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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 10 - Témoignages du 3 juin 2009


OTTAWA, le mercredi 3 juin 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel (vol d'identité et inconduite connexes), s'est réuni ce jour à 16 h 11 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui poursuit son étude du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel (vol d'identité et inconduite connexes).

Nous avons le plaisir d'avoir avec nous cet après-midi un premier groupe de témoins composé de M. Michael Spratt, avocat de la défense, de la Criminal Lawyers' Association; Mme Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit et M. Daniel A. MacRury, trésorier, Section nationale de droit pénal, de l'Association du barreau canadien. Ce sont d'excellents témoins experts.

Vous êtes-vous entendus sur la personne qui allait commencer? Tout le monde vous regarde, madame Schellenberg. Vous avez la parole.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du barreau canadien : Merci de nous avoir invités à présenter aujourd'hui le point de vue de l'ABC sur le projet de loi S-4. L'ABC est une association nationale qui représente plus de 37 000 juristes, étudiants en droit, notaires et professeurs de droit de l'ensemble du Canada. Un aspect important de la mission de l'ABC est l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce contexte que nous comparaissons devant vous aujourd'hui.

Je suis accompagnée par M. Daniel MacRury, trésorier, Section nationale de droit pénal. La composition de la section est assez équilibrée et comprend des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense des différentes régions du Canada. M. MacRury est un procureur de la Couronne de Sydney, en Nouvelle-Écosse. Je vais maintenant lui demander de vous présenter notre mémoire.

Daniel A. MacRury, trésorier, Section nationale de droit pénal, Association du barreau canadien : J'aimerais remercier les sénateurs de nous donner la possibilité de présenter des observations au nom de la Section nationale de droit pénal de l'Association du barreau canadien. La section approuve les efforts déployés dans le projet de loi S-4 pour s'attaquer au vol d'identité et aux autres activités connexes, étant donné qu'il s'agit de graves problèmes entraînant d'importantes pertes pour les particuliers et pour la société.

Nous reconnaissons que le projet de loi S-4 limiterait la portée de certaines des nouvelles infractions proposées de façon à ne pas viser par inadvertance des comportements non pertinents ou innocents, surtout dans le cas des nouvelles infractions concernant les pièces d'identité et les renseignements identificateurs. La section appuie également la suppression de certaines dispositions du Code criminel relatives au renversement du fardeau de la preuve proposée dans le projet de loi S-4.

La Section de droit pénal de l'Association du barreau canadien recommande plusieurs modifications dont nous estimons qu'elles rehausseraient la clarté et la certitude quant aux propositions contenues dans le projet de loi S-4. Nos commentaires s'inspirent de trois principes généraux. Le premier est celui de la restriction législative : les dispositions du Code criminel ne devraient être révisées que lorsque les dispositions existantes sont inadéquates. Deuxièmement, toute nouvelle disposition doit respecter la Charte canadienne des droits et libertés. Troisièmement, les modifications au Code criminel sont en général insuffisantes pour régler des problèmes graves et complexes. Pour qu'elles soient efficaces, de telles modifications doivent être accompagnées de raffinements dans la pratique et l'application de la loi, ainsi que d'efforts accrus de sensibilisation du public et d'autres modifications législatives. Cette dernière observation est peut-être particulièrement pertinente au problème du vol d'identité.

La commissaire à la protection de la vie privée et d'autres autorités ont indiqué qu'une action efficace face au vol d'identité exigera une démarche exhaustive comprenant une vaste gamme d'initiatives en plus de modifications au Code criminel. Autrement dit, ce projet de loi ne constitue qu'un des outils susceptibles d'être utilisés pour lutter contre ce très grave problème.

La Section de droit pénal de l'Association du barreau canadien présente la recommandation suivante : premièrement, la section de l'ABC recommande que le projet de loi S-4 soit modifié de façon à exclure expressément les dispositions générales sur la tentative, le fait de conseiller et certains types d'actes mineurs. Deuxièmement, la section recommande que la relation entre les nouvelles infractions proposées dans le projet de loi S-4 et les dispositions générales existantes soit clarifiée. Troisièmement, l'ABC recommande que la proposition d'interdire la possession de renseignements identificateurs soit modifiée afin de la clarifier en remplaçant l'expression « ne se souciant pas de savoir » par une formule plus explicite. Quatrièmement, l'ABC recommande que soit supprimée l'exception pour certaines activités policières prévue par les articles 7 et 9 du projet de loi S-4.

Pour ce qui est des recommandations une et deux, le projet de loi définit de nouvelles catégories de documents qu'il qualifie de pièces d'identité. Il propose également la création d'une large gamme d'infractions, y compris le fait de faire fabriquer, d'avoir en sa possession, de transmettre, de vendre ou d'offrir en vente une pièce d'identité comme un numéro d'assurance sociale, un permis de conduire, par exemple. Compte tenu de la portée conjuguée de la définition et des infractions proposées, nous croyons que les propositions contenues dans le projet de loi d'ajouter de nouvelles défenses à la notion existante d'» excuse légitime » sont appropriées et nous appuyons la tentative manifeste du projet de loi de limiter la portée de ces dispositions, puisqu'elle répond à des préoccupations que nous avons exprimées dans des observations antérieures.

La présidente : Monsieur MacRury, puis-je vous demander de ralentir un peu? Il est vrai que nous devons respecter certaines contraintes de temps. Nous voulons quand même avoir le temps de réfléchir à ce que vous dites.

M. MacRury : Excusez-moi. Malgré les propositions et les restrictions contenues dans le projet de loi S-4, d'autres pays limitent davantage la portée des dispositions semblables et le font de deux façons : premièrement, ils excluent expressément les dispositions générales sur la tentative et le fait de conseiller; et deuxièmement, ils excluent expressément certains types d'actes mineurs, par exemple lorsque des jeunes ont des pièces d'identité en leur possession pour obtenir l'accès à des établissements autorisés à servir des boissons alcoolisées. La Section de droit pénal recommande que le projet de loi S-4 soit modifié de façon à exclure expressément les dispositions générales sur la tentative, le fait de conseiller et certains types d'actes mineurs.

Le projet de loi S-4 interdirait certaines activités qui sont habituellement soit des précurseurs, soit des préparatifs à d'autres activités frauduleuses. De tels préparatifs peuvent déjà faire l'objet d'une poursuite en recourant aux dispositions générales du Code criminel sur la tentative et le fait de conseiller. Vu cet éventuel double emploi, la relation entre les nouvelles infractions proposées et les dispositions générales existantes devrait être clarifiée afin d'éviter d'élargir involontairement la portée de la loi. La section recommande que la relation entre les nouvelles infractions proposées dans le projet de loi S-4 et les dispositions générales existantes soit clarifiée.

Pour ce qui est de notre troisième recommandation, la section pense qu'il faudrait préciser les mots « ne se souciant pas de savoir si tel sera le cas ». Dans le projet de loi, l'article 402.2 interdit le fait d'avoir en sa possession, dans le but de transmettre, rendre accessible, distribuer, vendre ou offrir en vente, ces renseignements sachant qu'ils seront utilisés pour commettre un acte criminel dont l'un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie et le mensonge, ou ne se souciant pas de savoir si tel sera le cas.

Le fait d'inclure l'insouciance à titre d'élément moral de l'infraction peut être perçu comme une réaction aux commentaires de la Cour suprême du Canada dans R. c. Hamilton. Nous notons aussi des préoccupations au sujet de cette formulation, surtout qu'elle pourrait s'appliquer à des entreprises ou à des industries qui traitent de grandes quantités de renseignements de ce genre.

Mais si le terme « insouciance » figure déjà dans le Code criminel, il n'est pas à l'abri de controverses et de difficultés occasionnelles d'interprétation. Pour clarifier les choses et répondre à certaines préoccupations des entreprises et de l'industrie, nous suggérons d'employer des termes plus explicites. Par exemple, dans Hamilton, la Cour suprême du Canada a assimilé « l'insouciance » à « un mépris conscient d'un risque injustifié et important ».

Dans Hamilton, au paragraphe 28 de l'arrêt de la Cour suprême du Canada, la Cour a déclaré :

28 Une norme requérant la présence d'un « risque considérable et injustifiable » pour justifier de conclure à l'insouciance possède de solides assises au Canada, ainsi que dans d'autres pays de common law [...]

Elle cite ensuite une série de décisions. La Cour a également déclaré, au paragraphe 32 de sa décision :

32 Enfin, quelques brèves remarques à propos de l'arrêt R. c. Sansregret [...] Dans cette affaire, la Cour a défini l'insouciance comme étant la conduite de « celui qui, conscient que sa conduite risque d'engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risque. En d'autres termes, [...] la conduite de celui qui voit le risque et prend une chance ». Dans Sansregret, la Cour n'a pas précisé l'intensité du risque requis pour entraîner l'application des sanctions pénales.

Comme le souligne Don Stuart, les tribunaux ont arbitrairement appliqué diverses normes comme l'incertitude, la probabilité, la vraisemblance et la possibilité. Dans cette décision, la Cour suprême du Canada a poursuivi au paragraphe 33 : « Nous n'avons pas été invité, en l'espèce, à revoir l'arrêt Sansregret ou à réexaminer entièrement les principes régissant l'insouciance... »

Nous affirmons aujourd'hui que si cette définition n'est pas précisée, les tribunaux vont être obligés de revoir les principes régissant l'insouciance. Cela concerne notre préoccupation à l'égard de l'emploi dans la définition de la notion d'insouciance.

Notre quatrième recommandation que nous vous présentons aujourd'hui traite des exceptions pour la police et autres autorités. Les articles 7 et 9 proposent une autre exception pour certaines activités d'un fonctionnaire public au sens de l'article 25.1 du Code criminel. Compte tenu du régime législatif existant, la nécessité d'une exception supplémentaire n'est pas évidente.

La Section de droit pénal de l'ABC s'est vivement opposée à ce que les agents de police et leurs mandataires soient soustraits à la responsabilité pénale, soutenant qu'une même loi devrait s'appliquer à tous. Elle reconnaît toutefois que les articles en vigueur contiennent certaines garanties procédurales et obligations déclaratives. Nous ne voyons aucune raison pour laquelle les actes indiqués dans le projet de loi S-4 seraient traités de façon insuffisante par le régime en vigueur et nous nous opposons à la création d'exceptions supplémentaires de ce genre. La Section de droit pénal recommande que soit supprimée l'exception pour certaines activités policières prévue par les articles 7 et 9 du projet de loi S-4.

En conclusion, la Section de droit pénal de l'ABC reconnaît la fréquence et la gravité du vol d'identité. Nous sommes conscients des efforts déployés dans le projet de loi S-4 afin de prévoir de nouvelles infractions strictement circonscrites pour tenter de résoudre certains aspects de ce problème, sans viser par inadvertance ce qui devrait être considéré à juste titre comme une activité non criminelle. Pour servir encore mieux cet objectif, nous suggérons une certaine clarification de la formulation du projet de loi, par exemple en ce qui concerne l'élément moral lié à l'insouciance, ainsi qu'une clarification de la relation entre certaines infractions proposées et les dispositions sur la tentative et le fait de conseiller du Code criminel.

Nous acceptons aussi la proposition d'augmenter le recours à des infractions de nature mixte afin de donner face à ces affaires plus de souplesse et de latitude à l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite.

Je remercie les honorables sénateurs de m'avoir donné la possibilité de prendre la parole devant vous cet après-midi pour parler de cette importante mesure législative.

Michael Spratt, avocat de la défense, désigné par la CLA, Criminal Lawyers' Association : Bonjour. Je suis un avocat de la défense qui travaille uniquement dans ce domaine à Ottawa. Je représente ici la Criminal Lawyers' Association. La CLA appuie toujours les mesures législatives qui sont équitables, modestes et constitutionnelles.

Je considère comme problématique — ou potentiellement problématique — le projet de loi S-4, le projet de loi dont nous parlons aujourd'hui, pour deux raisons : premièrement, certaines parties du projet de loi sont peut-être inconstitutionnelles et deuxièmement, le projet de loi risque d'être inutile, étant donné le régime législatif actuel.

Je vais d'abord aborder mes inquiétudes au sujet de la constitutionnalité du projet et je procèderai ensuite à une brève analyse de la nécessité d'adopter ce projet de loi.

Pour ce qui est de la constitutionnalité, il est toujours bon de revenir aux principes fondamentaux. Notre système de justice repose sur des principes fondamentaux. On a souvent qualifié ces principes de piliers de notre système de justice. Ils ont pour but d'assurer l'équité de notre processus de justice et se reflètent dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Deux de ces piliers fondamentaux sont la présomption d'innocence et la norme de preuve pénale, c'est-à-dire, le fardeau qui incombe à la Couronne de prouver au-delà de tout doute raisonnable tous les éléments de l'infraction. Toute loi qui ne respecte pas ces principes court le risque d'être déclarée inconstitutionnelle.

Les mesures proposées avec le projet de loi S-4 risquent d'avoir une portée trop large et de diluer le principe de la présomption d'innocence; en outre, cette mesure réduit le fardeau de la preuve exigée pour établir la perpétration d'une infraction à un tel point qu'elle pourrait être déclarée inconstitutionnelle.

