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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 20 avril 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 18 h 34 pour faire l'étude des questions de discrimination dans les pratiques d'embauche et de promotion de la fonction publique fédérale, étudier la mesure dans laquelle les objectifs pour atteindre l'équité en matière d'emploi pour les groupes minoritaires soient réalisés et examiner l'évolution du marché du travail pour les groupes des minorités visibles dans le secteur privé.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous avons étudié la question de la Commission de la fonction publique et tous les autres organismes et groupes d'emploi du gouvernement fédéral. Nous avons déposé plusieurs rapports, et nous sommes sur le point d'en déposer un autre.

Je suis heureuse que nous puissions élargir notre débat ce soir avec des témoins du Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale, le CNMV. Nous accueillons M. Igho Natufe, président; Mme Catherine Kizito, agente administrative principale et M. Marcel Kabundi, président du Comité du CNMV au Service correctionnel du Canada. M. Waheed Khan est membre du comité consultatif des minorités visibles à Environnement Canada.

Igho Natufe, président, Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale (CNMV) : Merci beaucoup de nous avoir invités à délibérer avec vous ce soir sur le sujet que vous avez annoncé. Ceci est notre deuxième comparution devant le comité. Nous sommes venus il y a 15 mois, et depuis lors, nous avons entrepris une série d'activités en rapport avec le travail du comité. Nous avons envoyé des exemplaires de notre premier rapport annuel au greffier du Conseil privé et à ce comité, lequel rapport traite de la plupart des enjeux dont nous allons parler ce soir.

Vous avez reconnu mes collègues qui m'accompagnent pour faire cette présentation. Je n'ai pas l'intention de lire intégralement mon document d'observations préliminaires, parce que je pense que nous aurons besoin de plus de temps pour un débat rationnel à l'occasion de la période de questions et réponses. Je sauterai deux ou trois sections de ce document pour me concentrer sur la disponibilité au sein de la population active et d'autres parties du rapport.

À partir des résultats des recensements nationaux de Statistique Canada, RHNDC calcule la disponibilité dans la population active des quatre groupes visés par la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Cela ne tient pas compte des immigrants reçus ou les résidents permanents, ce que le CNMV juge problématique dans la fonction publique fédérale, en regard de la pratique observée dans le secteur privé où les immigrants reçus sont pris en compte.

Par exemple, dans le cas du recensement de 2006, on constate que les chiffres concernant les femmes englobent les immigrantes reçues, mais, étonnant, pas celles qui font partie de minorités visibles. Nous aimerions savoir pourquoi. Nous savons que certaines des femmes qui sont comptées dans la catégorie des femmes sont aussi membres de minorités visibles. Par conséquent, la question se pose à savoir si elles sont incluses dans les chiffres concernant les femmes, mais exclues du calcul des minorités visibles. Nous avons posé la question à la CFP et nous estimons que les ministères et organismes devraient avoir une méthode plus proactive de calcul de la disponibilité au sein de la population active.

Avant le recensement de 2006, ils se fondaient sur le recensement de 2001, qui avait déjà huit ans. Même huit ans plus tard, ils étaient incapables de respecter les anciens critères.

Nous avons proposé au Conseil privé et aux ministères et organismes fédéraux une méthode de projection qui nous épargnera la peine d'attendre 10 ans. Dans l'état actuel des choses, les ministères ne sont pas tenus de se conformer à la loi parce que chaque année, nous sommes en retard dans les calculs de la manière d'atteindre les cibles de représentativité de l'effectif. Si nous avions un système de projection, nous pourrions connaître le chiffre pour une année à venir donnée.

Les ministères et organismes fédéraux sont tenus d'appliquer les règles de disponibilité de la population active dans l'emploi et la promotion des membres des quatre groupes visés par la loi à tous les niveaux et catégories dans leurs institutions respectives. Malheureusement, en ce qui concerne les minorités visibles, presque aucun ministère et organisme n'a pu se conformer aux exigences fondamentales de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Comme l'a dit Kevin Lynch, le greffier du Conseil Privé, dans le Seizième rapport annuel au premier ministre sur la fonction publique du Canada :

L'atteinte d'une véritable représentativité de l'effectif dans la fonction publique demeure un objectif important. Notre objectif à cet égard est de doter la fonction publique d'un effectif qui soit véritablement représentatif de la diversité canadienne à tous les niveaux. Nombreux sont ceux qui estiment que si nous avons pu faire des progrès concrets sur le plan de la représentation des sexes — et c'est le cas —, nous pouvons sûrement en faire autant pour les personnes handicapées, les Autochtones et les membres des minorités visibles. C'est un défi que nous acceptons de relever.

C'est là l'enjeu fondamental avec lequel le CNMV se débat depuis sa création il y a dix ans, un enjeu qui a été souligné dans les recommandations d'ouverture au changement que le gouvernement fédéral a appuyées et auxquelles a souscrit le gouvernement du Canada en 2000.

Notre analyse des rapports annuels de la CFP et du Conseil du Trésor, ainsi que des plans d'équité en matière d'emploi de la plupart des ministères et organismes, fait constamment ressortir les importantes lacunes dans la représentation des minorités visibles, particulièrement dans les postes de cadres intermédiaires et supérieurs.

Bien que certains ministères, comme Santé Canada et NRCan par exemple, s'en tirent relativement bien, mais qu'il reste encore beaucoup à faire, la plupart des ministères et organismes, dont le BCP, le SCC, Justice Canada, Patrimoine et l'APECA, traînent de la patte. On compte parmi les obstacles au recrutement et à la promotion des membres de minorités visibles les attitudes ethnoculturelles et raciales de la plupart des agents d'embauche et des cadres supérieurs, en dépit des politiques et programmes louables que les ministères ont adoptés.

Après une période de déni, le ministère de la Justice a été forcé de reconnaître ce phénomène et d'ordonner à ses gestionnaires dans tout le pays d'offrir des cours obligatoires de lutte contre le racisme et de sensibilisation à la diversité culturelle.

La CFP et l'un des principaux intervenants du CNMV. Elle joue un rôle déterminant en établissant les politiques et pratiques axées sur le recensement et l'élimination des obstacles systémiques qui influent sur l'emploi et la promotion du personnel dans la fonction publique. Ce rôle a d'importantes répercussions pour les minorités visibles. Ainsi, les rapports annuels et relevés de la CFP sur l'équité en matière d'emploi revêtent pour nous, au CNMV, un intérêt particulier.

L'un des obstacles que la CFP a involontairement intégré au système est le « concept de correspondance parfaite » de la LEFP. Il a permis à la plupart des gestionnaires de pratiquer légalement la discrimination à l'égard des candidats membres de minorités visibles.

Nous trouvons troublant que dans son rapport annuel au Parlement de 2007-2008, la CFP ait omis d'inclure les données sur la situation des minorités visibles dans la fonction publique, en faisant valoir que les chiffres concernant les minorités visibles que contenaient les rapports antérieurs avaient été sous-estimés. Je vous invite à voir l'Annexe 2, que vous avez dans la pièce jointe.

La présentation qu'a faite la CFP devant ce comité le 23 mars 2009 a soulevé des questions fondamentales relativement à sa crédibilité et à sa légalité en regard de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Elle prétend que son soi- disant nouvel outil de calcul du nombre de candidats aux postes affichés à l'externe, la CFP prétend que « le taux de recrutement des minorités visibles était de 15,6 p. 100 en 2006-2007 et 17,3 p. 100 en 2007-2008 ».

Il est intéressant que le Conseil du Trésor indique dans son rapport que les minorités visibles comptaient pour 9,2 p. 100 de tous les nouveaux employés en 2007-2008, soit une augmentation de 0,5 p. 100 comparativement à 2006-2007. Nous invitons la CFP à fournir une liste ventilée des 17,3 p. 100 de personnes embauchées en 2007-2008, en prenant soin d'indiquer leur statut d'emploi ainsi que leur niveau et catégorie professionnelle dans leurs ministères et organismes respectifs.

La méthode qu'a employée la CFP pour produire ces données est douteuse. Elle a intégré l'autodéclaration dans le processus de calcul par opposition à l'auto-identification prescrite par la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Dans un document de février 2007, la CFP offrait l'explication suivante :

Pour établir une distinction entre les exigences de la LEE et celle de la LEFP, la CFP prépare actuellement un nouveau formulaire d'autodéclaration qui remplacera le formulaire actuel dans le système de demande interne. Le formulaire peut aussi servir de modèle pour le système de demande automatisée externe. La CFP préparera un outil qui servira à éclaircir les circonstances lorsqu'un postulant ou une postulante devra faire une autodéclaration.

Nous mettons en doute le droit de la CFP de créer un formulaire d'autodéclaration pour remplacer celui d'auto- identification que contient actuellement le système de demande interne. L'auto-identification constitue une exigence de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Sans une modification de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, le CNMV est d'avis que le recours à l'autodéclaration aux fins de l'équité en matière d'emploi est illégal. De plus, puisque la CFP prétend que l'autodéclaration relève de sa compétence en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, son utilisation suscite certaines préoccupations relativement à la Charte des droits des Canadiens. Nous voulons savoir si tous les Canadiens — y compris les hommes blancs d'origine canadienne, sont tenus de s'autodéclarer quand ils posent leur candidature à un poste. Dans la négative, l'autodéclaration est une violation du droit à l'égalité défini à l'article 15.1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le CNMV estime qu'il est illégal de la part de la CFP d'employer l'autodéclaration et d'établir des correspondances avec l'auto-identification en partant du nombre de candidats membres de minorités visibles qui se sont autodéclarés pour déterminer le nombre de ceux qui s'auto-identifient. Nous invitons le comité à se pencher sur cette question.

Dans son document de discussion de février 2007, la CFP écrit :

La CFP examine actuellement la possibilité d'obliger les personnes qui posent leur candidature à des processus de nomination internes et externes à l'intention des Autochtones à remplir un « formulaire de déclaration pour leur participation au Programme d'emploi des Autochtones » et à fournir l'information et les documents pertinents pour attester leur statut d'Autochtones.

Bien que l'autodéclaration ait des ramifications historiques et juridiques particulières pour les Canadiens d'origine autochtone, elle ne revêt aucune pertinence concrète pour les minorités visibles. Ainsi, si la CFP devrait étendre l'emploi de l'autodéclaration pour englober les membres de minorités visibles et tous les Canadiens posant leur candidature à des emplois dans la fonction publique fédérale, il faudrait indiquer les renseignements pertinents et la documentation qu'ils doivent fournir en vertu de la loi pour étayer leur statut.

Pour terminer, nous reconnaissons le bon travail que fait la CFP pour favoriser la représentation des minorités visibles dans la fonction publique fédérale au moyen du perfectionnement et de la promotion de cadres préalablement qualifiés membres de minorités visibles, du Programme d'avancement professionnel et du Programme de stagiaire en gestion.

Le CNMV continuera de collaborer avec tous les intervenants, y compris la CFP et le Conseil du Trésor, pour augmenter l'emploi, le maintien en poste et la promotion des membres de minorités visibles grâce à un système de dotation ouvert, juste et transparent dans la fonction publique. Cependant, en sa qualité de partenaire important dans notre quête, la CFP doit être prête à faire part des méthodes qu'elle emploie au CNMV et l'ensemble des intervenants. Ainsi elle démontrera la transparence, la légalité et la crédibilité de sa méthodologie. Nous proposons que le commissaire à la protection de la vie privée soit invité à vérifier la légalité et la méthodologie employées par la CFP pour parvenir à ses conclusions.

Les doutes et l'incertitude quant à la légitimé entourant le rapport annuel de 2007-2008 et la présentation qu'a faite la CFP le 23 mars devant ce comité viennent appuyer la demande que fait le CNMV d'un organe indépendant pour évaluer le rendement de la fonction publique dans l'application de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Nous réitérons ici cette demande en demandant la nomination d'un commissaire à l'équité en matière d'emploi investi de pleins pouvoirs pour assurer le suivi des progrès réalisés par les divers ministères et organismes pour ce qui est de satisfaire aux exigences de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, et d'en rendre compte au Parlement.

Nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Jaffer : Je crois que le but visé est d'avoir un membre de minorités visibles sur cinq employés. Dans quelle mesure sommes-nous proches de cet objectif?

M. Natufe : Nous en sommes loin; c'est près d'un sur dix.

Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous expliquer ce qu'est la « correspondance parfaite »?

M. Natufe : L'expression Dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, permet au gestionnaire de décider qui convient le mieux pour son organisation. Le concept a été utilisé pour déterminer la pertinence d'un candidat au plan culturel ou autres.

Le sénateur Jaffer : Je suis sûre que vous avez lu le témoignage de Mme Barrados devant ce comité. Je me suis inquiétée quand elle a parlé des postes non annoncés. Elle semblait frustrée en disant que les postes non annoncés justifient l'existence d'une politique. Il n'y a pas de reddition des comptes, relativement à ces postes. Peut-être est-ce que j'interprète ses propos. Pouvez-vous nous dire ce que pense votre organisation des postes non annoncés?

M. Natufe : Je suis heureux que Mme Barrados admette le problème des postes non annoncés, qui ont posé bien des problèmes. Le rapport annuel de 2006-2007 de la CFP traite de cette question, en disant que la plupart des gestionnaires ont recours aux postes non annoncés au moyen de nominations intérimaires. Celles-ci comptent pour 41,3 p. 100 de toutes les promotions. Cette pratique est discriminatoire à l'égard des minorités visibles.

Ce n'est pas le CNMV qui le dit. C'est dans le rapport annuel de 2006-2007 de la CFP. C'est une source de grandes préoccupations pour nous, en tant qu'organisation, puisque nos membres se font refuser — la plupart du temps — des possibilités de nomination intérimaire. La plupart de ces postes non annoncés sont comblés à titre provisoire. Après un bout de temps, le titulaire intérimaire a la possibilité de participer au concours et, bien entendu, obtient le poste.

Le sénateur Jaffer : Es-ce que c'est là qu'entre en jeu le concept de la « correspondance parfaite »?

M. Natufe : La correspondance parfaite en est un élément.

Le sénateur Jaffer : J'ai une question sur l'auto-identification et l'autodéclaration. J'apprécie votre explication et j'étudierai la recommandation que vous avez faite.

Quand je parle à bien des employés de la Commission de la fonction publique, ils ne veulent pas s'auto-identifier parce qu'ils craignent de ne pas obtenir le poste. Quelle a été l'expérience de votre organisation relativement aux gens qui ne veulent pas s'auto-identifier?

M. Natufe : Nous avons demandé à la Commission de la fonction publique et à l'employeur — le Conseil du Trésor — d'expliquer aux employés, et aux Canadiens, les avantages que présente l'auto-identification. Si un employeur ne peut expliquer ces avantages à ses employés, c'est à l'employeur qu'il incombe de le faire. Le CNMV dialogue avec la haute direction. Nous l'avons rencontrée le 12 septembre l'année dernière et avons amplement discuté de ce problème.

Quand les gens posent la question, les gestionnaires répondent qu'ils ne peuvent combler l'écart que si les employés s'auto-identifient. Cependant, ce qu'il faudrait savoir, c'est s'ils ont besoin de s'auto-identifier pour que les gestionnaires reconnaissent leur qualité, leur expertise et ce qu'ils ont à offrir? C'est en fait un prétexte qu'emploient les divers gestionnaires pour éviter la question délicate.

Le sénateur Jaffer : La dernière fois que vous avez comparu devant le comité, vous avez parlé avec beaucoup de conviction de la manière dont les femmes membres de minorités visibles font l'objet d'une double discrimination. Elles ne sont pas embauchées parce qu'elles font partie d'une minorité visible et parce qu'elles sont des femmes. Avez-vous des statistiques pour étayer cette affirmation? Est-ce que la question a été étudiée plus en profondeur?

M. Natufe : Nous avons les statistiques, mais je ne les ai pas avec moi aujourd'hui, bien que je puisse les faire parvenir au comité. Deux grands problèmes sous-tendent le mouvement vers l'équité en matière d'emploi. Le premier, que je suis sûr que vous connaissez, est si c'est une francophone. Par définition, « francophone » exclut les francophones membres de minorités visibles d'Haïti, du Sénégal, du Vietnam et d'ailleurs. Les femmes sont exclues comme femmes quand le compte est fait. Si vous regardez la liste des directeurs, sous-directeurs, sous-ministres adjoints et sous-ministres au gouvernement fédéral, vous verrez que les femmes membres de minorités visibles y sont largement sous-représentées.

Le sénateur Poy : Vous avez dit que la Commission de la fonction publique avait une méthodologie douteuse. Quand Mme Barrados a comparu devant ce comité, j'ai essayé d'obtenir d'elle une explication sur la manière dont le pourcentage est soudainement changé, mais son explication n'était pas claire. Savez-vous comment ils parviennent à ce pourcentage différent? Quelle est la différence entre l'autodéclaration et l'auto-identification?

