, de 80 000; Syracuse, de 20 000. Nous avons tous constaté le délabrement des États limitrophes de l'Ontario. Pourtant, aucun sentiment d'urgence ne semble se manifester.

Je possède une carte NEXUS. J'ai traversé la frontière à Cornwall en moto, pour aller me procurer quelque chose dans une quincaillerie Home Depot à Ogdensburg. Je me suis demandé ce que les contribuables de la région pensaient de leur député au Congrès. Il n'y avait pas de travaux. Dans un comté de 100 000 habitants — je le sais, car j'ai vérifié de retour chez moi —, se trouvait un gigantesque Home Depot.

J'ai trouvé votre témoignage très intéressant. Je suis convaincu que beaucoup d'autres groupes feront des recommandations semblables. Mais le fait est que presque rien n'a été fait. Il y a les cartes NEXUS. Nous voyons tous ces camions qui circulent, le système de prédédouanement, et cetera, mais ça fait effectivement partie d'un effet plus important, qui est dévastateur pour les États du sud de la frontière. Et ça ne s'arrête pas là. Le Canada aussi en souffre. Les échanges ont ralenti. Considérablement.

Le président : Pouvez-vous poser votre question?

Le sénateur Stollery : Quand réagirons-nous? Rien ne semble se passer.

M. Kilbride : J'aimerais répondre à la question.

Merci sénateur. Je vois ce que vous voulez dire, vous vous êtes très bien expliqué. Une grande partie de ma famille vit à Syracuse, dans l'État de New York. Je peux témoigner de la véracité de ce que vous avez dit. D'après moi, c'est toujours une belle ville, mais elle a beaucoup souffert. Toutes les localités des deux côtés de la frontière se porteront mieux lorsque nous maintiendrons ouverte la frontière aux échanges et aux voyageurs. C'est dans ce but que nous sommes ici aujourd'hui. La Chambre de commerce des États-Unis d'Amérique partage vos inquiétudes. Nous partageons même votre sentiment d'urgence. Dernièrement, nous avons annoncé une campagne publique de 100 millions de dollars sur la libre entreprise. Le commerce international en est un élément important. Bien sûr, le gros de nos échanges se fait avec notre voisin et ami, le Canada.

Nous prenons la question au sérieux. Tous les jours, nous soulevons non seulement les questions concernant la frontière, mais nous dénonçons aussi d'autres manifestations du protectionnisme telles que le programme Buy America (achetons « américain »). La semaine dernière, conjointement avec la Chambre de commerce du Canada, nous avons écrit au président Obama et au premier ministre Harper, pour exposer nos inquiétudes. Nous manifesterons de façon très publique notre opposition aux mesures protectionnistes.

De fait, aujourd'hui même, notre président M. Donohue était à Détroit pour s'exprimer contre le protectionnisme et il a publié l'étude dont j'ai parlé, selon laquelle les États-Unis ont perdu 500 000 emplois à cause de quatre mesures précises.

Le président : Merci. Quelqu'un d'autre pourrait-il répondre à la question et réconforter un peu plus le sénateur Stollery?

Mme George : Tous les jours, je ressens la frustration que vous avez exprimée dans vos observations sur les moyens à prendre pour mieux réagir à la situation. En toute justice pour les fonctionnaires américains et canadiens qui travaillent à la question, on ne peut pas dire que rien n'a été fait. La difficulté provient du fait que, pendant que nous essayions d'améliorer l'efficacité, beaucoup plus d'efforts et de réflexion ont été consacrés aux questions de sécurité. Il est donc de plus en plus difficile de faire fonctionner normalement la frontière à cause de toutes les mesures de sécurité qui y ont été mises en place. Chacune d'elles, prise isolément, est très sensée, mais leur ensemble a visiblement congestionné la frontière. Nous devons faire preuve de finesse et trouver des façons de la protéger tout en la rendant efficace. Pour ça, il faut accorder autant d'importance à la sécurité et à l'efficacité.

Le président : Merci. Je suis convaincu que tous nos collègues peuvent probablement exprimer les mêmes sentiments de frustration que le sénateur Stollery. Si d'autres idées vous viennent, parlez-en. Nous sommes en quête de sagesse. Je suis sûr qu'elle se manifestera au courant de la soirée. Rappelez-vous que des rapports sont destinés au gouvernement canadien. Si vous avez des idées qui vous semblent valables, faites-nous-en part, nous pourrons les inclure dans notre rapport.

