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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 2 - Témoignages du 5 mars 2009


OTTAWA, le jeudi 5 mars 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 38 pour étudier les dispositions et l'application de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une autre loi en conséquence (L.C. 2008, ch. 29).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Translation]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une autre loi en conséquence (L.C. 2008, ch. 29), qui a été adoptée en juin 2008.

Je vous rappelle un peu le contexte. À la suite des décisions rendues dans l'affaire Trépanier, les cours martiales, telles qu'elles étaient constituées à l'époque, avaient été jugées anticonstitutionnelles, et il était devenu nécessaire d'adopter rapidement une mesure législative pour corriger la situation. C'est ce qu'a fait le Parlement, mais en contrepartie de l'adoption accélérée du projet de loi, il avait été convenu entre le ministre de la Défense nationale et nous que notre comité ferait une étude des répercussions des modifications apportées à la structure des cours martiales. Voilà donc l'objet de notre étude.

[English]

Nous avons le grand plaisir d'accueillir comme témoin, le colonel Michel W. Drapeau, ancien militaire à la retraite et spécialiste du droit militaire canadien et de l'accès à l'information.

Je pense que les Canadiens vous ont souvent vu à la télévision ou ailleurs parce que vous êtes très connu à titre de commentateur. Nous sommes très heureux de votre présence et nous vous en remercions.

[Translation]

Nous vous invitons à nous présenter vos remarques préliminaires. Nous avons reçu copie de votre mémoire. Une fois que vous aurez terminé vos remarques préliminaires, nous vous poserons des questions. Vous avez la parole.

Colonel Michel W. Drapeau, O.M.M., C.D. (ret), à titre personnel : Permettez-moi d'abord de remercier les membres du comité de me permettre de venir leur présenter ce matin des observations sur le projet de loi C-60.

En prévision de ma comparution ici aujourd'hui, j'ai rédigé des commentaires, dont vous avez tous reçu copie, si je ne m'abuse. Je voudrais revenir sur certains éléments de ce document.

Dans le document, je résume brièvement l'affaire Trépanier, qui a été entendue par la Cour d'appel de la cour martiale du Canada. La décision a été rendue le 24 avril 2008. En gros, la cour avait alors statué que la disposition de la Loi sur la défense nationale qui conférait à la poursuite, plutôt qu'à l'accusé, le droit de choisir le type de cour martiale était inconstitutionnelle.

L'analyse que j'ai faite de la loi montre également que le ministère de la Défense nationale aurait dû prévoir cette décision bien des années auparavant. Il ne l'a toutefois pas fait. À la place, quand la décision unanime de la cour a été publiée, le ministère a d'abord interjeté appel auprès de la Cour suprême du Canada pour contester la décision et il a ensuite déposé le projet de loi C-60 afin de faire adopter de toute urgence les modifications législatives nécessaires.

[English]

La raison pour laquelle cela ne devrait pas prendre par surprise les autorités du ministère de la Défense, c'est qu'en 2003, feu le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Antonio Lamer, suite à l'examen de la Loi sur la défense nationale, avait recommandé qu'à l'instar des cours criminelles on donne à l'accusé, non à la Couronne, le pouvoir de choisir le type de cour martiale.

Le juge Lamer avait aussi recommandé qu'on rationalise les cours martiales en les simplifiant et en réduisant leur nombre, sans toutefois statuer sur ce nombre.

En 2005, deux ans plus tard, dans l'affaire Nystrom, la Cour d'appel de la cour martiale suggéra à son tour au ministère de la Défense nationale que le pouvoir du directeur des poursuites militaires de choisir le type de cour martiale pouvait violer le droit constitutionnel d'un accusé de présenter une défense adéquate, droit prévu à l'article 7 et au paragraphe 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

C'est avec un certain étonnement que j'ai lu les propos du ministre de la Défense nationale devant votre comité, le 17 juin 2008. Il affirmait que le projet de loi C-60 était nécessaire en raison d'une impasse créée par la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Trépanier.

Permettez-moi de citer brièvement certains commentaires du ministre.

Ce projet de loi est nécessaire en raison d'une impasse créée par la décision de la Cour d'appel de la cour martiale dans l'affaire Trépanier. Tant que le projet de loi n'est pas adopté, il est impossible de convoquer les cours martiales. Par conséquent, les crimes graves pourraient demeurer impunis et les victimes privées de justice.

Tel que mentionné dans mon document, ces commentaires contredisent les propos de la cour qui, dans sa décision, étala une solution simple et pratique pour faire face à l'élimination de la clause qui portait offense aux droits de l'accusé.

Cela dit d'un côté positif, le ministère a pris l'initiative, avec le projet de loi C-60, de profiter de l'occasion pour réduire le nombre de cours martiales. Cependant, je ne suis pas certain que la réduction de quatre à deux types de cour martiale ait parfaitement atteint ce but.

La cause du caporal Lewyi, dont l'audition est sur le point d'avoir lieu devant la Cour d'appel de la cour martiale le 13 mars 2009, constitue un bon exemple. Avant les modifications apportées au projet de loi C-60, l'accusé devait subir un procès parce qu'il était déjà accusé, alors que maintenant il a le choix.

Dans la cause du caporal Lewyi, on l'accusait d'avoir désobéi à un ordre d'un de ses supérieurs de vérifier l'état des freins de sa remorque. Aujourd'hui, avec le choix dont il dispose, il est passible d'un emprisonnement à vie.

C'est un peu fort. Sous l'ancien régime avec les quatre cours, il aurait été passible de «dismissal with disgrace». Je ne dis pas qu'il sera accusé et puni par une sentence aussi forte que l'emprisonnement à vie, mais la marche est très haute maintenant et, avec les modifications du projet de loi C-60, on ne fait qu'envenimer sa situation plutôt que l'améliorer.

Il faudra attendre quelques semaines pour voir ce que la Cour d'appel de la cour martiale dira au sujet de cette décision, ce faisant, sinon de la constitutionalité du projet de loi C-60, certainement de son application dans les faits.

[Translation]

Soit dit en passant, je fais également remarquer dans l'analyse que je vous ai remise que le moment est venu d'examiner l'éventail des peines autorisées aux termes de l'article 139 de la Loi sur la défense nationale.

Il n'en est pas fait directement mention dans l'article en question, mais il en est indirectement question puisque nous n'avons plus que deux cours martiales, alors que nous en avions quatre, dont une qui était réservée aux civils. Les deux cours martiales que nous avons maintenant sont habilitées à entendre les causes concernant aussi bien les civils que les militaires.

Dans le cas des civils, la seule sanction qui peut être imposée par les cours martiales est une amende ou une peine d'emprisonnement. Il peut arriver que les cours martiales n'aient d'autre choix que de conclure à la culpabilité de l'inculpé aux regards de la preuve qui leur a été présentée. Or, si pour une raison quelconque la cour veut imposer une peine salutaire — par exemple, il pourrait s'agir de quelqu'un qui sert du café en Afghanistan, qui est assujetti au Code de discipline militaire et pourrait subir un procès pour n'importe quelle infraction —, la cour n'aura alors d'autre choix que de condamner l'inculpé à une amende ou à une peine d'emprisonnement. La marge de manœuvre des cours martiales a été réduite.

Je soutiens, entre autres choses, que la Loi sur la défense nationale, telle qu'elle est libellée à l'heure actuelle, fait fi de toute une panoplie de peines dont disposent les cours pénales civiles. Ainsi, le civil qui est traduit devant une cour martiale pour une infraction qui serait identique à celle dont son frère serait accusé devant une cour pénale civile s'exposerait à un ensemble tout à fait différent et très restreint de peines. Par exemple, il ne serait pas admissible à l'absolution inconditionnelle ou sous conditions. Il ne serait pas admissible à la probation, la restitution, une peine d'emprisonnement avec sursis ou une peine qui peut être purgée de façon intermittente. Ce sont là autant de peines dont disposent, à l'heure actuelle, les cours pénales du Canada.