M. Natufe : Nous savons tous que la Loi sur l'équité en matière d'emploi exige des membres des quatre groupes de s'auto-identifier. La LEE définit aussi les minorités visibles comme étant des Canadiens qui ne sont pas Autochtones ou de couleur blanche ou europoïde. Par définition, les membres de minorités visibles sont des gens de l'Asie, du Moyen-Orient, de l'Afrique, des Caraïbes, de l'Amérique du Sud ou les hispanophones. Quand on présente sa candidature, on doit s'auto-identifier en cochant une case pour indiquer qu'on est un Asiatique du Sud-Est, Philippin, Noir, Chinois, Japonais ou autre. C'est cela, l'auto-identification.

L'autodéclaration est née du mouvement des Autochtones parce qu'ils avaient des motifs de croire que certaines personnes au gouvernement, à tort selon eux, s'auto-identifiaient et, ainsi, tiraient parti du statut d'Autochtones. Ils ont demandé que le test englobe l'autodéclaration de manière à ce que si on se déclare Autochtone, il faut indiquer à quelle nation on appartient et quel traité nous lie. Ainsi, le fait historique est employé pour étoffer le statut dans l'autodéclaration, ce qui fait la différence avec l'auto-identification. Je peux m'auto-identifier comme Autochtone, mais on me demanderait de m'autodéclarer.

Le sénateur Poy : L'autodéclaration inquiète les Autochtones.

M. Natufe : Non, l'autodéclaration a commencé avec les Autochtones. La CFP s'en est servie pour instituer l'autodéclaration. Dans le document de discussion de février 2007, la CFP s'appuie sur l'autodéclaration pour remplacer l'auto-identification. Nous avons ces documents, si vous voulez les voir.

Comment peut-on instituer un nouveau concept qui n'a pas été clairement défini pour les intervenants et s'en servir pour remplacer un concept existant qui est prescrit par la Loi sur l'équité en matière d'emploi?

Le sénateur Poy : Vous avez parlé des gens originaires de l'Asie et de l'Afrique. Qu'en est-il de ceux qui ont des origines mixtes? Par exemple, j'ai parlé à une femme dont le père était Asiatique et la mère Européenne. Elle m'a dit qu'elle craignait de ne pas trouver d'emploi et elle teignait ses cheveux en blond. Elle avait l'allure europoïde — elle tenait plus de sa mère. Elle est francophone. Comment s'auto-identifier? Faut-il ressembler à un membre de minorité visible pour en être un?

M. Natufe : C'est une excellente question. Bon nombre de nos membres ont des mères europoïdes. L'un d'eux a proposé qu'il y ait un groupe pour les personnes au sang mêlé. Ça dépend de la société. Certaines sociétés sont patrilinéaires, et les personnes dont le père est originaire des Indes orientales et la mère de l'Angleterre ou de la France diront être des Indiens d'Asie.

Le sénateur Poy : Au Canada, si cette personne a une apparence anglaise, comment peut-elle s'auto-identifier? Cela dépend de chacun.

M. Natufe : Oui. L'auto-identification est volontaire, elle n'est pas prescrite par la loi. C'est pourquoi le groupe autochtone a proposé l'autodéclaration. Quelqu'un pourrait se dire Autochtone et en tirer tous les avantages, alors c'était pour protéger leurs propres intérêts. La CFP a emprunté ce concept pour l'intégrer au système d'embauche sans offrir de définition claire aux intervenants.

Le sénateur Poy : Vous avez dit que vous aimeriez un processus d'embauche qui soit transparent. L'avez-vous proposé à la CFP? Comment cela peut-il se faire?

M. Natufe : La CFP s'est plainte à ce comité des postes non annoncés, un processus qui manque de transparence. Nous demandons que ces postes soient annoncés et que les membres d'un comité de sélection soient sensibilisés aux sensibilités culturelles de tous les candidats. Par exemple, si je ne regarde pas les membres d'un comité dans les yeux quand je leur parle, c'est par respect. Cependant, si je devais agir ainsi dans un contexte où les membres du comité ne comprennent pas cette culture, ils pourraient en conclure que je suis timide et que je ne réponds pas aux besoins du poste.

Un processus ouvert et transparent prévoirait la sensibilisation aux cultures de tous les candidats. De plus, les membres du comité représenteraient les divers groupes qui comprennent les particularités de chacun.

Le sénateur Poy : Est-ce à dire qu'actuellement, il n'existe pas de tel groupe pour se pencher sur cet aspect de l'embauche et de la promotion à la CFP?

M. Natufe : À la CFP, l'embauche se fait toujours en ligne, mais les ministères et organismes ont un processus d'entrevue en personne. C'est au niveau de l'organisme ministériel que le problème est plus prononcé.

Le sénateur Poy : Même si l'embauche se fait en ligne, il faut quand même passer des entrevues.

M. Natufe : C'est exact. Nous sommes sélectionnés d'après les candidatures présentées en ligne.

La présidente : Vous voulez supprimer le concept de la correspondance parfaite de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

M. Natufe : Oui.

La présidente : Est-ce que cela signifie que ce concept de correspondance parfaite, c'est-à-dire de correspondance pour un poste particulier dans un ministère, et cetera, supprime le principe du mérite?

M. Natufe : Non.

La présidente : Nous aimerions que vous disiez aux fins du compte rendu comment vous faite la distinction entre le concept du mérite et celui de la correspondance parfaite.

M. Natufe : Avant l'instauration du concept de la correspondance parfaite, le « mérite » était défini comme les qualités nécessaires pour exécuter les fonctions d'un poste donné. On détermine si le candidat A ou B est plus qualifié à la lumière de la description du poste et de l'expérience, des qualifications et des études du candidat, et on décide s'il est plus qualifié.

La correspondance parfaite est un concept instauré en 2005 et elle n'a pas préséance sur le mérite. Un employeur peut déterminer qu'une candidate, même si elle est moins qualifiée, s'intégrera mieux à un environnement qu'un autre candidat.

Nous disons que nous voulons avoir la possibilité de nous mesurer aux autres candidats selon le principe du mérite, et non selon celui de la correspondance parfaite. Nous voulons abandonner le concept de la correspondance parfaite et rétablir celui du mérite comme étant le critère déterminant de la capacité d'un candidat d'exécuter les fonctions du poste.

La présidente : Est-ce que vous êtes pour ou contre l'auto-identification? Je vous pose la question avec le plus grand sérieux, parce que ce pays a été fondé sur de nombreuses valeurs fondamentales, dont l'une fait que je pourrais déterminer, dans une très large mesure, mon propre avenir, pour ainsi dire. Nous ne voyons pas d'un très bon œil que les gouvernements interviennent et s'expriment pour nous. Nous n'oublions pas que des gouvernements d'autres pays ont identifié des groupes, et ce que cette identification a engendré.

L'auto-identification est un principe avec lequel j'ai grandi, selon lequel je déterminerai si je veux être perçue comme une personne europoïde, noire, jaune, une femme, un homme, un avocat ou un marin. Autrement dit, je déterminerai, dans la plus large mesure possible, ce qui me définit.

Nous ne vivons pas dans un monde idéal, et c'est très difficile. C'est un monde qui juge, à bien des égards, particulièrement au plan de l'emploi. Si nous ne vous laissons pas la discrétion de dire « je veux soit participer aux concours partout, soit être perçu comme membre d'une minorité visible », comment pourrions-nous aider les minorités visibles si ce n'est au moyen de l'auto-identification? Quel principe appliquerait-on?

D'après ce que je comprends des témoignages présentés devant ce comité et de mes propres recherches, bien qu'elle ait ses défauts, l'auto-identification est une mesure plus importante de la liberté pour l'individu que tout ce qu'on a pu trouver d'autres. Nous ne l'avons pas bien fait comprendre, et nous n'avons pas expliqué pourquoi c'est un meilleur modèle et en quoi il est avantageux pour tous, mais c'est pourquoi je vous le demande. Êtes-vous d'accord sur le fait qu'actuellement, notre meilleur outil, c'est l'auto-identification?

Je laisse de côté l'autodéclaration parce que vous vous êtes bien fait comprendre sur le sujet, et nous devrons nous pencher sur la question. À propos de l'auto-identification, toutefois, si nous ne faisions qu'en rester là, est-ce vraiment ce que nous pouvons faire de mieux et nous avons intérêt à perfectionner ce modèle et à nous assurer que tout le monde comprenne en quoi il nous avantage tous, ou est-ce que nous devrons trouver un autre modèle? Dans ce dernier cas, est-ce que votre groupe a trouvé un autre moyen à nous proposer pour appuyer les minorités visibles et les groupes ciblés autrement que par l'auto-identification?

M. Natufe : C'est une très bonne question. Nous n'avons pas d'autre solution que l'auto-identification. Malgré ses défauts, ce modèle remplit une fonction historique. Pour la plupart d'entre nous, autour de cette table, quand nous faisions carrière, il n'existait pas de loi sur l'équité en matière d'emploi. Je n'ai pas eu à m'auto-identifier quand je suis entré au gouvernement en 1970, au ministère des Affaires publiques. J'ai posé ma candidature; j'étais qualifié pour le poste comme expert sur le Nord soviétique. Il n'y avait pas d'auto-identification à l'époque.

Je pense que l'auto-identification a été une nécessité imposée par l'époque. En tant que fruit de la nécessité historique, elle a une fonction, mais peut-être qu'en faisant l'examen de la loi, nous pourrions trouver une autre solution.

L'un des problèmes que nous pose ce concept de nos jours, c'est la difficulté de le faire accepter aux Canadiens. Quels en sont les avantages? Pour vous donner un exemple, quand mon fils aîné est revenu au Canada après avoir travaillé pendant environ huit ans à Ste-Lucie, il m'a dit : « Papa, je suis allé remplir un formulaire à la CFP, et ils m'ont dit que je devrais m'auto-identifier. Qu'est-ce que c'est? ». La même chose est arrivée à son plus jeune frère. La plus jeune génération a du mal à comprendre l'auto-identification, alors nous devons lui faire comprendre le concept. Je ne sais pas comment y parvenir.

La présidente : Nous présentons l'auto-identification comme le meilleur modèle dont nous disposions pour contribuer à établir les proportions appropriées de minorités visibles, et je prendrai l'exemple de ce groupe cible au sein de la Commission de la fonction publique. Les formulaires généraux de candidature n'engendraient pas les proportions visées de minorités visibles, de femmes, d'Autochtones et de personnes handicapées, alors il nous fallait trouver un mécanisme. Est-ce que vous dites maintenant que nous devrions laisser tomber les quatre groupes cibles?

M. Natufe : Non.

La présidente : C'est là où je veux en venir. Si vous croyez qu'il faut que ces quatre groupes cibles soient désignés dans la Loi sur l'assurance-emploi, est-ce que l'auto-identification est la meilleure méthode qui soit? Est-ce que les grands esprits assis à cette table ont trouvé d'autres solutions ou un moyen de peaufiner le système pour qu'il soit mieux, plus équitable et plus juste?

M. Natufe : L'auto-identification, comme nous l'avons tous deux dit, a été adoptée pour rectifier les erreurs historiques du processus de dotation, donc le concept a une fonction. C'est ce que nous pouvons avoir de mieux pour l'instant. Quand nous devrons revoir la loi, il faudrait pouvoir proposer deux choses. L'une est comment faire pour que le concept soit plus logique et, si ce n'est pas possible, quelle autre possibilité peut-on proposer? En l'absence du système qui respecte les processus de dotation, l'auto-identification semble être l'outil le plus approprié.

La présidente : Dans vos études, vos analyses et votre réflexion, si vous pouvez formuler des recommandations sur les moyens d'améliorer l'auto-identification, n'hésitez pas à les communiquer au greffier pour que nous puissions les étudier et les intégrer à notre rapport. Nous nous fions à vous comme experts. Nous comptons sur vous pour trouver un meilleur outil que l'auto-identification. Il n'est pas nécessaire d'attendre une procédure de modification. C'est pourquoi nous sommes ici. Nous étudions cette loi pour voir si elle est adéquate. C'est maintenant qu'il faut agir, pas plus tard. Si vous avez des modèles, présentez-les.

M. Natufe : Je vous remercie de nous offrir cette possibilité. Nous le ferons d'ici un ou deux mois.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question concerne les peuples autochtones.

Je vis dans une collectivité entourée de collectivités non autochtones, et il existe pas mal de collectivités autochtones comme celle-là. J'ai visité ces endroits, et je constate que les Autochtones ne peuvent pas trouver des emplois dans les collectivités non autochtones à cause du racisme et des stéréotypes. Je pense que bien des membres des Premières nations ne postulent pas aux emplois disponibles rien que parce qu'ils sont encore des cibles de discrimination.

Je sais qu'il est un fait que les non-Autochtones se font promouvoir avant les membres des Premières nations, et surtout avant les femmes membres des Premières nations. On passe tout simplement à côté, sans même les voir. Parfois, on ne se rend même pas compte de leur existence.

Je trouve aussi qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui travaillent dans ces secteurs. Je vis près de ces collectivités et de ces villes, et j'y vais en visite. Quelle serait la solution, selon vous, ou pouvons-nous trouver une solution?

M. Natufe : En ce qui concerne les peuples autochtones?

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui.

M. Natufe : Tout d'abord, je ne peux pas m'exprimer au nom du Conseil national autochtone. Pour répondre en ma qualité de Canadien, je pense que nous pouvons faire des déclarations d'ordre général, si c'est permis. Je n'ai pas compétence pour parler des peuples autochtones.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je pensais que l'une de vos études concernait les peuples autochtones.

M. Natufe : Pas exactement. Je parlais de ce dont avait parlé la CFP, en instaurant le concept de l'autodéclaration.

Le sénateur Lovelace Nicholas : C'est mon premier jour, et j'aimerais dire que les Autochtones sont toujours laissés pour compte et ne sont pas embauchés.

La présidente : Votre message a bien passé et nous l'avons tous entendu.

Le sénateur Jaffer : Vous avez aimablement proposé de fournir au comité des données sur les femmes. Nous apprécierions que vous fassiez parvenir ces renseignements à notre présidente.

La dernière fois que vous êtes venu ici, vous avez dit que vous aviez mis sur pied 25 comités, ministères et organismes. Qu'en advient-il? Est-ce que vous dressez un plan d'action pour promouvoir l'embauche des minorités visibles au sein du ministère? Qu'arrive-t-il? Comment procédez-vous pour sensibiliser les divers ministères à l'embauche de membres de minorités visibles?

M. Natufe : Les ministères et organismes dressent des plans d'action pour employer les membres des quatre groupes visés. Le Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale de chaque ministère et organisme a des comités des minorités visibles qui collaborent avec les supérieurs, les administrateurs généraux et les cadres supérieurs pour faire en sorte que ces organismes respectent la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Mon collègue, M. Khan, par exemple, est membre du comité consultatif des minorités visibles d'Environnement Canada. Ce comité travaille à l'interne avec le ministère de la même manière que nous le faisons à l'échelle nationale. Mon autre collègue, M. Kabundi, en fait autant au SCC.

Ces divers ministères et organismes ont des comités des minorités visibles qui expriment clairement les points de vue de nos membres et qui collaborent avec la haute direction afin que les ministères puissent réaliser leurs propres plans d'action. Comme vous l'ont appris peut-être vos propres recherches, les ministères ont des plans d'action qui n'atteignent pas les cibles établies.

Waheed Khan, membre du Comité consultatif sur les minorités visibles à Environnement Canada, Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale (CNMV) : À Environnement Canada, nous avons mis sur pied un comité consultatif de groupes visés par l'équité en matière d'emploi, dont font partie les minorités visibles. Nous établissons des plans de travail et des méthodes visant à favoriser l'inclusivité de l'effectif du ministère.

Un comité des minorités visibles, comme vous le savez, n'est pas du tout composé que d'une certaine communauté. C'est un groupe de personnes qui viennent de partout dans le monde. Parce qu'elles ne font pas partie d'un groupe ou d'un autre, nous l'appelons le comité des minorités visibles. Quand nous avons quitté un pays pour venir au Canada, nous sommes venus ici pour être Canadiens. Nous ne savions pas que nous serions des minorités visibles.

Dans ce contexte, ce que nous essayons de faire, c'est de trouver le moyen d'avoir un système équitable, auquel tout le monde peut contribuer en fonction des talents et des capacités de chacun. Comment faire de la fonction publique un service d'excellence? Comment fournir les meilleurs services qui soient aux Canadiens? Je parle des Canadiens de toutes les origines, autant que des néo-Canadiens. De toute évidence, quand nous fournissons des services aux Canadiens, nous ne nous fondons pas sur le temps qu'il leur a fallu pour venir dans ce pays. Ce dont nous tenons compte, c'est du fait qu'ils sont de bons citoyens, de leur contribution et de leur travail.

Dans cette optique, alors, nous voyons l'auto-identification, par exemple, comme un outil temporaire. C'est efficace actuellement, mais comme l'a expliqué notre président, quand on insiste trop sur ce genre de chose — et maintenant il semble que nous passons de l'auto-identification à l'autodéclaration et rendons les choses encore plus bureaucratiques et compliquées — nous perdons de vue l'objectif ultime.

Une minorité visible d'aujourd'hui pourrait être la majorité visible de demain. Tout cela est temporaire. Ce que nous essayons de trouver, c'est comment constituer une société inclusive au Canada, pas seulement dans la fonction publique, mais aussi au Canada. La fonction publique peut être un exemple. Nous pouvons vivre cet exemple et assurer ce leadership. C'est une occasion pour la fonction publique d'assurer ce leadership.

