Aller au contenu

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 11 - Témoignages du 10 juin 2009


OTTAWA, le mercredi 10 juin 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 12 h 8 pour étudier la motion portant que, conformément à l'article 38 de la Loi sur le Nunavut, chapitre 28 des Lois du Canada, 1993, le Sénat donne son agrément à l'adoption le 4 juin 2008 de la Loi sur les langues officielles par l'Assemblée législative du Nunavut.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Une partie des témoignages est présentée par l'entremise d'un interprète inuktitut.]

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance prolongée pour des raisons spéciales du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Aujourd'hui, nous menons une étude en réponse à un renvoi du Sénat datant de la semaine passée, qui disait ceci :

Que, aux termes de l'article 38 de la Loi sur le Nunavut, chapitre 28 des Lois du Canada de 1993, le Sénat donne son agrément à l'adoption le 4 juin 2008 par l'Assemblée législative du Nunavut de la Loi sur les langues officielles.

Chacune des Chambres du Parlement doit donner son agrément à cette loi avant qu'elle puisse entrer en vigueur. La Chambre des communes a déjà donné le sien. Les sénateurs s'intéressent particulièrement à la question parce que depuis longtemps, le Sénat est fier de donner une attention particulière à la préservation et à la promotion des droits et de la culture des minorités et des Autochtones.

Nous avons la chance d'accueillir aujourd'hui de très importants témoins. Avant que je vous les présente, je vous demande à tous de porter vos regards vers le coin de la salle où vous verrez, sur le plancher, en attendant qu'on installe un piédestal, un merveilleux cadeau que le sénateur Willie Adams offre au Sénat du Canada. Le sénateur Adams est le doyen du Sénat et prendra sa retraite dans un mois.

Le sénateur Adams : Aujourd'hui.

La présidente : Officiellement, plus tard ce mois-ci. Il a offert au Sénat ce magnifique inukshuk, qui nous rappellera à tous non seulement le sénateur Adams lui-même, mais aussi les principes, les rêves et les aspirations du peuple qu'il a représenté ici si longtemps.

C'est une grande joie d'accueillir des témoins de l'Assemblée législative du Nunavut. Sachez qu'ils ont eu un court préavis et nous apprécions donc particulièrement leur présence, malgré ce court préavis.

Il s'agit de l'honorable Paul Okalik, député de l'Assemblée législative du Nunavut pour Iqaluit Ouest; de l'honorable Louis Tapardjuk, du gouvernement du Nunavut, ministre de la Langue, de M. Stéphane Cloutier, conseiller spécial et de Mme Kate Darling, conseillère juridique.

Nous sommes ravis de vous accueillir. Pour cette partie de nos délibérations, nous aurons l'interprétation de l'inuktitut et vous pouvez nous parler dans votre langue. Si vous préférez nous parler en anglais ou en français, n'hésitez pas à le faire.

Vous avez la parole, monsieur Okalik.

[Traduction de l'interprétation]

L'honorable Paul Okalik, membre de l'Assemblée législative du Nunavut, Iqaluit Ouest : Je suis ravi de vous parler de cette importante question et je suis content de pouvoir le faire en inuktitut. Cela fait partie de notre culture, de qui nous sommes, nous les Inuits.

Je ne vous parlerai pas longtemps ce matin. Je suis très content d'avoir pu venir. Au nom des membres de l'Assemblée législative territoriale, j'exhorte le Sénat du Canada à terminer rapidement son étude de la Loi sur les langues officielles du Nunavut et à donner son agrément dès que possible.

L'Assemblée législative du Nunavut compte parmi ses membres des Inuits, des francophones et des anglophones. Nous avons hâte que soit adoptée notre nouvelle loi sur les langues officielles.

Je représente aussi des francophones. C'est le plus grand groupe qui a une langue différente, au Nunavut. Je les représente tous. Je représente aussi les questions qui les touchent, dans le cadre de cette nouvelle loi sur les langues officielles.

Il était grand temps. Nous traitons de cette question depuis quelque temps, pour toutes les régions. Nous avons fait preuve de diligence. Je tiens à féliciter M. Tapardjuk, qui est le ministre responsable et qui travaille depuis très longtemps et avec ardeur à ce dossier.

Je veux m'assurer d'une bonne représentation, à cette séance. Je cède la parole à M. Tapardjuk, pour son exposé.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup.

L'honorable Louis Tapardjuk, membre de l'Assemblée législative du Nunavut, ministre de la Langue, gouvernement du Nunavut : Madame la présidente, mesdames et messieurs du comité, je vous fais part des salutations du Nunavut.

[Traduction de l'interprétation]

Commençons par dire que nous sommes de tout cœur avec le sénateur Adams. Des hommages lui seront rendus cet après-midi, pour sa longue carrière de 32 ans au Sénat, au service des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.

Le droit à la langue est sans contredit un élément essentiel de la dignité humaine. Il est essentiel pour les Inuits qui vivent dans la région du Nunavut depuis des milliers d'années. Il est également essentiel pour les anglophones et les francophones qui ont apporté avec eux leurs langues dans ce grand pays.

Le Nunavut occupe une place unique au sein de la Confédération canadienne. Contrairement aux autres provinces et territoires, le Nunavut et son gouvernement populaire sont le résultat de l'un des plus importants accords de revendications territoriales globales conclus entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada et les Inuits de la région du Nunavut. Un traité moderne reconnu et protégé par la Constitution canadienne.

La géographie et la démographie du Nunavut en font également un lieu unique. Au dernier recensement, 29 325 personnes vivaient au Nunavut, dans 25 collectivités éloignées et isolées réparties sur un territoire d'une superficie de près de deux millions de kilomètres carrés représentant le cinquième de la masse terrestre du Canada.

En comparaison avec d'autres régions du Canada, notre infrastructure sociale, culturelle, éducative, économique, de transport et de communication est souvent sous-développée. La fourniture de services de base facilement accessibles ailleurs au pays constitue parfois un immense défi pour nous.

Le Nunavut a la plus forte proportion d'Autochtones vivant dans un territoire parmi l'ensemble des provinces et des territoires du Canada. Selon les données de 2006 de Statistique Canada, 85 p. 100 des Nunavummiuts sont des Inuits, tandis que les membres des Premières nations et les Métis représentent moins de 1 p. 100 de la population totale du territoire.

En toute conscience, je dois souligner qu'il semble exister un malentendu troublant au sujet de la prévalence et de la dominance des langues au Nunavut. La langue inuite est indigène au Nunavut. Il s'agit de la langue maternelle que parlent et préfèrent une majorité de Nunavummiuts. Dans de nombreux cas, c'est la seule langue connue et utilisée. Chaque municipalité du Nunavut, sans exception, possède une importante majorité de résidents inuits. Il est donc parfaitement logique que les municipalités soient autorisées à utiliser la langue inuite dans la gestion de leurs affaires quotidiennes, comme l'a souligné un sénateur. Après tout, le Nunavut a été créé avec la vision d'améliorer le bien-être social, économique et culturel des Inuits, comme le prévoit l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

Le Nunavut compte une communauté francophone vigoureuse représentée par l'Association des francophones du Nunavut. Le gouvernement du Nunavut a toujours soutenu et continuera de soutenir cette communauté, et à tirer de grands avantages de sa présence. Nous sommes résolument déterminés à soutenir la vitalité de notre communauté francophone minoritaire. À titre d'exemple, nous agissons en partenariat avec le gouvernement fédéral pour fournir des services éducatifs en français en plus de coopérer pour assurer la mise en œuvre du français langue officielle dans notre territoire et la prestation de services gouvernementaux en français.

Honorables sénateurs, je tiens à réitérer que la Loi sur les langues officielles du Nunavut a été élaborée en stricte conformité avec les principes de la démocratie, du fédéralisme et de gouvernement représentatif. Après de nombreuses années de recherche, de discussions et de rédaction de politiques, la Loi sur les langues officielles du Nunavut a été adoptée à l'unanimité par les députés de l'Assemblée législative du Nunavut le 4 juin 2008. Selon notre compréhension de l'article 38 de la Loi sur le Nunavut, notre législation devait également recevoir l'agrément du gouvernement fédéral, c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.

À la lecture du journal des débats de la semaine dernière concernant la motion d'approbation de l'adoption de la Loi sur les langues officielles du Nunavut, j'ai pu cerner trois sujets de préoccupation. J'aborderai brièvement chacun d'entre eux, en laissant du temps à mes collègues et concitoyens du Nunavut pour qu'ils présentent leurs commentaires de leurs points de vue respectifs.

[Traduction]

La lettre à laquelle faisait référence l'honorable sénateur Joyal a été reçue à mon bureau il y a deux ans. C'est une lettre du commissaire aux langues officielles fédéral, datée de mai 2007. À cette époque, nous étions en plein processus de consultation et de rédaction du projet de loi sur les langues officielles du Nunavut. Les préoccupations soulevées par le commissaire ont été examinées très attentivement et en grande partie intégrées au projet de loi qui a été présenté à l'Assemblée législative le 4 juin 2007. La loi que vous examinez est le résultat d'un dialogue entre nos deux bureaux ainsi qu'avec les représentants des Inuits, les francophones et de nombreux autres intervenants.

En résumé, la préoccupation soulevée concernant la demande importante au regard des services municipaux est prise en considération au paragraphe 12(8) de la loi. Les préoccupations soulevées au sujet du respect de la loi par des tiers offrant des services au nom d'une institution territoriale sont prises en considération à l'alinéa 12(7)c); et le devoir de promouvoir la vitalité de la communauté francophone minoritaire a été précisé aux sous-paragraphes 11b) et c) du préambule, ainsi qu'à l'alinéa 13(3)d) et au paragraphe 14(1) de la loi.

La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, qui est actuellement en vigueur au Nunavut, est le résultat d'un compromis réalisé en 1984 entre le gouvernement fédéral et le gouvernement des Territoires du Nord- Ouest, comme s'en souviendra l'honorable sénateur Joyal. À la suite de ce compromis, les Territoires du Nord-Ouest ont adopté une législation linguistique pertinente et appropriée pour les résidents de ce territoire. En vertu de la Loi sur le Nunavut, le gouvernement du Nunavut s'est vu accorder des pouvoirs législatifs similaires, incluant le pouvoir, à l'article 25, d'adopter des lois mettant en œuvre des composantes de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

Selon Statistique Canada, 99 p. 100 de la population autochtone du Nunavut est composée d'Inuits, alors que le 1 p. 100 restant est composé de Métis et de membres des Premières nations qui ne sont pas nécessairement originaires du Nord.

Je souhaite souligner de manière très claire que les langues chipewyan, crie, dogrib, gwich'in, esclave du Nord et esclave du Sud sont indigènes aux Territoires du Nord-Ouest et d'autres parties du Canada. D'autre part, ces langues autochtones ne sont pas parlées ou présentes de manière importante au Nunavut.

Les législations linguistiques à l'échelle du pays sont fondées sur le principe de la demande importante. Les quelques rares individus qui habitent le territoire et qui peuvent parler de temps à autre une langue autochtone autre que la langue inuite présentent collectivement un très petit nombre de gens.

En vertu de la Loi sur les langues officielles du Territoires du Nord-Ouest actuellement en vigueur au Nunavut, les décisions des tribunaux ne sont pas toujours publiées en français et en anglais. Les décisions sont publiées dans les deux langues lorsque la décision porte sur une question de droit d'intérêt général ou public, ou lorsque les procédures ayant mené à la publication de la décision, de l'ordonnance ou du jugement ont été menées en tout ou en partie en anglais ou en français.

En vertu de la Loi sur les langues officielles du Nunavut, les décisions seront publiées en anglais, en français et en langue inuite de la même manière. De plus, toute personne qui comparaît devant un organisme judiciaire ou quasi judiciaire a le droit de demander et de recevoir dans la langue officielle de son choix la version définitive d'une décision.

Si la demande est faite sous la nouvelle loi, le tribunal n'a alors pas d'autre choix que de fournir la décision dans cette langue. Une personne francophone qui comparaît lors d'une audience uniquement en anglais peut toujours demander et obtenir une copie de jugement en français. Les articles 8 et 9 de la nouvelle loi sont dans les faits un accroissement de la protection des droits linguistiques des francophones dans l'administration de la justice au Nunavut.

[Traduction de l'interprétation]

En terminant, notre législation linguistique est le résultat de plusieurs années de consultations et de discussions avec de nombreux intervenants linguistiques. Selon moi, cette législation servira de fer de lance et de modèle positif pour la préservation et la promotion d'autres langues autochtones au Canada, tout en assurant la protection des droits linguistiques des anglophones et des francophones.

Nous exhortons les membres du comité à conclure rapidement leur examen de notre Loi sur les langues officielles, à donner leur approbation à son adoption et à encourager sa mise en œuvre fructueuse de la part de toutes les parties intéressées et chargées de son application, y compris tous les habitants du Nunavut.

Nous avons bon espoir de voir le Sénat approuver notre loi.

[Traduction]

La présidente : Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Joyal : Sans vouloir donner l'impression que nous nous relançons la balle, puisque nous avons le privilège d'accueillir de savants et estimés témoins du Nunavut, nous pourrions offrir au sénateur Adams, qui vient du Nunavut et représente ce territoire au Sénat, d'amorcer la discussion aujourd'hui.

La présidente : Sénateur Adams?

Le sénateur Adams : Merci, madame la présidente. J'ai écouté attentivement MM. Tapardjuk et Okalik, et je suis d'accord avec eux. Ce sont de bons amis depuis plus de 30 ans, et je siège au Sénat depuis 32 ans.

Je ferai d'abord quelques remarques en anglais. Pour ne pas que les témoins aient des difficultés à présenter leurs témoignages devant le comité, nous nous sommes entretenus dans mon bureau pendant une demi-heure ce matin. Je voulais m'assurer qu'ils seraient bien traités.

En ce qui concerne les questions constitutionnelles, nous voulons surtout savoir ce qui se passera à l'avenir au Nunavut. Au Sénat, je crois savoir que la question est de savoir quel est l'avenir de l'anglais et du français au Nunavut. C'est le genre d'observation qu'il faut faire officiellement et publiquement à Ottawa.

[Traduction de l'interprétation]

Je saisis maintenant l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer un peu en inuktitut. Je tiens à remercier vous tous avec qui j'ai travaillé pendant toutes ces années. Ensemble, nous avons travaillé, pendant de nombreuses années, à améliorer les conditions sociales au Nunavut.

Je me souviens d'une période pendant laquelle nous avons défendu moins activement notre langue et notre culture, avant ma naissance, avant l'arrivée des enseignants dans le Nord du Québec dont je suis originaire. Je me souviens aussi de mes premières années d'école et de devoir apprendre l'anglais. Nous avons commencé par la Bible; j'ai appris à lire l'anglais en lisant la Bible quand je vivais dans le Nord du Québec. Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis, et nous sommes heureux des progrès qui ont été accomplis.

Cette séance sera ma dernière à titre de sénateur. Si le changement climatique se poursuit, nous devrons peut-être tous un jour parler anglais dans le Grand Nord. Même si on parle beaucoup du changement climatique, certains se plaignent encore du froid. Ils parlent même parfois d'aller vivre dans le Sud. Nous voulons préserver notre langue et notre culture ancestrales dont nous sommes très fiers. J'ai toujours beaucoup pensé à cela. Je tiens donc à exprimer ma gratitude à mes collègues les sénateurs et aux témoins présents aujourd'hui.

Je suis sénateur depuis longtemps. Je me souviens très bien de l'époque où nous parlions de ces enjeux. Aujourd'hui, nous parlons de la langue qui nous est chère, à nous ainsi qu'à nos petits-enfants et aux générations futures.

[Traduction]

La présidente : Merci, sénateur Adams. En vous écoutant, je me suis dit que vous nous manquerez beaucoup.

J'aimerais ajouter une chose à vos remarques. Vous avez dit que, ici, au comité, nous veillons à la protection des droits linguistiques des communautés anglophones et francophones, et c'est vrai. Mais nous veillons aussi à la protection des droits linguistiques des Inuits, et c'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui.

Le sénateur Joyal : Je suis heureux de revoir M. Okalik, que j'ai connu à une autre époque. Soyez le bienvenu.

J'ai trois séries de questions qui font suite au préambule du sénateur Adams. Elles portent sur l'incidence constitutionnelle de la loi.

La présidente : Sénateur Joyal, je vous prie de poser tout de suite toutes vos questions. Je rappelle à mes collègues qu'une journée bien remplie nous attend; nous devons donc être brefs et concis dans nos questions aux nombreux témoins importants que nous accueillerons.

Le sénateur Joyal : Je serai bref.

Ma première question porte sur le préambule de la loi, plus précisément sur l'avant-dernier paragraphe. Je le lis aux fins du compte rendu et pour que ma question soit bien claire pour tous :

Déterminée à promouvoir et à atteindre la reconnaissance nationale et l'enchâssement constitutionnel de la langue inuite comme langue fondatrice et officielle du Canada au sein du Nunavut;

Ce libellé est beaucoup plus précis que celui qui figure dans l'ordonnance des Territoires du Nord-Ouest que remplacera ce préambule. L'ordonnance des Territoires du Nord-Ouest, le texte qui a précédé la Loi sur les langues officielles du Nunavut, dit ceci :

Exprimant le désir que ces langues soient reconnues par la Constitution du Canada comme langues officielles des territoires;

Auparavant, on voulait protéger toutes les langues autochtones. Dorénavant, on acceptera l'obligation de promouvoir et d'atteindre la reconnaissance nationale et l'enchâssement constitutionnel. C'est presque une résolution constitutionnelle enchâssant la langue inuite dans la Constitution du Canada à titre de langue fondatrice et officielle du Canada au Nunavut.

Je ne suis pas contre cette idée, mais je veux être bien sûr de ce que nous faisons. Quand nous devrons voter demain, nous devrons nous prononcer sur l'enchâssement dans la Constitution du Canada de la langue inuite à titre de langue fondatrice du Canada au Nunavut.

Pourriez-vous nous expliquer dans vos propres mots comment vous envisagez l'initiative qui découlera de l'adoption de ce préambule par le Sénat du Canada?

Deuxièmement, en ce qui concerne l'ordonnance qui a précédé la Loi sur les langues officielles et qui faisait de certaines langues autochtones des langues officielles, voici ce que dit l'article 4. Sous le titre « Partie 1, langues officielles » :

4) Les langues suivantes sont les langues officielles des territoires : anglais, chipewyan, cri, esclave, dogrib, français, gwich'in et inuktitut.