Le paragraphe 402.2(1) du projet de loi est un exemple frappant de ce que je viens de dire. Cet article traite de la possession de renseignements identificateurs dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement qu'ils seront utilisés dans l'intention de commettre un acte criminel. Le passage qui m'intéresse est le suivant : « ... dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement... »

Les lois constitutionnelles imposent à la Couronne le fardeau d'établir que l'accusé, qui est présumé innocent, est coupable au-delà de tout doute raisonnable. Dans le cas d'accusations reliées à la fraude, la Couronne doit établir que l'accusé avait une intention ou un but frauduleux; elle doit l'établir au-delà de tout doute raisonnable.

En insérant les mots « dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement », le paragraphe 402.2(1) a pour effet de réduire considérablement cette norme de preuve. Tel que formulé dans le projet d'article, il suffit que la Couronne démontre qu'il est raisonnable de conclure que l'accusé avait une intention frauduleuse. Autrement dit, la Couronne n'est pas tenue d'établir que l'accusé poursuivait une fin illégale, mais seulement que l'accusé qui était en possession de documents de ce type recherchait peut-être une fin illégale. Là encore, cela constitue une dilution considérable, et à mon avis inconstitutionnelle, de la norme de preuve requise.

Aux termes de cet article, même si l'accusé était en mesure de présenter des éléments permettant de tirer une autre conclusion, il pourrait quand même être condamné parce que cela n'aurait pas pour effet de faire disparaître la conclusion raisonnable initiale. Les tribunaux ont déclaré que le processus pénal ne se prêtait pas à la spéculation. Plus précisément, les tribunaux abordent habituellement la question de la spéculation lorsqu'il y a deux conclusions contradictoires possibles. Le fait de choisir entre ces deux conclusions constitue de la spéculation. Bien entendu, cela constitue également un doute raisonnable.

Cet article attribuerait aux tribunaux le pouvoir de faire exactement ce que les cours d'appel ont dit qu'ils ne pouvaient pas faire, à savoir choisir entre deux conclusions. Avec ce projet de loi, s'il est possible de conclure raisonnablement qu'il y a eu intention frauduleuse, mais qu'il existe une autre conclusion différente, cet article indique qu'il y aurait lieu de condamner l'accusé.

J'entretiens de sérieux doutes sur la constitutionnalité de cet article du projet de loi, parce qu'il risque de porter atteinte à un des principes fondamentaux sur lesquels repose notre système de justice. Plus précisément, j'estime que le projet de loi va à l'encontre de l'alinéa 11 d) de la Charte, qui garantit la présomption d'innocence.

Mes inquiétudes au sujet de la constitutionnalité du projet de loi sont en quelque sorte aggravées par la vaste portée de la définition de « renseignements identificateurs ». Bien entendu, la définition englobe des choses comme l'image de la rétine et les empreintes digitales, mais également des renseignements que l'on peut retrouver partout et qui sont sans danger, comme le nom et la date de naissance.

Cette large définition combinée à la dilution de la norme de preuve risque de soulever quelques questions constitutionnelles. Je pense que l'adoption du projet de loi sous sa forme actuelle entraînerait certainement des contestations constitutionnelles.

Le projet de loi S-4 semble avoir pour but de criminaliser les étapes préparatoires des infractions liées à l'identité. Cela pose, à mon avis, également un problème parce qu'habituellement le droit pénal ne réprime pas ce que quelqu'un pourrait faire, mais uniquement ce que quelqu'un a l'intention de faire ou a fait. Les tribunaux ont souvent déclaré qu'une simple préparation ne peut constituer une infraction pénale.

Cela dit, j'aimerais passer aux dispositions actuelles et examiner la question de savoir s'il n'y a pas peut-être des chevauchements. Je pense que c'est là un autre aspect important. Bien entendu, étant donné que tous les citoyens sont présumés connaître la loi, il est bon d'éviter d'adopter des lois trop complexes.

À mon avis, le projet de loi actuel va exacerber les problèmes que posent les contentieux longs et complexes. On a beaucoup parlé dernièrement de la longueur et de la complexité des procès pénaux. Ce projet de loi risque d'aggraver la situation parce qu'elle va inciter les policiers à porter de multiples accusations, s'il y a effectivement chevauchement entre différentes dispositions, sans compter les inévitables contestations constitutionnelles découlant des problèmes que je viens de mentionner.

La législation actuelle qui a déjà été déclarée constitutionnelle et qui est en vigueur depuis un certain temps suffirait peut-être à régler ce qui est, je le reconnais, un problème grave, à savoir le vol d'identité. Il a toujours été illégal de tenter de commettre une infraction. Le fait de réunir des renseignements dans des circonstances qui constituent un but frauduleux pourrait être visé par les dispositions actuelles.

C'est peut-être un autre sujet et un changement de point de vue, mais comme je l'ai dit, il faudrait réduire le plus possible la complexité du Code criminel. Je dirais également qu'amener les dispositions du Code criminel à se chevaucher n'est pas dans l'intérêt public. Il y a déjà des exemples de ce genre de chevauchements. Si vous examinez les dispositions du Code criminel relatives au vol, vous constaterez qu'il y a un article qui interdit le vol, puis un autre article qui interdit le vol de bétail et un autre le vol d'huîtres.

Le sénateur Baker : Les peines sont plus fortes.

M. Spratt : Oui, mais on pourrait peut-être régler cet aspect en incluant un énoncé d'intention ou en modifiant la disposition actuelle du vol. Il serait souhaitable d'examiner les dispositions actuelles pour voir si elles ne pourraient pas refléter l'esprit de ce projet de loi.

Je ne veux pas parler uniquement de problèmes, mais également proposer certaines solutions. On pense depuis longtemps, du moins dans les universités, qu'on ne devrait recourir au droit pénal qu'en dernier recours. Cela vient du coût qu'entraîne la mise en œuvre des solutions pénales, le risque de stigmatisation découlant des sanctions pénales et les répercussions sur la liberté des citoyens lorsqu'on est sanctionné dans le cadre de ce régime. Il serait peut-être utile d'étudier, et je ne sais pas si cela a été fait, d'autres façons de résoudre le problème du vol d'identité et de la fraude, notamment par le biais d'infractions réglementaires. Les infractions réglementaires font moins souvent l'objet de contestations constitutionnelles et peuvent faire appel à des normes de preuve moins strictes. C'est pourquoi la réglementation peut être une excellente façon de cibler agressivement les comportements qui ne sont pas réputés utiles socialement.

L'autre solution possible est la prévention. On dit toujours qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Le projet de loi traite principalement des pièces d'identité délivrées par le gouvernement. D'après mon expérience, et je parle de cas ponctuels, un bon nombre des pièces d'identité délivrées par le gouvernement sont livrées par le courrier dans votre boîte à lettres, y compris les reçus d'impôt sur le revenu et les renouvellements de permis de conduire. La plupart de ces pièces d'identité sont envoyées par courrier ordinaire. Je ne pense pas qu'il existe actuellement des dispositions qui permettent de veiller à ce que ces documents soient livrés au destinataire souhaité. On pourrait peut-être prévenir la perpétration de certains crimes en adoptant des mesures moins coûteuses et moins intrusives, comme par exemple en demandant que toutes les pièces d'identité délivrées par le gouvernement soient envoyées par courrier enregistré, pour que nous puissions savoir à qui ces pièces ont été remises et pour qu'il existe une façon de retracer ces envois. Cela limiterait certainement le montant des renseignements identificateurs qui peuvent se retrouver entre les mains de personnes peu recommandables.

Lorsqu'on examine les différentes possibilités et ce que la Commission de réforme du droit a déclaré au sujet du droit pénal considéré comme une solution de dernier recours, il est tout à fait possible que la prévention et la dissuasion qu'apporterait l'introduction d'infractions réglementaires suffiraient à lutter contre ce problème, tout en respectant la constitutionnalité des mesures législatives.

La présidente : Je vous remercie. Avant de donner la parole au sénateur Nolin, je demanderais une précision au sujet de vos commentaires sur les circonstances qui permettent de conclure raisonnablement dont parle le projet de paragraphe 402.2(1). Je ne sais pas si vous avez eu la possibilité d'examiner la version française.

M. Spratt : J'ai la version française devant les yeux.

La présidente : Pour un profane, les deux versions ne sont pas tout à fait identiques. La version française parle de « circonstances qui permettent de conclure raisonnablement » et « conclure » ou en anglais « conclude » n'est pas tout à fait la même chose que « infer ». Serait-il préférable de choisir pour la version anglaise « conclusion » au lieu de « inference »?

M. Spratt : Je pense que c'est un mot qui ferait quand même problème. Bien entendu, c'est au tribunal de décider en fin de compte de tirer une conclusion et la différence qui existe entre ces deux versions pourrait elle-même soulever quelques questions. Je ne sais pas s'il faut que cela soit vraiment mentionné.

Le sénateur Nolin : C'est important.

La présidente : C'est un point important, mais je ne voulais pas empiéter sur les questions que les sénateurs souhaitent poser et je vais maintenant revenir à la liste.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je vais laisser mon privilège au sénateur Wallace, mais je fais immédiatement ma demande pour la deuxième ronde de questions, justement pour examiner la synthèse de maître Spratt.

[Traduction]

Le sénateur Wallace : Merci, madame la présidente et merci à vous pour vos exposés. Il est toujours intéressant d'examiner l'objectif public derrière le projet de loi S-4 et derrière toute autre mesure législative lorsqu'il existe ce que certains qualifieraient d'intérêt public qui devrait pousser les parlementaires à agir pour lutter contre des problèmes de notre société. Tous ceux qui sont ici admettraient probablement que le vol d'identité est effectivement un problème grave et un problème sur lequel les parlementaires doivent se pencher.

En général, l'idée ou la notion ne cause pas de problème. Les gens s'entendent en général sur la nécessité de faire quelque chose et sur la nature des problèmes, mais il faut à un moment donné en arriver à formuler des projets de loi et des mesures législatives. Il y a beaucoup de gens qui pensent que tout le mal vient du fait qu'à un moment donné les avocats doivent intervenir. Nous en arrivons ensuite aux mots et à ce qu'ils veulent dire et comment on peut les comparer avec ceux de la jurisprudence et des lois. Pour faire ce travail correctement, il faut également posséder une connaissance approfondie du Code criminel. Il est nécessaire de replacer ce projet de loi dans le contexte du Code criminel actuel. Cela dit, il faut bien sûr polir le texte et nous devons tenir compte de cet aspect.

Monsieur MacRury, je vais peut-être commencer par la référence que vous avez faite à l'emploi de la notion d'» insouciance ». Manifestement, vous avez certaines réticences à l'égard de son emploi et aimeriez la remplacer par un autre terme ou par une autre disposition explicative. N'est-il pas vrai que la préoccupation que vous exprimez ne se limite pas en fait à ce projet de loi particulier? C'est une préoccupation plus large, étant donné que ce terme est utilisé dans l'ensemble du code ou dans de nombreuses dispositions du code et a fait l'objet de nombreuses interprétations et décisions judiciaires qui ont tenté d'en fixer le sens. D'après moi, l'insouciance est associée à un niveau d'élément moral élevé. Ce n'est pas un simple terme général que nous utilisons tous les jours; les tribunaux lui ont donné un sens particulier.

Si nous voulons concrétiser ce souci de réforme et tenter de résoudre cette question grave du vol d'identité, ne serait- il pas souhaitable de faire référence à l'» insouciance » telle qu'elle apparaît dans le projet de loi et de voir ensuite s'il est nécessaire d'aller plus loin dans le cadre plus général du code et de son application; ne serait-il pas bon que cela se fasse par la suite, plutôt que d'entraver maintenant la concrétisation d'un objectif social très positif par l'adoption de ce projet de loi?

M. MacRury : Sénateur, c'est une mesure législative importante et comme vous pouvez le constater, l'ABC appuie l'intention générale du projet de loi.

Pour ce qui est de le laisser tel quel et d'en faire une loi, je vais mettre le chapeau que je porte dans ma vraie vie et dire que je vais être une des personnes qui vont devoir vivre avec ce projet de loi devant les tribunaux demain. J'aimerais pouvoir invoquer devant les tribunaux une mesure législative efficace. Nous disons qu'il est possible d'utiliser le mot « insouciance », mais qu'il faudrait peut-être aller plus loin et reprendre les termes de la Cour suprême du Canada, ce qui veut dire utiliser l'expression « un risque considérable et injustifiable ». Cela ne va pas retarder l'adoption du projet de loi, mais cela voudra dire qu'il faudra lui apporter un amendement et adopter ensuite cet important projet de loi. Voici quel est le problème : si vous ajoutez ce terme maintenant et si vous aiguisez les attentes de la population en lui affirmant que nous avons un projet de loi efficace alors nous allons nous retrouver devant les tribunaux et passer tout notre temps à débattre du sens de ce mot et les tribunaux vont devoir l'analyser à nouveau. Nous demandons au Parlement de préciser clairement le sens de ce mot.

Le sénateur Wallace : Si c'est bien le cas, l'amendement que vous proposez devrait s'appliquer chaque fois que le mot « insouciance » est utilisé dans le code et pas seulement dans ce projet de loi?

M. MacRury : Je vais laisser cette question aux législateurs et leur accorder toute latitude pour régler cette question comme ils l'entendent.

La présidente : Nous devons nous en tenir aux objectifs de ce projet de loi. Nous ne pouvons pas utiliser ce projet de loi pour réviser l'ensemble du Code criminel.

