Aller au contenu
 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 12 mars 2009


OTTAWA, le jeudi 12 mars 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni aujourd'hui, à 10 h 45, pour procéder à l'étude des dispositions et de l'application de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) et une loi en conséquence (L.C. 2008, ch. 29).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre examen des dispositions et de l'application de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (cour martiale) adoptée en juin dernier. Cette loi ayant été adoptée de façon expéditive, nous avions convenu à l'époque de soumettre ultérieurement le texte à un examen plus détaillé. Non seulement le ministre de la Défense nationale, à qui nous destinons les recommandations que nous jugerons utiles de formuler une fois achevé notre examen du texte, était-il d'accord sur ce point, mais il nous a même encouragés à procéder ainsi.

[Français]

Nous avons le plaisir d'accueillir comme témoins le lieutenant-colonel Jean-Marie Dugas, le directeur du service d'avocats de la défense, ministère de la Défense nationale, le capitaine de corvette, Pascal Lévesque, avocat de la défense, direction du service d'avocats de la défense et la capitaine de vaisseau, Holly MacDougall, directrice, poursuites militaires.

Bienvenue à tous. Je pense que vous connaissez la routine. On vous demande de faire une déclaration et on vous pose des questions et tout cela à l'intérieur d'une heure. Tout le monde va être très discipliné, n'est-ce pas?

[Traduction]

Nous allons, ce matin, devoir nous montrer rigoureux quant au temps de parole. Lieutenant-colonel Dugas, voulez-vous prendre la parole en premier?

[Français]

Lieutenant-colonel Jean-Marie Dugas, directeur, direction du Service d'avocats de la défense, Défense nationale : Madame la présidente, je suis le lieutenant-colonel Jean-Marie Dugas, directeur du service d'avocats du ministère de la défense nationale. M'accompagnent aujourd'hui le capitaine de corvette Pascal Lévesque, l'un des quatre avocats militaires affectés au service. Je pense qu'il sera d'un apport précieux puisqu'il a déposé sa thèse de maîtrise sur la justice militaire couvrant certains aspects du projet de loi C-60 et de certaines décisions de la Cour d'appel des cours martiales du Canada.

[Traduction]

Je tiens à vous remercier de votre invitation et de l'occasion qui nous est ainsi fournie de comparaître aujourd'hui devant le comité. Je pense que votre initiative en cela mérite d'être relevée. Nous avons beaucoup travaillé sur les contestations constitutionnelles qui ont abouti aux décisions de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada, reprises, en partie, dans le cadre du projet de loi C-60. C'est très volontiers que nous vous fournirons les éléments que vous souhaiteriez recueillir aux fins de cet examen.

[Français]

Alors que devant ce comité, la directrice des poursuites militaires et moi sommes assis à la même table, la réalité professionnelle quotidienne nous place à des tables différentes à la cour. Sans questionner la valeur des positions respectives, je peux énoncer que nos points de vue sont parfois diamétralement opposés, ma consœur représentant la Couronne, et nous, des militaires vivant des moments plutôt difficiles de leur carrière et souvent de leur vie personnelle et familiale.

[Traduction]

Et enfin, si les fonctions qui nous incombent dans le cadre d'une procédure en cour martiale sont définies avec netteté, je sollicite votre indulgence étant donné que notre comparution ici a quelque chose d'inusité et qu'il s'agit, tant pour le capitaine de corvette Lévesque que pour moi-même, de quelque chose de tout à fait nouveau. Les différences d'opinions par rapport à ce que peuvent dire ou penser certains de nos collègues ne doivent pas être interprétées comme des critiques à l'égard de leur travail et/ou de leurs efforts. Nous avons, naturellement, des points de vue et des expériences qui peuvent différer et le système de justice militaire nous permet, justement, de prendre conscience de ces différences d'optique. J'ajoute qu'il m'a été donné de discuter de certaines de ces questions avec feu le juge en chef Lamer à l'occasion de son examen de la Loi sur la défense nationale, et que cela m'a peut-être donné du système de justice militaire une vue différente, plus idéaliste.

[Français]

Il faut garder à l'esprit que les opinions que nous exprimerons ici représentent notre vision professionnelle d'avocat de la défense, avec nos imperfections, et non celle du gouvernement.

Encore une fois, un sincère merci pour votre confiance et l'honneur que vous faites à mon équipe et à moi.

[Traduction]

Ainsi que l'un d'entre vous l'a dit tout à l'heure, nous sommes tous ici à la recherche du même résultat, c'est-à-dire le meilleur système possible.

Capitaine de vaisseau Holly MacDougall, directrice, Service canadien des poursuites militaires, Défense nationale : Honorables sénateurs, je tiens à mon tour à remercier le comité de l'occasion qui m'est ainsi donnée de comparaître devant vous.

[Français]

J'ai été nommée directrice des poursuites militaires par le ministre de la Défense nationale le 16 janvier 2005. Mon mandat à ce poste a été renouvelé le 16 janvier 2009, pour une période additionnelle de quatre ans. À titre de directrice des poursuites militaires, j'exerce mes fonctions sous la direction du juge-avocat général, mais je remplis de manière indépendante mes devoirs et responsabilités.

La loi prévoit que la directrice des poursuites militaires prononce les mises en accusation des personnes jugées par les cours martiales et mène les poursuites devant celles-ci. La directrice des poursuites militaires a été autorisée, par le ministère de la Défense nationale, à interjeter appel des décisions des cours martiales auprès de la Cour d'appel des cours martiales et à le représenter dans les appels, incluant ceux devant la Cour suprême du Canada.

[Traduction]

Dans l'exercice de mes fonctions, je compte sur l'appui et la collaboration d'une équipe de procureurs militaires issus tant des forces régulières que des forces de réserve, assistée d'un personnel civil composé d'agents parajuridiques et d'agents de soutien. Cette équipe, qui constitue le Service canadien des poursuites militaires, est organisée sur une base régionale. Le siège se trouve ici à Ottawa. Il comprend, outre moi-même, deux directeurs adjoints, des avocats plaidant au nom des appelants, et un procureur militaire. Des bureaux régionaux des poursuites militaires, dont chacun comprend un procureur militaire appartenant à la force régulière, se trouvent à Halifax (Nouvelle-Écosse); à Valcartier (Québec); à Ottawa; et à Edmonton (Alberta). Il y a, en outre, dans diverses régions du Canada, neuf procureurs militaires issus de la force de réserve. Ce sont, en général, des procureurs principaux de la Couronne qui nous prêtent leur concours.