Voici ma question : combien d'Autochtones vivant au Nunavut parlent une langue autochtone autre que l'inuktitut? Comme vous le savez, aux termes de l'ordonnance, ces langues n'auront plus le statut de langue officielle. J'aimerais savoir combien d'habitants du Nunavut parlent ces langues et où ils vivent au Nunavut.

Troisièmement, dans l'ordonnance, la disposition relative aux langues avait une large portée. Je cite l'article 13 « Décisions de justice » :

a) Les décisions définitives exposées des motifs compris d'un organisme judiciaire ou quasi judiciaire établi par une loi ou en conformité avec une loi sont rendues en français et en anglais, si le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour le public;

b) Lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues, ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues.

Les tribunaux étaient tenus de rendre leurs décisions dans l'une ou l'autre des langues officielles, soit en français ou en anglais.

Si je comprends bien les changements apportés par la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nunavut, il faudra dorénavant demander la traduction de la décision en anglais ou en français. Ce ne sera pas automatique comme auparavant. Je peux comprendre cela, s'il s'agit d'une décision qui n'intéresse que des Inuits. Néanmoins, le principe qui était auparavant général est devenu particulier.

J'aimerais vous entendre sur ces trois questions.

M. Tapardjuk : Merci. Je demanderai à mon conseiller spécial de répondre à deux de vos questions, mais je répondrai à votre deuxième question sur les peuples autochtones. À l'heure actuelle, nous sommes encore assujettis à la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest.

Les droits linguistiques dont jouissent certains groupes ne peuvent être réduits qu'avec l'approbation du Parlement.

C'est au Nunavut qu'on compte la proportion la plus élevée d'Autochtones de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada. Au Nunavut, 84 p. 100 des habitants sont Inuits. Il y a 105 Autochtones et 130 Métis qui constituent moins de 1 p. 100 de la population du Nunavut. J'ajouterai que bon nombre des autres Autochtones au Nunavut n'y habitent pas de façon permanente. Ils vivent au Nunavut pendant quelques années pour y travailler.

Il n'y a donc pas vraiment d'autres peuples autochtones au Nunavut. Avec notre nouvelle Loi sur les langues officielles, nous voulons mettre l'anglais, le français et l'inuktitut sur un pied d'égalité. L'anglais et le français jouissent du même statut aux termes de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, et des droits moindres ont été accordés aux sept autres langues autochtones, y compris l'inuktitut. Au Nunavut, nos trois langues officielles auront le même statut en droit.

Madame la présidente, est-ce que mon conseiller spécial pourrait répondre à certaines des questions du sénateur Joyal?

La présidente : Bien sûr. Ces questions sont importantes et nous voulons que vous y répondiez. Nous disposons toutefois de peu de temps, comme vous le savez, alors allez-y.

[Français]

Stéphane Cloutier, conseiller spécial, gouvernement du Nunavut : Concernant l'utilisation des langues autochtones non Inuits au Nunavut, Statistique Canada a produit un rapport, en 2001, qui incluait des données, entre autres, sur la langue maternelle. Les données, que nous avons partagées avec le gouvernement fédéral lors de nos consultations de 2007, ont identifié, en 2001, environ 10 personnes ayant le chippewyan comme langue maternelle. Toutefois, aucune de ces personnes ne possédait les connaissances suffisantes pour parler couramment en cette langue.

Étant donné les nombres réduits, au Nunavut, il est à noter que Statistique Canada arrondit les chiffres. Il est fort probable qu'on parlait d'une ou deux personnes et que le chiffre ait été arrondi à dix.

Dans le recensement de 2006, Statistique Canada a identifié environ 35 personnes — ce nombre étant arrondi au chiffre supérieur — ayant comme langue maternelle le cri, le chippewyan, le dogrib, le gwich'in et le slave du nord. Encore une fois, Statistique Canada indique qu'aucune personne ne possède les connaissances suffisantes pour dialoguer dans ces langues.

Comme le mentionnait le ministre, la langue inuit est indigène au Nunavut et 99 p. 100 de la population autochtone est inuite dans ce territoire. Or, les langues autochtones non Inuits demeurent indigènes aux Territoires du Nord-Ouest et sont toujours reconnues comme langues officielles de ces territoires.

Après discussions avec nos collègues des Territoires du Nord-Ouest, on a convenu, lorsque le Nunavut fut créé, il y a 10 ans, en 1999, que la langue inuit soit reconnue comme langue officielle, qu'il s'agisse de l'inuinnaqtun ou de l'inuktitut. On a également convenu de continuer de considérer les autres langues autochtones non Inuits comme langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, notamment dans la partie ouest de l'ancien territoire.

Le sénateur Nolin : Lorsque Terre-Neuve, ancienne colonie britannique du Dominion, est entrée dans la Confédération canadienne, des droits ont été reconnus à certains groupes religieux. Il y a quelques années, on nous a demandé de modifier la Constitution de Terre-Neuve dans le but d'éliminer ces droits. Le présent comité a fait le même travail que nous faisons aujourd'hui et a posé aux autorités de Terre-Neuve-et-Labrador la question suivante, que je vous pose : avez-vous consulté ces gens? Pouvez-vous nous montrer que ces gens sont d'accord avec ce que vous faites?

M. Cloutier : En 1999, nous avons entamé des travaux visant à réviser la Loi sur les langues officielles en ce qui concerne les Territoires du Nord-Ouest. Depuis le début de ces travaux, des consultations ont été menées et une série d'audiences publiques furent tenues. Ces consultations se sont effectuées dans les 25 communautés du Nunavut à majorité inuite. Les résultats furent clairs dès le début : la Loi sur les langues officielles était inappropriée pour le Nunavut. Elle reconnaissait pleine égalité entre l'anglais et le français. Toutefois, elle reconnaissait des droits inférieurs ou un sous-ordre de droits à sept langues autochtones incluant l'inuktitut. Pour ces raisons, nous avons dû élaborer une nouvelle loi, en collaboration avec la communauté francophone, les représentants des communautés inuits, les municipalités et d'autres organismes.

Nos consultations furent menées de façon très ouverte et notre position, depuis 10 ans, est très claire. D'ailleurs, les rapports du commissaire aux langues du Nunavut indiquent l'intention de rendre l'inuktitut langue officielle au même titre que l'anglais et le français. Ils indiquent également que les autres langues autochtones non Inuits doivent être retirées de la nouvelle loi.

En 2001, Statistique Canada a révélé certaines indications.

La présidente : Monsieur Cloutier, j'aimerais vous demander de raccourcir vos réponses. Notre interprète en inuktitut doit nous quitter dans un quart d'heure et nous désirons profiter de sa présence.

M. Cloutier : Nous n'avons pas été en mesure d'identifier de représentants de ces langues autochtones qui ne sont pas indigènes au Nunavut. Nous avons annoncé publiquement nos consultations et, en dix ans, personne ne s'est avancé pour se prononcer sur cette question.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Je n'ai pas eu de réponse à ma première et troisième question.

La présidente : Quelle était la première question?

Le sénateur Joyal : Il s'agissait de l'enchâssement dans la Constitution de l'inuktitut comme langue officielle du Canada au Nunavut, avec le français et l'anglais, une obligation sérieuse que nous assumons si nous approuvons la Loi sur les langues officielles du Nunavut.

La présidente : Vous voulez savoir dans quelle mesure le Nunavut tient à cet enchâssement?

Le sénateur Joyal : Oui.

[Traduction de l'interprétation]

M. Okalik : Merci, madame la présidente.

[Traduction]

C'est un rêve.

[Traduction de l'interprétation]

Quand j'étais enfant, je ne parlais ni le français ni l'anglais; l'inuktitut m'est donc très cher. Plus tard, j'ai commencé à parler anglais aussi. Notre langue a été négligée. Il y a beaucoup d'aînés unilingues au Nunavut, et ils apparaissaient parfois comme des visiteurs chez eux. Qu'il s'agisse de courrier ou d'autres services, ils se sentent parfois comme des étrangers dans leur terre natale parce qu'il n'y a pas de service en inuktitut. Qui les aidera?

[Traduction]

Nous ne tentons pas de modifier la Constitution du Canada. Nous souhaitons simplement qu'un jour, pour le Nunavut, on change la Constitution. C'est notre rêve. Nous exprimons ce rêve dans ce merveilleux texte législatif.

Je veux qu'il soit bien clair que nous sommes ici pour demander votre approbation; nous pourrons alors représenter les trois groupes linguistiques qui constituent la majorité de la population du Nunavut.

Pour ce qui est de vos questions sur les autres groupes, nous appuyons la protection des autres langues. Nous ne pouvons toutefois que diriger les affaires du Nunavut, et ces groupes n'ont pas pour tradition de vivre sur notre territoire. Par exemple, dans ma circonscription, il y a plus d'habitants d'origine chinoise que de membres des autres Premières nations.

Nous apprécions ces autres nations et leur contribution à nos collectivités, mais nous sommes ici pour le Nunavut.

La présidente : Bien sûr, vous êtes ici pour le Nunavut. Ce sont les habitants du Nunavut qui vous ont élu.

Je vous lis un extrait du préambule de la Loi sur les langues officielles :

Comprenant, vu la nature fondamentale des valeurs et l'importance des objectifs fédéraux, territoriaux et inuits reflétés dans la présente loi, que la Loi sur les langues officielles doit jouir d'un statut légal quasi constitutionnel

Qu'est-ce que cela signifie?

Kate Darling, conseillère juridique, gouvernement du Nunavut : Dans ce contexte, « statut quasi constitutionnel » s'apparente au statut accordé aux lois sur les droits de la personne. Pendant tout le processus de création et d'élaboration de ce texte législatif, on a conféré à cette loi un statut qui lui donne préséance sur toute autre loi en cas de conflit. Cela n'a rien à voir avec la Constitution du Canada ou l'accord de revendication territoriale du Nunavut. Cela témoigne simplement de l'importance de cette loi.

La présidente : Merci. Pour l'instant, je me contente de cette réponse.

Le sénateur Milne : Selon vous, quelle incidence aura cette loi sur les minorités dont la langue est exclue? Que recommandez-vous qu'on fasse pour préserver certaines des autres langues parlées au Nunavut?

Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais je crois savoir qu'il y a deux langues inuites et environ 4 000 personnes qui parlent la deuxième langue.

M. Tapardjuk : Il y a une seule langue inuite, mais deux dialectes. Le premier est parlé dans l'Ouest du Nunavut et s'écrit en alphabet romain. Dans l'Est du Nunavut, on parle inuktitut et on l'écrit grâce au système d'écriture syllabique. C'est la même langue mais deux dialectes. Nous devons aussi tenir compte de la région Kitikmeot où l'on parle l'inuinnaqtun. Nous tentons de trouver une façon de préserver et de promouvoir ce dialecte. Voilà pourquoi ce projet de loi est si important.

Le sénateur Milne : Est-ce la région qui est à l'ouest de la baie d'Hudson?

M. Tapardjuk : La région de Kitikmeot comprend Cambridge Bay, Gjoa Haven et la partie ouest du Nunavut.

Le sénateur Milne : Aux termes de l'article 13 de la nouvelle loi, vous serez chargé d'élaborer un plan de mise en œuvre des obligations, politiques, programmes et services linguistiques pour les ministères et organismes du gouvernement territorial.

Avez-vous déjà dressé ce plan?

M. Tapardjuk : La loi exige du ministre de la Langue qu'il ait dressé ce plan avant le 31 mars 2010. Une fois la loi adoptée, le ministre devra élaborer un plan complet de mise en œuvre avant 2010 et le faire approuver par le Cabinet. Bien sûr, il y aura d'abord des consultations auprès des institutions, des municipalités et d'autres intervenants du territoire. Dès que la Loi sur les langues officielles entrera en vigueur, le processus de mise en œuvre s'enclenchera et le plan de mise en œuvre devrait être prêt d'ici 2010.

Le sénateur Milne : Comptez-vous consulter divers groupes?

M. Tapardjuk : Oui.

La présidente : À l'article 12 de la loi, et ailleurs aussi je crois, on prévoit l'obligation de dispenser des services dans les bureaux des institutions territoriales autres que l'Administration centrale là où il y a une demande importante de communications ou de services dans l'une des langues officielles.

« Demande importante » me rappelle l'expression que nous utilisions auparavant « là où le nombre le justifie ». Avez-vous défini « demande importante »?

M. Tapardjuk : Oui. Par exemple, le siège social de la Banque Royale du Canada se trouve à Toronto, mais la banque est présente au Nunavut. Il y a certainement une demande importante à Iqaluit pour que la banque offre des services en Inuktitut. Nous allons donc demander à la Banque Royale de le faire. Dans d'autres secteurs de service comme la poste, il y a une demande importante au Nunavut qui justifierait la prestation de services en Inuktitut, et il en va de même pour d'autres services publics. Il y aura des situations où un établissement aura peut-être des bureaux régionaux dans les territoires. C'est de là que vient l'expression « demande importante ».

La présidente : J'ai le regret de vous informer que nous avons perdu notre interprète en Inuktitut. Elle doit se rendre à la Chambre du Sénat, où elle participera aux hommages rendus à notre collègue, le sénateur Adams, qui part à la retraite aujourd'hui.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Cloutier, j'aimerais comprendre clairement ce que veut dire l'article 8.(1) du projet de loi — de la Loi sur les langues officielles du Nunavut — dont nous sommes saisis. J'aimerais qu'on le lise ensemble :

Dans les affaires dont un organisme judiciaire ou quasi judiciaire est saisi, toute langue officielle peut être utilisée [...]

On parle de trois langues.

b) le président d'audience de l'organisme judiciaire ou quasi judiciaire.

Est-ce que cela veut dire que, surtout quand je lis le paragraphe (2), qu'un président pourrait utiliser une langue qui ne serait pas comprise par les parties devant lui?

Ce serait son droit d'affirmer sa différence?

M. Cloutier : Cette section donne, à toute personne qui comparaît devant une procédure judiciaire ou une procédure d'un organisme judiciaire ou quasi judiciaire, le droit d'utiliser la langue officielle de son choix, incluant soit le président d'audience. Il en est de même pour les avocats ou toute partie ou participant à la procédure; vraiment toute personne peut utiliser la langue officielle de son choix. Ai-je bien répondu à votre question?

Le sénateur Nolin : Cela confirme ma préoccupation. Je ne voudrais pas qu'un francophone qui se présente devant un tribunal ne puisse pas être entendu par un président de tribunal qui ne comprendrait pas le français.

Ailleurs au Canada, ce sont des droits qui sont en voie d'être reconnus aux communautés francophones. Le Code criminel a été amendé il y a moins d'un an afin de s'assurer que les francophones et les anglophones puissent avoir accès à un tribunal et à du personnel judiciaire apte à comprendre et à distinguer les nuances importantes à la compréhension des droits d'un individu. Il me semble que c'est l'enfance de la reconnaissance des droits linguistiques.

M. Cloutier : Cela va de soi. À la Cour de justice du Nunavut, on organise des semaines au calendrier des procès. Il y a des semaines consacrées uniquement à des procès en français, ce qui implique qu'il va y avoir un juge.

Le sénateur Nolin : Vous jouez un rôle linguistique. Je comprends.

M. Cloutier : Le gouvernement prend les mesures nécessaires pour faire venir un juge francophone, et des avocats qui parlent français, afin que les participants puissent utiliser le français pendant le procès ou la procédure judiciaire ou quasi judiciaire.

[Traduction]

La présidente : Nous ne faisons que gratter la surface ici. Vous avez offert une belle introduction au travail intensif dans lequel nous nous sommes lancés cet après-midi. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous apprécions énormément l'effort que vous avez déployé pour être ici sur court préavis et nous sommes aussi conscients de l'importance de ce texte de loi pour le Nunavut. Nous prenons tout cela très au sérieux.

Notre prochain témoin est le commissaire aux langues officielles, qui nous rejoindra par vidéoconférence depuis Stockholm. Nous avons besoin de quelques minutes pour préparer la transmission.

[Français]

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le vice-président : Nous reprenons cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous avons devant nous comme témoins, du commissariat aux langues officielles, le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, qui est accompagné de Mme Pascale Giguère, directrice par intérim et avocate générale, Direction générale des affaires juridiques, ainsi que par Mme Johanne Tremblay, commissaire adjointe par intérim, Politiques et communications.

Monsieur le commissaire, vous avez la parole.

[Traduction]

Graham Fraser, commissaire, Commissariat aux langues officielles : Permettez-moi d'emblée d'exprimer mon regret de ne pouvoir être avec vous en personne, puisque je me trouve à Stockholm, où je m'étais déjà engagé à participer à la conférence de l'Institut international du protecteur du citoyen. Cela dit, c'est un plaisir que de me joindre à vous par vidéoconférence. Vous avez déjà présenté mes collègues, qui pourront vous faire part de leur expertise et répondre à des questions auxquelles je ne pourrais répondre moi-même.

Comme vous le savez, les langues autochtones n'ont pas été traitées par la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme, de même qu'elles ne font pas partie de mon mandat. Toutefois, le Commissariat a acquis une expertise considérable en matière de législation et de jurisprudence linguistiques au fil des quatre dernières décennies.

En mai 2007, j'ai écrit à l'honorable Louis Tapardjuk, ministre responsable de la culture, de la langue, des aînés et des jeunes, pour lui faire part d'observations sur la rédaction d'un projet de loi sur les langues officielles, qui a été déposé en mars 2007. Plus particulièrement, j'ai félicité le gouvernement pour avoir reconnu le statut égal de la langue inuite, de l'anglais et du français, ainsi que la contribution passée, actuelle et future des trois communautés de langues officielles au patrimoine et aux valeurs culturelles du Nunavut. Je lui ai également fait part de suggestions sur la manière d'améliorer le projet de loi.

[Français]

Je suis heureux de constater que le gouvernement du Nunavut a tenu compte de mes préoccupations dans la version définitive du texte de loi. De plus, en février 2009, j'ai personnellement rencontré mon homologue du Nunavut, la commissaire aux langues, Alexina Kublu, avant d'échanger sur des questions d'intérêt commun liées à l'exercice de nos mandats respectifs.

La Loi sur les langues officielles du Nunavut est une mesure législative fort importante, aussi importante que la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral. Le moment de son adoption est aussi bien propice. L'année 2009 marque le 10e anniversaire de la création du Nunavut, et le premier ministre actuel du territoire est un ancien commissaire aux langues. De plus, c'est la première fois au Canada qu'un Inuit siège au Cabinet fédéral.