Le sénateur Dawson : Je me réjouis de cette discussion. Pour tous ceux d'entre nous qui ont eu l'occasion de voyager, il est ahurissant que l'on méconnaisse à ce point, au Canada et aux États-Unis, l'importance des échanges commerciaux entre les deux pays. Par exemple, dans les conférences internationales, les législateurs américains parlent toujours des échanges de leur pays avec l'Europe et de la croissance des échanges avec la Chine, sans jamais mentionner l'importance des échanges avec le Canada. Je ne pense pas qu'ils remarqueront leur diminution de 84 à 76 p. 100 ni que, pour la plupart, ils reconnaissent que, visiblement, l'effet d'une baisse de 50 p. 100 du tourisme est plus durement ressenti dans les villes et les États frontaliers, mais qu'il n'épargne pas non plus l'ensemble de l'économie américaine.

Il est important d'en parler. Il est également très important, parfois, d'éviter, monsieur le professeur, ce que je pense être de l'exagération. Laissons la question de la circulation de marijuana entre le Canada et les États-Unis au spécialiste, le sénateur Nolin. Les chiffres sur le commerce de cette substance entre les deux pays, qui, selon vous, excéderaient les chiffres relatifs à tout autre produit échangé entre les deux pays, je ne sais pas d'où vous les tirez, mais ils sont alarmants. S'ils sont véridiques, quelqu'un ne fait pas son travail. Ce n'est pas un problème d'échanges; c'est une question de faire appliquer la loi, et elle déborde le simple cadre frontalier.

Deux de vos secrétaires d'État persistent à croire que les pilotes des avions qui ont servi dans l'attentat du 11 septembre 2001, à New York, étaient passés par le Canada. On se répète cette fable au Congrès et au Sénat. Autant j'aimerais que l'on discute de la question, parce que je veux persuader les gens de son importance, autant je me sens mal à l'aise lorsque ces problèmes — et la sécurité en fait partie — ne semblent pas étayés par les faits comme ils devraient l'être.

Il y a des problèmes, et je veux vous interroger sur l'un d'eux. Environ 95 p. 100 des conteneurs qui transitent par Prince Rupert ne s'arrêtent même pas au Canada. Mondialement, le transport par conteneurs est en croissance, mais nous ne possédons pas encore la technologie, le gadget électronique placé dans le conteneur, qui permet d'en faire le suivi. Or, ce gadget existe. Par exemple, un exportateur asiatique envoie un conteneur à Houston via Prince Rupert, les provinces de l'Ouest, puis les États-Unis. Nous n'avons pas la technologie qui permet le suivi de ce conteneur. Ça devrait être une priorité pour nous.

Nous savons tous que la politique dont nous parlons vient des Américains, qui ont cependant omis d'améliorer dans le même temps leur système de délivrance de passeports. D'où la baisse de 50 p. 100 du tourisme. Une cause possible est que les Américains, qui ne sont pas reconnus pour être des détenteurs de passeports, se disent : « Plutôt que de traverser la frontière pour aller en Saskatchewan, restons dans le nord des États-Unis, c'est beaucoup moins de tracas ».

Comme l'a dit son président, le comité aura des recommandations à faire. Vous avez parlé de stratégies de communication. En parler et en accélérer l'application sera assurément mieux que de laisser les fables se perpétuer, ce qui n'est pas nécessairement une bonne chose.

Le président : Avez-vous une question?

Le sénateur Dawson : Réagissons à la situation. Comme le sénateur l'a dit, elle est grave. L'ignorance nous fait rater beaucoup d'occasions. Au cours de vos deux dernières journées de déplacements, vous avez entendu, lundi, le magnifique discours du chef de l'opposition. Vous aurez compris que les affaires étrangères, les communications avec l'étranger et nos relations avec nos homologues des États-Unis et du reste du monde deviendront pour nous une priorité.

Je favorise cette activité. Comme l'a dit le président, si vous avez des recommandations claires, nous aimerions les appuyer.

Le président : Demandons à Mme Kalacska de faire des observations sur les statistiques qu'elle a citées, puis, si quelqu'un souhaite intervenir, qu'il veuille bien le faire.

Mme Kalacska : Je vous remercie de vos observations. Clarifions d'abord une chose : on ne sait rien du nombre total d'opérations ni du nombre de personnes impliquées. C'est-à-dire que l'on ne connaît pas la taille du problème. Nous savons effectivement combien de plantations seront, chaque année, l'objet d'une opération d'arrachage par la police. Le budget annuel de ces arrachages et le nombre d'agents qui les exécutent sont limités. Dans le même temps, la police fait de son mieux pour visiter le plus de plantations possible et y arracher le plus de plantes possible. À partir de là, il y a aussi les données sur les arrestations — c'est-à-dire combien de personnes ont été arrêtées une fois, deux fois, trois fois ou plus pour la même infraction. Grâce à ces données et à l'aide d'une technique fondée sur des modèles dits de « capture-recapture », on peut estimer la taille totale de la population, c'est-à-dire le nombre de personnes qui peuvent s'adonner à l'activité, mais n'ont pas encore été arrêtées. Nous savons que l'on ne les arrête pas toutes. Il en va de même pour l'estimation du nombre de plantations, par exemple. Nous savons que, en une semaine, la police a pu visiter, 150 ou 20 emplacements, par exemple.

