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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 11 mai 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s'est réuni aujourd'hui à 18 h 35, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme).

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, avant de passer à notre premier groupe de témoins, je tiens à annoncer que c'est aujourd'hui l'anniversaire d'un de nos collègues, le sénateur Goldstein, jusqu'à récemment membre du comité. Je souhaite dire ici toute l'estime que nous éprouvons pour son consciencieux attachement au travail de ce comité et notamment pour l'appui qu'il a toujours voué à l'institution qui va retenir aujourd'hui notre attention, le Conseil des droits de l'homme. La discrimination en fonction de l'âge opère aussi au Sénat, et elle a fini par rattraper le sénateur Goldstein. Qu'il me soit permis, au nom de tous les membres du comité, de rendre hommage à son action en faveur des droits de la personne, et à la constance de ses efforts au sein de notre comité. Nous espérons continuer à collaborer avec lui sur un certain nombre de questions. Je sais que ce domaine n'a pas, pour lui, perdu la moindre parcelle d'intérêt et je crois savoir qu'il entend continuer à nous transmettre de temps à autre des renseignements et à soutenir nos travaux. Il sait que nos vœux l'accompagnent et je tenais à ce que tout cela soit consigné au procès-verbal.

Nous passons maintenant à notre premier groupe de témoins. Notre séance d'aujourd'hui portera sur l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et sur l'examen, entre autres choses, des mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. La question qui va retenir particulièrement notre attention aujourd'hui est ce changement qui a transformé la Commission des droits de l'homme en Conseil des droits de l'homme, et la nouvelle activité qui se situe au cœur de la mission confiée à ce Conseil des droits de l'homme, j'entends par cela l'Examen périodique universel. Nous avons prévu d'entendre aujourd'hui plusieurs témoins, et avant de procéder à la rédaction de notre rapport, nous entendons recueillir le témoignage de plusieurs personnes encore.

Ce soir, nous accueillons, en tant que représentant de l'Assemblée des Premières Nations, l'APN, M. Wilton Littlechild, chef régional de l'APN, Traités 6, 7, 8, région proche de celle que je représente. Nous sommes heureux d'accueillir des représentants de l'Assemblée des Premières Nations provenant des diverses régions du Canada. Nous nous connaissons, M. Littlechild et moi, depuis de nombreuses années, ayant eu l'occasion de collaborer à la Commission des droits de l'homme. Son expérience en ce domaine est grande. Outre ses activités très diverses, il a été député fédéral. Parmi vos autres titres, nous saluons en vous l'ancien parlementaire et c'est un plaisir de vous accueillir parmi nous.

M. Littlechild est accompagné de Mme Gina Cosentino, conseillère principale, Relations gouvernementales et affaires internationales, Bureau du chef national. Soyez, madame, la bienvenue devant le comité.

Je ne sais pas si vous avez prévu de présenter chacun un exposé, ou si un seul exposé doit être prononcé mais, quoi qu'il en soit, je vous demanderais de ne pas perdre de vue que nous devons à la fois respecter notre emploi du temps et prévoir suffisamment de temps pour les questions. Soyez tous deux les bienvenus devant le Comité sénatorial des droits de la personne. M. Littlechild, vous avez la parole.

Wilton Littlechild, chef régional de l'APN (Traités 6, 7, 8), Assemblée des Premières Nations : Merci, madame la présidente. Honorables sénateurs, je souhaite me joindre à l'hommage que vous venez de rendre à votre ancien collègue pour son action en ce domaine. Je suis en outre chargé de vous transmettre les salutations des Cris Muskwachees du territoire délimité par le Traité no 6.

J'ai l'honneur de comparaître devant vous au nom de l'Organisation internationale de développement des ressources indigènes, l'OIDRI, une organisation non gouvernementale accréditée depuis 1989 auprès du Conseil économique et social, l'ÉCOSOC. Comme vient de le dire votre présidente, je suis le chef régional de l'APN pour les territoires délimités en Alberta par les Traités 6, 7, 8. Je suis accompagné de la spécialiste de l'APN en matière d'affaires internationales. Elle vous a été présentée, mais je tiens à souligner sa présence. Je compterai sur elle pour m'aider à répondre sur les aspects techniques de certaines questions.

Permettez-moi, pour commencer, d'exposer en quelques mots en quoi consiste l'Organisation internationale de développement des ressources indigènes. Vers le milieu des années 1970, nos aînés, après de longues délibérations et l'accomplissement de cérémonies s'inscrivant dans notre tradition spirituelle, ont conseillé nos dirigeants de s'adresser à nouveau à la communauté internationale afin d'obtenir justice et respect. Ils étaient inquiets de constater les violations répétées des dispositions de notre Traité no 6 et des droits que nous avaient reconnus les traités en général. Nos délégations sont intervenues très activement auprès de nombreuses instances. Il est regrettable que nous ayons eu à faire appel à des mécanismes internationaux pour faire respecter les rapports qui nous avaient été garantis dans le cadre de traités. Il est encore plus regrettable que j'aie à comparaître aujourd'hui devant ce comité pour solliciter votre aide au sujet du partenariat prévu dans les traités.

Depuis plus de 30 ans, nous sollicitons dans le cadre de nos activités, les sages conseils de nos aînés au sujet des quatre principes fondamentaux. Nous avons respectueusement fait valoir nos arguments, nous avons exprimé nos préoccupations, mais, honorables sénateurs, nous avons aussi toujours proposé des solutions de rechange. C'est que, voyez-vous, les solutions peuvent être trouvées dans ces ententes sacrées dénommées « traités ».

Madame la présidente, comme vous l'avez dit il y a peu de temps, votre examen des mécanismes du gouvernement pour que Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne, vous offre une excellente occasion. En effet, l'ordre de renvoi à ce comité sénatorial permanent des droits de la personne vous autorise à examiner et à surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux obligations découlant des droits de la personne. Or, chacun sait que les droits issus de traités sont des droits de la personne, et constituent donc des obligations tant nationales qu'internationales. Selon nous, il s'agit en l'occurrence de droits et d'obligations réciproques.

Notre délégation a assisté et participé au processus de réforme engagé à l'ONU, notamment pour la création du nouveau Conseil des droits de l'homme. C'est dans le contexte de cette évolution que nous prenons la parole devant vous ce soir, en rappelant deux des objectifs de l'Examen périodique universel, l'EPU. D'abord, l'amélioration de la situation des droits de la personne sur le terrain et, deuxièmement, le soutien à la coopération en matière de protection et de promotion des droits de la personne.

Certains des témoins précédents ont évoqué devant vous le processus d'EPU, l'examen auquel le Canada est tenu de procéder, ainsi que les rapports et les recommandations qui en découlent. Nous avons ajouté notre voix aux analyses critiques auxquelles ces résultats ont donné lieu, et exprimé un certain nombre de préoccupations concernant tant le processus que la teneur des résultats. Nous avons, à l'époque, considéré qu'il s'agissait d'un véritable test pour l'EPU en tant que nouveau mécanisme de protection des droits des peuples autochtones. J'insiste sur ce point, car, jusque-là, dans les examens auxquels l'État est tenu de procéder, nous n'avions relevé que quatre mentions faites des peuples autochtones. Nous avons donc estimé que le temps était venu de faire un pas en vue d'améliorer, de promouvoir et de protéger les droits de la personne.

Notre action en faveur des droits de la personne se situe, bien sûr, dans l'optique des peuples indigènes. Nous avons remis au groupe de travail du Conseil des droits de l'homme, chargé de l'EPU du Canada, un mémoire dans lequel la question était analysée sous l'angle des traités et c'est ce texte-là que nous souhaitons soumettre ce soir à votre attention. Ce qu'il nous appartient d'assurer c'est que la réponse que le Canada apportera à la réunion plénière du Conseil des droits de l'homme prévue en juin, nous encourage tous à aller de l'avant et à travailler, dans la confiance et la bonne foi, en tant que partenaires dans le cadre des traités en question.

Avant qu'ait lieu l'EPU du Canada, prenant la parole à Genève, au cours d'une séance au siège de l'ONU, j'ai employé une analogie tirée du hockey. Permettez-moi de la reprendre aussi. Au hockey, ce que vous faites sur la glace lorsque vous êtes en possession de la rondelle est, bien sûr, très important, mais ce que vous faites lorsque quelqu'un d'autre a la rondelle est encore plus important. Ainsi, dans l'EPU, ce qui est dit dans le cadre de cet examen est important, mais ce qui est encore plus important, c'est ce que vous faites dans les quatre ans d'intervalle. J'estime pour cela, que la tâche que le Sénat vous a confiée, et qui consiste à surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne est un élément essentiel de notre éventuelle réussite.

En conclusion, je souhaite formuler les observations suivantes.

J'appelle en premier lieu le Canada, dans le cadre de son action intérieure, à revoir sa position à l'égard de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et prévoir notamment une pleine participation de nos dirigeants et de nos experts en ce domaine. Selon nous, cette Déclaration universelle des droits des peuples autochtones constitue en même temps une déclaration au sujet des traités et des droits issus de traités, car elle concerne l'esprit même de nos traités ainsi que la volonté qu'ils incarnent. Malheureusement, honorables sénateurs, cette déclaration a été présentée sous un faux jour, car en fait, elle pose les bases d'une meilleure relation et de partenariats beaucoup plus féconds. Relevons par ailleurs l'accord qui existe déjà sur bon nombre des dispositions de cette déclaration. En effet, lors de l'EPU, le Canada n'a signalé que trois parties de cette déclaration sur lesquelles il n'était pas d'accord et sur lesquelles nous pourrions œuvrer de concert en vue d'arriver à nous entendre pour que le Canada puisse donner son adhésion à ce projet de déclaration.

J'estime, pour ma part, qu'on a trop insisté jusqu'ici sur les points de désaccord. Lorsqu'on procède ainsi, on fait l'impasse sur 98 p. 100 du texte. Si nous procédions autrement, nous pourrions travailler ensemble sur les points qui soulèvent des difficultés et parvenir à une solution. La Déclaration des Nations Unies et la voie du traité se présentent comme deux solutions.

Deuxièmement, il conviendrait que le Canada mette en place un mécanisme interne permanent de concertation, de participation et d'acceptation pour les questions internationales touchant les peuples autochtones. Il existe, d'ailleurs, à cet égard, un précédent. Un groupe de travail autochtone a effectivement pris part aux processus d'amendement de la Convention no 169 de l'Organisation internationale du travail. Le Canada devrait en outre intégrer les normes internationales à la politique fédérale que le gouvernement est en train d'élaborer concernant l'obligation pour l'État de consulter et de prendre en compte. Une bonne pratique que nous avons signalée dans le cadre de l'EPU est le Groupe de travail mixte sur la Loi sur le tribunal des revendications particulières.

Je considère pour ma part que si nous souhaitons effectivement élaborer une politique fédérale en matière de concertation, on ne peut pas ignorer les normes internationales, car sans cela nous allons nous engager encore une fois dans une voie difficile.

Nous nous sommes montrés constructifs dans le cadre de l'EPU puisque nous avons souligné en même temps les bonnes pratiques du Canada. Une de celles-ci est, justement, le Groupe de travail mixte, où les représentants des groupes autochtones, le Bureau du Premier ministre, le ministère de la Justice et le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada — AINC — ont travaillé ensemble à l'élaboration d'un texte. Nous devrions, j'estime, nous inspirer de cette collaboration fructueuse dans ce que nous allons faire à l'avenir.

Un tel mécanisme interne permanent nous permettrait d'entretenir cette collaboration dans l'intervalle des examens périodiques et je crois, d'ailleurs, que c'est une des recommandations formulées par le Portugal dans le cadre de l'EPU.

Troisièmement, nous souhaiterions respectueusement rappeler les premières recommandations que nous avons formulées dans le cadre de l'EPU. Je relève, avec un plaisir particulier en raison de ma présence ici, que cette première recommandation portait justement sur la création, au Parlement du Canada, d'un comité, soit de la Chambre des communes soit du Sénat, qui serait chargé des questions internationales concernant les peuples autochtones. Nous avions même proposé la constitution d'un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, car, comme vous le savez, depuis 30 ans que nous oeuvrons dans le domaine international, de nombreux progrès ont été accomplis. Lors d'une réunion de parlementaires qui s'est récemment tenue à Genève, les participants ont remarqué qu'il n'y avait, au sein des parlements, et pas seulement du Parlement du Canada, aucun mécanisme permettant aux sénateurs ou aux députés d'être informés au fur et à mesure de ce qui se faisait dans les institutions internationales. C'est pourquoi nous avons estimé, lorsque nous avons formulé une recommandation en ce sens, qu'il conviendrait de retenir cette idée qui, selon nous, conserve toute sa valeur. Notre seconde recommandation a été de prendre la Déclaration des Nations Unies comme point de départ et de considérer que les principes qu'elle définit et affirme constituent, en matière d'interprétation des traités, une norme minimum permettant d'améliorer les relations et d'assurer une coexistence plus pacifique. La troisième recommandation concerne la mise en place d'un enseignement sur les traités conclus avec les peuples autochtones. Cet enseignement serait fondé sur les traditions orales des peuples autochtones, les divers sujets étant présentés dans l'optique qui leur est propre. Cet enseignement serait dispensé dans les établissements canadiens afin de parfaire les connaissances des étudiants en matière de droits de la personne.

Je sais, madame la présidente, qu'avec votre soutien, une telle initiative a été lancée en Saskatchewan où elle donne de très bons résultats. Nous pouvons témoigner des résultats concrets qui ont été obtenus et où les étudiants, tant les étudiants, autochtones et autres, ont pu s'initier à la problématique des traités. Cela a contribué à une amélioration des relations au sein même des établissements d'enseignement, avec toutes les incidences que cela peut avoir au niveau de la communauté dans son ensemble.

Je ne saurais terminer sans appeler le Canada à s'engager, auprès du Conseil des droits de l'homme, à prendre en compte, non seulement dans le cadre de l'examen, mais également lors de sa phase préparatoire, le point de vue et la contribution des peuples autochtones. Le Canada pourrait, d'après nous, très utilement consulter les observations générales que le Comité des droits de l'enfant vient récemment de publier au sujet des enfants autochtones.

Je considère que la prise de mesures conformes aux recommandations dont je viens de faire état donnerait une force singulière aux excuses présentées par le Premier ministre Harper le 11 juin dernier, et nous engagerait tous dans la voie de la réconciliation.

La présidente : Nous vous remercions, monsieur Littlechild de nous avoir livré votre point de vue et exposé vos recommandations.

Le comité remettra peut-être sur ces questions précises, un court rapport provisoire, mais la question va devoir être approfondie. Je dis cela au cas où vous auriez d'autres éléments à nous fournir. Nous entendons, en effet, dans les mois qui viennent, remettre au Conseil des droits de l'homme un rapport plus complet contenant un exposé de nos recommandations.

Permettez-moi maintenant de vous poser une question que l'on me pose depuis le début de cet examen. Nous avions, au Canada, tenté, sans grand succès peut-être, de résoudre les questions auxquelles donnait lieu l'application des traités, et cela tant dans l'intérêt des peuples autochtones que dans celui des citoyens non autochtones. Le Canada a inscrit dans la Charte cet article 35 qui a donné lieu à toute une série d'analyses et de jugements sur la question des droits existants issus de traités et sur ce qu'il convient d'entendre par cela. La question n'est toujours pas réglée. Puis, il y a eu l'adoption de cette déclaration sur les peuples autochtones qui a porté certains à me demander si, d'après moi, la Déclaration des Nations Unies n'a pas pour effet, du point de vue des nations autochtones et des communautés que vous représentez, de donner, au terme « droits issus de traités et droits existants issus de traités » un sens qui élargit le champ des droits reconnus et confirmés par l'article 35?

Je cite l'article 35 de la charte parce qu'il n'énumère pas en fait les droits en question. Il peut donc y avoir des droits qui restent à identifier, mais qui relèvent néanmoins de l'article 35, et nous commençons à comprendre ce qu'il convient d'entendre par droits existants issus de traités. Pensez-vous que la déclaration élargit la portée de ces droits, ou se situe- t-elle dans la même optique que l'article 35? Ma question est peut-être un petit peu obscure, mais je veux faire en cela appel à votre connaissance du droit.

M. Littlechild : Votre question doit, me semble-t-il, être abordée d'un double point de vue. D'abord, il y a les traités conclus avant la Confédération, c'est-à-dire les traités numérotés, et puis il y a les traités contemporains ainsi que certains autres traités qui sont encore en cours de négociation. D'après moi, l'article 35, qui confirme les droits existants issus de traités, s'applique à tous les traités conclus jusqu'ici. Les traités en cours de négociation vont peut-être élargir un peu le champ des droits en question, compte tenu de l'évolution de la situation.