M. MacRury : C'est juste. Je modifierais le projet de loi maintenant pour en préciser le sens.

Le sénateur Wallace : Je ne vais pas répéter ce que j'ai dit il y a un instant, mais la question qui me vient à l'esprit en parlant de l'aspect insouciance comme vous l'avez proposé —aux seules fins de ce projet de loi — est la suivante : Et que se passe-t-il pour le reste du code? Il est évident que nous aurions élaboré une définition qui serait différente de ce qui existe ailleurs. Encore une fois, même si je crois avoir compris votre réponse, je vous dirais qu'il serait sans doute préférable d'examiner cette idée dans le cadre d'un examen plus complet du code et non pas seulement à l'occasion de ce projet de loi.

M. MacRury : Sénateur, nous recommandons aujourd'hui que les sénateurs envisagent de modifier ce projet de loi. Bien sûr, si plus tard le gouvernement présentait un projet de loi plus général, l'ABC serait en faveur d'une révision globale de toutes les dispositions du code, de sorte que notre position sur ce point est officiellement reconnue. Je pense que nous pouvons faire les deux.

Le sénateur Joyal : Monsieur MacRury, vous recommandez à la page 3 de votre mémoire que soit précisé le rapport qui existe entre les nouvelles infractions proposées par le projet de loi S-4 et les dispositions générales actuelles. Je suis réceptif à cette proposition, mais je me demande si vous êtes en mesure de nous fournir le texte de votre proposition?

M. MacRury : Je ne pourrais pas vous la présenter aujourd'hui. Je peux laisser cette tâche aux rédacteurs, mais il me paraît clair qu'il existe un certain chevauchement avec ce projet de loi et qu'il faudrait examiner cet aspect. Voilà ce que nous recommandons.

Le sénateur Joyal : Vous engagez-vous à nous fournir rapidement un projet de texte que vous aimeriez voir ajouter au projet de loi ou est-ce trop demander à l'ABC de rédiger ce genre de proposition?

M. MacRury : Sénateur, nous sommes tout à fait prêts à nous engager à le faire. Nous sommes ici pour essayer de faciliter l'adoption de ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : Cela nous serait utile parce que nous aurions ainsi une base à partir de laquelle nous pourrions nous prononcer. Est-ce que vous nous invitez à supprimer les articles 7 et 9, qui prévoient une exception pour certaines activités policières?

M. MacRury : Oui.

Le sénateur Joyal : Des exceptions ont été créées dans d'autres circonstances pour des projets de loi qui font maintenant partie du Code criminel et cela nous préoccupe. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez que les autres sections du code, sous sa formulation actuelle, pourraient s'appliquer aux activités clandestines des services policiers? Je pense aux cas où les policiers ont besoin de créer une identité en vue d'une enquête ou de faire une descente à la recherche de drogues ou de sécuriser un lieu ou à d'autres fins pour lesquelles une autre identité permettrait de découvrir des activités criminelles?

M. MacRury : Sénateur, notre position sur ce point est très claire; nous pensons que les dispositions actuelles protègent déjà suffisamment les personnes chargées d'appliquer la loi. Nous avons déjà déclaré officiellement qu'il n'était pas souhaitable d'élargir cette exception. Nous accordons une grande valeur à la suprématie de la loi et il faut donc être très prudent lorsqu'on envisage de créer des exceptions à la suprématie de la loi.

Certains témoins que le comité a déjà entendus sur cette question ont laissé entendre qu'il était parfois nécessaire de créer une identité avant de lancer une enquête. C'est toutefois une question d'interprétation. À mon avis, dès qu'un service de police fournit une autre identité à quelqu'un, je dirais qu'il a commencé une enquête. Cette enquête n'a peut- être pas de but précis. J'affirme toutefois que les dispositions actuelles sont suffisamment solides pour protéger les policiers et qu'il n'est pas utile d'élargir cette exception au Code criminel.

Le sénateur Joyal : Un service de police peut décider d'essayer de s'introduire dans un groupe criminel avant de lancer une enquête et il peut avoir besoin de protéger l'identité de leur agent d'infiltration en utilisant diverses pièces d'identité. Pensez-vous que les dispositions actuelles du Code criminel suffiraient à exonérer les policiers de l'infraction que nous essayons de créer aujourd'hui?

M. MacRury : C'est ce que je pense. Oui.

Le sénateur Joyal : Passons au paragraphe 402.2(1) que M. Spratt a décrit. Lisons ce texte ensemble :

Commet une infraction quiconque, sciemment, obtient ou a en sa possession des renseignements identificateurs sur une autre personne [...]

La personne doit savoir qu'elle est en possession de ces pièces d'identité. Si la personne est involontairement en possession de ces documents, on ne peut dire qu'elle les a en sa possession sciemment. Cela exclut un certain nombre d'allégations.

Le texte continue :

Dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement [...]

Il faut qu'il y ait des circonstances, des faits ou une situation dans laquelle se trouve cette personne. Le seul fait de posséder des pièces d'identité d'une autre personne ne suffit pas, d'après ce que je comprends. Il faut que d'autres éléments entourent la possession et il faut que ces éléments permettent de conclure raisonnablement qu'ils seront utilisés dans l'intention — dans une autre intention. Un deuxième volet de l'élément moral doit donc être présent. Le premier volet de l'élément moral est que la personne doit savoir qu'elle possède les pièces d'identité de quelqu'un d'autre et le deuxième volet est l'intention d'utiliser ces pièces d'identité pour commettre un acte criminel.

Il existe différents niveaux de conclusion découlant de la possession illégale de certains renseignements. Ne pensez- vous qu'il y a là suffisamment d'éléments pour préciser l'élément moral, en particulier dans la version française, qui est, comme la présidente l'a fait remarquer à juste titre, beaucoup plus stricte que la version anglaise? En français, il faut pouvoir « conclure raisonnablement ». Autrement dit, il faut qu'il soit raisonnable de conclure une certaine chose. Ce n'est pas une simple déduction générale c'est une conclusion. Autrement dit, vous vous trouvez dans un entonnoir et à l'extrémité de cet entonnoir il y a la conclusion qu'il faut obligatoirement tirer de ce qui précède. Il me semble que la version française est plus stricte que la version anglaise. Je suis heureux de constater que je ne suis pas le seul à le penser.

Ne pensez-vous qu'il existe suffisamment d'éléments pour circonscrire l'élément moral?

M. Spratt : Si l'on se reporte au texte du projet de loi, celui-ci énonce « dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement qu'ils seront utilisés dans l'intention... » Il semble que la conclusion raisonnable doit être associée à l'intention, si l'on se fie à la version anglaise de cette disposition. Nous sommes en train de tirer une conclusion raisonnable au sujet de l'intention de la personne concernée.

Le sénateur Joyal : Non, non, non. Je ne le pense pas.

Le sénateur Nolin : Examinons les termes. Les mots clés sont « dans des circonstances qui permettent de ». Nous devons nous entendre sur chacune des étapes. Sommes-nous d'accord pour dire que « sciemment » représente l'intention criminelle? Nous entendons-nous sur l'expression « intention criminelle d'obtenir ou d'avoir en sa possession »?

M. Spratt : Oui, nous sommes d'accord sur ce point. Le mot « sciemment » fait référence à l'expression « a sciemment fait ceci ».

Le sénateur Nolin : Nous sommes d'accord sur l'élément matériel et sur l'intention équivalente exigée par l'infraction. Nous discutons maintenant des circonstances. C'est-à-dire, des raisons pour lesquelles cette personne a cette intention criminelle. C'est ce que nous essayons d'analyser avec vous.

M. Spratt : Tout à fait.

Le sénateur Joyal : Je pense que le sénateur Nolin a reformulé mon argument. Il y a plusieurs éléments ou étapes ici. Je suis très impressionné par votre argument. Cependant, lorsque je lis le texte et que j'essaie d'appliquer, à chacune des étapes, ce qu'il exige en termes de connaissance, je ne suis pas certain que la conclusion que vous avez formulée soit exacte. Elle est peut-être plus exacte si l'on se base sur la version anglaise plutôt que sur la version française. Dans la version française, la deuxième étape est, à mon avis, beaucoup plus stricte que dans la version anglaise.

M. Spratt : Il est très possible que cela vienne du mot « conclusion » qui est différent du mot anglais « inference ». Je conviens avec vous que « obtient sciemment » ou « a en sa possession » veut dire qu'il faut être conscient d'être en possession de certaines choses. Il n'y aurait pas d'infraction si je plaçais un paquet de documents dans le sac de quelqu'un d'autre.

Le sénateur Joyal : Par exemple, j'ai le passeport de mon père dans ma poche. Personne ne peut me dire : « Vous êtes inculpé d'être en possession d'une pièce d'identité appartenant à quelqu'un d'autre » parce qu'il ne suffit pas d'avoir sur soi des pièces d'identité appartenant à une autre personne.

M. Spratt : Bien sûr; je suis tout à fait d'accord avec les sénateurs sur ce point. Le point sur lequel il y a peut-être matière à discussion est la deuxième phrase; c'est-à-dire « dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement qu'il seront utilisés dans l'intention de... »

La rédaction de cette disposition, du moins selon mon interprétation, est que la conclusion raisonnable est reliée à l'expression « qu'ils seront utilisés dans l'intention de... » La conclusion raisonnable doit porter sur la nature de l'intention de la personne concernée.

Le sénateur Joyal : C'est la conclusion que vous tirez de l'ensemble des circonstances qui vous amène à conclure que l'intention est de commettre un acte criminel qui comprend la fraude. À mon avis, les circonstances doivent comprendre un élément de l'activité criminelle qui va découler du fait que vous êtes en possession de pièces d'identité.

M. Spratt : J'ai exprimé cette préoccupation — et je vais parler maintenant uniquement de la version anglaise — parce que, lorsque nous parlons de conclusion raisonnable, c'est normalement une conclusion qu'une personne raisonnable peut ou pourrait tirer. Ce n'est pas une conclusion inéluctable. Il est facile de penser à divers exemples où l'on pourrait tirer des conclusions différentes. Par exemple, prenons le cas d'une personne qui se trouve en possession de plusieurs passeports, d'une personne qui a un casier judiciaire, et d'une situation où il existe d'autres éléments qui permettent de conclure raisonnablement que la personne en question est en possession de ce document dans un but prohibé. Toutefois, cette même personne pourrait présenter une autre explication — c'est-à-dire, une explication à partir de laquelle il serait possible de tirer une autre conclusion. Dans ce genre de cas, les tribunaux refusent habituellement de choisir entre deux conclusions si elles sont toutes les deux possibles et logiques. Dans un tel cas, si la personne témoignait — il y a aussi la question du renversement du fardeau de la preuve dans ce genre de cas — et présentait une autre conclusion, son témoignage ne compterait pas.

La présidente : Monsieur Spratt, vous connaissez mieux le droit pénal que moi, mais il existe déjà une formulation semblable dans le code tant en anglais qu'en français. C'est moi qui vous ai posé cette question. Par exemple, à l'article 351.1.1, possession d'outils de cambriolage, il est fait référence à des « circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure » que l'instrument a été utilisé. Ensuite, l'article 352, possession d'instruments pour forcer un appareil à sous ou un distributeur automatique de monnaie, nous retrouvons encore l'expression « dans des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure qu'il a été utilisé, est destiné... à être utilisé à cette fin ». Il semble également qu'il y ait une jurisprudence sur ces articles qui vient confirmer leur validité, R. c. Holmes, en particulier, je crois.

Ne sommes-nous pas en train de débattre d'un point, aussi fascinant puisse-t-il paraître, dont les tribunaux ont déjà déclaré qu'il était dépourvu d'effet?

M. Spratt : Dans ces circonstances, les tribunaux en sont arrivés à ces conclusions dans le cadre de contestations constitutionnelles. La difficulté ici vient du fait que le paragraphe 402.2(1) proposé utilise une formulation très permissive, qui, combinée avec la définition très large de « pièce d'identité », pourrait entraîner d'autres contestations sur ce point.

La présidente : Sénateurs, je vous demande de m'excuser encore une fois.

Le sénateur Joyal : Non, cela fait partie de ce que nous essayons de comprendre au sujet de l'effet qu'aurait l'adoption de ce projet de loi.

Dans Holmes — et je cite là l'explication fournie sous l'article 351.1, où l'on retrouve les mêmes « circonstances qui donnent raisonnablement lieu de conclure » — l'explication de ces termes est la suivante : « Les circonstances externes doivent prouver que son visage était, au moment des faits, masqué, recouvert d'un enduit de couleur ou autrement dissimulé. » Il n'y a pas de définition, mais chaque mot est utilisé dans son sens courant et quotidien. Par exemple, il doit prouver un autre élément moral, l'intention de commettre un acte criminel précis, pour établir la responsabilité.

Il y a un troisième élément qui est que l'infraction doit être associée à la fraude, à la supercherie ou au mensonge. Vous déduisez, à partir du moment où la personne est sciemment en possession de pièces d'identité, qu'il existe des circonstances entourant la possession de ces pièces d'identité qui permettent de conclure raisonnablement que cette personne possède ces documents dans un but illégal. Il faut quand même démontrer la présence de l'élément moral de la fraude. Ce processus comporte plusieurs étapes.

