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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 5 - Témoignages du 2 avril 2009


OTTAWA, le jeudi 2 avril 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni ce jour à 10 h 49 pour étudier les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (L.C. 1998, ch. 37).

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous allons entendre des témoins à qui nous sommes ravis de souhaiter la bienvenue; cependant, avant de les entendre, le sénateur Joyal vient de me faire savoir qu'il invoquait le Règlement.

Le sénateur Joyal : Je veux faire une brève remarque. Je demande à nos témoins ce matin de faire preuve de clémence. Je veux attirer l'attention du comité sur une décision de la Cour de justice de l'Ontario prononcée la semaine dernière, le 17 mars, qui concerne les banques de données génétiques et les jeunes. Le tribunal a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du code relatives à la deuxième catégorie d'infractions désignées concernant les jeunes. Cette décision est une affaire qui oppose Sa Majesté la Reine et un certain nombre de jeunes.

J'aimerais que vous distribuiez cette décision aux membres du comité.

La présidente : Je vais demander à la greffière de le faire.

Le sénateur Angus : Le sénateur Baker a fait du bon travail.

La présidente : Les sénateurs qui n'ont pas été informés par le sénateur Baker s'adresseront à la greffière.

Le sénateur Joyal : Ma deuxième remarque concerne un arrêt de la Cour suprême du Canada au sujet du système de justice pénale pour les jeunes, qui confirme la différence qu'il y a lieu d'établir entre le système pénal de common law et le système de justice pour les jeunes. Il confirme l'existence de cette différence. D'une certaine façon, cet arrêt est relié à celui de la Cour d'appel de l'Ontario. Il confirme le principe de l'autonomie du système de justice pénale pour les jeunes par rapport au système de justice de common law.

La présidente : Nous avons la chance d'avoir avec nous des témoins qui vont nous parler de ces questions, dans le cadre de notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.

[Français]

Nous accueillons ce matin l'honorable Peter Cory, membre du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques et, comme on le sait, ancien juge de la Cour suprême du Canada, ainsi que M. Richard Bergman, président du Comité consultatif. Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous. Comme vous aurez compris, c'est un sujet complexe qui nous intéresse beaucoup.

[Traduction]

Nous savons que vos réflexions vont nous être très utiles pour nos travaux. Je crois savoir que M. Bergman va faire une déclaration préliminaire qui sera suivie par celle de M. Cory. Nous passerons ensuite à la période des questions et les membres du comité vous poseront des questions. Vous avez la parole, monsieur Bergman.

Richard A. Bergman, président, Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques : Je remercie les membres du comité de m'avoir invité à comparaître devant vous ce matin. Je comparais aujourd'hui à titre de président du Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques, avec mon collègue, l'honorable Peter Cory. Nous sommes tous les deux membres de ce comité depuis qu'il a été formé, il y a neuf ans.

Ma dernière comparution devant votre comité remonte à 1997, année où j'ai comparu à titre de sous-commissaire des Services nationaux de police, avec M. Fourney dans le cadre de l'examen du premier projet de loi qui créait une banque nationale de données génétiques. Après ma retraite que j'ai prise en juillet de cette année-là, après la prorogation subséquente du Parlement pour la tenue d'élections et la nouvelle présentation du projet de loi le printemps suivant, votre comité a recommandé la création de la Banque nationale de données génétiques en 1998.

Le Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques a ensuite été créé par voie réglementaire quelques mois avant que la banque de données ne démarre officiellement ses activités en juin 2000. Le comité est composé de huit membres, comprenant un président, un vice-président, un représentant du Commissariat à la protection de la vie privée et six autres membres représentant notamment les milieux policier, juridique, scientifique et universitaire. C'est le ministre de la Sécurité publique qui nomme les membres du comité. Le comité relève directement du commissaire de la GRC. Le règlement précise que le comité doit, de sa propre initiative s'il le juge nécessaire ou à la demande du commissaire, conseiller celui-ci sur toute question concernant l'établissement et le fonctionnement de la Banque nationale de données génétiques.

Le comité se réunit en général deux ou trois jours à la fois, habituellement deux fois par an, à Ottawa. Il s'est également réuni à Vancouver, Toronto et Halifax. Sept des huit membres actuels siègent au comité depuis sa création. Le représentant du Commissariat à la protection de la vie privée a changé à quelques reprises depuis l'année 2000.

Le comité a la chance de compter parmi ses membres un certain nombre de spécialistes dans divers domaines. M. Ron Fourney, directeur des Services nationaux et de la recherche, GRC, que vous connaissez bien, a commencé à travailler pour les laboratoires judiciaires de la GRC en tant que membre civil en 1988; son rôle consiste à diriger la mise au point des technologies génétiques dans les laboratoires. Sous sa direction technique, les premières preuves génétiques ont été acceptées par un tribunal canadien, et il a également participé à la mise en place de la Banque nationale de données génétiques.

M. George Carmody, ancien professeur agrégé émérite de biologie, Université Carleton, et vice-président de notre comité, a récemment présidé un sous-comité du U.S. Scientific Working Group on DNA Analytical Methodology (Groupe de travail scientifique des États-Unis sur la méthodologie analytique de l'ADN), qui a publié une étude importante sur les techniques de correspondance moyenne. Il est considéré comme un des premiers spécialistes nord- américains de la génétique démographique.

M. Frederick Bieber, professeur agrégé de pathologie, Harvard Medical School, est un généticien médical agréé qui a beaucoup publié sur les recherches familiales; il a été membre de plusieurs comités de spécialistes des analyses génétiques aux États-Unis et à l'étranger et a été membre du Kinship and Data Analysis Panel (Comité d'analyse des données et des liens de parenté) du département américain de la Justice pour aider à l'identification des victimes de la tragédie du World Trade Center.

M. William Davidson, professeur de génétique médicale et ancien doyen de la faculté des sciences de l'Université Simon Fraser, a beaucoup publié sur l'évolution moléculaire, la génétique démographique, la génomique et la génétique humaine. Il est à l'heure actuelle le chercheur principal du Projet sur le génome du saumon de l'Atlantique.

Mme Gisèle Côté-Harper, professeure de droit, Université Laval, a été membre du Tribunal canadien des droits de la personne, membre de la Commission des droits de la personne du Québec et membre de la Commission des plaintes du public contre la GRC; elle a de plus agi comme experte indépendante pour le Comité des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies.

Le doyen des membres de notre comité est, bien sûr, l'honorable Peter Cory, un juge de la Cour suprême à la retraite et chancelier émérite de l'Université York. Nous connaissons tous son illustre parcours et je ne peux tout simplement pas parler de toutes ses réalisations car elles sont trop nombreuses. Je peux toutefois vous dire que notre comité a grandement tiré profit de ses judicieux conseils au cours des nombreuses réunions auxquelles il a participé.

Mme Chantal Bernier, commissaire adjointe à la protection de la vie privée, a été récemment nommée à notre comité et assistera à notre prochaine séance qui se tiendra à la fin du mois.

Il convient également de noter que, s'ils ne sont pas membres de notre comité, nous avons bénéficié de l'information et des conseils que nous ont fournis M. Greg Yost, analyste principal des politiques, au ministère de la Justice, et M. David Bird, Services juridiques de la GRC, qui ont tous les deux assisté à toutes nos réunions et ont parfois compliqué nos débats.

M. Cory et moi sommes heureux d'être ici aujourd'hui mais je pense qu'il serait extrêmement utile pour votre comité d'entendre le point de vue des divers spécialistes qui sont membres de notre comité et qui ne sont pas avec nous aujourd'hui.

Au cours de nos réunions, nous organisons des séances d'information données par l'agent chargé de la Banque nationale de données génétiques, par le gestionnaire du système informatique de la banque de données, par des agents de recherche génétique, par des coordonnateurs de la formation sur le terrain et par des représentants du projet sur la rétroactivité. Nous assistons également à des séances d'information préparées par le ministre de la Sécurité publique, le ministère de la Justice et les Services juridiques de la GRC. Des représentants du Service d'analyse génétique des laboratoires régionaux de la GRC, du Centre des sciences judiciaires de Toronto et du Laboratoire de sciences judiciaires et de médicine légale de Montréal assistent également à nos réunions, lorsque cela est possible.

De temps en temps, nous rencontrons également des hauts fonctionnaires de la base nationale de données génétiques du Royaume-Uni et de celle du FBI à Washington, appelée le Combined DNA Index System. Nous bénéficions également des conseils que nous fournissent, par téléconférence, les directeurs d'autres laboratoires génétiques des différents États américains. Au cours des réunions qui ont été tenues à l'extérieur d'Ottawa, le comité a également rencontré des enquêteurs principaux spécialisés dans les crimes graves travaillant pour diverses forces de police ainsi que des procureurs de la Couronne provinciaux. Les membres du comité ont également participé à des conférences scientifiques nationales et internationales et présenté des allocutions au cours de plusieurs conférences judiciaires nationales et provinciales ici au Canada. Notre comité publie chaque année un rapport qui peut être consulté sur Internet.

Au cours de nos premières réunions, l'agent responsable de la banque de données a préparé des séances d'information et de mises à jour sur un certain nombre de questions techniques touchant la législation qui appelaient des précisions pour que la banque de données puisse traiter efficacement les échantillons. Le comité a présenté des recommandations ayant pour but de corriger ces problèmes, qui ont été finalement réglés par le biais de modifications réglementaires et législatives.

Pendant plusieurs années, le comité a exprimé son inquiétude face à l'insuffisance apparente du nombre des ordonnances de prélèvement d'ADN consécutives à des déclarations de culpabilité pour les infractions primaires, étant donné que le nombre de ces ordonnances s'établissait à environ 50 p. 100 du nombre prévu. Progressivement, ce nombre a augmenté et depuis l'adoption des projets de loi C-13 et C-18 l'année dernière, ce nombre a rapidement augmenté. Les profils génétiques transmis au fichier des condamnés ont été pratiquement multipliés par deux et sont passés d'environ 18 000 à près de 32 000 par année depuis les récentes modifications, un nombre que la banque de données génétiques est en mesure de traiter avec son personnel et son équipement actuels.

Ces dernières années, le comité a suivi l'évolution de la législation sur les empreintes génétiques dans plusieurs autres pays, principalement au R.-U. et aux États-Unis. Il est évident que les banques de données génétiques ont tendance à prendre de l'expansion, en particulier aux États-Unis, puisque 46 États exigent maintenant que tous les condamnés pour des crimes graves fournissent un échantillon génétique destiné aux bases de données de l'État. En outre, 11 États américains obligent également les accusés condamnés pour des infractions mineures à fournir un échantillon génétique et jusqu'ici, 15 États ont adopté des lois autorisant le prélèvement d'échantillon chez les personnes arrêtées.

Le comité sait que notre régime canadien de prélèvement après la condamnation pénale est complexe et pose un défi considérable aux juges et aux poursuivants au moment de la condamnation, ainsi qu'à la police qui doit effectuer ensuite un prélèvement biologique sur la personne du condamné. Nous savons bien que la prise d'un échantillon au moment de l'arrestation en cas de crime pourrait non seulement permettre de résoudre plus rapidement certains crimes et d'établir des liens entre des crimes commis en série mais aussi de disculper certains suspects, ce qui renforcerait l'efficacité des enquêtes.

