Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 3 - Témoignages du 11 mars 2009
OTTAWA, le mercredi 11 mars 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni aujourd'hui à 16 h 3, afin de procéder à l'étude des dispositions et de l'application de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une loi en conséquence (L.C. 2008, ch. 29).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui poursuit son étude des dispositions et de l'application de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale), adoptée en juin dernier, de manière assez expéditive, et cela avec de bonnes raisons. Le comité n'a pas eu, à l'époque, la possibilité de se pencher sur ce texte de manière aussi détaillée qu'il l'aurait souhaité.
Nous accueillons aujourd'hui, dans le cadre de notre examen de ce projet de loi, le ministre de la Défense nationale, l'honorable Peter MacKay. Je tiens à souligner que lors de l'adoption du projet de loi, le ministre a entretenu avec le comité une correspondance marquée par un esprit de coopération constructive, nous encourageant à procéder à cette étude et s'engageant à prendre en compte nos recommandations.
[Français]
Monsieur le ministre, nous sommes ravis de vous accueillir. J'imagine que votre temps est limité. Je crois que vous n'avez qu'une heure à nous consacrer. Je vais demander à mes collègues d'agir en conséquence lorsque le moment viendra de poser des questions puisque tout le monde voudra avoir l'occasion de poser au moins une question au ministre.
[Traduction]
Monsieur MacKay, je crois savoir que vous avez préparé une déclaration liminaire, que nous écouterons avec intérêt, après quoi nous passerons aux questions.
[Français]
L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Défense nationale : Madame la présidente, je vous remercie beaucoup. Je suis ici avec le brigadier-général Ken Watkin. Je vous présente mes excuses de ne pas avoir pu me présenter devant vous la semaine dernière, et je vous remercie de votre patience et de votre compréhension.
Je suis enchanté d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité puisqu'il partage mon intérêt pour un système canadien de justice militaire efficace.
Lorsque le Sénat a accepté d'examiner promptement le projet de loi C-60, le 17 juin 2008, j'ai invité ce comité à étudier les dispositions et l'application du projet de loi et à me faire rapport de ses conclusions.
Comme vous le savez, ce projet de loi a reçu la sanction royale en juin 2008 et est entré en vigueur le 18 juillet 2008.
Les changements essentiels que le projet de loi C-60 porte à la Loi sur la défense nationale sont maintenant opérationnels depuis près de huit mois. Ces modifications essentielles ont non seulement apporté clarté, certitude et stabilité au processus de convocation de la Cour martiale, mais elles ont aussi fait en sorte que notre système de justice militaire demeure un système en lequel les Canadiens peuvent avoir confiance.
[Traduction]
Madame la présidente, je constate avec satisfaction que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entrepris cette étude importante et je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant vous dans le cadre de cet examen.
Le brigadier-général Ken Watkin, juge-avocat général — que les chroniqueurs de la télévision ont pris l'habitude d'appeler le JAG — a accepté de concourir à mes réponses. Vous avez raison de rappeler que le calendrier des travaux parlementaires nous avait obligés à porter le texte devant les deux chambres au moyen d'une procédure accélérée et je tiens donc à vous remercier personnellement, vous les membres de ce comité ainsi que tous les membres du Sénat, d'avoir bien voulu vous prêter à cette initiative. Le contraire aurait, d'après moi, entraîné d'assez graves conséquences au niveau de certaines affaires qui étaient alors en instance.
Madame la présidente, comme vous le savez, l'adoption du projet de loi C-60 a été hâtée par les conclusions auxquelles la Cour d'appel de la cour martiale était parvenue dans l'affaire R. c. Trépanier. La cour a en effet conclu que le pouvoir qu'avait à l'époque le directeur des poursuites militaires de choisir le type de cour martiale devant laquelle comparaît un accusé, et le devoir de l'administrateur de la cour martiale de convoquer le type de cour martiale choisie par le directeur des poursuites militaires, portaient atteinte au droit reconnu à l'accusé par la Constitution, de présenter une réponse et défense complètes et de conduire personnellement sa cause.
La cour a estimé que ces dispositions de la Loi sur la défense nationale étaient contraires aux dispositions de la Charte des droits et étaient, de ce fait, nulles et de nul effet.
La cour a en outre refusé de suspendre sa décision pour permettre au gouvernement de répondre aux préoccupations dont elle avait fait état, ce qui imposa le recours à une procédure accélérée afin d'éviter de perdre certaines des causes alors en instance, dont plusieurs, je tiens à le souligner, étaient d'une extrême gravité.
Comme ont pu l'expliquer plusieurs de mes collaborateurs qui ont comparu devant vous la semaine dernière, la décision rendue dans l'affaire Trépanier a eu pour effet de supprimer le pouvoir de convoquer les cours martiales — une étape essentielle du système de justice militaire avant la tenue d'un procès. Si aucune mesure n'avait été prise à ce propos, le fait que la cour martiale soit empêchée d'instruire des causes aurait compromis trois principes essentiels à l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes : le maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des militaires.
Il existait en outre un réel risque de voir de graves infractions demeurer impunies avec le déni de justice que cela aurait entraîné pour les victimes et, en plus, une baisse de confiance du public.
En ce qui concerne les mesures prises en réponse au jugement en question...
[Français]
Comme, je crois, l'ont expliqué mes représentants la semaine dernière, on a adopté deux trains de mesures pour composer avec les effets dans l'affaire Trépanier. Nous avons demandé l'autorisation d'en appeler de la décision et demandé le sursis de son exécution auprès de la Cour suprême du Canada. Cette démarche nous a permis de nous attaquer aux questions constitutionnelles soulevées par l'arrêt rendu dans l'affaire Trépanier.
Nous avons également demandé des modifications à la Loi sur la défense nationale afin de contrer les effets de la décision et de restaurer le pouvoir nécessaire pour la convocation des cours martiales. Les modifications législatives étaient essentielles puisqu'un appel à lui seul n'aurait pas apporté une réponse opportune — ou certaine — aux effets de la décision dans l'affaire Trépanier.
En fin de compte, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d'autorisation d'appel en septembre. Par conséquent, si les modifications essentielles présentées par le projet de loi C-60 n'avaient pas été faites de façon proactive, des modifications législatives ultérieures aurait été nécessaires dans tous les cas. La situation se devait d'être prise en charge et je vous suis gré de vos efforts pour maintenir le bon fonctionnement du système de justice militaire.
[Traduction]
Honorables sénateurs, le projet de loi C-60 a permis de régler les difficultés découlant de l'affaire Trépanier. Comme vous le savez, ce genre de décision peut avoir un effet d'entraînement. Ce projet de loi permet et c'est son objet même, de renforcer l'équité du système de justice militaire tant du point de vue de l'accusé que du public canadien.
J'estime que cet objectif a été atteint. Le texte reconnaît aux civils et aux membres des Forces canadiennes un droit qui était auparavant en doute. Les membres des Forces canadiennes ont dorénavant le droit de choisir le type de tribunal devant lequel ils vont subir leur procès. Ce droit existait déjà dans le système canadien de justice pénale civile. Le texte permet de convoquer à nouveau une cour martiale afin que la justice puisse suivre son cours tant en ce qui concerne l'accusé que les victimes.
Les modifications apportées par le projet de loi C-60 ont harmonisé étroitement le processus de sélection du type de procès en cour martiale, de même que le processus de prise de décisions de la cour martiale, avec les procédures du système de justice pénale civile. Bref, nous sommes passés, grâce aux modifications introduites par le projet de loi C-60, d'un système qui prévoyait quatre types de procès, à un système qui n'en prévoit que deux.
Le nouveau régime ne s'aligne pas entièrement sur le système de justice pénale civile, et cela pour des raisons évidentes. Il retient des pratiques et des procédures particulières au droit militaire, mais il simplifie beaucoup le processus aboutissant au choix de tel ou tel type de procès.
Le rapport Lamer a manifestement influencé le choix des modifications introduites par le projet de loi C-60. Je crois savoir qu'au cours des témoignages de la semaine dernière, plusieurs membres du comité ont posé des questions concernant la mise en œuvre des recommandations formulées dans le rapport Lamer.
Je tiens à dire aux membres du comité que le gouvernement a pleinement pris en compte l'examen effectué par l'ancien juge en chef, ainsi que les recommandations qu'il a formulées. Depuis son analyse initiale du rapport Lamer, le ministère n'a cessé d'en étudier les recommandations.
Je suis fier de pouvoir dire que, depuis lors, le ministère a, intégralement ou en partie, accepté 84 des 88 recommandations formulées. Il y a eu plusieurs efforts législatifs en vue de mettre en œuvre bon nombre de ces recommandations. La dernière tentative, le projet de loi C-45, en cours d'examen devant la Chambre au moment de sa dissolution, aurait assuré la mise en œuvre d'un grand nombre de ces recommandations. Comme vous le savez, le texte a expiré au Feuilleton.
Le projet de loi C-60, assure pour sa part la mise en œuvre de quatre des recommandations en question. Outre ces mesures législatives, de nombreuses recommandations ont été mises en œuvre par des décisions d'orientation ou des modifications réglementaires.
Notre système de justice militaire est conçu de manière à favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des militaires. Ce système encourage en outre le respect de la loi et le maintien d'une société juste, paisible et sûre. Mais, je dois ajouter que la justice militaire doit en outre veiller à ce que les membres des Forces canadiennes soient traités avec équité. Comme dans le système de justice pénale civile, l'équité exige que l'on adapte le système en fonction des arrêts des cours d'appel, ce qui a effectivement été le cas avec l'affaire Trépanier.
J'aimerais conclure en soulignant que la réforme du système de justice militaire se met en place au fil du temps. Comme pour notre système de justice pénale civile, auquel on applique souvent la métaphore de l'arbre, elle nécessite un processus d'améliorations continues pour refléter les changements évolutifs du droit. Ces changements reflètent nos valeurs juridiques, ainsi que les attentes des Canadiens et des Canadiens et correspondent, en l'occurrence à des dispositions soumises à l'examen des deux Chambres.
Les modifications apportées par le projet de loi C-60 ont simplifié la structure de la cour martiale, mis en place un cadre global de sélection du type de cour martiale qui doit juger l'accusé, et renforcer l'efficacité et la fiabilité du processus de prise de décisions.
Ces modifications répondent en outre aux préoccupations exprimées par la Cour d'appel de la cour martiale. Elles harmonisent plus étroitement le système canadien de justice militaire avec le système de justice civile, alliant la conformité aux dispositions de la Charte et le respect des exigences militaires essentielles.
Bref, le système de justice militaire continue à mériter la confiance des Canadiens. Les hommes et les femmes des Forces canadiennes, aux besoins desquels répondent ces nouvelles dispositions, sont très reconnaissants des efforts cruciaux de ce comité visant à assurer un système de justice militaire efficace. Encore une fois, je vous remercie de m'avoir convié à prendre la parole devant vous et c'est très volontiers que je tenterai de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur le ministre. Avant de poursuivre, je tiens à m'excuser auprès du brigadier-général Ken Watkin de ne pas l'avoir présenté en début de séance. Le juge-avocat général est un personnage d'une importance considérable en ce domaine et nous sommes heureux, général, de vous accueillir.
[Français]
Le sénateur Nolin : Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être déplacé pour comparaître devant nous et merci d'avoir confiance en notre capacité de traiter d'une chose qui est fort pointue, mais fort intéressante.
La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage du colonel à la retraite Michel Drapeau et je présume qu'on vous a rapporté son témoignage. Un des éléments de ce témoignage est que le colonel à la retraite Drapeau prétend que la décision Trépanier a pour fondement ou argument principal, de combler l'écart qui existe entre le processus de justice criminelle civile et le processus de justice criminelle militaire.
La décision Trépanier de la Cour d'appel fonde son argument sur l'obligation que nous avons de ramener cet écart à zéro; donc d'offrir à un accusé cette option qu'il a dans le système criminel civil. Le colonel Drapeau va un peu plus loin en disant que si le raisonnement de la cour est tel qu'il faille éliminer le fossé qui existe entre les deux processus, pourquoi ne pas s'être servi du projet de loi C-60, puisque le gouvernement a décidé d'utiliser une voie législative d'urgence pour combler l'écart identifié par l'affaire Trépanier?
Pourquoi ne pas avoir utilisé le projet de loi C-60 pour, entre autres, introduire une des recommandations du juge Lamer, j'oublie le numéro de la recommandation, mais je pense que c'est la recommandation no 52, dans laquelle le juge Lamer nous recommande d'offrir au système de justice militaire, l'éventail des peines qui sont offertes dans le processus de justice criminelle civile.
Ma question est politique. Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de ne pas aller jusqu'au bout dans ce raisonnement?