L'inuktitut n'est pas la langue autochtone la plus répandue au pays, mais il s'agit de la plus dynamique. L'inuktitut a sa propre graphie, constitue la langue d'enseignement de certaines communautés, et est la langue parlée dans une collection modeste, mais très importante d'œuvres cinématographiques, dont Atanarjuat : la légende de l'homme rapide, Ce qu'il faut pour vivre, qui a remporté cette année le Jutra du meilleur film et Before Yesterday. Un tel dynamisme s'explique en partie par la création du Nunavut.

D'après Statistique Canada, 70 p. 100 des résidants du Nunavut ont l'inuktitut comme langue maternelle, alors que 27 p. 100 ont l'anglais et 1,3 p. 100 le français comme langue maternelle.

[Traduction]

La survie de l'inuktitut est cruciale pour la croissance et le développement du peuple inuit. Une des tragédies avec lesquelles les Autochtones doivent composer au Canada, c'est la perte de leurs langues, dans bien des cas à cause de politiques gouvernementales explicites appliquées dans les pensionnats.

Cependant, ce qui est intéressant au sujet de la Loi sur les langues officielles du Nunavut, c'est qu'elle est inclusive plutôt qu'exclusive. En effet, elle encourage l'usage de la langue de la majorité au Nunavut, tout en protégeant les deux langues officielles du Canada, soit l'anglais et le français. Elle jouit même de l'appui de l'Association des francophones du Nunavut.

La Loi sur les langues officielles du Nunavut, tout comme la Loi sur la protection de la langue inuit ainsi que la nouvelle Loi sur l'éducation, affirment qu'une langue autochtone peut être plus qu'une langue parlée à la maison ou une langue de tradition, de culture et de patrimoine; elle peut être une langue de service, une langue de travail et une langue d'instruction. Ce but ne sera pas facile à atteindre, mais il est vital pour l'avenir du peuple inuit.

[Français]

Depuis ma nomination à titre de commissaire aux langues officielles du Canada, en octobre 2006, on m'a invité à parler de la politique linguistique du Canada en Finlande et en Irlande du Nord, de même qu'à une conférence du Forum des fédérations à New Delhi et à une conférence de l'UNESCO aux Nations Unies à New York et ici, à Ottawa, devant les ambassadeurs de l'Union européenne.

Je peux vous affirmer ceci : bien que d'autres pays soient intéressés à savoir comment nous avons mis au point une politique pour protéger et promouvoir nos deux langues officielles, ils s'intéressent bien davantage à ce que nous faisons pour protéger et promouvoir les langues autochtones.

Considérant l'importance de tout cela, j'encourage le comité à ratifier le projet dont il est saisi afin que la Loi sur les langues officielles du Nunavut puisse devenir réalité.

Je vous remercie de votre attention. Il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci monsieur le commissaire. Vos collègues auraient-ils quelque chose à ajouter avant que nous passions à la période des questions? Je cède la parole au sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Fraser, à nos débats de cet après-midi.

J'ai devant moi copie de la lettre que vous aviez envoyée en mai 2007 au ministre de la Langue du Nunavut, M. Louis Tapardjuk, qu'on a eu le plaisir d'entendre avant vous cet après-midi. Dans cette lettre, en particulier au bas de la page 2, vous exprimiez une préoccupation au niveau des municipalités. En pratique, il y avait dans les dispositions du projet de loi une offre de services qui est définie de façon telle que la minorité francophone, ou anglophone dans certaines circonstances — parce qu'il y a une dynamique qui est en cause dans ce projet de loi et dans l'autre loi à laquelle nous n'avons pas fait référence jusqu'à présent, mais qui est néanmoins une loi très importante, qui est la Loi sur la protection de la langue inuit, qui est une loi qui doit être vue en synchronisme avec la Loi des langues officielles du Nunavut. Il y a deux lois sur les langues au Nunavut en ce moment, une qui s'adresse uniquement à la langue inuit et l'autre qui s'adresse aux trois langues.

La perception que j'ai de la lecture de votre lettre est qu'au plan des services aux particuliers, l'argument clé sera finalement : « là où le nombre justifie ».

Ce concept n'est pas défini dans la loi, il est renvoyé à l'article 38 du Règlement. C'est le ministre de la Culture qui va définir la signification de « where numbers warrant ».

Lorsque nous avons adopté la Loi sur les langues officielles, vous vous souviendrez que la question de « where numbers warrant » a presque été la pierre d'achoppement puisque le gouvernement avait choisi de répondre à la demande plutôt que d'offrir le service.

Lorsqu'on mentionne « where numbers warrant », on ne crée pas une obligation stricte d'offrir le service dans les deux langues officielles. C'est un peu le cas du comptoir d'Air Canada que vous connaissez bien. On vous répond en anglais et si vous désirez un service en français, on vous servira peut-être en français.

Puisque c'est la langue inuit qui deviendra la langue dominante — les deux autres langues seront minoritaires — comment pouvez-vous nous suggérer de tenir compte de cette dynamique? Cette dynamique est présente dans des municipalités ou des organismes de services gouvernementaux qui ne sont pas dans la capitale, mais qui sont répandus sur le territoire, et où la prestation des services dans les trois langues devient beaucoup plus problématique.

Votre lettre soulevait cette question, mais à mon avis, même si la loi peut sembler correcte, il n'en demeure pas moins que la réalité qu'elle recouvre est une réalité très difficile à gérer sur place lorsqu'on fait face à des situations pratiques.

M. Fraser : Lorsque j'ai envoyé la lettre il y a deux ans, le gouvernement a retenu la suggestion et cela m'a rassuré. L'article 12(8) stipule que si l'emploi d'une langue officielle fait l'objet d'une demande importante sur le plan des communications et des services, les municipalités devraient être en mesure d'offrir des services dans cette langue.

En ce qui concerne les mesures positives, l'offre active et d'autres concepts importants de la loi fédérale, l'article 13(1)a) dit très clairement :

[Traduction]

Le ministre fait la promotion...

Et le paragraphe 14(1) dit :

Que le ministre « doit promouvoir et protéger les langues officielles ».

[Français]

Donc il y a un rôle actif pour le ministre qui est bien...

Le vice-président : Nous avons perdu la communication avec le commissaire. Nous allons suspendre quelques instants afin de rétablir la communication.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le vice-président : Monsieur le commissaire, je vous suggérerais de reprendre votre réponse si c'est possible.

M. Fraser : Je disais que j'étais d'abord rassuré par l'article 12(8) qui impose une obligation aux municipalités. Et en ce qui concerne les mesures positives et la proactivité, j'ai été frappé par le fait que selon les articles 13(1)a) et 14(1) de la loi, il y a une obligation très claire

[Traduction]

« Le ministre fait la promotion » et « le ministre [...] doit promouvoir et protéger les langues officielles ».

[Français]

Je pense que c'est une avancée considérable sur la loi de base qui existait auparavant, la Loi des Territoires du Nord- Ouest qui a fait l'objet d'amendements.

Le sénateur Joyal : Je pense que vous avez la version anglaise du texte de l'article 12(8) que vous nous avez cité qui dit :

[Traduction]

On prévoit aussi l'obligation de veiller à ce que le public reçoive des communications et des services municipaux dans sa langue « si l'emploi d'une langue officielle fait l'objet d'une demande importante au regard des communications ».

Le concept de la « demande importante » est relatif. Comment pouvons-nous nous assurer que la barre ne sera pas trop haute et que, dans les faits, on ne refusera pas de dispenser des services dans l'une des langues minoritaires?

M. Fraser : Je ne peux vous donner de garantie, cela ne relève pas de mon mandat. Toutefois, j'ai été frappé par la bonne foi qui se dégage de l'approche très inclusive adoptée dans cette loi. Comme pour toute loi devant s'accompagner d'un règlement, les minorités linguistiques devront s'intéresser de près au règlement qui sera élaboré et à l'application de la loi. Je ne peux vous donner de garantie, cela ne fait pas partie de mon mandat.

Le sénateur Joyal : Soyons plus précis. Selon vous, dans le présent contexte, que signifie « demande importante », puisque, de façon générale, vous connaissez bien la situation linguistique des minorités au Nunavut?

[Français]

À votre avis, qu'est-ce qu'une demande significative?

Le vice-président : En français, on utilise l'expression « demande importante ».

Le sénateur Joyal : Selon vous, qu'est-ce qu'une demande importante?

M. Fraser : J'ai seulement pour guide ce qui a été défini comme demande importante dans le règlement fédéral, qui est beaucoup plus important que ce serait le cas au Nunavut. Parce que pour arriver au seuil d'importance, il faut que le nombre représente 5 p. 100 ou 5 000 personnes.

Cela ne devrait pas être si élevé au Nunavut, étant donné le nombre restreint, mais je vais tout de même référer les membres du comité à Mme Tremblay ou à Mme Giguère, qui pourront commenter d'autres exemples de demande importante.

Johane Tremblay, commissaire adjointe par intérim, Politiques et communications, Commissariat aux langues officielles : J'aimerais vous référer à l'article 12.(3) de la loi qui identifie un certain nombre de critères que le gouvernement va devoir prendre en considération pour définir la demande importante. Vous voyez qu'entre autres, il y a des critères démographiques, la proportion de la population et les caractéristiques particulières de la population. Finalement, on prévoit aussi le volume de la demande ou de la communication. Ces trois critères vont guider le gouvernement pour définir ce que c'est. On retrouve des critères tout à fait semblables dans la Loi sur les langues officielles du Canada.

Le paragraphe 12.(4) complète les critères qui peuvent être pris en considération pour définir la demande importante. Tous ces critères vont permettre au gouvernement de déterminer si, par exemple, à Iqaluit, il y a là une demande importante de la part de la communauté francophone pour obtenir les services municipaux dans leur langue.

Le sénateur Joyal : Monsieur Fraser, serait-il trop vous demander de considérer la possibilité de signer une entente avec le ministre de la Culture du Nunavut ou le commissaire aux langues officielles du Nunavut, dans le but de l'assister dans la mise en application de ce projet de loi de façon à ce que sa mise en application se fasse de la manière la plus simple possible?

Cela éviterait que des situations se développent et deviennent des symboles de blocage empêchant ou retardant l'application de la loi dans ce qu'elle a comme objectif souhaitable, à savoir que l'inuktitut devienne l'une des langues officielles au Nunavut et, en fait, la langue dominante au Nunavut.

Il faut bien comprendre qu'il faut lire ce projet de loi avec l'autre loi existante au Nunavut qui est le Inuit Language Protection Act, une loi très large et qui devient la loi de la majorité. Je ne l'appellerai pas la langue officielle du Nunavut, mais en fait, cela va être la langue de la majorité. Ce projet de loi, la Inuit Langage Protection Act, va très loin. Quand je le lisais — je ne veux pas faire de comparaisons désobligeantes — j'avais des réminiscences de la loi 101 parce que la langue de travail pour tout le monde devient l'inuktitut.

Je vous le répète, je suis pour la promotion de la langue autochtone. Comme vous le savez, la difficulté tient aux détails. Une situation peut se produire et devenir un symbole d'impossibilité. Comme il s'agit d'une première au Canada où il y aura trois langues officielles, cela devient extrêmement important que les deux mains qui sont sur le volant sachent exactement quels peuvent être les obstacles devant. Il me semble que votre expérience et l'expérience des gens de votre bureau ont acquis au cours des dernières années, vous place dans une position tout à fait exceptionnelle pour accompagner votre collègue du Nunavut dans la mise en application des dispositions de ce projet de loi.

Seriez-vous disposé à conclure une entente de travail avec lui sur la mise en application des objectifs du projet de loi comme nous les connaissons actuellement?

M. Fraser : On a déjà collaboré de façon assez étroite lors de la rédaction. Vous pouvez voir jusqu'à quel point nos suggestions ont été prises en compte. Je suis très content qu'on ait eu cette relation de collaboration vis-à-vis des ententes avec d'autres ordres de gouvernement. On est déjà en discussion avec les deux autres homologues qui sont commissaires aux langues officielles ou commissaire au service en français au Nouveau-Brunswick et en Ontario. C'est donc une chose à laquelle je suis tout à fait prêt à réfléchir.

Je ne veux pas prendre un engagement devant ce comité sans en connaître les implications, mais on a déjà un rapport de collaboration. Nos experts ont été très ouverts pour partager leur expertise et j'envisage de continuer.

Le vice-président : Nous allons suspendre la séance pour rétablir la communication.

(La séance est suspendue.)

(Le séance reprend.)

[Traduction]

Le sénateur Fraser : Le sénateur Joyal a abordé la question de la demande importante et c'est pour aborder ce sujet que j'ai fait mettre mon nom sur la liste. Mais puisque j'ai la parole, j'en profite pour traiter des dispositions de la Loi sur le système de justice. J'ai des questions pour les fonctionnaires que nous accueillerons tout à l'heure, mais celle-ci s'adresse à vous, monsieur Fraser.

L'article 35 de la Loi sur les langues officielles du Nunavut traite des recours devant la Cour de justice du Nunavut. Si je comprends bien, le premier paragraphe dispose de ce qu'un citoyen peut faire s'il n'est pas satisfait des mesures prises par le commissaire aux langues du Nunavut par suite de sa plainte. On y dit qu'on peut faire une demande — par un citoyen, je suppose — devant la Cour de justice du Nunavut en vue d'obtenir la réparation que celle-ci estime appropriée et juste eu égard aux circonstances. La loi ne définit toutefois pas plus précisément ce qu'est une réparation appropriée.

Est-ce que vous qui êtes commissaire aux langues officielles trouvez inhabituel qu'on ait formulé ainsi cette disposition? Puisqu'on confère le pouvoir de s'adresser au tribunal, est-il habituel de donner ainsi au tribunal le pouvoir de faire ce que bon lui semble?

M. Fraser : C'est semblable au pouvoir concernant le recours judiciaire conféré aux plaignants par la Loi fédérale sur les langues officielles. Je ne crois pas que la loi fédérale définisse plus précisément les genres de réparation que la cour peut accorder. Encore une fois, Mme Giguère pourra vous expliquer mieux que moi les directives aux tribunaux énoncées à la partie 10 de la Loi portant sur les recours judiciaires.

Pascale Giguère, directrice par intérim et avocate générale, Direction générale des affaires juridiques, Commissariat aux langues officielles : Merci, madame le sénateur. Comme le commissaire vient de l'indiquer, ce libellé est semblable à celui qu'on trouve dans la Loi fédérale sur les langues officielles. La partie 10 de cette loi permet aussi le dépôt de plainte à la Cour fédérale et confère à la Cour fédérale le pouvoir d'accorder la réparation qu'elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

C'est aussi le libellé qui figure à l'article 24 de la Charte. La jurisprudence définit ce que cela signifie. La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Doucet-Boudreau énonce les critères en fonction desquels on définit les pouvoirs d'un tribunal à accorder réparation dans ce genre de cause. Dans l'arrêt plus récent Fédération franco-ténoise, le Tribunal des Territoires du Nord-Ouest a aussi défini le recours en se fondant sur ce libellé qui confère en effet un pouvoir assez vaste.

La Cour suprême du Canada a elle-même défini ce pouvoir comme étant vaste et inconditionnel. Sous réserve des critères énoncés dans l'arrêt Doucet-Boudreau, la Cour peut accorder la réparation qu'elle juge convenable et s'appliquant concrètement à la situation en cause. C'est un pouvoir réparateur bien plus grand que ce qui est prévu dans la plupart des cas. Il est balisé par l'interprétation des nombreuses décisions rendues à ce sujet, y compris plusieurs de la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Fraser : Je voulais savoir si c'était un pouvoir inhabituel et vous avez répondu à ma question.

M. Fraser : Voici ce que dit le paragraphe 77(4) de notre Loi sur les langues officielles :

Le Tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Le sénateur Fraser : C'est identique.

M. Fraser : Je crois que certains appellent cela du copier-coller.

[Français]

Le vice-président : Comme on peut le voir, la législation peut réduire ou élargir les pouvoirs des tribunaux.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Monsieur Fraser, le sénateur Nolin a interrogé les fonctionnaires du Nunavut sur l'article 8 du projet de loi. Si vous avez le texte sous les yeux, vous voyez que le paragraphe (1) dit ceci :

Dans les affaires dont un organisme judiciaire ou quasi judiciaire est saisi, toute langue officielle peut être utilisée par : a) toute personne devant l'organisme judiciaire ou quasi judiciaire, dans les affaires en question ou dans les actes de procédure qui en découlent; b) le président d'audience de l'organisme judiciaire ou quasi judiciaire.

Et sous la rubrique « Langue préférée », le paragraphe (2) dispose que :

Les droits que confère le paragraphe (1) s'appliquent, que les personnes puissent ou non comprendre une autre langue ou communiquer dans une autre langue.

C'est au sujet de cette dernière partie que j'ai une question.

Le ministre Tapardjuk nous a assurés que les justiciables voulant subir leur procès en français comparaîtraient devant un juge francophone et auraient des avocats francophones. Il en irait de même pour les trois langues officielles. Ce n'est toutefois pas ce que dit le projet de loi. Cela me préoccupe beaucoup, et vous, monsieur?

M. Fraser : Je crois que cette disposition découle de la décision Beaulac où la Cour suprême a clairement stipulé que tout accusé avait le droit de subir son procès dans la langue de son choix. Il y a eu une série de cas en immigration — dont le premier a été l'affaire Beaulac — où le bilinguisme du plaignant a été utilisé contre l'accusé. On a donc voulu s'assurer que le bilinguisme ne serait pas un handicap pour les accusés. Ils ont le droit de choisir la langue de leur procès.

Je ne crois pas que nous puissions nous attendre des textes législatifs du Nunavut qu'ils soient plus progressistes que les décisions des tribunaux du Canada. On manque de juges et de personnel bilingues dans le reste du pays. Cette disposition énonce clairement l'engagement et l'obligation de s'assurer que ce sont les droits linguistiques de l'accusé qui déterminent la langue dans laquelle l'affaire sera entendue, et non pas la langue que préfère le tribunal.

Le sénateur Milne : Est-ce votre interprétation de cette disposition?

M. Fraser : Oui. Toutefois, mes conseillers juridiques me corrigeront si je me trompe.

Le vice-président : Le sénateur Fraser a une question complémentaire.

Le sénateur Fraser : J'aimerais entendre les fonctionnaires sur ce point avant d'intervenir.