Deuxièmement, il y a ceux qui estiment que les traités historiques, c'est-à-dire les traités numérotés, peuvent et doivent être interprétés dans le contexte de la situation actuelle et je crois cette hypothèse s'inscrit dans la ligne découlant des arrêts de la Cour suprême du Canada. Il se peut qu'en interprétant les traités historiques, au vu des circonstances actuelles, on assure aux accords une sorte de mise à jour qui tient compte de l'évolution de la situation. Il est possible que de ce point de vue on élargisse le champ des traités en vigueur.

Cela dit, lorsqu'on étudie la Déclaration des Nations Unies dans le contexte des traités, on constate qu'à l'exception d'une seule de ses dispositions, la Déclaration des Nations Unies concerne en fait les droits issus de traités. On y trouve donc un très utile éclaircissement de ce qu'il convient d'entendre par droits issus de traités, cet éclaircissement provenant de 14 ou 15 années d'efforts internationaux afin, justement, de clarifier les droits en question. D'une certaine manière, le texte de la Déclaration tend, peut-être, à élargir ces droits, mais la déclaration a surtout pour effet de nous aider à préciser quels sont, justement, les droits existants issus de traités. Les divers articles de la déclaration concernant la santé ou l'éducation nous permettent de mieux comprendre l'étendue des droits issus de traités dans ces deux domaines et on peut donc dire que la déclaration est un très utile document interprétatif.

La présidente : J'ai, jadis, participé quelque peu à l'action internationale qui a abouti à cette déclaration. Je me souviens combien il était difficile d'amener des pays autres que ceux qui avaient fini par reconnaître leurs populations autochtones, à s'intéresser à la question. Nous étions donc intervenus plus particulièrement auprès du Canada, de l'Australie, un peu de la Nouvelle-Zélande, et de certains pays d'Afrique australe. De nombreux pays affirmaient, cependant, que n'ayant pas eux-mêmes de peuples autochtones, la déclaration ne saurait les concerner. Je crois savoir que, jusqu'au dernier vote portant adoption de la déclaration à l'issue d'une longue procédure dont l'ONU a le secret, des pays continuaient à dire « Ce traité ne s'applique pas à nous-mêmes s'il s'applique au Canada, et peut-être à d'autres pays encore ».

Pourriez-vous, sur ce point, nous livrer le fruit de vos réflexions. Estimez-vous que la déclaration regarde tous les pays membres des Nations Unies?

M. Littlechild : Oui, je le pense. Nous savons, en effet, que le territoire national de 70 pays membres abrite des peuples autochtones, ce qui veut dire que ce n'est pas le cas de nombreux autres pays. Cela dit, à partir du moment où une déclaration est adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, elle s'applique à tous les pays. Ça, c'est une première chose.

Deuxièmement, il y a les pays qui, tout en n'ayant pas eux-mêmes de population autochtone, ont néanmoins soutenu l'adoption de la déclaration, comprenant fort bien de quoi il s'agissait. Cela étant, la déclaration s'applique effectivement à tous les pays du monde, car il est impossible qu'une déclaration adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies ne s'applique qu'à certaines régions. D'après moi, la déclaration s'applique donc universellement.

La présidente : Je vous remercie. C'est une autre des questions sur lesquelles nous allons devoir nous pencher. En effet, certains pays ont reconnu leurs populations autochtones, où ont à tout le moins commencé de les reconnaître, même s'ils n'ont pas encore entrepris de se pencher sur les problèmes qui restent à résoudre. D'autres pays n'ont pas encore affirmé ne pas abriter d'Autochtones alors que ce n'est peut-être pas le cas, et la déclaration peut donc utilement servir à obtenir, pour les peuples en question, la reconnaissance de leurs droits et de leur culture.

M. Littlechild : Oui, tout à fait. Nous savons, en effet, que certains États nient l'existence de peuples autochtones à l'intérieur de leurs frontières. La définition que la déclaration donne de peuple autochtone devrait donc être très utile dans ces cas-là. La déclaration renforce en outre la position des peuples qui ne se sont toujours pas vu reconnaître l'appartenance à la communauté nationale où la citoyenneté.

Gina Cosentino, conseillère principale, Relations gouvernementales et affaires internationales, Bureau du chef national, Assemblée des Premières Nations : Permettez-moi une petite précision. Vous avez raison de dire que la déclaration ne constitue pas un traité. Il ne s'agit pas, en effet, d'une convention, mais d'une simple déclaration. Ce sont deux types d'instruments différents.

La présidente : En effet.

Mme Cosentino : Comme l'a dit le chef régional Littlechild, la déclaration pose, en matière de gouvernance internationale, un certain nombre de principes quant à la manière de traiter, au sein d'une société donnée, certains groupes dont l'appartenance n'a pas toujours été reconnue à part entière. En ce sens, je dois dire que la déclaration consolide les normes internationales en matière de droits de la personne. J'ajoute que les dispositions de cette déclaration sont parfaitement conformes à des principes internationaux généralement acceptés et s'alignent sur les droits et normes affirmés dans les divers pactes et conventions internationales. Ce texte s'inscrit donc dans un ensemble d'instruments internationaux concernant les droits de la personne. Il ne s'agit aucunement d'un texte isolé, mais d'un texte qui fait partie de tout un ensemble de documents et mécanismes internationaux tendant à l'affirmation et à la défense des droits de la personne.

Le sénateur Poy : Je vous remercie, chef Littlechild. Vous disiez tout à l'heure que vous souhaiteriez voir établir un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat chargé des affaires internationales concernant les peuples autochtones. Savez-vous si une telle solution a été adoptée par certains autres pays?

M. Littlechild : Lors d'une récente réunion de l'Union interparlementaire, à Genève, des parlementaires venus de toutes les régions du monde ont justement abordé l'objet de votre question. Au vu des discussions qui ont eu lieu, et des recommandations qui ont été formulées, je dirais que non. Je ne pense pas qu'une telle solution ait été adoptée. Autrement, on en aurait entendu parler au cours de cette réunion.

Il est possible, toutefois, que la question ait été examinée devant une autre instance. Il existe, en effet, une organisation qui regroupe les parlementaires autochtones des Amériques. Cette assemblée du Parlement autochtone des Amériques se penche actuellement sur la Déclaration des Nations Unies et sur le meilleur moyen d'en invoquer les dispositions au sein des divers parlements. Vous n'ignorez pas, bien sûr, la faculté que vous, sénateurs, avez en tant que parlementaires de présenter devant la Chambre des projets de loi tendant, par exemple, à faciliter la mise en œuvre des diverses dispositions de la déclaration.

Vous savez sans doute également qu'en Bolivie, le texte de la déclaration est devenu loi. Les États-Unis ont voté à l'encontre de la déclaration, mais l'État de l'Arizona a voté une loi appuyant la déclaration. L'État du Maine en a fait de même. Au Canada, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a donné son aval à la déclaration. Cela montre que, dans un état fédératif, il est possible de prendre des mesures pour affirmer son soutien au texte de la déclaration.

Mais, pour répondre de manière plus directe à votre question, je ne sais pas au juste si une telle solution a été mise en œuvre ailleurs. Je sais simplement que nous devrions le faire au Canada et je souhaiterais effectivement que cela se fasse. Cela nous offre l'occasion de nous affirmer en tant que défenseurs des droits de la personne. Un premier pas serait de faire en sorte que tous les députés et sénateurs soient mis au courant de cette déclaration, et persuadés qu'il s'agit d'un instrument qui contribuera utilement à une amélioration des relations.

Si vous songez aux 30 dernières années, vous constatez que cette Déclaration des Nations Unies s'inscrit dans une longue série de progrès. Il y a, en effet, la Convention de l'Organisation internationale du travail, l'OIT, le projet de déclaration de l'Organisation des États américains, l'OEA, tous les efforts qui continuent à être consacrés à la question de la biodiversité; ainsi que tout le travail qui se fait au sein de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'OMPI. Tout cela contribue au développement du droit international et à l'adoption de textes qui devraient être connus non seulement des législateurs, mais également des membres des communautés autochtones. Nous allons devoir travailler de concert afin d'élaborer des solutions communes. Ce n'est pas encore le cas.

Le sénateur Poy : Vous venez de dire que les Territoires du Nord-Ouest ainsi que certains États des États-Unis ont donné leur aval à la déclaration. Votre suggestion me paraît excellente. S'agirait-il de constituer un comité fédéral chargé de travailler en collaboration avec l'AINC?

M. Littlechild : Votre comité a pour mission de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne. Cela veut sans doute dire que, dans certains cas, vous êtes appelés à œuvrer de concert avec d'autres, mais que, parfois, il vous faudra manifester votre désaccord et proposer une autre piste.

Cela va sans doute dépendre de la question en cause, mais d'après moi, le terme « surveiller » veut dire que vous avez le choix de la manière dont vous entendez procéder.

Le sénateur Poy : Comment définissez-vous « peuples autochtones? » Depuis combien de temps un groupe doit-il être installé sur un territoire donné pour être considéré comme un peuple autochtone?

M. Littlechild : Votre question est à la fois pertinente et difficile. Lorsqu'elle s'est posée dans le cadre de l'ONU, celle-ci a commandé une étude sur la question. La Rapporteure spéciale, Erica Dias, a remis un long rapport de recherche. Elle dégageait, dans ce rapport, certains critères permettant de dire si une personne donnée peut effectivement être considérée comme autochtone.

D'après nous, les travaux accomplis à l'ONU permettent de répondre à votre question. Les personnes qui ne répondent pas aux critères ainsi définis ne seraient donc pas considérées comme des Autochtones. Je dois dire qu'à diverses réunions de l'ONU, l'intervention de certaines délégations a été jugée irrecevable, car, de l'avis de la présidence, il ne s'agissait pas en fait de personnes autochtones, mais simplement de personnes qui tentaient de se voir reconnaître comme telles pour des raisons qui leur étaient propres. Elles ne répondaient pas aux critères dégagés par les Nations Unies.

La durée de l'installation n'a pas été retenue en tant que critère, mais les liens avec un territoire donné constituent un critère essentiel. Le mot « Inuit », par exemple, veut dire habitant de la terre, et cela a été pris en compte pour formuler la définition adoptée par les Nations Unies.

Le sénateur Nancy Ruth : Chef Littlechild, vous avez manifestement une grande expérience en ce domaine. Pourriez- vous me dire quelle est, pour le Canada, et pour ses habitants, la valeur de cette procédure d'examen périodique universel?

M. Littlechild : Sa valeur?

Le sénateur Nancy Ruth : Oui.

M. Littlechild : La mise en place de ce mécanisme est une très bonne chose non seulement pour les peuples autochtones du Canada, mais pour tous les peuples autochtones de la Terre. La présidence n'ignore pas que l'on reprochait à la Commission des droits de l'homme et à sa sous-commission, d'avoir été instrumentalisée à des fins politiques. Cet organisme semblait en effet davantage se préoccuper de politique que de droits de la personne. Or, le nouveau mécanisme instauré est censé éviter que cela ne se répète et que le Conseil s'attachera, effectivement, à défendre les droits de la personne. Une demi-douzaine d'objectifs ont été fixés à l'EPU.

Lorsqu'un État se propose à l'examen ou se voit inscrire au calendrier, cela donner à l'État en question, en l'occurrence le Canada, l'occasion de jeter un regard nouveau sur son action et de se comparer aux autres États en matière de défense des droits de la personne. Si l'on n'est pas à la hauteur, on est d'autant plus motivé à se pencher sérieusement sur son comportement, et à décider de mieux se comporter et de mieux observer les normes internationales en matière de droits de la personne.

Le sénateur Nancy Ruth : Lorsque vous dites « nous », entendez-vous par cela le Canada ou l'APN?

M. Littlechild : Quand je dis « nous », j'entends le Canada.

Le sénateur Nancy Ruth : On parle donc des divers pays?

M. Littlechild : C'est exact. Le mécanisme mis en place est un mécanisme étatique et l'EPU ne s'applique qu'aux États. C'est d'ailleurs un des problèmes auxquels nous faisons actuellement face, nous en tant que peuples autochtones, mais cela représente également un problème pour la société civile.

Ainsi, lorsqu'un État est visé par l'examen prévu, nous ne pouvons pas participer à l'EPU, en prenant la parole, par exemple. Nous ne pouvons intervenir que dans le cadre du mémoire que nous présentons avant que l'examen ne soit entamé, et après cela, nous devons attendre. Ainsi, nous allons maintenant attendre que le Canada réponde au mois de juin. En tant qu'ONG, nous avons, je crois, cinq minutes pour faire une déclaration. Collectivement, les ONG disposent donc d'une vingtaine de minutes pour présenter leurs observations après la réponse du Canada.

C'est pour cela que j'estime important que nous collaborions à la réponse que le Canada doit donner au mois de juin.

Le sénateur Nancy Ruth : J'imagine que le mécanisme ainsi instauré ne doit pas vous paraître très satisfaisant et cela vaut sans doute pour tous les autres groupes qui ont comparu devant nous. Je parle là de l'attente et du fait de ne disposer que de cinq minutes pour faire valoir vos observations avant que le Canada ait à nouveau la possibilité de se faire entendre.

Quels seraient, selon vous, les changements à apporter à la manière dont cet examen se déroule ici au Canada? Dois- je supposer que dans la mesure où vous ne parvenez pas à obtenir des changements ici, vous tenterez d'en obtenir à l'échelle internationale? Dans ce cas-là, qu'entendez-vous faire?

M. Littlechild : Nous entendons employer le mécanisme tel qu'il a été institué. Je sais que la situation évolue et si vous avez vous-même relevé dans le cadre de votre rapport, que le mécanisme n'est pas parfait, c'est tout de même un mécanisme en évolution. Cela étant, il offre des possibilités de changement et d'amélioration. Étant donné que le Canada va se retirer du Conseil des droits de l'homme — je crois savoir en effet qu'il ne va pas à nouveau briguer un siège au sein de cet organisme — nous avons, en tant que pays, l'occasion de proposer un certain nombre d'améliorations dans l'intérêt de tout le monde.

Je sais que le Canada a beaucoup contribué à l'établissement de ce conseil. J'ai d'ailleurs proposé au gouvernement de demander à être le premier pays à être examiné, étant donné l'importance que ce mécanisme revêt pour notre pays et pour le reste du monde.

Il est clair que la procédure prévue pourrait être sensiblement améliorée. Nous jugeons très regrettable, en effet, de ne pas pouvoir prendre la parole, et de devoir attendre pendant que d'autres s'expriment sur nos droits. Nous pouvons, certes, toujours dialoguer avec les divers États et intervenir auprès d'eux avant la tenue de l'EPU. Nous pouvons ainsi tenter d'influencer le vote. Si nous ne sommes pas satisfaits de la réponse apportée au mois de juin, nous nous adresserons à nouveau aux instances internationales, car c'est, effectivement, le seul recours que nous ayons.

Le sénateur Nancy Ruth : Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de l'action que vous pouvez mener auprès d'autres États? Comment choisissez-vous vos interlocuteurs? À qui vous adressez-vous? Comment des groupes tels que le vôtre, peuvent-ils obtenir que d'autres États posent au Canada les questions que vous auriez vous-même souhaité poser, et fassent figurer dans le rapport des choses que vous auriez vous-même souhaité y mettre?

Cela doit compter pour une grande part de ce qui est dit à notre gouvernement. Je pense à toutes les ONG et autres groupes qui, peuvent en ce domaine, solliciter l'aide d'autres pays. Comment l'APN s'y prend-elle?

M. Littlechild : Tout cela dépend bien sûr des ressources et des moyens dont on dispose. Nous n'étions ainsi que deux à représenter l'APN, deux seulement à intervenir auprès des États membres. Nous avons souhaité agir parce que nous avions eu connaissance du rapport du Canada. Nous avons examiné nos propres mémoires et nous souhaitions que, dans le cadre de l'EPU, le Conseil des droits de l'homme puisse se prononcer au vu d'une information équilibrée. Le Canada avait fait valoir un point de vue et nous avons donc eu la possibilité de faire valoir le nôtre. Ce n'est qu'en dialoguant avec d'autres États que nous pouvons le faire.

Ainsi, nous nous sommes penchés sur le rapport remis par le Canada, et nous avons présenté un projet de questions qui pourraient être posées au Canada, ainsi qu'un projet de recommandations qui pourraient être formulées. C'est comme cela que nous intervenons auprès d'autres États.

Le sénateur Nancy Ruth : Mais comment avez-vous choisi les États à qui vous vous êtes adressés?

M. Littlechild : Notre délégation n'avait, à cet égard, aucune idée préconçue. Nous avons contacté le plus grand nombre d'États possible. Nous avons procédé à la fois par contacts individuels, mais aussi en présentant des exposés auxquels nous demandions aux États membres d'assister. Nous pouvions alors présenter nos idées et solliciter des questions.

Il existe donc deux possibilités : les contacts individuels qui exigent davantage de temps et d'effort et les réunions. Nous ne nous adressons pas systématiquement à ceux qui seraient censés être du même avis que nous, et c'est pour cela que tout cela exige davantage d'efforts et de travail.

