Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 15 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 6 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour étudier l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité poursuit son étude spéciale sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le comité accueille aujourd'hui des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international : M. Robert Hage, directeur général, Europe; M. Leigh Sarty, directeur, Relations avec l'Europe et l'Asie centrale; et M. James Hill, directeur, Relations commerciales avec l'Europe et l'Asie centrale.
Plus tard dans la soirée, nous accueillerons également M. Andranik Migranyan, directeur de l'Institut de la démocratie et de la coopération. Nous le présenterons en bonne et due forme lorsqu'il témoignera devant le comité.
Robert Hage, directeur général, Europe, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Bonsoir, honorables sénateurs. Mes collègues et moi-même vous remercions de nous donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je ferai d'abord quelques déclarations préliminaires, puis je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je constate que vous avez un programme chargé à l'horizon, notamment un voyage dans l'une des régions les mieux nanties du Nord de la Russie.
Jusqu'à maintenant, nous avons eu une année mouvementée sur le plan des relations bilatérales. Si nous retournons un an en arrière, le rapport sur la Géorgie venait tout juste d'être publié, et il révélait que les deux camps — la Russie et la Géorgie — étaient tous deux responsables des difficultés qui sont survenues pendant la guerre qui les opposait. Évidemment, à ce moment-là, le Canada était préoccupé par l'invasion et l'occupation de certaines régions de la Géorgie par la Russie ainsi que par la résolution de ce conflit permanent. Le conflit entre la Russie et l'Ukraine concernant l'approvisionnement en gaz inquiète également le Canada. De son côté, la Russie a l'impression que l'Occident fait fi de ses intérêts vitaux à l'égard de questions telles que l'élargissement de l'OTAN et la reconnaissance du Kosovo. Néanmoins, la Russie demeure un acteur de premier plan pour ce qui est de certaines grandes préoccupations du Canada, notamment la lutte contre le terrorisme, la prolifération nucléaire, l'Iran, l'Afghanistan et le Moyen-Orient. Mentionnons aussi le potentiel grandissant de commerce et d'investissement entre nos deux économies nordiques, toutes deux tributaires de l'industrie primaire. Il est toutefois primordial que nous dosions bien notre volonté de collaborer plus étroitement avec la Russie et l'envoi de messages clairs concernant la démocratie, les droits de la personne et les questions régionales — plus précisément les relations entre la Russie et ses voisins, qui sont inégales.
Nos alliés et nos partenaires sont aussi ouverts à avoir une relation plus constructive avec la Russie. Les États-Unis ont appuyé sur le fameux bouton « remise à zéro » et cherchent maintenant à resserrer leur collaboration avec la Russie à différents égards. L'Union européenne a aussi recommencé à collaborer avec la Russie après que des discussions sur une entente UE-Russie eurent abouti à une impasse l'année dernière.
M. Medvedev, président de la Russie, a proposé une nouvelle architecture de sécurité qui, espère-t-il, aura force exécutoire, bien que la plupart des alliés occidentaux souhaitent la mise en place d'un mécanisme n'ayant pas force exécutoire. Le gouvernement du Canada participe à un dialogue élargi sur la sécurité, y compris sur la proposition du président Medvedev, dans le contexte de l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Nous assistons à une augmentation du nombre de contacts bilatéraux de haut niveau entre le Canada et la Russie. Tout d'abord, en 2007, le premier ministre de l'époque, M. Zubkov, s'est rendu à Ottawa pour discuter avec le premier ministre Harper. Ensuite, le vice-premier ministre russe Dmitry Kozak a conduit une délégation à Vancouver en février 2009. Par ailleurs, le ministre Cannon a rencontré le ministre russe des Affaires étrangères, M. Lavrov, trois fois cette année. La dernière rencontre a eu lieu il y a deux semaines, à New York. La deuxième visite en Russie du ministre de l'Agriculture, Gerry Ritz, aura lieu sous peu, tandis que le ministre du Commerce international, Stockwell Day, a effectué un voyage fructueux dans ce pays en juin dernier. Il a dirigé une mission commerciale axée sur les projets d'infrastructure pour les Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, et il a coprésidé une réunion de la Commission économique intergouvernementale Canada-Russie, la CEI, dans le cadre du Sommet des affaires Canada-Russie de 2009. M. Day était accompagné de représentants d'entreprises canadiennes et russes évoluant dans une diversité de secteurs.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international est très heureux qu'une visite sénatoriale de haut niveau soit organisée en Russie, car cette visite favorisera la tenue de discussions approfondies et sérieuses avec la Russie. Parallèlement à votre visite et à celle du ministre Ritz, le premier ministre de Terre-Neuve, M. Danny Williams, sera en Russie pour y faire de la promotion commerciale. Nous sommes en train d'organiser un voyage là-bas avec le premier ministre du Québec, M. Jean Charest.
Une meilleure collaboration avec la Russie pourrait donner des résultats positifs en renforçant la sécurité et en accroissant la prospérité des Canadiens et des Canadiennes. Au moins 11 ministères et organismes fédéraux ont déjà une présence en Russie. Les hauts fonctionnaires se consultent régulièrement sur un éventail de questions, et nous sommes sur le point d'en faire encore davantage grâce à la négociation d'accords et de protocoles d'entente dans des domaines tels que les formalités douanières, les sciences et la technologie ainsi que la recherche et le sauvetage dans l'Arctique. Par ailleurs, le Programme de partenariat mondial du G8 occupe une place de premier plan dans nos relations bilatérales, et le Canada a consacré plus de 526 millions de dollars à la réalisation de projets de lutte contre la propagation des armes de destruction massive depuis 2002.
Comme vous le savez sans doute, l'Arctique représente une facette de plus en plus importante de la relation bilatérale entre le Canada et la Russie. Le Conseil de l'Arctique ainsi que le Groupe de travail de l'Arctique et du Nord de la Commission économique intergouvernementale Canada-Russie servent de mécanismes clés pour la collaboration sur des enjeux tels que la prévention et le contrôle de la pollution marine, les peuples autochtones, les stratégies commerciales pour les biens et services du Nord, et les initiatives de transport interentreprises, comme le pont de l'Arctique entre Mourmansk et Churchill.
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada a récemment accepté d'accroître sa collaboration avec son homologue russe, le ministère du Développement régional, à propos des enjeux du Nord et des Autochtones. La politique russe sur l'Arctique, adoptée en mars 2009, ressemble à celle du Canada, c'est-à-dire qu'elle accorde la priorité aux personnes, à la souveraineté, à l'exploitation des ressources et à l'environnement. De plus, les deux pays sont résolus à s'en remettre au droit international quant à la délimitation de leurs plates-formes continentales respectives.
Le Canada a également d'importants intérêts commerciaux dans l'Arctique russe. Le projet Kupol, de l'entreprise Kinross Gold Corporation, à Tchoukotka, dans le Grand Nord de la Russie, représente le plus important investissement privé du Canada en Russie. D'un montant total de 760 millions de dollars, c'est aussi le plus important investissement étranger dans le secteur minier de la Russie. Au cours des neuf dernières années, le gouvernement de Tchoukotka a acheté pour plus de 200 millions de dollars de technologies canadiennes de construction pour les régions froides.
Je travaille pour le ministère des Affaires étrangères depuis un certain nombre d'années. Nous discutons de la question de l'investissement à l'étranger et de toute l'importance qu'il faut y accorder. Or, l'investissement à l'étranger n'accroît pas les échanges commerciaux du seul fait que les investisseurs sont sur le terrain, injectent de l'argent et achètent peut-être sur le marché local ou régional. L'investissement réalisé par Kinross est un bon exemple d'investissement à l'étranger, car il a permis au Canada de vendre pour 200 millions de dollars de technologies de construction pour les régions froides, ce qui est un montant considérable.
Le Canada et la Russie travaillent actuellement, avec l'aide de partenaires de Terre-Neuve-et-Labrador, à établir des liens de grande importance en vue de mettre au point des moyens d'aider les installations extracôtières du secteur pétrolier et gazier de l'Arctique à composer avec des conditions difficiles. Malgré nos intérêts communs et notre collaboration généralement fructueuse pour ce qui est de l'Arctique, certains obstacles demeurent, étant donné nos perceptions divergentes quant à nos intérêts principaux dans l'Arctique. Ces obstacles viennent d'autant plus confirmer qu'une meilleure relation et un meilleur échange d'information entre les deux pays sont essentiels.
Les choses se présentent très bien sur le plan du commerce et de l'investissement. Le commerce reprend de la vigueur après avoir connu un creux l'année dernière. Les exportations du Canada en Russie, qui représentaient environ 260 millions de dollars en 2002, ont atteint 1,5 milliard de dollars en 2008, ce qui classe la Russie au 18e rang des grands marchés d'exportation du Canada en 2008. Les importations de marchandises russes au Canada ont aussi augmenté pour s'établir à 2,1 milliards de dollars en 2008, soit une augmentation de presque 40 p. 100 comparativement à l'année précédente.