J'espère, tout comme le lieutenant-colonel Dugas, que l'incidence de l'affaire Trépanier sur le système de cours martiales, et plus précisément sur le Service canadien des poursuites militaires, et l'atténuation subséquente de cette incidence par l'adoption du projet de loi C-60 vous seront utiles dans le cadre de votre examen. La décision rendue le 24 avril 2008 dans le cadre de l'affaire Trépanier a jeté l'incertitude sur la procédure d'accusation en cour martiale. Cette décision a entraîné la suppression du seul pouvoir exprès de convoquer une cour martiale. Cette incertitude a été en outre renforcée par les décisions de trois cours martiales différentes, convoquées avant le 24 avril, et ayant adopté chacune une approche différente touchant la question du choix du type de cour martiale. Aucune cour martiale n'a été convoquée entre le 24 avril 2008 et le 18 juillet 2008, date d'entrée en vigueur des dispositions du projet de loi C-60.

Depuis lors, 41 cours martiales ont été convoquées, et la procédure d'accusation en cour martiale a retrouvé sa clarté et sa précision. Les dispositions du projet de loi C-60 n'ont, à ma connaissance, eu aucun effet défavorable sur les poursuites intentées devant la justice militaire, et n'ont notamment occasionné aucun retard. Je laisserai à mon collègue, le lieutenant-colonel Dugas, la question de savoir quelles pourraient être les incidences de ces dispositions au niveau de la défense.

Quarante-et-une cours martiales donc, ont été convoquées, depuis juillet 2008. De celles-ci, sept vont vraisemblablement être des cours martiales générales. Je dis bien vraisemblablement, car s'il est actuellement prévu qu'il s'agira de cours martiales générales, l'accusé a, bien sûr, pendant un certain temps, la faculté d'opter pour une cour martiale permanente. Cette proportion représente environ 17 p. 100 des cours martiales convoquées depuis lors. Si cette tendance se confirme, et je reconnais qu'il est un peu tôt pour en tirer des conclusions définitives, je ne pense pas que les dispositions du projet de loi C-60, qui accorde à l'accusé la faculté d'opter pour la procédure à la fois plus complexe et plus longue qui est celle des cours martiales générales, entraîneront pour le système des cours martiales de sensibles retards. On peut, dès maintenant, dire que l'adoption du projet de loi C-60 n'a, jusqu'ici, entraîné aucune augmentation du nombre de requêtes invoquant un retard contraire à l'alinéa 11b) de la Charte.

En ce qui concerne les modifications adoptées, dans le cadre du projet de loi C-60, à la suite de l'affaire Grant, c'est-à-dire les dispositions précisant qu'un accusé ne peut pas renoncer au droit d'être jugé par procès sommaire dans un délai d'un an, que la Cour d'appel de la cour martiale ne peut ordonner la tenue d'un nouveau procès que devant une cour martiale et que l'obligation de procéder dans les meilleurs délais, qu'impose le code de discipline militaire, ne naît qu'au dépôt de l'accusation, je n'ai connaissance d'aucune affaire dans le cadre de laquelle les modifications en question auraient fait l'objet d'une contestation. Il est encore trop tôt, donc, pour se prononcer sur les répercussions, s'il en est, des modifications adoptées dans la foulée de l'affaire Grant.

[Français]

Encore une fois, merci de l'occasion de comparaître devant le comité. Il me fera plaisir de répondre aux questions que vous aurez.

La présidente : Merci à vous tous.

[Traduction]

Sénateurs, pour des raisons indépendantes de notre volonté, le temps nécessaire à nos interventions nous est aujourd'hui strictement compté. Je demande donc aux sénateurs de faire preuve d'une grande concision. Nous ne disposons plus que de 50 minutes avec ce genre de témoins. C'est un peu gênant, je le reconnais, mais nous ne pouvons pas faire autrement. Je vous demande de m'en excuser.

[Français]

Le sénateur Nolin : Nous avons entendu quelques témoins déjà. On a lu avec beaucoup d'intérêt le rapport du juge Lamer et vous avez dit y avoir participé.

Le juge Lamer était intimement connaissant et compréhensif de la structure militaire et de la structure martiale de la justice militaire. Lorsqu'on lit tout cela et qu'on regarde les délais qui se sont échelonnés, c'est quand même étonnant que les avocats de la défense n'aient pas invoqué plus tôt ces arguments.

Cela a-t-il favorisé l'élaboration de vos stratégies de défense ou cela n'a-t-il rien changé?

Lcol Dugas : Je ne peux pas parler pour mes prédécesseurs à la défense. J'ai déclaré avoir travaillé avec le juge Lamer pendant deux jours et demi et à quelques autres reprises lorsqu'ils ont communiqué avec moi pour d'autres détails. Je suis au service d'avocat à la défense depuis 2003. Les propositions du juge Lamer étaient extrêmement progressives en termes d'amélioration de la Loi sur la défense nationale et tout le monde était sous le joug que cela se ferait probablement d'un mois à l'autre ou même à l'occasion, d'une semaine à l'autre.

Cependant, aucune de ces dispositions n'a été adoptée sauf sur le plan réglementaire et quelques-unes dans certains projets de loi. Suite au rapport Lamer, nous pouvons maintenant voir les dossiers. Les avocats ne sont pas les seuls à pouvoir décider si on peut amener devant le tribunal les dossiers, que ce soit en vertu de la Charte ou de dispositions qui auraient pu être améliorées. On s'est retrouvé avec des dossiers où, à l'occasion, l'accusé n'était pas intéressé, il voulait régler son histoire ou d'autres dossiers où cela ne s'y prêtait pas parce que les dispositions n'étaient pas favorables à une requête devant les tribunaux.