Nous trouvons néanmoins que certains employeurs du secteur privé sont devenus des chefs de file en la matière, et nous en sommes encouragés. Même si leurs activités ont un but lucratif, ils peuvent parfois se demander comment ils peuvent investir dans la croissance à long terme d'une compagnie parce que nous savons tous que les compagnies ont besoin de résultats trimestriels et annuels. Nous constatons que bien de bonnes compagnies du Canada ont pu investir parce qu'elles considèrent leurs employés comme un investissement dans l'avenir.

À la fonction publique, la clé c'est ce que nous dit l'auto-identification. Elle nous aide à circonscrire les problèmes et elle peut nous aider à recenser les obstacles qui existent. Nous connaissons ces obstacles. Ce sont, je pense, les problèmes qu'il nous faut régler.

La présidente : Quels sont ces obstacles?

M. Khan : Tout d'abord, au sein du gouvernement, d'après nous, il faut un processus stratégique de dotation. C'est ce que nous souhaiterions. Nous ne voulons pas doter un poste rien que parce que quelqu'un est parti et maintenant il faut y mettre quelqu'un à titre intérimaire pour combler le poste vacant. Le ministère des Ressources humaines est tellement occupé qu'il ne peut exécuter tout le processus, alors il prend un raccourci, le processus des postes non annoncés.

Je pense que nous ne devons pas oublier que la clé, c'est la dotation stratégique, la vision à long terme, la dotation de postes qui deviendront vacants et la préparation des employés pour qu'ils puissent assurer la relève de ceux qui prennent leur retraite. C'est ce qu'il faudra pour faire de la fonction publique un service d'excellence.

Tous ces raccourcis, les processus de dotation de postes non annoncés, ne sont pas non plus faciles. Ils prennent beaucoup de temps. Alors on passe beaucoup de temps à régler les urgences alors que les services de ressources humaines devraient s'efforcer d'embaucher et de doter des postes avec des gens qui seront productifs l'année prochaine et les années suivantes.

C'est une course forcenée; nous devons nous en sortir. Il nous faut nous concentrer non pas sur l'extinction de petits incendies aujourd'hui, mais sur la dotation stratégique et l'affectation des ressources de manière à pouvoir façonner l'avenir de la fonction publique. C'est là-dessus que nous devons nous concentrer.

Le sénateur Poy : Monsieur Natufe, avez-vous dit que l'auto-identification a été instaurée parce que la situation actuelle ne fonctionnait pas pour les minorités visibles?

M. Natufe : Non, elle a été instaurée par ceux qui ont formulé la loi dans le but de combler les lacunes. Les femmes n'ont pas à s'auto-identifier comme des femmes, bien entendu; nous savons que ce sont des femmes. Cependant, pour une femme qui est autochtone, membre d'une autre minorité visible ou handicapée, la loi exige l'auto-identification.

C'est volontaire; ce n'est pas obligatoire. C'est un élément du problème, en ce moment.

Le sénateur Poy : Ce qui est important, c'est que l'embauche et la promotion devraient être fondées sur la capacité, et non pas sur l'apparence d'une personne.

M. Natufe : J'en conviens.

Le sénateur Poy : Comment pouvons-nous nous assurer que la capacité et l'affabilité soient les seules composantes?

M. Natufe : C'est le principal thème du CNMV. Nous voulons revenir au principe du mérite. Nous voudrions que le mérite soit le principal déterminant pour tout le monde. Nous voulons avoir des chances égales de participer aux concours pour des postes.

Le sénateur Poy : Nous savons que certaines organisations du secteur privé se débrouillent extrêmement bien. Elles ont embauché des minorités visibles parce que c'est bon pour les affaires.

Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne peut en faire autant parce que c'est bon pour le gouvernement.

M. Natufe : Nous avons parlé aux ministères et au BCP du dossier de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale. Notre pays est immense, et il nous faut de l'expertise scientifique, technologique, linguistique et diplomatique dans diverses régions du monde. Vous constaterez dans les conclusions de vos propres recherches que les compagnies canadiennes échouent quand elles vont à l'étranger faire concurrence à d'autres parce qu'elles n'ont pas, dans leurs délégations, des gens qui comprennent le pays où elles se rendent.

C'est ça, le bilan de rentabilité. La Banque Royale le reconnaît, de même que la Banque de Montréal, la Banque TD et Bombardier. Pourquoi la fonction publique ne le peut-elle pas?

Le sénateur Martin : C'est un plaisir que de vous rencontrer et d'entendre un exposé aussi perspicace. Comme vous l'avez dit, une minorité visible peut parfois devenir une majorité visible. C'est certainement le cas à Vancouver. Environ 85 p. 100 des étudiants de l'école de ma fille sont asiatiques ou de couleur visible. Dans une présentation à l'école, chaque étudiant devait parler de ses ancêtres ou de sa culture, et un garçon europoïde a dit « Je ne suis que Canadien. »

Je crois que l'auto-identification, ou l'accent sur les minorités visibles, parfois, peut avoir l'effet contraire. Cependant, si l'auto-identification devient une question standard acceptée, comme la date de naissance, et si tout le monde connaît bien son propre héritage et ses antécédents ancestraux, ce sera quelque chose dont on pourra tous parler, qu'on soit Canadien depuis plusieurs générations, ou d'ailleurs.

Vos fils disent « Pourquoi devons-nous faire ceci? » Je sais que ma fille en dirait autant, et je me suis posé la même question au cours de ma carrière.

Avez-vous fait des études de la jeune génération de fonctionnaires issus de diverses cultures en les interrogeant sur les obstacles qu'ils ont connus? Peut-être ne les ont-ils pas connus personnellement, mais ils ont pu observer d'autres qui ont dû en surmonter.

Quand je dis « jeune », je veux dire plus jeune que nous. Je parle de la deuxième génération.

M. Natufe : Nous définissons les jeunes comme ayant moins de 35 ans. Nous n'avons pas fait cette étude, mais c'est une bonne idée à laquelle nous pourrions réfléchir.

Catherine Kizito, agente administrative principale, Conseil national des minorités visibles de la fonction publique fédérale (CNMV) : Je travaille pour Ressources naturelles Canada et j'ai été prêtée au CNMV. Nous entendons souvent parler de jeunes membres de minorités visibles dont certains collègues pensent qu'ils ont été embauchés non pas en raison de leur mérite, mais parce qu'ils sont des membres de minorités visibles. Ils parlent de système de quota.

Les jeunes employés membres de minorités visibles ont trouvé des moyens de composer avec cela. Par exemple, à RNCan, nous avons un réseau de jeunes professionnels qui n'est pas composé de minorités visibles; tout le monde peut y adhérer. Ils ont d'autres méthodes de lobbying. Il y a aussi le problème de dire « je ne vais pas m'auto-identifier parce que je veux obtenir le poste pour mon mérite ».

Comme le disait M. Natufe, comment faire accepter l'auto-identification comme n'étant pas un choix du moment? Ce sont certains des problèmes.

Le sénateur Peterson : Est-ce que la CFP partage votre vision d'un centre d'excellence en matière de méthodes de dotation?

M. Natufe : Je ne comprends pas votre question.

La présidente : M. Khan a dit que nous voulons les meilleurs et les plus brillants pour servir les Canadiens. Le sénateur Peterson voudrait savoir si la Commission de la fonction publique partage cette philosophie ou cette idéologie.

M. Natufe : Je l'espère, parce que dans nos discussions avec Mme Barrados, elle l'a affirmé. Le greffier a dit à maintes reprises qu'on voulait pour la fonction publique fédérale les Canadiens les meilleurs et les plus brillants.

Dans leur propre rapport, ils ont déclaré que les minorités visibles forment le groupe de Canadiens les plus instruits. La question que nous posons au greffier et à Mme Barrados, alors, c'est pourquoi ont exclurait les plus brillants et les plus instruits des possibilités d'emplois? Ils sont d'accord sur le concept, mais nous n'en voyons pas le résultat.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous d'avoir partagé avec nous vos expériences, vos idées et ces renseignements.

Monsieur Natufe, je vous invite à nous envoyer les données et recommandations dont vous voulez nous faire part.

La Commission de la fonction publique a affirmé qu'une personne sur cinq était membre d'une minorité visible, et vous dites que la proportion actuelle est de un sur dix. Nous nous efforçons de laisser de côté les données anecdotiques et de nous fier sur les données fondées sur les recherches.

Par exemple, nous avons parlé du mode de dotation des banques. D'après les statistiques que j'ai lues, les banques emploient, mais elles emploient des caissières et des caissiers. Parlons des postes de direction dans les banques, et voyons en quoi ils reflètent la composition de la société canadienne.

M. Natufe : À la Banque Royale, 24,5 p. 100 des cadres supérieurs sont membres d'une minorité visible.

La présidente : Je pense que nous pouvons prendre chaque exemple et en disséquer les points forts et les points faibles. Je ne voudrais pas donner l'impression que la Commission de la fonction publique n'a pas fait d'efforts. Je pense que vous avez dit qu'elle en fait. Nous voulons faire mieux, beaucoup mieux.

M. Natufe : C'est exact.

La présidente : C'est pourquoi je vous demande de nous faire parvenir de l'information. Vous avez dit que la proportion de minorités visibles est d'un employé sur dix.

M. Natufe : Oui.

La présidente : Si vous tirez ce chiffre de quoi que ce soit, pourriez-vous nous communiquer les recherches, sondages, questionnaires ou autres moyens par lesquels vous l'avez obtenu? Nous apprécierions tout ce que vous pourriez nous fournir qui pourrait aider la Commission de la fonction publique à devenir le reflet véritable de la société canadienne.

M. Natufe : Nous le pouvons. Vous verrez à l'annexe E de notre document, par exemple, que le BCP n'a pas de membres de minorités visibles au niveau EX. C'est zéro. Ils ont 81 postes, et aucun de leurs titulaires n'est membre d'une minorité visible. Vous aurez ainsi une idée de ce que ce sera dans divers autres ministères.

Nous vous communiquerons ces données.

La présidente : Ce serait très utile, à ce que vous laissez entendre.

M. Natufe : Nous n'y manquerons pas.

La présidente : Je tiens à vous remercier encore d'être venus ce soir et de nous avoir fait part de vos perspectives et de vos connaissances.

Ce comité a rédigé et déposé un rapport en juin dernier sur le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Nous sommes particulièrement impatients de voir les conclusions de l'Examen périodique universel pour déterminer en quoi ce processus a favorisé les droits de la personne en général et contribué à leur respect, et influé sur le Conseil des droits de l'homme.

Nous avons entendu des témoins et avons reçu des renseignements d'un représentant du gouvernement sur le rôle qu'a joué le Canada au Conseil des droits de l'homme dans le cadre de son examen périodique universel.

Nos témoins, ce soir, représentent la Coalition canadienne pour les Droits des Enfants, le Social Rights Advocacy Centre et l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale. Nous sommes intéressés à entendre vos commentaires constructifs sur le processus de l'Examen périodique universel et le Conseil des droits de l'homme en général. Certains d'entre vous avez déjà témoigné devant ce comité. Puisque que nous préparons un autre rapport, nous espérons entendre certaines recommandations positives à l'intention du gouvernement sur la manière de procéder à l'avenir avec le Conseil des droits de l'homme. Nous commencerons avec les déclarations préliminaires, qui seront suivies des questions et réponses.

Kathy Vandergrift, présidente, Coalition canadienne pour les Droits des Enfants : C'est réellement un privilège pour nous que de comparaître pour discuter encore une fois de l'interface entre la manière dont le Canada met en œuvre les conventions et notre rôle au Conseil des droits de l'homme.

Quand le Canada a été nommé au Conseil des droits de l'homme, il a prêté serment d'appliquer les normes les plus rigoureuses qui soient en matière de promotion et de protection des droits de la personne. Si on regarde ce processus d'examen universel périodique à la lumière de ce serment, nous avons des conclusions à en tirer. Plus de 50 ONG ont exprimé leurs préoccupations, et le thème commun était l'échec à respecter les normes minimales. Les pays de partout ont exprimé des préoccupations similaires relativement aux fondements de l'application des traités sur les droits de la personne.

On pourrait s'attendre à ce que la démarche engendre une action prompte plutôt que le maintien de l'affirmation que le Canada est un leader et mieux que d'autres. Nous n'avons pas encore entendu la moindre proposition concrète d'amélioration. Ce que je pense, c'est que si le Canada veut rester un leader en matière de droits de la personne, c'est le moment pour lui d'agir et d'améliorer nettement la manière dont il applique les traités internationaux sur les droits de la personne. En ce qui concerne la consultation des organisations de la société civile, permettez-moi d'ajouter une chose à ce que vous avez entendu d'autres témoins lors de la dernière législature.

J'ai lu toute la documentation avant les présentations des ONG lors de la dernière législature, les documents qui ont suivi et les témoignages devant ce comité. Je n'ai pu trouver aucun changement qui ait été fait en conséquence des consultations. Il est difficile de prendre au sérieux la promesse de poursuite du dialogue. Je vous dirais qu'il est temps d'agir. J'aimerais suggérer trois propositions pour votre examen. Elles ont une incidence sur votre rôle d'observateurs de ce qui se passe au Canada, ainsi que pour ceux d'entre nous qui sommes sur le terrain.

La première proposition serait d'entreprendre de réformer ou remplacer le Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne comme l'organe dirigeant au Canada. Le processus d'examen universel fait ressortir l'évidence que la structure actuelle n'est pas efficace. Votre comité est parvenu à cette conclusion en 2007 dans son rapport sur les droits des enfants, intitulé Les enfants : Des citoyens sans voix. Dans sa réponse, le gouvernement affirmait que ce comité prenait très à cœur ses responsabilités de faire respecter les droits des enfants. La Coalition canadienne pour les droits des enfants l'a pris très au sérieux et nous lui avons écrit une lettre demandant simplement de nous dire ce qu'il avait fait des recommandations sur les droits des enfants qui lui avaient été faites en 2003. Quelle réponse avons-nous reçue? On ne nous dit rien. On ne veut pas nous rencontrer; croyez-nous.

Au bout d'énormes efforts, nous avons finalement reçu copies de vieux ordres du jour qui contenaient simplement la liste de toutes les conventions. C'était en 2008. Nous sommes maintenant en 2009. Le rapport du Canada sur les droits des enfants aurait dû être déjà déposé. Ce devait être en janvier. Il n'y a pas eu la moindre consultation. Nous ne savons toujours pas ce qui est advenu des recommandations faites en 2003, dont certaines étaient repiquées de 1995. Cela n'aide pas beaucoup les enfants du Canada; cela n'aide beaucoup le Conseil des droits de l'homme; et cela ne vous aide pas beaucoup. Un comité qui se réunit rarement en secret, qui refuse d'expliquer à qui que ce soit ce qu'il a fait et qui refuse de rencontrer les gens qui sont touchés par ses décisions va à l'encontre des principes même des droits de la personne et d'un bon gouvernement. Le fait de mettre fin au secret et d'exiger une reddition publique des comptes aura un effet transformateur sur l'ensemble du système, et je vous dirais que c'est cela qui permettra au Canada de rester un leader.

Deuxièmement, nous proposons que les rapports du Canada soient établis à partir des résultats connus de la population. Les rapports actuels énumèrent les programmes gouvernementaux, mais ils nous renseignent très peu sur la situation des gens que les programmes sont censés aider. Je vous en fournis un exemple : le seul programme destiné aux enfants cité dans le rapport du Canada pour l'EPU, c'était la Prestation nationale pour enfants. La description du programme est avantageuse, mais qu'en est-il dans la réalité? En décembre, soit le mois auquel le rapport a été soumis, le Conseil national du bien-être social a diffusé un rapport détaillé sur ce même programme, dont les conclusions nous brossent un tout autre tableau. La plupart des familles ayant des enfants et bénéficiant de l'assistance sociale, soit des familles constituées d'un parent et d'un enfant ou encore de deux parents et de deux enfants, se trouvent dans une situation qui est pire qu'elle ne l'était il y a 10 ans.

Dans le rapport, on indique : « Cela représentait donc un grand pas en arrière dans la lutte contre la pauvreté chez les enfants. » Il ne s'agit pas d'une ONG, mais bien d'un organisme consultatif du gouvernement. Cependant, les conclusions de ce rapport n'ont pas paru dans l'aperçu global de la situation des enfants canadiens fourni par le gouvernement.

Ce sont les renseignements dont vous avez besoin pour comprendre l'incidence des programmes et des politiques. Vous devez connaître la vérité sur la situation des gens, et non lire des rapports de relations publiques.

On nous répète que c'est le fédéralisme qui est en cause, mais je vous dirais que nous aurions avantage à produire des rapports justes sur les résultats connus par les populations cibles, car on disposerait alors de renseignements utiles concernant les prestataires du pays. Cela vous permettrait d'évaluer les programmes, afin de voir s'il y a réellement des avantages et s'il y a lieu d'apporter des changements.