Bien évidemment, le ralentissement économique mondial a eu une incidence sur le volume du commerce bilatéral depuis la fin de 2008, mais des statistiques indiquent une importante remontée du commerce avec la Russie. Vous aurez sans doute appris aux nouvelles récemment que Magna International et la Sberbank de Russie ont convenu de prendre une participation majoritaire dans l'une des filiales européennes de General Motors, Opel. M. Stronach, qui accompagnait M. Day, a pris la parole à la réunion de la commission économique, en juin dernier. Cet investissement illustre bien la participation commerciale grandissante de la Russie sur la scène internationale et constitue un important pas en avant sur le plan de la collaboration économique entre le Canada et la Russie.
Le Canada se heurte à plusieurs obstacles sur le marché agricole russe, qui présente toutefois une importance croissante. En 2008, la Russie a importé pour 34 milliards de dollars de produits agroalimentaires et de poisson et fruits de mer. À lui seul, ce secteur représente un très grand volume d'importations. Les importations en provenance du Canada s'élevaient à environ 500 millions de dollars. Le Canada est pour la Russie le principal fournisseur de bovins vivants, le troisième fournisseur de viande de porc et de machinerie agricole pour le sol, et le deuxième fournisseur de crustacés.
Depuis 2008, toutefois, une partie de nos exportations a été limitée par des barrières à l'accès au marché de la Russie qui ne sont pas fondées sur des principes scientifiques acceptés mondialement et qui vont à l'encontre des principes préconisés par l'Organisation mondiale du commerce. Je tiens à souligner que la Russie n'est pas encore membre de l'OMC. Elle a négocié pendant un certain nombre d'années, puis elle a soudainement annoncé qu'elle formerait une union douanière avec le Kazakhstan et le Bélarus. Ces États présenteront une demande conjointe l'année prochaine.
En février 2009, la Russie a imposé un nouveau droit de 15 p. 100 sur les moissonneuses-batteuses, ce qui a eu des répercussions sur le Canada. Ce droit est censé être éliminé officiellement à la mi-novembre, mais certains n'en sont pas si convaincus. Au cours de sa visite à Moscou, en juin, le ministre Day a fait une déclaration concernant l'imposition de ce droit, et il a commenté un certain nombre de mesures qui ont amené la Russie à lever l'interdiction qui frappait le porc canadien depuis l'apparition du virus H1N1. Par ailleurs, une autre mesure permet maintenant aux exportations de bœuf désossé d'accéder au marché russe. Encore une fois, comme il s'agit d'un marché de 38 milliards de dollars, le gouvernement du Canada doit jouer un rôle important pour aider les exportateurs canadiens à obtenir une part de ce marché.
Le ministre Ritz fera également une déclaration sur la question des droits imposés par la Russie lorsqu'il effectuera sa visite dans ce pays, qui aura lieu en même temps que la vôtre. En outre, il informera le gouvernement de la Russie des préoccupations du Canada relativement aux obstacles à l'accès au marché pour le porc canadien, lesquels découlent du règlement russe obligeant tous les exportateurs canadiens à faire inspecter, à leurs frais, leurs usines par les autorités russes. Les certificats d'exportation délivrés à diverses usines non spécifiées seront annulés à la date d'expiration.
Avant de conclure, j'aimerais glisser un mot sur un sujet délicat qui a des répercussions sur nos relations bilatérales : la question des visas. Vous aurez peut-être constaté que, depuis quelques années, le Canada et la Russie ont éprouvé de la difficulté et ont eu quelques malentendus sur cette question. L'ambassade du Canada à Moscou s'applique à fournir le meilleur service possible aux demandeurs, et nous sommes résolus à accroître notre collaboration avec la Russie à ce chapitre. Depuis la dernière série de consultations bilatérales sur la question des visas, CIC a pris différentes mesures pour donner suite aux préoccupations de la Russie.
En conclusion, je tiens à vous souhaiter un voyage des plus agréables en Russie. Votre participation contribuera à donner plus de poids au Canada dans un marché où les relations interpersonnelles sont primordiales. Je serais maintenant ravi de répondre à vos questions, et c'est avec plaisir que nous vous fournirons des renseignements supplémentaires avant votre départ.
Le président : Je vous remercie, monsieur Hage. Il y a un certain nombre de sénateurs qui souhaiteraient poser des questions. Pendant la séance de questions, vous voudrez peut-être ajouter des commentaires ou inviter l'un de vos collègues à aborder certaines des questions dans une perspective plus large, particulièrement en ce qui a trait au resserrement des liens entre le Canada et la Russie. Toute proposition de votre part sera la bienvenue.
Le sénateur Grafstein : Monsieur Hage, votre déclaration était très importante et fort convaincante. Permettez-moi d'aborder la question de l'élaboration d'un cadre plutôt que certains des problèmes d'accès au marché que vous avez soulevés. Je souhaite axer mon propos sur les échanges commerciaux, car je crois sincèrement que nos relations avec les pays BRIC, soit le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, seront l'un des éléments centraux de notre étude.
Le gouvernement fédéral doit prendre un certain nombre de mesures avant que nous puissions libéraliser davantage les échanges commerciaux avec un partenaire. Habituellement, il faut élaborer un accord-cadre. Je pense à la relation Canada-UE, que nous suivons de près depuis presque 15 ans. Nous approchons du but, mais nous en sommes toujours à l'étape de l'élaboration du cadre.
Le ministère ou le ministre a-t-il envisagé la possibilité d'adopter rapidement un accord-cadre sur le renforcement du commerce, de sorte que, plutôt que de régler les problèmes d'accès au marché un à la fois, on puisse les régler simultanément au moyen d'un cadre de négociation global? Je présume que c'est ce que vous tentez de faire grâce à la Commission économique intergouvernementale Canada-Russie. Avez-vous envisagé la possibilité d'amorcer une discussion concernant l'adoption d'un accord-cadre global pour renforcer le commerce et l'investissement? L'une des réussites dans ce domaine est l'accord conclu par M. Stronach avec la Sberbank de Russie. Je sais qu'il a fallu l'appui des hautes sphères du pouvoir en Allemagne, au Canada et en Russie pour passer cet accord. Cette intervention a accéléré grandement la conclusion de cet accord en raison de la diminution des délais. Je me demandais simplement si nous pouvions également accélérer l'élaboration d'un accord-cadre.
M. Hage : Vous avez tout à fait raison : la commission économique conjointe est l'instrument que nous utilisons pour traiter avec la Russie, et, jusqu'à maintenant, elle s'est révélée plutôt efficace. La commission a été établie lorsque M. Mulroney s'est rendu en Russie en 1993, alors elle est en place depuis un certain nombre d'années, et pour l'instant, tout va bien. Nous n'avons pas envisagé d'aller plus loin. Nous avons conclu un accord-cadre avec l'Union européenne en 1976. Il a fallu 30 ans, mais, maintenant, nous ferons du libre-échange avec l'UE.
Même si nos échanges commerciaux ont augmenté, ils demeurent relativement limités, vu la taille de nos deux marchés respectifs, et le scénario est semblable pour ce qui est de notre relation d'investissement. J'ai parlé de l'investissement de Kinross en Russie. Il n'y a pas beaucoup d'autres exemples. Par contre, le marché russe intéresse d'autres entreprises canadiennes importantes, par exemple SNC-Lavalin et Bombardier. Pendant que nous étions à Sotchi, SNC-Lavalin a signé un accord avec la Compagnie des chemins de fer russes pour l'aménagement d'infrastructures à Sotchi en vue des Jeux olympiques.
Nous n'avons pas encore élaboré de cadre, mais, comme je l'ai mentionné, la commission conjointe semble très bien fonctionner. En ce sens, nous n'avons pas beaucoup de raisons de changer cette formule.
Le sénateur Grafstein : Vous venez de confirmer ce que je disais : il nous a fallu 30 ans pour faire évoluer les discussions avec l'UE au point où elles en sont aujourd'hui, et nous sommes encore loin d'avoir réglé certaines des questions épineuses. Le temps presse. Nous vivons dans une réalité virtuelle.
Y a-t-il moyen d'accélérer le processus? Vous avez ouvertement déclaré que les échanges bilatéraux entre nos deux pays devraient être plus élevés qu'ils ne le sont actuellement, compte tenu de la taille de nos marchés respectifs, et, maintenant, il y a en Russie beaucoup plus de richesses qu'il y a 10 ans. Pourquoi n'accélérons-nous pas le processus plutôt que de s'attaquer aux problèmes un à un?
M. Hage : J'ai mentionné les visites qui ont eu lieu là-bas, et elles ont été fructueuses. Votre visite en Russie coïncidera avec celle du premier ministre de Terre-Neuve, et un autre premier ministre devrait bientôt s'y rendre. La participation des ministres est maintenant assez fréquente.