À tout le moins, ces peines devraient pour commencer être mises à la disposition de la cour martiale permanente, que l'inculpé soit un militaire ou un civil. Cela est d'autant plus important dans le cas de l'inculpé civil puisque, à l'heure actuelle, la seule peine qui puisse lui être infligée par la cour martiale est l'emprisonnement ou une amende. Le juge a ainsi un pouvoir discrétionnaire très restreint.

En conclusion, permettez-moi de vous dire que c'est un véritable honneur pour moi, en tant que soldat retraité et juriste, de participer à l'étude que vous faites de ce projet de loi. Je vous sais gré de votre attention, et je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

[English]

Le sénateur Nolin : Colonel Drapeau, merci beaucoup de vous être déplacé pour participer à nos délibérations. Est- ce que je comprends que la dernière partie de votre exposé sort du propos du projet de loi C-60?

Col Drapeau : Le projet de loi C-60 ne concerne pas les sentences. Par contre, il a réduit la flexibilité des quatre cours à deux cours, et c'est inévitable.

Le sénateur Nolin : C'est donc une conséquence du projet de loi C-60?

Col Drapeau : C'est exact. Et la conséquence sera visible et la cour va probablement commenter la cause Lewyi.

Le sénateur Nolin : Je pense qu'on ne devrait pas traiter de cette cause. Elle est devant les tribunaux et je ne pense pas que ce soit approprié qu'on commente.

Col Drapeau : C'est la première cause, qui sera soumise à la cour suite au projet de loi C-60.

Le sénateur Nolin : Le fait qu'on donne à l'accusé militaire le choix du tribunal qui le jugera... J'ai de la misère à suivre votre raisonnement. Il faudrait que je lise votre texte, je viens d'en prendre connaissance. Comment se fait-il que l'accusé ait maintenant des options? C'est un couteau à deux tranchants. S'il choisit un type de cour, les peines auxquelles il s'expose sont beaucoup plus contraignantes que dans le cadre civil. Est-ce que je comprends bien?

Col Drapeau : Oui, et je vais vous donner un exemple pratique. C'est pourquoi j'ai choisi cet exemple. Dans ce cas, si on veut lui donner le choix et s'il prend cette décision, la seule place où il peut faire un choix, c'est une cour martiale générale et non pas permanente. S'il fait ce choix, le niveau de punition disponible dans cette cour, c'est l'emprisonnement à vie.

Avant cela, il y avait une certaine marge, une gradation entre les pouvoirs de ces cours qui essayaient de répondre, avec des années d'expérience, à différentes circonstances. On a perdu un peu de cette flexibilité.

On ne peut pas simplement, dans une loi très complexe dans sa lecture et dans sa construction, changer tout le processus des cours martiales sans s'attendre à des conséquences qu'on n'avait pas envisagées. Ce n'est pas une critique.

Le sénateur Nolin : Vous soulevex un point auquel on ne s'était pas attardé en juin dernier au moment où on a questionné le ministre. C'est quand même important. Je vais lire avec beaucoup d'attention votre texte car je fais une distinction. Je présume que le juge, fut-il d'une cour martiale, a le pouvoir ou la latitude d'établir la durée de la peine. Je ne parle pas de peine obligatoire.

Col Drapeau : De quoi l'accusé est-il passible.

Le sénateur Nolin : Il y aussi le type de décisions. Vous avez fait référence à des sentences suspendues, à des peines conditionnelles. Il y a tout un éventail de type de peines disponibles dans les tribunaux civils qui, si je comprends bien votre témoignage, ne sont pas disponibles et devraient l'être.

Col Drapeau : Le lien que je n'ai pas fait dans le document que je vous ai remis et que je fais maintenant est que la décision Trépanier dit, sans le dire ouvertement, qu'il ne devrait pas y avoir de différence entre une personne accusée dans une cour civile et dans une cour militaire.

Le sénateur Nolin : C'est l'argument qu'on comprend dans l'arrêt Trépanier.

Col Drapeau : Si c'est l'argument de l'arrêt Trépanier, et ce l'est, pour ce fait, l'accusé doit avoir un choix du genre de procès, soit devant juge ou devant juge et jury, ou ce que nous appelons le comité dans les forces armées. La même raison poussera à dire : pourquoi un civil, qui peut être accusé de vol à Ottawa, irait à une cour criminelle. Il aura toutes sortes d'outils à sa disposition lorsqu'arrive le temps de donner une punition, alors que s'il passe devant une cour martiale, il y a seulement la sentence d'un emprisonnement et d'une amende.

Une fois que vous avez commencé à changer le processus de la loi militaire, vous êtes obligés de pousser la réflexion plus loin. Est-ce qu'il y a d'autres aspects en contradiction avec la cour criminelle? Je vous en donne un.

La présidente : J'ai une question de clarification. Cet éventail souhaitable de peines, est-ce qu'il était disponible avant le projet de loi C-60, lorsqu'on avait les différentes formes de cours martiales?

Col Drapeau : Non, la loi disait que dans une cour permanente, on disait déjà dans un règlement que les seules punitions disponibles étaient l'emprisonnement et l'amende. À l'article 139 de la loi, vous avez une liste de toutes les punitions accessibles au juge à partir de punitions mineures, perte de séniorité, rétrogradation, emprisonnement et ce genre de choses. Mais les aspects civils d'une cour criminelle n'étaient pas inclus et ne le sont toujours pas.

Le sénateur Nolin : Il y a un tableau qui nous est distribué dans les deux langues officielles. Est-ce qu'il fait partie des documents que vous nous avez transmis?

La présidente : Tableaux un et deux.

Le sénateur Nolin : Oui, vous avez soulevé la question et c'est important. Malgré le projet de loi C-60, cet éventail d'options à la disposition du magistrat n'existait pas.

La présidente : Non.

Le sénateur Nolin : Cela pourrait venir dans une réforme ultérieure.

Col Drapeau : C'est exact.

Le sénateur Nolin : On en a discuté hier et on espère qu'elle sera présentée devant ce Parlement.

Col Drapeau : Mon point est une suite logique.

Le sénateur Nolin : À cause de l'intention du tribunal dans l'arrêt Trépanier de vouloir établir le parallèle le plus parfait possible entre un accusé civil et un accusé militaire.

Col Drapeau : Je vais mettre ma toge professorale ou d'avocat et je vais vous dire que si vous voulez anticiper une cause dans une cour martiale, un avocat alerte va dire que quelqu'un qui a été puni d'emprisonnement ou à une amende, en Afghanistan, va soulever la constitutionalité qu'il n'a presque pas de choix. Doit-on attendre que la cour nous dicte ce genre de choses?

Le sénateur Nolin : L'article 7 serait un peu battu en brèche.

[Translation]

Le sénateur Angus : Merci d'être venu nous rencontrer ce matin. Je suis heureux de constater que vous ayez choisi une si noble profession après votre distinguée carrière.

Col Drapeau : Il m'a fallu beaucoup de temps pour y arriver.

Le sénateur Angus : Je vois que vous avez obtenu votre licence en droit de l'Université d'Ottawa et que vous avez ensuite fait votre cléricature à la Cour d'appel fédérale.

Col Drapeau : Oui, à la Cour d'appel fédérale, c'est bien cela.

Le sénateur Angus : Étiez-vous assigné à un juge en particulier à la Cour d'appel fédérale?

Col Drapeau : Oui, au juge Létourneau.

Le sénateur Angus : Êtes-vous ensuite devenu membre du Barreau du Haut-Canada?

Col Drapeau : Oui.

Le sénateur Angus : En êtes-vous toujours membre en règle?

Col Drapeau : Oui, je le suis.

Le sénateur Angus : Je vous conseillerais de l'ajouter à votre CV, sous associations professionnelles.

Col Drapeau : C'est sans doute que je le tenais pour acquis, mais je vous remercie.

Le sénateur Angus : Je me suis dit que vous exerciez peut-être sans être membre du barreau.