M. MacKay : Il est clair qu'il y a une certaine urgence avec l'arrivée de la décision Trépanier de trouver une solution constitutionnelle et en même temps, vous avez raison lorsque vous dites qu'il y a une différence avec les systèmes civils et les systèmes militaires.
J'ai dit qu'il y avait quatre options pour la cour, pour une personne sous le système militaire, mais il y a deux choix dans le système civil. L'ancien juge Lamer avait d'autres recommandations comme le fait d'avoir certains types de sentences comme les sentences intermittentes. J'espère enlever dans un autre projet de loi...
Le sénateur Nolin : ... le projet de loi C-45.
M. MacKay : Oui l'ancien projet de loi C-45, et avoir l'occasion d'introduire certains changements pour trouver un système plus similaire des options pour les sentences dans le système militaire.
[Traduction]
J'espère que cette question sera abordée dans le cadre d'un autre projet de loi, que nous entendons présenter à nouveau au Parlement. Madame la présidente, puis-je ajouter que les recommandations, telles que celles qui sont proposées par le sénateur Nolin, dans la mesure où elles sont reprises dans votre rapport, et selon le moment où le projet de loi C-45 sera présenté à nouveau sous un autre titre, devraient figurer parmi les amendements au projet de loi si celui-ci est déposé avant la remise de votre rapport. Je vous encourage à faire des propositions comme celles auxquelles le sénateur a fait allusion et qui, selon un autre témoin, devraient peut-être figurer dans ce projet de loi. Les suggestions que vous avez trouvées utiles lors de vos travaux et qui, en raison du calendrier parlementaire, ne figurent pas dans le projet de loi C-60, pourraient être reprises dans le cadre de ce deuxième projet de loi qui reprend plus largement les recommandations formulées dans le rapport Lamer.
Bref, pour des raisons de calendrier, il n'a pas été possible d'attendre pour déposer le projet de loi C-60, car il s'agissait de combler sans délai les lacunes qu'avait fait ressortir l'affaire Trépanier. Les recommandations du rapport Lamer pourraient donc trouver place dans un second projet de loi présenté au Parlement.
La présidente : Sénateur Baker, n'oubliez pas que le temps nous est compté.
Le sénateur Baker : Vous n'aurez pas, monsieur le ministre, manqué de vous apercevoir que la présidence prononce toujours cet avertissement lorsque je suis sur le point de prendre la parole.
Je tiens, d'abord, à souhaiter la bienvenue au ministre et au brigadier-général. J'espère, monsieur le ministre, que vous allez rester en fonctions et que les rumeurs concernant un départ éventuel se révéleront inexactes. En effet, le gouvernement du Canada a besoin de vous.
M. MacKay : Sénateur Baker, c'est pour moi un honneur de représenter votre province.
Le sénateur Baker : Votre père s'est, lui aussi, illustré dans ses fonctions ministérielles. Vous êtes tous deux de grands parlementaires.
M. MacKay : Vous êtes trop aimable.
Le sénateur Baker : Nous vous sommes gré de nous avoir demandé de formuler des recommandations.
Ce qui me préoccupe le plus, dans la jurisprudence, c'est qu'au cours des deux dernières années, il a été trop souvent sursis à l'accusation au titre de l'alinéa 11b) de la Charte. Je ne prétends aucunement que cela ne devrait jamais se produire, car, en effet, on conçoit mal qu'un soldat ait à exercer son métier qu'il se trouve sous le coup d'une accusation. Mais, je relève que dans certaines de ces affaires, la cour martiale ne s'était toujours pas prononcée deux ans et demi après qu'eut été portée une accusation. Cela crée, pour les intéressés, de graves difficultés.
Et puis, il y a ce délai d'un an plutôt que de six mois. Comme vous le savez, monsieur le ministre, selon les dispositions du Code criminel, les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité doivent être jugées dans les six mois. Or, selon les dispositions de cette loi, le délai est d'un an à partir du début du procès. Qu'entend-on, au juste, par début du procès? Normalement, cela veut dire à partir du moment où la cour admet le plaidoyer. Vous devriez, d'après moi, envisager de ramener ce délai à six mois, comme pour les tribunaux civils et comme le prévoient d'autres dispositions de la Loi sur la défense nationale.
D'ailleurs, le projet de loi tel qu'amendé prévoit que si le fait reproché est punissable par le droit commun, la prescription prévue par le droit commun s'applique, c'est-à-dire, en l'occurrence, après un délai de six mois.
Mais voici la question que je tiens particulièrement à vous poser. Il s'agit du cas d'un caporal revenu d'Afghanistan. Il ne boit pas. En disant cela, je ne trahis aucun secret. Il s'agit d'un cas de jurisprudence et tous les détails sont consignés dans vos archives.
Après son retour d'Afghanistan, ce soldat est impliqué dans une bagarre. Les deux protagonistes avaient chacun consommé plus de 12 bières et pris trois ou quatre petits verres d'alcool. L'accusation n'ayant pas été portée dans le délai d'un an applicable aux procès sommaires, l'intéressé a été traduit en cour martiale.
Monsieur le ministre, vous avez été avocat plaidant, vous avez été procureur. Dans la mesure où il s'agit d'une infraction mixte, passés six mois, il faut procéder par voie d'acte d'accusation.
En l'occurrence, les deux ont été traduits en cour martiale. Mais voici le point qu'il convient de retenir. L'intéressé a été déclaré coupable et on a prélevé un échantillon de son ADN car il s'agissait d'une infraction prévue à l'article 487.04 du Code criminel, disposition qui ne lui aurait pas été appliquée si on lui avait fait subir un procès sommaire. Il a fait appel et a obtenu gain de cause.
Ce que je veux dire c'est que si l'on permet à un soldat de choisir d'être traduit devant une cour martiale permanente ou devant une cour martiale générale, je ne comprends pas pourquoi on ne lui offre pas en plus la faculté d'opter pour un procès sommaire. Autrement dit, vous pourriez adopter une disposition spécifique, ou modifier les deux articles de ce projet de loi qui prévoient qu'un soldat peut opter pour une cour martiale permanente plutôt qu'une cour martiale générale, en ajoutant à la disposition les mots « ou un procès sommaire ». Le brigadier-général a compris, bien sûr, que je fais allusion à l'affaire R. c. Grant.
Aux termes du projet de loi, le soldat, dans l'hypothèse où l'accusation est portée contre lui un an après les faits qui lui sont reprochés, ne pourra pas opter pour un procès sommaire alors que c'est bien ce genre de procès qui conviendrait. Il n'aurait ainsi pas eu à fournir un échantillon d'ADN et ne se serait pas vu imposer cette condamnation.
La présidente : Monsieur le ministre, qu'en pensez-vous?
Le sénateur Baker : Je suis désolé d'avoir pris aussi longtemps.
M. MacKay : Sénateur Baker, les circonstances de l'affaire Grant méritent en effet d'être rappelées. Je sais que vous aussi avez eu, dans votre carrière, l'occasion de plaider. Ce genre de singularité donne souvent l'impression qu'il y a eu un abus de procédure, et c'est d'ailleurs pour cela que l'affaire Grant a été portée en appel et est à l'origine de certaines des dispositions de ce projet de loi. Je vais laisser au juge-avocat général le soin de vous apporter sur ce point une réponse plus précise. Il connaît bien, en effet, ce dossier.
Je conviens que, parfois, les procureurs, tant civils que militaires, ont procédé par voie d'acte d'accusation ou porté une affaire devant une cour martiale générale en raison de l'expiration des délais. On a craint, après la décision rendue dans l'affaire Stinchcombe, que de nombreuses accusations, certaines pour des faits très graves et d'autres pour des faits de moindre gravité, soient simplement rejetées en raison de retards.
Quoi qu'il en soit, la question du nombre d'affaires portées en jugement et du nombre de juges en mesure de les entendre est une question plus vaste qui se pose effectivement, mais en ce qui concerne les circonstances précises de l'affaire Grant, je vais laisser au brigadier-général Watkin le soin de vous répondre.
[Français]
Brigadier-général Ken Watkin, juge-avocat général des Forces canadiennes, Défense nationale : C'est un honneur d'être ici pour discuter de ce projet de loi. Je suis très fier de notre système de justice. C'est un système très juste et en même temps, il doit régler la discipline pour les membres des Forces canadiennes.
[Traduction]
Tout cela vise un double objectif : assurer à l'accusé un traitement équitable et répondre aux exigences disciplinaires de nos forces. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un système à deux paliers, le procès sommaire et la cour martiale. Or, 96 p. 100 des affaires sont réglées à l'issue d'un procès sommaire. L'immense majorité sont réglées en un an, et donc, il n'y a qu'environ 4 p. 100 des affaires disciplinaires qui sont portées devant une cour martiale. Je dis cela pour bien situer la question de la longueur des procédures.
Dans le cas des cours martiales, il est vrai que notre système de justice militaire connaît des retards, essentiellement pour les mêmes raisons que les retards constatés au sein du système de justice civile. Je ne veux pas trop entrer dans le détail, mais nombre de projets en cours, qui n'ont d'ailleurs rien à voir avec les dispositions du projet de loi, tentent de s'attaquer au problème des retards. C'est pour cela que nous avons retenu le délai d'un an car un procès sommaire, doit, justement, être sommaire. L'idée est, en effet, de parvenir à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. C'est donc plutôt pour des considérations d'ordre procédural que les choses se passent parfois autrement.
J'ajoute que la cour martiale a un double but. D'abord, il s'agit de réprimer les infractions graves. Étant donné que pour la grande majorité des infractions, l'accusé peut choisir de comparaître en cour martiale, cela lui offre un certain nombre de garanties étant donné qu'il va comparaître devant un juge, qu'il a droit aux services d'un avocat de la défense qu'il n'aura pas à rémunérer, qu'il a la faculté de plaider coupable ou non, enfin, tous ces éléments bien connus de la procédure judiciaire.
En gros, si l'affaire Grant a eu une telle influence sur les dispositions adoptées par la suite, c'est surtout qu'il convenait d'éclairer certains aspects de la procédure, car la Cour d'appel de la cour martiale avait renvoyé l'accusé à un procès sommaire. Dans cette affaire, la cour d'appel a ordonné un nouveau procès, car il n'était pas clair qu'un accusé voué à un procès sommaire avait encore le droit d'opter pour une cour martiale.
Les garanties qu'offre le système sont que l'officier habilité à juger peut décider de renvoyer l'accusé devant une cour martiale s'il estime que les éléments de preuve produits, ou la gravité de l'infraction justifient que l'accusé soit traduit devant une cour martiale. En renvoyant l'affaire devant une cour martiale, c'est justement ce que les nouvelles dispositions tentaient de préciser.
M. MacKay : C'est l'équivalent de la mise en accusation directe, où la Couronne peut présenter un acte d'accusation et substituer son choix à celui de l'accusé. Cela montre bien la correspondance entre le système civil et le système militaire.
Le sénateur Angus : Monsieur le ministre, je tiens à mon tour à vous souhaiter la bienvenue, à vous et au brigadier-général Watkin. Comme j'ai eu l'occasion de le dire l'autre jour, je ne siège que depuis peu au sein du comité. Le système de justice militaire est un domaine passionnant et je dis cela en tant qu'avocat ayant exercé le droit pendant 49 ans.
Les réponses que vous avez données au sénateur Nolin montrent qu'avant même le projet de loi C-45 et le rapport Lamer, vous tentiez d'améliorer le système, de le moderniser et d'y apporter les changements nécessaires. Puis, il y a eu l'affaire Trépanier. Le comité s'est penché sur la question au printemps dernier, puis vous avez émis cette lettre. Tout cela me semble parfaitement régulier. Chacun s'est engagé à examiner la situation et à faire part des idées permettant de consolider ce qui avait été fait. Je suis impressionné d'apprendre que 84 des 88 recommandations formulées dans le rapport du juge en chef Lamer ont déjà été mises en œuvre ou reprises dans le cadre du nouveau projet de loi C-45.
Je n'ai aucune question précise à poser au sujet de tout cela, mais, comme je le disais tout à l'heure à notre présidente, il s'agit de faire preuve envers les personnels militaires d'un maximum d'équité. En effet, la justice militaire a quelque chose de très particulier. J'ai récemment, monsieur le ministre, pris connaissance de certaines de vos déclarations et celles dont on fait le plus souvent état concernent le syndrome de stress post-traumatique, trouble qui peut revêtir une importance considérable dans une cause judiciaire. De tels troubles peuvent, en effet, être invoqués comme moyen de défense. Vous nous avez confirmé qu'il s'agit, effectivement, d'un problème très difficile pour vous et votre ministère. Pourrions-nous profiter de votre présence ici pour vous demander comment vous tentez d'y faire face?