Après leur visite, les membres du comité formuleront certainement des recommandations dans leur rapport concernant la façon dont la relation pourrait être améliorée. La Russie n'a pas laissé entendre que nous devrions changer la formule de quelque façon que ce soit, et elle semble satisfaite des résultats obtenus par la commission économique conjointe.
Nous sommes ouverts à vos commentaires, et si, après votre visite et vos discussions avec le gouvernement russe, vous avez des suggestions sur la façon d'améliorer ou de renforcer la relation entre nos deux pays, cela nous serait également fort utile.
Le président : Nous pourrions peut-être nous montrer proactifs sur cette question pendant notre visite.
Le sénateur Smith : J'aimerais avoir un aperçu général de la question des affaires étrangères du point de vue des relations Est-Ouest — où intervient non seulement le Canada proprement dit, mais le Canada en tant que membre de l'OTAN — et de l'avantage d'éviter les machinations du temps de la Guerre froide. Je suis allé pour la première fois en Russie en 1969, et l'accueil a été glacial. J'y suis retourné quelques fois dans les années 1980. Il y a eu toutes sortes de jeux politiques, de manœuvres, de machinations ou de parties de poker, comme le fait d'installer des missiles en Pologne puis en Tchécoslovaquie, et l'intervention en Azerbaïdjan.
Quant à la désescalade récente et au climat d'entente qui semble s'installer, j'ai l'impression que l'administration Obama tente de calmer le jeu là-bas. Je crois que, dans la mesure où il y a eu une petite partie de bras de fer, les résultats ont été très bons. Quel est votre avis?
M. Hage : Je crois que c'est tout à fait exact. Il semble y avoir un changement d'attitude. Le président Obama a fait un certain nombre de démarches auprès de la Russie. Il a discuté avec le président Medvedev et le premier ministre Poutine. Il a apporté des changements à la politique consistant à installer des missiles en Pologne et des radars en République tchèque.
La Russie a bien accueilli ces changements. Sa réaction en dit long sur la pertinence d'une telle initiative. Je crois que l'Ouest est à l'affût de signaux que pourrait lui envoyer la Russie pour indiquer qu'elle souhaite collaborer davantage dans ce domaine. À ce chapitre, on peut penser à l'Iran. Ce pays a déjà laissé entendre qu'il envisageait de faire enrichir de l'uranium en Russie, de sorte que le processus d'enrichissement serait surveillé par la Russie. L'Iran semble maintenant intéressé par cette proposition.
La Russie a fait des propositions par le passé, et nous attendons de voir quelle sera la réponse à cette proposition et à un éventail d'autres questions. La Russie doit résoudre le conflit qui l'oppose à la Géorgie, à l'Ossétie du Sud et à l'Abkhazie. Sa relation avec l'Ukraine est également problématique. Par conséquent, la Russie peut donner suite de multiples façons aux initiatives prises par M. Obama et par d'autres pays occidentaux.
Le sénateur Smith : Je crois que sa dernière initiative était un baromètre intéressant de la volonté de tenter d'apaiser les tensions.
Sur une note plus légère, j'ai constaté que la valeur totale des importations se chiffrait à 2,1 milliards de dollars. Savez-vous dans quelle proportion les importations sont composées de vodka?
M. Hage : Vous obtiendrez probablement cette information au cours de votre visite.
Le sénateur Smith : J'imagine qu'on ne nous permet pas d'exporter la vodka qui est produite à Terre-Neuve à partir d'eau des glaciers. Cette eau a 10 000 ans.
M. Hage : Je crois que le marché est ouvert. Si on peut vendre de la vodka à la Russie, on peut vendre n'importe quel type de vodka.
Le sénateur Smith : Je crois que nous devrions leur offrir quelques bouteilles de cette vodka.
Le président : Nous enverrons une caisse de bouteilles de vodka à votre bureau. Veuillez l'emporter avec vous.
Le sénateur Stewart Olsen : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. J'aimerais faire un commentaire. Je trouve que l'information qui ressort des statistiques et des notes est encourageante. J'ai l'impression que nous progressons. Je constate que, peu à peu, beaucoup de choses évoluent au chapitre des accords individuels et de l'intensification du commerce entre les entreprises privées, ce qui est nettement préférable à un scénario où un gouvernement tout-puissant conclut un accord trop ambitieux qui ne mène à rien.
Dans l'ensemble, tout paraît très bien, mais ce type d'initiatives profite davantage au pays. Je suis très fière des efforts qui ont été investis dans la visite du ministre Day et du ministre Cannon et dans la visite prochaine du ministre Ritz.
Ma question vise à fournir des conseils aux personnes qui participeront à ce voyage important pour qu'elles puissent, en évitant de faire un faux pas, insister sur l'orientation que prône le pays et sur les initiatives qui seraient dans l'intérêt supérieur du pays. Vous avez parlé de la visite prochaine du ministre Ritz et de ce qu'il tentera d'accomplir. Tout conseil sur quelque question que ce soit à l'intention des membres qui effectueront le voyage sera le bienvenu.
M. Hage : Madame, vous m'avez fait penser à une organisation appelée l'Association d'affaires Canada-Russie- Eurasie, l'AACRE. Cette association englobe également l'Ukraine, et elle a formé un comité qui s'occupe des relations d'affaires avec l'Ukraine. Au cours de sa visite récente à Kiev, le ministre Day était accompagné d'un représentant de l'AACRE. Il était également accompagné d'un représentant de l'AACRE lorsqu'il s'est rendu au Kazakhstan. En outre, cette association compte des représentants à Moscou, à Calgary, à Montréal et à Toronto. Sur le plan des activités commerciales, nous tirons également avantage de la présence d'une association d'affaires active.
Pour ce qui est des messages à transmettre, je crois que cela varie selon les destinataires. Si on s'adresse à des intervenants du milieu des affaires, je crois qu'il est essentiel de leur rappeler toute l'importance des relations commerciales entre le Canada et la Russie, mais également d'attirer l'attention sur certaines des préoccupations que nous avons à l'égard des restrictions qui sont imposées. Je crois que ces restrictions sont attribuables au ralentissement économique et à la volonté de la Russie de protéger ses propres marchés. Le fait que la Russie n'est pas membre de l'OMC limite notre pouvoir d'intervention, et la seule chose que nous pouvons faire, c'est d'exercer des pressions auprès du gouvernement russe. La Russie a donné suite à certaines de nos demandes, mais je crois qu'il est bon d'insister sur toute l'importance d'une relation commerciale ouverte et transparente.
En ce qui a trait aux relations politiques, j'ai mentionné dans mes déclarations la possibilité d'envoyer un message clair à la Russie. Il n'est pas nécessaire de lui rebattre les oreilles de ce message, mais le gouvernement canadien est préoccupé par la façon dont le gouvernement russe exerce son pouvoir, par les restrictions qu'il impose aux partis d'opposition et par le fait que le processus électoral se résume à un affrontement entre deux grands partis politiques.
M. Poutine a déclaré qu'il s'entretiendrait avec M. Medvedev pour déterminer qui sera le nouveau président de la Russie en 2012. L'ancien président de la Russie était communiste à l'époque, et M. Gorbatchev s'était opposé à cette idée. J'imagine qu'il peut le faire. Il a dit qu'il espérait que tout le monde ait voix au chapitre, et non seulement deux personnes.
À bien des égards, la Russie présente des caractéristiques européennes ou transatlantiques. J'ai entendu récemment un discours à ce sujet. Le nouvel ambassadeur de l'UE a fait quelques remarques hier à l'occasion d'une réception. Il a attiré notre attention sur les caractéristiques européennes de la Russie. Il nous a rappelé que la Russie s'était dessaisie d'un certain nombre de ses territoires en Asie centrale et qu'elle s'était davantage alignée sur les politiques européennes. C'est un aspect que vous devez garder à l'esprit dans le cadre de vos démarches.
Si vous n'êtes pas allé à Moscou récemment, sachez que c'est une ville extraordinaire. C'est une ville dynamique, fascinante et débordante d'activité, et tout y est très cher.
Le président : Votre dernier commentaire signifie que nous devrions apporter plus d'argent. Je suis persuadé que le sénateur Smith conviendra que nous ferons en sorte de stimuler l'économie grâce à la vodka.
Dans la foulée des commentaires du sénateur Stewart Olsen, je vous invite également — vous et vos collègues — à nous faire savoir si nous pouvons personnellement vous aider à régler certaines questions en ajoutant de la valeur aux négociations ou aux discussions. Nous serions certainement en mesure de mener une partie de ces activités. Nous l'avons fait par le passé. J'invite donc nos collègues à s'entretenir individuellement avec des représentants de différents ministères, des ministres ou même des représentants d'entreprises qui pourraient servir la cause de notre pays.
Le sénateur Mahovlich : Quels sont les principaux concurrents des entreprises canadiennes pour ce qui est des partenariats commerciaux avec les entreprises de la Russie?