Le sénateur Nancy Ruth : Avez-vous pu collaborer avec d'autres groupes autochtones ou avec d'autres groupes souhaitant intervenir auprès du conseil? Vous êtes-vous réunis et avez-vous partagé le travail? Comment, en effet, renforcer l'efficacité de vos interventions auprès des autres États?

M. Littlechild : Dans certains cas, nous avons organisé des réunions de groupes autochtones. Nous avions un tableau où figurait le nom de tous les États, et celui des personnes chargées de telle ou telle région ou de tel ou tel État. À la fin de chaque journée, nous nous réunissions pour parler du travail qui avait été accompli, rendant compte des pourparlers que nous avions eus avec les représentants des divers États, des questions qu'ils nous avaient posées et s'ils semblaient sympathiques à nos objectifs ou si, au contraire, ils y étaient opposés. Il nous fallait donc étudier la situation par rapport aux États et aux diverses régions.

Cela n'est pas toujours possible. Cela dépend vraiment du nombre de personnes que nous pouvons mobiliser. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, lorsque, après la publication du rapport, le Canada a répondu à l'EPU, nous n'étions que deux. Ça prend non seulement du travail, mais également des ressources.

Le sénateur Nancy Ruth : Aviez-vous l'impression que les représentants du Canada suivaient de près votre action ou celle des autres groupes?

M. Littlechild : Je ne saisis pas très bien le sens de votre question.

Le sénateur Nancy Ruth : Y avait-il, parmi la délégation canadienne, parmi les gens d'Affaires étrangères et Commerce international envoyés à Genève, des gens qui surveillaient ce qui se passait et qui cherchaient à savoir quels étaient les États contactés et pourquoi?

M. Littlechild : Je ne saurais vous dire, mais si cela s'est passé, il est probable que c'était réciproque. Nous avons bien des réunions avec des membres de la délégation canadienne. Je leur ai ainsi communiqué les recommandations formulées par notre délégation. J'essaie de me souvenir si cela se faisait effectivement, mais je ne pense pas.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est tout le travail en coulisse qui aboutit à la rédaction d'un rapport. Je cherche toujours à connaître l'envers des cartes. On pourrait passer toute une soirée à en discuter.

Le sénateur Brazeau : Chef Littlechild, soyez le bienvenu ici. Avant d'aborder la question que je souhaite vous poser, je tiens à vous féliciter de votre action, présente et passée, dans le domaine des droits de la personne. Nous avons, à une certaine époque, eu l'occasion de collaborer et je sais toute l'estime dont vous bénéficiez au sein des instances internationales qui oeuvrent pour la défense des droits de la personne.

Ma question est d'ordre assez général. J'ai eu l'occasion de la poser déjà à d'autres témoins. Quelle est, selon vous, la note qu'il convient d'attribuer au Canada pour sa participation aux activités de l'ONU en faveur des populations autochtones. J'entends par cela, le rôle qu'il a joué au niveau de la Déclaration des Nations Unies, de la déclaration de l'Organisation des États américains, ainsi que dans le cadre de divers autres dossiers, y compris de l'Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones. Les nations autochtones du Canada ont-elles notamment eu la possibilité de participer pleinement? Comment la situation des peuples autochtones du Canada se compare-t-elle à celle des peuples autochtones d'autres pays en matière de droits de la personne? Et, pour prendre la question sous un autre angle, que diriez-vous du manque de recours en matière de droits de la personne, car c'est un aspect qu'on a d'après moi à déplorer?

M. Littlechild : Je vous remercie, sénateur, à la fois de votre question et de vos aimables propos.

Si l'on compare le gouvernement canadien au gouvernement d'autres États, je dois dire qu'à certaines occasions l'esprit de collaboration a été à notre égard complet, mais qu'à certaines autres occasions, les choses ne se sont pas passées tout à fait aussi bien.

Laissez-moi vous citer un exemple. En ce qui concerne la déclaration, nous avons œuvré de concert avec les représentants du gouvernement canadien, et cela est vrai d'un certain nombre de dossiers. Cela ne veut pas dire que la discussion a toujours été amicale, car, en effet, certaines questions sont loin de faire l'unanimité. Cela dit, il existe tout de même cette possibilité de faire valoir son point de vue, ce qui n'est pas vrai dans tous les pays. C'est dire que la situation n'est peut-être pas entièrement satisfaisante, mais elle est supérieure à ce qui se passe dans certains autres pays.

Je vais à cet égard, citer un exemple précis. Lors d'une réunion, j'avais dit que je ne comptais plus le nombre d'amis, de dirigeants autochtones avec qui j'avais eu l'occasion de collaborer au fil des ans, qui avaient été assassinés à cause des déclarations qu'ils avaient faites au siège de l'ONU à Genève. Ils avaient effectivement, une fois rentrés chez eux, été assassinés. Après le huitième assassinat, j'ai arrêté de compter, mais c'est vous donner une idée de la différence qui existe. Je peux rencontrer les membres de la délégation canadienne et faire pleinement valoir notre point de vue, mais il est vrai que, dans certaines circonstances, arrive un point où la collaboration cesse.

Pour revenir à la déclaration, j'avais, à l'époque, écrit au premier ministre ainsi qu'à divers ministres, et j'avais également rencontré certains parlementaires. Or, il a fallu que Genève demande au gouvernement canadien de bien vouloir nous rencontrer. Il nous a fallu 18 mois avant d'obtenir une rencontre avec deux ministres. Vous allez peut-être relever dans ce que je vous dis des propos contradictoires, mais ce qui est vrai, c'est que la situation est parfois très satisfaisante, mais d'autres fois, nous n'éprouvons pas la même collaboration.

D'autres peuples autochtones éprouvent, bien sûr, des difficultés beaucoup plus grandes. C'est d'ailleurs pour cela que le Canada doit assumer le rôle qui lui revient dans la défense des droits de tous les peuples autochtones. Le Canada en a à la fois l'occasion et les moyens et il ne doit, par conséquent, pas hésiter à prendre l'initiative en ce domaine.

Le sénateur Brazeau : Si je vous pose la question c'est que notre comité est à la recherche des mêmes solutions que vous, dans le soucie d'améliorer le système, d'améliorer le niveau d'engagement de notre pays et de permettre à tous les intéressés de participer pleinement.

Cela dit, et c'est là où je suis moins d'accord — vous avez d'ailleurs soulevé la question au sujet de la Déclaration des Nations Unies — c'est que, d'après vous, le gouvernement devrait mettre l'accent sur ce qui va bien et aborder conjointement avec vous les dossiers sous cet angle. En tant que peuples autochtones du Canada nous tenons effectivement à mettre l'accent sur l'aspect positif des choses, mais nous convenons néanmoins qu'il y aurait des choses à améliorer.

Le fait que le Canada n'a pas souscrit à la déclaration est un des problèmes qui se pose. Mais ce que je trouve en outre problématique est le fait que, parfois, des représentants des peuples autochtones du Canada se présentent avec le soutien financier du gouvernement du Canada, devant des instances internationales et formulent des critiques à l'égard du Canada. J'estime que la situation des peuples autochtones au Canada est probablement bien meilleure que dans n'importe quel autre pays. C'est pour cela que, dans le cadre de ma première question, je vous avais demandé d'effectuer une comparaison. Notre comité s'attache en effet à chercher les moyens d'améliorer le système actuel.

M. Littlechild : Mon second point tendait à l'instauration, au Canada, d'un organisme permanent où nous pourrions discuter de ces diverses questions. D'après nous, cela serait extrêmement utile. J'ai cité la Convention de l'OIT car j'estime qu'elle donne de très bons résultats. Nous n'étions pas d'accord sur tout, mais nous avons travaillé de concert et nous nous sommes réunis avec des représentants de l'État pour aboutir à une solution. Nous sommes, je pense, arrivés à un accord important. Quand nous ne sommes pas parvenus à nous entendre, nous avons accepté cet état de choses en demandant, cependant, au Canada d'indiquer dans une annexe à son rapport les questions sur lesquelles nous n'étions pas d'accord, ce qui a effectivement été fait. Le Canada a ainsi fait état des points sur lesquels nous nous étions entendus, et aussi des points sur lesquels les peuples autochtones du Canada n'étaient pas d'accord. Tout figure dans le rapport, soit dans le corps du texte, soit en annexe et cela me paraît être la bonne manière de procéder.

Pour revenir à votre question principale, j'estime que nous ne devrions pas être obligés de toujours nous adresser à des instances internationales. Oui, effectivement, des critiques y sont parfois formulées, mais si nous disposions d'un mécanisme interne, d'une procédure nationale, nous pourrions nous attacher à résoudre ces différends avant même d'avoir à nous adresser à des instances internationales. J'estime que cela améliorerait l'efficacité de notre action collective.

En ce qui concerne l'aspect financier de la question, je dois dire que cela fait 32 ans que des représentants de ma communauté interviennent auprès des Nations Unies sans jamais avoir, pour cela, reçu la moindre aide financière du gouvernement. Il me semblait utile de le préciser. Effectivement, certaines délégations touchent une subvention du gouvernement, mais l'APN ne reçoit, de la part du gouvernement, aucune aide en ce qui concerne ses activités internationales.

Je sais que la situation à cet égard varie d'une organisation à l'autre, mais ce n'est pas tout le monde qui touche des subventions. Je crois comprendre à cet égard que l'octroi de subventions est subordonné à un certain nombre de conditions, dont celle de ne pas formuler de critiques à l'égard du Canada.

Mme Cosentino : Permettez-moi de revenir à la question que vous posiez sur la situation des droits de la personne dans l'optique des Premières nations du Canada par rapport à la situation dans d'autres pays. Je dois dire que la réponse varie sans doute selon la personne que vous interrogez. Si vous songez aux conditions de vie dans les communautés des Premières nations où la pauvreté est grande, où l'on peut constater des inégalités en matière d'aide à l'enseignement, où l'eau potable demeure gravement problématique, où l'on relève tout un éventail de difficultés socio- économiques, notamment sur le plan de la santé, c'est là que l'on voit, si l'on peut dire à l'état brut, la situation des droits de la personne du point de vue de nombreuses Premières nations du Canada. Leur point de vue à cet égard est donc très différent de ce qu'il serait dans d'autres pays. Souvent, la situation est comparable à celle que l'on s'attendrait à trouver dans des pays en développement et non dans des pays développés tels que le Canada. Je dois dire qu'à cet égard la réputation du Canada en matière de droits de la personne est singulièrement entachée.

Je peux par ailleurs confirmer ce que le chef régional Littlechild a dit au sujet des aides accordées pour les démarches auprès d'instances internationales. Une grande partie du travail de l'Assemblée des Premières Nations au niveau international est effectuée avec nos propres ressources. Les restrictions budgétaires et la baisse régulière des subventions accordées aux organisations nuisent sérieusement à nos activités internationales. Or, il s'agit d'un domaine auquel il est important que nous participions puisque cette action est l'expression de notre autonomie. Grâce aux efforts du chef régional Littlechild et d'autres dirigeants, certains d'entre nous peuvent se rendre à Genève ou à New York pour poursuivre nos efforts. Nous sommes parfois, pour cela, tenus d'improviser et il est assez difficile d'entretenir les réseaux, les alliances et les dialogues avec d'autres États, avec d'autres ONG oeuvrant dans le domaine des droits de la personne, et avec d'autres organisations des peuples autochtones. C'est une activité que nous tentons de mener, mais ce n'est pas facile en raison, justement, des contraintes budgétaires.

Le sénateur Brazeau : Puis-je vous demander une petite précision? Je sais que les organisations autochtones internationales ont, du moins dans le passé, reçu des subsides qui leur ont permis de participer à Genève à des réunions organisées en vue de l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi d'ailleurs que pour des réunions organisées en marge du projet de déclaration de l'OEA. Je sais, également, que l'Assemblée des Premières Nations a, au cours des quelques dernières années, ou à l'occasion des deux derniers sommets autochtones, bénéficié de subventions. Est-ce exact?

M. Littlechild : Oui, je ne songe même pas à le nier. Je parlais simplement de ma propre communauté. L'Organisation internationale de développement des ressources indigènes est une ONG habilitée à intervenir auprès de l'ÉCOSOC. Or, cette organisation, nous l'avons financée nous-mêmes. Il convient de la distinguer des organisations nationales.

La présidente : Il est donc exact de dire que certaines associations ou groupes nationaux autochtones ont bénéficié ou bénéficient actuellement de subventions du gouvernement canadien, mais que votre propre organisation, qui est une organisation internationale accréditée auprès de l'ÉCOSOC ne reçoit aucun subside. Il est utile de le préciser. Souhaitiez-vous poursuivre dans cette voie?

Le sénateur Brazeau : L'ordre du jour vous présente comme le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations pour les Traités 6, 7, 8. Pourriez-vous me préciser à quel titre vous intervenez ici ce soir?

M. Littlechild : Je prends la parole devant vous à un double titre.

Je figurais, dans l'invitation initiale, en tant que représentant de l'organisation internationale mais, en tant que chef régional, il m'est donné de prendre la parole à ce double titre.

Mme Cosentino : Je devrais d'ailleurs préciser que cela dépend de la réunion internationale en question. Par exemple, en ce qui concerne l'Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, nous ne bénéficions d'aucune subvention. Par contre, en ce qui concerne les réunions de l'OEA, nous avons pu obtenir, par l'intermédiaire de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, une aide qui nous a permis d'y participer. Cela dépend donc de la situation, mais en ce qui concerne notre travail auprès de nombreuses instances internationales, nous ne pouvons compter que sur nos propres ressources.

La présidente : Le cas échéant, nous vous demanderons des précisions supplémentaires au sujet des subventions et des organisations qui en bénéficient. Selon vous, donc, certains organismes touchent des subventions et d'autres non.

Le sénateur Jaffer : Je voudrais, pour ma part, savoir pourquoi la question se pose. Il est normal, dans une démocratie, d'aider les groupes les plus vulnérables. Il ne serait, certes, pas le seul groupe à obtenir des subsides et la démocratie en sort renforcée lorsqu'on aide les groupes les plus vulnérables à se faire entendre. Je ne vois pas très bien où nous voulons en venir et quel est le rapport avec l'EPU. Ces questions me mettent mal à l'aise. Le fait que nous accordions des subventions aux groupes vulnérables afin qu'ils puissent s'exprimer devant les instances internationales est à inscrire au crédit du Canada. L'APN n'est pas le seul groupe en bénéficier.

La présidente : C'est effectivement un point de vue qui se défend, mais compte tenu de la composition de notre comité, chaque sénateur a toute latitude pour exprimer son point de vue et poser des questions. C'est lors de la rédaction de notre rapport qu'il sera temps de discuter de ce qu'il convient de retenir et de ce qui ne semble pas pertinent. Dans nos délibérations, nous n'écartons aucune question.

Cela dit, les questions qui ont été posées jusqu'ici sont bien en rapport avec notre étude puisque la question s'est posée au niveau international. Nous avons appris que ce ne sont pas tous les groupes qui ont la possibilité de s'exprimer même si, au Canada, le problème ne se pose pas. La question des ressources financières joue et nous déciderons ultérieurement si cette question est effectivement en rapport avec notre étude de l'EPU.

Le sénateur Jaffer : Nous nous penchons actuellement sur l'Examen périodique universel et sur la manière dont le Canada respecte ses obligations. De nombreux groupes ont pris la parole devant le comité. Nous n'en avons interrogé aucun au sujet des subventions et je dois dire que les questions à cet égard me mettent mal à l'aise.

Ma question concerne l'obligation en matière de concertation et de prise en compte des divers points de vue. Nous sommes, hélas, à court de temps et je vais devoir vous demander de me répondre par écrit.

La présidente : Pas du tout. Vous avez fait preuve de patience et je pense que nos témoins vont avoir le temps de répondre à votre question.

Le sénateur Jaffer : Chef Littlechild, vous êtes particulièrement bien placé pour nous parler de l'obligation de concertation et de prise en compte du point de vue des autres parties telle que précisée dans l'arrêt Delgamuukw, selon lequel dans la mesure où une décision doit entraîner des effets néfastes pour un peuple autochtone, le responsable de la décision est tenu de consulter le peuple en question. Vous nous avez dit qu'il vous a fallu 18 mois avant de pouvoir rencontrer les deux ministres. Vous a-t-on consulté au sujet de la déclaration? Qu'est-ce qu'il y a eu comme concertation? Continue-t-on à vous consulter à cet égard?

M. Littlechild : Vous voulez dire au sujet de la déclaration?

Le sénateur Jaffer : Oui, concernant les droits autochtones.

M. Littlechild : Eh bien, en fait, on travaille à cette déclaration depuis 1982.

Le sénateur Jaffer : En effet.