Le sénateur Nolin : Parlez-vous de la Colombie-Britannique ou des États-Unis?

Mme Kalacska : Au Canada, que ce soit sur la côte Ouest ou en Ontario, par exemple, ces arrachages ne peuvent avoir lieu qu'à l'intérieur d'une période limitée.

Sachant le nombre de plantations visitées, le nombre de plantes qui se trouvent dans chacune et disposant d'un relevé de plus grande envergure de la région, grâce à des images obtenues par satellite ou avion, nous pouvons compter combien d'emplacements nous n'avons pas visités. Une étude effectuée entre 2005 et 2007, sur l'île Texada, en Colombie-Britannique, a montré que, pour chaque plantation que l'on a eu le temps de visiter, on en a manqué au moins trois. Cela ne signifie pas que l'on ignorait l'existence des autres; c'est qu'on ne disposait pas de suffisamment de ressources pour les visiter. À partir du nombre de plantes dans les plantations effectivement visitées, nous pouvons, par extrapolation, estimer le nombre de plantes dans les endroits non visités.

Par cette méthode, nous avons une idée de la taille de la population qui s'adonne à cette activité et de la taille du problème réel ainsi que du coût total qu'il représente.

Le sénateur Dawson : Dans votre mémoire, vous estimez :

Au Québec, par exemple, à plus de 15 000 le nombre de personnes d'au moins 15 ans qui sont impliquées uniquement dans la culture de cette plante.

Cette belle statistique est alarmante.

Le sénateur Nolin : À quelle page?

Le sénateur Dawson : À la page 12. On en conclut qu'il faut accroître la sécurité. Nous essayons de trouver des moyens pour intensifier les échanges, et d'autres personnes essaient, je pense, de rendre la frontière plus étanche. Comprenez-moi bien, je ne veux pas en faire une passoire pour ceux qui ne la respectent pas, mais je ne veux pas non plus que l'illusion de certains problèmes encourage les personnes qui veulent déjà ériger une clôture entre le Canada et les États-Unis. Comme le gouverneur l'a dit, si on peut construire une clôture de 12 pieds de hauteur, rien n'empêche de construire une échelle de 13 pieds. Cela ne suffit pas à résoudre le problème. Nous avons des responsabilités dans notre propre pays. Toutefois, étanchéifier la frontière ne s'est pas révélé une réussite économique, si nous déplorons des ralentissements de nos deux économies, dont le taux d'activité est passé de 84 à 76 p. 100. Nous ne faisons qu'aggraver l'ignorance mutuelle entre les deux pays.

Tâchons de ne pas perdre contact avec la réalité par souci de sécurité.

Le président : Vous avez été très clair, sénateur.

Quelqu'un d'autre veut réagir aux propos du sénateur Dawson?

Mme George : Je commenterai brièvement deux points que vous avez soulevés. D'abord, le commerce illégal est un problème de taille pour le Canada ainsi que pour les États-Unis. Nous devons fournir à nos autorités policières les ressources nécessaires pour contrer ce fléau, particulièrement aux points frontaliers, car c'est à ces endroits que se concentre la majorité des activités du commerce illégal. Je le répète, il ne faut pas uniquement essayer de savoir ce qui se cache dans les bagages des passagers, il faut aussi tâcher d'intercepter les cigarettes illégales ou les drogues et les armes qui traversent notre frontière.

Proprement dit, nous sommes d'accord pour allouer les ressources nécessaires afin de remédier à ce problème, et c'est possible de le faire sans bloquer les points frontaliers. Il est important de veiller à ces deux aspects de la sécurité. C'est quand on se concentre sur l'un ou sur l'autre que les difficultés se pointent.

Pour ce qui est de notre ignorance et de savoir à quel point nos amis américains nous connaissent, nous pourrions en discuter longtemps, mais il faut regarder la vérité en face : c'est à nous de renverser la vapeur. Nous n'avons tout simplement pas déployé suffisamment d'énergie pour faire comprendre à Washington et à d'autres régions des États- Unis l'importance des échanges commerciaux avec le Canada, ni pour les convaincre que nos deux pays dépendent énormément l'un de l'autre. Chaque fois que nous nous adressons à eux, c'est pour leur donner des coups de règle sur les doigts. Nous devrions plutôt adopter une approche positive et leur faire comprendre pourquoi c'est aussi important pour eux. Toutes les initiatives qui pourraient aider à faire passer le message que nous devons faire notre travail seraient les bienvenues.

M. Burt : Je sais qu'il est question de la frontière ce soir, mais de nombreux autres facteurs ont joué sur nos relations commerciales avec les États-Unis au cours des 10 dernières années, notamment les grandes variations de la valeur du dollar canadien et les coûts de transport.