Le sénateur Nolin : C'est quand même une modification majeure d'un point de vue juridique, c'est quand même formidable que la Cour d'appel militaire ait tranché de cette façon. Est-ce que cela vous aide dans votre stratégie de défense ou cela ne change pas votre vie?

Lcol Dugas : Je ne peux pas parler de la stratégie de la défense. Est-ce que cela nous aide? Vous allez voir qu'il y a plusieurs dossiers. Certains d'entre vous lisent les décisions des cours martiales ou des cours d'appel. Certaines requêtes sont toujours là dans le choix de la sélection du comité parce qu'on a beaucoup de comités à la Défense nationale. À ce moment pour nous, c'est toujours entier.

Est-ce que la disparition de la cour martiale disciplinaire est une bonne chose pour les militaires? On est loin d'en être certain. Ce n'est probablement pas la solution qu'on aurait proposé. On sait que la Charte dit « sauf dans le cas des procès militaires ». Mais au moment où la Charte a été écrite, j'étais étudiant. J'assume qu'on tenait compte de tous ces types de cours martiales. Est-ce qu'il y a des choses qui s'en viennent?

Je n'ose pas aller trop loin parce qu'on a encore beaucoup de causes devant la Cour d'appel de la cour martiale aujourd'hui. Alors à ce moment-là, les requêtes que vous voyez dans nos dossiers de cour martiale sont toujours vivantes mais sous un autre volet.

La présidente : Une clarification. Est-ce que les cas qui sont actuellement devant la Cour d'appel de la cour martiale concernent des sujets impliqués dans cette loi-là?

Lcol Dugas : Selon les dossiers, peut-être un ou deux ont des conséquences parce que ce sont des dossiers qui ont procédé alors que la décision dans l'arrêt Trépanier avait été rendue. Et pour certains, la décision a été prononcée après la modification du projet de loi. Il y a effectivement une interaction avec l'arrêt Trépanier — parce qu'il y avait deux décisions impliquées dans l'arrêt Trépanier — et les modifications au projet de loi.

Le sénateur Joyal : J'ai deux questions, une pour M. Lévesque et une autre pour M. Dugas et Mme MacDougall, conjointement.

Monsieur Lévesque, vous faites une thèse portant sur la célérité de la justice militaire, selon les notes biographiques que vous nous avez remises. Est-ce que depuis l'adoption du projet de loi C-60, vous avez dû modifier le contenu de votre thèse?

Capitaine de corvette Pascal Lévesque, avocat de la défense, Direction du service d'avocats de la défense : En fait, j'ai été particulièrement chanceux académiquement parce que j'étais en fin de rédaction de thèse et cela s'est passé. J'ai dû l'inclure dans ma thèse. Évidemment, c'est à titre personnel que j'écrivais cette thèse, mais c'était dans un programme subventionné par les forces. C'était au moment de la décision Grant. Dans ma thèse, il y a une portion qui porte sur la décision Grant et, de mon point de vue, je trouvais que l'effet pratique d'avoir ajouté le mot « portée », lorsqu'une obligation est portée, c'est-à-dire de faire courir l'obligation d'agir avec célérité à partir du dépôt de l'accusation, cela vient un peu limiter la portée de l'arrêt Grant, qui avait été étendue par le juge Létourneau, qui parlait au nom de la cour. Cela limitait l'obligation d'agir avec célérité. Il l'avait étendue à la période précédant l'accusation. Je comprenais l'intérêt légitime d'avoir mis le mot « portée » parce que, quant aux résultats de Grant, on voulait faire en sorte de limiter le pouvoir du juge d'ordonner un procès sommaire. C'était peut-être, de leur point de vue, un pouvoir que le juge donnait aux autorités que la loi ne semblait pas leur donner. C'est pour cela qu'on a spécifié « portée ».

Cependant, l'effet pervers était de diminuer un peu la portée pré-inculpatoire de l'obligation d'agir avec célérité. En sachant cela, j'ai fait une recherche historique législative pour voir quelle était l'intention du législateur en 1950. J'ai alors vu que le mot anglais, « charge », ou accusation, avait le même sens, à l'époque, que le mot « dénonciation » dans le Code criminel aux articles 504, 505. Donc en 1950, la plainte, c'était le mot « charge » et à ce moment, le commandant devait enquêter avec célérité. C'était dans ce contexte.

Maintenant, on a évolué vers un système où l'accusation suit l'enquête policière ou l'enquête de l'unité. On garde le même mot, mais l'obligation de célérité s'est comme déplacée dans le temps.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Il s'agit de quelque chose d'important pour notre examen du projet de loi C-60 dans le contexte de l'affaire Grant. Je vous remercie de votre réponse.

[Français]

Lieutenant-colonel Dugas, vous êtes familier avec le système de cour martiale et de la Charte puisque vous venez de dire que vous avez été formé à l'époque de la Charte.

Lcol Dugas : Oui, sénateur, avec M. Beaudoin.

Le sénateur Joyal : Je vous regarde en souriant. À votre connaissance, est-ce qu'il y a des accusations qui font l'objet d'allégations de violation de la Charte dans les causes pendantes actuellement en cour martiale?

Lcol Dugas : Vous voulez dire si on a des causes actuellement devant le tribunal où on allègue...

Le sénateur Joyal : ... des dispositions de la Charte qui, selon vous, ne seraient pas respectées?

Lcol Dugas : Effectivement. D'abord, tout à l'heure, on a parlé de la cause de Middlemiss, où la défense considère que le fait de ne pas avoir la sélection d'un jury ou d'un comité qui reflète davantage l'esprit du Code criminel, c'est une grande problématique pour nous. Je sais et j'accepte que mes collègues aient un différent point de vue là-dessus. Nous croyons que si un soldat est assez grand pour s'enrôler dans les forces armées, il est assez grand pour voter, pour aller à la guerre, son devoir étant de se défendre et de tirer au besoin, et qui aurait le droit d'être sur un jury en matière civile, on a une certaine difficulté avec le fait que cet individu ne puisse pas être membre du comité. La divergence entre les grades des officiers a changé un peu mais demeure quand même toujours là.