M. Littlechild : Nous avons eu l'occasion de collaborer à la rédaction du texte actuel de la déclaration, mais pas aussi étroitement que pour les versions antérieures. Le reproche que nous avons formulé en ce qui concerne la concertation, ou l'absence de concertation concerne la période postérieure à l'adoption de cette déclaration, c'est-à-dire la période de préparation du rapport de l'EPU. Nous n'avons assisté qu'à une seule réunion, le mois dernier, afin d'aider de notre mieux le Canada à répondre au rapport de l'EPU.

Vous savez tous qu'en ce qui concerne les peuples autochtones, l'obligation de consulter est une véritable obligation juridique. Or, cette obligation n'a pas été respectée. Voilà une des plaintes que nous formulons. Bien sûr, nous continuons à tenter de préciser le sens qu'il convient de donner au mot « consultation ». C'est pour cela que nous avons dit, dans nos remarques préliminaires, que le Canada, qui tente actuellement de préciser l'étendue de l'obligation incombant à la Couronne en matière de consultations, doit intégrer à sa définition les normes internationales. Le travail accompli jusqu'ici à l'égard de la Convention de l'OIT est à cet égard important. L'Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones a consacré une séance spéciale à l'obligation de consultation et à la question du consentement libre, préalable et éclairé. Deux séances de travail ont été tenues par le précédent groupe de travail sur les peuples autochtones, ses délibérations ayant donné lieu à la rédaction d'un avis juridique. Il y a donc un ensemble considérable de connaissances qui vont permettre de définir une politique satisfaisante en matière d'obligation de concertation et d'accommodement. Nous disposons, en outre, comme vous le disiez tout à l'heure, de l'arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu sur cette question.

Je tiens cependant à dire qu'il y a non seulement cette obligation de consultation et d'accommodement, mais également le principe du consentement. C'est, en effet, un principe propre au droit des traités. Il faut une rencontre de la volonté des parties au traité, donc un échange de consentements.

La notion de consultation est large, car elle peut aller jusqu'à l'obtention du consentement nécessaire. C'est pour cela d'ailleurs que dans ses efforts en vue de définir les obligations qui lui incombent à cet égard, le gouvernement du Canada doit tenir compte des normes internationales quant à l'étendue de cette obligation.

Le sénateur Jaffer : Ce que vous dites là est important, car, si j'ai bien compris, vous affirmez ne pas avoir été consultés. Est-ce exact?

M. Littlechild : Oui.

Le sénateur Jaffer : Iriez-vous jusqu'à dire qu'en l'occurrence, le consentement des peuples autochtones était exigé?

M. Littlechild : L'article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones exige, avant qu'une décision soit prise, le consentement libre, préalable et éclairé des peuples concernés. Certains voient en cela un pouvoir de veto. D'après moi, c'est mal comprendre le sens de cette disposition qui, plutôt, nous enjoint de travailler de concert.

C'est un argument qui, effectivement, est lourd de conséquences. Je relève qu'en 1948, le Canada a voté contre l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je précise tout de suite que, deux jours plus tard, il a changé de position. Le gouvernement faisait au départ valoir que la question était susceptible d'avoir une incidence sur les compétences provinciales. C'est essentiellement l'argument qu'il fait valoir aujourd'hui. Pourquoi ne pas modifier sa manière de voir, comme il l'a modifiée à l'époque à l'égard d'un instrument international de la plus haute importance tel que la Déclaration universelle des droits de l'homme?

À l'époque, les peuples autochtones et leurs droits n'étaient pas pris en compte. C'est bien pour cela que cette nouvelle déclaration est nécessaire, non pas pour créer de nouveaux droits, mais pour faire en sorte que les droits de la personne reconnus à tout être humain par le droit international puissent également être invoqués par les peuples autochtones. Cette déclaration nous aidera tous à interpréter correctement les droits en question. J'ai consacré plus de 30 ans d'efforts, y compris comme rédacteur et comme coprésident de nombreuses séances consacrées à ce texte. J'ai été notamment coprésident, avec le Canada, d'un groupe chargé d'étudier une de ses dispositions.

On ne saurait, d'après moi, exagérer l'importance de l'occasion qui nous est ainsi offerte. Il ne faut pas hésiter à soutenir ce texte, car il va nous permettre d'améliorer les relations entre toutes les parties prenantes

Le sénateur Jaffer : J'aurais de nombreuses questions à vous poser, mais je suis sûre d'avoir l'occasion de vous revoir. Je n'ai pas eu, comme notre présidente, la chance de travailler avec vous, mais c'est pour moi une occasion privilégiée de vous voir tous deux comparaître devant le comité. Je vous remercie.

M. Littlechild : Merci.

La présidente : Mon vice-président a volé à mon secours en vous remerciant d'avoir répondu à notre invitation.

Nous sommes constamment à la recherche des moyens de faire avancer les droits de la personne. En effet, c'est un domaine qui nous tient particulièrement à cœur. Nombreux sont ceux qui suivent à la télévision l'évolution de la situation des droits de la personne dans les divers pays du monde. La constance des efforts d'organismes tels que notre comité joue un rôle important lorsqu'il s'agit d'assurer le bon fonctionnement des mécanismes en place puisque c'est de cela que dépend le respect ou le non-respect de vos droits. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons entamé cette étude, car nous avons constaté que ce n'est pas un domaine dont les Canadiens suivent systématiquement l'évolution.

Nous entendons donner suite aux renseignements et aux recommandations dont vous nous avez fait part aujourd'hui. Peut-être même aurons-nous à vous demander des précisions sur certains points.

La liberté de critiquer est tout à l'honneur d'une société libre et ouverte et les critiques constructives permettent de faire progresser les choses, comme vous venez de le montrer ce soir. Je vous remercie.

Sénateurs, nous allons maintenant accueillir nos témoins suivants, qui comparaissent au titre de l'ordre de renvoi adopté par le Sénat le jeudi 12 mars 2009. Le comité entame son étude des éléments du projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget de 2009, concernant la rémunération équitable (partie 11).

Le Sénat a renvoyé à plusieurs comités l'étude de diverses parties du projet de loi C-10. Il nous appartient ce soir de nous pencher sur les éléments concernant la rémunération équitable. Ce sera l'objet de notre rapport au Sénat. Nous allons donc examiner certains éléments du projet de loi, qui a déjà été adopté.

Nous accueillons ce soir, en tant que représentant de la Commission canadienne des droits de la personne, M. Ian Fine, directeur général et avocat général principal, Direction générale du règlement des différends. M. Fine est accompagné de Mme Fiona Keith, avocate, Direction générale du règlement des différends. En matière de témoignages, nous avons affaire à une cible mouvante, car, lorsque la question nous a été renvoyée pour étude, nous nous sommes immédiatement mis à la recherche de témoins, mais certains se sont dits, au départ, prêts à comparaître tel ou tel jour, puis ne le pouvaient plus. Nous vous remercions de vous être rendus à notre invitation et de prendre la parole ce soir devant le comité.

Qui souhaite prendre la parole en premier?

Ian Fine, directeur général et avocat général principal, Direction générale du règlement des différends, Commission canadienne des droits de la personne : Si vous le voulez bien, madame la présidente, je prendrai la parole en premier.

La présidente : Après votre déclaration d'ouverture, nous passerons aux questions. Nous avons un peu dépassé l'horaire et nous allons, chemin faisant, essayer de rattraper cela afin de pouvoir nous en tenir à notre ordre du jour.

[Français]

M. Fine : Nous remercions le comité d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne pour expliquer comment les questions de parité salariale ont été abordées par le passé et comment elles le seront sous le nouveau régime.

Je m'appelle Ian Fine, avocat général principal de la Commission et directeur générale du règlement des différends, laquelle commission est chargée de traiter les plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis accompagné de Mme Fiona Keith, avocate à la Commission, qui a une expérience considérable des questions de parité salariale. Je sais que votre comité n'a pas pour tâche d'examiner les principes fondamentaux de la parité salariale mais plutôt de comparer le nouveau système à l'ancien, afin de s'assurer que les principes fondamentaux continueront d'être respectés.

Les commentaires que nous ferons ici sont fondés sur notre expérience relativement à l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et sur l'information publiquement accessible concernant la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. La Commission ne joue qu'un rôle limité lors de la transition entre les deux régimes et, en définitive, n'aura aucun rôle ni responsabilité quant à la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public lorsque cette loi sera en vigueur. Je ne pourrai donc pas répondre à toutes vos questions sur le nouveau régime, mais je me ferai un plaisir de vous fournir les meilleures explications possibles.

Les dispositions de parité salariale dans la Loi canadienne sur les droits de la personne figurent à l'article 11 de cette loi. La commission applique cet article depuis 1978. En 1986, la commission a adopté l'ordonnance sur la parité salariale, ensemble de lignes directrices sur l'application de l'article 11 au sens de la loi. Ces lignes directrices s'apparentent à un règlement liant la Commission ainsi que le Tribunal des droits de la personne pour ce qui est de la manière d'appliquer l'article 11.

[Traduction]

La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit un système fondé sur le dépôt de plaintes. Au fil des ans, la Commission a acquis une expérience considérable dans le traitement des plaintes en matière de parité salariale, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. La parité salariale est un sujet plutôt complexe. Les tribunaux administratifs et judiciaires se sont rendu compte qu'elle comporte maints domaines spécialisés comme l'évaluation des emplois, la classification et la statistique. C'est l'une des difficultés que pose le traitement de ces plaintes qui explique en partie la longueur du traitement dont vous avez peut-être entendu parler. De plus, comme ces plaintes ont le potentiel de donner lieu à des dédommagements financiers importants, le processus a tendance à être très litigieux.

La Commission a déjà expliqué les difficultés que posent les plaintes en matière de parité salariale, notamment dans son Rapport spécial au Parlement en 2001. Je peux vous dire que, dans une certaine mesure, le développement de la jurisprudence a facilité le traitement de ces plaintes. Par exemple, nous disposons maintenant de directives utiles de la part de la Cour suprême du Canada sur les comparaisons permises en vertu de l'article 11.

D'autres notions, par contre, demeurent imprécises. Cela signifie que nous devons encore régler certaines questions préliminaires concernant la compétence, par exemple quand il s'agit de définir des groupes professionnels. Il va sans dire que le fait de s'occuper de ces questions préliminaires retarde souvent l'obtention d'un règlement final. Cela risque de mener à un litige, donc de prolonger les affaires et de les rendre plus coûteuses.

Ces dernières années, la Commission a apporté de grands changements à son système de traitement de plaintes et, partout où elle le pouvait, a appliqué ces changements aux plaintes en matière de parité salariale. En conséquence, la durée du processus a été raccourcie pour toutes les plaintes. Nous traitons les plaintes, y compris celles concernant la parité salariale, en moins de temps qu'auparavant. Nous reconnaissons cependant que les plaintes en matière de parité salariale continuent à prendre plus de temps que les autres dossiers, et leur durée n'inclut même pas l'étape du litige.

J'aimerais maintenant parler de la loi que vous êtes en train d'examiner, la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public, qui, comme vous le savez, n'est pas encore en vigueur. Nous sommes encore dans la période de transition pendant laquelle la Commission continue à exercer certaines responsabilités quant aux plaintes en matière de parité salariale déposées par les employés du secteur public. Les dispositions transitoires de la Loi exigent que la Commission continue à recevoir ces plaintes et qu'elle les achemine sans tarder à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). En vertu de ces dispositions, la Commission a déjà transmis six plaintes existantes à cette dernière. Nous avons élaboré un protocole de travail en collaboration avec la CRTFP, et au fur et à mesure que nous recevrons les plaintes durant la période de transition, nous les lui transmettrons immédiatement.

Je signale que, durant la période de transition, les plaintes formulées par les employés du secteur public continueront à être soumises en vertu de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais que la Commission n'a plus compétence pour traiter ou régler ces plaintes.

Durant cette période, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a compétence pour interpréter et appliquer les dispositions de parité salariale de la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Une fois que la loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public sera en vigueur et que les plaintes déposées au cours de cette période seront réglées, la CRTFP s'occupera des cas de rémunération équitable en vertu de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. Elle n'aura plus compétence en ce qui a trait aux dispositions de parité salariale contenues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

De même, une fois que la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public entrera en vigueur, les employés du secteur public ne pourront plus présenter de plaintes en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La loi ne s'appliquera plus à ces employés. II y aura deux régimes relevant du gouvernement fédéral : l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquera aux employés du secteur privé et la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public s'appliquera aux employés du secteur public.

En vertu de la nouvelle législation, la Commission des relations de travail dans la fonction publique aura compétence pour traiter les plaintes déposées par les employés du secteur public en matière de rémunération équitable. La Commission n'a actuellement aucune information sur les mécanismes que la CRTFP entend mettre en place pour s'occuper de ces plaintes.

Voilà qui termine ma déclaration d'ouverture. Je me ferai maintenant un plaisir d'essayer de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Madame Keith, souhaitez-vous, vous aussi, faire une déclaration?

Fiona Keith, avocate, Direction générale du règlement des différends, Commission canadienne des droits de la personne : Je vous remercie, madame la présidente, mais je n'entends pas faire de déclaration d'ouverture.

Le sénateur Jaffer : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je tiens à préciser, aux fins du compte rendu, que toute personne qui estime à titre individuel ne pas être rémunérée équitablement peut porter plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne.

M. Fine : C'est exact.

Le sénateur Jaffer : En vous basant sur le cas de cette personne, vous pouvez examiner la situation d'un groupe plus large, mais vous pouvez aussi, n'est-ce pas, vous en tenir simplement à ce cas individuel?

M. Fine : Nous le pouvons effectivement, dans la mesure, bien sûr, où la plainte déposée relève effectivement des compétences de la Commission canadienne des droits de la personne. Comme vous le savez, dorénavant, toute plainte en matière de rémunération équitable sera du ressort de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Le sénateur Jaffer : Nous examinons actuellement le système tel qu'il était, c'est-à-dire le régime précédent. Je sais que les nouvelles dispositions ont été adoptées, mais nous sommes chargés de nous pencher sur le système, c'est-à-dire sur le régime tel qu'il était jusqu'à présent, et sur ce qu'il sera à l'avenir. C'est pourquoi je souhaitais que nous précisions aux fins du compte rendu comment les choses se passaient avant cela, et les résultats que cela donnait.

Je souhaite, par conséquent, vous poser la question suivante. Si un individu portait plainte, à condition bien sûr qu'il s'estime avoir fait l'objet d'une pratique discriminatoire — que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé — cet individu, donc, pouvait vous demander d'examiner son cas et de voir si, effectivement, il ne faisait pas l'objet d'un traitement discriminatoire?

M. Fine : Oui. En pareil cas, nous nous serions saisis de la plainte et, selon que celle-ci soulevait ou non des questions préliminaires, nous aurions procédé à une enquête afin de voir, dans un premier temps si, a priori, la situation justifiait une enquête du Tribunal canadien des droits de la personne. Sinon, la plainte était tout simplement rejetée.

Le sénateur Jaffer : Pourriez-vous nous donner une idée du pourcentage de plaintes portées devant votre commission par la Commission de la fonction publique ou par des fonctionnaires avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions concernant l'équité dans la rémunération?

M. Fine : Voulez-vous dire, sénateur, par rapport à toutes les plaintes dont nous étions saisis?

Le sénateur Jaffer : Oui, émanant de fonctionnaires. Quel était le pourcentage de plaintes ayant trait à la parité salariale?

M. Fine : Je ne suis pas certain d'être en mesure de vous fournir cette précision ce soir, mais c'est très volontiers que je pourrais vous la transmettre ultérieurement.

Le sénateur Jaffer : Au cours de cette période transitoire, en attendant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, en quoi consiste votre activité et quel est le nombre de plaintes dont vous êtes actuellement saisi? Comment ces plaintes sont-elles actuellement traitées?

M. Fine : Les nouvelles plaintes ou les plaintes qui étaient en cours d'enquête, ont été transférées à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, conformément aux nouvelles dispositions de la loi.

Le sénateur Jaffer : Il ne vous appartient donc plus de trancher les plaintes dont vous étiez déjà saisi?

M. Fine : Non, les plaintes émanant du secteur public ne sont plus de notre ressort.

Le sénateur Jaffer : Je vous ai déjà demandé cela, mais je tiens à comprendre exactement ce qu'il en est : les plaintes émanant de fonctionnaires étaient des plaintes déposées par des fonctionnaires qui estimaient avoir fait, dans la fonction publique, l'objet d'un traitement discriminatoire?

M. Fine : Exactement.

La présidente : Dans la mesure où vous entendez nous faire ultérieurement parvenir certaines statistiques, puis-je vous demander un autre élément d'information?

La Commission canadienne des droits de la personne, la CCDP, examinait les plaintes, et transmettait au tribunal celles qu'elle estimait justifiées. Pourriez-vous nous faire savoir, quelle était, des plaintes dont vous étiez saisis par la Commission de la fonction publique, la proportion de plaintes portant sur la rémunération équitable qui étaient transmises au tribunal, quel était le pourcentage de plaintes rejetées, enfin de plaintes qui n'étaient pas transmises au tribunal? Dix pour cent des plaintes étaient-elles transmises au tribunal, ou étaient-elles plutôt 50 p. 100?