M. MacKay : Sénateur Angus, vous avez parfaitement raison et, comme c'est le cas devant les tribunaux civils, les troubles de stress post-traumatique peuvent effectivement constituer un moyen de défense. Mais, comme vous le disiez tout à l'heure, il s'agit d'un problème beaucoup plus vaste. Vous n'ignorez pas que, parmi les jeunes hommes et femmes ayant servi en Afghanistan, bon nombre reviennent avec des traumatismes corporels ou psychologiques en raison du stress et des rigueurs opérationnels, comme cela a déjà été le cas lors d'interventions militaires sur d'autres théâtres des opérations. L'aspect positif de la situation est, selon moi, que les forces militaires modernes sont aujourd'hui mieux à même que par le passé de s'occuper de tels cas. Cela dit, nous devons faire mieux. Il fut un temps où les gens revenaient d'un théâtre d'opérations militaires, descendaient du train ou du bateau et s'estimaient heureux s'il y avait quelqu'un là pour les accueillir. Il n'y avait en place aucun système permettant de prendre leurs besoins en charge.
Aussi récemment que la semaine dernière, nous avons commencé à établir, sur nos bases militaires, des centres d'excellence capable de suppléer les services existants, les consultations médico-sociales plus précisément, afin d'aider psychologiquement les personnes frappées de ce mal débilitant qu'est le syndrome de stress post-traumatique. Comme pour de nombreux troubles psychologiques, nos connaissances se sont considérablement améliorées au cours des dernières années. Un des centres d'excellence en ce domaine est situé non pas sur une base militaire, mais à l'Université McGill, que vous connaissez tous. Les travaux du Dr Porter et d'autres spécialistes ont permis de faire progresser nos connaissances sur ce phénomène, au niveau tant du diagnostic que du traitement. L'équipe de ce centre est une des meilleures au monde. Nous nous attachons, donc, à appliquer le plus rapidement possible les nouvelles approches et nouveaux traitements de cette pathologie qui ont été découverts à McGill ainsi que dans d'autres universités et cliniques médicales au Canada. Nous souhaitons que ces traitements soient rapidement disponibles dans les centres d'excellence installés sur nos diverses bases. Jusqu'ici, il en existe huit. Nous espérons faire en sorte qu'ils soient disponibles dans toutes nos bases et dans le plus grand nombre d'établissements possibles.
Ces VISP — vous savez que les militaires affectionnent particulièrement les sigles — devraient nous permettre de faire progresser le traitement des troubles psychologiques et autres traumatismes résultant d'opérations militaires. Les personnes qui souffrent de ces maux sont tout aussi atteintes, et méritent tout autant d'être traitées que les personnes ayant subi de graves blessures corporelles. C'est comme cela que les Forces canadiennes considèrent la situation des soldats qui reviennent du combat.
Beaucoup reste à faire. Je considère que nous avons pris des mesures importantes et que nous avons amélioré considérablement la situation, mais nos efforts en ce sens se poursuivent. C'est une obligation de tout gouvernement envers les hommes et les femmes qui risquent leur vie afin de préserver les droits et les valeurs des Canadiens.
Le sénateur Bryden : La question soulevée par le sénateur Angus est intéressante, mais il ne nous reste plus que 15 minutes. Le comité ne devrait-il pas concentrer pour l'instant son attention sur le projet de loi en question en invitant le ministre à revenir ultérieurement pour nous parler de ce que le ministère fait actuellement en ce domaine, même si cela ne concerne pas directement le texte qui retient aujourd'hui notre attention.
La présidente : Merci, sénateur Bryden. Il est vrai que ce qui retient actuellement notre attention c'est l'application des dispositions de ce projet de loi.
Le sénateur Milne : Ma question concerne justement le projet de loi et nous y revenons par conséquent.
Monsieur le ministre, je suis heureuse que vous ayez fourni au comité l'occasion de corriger ce qui s'est fait au printemps. Lors de votre dernière comparution devant le comité, vous nous avez dit que le texte devait absolument être adopté sans tarder étant donné la décision qui venait d'être rendue dans l'affaire Trépanier.
Or, si vous examinez la décision, vous constatez que ce n'est pas exact, car cette décision offrait plusieurs solutions simples qui nous auraient permis de régler la question de manière provisoire afin de pouvoir nous livrer à un examen en règle du texte et de régler le problème dans le cadre d'un seul projet de loi.
Pourquoi avez-vous procédé ainsi? Pourquoi nous avoir si fortement incités à agir en toute hâte? La décision rendue dans l'affaire Trépanier offrait, en effet, une solution.
M. MacKay : Permettez-moi de ne pas être de votre avis lorsque vous affirmez qu'il n'était pas nécessaire de procéder comme nous l'avons fait. D'après mes collaborateurs du ministère de la Défense nationale si, par l'adoption d'un texte de loi, nous ne mettions pas en œuvre la décision rendue dans l'affaire Trépanier, nous risquions de perdre un certain nombre de causes qui étaient en instance, ce qui aurait été injuste envers les victimes et aussi envers les personnes qui attendaient qu'on se prononce sur leur cas.
Nous avons donc décidé d'accélérer la procédure d'adoption, même s'il est vrai qu'il a fallu pour cela recourir à des mesures extraordinaires et solliciter, comme nous l'avons fait, la coopération du Sénat. Cela a permis à ces divers dossiers d'être tranchés par la justice militaire et on a ainsi, d'après moi, pu éviter tout nouveau retard ainsi que les injustices qu'aurait entraîné le fait de ne pas prendre en compte, dans un texte de loi, les conséquences de l'affaire Trépanier.
Le sénateur Milne : La réponse, dont je vous remercie, m'amène à vous poser une deuxième question. Votre ministère et le bureau du JAG savaient, depuis des années, que serait un rendue jour une décision comme celle rendue à l'issue de l'affaire Trépanier. Cela faisait en effet des années que le juge Lamer l'avait relevé. La question avait été évoquée dans le rapport Lamer, avait été évoquée devant la Cour d'appel de la cour martiale, et pourtant, le ministère n'avait tenu aucun compte de ces avertissements.
C'est cela qui me porte à me demander s'il n'y a pas d'autres choses que le ministère a manqué de signaler à l'actuel gouvernement, ainsi qu'au gouvernement précédent. Qu'est-ce qu'il y a d'autre qui risque de surgir?
M. MacKay : Voilà ce qu'on appellerait, dans le cadre d'un procès, une question tendancieuse.
Nous avons, au sein du bureau du juge-avocat général, d'excellents avocats et, en tant que membre en règle du barreau, je n'oserais prédire la décision qu'un juge, quel qu'il soit, pourrait rendre à l'avenir, et je ne pense pas non plus que les tribunaux, voire le Parlement, devraient vivre dans la crainte d'un éventuel jugement de la Cour d'appel. Il nous faut appliquer le droit dans son état actuel et réagir en fonction des décisions de justice.
En ce qui concerne la question que vous m'avez posée, permettez-moi de demander au juge-avocat général de répondre pour la défense.
Bgén Watkin : C'est très volontiers que je répondrai à cette question, mais puisque je suis chargé du système de justice militaire dans son intégralité, je dois répondre non seulement au nom de la défense, mais également au nom de l'accusation.
En reprochant au ministère son inaction, on laisse entendre que nous n'aurions tenu aucun compte du rapport du juge en chef Lamer. Or, les recommandations d'un ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada ont été accueillies avec tout le sérieux qu'elles appellent.
Je rappelle, pour situer le contexte dans lequel, à l'occasion de l'affaire Trépanier, une disposition a été jugée inconstitutionnelle, une recommandation formulée par un autre ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, en l'occurrence le juge en chef Dickson, dans le rapport qu'il a remis en 1997. Évidemment, l'examen quinquennal...
Le sénateur Milne : De 2003 à 2007, et nous attendons toujours.
Bgén Watkin : Nous nous sommes livrés à l'examen quinquennal, sachant qu'une recommandation avait été formulée à cet égard, mais aucune des recommandations du juge en chef Lamer ne soulevait le problème de la constitutionnalité de la disposition en cause, et j'imagine que c'est ce qu'ont dit le colonel Cathcart ou le lieutenant-colonel Wry, la semaine dernière, lors de leurs témoignages concernant la nature des recommandations formulées dans le rapport.
La question, il est vrai, a été soulevée en 2005 dans le cadre de l'affaire Nystrom, la Cour d'appel de la cour martiale ayant signalé la chose dans le cadre d'une remarque incidente qui, comme le savent notamment ceux qui, parmi vous, sont également avocats, est une partie du jugement qui n'a aucun caractère obligatoire. Il convient de le rappeler, compte tenu de la jurisprudence antérieure de la Cour d'appel de la cour martiale. Je pense notamment à l'affaire Lunn qui remonte à 1993, et dans le cadre de laquelle la cour a jugé que l'autorité convocatrice, qui faisait partie de la chaîne de commandement qui avait opté pour le type de procès qui a effectivement eu lieu, n'avait pas agi de manière inconstitutionnelle.
Selon une autre affaire datant de 1994, l'affaire Gravline, le fait d'avoir à envoyer dans un lieu isolé cinq membres d'un comité, c'est-à-dire précisément, le nombre de membres d'un comité de cour martiale générale, soulevait des problèmes, et pourrait justifier le fait que l'on opte pour un autre type de procès.
Il y avait, bien sûr, la décision Nystrom, datant de 2005. Mais nous n'en avons aucunement fait fi. En 2006, le directeur des poursuites militaires a modifié sa politique, permettant désormais à l'accusé de présenter ses arguments. Sept changements ont été apportés à la politique applicable, et l'accusé s'est vu dorénavant reconnaître la faculté d'opter pour tel ou tel type de procès.
C'est à cette époque que j'ai été nommé juge-avocat général, et dans les deux semaines suivant mon entrée en fonctions, une des premières choses que j'ai faites a été d'aider à porter le projet de loi C-7, le précurseur du projet de loi C-45, devant la Chambre. Il est clair qu'aurait pu être évoquée à l'époque la question de savoir si ce texte tenait suffisamment compte de la recommandation du juge Lamer, mais le projet de loi est mort au Feuilleton. Et la question a ainsi pu être soulevée lors du procès Trépanier.
Le sénateur Milne : Madame la présidente, je ne souhaite pas interrompre le juge-avocat général, mais le ministre risque de se trouver à court de temps. Peut-être pourriez-vous compléter votre réponse à ma question après que j'aurai eu l'occasion de poser au ministre une nouvelle question.
La présidente : Mais vous n'avez presque plus le temps de le faire étant donné que deux autres sénateurs souhaiteraient, eux aussi, poser une question.
Le sénateur Milne : Ma question est très brève. Je me préoccupe du sort de civils qui sont actuellement ou qui seront traduits devant une cour martiale pour y être jugés conformément au droit militaire. Je songe à l'écart qui peut exister entre les peines prononcées au titre du droit militaire et les peines qui seraient, pour le même type d'infraction, prononcées par un tribunal civil. N'y a-t-il pas là quelque chose sur lequel il conviendrait de se pencher? Lors de la rédaction de votre prochain projet de loi, il y aurait peut-être lieu d'étudier avec attention l'exposé présenté par le colonel Drapeau.
M. MacKay : Je n'y manquerai pas, sénateur. Nous avons, bien sûr, étudié le témoignage que M. Drapeau a livré devant le comité. Nous en tiendrons compte lors de la rédaction du prochain projet de loi au niveau tant des recommandations que de l'échelle des peines.
Depuis longtemps, on trouve sur nos bases militaires des civils. Honorables sénateurs, vous n'ignorez pas que c'est actuellement le cas en Afghanistan, où de nombreux civils sont affectés au soutien des hommes et des femmes servant sous les drapeaux. Nous savons qu'il nous faut éviter toute disparité dans le traitement accordé aux uns et aux autres.
En pareille hypothèse, le juge-avocat général est donc appelé à décider de la manière dont il convient de procéder dans le cas d'une accusation portée contre un civil.
Je vous remercie, sénateur, d'avoir évoqué cet aspect de la question.
Le sénateur Joyal : Ma question concerne les échéances auxquelles nous allons devoir faire face. Quand je dis « nous », je comprends le Parlement.
À la page 10 du texte de votre allocution, vous dites que « le ministère a, intégralement ou en partie, accepté 84 des 88 recommandations formulées » dans le rapport du juge en chef Lamer.
Un ancien professeur de droit dirait que « acceptation » ne veut pas nécessairement dire mise en œuvre. Les choix de vocabulaire comptent. Les recommandations 52, 53 et 54 qui figurent dans le rapport du juge en chef Lamer font-elles partie des 84 recommandations qui ont été acceptées?
Les paragraphes 52, 53 et 54 concernent les peines, sujet justement couvert par le projet de loi C-45.
M. MacKay : Accordez-moi, sénateur, un moment pour répondre.
Le sénateur Joyal : Ces recommandations se trouvent à la page 69 du rapport Lamer. Elles s'inscrivent dans le cadre d'un paragraphe 7 intitulé « Détermination de la peine » — a) Barème des peines et des sanctions plus souple, b) Exécution des amendes infligées par les tribunaux militaires et c) Réprimandes et blâmes.