Vous avez parlé des changements démographiques aux États-Unis. La population a beaucoup diminué dans plusieurs des États de la « rust belt ». Parallèlement, le Sud et l'Ouest du pays ont enregistré une forte augmentation démographique. Les pouvoirs politiques aux États-Unis s'éloignent des États frontaliers. L'ascension de la Chine jusqu'à l'OMC en 2001 y est aussi pour beaucoup. Il suffit de choisir une industrie au hasard au Canada pour constater que nous avons perdu des parts de marché au profit de la Chine pour la quasi-totalité des produits que nous avons fabriqués au cours des huit dernières années.

Beaucoup de facteurs sont en cause. Bien entendu, les problèmes que l'on éprouve aux frontières n'aident certainement pas, mais il est important de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier.

Le sénateur Nolin : Mon commentaire porte sur l'harmonisation des peines d'emprisonnement pour la contrebande des stupéfiants. Je n'ai pas eu le temps de lire toutes vos références, mais je le ferai probablement plus tard, car c'est un sujet qui m'intéresse.

Le Sénat du Canada a fait un examen approfondi de la question il y a sept ans. Nous avons comparé les statistiques d'année en année, et de décennie en décennie. Nous en sommes entre autres arrivés à la conclusion que peu importe les mesures légales en place pour contrer ou réduire l'utilisation ou le trafic de stupéfiants (parce que le trafic est engendré par la consommation), rien n'y fait. Il ne faut pas chercher de solution juridique. Il faut tâcher de changer les mentalités, les comportements culturels, la mode, et ainsi de suite.

Si l'on compare les données du Canada par rapport à celles des États-Unis seulement (car nous avons étudié les données de l'Australie, de l'Europe et d'autres pays), on constate que la sévérité de la loi n'a pas modifié les habitudes de consommation d'une décennie à l'autre, des années 1960 aux années 1990.

Et vous nous recommandez aujourd'hui d'harmoniser les peines d'emprisonnement. Tâchez de me convaincre que ce sera efficace au Canada. Les tentatives des États-Unis en ce sens sont demeurées vaines. Malgré toutes les mesures musclées qui y ont été appliquées, les États-Unis affichent le même taux de consommation que le Canada. Je pense évidemment à la politique du « retrait après trois prises ». Cela ne fonctionne pas. Les mesures légales n'influent pas sur la consommation de stupéfiants, surtout du cannabis, chez les jeunes. Que l'on parle de n'importe quelle des drogues utilisées aux États-Unis depuis les huit dernières années (elles finissent toutes par avoir le même effet), le taux de consommation n'a pas bougé.

De quelle façon l'harmonisation des peines d'emprisonnement permettra-t-elle de réduire le taux de consommation au Canada? Je suis curieux de connaître la réponse.

Mme Kalacska : Merci, j'apprécie beaucoup vos commentaires. Vous avez entièrement raison, la consommation de drogues dépend des croyances culturelles, de ce qui est à la mode, et cetera.

Le sénateur Nolin : C'est une pratique qui semble acceptée culturellement, parce que 70 p. 100 des jeunes âgés entre 12 et 17 ans, tous d'âge mineur, en ont consommé au moins une fois dans la dernière année.

Mme Kalacska : Et beaucoup d'entre eux continueront à en consommer à l'âge adulte.

Le sénateur Nolin : C'est bien ancré dans la culture des jeunes. C'est la raison pour laquelle je vous dis que si notre cheval de guerre consiste à modifier la loi, nous devrons envisager une autre solution, car celle-là ne fonctionne pas.

Mme Kalacska : Par contre, dans les commentaires recueillis auprès des agents de police et dans les transcriptions d'entrevues avec des personnes qui ne sont pas nécessairement des consommateurs occasionnels, mais plutôt des gens qui en font le commerce, que ce soit au niveau de la production, de la vente ou de tout autre aspect du commerce à grande échelle, un commentaire revient souvent : ces gens n'ont pas peur de se faire prendre, parce qu'il ne va rien leur arriver de toute façon. Il se peut qu'ils doivent purger une courte peine d'emprisonnement. Mais ce petit séjour peut même leur permettre d'apprendre des trucs des autres détenus. Ils savent qu'ils pourront reprendre leurs activités dans très peu de temps. Les lois ne leur font pas du tout peur.

Certains criminels détenus aux États-Unis ont reçu des peines beaucoup plus sévères que ce à quoi ils s'attendaient. Eux qui croyaient rester derrière les barreaux entre 5 et 10 ans, ils se sont vu imposer des peines d'emprisonnement de 25 ans pour avoir fait le trafic de grandes quantités de marijuana, de cocaïne ou d'héroïne. Ils n'avaient pas du tout prévu le coup. Ce que ces gens nous disent notamment, c'est qu'ils y auraient probablement pensé deux fois plutôt qu'une avant de faire ce qu'ils ont fait s'ils avaient su qu'ils allaient devoir purger une peine aussi longue. Cela ne signifie évidemment pas qu'ils ne seraient pas passés à l'acte, mais cela aurait eu un certain effet dissuasif. Par contre, on ne dissuade personne en imposant des amendes ou des peines d'emprisonnement de quelques jours ou de quelques semaines.