Si j'allais à l'autre absurdité du règlement, cela voudrait dire que finalement, ce serait seulement les meilleurs officiers, si je veux avoir le meilleur panel et c'est l'expérience de ces gens, je devrais exiger que tous les colonels et les généraux soient sur les panels pour défendre les gens. Nous avons davantage une approche civiliste et cela augmente le bassin d'individus disponibles pour une cour martiale.

Le sénateur Joyal : Est-ce que le juge Lamer, dans son rapport, puisque l'avez rencontré, a commenté cette question ou vous l'aviez soulevée à l'époque avec lui?

Lcol Dugas : Il l'a commentée, mais malheureusement, même si j'ai relu le document récemment, ma lecture n'est pas aussi bonne qu'elle était il y a quatre ou cinq ans lorsque le rapport est sorti. Il avait mentionné que s'il n'y avait pas de motif ou de raison particulière pour faire différemment du Code criminel, à ce moment-là, on devrait être un peu un miroir ou un reflet du Code criminel.

Dans la disposition qui relevait du comité, il n'acceptait pas le fait qu'il y ait une telle divergence entre chacun des rangs et la représentativité pour un grade plutôt qu'un autre sur le comité.

Le sénateur Joyal : Vous invoquez donc l'application des dispositions de la Charte pour soutenir l'analyse que vous faites de la composition des panels tels que les règlements le prévoient.

[Traduction]

Nous avions demandé une copie de ce règlement. Si vous vous souvenez, nos premiers témoins étaient censés nous en fournir un exemplaire.

La présidente : Il semblerait que des exemplaires aient été envoyés hier.

[Français]

Le sénateur Joyal : Est-ce qu'il y a d'autres éléments de la Charte qui font l'objet d'allégations? D'autres poursuites, à votre avis?

Lcol Dugas : L'autre élément le plus important actuellement qu'on soulève, c'est évidemment l'article 139 de la Loi sur la défense nationale, à savoir que, encore une fois, pour nos militaires qui se battent pour la défense des droits, ils devraient normalement avoir, possiblement à tout le moins, les mêmes droits que les citoyens canadiens lorsqu'ils se présentent devant le tribunal. S'ils sont trouvés coupables et doivent recevoir une sentence. Vous avez fait allusion à la cause Middlemiss, par exemple, selon les nouvelles dispositions de la loi, compte tenu de la façon que cela se déroule, cet individu-là n'a pas le droit d'avoir une libération conditionnelle. C'est un élément important.

Il y a également d'autres dispositions de la loi qui sont un peu archaïques. On pourrait y revenir plus tard. On se disait que d'une fois à l'autre, cela serait changé, et la loi serait adoptée.

Vous savez, 200 $ aujourd'hui, ça ne veut rien dire. Il devient difficile pour un tribunal de simplement donner une amende de 200 $ et moins. Nos militaires en souffrent un peu. Dans la disposition sur les sentences, nous soulevons à peu près tous ces éléments.

La présidente : Est-ce que je peux vous inscrire, sénateur Joyal, pour une deuxième ronde?

Le sénateur Joyal : Oui.

La présidente : Je sais, c'est fascinant.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins. Le nom du lieutenant-colonel Dugas est connu de tous ceux qui sont au courant de la jurisprudence et, en ce domaine, le capitaine de corvette Lévesque a pris, ces dernières années, la relève. Depuis l'adoption des nouvelles dispositions, le capitaine de corvette Lévesque a eu l'occasion, dans trois ou quatre affaires portées devant les tribunaux, de contester leur constitutionnalité.

La décision rendue dans l'affaire Grant veut essentiellement dire que si justice avait été rendue conformément à ce que souhaitait le juge du procès, l'accusé n'aurait pas été traduit devant une cour martiale, mais aurait simplement été jugé dans le cadre d'un procès sommaire. Les délais prévus étant épuisés, cependant, l'accusation ne pouvait pas faire autrement — à moins de renoncer à porter une accusation — que de procéder par mise en accusation, ne pouvant plus, en effet, procéder sommairement. La Couronne a d'ailleurs reconnu que c'est effectivement ce qui s'est passé et que c'est pour cela que le juge en a décidé ainsi, afin que justice soit faite.

J'aurais une question à vous poser au sujet du projet de loi qui retient aujourd'hui notre attention. Ce texte contient une disposition permettant à l'accusé d'opter soit pour une cour martiale générale, soit pour une cour martiale permanente. Pourquoi ne pas y ajouter la faculté d'opter pour un procès sommaire? La solution paraît inusitée, mais la tenue d'un procès ne serait-elle pas le meilleur moyen de faire justice à nos soldats visés par une accusation. Il me semble curieux qu'on ait procédé ainsi simplement à cause de l'épuisement des délais.

La présidente : Qui souhaite répondre sur ce point?

Capc Lévesque : On pourrait, d'après moi, simplement supprimer le délai conditionnant la tenue d'un procès sommaire.

Le sénateur Baker : Deux solutions se présentent et j'aurais, sur ce point, deux questions à poser. D'abord, pourquoi un délai d'un an? Pourquoi ne pas fixer ce délai à six mois puisque, si je ne m'abuse, selon la Cour d'appel, l'instruction d'un procès prend quatre mois. Puisque quatre mois suffisent, pourquoi prévoir dans le texte un délai d'un an? C'est ma première question.

Deuxièmement, pourquoi ne pas donner à l'accusé la possibilité d'opter pour une instance inférieure, comme c'est le cas au civil? En effet, la personne accusée d'une infraction à une loi fédérale, telle que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, peut opter soit pour un procès devant la Cour suprême de la province, soit pour la cour provinciale. Pourquoi ne pas prévoir une telle faculté dans le projet de loi?

Lcol Dugas : C'est, effectivement, une des choses que nous avons envisagées. Je crois savoir qu'il n'y a dorénavant plus dans la Loi sur la défense nationale de disposition obligeant mes collègues à rechercher une condamnation au criminel plutôt qu'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. La Loi sur la défense nationale prévoyait auparavant certains délais de prescription que nous avons supprimés. Peut-être ces délais seront-ils réintroduits. Des délais plus courts pourraient être fixés si les poursuites étaient elles-mêmes intentées dans de plus brefs délais.

