Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages du 26 mars 2009
OTTAWA, le jeudi 26 mars 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (L.R. 1998, ch. 37).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, chers collègues. Je constate que nous avons le quorum.
Avant de passer au thème principal de la réunion, j'invite les membres du comité à consulter les documents qui leur ont été remis, notamment le budget concernant l'examen de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Le comité de direction a convenu qu'il serait très utile que nous visitions la Banque nationale de données génétiques; pour cela, nous devrons louer un autobus, ce qui nécessitera une sortie de fonds. Le coût total de l'opération est de 1 300 $, y compris les dépenses diverses.
Quelqu'un veut-il intervenir à ce sujet?
Pourrais-je avoir une motion?
Le sénateur Milne : J'en fais la proposition.
La présidente : Que tous ceux qui sont pour lèvent la main.
Des voix : D'accord.
La présidente : Contre? Des absentions? C'est adopté.
Nous avons également besoin d'une motion relative au deuxième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, puisque nous retirons la demande de budget que nous avions déposée afin d'étudier la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (Cour martiale) pour l'exercice financier 2009-2010.
Jessica Richardson, greffière du comité : Le deuxième rapport du Comité permanent de la régie interne stipule que tous les repas pris lors des séances de travail des comités seront payés à partir du budget central. Comme cette demande concernait uniquement les repas, il n'est pas nécessaire de la maintenir, mais nous avons tout de même besoin d'une motion officielle pour que le comité la retire.
La présidente : Quelqu'un propose-t-il cette motion?
Le sénateur Milne : J'en fais la proposition.
La présidente : Pour? Contre? Des absentions? C'est adopté.
Le sénateur Milne : Nous n'avons pas pour habitude de ne pas dépenser l'argent auquel nous avons droit, et j'aimerais savoir si ce budget retourne dans les coffres de Sa Majesté?
La greffière : Les fonds sont réservés de sorte qu'ils ne peuvent servir à autre chose. Les montants représentés par les fonds bloqués sont nettement inférieurs à ce que nous allons retirer du budget central. Les comités disposeront de plus d'argent pour leurs déplacements et leurs autres activités.
La présidente : Nous allons passer au thème de la séance d'aujourd'hui.
Honorables sénateurs, chers témoins, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
[Français]
Nous poursuivons notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, une étude que nous avons commencée, hier, en écoutant avec grand intérêt — il faut le dire — le docteur Ronald Fourney, directeur des Services nationaux et recherche à la GRC et chargé de la Banque de données des empreintes génétiques de la GRC.
[Traduction]
Nous avons la chance d'accueillir, du ministère de la Justice, M. Greg Yost et M. David Bird et, de la GRC, M. Ronald Fourney, que nous sommes heureux de revoir, de même que la caporale Jennifer Derksen.
J'ai cru comprendre que vous vous étiez entendus entre vous pour prendre la parole dans l'ordre suivant : M. Yost, M. Bird, la caporale Derksen et M. Fourney.
Maître Yost, vous avez la parole.
M. Greg Yost, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada : Merci, madame la présidente et merci honorables sénateurs. Je suis ravi de me trouver ici. Je crois savoir que le ministère de la Justice a préparé un document à l'intention du Sénat dans le cadre de son examen de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et que celui-ci a été remis aux membres de ce comité.
Je commencerai par vous parler du rôle du ministère de la Justice et de l'utilisation des empreintes génétiques dans notre système légal. Les tribunaux au Canada ont commencé à utiliser les empreintes génétiques dans les années 1980. En 1995, le ministère de la Justice a pris part au travail de modification des dispositions relatives au prélèvement de substances corporelles sur des suspects et à l'élaboration de la loi qui a donné naissance à la Banque nationale de données génétiques au milieu des années 1990. M. Bird et M. Fourney ont participé activement à ce processus du côté de la GRC. Personnellement, je suis intervenu dans ce dossier en 2002 et je suis devenu avocat principal responsable de ces questions en 2006. En 2002, le ministère a consulté les intervenants sur un ensemble de questions et cet exercice a débouché sur les projets de loi C-13 et C-18 qui sont devenus lois le 1er janvier 2008.
[Français]
Je crois que vous êtes au courant que les tribunaux ont soutenu le régime actuel. Dans l'arrêt Rogers, Mme le Juge Charron a écrit :
Nul doute que la preuve génétique a révolutionné le déroulement de l'enquête et de la poursuite dans les cas de nombreux crimes. On ne saurait trop insister sur l'importance de cette percée médico-légale pour l'administration de la justice.
J'estime que l'analogie doit se faire avec la prise des empreintes digitales et les autres mesures d'identification liées à l'application de la loi. Les dispositions relatives à la Banque de données génétiques de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et du Code criminel visent à mettre les nouvelles techniques d'analyse génétique au service de l'identification des contrevenants connus ou éventuels. La Loi sur l'identification par les empreintes génétiques se veut le complément moderne de la Loi sur l'identification des criminels. La procédure suivie n'est pas en cause et n'a pas à être décrite de nouveau en l'espèce. Nul ne conteste que le prélèvement d'un échantillon d'ADN porte minimalement atteinte à l'intégrité physique du contrevenant.
[Traduction]
Le ministère de la Justice a produit un document de position qui analyse tous les aspects légaux quant au genre d'informations pouvant être versées dans la BNDG, au moment où les profils génétiques peuvent être retirés de cette banque et à l'utilisation que l'on peut faire des profils génétiques. Le ministère de la Justice n'assume aucun rôle et n'a aucune responsabilité dans le fonctionnement du système, comme les aspects financiers et les ressources humaines.
Le document dont je parle s'ouvre sur ce qu'il y a de plus important en matière de prélèvement d'échantillons génétiques : l'ordonnance émise par le tribunal après la condamnation, comme nous le faisons actuellement; le prélèvement automatique au moment de la condamnation, comme cela se fait dans la plupart des États aux États-Unis; et le prélèvement au moment de l'arrestation que ce soit pour toutes les infractions ou pour certaines infractions seulement, comme c'est le cas au Royaume-Uni, dans 13 États américains et dans 18 pays européens. Le choix du modèle de collecte d'échantillons a une incidence très importante sur le nombre de profils qu'on peut retrouver dans le fichier des condamnés.
Quand la Banque nationale de données génétiques est entrée en fonction, en vertu du système actuellement en vigueur au Canada, elle recevait quelque 9 000 profils de condamnés par an. Ce nombre a progressivement augmenté, au point qu'elle a été destinataire de quelque 18 000 échantillons dans l'année ayant précédé la promulgation des projets de loi C-13 et C-18. Ce nombre a encore augmenté pour atteindre 32 000 à la suite des amendements apportés aux projets de loi C-13 et C-18. Si la prise d'échantillons génétiques était systématique au moment de la condamnation pour une infraction désignée primaire ou secondaire, le nombre de profils pourrait atteindre 100 000 annuellement. Si les échantillons étaient pris au moment de l'arrestation, on parlerait alors de 175 000 profils annuels. Plus on trouvera de profils dans le fichier des condamnés et plus il sera possible d'établir de correspondances avec les profils de criminalistique, bien que ce ne soit pas un simple cas de progression linéaire.
D'autres aspects, bien qu'importants, n'auront sans doute pas une incidence aussi marquée sur l'identification des contrevenants. Par exemple, le document de discussion traite de l'impossibilité actuelle qu'il y a à prélever des substances corporelles sur des personnes ayant commis un crime à l'étranger. Le Canada a accepté de ne transférer annuellement que 80 profils de contrevenants correspondant à cette description. Bien qu'elles soient un sujet brûlant, les analyses de filiation génétique ne donneront sans doute pas lieu à un grand nombre de correspondances, parce qu'elles mobilisent énormément de ressources policières.
Nous avons soigneusement étudié la possibilité de créer un fichier génétique des personnes disparues. Il faut avouer que beaucoup appuient cette idée. En revanche, il faut dire que la création d'un cadre législatif à cet égard est la partie la plus simple de l'exercice. Comme tout le monde réclame un recours accru aux empreintes génétiques pour résoudre les crimes, il sera de plus en plus difficile de trouver les ressources nécessaires pour qu'un fichier génétique des personnes disparues puisse fonctionner.
M. David Bird, avocat, Services juridiques — GRC, ministère de la Justice du Canada : Merci de m'avoir invité. Je vais essayer de vous décrire brièvement les problèmes d'ordre pratique découlant de l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
Les corps policiers et les procureurs n'ont pas remis en question l'utilité des preuves génétiques dans les procès ni la contribution de la Banque nationale de données génétiques au travail des enquêteurs, puisqu'elle permet d'établir un lien entre des crimes en série et d'identifier les nouveaux crimes perpétrés par des personnes ayant déjà été condamnées. En revanche, la police et les procureurs ont mis en doute la procédure imposée pour obtenir les échantillons génétiques et les restrictions applicables au genre de données génétiques que la BNDG peut accepter et à propos desquelles elle peut faire rapport.
Les cinq problèmes dont je vais traiter à présent concernent le téléchargement du profil génétique d'un condamné dans la Banque nationale de données génétiques : premièrement, à la fin d'un procès, il incombe à la police, aux procureurs et au tribunal de décider si la condamnation prononcée correspond à une infraction désignée exigeant que soit rendue une ordonnance de prélèvement pour inclusion du profil génétique dans la banque. Dans l'affirmative, il faut remplir correctement l'ordonnance de prélèvement, puis la transmettre au corps policier chargé de l'exécuter. Il arrive que des erreurs soient commises relativement à ces trois exigences et l'ordonnance de prélèvement est alors nulle.
Deuxièmement, si des erreurs sont commises dans la rédaction des formulaires du tribunal, la Banque nationale de données génétiques doit renvoyer l'ordonnance défectueuse et la police doit alors se tourner vers les procureurs pour qu'ils obtiennent une nouvelle ordonnance corrigée, à moins que la BNDG ne réclame une interprétation juridique visant à déterminer si l'infraction répond aux conditions prescrites pour que l'échantillon soit versé dans la banque.
Troisièmement, la police n'a pas toujours les ressources nécessaires pour exécuter les ordonnances de la Banque nationale de données génétiques, les ordonnances peuvent ne pas être transmises au ressort où l'individu visé a été transféré ou il peut être impossible de retrouver le condamné à temps pour exécuter l'ordonnance dans le respect des conditions qu'elle énonce
Quatrièmement, avant de pouvoir exécuter une ordonnance, la police passe beaucoup de temps à vérifier le fichier du Centre d'information de la police canadienne, le CIPC, pour savoir si la banque de données ne contient pas déjà des empreintes génétiques prélevées sur le condamné. Si tel est le cas, il faut remplir un autre formulaire à adresser à la Banque nationale de données génétiques pour donner les raisons de la non-exécution de la nouvelle ordonnance. Il faut également faire rapport au tribunal et utiliser pour cela un formulaire distinct.
Cinquièmement, la Banque nationale de données génétiques consacre énormément de ressources à la vérification des données qu'elle reçoit en vue de réclamer la correction éventuelle des ordonnances, à la demande de confirmations juridiques, au retrait des profils génétiques et à la destruction des échantillons génétiques quand les ordonnances, les accusations ou les casiers judiciaires sont annulés ou doivent être mis de côté.
La nature des échantillons pouvant être acceptés par la banque de données soulève deux problèmes. Premièrement, les profils génétiques des victimes et des personnes décédées ne peuvent être envoyés à la Banque nationale de données génétiques aux fins d'identification et d'établissement d'un lien éventuel avec des crimes non résolus. La Loi sur la Banque nationale de données génétiques ne permet pas le téléchargement en amont du profil génétique d'une victime pour comparaison avec le fichier de criminalistique. Or, si la Banque nationale de données génétiques n'a pas les empreintes génétiques des victimes, on passe à côté de la possibilité d'établir un lien entre différents crimes commis en série.
Le deuxième empêchement tient au fait que toutes les scènes de crime ne peuvent être qualifiées de lieux où s'est produit une infraction désignée et les profils génétiques de lieux de crime correspondant à des infractions non désignées ne peuvent être versés dans le fichier de criminalistique de la Banque nationale de données génétiques aux fins de comparaison avec d'autres profils criminalistiques ou d'identification des suspects par comparaison avec le contenu du fichier des condamnés.
Quatre restrictions concernent ce à propos de quoi la Banque nationale de données génétiques peut faire rapport. Premièrement, la BNDG ne peut pas permettre aux corps policiers d'accéder au contenu du fichier des condamnés pour confirmer une identité s'il n'existe pas une autre empreinte génétique provenant d'une autre source pour la même personne. Récemment, on a retrouvé sur un rivage de la côte Ouest des pieds chaussés d'espadrilles, mais il n'est pas permis de verser les profils génétiques de ces pieds dans la Banque nationale de données génétiques dans l'espoir d'établir éventuellement un lien avec d'autres scènes de crime. Il n'est pas possible, non plus, d'examiner les profils génétiques contenus dans le fichier des condamnés, même si la police soupçonne qu'il peut s'agir de la même personne, victime d'un meurtre.
La deuxième restriction tient au fait que la BNDG ne peut communiquer à la police l'identité d'une personne dont le profil génétique contenu dans le fichier des condamnés correspond à peu près, mais pas exactement, à un profil de criminalistique. Même si la correspondance est étroite et qu'on a sans doute affaire au proche d'un condamné, une fois qu'il est établi que le profil du condamné ne correspond pas en tous points au profil de criminalistique, il n'est pas possible d'aller plus loin. La loi actuelle permet uniquement à la BNDG de communiquer les cas de correspondance parfaite ou les cas où il n'est pas possible d'exclure le profil génétique de la personne même si la correspondance n'est pas parfaite dans les situations où le profil de criminalistique présente un défaut technique. La banque de données ne peut pas, non plus, effectuer d'autres analyses judiciaires sur des profils génétiques existants en vue de réduire le nombre de délinquants potentiels dont un membre de la famille aurait pu commettre le crime sous enquête.
Troisièmement, la loi exige que les corps policiers canadiens adressent une demande spécifique à la Banque nationale de données génétiques en vue de faire parvenir les profils génétiques à un pays étranger pour que celui-ci les compare avec les profils contenus dans ses propres banques de données. Avant que la BNDG ne communique des données génétiques à un pays étranger, ce pays doit donner l'assurance que l'information qu'il recevra servira uniquement à une enquête ou à une poursuite relative à une infraction criminelle.
Les pays du G8 veulent mettre en place un système électronique en direct permettant de comparer les profils génétiques entre les différentes bases de données. Si ce projet aboutit, nous exigerions que les correspondances ne servent qu'aux fins d'enquête à la suite d'infractions criminelles à moins que notre loi ne permette d'autres usages, comme l'identification des personnes disparues ou des victimes d'une catastrophe de grande envergure. À moins que les conditions actuellement énoncées dans la loi ne soient modifiées, les corps policiers canadiens ne pourront pas bénéficier d'un échange régulier de données de criminalistique relatives à des crimes non résolus. Chaque corps policier devra identifier les échantillons de criminalistique particuliers qu'il veut transmettre à d'autres pays.
Quatrièmement, s'agissant de la communication de données génétiques à un autre pays, la BNDG est soumise aux mêmes restrictions que celles qui lui sont imposées au Canada en ce qui à trait au contenu de rapports relatifs aux correspondances. La banque ne peut donc pas faire rapport au sujet du profil génétique d'un condamné qui pourrait avoir un lien avec un prédateur sexuel, avec le crime organisé, avec un mouvement terroriste ou avec des proches à l'étranger.