Troisièmement, nous vous proposons d'adopter un modèle d'amélioration continue à des fins de surveillance et de mise en œuvre. Un tel modèle serait préférable à l'approche actuelle, qui consiste en un rapport de justification quinquennal et en des tensions entre le gouvernement et la société civile. Si on veille régulièrement à la conformité aux obligations, en assurant des échanges de renseignements et en discutant de stratégies, il n'y a aucune raison alors de fuir ses responsabilités et d'avoir à se justifier. Le gouvernement serait en mesure de réagir plus rapidement et d'utiliser des approches préventives, conformément aux droits de la personne.

Je vais vous fournir rapidement un autre exemple. En janvier, la Chambre des communes a appuyé, de façon unanime, le principe de Jordan. Ce principe est fondé sur le gros bon sens, c'est-à-dire que les intérêts des enfants autochtones devraient primer sur les querelles juridictionnelles entre le gouvernement fédéral et les provinces. Selon le principe de Jordan, si un enfant autochtone a besoin de soins de santé, ces soins lui seront fournis et on réglera les frais par la suite, plutôt que de voir l'enfant abandonné par les services fédéraux et provinciaux, comme c'est trop souvent le cas. Depuis, une plainte a été déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, qui a fourni au gouvernement fédéral de solides preuves de discrimination à l'égard des enfants autochtones par les services d'assistance sociale. Le principe de Jordan a-t-il été appliqué? Non. La plainte sera entendue pour des motifs juridictionnelles et techniques, et non pour le mérite de l'argument. Les enfants concernés seront adultes avant que toutes les contestations judiciaires ne soient entendues. On ne tient pas compte des intérêts des enfants. Plutôt que de chercher à régler le problème, nous nous sommes lancés dans une querelle juridictionnelle. Un modèle d'amélioration continue permettrait de résoudre les problèmes à l'échelon le plus bas, plutôt que de laisser le problème s'amplifier par des procédures juridiques qui coûtent cher et qui prennent beaucoup de temps.

Je vous affirme que nos trois propositions se feraient ressentir partout dans le système et donneraient lieu à des outils utiles pour le respect des obligations canadiennes. Si le Canadien souhaite réellement être chef de file au chapitre des droits de la personne, il doit commencer à apporter des changements de fond avant de comparaître à nouveau en juin devant le Conseil des droits de l'homme.

Nancy Baroni, directrice de programme, Alliance canadienne féministe pour l'action internationale (AFAI) : J'aimerais remercier la présidente et les membres du comité de m'inviter ici ce soir pour vous parler au nom de l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale, ou l'AFAI.

L'AFAI est une coalition dynamique de plus de 75 organisations canadiennes œuvrant pour l'égalité des femmes, dont le mandat est de faire progresser l'égalité des femmes au Canada par l'application des traités internationaux sur les droits de la personne.

Comme vous le savez, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, dans le cadre de son Examen périodique universel, a récemment dressé le bilan du Canada au chapitre des droits de la personne. Les recommandations découlant de l'examen ont été soumises au Canada. Lors de la séance de juin 2009 du Conseil des droits de l'homme, le Canada devra indiquer publiquement quelles sont les recommandations découlant de l'examen qu'il est en mesure de mettre en œuvre.

L'Examen périodique universel n'est pas un phénomène nouveau, mais il fournit au Canada une occasion nouvelle. Les recommandations sont semblables à celles qui sont ressorties de l'examen de la CEDAW, soit la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, mais nous espérons qu'il y aura une différence dans la mise en œuvre des recommandations.

Les organismes onusiens qui veillent à l'application des traités expriment régulièrement leurs préoccupations quant au manquement du Canada au chapitre des droits des femmes. Le Canada a fait fi de ces préoccupations pour la plupart.

L'AFAI est d'avis que l'examen et les recommandations du Conseil des droits de l'homme offrent au Canada une belle occasion de mettre en œuvre des mécanismes pour le respect des droits de la personne au pays. L'heure est venue pour que le Canada joigne le geste à la parole.

Plusieurs recommandations avancées par le Conseil des droits de l'homme visent tout particulièrement l'application au Canada de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Le Canada a ratifié la convention en 1981. En dépit de la signature et de la ratification de la convention, les gouvernements canadiens n'ont pas adopté de politiques ni de projets de loi conformément aux obligations internationales prévues par la CEDAW. Il s'agit notamment des politiques qui seraient nécessaires pour faire disparaître l'inégalité sociale et économique des femmes et des filles, dont les plus vulnérables, comme les femmes autochtones, les femmes de couleur, les femmes handicapées et les mères seules.

En octobre 2008, le comité onusien responsable de la CEDAW s'est penché sur la conformité du Canada vis-à-vis de la convention. Le comité a recommandé au Canada, comme il l'a fait en 2003 et lors d'examens antérieurs, d'établir un mécanisme pour assurer « l'application responsable, transparente, cohérente et homogène de la Convention sur tout son territoire, avec la participation des administrations à tous les niveaux. »

Dans bien des cas, comme il a été indiqué dans le rapport du gouvernement au comité responsable de la CEDAW, de nombreux articles de la convention ne pouvaient pas être respectés en raison de problèmes de conflit de compétences au sein de la fédération, comme l'a indiqué Mme Vandergrift dans son exposé. Lors de l'examen du bilan du Canada, le gouvernement s'est régulièrement retranché derrière des arguments d'ordre juridictionnel lorsqu'il devait justifier son manque d'action relativement à des articles particuliers de la convention. Le gouvernement actuel en est particulièrement coupable, mais les gouvernements antérieurs se sont comportés de la même façon.

Le comité a clairement exprimé sa position lors de l'examen et dans les recommandations faites au Canada en novembre 2008. Le comité a insisté sur le fait que le gouvernement fédéral doit respecter ses responsabilités juridiques et assumer son rôle de leader dans la mise en œuvre de la convention à tous les échelons gouvernementaux. Cette recommandation a été réitérée dans les recommandations découlant de l'EPU. Les États qui ont examiné le bilan du Canada au chapitre des droits de la personne ont recommandé au gouvernement fédéral de prendre des mesures supplémentaires afin de faire respecter réellement la CEDAW aux échelons fédéral, provincial et territorial, en accordant une attention particulière aux groupes vulnérables, dont les femmes et filles autochtones.

Le comité responsable de la CEDAW émet des rapports tous les quatre ans. Toutefois, le comité responsable de la CEDAW a agi d'une façon sans précédent à l'égard du Canada pendant l'examen de 2008. Il a exigé que le gouvernement du Canada fasse rapport un an plus tard sur les mesures prises à l'égard des deux grandes préoccupations exprimées par le comité quant au manquement aux obligations du Canada. Il était question notamment du triste sort des femmes autochtones disparues et assassinées et de l'insuffisance de l'assistance sociale au Canada. Rien n'indique que le gouvernement ait fait quoi que ce soit pour répondre à ces préoccupations ou rédige même le rapport qui doit être présenté au comité cet automne.

Les recommandations découlant de l'EPU expriment clairement les graves préoccupations du Conseil des droits de l'homme à l'égard de la pauvreté et des droits des femmes autochtones. L'AFAI est d'avis que le Canada, à la fois par ses actions et son inaction, a manqué à ses obligations envers les droits des femmes. Puisque le Canada ne dispose pas de mécanisme national de surveillance du respect des obligations découlant des traités, notre organisation recommande que le gouvernement du Canada, de même que les provinces et les territoires, élaborent un processus coordonné et responsable pour la surveillance de la mise en œuvre des obligations internationales du Canada au chapitre des droits de la personne. Il devrait y avoir des consultations auprès des peuples autochtones et de la société civile.

Dans le cadre de ce processus, il devrait y avoir un responsable à un échelon élevé veillant à la mise en œuvre des obligations internationales du Canada, ainsi qu'à la transparence du processus et à la publication régulière de rapports. Il devrait également y avoir des consultations régulières auprès d'organisations de la société civile, y compris des organisations de défense des droits des femmes. Le Canada devrait répondre publiquement, dans un délai d'un an, aux observations émanant des examens de la conformité aux traités de l'ONU ainsi qu'aux recommandations avancées par des organisations onusiennes.

Comme les organisations de défense des droits des femmes n'ont pas pu participer à l'EPU, le Conseil des droits de l'homme a dû se fier largement au travail du comité responsable de la CEDAW. Mais là encore, de nombreuses organisations de défense des droits des femmes n'ont pas pu participer au travail lié à la CEDAW.

Le gouvernement du Canada peut prévoir des mécanismes de respect des droits de la personne au pays lorsqu'il adopte un projet de loi ou un budget, prend une décision en matière de politique et participe aux examens menés par les organismes responsables des traités. Quelques jours avant l'EPU, le budget 2009 a été déposé sans aucune mention des droits des femmes autochtones, ni d'une stratégie pour lutter contre la pauvreté ou promouvoir l'égalité des femmes. Ce fut, là encore, une belle occasion de perdue.

Je demande respectueusement au comité de soumettre les recommandations émanant du Conseil des droits de l'homme à un comité parlementaire à des fins d'examen. Le Canada dispose de très peu de temps avant de donner sa réponse en juin quant aux recommandations qu'il mettra en œuvre.

Au nom de l'AFAI, ainsi que de nos membres, je vous prie de ne pas laisser filer cette occasion de mettre en œuvre des mécanismes de défense des droits et de faire avancer l'égalité au Canada.

La présidente : Merci. J'aimerais vous signaler que nous sommes un comité sénatorial du Parlement. Demandez- vous qu'un autre comité soit saisi de l'étude, ou souhaitez-vous que notre comité ajoute ce dossier à son étude?

Mme Baroni : Idéalement, nous aimerions que votre comité étudie l'EPU, comme vous le faites maintenant. Cependant, nous recommandons souvent qu'une étude soit faite par tous les partis réunis dans un comité de la Chambre des communes, ce qui entraîne une structure un peu différente.

La présidente : Je crois que j'ai déjà dit que les comités sénatoriaux sont constitués de plusieurs partis, mais ne réunissent pas tous les partis.

Steve Estey, président, Comité de développement international, Conseil des Canadiens avec déficiences : Bonsoir. Avant de commencer, j'aimerais vous parler un peu de l'ordinateur que j'ai devant moi. Les gens se demandent peut- être pourquoi je suis la seule personne assise à cette table qui en a un. C'est parce que je suis sourd. Je n'entends pas ce que disent les gens. Je lis la transcription au fur et à mesure que les délibérations avancent. Je vous demande d'être compréhensifs, car il y a un léger décalage.

Au nom du Conseil des Canadiens avec déficiences, le CCD, une organisation nationale de défense des droits de la personne œuvrant pour l'avènement d'un Canada accessible et inclusif, j'aimerais vous remercier de la possibilité de comparaître ici aujourd'hui. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de discuter des droits de la personne et de l'Examen périodique universel, car les problèmes connus par 4 millions de Canadiens handicapés sont vastes et bon nombre de ces problèmes les concernent tous.

Il suffit de consulter rapidement des statistiques pour constater que les Canadiens handicapés ont deux fois plus de chances de vivre dans la pauvreté relativement aux autres Canadiens. Plus de 2 millions d'adultes handicapés au Canada indiquent qu'il leur manque un moyen ou plus pour participer pleinement à la vie communautaire. Parallèlement, l'OIT, l'Organisation internationale du Travail, fait état de pertes annuelles mondiales de plus de 1,37 billion de dollars américains au chapitre du PIB, en raison de l'exclusion de personnes handicapées. Nos problèmes sont donc universels et nous sommes très heureux de participer aujourd'hui.

Comme nous le savons, l'Examen périodique universel est un nouveau processus et nous cherchons des façons de le rendre plus performant et plus utile.

Ce qui est nouveau également, c'est l'inclusion de personnes handicapées aux discussions. De fait, les personnes handicapées sont plus fréquemment invitées à participer aux discussions sur les droits de la personne depuis quelques années. Nous sommes heureux de le constater et nous avons énormément d'espoir.

Les personnes handicapées luttent depuis longtemps pour faire reconnaître leurs droits élémentaires. C'est déjà un énorme pas de l'avant, que de faire inclure au dialogue sur les droits de la personne des questions liées aux déficiences. Nous savons depuis longtemps que nos droits élémentaires ne figurent pas dans le dialogue habituel, et nous accueillons l'Examen périodique universel comme une autre occasion de nous faire entendre.

Il y a de nombreux commentaires, questions et recommandations liés aux déficiences qui ont découlé du processus, et j'espère que nous aurons le temps plus tard d'en discuter plus longuement.

Un constat surtout est ressorti de nos discussions avec les Canadiens de toutes les régions du pays, notamment les Canadiens handicapés, lorsque nous nous préparions aux rencontres de l'EPU à Genève il y a quelques semaines : la perception changeante des gens à l'égard des déficiences, le fait que les déficiences soient de plus en plus perçues comme une question liée aux droits de la personne.

Les questions liées aux déficiences sont de plus en plus perçues comme étant liées aux droits de la personne. On nous a dit que la plus grande attente des Canadiens handicapés à l'égard de l'Examen périodique universel, c'était que le gouvernement du Canada s'engage à ratifier rapidement la nouvelle Convention relative aux droits des personnes handicapées.

La convention symbolise la reconnaissance des déficiences comme une question apparentée aux droits de la personne, et le processus de ratification lent et plutôt mystérieux du Canada commence à gruger l'énorme bonne volonté issue des négociations sur la convention qui ont eu lieu entre 2002 et 2006. Le Canada a signé la convention en mars 2007, et nous en sommes toujours à l'étape de la ratification. Lorsque nous parlons aux Canadiens handicapés de l'état des choses, ils nous demandent toujours pourquoi le processus prend tellement de temps.

Nous comprenons qu'il faille prévoir un certain temps, mais plus de 50 pays ont déjà ratifié la convention. Elle est déjà entrée en vigueur. La Chine a ratifié la Convention, ainsi que de nombreux pays européens, tout comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il y a de nombreux précédents.

Certains États présents aux réunions de l'EPU ont recommandé au Canada de ratifier rapidement la convention, et notre communauté recherche vivement un engagement de la part du Canada pour que celui-ci prévoie un calendrier fixe et un processus de mise en œuvre transparent, ce qui comprendrait, bien sûr, la reconnaissance de l'importance du protocole facultatif du traité.

En nous appuyant sur le nouveau traité ainsi que sur les travaux entourant l'EPU, nous sommes confiants que nous pourrons entamer des discussions quant aux mesures nécessaires à la promotion des droits des Canadiens handicapés. Lorsque nous serons rendus à cette étape, le CCD aura un plan d'action national appelant de nouvelles initiatives visant à améliorer l'accès au soutien pour les personnes handicapées, à lutter contre la pauvreté et le chômage chez les personnes handicapées, et à améliorer l'accès et l'inclusion, afin que les Canadiens handicapés deviennent des citoyens de plein droit.

Ces projets cadrent très bien avec les nombreuses recommandations qui ont découlé de l'EPU jusqu'à maintenant. Là encore, j'espère que nous pourrons en discuter plus longuement plus tard.

Bruce Porter, directeur exécutif, Centre pour la défense de droits sociaux : Chers sénateurs, je suis honoré de me retrouver ici devant vous. Moi-même, ainsi que Leilani Farha, qui a comparu devant vous la dernière fois que vous étiez saisis de l'EPU, avions le privilège de coordonner, grâce au financement accordé par Patrimoine canadien, la série de cinq rencontres qui ont eu lieu au Canada sur des questions qui touchent la société civile. Pendant ces rencontres, les ONG et des organisations autochtones ont relevé les sujets clés liés aux droits de la personne qui doivent être soumis à l'Examen périodique universel.

Leilana Farha, Alex Neve et moi-même sommes allés à Genève pour présenter les sujets clés qui sont ressortis de ces rencontres. Vous en trouverez le sommaire dans le document dont vous disposez en anglais. Le greffier a très gentiment offert de faire traduire le document en français, comme l'a offert la présidente la dernière fois. Nous vous remercions. Le document s'appelle : The Universal Periodic Review of Canada : An overview of a select number of Canadian NGO concerns and recommendations.

Si vous avez l'occasion d'y jeter un coup d'œil, vous constaterez qu'il s'agit d'un document impressionnant. J'ai travaillé dans de nombreux pays, m'intéressant aux questions liées aux droits sociaux, à la pauvreté et au sans-abrisme. Lorsque j'ai repris contact avec la société civile au Canada, je me suis rendu compte qu'on prend beaucoup à cœur les droits de la personne et les droits sociaux au Canada, ce qui m'a enthousiasmé et touché considérablement.

Lorsque je me rends à Genève et que je traite de ces questions aux Nations Unies, je ne saurais vous dire le nombre de fois où des collègues d'autres organisations de défense des droits de la personne me demandent comment il se fait que le Canada s'oppose dorénavant aux droits sociaux, notamment le droit au logement et le droit de se libérer de la pauvreté. C'est tellement déplorable.

Louise Arbour, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a parlé avec éloquence de l'importance des droits sociaux et économiques. Elle a défendu bec et ongles la remarquable percée historique survenue à la dernière année du Protocole facultatif accompagnant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels lorsqu'on a établi un système de dépôt de plaintes équivalant à celui existant pour les droits civils et politiques. Elle a dit que, grâce à cette percée historique, les droits de la personne faisaient bloc dorénavant.