L'accusé, dans l'affaire Grant, a suscité pas mal de sympathie. La chaîne de commandement, tout comme l'accusé, aurait souhaité la tenue d'un procès sommaire. Une année s'est écoulée. Des changements ayant été apportés à la procédure applicable, tout ce qui avait été fait avant la mise en accusation devenait caduc, même s'il fallait attendre deux ans avant que n'ait lieu le procès. L'accusé allait donc devoir attendre longtemps.

La défense serait très heureuse de voir adopter les délais de prescription inscrits dans le Code criminel.

Le sénateur Baker : Un délai de six mois.

La présidente : Capitaine, quel est votre avis sur ce point?

Capt MacDougall : Étant donné que je fais partie de l'accusation, cette question n'est pas de mon domaine et je vais éviter de me prononcer sur des questions de principe. Mon rôle consiste à appliquer la loi. Je tiens à préciser que le fait d'accorder à l'accusé toute latitude pour formuler un nouveau choix me semble poser des problèmes sur le plan pratique. Permettez-moi de vous citer quelques exemples qui démontrent qu'une telle faculté ne conviendrait pas toujours.

Ainsi, toute affaire en instance depuis plus d'un an doit automatiquement être portée devant une cour martiale. Le dossier est donc systématiquement transmis à mon service qui décide s'il y a lieu ou non de porter l'accusation devant une cour martiale. Dans certaines affaires, en raison de la gravité de l'infraction, le commandant peut même avoir porté directement l'affaire devant une cour martiale.

Je précise à l'intention des honorables sénateurs, que dans certains cas, le fait de donner à l'accusé la possibilité d'effectuer un nouveau choix, sans tenir compte des circonstances où, de toute manière, l'accusé n'aurait jamais pu opter pour un procès sommaire, risque non seulement de soulever de graves difficultés, mais risque aussi d'offrir à l'accusé le moyen de limiter lui-même les sanctions qui pourront lui être imposées.

Le sénateur Baker : Je vais être très bref. Ce n'est pas ce que je propose. Ce que je dis, c'est que, sous sa forme actuelle, ce projet de loi précise les circonstances dans lesquelles une personne accusée peut être traduite devant une cour martiale permanente, ces conditions s'appliquant à des infractions de moindre gravité, c'est-à-dire, selon le texte même aux infractions passibles « d'une peine inférieure dans l'échelle des peines » n'est-ce pas? Il s'agit donc d'accusations relativement mineures.

Il doit bien y avoir moyen de prévoir le cas où une accusation donnée aurait normalement fait l'objet d'un procès sommaire, mais où, en raison de l'expiration des délais, l'affaire a été jugée en cour martiale. En pareille hypothèse, l'accusé devrait pouvoir choisir d'être traduit devant l'instance inférieure. Ce n'est qu'une simple suggestion de ma part. J'entends uniquement par cela que l'on devrait, en cas d'accusation de meurtre ou d'infraction de cet ordre, permettre à l'accusé d'opter pour un procès sommaire.

La présidente : Sénateur Baker, votre idée me semble claire.

Le sénateur Baker : Nous souhaiterions avoir des précisions supplémentaires.

La présidente : Capitaine, avez-vous quelque chose à ajouter sur ce point?

Capt MacDougall : Non.

La présidente : Qu'en est-il des avocats de la défense?

Lcol Dugas : Cela s'est effectivement produit, et l'affaire a été portée en Cour d'appel, mais ce genre de situation n'est pas fréquent.

La présidente : Sénateur Baker, je suis désolée, mais je dois passer la parole à vos collègues.

Le sénateur Milne : Je vais poser toutes mes questions en même temps et vous pourrez y répondre comme vous l'entendez. D'abord, l'adoption de ce projet de loi désavantage-t-elle vos clients? Je parle là des affaires jugées depuis l'entrée en vigueur du texte.

Étant donné que si le comité se livre à cet examen, c'est que le ministre a sollicité son avis, quel serait, d'après vous, l'avis que nous devrions transmettre au ministre? Quelles sont les modifications que vous souhaiteriez voir apporter au système? Ma question s'adresse aussi bien au capitaine MacDougall.

Je m'inquiète uniquement des civils traduits devant la justice militaire. Les tribunaux civils peuvent, eux, imposer un éventail beaucoup plus large de sanctions. Dans le cadre de la justice militaire, soit on renonce à l'accusation, soit on impose une amende ou une peine de prison. Les tribunaux civils ont, en effet, également la possibilité de prononcer le sursis. Les personnes condamnées par la justice militaire se retrouvent donc souvent avec un casier judiciaire, ce qui ne serait pas le cas si elles avaient été jugées par des tribunaux civils. En quelques mots, qu'en pensez-vous?

Lcol Dugas : J'entends être prudent. La Cour d'appel aura bientôt l'occasion de se pencher sur un certain nombre d'arguments à cet égard. L'inconvénient, selon moi, est que quelqu'un qui, autrement aurait été traduit devant une cour martiale disciplinaire et qui se retrouve aujourd'hui devant une cour martiale générale, risque maintenant de se voir condamner à la prison à vie, alors qu'il ne risquait auparavant qu'une peine maximum de moins de deux ans. La gamme des infractions a été élargie et pour englober, notamment, les agressions sexuelles. Voilà, donc, une des conséquences des nouvelles dispositions.

Vous parliez tout à l'heure de l'alternative entre la peine de prison et l'amende. Mais cela, ça ne s'applique qu'aux civils, car les militaires continuent à relever de l'article 139 qui prévoit une gamme beaucoup plus étendue de peines. Ce qui manque, c'est exactement ce que vous venez de dire, c'est-à-dire les condamnations avec sursis ainsi que, comme quelqu'un disait tout à l'heure, la possibilité d'avoir l'absolution, sous condition, ou non. Le projet de loi C-45 envisage d'introduire certaines de ces dispositions, mais pas toutes. Sans entrer dans des considérations de principe, la question se pose de savoir pourquoi ne pas offrir toute cette gamme de possibilités.