M. MacKay : On me précise, sénateur, que ces recommandations figuraient dans le projet de loi C-45 et figureront également dans le nouveau texte. Vous avez raison de dire qu'elles figurent donc déjà dans le texte qui va être proposé au Parlement. C'est dire que ces recommandations ont été acceptées, qu'on y a donné suite, mais qu'elles n'ont pas encore été mises en œuvre étant donné que le projet de loi n'a pas encore été adopté. Les échéances me préoccupent.
Le sénateur Joyal : Je pense que nous poursuivons le même objectif qui est d'aligner autant que faire se peut le système de justice militaire sur le système de justice civile. Le projet de loi C-45 a été présenté en première lecture devant la Chambre des communes le 3 mars 2008. Nous sommes maintenant le 11 mars 2009. Un an plus tard, donc, le projet de loi n'a pas avancé.
La lettre que vous nous avez transmise le 17 juin 2008 a été bien accueillie par les sénateurs de tous bords. Dans cette lettre, qui est revêtue de votre signature, vous dites que le gouvernement étudiera nos recommandations et, dans les 90 jours, transmettra au comité une réponse écrite qui pourrait comporter des projets d'amendement.
J'ai une proposition à vous faire. Notre comité va achever son rapport d'ici la fin du mois, c'est-à-dire le mois de mars 2009. Vous aurez 90 jours pour répondre à nos recommandations. Cela nous mènera à la fin du mois de juin, c'est-à-dire l'époque où les deux Chambres ajournent jusqu'à la fin septembre. Êtes-vous disposé à accepter notre recommandation d'inclure dans le nouveau projet de loi l'essentiel de l'ancien projet de loi C-45. Compte tenu du calendrier des travaux de l'autre Chambre et l'incertitude qui pèse sur son avenir, je ne vois pas comment on peut espérer voir ce texte adopté avec célérité. Mais à partir du moment où vous avez notre rapport, qui est conforme à de nombreuses recommandations formulées par l'ancien juge en chef Lamer et reprises dans le cas du projet de loi C-45, seriez-vous disposé à déposer ce projet de loi d'abord devant le Sénat?
De nombreux sénateurs des deux bords connaissent les principaux éléments du rapport Lamer et de la Loi sur la défense nationale. Nous serions donc à même d'agir dans de meilleurs délais. Vous savez vous-même, en tant qu'avocat, que la justice différée et une justice refusée. Les principes inscrits dans le projet de loi C-45 comprennent l'inamovibilité des juges militaires — une importante garantie de leur indépendance — et les principes de détermination de la peine. Il y a, en outre, d'autres recommandations que nous souhaiterions vous voir prendre en compte. Cela permettrait d'adopter les nouvelles dispositions en 2009 plutôt qu'en 2010, c'est-à-dire un an après que le projet de loi C-49 aura été déposé devant le Parlement. Vous entendrez sans doute évoquer la question avec vos collaborateurs, mais seriez-vous disposé à nous dire que vous envisagerez cette possibilité?
Voilà comment se présente la situation. Cela veut dire que dans deux ans nous serons parvenus à mettre ces principes en œuvre et à donner suite aux recommandations qui ont été formulées.
M. MacKay : Sénateur, votre idée me paraît excellente. J'en parlerai avec le leader de l'autre endroit. Je reconnais que, dans la mesure où ce projet de loi est déjà rédigé et que vos travaux doivent bientôt s'achever, tout porte à agir ainsi. En tant que ministre de la Défense nationale, je souhaite que le projet de loi soit déposé au printemps. Si le programme législatif du Sénat le permet, je ne vois pas pourquoi le texte ne serait pas déposé devant le Sénat.
Honorables sénateurs, vous savez que le programme législatif ne dépend pas entièrement de moi. Cela dit, je suis tout à fait disposé à faire part de votre suggestion à notre leader à la Chambre. Je serai ravi de voir le projet de loi déposé au Sénat. Votre idée me paraît excellente car vous avez déjà étudié le texte et vous savez que ses dispositions devraient, dans la mesure du possible, s'aligner sur celles du projet de loi C-60. Je m'engage à tenter d'obtenir que l'on procède ainsi.
Le sénateur Joyal : Cela étant, monsieur le ministre, y a-t-il, parmi les 84 recommandations acceptées en principe, certaines qui ont été mises en œuvre soit de manière réglementaire, soit dans le cadre d'un texte de loi et qui auront permis d'aligner davantage les dispositions de la Loi sur la défense nationale sur les recommandations formulées dans le rapport Lamer?
M. MacKay : Je ne sais pas quelle sera la teneur exacte du projet de loi lorsqu'il sera à nouveau présenté, mais rien ne porte à penser qu'il sera différent du texte actuel. Je souhaiterais, cependant, pouvoir étudier les recommandations de votre comité afin de m'assurer qu'elles se retrouvent dans le nouveau texte. Le meilleur moyen d'y parvenir ne serait-il pas, justement, de déposer le projet de loi devant le Sénat?
Ce que vous proposez est tout à fait raisonnable. Je ferai de mon mieux pour accélérer les choses et faire en sorte qu'on obtienne les résultats voulus.
Le sénateur Wallace : Ma question a été en partie reprise dans le cadre de la deuxième question posée par le sénateur Milne. Les civils relevant de la justice militaire seront touchés par les dispositions du projet de loi C-60. Vous avez sans doute pris connaissance du témoignage livré la semaine dernière par le colonel Drapeau. J'entendais initialement vous demander si vous seriez disposé à accueillir des amendements accordant aux civils des recours complémentaires ressemblant davantage à ceux qui sont prévus dans le Code criminel.
La réponse que vous avez donnée tout à l'heure me porte à penser que vous envisageriez effectivement de telles dispositions dans le cadre des nouveaux amendements. Est-ce exact?
M. MacKay : Nous sommes toujours disposés à accueillir les amendements qui nous paraissent raisonnables. Étant donné la gravité de la situation dans laquelle se trouve toute personne traduite en justice, que celle-ci soit civile ou militaire, nous souhaitons toujours que l'équité prévale. Il est clair qu'en ce qui concerne les personnes qui soit travaillent pour les forces canadiennes, soit qui en sont membres, notre souci est toujours d'équilibrer les diverses considérations.
Nous tenons donc à corriger les éventuelles irrégularités.
Le sénateur Wallace : J'exagère peut-être un peu, mais je crois me souvenir que, la semaine dernière, le colonel Drapeau a effectué une comparaison entre les recours ouverts aux civils relevant de la justice militaire et les recours prévus par le Code criminel.
J'en ai presque retiré l'impression que, d'après lui, les civils relevant de la justice militaire devraient se voir appliquer des règles différentes des règles applicables aux militaires eux-mêmes.
Une telle chose vous semble-t-elle raisonnable, envisageable?
M. MacKay : Sur ce point, je vais laisser au JAG le soin de vous répondre. Je dois dire, de prime abord, que nous risquerions alors d'instituer un troisième système de justice. Il y aurait, en effet, une justice militaire, une justice civile et une justice mixte. Je ne pense pas que cela simplifierait les choses. Au contraire, cela les compliquerait, mais je vais demander au JAG de vous répondre sur ce point.
Bgén Watkin : Comme le ministre le disait tout à l'heure, nous sommes ouverts aux recommandations dans la mesure où elles peuvent effectivement s'inscrire dans le cadre du système de justice militaire. Je précise que les peines actuellement prévues, c'est-à-dire les peines de prison et les amendes, sont exactement celles que pouvait imposer une cour martiale générale spéciale avant le projet de loi C-60. Le projet de loi n'a fait que prévoir la même chose pour les cours martiales générales et les cours martiales permanentes.
D'après moi, le colonel Drapeau avait surtout insisté sur les peines discontinues et autres sanctions pouvant être prononcées après le verdict. Mais s'il y a d'autres possibilités en matière de peines, je ne vois pas pourquoi on ne les envisagerait pas.
Prenons l'exemple de l'absolution sous condition. Une telle sentence n'est pas rare devant les juridictions civiles. Il est rare qu'un civil soit traduit plus d'une fois devant un tribunal militaire étant donné que les civils ne vivent pas au sein de la communauté militaire. La difficulté serait donc de savoir comment assurer le suivi de l'absolution sous condition d'un civil. Cela pourrait en effet exiger de traduire à nouveau devant la justice militaire des civils qui n'ont pourtant plus rien à voir avec nous.
Voilà le genre de considérations qui nous obligent à réfléchir attentivement à la manière dont tout cela se passerait en pratique. Il se peut, pour de raisons ayant trait soit à l'administration, soit à la politique gouvernementale, qu'il y ait des solutions que nous ne sommes pas en mesure de proposer au Parlement.
Le sénateur Wallace : Comme vous l'avez dit, étant donné qu'il s'agit d'assurer le maintien de la discipline, de l'efficacité et du moral des forces, il vous faut, bien sûr, prendre en compte un certain nombre d'exigences particulières.
M. MacKay : Une des mesures disciplinaires est la destitution. Cette sanction n'existe pas dans le civil, même si dans le comté Pictou, je connais un juge qui, dans le temps, ordonnait à certains contrevenants de déguerpir, les bannissant en fait du comté. Je ne sais pas si une telle mesure était constitutionnelle.
La présidente : J'en doute.
Pourrions-nous demander au brigadier-général Watkin de demeurer, après le départ du ministre? Il a été interrompu lorsqu'il répondait au sénateur Milne. En outre, le sénateur Baker n'a pas eu l'occasion de lui poser à nouveau une question. Si cette question peut effectivement être adressée au brigadier-général, je souhaiterais qu'on puisse le faire.
Brigadier-général, vous avez été interrompu alors que vous répondiez à une question du sénateur Milne.
Bgén Watkin : En effet. J'étais en train de parler du procès en première instance.
Ces questions ont été débattues en première instance. Le juge avait, au vu de la décision Lunn, décidé qu'il n'y avait rien d'inconstitutionnel permettant à la directrice des poursuites militaires de choisir le type de procès que subirait l'accusé. C'est bien pour cela que le jugement a été porté devant la Cour d'appel de la cour martiale du Canada. Excusez-moi, cela s'est passé en 2007. C'est l'appel devant la Cour d'appel de la cour martiale qui a eu lieu en 2008.
De nombreuses questions ont été évoquées devant la cour et, comme je le disais tout à l'heure, ma surveillance s'exerce sur l'ensemble du système. Ces questions ont été évoquées par les avocats de la défense, comme il leur appartient de le faire, l'accusation faisant valoir ses arguments. La Cour de première instance s'est prononcée sur ce qui semblait être deux approches opposées et, malgré la recommandation du juge en chef Lamer s'est alignée sur la jurisprudence Lunn. Or, dans l'affaire Trépanier, la Cour d'appel de la cour martiale a signifié nettement son désaccord. Tout cela a abouti à avril 2008 et aux mesures adoptées alors dans la foulée de cette décision de la Cour d'appel.
Le sénateur Milne : Mais, l'affaire Trépanier offrait la solution. En effet, au paragraphe 117 de la décision, la cour indique qu'il suffit de demander à l'accusé de choisir le type de cour martiale devant laquelle il entend être traduit.
Bgén Watkin : En effet. Je sais que vous avez convié la directrice des poursuites militaires à comparaître devant vous, et elle va donc être en mesure de vous décrire ses responsabilités. Ce n'est pas elle, cependant, qui a en charge la surveillance de l'ensemble du système. Ce que je dis ne s'applique donc pas simplement à l'affaire en question et aux arguments développés à ce procès. La question était, plutôt, comment parvenir à une solution globale.
Dans cette affaire, la cour a jugé inconstitutionnelle non seulement la disposition permettant au directeur des poursuites militaires de porter une accusation, mais également la convocation de la cour martiale.
L'accusé se voyait en l'occurrence reprocher des infractions prévues à l'article 130. Il s'agit d'infractions punissables en vertu du Code criminel. Bien sûr, aux termes du droit militaire, il s'agit d'infractions au code militaire, qu'elles soient reprises du Code criminel ou de quelqu'autre loi, ou qu'elles soient prévues spécifiquement dans la Loi sur la défense nationale. L'accusé pouvait donc se voir reprocher à la fois des actes de désobéissance à un ordre légitime et des infractions prévues à l'article 130. On avait la faculté de renvoyer l'accusé devant la justice civile étant donné qu'il y a, effectivement, dans la loi une disposition qui le permet. Rien ne garantit d'ailleurs que l'accusé accepte une telle solution.
La procédure a donc suivi son cours. On a pris l'affaire tout à fait au sérieux, car il fallait éviter la paralysie du système. En première instance, les juridictions ne se sont pas toutes prononcées dans le même sens et la solution n'était donc pas évidente.