Pourriez-vous nous expliquer un petit peu la procédure suivie à cet égard. Avant qu'une plainte soit transmise au tribunal, avait-on recours à une sorte de mécanisme de règlement des différends?

M. Fine : C'est effectivement ce que prévoyait la loi.

La présidente : C'est pourquoi il me paraît important de savoir quelle était la proportion de plaintes réglées par la commission sans être transmises au tribunal.

M. Fine : Il s'agit bien de plaintes déposées par les fonctionnaires et concernant l'équité?

La présidente : Oui.

M. Fine : Nous pouvons effectivement vous obtenir ce renseignement. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous le fournir dès maintenant.

La présidente : Ça ne fait rien, mais nous vous saurions gré de nous le faire parvenir.

M. Fine : Tout à fait.

La présidente : En ce qui concerne les statistiques, je me demande quelle est la proportion de plaintes individuelles qui sont à l'origine d'une plainte catégorielle, car il entre effectivement dans vos attributions de transformer une plainte individuelle en plainte catégorielle. C'était, justement, l'objet de la question du sénateur Jaffer. Si, dans le cadre d'une enquête, vous constatez que la discrimination dont se plaint un employé est en fait opérée à l'encontre de tout un groupe, comment faites-vous pour transformer la plainte dont vous êtes saisi en plainte catégorielle? De tels cas sont-ils fréquents chez vous?

M. Fine : Vous comprenez aisément que la plupart des plaintes émanant de fonctionnaires sont, effectivement, des plaintes catégorielles. Il ne s'agit généralement pas d'un simple individu qui porte plainte en matière d'équité salariale. Cela est plus fréquent dans le secteur privé, mais dans le secteur public, la plupart des plaintes sont des plaintes collectives. Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question.

La présidente : Y a-t-il des plaintes déposées à titre individuel qui se transforment en plaintes collectives?

M. Fine : Je dois vous dire, madame la présidente, qu'il n'y a pas beaucoup de plaintes individuelles qui me viennent à l'esprit. En ce qui concerne d'autres questions, il n'est pas rare que des individus se plaignent de discrimination et qu'on relève, non pas un cas isolé, mais un problème plus général. Dans ce cas-là, nous faisons enquête.

Mais l'équité en matière salariale soulève généralement des difficultés d'ordre systémique et nous oblige à élargir le champ de nos investigations. C'est d'ailleurs pour cela qu'il s'agit, en pareille hypothèse, d'un problème systémique.

Cela dit, et je suis à la commission depuis maintenant 10 ans, il est rare que nous soyons saisis par un fonctionnaire agissant à titre individuel d'une plainte en matière d'équité salariale.

Le sénateur Nancy Ruth : Nous sommes heureux de vous accueillir devant le comité. Votre commission a-t-elle participé aux travaux du groupe d'étude qui, en 2004, a élaboré le modèle en question?

M. Fine : Nous avons effectivement présenté des observations à ce groupe d'étude. Ma collègue, Mme Keith, était directrice de la recherche du groupe, et elle a donc participé très étroitement à ses travaux.

Nous avons, ainsi, présenté nos observations. Après la sortie du rapport, nous avons fait savoir que nous étions nous-mêmes partisans de l'adoption, comme le recommandait le groupe d'étude, d'un nouveau modèle proactif en matière d'équité salariale.

Le sénateur Nancy Ruth : Ce modèle est décrit dans le texte de la loi. Était-ce bien le modèle proactif que vous aviez espéré et que vous aviez décrit dans vos recommandations.

M. Fine : Je ne suis pas sûr de pouvoir dire que le modèle finalement adopté est effectivement celui que le groupe d'étude recommandait dans son rapport. Le nouveau modèle est proactif dans la mesure où il exige que l'employeur et l'unité de négociation se réunissent afin de rechercher ensemble, de manière proactive, une solution en matière de rémunération équitable.

Les modèles actuellement appliqués en Ontario — et aussi au Québec et au Manitoba, je crois — fixent des délais réglementaires et prévoient la tenue d'exercices en matière d'équité. Il y a donc cette différence-là entre les deux.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez parlé tout à l'heure de toute une jurisprudence qui s'est développée au fil des ans. Un des principes découlant de cette jurisprudence veut-il qu'à travail égal il y ait salaire égal?

M. Fine : Oui, c'est exact.

Le sénateur Nancy Ruth : Mais ce principe n'est pas inscrit dans la loi. Cela vous préoccupe-t-il? Le principe est simplement rappelé dans le préambule, mais n'est pas inscrit dans la loi et n'est donc pas opposable.

M. Fine : Oui, en effet, le principe figure au préambule. La lecture du texte permet de constater qu'il n'est pas repris dans le corps du texte.

J'ai pris connaissance des propos que le représentant du Conseil du Trésor a tenus devant le Comité des finances et je crois que ce témoin a bien dit qu'un salaire égal pour un travail égal ferait partie de l'exercice prévu par la loi. Vous avez raison de dire, cependant, que le principe n'est pas inscrit dans le texte même de la loi.

Le sénateur Nancy Ruth : Pensez-vous que cela soit dû à la jurisprudence qui s'est développée jusqu'ici, ou serait-ce pour une autre raison? Je suis portée à penser que si le gouvernement ne l'a pas inscrit dans le texte de loi, c'est pour une bonne raison. Or, cette raison m'échappe. Je trouve cela curieux.

M. Fine : Un certain nombre de questions demeurent sans réponse et celle-ci en est peut-être une. Comme vous le savez, aux termes même de la loi, il y a plusieurs manières de réglementer les divers domaines en rapport avec l'exercice prévu. Il y a lieu, selon nous, d'attendre de voir les règlements qui seront adoptés afin de savoir si, effectivement, les questions telles que celles que vous venez de soulever sont réglées.

La présidente : Une petite précision, s'il vous plaît. Vous appliquez donc la jurisprudence, car le principe d'un salaire égal pour un travail égal n'est pas inscrit dans la réglementation applicable, est-ce exact?

M. Fine : Oui, le principe est énoncé dans la jurisprudence.

La présidente : La jurisprudence?

M. Fine : Oui.

La présidente : Vous allez donc continuer à appliquer la jurisprudence aux plaintes émanant du secteur privé, mais non à celles dont vous êtes saisi par la Commission de la fonction publique, est-ce exact?

M. Fine : Nous allons appliquer l'article 11 de la loi, c'est-à-dire la disposition concernant l'équité en matière salariale. J'ajoute que nous appliquerons également les dispositions de l'Ordonnance sur la parité salariale dont j'ai parlé dans ma déclaration d'ouverture et qui apporte un certain nombre de précisions, si vous voulez, au sujet des dispositions de l'article 11.

En effet, nous allons continuer à nous occuper de plaintes émanant du secteur privé. Et nous continuerons à appliquer l'article 11 et les dispositions de l'Ordonnance sur la parité salariale. Nous appliquerons la jurisprudence au besoin, mais nous appliquerons surtout les dispositions de la loi.

La présidente : Vous entendez donc continuer à appliquer la jurisprudence, tant celle de la Commission de la fonction publique que celles des tribunaux judiciaires et d'accorder le même poids à ces deux types d'affaires? Autrement dit, relève-t-on des différences, au niveau de la jurisprudence, entre les plaintes émanant de fonctionnaires et les plaintes visant les employeurs privés?

M. Fine : Si je comprends bien le sens de votre question, madame la présidente, je dois dire que ce sont les mêmes règles de loi qui s'appliquent, tant aux plaintes émanant du secteur public qu'aux plaintes émanant du secteur privé. Pour trancher une affaire, nos commissaires se fondent moins sur la jurisprudence que sur les dispositions de la loi et sur l'Ordonnance sur la parité salariale. C'est en définitive au Tribunal canadien des droits de la personne qu'il appartient de décider si dans telle ou telle affaire il y a effectivement eu violation de l'article 11 de la loi. Les commissaires doivent alors décider si le dossier justifie la tenue d'une enquête.

La loi est la même pour le secteur privé que pour le secteur public.

Le sénateur Poy : Monsieur Fine, pourriez-vous nous préciser en quoi les dispositions du projet de loi C-10 vont affecter les femmes travaillant dans la fonction publique?

M. Fine : Le changement le plus important, sénateur, est que dorénavant c'est la Commission des relations de travail dans la fonction publique qui sera appelée à trancher par une décision ayant un caractère quasi judiciaire. Les plaintes émanant du secteur public ne seront dorénavant plus portées devant le Tribunal canadien des droits de la personne.

Comme vous le savez, pendant la période de transition, la commission continuera à appliquer l'article 11 de la Loi sur les droits de la personne. Après cette période de transition, ce seront les dispositions du nouveau texte qui s'appliqueront.

Je ne peux pas en dire davantage au niveau des incidences que sont à appeler à avoir ces nouvelles dispositions, en partie parce que tout cela est nouveau et en partie parce que, comme je l'ai dit plus tôt, de nouveaux règlements viendront préciser un certain nombre de dispositions du nouveau texte. Nous savons déjà que, selon les nouvelles dispositions, l'employeur, l'unité de négociation et les syndicats devront, en même temps qu'ils négocient la convention collective, traiter des questions concernant l'équité dans la rémunération. Nous ne savons pas encore comment cela va se passer.

Le sénateur Poy : Dans le secteur public ou dans le secteur privé?

M. Fine : Non, seulement dans le secteur public. Nous ne savons pas encore comment cela se déroulera. Nous ne sommes pas encore fixés sur la procédure. Et nous ne savons pas non plus ce que fera la Commission des relations de travail dans la fonction publique, ni les procédures qu'elle instaurera pour le traitement de ces plaintes pendant la période transitoire, alors qu'elle appliquera l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, puis, après, lorsqu'entreront en vigueur les nouvelles dispositions.

Le sénateur Poy : Quand pensez-vous que ces nouvelles dispositions entreront en vigueur, et que vous ne serez plus donc saisis de plaintes émanant de fonctionnaires?

M. Fine : Je pense que ce sera au cours du prochain train de négociations collectives, c'est-à-dire dans environ trois ans.

Le sénateur Poy : Dans aussi longtemps que cela?

M. Fine : C'est ce que je crois savoir.

Le sénateur Poy : Les nouvelles dispositions vont-elles surtout influencer la situation des femmes travaillant dans la fonction publique, ou vont-elles aussi avoir des incidences sur la situation des hommes?

M. Fine : Je ne suis pas vraiment en mesure de vous répondre sur ce point. Il n'est pas rare que les plaintes émanent de catégories de fonctionnaires comprenant surtout des femmes, qui comparent leur situation à celle de catégories à prédominance masculine.

Mme Keith me rappelle qu'il ne faut pas oublier que les catégories où les femmes prédominent comprennent aussi des hommes. En effet, le fait que la plainte émane d'une catégorie de fonctionnaires à prédominance féminine ne veut aucunement dire que cette catégorie ne comprend pas d'hommes.

Le sénateur Poy : Donc en pareille hypothèse, les plaintes émanent de groupes et non pas d'individus?

M. Fine : En général, c'est vrai de plaintes émanant de la fonction publique.

Le sénateur Jaffer : Je vous ai demandé comment cela se passerait, au cours de la période de transition, en ce qui concerne les plaintes dont vous êtes déjà saisis et vous nous avez répondu que les plaintes qui avaient déjà été transférées vont dès maintenant être tranchées en fonction des nouvelles dispositions. Puis, vous avez dit que les nouvelles dispositions n'entreraient pas en vigueur avant trois ans. Que va-t-il donc se passer avec les plaintes en question?

M. Fine : Excusez-moi, sénateur, ce que je voulais dire c'est que, pour l'instant, c'est-à-dire au cours des trois prochaines années environ, toutes les plaintes portées devant la Commission canadienne des droits de la personne — en matière de parité salariale s'entend — seront transmises à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Au cours de cette période, celle-ci continuera à appliquer l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce n'est qu'une fois entrées en vigueur les dispositions de la nouvelle loi que la CRTFP commencera à appliquer les dispositions de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public.

Le sénateur Jaffer : Je ne sais pas comment se déroule la procédure en question. Si j'ai bien compris, les plaintes sont portées devant la commission et, s'il est décidé de leur donner suite, le tribunal en est saisi. Que se passe-t-il alors?

M. Fine : Je vais laisser à Mme Keith le soin de vous répondre.

Mme Keith : Pendant la période de transition, notre rôle, à la Commission canadienne des droits de la personne, est de porter directement les plaintes devant la CRTFP. Conformément aux dispositions transitoires inscrites dans la nouvelle loi, la CRTFP procède à un examen préliminaire de la plainte et se prononce sur d'éventuelles questions de compétence. Elle fait alors savoir aux parties que la plainte a été reçue, les parties ayant alors six mois pour tenter de résoudre le différend qui les oppose.

Aux termes de la loi, pendant ces six mois, les parties peuvent se prévaloir des services de médiation offerts par la commission. Si les parties ne parviennent pas à régler leur différend, la plainte est alors portée devant la commission et les parties sont invitées à faire valoir leurs preuves et leurs arguments. La CRTFP, en vertu des dispositions réparatrices inscrites dans la Loi canadienne sur les droits de la personne — compétence actuellement exercée par le Tribunal canadien des droits de la personne — règle la question comme elle l'entend.

Le sénateur Jaffer : Donc, cela ne relève plus de votre commission?

Mme Keith : Non, cela relève dorénavant de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

La présidente : Je ne suis pas certaine de bien comprendre. Aux termes des anciennes dispositions, les plaintes étaient portées devant vous et vous en saisissiez le tribunal. Puis, il y a cette période de transition. Combien de temps cela va-t- il durer? À supposer que j'aie une plainte, à qui dois-je m'adresser, à vous?

Mme Keith : Oui.

La présidente : Si un fonctionnaire entend porter plainte, comment va-t-il savoir à qui s'adresser? Voilà ce qui me paraît un peu difficile, car un nouveau système a été instauré, mais, en même temps que ce nouveau système, nous continuons à parler du régime antérieur. À supposer que j'ai une plainte à formuler, à qui dois-je m'adresser?

Mme Keith : Vous vous adresseriez à la Commission canadienne des droits de la personne. Ce sera comme avant l'adoption du nouveau projet de loi.

La présidente : Et puis vous transféreriez la plainte à la Commission des relations de travail dans la fonction publique?

Mme Keith : C'est cela.

La présidente : En ce qui concerne les plaintes qui vous ont été adressées, mais dont le tribunal n'a pas encore été saisi, vont-elles être transférées à la CRTFP?

Mme Keith : C'est exact.

La présidente : À quel moment votre rôle prend-il fin?

Mme Keith : Notre rôle prend fin dès le transfert du dossier.

La présidente : Quand allez-vous cesser de recevoir des plaintes?

Mme Keith : Nous imaginons que cela sera au cours des deux ou trois prochaines années.

La présidente : Quel est le mécanisme qui va faire que les plaintes ne vous seront plus adressées, mais qu'elles seront portées devant un autre organisme? S'agit-il d'un règlement ou d'un texte de loi? Qu'est-ce qui enclenche la nouvelle procédure?

C'est cela que le sénateur Jaffer et moi-même cherchions à comprendre.

Mme Keith : La période de transition prendra fin dès l'entrée en vigueur de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public.

La présidente : Et quand cela se fera-t-il?

Mme Keith : Le texte est promulgué par décret en conseil. Je pense que l'on peut considérer que l'entrée en vigueur va être synchronisée avec le prochain train de négociations collectives dans la fonction publique. C'est l'objet même de cette nouvelle loi.

La présidente : Je veux bien, mais la publication du décret en conseil dépend d'une décision du gouvernement. Peuvent-ils attendre trois ans pour cela? Je voudrais le savoir. Je vais devoir à nouveau me pencher sur le texte du projet de loi.

Une fois adopté, un texte de loi doit encore être édicté, mais sa promulgation n'intervient pas toujours. Parfois, le texte est édicté immédiatement, parfois sa promulgation n'intervient qu'après un certain temps, ce délai étant d'ailleurs généralement prévu dans le texte même. Je voudrais savoir qui va décider de cette promulgation. Est-ce le gouvernement qui agit au moyen d'un décret en conseil?

Mme Keith : Oui, mais vous ne trouverez pas la date de promulgation inscrite dans le texte même.

La présidente : J'ai ainsi raison de dire que c'est le gouvernement qui choisira la date d'entrée en vigueur et il va donc y avoir cette période de transition. Le texte pourra entrer en vigueur quand tout sera prêt de l'autre côté. Est-ce bien cela?

Mme Keith : C'est ce que nous pensons. C'est ce que nous portent à penser les informations diffusées jusqu'ici. Nous avons appris cela en prenant connaissance de la transcription du témoignage que le représentant du Conseil du Trésor a livré devant vos collègues du Comité des finances.

La présidente : Vous avez parfaitement raison; c'est au Conseil du Trésor que nous devrions poser la question lorsque ses représentants comparaîtront devant le comité.