Peut-être ai-je manqué une partie de votre question.

Le sénateur Milne : Je parlais des civils qui risquent d'être désavantagés en étant traduits devant des tribunaux militaires, notamment s'ils doivent se retrouver avec un casier judiciaire.

Lcol Dugas : Vous seriez, en effet, vraisemblablement compris parmi les « civils » si vous deviez subir un procès et que vous étiez en déplacement auprès des Forces canadiennes.

Le sénateur Milne : Si je me rendais en Afghanistan en tant qu'invitée des Forces canadiennes et que je refusais d'obéir à un ordre.

Lcol Dugas : Le projet de loi C-45 englobe en effet beaucoup de choses.

La présidente : Pensez-vous que le projet de loi C-45 aille assez loin, ou qu'il allait assez loin dans sa version initiale?

Le sénateur Milne : Ou qu'il ira assez loin dans sa nouvelle version?

La présidente : Nous ne savons pas ce que comprendra la nouvelle version.

Lcol Dugas : J'évoquerai la question avec les gens chargés de sa rédaction.

Le sénateur Bryden : D'après moi, ce que souhaitait Antonio Lamer, c'était de voir établir un système à double palier, les infractions graves étant portées devant une cour martiale générale, et les infractions mineures devant une cour martiale permanente. Cela me semble clair. Puis, le texte prévoit ceci « sans aucune distinction fondée sur le grade ».

Capitaine MacDougall, est-ce actuellement le cas que, dans l'exercice de vos fonctions, vous ne faites aucune distinction fondée sur le grade.

Capt MacDougall : Je pense pouvoir dire très nettement que lors du procès, tant devant une cour martiale permanente que devant une cour martiale générale, aucune distinction n'est faite en fonction du grade.

La loi comprend par exemple des dispositions prévoyant que si l'accusé est un militaire du rang, le comité de la cour martiale peut comprendre des adjudants ou des militaires du rang. Je ne voudrais pas vous induire en erreur et affirmer que tout accusé sera jugé par une cour martiale composée de membres ayant le même grade que lui, car il existe, à cet égard, des dispositions précises, mais quant à la question de savoir si, en fonction de l'accusation portée, l'accusé va être traduit devant une cour martiale générale ou devant une cour martiale permanente, et s'il a le droit de choisir, il est exact de dire qu'aucune distinction n'est faite en fonction du grade.

Le sénateur Bryden : Mais c'est l'autre aspect de la question qui me préoccupe. Si, disons, un officier supérieur commet une infraction, et qu'un sergent commet la même, la composition des cours martiales devant lesquelles les deux seront traduits sera tout à fait indépendante du grade de l'officier supérieur en cause, même s'il devait s'agir d'un général, et de l'autre côté, d'un sergent ou d'un caporal.

Capt MacDougall : Je suis désolée, mais je ne suis pas certaine d'avoir bien compris votre question.

Le sénateur Bryden : Je précise ma pensée. Je croyais vous avoir entendu dire que, dans certains cas, un officier sera ajouté au comité de la cour martiale.

Capt MacDougall : Je disais que, dans certains cas, un adjudant pourrait l'être, si l'accusé est un militaire du rang, tel qu'un sergent, le comité ne sera pas constitué uniquement d'officiers. Dans certains cas, en effet, un adjudant ou un adjudant-maître ou adjudant-chef peuvent siéger au comité de la cour martiale. On ne peut donc pas vraiment dire que tout accusé est jugé par un tribunal composé de ses pairs et il me faudra vérifier si c'est un des cinq membres du comité qui doit être de grade comparable. Il me faudra revoir le règlement et vous indiquer cela plus tard.

Le sénateur Bryden : À cet égard, à qui appartient la décision?

Capt MacDougall : À l'administrateur de la cour martiale. Le règlement comporte des indications très claires quant à la composition du comité, mais au niveau du choix des personnes appelées à y siéger, c'est l'administrateur de la cour martiale qui décide. On vient de me faire savoir que deux des cinq membres du comité peuvent être adjudant, adjudant-maître ou adjudant-chef. Je précise qu'aucun adjudant, adjudant-maître ou adjudant-chef ne siégerait au comité d'une cour d'appel appelée à juger un officier.

Le sénateur Bryden : Quelle serait la composition d'un comité appelé à se prononcer sur le cas d'un officier?

Capt MacDougall : Ce serait des officiers.

Le sénateur Bryden : Uniquement des officiers?

Capt MacDougall : Oui, uniquement des officiers.

Le sénateur Bryden : Et pourquoi?

Capt MacDougall : Je ne saurais vous dire pourquoi. Je peux simplement vous dire comment la chose était envisagée, traditionnellement. Il s'agit d'une structure hiérarchique et les tribunaux militaires ayant pour mission d'inculquer la discipline, un adjudant ne peut pas, dans le cadre d'une structure militaire traditionnelle, être chargé de discipliner un officier. Je pense que voilà la raison, mais je ne suis pas experte en ce domaine. Je ne peux notamment pas donner les raisons historiques de cet état de choses.

La présidente : J'avais retiré de l'un de nos témoins, je ne suis pas sûre duquel, l'impression que quelqu'un de grade subalterne pourrait hésiter à se prononcer sur le cas d'une personne d'un grade plus élevé. Peut-être ai-je mal compris, mais c'est l'impression que j'en ai retirée. En écoutant, j'ai cru comprendre qu'il en était ainsi.

Le sénateur Bryden : Un de nos témoins a dit aujourd'hui qu'il nous faut supposer que toute personne suffisamment compétente pour être intégrée aux Forces canadiennes, acceptant d'être envoyée en Afghanistan et risquant de sauter sur une mine, devrait être considérée comme suffisamment compétente pour siéger au sein d'une cour martiale.

Ce qui me revient à l'esprit, c'est cette vieille tradition militaire selon laquelle des privilèges se rattachent aux divers grades. Je me demande dans quelle mesure c'est encore vrai. Je voudrais maintenant demander aux avocats de la défense si, d'après ce que vous avez vécu, le grade s'accompagne de certains privilèges et confère certains désavantages par rapport au soldat de base qui est, en fait, celui qui livre bataille.