C'est souvent comme cela et il s'agit alors de préciser les principes applicables, d'éliminer l'incertitude et d'éviter que certains dossiers importants restent en plan. Le sénateur Baker évoquait tout à l'heure la question des retards et c'est effectivement une de nos préoccupations. Nous avons donc choisi de solliciter l'autorisation de faire appel et demandé qu'il soit sursis au jugement et, deuxièmement, nous avons décidé de régler la question par le biais du projet de loi C-60.
Je voudrais également revenir sur les divers types de cour martiale. La cour martiale disciplinaire peut prononcer une peine d'emprisonnement de moins de deux ans; la cour martiale permanente aussi et la cour martiale générale peut prononcer une peine d'emprisonnement à vie. En cas d'inculpation pour homicide involontaire ou meurtre, dont la justice militaire a parfois eu à connaître...
Le sénateur Milne : C'est cette partie de votre réponse que j'attendais.
Bgén Watkin : ... l'accusé aurait pu opter pour une cour martiale permanente, ce qui lui aurait permis de limiter à moins de deux ans de prison la peine qui pouvait lui être infligée. Sur le plan des principes, cela pose de graves difficultés.
Le sénateur Milne : C'est la réponse que j'attendais depuis longtemps.
Je voudrais maintenant en revenir à la justice civile. Actuellement, les civils traduits devant un tribunal militaire ne se voient offrir que deux possibilités et l'échelle des peines qui peuvent leur être imposées ne comprend pas les peines d'amende. Ainsi, alors qu'un tribunal civil pourrait ne leur imposer qu'une amende, il n'en va pas ainsi des tribunaux militaires, qui vont, effectivement, leur imposer une peine beaucoup plus sévère.
Bgén Watkin : Non, le texte prévoit une peine de prison ou une amende. Ces deux solutions sont possibles.
Le sénateur Milne : Devant les tribunaux civils.
Bgén Watkin : Et aussi devant les tribunaux militaires.
Le sénateur Milne : Voulez-vous dire qu'un tribunal militaire peut, lui aussi, imposer une peine d'amende?
Bgén Watkin : Oui.
Les autres sanctions telles que la destitution et les réprimandes ne peuvent manifestement pas être imposées à un civil.
La présidente : Je crois que le sénateur Bryden a une question complémentaire à poser.
Le sénateur Bryden : Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une question complémentaire, mais elle est très brève. Je n'ai pas eu l'occasion de poser de question lors de la première série.
La présidente : En effet. Je vous passe donc la parole avant de la rendre au sénateur Baker.
Le sénateur Bryden : Le ministre disait tout à l'heure qu'à ce jour, 84 des 88 recommandations du rapport Lamer ont été acceptées, intégralement ou en partie. Quelles sont les quatre recommandations qui ne l'ont pas été?
Bgén Watkin : Les recommandations du rapport Lamer dépassent de loin la seule justice militaire. En effet, certaines des recommandations portent également sur la procédure de grief ainsi que sur la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. Le rapport traite donc de l'ensemble du système.
Le sénateur Bryden : Mais ces recommandations ne sont-elles pas toutes notées?
Bgén Watkin : Celle dont je suis certain est la recommandation portant à faire de l'administrateur de la cour martiale un sous-chef de ministère. Cette recommandation n'a pas été acceptée. D'ailleurs, toutes les recommandations ne portaient pas sur le genre de questions traitées dans le cadre du projet de loi C-60. Je pourrais demander à mes collaborateurs de dresser une liste des recommandations qui n'ont pas été acceptées.
La présidente : Cela nous serait extrêmement utile. J'allais vous le demander.
Bgén Watkin : Je suis maintenant en mesure de vous préciser celles dont il s'agit. Elles sont au nombre de quatre. Je ne suis pas à même de dire de quoi elles traitent, mais j'ai leur numéro.
La présidente : Le numéro me serait déjà très utile.
Bgén Watkin : Il s'agit des recommandations 21, 49, 71 et 74.
Je tiens également à apporter une précision au sujet de la question concernant la recommandation no 54. Il s'agissait des réprimandes, question qui n'est pas traitée dans le projet de loi C-45, mais dans le règlement.
La semaine dernière, certains témoins ont rappelé que toutes les questions traitées dans le rapport Lamer n'ont pas été reprises dans un texte de loi, certaines étant intégrées à un règlement.
Une de ces recommandations, qui était de réduire le nombre d'avis juridiques devant être obtenus lors du dépôt d'une accusation, est actuellement traitée dans le cadre de notre étude sur les retards de la justice. Nous tentons actuellement de réduire ces retards et les recommandations du rapport Lamer continuent donc à être prises en compte dans le cadre de nos travaux.
La présidente : Je tiens à rappeler les numéros des recommandations en question — 21, 49, 71 et 74.
Bgén Watkin : C'est exact.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de poser mes questions et d'entendre la réponse de notre témoin. Vous n'aurez pas ainsi à m'interrompre.
Dans le contexte du projet de loi qui retient actuellement notre attention, vous avez parlé des retards de la justice. Je relève que dans deux affaires survenues il y a un an et demi, il a été décidé que l'instruction avait pris trop longtemps.
Il s'agit de la décision rendue dans le cadre de l'affaire R. c. Major M.W. Brause, et je cite le paragraphe 15 :
Pendant cette période, et pendant quelque temps bien avant, la juge militaire en chef a écrit au ministère de la Défense nationale de même qu'au juge-avocat général, pour leur faire savoir qu'un quatrième juge militaire était nécessaire.
Je pourrais vous citer d'autres affaires où aucun juge francophone n'était disponible avant quatre ou cinq mois. Cette période entrait en ligne de compte pour calculer les délais de jugement et la défense a invoqué la jurisprudence Askov pour faire valoir qu'il y avait eu dépassement des délais prévus.
Quel est votre avis sur ce point? Il y a également le cas où la directrice des poursuites militaires, que nous accueillerons bientôt, vous a actionné, vous, le juge militaire en chef et plusieurs autres personnes dans le cadre d'une procédure de mandamus. Là encore, j'aimerais bien connaître votre avis, et savoir si vous avez pu régler tout cela. Ça, c'était devant la Cour fédérale.
Voici, maintenant, les amendements sur lesquels je sollicite votre avis. Tout à l'heure, vous avez dit qu'un tribunal militaire peut imposer soit une peine de prison, soit une amende.
Deux articles de ce projet de loi prévoient, en effet, soit une peine d'emprisonnement, soit une amende. Il s'agit des articles 9 et 12. Or, j'y vois une contradiction par rapport aux dispositions de la loi. En effet, toutes les autres dispositions prévoient une peine d'emprisonnement ou une amende, ou les deux à la fois. C'est, d'après moi, ce que prévoit l'article 302 de la loi. Pourquoi, donc, avoir modifié le régime des peines?
Le deuxième amendement que l'on devrait envisager — il y en a trois ou quatre — concerne l'article 165.192 qui traite de la convocation de la cour martiale permanente. Puis, la loi prévoit que si l'accusation vise une infraction prévue par la loi — autre que celles visées à l'article 130 — l'accusé est passible d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans ou d'une peine inférieure dans l'échelle des peines. J'en conclus qu'il existe donc une échelle des peines qui comporte des peines moins sévères.
Ça, je le comprends, mais, ensuite, il y a l'alinéa b), concernant les infractions punissables en vertu de l'article 130 — c'est-à-dire d'infractions aux dispositions du Code criminel ou d'une loi fédérale — punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, en vertu d'une loi fédérale.
Ce qui me gêne dans tout cela, c'est que d'après moi, et sans doute d'après ce qu'en pensera le comité à l'issue de son examen, les infractions mixtes contraires aux dispositions du Code criminel ou d'autres lois fédérales comprennent des infractions très graves qui peuvent valoir à leur auteur des peines de prison pouvant atteindre 10 à 14 ans. C'est ainsi, par exemple, que les voies de fait causant des lésions corporelles constituent une infraction mixte. Or, il semble bien que l'auteur d'une telle infraction puisse être jugé par procédure sommaire.
La présidente : Sénateur Baker, nous allons manquer de temps.
Le sénateur Baker : Je suis désolé. Je dis donc qu'il y a quatre ou cinq amendements qu'il conviendrait d'envisager. Je n'ai pas la possibilité de les évoquer tous ici.
Si nous nous étions penchés sur le texte de ce projet de loi avant son adoption, je suis persuadé qu'il y aurait quatre ou cinq articles qui auraient été amendés.
Brigadier-général, je continue à penser qu'un accusé devrait être autorisé à choisir à nouveau entre une cour martiale générale et une cour martiale permanente. Dans l'hypothèse où l'accusation est portée après l'expiration du délai d'un an, qui devrait d'ailleurs être ramené à six mois — il y aura là un autre amendement à apporter — le soldat qui est accusé n'a plus la faculté de choisir le type de cour martiale devant laquelle il sera traduit.
Bgén Watkin : Je vous remercie, sénateur. Je ne vois pas très bien la jurisprudence à laquelle vous faites allusion. Il me faudrait consulter nos archives et voir à quelles époques sont survenues ces affaires.
Je suis en mesure d'affirmer que, depuis 2006, trois de nos quatre juges sont francophones et je serais, par conséquent, très surpris de voir qu'un problème se soit posé à cet égard. Je ne connais d'ailleurs aucun cas où ce problème se soit posé.
Le sénateur Baker : On en trouve pourtant dans la jurisprudence.
Bgén Watkin : Il faudrait que je me penche à nouveau sur la jurisprudence.
En ce qui concerne la procédure de mandamus, je ne figurais pas parmi les personnes nommées.
Le sénateur Baker : Je vois.
Bgén Watkin : C'est d'ailleurs un indice de la solidité de notre système et de l'indépendance du service des avocats de la défense et du directeur des poursuites militaires. Cela concernait un acte d'accusation classé secret et un certain nombre de questions préliminaires. La question a été portée devant la Cour d'appel fédérale. Je suis en mesure de vous dire que la question a été réglée non seulement en ce qui concerne cette affaire précise, mais également pour l'avenir.
En ce qui concerne le libellé de l'article en question, si j'ai dit « et » et non pas « ou », c'était manifestement par erreur.
Le sénateur Baker : Vous avez employé le mot qui aurait dû se trouver dans le texte.
Bgén Watkin : Il me faudrait revoir le texte et réfléchir à cela. En ce qui concerne la rédaction législative, je dois dire que, d'après moi, il s'agit d'un art plus que d'une science, et les normes applicables évoluent avec le temps. Si la rédaction pose un problème, il convient d'en faire état et de le corriger par un amendement corrélatif. Si je comprends bien, ce que nous avons voulu faire, c'est donner à la cour la faculté d'opter pour l'une ou l'autre des deux peines.
Pour ce qui est de la procédure sommaire et de l'imposition d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans, notre intention était de calquer le système militaire sur le système civil. Pour ce qui est des peines pouvant être imposées par un juge seul sans que l'accusé ait la possibilité de choisir son type de procès, cela ne concerne que les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Pour les infractions à option de procédure, l'accusé a, comme devant les tribunaux civils, la possibilité de choisir, sauf en cas d'infractions où même le système civil n'accorde pas cette faculté. Il s'agit d'infractions passibles d'une peine d'emprisonnement à vie. Vous pouvez constater que, pour les infractions ne relevant pas des articles 130 et 132, la procédure civile et la procédure militaire sont analogues. Pour les infractions passibles d'une peine d'emprisonnement à vie, telle que la désobéissance à un ordre légitime, on retrouve à peu près les deux mêmes conditions que celles qui s'appliquent devant les tribunaux civils, de telles infractions étant d'ailleurs prévues au Code criminel. Je pense qu'il s'agit de l'article 495, mais je n'en suis pas certain.
Le sénateur Baker : Oui, effectivement, il s'agit de l'article 495 — l'arrestation sans mandat.
Bgén Watkin : Il s'agit d'infractions comprenant le meurtre, l'homicide involontaire et les actes de piraterie. Cela se trouve à l'article 469. Devant les tribunaux civils, de telles infractions seraient jugées par un jury, la formation analogue devant la justice militaire étant le comité d'une cour martiale générale. Comme devant les tribunaux civils, l'accusé a, en droit militaire, la possibilité d'être traduit devant un juge seul, c'est-à-dire, dans notre système, devant une cour martiale permanente. Pour cela, il faut l'accord du directeur des poursuites militaires comme, dans le système de justice civile, il faut l'accord du procureur général. Si j'ai bonne mémoire, il s'agit, là encore, d'une recommandation de l'ancien juge en chef Lamer.
Le sénateur Bryden : Pourriez-vous nous dire si, d'après vous, le projet de loi C-60 permet d'atteindre, ce qui, d'après moi, était un des principaux objectifs proposés par le juge en chef Lamer. Je passe sur le début de la citation.