J'ai été très intéressé par ce que vous avez dit dans votre témoignage au sujet du nombre de civils qui sont actuellement en Afghanistan avec notre contingent militaire. Je crois que, d'après votre témoignage, ces civils, qu'ils soient préposés au café, travailleurs de la construction ou camionneurs, sont assujettis au même régime de loi martiale que les militaires, n'est-ce pas?

Col Drapeau : C'est juste.

Le sénateur Angus : Il n'y a pas de choix?

Col Drapeau : Il n'y a pas de choix.

Le sénateur Angus : Est-ce parce qu'ils travaillent dans une base militaire?

Col Drapeau : C'est en partie pour cela, mais c'est aussi en partie parce qu'ils accompagnent les forces militaires. La loi est très claire. Elle s'applique aux civils qui accompagnent un bataillon ou qui fréquentent un établissement d'enseignement comme le Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes de Toronto. Les contractuels, qu'ils soient mécaniciens, préposés au café ou médecins, qui relèvent du commandement et du contrôle d'une organisation militaire, que ce soit à bord d'un navire ou en Afghanistan, et qui sont accusés d'une infraction, qu'il s'agisse d'un crime punissable aux termes du Code criminel ou d'une infraction d'ordre militaire, sont assujettis à la loi et doivent comparaître devant une cour martiale.

Le sénateur Angus : C'était fascinant hier d'entendre parler dans les moindres détails d'un cas qui est allé devant de nombreuses instances judiciaires. Le sénateur Baker a indiqué que les infractions qui relèvent de la loi martiale comprennent, par exemple, le défaut de payer son billet pour un dîner militaire et d'autres infractions tout aussi banales. Les témoins nous ont expliqué que c'est la discipline militaire qui exige qu'il en soit ainsi.

Le même régime d'infraction s'applique-t-il aux civils qui participent à la même mission?

Col Drapeau : En effet, sénateur. Tout dépend si une accusation est déposée. Si, toutefois, l'entrée dans un lieu est interdite, si l'on est tenu de porter un gilet, et si l'utilisation d'une radio est interdite dans certaines circonstances — autrement dit, les règles et les ordres de même que les directives qui sont donnés à tout le personnel qui se trouve dans le camp, tous sont assujettis aux mêmes directives, qu'ils soient militaires ou civils. S'ils les violent, la même accusation pourrait être portée contre eux.

Le sénateur Angus : Pour faire suite aux questions que vous a posées le sénateur Nolin, il existe selon vous — et cela semble évident pour nous tous qui faisons partie du comité — d'importantes lacunes dans le projet de loi C-60 pour ce qui de se conformer à la décision Trépanier par rapport à l'établissement d'un parallèle entre le régime civil et le régime martial d'une part et, d'autre part, de faire en sorte que le projet de loi C-60 réponde à toutes les préoccupations. Je crois que vous êtes conscient du fait qu'il y avait urgence à l'époque : beaucoup de cas étaient en suspens, et l'appareil judiciaire ne pouvait plus fonctionner à toutes fins utiles à la suite de la décision Trépanier. Les roues de la justice avaient besoin d'être huilées, si bien que le projet de loi a été adopté et il avait été convenu que nous tiendrions ces audiences et que le ministre — s'il occupait toujours ses fonctions — recevrait des propositions quant à la façon d'améliorer le projet de loi. C'est pour cela que nous sommes là.

Vous donnez à entendre, si j'ai bien compris, qu'il faudrait notamment se pencher sur la détermination de la peine et prévoir un vaste éventail de peines pour que le choix ne se limite pas à la prison à perpétuité ou à une amende?

Col Drapeau : Je ne suis pas d'accord. Je l'ai dit. C'est mon avis personnel, mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'il y avait vraiment urgence à l'époque. Je me fie en cela à ce qu'a dit la cour. La cour avait prévu une mesure plus banale, plus simple et plus pratique.

Il était accepté que la disposition contestée n'était plus constitutionnelle. Tout ce que les Forces canadiennes auraient eu à faire aurait été de laisser le choix à l'accusé. Dans certains cas, la cour dit qu'il n'est pas évident que l'accusé aurait choisi d'être traduit devant un comité.

Cela dit, c'est du passé; nous avons maintenant le projet de loi C-60. Je ne suis pas offensé par le projet de loi C-60. C'est une bonne loi, mais nous avons maintenant le temps d'y réfléchir comme le fait votre comité, et il nous faut mener le raisonnement jusqu'à sa conclusion logique et même plus loin. La discipline militaire est un aspect d'une importance primordiale. La façon dont elle est perçue, non pas seulement par les militaires, mais par les autres, comme vous et comme le grand public, est importante.

Si le grand public apprenait que quelqu'un qui aurait omis de vérifier les freins d'une remorque pourrait être accusé d'une infraction qui le rendrait passible d'emprisonnement à perpétuité, la confiance dans le système de justice militaire ne serait peut-être pas aussi grande que nous le voudrions.

Je dis que, dans le cadre de notre réflexion, nous voudrons peut-être approfondir notre analyse et aller un petit peu plus loin pour nous demander si c'est bien ce que nous voulons, notamment pour ce qui est de l'éventail des peines.

Le sénateur Angus : Dans votre exposé très éloquent, vous avez dit ce que vous avez dit. Avez-vous parlé de toutes les améliorations qui devraient être apportées au projet de loi C-60, ou avez-vous d'autres idées ou d'autres modifications à proposer?

Col Drapeau : Je ne suis jamais à court d'idées, du moins à ce qu'on me dit. Oui, j'ai d'autres idées. J'estime qu'il y a d'autres dispositions de la Loi sur la défense nationale qui auraient besoin d'être améliorées. Certaines de ces idées se trouvaient dans le projet de loi C-45 qui avait été présenté pendant la précédente législature. Il y en a deux ou trois autres aussi.

La Loi sur la défense nationale doit être améliorée. Certaines des améliorations découlent des recommandations qui avaient été faites au Parlement par feu le juge Antonio Lamer. Ses recommandations n'ont pas toutes été mises en œuvre dans la loi.

Si j'avais une recommandation à faire, ce serait de veiller à ce que l'on cherche dans toute la mesure du possible à ce qu'il y ait une concordance parfaite entre le Code criminel et la Loi sur la défense nationale. À l'heure actuelle, les deux ne concordent pas à plusieurs égards. Le Code criminel évolue en fonction de l'évolution de la société. La Loi sur la défense nationale, à cause de la société conservatrice dont elle est issue — et j'en fais toujours partie — n'évolue pas au même rythme. Il faudrait qu'elle évolue. Si vous le souhaitez, je pourrais vous remettre un tableau qui montre que cela pourrait se faire sans qu'il en coûte quoi que ce soit. L'application de la loi s'en trouverait améliorée.

Le sénateur Angus : Le témoin soulève un point important. Je me demande, madame la présidente, si nous pourrions demander au témoin de bien vouloir prendre le temps de nous remettre un tableau et si nous pourrions également lui demander ce qu'il pense d'une révision éventuelle.

La présidente : Certainement. Colonel Drapeau, si vous vouliez nous remettre ce genre de document, ce serait très intéressant pour nous tous.

Col Drapeau : Volontiers.

Le sénateur Milne : Je dois dire que, après avoir lu le CV du colonel Drapeau, j'hésite à lui poser des questions. Son CV est tellement impressionnant, et je ne suis certainement pas avocate, alors vous me pardonnerez si je reviens à la dimension politique en quelque sorte, même si vous dites que c'est du passé.

À la page 7 de votre mémoire, au point 2, vous nous dites ni plus ni moins qu'il n'était pas nécessaire en fait d'adopter en toute hâte le projet de loi C-60 , comme on nous avait persuadés de le faire, parce que, dans l'arrêt Trépanier, la cour avait pris soin de fournir une solution provisoire, simple et pratique qui était disponible pour les militaires et pour les cours martiales.