Mme Giguère : Le Code criminel continuera de s'appliquer au Nunavut, à notre avis. Les droits conférés par le Code criminel concernant le droit de l'accusé de subir son procès dans la langue de son choix continueront d'exister dans le contexte criminel au Nunavut.

Les droits conférés ici s'appliquent davantage aux procédures civiles. On devrait plutôt comparer cette disposition à celle qui figure dans la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, qui est libellée de façon semblable. Cet article permet à tous d'employer la langue de leur choix, y compris le juge qui préside au procès.

La Loi fédérale sur les langues officielles va un peu plus loin. Elle oblige les tribunaux fédéraux à entendre les justiciables sans l'aide d'un interprète. Cela va encore plus loin que ce que garantit la Charte. Le gouvernement fédéral a décidé de prendre cette mesure pour la mise en œuvre des droits garantis par la Charte, mais ce n'est pas prévu par la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Milne : Il n'y a qu'un tribunal au Nunavut. Il n'y a pas de cour civile et de cour criminelle. Il n'y a qu'une instance. Par conséquent, quand je vois que ce droit s'applique, que les autres participants à la procédure comprennent ou non les autres langues officielles, cela m'inquiète.

Mme Giguière : Il en va de même dans les cours provinciales. En Ontario, c'est la Cour de justice, le tribunal de première instance, qui entend les causes criminelles et les causes civiles.

Le fait qu'il n'y ait qu'une instance sous la Cour d'appel ou la Cour suprême n'empêche pas l'exécution des droits linguistiques conférés par les lois et le Code criminel.

Le sénateur Milne : À l'instar de M. Fraser, vous ne voyez pas d'objection à cette disposition?

Mme Giguère : En effet, nous n'y voyons aucune objection.

Le sénateur Fraser : L'article 9 porte sur les décisions, ordonnances et jugements rendus par les organismes judiciaires et quasi judiciaires. C'est une disposition plutôt longue qui dispose essentiellement que les organismes judiciaires et quasi judiciaires fournissent sur demande la traduction de leur décision dans l'une des deux autres langues officielles ou les deux, et ce, dans un délai raisonnable.

Ce que j'aimerais savoir, tout comme vous, sans doute, c'est laquelle des versions fait autorité. Les deux versions font-elles autorité, même si l'une paraît après la première? Excusez-moi, monsieur Fraser, je regardais vos fonctionnaires.

M. Fraser : Je présume que, contrairement aux lois qui sont rédigées dans les deux langues officielles et non pas traduites, ce serait la version originale qui ferait autorité. Dans les cas où il y aurait des divergences entre les deux versions, il faudrait les interpréter. Encore une fois, les conseillers juridiques pourront vous parler des précédents à cet égard.

Mme Giguère : J'ajouterai que c'est généralement le cas, par exemple s'agissant des décisions de la Cour fédérale. C'est la version originale qui fait autorité. Si elle est traduite par la suite, c'est la version originale qui continue de faire autorité.

Notre loi ne contient aucune disposition disposant que les deux versions des décisions judiciaires font autorité, contrairement à ce qui est prévu pour les lois, dont les deux versions ont force égale. Quand une décision est traduite, c'est la version originale qui fait autorité.

[Français]

Le vice-président : Que fait-on de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, communément appelé la Loi de 1867? Je pars du principe qu'il y a des tribunaux fédéraux qui siègent au Nunavut. Alors quand une décision est rendue au Nunavut, les deux versions devraient avoir la même valeur.

Mme Tremblay : Non. Pour les lois, qui sont adoptées dans les deux langues, on parle de corédaction, et elles sont d'égale valeur. Ce n'est cependant pas le cas pour les décisions rendues par nos tribunaux. Il n'y a aucune disposition dans la Charte qui accorde une autorité égale aux décisions qui sont émises dans les deux langues. Elles sont toujours écrites dans une langue et traduites dans l'autre.

L'article 133 indique que les deux langues peuvent être utilisées devant les tribunaux, ce qui n'implique pas que les décisions qui sont émises par ces tribunaux, qui sont émises dans les deux langues, que les deux versions de ces décisions ont égale autorité. Je ne le vois pas spécifiquement mentionné à l'article 133.

La Loi sur les langues officielles du Canada prévoit effectivement que les lois doivent être adoptées dans les deux langues. Parce que les lois doivent être adoptées dans les deux langues, effectivement, les deux versions des lois fédérales ont une autorité égale.

Le vice-président : Je croyais qu'on avait eu une décision d'emblée qui était venue expliquer et interpréter l'article 133 justement pour reconnaître la validité des deux versions.

Mme Tremblay : Des deux versions des lois et des règlements d'application.

Le vice-président : Il n'était pas question des décisions des tribunaux.

Mme Tremblay : Non.

Le sénateur Joyal : Il est important de noter que selon le texte de l'ordonnance des Territoires du Nord-Ouest, qui s'applique actuellement, l'article 13 de cette ordonnance, toujours en vigueur, dit ceci, et cet article est intitulé :

[Traduction]

Décisions de justice

13.1 Les décisions définitives exposées des motifs compris d'un organisme judiciaire ou quasi judiciaire établi par une loi ou en conformité avec une loi sont rendues en français et en anglais :

a) si le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour le public;

b) lorsque les débats se sont déroulés en tout ou en partie dans les deux langues ou que les actes de procédure ont été, en tout ou en partie, rédigés dans les deux langues.

[Français]

Alors, ce que le projet de loi que nous avons devant nous propose n'est pas la réplique de cet article. En d'autres mots si, par exemple, on est dans un tribunal qui utilise l'inuktitut et que le juge est unilingue inuktitut, la décision pourrait être rendue en inuktitut même si les parties, qui sont la demanderesse en l'instance, pourraient être de l'une ou l'autre des deux autres langues officielles. Il y a un changement, à mon avis, important entre ce que nous avons actuellement dans le texte de l'ordonnance et ce que l'on retrouve dans le projet de loi. Autrement dit, le projet de loi ne reprend pas le texte de ce qu'il y a dans l'ordonnance à cet égard, à moins que je me trompe dans la lecture du texte.

Mme Giguère : Ce à quoi vous faites référence dans la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest est repris en grande partie à l'article 9.(2) de la Loi sur les langues officielles du Nunavut. Cependant, le langage est quelque peu différent. Tout cela a trait aux circonstances dans lesquelles une décision sera émise soit simultanément dans une ou plusieurs langues officielles — donc, elle va être émise dans une langue et accompagnée de façon simultanée d'une traduction dans une ou plusieurs autres langues officielles — soit sur demande par une personne avec un délai et cela, c'est l'article 9.(1). Alors dans les circonstances où les décisions ne sont pas émises de façon simultanée dans une ou plusieurs langues officielles, il y a toujours possibilité de faire une demande pour la décision dans une autre langue. Évidemment, il y aura un délai raisonnable pour la traduction. Mais essentiellement, ce qu'on retrouve à l'article 9.(2), à notre avis, reprend ce qui est dans la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest.

[Traduction]

Le sénateur Fraser : Je vais essayer de comprendre la différence dans l'esprit des deux lois, c'est-à-dire entre la loi actuelle et les dispositions proposées pour les ordonnances ou décisions quasi judiciaires rendues dans les langues officielles.

[Français]

Le vice-président : Je suis désolé, sénateur, mais nous éprouvons à nouveau quelques problèmes techniques.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le vice-président : Nous allons terminer avec votre témoignage. Il reste une question pour vous, après quoi nous allons vous libérer et nous poursuivrons avec vos adjointes.

Le sénateur Joyal : J'aurais aimé, monsieur Fraser, que vous commentiez le deuxième paragraphe, au haut de la page 2 de votre lettre, où on peut lire ce qui suit.

[Traduction]

Je trouve aussi satisfaisant que le paragraphe 12(5) exige du responsable administratif de l'institution territoriale l'obligation de prendre des mesures appropriées pour garantir que les services offerts dans chacune des trois langues officielles soient de qualité comparable. Je voudrais également attirer votre attention sur le paragraphe 12(6), qui exige que les organismes et ministères gouvernementaux veillent à ce que les communications et les services offerts au public par une tierce partie soient offerts dans les langues officielles du territoire. Toutefois, je pense que cet article pourrait être amélioré si toutes les institutions territoriales étaient assujetties à cette obligation.

[Français]

C'est de l'offre de service dont on parle, évidemment, pour toutes les institutions puisque, comme vous le savez, dans le Inuit Language Protection Act, tous les organismes, aussi bien publics que privés, sont assujettis à l'usage...

Le vice-président : Nous devons suspendre.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le vice-président : Espérons que c'est la dernière fois que nous tenterons de rétablir la communication et qu'elle durera.

Sénateur Joyal, vous devrez abréger votre question afin que l'on entende la réponse.

M. Fraser : J'ai entendu la question sur le service et l'offre de service qui préoccupe le sénateur. Ai-je raison?

Le sénateur Joyal : Exactement. C'est la phrase en particulier où vous dites ce qui suit.

[Traduction]

Je pense que cet article pourrait être amélioré si toutes les institutions territoriales étaient assujetties à cette obligation.

M. Fraser : J'ai l'impression que cela a été réglé en partie en imposant une obligation précise aux municipalités. J'ai du mal à trouver l'article précis auquel je voudrais vous référer. Je ne pense pas que l'article ait été modifié à tel point que cela puisse vous satisfaire mais je pense qu'il y a eu un effort honnête pour en étendre l'application à l'offre de services qui faisait l'objet de ma préoccupation.

Mes collaborateurs peuvent peut-être vous donner des renseignements à propos de la réponse donnée à ma lettre.

Le vice-président : Qu'en est-il de l'alinéa 7b) de l'article 12?

Mme Tremblay : Si je ne m'abuse, la lettre du commissaire visait une amélioration à la disposition qui porte sur les services offerts par des tierces parties au nom des institutions territoriales. Nous nous inquiétions du fait que la référence aux institutions territoriales pouvait ne pas englober toutes les institutions assujetties à la loi. La définition qui figure à l'article 1, lequel définit la notion d'institution territoriale, est très générale et elle vise les organes judiciaires et quasi judiciaires comme les organismes publics. De notre point de vue, nos suggestions et remarques ont été prises en compte grâce à l'amendement qui a été apporté. Cet amendement figure au paragraphe 12(7), alinéa c).

Le vice-président : Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Joyal : Ce qui m'inquiète, c'est que la Loi sur les langues officielles est beaucoup plus limitée en ce qui concerne les langues minoritaires, français et anglais. La Loi sur la protection de la langue inuit inclut des obligations pour le secteur privé et quiconque est en communication avec le gouvernement.

À la définition de « organisation », je lis « organisme du secteur public, municipalité ou organisme du secteur privé... »

La Loi sur la protection de la langue inuit couvre tout le monde, alors que la Loi sur les langues officielles précise un type de services pour le français et l'anglais. On ne peut pas dire, en fait, que la responsabilité du gouvernement à l'égard du français et de l'anglais est comparable à celle qu'il a quant à l'utilisation de l'Inuktitut d'après mon interprétation de la Loi sur la protection de la langue inuit.

Selon moi, on ne peut pas lire qu'une seule de ces lois. Il faut lire les deux. Elles sont complémentaires.

[Français]

Le vice-président : Nous éprouvons encore des difficultés techniques, nous allons tenter de reprendre la communication avec le commissaire.

Monsieur le commissaire, nous allons — je m'excuse d'utiliser une expression qu'on utilise devant les tribunaux — vous libérer comme témoin. Je vous remercie d'avoir participé à nos travaux. Nous allons poursuivre avec vos collègues. Une fois de plus, merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.

M. Fraser : Je vous en prie.

Le vice-président : Nous allons poursuivre avec les représentantes du Commissariat aux langues officielles.

Mme Tremblay : Lorsque nous avons examiné l'avant-projet de loi, notre point de référence était la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest. Cette loi, comme la Loi fédérale sur les langues officielles, s'applique aux institutions du gouvernement et garantit les droits linguistiques du public de recevoir les services publics dans l'une ou l'autre des langues officielles reconnues.

Donc, je pense que si vous comparez à l'autre loi, c'est un autre objectif. Cela va beaucoup plus loin, effectivement, cela s'applique au secteur privé, mais c'est un objectif différent qui va beaucoup plus loin que l'objectif prévu dans la Loi sur les langues officielles du Nunavut et les objectifs de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord- Ouest.

Le sénateur Joyal : Oui, mais la Loi canadienne sur les langues officielles — je vais l'appeler la loi canadienne plutôt que fédérale, si vous permettez — a non seulement établi le statut d'égalité des deux langues, en droit et en statut, mais elle fait également une obligation au gouvernement canadien de supporter le développement des communautés linguistiques. C'est en particulier l'amendement que nous avons apporté à la Partie VII de la loi. Alors, le gouvernement canadien a une obligation qui est non seulement, je dirais, essentielle dans sa définition, mais il a aussi une obligation d'aller au-delà.

Ce que je comprends de la Loi sur les langues officielles du Nunavut, nous ne sommes pas dans la même dynamique parce qu'à côté de cette Loi sur les langues officielles du Nunavut, il y a la Loi sur la protection de la langue inuktitut. Cette obligation couvre tout en pratique, presque tout ce que le gouvernement canadien devrait faire dans l'absolu s'il assumait toutes ses responsabilités à l'égard des minorités linguistiques. Prenez le cas, par exemple, des services de l'hôpital Montfort en Ontario, le cas du soutien au développement culturel, la décision à l'Île-du-Prince-Édouard au niveau du centre communautaire, et cetera. Il y a toute une panoplie de services que le gouvernement canadien se voit obligé d'offrir au soutien de l'usage de la langue, que le gouvernement du Nunavut va prendre à l'égard de l'inuktitut, mais il ne prendra pas les mêmes initiatives à l'égard de l'anglais et du français. À l'égard du français et de l'anglais, ce ne sera qu'à un autre niveau de comparaison. Ce n'est pas la dynamique du tout que je détermine lorsque j'évalue les deux lois. C'est reflété, en fait, dans le projet de loi sur les langues officielles du Nunavut, à l'article 22(1). Lorsqu'on fait appel à des concepts — prenez l'article 22(1) :

[Traduction]

Les principes et concepts généraux suivants des Inuits Qaujimajatuqangit s'appliquent à l'exercice par le commissaire aux langues de ses pouvoirs et fonctions aux termes des articles 20.1 et 21, de l'alinéa 22(2)b), de l'article 30 et des paragraphes 32(1) et (3).

[Français]

Et là, il y une série de concepts propres à la culture inuite, je suis tout à fait d'accord avec cela, mais il n'y a rien dans le reste de la loi qui nous dit que le commissaire aux langues officielles doit prendre également en compte des concepts comparables dans la langue française ou dans la langue anglaise. Il est certain que dans ce cadre linguistique tel qu'il est défini de la loi, il y a une dynamique qui n'est pas comparable d'une loi à l'autre. Il y a une loi que l'on rétablit comme langue de la majorité et il y a deux autres lois qui se voient reconnaître un statut, mais certainement pas avec les mêmes obligations et services que l'inuktitut va recevoir dans le contexte de la loi. C'est absolument évident quand on lit les deux lois, l'une par rapport à l'autre.

C'est ce qui rend, à mon avis, le défi important de la mise en application de cette loi, parce que je ne dirais pas qu'il y a un déséquilibre, mais il y a un niveau différent d'obligation et, évidemment, tout le monde est de bonne foi, cela va de soi, je n'en doute pas, mais il n'en demeure pas moins que lorsqu'on met une dynamique sociale ou sociolinguistique comme celle qui est décrite dans ces deux lois en application, il se produit des difficultés d'ajustements. À mon avis, c'est notre responsabilité de nous assurer que dans la mise en application de la loi, votre bureau, avec l'expertise que vous avez développée, puisse accompagner la mise en application de cette loi pour éviter des situations que personne ne voudrait voir se développer au cours des prochaines années.

Mme Tremblay : Effectivement, la dynamique linguistique au Nunavut est tout à fait unique. Ce qui fait en sorte qu'il y a trois législations qui portent sur les droits linguistiques des communautés linguistiques qu'on y retrouve.

Par ailleurs, il n'y a aucune loi, à mon avis, bien humblement, il n'y a aucune législation linguistique, que ce soit celle de l'Ontario au niveau des services en français, que ce soit la Loi canadienne sur les langues officielles et la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, qui impose des obligations à des entreprises privées. Elles ne visent qu'à assurer au public de recevoir des services publics, donc des services de santé, en Ontario, en français pour les Franco-Ontariens, mais la Loi sur les services en français n'impose aucune obligation aux entreprises privées.

Je voulais simplement clarifier cet aspect.

Évidemment, s'il y a des entreprises privées qui agissent au nom des institutions publiques, des institutions fédérales ou provinciales, les institutions fédérales doivent s'assurer que ce tiers respecte les droits linguistiques du public. Mais il n'y a aucune loi, en ce moment, dans notre régime linguistique, à part la Charte de la langue française qui s'applique aux entreprises privées. Et la Loi sur la protection de l'inuktitut serait la deuxième législation canadienne qui impose des obligations linguistiques au secteur privé pour des raisons intéressantes.

Le vice-président : C'est très intéressant. Nous allons devoir accélérer un peu, malheureusement. J'aimerais laisser terminer le sénateur Fraser sur sa question supplémentaire, ensuite donner la parole au sénateur Bryden et revenir. J'aurai une question également.

Le sénateur Fraser : À ma connaissance, la Charte de la langue française n'impose aucune obligation sur les entreprises de servir la minorité dans sa langue.

[Traduction]

Ma question porte sur les décisions des tribunaux. Il va me falloir un certain temps pour expliquer. Selon les dispositions de la loi actuellement, on prévoit une protection plus large pour les droits linguistiques individuels qu'on le fait par la future loi. Selon l'alinéa 13(1)b) de la loi actuelle, les décisions doivent être rendues en anglais et en français lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, en anglais et en français.

Par exemple, si c'est moi qui suis l'accusé lors d'un procès, et que les débats se déroulent essentiellement en français, mais que je choisis de me défendre en anglais, je sais que la décision rendue dans mon cas sera en anglais et en français. C'est la loi actuelle. Avec la nouvelle loi, la décision sera traduite si le juge en décide ainsi, semble-t-il, plutôt qu'à l'initiative de l'intéressé. La décision sera traduite si le point de droit en litige présente de l'intérêt ou de l'importance pour le public du Nunavut.