Le groupe de travail aurait pour objectif de créer un système à deux paliers dans lequel la cour martiale générale connaîtrait des infractions graves et la cour martiale permanente des infractions mineures, sans aucune distinction fondée sur le grade.
Le projet de loi C-60 prévoit-il encore des distinctions fondées sur le grade? Je sais que le texte répond aux deux premières conditions.
Bgén Watkin : Non, il n'y a plus de distinction fondée sur le grade compte tenu des amendements qui ont été apportés. Je crois que vous venez de citer la recommandation 23 du rapport Lamer.
Le sénateur Bryden : C'est bien cela.
Bgén Watkin : Nous avons répondu pour l'essentiel aux objectifs proposés par l'ancien juge en chef Lamer, même si nous l'avons fait de manière légèrement différente. Ainsi, par exemple, selon sa recommandation, les civils auraient pu être traduits devant ces deux types de cours martiales, soit devant un juge statuant seul, soit devant un juge accompagné d'un comité alors que, selon la recommandation formulée, ce dispositif aurait pu être employé aussi bien dans le cas d'une cour martiale permanente que dans le cas d'une cour martiale générale.
Le sénateur Bryden : Estimez-vous, par conséquent, que selon les dispositions du projet de loi C-60, un général et un simple soldat accusés d'une même infraction vont avoir droit à un traitement identique et équitable.
Bgén Watkin : J'estime que oui.
La présidente : Merci, brigadier-général Watkin.
Nous avons de la chance d'accueillir maintenant comme témoin Lynn Larson, une avocate qui a collaboré avec feu Antonio Lamer, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, à la préparation et à la rédaction de son rapport sur la justice militaire. Ce rapport, cité à de nombreuses reprises, a été publié en septembre 2003.
[Français]
Mme Larson devait comparaître avec sa collègue, Mme Catherine McKenna, qui malheureusement a été retenue à cause de difficultés de voyage. Elle n'a pas pu être avec nous, mais nous sommes ravis que Mme Larson ait accepté de comparaître devant nous.
Je crois que vous avez une déclaration à faire, madame Larson.
[Traduction]
Nous vous invitons donc à présenter votre exposé, et après cela nous passerons aux questions.
Lynn Larson, avocate, à titre personnel : Permettez-moi, avant de commencer, de remercier de son aide Jessica Richardson, la greffière du comité. J'ai été surprise d'être conviée à prendre la parole devant vous, et je tiens donc à remercier le comité de m'avoir invitée. Vous remarquerez que, dans mon exposé, j'emploie le terme « nous ». Ce n'est pas que j'associe à mon propos une amie imaginaire. Catherine devait m'accompagner aujourd'hui et avait en effet un certain nombre de choses dont elle aurait souhaité vous faire part. Malheureusement, ainsi que madame la présidente l'a expliqué, elle a eu un empêchement.
Je m'appelle Lynn Larson et je suis avocate. Je tiens à remercier le comité de cette occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Catherine McKenna et moi-même avons toutes les deux eu la chance de travailler aux côtés du regretté juge en chef Lamer dans le cadre de l'étude qu'il a menée en 2003 sur les dispositions et l'application du projet de loi C-25. Par souci de concision, je parlerai simplement du rapport Lamer.
Ma collaboration avec l'ancien juge en chef Lamer a débuté alors que j'étais stagiaire en droit, puis s'est poursuivie lorsque je suis devenue sa collaboratrice. Dans ce travail, mes fonctions comprenaient la recherche, l'organisation des visites aux bases militaires, les rencontres avec les parties intéressées et, en fait, toutes les tâches que l'ancien juge en chef Lamer souhaitait me confier. Mme McKenna a exercé, auprès du juge en chef Lamer, les mêmes fonctions que moi.
Permettez-moi de préciser d'emblée que je ne suis spécialiste ni du droit pénal ni du droit militaire, et que je ne saurai en conséquent dire dans quelle mesure les recommandations du rapport Lamer ont été ou sont en train d'être mises en œuvre. Cela dit, je répondrai volontiers aux questions que vous voudrez me poser à cet égard. Il y a maintenant plus de cinq ans que le rapport Lamer a été déposé au Parlement, le 5 novembre 2003. L'ancien juge en chef Lamer est, comme vous le savez tous, décédé le 24 novembre 2007. C'est très volontiers que je peux vous donner des détails concernant le déroulement des travaux et l'approche retenue par le juge en chef Lamer dans la rédaction de son rapport et l'élaboration de ses recommandations. Je suis également en mesure de situer un peu le contexte entourant les recommandations qui paraissent les plus pertinentes au niveau de votre examen du projet de loi C-60. Je tiens cependant à dire que le rapport est assez explicite et que je n'entends pas faire dire au juge Lamer quelque chose qu'il n'aurait pas effectivement dit.
Permettez-moi d'abord de préciser un peu le contexte dans lequel a été rédigé ce rapport. Contrairement à d'autres rapports sur la justice militaire, tel que celui qui a fait suite à l'enquête sur les événements en Somalie, le rapport Lamer n'a pas été occasionné par un événement dramatique. C'est simplement que le ministre de la Défense nationale a éprouvé le besoin d'une étude indépendante des dispositions et de l'application du projet de loi C-25. A priori, la tâche paraît simple, mais cela n'a pas en fait été le cas. Le projet de loi C-25 traitait de diverses questions, mais l'un des principaux domaines d'examen était le système de justice militaire. Le projet de loi C-25 apportait à ce système un certain nombre de changements importants afin de corriger les lacunes et établir, notamment, des normes précises permettant de distinguer nettement entre les enquêtes, les poursuites, la défense et la fonction juridictionnelle proprement dite. L'ancien juge en chef Lamer s'est ensuite penché sur les dispositions tendant à ces résultats et plusieurs des recommandations qu'il a formulées devaient permettre d'améliorer encore davantage l'administration de la justice militaire.
Le ministre de la Défense nationale a donné au juge en chef Lamer plein accès aux employés du ministère de la Défense nationale, aux officiers et militaires du rang de tous grades, ainsi qu'à toute l'information utile à cette étude. Le juge en chef Lamer a opté pour une approche consultative car il espérait qu'en faisant part de ses préoccupations aux personnes intéressées et en leur donnant l'occasion soit d'adopter des mesures correctives, soit de lui expliquer pourquoi ses préoccupations n'étaient pas justifiées, on parviendrait à régler les difficultés relevées dans le cadre de son étude. Pendant les six mois qui lui ont été accordés pour effectuer cette étude, le juge en chef Lamer a, à de multiples reprises, consulté le juge-avocat général, le directeur des poursuites militaires, le directeur du Service d'avocats de la défense, les juges militaires des Forces canadiennes, des soldats de tous grades, et de nombreuses autres personnes ayant une connaissance particulière des domaines relevant du projet de loi C-25.
Des séances de travail ont également été organisées à diverses bases militaires, à Valcartier, Montréal, Comox, Esquimalt et Gagetown. En général, nous organisions, le matin, des tables rondes avec les personnes chargées de la justice militaire, et l'après-midi, des réunions confidentielles avec ceux qui souhaitaient s'entretenir avec nous. Le juge en chef Lamer a également reçu et étudié les nombreux mémoires qui lui ont été envoyés. Il avait, en effet, fait publier dans La Feuille d'érable, le journal des Forces canadiennes, ainsi que certains journaux publiés sur les bases, un appel dans lequel il sollicitait les observations des intéressés.
On peut dire que le juge en chef Lamer considérait que, en raison des changements introduits par le projet de loi C-25, le Canada pouvait désormais s'enorgueillir d'un système de justice militaire solide et équitable. Cela dit, et comme l'indiquent les recommandations déjà formulées, le juge en chef Lamer estimait que le système de justice militaire pouvait tout de même être amélioré tout en tenant compte du fait que ce système devait être en mesure de fonctionner à l'étranger dans des circonstances difficiles, en milieu hostile, voire en pleine guerre. Selon le juge en chef Lamer, une justice militaire qui est indépendante est la marque d'une justice militaire équitable et nous pouvons affirmer que c'est là un des principes qui l'ont inspiré lors de la formulation de ces recommandations.
J'avais initialement pensé reprendre devant vous quelques-unes des recommandations qui me paraissent avoir en l'occurrence une pertinence particulière, mais comme nous sommes un peu à court de temps, nous pourrions peut-être passer directement aux questions.
La présidente : Il nous serait, je pense, utile de consigner votre avis au sujet des recommandations en question. Un de mes collègues me dit qu'il n'y en a que pour une page et demie et je pense que cela en vaudrait la peine. On peut toujours abréger un peu.
Mme Larson : Le juge en chef Lamer prônait la modernisation des types de cours martiales prévues par la Loi sur la défense nationale, ainsi que de leurs compétences. Il recommandait notamment que le groupe de travail envisage de créer un système simplifié à deux paliers dans lequel la cour martiale générale connaîtrait des infractions graves et la cour martiale permanente des infractions mineures, sans aucune distinction fondée sur le grade.
N'oublions pas qu'avant le projet de loi C-60, le directeur des poursuites militaires avait à choisir le type de cour martiale qui allait être convoquée et qu'il existait à l'époque quatre types de cours martiales entre lesquels existaient des différences quant à la compétence pour connaître d'une affaire selon le grade de l'accusé, la composition de la cour et le pouvoir d'imposer les diverses sanctions prévues. Le juge en chef Lamer voulait encourager le ministère de la Défense nationale à mettre en place un système simplifié qui éviterait à la fois les redondances et la confusion, et accorderait à tous les grades des Forces canadiennes une égale protection tout en accroissant la protection accordée à l'accusé. Il s'agit là de la recommandation 23, qui se trouve à la page 38 de son rapport.
Selon la recommandation 24, qui se trouve à la page 39, la cour martiale devait rendre son verdict, que ce soit de culpabilité ou de non-culpabilité, à l'unanimité. Le juge en chef Lamer relevait que, historiquement, les décisions rendues à la majorité ne laissent que peu de place à l'appréciation des faits et que, lors des délibérations du comité, l'opinion de la minorité a moins de chances d'être exprimée et son point de vue risque, par conséquent, d'être ignoré.
Selon la recommandation 25 du juge en chef Lamer, la personne accusée d'une infraction grave devrait avoir la faculté de choisir entre un procès devant un juge militaire seul et un procès devant un juge militaire et un comité. Le juge en chef Lamer estimait notamment que le régime en vigueur à l'époque, ultérieurement mis en cause dans le cadre de l'affaire Trépanier, donnait à l'accusation plutôt qu'à l'accusé la possibilité de choisir entre un procès devant un juge militaire seul et un procès devant un juge militaire et un comité alors que nos recherches n'avaient révélé aucune raison d'ordre militaire justifiant cela. Il relevait que, selon les statistiques du ministère de la Défense nationale, la grande majorité des affaires étaient entendues par un juge militaire seul. Des 220 procès qui avaient eu lieu entre le 1er septembre 1999 et le 31 mars 2003, quatre seulement avaient eu lieu devant un juge et un comité. Selon le juge Lamer, lorsqu'il faut choisir entre, d'une part, la commodité et, d'autre part, la sûreté du verdict et le traitement équitable de l'accusé, ce sont les facteurs favorables à l'accusé qui doivent l'emporter.
Je vous remercie de m'avoir fourni l'occasion de prendre la parole devant vous. C'est très volontiers que je répondrai à vos questions.
La présidente : Merci, madame Larson.
Le sénateur Nolin : Avez-vous sous les yeux une copie du rapport Lamer?
Mme Larson : Oui.
Le sénateur Nolin : Puis-je vous demander de porter votre regard sur la recommandation 52, qui concerne la refonte des dispositions concernant la détermination de la peine. Vous souvenez-vous d'en avoir discuté avec le juge Lamer? Cette recommandation répond, bien sûr, au souci de simplifier la procédure applicable, mais y a-t-il autre chose?
Mme Larson : Un souci de simplification, oui, mais aussi le nombre important de civils travaillant au sein des forces militaires.
Le sénateur Nolin : Qu'entendiez-vous, tous les deux, par le mot « simplifier »?
Mme Larson : Je ne suis pas certaine de ce qu'il entendait par cela.
Le sénateur Nolin : Il y a les membres des Forces régulières, les réservistes et les civils. S'agissait-il de cela, ou la simplification devait-elle s'appliquer à autre chose?
Mme Larson : J'entendais par simplification une justification précise de la composition du comité et des choix offerts à l'accusé, mais aussi des principes clairs concernant la détermination de la peine. Tout cela pose en effet aux civils des difficultés particulières. Il y a des peines que les juges militaires ne sont pas à même de prononcer, et cela crée des difficultés lorsque l'accusé est un civil. Nous avons vu, plus tôt, que même les dispositions du projet de loi C-60 ne prévoient que la possibilité d'imposer une amende ou une peine de prison. Le juge en chef Lamer s'inquiétait notamment dans son rapport du fait qu'un civil ou un réserviste qui se voit imposer une peine de prison risque de perdre son emploi civil. Je pense qu'il souhaitait que l'on élargisse et améliore l'échelle des peines.