Je serai heureux de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Caporal Jennifer Derksen, analyste des politiques, Politiques opérationnelles et conformité, Services de police communautaires, contractuels et autochtones, Gendarmerie royale du Canada : Je vous remercie de me donner la chance de vous parler aujourd'hui au nom des officiers de première ligne.
Je vais commencer par vous parler de mon parcours afin de vous donner une idée de mon expérience dans le domaine des opérations policières.
J'ai 18 ans de service à la GRC. Je suis originaire de Belleville en Ontario, et j'ai joint les rangs de la GRC en 1991. Après être sortie de la Division Dépôt à Regina, Saskatchewan, je fus mutée à Nanaimo, Colombie-Britannique. J'y ai travaillé pendant neuf ans au service général ainsi qu'à la section des crimes majeurs.
En 2000, j'ai obtenu un poste au carrousel où je fus une fière représentante du Canada d'un bout à l'autre du pays ainsi qu'aux États-Unis. En 2004, après avoir terminé mes fonctions avec le carrousel, je fus transférée à Innisfail en Alberta. En 2006, je fus transférée à l'École de la GRC comme formatrice. De là, je fus promue dans mon poste actuel au sein des Politiques opérationnelles et conformité, Services de police communautaires, contractuels et autochtones en juin 2008.
Compte tenu de ma vaste expérience dans les opérations policières, je possède une bonne connaissance du puissant outil de résolution de crime que représente l'ADN et voudrais vous donner un bref exemple d'un incident où l'ADN a joué un rôle essentiel dans la résolution d'un crime grave.
En 1994, j'ai enquêté sur une agression sexuelle qui s'est produite aux petites heures du matin quand une jeune femme revenait à la ville en marchant dans une zone rurale. Elle a été traînée dans un fossé et violemment agressée sexuellement. En utilisant une trousse de prélèvement dans les cas d'agression sexuelle, j'ai obtenu des échantillons d'ADN et les ai transmis au laboratoire, mais le suspect était inconnu. SALVAC, soit le Système d'analyse des liens entre les crimes de violence, base de données compilée à partir de descriptions de tous les crimes violents ayant fait l'objet d'une enquête au pays, a identifié un suspect de violences sexuelles qui ont eu lieu dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique. Nous avons trouvé le suspect et obtenu un échantillon d'ADN qui a été transmis au laboratoire pour analyse. L'ADN du suspect correspondait à l'ADN recueilli sur la victime. Un mandat pour ADN fut acquis et le suspect arrêté, enlevant un délinquant dangereux de la rue. Tout aussi important la victime a eu la possibilité de voir son dossier résolu.
De la perspective de la première ligne, je peux voir pourquoi l'expansion de l'utilisation de l'ADN est en mesure d'augmenter notre efficacité à résoudre le crime et contribuer à la sécurité du public.
La capacité d'obtenir et de traiter l'ADN au moment de l'arrestation, comme c'est le cas dans d'autres pays progressistes comme le Royaume-Uni et les États-Unis, peut aussi accélérer la disculpation des innocents. Elle peut également contribuer à la prévention des condamnations injustifiées, comme celle de David Milgaard. Inversement, les délinquants dangereux peuvent être retirés de la rue avant d'avoir la possibilité de récidiver et de revictimiser.
En vertu de la loi actuelle, nous prélevons deux séries d'empreintes digitales; une à des fins d'identification aux termes de la Loi sur l'identification des criminels, puis une autre quand une ordonnance ou une autorisation d'ADN est accordée. Si l'ADN était prélevée lors de l'arrestation, nous n'aurions à prendre les empreintes digitales qu'une seule fois afin de satisfaire aux exigences de la Loi sur l'identification des criminels, ce qui nous permettrait de gagner du temps et d'épargner des ressources.
Le système actuel ne permet de prélever d'échantillon d'ADN pour le fichier des condamnés que lorsqu'un suspect a été déclaré coupable par ordonnance ou autorisation, ce qui laisse beaucoup de place à l'erreur et aux omissions. Par exemple, nous pourrions négliger de demander à la Couronne de rappeler à la cour son devoir d'émettre une ordonnance, sans oublier le fait que toute infraction est à la discrétion du juge, ce qui signifie qu'une ordonnance pourrait ne jamais être émise. Par ailleurs, toutes les ordonnances et autorisations concernant des infractions secondaires sont rendues à la discrétion du juge, ce qui veut dire qu'il arrive qu'aucune ordonnance ne soit émise.
Changer le système en parallèle avec la Loi sur l'identification des criminels permettrait également de réduire les nombreuses étapes. Actuellement, si une ordonnance est émise, il incombe à la police de vérifier au moyen de l'informatique les données du délinquant reconnu coupable afin de déterminer si un échantillon a déjà été saisi sur le système. Si l'ADN du délinquant est déjà dans la base de données, l'officier doit remplir un autre formulaire et localiser le délinquant pour obtenir une autre série d'empreintes digitales.
L'ordonnance exige qu'après sa libération, le délinquant se présente au détachement local pour la prise d'échantillon d'ADN. Le délinquant pourrait ne pas obéir à l'ordonnance en sachant que son ADN risque d'être relié à d'autres scènes de crime une fois entré dans le fichier des condamnés et vérifié par rapport au fichier de criminalistique. S'ils ne se conforment pas à l'ordonnance, les enquêteurs doivent retourner devant les tribunaux pour demander un mandat d'arrêt, nécessitant du temps devant la cour ainsi que des ressources policières et monétaires précieuses, seulement pour localiser le délinquant et finalement obtenir un échantillon.
Il y a souvent un délai d'exécution du mandat d'arrêt que la police peut ne pas être en mesure de respecter, auquel cas l'ordonnance est nulle et non avenue. Les officiers sont alors tenus de retourner devant le juge pour réclamer une autre ordonnance.
Un autre aspect qui pourrait aider les agents de première ligne est le changement du libellé de l'ordonnance ou autorisation d'ADN. Actuellement, si un échantillon d'ADN est rejeté par le laboratoire, une autre ordonnance doit être demandée, gaspillant le temps du tribunal et des forces policières. Le libellé de l'ordonnance devrait être semblable à celui de l'ordonnance émise pour un conducteur aux facultés affaiblies; par exemple, la mention « plus d'échantillons que nécessaire pour obtenir un échantillon adéquat », permettrait de simplifier le processus.
Enfin, la législation actuelle ne permet pas de télécharger des échantillons d'ADN de bénévoles et de victimes, y compris de restes humains non identifiés, aux fins de comparaison avec le fichier des condamnés. L'analyse de filiation génétique pourrait aussi déterminer si le suspect est un proche parent d'une personne fichée dans le fichier des condamnés et aussi aider à identifier des personnes disparues. Le système possède présentement toutes ces fonctionnalités qui seraient très utiles pour la résolution de crimes.
Les échantillons d'ADN et la prise des empreintes digitales au moment de l'arrestation permettraient le plein potentiel d'enquête de l'utilisation d'analyse génétique. La police peut obtenir toutes les pistes que l'ADN peut fournir immédiatement, pour ainsi cibler leur enquête le plus tôt possible.
Merci de m'avoir donné l'occasion de présenter le point de vue d'un agent de police de première ligne.
La présidente : Merci beaucoup. Heureuse de vous revoir, monsieur Fourney.
Ronald M. Fourney, directeur, Services nationaux et recherche, Gendarmerie royale du Canada : Je suis heureux de me retrouver ici après une petite nuit.
La Banque nationale de données génétiques, ou BNDG, relève de la Direction de la recherche et des services nationaux, des Services des sciences judiciaires et de l'identité de la GRC. Je suis heureux que vous m'ayez invité à vous parler du succès de la Banque nationale de données génétiques.
L'efficacité de la Banque nationale de données génétiques est attribuable au dévouement et à l'enthousiasme des experts qui en font partie. Outre le groupe qui travaille au laboratoire à Ottawa, la banque de données elle-même et l'administration de la loi représentent un partenariat réel dans tout le Canada, par l'intermédiaire des laboratoires provinciaux de l'Ontario et du Québec ainsi que des laboratoires de la GRC qui donnent les informations génétiques versées au fichier de criminalistique.
C'est avec plaisir que nous avons appris que le Comité du Sénat visitera la Banque nationale de données génétiques, ce qui vous permettra de prendre connaissance de nos activités et de poser d'autres questions.
Comme on vient de vous le dire, la Banque nationale de données génétiques réunit deux fichiers, c'est-à-dire, le fichier des condamnés — qui contient les profils d'identification génétique composés de substances corporelles prélevées sur des condamnés et analysés par la BNDG — et le fichier de criminalistique qui renferme les échantillons génétiques recueillis par les policiers sur les lieux des crimes et qui ont été analysés par les laboratoires judiciaires. Toute correspondance entre ces deux fichiers permet d'établir un lien entre plusieurs crimes en l'absence de suspects; de faciliter l'identification de suspects; d'éliminer des suspects en l'absence de correspondance, et de déterminer s'il s'agit de l'œuvre d'un criminel en série.
La BNDG existe maintenant depuis neuf bonnes années. Le fichier des condamnés contient plus de 157 691 profils d'identification génétique et le fichier de criminalistique en renferme plus de 47 845. Le succès de la BNDG se mesure facilement, étant donné que les liens établis grâce au fichier des condamnés ont contribué à plus de 11 293 enquêtes, dont plus de 723 sur des meurtres et 1 513 sur des agressions sexuelles. En outre, les liens établis entre des lieux de crimes grâce au fichier de criminalistique ont aidé les enquêteurs dans plus de 1 769 cas.
Le travail de la BNDG dépasse les frontières du Canada. Le partage des informations génétiques de la BNDG à l'échelle internationale est géré au moyen d'une entente internationale avec Interpol, qui a été approuvée par le gouvernement du Canada et qui limite l'utilisation aux enquêtes et aux poursuites judiciaires concernant des actes criminels. Jusqu'à présent, grâce à cette entente, la BNDG a prêté son concours à trois enquêtes de portée internationale.
La promulgation en janvier 2008 des projets de loi C-18 et C-13 a eu un profond effet sur la BNDG, compte tenu de l'augmentation du nombre de trousses de prélèvements d'échantillons biologiques sur les condamnés qu'elle a reçues, nombre qui est passé de 18 467 en 2007 à 32 326 en 2008, ce qui représente une augmentation de 75 p. 100.
Beaucoup de laboratoires judiciaires à l'étranger envient la technologie automatisée et les processus utilisés par la BNDG. L'absence de délai dans le traitement des substances corporelles transmises à la BNDG témoigne de l'efficacité et de l'efficience des protocoles automatisés utilisés par le personnel hautement qualifié et chevronné de la banque de données génétiques.
À plusieurs égards, nos protocoles sont uniques parce qu'ils nous permettent de faire le suivi de chaque échantillon, tout en garantissant complètement sa confidentialité et sa sécurité. Je suis très heureux que la banque de données soit reconnue comme un système de qualité, qui a obtenu la norme d'agrément la plus élevée dans sa catégorie.
J'espère avoir pu être utile au comité et je vais maintenant répondre à vos questions. Merci.
La présidente : Merci beaucoup à vous tous. Nous avons là matière à réflexion et à questions.
Le sénateur Baker : Je vais dire une chose avant de vous poser ma principale question, et vous pourrez bien sûr réagir à ce sujet si vous voulez. J'ai bien écouté ce que les deux employés de la GRC ont dit et je les ai entendus formuler certaines plaintes. Les mandats n'ont d'effet que pendant un certain temps, comme la caporale Derksen l'a dit et, comme l'avait précisé M. Bird, il faut ensuite revenir devant le juge.
Tous les mandats de perquisition émis en vertu de l'article 487 du Code criminel ont une validité limitée à certains jours et à certaines heures durant la journée. Si vous saisissez quoi que ce soit en fonction d'un mandat de perquisition, vous devez en faire rapport au juge. Un rapport doit systématiquement être transmis au tribunal. Si je comprends bien ce que vous avez dit, vous souhaiteriez qu'on fasse exception à cette règle dans le cas des mandats émis en vertu d'une autorisation judiciaire de prélèvement d'échantillons d'ADN. Ce serait plutôt étrange, parce que tout découle en fait de l'article 487 du Code criminel et il serait donc inhabituel que les mandats de prélèvement d'échantillons d'empreintes génétiques diffèrent des autres mandats, même des mandats concernant les communications, ou des mandats émis en vertu de l'article 11 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le fait que vous soyez embarrassés parce que vous devez vous devez faire rapport au tribunal et que vous avez à respecter certains délais n'est pas propre aux empreintes génétiques, puisque ces contraintes s'appliquent de manière générale à tous les mandats de perquisition. Voilà pour réfuter ce que vous venez de dire.
Ma question principale concerne un changement radical apporté aux dispositions de cette loi en regard du Code criminel. Vous vous souviendrez, quand nous avons élaboré cette loi, que j'avais donné l'exemple d'une infraction désignée primaire, celle d'une agression armée. Si je lançais un crayon contre la présidente, je pourrais être inculpé d'agression armée. En revanche, si la présidente faisait la même chose à mon égard, on considérerait sans doute que ce serait pour me remettre à ma place.
C'est alors qu'est intervenue une cause en Nouvelle-Écosse, cette célèbre province sur laquelle a été fondé l'essentiel de notre jurisprudence avant la Cour suprême du Canada. Je ne sais pas pourquoi. Dans ce cas, un jeune homme de 13 ans a été accusé d'agression armée commise avec un crayon à la suite d'une légère altercation avec sa mère, à 7 h 20 du matin. Il a été accusé. Il n'avait pas de casier judiciaire. Le juge de première instance a dû prendre une décision. Nous venions d'adopter la loi faisant de ce genre d'agression une infraction désignée primaire et il était donc nécessaire de prélever un échantillon génétique sur l'individu. Le juge a alors dit « Non, j'estime que ce n'est pas juste. » La Couronne a fait appel et la Cour d'appel a tranché en sa faveur en confirmant qu'il s'agissait bien d'une infraction désignée primaire. Cependant, il était précisé qu'il aurait fallu que l'effet soit nettement démesuré et, en 2005, la Cour suprême du Canada a statué qu'il s'agissait en fait d'une infraction mineure relevant de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et de la Loi sur les jeunes contrevenants dont l'esprit dispensait ce jeune adolescent de devoir se soumettre à un prélèvement de substances corporelles.
C'est alors qu'en 2008, comme M. Yost l'a précisé, nous avons modifié cette loi pour créer deux infractions désignées primaires, dont l'une impose le prélèvement d'échantillons génétiques. Désormais, si je lance un simple crayon, je dois me soumettre à un tel prélèvement, même si je n'ai pas d'antécédents judiciaires et si je n'ai jamais été accusé de quoi que ce soit dans le passé. Cela paraît raisonnable, dira la présidente. On établirait un profil génétique à mon nom parce que j'aurais commis ce qui est maintenant une infraction désignée primaire, pas selon la loi que nous avions adoptée à l'origine, mais selon les changements apportés l'année dernière. Il y a deux types d'infractions désignées primaires : les infractions A et les infractions B, et celles de la catégorie B sont en fait des infractions secondaires qui, à la seule discrétion du juge, peuvent être transformées en infractions primaires quand l'effet est nettement démesuré.
Est-ce en réaction aux décisions de la Cour suprême du Canada qui avait statué que les infractions désignées primaires ne devaient pas donner lieu à un prélèvement obligatoire, mais que des cas de ce genre relevaient davantage de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et de la Loi sur les jeunes contrevenants? Quelqu'un veut- il réagir?