Le sénateur Nancy Ruth : Pour l'instant, donc, vous servez un peu d'intermédiaire entre le groupe qui porte plainte et les gens chargés de se prononcer sur cette plainte. Si, au cours des trois années qui viennent, le gouvernement change et que le décret en conseil n'est pas publié, on ne sait pas ce qui arrivera à ces dossiers en instance depuis trois ans, car il faudra bien que le gouvernement publie une directive. Ai-je raison?

M. Fine : Je ne sais pas très bien comment vous répondre. Comme vous le savez, nous avons déjà transmis à la Commission des relations de travail dans la fonction publique trois dossiers de plainte.

Le sénateur Nancy Ruth : Ces dossiers vont-ils simplement rester là dans un tiroir? Vous voulez dire que personne ne s'en occupe?

M. Fine : J'imagine que la Commission des relations de travail dans la fonction publique s'en occupe.

Le sénateur Nancy Ruth : En l'absence d'un décret en conseil?

La présidente : N'avez-vous pas dit tout à l'heure que les plaintes dont vous êtes actuellement saisis sont transmises à la CRTFP qui, dans l'intervalle, se prononcera en fonction de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

Mme Keith : Oui, c'est ce que nous disions tout à l'heure. C'est ce que prévoient les nouvelles dispositions pour la période de transition. Les parties disposent d'un délai de six mois pour régler le différend qui les oppose. Pendant ce temps, elles peuvent faire appel aux services de médiation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Si, à la fin de ces six mois, le différend subsiste, l'affaire est portée devant la CRTFP qui tranchera.

Je précise que la loi ne permet effectivement pas que les dossiers restent immobilisés. Des délais ont été fixés et on a prévu une procédure permettant de traiter ces dossiers pendant la période de transition.

La présidente : Je pense avoir compris cela. Il y a donc une sorte de procédure provisoire en vertu de laquelle vous transmettez les dossiers à la CRTFC. À une certaine date, qui dépend d'un décret en conseil, votre rôle en cela cessera.

Le sénateur Jaffer : S'agissant d'un fonctionnaire ou d'un groupe de fonctionnaires, doivent-ils s'adresser à vous pour que vous transmettiez vous-même la plainte à la CRTFP, ou peuvent-ils saisir celle-ci directement?

M. Fine : Pour l'instant, ils s'adressent à nous et nous transmettons le dossier.

Le sénateur Jaffer : Leur précisez-vous cela?

M. Fine : Oui.

Le sénateur Jaffer : Comment peuvent-ils le savoir?

M. Fine : Lorsqu'ils nous contactent, nous leur disons. S'ils souhaitent effectivement porter plainte, nous leur demandons de nous envoyer la plainte. Puis, nous leur faisons savoir, ainsi qu'à l'employeur, que le dossier va être transmis à la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Le sénateur Jaffer : Je ne voudrais pas trop insister sur ce point, mais comment, compte tenu des nouvelles dispositions, un fonctionnaire public peut-il savoir qu'il doit, pour l'instant, continuer à s'adresser à vous? Avez-vous annoncé cela?

M. Fine : Je ne suis pas certain que nous ayons posté à cet égard un avis sur notre site Web, car les gens continuent à s'adresser à nous comme ils l'ont toujours fait. Mme Keith me fait savoir qu'un avis posté sur le site Web de la Commission des relations de travail dans la fonction publique explique la nouvelle procédure. Je ne l'ai, moi-même, pas consulté, mais il semble bien qu'un avis ait été posté à cet égard.

La présidente : Nous demanderons au représentant du Conseil du Trésor de nous dire comment cette nouvelle procédure a été portée à l'attention des employés de la Commission de la fonction publique.

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie d'être parmi nous.

D'après vous, le nouveau texte représente-t-il en matière de plaintes une amélioration par rapport à la procédure antérieure?

M. Fine : La question est en effet pertinente. Je ne sais pas très bien comment vous répondre sur ce point. Permettez- moi de revenir à quelque chose que j'ai dit dans le cadre de ma déclaration d'ouverture. Nous savons que le régime actuel, qui relève de la Loi canadienne sur les droits de la personne, a posé un certain nombre de difficultés. Ceux qui ont été de quelque manière impliqués dans une plainte en matière de parité salariale sont au courant des difficultés dont nous avons fait état dans le rapport spécial remis au Parlement en 2001. Des observations à cet égard ont été faites au Groupe de travail Bilson chargé d'une étude sur la parité salariale. Il est clair que la procédure en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne posait un certain nombre de problèmes.

Cela dit, les nouvelles dispositions nous inspirent, elles aussi, un certain nombre de préoccupations. Il s'agit, d'après nous, de savoir dans quelle mesure les règlements dont j'ai parlé tout à l'heure vont permettre de répondre à ces préoccupations. Cette procédure, entre l'employeur et le syndicat, va-t-elle donner les résultats voulus? Eh puis, on aimerait savoir également comment va se dérouler cette procédure devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Comment cette commission va-t-elle interpréter les nouvelles dispositions? Comment va-t-elle assurer le traitement des plaintes? Quelles vont être les procédures mises en place?

Il y a, dans tout cela, de nombreuses zones d'ombre qui subsistent. Certains de vos collègues ont déjà relevé les difficultés qui pourraient survenir, mais tout cela est, pour l'instant, incertain. Nous ne savons pas les résultats que vont donner les nouvelles dispositions. Donc, quant à savoir si celles-ci constituent une amélioration par rapport au système précédent, je peux simplement dire que je ne suis pas en mesure, pour l'instant de l'affirmer et que je préfère donc ne pas me prononcer sur ce point.

Nous avons toujours dit, et nous parlons de cela dans notre rapport de 2001, que les employeurs et les syndicats devraient se réunir et parvenir ensemble à régler ces problèmes. Cela ne peut pas être une mauvaise chose. Nous y sommes, par conséquent, favorables.

En effet, le moment où l'on discute des rémunérations, n'est-il pas justement le meilleur moment de discuter des questions d'inégalité salariale? Cela me semble logique. Cela dit, ce ne sont pas les seules questions qui se posent et il va en outre falloir introduire un certain nombre de garanties procédurales.

J'en reviens à ce que je disais plus tôt. Nous ne sommes pas, pour l'instant, en mesure de dire si les règlements et les procédures que j'évoquais tout à l'heure vont effectivement offrir les garanties nécessaires. Je devrais être, dans un an, mieux en mesure de vous répondre sur ce point, mais nous n'en sommes, pour l'instant, je le répète, qu'au début.

Le sénateur Brazeau : Qui va se charger de l'élaboration de ces règlements?

M. Fine : J'imagine que ce sera le Conseil du Trésor et le ministère de la Justice. Il est clair que nous sommes prêts à les aider en cela. Nous y sommes tout à fait disposés.

La présidente : Toutes ces questions sont du plus vif intérêt, et il nous faudra interroger à cet égard les représentants du Conseil du Trésor, car cette question relève effectivement d'eux.

Le sénateur Jaffer : J'aurais une question complémentaire sur ce que vous disiez tout à l'heure de l'encouragement donné aux employeurs et aux employés de résoudre ensemble les différends qui les opposent. Cela me semble normal lorsque vous êtes saisis d'un différend. C'est, me semble-t-il, la bonne manière de procéder. Cela ne veut pas dire, cependant, que vous n'êtes vous-même pas appelé à trancher, car il est clair que vous êtes parfois saisis d'une plainte invoquant une discrimination systémique.

Lorsque vous dites que vous encouragez les parties à régler ensemble les différends qui les opposent, cela me paraît tout à fait naturel. Mais, néanmoins, vous allez parfois vous-même devoir trancher, non?

M. Fine : C'est tout à fait exact, sénateur, même je parlais plutôt des nouvelles dispositions imposant à l'employeur et aux unités de négociation de se réunir et de régler, entre eux, les questions d'équité dans la rémunération. Le sénateur Brazeau m'a demandé si je considérais les nouvelles dispositions comme une amélioration par rapport au système antérieur. Je me borne, pour ma part, à dire qu'il est effectivement bon que les parties aient à se réunir pour discuter des questions qui les opposent et, espère-t-on, pour les régler. En soi, c'est une bonne chose.

Le sénateur Jaffer : J'ai l'impression que vous analysez ce genre de problèmes d'un point de vue différent de celui qui va maintenant prévaloir. Serait-ce exact de dire que vous étudiez la question du point de vue de la discrimination systémique et que vous examinez la situation du groupe qui en ferait l'objet? Vos analyses se situent-elles dans une optique différente de celle qui va inspirer les nouvelles procédures?

M. Fine : Je ne suis pas encore en mesure de dire dans quelle optique ce genre de problème va dorénavant être traité.

Le sénateur Jaffer : Parlez-nous, alors, de votre propre point de vue.

M. Fine : Nous accueillons les plaintes, qu'elles émanent d'un individu ou d'un groupe. Ainsi que je le disais tout à l'heure, sous réserve des questions de compétence ou autre qui doivent être réglées à titre préliminaire, la plainte va faire l'objet d'une enquête afin de décider si, au vu de critères objectifs, on peut raisonnablement estimer qu'il y a eu violation de l'article 11 de la loi qui régit notre action, et de savoir donc si on a affaire à un cas d'iniquité dans la rémunération et si le dossier doit ou non être transmis au Tribunal canadien des droits de la personne. Voilà comment nous procédons. Or, dans la plupart des cas, le problème est effectivement systémique.

La présidente : Nous allons bientôt être à court de temps, mais vous nous avez dit que le système actuel avait pour inconvénient la longueur des procédures et l'importance des coûts lorsqu'une affaire est transmise au tribunal. Quel était l'aspect le plus positif de votre travail dans le cadre de ces dossiers? Vous avez évoqué les inconvénients, mais je souhaiterais maintenant que vous nous parliez un peu des avantages de ce système que nous allons appeler le système antérieur.

M. Fine : Nous avons eu à connaître de plaintes émanant tant du secteur public que du secteur privé, où des individus et des groupes faisaient état d'une discrimination contraire à l'article 11 et, s'agissant de femmes ou de groupes d'employés surtout composés de femmes, estimaient être sous-payées par rapport à des employés qui faisaient un travail égal mais bénéficiaient pourtant d'un salaire supérieur. Nous estimons avoir pu, dans de nombreux cas, régler le problème. Dans d'autres cas, nous avons considéré, par contre, qu'une enquête ne se justifiait pas. Comme vous le savez, certains dossiers ont été portés devant le Tribunal canadien des droits de la personne qui a, effectivement, conclu à la discrimination.

Nous estimons, donc, que nous avons pu, dans certains cas, régler des problèmes qui se posaient sur les lieux de travail. Tout cela a eu une incidence sur des milliers d'employés, tant du secteur privé que du secteur public. L'équité en matière salariale me paraît une bonne chose et c'est donc pour nous un sujet de satisfaction.

La présidente : Monsieur Fine et madame Keith, je vous remercie de vous être rendus tous deux à notre invitation et de nous avoir fourni de très utiles précisions quant à la manière dont fonctionnait le système antérieur. Nous vous avons posé des questions que nous entendons poser également à des représentants du Conseil du Trésor afin d'obtenir certains éclaircissements au sujet de cette période de transition et du nouveau régime qui est instauré. Nous vous remercions de nous avoir fait part, ce soir, de certains aspects de votre activité professionnelle.

Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude de certains éléments du projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget de 2009, et en particulier des éléments concernant la rémunération équitable, c'est-à-dire la partie 11 qui retient actuellement notre attention. Nous allons maintenant accueillir les Employeurs des transports et communications de régie fédérale, en la personne de M. John Farrell, directeur administratif et de M. David Olsen, directeur adjoint, Services juridiques, Société canadienne des postes. Monsieur, soyez les bienvenus devant le comité. Puis-je demander de commencer par votre déclaration d'ouverture. Vous connaissez notre procédure. Une fois terminée votre déclaration, nous passerons aux questions.

John Farrell, directeur administratif, Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF) : Merci, madame la présidente. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de prendre la parole devant le comité. David Olsen est membre de l'ETCOF. Il a pris part, dans le secteur privé, dans le contexte de négociations collectives, à de nombreuses procédures tendant au règlement de différends et faisant appel aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le secteur privé. Nous sommes donc à même d'envisager les nouvelles dispositions à la fois dans l'optique du secteur public et dans celle du secteur privé.

ETCOF représente la plupart des principaux employeurs du secteur privé relevant d'une réglementation fédérale, c'est-à-dire les chemins de fer, les entreprises de camionnage, les radiodiffuseurs, les compagnies de téléphone, les administrations portuaires et les lignes aériennes, entre autres. Les entreprises membres d'ETCOF emploient environ 586 000 personnes. Dans notre mémoire, à l'annexe A, vous trouverez le nom des entreprises qui font partie de cette organisation.

Je vous invite à prendre connaissance du mémoire que nous vous avons remis. Nous vous invitons en outre à lire une étude que nous avons annexée à ce mémoire. Elle a été rédigée par le professeur Paul Weiler, professeur de droit à Harvard, mais ancien président de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique. C'est un spécialiste des relations de travail.

Le sénateur Jaffer : Une petite précision, s'il vous plaît. Nous avez-vous remis ces documents avant le début de la séance?

M. Farrell : Oui. Je dois dire que nous avons reçu votre invitation assez tardivement et que nous avons donc, à cet égard, contacté le greffier du comité.

La présidente : Notre greffier peut-il nous dire si ces documents ont été remis à tous les membres du comité?

Adam Thompson, greffier du Comité : Les documents ont été diffusés aujourd'hui par voie électronique.

Le sénateur Nancy Ruth : Ce qui veut dire que je ne les au pas reçus, étant donné que j'étais en déplacement.

La présidente : Je vous remercie, sénateur Nancy Ruth, de nous préciser cela. C'est-à-dire que vous avez été pris un peu de court et nous aussi. Nous sommes tenus de remettre notre rapport au Sénat dans un assez bref délai. Nous vous remercions et nous prendrons connaissance de la documentation que vous nous avez remise.

Si le dialogue que nous allons avoir ce soir soulève un certain nombre de questions, nous les formulerons par écrit en vous demandant de bien vouloir y répondre également par écrit. Cela dit, nous allons faire de notre mieux compte tenu des circonstances.

Le sénateur Jaffer : Puis-je, par conséquent, vous demander, M. Farrell, de ne pas prendre pour acquis que nous connaissons la teneur des documents que vous nous avez distribués.

M. Farrell : Entendu.

Compte tenu des échanges que vous avez eus ce soir, notamment avec vos derniers témoins, je pense pouvoir vous exposer en gros ce que nous disons dans notre mémoire, en espérant que cela vous sera utile.

Je pense que notre mémoire contient un certain nombre d'éléments qui vous seront effectivement utiles. Il contient notamment une étude commandée par l'ETCOF et remise en 2002 au Groupe de travail sur l'équité salariale. Cette étude expose, de façon claire, certaines des questions complexes liées aux relations de travail et aux droits de la personne.

Je tiens d'emblée à préciser que les membres d'ETCOF et les entreprises de régie fédérale sont tout à fait partisans de la parité salariale. Ils sont acquis au principe d'un salaire égal pour un travail égal. Cela dit, il y a effectivement eu des problèmes en raison de la complexité des interactions entre la loi sur les relations de travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne.

D'après nous, le Conseil du Trésor et le texte de loi en question font beaucoup pour résoudre certains de ces problèmes complexes. Il s'agit d'instaurer un climat et un cadre dans lesquels les différends peuvent être réglés beaucoup plus rapidement et où les droits à l'équité salariale et les complexités de la négociation collective font bon ménage.

D'après moi, le problème auquel tentent de s'attaquer les nouvelles dispositions est lié au fait qu'il existe, effectivement des inégalités salariales, notamment entre les catégories d'employés à prédominance masculine, et les catégories à prédominance féminine. Il s'agit donc d'harmoniser les conditions salariales et de supprimer ces inégalités. Mais, dans le cadre de négociations collectives, les obligations découlant de la Loi canadienne sur les droits de la personne incombent aux seuls employeurs, les syndicats n'étant aucunement responsables de l'élimination des écarts salariaux.

Dans le cadre d'une négociation collective, disons qu'il y a une catégorie d'employés essentiellement constituée d'hommes, et une catégorie essentiellement constituée de femmes, et que les parties entament des négociations collectives même si les salaires des deux groupes sont augmentés, l'écart salarial ne va pas nécessairement disparaître. Les nouvelles dispositions tentent de faire en sorte que les syndicats soient eux aussi tenus de contribuer à l'élimination des écarts salariaux essentiellement dus à une discrimination systémique. L'important, en l'occurrence, est que les nouvelles dispositions font que les syndicats vont dorénavant devoir contribuer à l'élimination de l'écart salarial entre les hommes et les femmes.

David Olsen connaît très bien ce sujet et je vais donc lui laisser le soin de vous initier aux complexités de cette question telle qu'elle se pose dans le secteur privé.