James Hill, directeur, Relations commerciales avec l'Europe et l'Asie centrale, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Vous ne serez pas surpris d'apprendre que les principaux concurrents du Canada sont les pays situés à proximité de la Russie. Sur le marché russe, l'Union européenne est le premier concurrent des industries et des investisseurs canadiens. Cette situation existe depuis des années, en fait, depuis bien avant que la Russie devienne l'entité que l'on connaît aujourd'hui.
Il y a une concurrence accrue de la part du Japon et de la Corée. Chacun des pays BRIC est maintenant un partenaire commercial plus important. Le Canada n'a pas perdu du terrain, mais il y a une concurrence soutenue et émergente.
Le sénateur Mahovlich : Le Canada est réputé pour ses mines. La Russie cherche-t-elle à conclure des partenariats avec des sociétés pétrolières? Sait-elle que le Canada est très concurrentiel dans le domaine de l'exploitation pétrolière?
M. Hill : Elle est certainement au courant, mais la Russie détient une participation dans chacune des industries d'exploitation des ressources, surtout le pétrole. Les entreprises canadiennes ne jouent pas un rôle de premier plan dans le secteur de l'exploration et de l'exploitation. Je dirais même qu'elles jouent un rôle plutôt modeste. Petro-Canada, par exemple, a fermé son bureau à Moscou, principalement parce qu'elle ne parvenait pas à prendre pied et à obtenir le type d'investissements et de rendement qu'elle souhaitait.
Le sénateur Mahovlich : La Russie renferme-t-elle d'importantes réserves d'or?
M. Hill : Je n'ai pas les données à ce sujet, mais si une seule société d'exploitation aurifère, Kinross, a investi 700 millions de dollars, c'est que le potentiel est énorme. Kinross n'est pas la seule société qui participe aux activités d'extraction minière. D'autres sociétés plus modestes sont également actives sur le terrain. La Russie est un pays très vaste qui regorge de minéraux, et elle sollicite non seulement le Canada, mais également l'Australie et d'autres chefs de file des industries d'extraction pour qu'ils l'aident à exploiter ces réserves.
M. Hage : On m'a dit qu'il était difficile pour les petites et moyennes entreprises de faire des affaires en Russie. Vous pourriez également aborder cette question. Je devrai vous fournir davantage de renseignements concernant les difficultés que peuvent connaître les petites et moyennes entreprises lorsqu'elles tentent d'établir une relation commerciale avec la Russie. Actuellement, ce sont surtout les grandes entreprises canadiennes qui font des affaires avec ce pays. Mais si, en plus des multinationales, des entreprises modestes participent aux échanges commerciaux, cela renforcera vraiment les liens d'affaires entre le Canada et la Russie. Je vais voir si nous pouvons vous fournir une note d'information à ce sujet.
Le président : Je vous remercie de cette initiative et également des autres notes d'information que vous nous avez remises. S'il y a d'autres renseignements que vous pouvez nous transmettre dans les prochains jours, avant notre départ, ils seraient les bienvenus.
Le sénateur Andreychuk : Au cours de notre étude précédente sur la Russie, nous avons recensé un certain nombre d'obstacles, dont l'absence de structures fiables, les lacunes du mécanisme de règlement des litiges et des structures judiciaires, l'absence d'institutions et le manque de fiabilité d'un régime d'équité sur lequel on pourrait travailler. Notre constat n'était pas différent de ce que nous pensions de la Chine à ce moment-là. Les structures de gouvernance, les gouverneurs eux-mêmes, constituaient l'autre obstacle important. On peut parler tant qu'on veut de Moscou et de la Russie, mais, en réalité, ce sont les gouverneurs qui dirigent les régions, de sorte qu'il faut savoir comment faire des affaires avec les régions. M. Poutine lui-même a commencé à reconnaître qu'il faudrait une certaine supervision et plus d'uniformité. Des gens d'affaires nous ont effectivement expliqué que cela représentait un grave problème, car il y a un manque d'uniformité ou de vision commune dans diverses régions. La situation s'est-elle améliorée?
Leigh Sarty, directeur, Relations avec l'Europe et l'Asie centrale, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Je crois qu'il faut ériger en principe que toute entreprise doit connaître la région où elle entreprend des activités commerciales et les façons particulières de faire des affaires dans un endroit donné.
Pour ce qui est des initiatives de M. Poutine et de celles de M. Medvedev par la suite, vous avez probablement appris à la lecture d'une étude antérieure que la Russie a remplacé le processus d'élection des gouverneurs par un processus de nomination. Ce changement visait à contrer la perception selon laquelle le pays n'est pas aussi stable que le souhaiteraient ses dirigeants.
Quant à savoir si ce changement a eu une incidence sur les relations commerciales, je me limiterais à déclarer qu'il est essentiel pour les entreprises de connaître le marché et de s'assurer qu'elles peuvent nouer de bonnes relations dans la région qui les intéresse et à Moscou.
Le sénateur Andreychuk : J'aimerais revenir sur un autre aspect. On a mentionné que les petites et moyennes entreprises sont désavantagées en raison de l'éloignement. Il est très difficile pour une PME de s'établir là-bas, à moins qu'elle ne cible un créneau de marché en particulier et qu'elle n'ait aucun concurrent. Nous aurions avantage à nous tourner vers l'Europe de l'Est et à créer des partenariats avec d'autres pays d'Europe de l'Ouest ou d'autres pays émergents, qu'il s'agisse de la République tchèque, de la Pologne, de la Hongrie ou de quelque autre pays. Il s'agit d'une meilleure façon d'accéder au marché russe, plutôt que d'essayer de traiter directement avec la Russie.
M. Hage : Grâce à l'une de mes expériences en Hongrie, j'ai constaté que les multinationales qui offriraient des possibilités de partenariat ne se sont pas encore établies dans cette partie du monde. Pour faire des affaires en Russie, on doit habituellement avoir un partenaire russe quelconque. On doit également songer à d'éventuels partenaires européens ou américains. Un certain nombre de multinationales canadiennes ont trouvé des entreprises avec lesquelles elles pourraient collaborer.
Par exemple, SNC-Lavalin vient tout juste d'acquérir une participation de 48 p. 100 dans une société d'ingénierie russe qui compte environ 800 ingénieurs. Elle ne pouvait pas détenir une participation supérieure à 48 p. 100 en raison des règles qui, comme l'a mentionné M. Hill, restreignent l'investissement étranger dans les sociétés qui exploitent des ressources naturelles. Cette société d'ingénierie mène ses activités dans le secteur pétrolier et gazier et dans le secteur des produits chimiques, et je crois que SNC-Lavalin a l'impression que, grâce à ce partenariat avec cette société, ou à sa participation partielle, elle pourra étendre ses activités sur le marché russe et sur le marché international.
Si une grande entreprise canadienne comme Magna, Bombardier ou SNC-Lavalin fait des affaires en Russie, alors d'autres entreprises canadiennes plus modestes pourront peut-être leur emboîter le pas et créer des débouchés, de la même façon que Kinross a généré des possibilités en investissant pour encourager la vente de technologies pour les climats froids. Ce n'est qu'une question de temps.
Une organisation comme l'AACRE, dont le nombre de membres va en augmentant, fait du très bon travail à cet égard, car elle cerne les occasions d'affaires et fonctionne selon le principe de l'adhésion ouverte. Lorsque de nouveaux délégués commerciaux se rendent à Moscou, l'AACRE organise des activités à Toronto ou à Vancouver. Lorsqu'un nouveau délégué commercial de la Russie vient au Canada, l'AACRE organise des réunions à Toronto pour que ce délégué puisse s'entretenir avec les gens d'affaires de cette ville. C'est une excellente façon de solidifier la relation commerciale entre les deux pays.
Les échanges commerciaux entre la Hollande et la Russie s'élèvent à environ 30 milliards de dollars. Je me trompe peut-être, mais ce chiffre m'est resté à l'esprit. Le commerce du pétrole compte pour une grande part de ces échanges en raison des activités de Royal Dutch Shell. Cela montre les possibilités qu'offre un pays relativement modeste, qui possède des intérêts pétroliers, certes, et ce qu'on peut accomplir sur ce marché.
Cela prend du temps, et il y a évidemment lieu de s'inquiéter. Vous avez parlé du processus judiciaire, qui est problématique. Il ne fait aucun doute que nous croyons que, en Russie, il faut améliorer le système judiciaire et renforcer la primauté du droit. Certaines entreprises canadiennes ont d'ailleurs vu le revers de la médaille.
D'un autre côté, si nous revenons à Kinross, le président, Tye Burt, a envoyé une lettre d'opinion au Globe and Mail en juin dernier pour faire valoir les avantages d'investir en Russie. Il a formulé des arguments solides pour inciter les autres entreprises canadiennes à suivre l'exemple de Kinross.
J'aurais un autre commentaire à faire; il ne concerne pas l'article de M. Burt. Je me suis rappelé que le président Medvedev a également fait des déclarations intéressantes dans un magazine russe libéral le mois dernier. Il a affirmé qu'il était essentiel que la Russie évolue, qu'elle respecte la primauté du droit, qu'elle mette un terme à la corruption et qu'elle comble le déficit démographique, car je crois que 800 000 personnes meurent chaque année en Russie. Je crois que l'espérance de vie des hommes russes est maintenant inférieure à ce qu'elle était pendant le régime soviétique.