M. Yost : Tout d'abord, je ne vais pas réfuter ce qui a été dit. Je veux préciser ce que la caporale Derksen a voulu dire. Je ne pense pas que nous voyons un problème à devoir faire rapport au juge relativement à l'exécution du mandat. Ce dont il est question ici, c'est que pour toutes les ordonnances de prélèvement de substances corporelles après une condamnation, il faut faire rapport au tribunal relativement à l'exécution de l'ordonnance. Désormais, les tribunaux sont informés par voie de rapport si nous avons exécuté l'ordonnance ou pas, c'est-à-dire si nous avons agi dans le respect des dispositions nous autorisant à ne pas exécuter une telle ordonnance quand l'information se trouve déjà dans la banque du CIPC.
Tous les corps policiers et même certains tribunaux, d'après ce que j'ai pu comprendre, ont ouvertement demandé à quoi cela pouvait bien servir. Nous avons alors voulu dressé des statistiques sur l'utilisation des rapports concernant les profils génétiques sous le régime de l'ancienne loi et nous avons contacté des tribunaux pour leur demander ce qu'ils faisaient de ces documents.
Je me souviens très bien qu'un tribunal en Ontario a indiqué qu'il les rangeait dans des boîtes, parce qu'il ne savait pas très bien quoi en faire.
Il semble donc que toute cette paperasserie ne serve pas à grand-chose. Comme la procédure est encore prévue dans la loi, nous avons affaire à un problème concernant les procédures. À l'évidence, si le système était complètement modifié, que ce soit par la systématisation des prélèvements au moment de la condamnation ou de la prise d'empreintes digitales, le tribunal ne recevrait pas de rapport, parce que cette procédure ne dépendrait pas de l'autorisation d'un juge. Voilà, je pense, qui vient préciser votre première remarque.
S'agissant, maintenant, des jeunes contrevenants et, en particulier, des « 16 super primaires », si on peut les appeler ainsi, nous étions parfaitement au courant de l'arrêt de la Cour suprême. À ma connaissance, il n'y a jamais eu d'attaque fondée sur la Constitution à cet égard dans le cas de contrevenants adultes. Deux décisions ont été rendues, dont l'une pas plus tard que la semaine dernière. Je pourrai vous les procurer si vous le désirez, elles sont à mon bureau.
Le sénateur Baker : Je les connais.
M. Yost : L'autre a été rendue au Québec. Les deux juges ont statué que la disposition a été annulée par une disposition de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et qu'il faut interpréter le Code criminel au regard de ces modifications. Dans les deux cas, les juges ont conclu que les dispositions générales de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents avaient préséance. Dans les deux cas, ils ont essentiellement déclaré qu'ils allaient appliquer le critère d'infraction désignée secondaire aux jeunes délinquants dont leur tribunal de la jeunesse entendait la cause. On voit donc que les juges examinent la gravité de l'infraction, les antécédents judiciaires des délinquants et ainsi de suite.
Des juges ont examiné cette disposition et ont décidé d'ordonner malgré tout le prélèvement d'échantillons génétiques. Dans un autre cas — je crois qu'il s'agissait d'un garçon de 15 ans qui, dans une cour d'école, avait asséné un coup de poing à une petite brute et l'avait fait saigner du nez —, le juge n'a pas ordonné le prélèvement d'échantillons.
Je ne sais pas si l'Ontario ou le Québec ont l'intention de faire appel de ces décisions.
Le sénateur Baker : Notre loi ne prévoit l'ouverture d'un casier criminel qu'en cas d'infraction secondaire.
M. Yost : C'est exact. Si, dans le cas des contrevenants adultes, un juge tenait compte de ces facteurs, il donnerait, selon moi, motif à appel. Les deux tribunaux de la jeunesse se sont livrés à une interprétation extensive du critère d'infraction désignée secondaire, peu importe que le jeune délinquant ait été reconnu coupable d'une infraction primaire ou secondaire.
M. Bird : Madame la présidente, permettez-moi de revenir sur un aspect qu'a soulevé le sénateur Baker quand il a posé sa question sur les délais à respecter dans l'exécution des ordonnances. Une disposition du Code criminel, à l'article 487.056, exige que le prélèvement soit effectué le plus tôt possible après la délivrance de l'ordonnance.
Les tribunaux ont ajouté d'autres conditions pour exiger que les ordonnances ou autorisations soient exécutées dans un certain délai. Ils ont aussi limité les lieux où la police peut exécuter une ordonnance et elle ne peut, par exemple, pas le faire dans un tribunal.
Le problème tient donc au fait que la police peut passer son temps à courir après un condamné sous garde pour le retracer dans le service correctionnel. Si elle ne parvient pas à le retrouver dans les délais prescrits, l'ordonnance devient inexécutable. La police doit donc respecter un délai d'exécution.
Le sénateur Baker : Elle peut toujours revenir devant le juge pour demander une autre ordonnance.
M. Bird : C'est possible, mais il y a un problème. Ce problème, c'est encore le temps, car la question est de savoir à quel moment la police effectue le prélèvement et quelle technique elle emploie.
La présidente : Pourquoi est-il impossible d'exécuter une ordonnance dans l'enceinte d'un tribunal?
M. Bird : Les juges estiment que les tribunaux ne doivent pas servir à cette fin. Comme nous le voyons ici, pour un certain nombre de raisons, les juges ont imposé des conditions et exercé leur pouvoir discrétionnaire relativement à l'émission des ordonnances, sans égard à ce que dit la loi. Ils peuvent émettre des ordonnances pour des infractions non désignées qui n'existent pas. Ils estiment que les échantillons, dans de tels cas, doivent se retrouver dans la banque de données et ils rendent des ordonnances en ce sens, faisant dès lors jurisprudence.
Les juges disent qu'ils n'émettront pas d'ordonnances pour certaines infractions, même dans les cas ou le prélèvement est obligatoire, et ils affirment qu'ils n'exerceront pas ce pouvoir auquel ils ont par ailleurs recours dans certaines situations pour des jeunes délinquants et même des adultes. Ils n'émettent tout simplement pas d'ordonnances.
Il est très difficile d'ordonner à un juge de faire quoi que ce soit. Il est difficile de les amener à appliquer la loi à la lettre. Le sénateur Baker a donné l'exemple de ce qu'ont fait certains juges de la jeunesse, mais cela se produit également dans des tribunaux pour adultes, parce que les juges dévient de la loi.
M. Yost : Au risque de marteler la chose « ad nauseam », madame la présidente, je sais qu'il peut arriver, au Québec, que la personne visée par une ordonnance se présente à un détachement de la Sûreté dans le délai de trois mois, mais que personne ne soit prêt à ce moment-là pour prélever l'échantillon.
Ce problème ne se pose pas dans les grands centres. À Toronto, par exemple, on sait que des ordonnances de prélèvement sont émises quotidiennement et il y a le personnel policier nécessaire pour faire le travail. Une pièce des postes de police est même spécifiquement consacrée à cela. Il y a plus de problèmes dans les petits centres.
Le sénateur Milne : Restons un peu sur le sujet. Vous venez de dire que les juges, dans certains cas, n'émettent pas de telles ordonnances tandis qu'ils le devraient aux termes de la loi. Dans d'autres cas, ils émettent des ordonnances tandis qu'elles ne sont pas nécessaires en vertu de la loi et, le plus souvent, quand ils demandent que des échantillons génétiques soient prélevés, ils veulent que cela se fasse ailleurs que dans une salle de tribunal. C'est exact?
M. Yost : Tout cela est vrai. Le problème était beaucoup plus important avant les projets de loi C-13 et C-18 avec les infractions non désignées. Désormais, il y a beaucoup plus d'infractions désignées. Les deux grandes infractions à l'époque étaient le harcèlement à caractère criminel et la profération de menaces. Aujourd'hui, c'est précisé dans la loi.
Il demeure qu'un des problèmes tient à ce que nous appelons les infractions secondaires génériques — celles pouvant donner lieu à une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans en vertu du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances —, car il faut procéder par mise en accusation et s'appuyer sur des ordonnances même si, au départ, il s'agit d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Il arrive que la BNDG reçoive une ordonnance qui ne précise pas le mode opératoire, même si nous nous efforçons de produire jusqu'au moindre petit formulaire. Il est alors nécessaire de tout vérifier pour confirmer qu'il s'agissait bien d'une mise en accusation, parce que si l'inculpation est faite par procédure sommaire, la banque de données n'exécute pas la demande.
C'est le principal problème en ce qui concerne les infractions secondaires de nature générique. Nous avons encore un problème avec les infractions désignées primaires, parce qu'il semble que, sans ordonnance, nous disposons d'un pouvoir discrétionnaire extrêmement limité voire nul.
Le ministère de la Justice a effectué des recherches sous l'ancien le régime de la loi et constaté que le pourcentage d'ordonnances émises pour des infractions primaires avait augmenté. Dans la dernière année de l'étude, l'augmentation avait été de 75 p. 100. Il demeure que dans 25 p. 100 des cas d'infractions primaires, aucune ordonnance n'avait été rendue.
Il est un peu tôt pour être certain des effets des amendements adoptés dont l'un des plus importants a consisté à fixer à 90 jours le délai de judiciarisation. Nous savons que différents tribunaux ont adopté des règles en la matière. Cependant, quand nous recevons une ordonnance, nous n'avons aucune façon de savoir si elle a été rendue à la faveur d'une audition subséquente.
Bien sûr, nous n'avons pas pu reproduire la recherche effectuée en vertu de l'ancien système pour savoir quels sont les pourcentages actuels dans le cas des infractions primaires.
M. Bird : Permettez-moi de revenir sur la remarque du sénateur Milne au sujet des conditions d'exécution de l'ordonnance et plus précisément du retrait éventuel de l'ordonnance. Il arrive, mais rarement, que les tribunaux imposent des conditions relativement au prélèvement des échantillons, au type d'échantillons à prendre et au fait que la collecte ne doit pas se faire dans une salle de tribunal ou qu'elle doit intervenir avant la comparution. On a déjà vu des ordonnances stipulant qu'il ne fallait pas prélever d'échantillons sanguins, mais juste des cheveux ou des cellules épithéliales à l'intérieur de la bouche.
Nous devons composer avec le problème auquel la police est confrontée qui est celui de se conformer à l'ordonnance émise dans les délais imposés et de veiller à son exécution dans les formes.
Le sénateur Milne : Maître Bird, nombre de problèmes que vous avez soulignés, surtout le premier, semblent toucher aux procédures, que ce soit à cause de la réglementation ou de la façon dont les corps policiers ou les tribunaux fonctionnent, mais pas vraiment à cause de la loi elle-même. Cela étant, vous pourriez peut-être nous transmettre une liste de problèmes spécifiques que vous percevez dans cette loi en nous indiquant les aspects qui sont à l'origine. Nous devons intervenir sur la loi et pas sur tous les problèmes constatés en aval.
La présidente : Nous pouvons faire des recommandations, mais notre tâche principale consiste à examiner la loi. Pourriez-vous nous indiquer les dispositions particulières qui, selon vous, méritent notre attention?
M. Yost : Quand nous avons planché sur le projet de loi C-18, après la mort au Feuilleton des projets de loi C-13 et C-27 à cause du déclenchement des élections, nous avons eu la possibilité de consulter les principaux acteurs. Cet exercice nous a permis de dégager un certain nombre de problèmes soulevés par la loi.
Nous pourrons vous fournir une liste de ces problèmes, de notre point de vue. Cependant, ce n'est pas comme si nous organisions une rencontre d'une journée où les gens des tribunaux, les gens du système correctionnel et des corps policiers en première ligne pourraient directement exposer tous les problèmes auxquels ils se heurtent à cause de tel ou tel volet de la loi. Nous allons essayer de prendre langue avec ces gens-là et faire de notre mieux. Il demeure que je travaille dans le domaine de l'élaboration des politiques, je ne suis pas dans les tranchées et je ne peux donc pas recenser tous les problèmes auxquels les gens de terrain sont confrontés.
Le sénateur Milne : Il vaut mieux avoir un petit quelque chose que rien du tout.
La présidente : Parfaitement. Nous ne vous demandons pas de recenser tout l'univers des problèmes constatés, mais vous pourriez nous transmettre ce que vous avez.
Le sénateur Milne : Quand le comité a examiné le projet de loi C-18, nous avons constaté que cette mesure allait permettre au procureur général de formuler une demande, sans que le principal intéressé en soit avisé, en vue de corriger une erreur administrative s'étant glissée dans une ordonnance de prélèvement. A-t-on prévu une disposition pour que la personne concernée ou son avocat soit informé d'avance de ce qui va être fait et du fait que l'ordonnance a été modifiée?
M. Yost : Non. Nous nous en occuperions si nous constations que la façon dont la loi est appliquée pose problème. Cependant, au vu de l'arrêt Rodgers — qui concernait une audition ex parte relative à un prélèvement effectué sur une personne condamnée avant l'entrée en vigueur de cette loi —, nous n'estimons pas, du moins pas au ministère de la Justice, qu'une démarche aussi bénigne que celle visant à corriger une erreur administrative mérite la signification d'un avis en bonne et due forme.
Il est évident que, si l'on vise à faire exécuter une ordonnance dans le délai prévu de 90 jours, mieux vaut prévenir le condamné au moment où il quitte le tribunal afin qu'il puisse défendre sa cause. Cependant, si le juge a déjà rendu l'ordonnance après avoir entendu sa preuve et qu'un cafouillage se produit ensuite quelque part, nous ne voyons pas en quoi il serait nécessaire d'aviser l'accusé. Celui-ci saurait déjà qu'il va devoir donner un échantillon génétique et il serait en train de se demander quand il aurait à le faire.
Le sénateur Joyal : Ce n'est pas tout à fait la même chose. En entendant la réponse que vous avez donnée au sénateur Milne, il m'est apparu qu'il y a une grande différence entre une demande ex parte visant à obtenir une ordonnance auprès d'un tribunal afin de recueillir un échantillon d'ADN et une demande ex parte adressée à un tribunal en vue de corriger une erreur administrative.
Dans le cas de la correction d'une erreur administrative, il n'y a pas lieu de craindre que le condamné ne se présente pas pour subir un prélèvement d'échantillon. C'est une démarche purement administrative. Il convient, selon moi, de s'en tenir au principe voulant que les deux parties doivent être convoquées à l'audition. Celui qui n'a aucune objection à la procédure peut toujours décider de ne pas s'y présenter, mais dans le cas contraire, c'est là où les objections doivent être formulées. Je ne pense pas qu'on parle du tout de la même chose.
M. Yost : Je vais, encore une fois, essayer de vous répondre. Je vais vous donner un exemple tout à fait imaginaire. Supposons qu'il soit précisé « conformément à l'article 453 du Code criminel », mais que l'article ne concerne pas l'infraction commise, qu'il s'agit plutôt d'un article de procédure, et qu'on aurait voulu indiquer 435, qui correspond à une infraction désignée pour laquelle le contrevenant a été condamné. Quelqu'un, en rédigeant l'ordonnance, a commis une erreur. Il s'agit d'une erreur administrative.
Nous estimons qu'il n'est pas nécessaire d'aviser le condamné et d'organiser une audition pour régler le problème — cela est évidemment fonction de ce que vous déciderez et de ce que l'autre comité dans l'autre Chambre décidera également —, puisque l'erreur est mineure et qu'elle n'exige pas beaucoup de temps ni d'efforts et surtout pas la tenue d'une audition.