Le sénateur Nolin : Je pense qu'il en compte effectivement beaucoup. L'infraction en question n'est pas la fraude; ce n'est pas la « supercherie ». Il est raisonnable de conclure que la personne en question possédait ou avait obtenu des documents dans l'intention raisonnable de commettre ces infractions. L'infraction est en fait décrite dans les deux premières lignes. Le reste ne fait que décrire les circonstances — à savoir, la conclusion raisonnable au sujet de motifs qui ont poussé la personne à poser ces actes.

La présidente : Je vais demander à M. Spratt de répondre.

Le sénateur Nolin : C'est lui qui a soulevé la question. Nous lui demandons pourquoi il l'a fait.

La présidente : C'est ce qu'il a effectivement fait, mais il y a peut-être d'autres sénateurs qui aimeraient peut-être soulever des questions tout aussi fascinantes.

M. Spratt : Je crois que l'on peut soutenir que, pour ce qui est de la constitutionnalité de cette disposition particulière, il n'y a aucun doute qu'elle serait reconnue si des termes plus forts étaient utilisés; il faudrait une formulation qui supprime la notion de conclusion raisonnable et contienne simplement les mots « possession dans une intention frauduleuse ». Cela compliquerait peut-être un peu le travail de la Couronne, mais en fin de compte, cela serait conforme à la présomption d'innocence et au fardeau qu'a l'État d'établir les infractions. Je pense que cela supprimerait toute possibilité de contestation constitutionnelle.

Comme l'ont dit mes amis, lorsqu'un projet de loi de ce genre est adopté, il y a toujours des contestations au sujet du « jargon juridique » employé. Si le but est d'adopter une mesure législative efficace, de ne pas retarder le processus, de ne pas multiplier les contestations à son sujet et de la mettre en pratique dès son adoption, l'ajout d'une formulation dont la constitutionnalité est reconnue faciliterait toutes ces choses et permettrait d'atteindre ces différents objectifs.

M. MacRury : J'aimerais présenter le point de vue de l'ABC sur ce point. On peut lire au premier paragraphe de la page 4 de notre mémoire : La première de ces infractions interdirait la possession de renseignements identificateurs sur une autre personne dans des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure à une intention d'utiliser ces renseignements pour commettre une infraction. Le type d'infraction en cause est encore limité par l'exigence que l'infraction comprenne comme élément constitutif la fraude, la supercherie ou le mensonge. Il est entendu que la liste de ces infractions est inclusive.

Permettez-moi de dire que si l'on lit dans son ensemble l'article proposé, il ne semble pas poser de difficulté. De plus, comme l'a exigé le Sénat — cela ne figure pas dans notre mémoire —, mais j'ai une opinion personnelle : Dans les annotations sous le paragraphe 351(1) de mon Code criminel, il est mentionné que, dans l'arrêt R. c. Holmes, 1988 — la Cour suprême du Canada a jugé que la notion de « conclusion raisonnable » n'était pas inconstitutionnelle.

Je vous laisse cet élément d'information pour vos délibérations.

La présidente : Merci.

Le sénateur Baker : Je suis en accord avec M. Spratt sur ce point et sur tous les autres aspects qu'il a mentionnés.

Le sénateur Bryden : Moi aussi.

Le sénateur Baker : Je réfléchissais à ce à quoi pensait M. Spratt : un cas où l'on signale un cambrioleur. La police arrive sur les lieux et voit une voiture qui file rapidement sur une route adjacente. Les policiers arrêtent le véhicule et trouvent un tournevis dans la voiture. Le conducteur de la voiture possède un casier judiciaire pour des introductions par effraction. Il a été déclaré coupable à cause de ces mêmes termes. Il était possible de tirer une « conclusion raisonnable » au sujet de cette personne qui possédait certains antécédents judiciaires.

Vous ou moi ne serions pas condamnés, ni même accusés, mais cette personne a été déclarée coupable. On retrouve des mots identiques dans les deux articles du code : le premier traite de l'introduction par effraction et de la possession d'outils de cambriolage et l'autre concerne l'industrie des télécommunications, et parle de l'équipement utilisé pour recevoir des signaux de satellite. Nous avons également introduit cet article dans le code il y a 12 ou 13 ans.

Je demanderais toutefois à M. MacRury à qui il incombe de conduire les poursuites en vertu de ces dispositions législatives une fois que la police a porté ces accusations? Pensez-vous qu'il est inhabituel de retrouver dans le même projet de loi des expressions comme « conclure raisonnablement », puis « insouciance » dans un autre article et ensuite, une exception pour les policiers qui exercent des activités clandestines? Tout cela est regroupé dans un seul projet de loi. Ajoutons tout ceci à ce qui a déjà fait l'objet de poursuites : des infractions comme le vol d'identité auxquelles viennent s'ajouter d'autres infractions créées par ce projet de loi.

Serait-il raisonnable de conclure que, lorsque vous allez prendre en charge votre première poursuite aux termes de ce projet de loi, l'accusé qui a posé un geste contraire à la loi — nous appelions cela dans le temps un « délit » — ferait l'objet de toute une série d'infractions ou de chefs d'accusation en raison de ce seul « délit »? Si vous pensez à cette situation, vous verrez que l'accusé est poursuivi pour peut-être 10 infractions alors que sans ce projet de loi, ce même accusé serait peut-être inculpé de deux ou trois infractions.

M. MacRury : Cela ne figurait certainement pas dans notre mémoire, mais je dois dire que je ne peux souscrire à vos commentaires pour cette raison : même s'il y avait plusieurs accusations, nous bénéficions de certaines protections en raison du principe de la chose jugée énoncé dans l'arrêt Kienapple, selon lequel vous ne pouvez être déclaré coupable que d'une seule infraction pour un seul acte. C'est la raison pour laquelle je ne peux souscrire à votre argument.

Le sénateur Baker : L'arrêt Kienapple n'a pour effet de réduire le nombre des accusations que si celles-ci concernent des infractions ayant des éléments constitutifs identiques. Il y a des éléments distincts dans chacune des infractions dont nous parlons, ce qui m'amènerait à conclure qu'après l'adoption du projet de loi, un seul « délit » pourrait donner lieu à la perpétration de plusieurs infractions? Je ne sais pas si vous seriez d'accord avec moi sur ce point.

M. MacRury : Je dirais, si vous le permettez, que c'est là qu'intervient la notion de chevauchement. Je vais essayer d'utiliser un exemple pour illustrer mon argument. Disons que vous êtes inculpé d'introduction par effraction et de possession de biens volés, vous serez uniquement déclaré coupable d'introduction par effraction et pas de possession de « biens volés ». Les éléments ne sont pas tout à fait identiques, mais c'est ce qui se passe en général dans la réalité. C'est la raison pour laquelle je dois dire que je ne souscris pas à votre argument.

Le sénateur Baker : Permettez-moi de vous poser une question au sujet de votre objection à l'article 368.2. Cette disposition énonce : « Le fonctionnaire public [...] ne peut être reconnu coupable d'une infraction prévue à l'un des articles 366 à 368.1 [...] » L'article 368.1 est l'article proposé. Pour quelle raison notre projet de loi utilise-t-il la notion de « fonctionnaire public » tel que défini au paragraphe 25.1(1) parce que cette disposition, le paragraphe 25.1(1), contient une définition qui englobe non seulement les personnes qui appliquent la loi, mais aussi celles qui l'administrent. Un fonctionnaire public est défini comme étant un agent de la paix et un agent de la paix est défini à l'article 2 — si mon souvenir du Code criminel est exact — comme étant un maire, un préfet, un membre des forces armées, et la liste continue. Le gouvernement ne devrait-il pas être plus précis ici et parler de « policier » ou avez-vous jamais réfléchi à cet aspect?

M. MacRury : Comme vous le savez, l'ABC recommande fortement de supprimer cette exception du projet de loi.

Le sénateur Baker : Supprimer totalement?

M. MacRury : Totalement. Ce projet de loi peut être adopté sans cette exception. Quant à savoir pourquoi cette formulation se trouve ici, il est évident que l'article 25 contient certaines garanties procédurales. Lorsqu'ils ont décidé d'ajouter une autre exception, les rédacteurs du projet de loi ont probablement voulu introduire ces garanties procédurales.

Il y a des dispositions qui prévoient la présentation de rapports qu'il faut respecter, de sorte qu'évidemment cette procédure devait être conservée, quelles que soient les exceptions que contienne la loi.

Je dirais que l'ABC est convaincue qu'il ne devrait y avoir aucune exception pour cette infraction. L'exemption prévue à l'article 25.1 suffit.

La présidente : Nous passons au deuxième tour.

Le sénateur Bryden : Monsieur Spratt, nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais pourriez-vous nous redire pourquoi vous avez affirmé que le droit pénal est la dernière solution que nous devrions envisager? Vous avez également déclaré que l'on pouvait avoir recours à d'autres méthodes, notamment à la réglementation. J'ai eu l'impression, en écoutant certaines parties de votre exposé, que nous utilisons peut-être si souvent le droit pénal que nous en faisons un mauvais usage, dans la mesure où la première chose que nous faisons est de créer une nouvelle infraction. Vous ai-je mal compris?

M. Spratt : Non. Le projet de loi S-4 a, d'après moi, pour objectif de criminaliser certaines étapes préparatoires du vol d'identité et des inconduites connexes. J'aimerais que l'on m'attribue l'affirmation selon laquelle le droit pénal ne devrait être utilisé qu'en dernier recours, mais la Commission de réforme du droit l'a dit bien avant moi en 1976. J'affirme cela, tout comme l'a fait la Commission de réforme du droit, à cause du coût qu'entraînent les poursuites pénales, de la stigmatisation qui résulte d'une condamnation et du fait que les peines peuvent être privatives de liberté et des choses de ce genre. C'est pour ces raisons que l'on dit que le droit pénal devrait être considéré comme une mesure de dernier recours.

Vous avez raison de vous souvenir que j'ai parlé de l'existence d'autres façons de faire. J'estime qu'une de ces autres façons de faire pourrait être l'adoption d'un règlement, qu'il est possible d'appliquer beaucoup plus vigoureusement. Il y a des infractions de responsabilité stricte et de responsabilité absolue qui peuvent prévoir des présomptions beaucoup plus difficiles à réfuter pour l'accusé et pour lesquelles les garanties constitutionnelles ne sont pas aussi strictes. Un règlement permettrait de poursuivre agressivement ce genre de comportement. Il y a aussi bien sûr la prévention, qui devrait, d'après moi, jouer un grand rôle.

Le sénateur Bryden : Merci. C'est à ce genre de chose que je pensais. Plus tôt, nous avons entendu d'autres témoins et nous avons abordé la question de la peine maximale prévue par ce projet de loi, qui est cinq ans d'emprisonnement. Lorsqu'elle a été interrogée à ce sujet, la personne qui témoignait, qui représentait, je crois, le ministère de la Justice, a déclaré que ces peines étaient légères parce que bien souvent la Couronne procède par voie de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Les nouvelles peines qui figurent dans ce projet de loi se situent parmi les peines les moins sévères qui justifient quand même l'arrestation d'une personne et le dépôt d'accusations contre elle.

Vous comprenez pourquoi je dis ceci. Prenez le vol d'identité, la fraude à l'identité et leurs éléments constitutifs. La définition de l'article 402.1 énonce :

d'un type qui est ordinairement utilisé, seul ou avec d'autres renseignements, pour identifier ou pour viser à identifier une personne physique, notamment empreinte digitale ou vocale, image de la rétine ou de l'iris, profil de l'ADN, nom, adresse, date de naissance, signature manuscrite, électronique ou numérique, code d'usager, numéro de cartes de crédit ou de débit, numéro de compte d'une institution financière, numéro de passeport, numéro d'assurance sociale, d'assurance maladie ou de permis de conduire ou mot de passe.

Quiconque se procure un numéro d'assurance sociale d'une autre personne sans motif valable a commis une infraction d'après cette définition et il nous a été expliqué que c'était la raison pour laquelle ces infractions n'étaient pas assorties de peines sévères.

N'est-ce pas le genre de chose qu'il serait préférable de réglementer ou de traiter plus efficacement dans notre société, comme vous l'avez mentionné il y a quelques minutes, c'est-à-dire par règlement. Il est tout à fait possible d'essayer de prévenir ce genre de crime au lieu d'attendre qu'il soit commis et d'en inculper ensuite l'auteur parce qu'il a commis une infraction pénale.

M. Spratt : Je souscris tout à fait à cet argument, en particulier à cause, comme vous l'avez fait remarquer, de la très grande portée de la définition de renseignements identificateurs et aussi en me fondant sur les observations qu'ont formulées mes amis. Prenez le cas d'un adolescent qui utilise la carte d'identité de quelqu'un d'autre pour entrer dans un bar ou d'une personne qui se fait passer pour quelqu'un d'autre dans ce que l'on pourrait qualifier de but social acceptable, par exemple, pour retracer un conjoint délinquant qui ne paie pas sa pension alimentaire. On pourrait penser à un certain nombre d'infractions mineures qui ne justifieraient peut-être pas la stigmatisation que risque d'entraîner une condamnation aux termes d'un projet de loi d'une aussi grande portée.

Le sénateur Bryden : Ce que je trouve inquiétant depuis quelques années, et cela ne concerne pas seulement ce projet de loi mais d'autres aussi, est que nous cherchons dès le départ à criminaliser une activité au lieu de le faire en dernier recours, après avoir essayé en vain quelque chose d'autre. Ces dernières années, et bien sûr avec le gouvernement qui est au pouvoir à l'heure actuelle, la première réaction est de modifier le Code criminel. Le gouvernement a la réputation de vouloir réprimer durement la criminalité. Il est impossible de réprimer la criminalité s'il n'y a pas beaucoup de crimes à réprimer. C'est inquiétant parce que certaines activités qui ont été criminalisées sont tout à fait marginales et elles sont pourtant associées, dans certains cas, à des peines minimales.