Le président Medvedev a reconnu que la Russie faisait face à ces problèmes et a simplement déclaré qu'elle devait les régler. Qu'elle soit capable ou non de le faire, c'est une autre question. Nous vous enverrons aussi une copie de ses déclarations.
Le président : Merci, monsieur Hage. Nous avons l'article écrit par le président de Kinross. L'autre article pourrait aussi nous être utile. Je suis d'accord avec vous : cet article était très instructif. J'ai cru un moment qu'il était payé par le gouvernement russe, mais, à l'évidence, ce n'était pas le cas.
Le sénateur Dawson : Pourriez-vous confirmer la valeur des échanges commerciaux entre la Hollande et la Russie?
M. Hage : Oui, je le ferai.
Le sénateur Dawson : Ce sera un bon exemple à citer pendant nos discussions.
D'un autre côté, nous faisons preuve de beaucoup de transparence pendant la séance, car elle est diffusée à la télévision. Par conséquent, vous préférez peut-être ne pas aborder certaines questions sur une tribune aussi transparente.
Nous vous serions certainement très reconnaissants de nous transmettre, par l'intermédiaire du président et du greffier, tout renseignement utile, dans la mesure où les comités sont multipartites et tentent de défendre les intérêts du Canada. Il pourrait s'agir de messages positifs à communiquer ou de sujets épineux à éviter pendant nos discussions.
Nous essayons de nous distancier du gouvernement, surtout les membres qui siègent de ce côté-ci du comité, mais nous croyons certainement qu'il faut défendre les intérêts du Canada. Il y a peut-être des renseignements concernant les sujets à aborder ou à éviter pendant votre visite que vous préféreriez nous communiquer en privé.
M. Hage : Rien de ce que j'ai dit jusqu'à maintenant ou que je dirai ultérieurement n'est de nature privée. Notre position à l'égard de la Russie est connue de tous. Il n'y a aucun autre message que nous souhaitions transmettre.
Le sénateur Stewart Olsen : Aidez-vous la Russie à promouvoir ses intérêts auprès de l'OMC?
M. Hage : L'incident lié à l'OMC a pris tout le monde par surprise. Les négociations allaient bon train, et nous avions engagé des pourparlers avec les parties concernées pour régler certaines questions bilatérales. Il a fallu un certain temps, mais nous étions relativement satisfaits de l'issue des négociations. D'autres pays, l'Union européenne et les États-Unis, avaient fait la même chose. Je crois que l'Union européenne avait réglé la plupart des détails; les États- Unis n'avaient pas tout à fait terminé. Puis, sans crier gare, le premier ministre Poutine a annoncé que la Russie formerait une union douanière et présenterait une demande conjointe; si je ne me trompe pas, c'est la première fois qu'on présente une telle demande à l'OMC. Cette annonce a été perçue comme un recul, car je crois qu'il est plus avantageux que la Russie adhère à l'OMC que le contraire. Cela vaudrait certainement la peine d'interroger les autorités russes à cet égard. Nous avons également soulevé cette question au cours de notre dernière visite au Kazakhstan en compagnie du ministre Day, mais ces pays semblent maintenant résolus à aller de l'avant. Au début, nous avons cru que cette idée leur passerait, mais ils parlent maintenant de former cette union douanière et de la rendre fonctionnelle d'ici le 1er janvier. Je crois qu'il serait raisonnable de demander au gouvernement russe s'il n'a pas l'impression que cette décision retarde son adhésion. Il soutient qu'il était frustré de la lenteur du processus d'adhésion à l'OMC. La Chine en est membre depuis un certain nombre d'années. La Russie se rapprochait de son objectif, et je crois que nos négociateurs ne comprenaient pas pourquoi elle avait pris cette décision.
M. Hill : Les négociations en vue d'une adhésion à l'OMC comportent deux volets. D'abord, sur le plan des relations bilatérales, nous avons conclu les négociations avec la Russie il y a environ quatre ans. Il restait donc à négocier leur participation aux échanges multilatéraux, et les négociations ont achoppé sur les subventions à l'agriculture. La Russie a l'impression que le type de subvention qu'elle offre est conforme aux règles de l'OMC et ne devrait donc pas faire l'objet de négociations ou que les exigences relatives aux échanges multilatéraux qui sont imposées par le Canada, mais aussi par les États-Unis, l'Australie et un certain nombre d'autres pays, empêchent l'acceptation de sa demande. Il s'agit du principal obstacle. Comme je l'ai mentionné, ces négociations bilatérales avec la Russie étaient déjà terminées.
Le président : J'aurais des questions à poser sur la Stratégie commerciale mondiale, qui a récemment été mise en œuvre; j'aimerais particulièrement savoir quelles sont vos attentes générales à l'égard de cette stratégie. Lui a-t-on alloué suffisamment de ressources? J'aimerais également savoir si une partie de ces ressources sont destinées aux petites et moyennes entreprises.
M. Hage : Je laisserai à M. Hill le soin de commenter la question des PME, mais je peux vous affirmer que les sommes que le gouvernement a affectées à la stratégie ont été maintenues et que la stratégie va effectivement de l'avant. Je crois que, jusqu'à maintenant, elle donne d'excellents résultats. Le Cabinet l'a approuvée, elle a fait l'objet d'un lancement officiel, et sa mise en œuvre se poursuit comme prévu. La Russie est évidemment visée par cette stratégie, de même que les autres pays BRIC. Je crois que la stratégie commence à porter ses fruits du côté de la Russie, car nos échanges avec ce pays affichent une hausse marquée. Nous tentons d'éliminer les obstacles au commerce, qui semblent se dresser principalement en raison du ralentissement économique. Nous espérons que, à mesure que l'économie de la Russie reprendra de la vigueur, ces barrières seront progressivement éliminées. À ce chapitre, je crois que la stratégie est efficace. On peut inciter la Russie à considérer le Canada comme un partenaire commercial avantageux.
Toutefois, l'investissement de la Russie au Canada n'est pas aussi élevé que l'investissement du Canada en Russie. Encore une fois, le marché canadien est ouvert à l'investissement. Des intérêts russes ont acheté un certain nombre d'entreprises canadiennes, par exemple Viceroy Homes. Ils ont également acquis un fabricant de tracteurs de Winnipeg. Il s'agit d'une forme d'investissement intéressante, mais il n'y a eu aucune transaction de grande importance jusqu'à maintenant.
M. Hill : La Stratégie commerciale mondiale, et la Stratégie relative à la Russie qui fait partie de l'un des 13 volets qui découlent de la Stratégie commerciale mondiale, vise à promouvoir la Russie comme un marché clé et un marché prometteur, mais elle ne prévoit pas de mesures axées sur les PME. Toutefois, le réseau et le mécanisme de soutien d'ensemble du Service des délégués commerciaux du Canada et les services qui sont offerts aux entreprises canadiennes s'adressent également aux PME. Il existe des mécanismes pour aider les PME à accéder à des marchés comme la Russie ou tout autre pays BRIC. Mais ces mécanismes ne font pas partie d'une stratégie commerciale mondiale précise.
Le président : Je vous remercie, monsieur Hage, monsieur Hill et monsieur Sarty. Monsieur Hill, ce fut un grand plaisir de voyager avec vous il y a quelques mois. J'espère que nous avons fait œuvre utile.
Nous serons heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous. Nous devrions nous réunir après notre voyage pour faire le bilan de notre expérience. Nous vous remercions de l'information utile que vous nous avez communiquée, et nous serons ravis de vous revoir à notre retour.
M. Hage : Cela nous ferait très plaisir. Merci.
Le président : Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous accueillons également aujourd'hui M. Migranyan. J'espère que je prononce bien votre nom. M. Andranik Migranyan est directeur de l'Institut pour la démocratie et la coopération, situé à New York. Je vous remercie d'avoir fait le voyage de New York à Ottawa.
L'institut, qui a été fondé en 2007, est un groupe de réflexion non gouvernemental voué à l'analyse, à la définition et à la promotion de l'entente mutuelle et de la coopération entre la Russie et les États-Unis. L'institut s'attache à promouvoir l'établissement de relations solides dans tous les secteurs — gouvernemental, financier, économique et culturel.
Andranik Migranyan, directeur, Institut pour la démocratie et la coopération : Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de me présenter devant vous aujourd'hui pour vous présenter mon point de vue sur la politique intérieure et étrangère de la Russie. Il est très difficile pour n'importe quel professeur de se restreindre à 10 minutes, mais j'essaierai d'être aussi bref que possible. J'aimerais vous donner un aperçu de trois ensembles de problèmes sur lesquels j'aimerais concentrer mon attention et attirer la vôtre.