Parallèlement, le ministère de la Justice a informé le comité que la prise d'échantillons au moment de l'arrestation pourrait augmenter considérablement le nombre des échantillons transmis à la banque de données, qui pourrait passer à 175 000 ou 200 000 échantillons par année, soit plus de cinq fois le nombre actuel, si on le faisait pour toutes les infractions désignées. Ce chiffre a probablement été calculé à partir d'une évaluation du nombre total des arrestations et ne tient peut-être pas compte du fait que de nombreuses personnes arrêtées étant récidivistes, elles auront déjà fourni des échantillons génétiques à la banque de données en raison de condamnations antérieures. La proportion des récidivistes dans la population des personnes arrêtées devrait augmenter à mesure que se développe la banque de données. Nous avons été informés du fait que c'est l'évolution qui a été constatée dans plusieurs États américains.

Quel qu'en soit le véritable nombre, la prise d'échantillons d'ADN au moment de l'arrestation augmenterait bien évidemment de façon significative le nombre des échantillons transmis à la Banque nationale de données génétiques et induirait très probablement une augmentation considérable des correspondances. Cette décision exigerait une augmentation considérable du personnel et de l'équipement dont dispose la banque de données. De plus, nous avons été informés du fait qu'environ 30 p. 100 des arrestations ne débouchent pas sur une déclaration de culpabilité en raison du retrait des accusations, des acquittements et du rejet des accusations. Cela pourrait obliger la Banque nationale de données génétiques à supprimer les données correspondant à près de 50 000 profils de personnes arrêtées par année, et à détruire les échantillons biologiques associés, ce qui représenterait un autre défi important pour ces ressources.

Le comité estime que le système actuel de prélèvement en cas de condamnation a bien servi le Canada depuis sa mise en place il y a neuf ans et le nombre des correspondances a augmenté parallèlement au développement de la banque de données pendant cette période. Nous ne sommes pas en faveur d'autoriser les prélèvements génétiques sur toutes les personnes arrêtées, mais le comité estime qu'il conviendrait d'envisager de les autoriser au moment de l'arrestation de façon sélective dans le cadre d'un système bien conçu qui viserait uniquement les infractions commises par des adultes, faisant partie des catégories d'infractions primaires prévues à l'article 487 du Code criminel pour lesquelles la prise d'échantillon est obligatoire ou facultative. Nous continuons à penser que les jeunes contrevenants sont, à cause de leur âge, très impressionnables et qu'ils ne devraient faire l'objet d'une ordonnance de prélèvement génétique qu'après une condamnation et seulement si le tribunal l'estime utile.

Si votre comité souhaitait approfondir cette question, je l'encouragerais encore une fois à inviter à comparaître tous les membres de notre comité, dont certains ont une grande expérience et une connaissance approfondie des effets à long terme de ce genre de législation.

Une autre question importante s'est posée ces dernières années; on l'appelle généralement les recherches familiales ou la recherche de filiation génétique. Introduite au départ au R.-U. il y a plusieurs années, cette technique est basée sur le fait que les membres de la même famille partagent des profils génétiques semblables et qu'elle permet d'identifier les suspects qui pourraient être apparentés à un condamné dont le profil génétique se trouve déjà dans un fichier de condamnés ou une banque criminalistique de données génétiques. Cette technique a été utilisée avec succès par le Service de criminalistique dans environ 16 p. 100 de 160 affaires très médiatisées en Angleterre. Cette technique a également été appliquée en Australie et en Europe. Aux États-Unis, son application la plus connue a permis d'innocenter un résident de la Caroline du Nord qui avait purgé 19 ans de prison pour un viol et un meurtre qui avaient en fait été commis par le frère du condamné, qui a finalement été identifié grâce à une correspondance génétique presque parfaite avec le condamné dans la banque de données.

L'application de cette technologie n'est pas une procédure courante et exige une analyse informatique plus poussée, ainsi que des efforts d'enquête plus approfondis que ne l'exigent les affaires de routine. Le Parlement et le Sénat n'ont pas examiné la question des recherches familiales lorsque la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques a été adoptée au Canada en 1998, étant donné que cette technique n'existait pas à l'époque; elle n'a pas non plus été utilisée par la Banque de données génétiques au Canada. Les recherches familiales permettent d'établir une liste des contrevenants dont les profils génétiques constituent des correspondances proches mais non parfaites avec des preuves recueillies sur les lieux des crimes non élucidés. Un bon nombre, voire la plupart, des personnes dont le nom figure sur cette liste n'ont aucun lien avec le crime et il faut donc procéder à des analyses génétiques supplémentaires et mettre en œuvre d'autres mesures d'enquête pour éviter de mettre en cause inutilement des personnes étrangères à l'infraction.

À mesure que progressera la technologie génétique criminalistique, notamment grâce à l'application de l'analyse Y- STR et à l'amélioration des logiciels, on prévoit que la liste des correspondances proches possibles obtenues grâce à cette technologie va devenir plus ciblée, plus précise et plus exacte. À l'heure actuelle, la liste des correspondances possibles pourrait être réduite en ayant recours aux techniques d'enquête traditionnelles de la police, comme l'âge, la géographie, l'accès ou la proximité des lieux du crime et les autres preuves associées aux lieux du crime.

Les recherches familiales ont dans certains pays donné d'excellents résultats dans un petit nombre d'affaires mais elles associent, au départ, un petit nombre de citoyens innocents à un profil obtenu à partir de preuves recueillies sur les lieux du crime, ce qui a amené ses détracteurs à la qualifier de forme de surveillance génétique, qui peut faire basculer l'objet des recherches de l'individu vers l'unité familiale. D'autres critiques de cette technologie insistent sur la disparité raciale qui existe dans notre système correctionnel et soutiennent que les recherches familiales entraînent une sorte de profilage racial. Notre comité a eu des discussions au sujet de cette politique, ainsi que sur les répercussions éthiques et liées à la Charte associées à cette question, qui a évolué au cours des années.

La décision d'autoriser les recherches familiales au Canada ne pourra être prise qu'après avoir procédé à un examen soigneux et approfondi de ses avantages dans le contexte du droit de l'État de faire enquête et de poursuivre les contrevenants et du droit des citoyens canadiens au respect de leur vie privée. Il est évident qu'il serait souhaitable qu'une large gamme de groupes d'intérêt participe à ce débat. Notre comité n'en est pas arrivé à un consensus sur la question des recherches familiales. À notre avis, si l'utilisation de la Banque nationale de données génétiques comme outil criminalistique depuis plusieurs années a été bien acceptée par les Canadiens, c'est en raison des dispositions extraordinaires visant à protéger la vie privée qui sont associées à son utilisation, tel que prévu par le Parlement et le Sénat, ainsi que des garanties en matière de vie privée et de sécurité qui ont été intégrées à la conception même de la Banque nationale de données génétiques.

J'estime personnellement qu'il serait prématuré d'autoriser cette technologie au Canada, mais si le Parlement décide finalement de le faire en adoptant un projet de loi, notre comité recommanderait que ce projet de loi soit accompagné de lignes directrices et de mécanismes de contrôle clairs : premièrement, les recherches familiales devraient pouvoir être utilisées uniquement pour les 16 infractions primaires obligatoires énumérées dans le Code criminel; deuxièmement, il faudrait mettre sur pied une procédure d'approbation qui exigerait que soit clairement démontré à une instance décisionnelle qu'il n'existe aucune autre piste susceptible de faire avancer l'enquête sans le recours à cette technologie. Cette instance devrait être judiciaire comme c'est le cas pour les mandats de prélèvements d'ADN du Code criminel.

L'autre aspect que j'aimerais aborder est la décision qu'a prise au départ le législateur d'exclure les victimes du Fichier de criminalistique de la banque de données. Il y a eu des cas où des échantillons biologiques provenant de victimes ont été transportés d'un lieu d'un crime à un autre — dans un cas, sur un vêtement. Cela pourrait également se produire avec une arme, comme un couteau taché de sang. Si le vêtement était retrouvé par la suite sur d'autres lieux d'un crime, le profil génétique de la victime permettrait de relier les infractions et de montrer qu'elles ont été perpétrées en série. Si leur auteur était finalement arrêté, il serait possible de démontrer sa participation à plus d'une infraction en se servant du profil de la victime qu'auraient en commun les infractions commises en série.

Notre comité estime que les profils génétiques des victimes devraient, sur une base volontaire, et accompagnés d'un consentement éclairé, être légalement autorisés à être versés dans le Fichier de criminalistique. Cependant, ces profils génétiques ne devraient être comparés qu'avec d'autres profils se trouvant dans le Fichier de criminalistique et non pas avec les profils du Fichier des condamnés. Les victimes devraient également avoir le droit de demander, quand elles le veulent, que leur profil soit retiré du fichier.

Dans le cas de restes humains non identifiés, lorsqu'il y a des éléments qui indiquent que les restes sont ceux d'une victime, comme des blessures par balle, le droit actuel n'autorise pas la police à comparer le profil génétique provenant des restes avec ceux qui se trouvent dans la Banque nationale de données génétiques, même lorsqu'il existe de forts soupçons que le profil génétique de la victime se trouve dans cette banque de données. Nous estimons qu'une modification autorisant ce type de recherche serait justifiée. Nous pensons que ce type de recherche devrait viser à la fois le Fichier des condamnés et le Fichier de criminalistique.

Au nom du Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques, je suis heureux de pouvoir vous dire qu'à notre avis, la banque de données a été jusqu'ici une grande réussite. Nous espérons que ces audiences vont porter sur les questions exposées dans le document de discussion du ministère de la Justice qui a, je crois, été distribué aux membres du comité.

Je serais heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Monsieur Cory, je pense que vous êtes prêt à ajouter quelques remarques.

L'honorable Peter Cory, membre, Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques : Ma position sur la question du prélèvement d'échantillons au moment de l'arrestation n'est peut-être pas la même que celle de M. Bergman. Il se pourrait qu'à plus long terme je la partage mais je ne pense pas que notre comité ait encore obtenu les renseignements qui lui permettraient de prendre position sur cette question.

Il faut tenir compte des divers intérêts en présence. Que pense le Comité des droits de la personne de l'Association du Barreau canadien de cette question? Qu'en pense ces bêtes bien souvent peu populaires mais très nécessaires que sont les pénalistes et la Criminal Lawyers' Association? Qu'a-t-elle à dire au sujet des droits de la personne et de l'équité dans le fonctionnement du système judiciaire? Il est possible qu'après avoir écouté ces différents points de vue, nous puissions en arriver à une décision équilibrée.

Quoi qu'il en soit, je pense que si l'on veut qu'une décision judiciaire soit équilibrée, elle devrait se présenter comme un triangle équilatéral où les avocats représentent deux côtés et un comité de type judiciaire le troisième. C'est ainsi qu'il est possible d'en arriver à une décision équilibrée. Dans une grande mesure, le rôle du comité consiste à concilier l'évidente nécessité des analyses génétiques avec d'autres valeurs. L'analyse génétique est un magnifique outil d'identification, d'abord pour ce qui est de la condamnation des délinquants et deuxièmement, dans 26 à 28 p. 100 des cas aux États-Unis, pour ce qui est d'éliminer le principal suspect.

Il faudra toujours utiliser l'analyse génétique dans cet esprit d'équilibre. Si nous voulons assumer notre rôle et conseiller le commissaire, nous devons avoir accès aux éléments sur lesquels pourrait reposer une décision et continuer à prendre en compte les droits de la personne. Un des éléments fondamentaux des droits de la personne est la vie privée. L'empreinte génétique ou l'échantillon de sang dont elle est extraite permet d'en apprendre beaucoup sur un individu. Ce n'est pas comparable à une empreinte digitale.

Je suis fier de la méthode qui a été utilisée pour créer cette banque de données pour ce qui est de la sécurité, tant la sécurité de l'identification que celle des échantillons. L'échantillon sanguin utilisé pour extraire l'empreinte génétique comporte un risque supplémentaire qui mérite d'être examiné.