Lcol Dugas : Permettez-moi, sénateur, de vous répondre en prenant la question par l'autre bout. Je n'y vois aucune raison. Cela ne veut pas dire que le grade ne doit pas s'accompagner de certains privilèges, car il faut bien qu'il y ait une chaîne de commandement afin d'assurer la cohésion des unités combattantes.

Les propos que j'ai tenus devant vous aujourd'hui se basent sur le travail effectué dans le cadre des cours martiales. Peut-être avons-nous tort, et la cour nous a déjà, d'ailleurs, donné tort. Cela dit, nous n'avons, en définitive, rien trouvé à redire et rien ne nous a porté à critiquer la manière dont est composé le comité de la cour martiale.

Le sénateur Baker : Vous avez eu à assurer la défense d'une personne passée en cour martiale.

Capc Lévesque : Je dois dire que, d'une manière générale, d'après ce que j'ai pu constater, chaque membre du comité, quel que soit son grade, prend son travail très au sérieux. Chacun est conscient du fait d'avoir prêté serment et accomplit sa tâche très consciencieusement.

C'est l'impression que j'en retire. Je n'ai jamais, dans l'exercice de mes fonctions, vu quelqu'un utiliser son grade pour tenter d'influencer le cours de la justice, comme cela s'est parfois vu aux États-Unis.

Le sénateur Bryden : Dans le système de droit qui s'est développé progressivement, chacun sait qu'on a le droit d'être jugé par un jury constitué de ses pairs. J'imagine que ce principe vaut également pour les comités de cours martiales si nous voulons effectivement faire en sorte que les membres des forces armées aient les mêmes droits, avantages et privilèges que les civils.

Comment parler d'un jury composé de ses pairs lorsqu'on doit être traduit devant une cour martiale comprenant deux officiers, deux soldats et un caporal? Chez les militaires, considère-t-on que cela équivaut à être jugé par ses pairs?

Capc Lévesque : Je suis bien, en tant qu'avocat, obligé de m'en tenir à l'alinéa 11f) de la Charte, selon lequel tout inculpé a le droit de bénéficier d'un procès avec jury sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire. Nous nous sommes penchés sur le droit militaire tel qu'il était en 1982, lorsqu'a été adoptée la Charte, afin de mieux saisir quelle était à l'époque l'intention du législateur. En tant qu'avocat, je ne peux que m'incliner devant cette disposition.

Dans l'optique de la défense, il me faut, pour autant que le droit militaire le permette, obtenir que l'accusé soit jugé par un jury de ses pairs. Toute personne, quel que soit son grade, peut, par l'opération de son intelligence, parvenir à un verdict.

Lcol Dugas : Permettez-moi de vous citer un exemple. Avant 1999, c'est-à-dire avant que ne soit modifiée la Loi sur la défense nationale, les agressions sexuelles faisaient l'objet de poursuites intentées au titre des dispositions du Code criminel. Hors du Canada, la situation se présentait différemment. Mais, au Canada, les membres des forces armées avaient droit à un procès devant un jury de 12 membres, y compris des soldats, des caporaux-chefs, et cetera. Avec les modifications apportées, en 1999, à la Loi sur la défense nationale, la compétence en matière d'agressions sexuelles est passée aux autorités militaires. On est donc passé d'un jury de 12 pairs à un comité de cinq membres. C'est dire qu'en tant que membre des Forces canadiennes, j'avais auparavant plus de droits qu'à l'heure actuelle.

C'est d'ailleurs pourquoi nous contestons certaines de ces dispositions. Même si le système actuel paraît raisonnable, il se peut très bien qu'il y ait certaines infractions qui exigent un personnel plus spécialisé. Je ne saurais trop dire.

Le sénateur Bryden : On ne peut pas modifier la Charte sans de grandes difficultés, mais les dispositions du droit militaire peuvent être modifiées par les deux Chambres du Parlement. Cela vaut pour toute disposition du droit militaire qui empêcherait d'accorder aux accusés les garanties dont bénéficie toute personne traduite devant des tribunaux civils. La différence qui existe actuellement à cet égard n'est pas uniquement due aux dispositions de la Charte, mais aux dispositions du droit militaire fixant les règles applicables.

Capt MacDougall : Sénateur, je peux simplement dire que si la Charte a prévu une exception à cet égard, c'est sans doute pour une très bonne raison. Il fallait bien que le droit applicable aux militaires soit différent du droit applicable aux civils, et c'est pourquoi les membres des forces militaires ne sont pas jugés par leurs pairs. Il y a deux manières de voir les choses. Nous pourrions, effectivement, aller au-delà de ce que prévoit la Charte, mais on ne saurait occulter le fait que si la Charte prévoit une exception en ce qui concerne les tribunaux militaires, c'est sans doute pour une bonne raison.

La présidente : Au moins une des personnes assises à cette table a participé à la rédaction de la Charte.

Le sénateur Milne : Dans un procès civil, le jury est choisi au hasard parmi les noms figurant sur la liste des électeurs ou, dans certains cas, parmi les passants choisis au hasard. S'agissant d'un procès militaire, les membres de la cour martiale sont-ils choisis parmi tous les officiers et adjudants ou sont-ils choisis particulièrement pour constituer la cour martiale dans une affaire donnée?

Capt MacDougall : L'administrateur de la cour martiale applique en cela une procédure que je pense pouvoir exposer aux membres du comité. Ce n'est pas mon domaine d'expertise, mais je crois savoir que les membres d'une cour martiale sont choisis au hasard parmi un vaste réservoir de membres des Forces canadiennes.

La présidente : Il nous serait très utile d'obtenir de vous une copie de cette procédure. Je vous remercie.

Capt MacDougall : C'est très volontiers que je vous en ferai parvenir une.

Le sénateur Angus : Lieutenant-colonel Dugas et capitaine de corvette Lévesque, avez-vous, l'un ou l'autre, œuvré à la défense de l'accusé dans l'affaire Trépanier?