David Olsen, directeur adjoint, Services juridiques, Société canadienne des postes, Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF) : Ainsi que M. Farrell vient de le dire, nos membres sont en effet entièrement acquis au principe d'un salaire égal pour un travail égal, que celui-ci soit effectué par un homme ou par une femme. Nos membres ont une longue expérience de l'article 11 de l'actuelle Loi canadienne sur les droits de la personne. Certains d'entre nous se consacrent à ce domaine depuis de nombreuses années. En ce qui concerne ma propre entreprise, la Société canadienne des postes, je peux dire que cela fait 26 ans que nous sommes partie à un litige complexe fondé, justement sur l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La Loi canadienne sur les droits de la personne comporte un certain nombre d'insuffisances qui, de fait, n'aident pas les parties à régler les plaintes en matière d'équité salariale. La Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public ne s'applique pas au secteur privé de régie fédérale, mais contient de nouveaux principes importants et des dispositions qui vont permettre aux employeurs et aux syndicats du secteur public de mieux assurer la parité salariale entre les hommes et les femmes. L'ETCOF est favorable à ces nouvelles dispositions, notamment, parce qu'elles intègrent aux négociations collectives la question de l'équité dans la rémunération, ou de l'équité salariale. J'en dirais un peu plus à cet égard dans quelques instants.

Contrairement à l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et contrairement à toutes les obligations découlant, en matière de discrimination, de cette loi, les syndicats ne sont aucunement responsables au niveau des résultats obtenus. Ce nouveau texte de loi répartit entre les employeurs et les syndicats la responsabilité de donner effet au principe d'un salaire égal pour un travail égal. La grande amélioration est une procédure plus efficace et plus équitable de règlement des différends. Aux termes des nouvelles dispositions, le litige qui oppose l'Alliance de la fonction publique du Canada à la Société canadienne des postes n'aurait pas duré un quart de siècle.

Selon l'ETCOF, le problème a toujours été que la question de l'équité salariale doit faire partie intégrante des négociations collectives. C'est pour cela que nous vous invitons à prendre connaissance de l'étude du professeur Weiler et des très utiles réflexions qu'elle contient. Ce point constitue l'essentiel de sa thèse et c'est aussi l'argument qu'il a fait valoir devant le Groupe de travail Bilson.

Au même titre que l'égalité salariale, la liberté syndicale est reconnue en tant que droit fondamental de la personne. Le simple fait qu'il s'agisse de deux droits fondamentaux ne veut pas dire, selon nous, qu'on ne doive pas traiter ensemble les problèmes qui en découlent. Au contraire, pour parvenir à un équilibre et à la pleine réalisation de ces deux droits, il faut que les questions qui y sont liées soient analysées dans un même effort de réflexion et de négociation.

Certains affirment que l'équité salariale n'est pas négociable. Cela n'est pas, d'après moi, la question. Ce texte de loi ne fait aucunement de l'équité salariale un objet de négociation. Au contraire, il en pose le principe et instaure le mécanisme — qui, selon nous, est parfaitement adapté aux employés syndiqués — permettant d'y aboutir dans le cadre de négociations collectives.

L'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui donne corps au principe de non-discrimination axée sur le sexe et interdit les disparités salariales discriminatoires n'opèrent aucune distinction entre les employés syndiqués et les employés non syndiqués. D'après nous, cette lacune a été utilisée tactiquement par des syndicats pour obtenir la renégociation de conventions collectives. Cette lacune leur a permis de négocier en toute bonne foi une convention collective, et puis de résilier le nouveau contrat, et de déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, en invoquant le caractère discriminatoire des échelles salariales convenues dans la convention collective. Cela leur a permis de revenir sur quelque chose qui avait déjà été décidé, ce qui est foncièrement contraire au principe du respect des conventions.

Une telle plainte se justifie entièrement lorsque les employés en question ne sont pas syndiqués et que c'est l'employeur qui fixe unilatéralement le niveau de la rémunération et des avantages sociaux. En pareille hypothèse, il est normal que l'employeur soit seul responsable des résultats obtenus. S'il y a discrimination, il est tout à fait normal qu'une plainte soit déposée.

Mais chez les employés syndiqués — et je me réfère, là encore, à la thèse du professeur Weiler — l'employeur et le syndicat parviennent ensemble à une décision bilatérale concernant la rémunération et les avantages sociaux accordés aux employés de l'unité de négociation.

Selon le professeur Weiler, dans la plupart des cas, le syndicat a le rôle principal dans la répartition de la masse salariale. D'après moi, en effet, l'employeur sait quel est le total qu'il peut accorder en matière de salaires. En général, c'est le syndicat qui décide comment ce total va être réparti. Le syndicat peut en effet choisir d'en affecter une partie à la garde d'enfants ou à la distribution de chaussures à embout d'acier aux employés.

Il s'agit là d'une réalité que l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prend pas en compte. En effet, les négociations collectives et la question de l'équité salariale concernent une même activité, en l'occurrence, le niveau, la structure, la nature et le montant des rémunérations.

Dans le monde syndiqué, tout cela doit être considéré comme faisant partie d'un tout. Sans cela, on tend à déstabiliser le processus de négociation collective en permettant au syndicat qui a négocié l'accord salarial de porter plainte contre l'employeur afin d'accroître ce qui a été obtenu à la table des négociations.

Nous avons, en 2002, commandé à Paul Weiler, une étude sur la question. Selon lui, en cas de litige survenant dans le cadre d'une relation de travail relevant à la fois de la Loi canadienne sur les droits de la personne et du Code canadien du travail, les organismes chargés de trancher doivent retenir de ces deux textes de loi l'interprétation conjointe la plus conforme aux politiques juridiques qu'ils incarnent. Cela vaut également pour la fonction publique.

Je voudrais maintenant, si vous me le permettez, consacrer quelques minutes au texte en question. Certains reprochent à ce texte d'aller à l'encontre du principe d'un salaire égal pour un travail égal. Or, ce principe figure dans le préambule de la loi. Cela étant, je ne vois pas pourquoi on ne l'invoquerait pas pour interpréter les dispositions du texte dans l'hypothèse où un doute planerait quant au sens qu'il convient de leur donner.

L'actuelle Loi canadienne sur les droits de la personne suppose le dépôt d'une plainte et, dans ce sens-là, la loi n'a aucun caractère proactif. Or, la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public, a un caractère proactif puisqu'il impose au Conseil du Trésor et aux employeurs et aux agents négociateurs de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'équité dans la rémunération du secteur public. Selon nous, cela représente une amélioration importante par rapport au système instauré par la Loi canadienne sur les droits de la personne qui n'intervient pas avant qu'une plainte soit déposée. Cela faisait l'objet d'une des recommandations formulées par le Groupe de travail Bilson.

Aux termes du projet de loi, le syndicat et le Conseil du Trésor sont conjointement responsables de l'équité dans la rémunération du secteur public et ils doivent, dans le cadre des négociations collectives, prendre des mesures équilibrées pour y parvenir. Avant le début des négociations, chacune des parties doit communiquer à l'autre les mesures qui, selon elle, permettraient effectivement de parvenir à l'équité dans la rémunération. La question doit être discutée à la table des négociations. Si les parties ne parviennent pas à s'entendre, c'est alors qu'intervient un mécanisme de règlement des conflits instauré à l'intention des fonctionnaires qui optent pour la voie de la conciliation/ grève, ce qu'on appelait naguère le recours à une commission de conciliation, la question devant alors être évoquée lors des réunions. C'est dire qu'il n'est plus possible d'éluder la question.

Cela va obliger toutes les parties à aborder la question dans le cadre d'un dialogue permanent. L'idée que le règlement de ces questions devrait s'effectuer sous l'égide de la Commission des relations de travail dans la fonction publique nous paraît bonne. Cet organisme est en effet chargé de se prononcer sur les questions portant sur la rémunération et les avantages sociaux des fonctionnaires. Elle possède en ce domaine des connaissances spécialisées.

Il n'existe par conséquent aucune raison objective de penser que les membres de cette commission ne pourraient pas se prononcer sur de telles questions tout comme conformément aux arrêts de la Cour suprême du Canada, les questions intéressant les droits de la personne sont, et aux termes mêmes de conventions collectives, soumises à un arbitrage de droits. Les questions intéressant l'obligation d'accommodement sont, dans le contexte qui nous intéresse en l'occurrence, presque exclusivement du domaine d'arbitres spécialisés. Rares en effet sont les dossiers qui, en ce domaine, sont portés devant la Commission canadienne des droits de la personne. On constate une nouvelle tendance voulant que soient réglés au sein de la communauté du travail, non seulement les litiges en matière d'emploi, mais également les litiges en matière de droits de la personne. Je précise qu'aux termes des nouvelles dispositions, les employés, tant syndiqués que non syndiqués conservent le droit de formuler une plainte.

L'ETCOF y est, dans l'ensemble, favorable, car les nouvelles dispositions situent la question de l'équité salariale dans le contexte des négociations collectives et entraînent donc un partage des responsabilités en ce domaine entre les employeurs et les syndicats. Nous espérons que cela améliorera le traitement des plaintes revêtant une complexité particulière sans les retards que la procédure prévue à l'article 11 entraînait à la fois pour les employeurs et les syndicats.

Je pense que les nouvelles dispositions présentent une amélioration. On ne pouvait pas, de toute manière, continuer avec le système antérieur. Pourriez-vous me préciser quelque chose? Vous deviez tout à l'heure qu'à l'issue de négociations collectives ayant abouti à un accord sur l'enveloppe de la masse salariale, il arrivait qu'un syndicat porte, pendant encore 20 ans à s'accommoder du système tel qu'il était.

Le sénateur Jaffer : J'aurais besoin d'un éclaircissement sur un point que j'ai peine à comprendre. Vous avez dit, tout à l'heure, que les négociations collectives parviennent à un accord sur un montant global, mais que le syndicat va tout de même pouvoir déposer une plainte à cet égard. Pourriez-vous nous citer un exemple de cela?

M. Olsen : Prenons l'exemple de la Société canadienne des postes. La situation qui en découle n'est pas tellement différente de celle qui peut se produire dans la fonction publique.

Nous étions, à l'origine, un ministère, et après que nous soyons devenus une société d'État, nous sommes passés du régime de négociations collectives applicable à la fonction publique au régime relevant du Code canadien du travail. En 1982, la Société canadienne des postes a conclu avec l'Alliance de la fonction publique du Canada une convention collective pluriannuelle. Or, l'été suivant, l'alliance a déposé une plainte, faisant valoir que la convention collective qu'elle avait négociée entraînait, à l'égard de certains de ses membres, une discrimination.

Le sénateur Jaffer : Y a-t-il eu d'autres cas de cela depuis 1982?

M. Olsen : C'est le seul impliquant Postes Canada. Je pense qu'il y a de nombreux cas analogues, mais peut-être ne devrais-je pas généraliser.

Dans bon nombre de cas impliquant la fonction publique, les plaintes déposées visent les modalités de convention collectives avalisées pourtant par les agents de négociation.

Le sénateur Jaffer : Vous parlez de « parité salariale» alors que le texte emploie l'expression « équité dans la rémunération ».

M. Olsen : C'est exact.

Le sénateur Jaffer : Quelle est la différence entre ces deux termes?

M. Olsen : Voici comment est formulée la partie 11 du projet de loi C-10 :

Attendu que le Parlement estime que les femmes dans le secteur public fédéral devraient recevoir un salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale;

Attendu que le Parlement reconnaît qu'il est souhaitable d'atteindre cet objectif de façon proactive; [...]

Puis, au lieu de reprendre l'expression « salaire égal pour... un travail de valeur égale », le texte parle de « rémunération équitable ». Je ne vois pas de différence entre les deux.

Le sénateur Jaffer : Selon vous, donc, l'expression « salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale » a le même sens que « rémunération équitable »?

M. Olsen : D'après moi, oui. Je ne vois dans la présence, dans ce texte, des deux expressions, aucune intention trompeuse. Cela dit, ce serait plutôt au Conseil du Trésor de vous répondre sur ce point.

Le sénateur Jaffer : Mais on ne retrouve cette expression nulle part ailleurs dans le texte.

M. Olsen : Elle se trouve dans le préambule. Dans de nombreux arrêts, et surtout dans des jugements sur des dispositions législatives en matière des droits de la personne, la Cour suprême du Canada a eu l'occasion de rappeler qu'en cas de doute quant au sens à accorder à telle ou telle disposition, il convient de se reporter au préambule. Il s'agit, en effet, de donner à ce genre de texte une interprétation large et libérale.

Le sénateur Jaffer : Selon l'article 36 du projet de loi, l'employeur et l'agent négociateur doivent s'abstenir de tout comportement pouvant encourager ou aider les employés à déposer une plainte en vertu de la présente loi, ou à la continuer.

M. Olsen : En effet.

Le sénateur Jaffer : Je m'interroge quant à la protection ou aux conseils qu'un employé peut obtenir aux termes des nouvelles dispositions puisqu'un employé ne peut même pas, selon l'article 36, obtenir en cela l'aide de son syndicat.

M. Olsen : Ces nouvelles dispositions font porter à la fois à l'employeur — en l'occurrence le Conseil du Trésor — et au syndicat la responsabilité d'aboutir à un salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale, c'est-à-dire à la rémunération équitable. J'imagine, par conséquent, que dans la mesure où le syndicat et l'employeur sont également responsables de parvenir sur ce point à des résultats satisfaisants, les plaintes viseraient à la fois l'employeur et le syndicat.

En effet, on imagine difficilement un syndicat faisant l'objet d'une plainte formulée par lui-même.

Le sénateur Jaffer : C'est justement le problème que me semble poser la disposition en question.

M. Olsen : Il s'agit, effectivement, d'une disposition un peu curieuse et sans doute conviendrait-il d'interroger à cet égard le Conseil du Trésor. La législation du travail prévoit en général que tout employé insatisfait de son syndicat peut porter plainte invoquant un manquement au devoir de juste représentation. En pareille hypothèse on ne saurait, bien sûr, s'attendre à ce que le syndicat aide l'employé à porter une telle plainte, mais je ne vois pas très bien en l'occurrence l'iniquité que cela entraîne.

Le sénateur Jaffer : Je ne parlais pas d'iniquité; simplement du sens qu'il convient de reconnaître à cette disposition.

M. Olsen : Par iniquité, j'entendais simplement moi-même le sens de la disposition en question.

Le sénateur Jaffer : Vous assurez, tous les deux, et depuis de nombreuses années, la représentation des employeurs. Sont-ils, pour la plupart, des hommes?

M. Olsen : Vous entendez par cela les hauts dirigeants de l'entreprise?

Le sénateur Jaffer : Oui, au sein de l'ETCOF.

M. Farrell : Il est exact de dire que la majorité des cadres dirigeants de ces grandes entreprises sont des hommes.

Le sénateur Jaffer : La majorité des dirigeants syndicaux sont-ils aussi des hommes?

M. Olsen : À la Société canadienne des postes, le plus grand nombre des cadres dirigeants sont des femmes, y compris la PDG.

Le sénateur Nancy Ruth : À la direction?

M. Olsen : Oui.

Le sénateur Jaffer : Non, je parlais maintenant des syndicats.

M. Olsen : Je ne sais pas. Ce n'est certainement pas le cas de l'Alliance de la fonction publique du Canada à Postes Canada, ni du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes. Ces syndicats sont essentiellement dirigés par des femmes.

Le sénateur Jaffer : Mais, la plupart des syndicats auxquels vous avez affaire dans le cadre de l'ETCOF sont à prédominance masculine?

M. Farrell : Je dirais que la majorité des syndicats au sein des entreprises faisant partie de l'ETCOF sont à prédominance masculine.

Le sénateur Jaffer : Des hommes donc?

M. Farrell : Oui.

Le sénateur Nancy Ruth : Je vous remercie de votre présence devant le comité. On se laisse prendre au jeu.

Je prends un intérêt particulier aux questions que vous posait le sénateur Jaffer, car je ne comprends pas très bien ce qui s'est passé au cours des 25 dernières années où l'équité salariale était censée être acquise. La plupart de vos entreprises demeurent à prédominance masculine. Il me semble que ni les employeurs ni les syndicats ne semblent s'être attachés à supprimer cette inégalité.

Au cours des cinq ou 10 dernières années, la situation semble s'être un peu améliorée à Postes Canada, mais elle s'est probablement détériorée ailleurs.

M. Olsen : Je peux vous citer un exemple de ce qui s'est passé à Postes Canada. La plainte en instance a un intérêt purement rétrospectif. En fait, les parties se sont désistées.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez, en tant qu'employeur, corrigé la situation?