Il se peut que l'intérêt de tous soit évident mais en outre, il se pourrait que cela intéresse particulièrement une communauté de langues officielles pour laquelle la question aurait de l'importance et il pourrait s'agir d'une question qui a un intérêt ou une importance particulière pour un membre de cette communauté.

En effet, d'après mon expérience, il y a des choses qui pourraient ne pas présenter un intérêt ou une importance aux yeux de la majorité même si cela représente une importance capitale et un intérêt vital pour la minorité. Je vois là toutes sortes de difficultés qui pourraient surgir si l'inuktitut devient, comme nous souhaitons tous, une langue d'utilisation courante et quotidienne au Nunavut, y compris dans les tribunaux. Y a-t-il de la jurisprudence ou des précédents qui pourraient rassurer les membres d'une minorité linguistique au sujet de cette exigence concernant l'intérêt ou l'importance significative?

Mme Giguère : Permettez-moi de vous dire que mon interprétation de cet article est un peu différente de la vôtre.

Le sénateur Fraser : Vous êtes tout à fait libre de ne pas être d'accord avec moi. C'est pour cela que vous venez témoigner.

Mme Giguère : J'ai lu cet article plus d'une fois. Il me semble que cet article est plus généreux que celui qui lui correspond dans la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest car il définit en plus grand détail ce qui se trouve dans le texte d'origine de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest.

Par exemple, les alinéas 9(2)a) et b) peuvent se comparer à l'alinéa 10a) de la nouvelle Loi des Territoires du Nord- Ouest. Vous avez cité l'article 13 de l'ancienne loi.

Le sénateur Fraser : C'est le texte que j'ai sous les yeux.

Mme Giguère : Dans la nouvelle loi, cela correspond à l'alinéa 10(1)a). Cet article a été ventilé en deux paragraphes dans la Loi du Nunavut et l'alinéa b) dans la Loi des Territoires du Nord-Ouest correspond en réalité à l'alinéa c) dans la Loi du Nunavut.

Dans la Loi du Nunavut, il n'est pas question uniquement des parties en litige mais également des participants. Cela englobe, aux fins des instances, plus que les parties en litige. Dans la Loi des Territoires du Nord-Ouest, une des parties est autorisée à choisir la langue des débats. Par exemple, si vous êtes une partie civile dans une procédure civile et que vous choisissez le français, alors les instances se dérouleront dans les deux langues officielles et vous aurez le droit d'obtenir la décision dans les deux langues officielles.

Le libellé de la Loi du Nunavut est plus général car il y est question de participants. Supposons que vous soyez un témoin appelé à témoigner lors d'un procès et que vous choisissiez de le faire en inuktitut. Si vous arrivez à prouver que la décision présente un intérêt ou une importance significative pour vous, alors elle sera rendue dans la langue officielle des débats avec une traduction en inuktitut. En fait, cela me semble plus englobant et plus généreux que ce qui figure dans l'autre loi.

Je pense que ce critère sur l'importance et le grand intérêt d'un procès est un peu superflu car on peut supposer que si quelqu'un est un participant lors du procès, il sera concerné par la décision, laquelle aura une importance et un grand intérêt pour toutes les parties. Il est un peu superflu que ce critère soit spécifié pour les parties. Toutefois, un libellé qui précise que ce critère vaut pour les participants nous explique la raison d'être de cet alinéa.

Le sénateur Fraser : Vous vous êtes bien défendue.

Le sénateur Bryden : Je vais faire une remarque plutôt que de poser une question. J'ai écouté les délibérations. Je tiens à dire que je ne suis pas un expert en matière de langues officielles ou de lois sur les langues officielles, contrairement à certains de mes collègues ici présents.

Mon souci est un peu différent de celui des autres, sans doute. Je suis Canadien et je vis dans un pays bilingue. Il y a deux langues officielles au Canada. J'ai aussi la chance de venir du Nouveau-Brunswick qui est la seule province officiellement bilingue du pays.

Certains éléments de la Loi sur les langues officielles, qui est un document très bien pensé et rédigé, ont été contestés ici. En tant que citoyen, en tant qu'avocat et en tant qu'ex-sous-ministre de la Justice au Nouveau-Brunswick, je m'intéresse depuis quarante ans aux lois sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick et du Canada. Ces lois ne sont pas tombées du ciel. Elles ont été conçues, il y a eu des erreurs, et il y avait bien des choses qui méritaient une amélioration. Ainsi, le cheminement s'est fait au fil des ans et cela a abouti au régime qui prévaut au Nouveau- Brunswick et au Canada actuellement.

Je suis tout à fait convaincu que la nouvelle entité qu'est le Nunavut a le droit à l'erreur. On devrait lui permettre de tirer des leçons des antécédents mais on devrait lui permettre d'évoluer dans un cadre législatif spécifique au Nunavut.

Le Nunavut est un très vaste territoire où vit une très petite population, majoritairement inuite et la vaste majorité de sa population parle la langue inuite. Le Nunavut en l'occurrence essaie de protéger et de promouvoir sa langue et sa culture pour qu'elles ne soient pas englouties ni par l'anglais, ni par le français, parce qu'il y a eu des précédents à cet égard.

Cela m'apparaît aussi comme une tentative raisonnable de prendre en compte les autres langues autochtones, et il est bien clair — et je ne m'adresse pas tant aux deux témoins devant nous qu'au premier groupe de cet après-midi — qu'il vous incombe de protéger et de promouvoir activement et sans relâche cette langue et cette culture. Sinon, elle disparaîtra du Canada et de l'Amérique du Nord. Je félicite donc tous ceux qui contribuent à ce grand projet.

Au Nouveau-Brunswick, nous discutons encore du genre de service bilingue que nous devons dispenser. Moi, je suis né au Nouveau-Brunswick, et j'aurais dû apprendre le français quand j'étais enfant, mais je ne l'ai pas fait.

Vous pourriez diviser le Nouveau-Brunswick selon la langue qu'on y parle : les loyalistes, les anglophones, dans le sud et les Acadiens, les francophones, dans l'est. Nous n'avons pas encore réglé la question de savoir quand il faut offrir des services dans l'autre langue officielle pour répondre à la demande. C'est justement un terme employé ici. Pour prendre cette décision, on se fonde habituellement sur le nombre d'habitants et la présence de différents groupes linguistiques. Toutefois, cela n'est pas toujours possible à déterminer. On ne peut le préciser dans un document comme celui-ci; on ne peut dire qu'il faut offrir ces services dès lors que 10 ou 12 personnes les demandent. Peut-être que ce devrait plutôt être cinq ou même 500.

On a déjà fait allusion au fait que, parfois, il faut s'adresser au Tribunal et laisser une partie indépendante décider. Est-ce l'une de ces situations où la communauté mérite une école de langue anglaise ou un hôpital de langue française? Cela se produit régulièrement.

J'ai été déçu de relever les quelques problèmes que j'ai signalés, mais, pour le reste, d'après ce que j'ai pu lire, cela m'apparaît comme un excellent point de départ. J'appuierai donc, comme tous les sénateurs ici présents, sans doute, l'adoption de ce projet de loi. Mais si, avant de l'adopter, nous pouvons le modifier un peu pour l'améliorer afin de ne pas avoir à le faire dans cinq ans ou avant, tant mieux.

Voilà ce que je voulais dire aux fins du compte rendu. Nous assistons à une initiative remarquable de la part d'une petite communauté qui occupe un vaste territoire au Canada. Tous ceux qui y ont contribué et qui continuent d'exercer des pressions pour que cette initiative soit menée à bien méritent des félicitations.

D'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, je suis convaincu qu'on fait déjà de grands efforts et qu'on continuera à s'efforcer de protéger les autres groupes linguistiques autochtones et que ceux-ci ne souffriront pas de la mise en place de ce programme.

Si vous voulez commenter mes propos, n'hésitez pas à le faire, sinon, je suis heureux d'avoir pu m'exprimer.

Le vice-président : Merci, sénateur Bryden.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je voudrais vous demander de prendre l'article 22.(1) et m'expliquer dans votre science juridique quel impact un tribunal donnerait à cet article par rapport aux deux autres langues officielles, c'est-à-dire par rapport au français et à l'anglais qui sont aussi des langues officielles. Dans le fait que l'on inclut dans cette loi une série de principes et de valeurs dans le rôle que le commissaire aux langues officielles du Nunavut aura à assumer, est-ce qu'il n'y a pas dans cet article une prépondérance reconnue à l'inuktitut par rapport aux deux autres langues officielles?

Mme Tremblay : Je ne pense pas que je serais en mesure de répondre sinon que cela fait référence à des valeurs propres à la culture inuite. Il me semble tout à fait que ces valeurs reposent sur le respect et l'égalité et elles sont ancrées dans la Charte canadienne des droits et des libertés. Elles sont à la base même de la Loi sur les langues officielles du Canada. Cela serait mon humble avis, sincèrement, et ce n'est pas un avis juridique que je donne en ce moment.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous pourriez m'indiquer dans la Loi sur les langues officielles un article correspondant?

Mme Tremblay : La Loi sur les langues officielles a été écrite en 1969 et révisée dans un contexte qui est différent du contexte sur les langues officielles du Nunavut qui reconnaît trois langues officielles. Donc, c'est évident que cela a sa couleur, ses caractéristiques propres. Ce ne sont pas des valeurs contradictoires, pas du tout, à mon avis.

Le sénateur Joyal : Pourquoi faut-il pour une langue exprimer ces valeurs et spécifier formellement que ces principes généraux et ces concepts doivent être appliqués par le commissaire aux langues officielles lorsqu'il exerce ses pouvoirs et s'acquitte de ses fonctions alors qu'il n'a aucune autre obligation à l'égard des deux autres langues officielles du Nunavut dans le même contexte?

Mme Tremblay : Cela s'applique dans l'exercice de ses pouvoirs de façon générale. Cela s'applique pour l'ensemble de la population du Nunavut. Ce sont des valeurs qui guident le commissaire dans l'exercice de son mandat et de ses fonctions. Ce sont des très belles valeurs qui pourraient aussi bien guider la fonction publique dans son mandat de livrer le service au public. Je ne vois pas cela comme s'appliquant uniquement à la communauté inuit. Je vois que cela s'applique pour l'ensemble de l'exercice de ces pouvoirs et de son mandat.

Le sénateur Joyal : On dit ceci :

[Traduction]

Les principes et concepts généraux suivants des Inuit Qaujimajatuquangit s'appliquent à l'exercice par le commissaire aux langues de ses pouvoirs et fonctions aux termes des articles 20.1 [...]

Cet article 20.1 traite du personnel.

Puis, l'article 21 porte sur les avocats et experts. Ensuite, l'alinéa 22(2)b) énonce les fonctions du commissaire aux langues.

[Français]

Donc, ses devoirs et ensuite vous avez l'article 30, 32.(1) et 32.(3). Alors, ce n'est pas pour rien. Le législateur veut dire quelque chose quand il parle, surtout si ces principes ne sont pas des principes d'interprétation générale de la loi, ce sont des principes qui visent certaines responsabilités très précises du commissaire. Ce ne sont pas des principes généraux que l'on trouve dans le préambule.

Mme Tremblay : Cela reflète la façon de faire au Nunavut. J'ai eu le privilège d'assister au forum organisé par l'association des francophones du Nunavut au mois de mars dernier et qui commence à consulter pour un plan de mise en œuvre. J'ai eu la chance de visiter l'école des trois soleils. Cette école m'a tout à fait épatée. J'ai vu des enfants d'une école d'enseignement en français qui accueille les enfants inuite et les enfants de couples exogames. On voit ces valeurs écrites partout dans l'école. Dans le fond, ces valeurs correspondent à l'identité de la communauté inuite au sens large. Ce que j'ai vu dans cette école était exprimé dans la communauté francophone. Cela représente leur identité et leur façon de faire.

Le sénateur Joyal : Non, je ne dispute pas le fait que ces valeurs sont caractéristiques de la culture inuite. Je reconnais cela et je le valorise. Ce que j'essaie de comprendre, c'est que là, on a un texte de loi qui établit trois langues officielles et, pour l'inuktitut, il y a une série de principes et de valeurs que le commissaire doit prendre en considération quand il engage des personnes, quand il demande de l'assistance et quand il fait une recommandation.

C'est très spécifique. L'hypothèse serait d'avoir une série de valeurs comparables pour les autres langues. On tient compte des valeurs culturelles égales. Toutefois, on voit dans la Loi sur les langues officielles, pour l'inuktitut, une approche beaucoup plus générale, sur le plan culturel, que pour la langue française ou la langue anglaise. C'est ce que j'essaie de comprendre.

On me demande de voter sur un texte de loi et je veux comprendre ce à quoi je vais acquiescer demain. Je veux bien comprendre les implications de l'interprétation qu'on donnera de cette disposition. Éventuellement, son interprétation pourrait être différente, dans l'une ou l'autre des deux autres langues officielles, que ce à quoi on pourrait s'attendre dans l'exercice des droits et des fonctions. C'est ce que j'essaie de comprendre.

Mme Tremblay : Lorsque le commissaire voit à la mise en œuvre de la loi et répond aux plaintes, il doit interpréter les dispositions de la loi. Or, ces valeurs ne guident pas le commissaire en ce qui a trait à l'interprétation de la loi, mais plutôt dans sa façon de faire. Ce qui guide le commissaire dans l'interprétation de la loi est, entre autres, ce qu'on retrouve dans le préambule et la jurisprudence ordonnée par les tribunaux en ce qui concerne l'interprétation de ces dispositions. Par conséquent, l'article 22.(1) ne pourrait pas, à mon avis, être interprété ou utilisé pour réduire les droits linguistiques garantis dans la Loi sur les langues officielles du Nunavut.

Le vice-président : Nous avons pas mal cerné la question. En plus, l'article 2 de ce projet de loi vient veiller au maintien et au respect des droits constitutionnels et linguistiques de tous.

J'aimerais vous remercier d'être venues témoigner devant le comité. Vous transmettrez au commissaire toutes nos excuses pour les quelques difficultés techniques.

Nous suspendons la séance pour permettre aux prochains témoins de s'avancer.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous avons le plaisir d'accueillir M. Daniel Cuerrier, directeur général de l'Association des francophones du Nunavut.

Nous vous remercions d'avoir accepté de comparaître devant notre comité avec un préavis si court. Nous l'apprécions.

Je vous invite à faire votre déclaration, après quoi nous passerons à la période des questions.

Daniel Cuerrier, directeur général, Association des francophones du Nunavut : Madame la présidente, pour une deuxième fois en 15 mois, j'ai le plaisir de m'adresser à un comité du Sénat et je reviens avec un peu le même message que la première fois.

Bien que je me sente tout à fait privilégié de m'adresser à vous aujourd'hui, je suis aussi intimidé, car je n'ai pas votre érudition. Par conséquent, si vous m'invitez à commenter des articles de la loi, vous risquez de me perdre en cours de route.

J'aimerais vous parler de l'expérience que nous avons vécue au Nunavut et qui a mené à la rédaction et l'adoption de cette loi. Mais avant de commencer, j'aimerais remercier le sénateur Joyal ainsi que les autres sénateurs autour de cette table qui se sont interrogés à savoir s'il s'agit d'un bon ou d'un mauvais projet de loi. Malheureusement, les différentes étapes de l'étude du projet de loi ont semblé intéresser peu de monde. Au fond, si le Canada est plus conscient ce soir que le Nunavut existe vraiment et qu'il existe une Loi sur les langues officielles du Nunavut, c'est un peu grâce à vous.

Mes deuxièmes remerciements s'adressent aux membres du comité. Bien sûr, votre invitation a bousculé notre agenda, mais en même temps elle nous a fait apprécier le fait que vous réalisez l'importance, pour les habitants du Nunavut, que cette loi soit adoptée dans les plus brefs délais et qu'on puisse enfin passer à sa mise en œuvre.

En dernier lieu, je voudrais remercier Mme Leona Aglukkaq, qui, malgré l'ampleur de sa tâche comme ministre de la Santé, a quand même trouvé la volonté de faire adopter cette motion par la Chambre des communes, ce qui, comme on le sait, n'est pas une mince tâche alors que tout n'est pas important en ce moment à part l'ampleur du déficit. J'imagine que c'était un tour de force d'amener cela à la Chambre des communes.

Je voudrais vous présenter l'Association des francophones du Nunavut. Dans l'énoncé de mission de l'Association des francophones du Nunavut, on dit que notre objectif est d'œuvrer à l'affirmation et à l'épanouissement de la francophonie au Nunavut dans une perspective d'harmonie avec les autres cultures. Pour nous, c'est fondamental, on pense que vivre au Nunavut, c'est de se développer en harmonie dans la société dans laquelle on a décidé de vivre. Vivre au Nunavut, cela veut dire vivre avec le peuple inuit, cela veut dire respecter ses valeurs et aspirations.

Le Canada se distingue des États-Unis par trois principes ou trois réalités, la première étant la dualité linguistique, la deuxième, le système de santé universel et par le fait que le Canada est le pays qui a la plus grande frontière sur l'océan Arctique. Comme par hasard, il a l'entrée et la sortie du passage du Nord-Ouest. Il faut reconnaître et soutenir le Nunavut dans le développement de sa population pour justifier cette réalité et continuer de la revendiquer.

On a beaucoup parlé de l'ancienne Loi sur les langues officielles. Je voudrais vous parler des anciennes lois sur les langues officielles. On sait que dans la Loi sur les langues officielles de 1984, les droits de la minorité francophone sont protégés mur à mur. Dans tous les énoncés, dans tous les articles, partout où l'on regarde, c'est protégé. Il y a égalité de statut, il y a égalité de droit. Le gouvernement des TNO a l'obligation de servir sa minorité de langue officielle avec un niveau égal de services à celui de la langue de majorité.

Ici, ce n'était pas le cas en 1984, on parle l'anglais parce qu'à cette époque, la majorité était les Autochtones, mais ce n'est plus le cas.

Par ailleurs, il y a une pelletée de langues autochtones qui bénéficient d'une certaine protection en vertu de la loi de 1984, mais une protection qui est un petit peu comme un cadeau qu'on leur fait en disant : vous êtes bien fins, on ne veut pas que vous disparaissiez, mais surtout ne nous dérangez pas trop parce que les vraies langues, c'est l'anglais et le français.