Toutes les fois que ces questions sont soulevées aux Nations Unies, le Canada reconnaît que la pauvreté et le sans- abrisme sont des problèmes graves, mais ne considère pas qu'ils sont inhérents aux droits de la personne et qu'il faudrait trouver des solutions efficaces à ces problèmes, soit sur le plan international dans le cadre de mécanismes de dépôt de plaintes, soit au Canada par l'entremise des commissions, des tribunaux ou des ombudsmans responsables du respect des droits de la personne. Le Canada compte 3 000 sans-abri, qui souffrent de la faim et qui sont privés de droits. On reconnaît généralement qu'il s'agit là d'une violation des droits de la personne, et ces sans-abri n'ont aucun recours pour tenir les gouvernements responsables de leurs obligations en vertu du droit international en matière de droits de la personne.

Dans nos déplacements de ville en ville, nous en sommes arrivés aux mêmes constatations que le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 2000. Vous vous souviendrez peut-être que le ministre de la Justice a nommé le juge en chef La Forest président de ce comité qui devait examiner les changements qu'il fallait apporter à cette loi.

Le comité a indiqué que la pauvreté était le problème qui lui a été signalé le plus souvent lorsqu'il a tenu ses audiences d'un bout à l'autre du pays. Selon les Canadiens, la pauvreté et le sans-abrisme sont des questions relevant du respect des droits de la personne. L'écart entre la politique adoptée par le gouvernement à cet égard et l'opinion de la population sur ces questions pose un grave problème au Canada sur la scène internationale.

Par rapport au Protocole facultatif accompagnant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Canada est d'avis qu'il lui incombe de décider si les sans-abri doivent avoir un recours pour obtenir réparation. Lorsque le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au logement convenable est venu ici récemment et a fait valoir que ce droit doit être protégé correctement par la loi canadienne et les organisations responsables du respect des droits de la personne, le Canada a répondu qu'il lui appartient de décider de l'opportunité et des moyens de protéger ce droit.

L'Examen périodique universel nous donne une excellente occasion de faire le point sur la façon dont nous envisageons ces droits cruciaux. Mme Vandergrift, M. Estey et Mme Peckford vous ont expliqué comment la pauvreté porte préjudice aux femmes, aux personnes handicapées et aux enfants du Canada. Qu'arriverait-il si notre pays reconnaissait que cette question relève des droits de la personne et réagissait d'une façon constructive et efficace aux recommandations émanant de l'Examen périodique universel?

Je recommanderais avant tout notamment d'adopter et de mettre en œuvre une stratégie nationale efficace visant à éliminer la pauvreté. Dans le cadre de l'Examen périodique universel, les auteurs du rapport préconisent non seulement d'adopter une telle stratégie, mais également d'y intégrer les droits sociaux et économiques pour aborder les questions du logement, du sans-abrisme, de la pauvreté de la faim sous l'angle des droits de la personne. Il faut donc des mécanismes de reddition des comptes. Il faut donc avoir des objectifs mesurables et des échéanciers. Il faut donc que le gouvernement puisse rendre des comptes à ceux qui ont cerné les problèmes et auxquels il faut donner un forum pour que ceux-ci soient entendus et que les problèmes soient réglés.

C'est une nouvelle façon d'envisager ces questions, c'est le seul moyen qui permettra au Canada de jouer encore un rôle de premier plan sur la scène internationale. L'écart est assez appréciable à l'heure actuelle entre la position du Canada et le consensus qui se dégage des autres pays. Qu'il s'agisse des questions liées aux personnes handicapées, du protocole facultatif ou encore du droit à l'eau ou à la nourriture, le Canada est rétrograde en s'opposant à ce que les gouvernements soient assujettis à un mécanisme de reddition des comptes par rapport à ces droits.

L'Examen périodique universel compte des recommandations claires exhortant le Canada soit à rejeter, soit à accepter et à élaborer un plan de mise en œuvre. Il serait terriblement important d'adopter une stratégie visant à éliminer la pauvreté et une stratégie nationale du logement, tout cela sous l'angle des droits de la personne. Le Canada doit donner suite aux recommandations préconisant de mettre en œuvre un cadre théorique sur les droits de la personne.

Et cela nous ramène naturellement à ce à quoi Mme Vandergrift faisait allusion, en l'occurrence l'écart dans la mise en œuvre. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a dit pour la première fois à un pays qu'il violait le droit à la vie en ne prenant pas les mesures positives pour s'attaquer au sans-abrisme, qui a de graves répercussions sur la santé, surtout que le pays est doté d'un climat froid, mais possède les ressources lui permettant de régler ce problème.

Il faut avoir des mécanismes pour inciter les gouvernements à réagir lorsqu'un diagnostic de cette ampleur est posé en matière des droits de la personne, et ces mécanismes doivent être internes. Nous ne pouvons pas compter sur un processus quinquennal, sur les organismes surveillant l'application des traités ou sur l'Examen périodique universel pour résoudre ces problèmes.

De nombreuses recommandations, particulièrement celles du Portugal, préconisent un examen exhaustif de la situation des droits sociaux et économiques au Canada ainsi que la tenue d'audiences à cet égard et l'adoption de solutions efficaces. Cet examen exhaustif doit, entre autres, tenir compte du fait qu'il s'agit là de problèmes graves en matière de droits de la personne. Nous devons rapprocher la position adoptée par le Canada sur la scène internationale de ce dont nous a fait part la société civile à propos des droits de la personne d'un bout à l'autre du pays. Ce rapprochement est nécessaire pour que le Canada puisse de nouveau s'afficher fièrement sur la scène internationale en affirmant qu'il appuie toute la gamme des droits de la personne : le droit au logement, le droit à la dignité et le droit à la sécurité dans toutes ses manifestations, qu'il s'agisse du logement, des sans-abri ou de l'accès aux soins de santé ou encore qu'il s'agisse des droits civils et politiques plus traditionnels. Ces droits ont tous été reconnus par les Nations Unies, et le Canada doit être prêt à prendre les mesures pour commencer à réparer les torts qui ont été causés chez lui au cours des dernières années, à ce chapitre.

Le sénateur Jaffer : Madame Vandergrift, vous m'avez beaucoup appuyée lorsque j'étais l'envoyée spéciale du Canada au Soudan. Je trouve dommage que vous ayez cessé ce travail et que vous occupiez votre poste actuel.

Le ministère de la Justice ou celui du Patrimoine canadien nous a remis un organigramme, selon lequel le comité permanent relève des ministères respectifs.

Madame Vandergrift, vous avez fait allusion au comité permanent. Vous avez dit que vous n'en vouliez plus. Est-ce en raison de sa composition, du secret qu'il s'impose ou de son pouvoir décisionnaire? Quels sont les problèmes à cet égard?

Mme Vandergrift : Je vais essayer de préciser mes propos.

Le comité permanent est responsable de la rédaction et de la mise en œuvre du prochain rapport. C'est ce qui nous intéresse particulièrement. Nous ne nous préoccupons nullement des personnes composant ce comité.

Le comité se réunit peut-être deux fois par année, mais ce n'est peut-être pas le cas. Certains parmi nous exercent des pressions, notamment dans le cadre de la Loi sur l'accès à l'information, et n'obtiennent que des documents désuets qui ne font qu'énumérer toutes les conventions, ce qui n'est pas très utile. Il ne nous révélera pas les mesures qu'il a prises, ni même les recommandations émanant des examens antérieurs.

Si ce comité ne peut obtenir un meilleur mandat étant donné que ses membres sont fonctionnaires, il ne faut donc pas lui confier la responsabilité des rapports.

Il faut la confier à un organe qui peut au moins divulguer les mesures que le Canada a prises à la suite des recommandations qu'il a reçues il y a cinq ans. Pour un enfant, cinq ans, c'est long.

Cela n'a certes rien à voir avec les membres composant le comité. C'est plutôt que le comité devrait avoir le mandat de pouvoir nous indiquer les mesures qu'il a prises.

Nous avions cru que nous pouvions essayer de mettre le tout en branle, après l'excellent rapport que le comité avait rédigé sur les droits des enfants. Cependant, il continue de nous répondre qu'il ne peut pas nous parler et qu'il ne peut rien divulguer. Ce n'est pas ainsi que ces droits seront mis en œuvre. Vous pensez peut-être que le comité doit avoir un tel pouvoir, mais je n'en suis pas certaine. S'il devait l'avoir, il faudrait l'astreindre à un mécanisme de reddition des comptes et de transparence.

Le sénateur Jaffer : Qui devrait avoir un tel pouvoir selon vous? Qui devrait prendre ces décisions à part les ministres?

Mme Vandergrift : Il n'y a pas eu de réunion des ministres fédéraux et provinciaux sur la question des droits de la personne depuis longtemps. Si vous persévérez à dire que c'est le fédéralisme qui pose problème, il faut convoquer une réunion. Je souhaiterais simplement que le gouvernement fédéral montre l'exemple et prenne quelques initiatives à cet égard.

Si, dans le domaine des droits des enfants, le rapport avait montré, comme je l'ai expliqué, les écarts entre les provinces et les résultats respectifs, vous auriez constaté l'amorce de changements. Je peux vous faire part de ce qui se passe dans les provinces où l'on retrouve un bureau du protecteur des enfants efficace. Je viens de recevoir un courriel de la Saskatchewan où l'on a publié un rapport sur les résultats et où le gouvernement promet d'apporter des changements importants. Au Nouveau-Brunswick, le bureau du protecteur des enfants a également publié un tel rapport sur les enfants pris en charge, et des changements importants ont commencé à se produire. C'est le même scénario en Colombie-Britannique. Dans ces trois provinces, le bureau du protecteur des enfants a rédigé un rapport sur les résultats, et les choses ont commencé à changer parce qu'on y exposait la réalité, ce qui devrait être le propre des rapports fédéraux.

Je vous laisserai aborder l'utilité des rapports et décider si les programmes profitent vraiment aux personnes visées. Je pense que vous verriez l'amorce de changements si les rapports du gouvernement fédéral sur les enfants portaient sur les résultats.

Le sénateur Jaffer : J'en prends bonne note.

Vous avez tous abordé la question des enfants autochtones, ce qui relève du gouvernement fédéral. Si seuls les gouvernements provinciaux abordent cette question, peut-être que les enfants autochtones seront de nouveau laissés pour compte. Est-ce que je me trompe en disant qu'il s'agit là d'une responsabilité du gouvernement fédéral?

Mme Vandergrift : Cette question des enfants autochtones est l'une des raisons pour lesquelles nous avons préconisé vivement la création d'un poste de commissaire national des enfants qui serait particulièrement responsable des enfants relevant de la responsabilité du gouvernement fédéral.

Ce qui est déplorable dans le cas des enfants autochtones, c'est que le gouvernement fédéral est saisi d'un rapport qui montre des problèmes assez graves auxquels on ne s'attaque pas.

Au Parlement, tous les partis ont adopté une résolution affirmant la priorité des intérêts des enfants autochtones. C'est ce qui nous pose problème, car nous voyons là une contradiction importante. J'ai lu le compte rendu de la dernière réunion où les fonctionnaires ont prétendu que le Canada était une figure de proue par rapport aux autres pays. Je pense qu'il faut leur poser des questions très pointues. Pourquoi adoptent-ils une telle solution par rapport aux questions des enfants autochtones? À quel mécanisme de reddition des comptes sont-ils assujettis? Il faudrait peut-être, je ne sais pas, accorder davantage de ressources à nos élus plutôt qu'aux membres de ce comité permanent. Toutefois, ces fonctionnaires doivent avoir des comptes à rendre. Actuellement, c'est tout à fait ridicule.

Le sénateur Jaffer : Les autres témoins et vous avez évoqué les traités, la transparence et la reddition des comptes. J'aimerais que nous soyons en mesure de définir dans notre rapport ce que nous entendons par transparence. M. Porter a survolé ce qu'on entend par reddition des comptes. Auriez-vous l'amabilité de préciser votre pensée?

Mme Vandergrift : S'attaquer aux recommandations d'un examen constitue un bon point de départ. C'est ce que nous avons essayé notamment. Il aurait fallu donner un suivi constructif aux recommandations de 2003 avant de recevoir le rapport qui devait être présenté en janvier 2009.

Le gouvernement avait peut-être, il faut en convenir, de bonnes raisons pour ne pas mettre en œuvre quelques-unes des recommandations. Si vous pouviez nous préciser lesquelles, nous pourrions alors en discuter et peut-être trouver un terrain d'entente. Quelles mesures avez-vous prises dans la foulée des recommandations que vous avez reçues en 2003?

Ces recommandations préconisaient qu'il fallait examiner la situation dans l'ensemble du pays, notamment en ce qui concerne le sans-abrisme. Dans son rapport, le Canada ne reconnaissait pas qu'il y avait des sans-abri chez les enfants. Nous pourrions certes nous renseigner et nous pencher sur la question. Il n'est pas nécessaire d'attendre cinq ans. Je crois que le prochain rapport sera similaire.

Vous pourriez prendre plusieurs mesures. Assurez le suivi dès que vous recevez les recommandations et travaillez de concert avec les collectivités. Ainsi, à l'expiration de la prochaine période quinquennale, vous pourrez indiquer les résultats positifs que vous avez obtenus.

Naturellement, nous ne prétendons pas que vous réglerez tous les problèmes en cinq ans. Par contre, nous aurions des points de référence. À l'heure actuelle, nous ne faisions que piétiner.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Porter, vous avez été éloquent lorsque vous avez parlé du logement. Si je vous ai bien compris, vous avez dit que le droit au logement faisait partie des droits de la personne, particulièrement dans un pays prospère comme le nôtre. Dans certains pays scandinaves, notamment en Finlande, le droit au logement est intégré aux droits de la personne. On pourrait s'y opposer en faisant valoir les ressources que cela nécessiterait, particulièrement dans la conjoncture actuelle. Quelle est votre position à cet égard?

M. Porter : On admet de plus en plus l'importance de reconnaître que les gouvernements peuvent être tenus responsables d'une manière significative du respect de ces droits, notamment devant les tribunaux ou les organismes de défense des droits de la personne.

Il importe de se rendre compte que le gouvernement n'est pas tenu de fournir un logement convenable à tous en vertu de la norme internationale. Des pays comme l'Afrique du Sud sont aux prises avec un très grave problème de sans-abrisme. Ils ont reconnu le droit au logement et ils disposent d'une importante jurisprudence à ce chapitre.

En vertu du nouveau mécanisme de règlement des plaintes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la norme découle d'une décision importante rendue sur le droit au logement en Afrique du Sud. Essentiellement, il s'agit de la norme de raisonnabilité : le gouvernement doit prendre les mesures raisonnables proportionnelles à ses ressources pour garantir le droit à un logement convenable.

Rien n'interdit aux gouvernements de faire valoir qu'ils sont aux prises avec une épidémie de VIH/sida ou qu'il y a d'autres besoins dans les domaines des soins de santé, du logement, des personnes handicapées, et cetera. Il faut reconnaître qu'il y a de nombreux besoins concurrents. Les tribunaux des différents pays et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels entendront ces arguments lorsqu'ils seront saisis des plaintes.

À mon avis, le droit doit entraîner un effet positif pour la personne qui le détient. À l'heure actuelle, le Canada a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et il a reconnu que le logement est un droit de la personne fondamental, ce qui n'entraîne cependant aucun effet positif pour les 300 000 sans-abri au Canada.

La norme, ce n'est pas que vous puissiez vous adresser aux tribunaux. En vertu du droit international, il faut offrir un recours efficace : un tribunal des droits de la personne, un organisme administratif ou un tribunal qui est saisi de certaines plaintes généralisées.

Cependant, le Canada ne fait que s'opposer à toutes ces initiatives. Si quelqu'un s'adresse aux tribunaux pour faire valoir que c'est inhérent au droit à la sécurité ou au droit à la vie d'une personne, le gouvernement répond que ce n'est pas le cas et que les tribunaux ne devraient pas trancher ce genre de questions.

Le comité de révision a recommandé que la Commission des droits de la personne ait notamment le mandat d'examiner des questions telles que le droit à un logement convenable, ainsi que de reconnaître la discrimination envers les personnes défavorisées en ce qui a trait aux conditions sociales. Rien n'a pourtant été fait.

Jamais on n'a tenté d'offrir à la population une tribune lui permettant de presser les gouvernements d'intervenir. Cela rejoint un peu ce dont Mme Vandergrift parlait concernant les organismes de surveillance des traités.

Les choses n'ont tout simplement pas bougé. Ce serait déjà utile de nommer un porte-parole pour la cause des enfants qui interviendrait efficacement dans un cadre axé sur les droits de la personne et qui serait là pour prendre connaissance des problèmes et trouver des solutions; une personne qui aurait l'attention du gouvernement, comme c'est le cas avec la vérificatrice générale pour les questions financières. Pourquoi ne pourrions-nous pas conférer ce genre de pouvoir et confier ce mandat à quelqu'un, afin de faire valoir que nous pouvons et devons demander des comptes à nos gouvernements? En l'absence d'un cadre visant à garantir le respect des droits de la personne, ces derniers peuvent facilement tomber dans l'oubli.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si je ne m'abuse, Mme Vandergrift a indiqué que les enfants des Premières nations étaient plus pauvres que les enfants non autochtones. Pourquoi le gouvernement n'intervient-il pas selon vous? Pouvez- vous nous l'expliquer?