Le sénateur Nolin : Je suis persuadé que vous avez appris à la lecture du rapport de M. Matas que beaucoup de gros trafiquants de drogue, ou ceux qui orchestrent la contrebande, font appel à des étrangers clandestins au Canada pour faire la culture des stupéfiants.

Mme Kalacska : Oui.

Le sénateur Nolin : Vous savez quoi? Ils font la même chose aux États-Unis. Pourquoi? Parce qu'ils ne veulent pas se faire prendre. Il y a beaucoup d'argent à faire, et vous nous l'avez habilement démontré. Si ce ne sont pas eux qui le font, d'autres prendront leur place, car le marché est là.

Mme Kalacska : Oui.

Le sénateur Nolin : Le marché évolue indépendamment des lois — et ce sont des lois musclées — que l'on adopte; le marché fluctue au gré de facteurs qui n'ont rien à voir avec la loi. C'est un commerce que de fournir le produit.

Mme Kalacska : Vous venez de toucher un point important : il s'agit d'un commerce. Il y a certainement une demande pour ces produits, et il y en aura toujours une.

Les trafiquants utilisent en effet des immigrants illégaux pour éviter de se faire prendre, mais ils le font aussi parce qu'il en coûte peut-être moins cher d'embaucher des immigrants illégaux, plutôt que des citoyens canadiens qui connaissent leurs droits. On peut leur dire que c'est ce qu'ils doivent faire pour que leurs familles puissent immigrer en toute sécurité au Canada. Il n'y a pas que la peur de se faire prendre qui les pousse à agir ainsi.

Le sénateur Nolin : J'ai une question à vous poser concernant le mouvement transfrontalier des stupéfiants. Comme mon collègue, le sénateur Dawson, l'a indiqué, il peut s'avérer difficile de démêler le vrai du faux à ce sujet. Je doute que nous serons en mesure de régler la question aujourd'hui, mais essayons néanmoins. Avez-vous étudié le taux de consommation de cannabis aux États-Unis avant de produire ce rapport?

Mme Kalacska : Des collègues à moi l'ont fait.

Le sénateur Nolin : Vous vous êtes informés sur la production de cannabis et sa provenance aux États-Unis?

Mme Kalacska : Mes collègues ont étudié précisément la production de cannabis dans différents États américains. Selon leurs recherches, la Californie est un des États affichant le plus haut taux de production.

Le sénateur Nolin : Je suis persuadé que vos collègues vous ont indiqué que seulement 5 p. 100 de la marijuana consommée par les Américains provient du Canada?

Mme Kalacska : Certaines statistiques pourraient certainement faire l'objet d'un débat.

Le sénateur Nolin : Il n'y a pas lieu d'en débattre. Ce sont des données bien réelles. On parle de 5 p. 100. Tout dépend de la rigidité de l'agent frontalier. Tout le monde s'entend pour dire que les règles ont été resserrées depuis le 11 septembre 2001. C'est d'ailleurs pourquoi le pourcentage de saisies a augmenté.

Le commerce de la marijuana entre les États-Unis et le Canada s'est toujours situé entre 4 et 10 p. 100.

À combien se chiffre la production nationale de cannabis aux États-Unis? Avez-vous une idée?

Mme Kalacska : La production totale?

Le sénateur Nolin : Quel est le volume de production de marijuana qui sera consommée aux États-Unis? Si 5 p. 100 provient du Canada, quel pourcentage provient des États-Unis?

Mme Kalacska : C'est difficile à dire, parce que la production est aussi destinée à l'exportation dans d'autres pays. Toute cette production ne reste pas aux États-Unis.

Le sénateur Nolin : Laissez-moi vous dire que plus de 50 p. 100 de la marijuana consommée aux États-Unis provient des États-Unis, et le reste provient du Mexique; voilà en gros le portrait de la production aux États-Unis.

Le président : Sénateur Nolin, je vous prierais de donner la chance au témoin de répondre.

Le sénateur Nolin : Je suis tout à fait en faveur d'une frontière efficace et axée sur les affaires. Toutefois, nous ne devons pas nous inventer des problèmes, et je ne dis pas que c'est ce que nous faisons, mais si on en croit les corps policiers, c'est un problème énorme, encore plus grave que le terrorisme, ce qui n'est pas le cas. Le problème le plus évident, c'est le terrorisme. Ils ne veulent pas que quelqu'un traverse la frontière avec une bombe.