J'aimerais mentionner autre chose et entendre ensuite votre réaction. Les paragraphes 402.2(1) et 402.2(2) font, d'après moi, problème. Je pense que dans ces deux paragraphes, et même dans chacun d'eux mais en particulier si on les lit ensemble, la criminalisation est plutôt vague. L'ami qui est assis à ma droite a dit que la première étape est celle où une personne commet une infraction parce qu'elle a sciemment obtenu ou a en sa possession des renseignements identificateurs sur une autre personne. Jusqu'ici, cela pourrait être ma mère et les renseignements la concernant. Je les ai obtenus sciemment. Je les ai en possession sciemment. Pour le moment, je n'ai pas encore commis d'infraction. La disposition continue en ajoutant : dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement que je vais commettre quelque chose. Qu'est-ce qui vous permet de tirer cette conclusion? Je porte un masque. En fait, c'est Halloween. Cela me paraît tout à fait ridicule.

La disposition suivante énonce : « en sa possession à une telle fin des renseignements identificateurs sur une autre personne sachant qu'ils seront utilisés pour commettre [...] ou ne se souciant pas de savoir si tel sera le cas [...] » Il y a l'expression « conclure raisonnablement » qui n'est pas très précise à mon avis. La nouvelle série de problèmes découle du passage qui énonce « sachant qu'ils seront utilisés pour commettre un acte criminel dont l'un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ou ne se souciant pas de savoir si tel sera le cas ». Ces deux paragraphes peuvent s'appliquer à tellement de situations qu'à mon avis ni l'un ni l'autre ne devraient figurer dans le Code criminel.

La présidente : Était-ce une question?

Le sénateur Bryden : Oui. J'ai demandé au témoin de commenter ce que j'avais dit lorsque j'aurais terminé.

M. Spratt : La précision et la certitude sont des valeurs à privilégier dans le Code criminel. J'estime que les activités marginales peuvent être contrôlées autrement, et devraient l'être autrement. Cela est particulièrement vrai en ce moment, avec des tribunaux surchargés, des problèmes d'accès à la justice, et avec la lenteur du processus judiciaire. En Ontario à l'heure actuelle, du point de vue des avocats de la défense, on se pose beaucoup de questions au sujet de l'accès à la justice et du financement du système judiciaire. Nous devrions nous efforcer d'adopter des mesures législatives précises, dont le sens est clair et peu sujet à contestation, ayant une portée limitée, car, dans le cas contraire, cela peut friser l'inconstitutionnalité. Voilà la réponse que je donnerai à votre question, sénateur.

La présidente : Madame Schellenberg ou monsieur MacRury, est-ce que l'un d'entre vous souhaite faire un commentaire?

M. MacRury : Nous sommes en faveur du projet de loi et ne pensons pas qu'il ait une portée trop large. Nous avons fait des commentaires au sujet de la notion d'» insouciance » et nous pensons qu'il est possible d'y remédier en utilisant des termes précis. L'ABC a officiellement déclaré que c'était là un problème grave et que ce projet de loi était important.

Pour répondre à votre question qui portait sur la nécessité d'adopter un tel projet de loi, je citerai aux sénateurs l'arrêt Hamilton. Aux États-Unis, on accuse les tribunaux de légiférer, mais nos tribunaux ont clairement déclaré qu'ils ne pouvaient étendre eux-mêmes la portée des lois et que c'était au Parlement de le faire. Autrement dit, pour ce qui est des dispositions relatives au fait de conseiller certaines choses, il y a trois chefs d'accusation qui n'ont pas été examinés malgré la présence de faits troublants. Ce ne sont pas les exemples que vous avez fournis. J'estime que, dans les circonstances, après la décision de la Cour suprême dans l'affaire Hamilton, ce projet de loi aborde des questions importantes et mérite d'être examiné de façon approfondie.

Le sénateur Bryden : Si c'est bien le cas, pourquoi avez-vous déclaré que l'ABC recommandait que le projet de loi S-4 soit modifié pour expressément exclure certaines dispositions relatives à la tentative, au fait de conseiller et à certains types de comportements mineurs. Le projet de loi n'est donc pas parfait. Il me semble que la section de l'ABC recommande que soit précisé le rapport entre les nouvelles infractions proposées par le projet de loi S-4 et les dispositions générales existantes. Votre troisième recommandation consiste à supprimer l'exception accordée à la police et aux autres fonctionnaires publics. Trois de vos recommandations touchent le cœur même du système judiciaire, tel que le connaissent les citoyens ordinaires.

M. MacRury : Sénateur, nous avons clairement dit dans notre exposé que nous ne pensions pas que le projet de loi était parfait. Nous avons toutefois affirmé que c'était un projet de loi nécessaire et nous sommes venus offrir des suggestions sur la façon de l'améliorer en proposant certains amendements.

Le sénateur Bryden : Êtes-vous un poursuivant?

M. MacRury : Oui, et un ancien avocat de la défense. J'ai été à l'UNB.

Le sénateur Bryden : Pourquoi ne pas l'avoir dit au début?

Le sénateur Banks : C'est peut-être la question la plus brève qui ait jamais été posée, mais je crois que plusieurs questions n'auraient pas été posées, monsieur MacRury, si vous l'aviez dit dès le début.

Avez-vous dit dans vos remarques d'ouverture que le projet de loi parlait de responsabilité stricte?

M. MacRury : Non, je n'ai pas dit cela.

Le sénateur Banks : Avez-vous parlé de responsabilité précise?

M. MacRury : Non, je ne pense pas avoir dit cela. Ce n'était certainement pas mon intention.

Le sénateur Banks : Merci.

Le sénateur Nolin : Monsieur Spratt, je vais revenir au paragraphe 402.2(1). Vous avez entendu qu'il a été fait référence à la décision de la Cour suprême dans laquelle celle-ci a déclaré qu'il était tout à fait constitutionnel de tirer une conclusion raisonnable de certaines circonstances. Êtes-vous toujours préoccupé par cette disposition?

M. Spratt : Oui. C'est un projet de loi dont la portée est très large, qui contient des articles dont la porté est également très large et qui s'appliquent à toute une série d'infractions. Je maintiens que cela fait problème, que cela va susciter des contestations constitutionnelles et que l'on pourrait peut-être utiliser une formulation plus précise.

Le sénateur Nolin : Vous avez entendu le sénateur Baker mentionner des faits qui étaient tout à fait normaux — un véhicule, un tournevis et la personne a été déclarée coupable. Je suis sûr que l'arrêt Holmes a été utilisé comme argument.

M. Spratt : Oui.

Le sénateur Nolin : L'intention du Parlement est de créer cette infraction et c'est maintenant à nous de veiller à ce qu'elle soit applicable.

M. Spratt : Mes préoccupations disparaîtraient si l'on supprimait le mot « conclusion » et ajoutait les mots « but frauduleux ». Ce serait très clair. Cette disposition résisterait à toute contestation constitutionnelle et répondrait quand même aux besoins perçus, compte tenu de la portée de la preuve précise qui est exigée.

Le sénateur Nolin : Je vais entamer une petite discussion avec vous. Dans un tel cas, j'essaierais probablement d'accuser cette personne de fraude et je laisserais tomber la possession.

M. Spratt : Oui.

Le sénateur Nolin : L'infraction que nous voulons créer constitue la première étape vers la fraude. La fraude existe déjà. L'intention du projet de loi est de créer de nouvelles infractions qui vont déboucher sur l'infraction principale qui est la fraude. Il faut des années pour poursuivre cette infraction parce que c'est une infraction qui exige une intention.

M. Spratt : Je comprends que c'est bien là le but du projet de loi S-4. D'après moi, il serait nouveau qu'une mesure législative criminalise la simple préparation, qui habituellement n'est pas réprimée, ni considérée comme étant criminelle et cela donnerait lieu à des contestations constitutionnelles.

Le sénateur Nolin : Bien sûr.

La présidente : Voilà qui est absolument fascinant. Nous pourrions vous garder tous ici pendant encore quatre heures, mais vous serez ravi d'apprendre que cela n'est pas possible parce que nous devons entendre d'autres témoins. Vous nous avez donné matière à réflexion et nous sommes heureux que vous ayez pu comparaître aujourd'hui.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir les témoins de l'Association des banquiers canadiens, M. William P. Randle, chef adjoint du contentieux et secrétaire Banques étrangères et M. William Crate, directeur de la sécurité.

William P. Randle, chef adjoint du contentieux et secrétaire Banques étrangères, Association des banquiers canadiens : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, nous vous remercions de nous avoir invités ici aujourd'hui pour participer à votre étude du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel (vol d'identité et inconduites connexes). Je m'appelle Bill Randle et je suis le chef adjoint du contentieux et secrétaire Banques étrangères de l'Association des banquiers canadiens. Je vais essayer de dire « Association des banquiers canadiens » pour ne pas créer de confusion avec l'ABC précédent. Je suis accompagné aujourd'hui par Bill Crate, notre directeur de la sécurité. Il était détective surintendant de la Police provinciale de l'Ontario et directeur de leur escouade des crimes économiques.

L'Association des banquiers canadiens est très satisfaite que le gouvernement ait décidé de s'attaquer au problème du vol d'identité et aux activités criminelles qui lui sont associées, en modifiant le Code criminel. L'Association des banquiers canadiens soutient depuis longtemps qu'il faut assurer la protection des Canadiens dans ce domaine et nous sommes heureux d'exprimer notre solide soutien au projet de loi S-4; nous espérons qu'il sera adopté au plus tôt. Nous félicitons le gouvernement d'aller de l'avant et de prendre des mesures pour lutter contre le problème du vol d'identité.

Depuis quelques années, le vol d'identité est devenu un problème grave et un phénomène qui se répand. En tant qu'entreprises traitant les renseignements personnels et les comptes financiers de millions de Canadiens, les banques prennent extrêmement au sérieux leur rôle dans la lutte contre le vol d'identité. Le secteur bancaire travaille constamment pour renforcer des systèmes de sécurité complexes et les mesures préventives. Nous savons que les personnes dont la vie privée a été envahie subissent un traumatisme émotif grave et qu'elles doivent déployer des efforts considérables pour rétablir leur réputation et leur cote de crédit.

Les dispositions actuelles du Code criminel et d'autres lois ont été utilisées contre les vols d'identité ou plus précisément contre la fraude qui découle du vol d'identité. Dans l'ensemble cependant, ces dispositions sont antérieures aux technologies apparues au XXIe siècle. Par exemple, l'article 371 du Code criminel prévoit qu'est coupable d'un acte criminel quiconque envoie avec l'intention de frauder « un télégramme, un câblogramme ou un message radiophonique ». Le dernier télégramme envoyé au Canada remonte à 2006 et même à ce moment-là, ce moyen de communication était considéré comme une relique du passé.

De façon plus générale, il n'existe à l'heure actuelle aucune série complète de dispositions législatives modernes fournissant des outils adéquats pour enrayer le problème spécifique que pose la tromperie à l'identité et les infractions connexes qui sont au cœur du vol d'identité. La croissance du vol d'identité tient à un certain nombre de facteurs, notamment le développement des technologies des crémages et l'implication criminelle dans le piratage informatique. Une des raisons essentielles est la portée et l'efficacité limitées des lois actuelles visant à contrer et à punir les types d'activités criminelles liées au vol d'identité.

Même lorsque la Couronne essaie d'utiliser les dispositions existantes du Code criminel contre ces activités, cela signifie invariablement que cette tentative sera ardue. Ces graves lacunes législatives affaiblissent la protection dont devraient bénéficier les consommateurs et appellent des mesures. Soulignons plus particulièrement qu'aucune de ces dispositions législatives ne permet de contrer efficacement les actions suivantes : la possession de pièces d'identité appartenant à une autre personne, la possession de renseignements personnels d'une autre personne et la fabrication ou la possession de pièces d'identité nouvelles. C'est pourquoi nous croyons que le Code criminel doit être moderniser et maintenu à jour afin de combler ces lacunes et de refléter la société dans laquelle nous vivons, surtout l'impact qu'a sur elle l'évolution rapide de la technologie.

À notre avis, les nouvelles mesures proposées dans le projet de loi S-4 combleront bon nombre de ces lacunes et fourniront des outils importants et essentiels pour contrer le vol d'identité et les problèmes qu'il crée. Nous endossons donc l'approche proposée dans le projet de loi, à savoir que la portée de nouvelles mesures sera axée sur les infractions où une personne a l'intention d'utiliser des renseignements identificateurs pour prétendre être la personne que ces renseignements identifient ou avoir certains attributs de celle-ci. Par ailleurs, dans notre mémoire à l'intention du comité, nous soulignons quelques modifications de nature technique qui, croyons-nous, permettront de clarifier le projet de loi et d'accroître son efficacité. Nous sommes convaincus que le comité acceptera d'examiner, et adoptera peut-être, nos recommandations qui proposent d'apporter des changements mineurs au projet de loi pour tenir compte de ces problèmes.