Col Drapeau : Permettez-moi de répondre de la façon suivante : Tout ce qu'a dit la cour dans Trépanier, c'est que la disposition qui accordait à la poursuite le droit d'opter pour une cour martiale était inconstitutionnelle.

Je peux vous lire, si vous le voulez, l'extrait de l'arrêt Trépanier où il est question d'une solution simple. On peut y lire qu'il y a une solution simple et pratique qui consisterait simplement à laisser à l'accusé la possibilité de faire le choix; c'est simple.

La cour a également dit que, en raison des recommandations faites par feu le juge Antonio Lamer en 2003, il y aurait peut-être lieu d'envisager la rationalisation des cours martiales, mais que cela exigerait peut-être travail et réflexion. Il aurait été possible de le faire avant la fin de la législature. Il n'était pas nécessaire d'agir de façon aussi urgente.

Le ministère de la Défense nationale, pour des raisons qui se comprennent parfaitement, même si je ne suis peut-être pas du même avis, a choisi de corriger l'inconstitutionnalité de la disposition et de restructurer les cours martiales en invoquant l'urgence d'agir. Le Parlement a respecté cet avis, et c'est là quelque chose que j'accepte.

Le sénateur Milne : Vous poursuivez ici en disant que le « changement structurel... n'a été introduit que parce que le ministère de la Défense nationale le souhaitait et pour des raisons qui n'ont pas encore été rendues publiques ». Vous dites que vous les comprenez. Pouvez-vous nous dire ce qu'elles auraient pu être?

Col Drapeau : J'aurais dû dire que je crois les comprendre. Ce que je ne comprends pas et ce que j'ai fait remarquer au comité de la Chambre des communes la veille de son adoption, c'est que le ministère de la Défense contestait l'arrêt Trépanier devant la Cour suprême et que, au même moment, il demandait au Parlement de modifier la loi. Il essayait en quelque sorte de jouer sur les deux tableaux. Il lui fallait faire quelque chose de façon urgente, mais il n'était pas d'accord avec l'essentiel de l'arrêt. C'est ainsi que je l'ai compris. Il n'était pas d'accord avec l'arrêt, c'est pourquoi il est allé devant la Cour suprême. Cependant, si le Parlement adoptait le projet de loi, le ministère se soumettrait respectueusement à sa volonté puisque ce serait dorénavant la loi en vigueur.

Comme nous l'avons appris en septembre 2008, je ne me souviens pas de la date exacte, la Cour suprême a refusé au ministère de la Défense la permission d'en appeler de la décision.

C'était presque comme si le ministère de la Défense était bicéphale. Une partie du cerveau voulait en appeler de la décision et l'autre partie voulait faire quelque chose d'autre, à savoir modifier la loi. Pourquoi il voulait y apporter un changement aussi important, je ne le sais toujours pas. C'est peut-être une question de tactique, mais je ne comprends pas le raisonnement.

Le sénateur Milne : Je suis époustouflée par votre connaissance intime du système, et je suis en admiration béate.

Quel serait, d'après vous, l'effet sur les civils, en particulier, qui sont traduits devant le système de justice militaire, devant une cour martiale, si cet éventail plus vaste de peines ou de possibilités était disponible pour les civils? Pourrait- on faire en sorte qu'il s'applique uniquement aux civils traduits devant une cour martiale ou faudrait-il qu'il s'applique à l'ensemble des militaires? Comme on nous l'a dit à maintes reprises, cela ne marchera pas dans le système militaire.

Col Drapeau : À mon avis, il pourrait s'appliquer aux deux, mais ce n'est peut-être pas ce que vous voudriez. Ce serait au ministère de la Défense nationale de vous dire s'il croit que l'application du code de discipline en serait compromise. Je ne pense pas qu'elle le serait. Mais si c'était le cas, je crois que la cour martiale pourrait être aussi bienveillante qu'elle a besoin de l'être et aussi sévère qu'elle a besoin de l'être à l'égard des civils qui comparaissent devant elle.

Je ne crois pas qu'un civil devrait être pénalisé du fait que, en servant son pays, il aurait peut-être violé une règle quelque part et qu'il serait ensuite traduit en justice. La peine infligée à ce civil ne devrait pas être plus sévère que ce à quoi il se serait exposé s'il avait été traduit devant une cour civile.

Quand il y a un lien avec l'appareil militaire — il pourrait s'agir de quelqu'un qui ne se serait pas réveillé à l'heure un matin —, que lui arriverait-il devant une cour pénale? S'il était passible d'une condamnation avec sursis ou d'une absolution inconditionnelle sans casier judiciaire, pourquoi ce type de peine ne serait-il pas mis à la disposition de la cour martiale? Pourquoi la cour martiale ne suivrait-elle pas ce qui se fait dans le système pénal canadien? Ainsi, l'accusé aurait l'assurance qu'il aurait été traité de façon aussi juste par la cour martiale qu'il l'aurait été par une cour pénale.

Cela ne ferait que rehausser la valeur du système judiciaire des Forces canadiennes et de la Défense nationale. Cela ne lui enlèverait rien, mais en rehausserait la valeur, du moins aux yeux du civil accusé d'une infraction.

Le sénateur Milne : Merci beaucoup de votre réponse. J'espère que, quand vous nous indiquerez ce qui pourrait être fait pour corriger les lacunes de la loi, vous inclurez quelque chose au sujet de la disparité de traitement des civils dans le système de justice civil et dans le système de justice militaire. Arriver en retard au travail ici au Sénat, ce n'est pas la même chose qu'arriver en retard au mess en Afghanistan.

Col Drapeau : Je ne cherche pas à amoindrir la chose : quand on arrive en retard dans un cadre militaire pour réparer un char, les conséquences peuvent être très graves et la mission peut être compromise. Peut-être que les peines seraient plus élevées, mais peut-être pas. Cependant, la cour devrait à tout le moins avoir cet éventail de peines à sa disposition. Elle peut infliger une peine juste et équitable et il n'est pas nécessaire qu'elle doive se limiter à choisir entre une amende et une peine d'emprisonnement.

Il pourrait être trop sévère d'infliger une peine d'emprisonnement, auquel cas, la seule autre possibilité serait une amende, ce qui serait inapproprié. Si on inflige une amende à un chirurgien, à combien s'élèverait l'amende, à 500 $ ou à 1 000 $ peut-être? Il n'y aurait peut-être pas un effet de dissuasion suffisant et cela ne respecterait peut-être pas les principes de la détermination de la peine du système de justice militaire ou du système de justice pénal au Canada.

Le sénateur Milne : Merci beaucoup. Cela est très utile.

[English]

Le sénateur Joyal : Colonel Drapeau, sur la base de votre expérience au ministère de la Défense, le fait qu'on ait modifié le régime de sentences serait-il le résultat d'un oubli, d'une omission ou le résultat d'un objectif politique — au sens de « policies » — c'est-à-dire un choix rationnel délibéré?

Col Drapeau : Selon moi, il s'agit d'un choix délibéré. Mon opinion émane du respect immense que j'ai pour le professionnalisme de mes collègues et anciens collègues. Ils sont très attentifs et étudient ces régimes avec grand soin. Je pense que c'est le fruit d'une décision arrêtée et prise à différents paliers. Cela n'est certainement pas le fruit de l'oubli. Pour des raisons qui leur sont propres, c'est un choix arrêté, je crois.

Le sénateur Joyal : Vous concluez donc qu'on a éliminé un certain nombre d'options de sentences possibles dans le but de raffermir les objectifs de discipline à l'intérieur des Forces armées — j'essaie d'interpréter quel serait cet objectif — de manière à ce que le choix de sentences soit tellement sérieux ou sévère, qu'il aurait pour effet de décourager « les manquements à la discipline », c'est-à-dire la non observance de la règlementation ou d'un ordre donné.