Une partie du problème vient de la façon dont on obtient l'empreinte génétique et de la rapidité avec laquelle on le fait. Les juges sont en fait un groupe terrible. Ils parlent de choses comme l'indépendance judiciaire. Ils sont têtus et hargneux mais nécessaires. Ils n'ont toutefois pas fait du très bon travail pour ce qui est des empreintes génétiques.

Je pense que la loi devrait être modifiée sur ce point. Ce devrait être un aspect administratif. Après une condamnation, les attentes en matière de respect de la vie privée sont diminuées. Sur le plan administratif, l'empreinte génétique devrait être prise dès que la condamnation a été enregistrée. Peu importe quelle ait été enregistrée par un policier ou par ce représentant magique, le shérif du district judiciaire concerné. Chaque fois que l'infraction figure sur la liste qui autorise le tribunal à rendre une ordonnance de prélèvement génétique, il faudrait procéder à ce prélèvement. Nous sommes très bien protégés parce que nous disons toujours « pas avant que la culpabilité ait été établie au-delà de tout doute raisonnable ». À ce moment, vos attentes ont disparu et on devrait prendre un échantillon d'ADN.

C'est au Parlement de décider quelles sont les infractions pour lesquelles il y a lieu d'effectuer des prélèvements d'ADN. C'est un aspect important et approprié. Certaines infractions conduisent à d'autres. Un acte aussi simple et mineur qu'une introduction par effraction entraîne souvent la perpétration de crimes beaucoup plus graves. Il faudrait prendre des échantillons d'ADN dans ces cas-là.

Je pense que l'on peut faire deux choses au sujet de la loi et du règlement. Il y a d'abord la tâche administrative automatique qui consiste à prendre un prélèvement génétique dès qu'une condamnation est enregistrée. Deuxièmement, si la victime donne son consentement éclairé, il conviendrait de faire un prélèvement génétique sur elle à cause de l'utilité que cette opération offre à la fois pour la défense et pour la poursuite. Cela devrait être automatique.

Il serait également assez simple de modifier la loi de façon à ce que, lorsque la banque de données affirme qu'il n'y a pas de correspondance, mais qu'il y a une correspondance très proche qui ne peut concerner que des membres de la famille — frères, père, et cetera. — celle-ci serait autorisée à informer les responsables de l'enquête de l'existence de cette correspondance. Ces responsables devront tout de même obtenir un mandat pour effectuer un prélèvement génétique sur un autre suspect. Il sera encore probablement nécessaire de disposer d'autres preuves pour obtenir le mandat autorisant la prise d'un échantillon sur quelqu'un d'autre.

Je suis désolé d'avoir pris autant de votre temps.

La présidente : Pas du tout.

M. Cory : C'est vraiment important. Si nous pensons que, dans une démocratie, l'individu a une importance particulière — et nous devrions le penser — alors il faut tenir compte du droit à la vie privée et le respecter. Il faut concilier ce droit avec les nécessités des enquêtes policières qui ont pour but de découvrir les criminels et d'empêcher la perpétration d'autres infractions.

C'est toujours une question d'équilibre. Il est possible que j'accepte qu'on effectue des prélèvements au moment de l'arrestation mais je ne ferais pas mon travail comme je le dois si je ne disais pas que je ne dispose pas de tous les éléments pour le faire. J'aimerais entendre ce qu'on à dire les autres intéressés avant de présenter une recommandation au commissaire. Il y a parfois un autre côté, même par rapport au ministère de la Justice. Il me paraît nécessaire de l'entendre et de savoir qu'il existe.

La présidente : Merci à tous les deux.

Avant de passer à la liste des intervenants, monsieur Cory, vous avez mentionné une statistique des États-Unis qui indique que 26 à 28 p. 100 des principaux suspects sont éliminés grâce aux échantillons d'ADN. Pourriez-vous donner à la greffière la source de ces chiffres?

M. Cory : Oui.

Le sénateur Campbell : Merci d'être venu aujourd'hui. Je suis content de vous revoir.

J'aimerais parler des recherches familiales. Le R.-U. s'en sert. Seize sur 160 cas est un chiffre important lorsqu'il s'agit de crimes. Quels sont les processus qui ont été adoptés au R.-U.? Qu'est-ce qui a amené les autorités de ce pays à accepter cette technologie et est-ce que les solutions adoptées par elles la rendraient également acceptable aux groupes d'intérêt que nous allons entendre?

M. Bergman : Cette technologie est légale au R.-U. Au Canada, la banque de données ne peut fournir des renseignements que s'il existe une correspondance parfaite entre l'échantillon prélevé sur les lieux du crime et le profil se trouvant dans la banque de données. Lorsque ce n'est pas le cas, nous ne pouvons divulguer aucun renseignement.

Le sénateur Campbell : Il paraît clair que des préoccupations identiques ont été exprimées par ces même groupes au R.-U. Comment le R.-U. a-t-il réussi à faire fléchir cette opposition ou les responsables ont-ils tout simplement dit : « Nous allons le faire? »

M. Bergman : Au R.-U., il a été décidé qu'il fallait obtenir le plus possible d'échantillons d'ADN. On peut prendre des échantillons pour toute infraction susceptible de donner lieu à une arrestation. Au Canada, notre loi, qui est je crois judicieuse et très claire, est beaucoup plus restrictive. Il n'est pas permis d'effectuer des prélèvements sur une catégorie de personnes aussi large.

Cela fait plusieurs années que l'on travaille sur cette technologie. Elle a également été utilisée aux États-Unis dans certaines affaires. Par contre, lorsqu'on utilise cette technologie, on ne trouve pas un candidat unique mais peut-être 20 à 50 candidats. Je me sentirais à l'aise avec une technologie qui donne des résultats plus précis. Je ne pense pas que nous voulions frapper à la porte des gens pour savoir s'ils ont participé à une infraction. Cela me paraît encore un peu prématuré.

Le sénateur Milne : Monsieur Cory, avez-vous eu l'occasion d'examiner la décision de la juge Cohen du 17 mars 2009?

M. Cory : Non, je suis désolé, je ne l'ai pas lue.

Le sénateur Milne : Elle est assez troublante. Seriez-vous surpris d'apprendre que jusqu'ici 535 échantillons seulement sur les 21 000 qui se trouvent dans la banque de données génétiques ont été détruits?

M. Cory : Non.

Le sénateur Milne : Ce sont des échantillons concernant des mineurs et des adolescents.

M. Cory : Il y a un certain nombre de facteurs qui jouent dans ce domaine. Combien de ces personnes ont commis des infractions une fois rendues adultes? Cela n'est pas clair. Il est possible que l'échantillon soit resté dans la banque de données non pas parce qu'il a été prélevé initialement mais parce qu'il y a eu commission d'une autre infraction par la suite.

Le sénateur Milne : Je pensais que les dossiers des jeunes contrevenants étaient supprimés.

M. Cory : Il est absolument vrai qu'ils devraient être supprimés.

Le sénateur Milne : Cela comprend les données qui se trouvent dans la banque de données, n'est-ce pas?

M. Cory : Effectivement, si cela est juste et approprié. La raison d'être de ce principe, qui me paraît sain, est que bien souvent les jeunes contrevenants ne comprennent pas très bien la nature de l'infraction qu'ils ont commise, ou ce qu'ils peuvent faire, et l'on peut toujours espérer qu'ils s'amendent. C'est pourquoi nous détruisons le dossier du jeune contrevenant qui a appris certaines choses. Il me paraît logique d'appliquer ce principe et d'adopter cette attitude.

C'est un peu comme si l'on prenait des statistiques et concluait qu'il y a quelque chose qui ne va pas, en se basant uniquement sur la lecture des statistiques sans entendre ce qu'ont à dire les responsables au sujet des problèmes que ces chiffres soulèvent. Il est possible qu'il existe une explication claire et logique que je ne connaisse pas mais que connaissent ceux qui s'occupent d'établir les statistiques. Nous avons tendance à penser que les jeunes contrevenants doivent être traités de façon différente et distincte et qu'il existe un ensemble de principes logiques qui le justifient. Bien évidemment, les données génétiques devraient être supprimées à moins qu'il n'y ait une explication mais je n'ai pas encore la possibilité de demander : ``Pouvez-vous expliquer la situation et me dire ce qu'il en est?

Le sénateur Milne : Cela semble aller à l'encontre du droit actuel. Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que les dossiers des mineurs doivent être supprimés pour les raisons que vous avez mentionnées mais il semble que ce ne soit pas toujours le cas.

M. Cory : Les tribunaux sont peut-être fautifs. Comment savons-nous ce qui s'est produit devant la Cour d'appel? Elle fournit des motifs et un jugement mais cette information n'est pas toujours transmise à la banque de données génétiques. Il est possible qu'une décision ait été prise à l'égard des jeunes contrevenants mais qu'elle n'ait pas été communiquée à la banque de données génétiques. Je reconnais que le système devrait automatiquement supprimer de la banque de données celles qui concernent les jeunes contrevenants lorsqu'ils atteignent un certain âge. J'aimerais savoir s'il existe d'autres motifs qui expliquent que ces données se trouvent encore dans cette banque.

Le sénateur Milne : Peut-être que M. Bergman aimerait intervenir.

M. Bergman : J'ai participé à une discussion avec M. Fourney et M. Yost sur ce point. Je pense que si le comité posait la question à ces messieurs, ils pourraient vous répondre. Je sais que M. Yost et M. Fourney ont discuté de cette question mais je ne suis pas certain que les chiffres soient exacts. D'une façon générale, d'après la Loi sur les jeunes contrevenants et la Loi sur l'identification des criminels, ces dossiers sont conservés pendant trois à cinq ans. La banque de données n'a pas pris beaucoup d'expansion au cours des quatre ou cinq premières années, de sorte qu'une bonne partie de ces dossiers sont peut-être encore légalement conservés. Il faudrait préciser cela avec M. Fourney et M. Yost.

La présidente : Le comité veut-il que j'écrive à ces deux messieurs pour leur demander d'expliquer ces chiffres?

Des voix : D'accord.

La présidente : Ils peuvent considérer qu'ils ont été informés mais nous leur écrirons.

Le sénateur Milne : Monsieur Cory, vous proposez que le profil génétique des victimes soit transmis sur une base volontaire. On peut utiliser l'ADN pour identifier les corps dont l'identité est inconnue. Comment pourriez-vous demander l'accord de la personne dont le pied a été retrouvé sur une plage en Colombie-Britannique? Il y a des victimes qui ne sont pas en mesure d'autoriser quoi que ce soit.

M. Bergman : Ce ne serait pas sur une base volontaire. Autrement dit, dans cette affaire-là, la victime était décédée et nous pensons que la loi devrait donner le pouvoir de faire des recherches sur des restes humains non identifiés, bien évidemment sans leur accord, et comparer les résultats avec la Banque nationale de données génétiques. À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas le faire.

Le sénateur Milne : C'est une des contradictions que j'ai trouvées dans les témoignages que nous avons entendus. Nous pourrions décider d'examiner cette question.

La présidente : Cette enquête soulève de nombreuses questions très importantes.

Le sénateur Joyal : Notre comité a été sage de prévoir la création d'un comité consultatif. Votre rapport et les témoignages que vous avez livrés aujourd'hui justifient les conseils que nous avons donnés il y a quelques années. Je vois votre rôle comme un tampon entre les forces policières et les droits des citoyens au respect de leur vie privée. La loi tente de concilier l'efficacité du système et le droit des individus à protéger leurs renseignements personnels. Dans le cas de l'ADN, ces renseignements sont beaucoup plus nombreux qu'avec les empreintes digitales à cause des progrès de la technologie.