Et il y a eu aussi une entente lors de la signature de cette loi en 1984 selon laquelle le gouvernement du Canada s'engageait à rembourser les frais excédentaires, à faire en sorte que le français deviendrait véritablement une langue avec un statut et des droits égaux dans le quotidien des gens. À ce jour, cela ne s'est pas fait parce qu'on a fait les mauvais choix, parce qu'on a fait le choix d'acheter au rabais les services en français ou on a fermé les yeux et fait semblant qu'il n'y en avait pas. Donc, si on fait un constat, cela va mal au niveau des langues officielles. Soyons honnêtes, disons-nous les choses comme elles sont.

Tous les gains qui ont été faits dans l'histoire, on peut parler autant de la loi canadienne que de la loi des Territoires du Nord-Ouest, l'on été à l'aide des tribunaux. Rien ne s'est fait de façon conviviale, suite à des collaborations ou à des élans de bonne volonté, cela s'est toujours fait à l'arraché. Cela a toujours été une activité pénible.

Tout cela pour dire qu'en 1999 et 2000, la communauté francophone des Territoires du Nord-Ouest a décidé d'amener le gouvernement territorial et le gouvernement du Canada en cour pour la bonne raison que c'est le gouvernement du Canada qui doit financer ses services, qui doit mettre la main dans sa poche et dire oui c'est vrai, c'est important parce que nous au Canada, on a deux langues officielles, on y tient parce que cela nous distingue du reste de la planète. Donc, il y a eu une longue bataille juridique qui s'est terminé cette année, cela fait dix ans que cela dure. Cela fait dix ans que la communauté francophone dans les Territoires du Nord-Ouest est ostracisée, que la communauté francophone est perçue comme des empêcheurs de danser en rond, comme des gens qui viennent foutre la merde dans le paysage calme et bucolique des Territoires du Nord-Ouest.

À la fin de tous ces exercices, des sommes phénoménales qui ont été dépensées en avocats, conseillers juridiques, transports, hébergements, et cetera, quelle a été la décision des juges? Essentiellement, la décision a été : assoyez-vous à la table et entendez-vous. Pratiquement, c'est ce que cela disait. On a dit que c'est systémique, c'est mal fait, cela n'a pas de bon sens, vous ne prenez pas vos responsabilités, mais quelque part il faut en sortir, assoyez-vous à la table et discutez. Comment allez-vous inciter à discuter deux personnes qui ne se parlaient pas depuis dix ans et qui s'ignoraient?

Tout cela est pour vous amener à la Loi sur les langues officielles au Nunavut et la raison pour laquelle la communauté francophone a décidé de l'épauler avec beaucoup d'enthousiasme. On parle ici d'un paradigme, d'un changement de paradigme au fond. En 1999-2000, quand la cause a commencé dans les Territoires du Nord-Ouest, on nous a demandé de nous associer. On s'est dit que cela n'avait pas d'allure de s'associer à une cause et de traîner notre gouvernement en cour alors qu'il venait d'être élu, il y avait trois mois. Donc, on s'est dit, on va donner la chance au coureur. C'est vrai, les services en français au Nunavut ne sont pas terribles, c'est un fait. C'est vrai aussi que cela tient à l'absence de financement, cela tient au fait que le gouvernement fédéral n'a pas respecté sa parole. Cela tient au fait que le gouvernement fédéral continue à tenter d'acheter au rabais les services en français au Nunavut comme il l'a fait dans les Territoires du Nord-Ouest et comme il l'a fait au Yukon.

Donc, ce qui est arrivé, c'est que le gouvernement du Nunavut nous a appelés et nous a dit : « On est en train de rédiger une loi sur les langues officielles parce qu'on veut une véritable loi qui réponde aux besoins des habitants du Nunavut et voulez-vous participer à l'exercice? » Sacré concept! Oui, on a embarqué. Je vous parle de cela comme si tout était rose. Ce n'est pas vrai. On s'engueule, on se colletaille, mais on se parle et on réussit à s'entendre, on fait des progrès et on avance ensemble. Tant et aussi bien qu'on a fait plusieurs recommandations au comité directeur chargé de la rédaction de la loi, qui se sont retrouvées dans le texte final; des recommandations, comme disait tantôt le commissaire Fraser, que lui-même a faites et qu'il a retrouvées dans le texte final. Donc, il y a une volonté manifeste.

À partir de là, on vient de changer la façon, on vient de changer la donne, on n'est plus dans une situation de confrontation, on n'est plus dans une situation d'un quêteux face à un riche qui voudrait lui donner des miettes tombées de sa table pour pouvoir le nourrir. On est dans une situation où l'on peut penser qu'on va être de véritables partenaires. Et c'est ce que l'on ressent, à tort ou à raison, on a bien sûr nos craintes, mais c'est ce qu'on ressent. C'est qu'on est considéré comme des partenaires, comme des humains à part entière et comme des citoyens dignes d'habiter le Nunavut et de travailler en partenariat avec les organismes territoriaux.

La beauté de cette loi, c'est que le gouvernement du Nunavut s'est imposé à lui-même une obligation de résultat. Vous le trouverez dans le texte de loi. Je ne peux pas vous dire le numéro de l'article. Cela fait trop longtemps que je l'ai lu, mais je sais qu'il existe. On a un conseiller juridique. Il a parlé avec les gens des commissariats du territoire et du gouvernement fédéral, au ministère de la Justice, on s'est échangé des idées, on a discuté puis on est arrivé au fait qu'on était d'accord avec l'approche.

Le gouvernement du Nunavut s'est imposé une obligation de développer un plan de mise en œuvre global, pas un plan agence par agence, ministère par ministère, mais un plan global de mise en œuvre qui fait en sorte que l'ensemble du gouvernement est obligé d'avancer à un certain pas. L'ensemble du gouvernement est obligé d'offrir des services à la population francophone et à la population inuit.

Pour la population inuite, je vais laisser ma consœur en parler. Elle est mieux placée que moi pour le faire.

Tout cela pour faire une longue histoire courte, on se préoccupe de savoir si les articles 22.(4) et 22.(3) sont correct. Et il y en a d'autres. Je pense que ce qu'il faut comprendre quand on lit la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nunavut, c'est qu'on est dans un autre monde que celui qu'on a connu auparavant. On fait une expérience au Nunavut. On est une espèce de rat de laboratoire où on se dit que c'est probablement en travaillant les uns avec les autres qu'on va avancer convenablement et rapidement et mettre en place une société respectueuse.

Ce qu'on vient vous demander ici, c'est de dire : quand est-ce qu'on commence? Le 4 juin 2004, l'Assemblée législative du Nunavut adoptait la loi. Cela a pris presque un an pour que cela arrive à la Chambre des communes. Aujourd'hui, on est devant le Sénat, on attend votre agrément pour se dire : on commence à travailler. On n'a pas attendu cela. Au mois de mars déjà, on a tenu un premier forum sur la mise en œuvre des services en français au Nunavut en se disant : on aura cela de fait quand l'agrément va venir, on sera prêt à commencer à travailler.

Donc on progresse un peu envers et contre tous, dans une espèce d'incompréhension totale de la part du sud du pays. Comme je vous le disais, on est à part. Ce n'est pas parce qu'on vient de loin et parce qu'on vit sur la banquise, mais on est différent du sud du pays.

Pour ajouter à tout cela, c'est quoi le risque? Le risque que cela fonctionne enfin? C'est un beau risque. Une autre chose qui est dans la loi, c'est qu'au bout de cinq ans, elle devra être révisée. Donc dans notre plan de mise en œuvre, on se donne des résultats à atteindre, on se donne des façons de mesurer les résultats et en plus de cela, les bretelles en plus de la ceinture, on révise la loi dans cinq ans.

Il faut enfin décider et dire : on progresse, on essaie et on avance. En 2013, la date où la loi devrait être révisée, il va probablement falloir accorder une extension d'une année parce qu'elle n'est toujours pas en vigueur.

On revient souvent sur le problème qu'on a fait des choix comme société au Canada, d'être un pays bilingue et on passe notre temps à essayer d'économiser, de tricher, de voler sur les coûts. C'est un choix de société. Il faut vivre avec les conséquences de ses choix, donc il faut mettre les argents où il le faut. On le met pour sauver Chrysler et GM, mais pas pour sauver ce qui fait la distinction du Canada à travers le monde.

J'aimerais vous laisser avec une suggestion. Tantôt, le sénateur Joyal et d'autres membres du comité, je pense que c'est vous, sénateur Fraser, avez demandé si on peut avoir des garanties que cela fonctionne? Est-ce qu'on peut s'assurer que cela va fonctionner? J'aimerais vous suggérer que le Sénat devrait penser à mettre sur pied un comité de suivi. Je ne sais pas comment fonctionne la mécanique au Sénat. Ce pourrait devenir un comité tripartite où il y aurait des représentants du Sénat, des représentants du gouvernement du Nunavut et des représentants des communautés où, deux fois par année, on échangerait des idées et on regarderait le chemin parcouru pour s'assurer qu'on garde le cap et qu'on s'en va dans la bonne direction.

On va vous demander de faire les pressions nécessaires pour que les fonds soient débloqués et qu'on ait le financement qu'il faut pour que ça marche. C'est facile de dire dans cinq ans ou dans dix ans, non, cela a foiré, cela ne marche pas, mais on n'a jamais eu les argents pour faire en sorte que cela puisse fonctionner. Il faut se donner les moyens que cela fonctionne. Il faut se faire confiance.

La présidente : Merci beaucoup. Je peux vous dire que vous n'aviez pas besoin d'être nerveux avant de venir ici. Vous témoignez avec une éloquence rare. Vous savez de quoi vous parlez.

Le sénateur Nolin : Merci madame la présidente. Monsieur Cuerrier, sans vouloir entrer dans la légalité, il n'en reste pas moins et je pense avoir entendu une réponse satisfaisante tout à l'heure, mais je veux l'entendre de vous aussi, il y a des droits qui ont été maintenus, reconnus dans la loi qui est encore en vigueur, avant que le projet de loi qu'on a sous les yeux soit mis en vigueur, il y a la loi actuelle.

On ne parle pas d'une collectivité énorme, mais il y a quand même des individus qui ont des droits et qui vont les perdre. Notre préoccupation est de savoir que si les gens perdent des droits et l'acceptent, c'est leur droit, mais on veut être convaincu que les gens sont au courant que leurs droits vont être modifiés et qu'ils l'acceptent.

Est-ce que vous avez entendu la réponse de M. Cloutier tout à l'heure, est-ce que vous êtes d'accord avec cette réponse?

M. Cuerrier : Je pense que ma réponse aura deux volets. Le premier ne va pas vous faire plaisir, c'est que oui, ces gens ont des droits et ils en ont depuis 1984, mais cela fait depuis ce temps qu'on bafoue leurs droits, qu'on ne se préoccupe pas de leur offrir quelques services que ce soit ou, quand on le fait, on le fait au rabais.

Le deuxième volet de ma réponse est le suivant : le gouvernement du Nunavut, quand il a décidé de rédiger une nouvelle Loi sur les langues officielles, a fait appel à l'ensemble de la population. Il s'est déplacé, les représentants du gouvernement se sont déplacés partout au Nunavut.

Quand on vit au Nunavut, on sait que c'est facile de mener des consultations pour ne pas rejoindre les gens. À certaines saisons, les villages se vident. Les gens sont partis camper, chasser sur la banquise. Donc si on fait une consultation là, c'est facile de dire qu'on a consulté tout le monde, qu'on est allé dans telle communauté. Mais on l'a fait dans une saison où on ne pouvait pas joindre les gens.

Ce que je peux vous dire, c'est que ce genre de consultations a été fait dans les pratiques du Nunavut où on savait qu'on pouvait joindre le monde. Est-ce qu'on a rejoint les 25, 30 ou 50 personnes qui pouvaient être touchées par cela? Je ne peux pas répondre à cela. Ce que je sais, c'est que cela s'est fait d'une façon transparente et dans l'approche positive.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Cuerrier, lorsque je lis le projet de loi sur les langues officielles au Nunavut, je ne peux pas m'empêcher de le lire en complément à la Loi de la protection de la langue inuit. Cette Loi sur la protection de la langue inuit est très complète. Il y a 44 articles. Certains articles vont très loin. C'est un peu comme la langue officielle, la Loi sur la langue officielle au Québec, la loi 101. Elle couvre tous les secteurs d'activité, l'affichage, l'étiquetage, l'éducation, la langue de travail et même la langue d'usage dans le secteur privé parce que de la façon dont les définitions sont faites dans le projet de loi, cela couvre également les entreprises du secteur privé.

Comment voyez-vous la complémentarité de votre statut comme minorité de langues officielles au Nunavut par rapport à celui de la majorité qui va nécessairement dans quelques années être de langue inuktitut et s'afficher et vivre comme tel en inuktitut? Comment va-t-on arriver à coordonner ou à arrimer ces deux types de langue, de système et de société parce qu'une langue structure une société. Une langue qui est parlée par la majorité structure la vie d'une société. On le sait très bien.

Je ne connais pas vos ascendants, si vous êtes Franco-Canadiens ou du Québec, mais il n'en demeure pas moins que vous lisez les journaux, vous entendez les débats qui se passent au Canada. Lorsque j'affirme cela, cela doit représenter dans votre esprit des images ou des perceptions.

Comment pouvez-vous aujourd'hui nous rassurer que le phénomène qui est en cause actuellement, qui est en cours, d'une langue dominante inuite, va pouvoir vous ménager l'espace linguistique et culturel qui peut être le vôtre et pour lequel dans le passé vous sembliez relativement amer puisque les ententes de 1984 n'ont pas, je ne peux pas vous citer tel quel, livré la marchandise à laquelle on s'attendait.

M. Cuerrier : Je ne pense pas que je suis amer. Si cela a passé, ce n'était pas le bon sentiment que je voulais laisser passer. C'était un cliché sur l'état de la situation que je tentais de faire. Ce n'est pas de l'amertume.

Par contre, c'est presque une grande joie de voir qu'on peut faire les choses autrement. Quelque part, j'ai découvert cela parce que je vis au Nunavut. On sort du concept, on tient le fort et on ne veut pas qu'il rentre. On arrive plus dans un concept où on cherche la concertation, le consensus et faire en sorte que tout le monde sorte gagnant. Dans le domaine de l'entrepreneuriat, c'est une expression très courue. Cela prend des ententes gagnantes. On a l'occasion de le vivre davantage chez nous qu'au sud du pays. En passant, je viens de Montréal.

Pour revenir à votre question, j'espère pour le peuple inuit que ce n'est pas qu'un rêve. Honnêtement, j'espère que ce peuple gagnera son pari et que la langue inuktitut deviendra la langue usuelle sur le territoire. Il faut comprendre que les Inuits représentent 30 000 personnes, peut-être 50 000 au Canada, en comptant dans tous les recoins. Cela ne prend pas une grosse vague d'immigration pour annihiler cela. Cela ne prend pas non plus beaucoup de générations perdues pour perdre l'usage de la langue.

Déjà, on constate, dans un centre comme Iqaluit, que nous on appelle un grand centre, pour vous c'est un petit village, que les jeunes de 15 ou 18 ans sont incapables de communiquer avec leurs grands-parents parce que le jeune est unilingue anglophone et le grand-parent est unilingue inuktitut. C'est un défi. C'est un véritable défi. Il faut mettre les énergies nécessaires pour relever ce défi et faire en sorte que l'inuktituk reprenne la place qui lui revient.

C'est sûr qu'on a des inquiétudes, un jour, quand ils vont être à la fois dominants en nombre et dans l'usage de leur langue, ils vont nous sacrer dehors. Cela se peut, mais c'est un risque à prendre, c'est un choix qu'on fait et c'est un choix éclairé qu'on fait. On n'est pas des gens démunis, dépourvus, qui se font abuser ici. On est en mesure de prendre des décisions intelligentes, de faire des partenariats, de travailler avec les Inuits et les anglophones.

Donc, il y a un risque. Mais est-ce que le risque ne vaut pas l'atteinte du rêve? Je pense que oui. Au bout de l'exercice, je pense que dans la mesure où nous aurons su contribuer à l'atteinte de ce rêve, on sera reconnu pour cela et on ne se retrouvera pas dans une situation de se faire varloper. C'est peut-être de l'utopie totale, mais c'est ma conviction profonde.

Le sénateur Joyal : Quand vous mentionniez tantôt que toutes les victoires ont été obtenues suite à des décisions judiciaires, une minorité n'est jamais mieux protégée que lorsque ses droits sont bien affirmés et bien garantis dans une loi. Puisque bien sûr, un recours judiciaire est toujours une solution de dernier recours comme dit le dicton populaire, la plus mauvaise entente est encore mieux qu'un procès. Mais il n'en demeure pas moins que dans le contexte rapport majorité/minorité, il y a toujours un besoin d'avoir un encadrement juridique.

Est-ce que dans l'expérience que vous avez eue au Nunavut, cette possibilité d'avoir recours aux tribunaux en dernier recours est un élément important pour vous dans l'organisation sociale qui structure les rapports au Nunavut sur des questions linguistiques?

M. Cuerrier : Au moment où on se parle, ce n'est même pas sur l'écran radar. Ce qu'on cherche, c'est à s'entendre. Jusqu'à maintenant, on a de l'écoute. Jusqu'à maintenant, on a le sentiment qu'il y a des efforts sincères qui se font et qu'il y a une volonté évidente pour faire en sorte que cela fonctionne. Malgré le fait qu'il n'y a, à toutes fins utiles, pas ou peu de services en français au Nunavut, on a quand même espoir que dans les années qui viennent, la situation va changer.

Cela ne va pas changer du jour au lendemain et on en est tout à fait conscient, mais la volonté de changement est là et on la sent réelle. Donc on a le goût de s'accrocher à cela et de faire en sorte que cela fonctionne et que cela arrive.

On n'est pas « tata » non plus. On est tout à fait conscient que la communauté francophone est la dernière minorité, parce que la dynamique, c'est qu'il y a deux minorités au Nunavut et l'une d'elles bénéficie d'une langue dominante. On en parle comme d'une majorité, mais ce n'est pas une majorité. Si on répartit au Nunavut, il y a 86 p. 100 d'Inuits, 13 p. 100 d'anglophones et un et demi p. 100 de francophones. Partout où on va, on parle en anglais. On veut des services de la part du gouvernement, on les a en anglais. On veut se faire soigner à l'hôpital, on se fait soigner en anglais. Les Inuits peuvent difficilement avoir des services dans leur langue parce que le gouvernement fonctionne en anglais.