Col Drapeau : Sénateur Joyal, je dois faire marche arrière. Dans le projet de loi C-60, le nombre de sentences n'a pas été réduit, il est demeuré exactement le même — j'argumente plutôt qu'on devrait l'étendre un peu et avoir un éventail plus grand. On a réduit le nombre de cours martiales qui est passé de quatre à deux. Et c'est certainement un désir et une volonté du ministère de laisser cela tel quel. Le meilleur exemple que je peux vous donner pour soutenir mon argument — et je me répète —, c'est lorsque l'ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, Antonio Lamer, en 2003, a fait toutes sortes de recommandations — dont celle dont on discute maintenant —, et qu'on a fait la sourde oreille devant ces recommandations. La décision avait été prise par le ministère de la Défense pour retenir ses services, mais on a fait la sourde oreille devant certaine de ses recommandations. Il ne s'agit pas d'un oubli. Pour des raisons qui appartiennent au ministère, il a été décidé de ne pas donner suite aux recommandations du juge Lamer de donner le droit de faire l'élection pour une cour à l'accusé plutôt que de rationaliser et simplifier les procès par Cour martiale.

C'est une volonté, probablement par désir de conservatisme. Mon commentaire n'a pas une connotation négative, je comprends simplement que le ministère entreprend des changements souvent de façon très lente et seulement suite à des pressions ou une situation inévitable telle qu'une décision de la cour.

Le sénateur Angus : Il y a partout un tel désir de conservatisme.

Le sénateur Joyal : Selon les témoignages qu'on a entendus hier, je comprends très bien qu'en réorganisant la structure des quatre cours, on a laissé tomber une des cours qui avait la possibilité de choisir des sentences mieux adaptées à certaines circonstances, mais s'agit-il d'une conséquence involontaire? Bref, on n'aurait pas suffisamment tenu compte de la variété de sentences attachées autrefois à la diversité des quatre cours ou, pour des objectifs internes au système militaire, on aurait tout simplement décidé que cette cour permettant une panoplie de sentences plus larges, en particulier pour les employés civils, était une mauvaise option et que l'on voulait soumettre dorénavant les employés civils au régime de l'amende ou de l'emprisonnement, l'un ou l'autre, de la même manière que les militaires.

Col Drapeau : Sénateur Joyal, la panoplie n'existait pas avant, mais tout simplement, en réduisant de quatre à deux les cours martiales, le projet de loi C-60 a rendu l'absence de cette panoplie plus aiguë, plus nécessaire, plus visible, et je crois que le temps est venu de redresser cela. Le problème existait avant la décision Trépanier et l'opportunité d'élargir l'éventail existait à ce moment-là. À présent, c'est devenu plus évident, plus nécessaire et peut-être même plus urgent.

Le sénateur Joyal : Dans votre présentation, à la page 9, vous avez une sorte de mini-tableau; j'ai la version anglaise devant moi.

[Translation]

Les types de cours martiales avant le projet de loi C-60 et après le projet de loi C-60. Sous les types de cours martiales, vous avez la cour martiale disciplinaire : avant le C-60, destitution ignominieuse du service de Sa Majesté; après le projet de loi C-60...

[English]

Vous avez un carreau noir. En d'autres mots, vous semblez dire, d'après ce tableau, qu'auparavant, le « disciplinary court martial », avant l'adoption du projet de loi C-60, avait la possibilité de renvoyer avec disgrâce un militaire. On n'a plus cette possibilité, si je comprends votre présentation, avec le projet de loi C-60.

Col Drapeau : Dans le cas du projet de loi C-60, nous n'avons plus cette cour. Elle a complètement disparu.

Le sénateur Joyal : Vous comprenez mon argument. En faisant disparaître la cour, on a fait disparaître la sentence. On n'a pas ajouté cette sentence à la cour qui prend dorénavant place pour occuper les fonctions que la cour martiale disciplinaire avait auparavant.

Col Drapeau : Il faut que j'attire votre attention à la page 12, qui donne l'état des faits maintenant. On a deux cours. À la première, « general court martial » — je n'ai pas la version française devant moi à ce moment —, c'est l'emprisonnement à vie, et à la cour permanente, « standing court martial », vous avez la destitution ignominieuse, le plus haut niveau permis.

Le sénateur Nolin : Donc, c'est encore possible.

Col Drapeau : C'est encore possible avec cette cour-ci.

Le sénateur Nolin : Avec le projet de loi C-60, ils n'ont pas touché aux peines mais à qui on pouvait les appliquer.

Le sénateur Joyal : Mais cela n'a pas réglé l'autre problème que vous avez mentionné, qui est celui d'un choix qui ne correspond pas.

Col Drapeau : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Dans votre esprit, est-ce que ce choix, qui serait donné selon les suggestions que vous faites... Est- ce que les objectifs de discipline essentiels au fonctionnement de l'armée seraient toujours garantis, selon votre expérience militaire personnelle?

Col Drapeau : Selon mon expérience comme avocat, qui pratique la loi militaire à tous les jours à mon cabinet, je vois plusieurs militaires qui viennent me consulter. Ma première profession est celle de militaire. J'ai porté l'uniforme pendant 34 ans avec beaucoup de respect. Mon père et mon grand-père étaient militaires. Vous avez devant vous quelqu'un qui connaît le système militaire et l'approuve. En même temps, il ne doit pas bousculer les droits constitutionnels des gens et il doit s'assurer que le citoyen qui devient militaire ne perd pas sa qualité de citoyen et les droits qui lui sont octroyés.

Qu'on offre une gamme plus grande à un juge qui doit imposer une sentence à un accusé, je pense que cela ne fait absolument aucun tort. Même si la loi soit plus grande avec un éventail plus riche, le juge militaire qui ne veut pas accorder une libération n'est pas obligé de le faire. Mais si une circonstance dans un procès s'y prête, il est utile d'avoir l'article de la loi qui donne la permission de se servir de ce genre de choses.

Présentement, même le juge militaire qui a devant lui un militaire ou un civil ne peut le faire parce que l'article 139 limite ses pouvoirs de sentence à une liste très limitée qui vise principalement les militaires. C'est pour cela qu'on dit emprisonnement ou amende parce qu'on parle de réprimandes sérieuses, de destitution des forces, d'emprisonnement ou de rétrogradation. L'échelle des punitions dans la loi est faite pour des militaires. Le fait demeure que certainement, en période de guerre, nous avons de plus en plus de civils qui nous accompagnent et qui sont assujettis à la loi. Les gens, sans pour autant qu'ils soient accusés, voient que s'ils commettent une offense et si on les trouve coupables, voici les punitions qui les attendent et ils ne s'y reconnaissent pas. Si ces employés civils retenaient les services d'un avocat civil criminaliste, ils ne se reconnaîtraient pas non plus. Ils se demanderaient pourquoi la personne accusée d'un crime n'a pas le même éventail de punitions possibles qui pourraient être négociées ou qui pourraient être affirmées par un juge dans une cour criminelle? C'est une différence qui n'a pas sa raison d'être en 2009, qui pourrait être corrigée facilement sans pour autant amenuiser d'un gramme le poids de la justice militaire. Je pense que cela améliorerait simplement sa qualité et le respect que les militaires et les civils et la population civile auraient à son égard.

La présidente : Sénateur Joyal, je peux vous inscrire pour une deuxième ronde.

Le sénateur Joyal : Bien sûr.

[Translation]

Le sénateur Dickson : Quelle est la différence entre les États-Unis et le Canada en ce qui concerne les civils?

Col Drapeau : Dans un cas, on a Obama et, dans l'autre, on a Harper. La différence est énorme. Même si j'ai une certaine connaissance du sujet, je ne suis pas compétent pour vous en présenter un résumé ici. Il faudrait que j'examine le code de discipline des États-Unis et les différences entre les quatre armes aux États-Unis : l'armée, l'aviation, les marines et la marine.