En conclusion, nous souhaitons souligner de nouveau notre solide appui au projet de loi S-4. L'adoption de ce dernier sera profitable pour les consommateurs et les entreprises et améliorera grandement les outils à la disposition des forces de l'ordre pour combattre le vol d'identité. Nous vous remercions de nous avoir fourni l'occasion de présenter notre point de vue. Nous répondrons volontiers à vos questions.

La présidente : Monsieur Crate, vouliez-vous ajouter quelque chose?

William Crate, directeur, Sécurité, Association des banquiers canadiens : Je vais répondre aux questions.

La présidente : Nous allons commencer par le sénateur Nolin.

Le sénateur Nolin : Je vais donner mon temps de parole au sénateur Wallace.

Le sénateur Wallace : Avec les changements rapides que connaissent les technologies, il semble que tous les jours les criminels disposent de nouveaux moyens de commettre des fraudes et de désorganiser complètement notre société. Lorsque vous examinez le projet de loi S-4, êtes-vous convaincus qu'il tient suffisamment compte de l'évolution des nouvelles technologies et en particulier, de leurs répercussions sur la question du vol d'identité?

M. Randle : Pour le moment, nous n'avons rien, donc quelque chose, c'est toujours mieux que rien; c'est pourquoi nous appuyons le projet de loi. Nous n'avions jusqu'ici absolument rien pour lutter contre ce problème. C'est un problème qui est très grave à cause de la technologie et c'est la raison pour laquelle nous appuyons vigoureusement le projet de loi. Vous avez raison dans le sens que l'on craint toujours de prendre du retard par rapport aux autres, ce qui est une des raisons pour lesquelles nous avons proposé de revoir la définition de « carte de crédit ». Nous avons parlé de cette question avec le ministère de la Justice et nous estimons qu'il est plus important que le projet de loi soit adopté, et adopté rapidement, de façon à pouvoir lutter contre le vol d'identité plutôt que d'en retarder l'adoption à cause de discussions de ce genre. Nous pensons toutefois qu'il est très important d'en suivre l'application et que le ministère de la Justice procède rapidement à des changements qui s'inspirent des suggestions que nous et d'autres avons faites pour tenir compte de l'évolution de la technologie.

Le sénateur Wallace : Avez-vous constaté que progressivement les clients des banques s'inquiètent de plus en plus des risques de vol d'identité et du fait que ces vols ont eu de graves répercussions parce qu'il était impossible de les sanctionner et d'en réduire le nombre?

M. Randle : Depuis quelques années, nos clients s'inquiètent de plus en plus de la situation parce qu'ils sont sensibilisés à la question du vol d'identité lorsque eux-mêmes ou des gens qu'ils connaissent en sont victimes.

Je ne pense pas qu'il y en ait eu beaucoup qui savaient qu'il n'existait aucun moyen de lutter contre le vol d'identité lui-même. Ils s'inquiétaient surtout de la fraude qui était commise et non pas du vol d'identité à l'origine de celle-ci, ce qui n'est pas surprenant. Nous appuyons ce projet de loi parce qu'il autoriserait les services de police à prendre légalement des mesures pour essayer d'empêcher les criminels de commettre des fraudes.

Le sénateur Joyal : Monsieur Randle, au milieu de la page 5 de votre mémoire, il y a un paragraphe dont le titre en caractères gras se lit ainsi : « Sollicitation de renseignements personnels pour commettre un vol d'identité ». Vous déclarez que le projet de loi ne semble pas couvrir la sollicitation de renseignements personnels en vue de commettre un vol d'identité, par exemple, lorsque des fraudeurs demandent à des particuliers de leur procurer des renseignements personnels et offrent de les payer pour les obtenir. Les membres du comité ont déjà soulevé cet aspect avec des témoins précédents. Est-ce que ce genre de chose se produit couramment dans votre secteur, étant donné que le projet de loi ne criminalise pas cette sollicitation?

M. Randle : Notre inquiétude vient du fait que cela se produit de plus en plus fréquemment. Il existe plusieurs façons de le faire. Jusqu'à un certain point, le projet de loi anti-pourriels qui a été déposé au Parlement va régler un certain nombre de problèmes parce qu'une des façons de solliciter des renseignements personnels est d'avoir recours à ce genre de technologie.

Dans ce cas-ci, nous avons soulevé la question dans ce contexte en sachant que le projet de loi n'était pas le meilleur moyen d'introduire les mesures nécessaires sur ce point. C'est un aspect que le ministère de la Justice et le gouvernement fédéral devront examiner par la suite.

Le sénateur Joyal : Votre deuxième commentaire porte sur la difficulté de définir le mot « insouciance ». Votre témoignage fait suite à d'autres qui, comme vous le savez, ont soulevé cette question. Je pense que vous étiez dans la salle lorsque cela a été mentionné. Vous recommandez soit de supprimer la notion de comportement insouciant en tant qu'une des mesures de la perpétration d'une infraction visée à l'article 402.2 ou de la restreindre aux personnes physiques. Vous dites : « Si le concept d'insouciance devait être inclus comme mesure d'une infraction, la norme devrait être définie de sorte que les organisations comprennent quelles précautions elles devraient prendre pour s'assurer de respecter la norme requise ».

Pensez-vous que le projet de loi, tel que formulé, risque vraiment d'entraîner des allégations de responsabilité qui vont au-delà de ce qu'une personne physique devrait assumer, à cause de la façon dont le projet de loi s'attaque à cette question?

M. Randle : Je ne sais pas si l'on peut vraiment parler de « risque véritable ». Le problème que nous voulons signaler est qu'un commerçant pourrait être visé par le projet de loi alors que manifestement, celui-ci ne devrait pas le faire. Dans ce contexte, pourquoi ouvrir la porte à une telle possibilité? Comme vous le savez peut-être, certains de nos membres ont adopté des mesures de sécurité très complexes pour protéger leurs renseignements personnels. Nous pensons, tout comme d'autres témoins, que le mot « insouciance » est souvent utilisé dans le Code criminel. Il a donc été défini et interprété par les tribunaux dans la jurisprudence. Cependant, il n'y a pas de position ferme sur le sens du mot « insouciance », pour autant que je sache. Dans ce contexte, est-il vraiment nécessaire d'utiliser cette expression dans le projet de loi? Est-ce qu'un autre mot ne serait pas mieux adapté ou pourrait-on préciser le sens de cette notion? Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire dans ce contexte.

Le sénateur Nolin : Sur ce point, que diriez-vous si le Parlement avait l'intention de faire exactement ce que vous dites? Lorsque vous examinez la définition de ce genre d'information, vous pouvez en conclure que nous ne voulons pas que vos membres fassent preuve d'insouciance dans la conservation de données. L'intention du Parlement est peut- être de vous inciter à ne pas le faire? Que répondez-vous à cela?

M. Randle : Sénateur, je dirais que nos membres et les entreprises légitimes qui s'occupent de ces questions ne font pas preuve d'insouciance, comme ce terme est couramment défini. Ce terme n'est pas clairement défini dans le Code criminel ou par la jurisprudence et notre inquiétude vient du fait que nous ne savons pas très bien ce qu'il veut dire? Aucune de ces entreprises, y compris nos membres, ne font preuve d'insouciance avec les renseignements qu'elle possède, mais on pourrait leur reprocher de le faire et c'est pourquoi nous voulons éviter toute ambiguïté.

Le sénateur Nolin : Bien sûr, mais les définitions qu'adoptent les tribunaux portent sur cette même chose. Je suis convaincu que vos membres ne sont pas insouciants. S'ils craignent de l'être, vous feriez mieux de leur enseigner les façons de protéger les données d'autres personnes pour qu'on ne puisse les accuser de faire preuve d'insouciance.

M. Randle : Sénateur, je suis heureux de voir un sénateur canadien affirmer clairement que les banques membres de notre association ne font pas preuve d'insouciance. Je l'apprécie.

La présidente : Le problème vient du fait que le Code criminel n'est pas uniquement rédigé pour les bons gars.

M. Randle : C'est exact.

La présidente : Nous allons considérer comme vérité d'évangile le fait que tous vos membres sont des entreprises extraordinaires, mais ce projet de loi ne s'applique pas uniquement à vos membres.

M. Randle : Il y a un sénateur qui affirme que nous ne sommes certainement pas insouciants et la présidente qui dit que nous sommes extraordinaires.

Le sénateur Nolin : Dans le paragraphe 402.2(2), c'est la dernière partie qui fait problème. « Sachant qu'ils seront utilisés pour commettre un acte criminel dont l'un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ou ne se souciant pas de savoir si tel sera le cas. » C'est le genre d'insouciance que prévoit cette disposition. Le critère est là, et c'est pourquoi je dis que je ne pense pas que vos membres fassent preuve d'insouciance.

Si vous pensez qu'il risquerait de faire preuve d'insouciance, pensez-vous qu'il faudrait leur montrer comment ne pas l'être? J'espère que la réponse à cette question est oui. C'est la raison pour laquelle vous avez cette option. Si vous ne voulez pas que le projet de loi soit modifié, dites-le nous et nous veillerons à ce que ces entreprises se protègent.

M. Randle : Je suis disposé à accepter votre affirmation selon laquelle nous ne sommes pas insouciants dans ce domaine.

Le sénateur Joyal : Il semble que le mot « reckless » dans la version anglaise du paragraphe 402.2(2), tel que l'a lue le sénateur Nolin, définit la portée de l'allégation d'insouciance. Il y a deux aspects : le fait de savoir que l'information sera utilisée pour commettre un acte criminel et le fait de ne pas se soucier de le savoir, autrement dit, la volonté de ne pas le savoir.

Le sénateur Nolin : Ils ne s'en soucient pas.

Le sénateur Joyal : Oui, ils ne s'en soucient pas.

À mon avis, il y a un élément de négligence dans la notion d'insouciance; selon la façon dont cet article est formulé — à moins que je ne me trompe totalement — quiconque détient des renseignements identificateurs personnels a la responsabilité de protéger ces renseignements pour que les gens qui veulent commettre des fraudes n'y aient pas accès.

Il faut prendre un minimum de précautions et vous ne pouvez pas dire : « Eh bien, ce sont des renseignements identificateurs. Tout le monde peut se servir; tout le monde peut prendre les renseignements qu'il veut ». C'est parce que vous avez conclu toutes sortes d'ententes avec des sociétés auxquelles vous vendez des renseignements concernant vos propres clients. Je reçois parfois des sollicitations. Lorsque j'essaie de savoir d'où elles viennent, je découvre que telle banque a passé une entente avec telle société et qu'il se trouve que je figure sur la liste des clients potentiels.

Je ne dirais pas que ce que l'on m'offre est illégal. Ce sont des produits vendus dans le commerce. Cependant, lorsque vous vous occupez de mes renseignements — de ce que vous savez à mon sujet — je crois que vous devez être prudent et veiller à ce qu'ils ne tombent pas entre les mains de personnes qui voudraient les utiliser à d'autres fins qu'à des fins commerciales normales.

M. Crate : Je n'en disconviens pas, mais même des banques comme TD Canada Trust et TD Waterhouse ne se communiquent aucun renseignement sans la permission de leurs clients. L'information ne peut être communiquée qu'avec la permission du client.

Le sénateur Nolin : N'ayez pas peur.

Le sénateur Joyal : Ne soyez pas trop défensif.

À mon avis, pour ce qui est du mot « insouciance », je sais que le code ne le définit pas; cela dépend du contexte. Comme vous l'avez mentionné très clairement, s'il existe un système — un système informatique ou un élément de votre système informatique — que vous auriez pu utiliser pour empêcher vos employés d'avoir accès trop facilement à ces renseignements et pour être sûr que ces renseignements ne seront pas vendus ou utilisés à d'autres fins que la bonne gestion des comptes, alors je peux comprendre que vous auriez fait preuve d'insouciance.

Dans cette situation, ce serait à la poursuite de le prouver. Cependant, dès que vous obtenez des renseignements personnels concernant une personne, vous êtes tenu d'empêcher que quelqu'un y ait accès trop facilement dans un but de tromperie, de fraude ou pour exercer des activités illégales de cette nature.

M. Randle : Nous avons toujours été en faveur de cela, sénateur. Les institutions financières ont toujours pris très au sérieux la nécessité de protéger les renseignements personnels de leurs clients. Il y a un grand nombre de dispositions législatives qui établissent des conditions dans ce domaine. Il y avait un code de conduite qui liait les institutions financières. Il y avait l'obligation de préserver la confidentialité de certains documents qu'impose la common law, qui s'appliquait aux banques — comme vous le savez j'en suis sûr — bien avant que des mesures législatives soient adoptées.

Sous certains aspects, les banques n'ont jamais aussi bien protégé les renseignements concernant leurs clients. En fait, les organismes d'application de la loi se plaignent parfois du fait que nous exerçons un contrôle trop étroit sur les renseignements personnels. Quoi qu'il en soit, il est certain que les institutions financières canadiennes ont très bien réussi à protéger les renseignements personnels qu'elles possèdent et à les partager uniquement lorsque le client l'autorise expressément.

Le sénateur Joyal : Je ne m'inquièterais pas trop de cette partie de l'article; si vous pensez que vous administrez bien les données personnelles de vos clients, d'une façon générale, je ne pense pas qu'il y ait rien dans cet article qui doive vous inquiéter, à moins que vous soyez en mesure de nous démontrer qu'il contient une disposition qui vous fait courir le risque de faire l'objet d'accusations pénales.