M. Bird : Je crois que la même règle s'appliquerait à n'importe quelle ordonnance judiciaire. Ce que je veux dire, c'est qu'en cas d'erreur administrative, le tribunal est investi du pouvoir nécessaire pour corriger l'ordonnance fautive. La loi d'interprétation, surtout dans le cas d'une ordonnance fédérale exigée en vertu du Code criminel, autorise le tribunal et lui confère les pouvoirs nécessaires pour apporter les changements voulus, parce que tout ce dont il est question ici, c'est de refléter l'intention du juge.
S'il s'agit d'une erreur administrative commise par les greffes au moment de l'émission de l'ordonnance, comme une inversion de chiffres, il est possible d'effectuer la correction sans commettre d'injustice. On se trouve en effet, quand la police dispose du bon instrument judiciaire, à exécuter la volonté du juge et du tribunal et à inscrire ce que le condamné a compris de l'ordonnance telle qu'elle aurait dû être émise. C'est de cela dont nous parlons, plutôt que de la correction d'une ordonnance qui en modifierait la nature.
Voilà pourquoi nous estimons qu'il ne s'agit pas d'un problème grave dans le cas d'une ordonnance de prélèvement d'échantillon d'ADN ou de toute autre ordonnance émise par un tribunal.
Le sénateur Joyal : Nous pourrions en débattre, mais je ne veux pas le faire sur le temps du sénateur Milne.
Le sénateur Wallace : Ce que M. Fourney a dit au sujet de la communication des données relatives aux prélèvements de substances corporelles à l'échelle internationale a retenu mon attention. Comme il l'a souligné, tout cela est soumis aux accords internationaux et ce genre de communication doit servir à la tenue d'enquêtes dans des pays étrangers.
J'ai été un peu surpris de vous entendre dire que notre banque de données avait contribué à trois enquêtes dans des pays étrangers. Cela m'amène à me demander si la BNDG a déjà bénéficié de données relatives à des enquêtes menées par des pays étrangers, et si cela est souvent arrivé. Est-ce courant?
M. Fourney : Ce que je voulais dire, c'est qu'à trois reprises, nous avons établi des correspondances qui nous ont permis d'identifier des suspects et de contribuer à leur arrestation. Deux de ces enquêtes ont été entièrement conduites aux États-Unis et la troisième a été effectuée au Mexique et aux États-Unis.
Nous avons reçu 463 demandes d'assistance et en avons-nous-mêmes adressé 94. N'oubliez pas que les données que nous pouvons transmettre à l'étranger sont très spécifiques, puisque ce ne sont que des données de criminalistique. Nous n'envoyons pas de renseignements contenus dans les fichiers des condamnés. Il s'agit essentiellement de données génétiques relevées sur les lieux d'un crime. La nature des informations dont il est ici question est donc très réglementée.
Pour ce qui est, maintenant, de la façon dont les accords ont été rédigés et des conditions qu'ils énoncent, je suis très heureux que mon collègue David Bird ait pu directement participer à cet exercice. Jusqu'à présent, nous avons établi trois correspondances et je prie le comité de m'excuser si je l'ai induit en erreur.
Le sénateur Wallace : Maître Bird, quand les données reçues d'un pays étranger sont présentées en preuve devant un tribunal au Canada, est-il nécessaire de soumettre les échantillons à d'autres tests réalisés par notre banque de données? Peut-on nous fier sur les résultats de laboratoires étrangers et simplement déposer ces résultats en preuve devant nos tribunaux? Ma question découle d'une autre question que j'ai posée à M. Fourney hier. Je pense au respect des normes canadiennes quant à la technologie et aux procédures utilisées, par rapport à ce qui se fait dans d'autres pays. Les normes des uns et des autres sont-elles homogènes? Est-ce que ce travail de laboratoire est reconnu au Canada ou faut- il soumettre les échantillons à de nouveaux tests?
M. Bird : Nous nous échangeons en fait des pistes d'enquête dans le cadre des accords internationaux portant sur l'échange de données génétiques. Nous n'envoyons que les profils de criminalistique concernant des crimes non résolus dans l'espoir d'établir un lien avec une scène de crime ailleurs dans le monde ou avec le contenu d'un fichier de condamné d'un autre pays. Une fois que le lien est établi, nous avons recours à d'autres moyens pour nous procurer les preuves nécessaires afin de présenter notre cause devant un tribunal canadien. Les accords en question peuvent se prendre la forme d'un traité d'entraide juridique. Il peut être nécessaire de demander à un tribunal d'émettre un mandat pour que des échantillons soient recueillis à l'étranger ainsi qu'une lettre interlocutoire visant à convoquer des témoins experts étrangers devant un tribunal canadien. Foncièrement, c'est à peu près la même chose que pour obtenir des preuves relatives à un événement survenu à l'étranger, preuves dont on veut se servir pour une poursuite au pénal au Canada. Les mêmes règles s'appliquent, qu'il s'agisse d'un échantillon génétique ou de tout autre type de preuve.
Le sénateur Wallace : Nous sommes ici pour examiner la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et voir le genre d'amendements ou d'améliorations qu'on pourrait y apporter. Si vous disposez de renseignements relativement à la transmission de données génétiques à l'échelle internationale dont le comité devrait s'occuper, nous apprécierions que vous nous en fassiez part.
M. Bird : Bien, monsieur.
Le sénateur Milne : Je vais poursuivre dans la série des questions qui ont porté sur la communication de données génétiques à des pays étrangers. Quand nous avons étudié cette question, au début de 2007, nous avons émis des réserves au sujet de la communication des données génétiques à des pays étrangers qui ne classifient peut-être pas les crimes de la même façon qu'au Canada. Nous étions surtout préoccupés par le fait qu'un acte peut être considéré comme un crime dans un autre pays, mais pas ici.
Y a-t-il eu d'autres communications de ce genre dans les deux années qui se sont écoulées après l'entrée en vigueur du projet de loi C-18?
M. Bird : Malheureusement, je ne peux vous donner de précisions sur ces communications avec l'étranger, mais la Banque nationale de données génétiques pourra vous parler de la nature des demandes. Je crois savoir qu'en vertu des accords que nous avons signés avec certains pays étrangers, nous pouvons être destinataires de profils génétiques susceptibles de nous intéresser, mais que nous ne les vérifions pas forcément, bien que nous en ayons la possibilité. Il est plus important de savoir ce à quoi vont servir les informations que nous renvoyons à l'étranger, soit uniquement à des poursuites entreprises à la suite d'une enquête relative à une infraction criminelle. Quand nous renvoyons les échantillons qu'on nous soumet, nous demandons à quoi l'information va servir.
Le sénateur Milne : C'est ce que vous faites?
M. Bird : Nous le pouvons et je crois que nous le faisons.
Le sénateur Milne : Cela nous ramène aux droits de la personne, au droit à la protection de la vie privée et à l'utilisation éventuelle, par des pays étrangers, de tout ce qui est filiation génétique et relations familiales dont M. Fourney a parlé hier. Je crains beaucoup qu'on viole les droits des particuliers par l'utilisation de ces données dans le cadre d'enquêtes menées à l'étranger.
M. Bird : Pour l'instant, la BNDG n'envoie pas de données génétiques à l'étranger pour des analyses complémentaires. Elle ne peut envoyer que les profils de criminalistique dans le cas de crimes non résolus. Les échantillons d'ADN prélevés sur les lieux de crime sont conservés par les laboratoires et la BNDG n'a pas cette information. Elle ne dispose que des échantillons prélevés sur les condamnés visés par une ordonnance. La banque de données conserve ces échantillons et ne les envoie jamais à l'étranger pour qu'ils y soient analysés.
Le sénateur Milne : Je ne parle pas de l'envoi d'échantillons à l'étranger, mais de l'envoi d'informations.
M. Bird : Les profils génétiques ne peuvent être envoyés à l'étranger qu'afin de déterminer s'il y a une correspondance parfaite. Il peut arriver qu'il ne soit pas possible d'écarter le profil et l'on parle alors de correspondance partielle, parce qu'il y a certaines similitudes entre deux échantillons. Il peut arriver que la scène du crime à l'étranger ait été dégradée, comme on vous en parlé hier soir, mais le profil, même de moindre qualité, peut donner lieu à une correspondance avec les échantillons contenus dans notre banque de données. Le cas échéant, d'autres analyses sont nécessaires pour confirmer si l'on est en présence d'une correspondance parfaite ou pas. Au Canada, il peut arriver que nous mettions en correspondance plusieurs profils. Cependant, tant que nous n'en arrivons pas à la conclusion, après échange d'informations entre experts, que certaines correspondances doivent être exclues à la suite d'analyses plus poussées des lieux du crime à l'étranger, écartant la possibilité d'une véritable correspondance, nous ne fournissons aucune autre information. C'est ce qui se passe dès qu'on peut décréter qu'un échantillon doit être écarté. Si nous en arrivons au stade où nous avons plusieurs correspondances avec les données de criminalistique provenant de l'étranger, nous prenons langue avec les enquêteurs étrangers pour déterminer le genre d'informations supplémentaires que nous pourrions leur faire parvenir. Cependant, il s'agirait alors de données personnelles sur les contrevenants et non de données génétiques.
Le sénateur Milne : Au départ, comme vous ne disposez que du profil, vous n'êtes pas en mesure de transmettre quoi que ce soit d'autre. Le pays étranger peut, à partir d'indices de filiation génétique ou de recherches axées sur le lien de parenté, penser que les données génétiques se limitent à une famille dont tous les membres seront innocents à l'exception du contrevenant.
M. Bird : Nous ne contrôlons pas ce que font les organismes d'application de la loi à l'étranger. Nous pouvons uniquement limiter ce que nous leur transmettons à des fins de poursuites et d'enquêtes relativement à des infractions criminelles.
Le sénateur Milne : Je vais laisser tomber cette question, mais je ne suis pas satisfaite de la réponse.
Le sénateur Joyal : Maître Yost, vous étiez présent dans la salle, hier soir, durant le témoignage de M. Fourney, mais je ne sais pas si vous étiez là à la conclusion de la séance. J'ai émis une réserve relativement à l'application élargie des tests génétiques, parce que je crains que cela n'ait un effet négatif sur la protection des droits à la vie privée et des droits individuels au sens de l'article 8 de la Charte. Est-ce que le ministère de la Justice a entrepris des études à ce sujet en vue d'évaluer les progrès technologiques dont M. Fourney parlait hier au vu des principes de notre système de justice qui repose sur la Charte et sur les protections garanties par la loi?
M. Yost : Je peux vous dire que la Section de la politique en matière de droit pénal n'intervient pas dans l'évaluation des répercussions de ces techniques sur la protection de la vie privée. Nous sommes parfaitement au courant de la consécration des protections existantes par la Cour suprême. Nous n'envisageons bien sûr pas de les enfreindre.
D'autres sections de notre ministère, comme celle qui s'occupe du droit à l'information et de la protection des renseignements personnels et la section des droits de la personne, peuvent être appelées à formuler des conseils relativement à l'évolution des techniques et de la biologie, mais la Section de la politique en matière de droit pénal ne participe pas à l'examen des questions touchant à la protection de la vie privée.
Évidemment, si l'on devait modifier quoi que ce soit, je conseillerais que nous nous placions sous le régime de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques qui encadre ce genre de choses, plutôt que de nous en remettre à des procédures. Cela empêcherait, théoriquement, que les procédures de la GRC ne viennent bousculer quoi que ce soit. Si nous constations une quelconque intention de ne pas respecter ces dispositions, nous effectuerions sans doute une analyse complète des droits à la protection des renseignements personnels et des droits de la personne avant que la situation n'empire. Mon document ne traite pas des questions relatives à la protection des renseignements personnels, parce que le droit en la matière est solidement ancré et qu'il est sanctionné par la Cour suprême.
Le sénateur Joyal : Si je vous comprends bien, vous n'êtes pas en mesure de répondre à cette question, mais un représentant d'une autre section du ministère de la Justice pourrait le faire.
M. Yost : Je pourrais certainement vérifier auprès de notre groupe chargé de la protection des renseignements personnels et lui demander s'il s'occupe de cela. Je ne le sais pas.
Le sénateur Joyal : Madame la présidente, quand nous recevrons l'information que M. Yost pense être en mesure de nous fournir, il serait intéressant de déterminer si d'autres experts ou responsables au sein du ministère de la Justice ne pourraient pas nous aider à ce sujet.
La présidente : Tout à fait. Il est évident que cet examen est d'une telle complexité qu'il ne sera sans doute pas possible de le mener à terme grâce au témoignage de trois ou quatre personnes seulement et nous serions très heureux qu'on nous aide à trouver d'autres témoins.
M. Bird : Le comité doit savoir qu'aucun progrès technologique, dans la façon dont les laboratoires judiciaires effectuent les analyses d'échantillons génétiques, n'exigera que des échantillons génétiques entreposés dans la BNDG soient soumis à une nouvelle analyse.
Voici ce que dit à ce sujet le paragraphe 10(2) de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques :
L'analyse génétique des substances corporelles ainsi entreposées peut être effectuée lorsque le commissaire estime qu'elle est justifiée en raison des progrès techniques importants intervenus depuis que le profil d'identification génétique de la personne qui a fourni les substances ou sur qui elles ont été prélevées a été établi pour la dernière fois.
Hier soir, M. Fourney a parlé des fondements sur lesquels s'appuierait l'avis réclamé par le commissaire qui a demandé au comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques de le conseiller sur cette question. Vous pouvez être certains que le commissaire de la GRC ne changera pas unilatéralement la technique de prélèvement des échantillons ni les analyses génétiques des substances corporelles entreposées. Aucun changement n'interviendra sans un débat complet sur la question.
Je n'en dirai pas plus. La loi offre une protection, en ce sens que le commissaire doit posséder la preuve directe qu'un changement quelconque s'impose pour pouvoir soumettre des substances corporelles entreposées à une nouvelle analyse.
Le sénateur Joyal : Revenons-en à la question des demandes ex parte pour les deux motifs possibles. Le premier, qui a été évoqué par le sénateur Milne, est celui de l'erreur administrative. Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible de divulguer la demande à la partie concernée. Je n'ai pas l'impression que cela risquerait de menacer le déroulement ou l'aboutissement de la procédure qui est l'obtention de l'échantillon.
J'ai l'impression que nous devrions, dans toute la mesure du possible, suivre les procédures prévues en common law dans le domaine de la justice pénale. À moins de circonstances contraires à l'objectif légitime visé par cette procédure, nous devrions, dans tous les cas, respecter les principes de la common law.
Personnellement, j'estime que la recommandation formulée l'année dernière par ce comité, à la suite de son examen du projet de loi C-18, demeure valable. Nous avions fait trois recommandations à l'époque. Je n'ai rien vu dans votre proposition qui m'amènerait à penser que notre recommandation est mal fondée ou, pour dire les choses plus simplement, qu'elle pourrait menacer le système. Celle-ci s'appuie sur la saine pratique du droit et sur le respect du droit de l'accusé — ou de la personne arrêtée ou recherchée — d'être informé.
Les principes reconnus de la common law veulent qu'on respecte, dans toute la mesure du possible, les procédures de la common law sauf, comme je le disais, circonstances exceptionnelles. Les tribunaux criminels ont pris acte de ces circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire de la réalité. Ne devrions-nous pas prendre l'initiative pour que la loi reflète cette réalité?
M. Yost : Il est on ne peut plus évident depuis l'adoption du projet de loi C-18 que tout est en suspens en attendant l'issue des examens entrepris par l'autre Chambre et par le Sénat. Si des changements importants devaient être apportés au système, il faudrait alors repenser la loi et la modifier et, à cette occasion, nous tiendrions compte de vos recommandations formulées à propos du projet de loi C-18.