Le président : Sénateur Nolin, je vais concéder le mot de la fin à Mme Kalacska.

Mme Kalacska : Puisqu'il s'agit d'un commerce illégal, personne ne sait exactement à combien se chiffre la production, d'autant plus que les différentes activités de ce commerce sont toutes interreliées. Il est impossible de dissocier la production de cannabis des autres activités. Vous avez raison, le terrorisme est un sujet très préoccupant.

Le président : Sénateur Nolin, je suis désolé, mais votre temps est écoulé.

Le sénateur Nolin : Je ne crois pas que je puisse accepter une réponse qui laisse entendre que cette information n'est pas connue.

Le président : Vous avez dit que ce vous aviez à dire.

Le sénateur Nolin : Chaque année, la GRC rend compte de la quantité de cannabis produit au Canada. Elle connaît la quantité de cannabis produit au Canada. Je peux vous dire qu'on en a produit 800 tonnes en 1999.

Mme Kalacska : Sauf votre respect, je ne crois pas que quiconque connaissance la quantité de cannabis produit au pays. C'est un marché illégal.

Le président : Sénateur Nolin, je vous remercie de votre intervention.

Nous allons laisser la parole au sénateur Andreychuk et essayer d'éviter ce type de débat avec les témoins, si vous le voulez bien.

Le sénateur Andreychuk : J'allais dire que ce serait difficile à suivre.

Nous parlons de la frontière, et je suis d'accord pour dire que bien des questions liées au commerce et à la sécurité ne concernent pas seulement le Canada et les États-Unis; ce sont des enjeux internationaux qui ont une incidence sur nous. Il y a des gens qui se préoccupent de la sécurité, et ils se demandent parfois s'il s'agit de terrorisme. Plutôt que de débattre de la marijuana, nous devrions plutôt parler de la métamphétamine, des armes qui franchissent la frontière et qui préoccupent les groupes de femmes, et cetera. Nous avons des raisons légitimes de nous préoccuper de la sécurité, mais aussi d'augmenter ou de conserver nos activités commerciales.

Je vais me faire l'avocat du diable et m'adresser à Mme George. Vous dites que nous devrions viser la sécurité et l'efficacité de la frontière. Je doute qu'il y ait un seul politicien d'un côté ou de l'autre de la frontière qui ne soit pas de cet avis. Le fait est que nous avons du mal à atteindre ce résultat. Quelle est la bonne formule? Quels sont les obstacles à la sécurité et à l'efficacité de la frontière? Est-ce le manque de fonds, de coordination, de technologie? Chaque fois que l'on nous soumet des rapports, on nous présente ce que j'appelle des « grands principes » avec lesquels tout le monde est d'accord. Toutefois, nous ne réussissons pas à les appliquer.

J'entends dire que si nous avions de meilleurs ordinateurs qui communiquent entre eux — je ne sais pas combien nous avons de ministères et de règlements — nous ferions beaucoup plus de progrès. Le commerce serait plus facile et nos frontières, plus sécuritaires. Comme le sénateur Dawson l'a fait remarquer, si l'on installait des puces, ce serait excellent.

Nous en sommes au même point. Je peux comprendre un politicien des deux côtés. Lorsqu'il est confronté à une question de sécurité, il s'inquiète de la sécurité. Lorsqu'il parle d'intensifier le commerce, nous l'entendons. Je crois qu'il est bon de combiner les deux, la sécurité et l'efficacité de la frontière.

Quelle est la chose, une seule, que vous recommanderiez aujourd'hui pour nous rapprocher de l'objectif d'une frontière sécuritaire et efficace?

Mme George : Je ne pourrais pas vous en donner juste une, mais si vous me le permettez, je vais vous en donner trois que vous devriez examiner. Je vais me concentrer sur ce qui peut être fait au Canada, mais je reconnais qu'il y a aussi beaucoup de travail à faire aux États-Unis.

Nous devrions appliquer des programmes de prédédouanement et déplacer ailleurs certaines ressources frontalières. Nous devrions rendre les programmes pour expéditeurs préapprouvés encore plus efficaces en faisant en sorte qu'il y ait un avantage commercial à y participer.

Comparez le nombre de fois où un voyageur préapprouvé est soumis à une inspection au nombre de fois où un autre voyageur subit une inspection. Est-ce plus rapide avec un programme de préapprobation ou sans? Évaluez ce programme, préparez un rapport et faites tout pour l'améliorer. Il y aura alors plus de gens qui y adhéreront et plus il y en aura, plus vite les marchandises et les personnes pourront franchir la frontière.

Il est tout aussi important de demander aux autres ministères qui font des inspections à la frontière d'agir et d'embaucher des inspecteurs disponibles en tout temps aux principaux postes frontaliers afin que les camions puissent passer en dehors des heures de pointe, ce qui rendrait la frontière moins achalandée.