En ce moment, vu la conjoncture économique en Russie, on a tenu au cours des dernières semaines deux forums d'investissement au pays, soit à Sotchi et à Moscou. Tous les dirigeants russes, y compris M. Poutine, M. Koudrine, ainsi que le président et le vice-président de la banque centrale, étaient d'avis que le déclin de la Russie est terminé.
En outre, la crise économique s'est révélée moins grave que prévu, alors que l'on s'attendait à un recul de 8,5 p. 100, voire plus, ils ont affirmé que, d'ici la fin de l'année, il sera de l'ordre de 8 p. 100, peut-être moins. L'inflation sera également inférieure aux prévisions, et les dirigeants ont indiqué qu'il y a même quelques signes d'une modeste croissance, ce qui signifie que, en ce moment, l'économie russe amorce un processus de stabilisation, de reprise et de croissance. Comme l'a mentionné le vice-premier ministre et ministre des Finances, M. Koudrine, il faudra de trois à quatre ans avant que l'économie russe soit entièrement rétablie.
Quelles mesures ont été prises pendant la crise? Pour faire face à cette situation, le gouvernement russe n'a pas fait preuve d'originalité; il a fait la même chose que les autres gouvernements. Il a dépensé beaucoup d'argent pour sauver les banques et différentes industries et entreprises, particulièrement les entreprises installées dans des villes où elles étaient le principal l'employeur et où une intervention s'imposait. S'il ne l'avait pas fait, le taux de chômage aurait pu être terriblement élevé.
Durant cette grave crise et ce profond déclin, le gouvernement russe a réussi à garde presque toutes les dépenses sociales au même niveau, comme il l'avait promis. Cela n'aurait pas été possible si le gouvernement russe n'avait pas été en mesure d'accumuler d'énormes réserves de devises fortes pendant les années précédentes grâce au prix élevé du pétrole, du gaz et d'autres matériaux bruts. Ainsi, le gouvernement russe a dépensé plus de 200 milliards de dollars pour ces mesures. C'était l'une des importantes mesures prises par le gouvernement, et celui lui a permis essentiellement d'éviter une récolte populaire ou des manifestations contre le gouvernement, comme cela s'est produit dans de nombreuses républiques baltes, dans les Balkans, et ailleurs. Cependant, il y a eu des réactions contre les autorités locales de certains endroits en Russie à la suite des fermetures d'usines et des pertes d'emploi.
Le taux de chômage est encore très élevé — environ 10 p. 100 — presque le même que celui des États-Unis, où le taux de chômage s'élève à 9,8 p. 100.
Toutefois, il y a un problème. En raison de la crise, on observe une diminution de l'arrivée de nouveaux immigrants provenant d'anciennes républiques soviétiques et d'autres pays pour venir travailler en Russie. L'économie russe avait besoin de ces nouveaux arrivants, mais nous avons maintenant de cinq à dix millions d'immigrants illégaux. Les experts évaluent le nombre à cinq millions, mais les statistiques officielles le situent à dix millions. Ils sont en Russie et sont en train de s'adapter et de s'intégrer à la société. S'il y a croissance de l'économie, vu les graves problèmes démographiques qui affligent la Russie, ces sans-emploi seront facilement engloutis dans quelques années, et la situation démographique empêchera toute nouvelle main d'œuvre d'accéder au marché.
Un autre aspect important de l'économie russe, souligné à plusieurs reprises par le premier ministre de la Russie, est qu'il nous faut une nouvelle stratégie de croissance. La crise a montré à quel point l'économie russe dépend du cours du pétrole et de l'énergie, ce qui signifie que l'économie doit se moderniser et se diversifier très rapidement. Voilà pourquoi la Russie doit diversifier ses secteurs de croissance.
C'est une notion qui remonte au programme stratégique 2020 de M. Poutine, qu'il a présenté au Parlement russe et aux groupes sociaux et politiques du Kremlin avant de quitter ses fonctions de président. En sa qualité de membre du club de discussion Valdaï, quand nous l'avons rencontré il y a quelques semaines, il a affirmé que le gouvernement continue de suivre la stratégie 2020, et que le pays fera des percées dans les domaines des technologies de pointe, du savoir, des nanotechnologies et des technologies de l'information. Il a ajouté que la Russie doit changer la structure de son économie.
Pour clore ce volet mon exposé, j'aimerais mentionner que M. Poutine a organisé une conférence à Salekhard, site de la plus importante réserve de gaz naturel. J'ignore si les Canadiens y ont participé, mais d'importantes entreprises pétrolières et gazières européennes et américaines y étaient. M. Poutine a affirmé que l'économie russe est maintenant ouverte. Il nous faut des investissements et des entreprises étrangères qui viennent non seulement avec leur argent, mais également avec leur technologie.
La Russie voit avec beaucoup d'enthousiasme la transaction entre la Sberbank et Magna pour l'acquisition d'Opel, l'entreprise allemande. Il ne s'agit pas simplement d'un investissement conjoint en Allemagne : la technologie canadienne et occidentale s'en vient en Russie. De concert avec les entreprises gazières et les usines, ils ont l'intention de construire de nouvelles automobiles russes misant sur de nouvelles technologies, ce qui constitue une nouveauté très positive pour l'économie russe.
Quelle est la situation sur la scène politique? En Russie, nous sommes en train de mettre en place de nouveaux systèmes politiques. En Russie, l'élite dirigeante et les partis politiques s'opposent ouvertement à toute valeur ou tout système institutionnel fondé sur la démocratie libérale et ses valeurs.
Tout le monde est en faveur du multipartisme, des droits et libertés individuelles et des droits politiques. Bien entendu, nous savons que la Russie possède très peu d'expérience en matière de démocratie, ce qui rend difficile ce processus de mise en œuvre de la démocratie en tant que cadre institutionnel et système de valeurs au pays.
J'aimerais maintenant mettre l'accent sur un aspect du problème — la mise en place d'un système de partis. Dans les années 1990, nous avions un parti unique, le Parti communiste. Il y avait d'autres partis à Moscou, mais ils n'assuraient pas une présence partout au pays. Depuis la fin des années 1990, notre système politique est caractérisé par un parti dominant, et plusieurs autres partis sont représentés au Parlement. comme le diraient des politologues, c'est un système qui nous rappelle d'autres systèmes biens connus dans l'histoire mondiale et européenne, du fait qu'il affiche des caractéristiques propres aux pays et aux économies en transition, comme l'Italie après la Seconde Guerre mondiale, le Japon, le Mexique et d'autres encore. C'est pourquoi certains politologues décrivent le régime des partis russes comme un régime à un parti et demi. Même si nous avons des dizaines ou des centaines de partis, c'est un système à un parti et demi parce que, pour l'instant, un parti domine et les autres s'y opposent; mais il y a de la concurrence, parce qu'un autre parti, en Russie seulement, est également soutenu par le gouvernement et l'administration présidentielle. D'aucuns s'entendent pour affirmer que, s'il n'y a pas de conflit, il n'est pas possible de dynamiser le système. C'est un système stagnant, et nous savons tous ce que cela signifie. Nous avons vécu la domination d'un parti unique, et la stagnation était complète sous le régime de M. Brejnev et ses successeurs.
Qui plus est, les politiciens et les dirigeants d'une faction interne de ce parti dominant, Russie unie, ont décidé de créer trois clubs qui se font concurrence et qui représentent trois spectres distincts des forces politiques russes. L'un de ces clubs est le Parti libéral-démocrate de Russie, où l'on retrouve les libéraux partisans du libre marché. On trouve également le parti social-conservateur, qui représente les intérêts des syndicats, des ouvriers, de la classe moyenne et des classes inférieures. Le dernier club est le Groupe patriotique. Si la démocratie, de l'avis de presque tous ses théoriciens, tient à des pratiques telles que les négociations horizontales, les compromis et les concessions, c'est ainsi qu'il faut enseigner à ce peuple la culture de ces pratiques. La culture politique russe, éminemment hiérarchique depuis toujours, a été dominée par le jeu à somme nulle et toute la culture que cela suppose.
Je veux mentionner très brièvement deux choses. J'aimerais apporter une petite correction à l'exposé présenté par le directeur général des Affaires étrangères. Je vais vous parler de deux événements qui ont été très importants pour le système politique russe, puis j'apporterai ma petite correction.
En 2008, le président Poutine avait la possibilité de modifier la Constitution, de contrôler le parti dominant au Parlement et dans les parlements régionaux et de briguer un troisième mandat, mais il ne l'a pas fait. Ce faisant, la Russie a démontré qu'elle ne suit pas l'exemple de l'Asie centrale ou de certaines dictatures asiatiques. La Russie tente d'être plus progressiste, au sens des normes européennes.
De plus, deux des plus importants postes du pouvoir exécutif — les postes de président et de premier ministre — n'étaient pas des postes partisans, ce qui était atypique, selon les systèmes politiques habituels en Europe ou dans d'autres pays civilisés. M. Poutine a pris la tête du parti. Le nouveau président a remporté les élections et a été nommé par le parti, ce qui constitue une étape de plus vers la mise en place d'un régime de partis.