D'après votre expérience, quelle sera l'évolution technologique la plus importante que nous allons connaître dans les années à venir? Quels sont les risques qui y sont associés?

M. Cory : Ce sera probablement l'identification. C'est un outil tellement extraordinaire parce qu'avec ces techniques on peut savoir qui est l'auteur d'un crime. Comme je l'ai dit, il semble également, en tout cas aux États-Unis, que cette technique pourrait aussi permette d'éliminer certains suspects. Elle continuera à jouer ce rôle.

Il y aura toujours des cas difficiles. Il faudra décider s'il y a lieu d'autoriser les recherches familiales et comment ces recherches devraient être effectuées et résoudre les problèmes qui en découlent — quels sont les problèmes auxquels nous ferons face et pourquoi il faudra soigneusement formuler les règles dans ce domaine.

Si vous prenez le cas des détenus de notre système carcéral, vous constaterez qu'il y a un déséquilibre considérable pour ce qui est des membres des Premières nations. Aux États-Unis, cela s'applique aux Afro-Américains. Ils sont tellement surreprésentés dans les établissements carcéraux que les gens vont se poser des questions. Cela revient-il à stéréotyper les gens? Est-ce que nous faisons ces recherches à cause de leur race et, pour un motif plus restreint, à cause de leur famille? On pourrait tirer des conclusions déplaisantes, ce qui explique pourquoi il faut aborder cette question avec beaucoup de délicatesse.

L'Ontario a mis sur pied un programme de la seconde chance; les responsables de ce programme font de l'excellent travail avec les jeunes contrevenants et leur donnent une seconde chance. Ils ont maintenant deux ingénieurs, un médecin et un avocat qui ont tous purgé une peine de prison parce qu'ils avaient commis une infraction violente dans leur passé de jeune contrevenant ou même de jeune adulte.

Lorsque vous leur parlez, ce qui frappe ce sont leurs visages. On retrouve parmi eux beaucoup plus de visages bruns de membres de Premières nations que l'on pourrait s'y attendre dans un groupe de Canadiens. Les recherches familiales soulèvent des questions. Sommes-nous en train de condamner des gens en fonction de leur race ou de leur famille? C'est la raison pour laquelle je crois qu'il faudrait entourer les recherches familiales de protections très précises.

Il y a un problème quand on constate une correspondance très proche — pas une correspondance parfaite mais tellement proche qu'il faut que ce soit le frère ou le père du suspect? Devrait-on révéler cela à la police? Est-ce simplement que l'enquête a pris une autre dimension? Est-il alors nécessaire de le mentionner pour protéger la communauté, s'il s'agit par exemple d'une agression sexuelle violente ou d'un meurtre? Comment concilier tout cela? Tout cela pour dire que les dispositions législatives concernant les recherches familiales devront être rédigées avec beaucoup de soins. Cette question comporte des aspects sociaux très importants.

Le sénateur Joyal : Vous voyez les répercussions possibles sur le tissu social canadien, compte tenu de la population carcérale et de la surreprésentation de certaines catégories de citoyens; est-ce bien cela?

M. Cory : Oui. Lorsque vous visitez ces établissements, cela est frappant — vous regardez les visages qui sont devant vous.

M. Bergman : J'ai assisté à un symposium sur le respect de la vie privée et la génétique à Washington l'année dernière, comme l'ont fait d'autres membres du comité. Cette question a été examinée de façon approfondie parce qu'aux États-Unis, la population noire représente 13 p. 100 de la population générale mais 40 p. 100 de la population carcérale. C'est une différence considérable. Les personnes qui ont cité ces chiffres soutiennent que les recherches familiales sont une forme de surveillance génétique qui vise ce groupe racial particulier.

Le sénateur Joyal : M. Fourney nous a déclaré que les recherches familiales seraient le prochain domaine à se développer. Avant de nous engager dans cette direction, vous nous conseillez d'attendre que la technologie soit améliorée et de prendre des précautions supplémentaires qui n'existent peut-être pas pour les autres catégories de citoyens qui ont fait l'objet de prélèvements en vue d'effectuer des analyses génétiques.

M. Cory : Oui, je vous invite à adopter une approche prudente.

Le sénateur Joyal : Nous ne pourrions pas simplement étendre les règles aux recherches familiales sans introduire dans les textes législatifs des garanties supplémentaires qui seraient formulées avec beaucoup de soin.

M. Cory : Oui.

Le sénateur Joyal : L'autre aspect que j'aimerais aborder avec vous concerne une des recommandations que vous avez mentionnées dans votre exposé d'aujourd'hui et qui touche l'identification des restes humains. Dans le cas particulier où la personne est décédée, diriez-vous que la protection de la vie privée devrait être conçue différemment que dans le cas où la personne est vivante? Dans votre exposé, vous n'avez pas parlé des précautions à prendre. Vous avez simplement proposé d'étendre cette technique à cette catégorie. Je me suis posé des questions parce que vous avez adopté une attitude très équilibrée dans le reste de votre exposé.

M. Cory : Les morts sont tellement têtus lorsqu'il s'agit de donner leur consentement et ils sont d'une lenteur.

Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, cette personne peut avoir des enfants, il y a aussi peut-être la réputation du conjoint et le reste. Ce sont des préoccupations liées à la vie privée; c'est incontestable. Quelle est d'après vous la différence de contexte qui nous amènerait à prévoir ces protections dans la loi?

M. Bergman : Je pense que c'est l'intérêt public. Il me semble que l'État a le devoir d'essayer d'identifier un citoyen canadien qui est victime d'une infraction grave, comme le meurtre. Bien évidemment, on ne sait pas qui est cette personne. On ne peut pas s'adresser à des membres de sa famille. Il est impossible d'obtenir une approbation mais l'État a tout de même le devoir d'essayer de découvrir qui est ce citoyen canadien, s'il est bien un citoyen canadien.

M. Cory : Vous ne savez même pas s'il a de la famille tant que vous n'aurez pas fait les essais.

Le sénateur Joyal : Je relie cela à la question des personnes disparues parce que l'on peut présumer qu'une personne disparue vit encore, alors qu'avec des restes humains, la victime est décédée. Il est évident que le système qu'il faudrait mettre en place pour les personnes disparues devrait être différent de celui qui est utilisé pour identifier l'origine de restes humains.

M. Bergman : Je le crois.

La présidente : J'aimerais poser une question supplémentaire sur ce point. Est-ce que l'expression « restes humains non identifiés » désigne un corps entier? Je pense à cette affaire horrible où on a retrouvé des pieds au bord de la mer sur la côte Ouest. Est-ce qu'il s'agit là de restes humains non identifiés?

M. Bergman : Oui, ils font partie de cette catégorie.

Le sénateur Campbell : J'ai été médecin légiste pendant 20 ans et je peux vous dire que depuis que nous avons la possibilité d'effectuer des analyses génétiques, nous le faisons automatiquement pour diverses raisons. Si le corps n'est pas identifié, c'est notre responsabilité de le faire et l'analyse génétique est un de nos outils — avec les autres outils de la criminalistique comme les empreintes digitales, les dents, les tatous et le reste.

En fait, bien souvent nous n'arrivons pas à identifier le corps. Cependant, par la suite, nous réussissons à trouver la famille et nous faisons en fait l'opération inverse. Par exemple, supposons que nous pensons avoir découvert la mère. Nous allons obtenir l'empreinte génétique de la mère et faire une recherche inverse, en la comparant avec les données de notre banque de données génétiques.

La présidente : Lorsque vous dites « nous », parlez-vous de la Colombie-Britannique ou de la GRC?

Le sénateur Campbell : De la GRC.

M. Bergman : La loi actuelle interdit de comparer l'empreinte génétique d'une victime avec celles qui se trouvent dans la Banque nationale de données génétiques.

Le sénateur Campbell : Alors avec quoi comparaît-on cette empreinte en C.-B.?

M. Bergman : Vous avez peut-être effectué une recherche dans les profils locaux contenus dans le système CODIS du laboratoire de Vancouver, parce qu'il possède une banque de données concernant les affaires locales. Il y a des profils qui ne sont pas versés dans le fichier national. Par exemple, le profil obtenu à l'aide d'un mégot de cigarette est conservé localement.

Le sénateur Campbell : En général, ce n'était pas le genre de chose que nous faisions. Si, par exemple, nous avions un corps non identifié et qu'il était évident que la personne n'était pas morte de cause naturelle, est-ce que je pourrais l'envoyer à votre laboratoire?

M. Bergman : Il n'est pas possible de comparer les données concernant les victimes avec celles que contient la Banque nationale de données.

La présidente : Cette question a déjà été soulevée au cours d'une séance précédente et elle a suscité beaucoup de frustration.

Le sénateur Joyal : Sur ce même aspect, j'ai essayé d'imaginer un scénario dans lequel on a trouvé des restes humains et où la police soupçonne que la personne est peut-être victime d'un groupe criminel. Nous savons qu'aujourd'hui la plupart des victimes sont des victimes de groupes criminels.

Si la GRC ou le service de police provincial, ou le responsable de l'enquête, pouvait faire une recherche en utilisant la victime décédée, cela pourrait déboucher sur la constatation que le profil de la victime se trouve dans la banque de données et était une personne qui avait déjà été condamnée.

Le sénateur Angus : Et qui est maintenant décédée.

Le sénateur Joyal : Oui. Je ne dis pas que cela n'aurait pas de répercussions mais étant donné qu'il y en a moins dans un tel contexte, comment faudrait-il formuler les modifications au code pour d'une part préserver les garanties existantes et pour, bien sûr, d'autre part aider la police à identifier la personne en question, c'est-à-dire la personne qui a commis ce meurtre?

M. Bergman : Je ne pense pas qu'il serait très difficile de formuler une telle modification. Il faudrait simplement que cette modification autorise la police à faire des recherches et à identifier des restes humains en utilisant la Banque nationale de données génétiques, le Fichier des condamnés et le Fichier de criminalistique.

Je ne vois pas vraiment de problème avec la protection de la vie privée. Bien évidemment, cette personne a une famille mais il incomberait au service de police chargé de l'enquête d'informer les membres de sa famille que l'identité a été établie. Je ne pense pas que cette question soit trop complexe.

Pour l'aspect qu'a soulevé le sénateur Campbell, je crois que le laboratoire du médecin légiste à Vancouver possède sa propre banque de données génétiques; il a sa propre collection de profils génétiques pour les personnes disparues.

Le sénateur Campbell : Oui. Ce sont là deux questions différentes. Une de ces questions, pour prendre un exemple célèbre, est Pickton, le meurtrier qui a été condamné en Colombie-Britannique. Il a bien souvent fallu remonter à la famille pour faire des recherches à partir de l'ADN prélevé sur les lieux du crime.

La deuxième question touche le cas où quelqu'un rapporte à la police que sa fille de 17 ans a disparu. Dans ces deux genres de cas, nous devrions disposer d'une banque de données lorsque nous trouvons quelqu'un qui a été déclaré disparu, quel que soit l'endroit du Canada où cela se passe. C'est une excellente chose d'avoir une banque de données en C.-B. mais que se passe-t-il si la personne vient de l'Alberta et que nous ne savons absolument pas qu'elle a disparu de cette province?

Il devrait y avoir un registre national. On pourrait prévoir un délai et dire qu'il faut que la personne soit disparue depuis un certain temps, disons un an. Lorsque je suis devenu médecin légiste en chef, nous avions des corps non identifiés. Lorsque nous les enterrions, nous conservions tous nos échantillons et nous avons commencé à les comparer avec ceux de personnes disparues.