Mme Vandergrift : Nous pourrions consacrer une séance entière à cette question, mais nous sommes ici aujourd'hui pour parler de mécanismes visant à protéger les droits de la personne en général. Je voulais seulement illustrer de manière concrète comment les droits de la personne interviennent dans la problématique : des documents sérieux montrent qu'il y a discrimination dans la prestation de services d'aide sociale à l'enfance. Le ministère ne dément pas d'ailleurs la majeure partie des informations qui y figurent.

La situation est encore plus complexe lorsque l'on tend à comparer la population autochtone et la population non autochtone. Il est toutefois possible de faire un important parallèle quand on compare la quantité de ressources d'aide sociale allouées aux enfants autochtones et celles allouées aux enfants non autochtones. C'est de la discrimination pure et simple. En présence d'éléments probants, il serait plus qu'indiqué de faire enquête et de remédier à la situation.

Ce qui est plus triste encore, c'est que davantage d'enfants autochtones sont aujourd'hui placés sous les soins de l'État que du temps des pensionnats, pour lesquels le gouvernement vient de présenter des excuses. Ces enfants-là ne sont pas victimes de violence, mais de négligence. Quand on réclame de l'aide sociale pour un enfant non autochtone victime de négligence, des ressources sont généralement données à la famille. Ce n'est toutefois pas le cas pour les enfants non autochtones.

Nous disposons d'une analyse claire et d'une solide documentation. Si le gouvernement croit que la documentation est erronée, il devrait le dire haut et fort. Tâchons de ne pas renvoyer l'affaire devant les tribunaux pendant encore une dizaine d'années, et ce, après avoir dit adhérer au principe de Jordan selon lequel le gouvernement devrait accorder la priorité aux meilleurs intérêts des enfants autochtones. Tout cela est tellement frustrant. Laissez-nous réparer cette injustice.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Vous avez raison, c'est très frustrant. J'habite dans une communauté des Premières nations où des enfants se rendent à l'école le matin le ventre vide. Il est grand temps que le gouvernement réagisse.

Mme Vandergrift : Je suis d'accord.

Le sénateur Poy : Le gouvernement semble tergiverser, car il tarde à vous montrer les rapports sur le travail qui a été fait. Peut-on parler de léthargie ou carrément de refus d'agir?

M. Porter : Il est toujours intéressant d'avancer des hypothèses. Différents facteurs entrent en jeu, et pas seulement au niveau du gouvernement élu, mais aussi de la bureaucratie. Les gens qui, comme moi, œuvrent dans le domaine des droits de la personne doivent mieux faire valoir l'importance que revêt un tel cadre.

Le sénateur Poy : Il est important de le savoir.

M. Porter : J'aimerais que tout le monde puisse venir à l'ONU avec moi pour assister à l'examen des politiques du Canada. C'est toute une expérience de suivre une séance où votre pays doit rendre des comptes à l'égard de normes raisonnables, et d'entendre les exclamations de stupéfaction des intervenants lorsqu'ils prennent connaissance des ressources du Canada et qu'ils voient les données sur les taux accrus d'inégalités socioéconomiques et d'itinérance dans une période où, jusqu'à l'an passé, on avait enregistré la plus forte croissance économique à ce jour.

Il y a moyen de mieux intégrer cette perspective internationale dans l'élaboration de nos politiques nationales. Ainsi, pour déterminer si le gouvernement devait ratifier le nouveau mécanisme de plaintes pour le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, on a consulté différents sous-ministres. Par exemple, si on demandait au sous-ministre de la Santé s'il est d'accord pour que toutes ses décisions en matière de santé soient révisées par un comité qui est établi à Genève et qui ne comprend pas le régime de soins de santé du Canada, il s'y opposerait probablement. Par contre, il serait sans doute plus ouvert à cette idée si on arrivait à lui démontrer qu'un cadre visant à garantir le respect des droits de la personne est utile pour veiller à ce que les soins de santé répondent aux besoins émergents; il faudrait lui faire comprendre qu'il n'est pas question de microgestion, mais, comme l'a expliqué Mme Vandergrift en parlant des enfants, d'une façon de se concentrer sur les résultats. Des représentants du gouvernement canadien qui se sont rendus à l'Examen périodique universel ont admis avoir trouvé l'ensemble du processus plus pertinent qu'ils ne s'y attendaient. Ils peuvent maintenant essayer d'en faire la promotion au sein de la bureaucratie.

De la même façon, nous devons mieux intégrer notre promotion des droits de la personne dans le monde. Nous avons tendance à croire que le problème se situe ailleurs. Nous devons faire preuve d'un peu plus d'humilité et réaliser que si nous demandons aux autres pays d'adhérer à des conventions qui leur vaudront peut-être des critiques pour leur non-respect des droits civils et politiques, nous devons aussi prendre la communauté internationale au sérieux lorsqu'elle nous demande d'intervenir davantage devant l'itinérance et la faim au Canada. Il faut considérer sérieusement ces avertissements et faire preuve de leadership. Cela fait partie des comptes que nous devons rendre à l'égard du respect des droits de la personne sur la scène internationale. Le Canada doit montrer son leadership autrement qu'en disant aux autres pays quoi faire. Être un chef de file, c'est aussi être capable de regarder la réalité en face.

Mme Vandergrift : Il faut également souligner que depuis deux ans, le discours que l'on tient au Canada à propos des droits de la personne porte de plus en plus sur des questions précises. C'est peut-être pourquoi les aspects socioéconomiques ont autant été négligés. Nous ne nous sommes pas suffisamment demandé en quoi consiste une réalisation progressive. Cela pourrait sembler effrayant si la société s'appropriait ces droits d'emblée, des droits qu'elle verrait comme un dû.

Notre discours sur les droits de la personne est quelque peu décousu, et votre comité pourrait vouloir remédier à la situation en mettant en lumière les aspects socioéconomiques des droits de la personne.

Le sénateur Poy : Vous dites que ce n'est pas d'aujourd'hui que nous avons ce problème avec la bureaucratie canadienne et le gouvernement du Canada?

Mme Baroni : Permettez-moi d'ajouter quelque chose; vous parliez de la léthargie et du refus d'agir du gouvernement. J'ai étudié le tableau en ce qui a trait aux recommandations, et je vois qu'on y parle de la violence faite aux femmes. Pour le ministère de la Justice, les droits à l'égalité des femmes sont associés à la violence, et si on regarde de l'autre côté, la CEDAW toucherait les peuples autochtones, les droits autochtones, la traite des personnes et l'exploitation sexuelle. On couvre tout. Comme vous le savez, la mise en œuvre des droits de la femme ne peut pas s'effectuer en vase clos. Il s'agit d'une grosse lacune. Je vois que quelqu'un a noté quelque chose ici à propos d'une analyse comparative entre les sexes et de l'absence de la situation de la femme.

Le sénateur Poy : Nous l'avons aussi remarqué lorsqu'on nous a remis ce document. C'est une vision extrêmement étroite des choses.

Monsieur Esley, vous avez indiqué que les mentalités commencent à changer à propos des personnes handicapées. Pourriez-vous préciser votre pensée pour que nous comprenions bien ce que vous entendez par cela?

M. Estey : Certainement. Merci de me poser la question. Par contre, pour revenir à votre question sur la léthargie et la bureaucratie, j'aimerais juste avant vous parler de mon expérience personnelle.

J'ai participé activement à l'élaboration de la nouvelle Convention relative aux droits des personnes handicapées. Pendant quatre ans, j'ai agi comme conseiller au sein de la délégation du gouvernement canadien aux rencontres des Nations Unies, tout au long du processus d'élaboration de la Convention. Je pourrais employer plusieurs adjectifs pour qualifier l'engagement de la bureaucratie, mais « léthargique » n'en est pas un. Les bureaucrates font preuve d'un grand dévouement. Beaucoup des bureaucrates canadiens et des nombreuses autres personnes qui participent à la conception et à l'élaboration des traités autochtones sont convaincus de la force et de la valeur de la contribution du Canada à ce processus.

Cela me rend quelque peu perplexe d'entendre parler de ce déficit de mise en œuvre. À voir toute l'estime qu'inspire le Canada dans le cadre de ces négociations, et compte tenu de l'énorme contribution que la délégation canadienne apporte jour après jour dans l'élaboration de ces conventions, je comprends mal de quoi on parle. Quelque chose ne cadre pas. J'ignore quelle conclusion il faut en tirer, mais je tenais à préciser que j'avais vu l'autre côté de la médaille, et qu'il est important de comprendre et de reconnaître ce qui se passe de l'intérieur.

J'en reviens à la perception des personnes handicapées. Je suis heureux d'ailleurs que vous me posiez la question. Dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées, et dans l'ensemble du travail qui y est effectué, on fait sans cesse allusion au changement de paradigme qui s'est opéré par rapport à la perception des handicaps. Si on examine candidement la situation des personnes handicapées, on comprend que celles-ci sont perçues comme des personnes qui ont besoin d'aide, d'un coup de main et de toute une panoplie de mesures particulières. Une convention qui traite sans détour des droits de la personne et qui s'applique aux personnes handicapées nous permet de dire : « C'est assez. » Il ne s'agit pas de droits particuliers. Nous ne faisons aucune demande spéciale. On parle uniquement des besoins fondamentaux de l'homme.

Les handicaps font partie du continuum de la vie. Certaines personnes sont malentendantes, d'autres pas. Certaines personnes portent des lunettes, d'autres pas. La distinction est somme toute arbitraire. Si votre appareil auditif ne suffit plus pour corriger votre surdité, vous devenez soudainement une personne handicapée. Mais est-ce que cela signifie pour autant que vous devez perdre tous vos droits?

J'aspire à changer notre conception des handicaps. Cela n'a rien à voir avec les besoins particuliers que nous avons; nous sommes tous des êtres humains, même si certains d'entre nous exercent des droits qui se situent au bout du continuum. Rien ne devrait nous empêcher de profiter des mêmes droits que tout le monde.

Il suffit de le comprendre et de le reconnaître, puis de bâtir des lois et de signer des traités internationaux à cet égard, pour que nous commencions comprendre autrement les handicaps. J'oserais même dire que cela nous permettra de changer la façon dont les personnes handicapées comprennent leur propre situation. Et c'est extrêmement important, n'est-ce pas? J'ai besoin de voir, en tant que personne handicapée, que j'ai le droit de prendre part à la société. Quand j'ai compris que ce droit me revient, j'agis en conséquence. Par contre, si le milieu dans lequel j'évolue me laisse croire que je n'ai pas droit à l'éducation parce que je suis malentendant ou non voyant, peu importe, il est très facile pour moi d'être mis à l'écart ou marginalisé.

La valeur de la convention et du travail que nous y faisons est de reconnaître que nous sommes tous égaux, et c'est ce que nous voulons dire lorsque nous parlons d'un changement de paradigme. Il n'est pas question des uns et des autres, des personnes handicapées et des personnes non handicapées. Nous sommes tous égaux; nous tentons simplement de vivre notre vie. C'est ce que j'ai voulu dire.

Le sénateur Poy : Croyez-vous qu'adhérer à la convention fera une grosse différence? Les trois autres témoins ont affirmé que nous avions adhéré à différentes choses, mais que rien n'avait changé.

M. Estey : Oui, je le crois. À vrai dire, ce sont généralement des personnes handicapées qui me posent cette question, pas des sénateurs. Ils me regardent dans les yeux en me disant : « Steve, pourquoi se donner autant de mal? On ne peut pas prendre l'autobus, on ne peut pas entrer à l'école, alors qu'est-ce qu'on en a à faire d'une Convention relative aux droits des personnes handicapées? » Il faut s'en préoccuper, car le changement social est un processus de longue haleine. Il ne s'agit pas de se demander si notre situation s'est améliorée depuis la semaine dernière, c'est de voir si elle s'est améliorée depuis l'époque de nos grands-parents. Les personnes handicapées commencent à se prendre en main; pas seulement au Canada, mais partout dans le monde. Et la convention fait partie de ce processus. Il ne s'agit pas d'un remède universel. Elle ne bouleversera pas tout, et le changement ne s'opérera certainement pas du jour au lendemain.

Nous avons mené une consultation au sujet de la convention il y a quelques années, et un des avocats chevronnés du ministère des Affaires étrangères est venu nous parler du droit international en matière de droits de la personne. On lui avait alors demandé ce que pouvait nous apporter une convention. Il a comparé le droit international en matière de droits de la personne à un glacier, une comparaison digne d'un vrai Canadien. Il a fait allusion au recul glaciaire. Il faut penser à toute l'étendue qu'occupaient les glaces il y a 5 000 ou 10 000 ans, et à celle qu'elles occupent aujourd'hui; David Suzuki vous dirait qu'elles ont aussi reculé depuis deux ans et demi. Le retrait glaciaire s'effectue lentement, et même si on ne peut pas observer le recul lui-même, on peut voir la grande trace qu'il laisse derrière lui.

Le droit international en matière de droits de la personne est comme un glacier, et c'est la même chose pour la Convention relative aux droits des personnes handicapées. C'est long, pénible, et rien ne changera dans l'immédiat, mais tout cela fait partie d'un changement inévitable. Selon moi, il est extrêmement important que le Canada ratifie cette convention et qu'il le fasse rapidement.

Le sénateur Poy : Merci beaucoup. Vous semblez y croire profondément.

Le sénateur Nancy Ruth : Pour rester dans la même veine, monsieur Estey, quels sont les facteurs qui, à votre avis, font que le gouvernement hésite à ratifier rapidement cette convention?

M. Estey : Mes collègues ont parlé de transparence et d'un certain processus. Nous, les personnes handicapées, tentons de comprendre ce qui se passe. Pourquoi est-ce qu'on attend autant pour ratifier la convention? Le Canada l'a signée lorsqu'elle a été présentée en mars 2007. À ce moment-là, le gouvernement canadien avait affirmé qu'il devait entreprendre un processus de consultation auprès des provinces et des ministères pour s'assurer qu'il était en mesure de remplir ses obligations. Ce discours n'est nouveau pour personne. On avait cependant reconnu qu'il y aurait un processus de consultation.

Je vous ai dit plus tôt que j'avais agi comme conseiller au sein de la délégation du gouvernement canadien. J'ai assisté à toutes les réunions en compagnie des représentants canadiens. À moins qu'ils ne se soient réunis en secret, j'ai pris part à toutes les rencontres. Blague à part, je vous dirais que le vent a tourné subitement quand est venu le temps de débattre du texte, un moment où la présence d'un expert en la matière dans les discussions intergouvernementales aurait pris tout son sens. En effet, après avoir passé quatre ans à discuter et à partager des repas avec ce groupe de collègues, je n'arrivais plus à obtenir des réponses aux courriels que je leur envoyais. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Je m'explique mal encore aujourd'hui la tournure des événements. Je comprends certainement que certaines discussions doivent avoir lieu entre les représentants du gouvernement. Je ne le nie pas du tout. Je ne vois toutefois pas comment il pourrait être utile de tourner le dos à toute la bonne volonté dont on a fait preuve dans les discussions, les processus de consultation et les activités en collaboration avec le milieu. Nous sommes conscients qu'il faudra du temps. J'ai bien l'impression que la convention sera ratifiée très rapidement, mais je ne suis pas dans le secret des dieux. Tout le processus est enveloppé de mystère. J'ignore si j'ai vraiment répondu à votre question, mais c'est tout ce que je peux vous dire.

Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce déjà arrivé que la ratification d'une convention prenne autant de temps?

Votre histoire me fait penser au moratoire sur l'article 15 de la Charte. Mais dans ce cas-ci, au moins, on avait eu la signature. Il avait fallu attendre trois ans pour que prenne fin le moratoire et que la Charte soit ratifiée. Votre convention, elle, n'a pas encore été signée.

Arrive-t-il souvent que les choses se passent comme M. Estey l'a décrit? Doit-on procéder à la ratification avant de traiter des affaires interprovinciales? C'est toujours une question d'argent, n'est-ce pas? On vérifie les coûts associés à la convention et si la population a d'autres recours pour intenter des poursuites.

Mme Vandergrift : Dans le cas de la Convention des droits des enfants, nous n'avons pas eu à attendre très longtemps pour la ratification. Depuis, 20 ans se sont écoulés. Si je ne me trompe pas, il s'agit de la convention qui a été ratifiée par le plus de pays, et cela s'est fait très rapidement. Mais c'était à une autre époque. C'était au temps de l'après-guerre, et l'optimisme était à son paroxysme. Nous sommes aujourd'hui entrés dans une ère nouvelle. La ratification de la Convention des droits des enfants a été très rapide, mais la mise en œuvre tarde encore à venir. J'imagine que la trajectoire de chacune est quelque peu différente.