M. Randle : Je vous remercie encore une fois de votre appui éclatant et pour votre bonne opinion des banques. Je suis sûr que tous nos membres seront heureux de l'entendre. J'ajouterais également que nous protégeons les renseignements personnels et que nous espérons que ce problème ne se posera jamais.

La présidente : Le sénateur Bryden veut poser une question supplémentaire.

Le sénateur Bryden : Je crois qu'il n'y a pas très longtemps, une très grande quantité de renseignements concernant les clients d'une des grandes banques canadiennes s'est retrouvée chez un ferrailleur quelque part dans le sud des États- Unis. Si cela peut arriver, pourquoi est-ce que la banque ne savait rien avant que le ferrailleur l'appelle et lui dise : « J'ai des dizaines de milliers de renseignements sur vos clients. Voulez-vous les ravoir? »

M. Randle : Je suis au courant de cette situation, tout comme l'est l'institution. Je ne pense pas que cela fasse disparaître le fait que nos institutions financières font tout ce qu'elles peuvent pour protéger les renseignements de leurs clients. Il peut arriver certains cas isolés comme celui-ci. Je dirais que dans l'ensemble et lorsque la procédure normale est suivie, elles protègent mieux que n'importe qui les renseignements.

Le sénateur Bryden : Elles ne sont donc pas complètement extraordinaires.

M. Randle : Je n'ai jamais dit qu'elles étaient extraordinaires. J'ai eu le plaisir d'entendre la présidente du comité le dire et j'ai appuyé son opinion.

La présidente : Je l'ai fait aux fins de la discussion.

Le sénateur Angus : C'est une question qui s'adresse à notre collègue, le sénateur Joyal. J'ai lu et relu la version française de cet article et je n'ai pas réussi à y trouver la notion d'insouciance.

La présidente : « ... ne se souciant pas... »

Le sénateur Angus : C'est le passage? Merci.

Le sénateur Nolin : L'aspect que soulève le sénateur Bryden est sans doute exactement la raison pour laquelle cela figure dans le projet de loi. Nous ne voulons pas que les gens qui se chargent des ordures travaillent de façon insouciante. C'est exactement pour ce motif.

La présidente : C'était un commentaire supplémentaire.

Le sénateur Nolin : N'est-ce pas ce que vous pensez?

La présidente : Nous allons maintenant revenir au principal intervenant de ce tour, qui est le sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Si je peux faire un commentaire au sujet de la question du sénateur Angus, je dirais que le sénateur Angus semble avoir soulevé un point très intéressant. Pour moi, « recklessness » est différent de « insouciance ». Ces deux notions n'exigent pas le même niveau de « conscience » de ce que vous êtes en train de faire. Je ne sais pas si des représentants du ministère de la Justice vont revenir pour répondre à nos questions sur cette traduction comme nous l'avons fait au sujet de « reasonable inference » qui a été rendu par « conclure raisonnablement ». C'est dans le même article, je le signale en passant, sénateur Angus : c'est au paragraphe 1.

Le sénateur Angus : C'est un problème semblable. J'étais en train de le lire. Les traductions ne correspondent pas exactement.

Le sénateur Joyal : Ce ne sont pas des traductions qui correspondent exactement. Nous sommes dans le Code criminel. Nous ne sommes pas en train d'essayer de faire de la belle prose.

Le sénateur Angus : Ils accordent tellement d'importance au mot « recklessness ».

Le sénateur Joyal : Bien sûr, ce sera à d'autres témoins que ceux que nous entendons en ce moment d'aborder ce point.

Permettez-moi de passer à la question du dédommagement dont vous avez parlé dans votre mémoire? Nous avons renforcé l'effet qu'aura ce nouvel article en insérant dans le Code criminel une disposition qui autorise le tribunal à accorder des dommages-intérêts, un genre de mesure qui n'est pas normalement associée au Code criminel.

Cependant, vous nous proposez d'ajouter le mot « personne morale » ou « organisation » à l'alinéa 738(1)d) sous l'article 11. Cette disposition se lirait alors :

d) dans le cas de la perpétration d'une infraction prévue aux articles 402.2 ou 403, de verser à la personne physique, à la personne morale ou à l'organisation qui, du fait de l'infraction, a engagé des dépenses...

À votre avis, il convient d'interpréter le mot « personne » comme désignant une personne physique et non pas une personne morale.

M. Randle : Nous voulons préciser, si cela est possible, que le dédommagement pourrait être accordé aussi bien aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Cela ne vise pas uniquement les institutions financières qui sont membres de notre association, mais également les commerçants et les petites entreprises qui sont victimes de vol d'identité et ensuite, de fraude et qui perdent de l'argent. Nous voulons être sûrs que dans ce genre de situation, s'il est possible d'accorder un dédommagement, ces derniers devraient pouvoir l'obtenir. C'est une précision qui vise à faire en sorte que ces commerçants et ces petites entreprises puissent obtenir un dédommagement, lorsque cela est possible.

Le sénateur Joyal : Je vais devoir vérifier dans le code si le mot « personne » comprend aussi bien les personnes morales ou uniquement les personnes physiques. Il est facile de comprendre la différence.

La présidente : Est-ce que je peux vous inscrire pour le deuxième tour?

Le sénateur Joyal : Merci.

Le sénateur Baker : Vous représentez les banques, ce qui comprend une cinquantaine d'institutions; est-ce bien exact?

M. Randle : Oui.

Le sénateur Baker : Il vous arrive de prendre une part active à la recherche des personnes qui ont volé l'argent ou l'identité d'une autre personne. Je le mentionne parce que je me souviens très bien que la dernière fois que j'ai vu M. Crate à la télévision, il offrait une récompense de 10 000 $ pour obtenir des renseignements concernant un personne qui avait volé quelque chose aux banques, mais je n'ai jamais vu la conclusion. Avez-vous attrapé le gars?

M. Crate : Oui, 12 heures après environ.

Le sénateur Baker : C'est grâce à la récompense. Monsieur Crate, dans le même ordre d'idées, s'il y a des gens qui volent des renseignements aux banques, est-ce que cela serait une des méthodes que vous aimeriez voir adopter, à savoir offrir des récompenses en échange de renseignements? C'est la seule fois que j'ai vu faire cela.

M. Crate : Ces récompenses sont souvent offertes dans des cas de cambriolage. La fraude interne commise dans les banques est désignée sous le nom de détournement de fonds. Il n'y a pas de seuil à partir duquel les services de sécurité des banques font enquête. Ils font enquête sur toutes ces affaires. Toutes les banques ont des services de sécurité active, ce qui les amènent à privilégier la prévention et ce que nous appellerions probablement la formation. Dans certains cas, ces services essaient de prévoir où agira le criminel, comme Wayne Gretzky se dirige vers l'endroit où la rondelle va arriver et non pas là où elle était auparavant. Ces services travaillent aussi sur la détection, pour laquelle ils utilisent la science de l'analyse. Le troisième pilier sont les enquêtes qui reposent pour la plupart sur l'obtention de renseignements. Ils prennent très au sérieux les enquêtes internes parce que leur réputation en dépend.

L'ABC a mis sur pied un organisme d'enquête qu'elle administre; c'est la LPRPDE qui nous donne ce pouvoir et il fait l'objet d'une surveillance de la part d'Industrie Canada. C'est le Bureau de prévention et d'enquête du crime bancaire. Nous conservons un certain nombre de bases de données qui contiennent des renseignements sur les employés qui ont été congédiés pour un motif valable, dans le seul but de les empêcher d'être embauchés à nouveau par les banques. Nous exerçons un certain nombre d'activités axées sur la prévention. Une autre chose que nous avons faite récemment, et cela prouve que cette notion semble donner d'excellents résultats, c'est d'essayer de faire disparaître les cloisons entre les organes qui s'occupent de sécurité bancaire. L'ABC a mis sur pied une unité centrale de renseignements sur les crimes financiers qui recueille toutes sortes de renseignements concernant les incidents et les photos, essaye de déceler les tendances et de faire de l'analyse prévisionnelle. Nous essayons de prévoir et d'être proactifs plutôt que réactifs.

Je peux vous dire que les produits que nous élaborons sont très bien accueillis par les services de police parce qu'une bonne partie d'entre eux visent le crime organisé. Dans certains cas, cela concerne quelqu'un qui a travaillé dans une banque ou qui y travaille encore. Nous prenons très au sérieux cet aspect. Je ne pense pas que nous soyons complètement à l'abri de ce genre de choses. Il y a toutes sortes d'industries qui connaissent ces problèmes.

Le sénateur Baker : En tout cas, la récompense a donné des résultats.

Vous avez parlé de la LPRPDE. Nous avons lu des décisions relatives à la LPRPDE dans les versions électroniques de Quicklaw et de Westlaw Carswell. Bien souvent, le commissaire à la vie privée doit décider si les banques ont en fait transmis des renseignements personnels qu'elles n'auraient pas dû communiquer. Est-ce que ce projet de loi change la situation pour ce qui est de la LPRPDE et impose aux banques un fardeau plus lourd pour ce qui est de la communication de renseignements privés et d'éviter qu'il y ait communication involontaire?

M. Randle : Je ne pense pas que ce projet de loi vise directement cet aspect. La LPRPDE prévoit elle-même des protections suffisantes. Dans les rares cas que la commissaire à la vie privée a signalés, elle a pris des mesures et l'institution concernée a répondu comme elle le devait. Il convient de faire remarquer qu'il y a littéralement des millions de Canadiens qui font affaire avec des institutions financières et qui ont des millions de comptes et de renseignements personnels. Nous ne disons pas que nous sommes parfaits et il peut certainement survenir des cas isolés. C'est la raison pour laquelle nous avons élaboré nos propres procédures et politiques, c'est la raison d'être de la LPRPDE, ainsi que des règlements et des pouvoirs qui sont confiés au commissaire à la vie privée. De notre point de vue, le fait qu'il y ait relativement peu de cas de ce genre est tout à l'honneur de notre industrie et non pas une critique.

Le sénateur Baker : Je vous félicite au sujet des résolutions prises par le commissaire à la vie privée dans la mesure où la personne qui allègue avoir perdu des renseignements personnels négocie parfois avec la banque et où celle-ci évalue le montant de la perte en vue de l'indemniser financièrement. Je vous félicite de le faire.

Le sénateur Banks : Je suis désolé de revenir sur le même point, monsieur Randle, mais ce n'est pas parce que les banques font rarement preuve d'insouciance lorsqu'il s'agit de communiquer des renseignements qu'il ne devrait pas y avoir de loi réprimant ce genre de choses, tout comme ce n'est pas parce que la plupart des gens ne commettent pas de cambriolage qu'il ne devrait pas y avoir de loi contre les cambriolages. Admettez-vous que dans le cas dont a parlé le sénateur Bryden et dans d'autres cas où des institutions, des établissements de santé, par exemple, ont involontairement laissé des renseignements qui seraient normalement de nature privée dans des endroits où ils ne devraient pas être et où des gens ont pu y avoir accès? J'aimerais savoir si vous pensez comme moi qu'il serait approprié d'utiliser le mot « insouciance » dans ce genre de circonstances?

M. Randle : Vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que je ne suis peut-être pas d'accord avec vous. Je ne tiens pas à parler de cas précis. Je ne sais pas si une circonstance donnée pourrait être visée par ce projet de loi. Je ne le saurais que si quelqu'un intervient et si l'affaire est portée devant les tribunaux. J'espère qu'il n'arrivera jamais que des actes posés par des institutions financières canadiennes amènent des organismes d'application de la loi à penser qu'il est nécessaire de porter des accusations aux termes du Code criminel. Pour le reste, je ne suis pas vraiment en mesure de faire d'autres commentaires.

Le sénateur Banks : Merci.

Le sénateur Dickson : Je reviens sur les questions que vous ont posées le sénateur Joyal et le sénateur Banks; vous devez vous demander si vos codes de pratique sont adéquats.

M. Randle : Je ne le dirais pas de cette façon, sénateur. Je dirais que nous avons toute une série de codes. Les renseignements personnels détenus par des institutions financières fédérales relèvent clairement de la LPRPDE et de son règlement, de sorte que ce genre de renseignements personnels fait déjà l'objet d'un contrôle et d'une réglementation. Ce qui nous inquiète, ce n'est pas que, dans un sens objectif, nous risquons de violer cette disposition, mais que celle-ci est rédigée de telle façon et est si imprécise que certains pourraient le soutenir. Notre inquiétude ne vise pas les mesures qui pourraient éventuellement être prises, mais plutôt le risque d'atteinte à notre réputation.

Même si vous gagnez clairement votre cause, le fait d'avoir été poursuivi devant les tribunaux est inquiétant. Lorsque vous avez une disposition qui utilise une expression qui n'est pas claire et qui risque d'avoir des répercussions négatives, pourquoi la conserver? Il n'y a pas que nous qui la critiquons. Bien sûr, nous sommes particulièrement visés pour des raisons évidentes, mais il y a beaucoup d'autres gens qui possèdent des renseignements personnels et qui n'appliquent pas des méthodes aussi sophistiquées que les nôtres. Ils n'ont pas les ressources ni le personnel spécialisé pour le faire. Dans ce cas, pourraient-ils faire l'objet d'une réclamation?