Le sénateur Nolin : Avec un alignement intégral sur les peines auxquelles peuvent recourir les tribunaux civils?
Mme Larson : Je n'irais pas jusque-là. Nous n'avions que six mois pour mener cette étude. Vous pouvez constater que le rapport est très complet et qu'il porte sur de nombreux aspects de la justice militaire. Je pense que c'est pour cela que le juge Lamer a employé cette expression, car il voulait qu'un comité puisse, au niveau de la peine, prendre en compte toutes les solutions possibles et écarter celles qui ne lui paraissaient pas adaptées.
Le sénateur Nolin : Vous souvenez-vous avoir évoqué avec le juge en chef Lamer la question de l'importance de la discipline?
Mme Larson : Oui, tout à fait. Le juge en chef Lamer était colonel honoraire. Il avait servi à Shilo (Manitoba), et comprenait parfaitement l'importance de la discipline.
Le sénateur Nolin : Ma question incite à réfléchir au sens que revêt la justice militaire, et à ce qu'implique le maintien de la discipline. C'est pour ça qu'au début, j'ai distingué entre les membres réguliers et les réservistes, entre les militaires et les civils qui travaillent au sein de nos forces. Le juge Lamer, lui, ne faisait pas cette distinction. Estimait-il que les différentes catégories de personnel devraient relever d'un système unique et d'un même régime disciplinaire?
Mme Larson : Il se serait agi d'un système unique, mais avec une échelle des peines élargie permettant de prendre en compte la différence, par exemple, entre les personnels civils et les militaires même au niveau de la perception des amendes.
Le sénateur Nolin : Merci. Il est tout à fait intéressant d'écouter un témoin qui nous permet d'aller au cœur de la réflexion.
La présidente : Elle fait effectivement une nette différence entre ce qu'elle sait et ce qu'elle ne sait pas.
Mme Larson : Oui, je suis formée à cela.
La présidente : C'est une excellente chose. Continuez à bien faire la distinction, car cela nous est extrêmement utile.
Mme Larson : Je vous remercie. Permettez-moi d'évoquer maintenant un sujet qui ne l'a pas été jusqu'ici. Je veux dire par cela que la composition des comités de cours martiales n'a aucunement changé. Il demeure une certaine distinction au niveau du comité puisque les officiers continuent à être jugés par des officiers, les militaires du rang étant jugés par un comité composé à la fois d'officiers et de militaires du rang. Cela me semble conforme aux exigences de la discipline, car il serait en effet délicat de voir un officier jugé par un militaire du rang.
Le sénateur Baker : Je tiens à aborder deux seulement des recommandations du juge en chef Lamer. Je n'allais qu'en évoquer qu'une, mais le brigadier-général a, tout d'un coup, fait allusion à l'article 495 du Code criminel, qui traite des arrestations sans mandat. Il faisait en fait allusion à l'article concernant le meurtre au premier degré et le meurtre au second degré. J'ai consulté le rapport du juge en chef Lamer et je constate qu'il s'agit de la recommandation 32.
Or, cette recommandation n'a pas été appliquée et je doute fort qu'elle ait été acceptée par les militaires. D'après cette recommandation, le paragraphe 495(2) du Code criminel devrait, pour l'essentiel, être repris en droit militaire. Cette disposition interdit à un agent de la paix d'arrêter, sans obtenir au préalable un mandat, une personne ayant commis une infraction mixte à moins que la personne en question soit prise en flagrant délit ou que cette arrestation soit nécessaire afin d'identifier la personne, eu égard aux circonstances, ou à moins que cette personne ait commis un acte criminel. Le brigadier-général n'a pas parlé de la recommandation 32, mais il est clair qu'elle n'a pas été reprise en droit militaire.
Mme Larson : J'ai trouvé intéressante la question que le sénateur Bryden a posée au sujet des dispositions qui ont ou non été appliquées. Ce n'était pas du tout une question piège. J'avais, juste avant, demandé que l'on me confirme les dispositions qui avaient été modifiées, car tout cela remontait à cinq ans et je n'étais plus très sûre de ce qu'il en était.
Je suis certaine que cette disposition n'a pas été modifiée et plusieurs autres des recommandations formulées par le juge en chef Lamer — celles qui prônent, par exemple, l'établissement d'une cour militaire permanente — n'ont pas été intégralement mises en œuvre, mais plusieurs des mesures prises vont tout de même dans ce sens.
Le sénateur Baker : En partie. Autrement dit, il serait dorénavant possible de porter une requête devant un juge statuant à titre provisoire avant d'être officiellement saisi de l'affaire.
Mme Larson : C'est bien cela.
Le sénateur Baker : Car une cour martiale n'est compétente qu'à l'égard d'un dossier précis.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi un rappel au règlement. Je suis désolé de devoir interrompre le sénateur Baker, mais l'article 25 du projet de loi C-45, prévoit la modification de l'article 155 de la Loi sur la défense nationale. Pourtant, selon vous, cette disposition n'a pas été modifiée.
Mme Larson : Le projet de loi C-45 est mort au Feuilleton, et cette disposition n'a donc pas été mise en œuvre.
Le sénateur Joyal : Vous dites qu'elle n'a pas été mise en œuvre, mais cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas été acceptée. Dans la question que j'adressais au ministre, j'ai fait la distinction, en rappelant que les mesures qui ont été acceptées n'ont pas nécessairement été appliquées.
Le sénateur Baker : Certes, mais le juge en chef Lamer avait dit aussi que les articles 155 et 156 devraient être remplacés par le paragraphe 495(2) du Code criminel.
Le sénateur Joyal : Mais l'article 26 modifie aussi l'article 156. Je n'insiste pas.
Le sénateur Baker : Laissez-moi poser ma question. Le sénateur Joyal a parfaitement raison et j'ai tort. Enfin, non, je n'ai pas tort.
La présidente : Eh bien tant mieux, sénateur Baker. Continuez.
Le sénateur Baker : Ma question porte sur une chose que le juge en chef Lamer avait approuvée, le délai de prescription d'un an. Son raisonnement, comme l'a dit le sénateur Nolin, était qu'une des exigences en matière de discipline est que la sanction soit appliquée sans retard et que les infractions mineures, sans complexité, soient jugées sommairement. S'il avait approuvé cela, pourquoi n'aurait-il pas accepté un délai de six mois?
Mme Larson : Je ne peux pas lui demander. Je ne sais pas pourquoi il n'avait pas proposé six mois.
Le sénateur Baker : Je vais vous proposer une réponse. Voici ce qu'il dit dans le paragraphe précédent :
Selon certains membres des FC, les accusés devraient pouvoir renoncer au délai de prescription, car il est possible qu'ils préfèrent être jugés sommairement même après ce délai.
La raison est que, si l'on attend l'expiration du délai d'un an, on n'a pas le choix, on doit juger l'accusé en cour martiale, même si l'infraction aurait été jugée sommairement si le procès s'était tenu avant l'expiration du délai.
Mme Larson : N'explique-t-il pas ensuite la raison pour laquelle cela n'était pas une raison impérieuse?
Le sénateur Baker : Non.
Mme Larson : C'est à quelle page?
Le sénateur Baker : C'est à la page 59, recommandation 43, dans le texte que j'ai sous les yeux, en tout cas. Il dit ensuite que :
Le rapport du JAG indique que le délai d'un an est nécessaire pour réaffirmer l'importance de prendre des mesures disciplinaires avec célérité...
Le problème est qu'il mélange les torchons et les serviettes, car ce que lui disaient les gens des Forces canadiennes, c'est qu'ils n'avaient pas le choix. Une fois que l'accusation est portée pour une infraction mineure, parce que le délai est expiré, ils ne peuvent retourner à la procédure sommaire qu'ils auraient dû employer dès le départ. Pourquoi ne voudraient-ils pas juger l'accusé en cour martiale? Est-ce parce que, selon le Code criminel, on fait aujourd'hui un prélèvement d'ADN pour beaucoup de ces accusations, par exemple de voies de fait causant des lésions corporelles? On est alors touché par des dispositions qui ne s'appliqueraient pas à un procès sommaire.
Le juge en chef Lamer semble — et je dis bien « semble » — avoir peut-être mal interprété ce que lui disaient les officiers des Forces canadiennes. Comme l'ont dit les autorités de la Défense nationale à une autre réunion, c'était une excellente chose pour eux de pouvoir choisir. Toutefois, ils ne peuvent pas faire le choix qu'ils devraient pouvoir faire, c'est-à-dire le choix de la disposition en vertu de laquelle porter l'accusation.
Mme Larson : Je parlais de la ligne qui précède sa recommandation :
Je crois qu'une fois qu'un accusé a été forcé d'attendre un an pour avoir son procès, si un tel procès a lieu, la cour martiale devrait être convoquée afin que l'accusé jouisse des garanties procédurales et juridiques qu'elle offre.
Cela indique qu'il avait réfléchi à la question. Toutefois, je le répète, c'était il y a cinq ans, alors que j'étais stagiaire dans son cabinet. Mais je pense qu'il y avait réfléchi.
Le sénateur Baker : Un procès civil aurait été préférable? Je ne crois pas.
La présidente : Je conclus de ce que vous venez de dire qu'il estimait que l'accusé, après une année complète, serait mieux servi.
Mme Larson : Exactement. Oui. C'est exactement ce qu'il avait dit.
La présidente : Très bien.
Le sénateur Angus : Merci d'être venue aujourd'hui, Mme Larson.
Je ne sais pas si c'est ressorti des questions du sénateur Nolin mais il y avait à mes yeux un élément fondamental dans ce que faisaient le juge en chef Lamer et ses assistants : examiner la loi pour voir si elle était conforme à l'objectif visé, si elle était efficace et s'il fallait proposer des améliorations. Le rapport a été préparé, et c'est un excellent rapport, que beaucoup d'entre nous avons lu et cité, et tout a ensuite volé en éclats avec l'affaire Trépanier. Comment se peut-il que cette loi qui existait depuis tant d'années et en vertu de laquelle tant de personnes avaient été jugées fut soudainement considérée comme contraire à la Charte à cause d'un arrêt de la Cour d'appel de la cour martiale?
Durant votre examen de la loi, ne vous est-il jamais arrivé de penser que quelque chose n'allait pas, qu'il y avait des circonstances dans lesquelles cette loi pourrait être contraire à la Charte et qu'il faudrait peut-être y remédier? Croyez-vous que les juges ont conclu que l'affaire Trépanier était tellement particulière que personne n'y avait jamais pensé auparavant?
Mme Larson : Non. J'attire votre attention sur une affirmation qui revient souvent dans le rapport du juge en chef Lamer et qui est que toutes les parties concernées « doivent continuer de s'efforcer d'offrir un meilleur système et non simplement un système dont la constitutionnalité ne peut être contestée ». Je comprends que d'aucuns ont exprimé un certain intérêt à l'égard de son opinion concernant Dickson et les recommandations de Dickson, et leurs relations avec le rapport Lamer, et avec R. c. Généreux, et comment sa décision dans Généreux concorde avec ses propres recommandations. Je peux simplement dire qu'il s'efforçait sincèrement de faire de son mieux pour les militaires. Il ne pensait pas que nous serions très utiles aux Forces canadiennes si nous ne leur accordions que quelque chose qui pourrait, dans certaines circonstances, tout simplement être invalidé sur le plan constitutionnel. Ce qui me ramène à cette citation.
Le sénateur Angus : J'ai moi aussi essayé de comprendre cette citation. Quoi qu'il en soit, si je comprends bien la manière dont tout cela s'est déroulé, et considérant ce que je savais de feu le juge en chef Lamer, tout comme vous, ne croyez-vous pas qu'il aurait été extrêmement surpris par cet arrêt?
Mme Larson : L'arrêt Trépanier?
Le sénateur Angus : Oui.
Mme Larson : Très surpris du jugement de la Cour d'appel de la cour martiale sur la disposition?
Le sénateur Angus : Surpris que la machine judiciaire se soit arrêtée. C'est cela qui a causé toute cette affaire et la session très spéciale du comité plénier du Sénat pour régler les 39 causes pendantes au printemps dernier. Je sais que d'aucuns estiment que le gouvernement n'a peut-être pas choisi la solution la plus facile, mais il a fait ce qu'il a fait parce qu'il pensait que les quatre recommandations Lamer devaient être mises en œuvre immédiatement et que ce projet de loi devait être adopté.
Nous en sommes maintenant à l'examen du projet de loi.