Je suis encore persuadée que cette convention a beaucoup de valeur, et je suis heureuse que le Canada l'ait ratifiée. Il s'agit maintenant de la mettre à exécution.

M. Porter : La ratification du Protocole facultatif accompagnant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels pose un autre grand problème. J'ajouterais que c'est aussi le Protocole facultatif de la Convention relative aux droits des personnes handicapées que l'on tarde à ratifier.

Preuve du changement de paradigme dont parlait M. Estey, on a adopté simultanément la Convention et un mécanisme de plaintes incorporé à un protocole facultatif. Ces deux éléments sont indissociables, car il serait illogique d'adhérer à une convention fondée sur cette nouvelle notion des droits à la participation à la société des personnes handicapées, sans ratifier le protocole facultatif permettant à celles-ci de se faire entendre dans des situations où on leur a refusé tout recours interne.

Le Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels suscite des rapports différents avec les divers milieux selon le domaine concerné en matière de droits de la personne. Certains sont plus positifs que d'autres. Pour une raison qui m'échappe, il est beaucoup plus difficile d'établir un contact avec les personnes défavorisées et de les inciter à témoigner devant le comité pour faire valoir leurs droits économiques et sociaux. Une situation qui me préoccupe, car le nouveau modèle repose principalement sur l'établissement d'une relation d'aide constructive entre les titulaires des droits et leurs gouvernements, dans le but qu'ils travaillent ensemble, plutôt que l'un contre l'autre, à la mise en œuvre des droits.

Il y a quelques années, on a mené une consultation sur le Protocole facultatif accompagnant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Malheureusement, le gouvernement a la fâcheuse habitude de prendre des décisions sans vraiment consulter les groupes qui en récolteraient les avantages.

Le sénateur Nancy Ruth : Je sais que beaucoup d'entre nous ici présents s'intéressent aux résultats et à la mesure de ceux-ci. J'ai bien peur qu'il nous arrive d'être peut-être aussi déçus que vous.

Notre mandat de sénateurs consiste notamment à exiger des comptes des gouvernements. C'est pourquoi nous vous avons invités aujourd'hui, afin que nous puissions utiliser vos témoignages pour obtenir des réponses auprès de ceux qui ont des comptes à rendre.

Est-ce qu'un de nos quatre témoins a une idée de ce que nous, les sénateurs, pouvons faire de plus pour, entre autres, accélérer la ratification de la Convention, favoriser la mesure des résultats et encourager le rétablissement des documents internationaux sur les sites Web du gouvernement? Réduire la pauvreté est peut-être une tâche qui dépasse notre mandat, mais nous pouvons certainement prendre en charge des missions un peu plus modestes.

Mme Baroni : Avant de vous répondre, j'aimerais revenir aux commentaires que vous avez formulés lorsque j'ai parlé du comité parlementaire. Nous avions recommandé que quelqu'un se penche sur les recommandations issues du rapport défavorable pour déterminer comment on pourrait les mettre en œuvre, et si le Canada devait adhérer au processus et le mettre en branle, c'est-à-dire de le confier à un comité parlementaire. J'aimerais donc savoir qui, en fin de compte, décidera des recommandations que le Canada va mettre en œuvre?

Jusqu'à présent, beaucoup de recommandations ont défilé sur nos yeux, et nous avons préparé des documents d'information sur les nouvelles recommandations de la CEDAW. C'est un travail de rédaction peu exigeant, puisque rien ne se passe. Quand j'ai parlé d'un comité parlementaire, que ce soit un comité du Sénat ou de la Chambre des communes, c'était davantage pour savoir si un groupe pouvait se pencher expressément sur les recommandations issues du rapport défavorable, cerner des façons de les mettre en œuvre, décider lesquelles doivent être appliquées et ce qui doit être fait. Finalement, faire un peu tout ce qu'a mentionné Mme Vandergrift concernant la responsabilisation et la transparence à l'égard des conventions.

Je n'ai malheureusement pas d'autres moyens à vous suggérer pour exiger des comptes des gouvernements.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez lu le compte rendu des sottises qui ont été dites la semaine dernière.

Mme Baroni : Oui.

Mme Vandergrift : Ce comité a produit un excellent rapport sur les droits des enfants en 2007. En 2008, le gouvernement y avait répondu de façon totalement inadéquate. J'avais proposé à l'époque au comité de convoquer de nouveau les fonctionnaires. Je crois que cela n'a pas pu se produire en raison du déclenchement des élections ou d'un autre empêchement. Le comité pourrait très bien les reconvoquer aujourd'hui pour leur demander où est le rapport qui était attendu en janvier. Que s'est-il passé avec les recommandations de 2003? Que s'est-il passé avec les recommandations formulées par ce comité?

Nous allons vous donner amplement de matière à utiliser contre le gouvernement, car sa réponse était tout simplement inappropriée. Ce comité sénatorial a travaillé trois ans pour produire ce rapport et a entendu quelque 300 témoins provenant des quatre coins du pays. C'est un dossier qui intéresse la population.

Le gouvernement a carrément placé le dossier dans une impasse, ce qui était injustifié. Il s'agit là d'une bonne raison pour convoquer les responsables de nouveau. Ils auraient dû présenter leur rapport il y a quatre mois. Ils ne nous ont jamais dit ce qu'ils avaient fait des recommandations de 2003. Ils ne nous ont pas consultés.

Le président : Je tiens à souligner que ce comité a convenu de maintenir cet ordre et qu'il convoquera les responsables de nouveau pour assurer un suivi à l'égard de ce rapport.

Mme Vandergrift : Tenez-nous au courant.

Le président : Le dossier n'est pas clos. Mais il est vrai que des élections peuvent parfois retarder les choses sur la Colline du Parlement. Nous n'avons pas oublié ni accepté la réponse que nous avons eue; nous allons poursuivre notre étude à ce sujet.

Le sénateur Martin : Monsieur Estey, je suis heureux que vous ayez parlé de la participation du Canada à l'élaboration du document et de l'estime que nous portent les autres pays pour notre bon travail. Vous vous demandiez également pourquoi on parlait d'un déficit dans l'exécution de la ratification. C'est agréable d'entendre des commentaires positifs.

Pour ce qui est de ce rapport, je comprends que nous devons user de sens critique et voir ce que nous pouvons faire de plus et de mieux. Quand on parle de stratégies nationales — toutes ces recommandations préconisent une approche nationale —, on s'attend généralement à ce que le gouvernement fédéral prenne en main leur présentation, leur élaboration et leur mise en œuvre. Je ne prétends pas qu'il faille s'attendre à moins, il incombe dans bien des cas au gouvernement fédéral de faire preuve de leadership.

Toutefois, ayant été enseignante pendant 21 ans, je porte un autre regard sur la communauté. J'ai fait partie d'un organisme à but non lucratif pendant un certain temps et j'ai pu voir au cours des dernières années que les gens sur le terrain font de l'excellent travail. J'ai vu des groupes communautaires œuvrer grâce au financement du gouvernement ou en partenariat avec les provinces, et les gens qui travaillent sur le terrain sont ceux qui sont le plus en phase avec ce qui se passe. On fait beaucoup d'excellent travail. Mon mari travaille dans une école parallèle auprès de jeunes enfants à risque. Les enfants sont suivis par un adulte, mais ce nombre peut parfois grimper à 10 ou 12 intervenants. Certains arrondissements scolaires offrent beaucoup de soutien à ces enfants. Je ne dis pas que c'est le cas partout au Canada, car c'est un grand pays après tout.

Croyez-vous que l'on pourrait réorganiser ou réexaminer ces recommandations? Quelles sont les recommandations qui seraient mieux servies par des stratégies nationales, et quelles sont celles qui seraient mieux gérées par les provinces ou les régions? Il faut se rappeler que le Canada est un grand pays, et qu'il faut toujours traverser un long processus pour mettre en place des stratégies nationales.

J'ai déjà participé à des discussions publiques et je peux vous dire que les consultations prennent beaucoup de temps quand il est question d'une approche nationale ou internationale.

Je comprends l'urgence et je suis tout à fait d'accord pour dire que nous devons, en tant que Canadiens, montrer la voie. Je ne sais pas si ma question était claire. C'est un énorme document, et quand on regarde toutes ces recommandations qui ressemblent à des priorités, il y a lieu de se demander par quoi commencer. Je pense qu'il faudrait intervenir aux niveaux national, provincial et régional. J'espère que vous avez bien compris ma question. Merci de votre compréhension.

Le président : Je crois que nous avons bien compris votre question.

Mme Vandergrift : En ce qui concerne les droits des enfants, c'est d'abord à la maison que cela se passe, non? Le gouvernement doit indiquer le chemin à suivre, mais c'est ensuite à nous de prendre les rênes.

Je vais vous donner un exemple qui illustre bien mes propos. Nous avons récemment tenu une conférence examinant les meilleurs intérêts des enfants et la façon de répondre à leurs besoins au Canada. Nous avons reçu des représentants de tous les ordres de gouvernement. C'est ainsi qu'il faut traiter la question. On peut ensuite voir ce qu'on peut faire précisément à chacun des niveaux.

Beaucoup d'enseignants étaient présents, de même que des avocats et des professionnels des services d'aide à l'enfance. Il peut être utile de tenir ce genre de forum, avant de fragmenter le travail à effectuer. Au Canada, nous tirons leçon des pratiques exemplaires appliquées ici ou ailleurs.

Permettez-moi de me corriger, j'ai fait une erreur un peu plus tôt. C'est la Saskatchewan qui a produit un excellent rapport, pas le Manitoba.

Le président : Je le dirai à M. Bernstein.

Mme Vandergrift : Le Nouveau-Brunswick a aussi produit un excellent rapport. Peut-être pourrions-nous prendre exemple sur ces deux provinces et reproduire leur façon de faire.

Le Canada a fait preuve d'un bon leadership sur la scène internationale, et je tiens à le reconnaître. J'ai travaillé ailleurs dans le monde, et la cause qui me tient le plus à cœur, c'est d'aider les enfants victimes de conflits armés, mais j'ai compris que nous pourrions perdre notre crédibilité si nous n'arrivions pas à faire mieux chez nous. Nous savons faire preuve de leadership, mais nous devons aussi améliorer nos politiques.

M. Estey : Comme vous, j'étais un peu découragé lorsque j'ai consulté le rapport et toutes ces recommandations. Je ne savais pas par quoi commencer, ni par quoi finir. Mais, j'en ai d'ailleurs glissé un mot plus tôt, pour les personnes handicapées, il est très important de participer à ce processus. Il est primordial que nous commencions à comprendre que nos droits doivent aussi être vus comme des droits de la personne.

Si vous voulez faire une chose précise, alors, comme j'ai tenté de le faire valoir, il faut examiner la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la ratifier et entreprendre son exécution. C'est un processus, une voie à suivre.

Nous ne pourrons pas appliquer toutes les recommandations issues de l'Examen périodique universel aujourd'hui, ni au cours des deux prochains mois, mais nous pouvons toujours établir certains paramètres. Nous pouvons décider de la façon dont nous voulons procéder. Nous pouvons décider de ratifier nos obligations à l'égard des traités internationaux. Nous pouvons aussi décider de commencer à examiner les questions relatives aux personnes handicapées en fonction de ce cadre de travail. Je crois que ce serait déjà un énorme pas dans la bonne direction.

M. Porter : Je crois que nous avons très bien saisi votre question, et c'est d'ailleurs un élément important qui ressort du rapport défavorable. Certains des représentants d'État que nous avons rencontrés ont soulevé la question du fédéralisme. Ceux-ci doivent comprendre, tout comme nous, que le fédéralisme peut s'avérer un important tremplin, et non pas un obstacle, pour faire respecter les droits de la personne.

La recommandation et les remarques formulées par le Royaume-Uni montrent bien pourquoi le Canada ne doit pas percevoir le fédéralisme comme un obstacle, mais bien comme un moyen de faire respecter les droits de l'homme.

Quand je parle d'une stratégie nationale en matière d'aide au logement et de lutte contre la pauvreté, je ne prétends pas que le gouvernement fédéral devra nécessairement assumer le rôle principal au bout du compte. Par contre, c'est le gouvernement fédéral qui ratifie les traités et qui comparaît généralement à Genève. Il serait de loin préférable de pouvoir compter sur la présence des provinces et de les impliquer davantage dans le processus. C'est un des principaux problèmes soulignés dans le rapport défavorable.

Le gouvernement fédéral peut cependant exercer un véritable leadership. Par exemple, un des grands problèmes qui a pratiquement été occulté dans le rapport, mais qui a été signalé par les ONG du pays, c'est que les taux de prestations d'aide sociale sont de plus en plus inadéquats, une situation qui entraîne la faim et l'itinérance. Le gouvernement fédéral pourrait choisir de jeter le blâme sur les provinces, ou bien de faire preuve de leadership et de prendre des mesures pour remédier aux problèmes signalés par les organismes de surveillance des traités. Le gouvernement fédéral pourrait s'appuyer sur les données du Conseil national du bien-être social et commencer à travailler en collaboration avec les provinces pour trouver un moyen de remplir, ensemble, nos obligations internationales en matière de droits de la personne.

Plutôt que de brandir le fouet pour imposer des normes nationales et de se lancer dans des guerres de clocher, le gouvernement fédéral peut adopter un nouveau modèle selon lequel les différentes administrations sont conjointement responsables d'appliquer les normes internationales en matière de droits de la personne, à la manière de l'article 36 de la Constitution. Nous avons besoin d'une sorte de principe de Jordan qui maintient que nous ne devons jamais négliger le respect des droits de la personne en raison de querelles intergouvernementales.

Rien ne sert de jeter la faute sur les autres; il faut travailler ensemble au sein d'un État fédéral pour assumer nos responsabilités en matière de droits de la personne, et gouverner selon nos valeurs fondamentales canadiennes. C'est le défi que nous devons relever. Les normes internationales en matière de droits de la personne et le rapport défavorable donnent au gouvernement fédéral l'occasion de montrer qu'il n'a pas l'intention de jouer dans les platebandes des provinces, mais qu'il entend faire preuve d'un certain leadership pour que nous puissions remplir nos obligations internationales.

Mme Baroni : Cette possibilité a été soulevée, et je l'ai d'ailleurs indiqué quand il a été question des problèmes liés aux champs de compétence des ordres de gouvernement, particulièrement en ce qui a trait à remédier à l'insuffisance des prestations d'aide sociale dans l'ensemble du pays. Nous avons tenté de déterminer comment les transferts aux provinces peuvent être associés aux normes internationales relatives aux droits de la personne, ou à des normes internationales de vie adéquate, pour s'assurer que l'on respecte les droits de la population. Les transferts aux provinces sont associés à des responsabilités. C'est une façon de faire les choses.

Le gouvernement fédéral peut également assurer le leadership du processus de surveillance, un processus particulièrement important dans le cas qui nous occupe. Le gouvernement fédéral pourrait mettre en place un mécanisme national permettant de reconnaître les droits, et auquel les gens pourraient faire appel quand on a porté atteinte à leurs droits. Le Canada a signé ce traité; que puis-je faire à ce stade-ci? Cette solution se rapproche beaucoup du principe de Jordan. Les Canadiens auraient au moins des recours en cas de besoin.

Le comité de coordination qui est actuellement en place s'est vu confié un mandat très vaste. À ce que je sache, personne n'examine les recommandations dont j'ai parlé plus tôt. Personne n'envisage de mettre en œuvre les recommandations du rapport défavorable; rien n'indique que telle ou telle recommandation pourrait être mise en œuvre, ni que certaines mesures pourraient être prises. Personne ne s'y attarde, mis à part peut-être quelques bureaucrates du ministère de la Justice ou de Patrimoine canadien. Peut-être que M. Porter sait si quelqu'un examine le rapport recommandation par recommandation pour déterminer quelles seront les prochaines étapes.

Si je comprends bien, le comité permanent a plutôt le mandat de communiquer des informations, et non d'analyser les recommandations et de déterminer comment les mettre en œuvre.

Le sénateur Jaffer : Nous avons un tableau qui indique, par exemple, que le ministère de la Justice s'occupe de la recommandation 27 et des recommandations 33 à 38 concernant les femmes et la violence. Chacune des recommandations est ainsi assignée à un ministère.

Mme Baroni : Les bureaucrates en tiennent compte.

Le sénateur Jaffer : Tout à fait.

Le sénateur Peterson : Pendant que les discussions se poursuivent, il m'apparaît que la pierre d'achoppement est de nature financière. Ce n'est pas une question de simple indifférence, car vous avez dit vous-même que tous conviennent qu'il faut agir, mais que rien ne se passe — beaucoup de paroles, mais peu d'action.

Est-ce que quelqu'un a essayé d'évaluer les coûts à engager pour aller de l'avant dans certains de ces secteurs? Est-ce la façon de faire appropriée? Est-ce que la peur de l'inconnu confine ces questions au créneau des querelles de compétences, personne ne voulant regarder les choses en face pour s'attaquer directement au problème?

C'est assurément la façon dont nous agissons avec les Autochtones dans le dossier des revendications territoriales particulières et globales où la situation se répète à tous les cinq ans. On procède à un nouvel examen et on discute des mêmes questions.