À ma connaissance — parce que les provinces avec qui nous avons eu des échanges ne me l'ont pas signalé —, cette disposition n'est pas utilisée fréquemment. Comme je le disais, nous avons moins de difficultés que par le passé, par exemple, pour ce qui est des ordonnances faisant problème à cause de la portée étendue de la loi. Il demeure que nous attendons de savoir si nous allons devoir moduler le système actuel ou envisager des changements en profondeur, à la suite de vos examens, si bien que cette question pourrait être mineure par rapport à tout le reste et ce serait un aspect dont nous devrions tenir compte à l'étape de l'élaboration des procédures.
Je ne veux pas vous donner l'impression que le ministère de la Justice n'est pas au courant des recommandations que vous avez formulées. Nous en tiendrons évidemment compte dans la préparation d'éventuels amendements dans la foulée de toute cette démarche.
Le sénateur Joyal : Merci pour votre réponse.
Je veux également que nous parlions de la demande ex parte relative à l'émission d'une ordonnance de prélèvement.
J'ai lu l'arrêt Rodgers et je tiens à rappeler, à l'intention de mes collègues, que celui-ci a été rendu à une faible majorité des voix de 4 contre 3. La décision n'était donc pas aussi tranchée qu'on aurait pu le souhaiter, surtout au vu des motifs invoqués par le juge Fish au nom des trois juges dissidents. Les trois dissidents étaient les juges Fish, Binnie et Deschamps.
Dans ses motifs dissidents, le juge Fish explique pourquoi il estime que l'audition ex parte enfreint l'article 8 de la Charte. Il soutient que l'audition ex parte est effectivement prévue dans le Code criminel, mais qu'on ne peut y avoir recours que dans des circonstances exceptionnelles bien précises.
Il affirme que la Cour suprême a précisé les trois circonstances exceptionnelles envisageables à la faveur de deux arrêts antérieurs dont l'un est l'arrêt Ruby rendu en 2002, que vous connaissez sans doute. Il s'agit d'une décision récente stipulant qu'une audience ex parte peut être accordée si le délai nécessaire à la signification de l'avis risque d'être préjudiciable.
La deuxième circonstance intervient quand on craint que l'autre partie agisse de façon irrégulière ou irrévocable après la signification de l'avis. La troisième circonstance, rappelée par le juge Fish, avait été soulignée par la Cour suprême du Canada en 2003. Dans cette affaire, il y avait lieu de tenir compte du risque que le suspect n'agisse de façon à compromettre la bonne exécution de l'ordonnance. Autrement dit, la Cour suprême a déjà pris acte des circonstances dans lesquelles il convient d'accorder une audition ex parte.
Dans le Code criminel, l'audition ex parte constitue la norme et nous disons, tout comme la Cour, que la personne mécontente d'une ordonnance peut faire une requête en certiorari. Autrement dit, nous avons fait panache, et le juge Fish à été amené à conclure que le système ex parte va à l'encontre des exigences de l'article 8 de la Charte.
Comme je le disais, à la lecture de ses motifs et compte tenu du fait qu'il s'agissait d'une décision faiblement majoritaire, je suis étonné — l'arrêt ayant été rendu par 4 voix contre 3 — que tout cela soit légal, qu'on considère qu'il s'agit là d'une pratique valable au regard de notre procédure pénale et des principes qu'elle sous-tend. Une personne qui est victime d'intrusion dans sa vie privée, au sens de l'article 8 de la Charte — et la majorité des juges de la Cour a conclu qu'il y avait eu intrusion au sens de cet article — doit bénéficier des protections prévues.
Nous convenons tous qu'il faut servir les intérêts suprêmes de la justice. C'est pour cela que, dans sa jurisprudence, la Cour suprême a fixé la tenue des auditions ex parte.
Je n'en estime pas moins que, pour changer le système, il faudrait disposer de puissants motifs menant à la conclusion qu'il n'y a pas d'autre solution. Il est bien que cet arrêt ait été rendu et qu'il l'ait été avec dissidence, parce que cela veut dire que les deux positions ont été correctement plaidées et qu'il est possible de réévaluer le système.
Comment réagiriez-vous si nous retenions les conclusions du juge Fish, c'est-à-dire qu'il y devrait y avoir une audition normale, sauf dans certaines circonstances, et que le juge pourrait opter pour la procédure ex parte?
M. Yost : Vous allez dire que je rabâche. D'ici à ce que nous en arrivions aux amendements, toutes ces ordonnances avec effet rétroactif auront fait l'objet de demandes qui auront été traitées. La dernière fois dont j'en ai entendu parler, nous avions largement dépassé la moitié de celles mentionnées dans le projet de loi C-13 pour meurtres et pour agressions sexuelles.
Votre opinion et celle des trois juges sont parfaitement valables. Je n'ai personnellement pas pris part à l'élaboration de cette mesure législative et il se trouve que, dans ce dossier, la Cour suprême a rendu sa décision avec une de ses majorités les plus faibles. Alors, je me dis qu'à moins d'élargir la liste des infractions visées par le dispositif rétroactif ou de prendre en compte dans le système les contrevenants étrangers qui purgent leur peine au Canada, nous devrons peut-être trouver une façon d'intégrer ces délinquants dans le système. Devraient-ils être avisés ou bénéficier d'une audition ex parte? Tout dépendra, sans doute, si cette question se pose alors et si des amendements ont été apportés.
Je sais que les provinces ont poussé un énorme soupir de soulagement quand la Cour suprême a rendu cette décision parce que d'aucuns craignaient qu'il faille de nouveau plaider 2 000 ordonnances. Ma réaction importe peu; en revanche, la réaction d'autres sections du ministère de la Justice serait sans doute plus pertinente.
Le sénateur Joyal : Je crois que le principe est très important. Comme vous le savez, le système repose sur des principes fondamentaux. Quitte à examiner la loi et son utilité, il est tout à fait normal que nous nous posions des questions sur la façon de réaliser les objectifs énoncés pour le projet de loi et sur l'objet du prélèvement d'échantillons génétiques afin d'aider les corps policiers à prévenir le crime et à mettre la main sur les coupables.
Nous sommes un groupe de Canadiens ordinaires désireux de savoir comment nous allons pouvoir faire respecter les principes de la Charte et de la common law et réaliser l'objectif légitime que nous visons grâce aux prélèvements génétiques. C'est pour cela que nous nous livrons à cet exercice et nous espérons bénéficier de votre aide et de vos conseils dans nos réflexions.
M. Bird : Sénateur Joyal, permettez-moi d'ajouter quelque chose au débat. J'ai appris que d'autres pays, comme les États-Unis, n'ont pas opté pour la même formule que le Canada et ont plutôt adopté une loi exigeant que les détenus se soumettent à un prélèvement de substances corporelles avant la fin de leur peine si leur profil ne se trouve pas déjà dans une banque de données génétiques nationale ou d'un État. Il faudrait aussi envisager les autres modèles qui ont trait à cette question de savoir quels récidivistes sont visés. Ce faisant, l'audition ex parte ne serait plus nécessaire et cette question ne se poserait pas.
Tant qu'à envisager d'autres modèles pour améliorer la loi, pourquoi ne pas considérer cette approche?
Le sénateur Joyal : Merci beaucoup.
Le sénateur Dickson : Je tiens à préciser, pour mémoire, que je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit le sénateur Joyal. Je suis intimement convaincu qu'il faut tenir compte de la Charte et de l'application de l'article 8. S'agissant des règles de justice naturelle, nous évoluons dans le système canadien. J'ai des frissons quand M. Bird nous suggère d'opter éventuellement pour la formule américaine. J'espère que nous ne l'envisageons pas.
Venons-en à ma question qui concerne quelque chose que M. Yost a dit tout à l'heure. Dois-je comprendre que cette loi fait actuellement l'objet d'une étude par un comité de la Chambre des communes?
M. Yost : Effectivement. Nous avons comparu devant ce comité le 24 ou le 26 février. Celui-ci a tenu deux jours d'audiences. Des représentants du comité consultatif faisaient partie du même groupe de témoins que moi et le comité a également entendu des gens du Commissaire à la protection de la vie privée.
Le comité doit se réunir de nouveau le 28 avril, première occasion à laquelle il pouvait recevoir des représentants de laboratoires judiciaires du Québec et de l'Ontario. Je ne sais pas s'il a l'intention d'organiser d'autres séances après cela. Il est vrai, donc, que cette loi fait l'objet d'un examen parallèle par un autre comité.
Le sénateur Dickson : Restons sur le même thème. Vous avez fait allusion à un nouveau système, par rapport au système actuel. Qu'est-ce qui ressort des discussions actuelles dans l'autre Chambre? S'agit-il d'un nouveau système? Qu'en pensez-vous? Ma question s'adresse à n'importe lequel de nos quatre témoins. Pensez-vous qu'on en arrivera à un nouveau système ou que l'on va modifier le système actuel?
M. Yost : Je ne veux pas me livrer à des conjectures. Après avoir entendu le comité consultatif, du moins ses présidents, Richard Bergman et l'honorable Peter Cory, vous aurez peut-être la même impression que moi.
Quand on lui a demandé ce qu'il recommanderait, l'honorable Peter Cory a répondu qu'il ferait deux recommandations. Premièrement, il ne laisserait pas aux tribunaux le soin de trancher. S'exprimant en sa qualité d'ancien juge, il a déclaré que les juges ne semblaient pas correctement exercer leur pouvoir discrétionnaire à cet égard. Selon lui, toute personne ayant commis ce genre de crime devrait être contrainte à donner des échantillons génétiques pour la banque.
Deuxièmement, il a estimé que l'impossibilité, pour la BNDG, de transmettre certaines données génétiques, surtout quand on est quasiment certain que le coupable est un proche de la personne testée, fait obstacle au travail de contrôle d'application de la loi. Vous trouverez ce qu'il a dit dans les transcriptions, mais je vous ai résumé l'essentiel de ses propos. Je crois que sa remarque a été bien accueillie par le comité de l'autre Chambre.
L'application de sa première recommandation représenterait un énorme changement dans le système, notamment parce qu'on supprimerait les autorisations des juges. Dès lors qu'une personne serait condamnée pour certaines infractions, elle devrait contribuer à la Banque nationale de données génétiques.
La présidente : Sénateur Dickson, nous allons accueillir M. Cory la semaine prochaine, à moins qu'il ne change d'avis. Je suppose qu'il pourra s'expliquer sur les mêmes thèmes.
Le sénateur Dickson : Merci.
Le sénateur Bryden : Je ne suis pas surpris que l'autre Chambre soit en faveur de la position exprimée par le juge Cory qui estime que tout criminel doit donner un échantillon de substance corporelle pour la Banque nationale de données génétiques. Cette façon de voir est tout à fait conforme avec le principe des peines minimales que doivent respecter les tribunaux.
Comme vous le savez, il faut appliquer des peines minimales obligatoires pour un grand nombre de crimes. C'est la nouvelle tendance. Reste à savoir si cela sera efficace pour réduire la criminalité.
Ma question s'adresse à la caporale Derksen. J'ai été interpellé par ce que vous avez dit. Vous nous avez clairement dit avoir conclu de votre expérience que l'ADN est un merveilleux outil d'enquête dans le domaine pénal.
Cpl Derksen : Effectivement.
Le sénateur Bryden : Vous avez parlé de tout le travail qu'il faut faire et indiqué que vous pourriez être beaucoup plus efficaces si vous n'aviez pas tant de papiers à remplir et ainsi de suite. Vous avez donné l'exemple de pays plus progressistes dans de l'utilisation des échantillons génétiques, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Pourquoi dites-vous que ces deux pays sont plus progressistes que le Canada dans la façon dont ils utilisent l'ADN pour lutter contre la criminalité?
Cpl Derksen : Ce sont, bien sûr, deux pays démocratiques où le pouvoir judiciaire est indépendant. Leurs recours aux techniques de l'ADN sont particulièrement bénéfiques aux corps policiers, pas uniquement pour accélérer la disculpation des innocents, mais aussi pour bien préciser les droits des enquêteurs dès le début. Le prélèvement d'échantillons génétiques au moment de l'arrestation représente un grand progrès et pourrait se révéler un outil extraordinaire pour les corps policiers.
Le sénateur Bryden : Vous avez dit que la possibilité de recueillir et de traiter des échantillons génétiques dès l'arrestation, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays progressistes comme le Royaume-Uni et les États-Unis, permettrait aussi d'accélérer la disculpation des innocents.
Cpl Derksen : C'est exact.
Le sénateur Bryden : Pourtant, vous venez juste de dire que ces prélèvements permettent principalement à la police et aux autres acteurs de la répression du crime de mettre la main sur les criminels et d'obtenir leur condamnation.
Cpl Derksen : Je ne suis pas d'accord, je dirais que c'est 50-50, ou à peu près. Il arrive souvent que nous soyons en présence de nombreux suspects dans nos enquêtes criminelles. Si nous ne sommes pas certains de la participation d'un suspect dans une affaire, mais que nous avons des échantillons d'ADN à notre disposition, il nous est possible de les faire analyser et d'obtenir des informations utiles dès le début. Ainsi, nous pouvons exclure immédiatement les innocents. En effet, s'ils n'apparaissent pas dans le fichier des condamnés et que leur échantillon génétique ne se retrouve pas dans le fichier de criminalistique, il est possible de les écarter tout de suite. Ce n'est pas efficace à 100 p. 100, parce qu'il y a toujours une façon de ne pas laisser de traces d'ADN sur les lieux d'un crime, mais c'est tout de même un formidable outil dans la répression de la criminalité.
Le sénateur Bryden : Devrait-on libéraliser la pratique du recours aux échantillons génétiques? Comme vous l'avez dit, il est possible de prouver l'innocence d'une personne en l'absence de correspondance ADN, mais est-ce que les autres pays plus progressistes que nous sont aussi équitables envers les accusés?
Cpl Derksen : Je ne peux vous en parler, parce que je n'ai jamais travaillé dans ces pays. Quand au relâchement des règles, c'est beaucoup plus que cela qui est nécessaire. Il faut aligner ces règles sur la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques pour que nous nous retrouvions avec le même genre de procédure. Le prélèvement serait effectué au début de la procédure, plutôt qu'à la fin. Par exemple, si l'empreinte génétique d'une personne condamnée pour homicide se trouve dans le fichier des condamnés, on peut tout de suite faire la comparaison avec le contenu du fichier de criminalistique. Le cas échéant, nous savons quelles infractions cette personne a commises. En procédant ainsi, nous n'aurions pas à revenir en arrière pour tout recommencer depuis le début, puisque tout serait réglé en partant.
M. Yost : J'ai joint un document qui est l'arrêt rendu dans l'affaire S. et Marper c. Royaume-Uni où la Cour conclut que le système du Royaume-Uni était en violation de la Convention européenne sur les droits de l'homme. Je vous invite d'ailleurs à examiner le paragraphe 47 de cet arrêt.
Je l'ai devant moi, mais je n'en ai pas fait de copies pour tout le monde.
La présidente : Pourrez-vous nous remettre ce document?
M. Yost : Je vous le laisserai après. Je pourrai le retrouver sur Internet. Le problème, c'est que vous allez voir mes annotations sur ce paragraphe.