La présidente : En effet.
Mme Larson : Mais je ne suis pas sûre qu'il n'y avait pas d'autres solutions, comme l'a dit le sénateur Milne. Certes, je le répète, je ne suis pas une experte de la chose militaire mais j'ai lu l'arrêt Trépanier. Le juge Létourneau a fait des propositions.
Le sénateur Angus : Oui, une autre solution.
Mme Larson : Mais il aurait été souhaitable que le projet de loi soit adopté. Le projet de loi C-7 est mort au Feuilleton, tout comme le projet de loi C-45. Quand on m'a demandé de venir vous parler du projet de loi C-60, j'ai eu bien du mal à retourner en arrière afin de bien comprendre l'objectif visé par le projet de loi C-60 et de voir s'il est censé concorder avec le projet de loi C-45.
Le sénateur Angus : Je crois que vous voyez où je voulais en venir.
La présidente : Veuillez conclure, sénateur Angus.
Le sénateur Angus : Je m'y apprêtais. Si le juge Lamer — et c'est un gros « si » — et vous-même aviez conclu qu'il y avait un risque que la situation de Trépanier se produise, vous auriez probablement levé le drapeau rouge pour signaler au MDN qu'il devrait faire quelque chose afin d'éviter les difficultés.
Mme Larson : Oui. C'est exactement ce qu'il a fait avec les recommandations de son rapport. Il a souligné que l'on devrait offrir le choix à l'accusé. S'il était ici aujourd'hui, je crois qu'il serait surpris de constater que, cinq ans plus tard — au moment même, d'ailleurs, où un autre examen du projet de loi C-25 est sur le point de commencer, si je ne me trompe — nous discutons encore de son rapport. Je crois qu'il s'attendait à ce que les recommandations soient mises en œuvre avec plus de célérité.
Le sénateur Angus : Quand vous dites le projet de loi C-25, c'est celui qui est ensuite devenu le projet de loi C-45, n'est-ce pas? Ce n'est pas le même?
Le sénateur Nolin : Non.
Des voix : Non.
La présidente : C'est pourquoi le sénateur Joyal a dit au ministre que la prochaine version devrait être déposée d'abord au Sénat.
Le sénateur Nolin : Au fait, l'examen a été modifié ici.
Le sénateur Angus : J'entends bien.
Le sénateur Joyal : Nous l'avions demandé à l'époque.
Le sénateur Nolin : Nous étions d'accord. Quelle merveilleuse idée.
La présidente : La mémoire institutionnelle est une chose merveilleuse.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de votre témoignage, qui nous sera très utile pour formuler nos recommandations.
Puis-je conclure que les recommandations 23 et 25 auraient été mises en œuvre par le truchement du projet de loi C-60, mais pas la recommandation 24? En fait, je la trouve à l'article 53 du projet de loi C-45. C'est la recommandation sur l'unanimité.
Pouvez-vous confirmer que, selon vous et considérant ce que vous savez du sens des recommandations 23 et 25, cela aurait été réglé par le projet de loi C-60?
Mme Larson : Les recommandations 23 et 25?
Le sénateur Joyal : Oui.
Mme Larson : Oui.
Le sénateur Joyal : Je ne veux pas vous faire dire ce que vous ne voudriez pas dire. Je veux simplement m'assurer que nous comprenons le sens de vos remarques car, selon moi, la recommandation 24 n'était pas prise en compte dans le projet de loi C-60 parce que le projet de loi C-45, à l'article 53, modifiait l'article 192 en demandant que le juge qui préside libère le comité d'appel s'il n'y a pas d'unanimité.
Autrement dit, la recommandation figure dans un projet de loi qui n'a pas encore été adopté. Si nous formulons des recommandations dans notre rapport et voulons tenir compte de la recommandation 24, nous devrons réitérer l'importance d'inclure l'article 53 du projet de loi C-45 dans notre rapport, car il traite de cette question d'unanimité.
Mme Larson : Dans ma version du projet de loi qui a reçu la Sanction royale le 18 juin, l'unanimité est prévue aux dispositions 192, 191(1) et 192(2) mais au sujet de l'inaptitude à subir un procès.
Le sénateur Joyal : C'est le paragraphe 192(1), je crois.
Mme Larson : Exactement. Mon interprétation du paragraphe 192(2) est qu'il porte sur l'unanimité.
Le sénateur Joyal : Donc, cette question est réglée.
Je répète ma question, Mme Larson.
La recommandation 24 dont vous parlez dans votre mémoire a été mise en œuvre par l'article 14 du projet de loi C-60 qui modifiait les articles 191 et 192, et cetera.; en particulier, selon mon interprétation, les paragraphes 1 et 2 de l'article 192.1 sont inspirés de la disposition similaire du projet de loi C-45.
Mme Larson : Exact.
Le sénateur Joyal : Je répète la question : considérez-vous que les trois recommandations ont été mises en œuvre dans le projet de loi C-60?
Mme Larson : À mon avis, oui, mais je répète que cela remonte à cinq ans et que je ne suis pas une spécialiste du droit militaire. Lors de mon examen des recommandations du rapport et du projet de loi, j'ai conclu qu'elles avaient été mises en œuvre.
Le sénateur Joyal : Une dernière question. Nous avons appris aujourd'hui, en réponse à une question, que la recommandation 49 du rapport n'a pas été acceptée. À la recommandation 49 de son rapport, l'ex-juge en chef Lamer recommande que les Ordonnances et règlements royaux soient modifiés afin d'exiger que les dépositions des témoins soient communiquées à la défense au plus tard au moment du prononcé de la mise en accusation et non pas simplement avant le début du procès en cour martiale.
Cette recommandation devait permettre d'assurer à l'accusé le même accès aux dépositions des témoins que celui dont bénéficie l'accusé dans le système civil. À votre avis, pourquoi cette recommandation aurait-elle été rejetée?
Mme Larson : Je suis désolée, sénateur, je ne me sens pas autorisée à répondre à cette question.
Le sénateur Joyal : Dites-moi pour quelle raison vous l'avez proposée.
Mme Larson : Pourquoi le juge en chef Lamer avait formulé ces recommandations?
Le sénateur Joyal : Oui.
Mme Larson : L'explication se trouve dans le rapport. J'attire votre attention sur la page 67, où il s'explique sur l'arrêt Stinchcombe et les dépositions de témoins. Je ne saurais en dire plus.
Le sénateur Joyal : Ne pensez-vous pas que c'est un élément de réforme essentiel?
Mme Larson : Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que je ne suis pas une experte, que mon examen de cette question remonte à cinq ans et qu'il faut s'en remettre à ce que dit le juge en chef Lamer dans son rapport au sujet de l'arrêt Stinchcombe. C'était un éminent spécialiste du droit pénal. Je n'étais que stagiaire et je ne me sens pas habilitée à expliquer son raisonnement.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi de reformuler ma question.
Mme Larson : Je ne répondrai quand même pas.
Le sénateur Joyal : C'est votre privilège, en tant que témoin.
Le sénateur Baker : Vous êtes obligée de répondre.
La présidente : Ce comité n'est pas un tribunal.
Le sénateur Baker : C'est la même règle.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi d'être franc. Quand une personne est accusée, ce qui est quelque chose de grave, elle doit pouvoir préparer une défense complète et bénéficier des règles prévues dans le Code criminel pour ce faire.
La recommandation de l'ex-juge en chef Lamer concernant les déclarations des témoins est un élément très important pour la préparation d'une défense. Si elle n'est pas acceptée, et on nous a dit cet après-midi qu'elle ne le serait pas — c'est l'une des quatre qui sont rejetées —, ne pensez-vous pas qu'un accusé pourrait légitimement invoquer son droit constitutionnel à préparer une défense complète, en vertu de la Charte, et arguer qu'on ne lui a pas donné accès aux informations de manière adéquate pour qu'il puisse préparer sa défense?
Mme Larson : Je suis sûre que, si c'est possible, ça arrivera et qu'un nouveau projet de loi sera alors déposé. Je conviens avec vous que le juge en chef Lamer prenait très au sérieux les droits de l'accusé. Il a préparé son rapport en ayant à l'esprit sa longue expérience du droit pénal, dont il était un éminent spécialiste. Comme je l'ai déjà dit, quand il préparait son rapport, il lui aurait été difficile de dire lesquelles de ces recommandations seraient retenues, en tout ou en partie, et seraient mises en œuvre par le truchement du projet de loi C-45.
Je souligne que je n'ai eu qu'une semaine pour épousseter le rapport et revoir le projet de loi C-7 et le projet de loi C-45 afin de les comparer au projet de loi C-60. Me demandez-vous si je pense que c'était important, à ses yeux? La réponse est oui. Sinon, cela n'aurait pas fait partie de son rapport. Il a eu six mois pour procéder à un examen exhaustif du système de justice militaire. Je pense qu'il a fait un excellent travail et qu'il a dû, nécessairement, se concentrer sur les questions qui étaient à ses yeux de la plus haute importance. La question dont vous parlez figure dans le rapport. Est-ce que je pense qu'elle était importante à ses yeux? Absolument.
Le sénateur Milne : Mme Larson, au sujet des procès de civils devant un tribunal militaire, et comme il n'y a en réalité que deux verdicts possibles — l'acquittement ou la condamnation, avec amende ou emprisonnement —, le juge en chef Lamer a-t-il envisagé une forme quelconque de système de probation qui aurait rendu la procédure plus proche de celle d'un tribunal civil?
Mme Larson : Je sais, par exemple, qu'il avait réfléchi à la possibilité pour le condamné de purger sa peine par intermittence ou avec différentes options. C'est tout ce que je peux dire.
Le sénateur Milne : Savez-vous s'il avait envisagé cette possibilité et qu'elle ne s'est pas retrouvée dans le rapport?
Mme Larson : Je le répète, je pense que sa recommandation avait une large portée et qu'il estimait que les dispositions de la Loi sur la défense nationale relatives à la sentence devraient faire l'objet d'une révision globale. Étant donné les paramètres de son mandat et les limites de temps, il ne pouvait s'engager dans cette voie et s'est donc limité à dire : « Voici certaines faiblesses. Elles sont trop importantes pour le temps qui m'est imparti et dépassent les limites de mon mandat. Toute cette question mérite d'être revue de A à Z. »
La présidente : Nous allons devoir mettre fin à la séance, car certains sénateurs doivent se rendre dans d'autres comités. J'autorise cependant le sénateur Joyal à poser une dernière question.
Le sénateur Joyal : Je ne peux résister au désir de vous demander un avis général sur la teneur juridique du rapport puisque vous avez participé à sa rédaction ainsi qu'aux recherches qui l'ont précédé. D'autres témoins nous ont dit qu'ils le considéraient plus comme une réforme administrative que comme une refonte touchant la Constitution et la Charte des droits. Quel est votre avis à ce sujet? Pensez-vous que c'est simplement une proposition de réforme administrative ou qu'il y a dans ce rapport des éléments fondamentaux touchant des principes de droit essentiels dans le contexte de notre régime judiciaire?
Mme Larson : Je doute qu'on puisse demander à un ex-juge en chef d'entreprendre une telle révision et de produire un tel rapport sans qu'il réfléchisse à certaines questions fondamentales au sujet du droit et de la Constitution. Je trouve intéressant que certaines personnes disent que c'est simplement un rapport administratif. Si tel était le cas, je ne pense pas que cinq années se seraient écoulées et qu'il y aurait encore aujourd'hui autour de cette table un groupe de sénateurs réfléchissant au sens de certaines des recommandations.
Le sénateur Joyal : Merci, vous avez répondu à ma question.
Le sénateur Wallace : Je voudrais revenir sur la question du sénateur Milne au sujet des civils et de ce que le juge en chef Lamer avait en tête quand il a rédigé son rapport.
Avait-il envisagé que les civils jugés par un tribunal militaire seraient traités différemment, auraient des droits différents et feraient l'objet de recours ou de peines différents que les militaires eux-mêmes?
Mme Larson : C'est inévitable, car les militaires peuvent être sanctionnés par une réprimande, une rétrogradation ou d'autres types de peines.
Le sénateur Wallace : C'est exact.
Mme Larson : En ce qui concerne les civils, certaines peines n'auraient aucun sens si on les comparait aux peines prévues dans le code.
Le sénateur Wallace : Vous avez répondu à ma question.
La présidente : Merci beaucoup, madame Larson. Ce fut une séance extrêmement intéressante.
Mme Larson : Merci.
La présidente : Nous manquons toujours de temps, mais nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution et du travail que vous avez dû faire pour vous préparer à cette séance, car vous avez dû faire encore plus que les témoins habituels puisque vous avez dû remonter le cours de votre vie antérieure, pour ainsi dire.
Mme Larson : Oui.
La présidente : Nous vous en sommes très reconnaissants. Merci à tous.
(La séance est levée.)