Sommes-nous en train de réitérer le même schéma ici?

Mme Vandergrift : Vous pourrez voir aussi ce que les autres en pensent. C'est en partie une question financière et je trouve cela d'autant plus étonnant que d'excellents travaux de recherche sur les déterminants sociaux de la santé nous indiquent qu'il s'agit d'un excellent investissement au départ et que cela commence, bien évidemment, par les enfants. Nous avons pris connaissance de ces études et nous avons mis en valeur ces données. Le programme d'aide préscolaire aux enfants des milieux défavorisés a produit un rendement équivalant à six fois les sommes investies. Tout cela est bien documenté. Plus personne n'a de doute à ce sujet. Pourtant, on ne constate toujours pas une volonté de consentir ces investissements.

Nous pourrions en faire davantage dans le même sens; nous pourrions essayer de quantifier ce rendement et d'en établir le ratio coûts-avantages. Mais cela ne va pas nécessairement non plus faire avancer les choses, car on sait déjà que ces investissements sont profitables et qu'il est avantageux d'intervenir rapidement, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est particulièrement intéressant de s'occuper de la situation des enfants.

C'est ce qui nous rend un peu perplexes, car nous avons tenté de faire intervenir ces sommes d'argent. Ce sont des montants qu'il faut investir immédiatement, mais les rendements sont énormes.

Le sénateur Peterson : Je conviens avec vous qu'il faut faire des investissements pour obtenir des rendements, mais à combien se chiffrent ces investissements? Parlons-nous de milliards ou de centaines de millions de dollars? À quel point la somme est-elle astronomique? Il doit bien y avoir quelque chose qui fait peur à quelqu'un, car tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut agir, mais rien n'est fait. Je ne sais pas si les sommes nécessaires sont considérables au point où les gens font marche arrière. En pareil cas, est-ce que vous subdivisez le coût pour travailler à partir de modules réduits afin de faire avancer les choses?

Mme Vandergrift : Ce n'est pas non plus simplement une question de chiffres. Je n'aime pas voir ces rapports qui disent que nous dépensons un milliard ici, un milliard ici et un milliard là.

Les rapports sur les résultats axés sur les droits fondamentaux ont pour avantage de nous indiquer si les gens ont effectivement profité des investissements, car il arrive parfois que nous dépensions sans nécessairement que les résultats suivent. C'est l'avantage de l'approche axée sur les droits. On se concentre sur la situation des personnes, plutôt que de chercher à savoir simplement combien de milliards ont été investis comme l'indiquent les rapports gouvernementaux. Cependant, ces chiffres impressionnants ne nous disent pas nécessairement si les enfants sont en meilleure posture qu'il y a cinq ans, ni à quelles fins et de quelle manière il faut cibler ces investissements pour s'assurer qu'il en soit ainsi.

Ce n'est pas simplement une question financière, mais cet aspect peut contribuer à un facteur inhibant.

M. Estey : Je suis heureux que vous ayez posé cette question au sujet du financement. C'est une question que l'on n'entend jamais lorsque les personnes handicapées commencent à parler de leurs droits parce que chacun garde pour lui-même ses réflexions : « Oui, c'est sûr qu'il serait bon que nous fassions quelque chose au sujet des droits des personnes handicapées, mais ça risque de coûter vraiment très cher. Nous n'avons pas tout cet argent. »

C'est une discussion importante qu'il faut tenir. J'ai mentionné au départ qu'un rapport récent de l'Organisation internationale du travail indique que l'OIT estime à 1,37 billion de dollars la perte annuelle de PIB à l'échelle planétaire attribuable à la participation insuffisante des personnes handicapées au marché du travail.

Il va de soi qu'il faudra investir pour faciliter l'accès des personnes handicapées au marché de l'emploi. Cela ne fait aucun doute. Il s'agit toutefois de voir de quelle manière on va structurer ces interventions, en n'oubliant pas qu'il y a des coûts à assumer lorsque certaines personnes ne peuvent pas s'épanouir dans la mesure où elles y auraient droit. Allons-nous investir notre argent de manière à les aider à trouver un emploi, ou bien acceptons-nous le fait qu'en restant inactifs, nous continuons à renoncer à 1 billion de dollars par année en produit intérieur brut à l'échelle du monde?

C'est la question à trancher dans le cas des personnes handicapées; nous savons qu'il y a des coûts à engager, mais nous sommes également conscients que nous perdons beaucoup si nous les privons de leurs droits fondamentaux. Les répercussions ne touchent pas seulement les 650 millions de personnes handicapées que compte la planète, mais également les familles de ces personnes — ces mères, pères, sœurs et frères qui doivent demeurer à la maison pour s'en occuper parce qu'elles n'ont nulle part où aller.

Il y a certes des considérations financières à prendre en compte, mais elles ne se limitent pas à déterminer les coûts à assumer pour la création d'un programme. Il y des coûts déjà existants que nous devons prendre en considération lorsque nous posons ces questions.

La présidente : Monsieur Porter, lorsque les Nations Unies et leur Commission des droits de l'homme ont vu le jour et que les deux pactes fondamentaux ont été mis en place, soit celui relatif aux droits civils et politiques, puis celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, nous avons reconnu que nous travaillions d'abord et avant tout dans un contexte politique. Ce sont les États qui représentaient les gens. Très rapidement, un camp s'est formé pour défendre les droits civils et politiques : le droit à la vie, le droit de parole, la liberté d'expression et tout le reste. La religion s'est ajoutée par la suite au débat. Le camp économique et social s'intéressait aux interventions de l'État, et c'était en quelque sorte la position des communistes du bloc soviétique. Nous faisions valoir les droits civils et politiques, pendant qu'ils revendiquaient les droits économiques, sociaux et culturels. Il était donc tabou à bien des égards d'explorer les aspects liés aux droits économiques, sociaux et culturels, car on aurait ainsi pu considérer que nous étions piégés dans une idéologie dont nous ne voulions pas.

Avec la fin de la guerre froide et l'arrivée des années 1990, les gens ont commencé rapidement à s'intéresser aux aspects économiques, sociaux et culturels, mais nous n'avons rien entendu en ce sens au Canada.

Lorsque nous nous préoccupions des droits politiques et civils, il était facile d'obtenir le soutien des Canadiens, car ces droits se reflétaient presque parfaitement dans nos lois pénales et notre sens de la justice, de l'équité, de la démocratie et du respect des droits fondamentaux.

Pour leur part, les droits économiques et sociaux relevaient davantage de politiques au Canada. Un parti vous disait : « Je vais le faire de cette manière »; l'autre parti déclarait : « Je vais plutôt procéder ainsi. » Vous pouviez faire valoir vos droits en montrant la porte à un gouvernement et en plaçant un autre parti au pouvoir, ou vous pouviez tout au moins voter dans ce sens-là.

Nous avons ensuite adopté une approche axée sur les droits dans les secteurs économique, social et culturel en soutenant que tout cela est désormais mesurable, mais nous n'avons toujours pas déterminé la manière de procéder pour ce faire. Il a été question de confier la tâche aux Commissions des droits de la personne, et vous nous avez fourni de nombreux exemples de la manière dont nous pourrions tester cette approche. Vous avez fini par indiquer qu'il fallait appliquer un critère de caractère raisonnable. Je n'ai pas le droit absolu d'obtenir un logement d'un certain niveau correspondant à mes aspirations, mais plutôt le droit d'avoir accès à un logement et le droit de ne pas être sans abri. On n'a toutefois jamais cherché à déterminer qui devait établir ce qui est effectivement raisonnable.

Dans notre premier rapport intitulé Des promesses à tenir : Le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne, nous avons indiqué la façon dont nous envisagions le débat à partir de l'amorce d'un nouveau traité jusqu'à sa conclusion. Nous avons toutefois certains traités qui sont en cours de processus. Certains ont été ratifiés; d'autres ont été signés; certains autres ont été signés et ratifiés, mais pas entièrement mis en œuvre. À mon sens, si nous devons nous intéresser aux aspects sociaux, économiques et culturels, il nous faut nous pencher sur la manière dont les droits à cet égard seront appliqués afin de déterminer ce qui est raisonnable et d'établir une marche à suivre.

On entend de plus en plus souvent au Canada des gens faire valoir que ces droits doivent être traités sur le même pied que les droits politiques et que l'on devrait pouvoir s'adresser aux tribunaux pour les faire appliquer. Il va de soi que de telles perspectives font reculer les gouvernements.

Comment pouvons-nous parvenir à tenir un débat raisonné sur cet aspect des droits de la personne qui touche les facteurs économiques et sociaux? Ces questions nécessiteront selon moi un long débat qui devra être structuré par le gouvernement de manière à mobiliser les citoyens et à les aider à mieux comprendre les différentes distinctions. Par conséquent, les attentes seront arrimées aux capacités du gouvernement, ce qui nous ramène à toutes ces discussions que vous avez mentionnées concernant la capacité de payer, en assurant la conciliation entre soins de santé, éducation, logement, droits de la femme et fonctionnement efficace des systèmes judiciaires. Tous ces éléments ont toujours relevé de l'application des politiques. Nous allons maintenant les faire passer dans le champ des droits en y adjoignant un aspect international.

Vous avez indiqué dès le départ que c'est ce que nous devions faire et je suis d'accord avec vous. Comment allons- nous nous y prendre? Je crois qu'en bout de ligne il faut faire un choix entre confrontation et productivité.

M. Porter : C'est une très vaste question.

La présidente : Veuillez m'en excuser, je ne sais pas trop comment condenser mes réflexions à cet égard.

M. Porter : On constate actuellement à l'échelle internationale, tout comme au Canada d'ailleurs, que le débat qui perdurait est maintenant terminé. Nous composons avec la situation en nous rendant compte que le processus est déjà enclenché. Autrement dit, la distinction entre les revendications relatives aux droits sociaux et économiques et celles touchant les droits civils et politiques s'est pratiquement estompée. Il n'y a pas uniquement le fait que les pays sont de plus en plus nombreux à protéger les droits économiques et sociaux; il y a aussi notamment ce changement de paradigme au sujet de l'incapacité que M. Estey a souligné.

Au Canada, il y a eu la célèbre affaire Elbridge où il s'agissait de déterminer si les gouvernements sont tenus d'offrir des services d'interprétation pour les sourds et les malentendants aux fins de l'accès aux soins de santé. En Afrique du Sud, on aurait probablement invoqué le droit à la santé dans cette cause, car les droits économiques et sociaux sont inscrits dans la Constitution de ce pays.

Au Canada, c'est une revendication en faveur de l'application du droit à un traitement équitable. La norme dont s'est servi le tribunal pour déterminer si des ressources devraient être allouées à cette fin est désignée explicitement sous l'appellation de « caractère raisonnable ». Il n'était pas raisonnable pour la Colombie-Britannique de refuser de payer 300 000 $ pour des services d'interprétation, compte tenu des besoins à combler. L'investissement requis n'était pas suffisant pour justifier une atteinte aux droits fondamentaux.

En Colombie-Britannique, il y a maintenant une cause dans laquelle des sans-abri contestent un arrêté municipal qui leur interdit de se couvrir de plastique de façon permanente, même pour se protéger des éléments.

L'approche canadienne m'inquiète un peu. La même chose s'est produite dans l'affaire Chaoulli concernant le droit aux soins de santé. Nous semblons croire que la seule façon de protéger les droits fondamentaux réside dans le paradigme des mesures négatives auquel vous avez fait référence. Nous devons arrêter de traiter les gens de cette manière — cesser de détruire leurs abris de plastique et de les expulser des parcs. Si nous ne nous interrogeons pas sur les mesures positives à prendre parallèlement à tout cela, nos solutions ne seront jamais vraiment efficaces.

En Colombie-Britannique, il est maintenant permis pour les gens de se protéger avec du plastique lorsqu'ils doivent passer la nuit dans un parc. Le tribunal n'a toutefois pas fait valoir que le gouvernement devrait par ailleurs régler le problème du manque de place dans les refuges et des difficultés d'accès à un logement adéquat.

J'estime ainsi que dans l'affaire Chaoulli, le gouvernement fédéral aurait dû faire valoir qu'il était d'accord pour que le droit à la santé soit protégé en vertu du droit à la sécurité de la personne que procure la Charte, mais que cela devait se faire dans le cadre du système public de santé. Si les gens attendent trop longtemps pour une chirurgie de remplacement de la hanche, donnez-nous l'accès à une solution via le système judiciaire.

Cependant, nos tribunaux hésitent à se mêler de ces questions. Ils ont invalidé l'interdiction touchant les soins de santé privés. Ils ont ainsi choisi la mauvaise solution. Ils ont procédé de manière intrusive, car ils ne se sont pas rendu compte que le nouveau modèle de protection des droits consiste à reconnaître que les gouvernements ont des obligations négatives et positives. Certaines de ces obligations exigent l'investissement de ressources et d'autres permettent d'en économiser. C'est une norme qui oblige à déterminer la solution qui convient dans toutes les circonstances.

Au Canada, le débat peut s'articuler autour du sens que l'on donne à la notion de sécurité de la personne. Le juge Arbour a fait valoir que tout cela se retrouve déjà dans notre Charte; il s'agit seulement d'interpréter celle-ci de façon équitable.

Il est évident que le droit à la sécurité de la personne protège ces gens qui essaient de dormir dans un parc en se mettant à l'abri du temps froid. À partir de cette interprétation, on peut commencer à mieux comprendre ce qu'il convient de faire au chapitre des moyens et des obligations. Les tribunaux et les instances responsables des droits de la personne peuvent s'inspirer amplement de ce qui se passe actuellement à l'échelle internationale. À ce niveau, nous avons discuté de la question pendant 40 ans. Nous avons alors commencé à agir pour constater que ce n'était pas aussi difficile que nous le croyions. La situation actuelle est assez semblable.

Il est courant pour les tribunaux d'avoir à déterminer le caractère raisonnable. Jusqu'où peut-on aller pour un aménagement raisonnable au bénéfice de la personne handicapée? Voilà des années que nos tribunaux des droits de la personne se penchent sur des questions similaires. Ce sont des décisions qui touchent l'allocation des ressources.

Il ne s'agit pas ici d'adopter un nouveau type de règlement des causes. À mon avis, c'est davantage une question d'intégrer les personnes et les groupes exclus dans le cadre d'application des droits fondamentaux.

Le sénateur Lovelace Nicholas : J'ai une question concernant les personnes handicapées. Y avait-il des représentants des Premières nations à la convention?

M. Estey : Il n'y avait aucun participant du Canada. Je ne sais pas pour quelle raison. J'étais responsable de la tenue des consultations communautaires au cours des trois années qui ont mené à la convention et à l'élaboration du texte. Nous avons convié des représentants des Premières nations à chacune des rencontres de consultation tenues. Ils ne nous ont jamais répondu. Les discussions que j'ai eues à ce sujet n'ont jamais rien donné. Je ne vois pas ce que je peux faire d'autre que de poser la question.

D'autres pays pourraient compter sur la participation de représentants autochtones, laquelle était particulièrement marquée dans le cas de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Il n'y avait toutefois aucun représentant autochtone pour toute l'Amérique du Nord et c'est une véritable honte compte tenu de la convergence des problèmes associés à la situation de personne handicapée et de ceux pouvant découler des origines autochtones.

Au fil de la mise en œuvre, il s'agira certainement d'un aspect pour lequel nous pourrons faire montre d'une plus grande ouverture. J'espère bien que nous y arriverons. Nous avons eu quelques discussions préliminaires fort intéressantes avec les gens des Premières nations dans le contexte de l'Examen périodique universel aux fins de la convention sur les droits des personnes handicapées. Nous poursuivons nos efforts en ce sens, mais nous n'avons toujours pas obtenu de résultat.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Si je pose la question, c'est parce qu'il y a assurément des différences importantes dans la situation d'une personne handicapée selon qu'elle soit membre ou non des Premières nations.

Le sénateur Nancy Ruth : Comme par exemple?

Le sénateur Lovelace Nicholas : Bon nombre de ces personnes n'ont probablement pas pu participer parce qu'elles n'ont pas de véhicule. Elles ne pouvaient pas conduire ou n'avaient pas l'argent nécessaire parce qu'elles vivent de l'aide sociale.

La présidente : J'aimerais remercier tous nos témoins. Ce fut une longue soirée et je crois que nous avons traité d'un large éventail de sujets.

Nous nous retrouvons un peu dans la position que vous indiquiez. Le gouvernement a de nombreuses questions à examiner et à régler. Nous ne croyons pas nécessairement que cela soit négatif; nous pensons même que c'est positif. Nous abordons bon nombre des dossiers traités par le Conseil des droits de la personne dans le cadre de l'Examen périodique universel, et dans le contexte de l'évolution de notre pays, si je puis m'exprimer ainsi, en matière de droits de la personne.

Je vous remercie de nous avoir fait profiter de votre expertise et de votre connaissance approfondie de ces questions. Nous espérons que vous pourrez voir une partie de vos points de vue se refléter dans notre rapport. Vous saurez ainsi que le temps que vous nous avez consacré a été utilisé à bon escient.

(La séance est levée.)


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