C'est tout à fait légitime que de vouloir avoir les services en français et en inuktitut. Ce n'est pas un concept interstellaire cette affaire-là. C'est juste le gros bon sens qui dit qu'il faut que cela arrive. Et cela va placer les choses dans leur juste perspective aussi. On a une majorité d'Inuits, parlant l'inuktitut, en mesure d'obtenir des services, d'échanger et de vivre dans leur langue maternelle, de préserver leur culture et d'en favoriser l'épanouissement, si nous, on peut contribuer à cela, tant mieux.

En même temps, on va trouver notre place et on va trouver le genre de service dont on a besoin et on aura, j'en suis convaincu, un retour d'ascenseur là-dessus.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Monsieur Cuerrier, dans la Loi sur les langues officielles, il y a des mots en inuktitut dans les versions anglaise et française qui, je présume, ne peuvent être traduits ni en anglais ni en français.

M. Cuerrier : C'est exact.

Le sénateur Milne : Est-ce que cela vous préoccupe que le commissaire soit tenu d'appliquer un concept exprimé en inuktitut — Qaujimajatuquangit — dans l'exercice de ses pouvoirs et qu'il puisse consulter les sages pour trouver des mécanismes de règlement des différends? Cela vous préoccupe-t-il? Savez-vous ce que signifie ce mot?

M. Cuerrier : Oui, il signifie respect, vivre ensemble dans le respect de l'autre. C'est donc un concept assez simple, et j'encouragerai peut-être mon commissaire à appliquer ce principe. Nous disons « IQ » parce que nous n'arrivons pas à prononcer le mot. Chez moi, je me pratique à le prononcer, mais je n'oserais pas le faire ici. C'est réconfortant pour moi de savoir que ce principe sous-tend le mandat du commissaire. C'est une façon de dire, tout simplement : « Vous êtes au Nunavut, vous devez vous comporter comme un habitant du Nunavut, et notre culture est enracinée dans le respect de l'autre ». Il n'y a donc pas là de quoi s'inquiéter.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Cuerrier, je respecte votre témoignage lorsque vous dites que vous ne voulez pas qu'on lise de l'amertume dans vos propos. Cependant, je perçois dans votre pragmatisme une volonté définitivement avouée par la minorité canadienne-française qui vit au Nunavut de partager le rêve de la pluralité inuit. Par contre, je sens dans votre témoignage un élément de reddition. Vous avez dit : « On s'est fait taper sur les doigts, on a été identifiés comme les empêcheurs de danser en rond. » C'est en quelque sorte une certaine résignation que je perçois dans votre témoignage et cela me préoccupe, car vous avez des droits. Il va sans dire que 1,3 p. 100 de la population sur un territoire aussi vaste que le Nunavut est une proportion infime. Il demeure que vous avez des droits et je veux que ces droits soient protégés. Mais j'entends votre pragmatisme.

M. Cuerrier : En tenant ces propos, je n'ai parlé ni de moi, ni des Franco-Nunavois, mais des francophones des Territoires du Nord-Ouest. Ce sont les Franco-Ténois qui ont traversé ce désert et non les francophones du Nunavut. Ce sont eux qui, aujourd'hui, en 2009, se retrouvent avec un jugement de la Cour suprême des Territoires du Nord- Ouest qui leur ordonne de s'asseoir à une table pour arriver à une entente. C'est ce dont je parlais. Pour notre part, nous ne ressentons pas ce sentiment, car ce n'est pas ainsi que nous procédons. À notre avis, les principes importants sont le respect les uns envers les autres, le respect de la différence et tenter de trouver un terrain commun dans lequel et pour lequel travailler.

Mes propos reflétaient les paroles de mes amis franco-ténois, des membres de la fédération franco-ténoise, du président de l'Association franco-ténoise. Ce dernier s'est senti obligé de démissionner, car il ne pouvait supporter l'idée de se retrouver dans la même pièce que ces gens du gouvernement avec qui il devait désormais travailler après une lutte de dix ans.

Le sénateur Nolin : Je comprends mieux vos propos. On sent dans votre témoignage à la fois ce rêve commun et aussi le pragmatisme d'une communauté. Le pourcentage de 1,3 p. 100 représente combien de personnes de la communauté francophone?

M. Cuerrier : Tout dépend qui vous écoutez.

Le sénateur Nolin : Je vous écoute.

M. Cuerrier : Statistique Canada vous parlera de 415 personnes. Selon nos données, on compte environ 1 000 francophones au Nunavut. De ces 1 000 francophones, entre 700 ou 750 vivent à Iqaluit. La population est donc très concentrée.

La présidente : Monsieur Cuerrier, vous avez parlé, avec raison, du financement. Par le passé, il est arrivé que le financement soit insuffisant pour subvenir aux besoins de toutes les minorités. Vous avez parlé de trois minorités linguistiques au Nunavut.

La deuxième partie de ma question touchera les fonds prévus au projet de loi. Ma première question est la suivante : les besoins vont-ils augmenter?

M. Cuerrier : Les besoins n'augmenteront pas. Au contraire, on sera en mesure d'utiliser l'argent de façon plus efficiente. Déjà, on commence à travailler ensemble plutôt que transiger dans un antagonisme mutuel.

J'ai la conviction que nous sommes capables, à partir du même financement, d'offrir une meilleure qualité de services et un plus grand nombre de services.

La présidente : Je trouve cet énoncé tout à fait fascinant. Je crois que c'est la première fois que j'entends de tels propos de la part d'un groupe venant témoigner devant nous.

M. Cuerrier : Toutefois, je veux m'assurer d'être bien compris. Je ne prétends pas que la somme de 1,4 million de dollars que l'on reçoit actuellement est suffisante. Si on désire offrir de véritables services en français — ce qui n'est pas le cas présentement — il faut l'argent nécessaire.

Avec la loi de 1984, pour répondre aux besoins réels du Nunavut, si on désire offrir des services en français, le coût représente entre 6 et 7 millions de dollars. Or, on nous offre 1,4 million de dollars présentement, ce qui est loin du compte.

La présidente : Pour les services en français?

M. Cuerrier : Oui.

La présidente : En plus, si l'on veut vraiment que se réalise le rêve de voir s'épanouir la langue et la culture inuites, il faudra tout de même des efforts financiers importants. Il faudra des écoles et toute une panoplie de choses.

M. Cuerrier : Tout à fait.

La présidente : On parle donc de besoins financiers importants. Toutefois, je veux bien comprendre vos propos. Vous avez dit : « On a fait un choix et il faut vivre avec les conséquences de ce choix. »

M. Cuerrier : C'est exactement ce que j'ai dit.

La présidente : Vous parlez de notre choix d'être un pays avec deux langues officielles. Nous parlons maintenant d'un territoire avec trois langues officielles. Si le Parlement endosse ce choix, il faudra qu'il en accepte les conséquences. Est-ce que je comprends bien la teneur de vos propos?

M. Cuerrier : Tout à fait. Le Parlement doit agir, mais en connaissance de cause.

La question est importante. Ce qui m'a déçu, la semaine dernière, à la Chambre des communes, est le fait que la motion fut adoptée devant des sièges vides. On a adopté la motion sans toutefois peser les conséquences d'une telle motion.

Quand le gouvernement du Canada a signé l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, il s'est engagé à investir — ce qu'il n'a pas fait.

Il ne suffit pas de signer un document.

Alors, il faut qu'enfin on mette les sommes nécessaires pour que cela fonctionne. Ce n'est pas sorcier. C'est bien beau de signer un papier. On vit tout cela dans notre budget familial, c'est pareil. Je vous mentionnais GM tantôt. C'est un choix qui a été fait. Il y a une conséquence. La même chose s'applique. On a décidé d'être un pays bilingue, on a décidé d'avoir le Nunavut, que notre frontière allait jusqu'au pôle Nord, pour cela, il faut investir pour assurer la pérennité de ces choses.

La présidente : Merci infiniment.

M. Cuerrier : Merci à vous de m'avoir écouté.

Le sénateur Joyal : Est-ce que le temps est terminé?

La présidente : C'est-à-dire que nous avions déjà un très grand retard à cause des difficultés de la vidéoconférence.

Le sénateur Joyal : Monsieur Currier, je suis curieux, pardonnez-moi je ne veux pas faire de jeux de mots, à quoi cela correspond être francophone au Nunavut?

Le sénateur Nolin : En 30 secondes.

M. Cuerrier : Je ne veux pas vous faire de la peine, mais cela va vous coûter cher de vin pour qu'on vide la question. À quoi cela correspond être francophone au Nunavut? Cela veut dire une occasion de travailler différemment. Cela veut dire une occasion de se mettre à l'écoute davantage des gens autour de soi et cela veut dire une occasion de faire en sorte de démontrer que le Canada, cela peut marcher si on décide d'arrêter d'être un contre l'autre et de travailler les uns avec les autres. Je suis bien conscient qu'à l'âge que j'ai, je ne verrai pas cela arriver.

Mais je tiens à travailler dans cet esprit, je tiens à travailler dans le sens où il y aura trois langues, trois cultures capables de vivre en harmonie et en s'aidant et en se développant mutuellement. Pour moi, c'est cela être francophone au Nunavut, ne pas perdre ma langue ni ma culture dans l'échange. J'ai réussi et je suis très fier d'avoir mis deux enfants au monde au Nunavut et les voir grandir et maintenant, ils sont des adultes qui parlent en français, et pour eux c'est fondamental de parler en français. Donc, cela se peut.

[Traduction]

Le sénateur Dickson : Je vous félicite, votre exposé était excellent, monsieur.

M. Cuerrier : Merci.

Le sénateur Dickson : Votre exposé a été très convaincant et vous êtes un formidable témoin. Voici ma question : les francophones d'Inuvik appuient-ils ce projet de loi unanimement?

M. Cuerrier : Cela nous ramène à ce que j'ai dit en réponse à la question du sénateur Nolin. Nous avons parlé aux francophones. Nous les avons consultés. Nous avons tenu de nombreuses réunions publiques auxquelles tous ont été invités. Nous avons employé tous les moyens de communication auxquels nous avons pu penser pour recueillir des renseignements et personne n'a exprimé d'objections.

Comme je l'ai dit plus tôt, nous sommes que de 700 à 750 à Iqaluit. Il est donc assez facile de rencontrer tout le monde en moins d'un mois. Il est toutefois plus difficile de sonder ceux qui habitent ailleurs. Nous avons communiqué avec eux par courriel et par d'autres moyens.

Le sénateur Dickson : Vous ne réclamez pas de modifications au projet de loi, n'est-ce pas?

M. Cuerrier : Non. Je crois que le temps est venu d'adopter le projet de loi.

La présidente : Nous accueillons maintenant Alexina Kublu, la commissaire aux langues du Nunavut. Nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue. Tous nos témoins sont venus à court préavis, et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir témoigner aujourd'hui. Nous vous prions de faire votre déclaration préliminaire. Il y aura ensuite des questions.

Alexina Kublu, commissaire aux langues du Nunavut, Commissariat aux langues du Nunavut : Merci de m'avoir invitée.

Mme Kublu : La langue a le pouvoir d'informer, d'éduquer et de communiquer. C'est ce qui est à la base de notre passion pour les droits linguistiques au Nunavut. C'est la force qui nous a motivés, nous tous qui avons consacré d'innombrables heures aux consultations, à la recherche et à la rédaction de cette nouvelle loi sur la langue.

Je vais tenter de résumer les responsabilités du Commissariat aux langues du Nunavut et sa contribution de la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nunavut.

En vertu de la loi existante, que nous avons héritée des Territoires du Nord-Ouest, mon rôle principal, à titre d'ombudsman, est de protéger les droits linguistiques des habitants du Nunavut, les locuteurs de l'inuktitut, des dialectes inuinnaqtun, du français, de l'anglais, ainsi que des groupes linguistiques dénés et cris.

Il y a très peu d'habitants, voire aucun, qui parlent déné et cri au Nunavut. Il n'y a pas de colonie de peuplement; il n'y a pas de groupe. C'est pourquoi la nouvelle Loi sur les langues officielles ne mentionne pas les langues déné et cri. Le Yukon n'a pas des dispositions législatives pour sauvegarder l'inuktitut et c'est pourquoi de la même façon, la Loi sur les langues officielles du Nunavut ne prévoit pas de sauvegarde pour le gwich'in. C'est là une des anomalies dont nous avons hérité de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest.

Notre situation est différente de celle des Territoires du Nord-Ouest. C'est pourquoi le Commissariat aux langues officielles demande depuis longtemps l'adoption d'une nouvelle loi sur les langues au Nunavut. Les consultations ont commencé dès que le Nunavut a été créé.

Nous avons participé activement au sein du comité de rédaction qui a élaboré cette nouvelle législation sur les langues. Mon bureau estime que l'importance de la Loi sur les langues officielles ne peut pas être sous-estimée. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

Depuis la création du Nunavut, depuis neuf ans, le Commissariat aux langues a procédé à des consultations et à de la recherche sur les droits linguistiques. J'ai sous la main le rapport final à cet égard. Les consultations ont été très extensives. Elles ne se sont pas limitées au Nunavut. Nous avons tenu des consultations au Nunavik, au Labrador, au Groenland et dans les Territoires du Nord-Ouest, là où la langue inuite est parlée, en même temps que d'autres langues, comme le français, dont Daniel Cuerrier vous a parlé.

Des consultations, officieuses et officielles, représentent un prolongement naturel des devoirs du bureau. J'occupe le poste de commissaire aux langues depuis le 26 janvier de cette année et en raison de mon travail sur la langue inuite, j'ai été une des personnes consultées.

Les fonctions du commissaire aux langues portent sur la surveillance des droits linguistiques officiels, la préparation de recommandation à l'intention des membres de l'Assemblée législative et du gouvernement du Nunavut quant à la meilleure façon de faire respecter les droits linguistiques, de défendre les langues officielles au Nunavut et de renseigner le public sur toute question concernant les droits linguistiques.

En ce moment, bien des gens sont à l'écoute, à la radio et à la télévision, pour se renseigner sur ce qu'il advient de notre Loi sur les langues officielles.

Au cours de ces neuf ans, le bureau a fait de la recherche sur la nature et la portée qu'il convenait de donner à cette loi. On a fait de la recherche sur les mesures de protection adoptées dans le cas d'autres langues minoritaires. Cette recherche a confirmé notre conviction que l'abandon de droits linguistiques aboutit à la disparition d'une langue à moins que des mesures pour la revitaliser soient adoptées.

C'est notre bureau qui a recommandé une commission de la langue inuite, une Loi sur la protection de la langue inuite et une Loi sur les langues officielles. Le comité de rédaction était constitué de représentants du gouvernement du Nunavut, de Nunavut Tunngavik Incorporated et d'un conseiller juridique. Ce comité pouvait compter sur les consultations et la recherche effectuées par notre bureau.

Les résultats de la recherche ont confirmé l'avis d'un grand nombre d'Inuits et de Qallunaats, y compris des habitants de l'extérieur du territoire, à savoir que notre langue était celle de la majorité dans le territoire connu désormais sous le nom de Nunavut, et que cette langue avait été marginalisée. La langue avait été virtuellement exclue du système d'éducation, du gouvernement et d'une grande partie du secteur privé. Je dois dire que cette situation de marginalité qui frappait notre langue nous a sensibilisés aux besoins et aux droits des autres groupes parlant une langue minoritaire. En l'occurrence, au Nunavut, il s'agit du français.

En raison de mon travail pour la langue inuite, je me suis déplacée et j'ai travaillé sur l'inuktitut au Nunavik et au Labrador. J'ajoute que nous avons constaté une sympathie fraternelle au Québec de la part de ceux qui y parlent français et inuktitut alors que l'anglais est là aussi la langue majoritaire.

Notre collaboration avec la communauté francophone dans l'élaboration de cette loi a été constante. M. Cuerrier vous en parlé plus tôt. Même maintenant, si vous allez à Iqaluit, vous y verrez un affichage trilingue. Cela est la preuve, à Iqaluit en tout cas, qu'il existe des bases pour une société trilingue. Les mariages mixtes entre francophones et inuits, le travail au sein du gouvernement fédéral et des gouvernements territoriaux, les coentreprises ou les activités sociales tissent des liens étroits entre les deux communautés.

Certains Inuits parlent aussi français. Lors d'un recensement, on ne peut pas déclarer qu'une seule langue ou un seul groupe ethnique, si bien que le plus souvent les gens sont enregistrés comme Inuits, c'est-à-dire qu'ils parlent l'inuktitut. Voilà pourquoi M. Cuerrier a dit que le recensement révélait certaines choses, mais que la réalité était tout autre. Il y a des Inuits qui parlent français et inuktitut, pour que vous me compreniez bien.

Les statistiques sur la langue ne tiennent pas compte des Inuits qui parlent français, si bien que nous estimons que notre nouvelle loi offre la plus grande protection possible pour la langue française à l'extérieur du Québec. Cela explique pourquoi les membres de la communauté francophone appuient cette loi en grand nombre.

Bon nombre d'entre nous ont assisté avec tristesse au déclin de l'utilisation de la langue inuite en raison de la pression constante qu'exerce l'anglais. C'est en grande partie dû à la télévision. La télévision, que nos jeunes regardent, contribue énormément à l'érosion de notre langue.

Pour les aînés, cela signifie que leur monde se rétrécit. Nos aînés ne parlent et ne comprennent que l'inuktitut. Pour eux, quand la télévision est allumée, ce n'est que du son. Ils ne comprennent pas ce qu'on dit. Pour les jeunes, cela signifie aussi que leur monde s'est rétréci car ils ne participent pas aux conversations que leurs grands-parents tiennent entre eux. Par conséquent, ils vivent dans l'aliénation de leur culture historique et spirituelle — qui est la mienne également — et des fondations sociales.

Je siège au conseil d'administration de l'Association canadienne pour la prévention du suicide. Le rétrécissement de ce monde a entraîné une grande confusion qui a énormément contribué à nos problèmes sociaux. La nouvelle Loi sur les langues officielles nous donne le moyen de renverser cette tendance en affirmant nos droits linguistiques, en même temps que les droits des francophones et des anglophones. L'autre loi, la Loi sur la protection de la langue inuite, sert à revitaliser et à protéger la langue inuite. Ainsi, c'est une loi autonome, mais désormais elle pourra s'arc-bouter à la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Je vous encourage à prendre en considération que la valeur des droits linguistiques constitue un pilier essentiel pour contribuer à la survie de la culture d'un peuple — la culture de mon peuple, ma culture. J'exhorte le Sénat à approuver la nouvelle Loi sur les langues officielles.

La présidente : Merci infiniment, madame Kublu.