Le dernier élément que j'aimerais faire remarquer, qui est important, c'est que le président ne nomme plus les gouverneurs. Le parti qui a remporté les élections nomme son candidat, et le président doit nommer le candidat du parti gagnant, ce qui correspond à une espèce de système parlementaire à l'échelon local. La correction que je veux apporter est la suivante : je faisais partie du groupe Valdai quand on a demandé au président Poutine s'il allait briguer la présidence et se mesurer à M. Medvedev. Il n'a pas dit que nous allions décider qui serait le président. Il a dit que le groupe déciderait qui allait se présenter au nom du parti au pouvoir et que le peuple allait alors décider qui serait le président. Cette correction signifie que nul ne fera fi de la volonté du peuple, qu'il y aura une élection et que ces deux hommes n'ont pas encore décidé du prochain candidat.
Il est intéressant de constater qu'il est courant chez les médias occidentaux de parler de la confrontation entre le premier ministre et le président, de la concurrence entre eux et des conflits potentiels. Je ne crois pas que cela reflète la réalité, du moins pour l'instant. Bien entendu, il y a des membres de ces deux équipes qui ne se préoccupent que de leur destinée et de leur avenir et qui participent activement à ce genre de choses. Je ne crois pas qu'il soit utile de chercher à les monter l'un contre l'autre, ce qui se fait parfois, sans beaucoup de résultats. La semaine dernière, alors que j'étais à Washington et que je rencontrais les membres de l'administration Obama, c'est ce que je leur ai dit, et je crois qu'ils n'ont pas beaucoup apprécié. Ils avaient conseillé à Obama de faire ses commentaires avant de se rendre à Moscou. Il a dû présenter indirectement des excuses à M. Poutine pour avoir affirmé qu'il était non pas un homme de vision moderne, mais un homme du passé. M. Obama a dû lui faire beaucoup de compliments, ce qui n'aurait pas été nécessaire autrement.
Je vais parler très brièvement des priorités de la politique étrangère de la Russie moderne. La grande priorité en matière de politique étrangère est l'espace postsoviétique, et la Russie aimerait avoir un voisinage stable caractérisé par de bonnes relations entre tous ses voisins.
La deuxième priorité est l'intégration d'une partie de l'espace soviétique. Un processus est en cours à cette fin avec le Belarus et les autres pays membres de la Communauté économique eurasienne, y compris le Kazakhstan, le Belarus, la Russie, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Kirghizstan.
Une autre priorité consiste à empêcher toute expansion supplémentaire de l'OTAN vers l'est, par l'inclusion de pays comme l'Ukraine et la Géorgie. Une autre priorité récemment proposée par le président Medvedev est la nouvelle architecture de la sécurité euro-atlantique. De l'avis des représentants russes, les institutions existantes ne sont plus pertinentes dans le contexte des relations internationales modernes.
Le soutien aux forces de l'OTAN en Afghanistan est une autre priorité. À cet égard, non seulement le président Obama a décidé d'annuler le déploiement de cette troisième zone de position dans la République Tchèque et la Pologne, mais la Russie, pendant le sommet à Moscou, a signé une entente selon laquelle les Américains peuvent fournir des marchandises et des fournitures militaires ainsi que de l'armement à l'Afghanistan en passant par le territoire russe, ce qui souligne la réciprocité.
Bien entendu, la non-prolifération des armes nucléaires et des armes de destruction massive est une priorité de la Russie. En ce qui concerne cet enjeu, la Russie soutient activement les efforts déployés par la communauté internationale pour empêcher la Corée du Nord et l'Iran d'obtenir l'arme nucléaire.
Le président Medvedev a mentionné plusieurs autres choses pendant sa visite en Amérique du Nord, notamment la réforme du conseil de sécurité, qu'il a qualifié de désuet. Le président Medvedev renvoie toujours à cette notion, à savoir la nécessité de créer de nouvelles structures internationales qui permettraient de gérer de manière plus efficace la crise financière et économique qui est survenue l'an dernier dont la collectivité mondiale subit toujours les contrecoups.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Monsieur Migranyan, je suis heureux que vous nous rappeliez que la Russie est encore un très jeune pays et qu'elle subit certaines des épreuves propres à un pays jeune.
Le sénateur Wallin : J'ai aimé votre exposé. Afin que nous comprenions mieux en quoi consiste votre groupe et qui vous représentez, vous avez été conseiller de M. Yeltsine à un moment dans votre carrière. Est-ce exact?
M. Migranyan : Oui.
Le sénateur Wallin : Votre organisme à New York est-il financé par des fonds privés ou publics?
M. Migranyan : Il s'agit d'une organisation non gouvernementale, mise sur pied par 15 organismes membres de chambres publiques en Russie. J'en suis à mon second mandat à la chambre publique. Nous avons ouvert des bureaux à Paris et à New York. Depuis longtemps, nous pensions qu'il fallait une tribune pour discuter de la nature de la démocratie. Quel est le but de la Russie face aux États-Unis ou à l'Europe? Quelles sont les causes de leur mécontentement ou l'origine des controverses? C'est pourquoi, étant à New York depuis plus d'un an, j'organise régulièrement différents types de conférences, de colloques et de réunions.
Le sénateur Wallin : Dans certaines entrevues que vous avez données, vous avez décrit votre mandat comme étant l'étude de la démocratie occidentale, pas de la démocratie russe.
M. Migranyan : C'est vrai, mais ce qui compte, c'est que j'ai créé une équipe. Quand j'en ai parlé à M. McFaul à la Maison-Blanche la semaine dernière, il m'a dit qu'il était très envieux — il est l'assistant spécial du président Obama sur la Russie — et que s'il a le temps, il viendra participer au colloque. J'ai réuni les meilleurs théoriciens et politologues en matière de démocratie, comme Adam Przeworski et Stephen Holmes, de l'Université de New York, et Ian Shapiro et John Dunn, de Cambridge, en Grande-Bretagne. Quand nous organisons ce type de colloque, j'amène des participants russes et nous parlons de la démocratie en général. Un des livres qui sera publié très bientôt est intitulé Limits of Democracy. Nous nous intéressons à ce qu'est la démocratie en Occident. Il nous faut apprendre et comprendre comment fonctionne ce système ou ce modèle pour le suivre.
Le sénateur Wallin : Vous décririez-vous — comme je l'ai lu dans un article — comme faisant partie des sphères d'influence de la Russie moderne? Des entreprises de relations publiques sont embauchées, et nous avons entendu des témoignages de personnes agissant à titre de médiateurs entre les entreprises russes et canadiennes. La Russie adopte une approche plus dynamique. Vous décririez-vous ainsi? Êtes-vous fier de cette description?
M. Migranyan : Si je pouvais me décrire, je serais très fier de faire partie des sphères d'influence. C'est beaucoup mieux que de faire partie des sphères de coercition.
Votre description n'est pas tout à fait juste, vu mes antécédents. J'ai travaillé aux États-Unis à la fin des années 1980 et au début des années 1990. J'ai étudié les affaires américaines, la sociale-démocratie, la démocratie puis les sciences politiques occidentales, ce qui signifie que je parle la même langue. Je partage les mêmes croyances et les mêmes idées. C'est pourquoi il m'est plus facile de communiquer avec mes amis ici.
Le sénateur Wallin : Je ne sais pas si cela contredit certaines des choses que vous avez affirmées, mais vos déclarations antérieures donnent à penser que vous croyez que Barack Obama pourrait, d'une manière ou d'une autre, faire de la fin de la Guerre froide une réalité et que nous pourrions enfin tirer parti des bénéfices de la paix, et je ne veux pas dire sur le plan financier. C'est ce que vous croyez?
M. Migranyan : J'ai écrit cela une semaine avant l'élection, parce que je croyais qu'Obama allait gagner. Malheureusement, la Guerre froide n'est pas encore terminée, parce que la Russie ne fait pas partie d'un système de sécurité universel qui inclut les États-Unis, le Canada et les pays européens. La Russie se sent isolée et considère l'OTAN comme une menace. Tant que cela dure, la Guerre froide se poursuit. Je ne suis pas le seul de cet avis. D'éminents théoriciens comme Mike Mandelbaum et d'autres condamnent l'expansion unilatérale de l'OTAN orchestrée par Bill Clinton qui, a isolé la Russie et nous isolés de notre pays dans les années 1980 et a aussi, à certains égards, été cause d'humiliation.
Le sénateur Dawson : Grâce au merveilleux monde de Google, nous avons visité le même site et le sénateur Wallin a volé ma question. J'ai fait la même chose; j'ai été voir le site de l'Institut et j'ai vu les mêmes commentaires. Vos réponses jettent un peu de lumière sur votre rôle, qu'il s'agisse de l'influence ou de simples relations publiques.