Je vais vous lire le paragraphe en question. Sachez que, pour l'instant, presque tous les États de l'Union européenne prélèvent des échantillons d'ADN au moment de l'arrestation :
Le Royaume-Uni est le seul État membre à autoriser expressément la conservation systématique et pour une durée illimitée des profils ADN et échantillons cellulaires des personnes ayant bénéficié d'un acquittement ou de l'abandon des poursuites. Dans cinq États (Belgique, Hongrie, Irlande, Italie et Suède), ces données doivent être détruites d'office à la suite d'un acquittement ou de l'abandon des poursuites.
Cela veut donc dire que les autorités ont les échantillons avant que la personne ne soit condamnée. L'arrêt se poursuit ainsi :
Dix autres États appliquent cette même règle en l'assortissant de certaines exceptions très limitées : l'Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas autorisent la conservation lorsqu'il subsiste des soupçons à l'égard de la personne ou qu'un complément d'enquête est nécessaire dans une affaire distincte, l'Autriche la permet lorsqu'il y a un risque que la personne soupçonnée commette une infraction grave et la Pologne fait de même mais seulement pour certaines infractions graves; l'Espagne et la Norvège autorisent la conservation de profils si la personne est acquittée après avoir été reconnue pénalement irresponsable; le Danemark et la Finlande autorisent la conservation respectivement pendant un an et dix ans en cas d'acquittement, et la Suisse la permet pendant un an en cas d'abandon des poursuites. En France, les profils ADN peuvent être conservés pendant 25 ans après un acquittement ou l'abandon des poursuites...
Dans le cas de la Norvège et de l'Espagne, j'assimile la mention « reconnue pénalement irresponsable » à notre disposition relative à l'absence de responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.
À la façon dont je comprends la chose, force est de constater que les situations varient beaucoup au sein de l'Union européenne. Les pays prélèvent des substances corporelles au moment de l'arrestation et ils appliquent des règles différentes sur la durée de conservation de ces échantillons après l'acquittement éventuel de la personne ou après qu'elle a été trouvée criminellement non responsable.
Vous désirerez peut-être à ce sujet entendre le surintendant de la GRC, Mike Sekela. Vous avez peut-être entendu parler du projet KARE, à Edmonton, dans le cadre duquel le surintendant Sekela a recueilli des échantillons d'ADN et d'autres types d'indices, comme des tatouages, sur des prostituées. Comme il y avait eu une série de crimes, les autorités avaient estimé que les échantillons génétiques constituaient le dernier outil susceptible de permettre leur identification en cas de disparition. Pendant des années, le surintendant Sekela s'est battu pour qu'il soit possible d'obliger les clients à se soumettre à des prélèvements de substances corporelles. Je laisse le comité sur cela.
Il a notamment communiqué avec le Bureau du shérif du King County, aux États-Unis, pour savoir si le prélèvement d'échantillons génétiques au moment de l'arrestation aurait pu aider la police à résoudre les meurtres de Green River. Vous avez sans doute entendu parler de ces meurtres. Le meurtrier avait été arrêté le 4 mai à la faveur d'une chasse policière aux clients de prostituées. Si, à ce moment-là, on avait ou le soumettre à un prélèvement, soit après son quatrième assassinat, la police aurait disposé de traces ADN et aurait pu l'identifier avant qu'il ne tue 41 ou 43 autres femmes.
Pensez-y : des personnes sont tuées parce que les échantillons génétiques ne sont pas analysés dans les plus brefs délais. Je vais remettre ces deux documents à la greffière. Ils sont en anglais, mais je suis certain que l'Union européenne doit les avoir en français. Moi, je n'ai que la version anglaise.
La présidente : Nous les trouverons sans doute sur le Web.
Le sénateur Bryden : Histoire de préciser la chose, quelle est la position de la Grande-Bretagne? Les échantillons génétiques sont-ils prélevés au moment de l'arrestation?
M. Yost : Oui.
Le sénateur Bryden : Et combien de temps ces échantillons sont-ils conservés?
M. Yost : Le Royaume-Uni est sans doute en train de réagir à cet arrêt. La police prélève des échantillons dans tous les cas d'infractions donnant lieu à un constat de police et il se trouve que j'ai l'original devant moi. Il s'agit de condamnations pour toute infraction punissable d'emprisonnement et mentionnées à l'annexe du règlement, ainsi que de tout avertissement, réprimande et mise en garde concernant une telle infraction. Je vous laisserai cela également.
J'ai coché certaines de ces infractions, comme l'achat ou la location d'un arc ou de toute partie d'un arc par une personne de moins de 17 ans et l'emploi de slogans racistes au sens de la loi relative aux infractions commises lors de matches de soccer.
Le sénateur Bryden : Et ils prélèvent des échantillons génétiques pour ça?
M. Yost : C'est une des critiques qu'on leur fait.
Le sénateur Bryden : Alors, c'est que Chelsea a perdu.
M. Yost : C'est l'une des critiques formulées par la Cour de l'Europe, autrement dit que toute personne qui tombe sous la main d'un policier doit se soumettre à un prélèvement génétique qu'il n'est plus possible, ensuite, de faire supprimer à moins d'appliquer une procédure consistant à demander officiellement à la police d'autoriser le retrait de l'échantillon, parce que ce n'est pas une démarche judiciaire.
Cela vous donne une idée très générale.
Le sénateur Bryden : Merci. Il y a des années de cela, j'ai été sous-ministre de la Justice et procureur général au Nouveau-Brunswick. Chaque fois où je me suis penché sur la chose, j'ai entendu les corps policiers et les policiers me dire que, plus les exigences sont strictes, plus on les aide dans leurs enquêtes, plus leur travail est facilité et mieux c'est. Ils sont tous favorables à ce genre de choses.
Je ne veux certainement pas que nos lois relatives aux empreintes génétiques ou d'autres lois soient copiées sur ce qui se fait en Grande-Bretagne et sur ce que vous venez de nous décrire. Ça m'inquiète d'imaginer que quelqu'un qui tombe dans la ligne de mire de la police pour avoir eu des ennuis un jour puisse se retrouver avec un dossier impossible à supprimer par la suite à moins d'obtenir l'accord de la police.
Je ne veux pas que nous prenions cette orientation.
Si vous étiez là hier, vous m'avez sans doute entendu faire une sortie contre cette approche. Je crains que plus on donne de pouvoirs à la police et plus nous devrons veiller à ce que notre structure fondamentale, nos valeurs de base, notre Constitution et notre Charte soient rigoureusement respectées. Dieu merci, tous les juges ne sont pas toujours d'accord et sont prêts à étudier les faits qui leur sont soumis plutôt que de se plier aux volontés d'un Parlement ou d'un dictateur leur disant « Si vous commettez tel ou tel crime, vous écoperez automatiquement de 10 ans, peu importe les circonstances. »
Je ne veux pas revenir là-dessus, mais il y a lieu de s'en préoccuper et, d'ailleurs, beaucoup s'en inquiètent. C'est un des aspects dont se soucieront de nombreux sénateurs ici présents, dont moi, au moment de recommander des amendements à ce projet de loi. Je ne suis pas d'accord pour que nous emboîtions le pas aux Britanniques.
M. Yost : Permettez-moi de réagir rapidement. Il y a bien sûr plusieurs filtres, notamment le fait que le ministère de la Justice doit, avant le dépôt de toute loi, certifier que celle-ci est conforme à la Charte des droits et libertés. Nous sommes au fait des critiques formulées par le Conseil de l'Europe et, si nous emboîtions le pas au Royaume-Uni, nous veillerions bien sûr à ériger un certain nombre de sauvegardes en fonction de ces mêmes objections.
Au bout du compte, quand ce genre de question se retrouvera devant les tribunaux, il faudra analyser la situation au vu de l'article 1 et il irait dans l'intérêt de la protection des Canadiens de permettre aux corps policiers d'utiliser les empreintes génétiques car cela permettrait d'épargner de nombreuses vies et de réduire le nombre de personnes agressées sexuellement, par exemple, raisons pour lesquelles je vous ai parlé du cas de King County qui est sans doute l'un des plus frappants.
En réalité, si nous n'alimentons pas la BNDG, nous ne parviendrons pas à identifier autant de contrevenants potentiels. Le Royaume-Uni a transmis des informations qui ont été jugées insuffisantes au vu de la Convention européenne sur les droits de l'homme à cause du nombre de correspondances établies dans le cas de personnes qui n'ont finalement pas été condamnées. Il demeure que beaucoup de meurtres ont été solutionnés grâce à cette démarche.
On pourrait en arriver à des jugements semblables au Canada si nous décidions que les avantages de cette formule sont supérieurs aux inconvénients que la contribution à la BNDG, sous la forme de prises de sang, peut représenter pour une personne, étant donné toutes les protections qui existent par ailleurs au titre des droits à la protection de la vie privée.
J'ai commencé par vous dire que cette question est fondamentale par rapport à d'autres. Il n'est pas dit que, si nous passons de 32 000 à 100 000 échantillons soumis, nous allons tripler le nombre de correspondances. Nous les doublerons peut-être, mais quoi qu'il en soit, il s'agira de pistes d'enquête pour la police dans les cas d'infractions graves.
La présidente : Je ne pense pas que personne ici sous-estime la gravité des enjeux. Vous pouvez me faire confiance là- dessus.
Moi aussi, je m'intéresse à la question de la conservation des profils. Personnellement, je ne pense pas qu'il faudrait imiter le modèle en vigueur au Royaume-Uni. Pour en revenir au système canadien — et je me réfère ici à votre très intéressant document, maître Yost —, vous dites que la Banque nationale de données génétiques doit faire disparaître tous les liens éventuels avec les profils contenus dans le fichier des condamnés dès que les ordonnances ayant autorisé le prélèvement des échantillons sont renversées en appel.
Pourquoi ne pas simplement dire que si l'autorisation de prélever un échantillon en vue de constituer un profil finit par être rejetée, nous devons supprimer le profil? Pourquoi insister pour qu'on conserve des informations que nous n'aurions pas, selon le tribunal, dû constituer dans un premier temps?
M. Yost : Nous avons prévu cela pour régler un problème occasionné par l'ancienne version de la loi. Une personne pouvait avoir été condamnée et avoir dû contribuer à la Banque nationale de données génétiques, puis avoir été condamnée ultérieurement pour d'autres infractions. Avant, la loi contenait un article édictant qu'il n'était pas nécessaire d'obtenir une autre autorisation si le procureur informait le tribunal qu'un échantillon génétique de la personne se trouvait déjà dans la BNDG. Si la première ordonnance ou autorisation était renversée, il n'était plus ensuite nécessaire de se représenter devant le juge pour lui dire que, s'il avait su ce qui allait se passer, il aurait émis une ordonnance de prélèvement à la suite de la première infraction désignée. Le juge était dessaisi et nous ne pouvions pas nous représenter devant lui.
Nous avons donc proposé cette nouvelle procédure selon laquelle les juges doivent, dans tous les cas, se demander s'il faut émettre une ordonnance de prélèvement pour cette personne. D'où cette série de démarches. Je ne pense pas qu'elles aient été très bien accueillies par la police qui doit mettre la main sur l'individu, faire les vérifications d'usage, remplir les formulaires appropriés, prélever les empreintes digitales et les envoyer un peu partout, sans pouvoir contraindre l'individu à contribuer à la BNDG au risque — et c'est déjà arrivé, même si c'est rarement — de se retrouver avec d'autres crimes sur les bras. C'est pour ça que nous avons apporté cette modification.
Il serait plus simple de dire que les profils génétiques de toute personne ayant été condamnée pour une infraction désignée qui se trouvent encore en dossier doivent être conservés jusqu'à ce qu'on conclue que le nouveau motif d'arrestation n'est pas une infraction désignée. Ce serait plus simple. Nous n'avions pas retenu cette formule la dernière fois, mais de nos jours, les juges examinent systématiquement les autorisations de prélèvement d'ADN, y compris dans le cas de personnes pour qui il existe déjà un profil dans la BNDG et qui sont condamnées pour une nouvelle infraction. Il y a lieu de se demander si c'est là la façon la plus efficace de procéder.
La présidente : Nous serions évidemment heureux qu'on nous recommande des façons de simplifier le processus. À l'instar du sénateur Bryden, j'estime que la caporale Derksen s'en est tirée à bon compte. Ne croyez surtout pas que je veux dire par là qu'il faut prendre à la légère ce que vous avez déclaré. Ce que vous avez dit est d'ailleurs plutôt intéressant, mais j'aimerais pousser le raisonnement un peu plus loin.
Avant cela, sachez qu'il m'apparaît nécessaire que nous nous intéressions sérieusement à la façon de contourner la difficulté qui consiste à disposer des échantillons génétiques au moment où nous en avons besoin.
Cependant, en vous écoutant tout à l'heure, caporale Derksen, j'ai eu l'impression que vous nous disiez — et corrigez-moi si j'ai tort — qu'il serait utile de prélever les échantillons génétiques avant l'arrestation. Il faut présumer qu'au moment de l'arrestation d'un suspect, vous disposez d'autres indications de sa culpabilité dans la perpétration de l'infraction en question. À ce moment-là, un échantillon génétique pourrait certes vous amener à confirmer vos soupçons, mais comme vous ne l'auriez pas eu en main avant, il ne vous aurait pas permis de vous prononcer sur les faits allégués. Vous semblez dire qu'il serait possible d'écarter les innocents et de ne se concentrer que sur les vrais coupables. Comment feriez-vous cela avant l'arrestation? Ce n'est certainement pas une option que nous voulons retenir au Canada.
Cpl Derksen : Ce n'est certainement pas mon intention. Quand nous avons un suspect, il est possible d'étudier l'ADN d'un échantillon sans nécessairement l'arrêter. Nous le suivons, nous récupérons une gomme à mâcher ou un verre de Burger King dans lequel il aura bu et nous envoyons l'échantillon à notre laboratoire qui peut établir une correspondance avec le fichier de criminalistique. Nous avons alors un bon motif d'effectuer l'arrestation. À ce stade, nous pouvons réclamer un échantillon de substances corporelles que nous comparons ensuite au contenu du fichier des condamnés pour voir s'il y a d'autres correspondances.
La présidente : Comme pour les 41 femmes, par exemple?
Cpl Derksen : Précisément.
La présidente : Voilà qui clarifie un peu les choses.
J'ai une autre question au sujet de la conservation des profils, maître Yost. La Cour européenne des droits de l'homme a renversé la décision du Royaume-Uni. Pouvez-vous nous dire où vous en êtes dans vos réflexions au sujet de la conservation des profils au regard de la Charte canadienne?
M. Yost : Au risque de me faire sauter dessus par la Section des droits de la personne, je commencerais par dire que, dans le système canadien, nous ne prendrions les empreintes digitales que pour des infractions punissables par mise en accusation et il ne serait donc pas question de le faire pour la plupart des « recordable offences », soit les infractions donnant lieu à un constat. Il ne s'agirait plus que d'infractions très graves, celles dont la Cour européenne a parlé.
Je n'ai pas beaucoup réfléchi sur le genre de protection qui s'imposerait. Je suppose qu'il faudrait définir un processus judiciaire. Le juge, au moment de l'acquittement, pourrait être saisi de la question et être appelé à décider s'il convient de conserver l'échantillon génétique.
Comme je l'ai dit, certains pays appliquent des règles différentes selon la nature de l'infraction. Par ailleurs, d'après ce que j'ai compris — et j'aimerais beaucoup mettre la main sur certaines des lois en question — le juge peut être appelé à se pencher sur ces questions-là quand le tribunal se refuse à innocenter l'individu, mais qu'il n'a pas assez de preuves pour une condamnation ou qu'il demeure un soupçon, comme dans le verdict de type « not proven » qui est particulier à l'Écosse.