Mettez en œuvre l'interface à guichet unique afin qu'il y ait — comme vous l'avez mentionné — un seul système de transmission électronique des rapports au gouvernement, et que l'on puisse partager l'information et améliorer la gestion du risque. Lorsque ce sera fait de façon uniforme, nous serons en mesure de réduire considérablement les coûts du système. Ce sont des gestes très concrets qui amélioreraient la situation.

M. Kilbride : Il est important de se rappeler, au sujet des questions frontalières, qu'il y a des solutions techniques à nos problèmes techniques et que la seule façon de les résoudre, c'est de les aborder un à la fois, de les exposer tels qu'ils sont et de faire des recommandations concrètes à court terme. C'est exactement ce que nous avons tenté de faire dans ce rapport conjoint. De cette façon, nous les présentons vraiment tels qu'ils sont : des obstacles inutiles au commerce.

En ce qui concerne le point soulevé par le sénateur Dawson, dans une certaine mesure, la mentalité des agences américaines responsables de la sécurité frontalière est centrée sur la sécurité. Nous devons leur faciliter la tâche. Encore une fois, nous pouvons le faire en leur proposant des solutions simples, pragmatiques et à court terme qui visent l'ouverture ou l'efficacité de la frontière.

Le sénateur Merchant : Dès que ces questions de sécurité se sont posées, principalement après les événements du 11 septembre, il y a eu une conscience accrue du phénomène du profilage racial. Je me demande si, par la suite, vous avez suivi de près l'évolution de la situation ou si vous avez mené des études. Pourriez-vous nous parler de ce qui a été fait pour améliorer la circulation des personnes?

De plus, il s'est produit quelques incidents malheureux où la couleur de la peau d'une personne ou son incapacité à communiquer surtout en anglais a entraîné des résultats tragiques.

Je me demande si l'un de vous a suivi cette situation, si vous pouvez nous parler d'initiatives positives et nous dire quelles mesures sont prises pour améliorer la situation.

Le président : Monsieur Burt, voulez-vous faire une observation?

M. Burt : Nous n'avons pas examiné cela en détail. Nous nous sommes entretenus avec divers organismes au sujet des professionnels, par exemple, qui franchissent la frontière. L'un des problèmes qui surgit souvent, c'est que les gens ne comprennent pas ce qu'ils doivent faire lorsqu'ils franchissent la frontière et la façon dont les règles changent selon le but du voyage. Ils ont parfois déjà passé la frontière en tant que touristes et maintenant, ils le font pour d'autres raisons sans se rendre compte qu'ils doivent présenter des documents différents. La source de beaucoup de ces problèmes est la méconnaissance des exigences frontalières dans la population.

Il y a bien des années, quand j'étais agent des douanes, j'avais parfois de la difficulté à faire comprendre aux gens qu'ils franchissaient une frontière internationale et qu'il fallait qu'ils aient certaines pièces d'identité.

En ce qui concerne votre question, je ne peux pas vous dire si l'on fait des progrès à cet égard, mais c'est la source de beaucoup de malentendus; les gens ne savent pas nécessairement ce qu'ils doivent faire lorsqu'ils franchissent une frontière internationale.

Le sénateur Merchant : On m'a parlé d'un incident, mais je n'ai pas encore vérifié sa véracité. À Regina, où j'habite, quelqu'un me disait la semaine dernière que le bébé d'un ami devait maintenant posséder un passeport pour franchir la frontière des États-Unis. Auparavant, jusqu'à un certain âge, le nom des enfants pouvait être inscrit sur le passeport des parents. Je ne sais pas si c'est encore le cas.

M. Burt : Chaque personne a maintenant un passeport distinct. Les parents ne peuvent plus faire inscrire le nom de leurs enfants sur leur passeport. Quant aux exigences de l'IVHO en matière de passeports, si je comprends bien, les personnes âgées de moins de 16 ans n'ont pas besoin d'un passeport pour franchir la frontière terrestre.

Le sénateur Merchant : À mon avis, les enfants changent tellement vite qu'avec un passeport régulier valide pour cinq ans, un enfant de deux ans ne se ressemblera plus du tout cinq ans plus tard. Si les enfants n'ont pas besoin de passeport, comment peuvent-ils franchir la frontière?

Mme George : C'est uniquement aux frontières terrestres que les enfants n'ont pas besoin de passeport. S'ils voyagent par avion, ils doivent en avoir un.

Le sénateur Merchant : Même les plus jeunes?

Mme George : Oui, même les plus jeunes.

Le sénateur Merchant : Je me demande quel est le bien-fondé d'un passeport pour eux.

M. Burt : La durée de validité des passeports des enfants est également inférieure. Je pense que les passeports des enfants ne sont valides que pour trois ans parce que leur photo doit être mise à jour plus souvent, bien entendu.