À mon avis, cela ne soulève aucune question de protection de la vie privée. Nous ne cherchons pas à utiliser ces données dans un but nuisible; nous les utilisons pour identifier un être humain qui a été enterré sous le nom de M. ou Mme Untel et qui a été porté disparu par la famille. Du point de vue pénal, vous avez raison; lorsque nous retrouvons un corps, nous ne savons pas toujours s'il y a un aspect criminel.

Je pense qu'il devrait y avoir un registre qui contiendrait le profil génétique de toutes les personnes disparues au Canada de sorte que quel que soit l'endroit où l'on retrouve le corps, ou des restes, ou un os, nous pourrions comparer le profil tiré de ces éléments avec cette liste et voir s'il ne s'agit pas d'une de ces personnes. J'ai beaucoup de mal à concevoir que cela puisse soulever une grave question de protection de la vie privée.

La présidente : Les témoins souhaitent-ils intervenir?

M. Bergman : Cela fait plusieurs années que notre comité en est arrivé à un consensus sur cette question. Nous sommes convaincus qu'il devrait exister un fichier des personnes disparues au Canada. Je pense que cette question a été transmise au ministère de la Sécurité publique et je crois qu'il y a un comité composé de tous les procureurs généraux du pays qui examine cette question. Ces efforts n'ont pas encore abouti et à l'heure actuelle il n'existe pas, au sein du comité, de consensus sur la façon de procéder. Ce fichier soulève quelques questions de financement et de compétence provinciale. Les représentants du ministère de la Sécurité publique ne nous ont pas fait savoir s'ils en étaient arrivés à un consensus. Nous sommes toutefois tout à fait en faveur de la création d'un fichier des personnes disparues.

Le sénateur Campbell : Il faudrait modifier la loi.

M. Bergman : Ce pourrait être une nouvelle loi ou une loi connexe.

M. Cory : Je suis certain que la Banque nationale de données génétiques pourrait remplir ce rôle, à savoir constituer un fichier des personnes disparues, et qu'elle serait disposée à le faire. Il faut simplement adopter un projet de loi pour pouvoir le faire.

Le sénateur Milne : Ma question porte sur le même sujet et j'aimerais avoir vos avis. Que pensez-vous du cas de la personne qui disparaît volontairement, qui veut quitter sa famille ou d'autres personnes; par la suite, cinq ou dix ans plus tard, cette personne a quitté la C.-B. et on retrouve son corps au Québec? Le commissaire à la protection de la vie privée devrait-il intervenir? Cette personne devrait-elle être identifiée même si elle a décidé de partir? Comment réglez- vous ce genre de situation?

M. Bergman : Si cette personne est encore vivante et que son identité a été découverte par la Banque de données génétiques et que la personne ne veut pas que son identification soit mentionnée à ses parents ou aux membres de sa famille, je pense qu'il faudrait simplement respecter ce souhait. Si cette personne est décédée, alors je crois que l'État a la responsabilité, comme nous l'avons dit, d'examiner le dossier et d'essayer d'identifier cette personne et d'informer les membres de sa famille de son décès.

Le sénateur Milne : Votre droit au respect de la vie privée disparaîtrait dans ce cas avec le décès de la personne concernée?

M. Bergman : C'est ce que je proposerais, sénateur.

Le sénateur Joyal : Si cette question a déjà été étudiée, nous pourrions peut-être passer aux suggestions que vous avez faites au sujet du profil génétique des victimes, qui est une question également importante. D'après ce que j'ai compris, vous proposez que la victime puisse volontairement offrir un échantillon. Vous avez toutefois conclu que la recherche devrait se limiter au Fichier de criminalistique et ne pas comprendre le Fichier des condamnés parce que la personne est une victime et elle est encore présumée innocente.

Quelle est l'autre protection que vous aimeriez voir introduire dans la loi qui aurait pour effet de protéger pour l'avenir le droit à la vie privée de cette personne, une fois l'enquête terminée?

M. Bergman : Ce profil serait transmis volontairement et la victime aurait le droit de le retirer quand elle le voudrait. Si l'on envisage les suites possibles, dans le cas où l'échantillon fourni par la victime permettrait d'établir un lien entre une série d'infractions et donnerait ensuite lieu à une arrestation et à une inculpation, alors je pense qu'à ce moment-là la loi devrait contenir une disposition particulière qui permettrait de retirer l'échantillon de la banque de données. Bien entendu, la personne concernée devrait pouvoir le demander n'importe quand.

Pour ce qui est de faire une recherche dans le Fichier des condamnés, il me semblerait assez délicat de demander à la victime de fournir son profil génétique et de lui dire ensuite : « Nous allons effectuer une recherche à partir de votre profil dans le Fichier des condamnés. » C'est une victime. C'est mon opinion personnelle.

La présidente : Vous êtes le président du comité consultatif.

M. Bergman : Je ne suis pas sûr qu'il y ait un consensus sur toutes ces questions.

Le sénateur Joyal : Existe-t-il un consensus parmi les membres du comité sur les deux questions que nous venons d'aborder?

M. Cory : Sur ces deux questions, oui.

M. Bergman : Il est clair qu'il existe un consensus sur ces deux questions mais les questions difficiles sont les recherches familiales et les prélèvements d'ADN au moment de l'arrestation.

Le sénateur Joyal : Vous êtes encore en train d'étudier ces questions?

M. Bergman : Oui, nous les étudions.

M. Cory : Nous n'avons pas encore épuisé nos droits d'appel.

Le sénateur Angus : Merci, messieurs, de nous avoir fourni des commentaires fort intéressants.

Premièrement, sur la question que vous avez soulevée au sujet de l'accusé qui est condamné, je crois comprendre qu'il a été recommandé que l'on prenne immédiatement un échantillon. Ai-je bien compris? Monsieur le juge Cory, je pense que c'était un des aspects sur lequel vous aviez un avis différent de celui de M. Bergman. Est-ce exact?

M. Cory : Je ne sais pas si nous différons sur ce point. Je prendrais le prélèvement dès la condamnation.

Le sénateur Angus : Peu importe qu'un appel soit interjeté?

M. Cory : Oui, mais l'effet serait le même que ce qui se passe actuellement. Si l'accusé obtient gain de cause en appel, il faudrait détruire l'échantillon si c'est bien là le résultat de l'appel. Entre-temps, l'échantillon demeurerait dans la banque de données. Ce contrevenant a été condamné tant que la cour d'appel n'a pas dit le contraire. Même dans ce cas, on peut se demander ce qu'il faut faire lorsque la cour d'appel déclare que l'accusé doit subir un nouveau procès. S'il n'y a pas eu acquittement mais simplement nouveau procès, doit-on conserver l'échantillon jusqu'à ce que l'on connaisse l'issue du nouveau procès ou doit-on le supprimer et le verser à nouveau dans la banque en cas de deuxième condamnation? Il y a déjà eu une condamnation je dirais donc que l'échantillon devrait demeurer dans la banque en attendant le résultat du nouveau procès.

Le sénateur Angus : L'échantillon pourrait-il être utilisé en preuve au cours du nouveau procès?

Je pense que dans ce genre d'affaires, les personnes sont condamnées pour avoir commis une infraction pénale qui fait partie d'une liste spéciale. La banque de données ne contenait pas jusque-là d'échantillon concernant l'accusé.

M. Cory : Jusqu'à ce moment, oui; ce n'est qu'après la condamnation qu'on prélève un échantillon.

Le sénateur Angus : Ces personnes ont été condamnées, il n'y a donc pas de motif juridique ou fondé sur la Charte qui empêcherait de prendre un prélèvement. Ou faudrait-il adopter la modification à laquelle vous avez fait allusion?

M. Cory : Il faudrait faire une modification parce qu'à l'heure actuelle le juge dispose d'un certain pouvoir discrétionnaire en matière de prélèvement d'échantillon. C'est au juge de décider s'il y a lieu de prendre un échantillon d'ADN. Ma position est que si cela est prévu par la loi, alors un échantillon sera prélevé dès qu'il y aura condamnation; ce devrait être une décision administrative consistant à prendre automatiquement un échantillon dès que l'accusé est condamné.

Le sénateur Angus : J'essaie de voir les choses comme le ferait un avocat. Vous êtes dans la salle d'audience et le juge prononce la décision. L'accusé n'est pas toujours emmené à ce moment-là. La peine n'a pas été prononcée mais il y a eu condamnation. Si cette modification est adoptée, je pense qu'elle précisera que l'échantillon doit être pris à ce moment- là.

M. Cory : Oui.

Le sénateur Angus : Y a-t-il un processus à suivre? Je ne connais pas ces choses aussi bien que mon collègue, le sénateur Campbell, qui a eu une autre vie. Quel est le processus? Prend-on un échantillon sanguin immédiatement?

M. Cory : Oui, immédiatement, parce que l'empreinte génétique est extraite de l'échantillon de sang. C'est une simple piqûre d'aiguille.

Le sénateur Angus : L'accusé s'en va et revient, par exemple, le 14 février pour connaître la sentence. Comprenez- vous où je veux en venir?

M. Bergman : En réalité, il arrive que l'accusé soit condamné et qu'au moment où le juge rend une ordonnance de prélèvement, il n'y ait pas de policier dans la salle d'audience. L'accusé est relâché et la police doit alors le retrouver, le faire revenir et prendre l'échantillon. Le processus qu'a décrit M. Cory serait utilisé si le juge ne disposait d'aucun pouvoir discrétionnaire en la matière. L'échantillon serait pris automatiquement, le plus tôt possible après la condamnation.

Le sénateur Angus : Cela me paraît tout à fait logique. Il est rare que les juges se trompent mais je pense à une décision qui a été renversée. Vous nous avez expliqué qu'il y aurait alors une garantie absolue. On ne pourrait utiliser ces données contre l'accusé au cours du second procès?

M. Cory : Non.

Le sénateur Angus : Je vous remercie. J'aurais beaucoup d'autres questions à vous poser mais j'aimerais mieux connaître auparavant tous ces aspects.

Le sénateur Bryden : Merci, messieurs, d'être venus aujourd'hui. En particulier, monsieur le juge Cory, je risque de trop essayer de vous plaire — mais je ne le ferai pas — mais j'ai trouvé très rafraîchissant l'exposé bref et très équilibré que vous nous avez présenté pour faire le point sur cette question avec nous ce matin.

Il est peut-être un peu maladroit de faire ce que je vais faire mais pour vous donner une idée des aspects que nous serons amenés à étudier, je dois dire que le jugement qu'a prononcé la juge Cohen récemment, dans une affaire qui opposait Sa Majesté et un certain nombre de jeunes, contient certains éléments troublants. Je sais que vous n'avez pas pu encore le lire et je ne l'ai pas non plus lu entièrement. Quelqu'un a demandé ce qui arrivait à l'ADN et aux substances dont il avait été extrait lorsque l'ADN n'est plus nécessaire. Je crois qu'il a été mentionné, et cela touchait peut-être un jeune, qu'il était détruit si aucune accusation n'était portée ou si l'accusé était déclaré non coupable.

Finalement, la juge Cohen a décrit où nous en étions en 2001. La liste vient de l'arrêt R c. Briggs. La Loi sur les empreintes génétiques existait. Les infractions primaires sont les infractions les plus graves que contient le Code criminel et comprennent le meurtre et les agressions sexuelles; elles sont donc assujetties au prélèvement d'ADN. Les infractions secondaires comme le vol qualifié sont moins graves que les infractions primaires mais revêtent néanmoins une certaine gravité. En 2001, le tribunal avait le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance autorisant la prise d'un prélèvement en vue d'obtenir de l'ADN à l'égard aussi bien des infractions primaires que secondaires, même si ce pouvoir discrétionnaire semblait être plus limité dans le cas des infractions primaires. C'était la situation telle qu'elle était en 2001.