Je sais que parmi les infractions qu'ils ont là-bas, une relation adultère est punissable en vertu du code de discipline militaire. Il y a eu ce cas, il y a environ un an de cela, de deux généraux qui avaient une certaine affection l'un pour l'autre, ce qui n'a pas eu l'heur de plaire à leurs supérieurs. Leur système est différent du nôtre, mais il y a des similitudes entre les deux.

Même si vous m'aviez demandé de comparer notre système au système britannique, je vous aurais dit qu'il y a plus de similitudes entre les deux, mais qu'il existe quand même des différences. Des pays comme l'Australie et la Nouvelle- Zélande se sont inspirés du code de discipline militaire du Canada, et nous devrions tous en être fiers. D'après ce qu'on m'a dit, l'Irlande envisage de modifier sa loi, et elle jette un œil favorable sur la nôtre. J'ai l'impression qu'elle va l'adopter. C'est peut-être une comparaison qui est plus appropriée, plutôt que de chercher à comparer le système des Américains et le nôtre.

Le sénateur Dickson : Revenons aux États-Unis : la détermination de la peine y est-t-elle semblable à ce qui se fait dans le système judiciaire civil lorsqu'il s'agit d'un civil qui travaille dans une base?

Col Drapeau : Pour tout vous dire, je ne le sais pas. Il faudrait que je vérifie; cela me prendrait un certain temps pour vérifier et vous répondre de façon précise. J'ai toutefois une opinion, même si elle ne se fonde pas sur les faits. Je soupçonne que leur système est assez semblable au nôtre, qu'il se soit inspiré du nôtre ou pas.

Ce n'est sans doute pas pour rien que le juge-avocat général en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni n'est pas un militaire, mais bien un haut magistrat. De par sa formation, ce haut magistrat serait sans doute tout de suite frappé par les différences entre les deux. C'est là une différence importante entre ces pays et le nôtre.

Dans notre monde régi par la common law anglo-saxonne, le système de justice militaire au Canada a décidé, pour des raisons que je pourrais vous expliquer, il y a des centaines d'années de cela, de nommer un officier militaire haut gradé comme juge-avocat général. Il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi; il n'en est pas ainsi dans tous les pays.

De même, le directeur des poursuites militaires est lui-même un militaire chez-nous. En Grande-Bretagne, on a nommé un avocat civil à ce poste. Voilà qui m'amène à dire que je suis fermement convaincu de l'importance d'un rapprochement le plus étroit possible.

Personne ne devrait être pénalisé pour avoir servi son pays avec loyauté et bravoure. Personne ne devrait avoir à assumer le risque et les responsabilités énormes que comporte le service militaire et devoir s'exposer, quand vient le temps de le sanctionner pour quelque chose qu'il aurait fait, à une peine plus sévère. Il pourrait s'agir de votre fils ou du mien ou encore de votre fille ou de la mienne. Si l'un ou l'autre a fait quelque chose de répréhensible, il ou elle doit en payer le prix. Si ce prix fait en sorte d'ajouter un lien avec l'infraction militaire, soit.

Il peut s'agir d'une querelle de ménage. L'armée peut tenir un procès pour une situation de ce genre, lorsque c'est clair. Dans ce cas, pourquoi un militaire déclaré coupable d'une infraction devrait-il être condamné à une peine beaucoup plus sévère et se retrouver avec un casier judiciaire, par exemple, alors que ce ne serait pas le cas s'il avait été jugé par un tribunal pénal? Cela peut en effet se produire, nous devrions nous pencher là-dessus, par respect pour nos enfants qui servent sous les drapeaux.

Le sénateur Dickson : Merci.

Le sénateur Wallace : Vous avez certainement l'expérience et la qualification requise pour comparaître devant nous et discuter de l'efficacité du projet de loi C-60. Vous avez de l'expérience dans l'armée, et depuis 2001, vous êtes avocat. Je vois que vous avez votre propre cabinet ici même à Ottawa. Est-ce que vous défendez des accusés devant les instances militaires et, si oui, cette activité représente-t-elle une part importante de votre charge de travail?

Col Drapeau : J'ai choisi de ne pas faire de procès — peut-être en raison de mon âge ou de mon emploi du temps — et les militaires canadiens accusés d'une infraction sont bien défendus par les avocats de la défense qui portent l'uniforme. Ainsi, ils n'ont rien à débourser pour leur représentation.

Pour l'instant, nous traitons un ou deux appels par an. Nous nous occupons surtout d'appels, plutôt que de procès. Toutefois, j'offre des conseils sur différents sujets, y compris des questions disciplinaires, aux militaires qui nous consultent.

Le sénateur Wallace : Je me demandais dans quelle mesure votre point de vue sur le projet de loi C-60 découlait de votre expérience de la défense en appel.

Col Drapeau : C'est bien au niveau des appels.

Le sénateur Wallace : Cela nous est utile. Hier, nous avons entendu le colonel Cathcart et le lieutenant-colonel Wry. Je leur ai demandé si, depuis l'adoption du projet de loi C-60 et son application aux cas dont a été saisie la cour martiale — et je pense qu'il y a 39 affaires à différentes étapes —, on avait tiré des enseignements de cette mesure législative. Je leur ai demandé si quoi que ce soit s'était produit qui les inciterait à croire qu'il fallait modifier davantage le système de justice militaire.

Je ne veux pas parler pour eux, mais j'ai eu la nette impression qu'ils étaient satisfaits des résultats du projet de loi C- 60, et qu'ils n'avaient rien à redire. En comparaison, vous semblez très critique à l'égard du projet de loi, à un point tel que je me demande même si vous considérez qu'il y avait du bon dans celui-ci.

Qu'en pensez-vous? Pourquoi une si grande divergence d'opinion?

Col Drapeau : Si j'ai donné l'impression d'être très critique, c'est que j'y suis allé un peu fort; ce n'était pas mon intention.

Le projet de loi C-60 a son utilité. Ce n'est pas la méthode que j'aurais choisie pour appliquer rapidement la décision de la cour. Cette dernière a elle-même offert une piste de solution : revenez lorsque ce sera fait. En quelques semaines ou mois, on aurait pu déposer devant le Parlement un projet de loi plus vaste portant sur la restructuration de la cour martiale, mais comprenant également toutes les répercussions possibles, les peines et ainsi de suite. C'est un point de vue plus qu'une critique.

Le projet de loi C-60 fait le travail. Le ministère de la Défense nationale a décidé de faire les choses ainsi. Voici ce que je lui reprochais à l'époque, et ce que je lui reproche toujours : pourquoi en appeler de la décision devant la Cour suprême du Canada, tout en essayant de convaincre les parlementaires qu'il fallait apporter immédiatement des changements? C'est cette contradiction que je ne comprends pas. C'est la seule critique que j'ai à formuler.

Ensuite, je ne comprenais pas en quoi c'était si urgent, et je ne le sais toujours pas. Toutefois, c'est maintenant chose faite.

Le sénateur Wallace : Merci.

Le sénateur Angus : Je vais reprendre là où j'avais laissé. Vous disiez que la common law du côté civil évolue. C'est organique, alors que la loi martiale est figée dans le code des lois. Passons maintenant au rapport Lamer. L'ancien juge en chef Lamer a été chargé par le ministère de la Défense nationale d'entreprendre un examen, n'est-ce pas?

Col Drapeau : C'est exact.

Le sénateur Angus : Était-ce conformément à une disposition d'examen de la loi?

Col Drapeau : Je crois que lorsque la loi a subi d'importantes modifications, en 1989, on y a enchâssé une disposition — je ne puis vous dire laquelle précisément — prévoyant un examen après cinq ans, ce qu'a fait le juge Lamer.

Le sénateur Angus : D'accord. Cette disposition d'examen fait partie de la loi, n'est-ce-pas?

Col Drapeau : Pour autant que je sache, oui.

Le sénateur Nolin : C'est grâce à notre comité.

Le sénateur Angus : Bien. Cette disposition ne serait-elle pas abrogée par le projet de loi C-60?

Le sénateur Nolin : Non.