Évidemment, si la police devait commettre des abus de procédure — par exemple, en arrêtant quelqu'un sans motif valable et en lui prenant ses empreintes digitales ou le soumettant à un prélèvement de substances corporelles, tandis qu'elle chercherait à mettre la main sur quelqu'un d'autre — il y aurait lieu de trouver une façon de mettre un frein. Je ne vois pas exactement comment nous y parviendrions.
Comme nous l'avons appris à la faveur de la rédaction du projet de loi C-3, des amendements au projet de loi C-13 et même des amendements au projet de loi C-18, il est très difficile de transformer les principes en procédures viables. Cela nécessiterait beaucoup de travail et, même si j'étais intéressé à me lancer dans cette entreprise, je ne pense pas que les autres sections de mon ministère ou d'autres seraient disposées à faire la même chose. Cependant, s'ils apprenaient que c'est l'orientation que nous allons suivre, je pense qu'ils seraient disposés à intégrer le groupe chargé d'élaborer les nouvelles procédures.
Le sénateur Baker : Si je comprends bien, la correspondance établie avec le contenu de la BNDG constituerait un motif valable pour l'émission d'un mandat. Je tenais juste à le préciser pour être certain que tout le monde le comprend bien. Vous ne vous présentez pas devant le tribunal avec ce que vous avez obtenu de la Banque nationale de données génétiques, vous vous présentez avec ce que vous avez obtenu grâce à un mandat de prélèvement d'échantillon d'ADN, c'est-à-dire un échantillon sanguin.
M. Yost : Cela permet simplement d'aller demander un mandat de prélèvement d'échantillon d'ADN au tribunal.
Le sénateur Baker : C'est ça, c'est un motif pour l'obtention d'un mandat.
Les arguments de la caporale Derksen, du moins ceux qu'elle a fournis dans son exposé, sont intéressants et je les comprends entièrement. Soixante-dix pour cent de ceux qui composent la population carcérale au Canada n'ont pas encore été condamnés pour crime et ils attendent leur procès. Nous ne sommes pas dans le même cas de figure que celui décrit tout à l'heure par M. Yost, c'est-à-dire la prise d'empreintes digitales limitée aux seuls actes criminels. La personne arrêtée par la caporale Derksen pour conduite avec facultés affaiblies a commis une infraction hybride, que l'on considère toutefois comme un acte criminel. Cela étant, la personne doit se présenter à une certaine date et s'y engager par écrit, en vertu de la Loi sur l'identification des criminels. Aux fins de cette loi, les infractions hybrides sont considérées comme étant des actes criminels. Je peux comprendre qu'elle se demande pourquoi, si l'on prend la photo ou les empreintes digitales d'une personne déclarée coupable d'une infraction hybride, on ne pourrait pas prendre aussi un échantillon génétique? C'est ainsi que j'interprète votre position, vous vous demandez pourquoi on n'ajoute pas simplement les échantillons génétiques.
C'est bien cela?
Cpl Derksen : En grande partie.
M. Yost : Pour ce qui est de l'exemple de la conduite avec facultés affaiblies que vous avez donné, je crois savoir qu'en Colombie-Britannique, où il existe un système de tri des accusations, la police ne prend pas les empreintes digitales tant qu'on n'a pas décidé d'inculper la personne. S'il est décidé de la déclarer coupable par procédure sommaire, on ne lui prend pas les empreintes digitales. Dans d'autres provinces où la police arrête la personne, s'il s'agit d'une infraction punissable par voie de mise en accusation et il y a automatiquement prise d'empreintes digitales. Cela soulève un certain nombre de choses pour moi.
Dans l'extrait que j'ai repris dans mon mémoire, on peut lire que la Cour suprême du Canada a dit de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques qu'elle est le complément moderne de la Loi sur l'identification des criminels.
J'ai appris que la GRC et d'autres corps policiers sont en train de travailler sur des techniques d'identification en temps réel. Il suffira de demander à la personne de poser sa main sur un réceptacle pour être en mesure de définir si elle correspond à un profil génétique ou pas. C'est ainsi.
Le fait que nous ne prélevions pas de substances corporelles sur les personnes déclarées coupables par procédure sommaire réduit énormément le nombre de profils susceptibles de se retrouver dans la Banque nationale de données génétiques.
Il y a aussi la question de la conduite avec facultés affaiblies. Nous enregistrons chaque année quelque 65 000 condamnations pour ce motif et je dirais que 99 p. 100 des condamnations ne sont pas prononcées par voie de mise en accusation. Il s'agit de déclarations de culpabilité par procédure sommaire et aucun de ces accusés ne contribue à la BNDG, parce que le juge ne peut le leur imposer.
L'expérience du Royaume-Uni et d'autres pays donne à penser qu'un faible pourcentage d'inculpés de ce genre se sont rendus coupables d'autres crimes graves et ce n'est donc pas ainsi que l'on parvient à mettre la main sur des criminels.
Le sénateur Baker : Maître Yost, pourriez-vous confirmer pour le comité qu'au regard des derniers changements apportés à cette loi, changements repris dans le Code criminel à l'article 487.051(1) qui fait état d'une liste de 16 infractions dont vous avez parlé tout à l'heure et où il est question d'imposer le prélèvement d'un échantillon sanguin à des fins d'analyse génétique — tout au cours de votre exposé vous avez parlé de personnes ayant été reconnues coupables d'une infraction — pourriez vous confirmer, donc, que cette disposition s'applique aussi aux personnes ayant été absoutes?
Au Canada, il existe deux types d'absolutions. La première est l'absolution sous condition et l'autre est l'absolution inconditionnelle, c'est-à-dire quand il n'y a pas de casier judiciaire. Cependant, dans cet article, il est dit « l'absout » sans plus. Dès lors, le juge des peines pourrait, par exemple, dire « Vous n'aurez pas de casier criminel, puisque vous bénéficiez d'une absolution inconditionnelle, mais la loi impose que vous vous soumettiez à un prélèvement d'échantillon génétique qui sera soumis à la BNDG. »
Cela découle de la façon dont est rédigé le nouvel article, n'est-ce pas?
M. Yost : La loi est ainsi rédigée depuis le début.
Le sénateur Baker : Avant, cependant, ce n'était pas obligatoire.
M. Yost : Ce n'était effectivement pas obligatoire. Il était cependant possible d'imposer un prélèvement en cas d'absolution. Je soupçonne que l'absolution occasionne certaines difficultés à la Banque nationale de données génétiques à cause de certains profils qu'il pourrait être nécessaire de retirer 18 mois après la contribution. Je ne sais pas à quelle fréquence ces 16 infractions donnent lieu à une absolution.
Le sénateur Baker : Ça revient à ce qu'a dit la présidente.
M. Yost : Cette liste d'infractions pour lesquelles une ordonnance de prélèvement est obligatoire n'apparaissait pas dans la première version de la loi. Elle est apparue à la suite d'une série d'amendements que le comité de l'autre Chambre a imposés pour que la loi soit adoptée. À bien y penser, je me dis que cette liste n'est sans doute pas parfaite. Je suis surpris qu'on n'ait pas appliqué ce raisonnement aux actes de terrorisme et aux actes de gangstérisme. Ce sont des infractions primaires, mais qui n'imposent pas aux tribunaux de rendre une ordonnance de prélèvement.
Le fait d'infliger des lésions corporelles par négligence criminelle ou à l'aide d'une arme est une infraction qui a donné lieu à d'intéressantes décisions par les tribunaux de la jeunesse qui entendent des causes mineures de cet ordre. Le côté intéressant de la chose tient à ce que cette infraction s'applique à tout un éventail d'activités. S'il faut ajouter d'autres infractions exigeant le prélèvement d'un échantillon génétique, il conviendrait peut-être de revoir cette liste et votre comité pourrait alors être nous faire part de son point de vue quant aux infractions éventuelles pour lesquelles le prélèvement devrait être obligatoire. Vous pourriez très bien être opposés à l'idée que certaines infractions exigent l'émission d'une ordonnance de prélèvement, pour préférer vous en remettre à la discrétion du juge des peines, comme c'était le cas auparavant. Cependant, si l'on doit avoir des infractions exigeant le prélèvement obligatoire d'échantillons génétiques, il faut alors se demander si cette liste est la bonne.
La présidente : Y a-t-il d'autres infractions que vous êtes surpris de ne pas trouver sur cette liste?
Le sénateur Baker : À part les actes terroristes?
La présidente : Oui. Et c'est une exclusion intéressante.
M. Yost : On trouve la « participation à une activité d'un groupe terroriste ». Je crois l'avoir mentionné.
La présidente : Je pense que tous les actes terroristes tomberaient dans cette catégorie.
M. Yost : Le « trafic d'êtres humains » n'apparaît pas ici et il y a simplement la « prise d'otage ». Par ailleurs, je doute qu'on tombe souvent sur des « attaques contre les locaux officiels, le logement privé ou les moyens de transport d'une personne jouissant d'une protection internationale », mais j'ai mentionné la participation aux activités d'une organisation criminelle.
À l'analyse, on pourrait peut-être envisager de faire remonter certaines des infractions secondaires.
Selon moi, il serait plus simple d'adopter des catégories génériques : s'il s'agit d'un acte criminel et si la peine est supérieure à 10 ans, « et cetera », sinon, c'est une infraction secondaire. Ce serait quelque chose comme ça. Nous n'avons pas de critère fondé sur les infractions, sauf en ce qui concerne les infractions génériques, qui traduise le point de vue du Parlement quant à la gravité de l'acte et donc aux conséquences qui devraient en découler, dont l'émission d'une ordonnance autorisant le prélèvement pour analyse génétique.
Le sénateur Milne : Je vais passer à autre chose.
Je juge utile de recourir aux profils génétiques pour retrouver des personnes disparues. Vous avez dit que cela n'était pas possible en vertu de la loi, telle qu'elle se présente actuellement. Devrions-nous recommander l'utilisation des échantillons génétiques qu'on assortirait de conditions restrictives?
Pourquoi ne testez-vous pas l'ADN prélevé sur les pieds chaussés d'espadrilles qu'on a retrouvés sur les rives de la Colombie-Britannique? S'il n'est pas possible d'effectuer de tels tests, pourquoi alors a-t-il été possible, d'après ce que nous a dit M. Fourney hier soir, de recourir à l'ADN mitochondrial, à l'ADN-Y et même aux PNS pour identifier les personnes qui ont péri dans l'accident de la Swissair au large de Peggy's Cove?
M. Fourney : Tout d'abord, la technologie utilisée après l'écrasement du Swissair 111, au large de Peggy's Cove, était celle des répétitions courtes en tandem ou STR. Nous n'avons utilisé aucune autre technique d'analyse d'ADN. Nous utilisons aujourd'hui exactement les mêmes techniques qu'à l'époque. Nous n'avions pas accès aux nouvelles technologies dont il a été question dans la leçon de science qui vous a été donnée hier soir et nous ne les avons évidemment pas utilisées.
Le sénateur Milne : Mais ces nouvelles techniques ont été utilisées après les attentats du 11 septembre 2001. Je suppose qu'on a pu identifier des corps de Canadiens grâce à cela.
M. Fourney : Je le pense. Dans le cas de Swissair 111, nous avons pu obtenir des échantillons référenciels prélevés sur des proches biologiques. Dans ce cas, nous avions spécialement obtenu, aux fins de cette enquête, le consentement des proches en question pour pouvoir comparer les échantillons prélevés avec les restes humains trouvés sur les lieux de l'écrasement.
Le sénateur Milne : Est-ce que tous ces échantillons d'ADN et tous les fichiers en question ont été détruits?
M. Fourney : Je le suppose. Quand cette affaire a été close, tous mes dossiers ont été mis sous scellés. Je ne suis pas autorisé à utiliser ces échantillons à d'autres fins.
M. Bird : Des membres de la famille des victimes ont signé des formulaires de consentement qui stipulaient que ces échantillons ne serviraient qu'aux fins d'identification dans le cadre de l'enquête sur l'accident du vol Swissair 111. Ils ne devaient servir à aucune autre fin.
Le sénateur Milne : Est-ce ainsi que l'on peut limiter l'utilisation d'échantillons d'ADN pour trouver des personnes disparues?
M. Fourney : Depuis que je travaille sur le dossier des échantillons d'ADN, je peux vous dire qu'il a été suggéré à maintes reprises de créer un fichier des personnes disparues. Deux projets de loi d'initiative parlementaire au moins ont été déposés au Parlement. Chaque fois, on a demandé comment créer un tel fichier. On continue de discuter sur la façon de le mettre sur pied.
Quand nous avons étudié ce qui se fait aux États-Unis et dans d'autres pays qui administrent des programmes concernant les personnes disparues, nous avons constaté que ce genre de fichier est très utile pour identifier des restes humains ou des personnes disparues. Pour l'instant, il n'existe pas au Canada de système unifié reposant sur l'établissement de profils génétiques pour les personnes disparues.
Cependant, certaines provinces ont fait leur part. Par exemple, la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario se servent d'échantillons d'ADN pour retrouver des personnes disparues. Cependant, la mise en œuvre de tels programmes repose davantage sur les coroners et les administrations locales. Quant aux techniques à employer, nous étions particulièrement réglementés dans le cas de l'accident de la Swissair.
Le sénateur Milne : Et les pieds retrouvés en Colombie-Britannique? Vous pourriez prélever des échantillons et les tester pour le fichier de criminalistique.
M. Fourney : Cela concerne l'une des étranges caractéristiques de notre loi. Je me rappelle un cas en particulier. Je n'ai plus les détails en mémoire, mais il s'agissait d'un torse, du corps étêté et démembré d'une personne qui, de toute évidence, avait été victime d'un acte suspect. Il y avait certes des soupçons quant à l'emplacement du lieu du crime, mais il n'était pas permis de prélever un échantillon de substance corporelle sur la victime pour le verser dans le fichier de criminalistique et effectuer une recherche dans nos différentes banques.
La présidente : Est-ce parce qu'on ne considère pas que le corps constitue le lieu du crime?
M. Fourney : Le corps est considéré comme une victime et la loi nous empêche d'utiliser un échantillon prélevé sur cette victime dans le fichier de criminalistique.
Nous avons eu un autre cas, celui d'une agression sexuelle contre une jeune femme. L'agresseur lui avait remonté le chandail sur la tête et l'avait agressée. Puis, il était reparti avec le chandail et avait commis deux autres agressions sexuelles ensuite. Pour une raison ou une autre, il avait laissé le chandail sur place après la troisième agression. Je crois savoir que les cheveux retrouvés sur ce chandail étaient bien ceux de la première victime.
Toutefois, pour parvenir à cette conclusion, il avait fallu mener une enquête en bonne et due forme. Les enquêteurs avaient retrouvé des cheveux sur les lieux du troisième incident, mais l'ADN ne correspondait pas à celui de la troisième victime. D'où la question : à qui appartenait ce chandail? C'est le cheveu retrouvé sur ce sweater qui a permis d'établir un lien entre les trois agressions.
Les enquêteurs n'ont pas pu verser ces données dans le fichier de criminalistique, parce que nous ne pouvons utiliser des échantillons prélevés sur des volontaires ou des victimes dans ce fichier. Il est dès lors impossible d'établir une correspondance dans ce genre de situation. C'est uniquement grâce aux enquêtes particulièrement diligentes de la police relativement à trois agressions distinctes, mais reliées, qu'il a été possible de reconstituer le déroulement des événements.