Cette situation a changé considérablement. Des preuves ont été présentées au tribunal pour répondre à la question de savoir ce qui arrivait aux profils génétiques des jeunes. Isabelle Trudel a témoigné que le 7 janvier 2009, la Banque nationale de données génétiques avait reçu 21 169 échantillons biologiques qui avaient été fournis par des adolescents. Le 8 décembre 2008, 795 de ces 21 000 échantillons avaient été retirés et détruits. Sur ces échantillons, 535 seulement avaient été détruits parce que la période de rétention était expirée. Il est vrai que la période de rétention des dossiers est prolongée lorsque l'adolescent commet d'autres infractions ou commet une infraction en qualité d'adulte pendant la période de rétention mais le juge a déclaré qu'il était déraisonnable de déduire que tous les adolescents qui avaient fourni des substances corporelles sauf 535 tombaient dans cette catégorie. Cela voudrait dire que 97,5 p. 100 des adolescents visés par une ordonnance de prélèvement génétique avaient récidivé et donc ainsi déclenché une prolongation importante de la période de rétention de leurs dossiers.

Elle a plutôt déclaré que, d'après elle, ces chiffres montraient plutôt que les dispositions de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques n'avaient pas été respectées et c'est la conclusion à laquelle elle en est arrivée.

Mme Trudel a également déclaré que les échantillons d'ADN utilisés pour établir les profils génétiques des adolescents établis à des fins de comparaison ne formaient qu'une partie de toutes les substances corporelles fournies par ces personnes. Les substances corporelles restantes, qui contiennent la composition génétique intégrale des fournisseurs d'échantillons, ne sont pas détruites mais préservées indéfiniment dans la Banque nationale de données génétiques tout comme le sont les substances corporelles et les profils génétiques des adultes, qui sont conservés indéfiniment.

La juge a déclaré qu'elle n'était pas convaincue que le retrait et la destruction des échantillons d'ADN pris sur les adolescents s'effectuaient conformément à la loi ou que les preuves avaient établi que, si l'accès au profil génétique avait peut-être été bloqué dans un très faible pourcentage des dossiers, les échantillons d'ADN contenant l'empreinte génétique intégrale de l'adolescent n'étaient jamais détruits. Elle a déclaré qu'il y avait peut-être d'excellentes raisons scientifiques qui expliquaient pourquoi la banque conservait les échantillons plutôt que les profils.

Toute personne qui lit ce jugement et qui s'intéresse à la justice, à la justice pour les jeunes en particulier, voudra trouver une réponse à cette question.

Monsieur Cory, avez-vous un commentaire à faire à ce sujet? Je sais que ma question est un peu maladroite parce que vous n'avez pas eu l'occasion de lire tout le jugement. C'était toutefois un juge de la cour supérieure rendue par une juge respectée.

M. Cory : Comme je l'ai dit, j'aimerais savoir ce qu'ont à dire les gens qui sont chargés de conserver ces dossiers. Il est possible qu'ils aient une explication satisfaisante. Si ce n'est pas le cas, alors bien sûr, c'est un aspect très préoccupant. Je dois dire que j'aimerais d'abord entendre les responsables de la tenue de nos dossiers avant d'aller plus loin.

Le sénateur Bryden : Je vous comprends. J'ai une question supplémentaire.

J'aimerais poursuivre sur cette question du changement incroyable qui s'est produit depuis 2001; cette juge parle des changements qui se sont produits à la suite de l'ajout au Code criminel de nouvelles infractions ou d'infractions graves et d'infractions réfutables dont il faut tenir compte. Selon la loi actuelle, le jeune de 12 ans, qui s'empare d'une casquette de base-ball d'un autre jeune et s'enfuit avec, peut être déclaré coupable de vol qualifié et obligé, en vertu d'une ordonnance obligatoire, de fournir un échantillon génétique à l'État.

L'agression armée et l'agression causant des lésions corporelles sont deux infractions qui peuvent être poursuivies par procédure sommaire et qui font partie de la catégorie des infractions pour lesquelles le prélèvement est obligatoire. Encore une fois, selon cette loi, le jeune de 12 ans qui se tiraille avec un camarade dans la cour d'école et où l'un des participants est légèrement blessé doit faire l'objet d'une ordonnance de prélèvement génétique s'il est déclaré coupable. Les jeunes commettent couramment ce genre d'infractions et bien souvent les circonstances de l'infraction sont sans rapport avec la gravité de l'accusation.

Je compare le caractère trivial des infractions mentionnées ici avec les graves répercussions qu'elles peuvent avoir sur la vie d'un adolescent, répercussions qui se feront sentir très longtemps. Cela m'inquiète beaucoup.

C'est un heureux hasard, je crois, que le sénateur Baker ait apporté cette décision hier.

La présidente : La décision a été rendue le 17 mars mais le sénateur Baker nous l'a signalée hier.

Le sénateur Bryden : Certains d'entre nous s'inquiètent du fait qu'il est possible que la loi relative aux empreintes génétiques ne soit pas appliquée suffisamment strictement pour protéger la vie privée des citoyens. Comme vous l'avez dit, avec ces empreintes génétiques, toute personne qui y a accès peut prendre connaissance d'un grand nombre de renseignements personnels concernant la personne concernée, ce qui n'avait jamais été possible dans l'histoire de l'humanité avant que la question des empreintes génétiques se pose en 1988 ou à peu près.

La présidente : Avez-vous des commentaires, messieurs?

M. Cory : Je ne peux que répéter que s'il n'y a pas d'explication, c'est une situation très préoccupante. J'aimerais entendre des explications à ce sujet.

M. Bergman : Je lisais le paragraphe 9.1 (1) de la loi :

Tout renseignement contenu dans le fichier des condamnés qui concerne un adolescent déclaré coupable, sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants ou de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, d'une infraction désignée doit être rendu inaccessible une fois pour toute au moment où le dossier de l'adolescent qui a trait à cette infraction doit être détruit, scellé ou transmis à l'archiviste national au titre de la partie 6 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

La présidente : La question qui a été soulevée est de savoir si les pratiques actuelles, la façon dont les choses se font, pas nécessairement les politiques, respectent pleinement la loi.

Le sénateur Bryden : À moins que cette personne ne se soit parjurée.

La présidente : Nous avons toutefois convenu plus tôt ce matin que j'écrirais à MM. Yost et Fourney pour leur demander de nous fournir leurs points de vue sur ces statistiques et si le sénateur Bryden le souhaite, je pourrais leur demander également dans cette lettre qu'ils nous donnent leur opinion sur la rétention des échantillons d'ADN. Cela serait-il utile?

Le sénateur Bryden : Je ne sais pas si nous voulons vraiment obtenir leurs points de vue mais nous voulons certainement connaître les faits. C'est-à-dire, où se trouvent ces échantillons de substances corporelles qui existent d'après cette juge? Il y en a 21 000 quelque part, et elle a expliqué ce qui était arrivé à 565 de ces échantillons ou un chiffre du genre. Je pense que si ces échantillons sont conservés, c'est en violation de la loi de sorte que j'aimerais obtenir une réponse définitive qui dit : « Non, nous n'en avons aucun » ou « Nous en avons trois ici et voici pourquoi » ou « Nous en avons 300 000 et voici pourquoi ». Cela ne risque pas de se produire.

La présidente : Je pense que vous exagérez un peu en parlant de 300 000. Sénateur Bryden, que pensez-vous de cette suggestion : nous allons commencer par leur écrire, comme nous en avons déjà convenu. Si les réponses que nous recevons soulèvent davantage de questions que de réponses dans notre esprit, nous les inviterons à revenir témoigner devant nous. Je rappelle à tous mes collègues que nous avons projeté de visiter la Banque nationale de données génétiques dans un avenir relativement proche, si tout se fait comme prévu, et nous trouverons peut-être que cette visite est fort instructive.

Le sénateur Bryden : Je vous remercie mais comme je l'ai dit au départ, il est regrettable que vous n'ayez pas eu la possibilité de lire ce jugement non plus. Je ne sais pas combien de fois nous aurons la possibilité de parler à M. Cory.

La présidente : J'aimerais poser un genre de question supplémentaire après la question du sénateur Bryden parce qu'elle touche le domaine des jeunes contrevenants et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Monsieur Bergman, vous avez dit dans votre exposé « nous » — ce que j'ai compris comme exprimant le consensus du comité consultatif — « continuons à penser que les jeunes contrevenants sont, en raison de leur âge, très impressionnables, et qu'ils ne devraient faire l'objet d'une ordonnance de prélèvement génétique qu'après une condamnation et seulement si le tribunal l'estime utile ». C'est exactement que disait le jugement dont nous avons tant parlé ce matin.

J'en déduis que vous estimez qu'il conviendrait de modifier la loi pour accorder au tribunal un pouvoir discrétionnaire dans le cas des jeunes contrevenants?

M. Bergman : Je pense qu'elle accorde un certain pouvoir discrétionnaire dans le cas des jeunes contrevenants. Je regardais les 16 infractions obligatoires énumérées dans la loi pour lesquelles il n'y a aucun pouvoir discrétionnaire...

La présidente : C'est ce qui me gêne. Bien souvent lorsqu'un texte législatif accorde une discrétion judiciaire, il fournit également certains critères, certains éléments dont le juge doit tenir compte lorsqu'il exerce ce pouvoir. Si nous décidions de recommander d'accorder un pouvoir discrétionnaire dans le cas des jeunes contrevenants pour les infractions pour lesquelles il n'y en a pas à l'heure actuelle, avez-vous des éléments ou des critères à nous suggérer?

M. Bergman : Eh bien, pour les jeunes contrevenants, je continue à penser qu'en raison de leur âge, ce pouvoir discrétionnaire devrait pouvoir être exercé à l'égard de toutes les catégories d'infractions — infractions obligatoires, primaires et secondaires. Je pense que la loi devrait l'énoncer.

La présidente : Ce n'est pas tout à fait là où je voulais en venir.

Monsieur Cory, vouliez-vous intervenir?

M. Cory : À divers moments, depuis la Loi sur les jeunes délinquants et jusqu'à la Loi sur les jeunes contrevenants, le législateur a fait précéder le texte de la loi d'un préambule qui énonce qu'il faut tenir compte de la jeunesse, de l'inexpérience des adolescents et des circonstances, et ce sont là je crois des éléments qui seraient très utiles et qui nous permettraient de fixer certaines conditions, certains paramètres, comme vous le souhaitez à l'égard de ce groupe très complexe, celui des jeunes contrevenants.

La présidente : C'est là où je voulais en venir. Pensez-vous également que cela serait approprié, monsieur Bergman?

M. Bergman : Oui.

Le sénateur Wallace : Monsieur Bergman, j'aimerais changer légèrement la direction de notre débat et parler du fait que, si j'ai bien compris, les échanges d'informations tirées de bases de données se multiplient entre les États étrangers et les organisations internationales. Je pense que cette information joue un rôle de plus en plus important dans chacun des pays lorsqu'il s'agit de décider de porter des accusations ou d'identifier des suspects.

Je crois également savoir que les États accordant la réciprocité ont conclu des protocoles qui régissent ces activités, et bien évidemment l'ensemble du processus, et que la fiabilité des techniques utilisées pour effectuer ces analyses, plus la précision et la fiabilité des technologies seraient également extrêmement importantes. Votre comité consultatif s'est-il récemment penché sur les protocoles qu'ont signés les États accordant la réciprocité? Pensez-vous qu'il y aurait des choses à modifier dans ces protocoles?