Le sénateur Angus : En fait, il existe un mécanisme permettant de suivre l'évolution des mœurs au fil du temps. C'est tout ce que je voulais ajouter pour l'instant.

[English]

Le sénateur Nolin : Colonel Drapeau, j'aimerais revenir à la question de la discipline. Je lisais avec beaucoup d'intérêt votre préface.

Col Drapeau : Cela me fait plaisir de vous voir en possession de ce livre.

Le sénateur Nolin : Je ne peux pas ne pas informer mes collègues que vous avez coécrit, avec le juge Létourneau, ce document. Dans votre préface, vous faites grand état — et c'est d'ailleurs fort intéressant d'en comprendre l'importance — de la discipline dans la loi militaire canadienne. Le juge en chef Lamer avait aussi un grand respect de cette notion de discipline.

Col Drapeau : Absolument.

Le sénateur Nolin : Je présume que le juge Létourneau est celui qui a écrit la décision dans l'affaire Trépanier. Est-ce qu'il présidait le banc?

Col Drapeau : Il présidait le banc.

Le sénateur Nolin : Il a écrit avec vous sur l'importance de la discipline. C'est un secret de Polichinelle que le juge Lamer et le juge Létourneau étaient deux grands amis. Alors vous et lui avez coécrit dans ce bouquin. Aujourd'hui, on discute de l'importance de la discipline, question qu'a soulevée le sénateur Joyal sur la décision délibérée de l'État, du ministère, de ne pas vouloir établir ce parallèle dans l'éventail des options de peines, malgré le rapport du juge Lamer, qui recommande qu'il y ait une réforme des sentences. Est-ce que les gens du ministère, selon votre opinion, ont décelé dans la décision du juge Lamer une volonté d'avoir une réforme parce qu'il y avait au sein de l'opération militaire des réguliers, des réservistes et des civils? Pourquoi ne pas avoir un régime de peines qui soit flexible — parce qu'il utilise le mot « flexible » — et qui soit applicable aux militaires réguliers, aux militaires réservistes et aux civils indépendamment l'un de l'autre? Car la discipline demeure, et vous l'avez écrit dans votre livre en 2006, la pierre angulaire de ce système de droit qui doit être différent et qui a été reconnu par la Cour suprême du Canada à deux reprises.

Pour faire suite à la question du sénateur Joyal, il est délibéré de la part de l'État de ne pas vouloir ce même parallèle? Le juge Lamer recommandait qu'il y ait une réforme, mais est-ce que cette réforme était dirigée en ce sens surtout parce qu'il y avait des civils qui travaillaient au sein de l'armée?

On doit tenter de maintenir le plus possible un régime de droit criminel qui soit semblable à ce qu'ils ont dans la vie civile, qui ne s'appliquerait pas aux militaires à cause de la discipline.

Col Drapeau : Je ne pense pas que la pierre angulaire de l'argument était qu'on voulait offrir un plus grand éventail au civil. Si les civils et les militaires n'étaient pas assujettis à la loi, le même argument serait fait. On veut le plus de similarités possibles entre les peines infligées aux gens qui sont devant une cour criminelle et celles devant une cour martiale. Il y a une loi pour tous et le militaire ne devrait pas être pénalisé de façon additionnelle lorsque ce n'est pas nécessaire. C'est la décision de Trépanier : pourquoi un militaire n'aurait-il pas le choix au genre de procès qu'il aurait s'il était civil? C'est la même logique.

Le sénateur Nolin : Je comprends, sur le choix, je pense que c'est incontestable. L'argument respecte les articles 7 et 11d), c'est fondamental. On ne questionne pas la rigueur du raisonnement du juge Létourneau dans l'affaire Trépanier pour la question du choix. Mais sur la question de la peine, vous prenez le raisonnement dans l'affaire Trépanier et vous dites : en plus de cela, si on jumelle l'affaire Trépanier à la recommandation 52 du juge Lamer, on devrait aussi modifier le régime de peines. J'aimerais lire le rapport du juge Lamer, en anglais, à la page 65 :

[Translation]

La justice militaire s'exerçant à la fois à l'égard de membres de la force régulière, de membres de la force de réserve et, dans certains cas, de civils, le barème des peines et des sentences doit convenir à tous ces groupes.

[English]

C'est pour cela que j'ai posé la question. Est-ce que cela veut dire que cela doit être un régime unique pour tout le monde ou modifié pour chacun des groupes?

Col Drapeau : Je maintiens ma réponse. Une cour militaire qui juge un militaire n'a pas à et n'aura peut-être pas, pendant 20 ans, à utiliser aucun de ces outils car ils ne sont pas appropriés.

Le sénateur Nolin : ... à de la discipline.

Col Drapeau : Pour maintenir la discipline, on ne veut pas donner de « conditional discharge ». Mais lorsqu'arrivera une cause, que l'accusé soit civil, militaire, réserviste ou quoi que ce soit, c'est utile d'avoir cette option disponible. Les premiers bénéficiaires seront des accusés civils parce qu'actuellement, pour les accusés civils, c'est l'emprisonnement ou l'amende. Et vous serez d'accord avec moi pour dire que cela ne donne pas grand choix.

Ce n'est donc pas une question de dire que les civils ont droit à telle chose ou non. Ce droit devrait être disponible pour tout le monde. Le juge devrait décider de la sentence et de laquelle des peines de cette gamme il devrait utiliser. Connaissant l'esprit militaire, très peu d'entre eux vont verser vers ce que je vous suggère, soit les libérations conditionnelles. La société va évoluer. On ne sera pas toujours en Afghanistan. Les circonstances changeront. Dans son coffre d'outils, le juge aura cette possibilité. Qu'est-ce qui se passera dans deux, trois ou huit ans, nous verrons. Pour l'instant, le premier bénéficiaire est le civil.

Je vois plus grand et mon interprétation du commentaire du juge Lamer était de voir plus grand que cela. Il ne devrait pas y avoir une distinction à moins qu'elle ne soit essentielle, car cela ne diminue en rien l'application de la discipline. Tout au contraire, cela pourrait améliorer le respect que les gens éprouvent pour le système de justice militaire.

[Translation]

Le sénateur Joyal : Allons encore plus loin.

Dans l'affaire Trépanier, à la page 116, la cour a déclaré :

Or, le projet de loi C-45, déposé au Parlement, ne contient aucune disposition corrective. Les autorités ont eu plus de quatre ans et demi pour régler le problème. Le projet de loi déjà en attente devant le Parlement pourrait être utilisé pour remédier rapidement à la situation.

[English]

Si on prend le projet de loi C-45 et si vous lisez le sommaire législatif du projet de loi C-45...

Col Drapeau : Je n'ai pas le projet de loi avec moi. J'en suis conscient, mais je ne l'ai pas devant moi.

[Translation]

Le sénateur Joyal : Je vais le lire en anglais parce que mes collègues n'ont peut-être pas le projet de loi entre les mains.

Le sommaire du projet de loi C-45 dit ce qui suit :

Le texte modifie la disposition de la Loi sur la défense nationale qui traite du système de justice militaire. Les modifications visent notamment à :

a) prévoir que les juges militaires sont nommés à titre inamovible jusqu'à l'âge de la retraite;

b) permettre la nomination de juges militaires à temps partiel;

c) énoncer les objectifs et les principes de la détermination de la peine;

d) prévoir de nouvelles peines, notamment l'absolution inconditionnelle, la peine discontinue et le dédommagement;...

L'article 62, à la page 32 du projet de loi, ajoute une nouvelle section à la Loi sur la défense nationale intitulée « Détermination de la peine ». Le premier article consiste en des définitions. Le deuxième, intitulé « Objectifs et principes de la détermination de la peine applicables aux tribunaux militaires », dit ceci :

203.1(1) La détermination de la peine a pour objectif essentiel de favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et...

Le paragraphe (2) proposé prévoit que :

L'atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

On énumère ensuite une liste d'objectifs, presque aussi nombreux que ceux du Code criminel.