M. Olsen : Nous avons fait exactement ce que prévoit le nouveau texte, même si, à l'époque, nous n'y étions pas obligés. L'entreprise et l'Alliance de la fonction publique s'étaient entendues, en 2000, sur un plan d'évaluation des emplois des groupes d'employés représentés par l'Alliance de la fonction publique du Canada. Nous nous étions assurés du caractère non sexiste de ce plan. Nous avions convenu des divers coefficients de pondération. Nous allions nous fonder uniquement sur les qualifications, l'effort et les responsabilités, comme le prévoit le texte qui retient aujourd'hui notre attention. Nous avons convenu du plan à appliquer.

Après avoir déterminé la valeur de tous les emplois représentés par le syndicat, nous nous sommes réunis autour de la table des négociations et nous avons négocié la rémunération convenant à ces divers emplois, conformément à une échelle fondée sur la valeur respective des divers travaux. Cela a permis de résoudre les difficultés à l'origine de la plainte.

Nous avons procédé ainsi au sein de toutes les unités de négociation, d'abord en s'entendant sur un plan d'évaluation des divers emplois, puis en négociant la rémunération et les avantages sociaux s'y rattachant. Nous avons procédé ainsi avec tous les syndicats d'employés, à l'exception du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes qui, en raison, d'après nous, du caractère militant de leur action syndicale, est parvenu à obtenir qu'à peu près tous les emplois relevant de ce syndicat aient une rémunération à peu près de même niveau, quelle que soit la valeur du travail accompli.

Le sénateur Nancy Ruth : On nous a effectivement fait part de cela.

Monsieur Farrell, je voulais simplement dire que même en l'absence d'un texte législatif, les employeurs ont les moyens d'instaurer la parité salariale. Ils peuvent imprimer aux rémunérations un caractère plus équitable. Or, compte tenu des statistiques dont nous disposons, force est de constater que la situation à cet égard n'a guère évolué. Le pourcentage de femmes occupant des postes de direction a peut-être augmenté, mais il est loin d'atteindre 50 p. 100.

Pourquoi ce texte vous paraît-il si important, et pensez-vous qu'il va effectivement nous permettre de progresser en ce domaine? Qu'en pensent vos dirigeants et les membres de vos syndicats, ou de vos employés, tant syndiqués que non syndiqués? Pensent-ils que cela va améliorer la situation alors qu'ils savent pertinemment que leurs employeurs ne sont pas encore parvenus à le faire?

M. Farrell : Est-ce une question que vous me posez là?

Le sénateur Nancy Ruth : Je tiens à savoir ce qu'en pensent les employés et les cadres dirigeants. Ces nouvelles dispositions leur donnent-elles à espérer des progrès en ce domaine?

M. Farrell : Je dois dire, d'abord, que l'équité salariale est une question que les employeurs prennent tout à fait au sérieux. Ils s'attachent à améliorer la situation et nous estimons que ce projet de loi va contribuer sensiblement à réduire les écarts existants en matière de rémunération. Nous reconnaissons qu'il existe effectivement des écarts et qu'il convient de s'y attaquer. L'important, dans ce projet de loi est qu'il tente de faire partager par les employeurs et les syndicats, la responsabilité à cet égard. Dans un contexte purement syndical, l'employeur portait seul la responsabilité découlant d'éventuelles inégalités de rémunération, étant donné que les syndicats n'ont pas, dans le cadre des négociations collectives, à collaborer avec lui pour régler le problème. Il faut donc que les responsabilités à cet égard incombent conjointement aux syndicats et aux employeurs qui vont devoir se réunir avant même que ne soient entamées les négociations collectives afin de définir le problème, de cerner les inégalités et d'en identifier les causes. Il va donc leur falloir élaborer conjointement une stratégie permettant éventuellement de régler le problème.

Allons-nous y parvenir tout de suite?

Peut-être que non, car cela exigerait vraisemblablement, afin de parvenir à la parité, de réduire les salaires des hommes pour augmenter les salaires des femmes. Cela ne paraît pas vraiment possible et c'est sans doute quelque chose que les syndicats n'accepteraient pas. Tentons, cependant, de parvenir à un nouveau moyen de définir le problème, d'élaborer une stratégie, de nous fixer des objectifs et d'élaborer une grille d'évaluation des emplois afin que, ensemble, les syndicats et la direction des entreprises parviennent à s'entendre et trouvent à ce problème une solution satisfaisante.

C'est en cela que le projet de loi nous semble bon et nous estimons que la loi que l'on se propose d'appliquer en ce domaine aux employés de la fonction publique permettra de régler une grande partie des inégalités.

Tout cela va prendre du temps, car, vous savez bien qu'il y a des budgets et que ce genre de problème ne peut pas être réglé en un jour. Cela dit, les nouvelles dispositions instaurent un mécanisme permettant aux employeurs et aux syndicats de travailler la main dans la main en vue de résoudre le problème.

Le sénateur Nancy Ruth : Dans la plupart des entreprises appartenant à votre groupe, les employés sont-ils syndiqués, ou la moitié d'entre eux?

M. Farrell : Je dirais que, dans à peu près 80 p. 100 des entreprises de notre groupe, les employés sont syndiqués. Les entreprises appartenant à l'ETCOF ont en tout 586 000 employés, dont 212 000 syndiqués.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez correctement résumé la question en disant que le problème serait réglé si les hommes acceptaient de voir baisser leur rémunération afin que celle des femmes puisse augmenter. C'est une solution que l'on propose depuis longtemps, mais, depuis longtemps aussi, les hommes s'y refusent. J'espère que ce projet de loi permettra de faire avancer les choses.

J'aimerais, pour terminer, simplement vous dire, monsieur Olsen, que m'intéressant, depuis 1985, à la jurisprudence sur les dispositions de la Charte et notamment aux arrêts concernant les droits des femmes, je trouve qu'il n'y a pas de commune mesure entre une chose susceptible de contribuer à l'interprétation d'un texte et une disposition qui est effectivement inscrite dans le texte. Il n'existe pas de jurisprudence concernant le sens qu'il convient d'attribuer au terme « rémunération équitable ».

M. Olsen : Je ne suis pas en mesure de vous les citer de mémoire, mais plusieurs jugements ont été rendus en matière d'équité salariale au titre de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et en particulier en matière de rémunération dans la fonction publique. Cela dit, je conviens qu'il serait mieux qu'une telle disposition soit inscrite dans la loi.

Le sénateur Nancy Ruth : Il doit donc y avoir une raison pour que cela n'ait pas été fait.

M. Olsen : Je suis d'accord avec vous sur l'essentiel. Je sais, néanmoins, que les tribunaux ont parfois eu recours au préambule pour donner davantage de sens aux dispositions de la loi.

Je ne sais pas pourquoi le Conseil du Trésor, enfin les rédacteurs du texte, a retenu cette formule. Mais je ne vois guère que cela pourrait vouloir dire autre chose qu'un salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale. Il conviendrait peut-être de leur demander et leurs explications pourraient, elles aussi, contribuer à l'interprétation des dispositions de ce projet de loi.

Le sénateur Poy : Ma question s'adresse à l'un ou l'autre d'entre vous. Quand vous parlez de négociations, vous voulez dire entre l'employeur et le syndicat.

Vous n'avez pas parlé, cependant, des entreprises faisant partie d'ETCOF, mais dont les employés ne sont pas syndiqués. Je ne vois donc pas très bien comment les choses se passeraient dans ce cas-là. En effet, c'est à l'issue d'une négociation qu'un syndicat parvient à un accord concernant l'enveloppe salariale.

Mais qui veillera à ce que les syndicats respectent effectivement le principe d'un salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale? Cela sera-t-il laissé entièrement aux syndicats?

M. Olsen : Vous voulez dire dans le cadre des nouvelles dispositions?

Le sénateur Poy : Oui.

M. Olsen : D'abord, il incombe, aux termes du projet de loi à la fois à l'employeur et au syndicat de régler la question. En effet, l'article 3 impose tant à l'employeur qu'au syndicat l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour offrir aux employés une rémunération équitable. Ce seront donc eux qui en fixeront les modalités.

Aux termes de l'article 12, avant l'expiration de la convention collective, l'employeur et l'agent négociateur doivent chacun faire connaître à l'autre son point de vue et indiquer les catégories d'employés qui sont à prédominance féminine ou à prédominance masculine en signalant les difficultés qui se posent en matière de rémunération équitable.

Les deux parties seront donc tenues de préparer le terrain et de se communiquer les questions qu'elles souhaitent voir aborder. Si les deux parties ne parviennent pas à s'entendre, la question pourrait être, aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, renvoyée devant un tribunal arbitral, et là il existe deux mécanismes de résolution des différends; l'arbitrage exécutoire et la voie de la conciliation/grève. Ces questions peuvent donc être soulevées devant le tribunal d'arbitrage ou dans le cadre de la procédure de conciliation. Les employés syndiqués qui s'estimeraient insatisfaits des mesures prises soit par leur syndicat, soit par leur employeur, conservent la faculté de porter plainte.

Le sénateur Poy : À qui s'adresseraient-ils pour se plaindre?

M. Olsen : Je pense que dans l'hypothèse où l'employeur ou le syndicat n'a pas pris les mesures nécessaires, les employés peuvent porter plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Le sénateur Poy : Les négociations se déroulent en deux temps. D'abord, l'employeur et les syndicats s'entendent sur l'enveloppe globale de la rémunération. Je crois que dans un deuxième temps, ce sont les syndicats qui décident comment cette masse sera répartie entre les salariés. C'est ce que je crois avoir compris de ce que vous nous avez dit.

M. Olsen : Dans le cadre du régime actuel, le principe d'un salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale n'a pas à être mis en œuvre de façon proactive. En effet, le régime actuel exige le dépôt préalable d'une plainte. Dans le passé, et cela vaut à tout le moins, pour les entreprises membres d'ETCOF, le syndicat négocie une convention collective, après quoi, c'est lui qui prend la plupart des décisions concernant la manière dont l'enveloppe salariale va être répartie parmi ses membres.

D'après nous, les syndicats ont utilisé la procédure de plainte à des fins tactiques. Supposons, par exemple, qu'un syndicat ait décidé de n'accorder d'augmentation de salaire qu'aux catégories d'employés à prédominance masculine. Dans cette hypothèse, le syndicat pourrait néanmoins porter plainte en faisant valoir que la nouvelle convention collective lèse les catégories d'employés à prédominance féminine et demander à l'employeur une rallonge afin de combler l'écart entre les deux catégories d'employés.

Or, cela n'est plus possible en vertu des nouvelles dispositions.

Le sénateur Poy : Je vois.

M. Olsen : Il faudra en effet que le syndicat fasse état de l'écart avant que ne soient entamées les négociations, ou du moins dans le cadre de celles-ci. Le syndicat ne pourra plus décider de favoriser un groupe d'employés par rapport à l'autre, et après cela, porter une plainte en invoquant une inégalité de rémunération.

Le sénateur Poy : Mais que se passera-t-il alors pour les entreprises membres d'ETCOF dont les employés ne sont pas syndiqués?

M. Farrell : D'abord, le projet de loi qui retient aujourd'hui notre attention ne s'applique pas au secteur privé, mais uniquement au secteur public. Le secteur privé, donc, continue à relever du régime actuel.

Le sénateur Brazeau : Permettez-moi de dire combien j'apprécie le privilège de faire ce soir partie d'une minorité dans un ensemble à prédominance féminine. Je pense qu'il y a là un modèle dont d'autres pourraient s'inspirer.

Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. J'aurais à vous poser une question tout à fait simple concernant l'équité salariale. Dans la mesure où nous considérons qu'il appartient à la fois à l'employeur et au syndicat de mettre ce principe en œuvre, estimez-vous que, dans le contexte des négociations collectives, les nouvelles dispositions tendent à protéger ou à promouvoir le droit à une rémunération équitable, mais chose plus importante encore, le droit des femmes à la parité salariale?

M. Farrell : Je ne suis pas tout à fait certain d'avoir saisi le sens de votre question.

Le sénateur Brazeau : J'avais déjà posé une question à cet égard. Considérez-vous que les nouvelles dispositions constituent, en ce qui concerne cet objectif de parvenir à l'équité salariale, une amélioration par rapport au régime actuel?

M. Farrell : Oui, car, d'après nous, ces nouvelles dispositions, qui ne s'appliquent pas au secteur privé mais uniquement au secteur public, imposent tant aux syndicats qu'aux employeurs l'obligation d'assumer conjointement la responsabilité de mettre en œuvre le principe d'un salaire égal pour l'exécution d'un travail de valeur égale et qu'il va donc leur incomber à tous les deux de trouver les moyens d'y parvenir et d'y parvenir en fait.

Les employés conserveront, eux, la possibilité de porter plainte en cas d'inégalité. Ce droit leur reste acquis.

La question de l'équité salariale est à la fois une question de droit du travail et une question de droits de la personne. Nous tentons de parvenir à des solutions dans le contexte de cette réalité que constituent les négociations collectives et de la manière dont sont fixés les salaires. Les nouvelles dispositions ont simplement pour effet de créer tant pour l'employeur que pour les syndicats l'obligation d'aboutir aux résultats voulus.

Le sénateur Brazeau : Les entreprises membres de votre organisation vous ont-elles fait part de certaines préoccupations au sujet des nouvelles dispositions?

M. Farrell : Des dispositions du projet de loi?

Le sénateur Brazeau : Oui.

M. Farrell : Non.

M. Olsen : Je peux dire que, dans l'ensemble, les membres de notre organisation sont favorables aux nouvelles dispositions. En 2002, le professeur Weiler a comparu devant le Groupe de travail Bilson — à l'époque son état de santé lui permettait encore une telle intervention — et a présenté un exposé sur la question. Nous avions demandé au professeur Weiler de faire, à l'intention d'ETCOF une étude sur la question. Les dispositions de ce projet de loi s'alignent en grande partie sur les idées essentielles développées par le professeur Weiler devant le groupe de travail. C'est d'ailleurs pour cela que nous prenons la parole ici afin de défendre ce projet de loi.

La présidente : Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je suis désolée que nous ayons eu à poursuivre si tard, mais c'était la seule possibilité que nous offrait le calendrier. Nous vous remercions des points de vue que vous avez exprimés au sujet de ce projet de loi. Et nous entendons poser aux représentants du Conseil du Trésor, certaines des questions que nous vous avons posées ce soir. Les délais qui nous sont impartis pour mener à bien nos travaux sont assez justes et nous vous sommes donc reconnaissants d'avoir répondu si vite à notre invitation. Vous avez en cela facilité notre tâche.

Je précise que nous sommes en même temps chargé d'étudier, au sein de la Commission de la fonction publique, la question des minorités visibles, des hommes et des femmes, des Autochtones et des personnes frappées d'une invalidité. Je suis récemment tombée sur un article concernant la Société canadienne des postes et j'ai été agréablement surprise des progrès qui semblent y avoir été accomplis. Vous savez, je pense, de quel article il s'agit.

M. Olsen : Oui.

La présidente : Si vous pouviez en faire parvenir un exemplaire à notre greffier, cela nous aiderait à mettre à jour nos connaissances de ce qui s'est fait chez vous, et nous aurons peut-être ultérieurement l'occasion de vous contacter à nouveau dans le cadre des autres questions que nous pourrions être chargés d'étudier. J'aurais souhaité discuter avec vous de certaines des choses qui sont dites dans cet article afin de voir si tout est exact et de vérifier que les progrès dont il est fait état ont effectivement été réalisés, progrès dont de nombreux Canadiens, moi y compris, n'étaient pas au courant. Cela nous serait, là encore, utile.

M. Olsen : Je vous remercie. C'est très volontiers que je vais laisser mes coordonnées au cas où vous souhaiteriez me contacter à nouveau. Et c'est très volontiers aussi que je vous ferai parvenir l'article en question. C'est bien de l'article concernant les récompenses accordées à des employés autochtones qu'il s'agit?

La présidente : Oui.

M. Olsen : Je vous remercie.

La présidente : Merci, messieurs. Sénateurs, nous allons maintenant consacrer quelques minutes aux travaux du comité.

Le comité de direction s'est réuni régulièrement et nous avons tenté d'accomplir les missions qui nous ont été confiées aussi efficacement que possible. Le comité de direction a fixé deux priorités : l'EPU et le rapport du conseil. Nous ne pensons pas être en mesure de recueillir tous les témoignages et de rédiger le rapport intégral dans les délais qui nous ont été fixés, mais nous avons cru important, au moins, de remettre un rapport abrégé.

Le sénateur Jaffer : Souhaitez-vous poursuivre à huis clos?

La présidente : Non, je ne le pense pas. Le pensez-vous? Si vous souhaitez poursuivre à huis clos, nous le pouvons.

Le sénateur Jaffer : Je pense que nous devrions. Il s'agit des travaux du comité.

Le sénateur Nancy Ruth : Mon observation s'adressait au greffier.

La présidente : Pourrions-nous attendre un instant? Nous sommes convenus de poursuivre à huis clos, et c'est ce que nous allons faire. Combien de temps cela prendra-t-il? Deux minutes? Dites-le-nous en deux secondes, et nous n'aurons pas comme ça à changer de places.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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