La technologie utilisée dans ce domaine semble changer pratiquement quotidiennement. Avez-vous réfléchi à la façon dont nous devrions agir pour demeurer à jour et est-ce que votre comité s'est penché récemment sur cette question?

M. Bergman : Nous avons assisté à des séances d'information portant sur les discussions qui ont lieu en ce moment entre les pays du G8, qui aimeraient mettre sur pied un réseau électronique, je crois. À l'heure actuelle, les échanges d'information s'effectuent tout simplement conformément aux traités d'assistance multilatérale conclus avec chacun de ces pays. Ces échanges ne se font pas électroniquement sur une grande échelle.

Notre comité s'intéresse effectivement à ces questions : nous ne pensons pas que toutes nos données devraient être versées dans une banque centrale de données susceptible d'être utilisée par tous les pays. Nous continuons à penser que nous sommes prêts à comparer un profil génétique avec ceux de notre banque de données et de décider ensuite si nous sommes disposés à communiquer l'information en question, pour autant que nous ayons des garanties que cette information sera utilisée pour une enquête criminelle ou une poursuite pénale. Je crois que chaque fois que nous avons conclu un traité d'assistance multilatérale notre pays a convenu que ce genre d'information ne serait utilisé qu'à ces seules fins.

Je ne pense pas que l'entente entre les membres du G8 soit près d'être conclue. Les discussions se poursuivent et je crois que M. Fourney et M. Bird vont assister à des réunions en Angleterre sur cette question. Quelle que soit l'issue de ces discussions, nous ne pensons pas, comme je l'ai dit, que nous devrions communiquer la plus grande partie des renseignements génétiques que nous possédons; cela devrait se faire uniquement sur une base individuelle dans le cas d'une enquête criminelle ou d'une poursuite.

Le sénateur Wallace : Cela ne modifierait donc pas la pratique actuelle?

M. Bergman : Exact.

Le sénateur Wallace : Cela revient en fait à « continuer comme avant »?

M. Bergman : C'est ce que pense notre comité à ce moment-ci.

Le sénateur Dickson : Je sais que vous avez beaucoup de connaissances dans ce domaine. Cela fait peu de temps que je suis membre du comité.

Ce qui m'intéresse vraiment ce matin, c'est la loi sur les personnes disparues. L'un d'entre vous ou les deux peuvent me répondre. Qu'est-ce qui semble empêcher les provinces d'aller de l'avant? Est-ce une question de coût? C'est une question très importante.

M. Bergman : Il ne s'agit pas uniquement du coût; je pense qu'il y a également des problèmes de compétence. Cela concerne peut-être les services de médecin légiste. Cette loi concerne différentes organisations policières et certaines provinces ont déjà mis sur pied leur propre système. Il ne semble pas y avoir de consensus.

Je n'ai pas assisté à ces réunions mais je sais que M. Fourney a rencontré un groupe il y a quelques années et a même expliqué la façon dont un tel système pourrait être conçu et mis en place. La proposition a été transmise aux procureurs généraux provinciaux et à un comité de travail; nous n'avons pas vraiment reçu de réponse depuis lors.

Le sénateur Dickson : A-t-on pensé à la possibilité de faire un suivi dans un avenir proche?

M. Bergman : Je vais demander aux collaborateurs du ministre de nous fournir cette information à notre prochaine réunion, qui est prévue pour la fin avril. Je ne sais pas s'ils pourront me donner une réponse mais nous sommes certainement convaincus qu'il devrait y avoir un fichier national des personnes disparues au Canada.

Le sénateur Dickson : Je suis d'accord avec vous; il devrait y en avoir un.

Le sénateur Milne : Pour ce second tour, je serai très brève parce que le sénateur Bryden a avivé mon intérêt pour ce jugement récent de la juge Cohen.

J'espère, madame la présidente, que lorsque les témoins que nous allons entendre vont répondre à notre demande, ils pourraient répondre non seulement à ce qui est dit au paragraphe 51 de ce jugement, mais également aux paragraphes 52 et 53 parce que le paragraphe 53 fait référence à un jugement de 2001 qui mentionnait que les profils génétiques étaient alors différents. Cela soulève de graves questions, en particulier puisque cela semble nous donner...

La présidente : J'ai remis ma copie du jugement aux témoins. Parlez-vous de la rétention des échantillons ou d'une autre question encore?

Le sénateur Milne : Je peux vous lire ce passage, si vous voulez.

La présidente : Ce n'est pas nécessaire. Donnez-moi simplement deux mots qui font référence à ce sujet.

Le sénateur Milne : L'autre jugement est celui du juge Rosenberg de 2001. Il est particulièrement pertinent lorsqu'il parle du fait que les adolescents souhaitent que leurs renseignements personnels soient protégés pendant très longtemps. Il dit qu'un profil génétique est différent, qu'il peut fournir des détails très intimes parce qu'il permet de déterminer la composition génétique de la personne concernée. Par exemple, on peut analyser un échantillon d'ADN pour savoir si la personne en question est porteuse de certains gènes qui augmentent la probabilité qu'elle souffre d'une maladie donnée.

De toute façon, le fait que les échantillons physiques ne soient jamais détruits est très troublant pour les mineurs.

M. Bergman : Si je peux intervenir, je dirais que le profil lui-même ne contient aucune information génétique à partir de laquelle on pourrait prédire la vulnérabilité à une maladie donnée.

Le sénateur Milne : Je le sais parce qu'ils se servent des zones non codantes de l'ADN.

M. Bergman : C'est exact. Il est vrai que l'échantillon sanguin offre cette possibilité mais il serait illégal d'effectuer ce genre d'analyse clinique. Au Canada, la banque de données génétiques et les laboratoires ne disposent même pas du genre de trousse qu'il faut utiliser pour procéder à ce genre d'analyse mais elle est manifestement illégale.

Le sénateur Milne : Elle est illégale à l'heure actuelle mais qui sait ce qui pourrait arriver à l'avenir?

Le sénateur Joyal : Monsieur Bergman, le sénateur Milne vient de formuler la question que je voulais vous poser. Lorsqu'on lit les motifs du juge Rosenberg au paragraphe 53, je dirais qu'il y a une question qui n'est pas résolue. La citation du juge Rosenberg se trouve en haut de la page 12, à la fin du paragraphe, et il dit que pour éviter les abus, la banque de données génétiques a adopté comme politique d'utiliser uniquement des segments d'ADN non codants. Autrement dit, la banque de données génétiques utilise uniquement la partie de l'ADN qui ne permet pas de prédire les caractéristiques médicales, physiques ou mentales.

L'aspect important est que cette politique ou cette convention ne figure pas dans la loi.

M. Bergman : Je pense que vous avez raison.

Le sénateur Joyal : J'en déduis donc qu'il faudrait insérer dans la loi cette politique, cette convention ou cette façon de faire les choses. Cela fournirait ainsi une protection supplémentaire pour ce qui est de l'aspect qu'ont soulevé le sénateur Milne et le sénateur Bryden.

M. Bergman : Oui, c'est exact. Les loci génétiques que nous examinons sont utilisés par de nombreux pays et ils ont fait l'objet d'un accord après les nombreuses réunions qu'ont eues les représentants des différents laboratoires internationaux au moment de l'adoption de ce processus. Bien entendu, une des premières conditions a été que ces laboratoires examinent uniquement les segments d'ADN qui ne permettent aucunement de prédire les maladies, et cela a été adopté. Nous pensons qu'il s'agit là d'un élément tout à fait fondamental. Il devrait probablement figurer dans la loi mais il n'y a jamais été introduit.

La présidente : Pensez-vous qu'il devrait l'être?

M. Bergman : Cela fournirait une protection supplémentaire.

La présidente : Je me souviens du témoignage que nous a fourni ici M. Fourney; il a été particulièrement éclairant et utile. Il a presque dit, presque en passant, qu'un de ses cauchemars serait d'apprendre qu'un des loci est un marqueur pour un certain type d'information et qu'il faudrait alors filtrer toutes les données qui se trouvent dans la banque.

Il y a le risque que non pas M. Fourney mais un autre directeur qui serait peut-être moins soucieux de vérité et de justice, soit terriblement tenté de dire : « Je n'ai pas le budget, le temps ni le personnel pour vérifier tout cela ». Si la loi l'obligeait à le faire, ce serait une protection supplémentaire.

M. Bergman : Oui, effectivement.

Le sénateur Joyal : En particulier, à la lumière des autres commentaires formulés par le juge Rosenberg, qui a également déclaré qu'il n'est pas impossible qu'à l'avenir, les scientifiques prétendre être en mesure d'isoler les gènes de la tendance à la violence.

M. Bergman : L'eugénique, comme ils disent.

Le sénateur Joyal : Oui. Nous sommes très près ici de l'eugénique. Je pense qu'avec les progrès et les raffinements scientifiques, dont a parlé le juge Rosenberg, il serait plus sûr de préciser clairement dans la loi quels sont les paramètres devant régir les analyses génétiques.

M. Bergman : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal : À titre de corollaire aux aspects soulevés par le sénateur Bryden, je déduis de votre exposé, monsieur Bergman, que le rôle du comité tel qu'il est énoncé dans le règlement prévoit que celui-ci doit, de sa propre initiative s'il le juge nécessaire ou à la demande du commissaire, conseiller celui-ci sur toute question concernant l'établissement et le fonctionnement de la Banque nationale de données génétiques.

Autrement dit, si j'interprète votre mandat, soit proprio motu, pour citer mon ancien professeur de latin ou ancien juge de la Cour suprême, ou à la demande du commissaire de la GRC, vous êtes chargé de fournir des conseils sur le fonctionnement de la banque de données.

M. Bergman : Oui.

Le sénateur Joyal : Dans le cadre de la question du sénateur Bryden, irais-je trop loin en disant qu'il vous incombe de veiller à ce que les opérations essentielles de la banque de données — c'est-à-dire, l'entreposage des empreintes génétiques et, bien sûr, leur destruction — soient correctement exécutées?

M. Bergman : Je n'ai pas encore lu ce jugement mais oui, cela relève de nos responsabilités. Une partie de ce processus concerne l'avis donné à la banque de données par le biais des dossiers judiciaires de la GRC. Autrement dit, la banque de données ne détruit un profil et un dossier que si le dossier judiciaire a été transmis et que la GRC, en association avec le fichier des empreintes digitales, informe la banque de données que le moment est maintenant venu de supprimer ce dossier. Je pense qu'il incombe à notre comité d'examiner cet aspect.

Le sénateur Joyal : Il est à mon avis très important et je vais vous dire pourquoi. Nous sommes des législateurs et nous ne pouvons pas être sur les lieux sur une base quotidienne. Nous disposons d'un rapport annuel mais nous n'assistons pas aux diverses étapes du fonctionnement de la banque de données. La question que je me pose découle du rapport du vérificateur général de 2007, ce qui ne remonte pas très loin, qui mentionnait certaines lacunes dans le fonctionnement de la banque de données. Je l'ai ici devant moi. Nous vous le remettrons ensuite.

Il me semble que si le fonctionnement de la banque de données, pour utiliser des termes objectifs, n'a pas satisfait le vérificateur général d'après son récent rapport, qui remonte à moins d'un an et demi, nous devons pouvoir nous fier à une instance ou un groupe de personnes qui fasse partie du cadre général de la mise en œuvre de cette loi pour faire un suivi sur ces questions.