Tout d'abord, ne vous méprenez pas sur mes intentions : je serais ravi que vous établissiez un bureau au Canada. Nous serions très heureux de vous accueillir. Il est dans l'intérêt de tous que nous échangions le plus d'information possible. C'est important pour nous. Nous devons savoir à qui nous parlons parce que vous vous retrouvez à la télévision et sur Internet. Il est très important pour les gens qui écoutent de savoir qui vous paie et qui sont les gens que vous représentez.
Vous avez parlé d'une immigration touchant de 5 à 10 millions de personnes. Où vont-elles en Russie? Se dirigent- elles vers les grandes villes ou vers les vastes étendues où l'on exploite les ressources naturelles? Où s'établissent-elles? Même s'il s'agit d'immigrants illégaux, nous tentons de suivre leur trace.
M. Migranyan : Bon nombre de ces immigrants travaillent dans le domaine de la construction parce que la main- d'œuvre est abondante et peu coûteuse. Ils habitent des taudis, n'ont pas de droits et ont peu de débouchés. C'est pourquoi on les utilise là-bas. Ils se retrouvent principalement dans les régions des grandes métropoles et dans des endroits riches où il y a de la construction.
À part eux, il y a beaucoup de gens qui viennent en Russie pour être gardiennes d'enfants dans les résidences des nouveaux membres de la classe moyenne et des classes supérieures. Par exemple, à Moscou, il n'y a pas un Moscovite qui acceptera ce genre de travail. Dans ma famille, il y avait un petit enfant et nous en étions à notre sixième ou septième bonne d'enfants. Elles viennent de Moldavie, d'Ukraine et d'ailleurs. C'est le genre de personnes qui viennent en Russie.
Cependant, dans les régions orientales, le problème est tout autre. Le président de la chambre publique de la stratégie nationale du développement a fait observer à quel point il est difficile de trouver des ouvriers dans des endroits comme Irkoutsk, Tchita et Vladivostok. Là-bas, il y a un manque de ressources humaines, alors que la Chine est tout près et a d'importants bassins de ressources humaines. Nous n'avons pas encore travaillé sur les lois pour déterminer qui peut venir en Russie, quels devraient être les quotas et quelles seront les conséquences politiques de ces décisions.
Mon prochain colloque avec les Américains, assorti d'une conférence, aura lieu le 21 octobre, à Washington, en collaboration avec le Woodrow Wilson International Centre for Scholars. Au cours des deux jours qui suivront le colloque, des Russes participeront à une conférence américaine, car la prochaine priorité de M. Obama est la loi américaine sur l'immigration.
Le sénateur Dawson : La définition que vous donnez des immigrants illégaux ressemble beaucoup à celle des États- Unis ou à la nôtre. Ils cherchent tous la même chose.
Le sénateur Andreychuk : Je voudrais que nous parlions de l'OTAN. On entend beaucoup dire que ce n'est pas tant le fait que la Russie s'est sentie humiliée par l'OTAN, même si cela a joué un rôle. Après l'effondrement de l'Union soviétique, l'effort que l'Occident aurait dû déployer n'était pas suffisamment englobant. Ce n'était pas seulement l'OTAN.
Si nous regardons strictement l'OTAN, c'est un fait. L'OTAN continuera d'exister. L'OTAN veut entretenir une relation avec la Russie, mais refuse que cette dernière lui dicte son fonctionnement interne.
Quelle serait la bonne manière pour l'OTAN d'aborder la Russie pour relancer la relation, compte tenu du déclenchement du problème géorgien, de la crise économique, et cetera? Il existe un moment pour revoir les paramètres de cette relation. Que nous recommandez-vous?
M. Migranyan : L'Occident a eu deux bonnes occasions de résoudre ce problème. La première, c'était après la chute de l'Union soviétique, quand la Russie était prête à se joindre à l'OTAN. Les Russes ne considéraient pas qu'ils avaient été défaits; les Russes ont défait le communisme eux-mêmes. Personne n'est venu ni n'a renversé le Parti communiste par la force. Les Russes l'ont fait eux-mêmes. C'est pourquoi la Russie était mécontente d'être traitée comme une nation défaite. Après un tel exploit, elle méritait de faire partie du monde civilisé; elle voulait y être pour partager les mêmes responsabilités.
Malheureusement, nos partenaires de l'époque avaient décidé que l'Occident pouvait tout simplement faire fi de la Russie parce qu'elle était faible, désorganisée et plongée dans le chaos. Je me souviens du début des années 1990. J'étais au Kremlin à l'époque, et j'exerçais à la Maison-Blanche les fonctions de conseiller principal du comité sur les relations étrangères avec le Parlement russe. Nous avions tenté de convaincre nos partenaires que ce n'était pas la bonne chose à faire.
La deuxième occasion s'est présentée quand la Russie a appuyé fermement les forces de l'OTAN en Afghanistan. À ce moment-là, on avait évoqué la possibilité que la Russie fasse partie d'une structure de sécurité universelle comme l'OTAN.
Récemment, j'ai lu quelque chose qui m'a encouragé, un article rédigé par une personne que nul ne pourrait soupçonner d'être un sympathisant de la Russie. Dans le plus récent numéro de Foreign Affairs, Zbigniew Brzezinski a écrit que l'OTAN devrait peut-être signer un traité avec l'OTSC, puis avec l'Organisation de coopération de Shanghai pour créer une structure de sécurité universelle.
Au cours d'une réunion avec un Français célèbre et d'autres personnes à Moscou, j'ai laissé entendre que, si quelqu'un avance que le Congrès de Vienne était la meilleure tribune pour que quelques pays décident entre eux du sort du monde, alors qu'est-ce que l'OTAN? Au chapitre de la sécurité et de la puissance militaire, c'est les États-Unis. Qu'est-ce que l'OTSC? C'est la Russie. Qu'est-ce que l'Organisation de coopération de Shanghai? C'est la Russie et la Chine. Ces trois pays devraient se réunir et décider de la nouvelle architecture de sécurité qu'ils aimeraient mettre en place, et inviter des pays comme le Canada ainsi que d'autres à participer au façonnement de ce nouveau système.
Le monde est mûr pour un nouveau système. Il doit y avoir une nouvelle vision. La nouvelle administration américaine montre quelques signes de volonté d'agir. Cependant, il est difficile de dire jusqu'où elle est prête à aller. Le dossier des soins de santé qui occupe l'administration Obama lui rendra la tâche très difficile quand il s'agira de faire des progrès dans d'autres domaines.
Le sénateur Mahovlich : Qui sont les plus importants partenaires politiques de la Russie, sur le plan tant politique qu'économique?
M. Migranyan : Bien entendu, c'est l'Union européenne, qui représente de 50 à 60 p. 100 de nos échanges commerciaux. Au sein de l'Union européenne, l'Allemagne est le principal partenaire, particulièrement dans le cadre de ce nouveau projet de construction.
À l'Est, la Chine et l'Inde sont très importants, de même que la Turquie. Vous ne le croiriez peut-être pas, mais la valeur des échanges commerciaux entre la Russie et la Turquie s'élève à presque 40 milliards de dollars.
Le sénateur Mahovlich : Où se situe le Canada dans tout ça?
M. Migranyan : J'aimerais saisir cette occasion pour répondre à la question de savoir si le Canada devrait travailler directement avec la Russie ou passer par l'Europe de l'Est. Je souscris à l'opinion du directeur général selon laquelle il est préférable d'agir directement. J'ai entendu dire que le Canada développe maintenant ses régions de l'Ouest. Il est facile pour nous de communiquer avec l'Ouest canadien en passant par nos régions de l'Extrême-Orient et du Nord. Ce sont des régions où l'on trouve beaucoup de richesses et qui ont besoin de technologies et d'investissements.
Pour cette raison, le Canada a un avenir prometteur. J'organiserai des colloques avec des centres ici au Canada, peut-être à Ottawa, au sujet du fédéralisme. J'amènerai peut-être des gens des régions de l'Extrême-Orient et du nord de la Russie pour discuter de ces problèmes.
Le président : Merci. Une fois de plus, nous nous excusons de notre retard. Nous n'avons pas de contrôle sur ce qui se passe en chambre. Comme vous l'avez constaté, notre collègue, le sénateur Colin, vient tout juste d'arriver. L'ajournement de la séance du Sénat n'a eu lieu qu'il y a environ 20 minutes. Je suis heureux que l'on nous ait permis de siéger pendant la séance du Sénat.
M. Migranyan : J'ai travaillé au Soviet suprême russe et à la Douma. Je sais comment ils fonctionnent. Ils font parfois pire encore.
Le président : Merci, monsieur Migranyan, de vos sages paroles. Nous tiendrons compte de certains de vos conseils lorsque nous poursuivrons notre recherche.
Honorables sénateurs, j'ai encore besoin de vous pour un moment, mais il nous faut aller à huis clos. J'ai besoin de vous pour régler rapidement deux questions.
Nous avons une motion pour permettre au personnel de demeurer dans la salle tandis que nous serons à huis clos. Plaît-il au comité d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)