Dans le passé, le comité de l'autre Chambre a été invité à réfléchir sur la possibilité d'autoriser les dons volontaires d'échantillons génétiques pour qu'ils soient versés dans ce fichier. Cela contribuerait non seulement à l'arrestation d'auteurs de crimes, mais aussi à la disculpation de personnes accusées à tort. La question importante qui se pose ici est de savoir quel genre de privilèges on pourrait consentir à une personne qui contribuerait volontairement à alimenter le fichier de criminalistique pour permettre de trouver des pistes d'enquête.
Comme M. Bird l'a dit, le fichier de criminalistique de la Banque nationale de données génétiques est particulièrement réglementé.
Le sénateur Milne : Ce qui me chicote, c'est que vous disiez qu'une partie de corps humain, dans ce cas un pied, est une partie de la victime. Cependant, l'endroit où ce pied a été coupé constitue le lieu du crime, n'est-ce pas? Pourquoi donc ne peut-on pas prélever d'échantillons génétiques?
M. Bird : Il n'est pas possible de verser ces substances corporelles dans le fichier de criminalistique à cause des dispositions de l'article 8.1 de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques qui vient préciser ce qui est admissible. Le paragraphe 5(3) de la loi édicte que l'on peut mettre dans le fichier de criminalistique toutes les substances corporelles prélevées sur les lieux d'une infraction désignée, ce qui se limite à la personne, à la victime ou au lieu même. C'est très large, mais il faut lire cette disposition parallèlement à l'article 8.1 qui dit que le fichier de criminalistique doit être rendu inaccessible s'il contient un profil d'identification génétique de la victime ou d'une personne qui n'est plus considérée comme un suspect. Cela revient à dire que si vous savez que tel est le cas en partant, vous ne pouvez verser le profil en question dans le fichier de criminalistique.
En fin de compte, dès qu'on a déterminé qu'une personne a été victime d'une infraction désignée, on ne peut porter son profil génétique dans le fichier. En revanche, il est possible de verser dans le fichier de criminalistique l'ADN du suspect éventuel prélevé sur une victime, par exemple dans le cas d'une agression sexuelle, mais on ne peut le faire dans le cas de la substance corporelle de la victime.
Lors des débats en 1998, la théorie de l'heure voulait que la banque de données génétiques soit gouvernementale. Seuls les profils génétiques de personnes associées à la perpétration d'un crime devaient se retrouver dans cette banque de données et les profils de tous les autres — c'est-à-dire des suspects éliminés et des victimes — devaient être retirés ou ne pas être versés dans la banque de données. C'est une position philosophique relativement à ce qu'il est possible de conserver dans la Banque nationale de données génétiques.
Le sénateur Milne : Même si cela pourrait être un moyen d'identifier les victimes.
M. Bird : Tout à fait.
Le sénateur Milne : Eh bien c'est peut-être quelque chose dont nous devrions tenir compte dans la formulation de nos recommandations. Je vous remercie.
M. Yost : Si vous me le permettez, je vais vous parler un peu de la création d'un fichier des personnes disparues selon le projet de loi d'initiative privée déposé dans l'autre Chambre. Je vous recommande de prendre connaissance des témoignages rendus à cette occasion par M. Bird, par Karen Sallows, de Sécurité publique Canada, et par moi-même. Beaucoup de travail a été effectué dans ce dossier. J'ai présidé un comité qui s'est chargé des aspects juridiques de la question.
Nous pensons avoir trouvé certaines façons de contourner les difficultés, comme le fait de savoir qui a le pouvoir de déclarer qu'une personne est disparue. Dans ce genre de situation, on a toujours tendance à penser aux enfants de quatre ans. Dans ce genre de cas, ce sont bien sûr les parents qui sont responsables, mais quand c'est un adulte qui disparaît, il peut s'agir d'un acte volontaire. La personne signalant la disparition peut ne pas être un parent du disparu, mais un colocataire, par exemple. Nous pourrions utiliser des formulaires de consentement.
Nous nous sommes enlisés dans les questions de structure opératoire. Nous nous sommes surtout demandé quel organisme ou quel corps policier aurait les moyens d'intervenir dans ce genre de dossier, en plus de tout le reste. Je suis certain que la police aimerait que les laboratoires fassent davantage. Le sénateur Baker parlait de ce que fait la GRC pour essayer, notamment, d'accroître sa capacité de traitement. Cependant, si l'on ajoute les personnes disparues à la charge de travail de la GRC, il y a très peu de chances qu'elle consacre plus de temps au dossier d'une personne disparue qu'à celui d'un homicide.
Il est possible de régler les problèmes sur le plan légal, mais sur le plan opérationnel, c'est une autre paire de manches. Pour l'instant, les laboratoires n'ont pas la capacité voulue pour assumer cette charge additionnelle. On en est là.
Le sénateur Dickson : Je veux enchaîner sur ce qu'a dit le sénateur Milne au sujet du fichier des personnes disparues. Beaucoup, surtout les parents, sont préoccupés par cette question.
J'ai trouvé intéressant qu'on envisage la création d'un tel fichier sous l'angle de la politique publique. Ce serait une bonne idée de pousser l'examen à cet égard, mais ce n'est peut-être qu'une question de moyens financiers. Est-ce que je me trompe?
M. Yost : Cela résume assez bien le point de vue du ministère de la Justice. Malheureusement pour nous, il nous reste à trouver des fonds pour la GRC, pour l'Ontario afin qu'il soit possible de passer par le Centre des sciences judiciaires, et pour le Québec également.
Bien qu'extérieur à tout cela, je suis parfaitement au courant des pressions d'ordre financier et des exigences qui pèsent sur le système actuel. Je constate une pressante envie de se lancer dans quelque chose de nouveau, à moins que quelqu'un, quelque part, n'assure le financement.
Le sénateur Dickson : Combien cela coûte-t-il pour les provinces qui le font déjà? Autrement dit, si l'Ontario a un tel programme, combien cela lui coûte-t-il? Le savez-vous?
M. Yost : Tout dépend du genre d'hypothèses que vous formulez quant au nombre de personnes disparues, déclarées auprès du Centre d'information de la police canadienne. Il peut s'agir de 8 000 ou de 9 000. Les parents ou d'autres peuvent se présenter au CIPC pour nous demander d'effectuer des vérifications et pour nous remettre des échantillons de substances corporelles de l'enfant disparu, comme des cheveux sur une brosse.
Je laisserai le soin à M. Fourney de vous parler du nombre de personnes déclarées disparues aux États-Unis et pour vous dire si les proportions pourraient être semblables en Ontario, par rapport à d'autres provinces. Quant au coût, je ne peux vraiment rien en dire.
Le sénateur Dickson : Allez-y. Essayez-vous.
M. Yost : Excusez-moi, monsieur Fourney.
M. Fourney : Merci, maître Yost.
Le fichier des personnes disparues existe depuis longtemps. Nous avons tenu un atelier très important en février 2007, si je me souviens bien, qui nous a permis de rassembler des représentants des provinces, des députés, des coroners, des représentants de différents groupes concernés par la protection des renseignements personnels ainsi que des spécialistes du domaine de l'éthique. Nous avons fait venir quelqu'un qui fait partie de l'équipe d'administration du fichier des personnes disparues aux États-Unis. Il s'agissait de mon homologue au FBI, qui fait cela au groupe Quantico.
Le fichier lui-même est conséquent. Nous aimerions croire que l'ADN est la panacée pour tous les maux auxquels nous devons trouver un remède. En réalité le traitement des dossiers de personnes disparues dépend souvent de la diligence et du bon travail policier : il faut prélever les empreintes digitales et ne négliger aucun aspect d'une piste d'enquête. L'ADN est un outil parmi tant d'autres.
Comme dans les cas de catastrophes de grande envergure, de nombreux aspects de l'identification et l'exploration de bonnes pistes d'enquête sont les éléments qui permettent d'identifier les personnes disparues. Il nous est cependant apparu qu'un tel système fait appel à beaucoup plus qu'un simple groupe offrant un service national, parce qu'il se trouve que les provinces disposent déjà de programmes relativement bien structurés pour traiter des dossiers de personnes disparues. L'Ontario, en particulier, administre un excellent programme, tout comme la Colombie- Britannique. Je crois savoir que l'Alberta s'y intéresse, comme la Saskatchewan.
Force est donc de constater que des pratiques exemplaires existent déjà au Canada et qu'il conviendrait que tous les acteurs collaborent entre eux pour créer un système national. Le défi consistait en partie à insister sur ce qui fonctionnait déjà très bien à l'échelle provinciale et à le transférer au niveau national. Il n'y avait pas de problème sur le plan légal, relativement aux droits dont jouissent les personnes disparues dans leur province — mon collègue, M. Yost, a traité de la question au niveau de son groupe de travail —, mais il demeure des problèmes d'ordre logistique concernant l'échange de données entre provinces.
Pour répondre à votre question, je dirais que l'analyse des échantillons génétiques pourrait ne pas être très coûteuse, mais la mise en place d'approches systématiques pour examiner toutes les données dans le cadre d'un ensemble plus vaste risquerait, elle, de coûter très cher. N'oubliez pas, non plus, que cette entreprise est surtout humanitaire et que d'autres personnes devront participer à ces prises de décisions très importantes.
En Californie, qui administre un fichier des personnes disparues très efficace, le laboratoire traitant les échantillons a un effectif aussi important que le groupe chargé de recueillir les informations sur le terrain, d'assurer la coordination et d'interviewer les nombreuses personnes susceptibles d'être impliquées.
Il est surprenant de constater qu'aussi peu de personnes disparues, identifiées aux États-Unis, aient été victimes d'activités criminelles. C'est surprenant, parce que beaucoup pensent que les disparitions sont toujours le résultat d'actes suspects. En réalité, les disparitions s'expliquent de nombreuses façons. Je ne sais pas dans quelle mesure les chiffres que j'ai sont exacts, mais on a dit que 95 p. 100 des personnes déclarées disparues un lundi sont généralement retrouvées avant le vendredi.
Dès lors, la question consiste aussi à savoir ce qu'est une personne disparue. À quel moment doit-on prendre des mesures? Évidemment, s'il s'agit de jeunes enfants ou si des considérations différentes interviennent dans le cas du disparu, l'activité de recherche doit être entreprise presque immédiatement, tandis que dans d'autres situations, les personnes disparues peuvent s'évanouir dans la nature durant les mois d'été pour réapparaître en septembre.
Cela étant, les raisons de la disparition peuvent être très différentes, mais ce qui doit fondamentalement constituer une personne disparue soulève une question.
Quant aux coûts, je n'ai pas de chiffre précis à vous communiquer et, si je vous disais ce qu'il en coûte pour traiter uniquement les échantillons d'ADN, vous n'auriez que la partie émergée de cet iceberg que représentent les dossiers de personnes disparues.
La présidente : Nous avons largement dépassé notre temps.
Le sénateur Dickson : Pourrais-je poser une dernière question?
La présidente : M. Yost veut d'abord faire un commentaire.
M. Yost : Je voulais garantir au comité que ce dossier n'est pas en train de dormir sur une étagère, quelque part. La Police provinciale de l'Ontario a organisé une rencontre en novembre à laquelle ont participé des coroners, de nombreux corps policiers et des laboratoires. Pendant deux jours, ces gens-là ont parlé d'un système national qui permettrait de retrouver des personnes disparues. J'ai suivi tout cela de loin, parce que la question des échantillons génétiques ne constituait qu'une très petite partie de l'ordre du jour. Ce groupe s'est surtout intéressé au travail de premier plan et à la nécessité d'agir rapidement, à l'échelle nationale, pour trouver un responsable.
Le sénateur Dickson : Tout ce que je voulais dire, c'est que les sénateurs Baker, Bryden et moi-même venons du Canada Atlantique. Nous aimerions donc profiter de l'expérience et de l'assistance de l'Ontario.
Dans quelle mesure les corps policiers de la région atlantique ont-ils collaboré avec les autres instances au pays? Autrement dit, dans quelle mesure ont-ils eu recours aux services offerts à l'extérieur?
La présidente : Le savez-vous?
M. Fourney : Je peux vous dire que tout le monde a accès au volet du CIPC qui concerne les personnes disparues. Tous les dossiers de personnes disparues sont pris très au sérieux et font l'objet d'interventions, que ce soit dans l'Ouest ou dans l'Est du Canada.
Je pense que certaines provinces se sont peut-être dotées de systèmes leur permettant d'intégrer un peu plus rapidement les prélèvements génétiques que les autres
Le sénateur Joyal : Maître Yost, ai-je bien compris quand vous avez dit, au sujet de la liste des infractions désignées primaires, que vous aimeriez y retrouver les actes de terrorisme et le trafic d'êtres humains?
M. Yost : Quand je songe aux actes de terrorisme et au trafic d'êtres humains, je me dis que, par leur nature même, ces infractions ont beaucoup plus leur place dans la liste en question que les agressions armées qui, comme l'a mentionné le sénateur Baker, constituent davantage un événement mineur.
J'ai du mal à considérer que le terrorisme et le trafic d'êtres humains sont des situations bénignes, si je puis m'exprimer ainsi. Cela ressemble davantage aux infractions désignées apparaissant dans la liste que l'agression armée dont a parlé le sénateur Baker.
Le sénateur Joyal : Le trafic d'êtres humains apparaît sur la liste, mais pas les actes terroristes.
M. Yost : Certes, mais ce n'est pas une infraction désignée assortie exigeant que soit rendue une ordonnance de prélèvement. S'il doit y avoir des peines obligatoires pour certaines infractions, il faut se demander si les infractions apparaissant dans cette liste sont suffisantes ou s'il faut en ajouter d'autres
Le sénateur Baker : Ça se trouve dans la partie des infractions primaires.
M. Yost : Oui, mais ce ne sont pas des infractions rendant obligatoire l'émission d'une ordonnance de prélèvement.
Le sénateur Joyal : Parfait. Je disais cela parce qu'on les retrouve dans les infractions désignées primaires.
M. Yost : Oui.
Le sénateur Joyal : Elles font partie des crimes graves qui peuvent faire l'objet d'une ordonnance de tribunal autorisant le prélèvement pour analyse génétique.
M. Yost : J'aimerais croire que nous prenons dans le filet de la banque de données génétiques tous ceux qui commettent des infractions au profit d'une organisation criminelle. Malheureusement, dans la réalité, on est passé à côté d'infractions désignées primaires. Je ne sais pas dans quelle mesure cela constitue un problème à présent et je ne sais pas non plus dans quelle mesure on changerait la donne si l'on obligeait les tribunaux à rendre des ordonnances de prélèvement pour ces infractions, et donc s'il y aurait une augmentation du nombre de demandes d'analyse pour ces infractions. En fait, nous ne disposons pas de données valables.
Je n'ai jamais entendu parler de causes à propos desquelles un juge aurait refusé que le profil génétique d'une personne condamnée pour homicide soit versé dans la banque de données génétiques. Il s'agit plutôt d'oublis. Même si l'on imposait l'émission d'ordonnances de prélèvement dans ces cas-là, on risquerait encore de passer à côté. Quoi qu'il en soit, nous ne disposons pas de ce genre d'information.
La présidente : Merci beaucoup. Ce fut une séance fascinante. Nous vous en sommes reconnaissants. Il serait bien que nous n'ayons pas à vous reconvoquer, mais qui sait. Nous devrons peut-être vous rappeler à la faveur de nos travaux. Nous reverrons M. Fourney quand nous irons visiter sa banque de données.
M. Fourney : Tout à fait.
La présidente : Ce sera très intéressant pour nous tous.
Caporal Derksen, monsieur Fourney, maître Yost et maître Bird, merci beaucoup.
(La séance est levée.)