M. Bergman : Oui.

Le sénateur Joyal : Étant donné que votre mission englobe le fonctionnement de la banque de données, je dirais que ce serait vous ma première personne de confiance. J'ai appris grâce à votre exposé de ce matin que vous ne vous réunissez que deux fois par an, mais vous comprendrez que nous sommes obligés de vous poser cette question, parce que nous devons être convaincus, dans le cadre de l'examen de cette loi, que le système fonctionne correctement. Cela fait partie de notre rôle. Nous ne sommes pas ici pour nous substituer à vous. Vous êtes l'expert, vous êtes la personne de confiance, c'est ce que montre très clairement votre témoignage.

Vous comprendrez qu'il faut que nous sachions comment vous vous acquittez de votre rôle à l'égard du fonctionnement de la banque de données en général, dans le contexte de la citation que vous a remise le sénateur Bryden, ainsi que dans celui du rapport du vérificateur général.

Pourriez-vous nous dire comment vous évaluez le système pour ce qui est de la banque, de façon à veiller à ce qu'elle réalise ses objectifs?

M. Bergman : Je pense que l'examen dont vous parlez et qui a été effectué par le vérificateur général touchait uniquement le volet opérationnel des laboratoires de la GRC — autrement dit, les laboratoires de Vancouver, Regina et Halifax qui effectuent l'analyse des prélèvements effectués sur les lieux du crime. À ma connaissance, ce rapport ne contient aucun commentaire au sujet de la Banque nationale de données génétiques. C'est une vérification distincte qui portait sur le volet opérationnel des laboratoires de la GRC.

Le sénateur Joyal : Cela fait partie du fonctionnement, d'une certaine façon, parce que ce rapport mentionnait que le problème était particulièrement grave dans l'unité d'analyse génétique du laboratoire.

M. Bergman : C'est l'unité d'analyse qui se trouve dans un des laboratoires régionaux. Nous considérons les laboratoires de la GRC de la même façon que les laboratoires de l'Ontario ou du Québec. Autrement dit, ce sont des laboratoires qui s'occupent de dossiers pour les services de police de ces régions. Ces laboratoires versent ensuite les échantillons dans le Fichier de criminalistique. Notre comité ne s'intéresse aucunement au fonctionnement des laboratoires sur le terrain, y compris ceux de Toronto et Montréal.

La présidente : Vous n'êtes donc pas un comité de surveillance? Y a-t-il une différence?

M. Bergman : Je considère que notre comité doit uniquement s'occuper de la banque de données. La banque de données est une question tout à fait distincte et unique parce qu'elle offre ses services dans l'ensemble du Canada, à la GRC, aux forces de police de l'Ontario et du Québec. Ces organismes utilisent leurs propres laboratoires pour analyser les échantillons prélevés sur les lieux du crime et ils versent ensuite les profils obtenus dans le Fichier de criminalistique de la banque de données. La banque de données est un service tout à fait distinct de tous les services de police du Canada.

M. Cory : Elle est même distincte pour une raison de compétence dans la mesure où ces laboratoires sont provinciaux et principalement régis par les lois provinciales. Ils sont complètement distincts de la banque de données génétiques, qui est un simple dépositaire des échantillons criminalistiques qui sont versés dans la Banque nationale de données génétiques.

Le sénateur Joyal : Mais au sujet du fonctionnement de la banque, pour le formuler en ces termes et dans ce contexte, est-ce que les statistiques que le sénateur Bryden nous a communiquées et qu'il a tirées de la décision judiciaire prononcée il y a 10 jours vous sont transmises régulièrement pour que vous puissiez surveiller, conformément à votre mandat, d'un côté l'objectif de la banque et de l'autre, les obligations que lui impose la loi en vigueur?

M. Bergman : Oui, et je peux vous assurer que cette question aurait été soulevée par M. Yost ou M. Bird au cours de notre prochaine réunion fin avril. Ces deux personnes suivent de près la loi et elles auraient soulevé cette question; bien entendu, notre comité serait très intéressé à apprendre exactement ce qui s'est produit et quelle est la pratique suivie. Nous l'aurions appris automatiquement au cours de notre prochaine réunion.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, s'il faut changer quelque chose dans la façon dont l'information vous est transmise, en particulier lorsqu'à première vue il y a un écart, êtes-vous en mesure d'obtenir cette information et de poser des questions à son sujet?

M. Bergman : J'estime que notre mandat est suffisamment large pour que nous puissions demander à la GRC tous les renseignements que nous souhaitons au sujet de la Banque nationale de données génétiques. Je n'ai jamais eu de problème avec ce mandat.

Je suis assez sûr que, si une décision comme celle-ci était rendue, elle serait portée très rapidement à notre attention et serait inscrite à notre prochain ordre du jour; nous poserions des questions pour essayer de mieux comprendre ce qui s'est produit et vérifier si la banque de données fonctionne conformément à son mandat législatif et à la volonté du législateur. Cela serait porté à notre attention.

Le sénateur Joyal : Lorsque vous effectuez cet examen, à qui transmettez-vous vos conclusions?

M. Bergman : Au commissaire. Le procès-verbal est directement transmis au commissaire. Il est également communiqué au ministre de la Sécurité publique et le ministre de la Justice en est également informé, après chaque réunion. Cela se fait assez rapidement après notre réunion.

Le sénateur Joyal : Communiquez-vous au commissaire des renseignements qu'il peut inclure dans son rapport annuel au Parlement ou doit-il plutôt « nettoyer » ces renseignements parce qu'ils seraient trop confidentiels pour être communiqués publiquement au Parlement?

M. Bergman : Je ne pense pas qu'il s'agisse de renseignements confidentiels. Lorsque nous préparons notre procès- verbal, nous essayons de mentionner tout ce qui s'est dit et je n'ai jamais vu en neuf ans que nous ayons envoyé au commissaire des renseignements visés par une restriction reliée à la vie privée.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous ne vous opposez pas à ce que ce procès-verbal fasse partie du rapport que le commissaire remet annuellement au Parlement?

M. Bergman : Cela ne m'inquièterait pas. Bien entendu, c'est à lui de décider du contenu de son rapport.

Le sénateur Joyal : Merci. Je crois que cela nous aide, comme vous le comprenez fort bien, à remplir notre devoir d'examen parlementaire sur un important élément de notre système. Pour citer monsieur le juge Cory, il s'agit toujours de concilier la protection des divers acteurs de façon à ce que les objectifs de la loi soient mis en œuvre comme vous le faites, en qualité d'organisme consultatif, et la façon dont le Parlement s'acquitte de son obligation d'examiner les objectifs de la loi. C'est en fait ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui.

M. Bergman : Je comprends cela, monsieur.

La présidente : J'ai une question qui découle de l'échange que vous avez eu avec le sénateur Campbell.

Le système de la GRC n'est pas le seul système d'entreposage de données du pays. Il existe des systèmes provinciaux — par exemple, nous savons déjà qu'il y a ce genre de système en Ontario et au Québec — et il se peut qu'il y en ait d'autres que nous ne connaissons pas et qui ne sont pas couverts par les textes législatifs applicables à la banque de données de la GRC.

C'est une question très large et un peu vague parce que je n'en connais pas les contours exacts mais j'aimerais savoir s'il existe des domaines qui font problème pour ce qui est des attentes des Canadiens à l'égard du respect de leurs droits? Y a-t-il d'autres problèmes — administratifs ou techniques — actuels ou futurs, proches ou lointains? C'est une question très large et vous n'avez guère le temps pour répondre mais si vous pouviez me donner quelques indications, je vous en serais reconnaissante.

M. Bergman : Il y a ce que j'appellerais de petites banques de données dans tous les laboratoires, je crois, qui effectuent des analyses génétiques. Elles pourraient contenir des échantillons que la loi n'autorise pas à verser dans la Banque nationale de données génétiques. Par exemple, je crois que j'ai parlé d'un échantillon mis au rebut ou d'une tasse de café portant des traces d'ADN. Ce genre d'échantillons provenant des lieux d'un crime ne peut être versé dans la banque génétique nationale parce qu'il n'a pas été obtenu à la suite d'un mandat.

La police locale pourrait toutefois utiliser ce genre de renseignements et même finalement s'en servir pour obtenir d'autres renseignements qui l'autoriseraient à se procurer un mandat de prélèvement génétique. La police locale ne peut verser directement ce genre de renseignements dans la Banque nationale de données génétiques de sorte qu'elle doit les conserver localement. Bien sûr, notre loi ne vise aucunement ces aspects provinciaux.

La présidente : Y a-t-il d'autres domaines problématiques que nous devrions examiner, des conflits, par exemple? Je suis très consciente du fait que les compétences du Parlement sont très limitées et que celle du comité l'est encore davantage. Néanmoins, j'aimerais savoir s'il y a d'après vous d'autres domaines qu'il serait utile que nous examinions?

Monsieur Bergman, vous ne considérez pas que, d'après ce que je constate, la multiplicité des compétences et des autorités administratives pose problème?

M. Bergman : Notre comité n'a pas vraiment étudié ces banques de données parce qu'elles ne relèvent pas de notre responsabilité.

Je pourrais vous parler d'une affaire intéressante. En 2002, un homme en Alberta a tué une femme, une restauratrice — il l'a agressée sexuellement et l'a tuée à coups de couteau. Il y avait très peu de preuves sur la scène du crime mais il y avait quelques échantillons de semen dont on a extrait l'ADN. Il y avait également quelques témoins mais leurs déclarations n'étaient pas claires.

La police s'est mis à la recherche de volontaires au sein de la collectivité et plusieurs personnes ont donné volontairement leur ADN. Le laboratoire les a analysés et a signalé que deux des échantillons avaient donné un résultat qui montrait que c'était peut-être un membre de la famille de ces personnes qui était impliqué dans ce crime. Il s'est avéré finalement que c'était le fils d'un de ces volontaires, qui a alors été déclaré coupable de meurtre.

C'est une affaire qui n'aurait pas pu être traitée au palier national mais qui a été réglée localement et qui ressemble presque à de la recherche familiale. En fait, les échantillons n'étaient pas tirés du Fichier des condamnés; c'était ceux de volontaires.

La présidente : C'était quand même une recherche familiale.

M. Cory : Oui, mais c'était purement volontaire. On avait obtenu auparavant le consentement éclairé des volontaires de sorte que cela tombe dans une autre catégorie.

Le sénateur Milne : Cela revient en fait à une question tout à fait fondamentale. Qui est propriétaire de votre ADN? Est-ce vous qui en êtes propriétaire ou est-ce que quelqu'un peut en prendre possession et l'utiliser ensuite à diverses fins?

M. Bergman : Il est certain que l'État a la responsabilité de protéger la vie privée des citoyens lorsqu'il utilise l'ADN. Cependant, comme vous le savez, il existe dans le monde toutes sortes de laboratoires qui offrent toutes sortes de services aux gens qui veulent faire étudier leur propre ADN. C'est sur une base volontaire mais je n'aimerais pas beaucoup que des laboratoires privés se transmettent mon ADN. Cela se passe dans de nombreux pays et les services sont offerts sur Internet.

M. Cory : Il serait intéressant de savoir si nous pourrions obtenir un prêt, dans ces temps difficiles, grâce à notre ADN. Cela pourrait redresser la situation économique.

La présidente : Si vous avez le gène de la probité et de la prudence financière.

Monsieur Bergman et monsieur Cory, je vous remercie. Nous avons eu une séance extrêmement utile et intéressante qui nous permettra de poursuivre nos travaux. Il est possible que nous soyons amenés à vous écrire pour vous demander d'autres réponses dans le cadre de cette étude complexe mais pour le moment nous allons simplement vous dire un grand merci d'être venus ici.

M. Bergman : Merci. Le plaisir est pour nous.

La présidente : La séance est levée.

(La séance est levée.)


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