Capc Lévesque : J'ai joué un rôle dans les premiers temps de cette affaire. Je me suis entretenu avec le client lors de son arrestation par la police, puis j'ai transmis quelques arguments à mon collègue qui assurait la défense de M. Trépanier lors de son procès. Puis, je me suis également occupé de ce dossier lorsque l'accusation a sollicité de la Cour suprême du Canada une autorisation de pourvoi.

Lcol Dugas : Je m'en suis occupé en tant que directeur du service d'avocats de la défense. En raison de notre lourde charge de travail, j'ai retenu les services d'un réserviste pour plaider, en appel, la cause devant la Cour d'appel de la cour martiale du Canada. Je me suis occupé, avec le capitaine de corvette Lévesque, du premier volet de la question du retard déraisonnable, puis je me suis occupé du mémoire que nous avons présenté pour nous opposer à la demande d'autorisation de pourvoi.

Le sénateur Angus : Vous avez donc tous les deux participé, à divers égards, à la stratégie de la défense, avec le résultat que vous savez puisque la cour a fini par conclure à l'excès de pouvoir.

Lcol Dugas : C'est exact. La cour s'est, en même temps, prononcée dans le cadre de l'affaire Beek, qui portait sur une tout autre question. Les requêtes allaient, dans les deux cas, dans le même sens. Lorsque le client est d'accord et que le dossier s'y prête, ce genre de questions peut être soulevé, mais ce n'est jamais l'œuvre d'un seul avocat.

Le sénateur Angus : Oui, en effet, comme dans le secteur privé, il s'agit d'un travail d'équipe. Vous avez tous les deux été membres du Barreau du Québec. Vous savez sans doute que nous avons accueilli hier un témoin qui a évoqué l'époque où elle collaborait avec l'ancien juge en chef Lamer lors de la rédaction de son rapport. N'avez-vous pas dit, colonel, que vous connaissiez vous-même le juge Lamer et que vous vous étiez entretenu avec lui. Est-ce exact?

Lcol Dugas : Oui, et je me suis également entretenu avec ses deux collaboratrices. Ils ont vraiment creusé. À l'époque, j'étais assistant du juge-avocat général à Montréal, chargé du Québec. L'ancien juge en chef est venu passer deux ou trois jours, puis nous nous sommes rendus à Valcartier. Ils ont interrogé toutes les personnes présentes, tant de simples soldats que des généraux. C'était du grand travail.

Le sénateur Angus : Vous nous fournissez là des précisions qui nous sont très utiles. Hier, nous hésitions beaucoup à demander à un témoin de nous dire ce que, d'après elle, le juge en chef Lamer avait eu à l'esprit à l'époque. En effet, comment savoir ce que quelqu'un avait à l'esprit? Nous avons néanmoins pu recueillir quelques indications à cet égard.

Cela correspondait-il à la stratégie employée par la défense dans l'affaire Trépanier, et était-elle basée sur les idées que vos conversations avec le juge en chef Lamer vous avaient permis de dégager quant à la constitutionnalité de la procédure en question?

Lcol Dugas : Tout cela remonte à l'époque où a été adoptée la Charte. J'étais alors étudiant. Le juge Lamer était une personnalité très importante. Lors de ses déplacements, on évoquait toujours la question de savoir s'il y avait lieu de faire de telles distinctions, ou s'il conviendrait, au contraire, de ne faire aucune distinction. Il souhaitait qu'on lui dise. Il fait état de tout cela dans son rapport. Le ministère de la Défense nationale s'est déclaré en faveur de bon nombre de recommandations formulées dans le rapport Lamer. Certaines sont d'ailleurs reprises dans le cadre du projet de loi C-45.

C'est dire qu'il s'est fait beaucoup de choses depuis, mais que les dispositions envisagées, lorsqu'elles sont soumises à l'examen des divers comités et qu'elles finissent par être adoptées, prennent de l'ampleur par rapport à ce qui était initialement prévu. C'est ce que je constate, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas aller plus loin.

Le juge en chef Lamer souhaitait que l'on mette en place le meilleur système possible, un système fondé sur le sens de l'humain. Je dirais que, en gros, c'était cela.

Le sénateur Angus : Vous voyez bien, madame la présidente, à quoi je veux en venir.

La présidente : Je vous remercie. Honorables sénateurs, nous n'allons pas avoir le temps de procéder à une deuxième série de questions, et donc voici ce que je propose de faire. Je sais que de nombreux sénateurs demeurent insatisfaits, car il reste assez de questions pour nous occuper encore pendant quatre ou cinq heures. Cela dit, nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez consacré.

Je demande aux sénateurs qui auraient d'autres questions à vous poser de les remettre par écrit à notre greffière cet après-midi. Ces questions vous seront alors transmises et nous vous demandons d'avoir l'obligeance d'y répondre par écrit. Étant donné les questions intéressantes et importantes qui ont été soulevées ici, c'est, je pense, la manière la plus équitable de procéder.

Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord?

Le sénateur Angus : Y aurait-il un autre moyen de procéder?

La présidente : Pas pour l'instant.

Le sénateur Angus : Ne pourrions-nous pas demander à nos témoins de revenir ultérieurement? En effet, les témoignages de vive voix sont beaucoup plus éclairants. Certains sénateurs hésiteront peut-être à poser des questions par écrit.

La présidente : Sénateur Angus, vous n'ignorez pas le calendrier de nos travaux et vous savez comme le temps passe vite. Les tâches confiées à notre comité s'accumulent. C'est un travail passionnant.

Le sénateur Baker : Ne pourrions-nous pas inviter nos témoins à revenir lors de notre examen du prochain projet de loi portant sur la question?

La présidente : C'est une excellente idée.

Le sénateur Baker : Nous n'y manquerons pas, alors.

La présidente : Nous allons donc nous revoir. En attendant, je tiens à vous remercier. Vos témoignages nous ont été des plus utiles et nous vous ferons parvenir les questions que les sénateurs souhaiteraient vous poser par écrit.

Honorables sénateurs, la séance va maintenant se poursuivre à huis clos pendant quelque temps.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page