Je crains que cela coûte trop cher pour les petites entreprises qui n'ont que quelques employés. Est-ce bien nécessaire dans le contexte de ce projet de loi et de ce que vous voulez faire? Franchement, dans la plupart des cas, le véritable vol d'identité et les problèmes qui en découlent concernent le crime organisé et les grands criminels, et non pas des sociétés innocentes qui exercent leurs activités dans le domaine des renseignements.

Le sénateur Dickson : J'ai une question de suivi. Quel processus utilisez-vous pour la diligence raisonnable et le respect des codes de conduite? Faites-vous des vérifications chez vos membres? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Randle : Bien évidemment, notre association ne le fait pas, mais chacune des institutions a mis sur pied son propre mécanisme.

Le sénateur Dickson : Il n'y a pas de contrôle indépendant? Ces entreprises sont autoréglementées.

M. Crate : Le Bureau de prévention et d'enquête du crime bancaire que nous administrons possède des renseignements personnels et ce sont des tiers indépendants qui effectuent les vérifications. Pour ce qui est des responsabilités à l'égard de la sécurité des banques membres de l'association qui relèvent du BPECB, c'est la banque elle-même qui procède aux vérifications.

Le sénateur Dickson : Pensez-vous que cela soit satisfaisant?

M. Crate : Oui. Nous le faisions annuellement, mais nous le faisons maintenant tous les deux ans environ. En tant qu'administrateur et contrôleur du Bureau de prévention et d'enquête du crime bancaire, je peux demander une vérification n'importe quand.

Le sénateur Angus : J'aimerais poser une question au sujet du rôle de l'Association des banquiers canadiens. Dans ce domaine particulier, est-ce que c'est vous qui prenez toutes ces mesures pour le compte de vos membres ou sont-ce eux qui le font individuellement, en respectant les normes que vous avez fixées? J'ai toujours pensé que l'ABC représentait le plus petit dénominateur commun, qui vous permettait d'obtenir un consensus parmi vos membres. Cependant, les pratiques que vous avez décrites ne sont peut-être pas suivies par toutes les banques.

Il m'est tout à coup venu à l'esprit que vous exerciez peut-être ces attributions pour le compte de vos membres pour ce qui est du vol d'identité et des autres aspects visés par le projet de loi.

M. Randle : Je ne sais pas très bien sur quoi porte votre question.

Le sénateur Angus : Sur la sécurité.

La présidente : Êtes-vous responsables?

M. Crate : Nous avons un registre des politiques et des procédures concernant le BPECB qui concerne directement les membres. L'inobservation de ces politiques et procédures entraîne certaines conséquences.

Ce n'est pas nous qui établissons les politiques de sécurité applicables aux diverses banques. Il faut comprendre que la dernière chose qu'elles souhaitent est d'attirer l'attention sur leurs activités et sur leur modèle de fonctionnement, pour ce qui est de la gestion des renseignements personnels. Là encore, toutes les banques effectuent leur propre évaluation du risque, en tenant compte des mesures qu'elles sont disposées à prendre. Nous n'avons pas adopté ce genre de normes. Peut-être que M. Randle voudrait compléter ma réponse.

Le sénateur Angus : Vous n'avez pas de normes? Vous avez fait référence au sigle LPRPDE, qui contient une série de pratiques recommandées.

M. Crate : Non, ce sont deux choses différentes.

M. Randle : Il y a diverses lois qui s'appliquent aux renseignements personnels. Il y a la LPRPDE, mais il y en a aussi d'autres. De plus, toutes les banques ont leur propre service interne de sécurité qui est chargé de protéger les renseignements, de faire enquête et de prévenir les fraudes. Elles dépenses plusieurs millions de dollars, voire des centaines de millions de dollars, chaque année pour mettre à niveau et à jour leurs systèmes informatiques. Chaque banque assume ses propres responsabilités.

Au sein de l'ABC, nous tenons des discussions sur les mesures qui pourraient être utiles pour la protection des renseignements, mais essentiellement, les banques le font à l'interne et dépensent leurs propres fonds pour le faire. Elles connaissent leur entreprise et elles savent ce qu'elles doivent faire.

Le sénateur Angus : C'est très bien. Je suis satisfait, merci.

La présidente : J'ai une précision à demander et une question à poser. La précision concerne la discussion qu'ont eu plus tôt le sénateur Angus et le sénateur Joyal au sujet des mots « reckless » et « insouciance ». Le Code criminel contient de nombreux articles où l'on retrouve ces deux formulations, selon la langue choisie, comme en matière d'exploitation sexuelle, de négligence criminelle, de délit de fuite, de harcèlement criminel, par exemple. Les mots utilisés dans la version française « sans se soucier de » correspondent à « reckless » ou « recklessness » dans la version anglaise.

À la page 5 de votre mémoire, sous l'intitulé Sollicitation de renseignements personnels, vous dites que le projet de loi ne semble pas couvrir la sollicitation de renseignements personnels en vue de commettre un vol d'identité. Est-ce que cette sollicitation ne serait pas couverte par le fameux paragraphe 402.2(1), même si la note marginale parle de vol d'identité et non pas de fraude à l'identité? Cette disposition énonce néanmoins que quiconque sciemment obtient ou a en sa possession des renseignements identificateurs, et cetera, dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement certaines choses, commet une infraction. Laissons de côté la question de la conclusion raisonnable? Est-ce que cela ne viserait pas la sollicitation?

M. Randle : Notre position est que cette disposition la couvre peut-être, mais ce n'est pas certain. Nous soulevons cette question à cause de cette imprécision. Il est possible que les témoins précédents, y compris les représentants du ministère de la Justice, aient déjà réglé cet aspect et répondu à cette question. Nous l'avons soulevée parce qu'il n'était pas clair et évident pour nous que la disposition que vous avez mentionnée répondait à notre préoccupation.

Le sénateur Nolin : À ce propos, les témoins précédents nous ont fourni une citation d'un arrêt de la Cour suprême selon lequel l'insouciance est assimilable au mépris conscient d'un risque injustifié et important.

M. Randle : Cela vaut pour toutes les questions que nous avons soulevées. Comme nous l'avons dit, nous souhaitons que ce projet de loi soit adopté rapidement parce qu'il est important de s'attaquer à un grave problème qui ne fait que croître. Nous n'avons soulevé aucune question qui risquerait de bloquer le processus de sorte que nous souhaitons que le Parlement adopte ce projet de loi. Nous avons toutefois exprimé certaines inquiétudes et espérons que, lorsque le projet de loi sera finalement contesté devant les tribunaux et appliqué par les services de police, les juges lui donneront une interprétation très large. Nous avons soulevé ces questions à ce moment-ci pour qu'elles puissent être examinées et déboucher éventuellement sur des modifications.

Le sénateur Nolin : Je suis certain que vous en savez suffisamment pour pouvoir enseigner à vos membres qu'ils ne doivent pas se conduire de façon insouciante. Ils ont tous les mots clés.

Le sénateur Wallace : Monsieur Randle, pour en revenir à vos commentaires au sujet de la définition de « cartes de crédit », vous faites référence à la définition de l'article 321 du code. Je vois que vous proposez d'élargir cette définition. Je constate à partir de ce que vous avez écrit à la page 4 de votre mémoire que vous le feriez en ajoutant les sous-alinéas a) i, ii et iii. Je pense que vous essayez de préciser cette définition.

Ma question est la suivante : ne pensez-vous pas que, lorsque vous examinez l'alinéa 321b), il englobe en fait les éléments que vous avez inclus dans votre nouvelle définition contenue aux sous-alinéas a) i, ii et iii? Je sais que ma formulation est assez large, mais j'estime que la définition actuelle couvre les éléments que vous énoncez de façon plus précise.

M. Randle : Cette question appelle plusieurs remarques. Premièrement, comme vous le dites, à l'heure actuelle, l'article 321 utilise l'expression « carte de crédit » et fournit une définition qui, je le pense franchement, ne semblerait pas être une définition de « carte de crédit » à toute personne qui ne fait pas partie de la profession criminelle. Le code utilise l'expression « carte de crédit » et ensuite présente une définition de ce terme qui ne correspond pas vraiment à ce que vous et moi...

Le sénateur Wallace : ... à ce que cela veut dire pour la plupart des gens.

M. Randle : Exact. Pourquoi ne pas saisir la possibilité de préciser cette expression? C'est notre premier point. Deuxièmement, pourquoi ne pas saisir la possibilité d'aborder, avec ce projet de loi, la question des changements technologiques futurs? Vous en avez dit quelques mots un peu plus tôt. Troisièmement, si c'est possible, il faudrait préciser cette expression et veiller à prendre en compte toutes les possibilités envisageables.

Nous avons eu des discussions avec le ministère de la Justice, et c'est pourquoi nous avons déclaré dans notre mémoire que nous pensions qu'il s'agissait là de questions techniques. Comme vous l'avez remarqué, sénateur, il est tout à fait possible que la définition actuelle soit suffisamment large et soit interprétée de façon suffisamment large par les services d'application de la loi et le système judiciaire pour s'appliquer aux situations auxquelles nous pensons. Dans ce cas, ces questions ne se poseront manifestement plus.

Cependant, nous voulons mentionner cet aspect officiellement pour qu'il soit ensuite suivi à l'avenir, une fois le projet de loi adopté. Nous verrons alors s'il existe encore des lacunes dans ces dispositions et si elles pourraient être comblées. Nous ne pensons pas qu'il faille retarder l'adoption du projet de loi et le réviser complètement pendant que vous l'étudiez. Nous voulons simplement faire connaître nos préoccupations sur certains points.

Le sénateur Wallace : À ce sujet : vous n'affirmez pas nécessairement que l'article 321 tel que formulé actuellement contient une lacune qui serait comblée par l'amendement que vous proposez. Vous estimez en fait que cet amendement apporterait davantage de précisions, mais vous n'affirmez pas nécessairement que les dispositions législatives actuelles contiennent une lacune?

M. Randle : Nous pensons qu'il peut y avoir une lacune parce que cet article n'a jamais été utilisé dans le contexte du vol d'identité parce que ce n'était pas une infraction. Ce l'est maintenant. Ce seront les tribunaux qui nous diront si la disposition actuelle est suffisante pour le vol d'identité.

Je reconnais qu'elle est très large et que certains estiment qu'elle devrait suffire. Nous disons simplement : pourquoi utiliser l'expression « carte de crédit »? Pourquoi prendre un risque alors qu'il est possible de faire mieux? Nous admettons que la disposition actuelle est très large, qu'elle est peut-être suffisante et nous devrions procéder de cette façon.

Le sénateur Wallace : Puis-je poser une dernière question? Je serai très bref. Dans vos commentaires, vous avez parlé de dédommagement et de l'idée que le vol d'identité cause un préjudice aux personnes physiques et, comme vous le proposez, ainsi qu'aux personnes morales. Je pense que nous comprenons ce que vous voulez dire.

Dans le but d'apporter un éclaircissement — et je crois que vous en êtes conscient — lorsque j'examine l'article 11 du projet de loi, je constate qu'il n'a pas pour but de fournir un recours pour tous les préjudices qui peuvent découler d'un vol d'identité. Plus précisément, il traite des dépenses liées au rétablissement de l'identité de la victime du vol.

Si vous voulez commenter cette disposition, c'est très bien. Telle qu'elle est rédigée, elle ne touche pas l'aspect que vous avez mentionné, celui de l'indemnisation de l'ensemble des dommages causés. Je pense que la plupart d'entre nous estiment que c'est une question qui devrait être laissée aux tribunaux. La question des dommages-intérêts devrait être confiée aux tribunaux civils et non pas au droit pénal. Je pense que vous soulevez une question qui est davantage de nature civile qu'une question régie par le code.

M. Randle : Je suis tout à fait disposé à accepter ce point, sénateur. Je pense que votre analyse est bonne.

Le sénateur Wallace : Très bien. Je vais en rester là.

La présidente : Merci à tous les deux, monsieur Randle et monsieur Crate. Nous vous sommes très reconnaissants. Nous avons entendu des choses extrêmement intéressantes. Encore une fois, je dirais que ce projet de loi s'est révélé être tout à fait fascinant.

Honorables sénateurs, nous allons brièvement suspendre la séance et nous reprendrons ensuite pour tenir une brève séance à huis clos.

Le sénateur Banks : Avant d'ajourner la séance pour siéger à huis clos, j'aimerais soulever un point, parce qu'il possible que je ne sois pas là. Regarder l'article 402.1 du projet de loi. Je n'en parlerais pas si c'était un projet de la Chambre et non pas du Sénat. J'examine cette question du point de vue des arts du spectacle et je vous demande donc de bien vouloir me le pardonner. C'est un truc que j'ai appris dans les spectacles. La technologie évolue si rapidement que les définitions légales deviennent très rapidement désuètes.

Nous pourrions régler cette question si, à la dernière ligne de cette page, nous disions « [...] y compris un renseignement biologique ou physiologique d'un type, connu ou inconnu, qui [...] » Il est impossible de savoir, avec ce projet de loi ou avec n'importe quel autre, jusqu'où nous mènera la technologie et les innovations qu'elle apporte dans 10 ans d'ici, sans parler de 20 ans d'ici. Cette expression est reconnue par la jurisprudence et est efficace.

La présidente : Mes collègues savent que vous avez touché un sujet qui m'intéresse énormément et qui touche un autre article du projet de loi. Je ne vais toutefois pas entamer une longue discussion à ce sujet maintenant. Nous vous remercions de votre contribution et nous remercions encore une fois les témoins.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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