Le président : Monsieur Kilbride, vous n'avez pas encore participé à cette discussion. Aimeriez-vous dire quelques mots, puisque cela concerne les pratiques de votre pays?

M. Kilbride : Je crois simplement que nous avons reconnu l'existence de ce problème de profilage après le 11 septembre. Nous avons réagi, pour être plus équitables, par l'application de mesures de sécurité plus strictes en général. La solution, à notre avis, est de renverser la situation; au lieu de faire une vérification plus rigoureuse ou d'appliquer des mesures plus strictes pour certaines personnes choisies, nous aimerions mettre davantage l'accent sur les voyageurs et les expéditeurs préapprouvés afin d'en augmenter le nombre et de leur permettre de se déplacer plus librement entre les deux pays.

Le président : Je tiens à vous remercier tous. Je voulais participer à certaines discussions, mais je crois que nous avons abordé beaucoup de points. Vous avez jeté un peu de lumière sur certains et nous avez donné des idées pour d'autres.

Nous semblons concentrer nos efforts sur le transport transfrontalier des marchandises. Or, le commerce consiste aussi à permettre à la population de franchir les frontières; NEXUS y contribue assurément, mais il reste beaucoup à faire à ce chapitre.

Sénateur Dickson, je vous laisse le mot de la fin, brièvement.

Le sénateur Dickson : Je suis impressionné par les observations que les intervenants précédents ont faites, en particulier les sénateurs Stollery et Dawson, sur la nécessité de prendre conscience de la valeur économique de nos relations commerciales. Je tiens à vous féliciter pour la préparation du rapport À la recherche d'un équilibre, parce que vous avez travaillé en collaboration avec près de 50 organismes. On devrait accorder beaucoup de poids à ce rapport. Il ne s'agit pas d'un seul organisme, mais bien d'une cinquantaine.

On dit souvent que lorsqu'on veut attirer l'attention sur une question, on présente un projet de loi. Je remarque qu'à la page 7 de votre rapport, vous donnez une définition sommaire de la PORTS Act — Putting Our Resources Towards Security —, dont le Congrès américain est saisi. Vous indiquez que le gouvernement canadien devrait adopter une loi semblable.

Ma question comporte deux volets : premièrement, où en est l'étude de ce projet de loi présenté au Congrès américain? Deuxièmement, très brièvement, quels sont les avantages de ce projet de loi, la PORTS Act?

M. Kilbride : Nous avons mentionné ce projet de loi, mais un certain nombre d'instruments législatifs sont actuellement examinés à la Chambre des représentants et au Sénat. Il y a le projet de loi PORTS, ainsi que le projet de loi de réautorisation des douanes et celui du transport.

Honnêtement, je ne pourrais pas vous donner une réponse détaillée à propos du volet législatif ou de la probabilité que ces projets de loi soient adoptés cette année. Comme vous le savez, le débat sur les soins de santé et avant lui, celui sur les changements climatiques et le régime de plafonnement et d'échange ont la priorité au Congrès.

De notre côté, nous nous intéressons à tous les moyens de faire des recommandations individuelles. Pour revenir à mes observations à l'intention du sénateur, nous abordons cela point par point et envisageons toutes les possibilités, que ce soit au moyen d'un instrument législatif ou d'une mesure réglementaire, d'atteindre certains de ces objectifs.

De plus, je dirais que nous mettons particulièrement l'accent sur le processus consultatif et coopératif entre les États- Unis et le Canada. L'objet de bon nombre de nos réunions cet après-midi avec les agences fédérales canadiennes responsables de la frontière était la nécessité de soutenir les groupes de travail et les mécanismes de consultation qui contribuent à mettre en place des mesures frontalières harmonisées et à trouver des façons d'être partenaires pour la sécurité sans imposer nos mesures de sécurité au Canada.

Même si je n'ai pas de réponse précise à votre question concernant la PORTS Act, je peux vous dire que nous travaillons de façon extrêmement active avec les membres du Congrès et les représentants du gouvernement des États- Unis afin de trouver des moyens de donner suite à ces recommandations.

Le président : Monsieur Kilbride, pourriez-vous vous engager à faire parvenir à notre greffier une mise à jour sur ce projet de loi pour tous nos membres?

M. Kilbride : Avec le plus grand plaisir.

Le président : Encore une fois, je tiens à remercier chacun de vous d'être venu témoigner. Nous serons heureux de vous revoir lorsque nous poursuivrons nos discussions sur cette question importante.

Entretemps, s'il y a quoi que ce soit de nouveau ou de différent dont vous voudriez nous faire part, nous vous encourageons à faire parvenir la documentation pertinente à notre greffier, qui la distribuera à nos membres et veillera à ce que nous puissions l'utiliser comme outil de référence pour nos rapports.

Je demande aux membres du comité de rester pour une brève réunion à huis clos.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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