Le sénateur Angus : Pardonnez-moi, de quel ouvrage lisez-vous?

La présidente : Il s'agit du projet de loi C-45, qui a été déposé mais non adopté étant donné certains bouleversements. Toutefois, on peut présumer qu'il traduit bien les intentions du ministre et du ministère.

Le sénateur Angus : Toutefois, n'est-il pas vrai que toutes ses dispositions n'ont pas été intégrées au projet de loi C- 60?

Le sénateur Joyal : C'est vrai, mais suivez mon raisonnement.

L'article 203.2 proposé prévoit que :

La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant.

C'est, mot pour mot, le principe établi par le Code criminel.

Col Drapeau : Oui, précisément.

Le sénateur Joyal : Si la sélection de la cour dans l'affaire Trépanier était fondée sur le principe du projet de loi C-45, ne croyez-vous pas qu'à l'étape de la détermination de la peine, la cour renvoie au même document pour affirmer que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant?

C'est clairement énoncé dans le projet de loi, c'est une des recommandations du juge Lamer et cela confirme ce que vous nous dites aujourd'hui, c'est-à-dire que tôt ou tard, la cour cassera la décision actuelle parce qu'elle ne permet pas le choix de la peine, ce que visait ce projet de loi.

Col Drapeau : Oui, exactement.

Le sénateur Joyal : Est-ce vrai ou faux?

Col Drapeau : Laissez-moi y songer. C'est vrai.

Le sénateur Joyal : C'est l'essentiel de l'une des recommandations de notre comité. Comme vous le savez, nous devons respecter le mandat qui nous a été octroyé par le ministre. Permettez-moi de citer la lettre de celui-ci :

Je demanderais, cependant, que le comité considère l'examen des dispositions et le fonctionnement du projet de loi C-60 et qu'il me soit fourni un rapport de vos conclusions et de toute recommandation que le comité pourrait faire d'ici le 31 décembre 2008.

Le comité a le mandat nécessaire pour étudier également les répercussions du projet de loi sur la détermination de la peine. En fait, si nous avions eu l'occasion d'étudier le projet de loi et de l'amender à l'époque, nous aurions peut-être bien ajouté au projet de loi C-60 les articles du projet de loi C-45 qui avaient déjà été rédigés et acceptés par le ministère de la Défense nationale. On n'impose rien au ministère qu'il n'est pas prêt à faire. D'après ce que je comprends, c'est la politique au MDN.

Col Drapeau : Je ne mâcherai pas mes mots. Étant donné que le ministère de la Défense nationale a eu l'occasion de faire adopter un projet de loi à une vitesse presque sans précédent, si ces dispositions avaient été ajoutées au projet de loi C-60, il aurait reçu le même traitement. On ne peut pas dire le contraire. C'est le droit en évolution, et c'est ce qu'il faut, ne serait-ce que pour le rendre plus juste et équitable envers les militaires. Tout le monde est d'accord là-dessus.

Le sénateur Joyal : C'est exact.

La présidente : À l'intention de ceux qui regardent nos délibérations à la télévision, je vous rappellerais que nous avons entamé une étude. On ne peut donc pas modifier les mesures législatives ni voter sur des amendements à celles-ci. Toutefois, on peut faire toutes sortes de recommandations. Comme le sénateur Joyal nous l'a rappelé, nous sommes chargés d'examiner l'application de ces modifications qui ont été apportées. Il me semble que cela comprenne les conséquences possibles et que cela fasse donc partie de notre mandat.

Le sénateur Joyal : Toutefois, je vais lire le reste du paragraphe que je citais de la lettre du ministre :

Le gouvernement révisera ces recommandations et fournira au comité une réponse écrite, qui pourrait inclure les modifications proposées dans 90 jours calendaires.

On ne dit pas simplement « déterminez le sexe des anges et nous vous écouterons ». Il s'agit d'une approche beaucoup plus proactive et opportune. On dit : « Dans 90 jours ». En d'autres mots, si nous produisons un rapport dans un délai raisonnable, et qu'il comprend des recommandations de modifications, et si certaines d'entre elles faisaient partie du projet de loi C-45...

Col Drapeau : Non contesté.

Le sénateur Joyal : Oui, non contesté. Si les politiques étaient bien rédigées, que le libellé satisfaisait le ministère de la Défense nationale, nous pourrions aller de l'avant. Nous pourrions améliorer le système.

Col Drapeau : Je suis d'accord.

La présidente : Je ne soutenais pas que nous ne pouvions pas présenter de recommandations.

Le sénateur Joyal : Je le sais. J'essaie de comprendre ce que nous faisons.

[English]

Le sénateur Nolin : Concernant votre dernière réponse, selon vous, le projet de loi C-45 aurait répondu d'une façon qui vous satisfait aux besoins ou aux recommandations du juge Lamer?

Col Drapeau : Pour ce point, la réponse est absolue : oui.

Le sénateur Nolin : D'accord.

[Translation]

Le sénateur Angus : Je propose que la greffière nous distribue le projet de loi C-45 et le rapport de la Bibliothèque du Parlement, qu'on vient de me montrer, parce qu'il s'agit d'un nouveau comité. Cela nous serait utile. J'ai l'impression que nous sommes sur la même longueur d'onde. Le travail a déjà été accompli.

La présidente : C'est pourquoi notre comité est si intéressant. C'est tout simplement fascinant.

Le sénateur Angus : Je suis ravi d'être ici.

Le sénateur Joyal : J'aimerais vous poser une question que j'ai posée aux témoins hier, surtout au colonel Cathcart. Le projet de loi C-60 comprend d'autres dispositions mis à part celles sur la restructuration du système judiciaire militaire ou du moins des tribunaux.

Avez-vous d'autres observations à formuler concernant d'autres dispositions du projet de loi?

Col Drapeau : Rien ne me vient à l'esprit, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : En d'autres mots, rien d'autre dans le projet de loi devrait nous intéresser dans le contexte des recommandations qui ont été présentées.

Col Drapeau : Non, pas à ma connaissance. J'ai étudié la mesure législative dans le détail avec un esprit très critique et la première fois qu'elle a été présentée à la Chambre des communes, puisqu'on m'avait demandé de comparaître à cette époque. Je n'avais rien remarqué d'autre. Je n'ai pas poursuivi mon étude depuis, mais je n'ai aucune critique — ni constructive ni négative — à son égard.

La seule exception, et nous en avions discuté à l'époque, était les dispositions de transition.

La présidente : Toutefois, n'était-ce pas immuable?

Col Drapeau : C'est exact. Je m'y opposais à l'époque. Tout ça est du passé.

Le sénateur Angus : S'il a comparu devant le comité de la Chambre des communes et a discuté en détail du projet de loi C-45 à l'époque — si j'ai bien compris —, ce serait pertinent. Vous ne vous souvenez tout simplement pas de tous les détails, c'est exact?

Col Drapeau : Je ne me souviens pas de tous les points, mais je me rappelle bien qu'une grande proportion de la discussion sur le projet de loi C-60 le 17 juin, si ma mémoire est exacte, portait sur la disposition de transition. Cet élément intéressait de nombreux députés.

[English]

C'était le seul point qui avait posé problème à certains membres du comité à ce moment-là.

Le sénateur Angus : J'ai mal compris, je pensais qu'il s'agissait du projet de loi C-45, mais c'est le projet de loi C-60; excusez-moi.

La présidente : Le comité a été très sage et a adopté la recommandation du colonel Drapeau, donc cet aspect a été réglé.

[Translation]

Chers collègues, colonel Drapeau, merci beaucoup. Vous pouvez voir que nous prenons cette question bien au sérieux.

Col Drapeau : Je suis honoré. Merci.

La présidente : Nous nous réunirons ici même la semaine prochaine, à l'ajournement du Sénat ou à 16 heures. L'honorable Peter MacKay, ministre de la Défense nationale, comparaîtra devant nous.

(La séance est levée.)


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