Le sénateur Nolin : Merci, madame Kublu.

La loi n'est pas encore en vigueur et pourtant, votre bureau existe déjà, n'est-ce pas?

Mme Kublu : Quand le Nunavut a été créé, il a hérité d'un grand nombre de lois des Territoires du Nord-Ouest, et la loi des Territoires du Nord-Ouest permet la nomination d'un commissaire aux langues. Le premier commissaire aux langues est entré en fonction en novembre 1999.

Le sénateur Nolin : C'est vous qui dirigez le bureau depuis février, n'est-ce pas?

Mme Kublu : Oui.

Le sénateur Nolin : Combien compte-t-il d'employés?

Mme Kublu : Actuellement, nous sommes quatre au bureau. Notre mandat sera élargi par l'adoption de la Loi sur la protection de la langue inuite et de la Loi sur les langues officielles bonifiée. Nous envisageons d'embaucher un enquêteur francophone et un enquêteur de langue inuite qui seront chargés de faire de la recherche. Étant donné que la Loi sur la protection de la langue inuite dispose que le secteur privé doit se conformer, nous aurons également un agent de liaison avec le secteur privé.

Le sénateur Nolin : Dans vos remarques, vous avez dit que certains de vos citoyens de langue inuite utilisaient le français comme autre langue. Pouvez-vous nous en dire davantage là-dessus? Qu'est-ce qui explique cela? Est-ce le résultat d'un mariage mixte?

Mme Kublu : Essentiellement, oui, c'est le résultat de mariages mixtes. Les enfants grandissent en parlant les deux langues.

Le sénateur Nolin : Ce sera ma dernière question. Je trouve intrigant que vous ayez participé à des consultations en dehors de votre territoire de compétence. Vous avez parlé du Groenland et du Labrador. Il est vrai que vous avez une langue commune. Est-ce ce qui explique pourquoi il y a eu des consultations à l'extérieur du Nunavut?

Mme Kublu : Pour être en mesure de comprendre notre position en tant que langue minoritaire — bien que nous représentions la majorité de la population, nous avons néanmoins une langue minoritaire —, nous voulions être capables de savoir ce qui s'est passé dans les autres groupes inuits également.

Le sénateur Nolin : Qu'avez-vous appris?

Mme Kublu : Que nous, au Nunavut, nous sommes en meilleure posture qu'eux.

Le sénateur Nolin : Merci beaucoup.

[Le sénateur Watt s'exprime brièvement en inuktitut.]

Le sénateur Watt : Pour traduire ce que je viens tout juste de dire, j'aimerais être en mesure d'exprimer mes sentiments et de parler aux témoins directement dans ma langue maternelle. Puisque nous n'avons pas accès à des interprètes, je n'ai d'autre choix que de faire de mon mieux pour m'exprimer en anglais.

Premièrement, je vous souhaite la bienvenue et vous félicite pour votre nouveau poste. Si je comprends bien, il y avait déjà un poste de commissaire à la langue qui vous attendait. J'essaie de mieux comprendre et de mieux assimiler la nature de votre responsabilité relativement aux questions linguistiques.

Je pense que vous avez agi d'une façon très judicieuse en choisissant de mieux comprendre ce qui se passe au Québec, au Labrador et au Groenland, parce qu'il y a des similitudes quant aux difficultés que vivent les Inuits.

Premièrement, permettez-moi de vous dire que cela tardait à venir. J'appuie sans réserve l'idée, en principe. J'aurais souhaité avoir plus de temps — et je pense que mes collègues disent la même chose — pour traiter cette question. Cela dit, comme vous le savez, quand vous adoptez une loi, si vous n'êtes pas prudent, certaines choses peuvent vous hanter plus tard. Notre principale responsabilité en tant que sénateurs est de faire en sorte que la loi qui sera adoptée par la Chambre des communes et sanctionnée par le Sénat, si vous voulez utiliser ce terme, soit examinée minutieusement.

La loi concerne le peuple, et c'est lui qui doit s'en accommoder. Cet instrument ainsi créé sera également utilisé par d'autres parties intéressées, quelles qu'elles soient. Le peuple peut considérer que ses droits sont violés et, par conséquent, il peut décider d'intenter une action en justice. Pour ces raisons, en tant que membre de ce comité, j'ai appris que nous faisons de notre mieux pour essayer de présenter des lois aussi parfaites que possible — c'est-à-dire, qu'on ne peut pas contester. C'est là une de nos principales responsabilités en tant que sénateurs et en tant que chambre de second examen objectif.

D'après ce qu'ont dit mes collègues, je crois comprendre qu'ils appuient la survie de la langue. Comme vous le savez, le sénateur Adams et moi sommes en mesure d'encourager nos collègues ici au Sénat à reconnaître la langue inuktitut — et la personne assise à côté de moi, à ma gauche, a joué un rôle clé à cet égard — pour que le sénateur Adams et moi puissions nous exprimer dans notre langue maternelle. Je suis très reconnaissant à nos collègues.

Je peux vous assurer qu'ils ne sont pas en train de vous interroger pour qu'à la fin, le projet de loi ne soit pas adopté. Nous voulons nous assurer que la loi dont vous hériterez dans votre territoire fonctionnera pour vous. Telle est notre fonction.

Madame la présidente, je n'ai pas de questions, car j'appuie le projet de loi.

La présidente : Madame Kublu, aimeriez-vous faire une remarque?

Mme Kublu : J'occupe ce poste depuis janvier. Avant cela, j'étais juge de la paix principal pour le Nunavut. Je m'occupais de la détermination des peines, parce qu'au Nunavut, nos juges de la paix président les audiences et déterminent la peine. Je présidais en inuktitut. Dans le cas des inculpés qui ne parlaient pas l'inuktitut et quand l'inculpé était Inuit, on avait recours à des interprètes. Je connais très bien la bible de notre juge, le Code criminel.

Au cours des sept dernières années, j'ai vu les nouveaux articles qui ont été ajoutés. Je suis au courant du travail fait par le Sénat avant l'adoption d'une loi. Je suis contente de voir que le Sénat consacre autant d'efforts à notre Loi sur les langues officielles que lorsqu'il étudie des modifications au Code criminel.

Le sénateur Corbin : Très bien.

Le sénateur Watt : J'ai passé la soirée hier à parcourir les lois et toute la documentation. Je me souviens avoir lu qu'après cinq ans, la loi fera l'objet d'un examen.

Mme Kublu : Oui, un examen est prévu après cinq ans.

Le sénateur Watt : Je suppose qu'il serait important que le comité veille à ce que nos délibérations vous soient communiquées pour que vous puissiez utiliser cette information lorsque vous réaliserez l'examen dans cinq ans, si nous devions avoir des recommandations à faire. On vous les fera probablement parvenir aussi.

Mme Kublu : À l'instar du Commissaire aux langues officielles du Canada, je suis tenue de fournir des rapports annuels. Je présenterai donc des rapports tous les ans.

La présidente : Peut-être devrais-je apporter un éclaircissement. Il n'est pas de notre ressort de modifier une loi qui a été adoptée par l'Assemblée législative du Nunavut. Nous sommes ici pour l'approuver ou non, mais nous ne pouvons pas la modifier. Toutefois, nous pouvons faire des recommandations. Je crois que c'est ce dont vous parlez, sénateur Watt.

Le sénateur Watt : C'est exactement ce que je suis en train de dire.

La présidente : Désolée. Aviez-vous terminé, madame Kublu?

Mme Kublu : J'espère que les recommandations de modifications parviendront à mon bureau durant la préparation du rapport annuel. Nous serons fixés une fois que nous aurons commencé à l'utiliser. Nous nous retrouvons dans des situations qui nécessiteront des recommandations de changements dans cinq ans, c'est-à-dire au moment de l'examen.

Le sénateur Milne : Si vous permettez, madame Kublu, quand il y aura un examen dans cinq ans au Nunavut, ce n'est pas ici qu'il aura lieu, mais uniquement à l'Assemblée législative du Nunavut. Le Parlement du Canada aura-t-il à approuver les conclusions de l'examen quinquennal ou les changements éventuels à la loi?

Mme Kublu : Si ma lecture de la Loi du Nunavut est exacte, notamment l'article 38, à moins de dire que désormais seuls le français et l'inuktitut sont visés par la Loi sur les langues officielles, ce qui, du coup, diminue l'importance de l'anglais, je suis sûre que ce n'est pas ce qui se passera. Je ne pense pas que cela puisse arriver.

La présidente : Pour l'essentiel, si je ne m'abuse, si l'Assemblée législative du Nunavut prend des mesures qui risquent de diminuer des droits linguistiques, ces mesures doivent être envoyées au Parlement pour approbation. Cela étant, vous pourriez élargir les droits linguistiques autant que vous souhaitez, et nous n'aurions pas à donner notre approbation.

Mme Kublu : Je présume que les avocats dans la salle adhèrent à l'interprétation du sénateur Fraser.

Le sénateur Bryden : Je vous poserai une question sur la relation entre la Loi sur la protection de la langue inuite et le projet de loi sur les langues officielles. Plus précisément, y a-t-il recoupement entre les deux? Ou y a-t-il des incompatibilités?

Mme Kublu : La Loi sur la protection de la langue inuite renferme une annexe qui renvoie à la Loi sur les langues officielles. La Loi sur les langues officielles en question est celle dont nous discutons aujourd'hui. Sans l'approbation du Parlement, ces articles n'entreront pas en vigueur, bien que la Loi sur la protection de la langue inuite soit déjà en vigueur. Une annexe a été ajoutée pour que certaines parties puissent s'appliquer à moi en ma qualité de commissaire aux langues en vertu de la Loi sur la protection de la langue inuite. Une fois la Loi sur les langues officielles adoptée, il faudra de nouveau modifier la Loi sur la protection de la langue inuite pour supprimer l'annexe. La Loi sur la protection de la langue inuite est une loi distincte. Elle a été rédigée de façon à ce qu'une fois la Loi sur les langues officielles adoptée, la Loi sur la protection de la langue inuite entrera en vigueur.

Je ne vois pas d'incompatibilité. Cependant, la Loi sur la protection de la langue inuite renforce mes obligations à l'égard de la langue inuite.

Le sénateur Bryden : Quand la Loi sur les langues officielles entrera en vigueur, les changements seront-ils apportés automatiquement à la Loi sur la protection de la langue inuite? Je ne suis pas sûr de comprendre l'histoire de l'annexe. De quel document s'agit-il?

Mme Kublu : La Loi sur la protection de la langue inuite renferme une annexe.

Le sénateur Bryden : L'annexe sera-t-elle éliminée?

Mme Kublu : Oui, elle le sera quand la Loi sur les langues officielles entrera en vigueur.

Le sénateur Bryden : D'après vous, est-ce que ce sera le seul changement?

Mme Kublu : Je ne prévois pas d'autres changements. L'annexe a été ajoutée ultérieurement, et c'est pourquoi elle ne fait pas partie du texte de la loi. Bien que la Loi sur les langues officielles ait été adoptée en juin et que la Loi sur la protection de la langue inuite ait été adoptée en septembre, la Loi sur les langues officielles n'a pas reçu l'approbation parlementaire au moment où la Loi sur la protection de la langue inuite a été adoptée.

Le sénateur Bryden : Je veux explorer un autre sujet d'intérêt. Dans votre déclaration, vous avez indiqué que bien que les Inuits représentent la majorité de la population au Nunavut, sur le plan linguistique, ils sont minoritaires.

Mme Kublu : En effet, ce n'est pas une langue majoritaire. Si vous allez dans n'importe quel magasin du Nord, vous y verrez des affichages en anglais, mais pas en inuit.

Le sénateur Bryden : La langue de la majorité est l'anglais?

Mme Kublu : C'est exact. C'est la langue de travail et, malheureusement, elle est en train de devenir la langue d'usage dans bien des foyers.

Le sénateur Bryden : C'est la langue de la jeunesse.

Mme Kublu : Oui, c'est la langue de la jeunesse.

Le sénateur Bryden : Que peut-on faire en vertu de la Loi sur les langues officielles?

Mme Kublu : On a fait valoir que, outre les langues crie et déné qui ne tombent plus sous le coup de la nouvelle loi, la langue inuite jouit de la même reconnaissance que le français et l'anglais. Dans les Territoires du Nord-Ouest, le français et l'anglais ont été reconnus, mais les langues autochtones n'ont pas joui de la même reconnaissance. C'est une autre différence majeure entre les deux lois. La langue inuite n'est pas reconnue au même titre que le français et l'anglais.

Le sénateur Bryden : Inscrire dans la loi que les langues sont égales est une chose, mais à l'entrée en vigueur de la loi, l'usage fera qu'elles seront loin d'être égales, car l'anglais est la langue dominante en ce moment.

J'irai encore plus loin. Il faudra consacrer des efforts et des sommes considérables pour permettre à la langue inuite de faire du rattrapage. Le témoin précédent, et malheureusement comme ma vision était obstruée, je ne pouvais pas voir son nom, a dit qu'il faudra de l'argent. Savez-vous s'il existe des fonds qui vous permettent d'accélérer l'amélioration de l'usage de la langue inuite, notamment par les jeunes et en milieu de travail?

Mme Kublu : La Loi sur la protection de la langue inuite sera pour nous un outil pour faire en sorte que notre langue continue d'exister une fois protégée. La Loi sur les langues officielles met la langue inuite sur un pied d'égalité avec l'anglais et le français, mais la Loi sur la protection de la langue inuite protège la langue inuite en lui accordant un statut égal et en proposant des mesures pour en faire une langue égale.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, une de mes tâches consiste à surveiller les droits linguistiques officiels. Le Nunavut a une Loi sur les langues officielles depuis sa création, de même qu'un commissaire aux langues depuis novembre 1999. Nous allons veiller à ce que la loi, une fois approuvée par le Parlement, nous permette de dire que notre loi donne à notre langue, la langue inuite, un statut égal à celui de l'anglais et du français. Nous allons le crier haut et fort. Les autres témoins feront la même chose. Les gens ont des droits, mais ils ne feront pas respecter ces droits s'ils n'en connaissent pas l'existence.

Le sénateur Bryden : Serait-il juste de qualifier de proactive la Loi sur la protection de la langue inuite? C'est elle que vous allez invoquer pour pouvoir promouvoir l'usage de l'inuit en milieu de travail?

Prenons les jeunes à titre d'exemple. La Loi sur la protection de la langue inuite vous permettrait-elle notamment d'élaborer un programme dans le cadre duquel vous pourriez envoyer des jeunes à des universités à l'extérieur du Nunavut? Supposons que vous essayez d'aider des jeunes à se familiariser davantage avec leur langue et leur propre culture, et que vous avez l'occasion d'envoyer un certain nombre de jeunes élèves du secondaire à l'extérieur pour acquérir des connaissances et ensuite retourner dans leur collectivité. Cette loi vous donne-t-elle le pouvoir à vous, ou à quelqu'un d'autre, de déterminer que c'est une bonne politique et de décider d'envoyer vos jeunes inuits à l'extérieur?

Mme Kublu : Je vais revenir 40 ans en arrière pour répondre à votre question. Il y a 40 ans, la langue était très présente dans les foyers. En effet, la langue d'usage dans les foyers était l'inuit exclusivement, et en grandissant, les enfants maîtrisaient leur langue. Au moment d'aller à l'école, nous maîtrisions déjà notre langue. Nos compétences et nos aptitudes en inuktitut étaient à ce niveau. Peu de temps après, notre anglais était au même niveau, et nous pouvions faire nos études à partir de là.

Or, aujourd'hui, nous avons des jeunes dont les compétences linguistiques en inuit sont faibles. Par conséquent, leurs compétences linguistiques sont faibles, que ce soit en inuit ou en anglais. C'est pourquoi nous luttons pour garder l'anglais au niveau universitaire. Je suis convaincu que le fait de posséder des compétences linguistiques inuites fortes permettra aux jeunes d'atteindre des niveaux de compétence supérieurs en anglais.

Les gens n'aiment pas quitter leur chez-eux. Ce ne sont pas les compétences linguistiques qui empêchent nos jeunes de fréquenter l'université au sud. C'est qu'ils ne veulent pas partir de chez eux.

La présidente : Nous avons encore d'autres sénateurs sur la liste.

Le sénateur Bryden : Je sais, mais ce que je veux vraiment savoir, c'est s'il est possible de créer des programmes financés qui permettent de rehausser l'usage de la langue inuite au niveau où il a déjà été, comme vous l'avez déjà dit. Des efforts devront être déployés, notamment de la part des enseignants dans la collectivité. Les autres groupes linguistiques sont-ils prêts à rester sur la touche, à attendre et à vous prêter main-forte pour aider ce groupe à faire du rattrapage?

Mme Kublu : M. Cuerrier a parlé de la conférence préparatoire à la mise en œuvre. J'ai assisté à cette conférence en ma qualité de commissaire aux langues. Nous en sommes au point où l'anglais ne sera jamais la langue minoritaire où que ce soit dans le monde. L'anglais est tout simplement une langue dominante.

Je ne pense pas que l'anglais devienne une des autres langues minoritaires. La promotion du français au Nunavut favorise l'usage de la langue inuite. De même, la promotion de la langue inuite au Nunavut renforce l'usage du français. À titre de commissaire aux langues, je ne suis pas en mesure de vous parler de financement, car je ne sais pas ce qu'il en est.

Le sénateur Watt : Le sénateur qui m'a précédé a parlé de la différence entre la mise en œuvre de la loi et l'application de la loi. Ce sont deux sujets que je voulais simplement aborder.

Il vous faudra de l'argent pour mettre en œuvre la loi. Si elle n'est pas observée, honorée ou respectée, il vous faudra alors la faire respecter. Ces deux activités coûtent de l'argent.

Le gouvernement du Canada vous a-t-il dit qu'il aidera le gouvernement du Nunavut dans la mise en œuvre et l'application de la loi?

Mme Kublu : Je suis navrée, mais je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Cela dit, je sais que le gouvernement du Nunavut a manifesté son soutien en accordant à mon bureau le financement nécessaire pour recruter un chercheur en langue inuite, un chercheur en français ainsi qu'un agent de liaison avec le secteur privé. Je ne pense pas que nous ayons un représentant de l'assemblée législative ici qui soit capable de vous répondre.

Le sénateur Watt : Madame la présidente, aurons-nous l'occasion de poser la question à des représentants du gouvernement fédéral?

La présidente : Les témoins fédéraux que nous avons invités sont des fonctionnaires du ministère de la Justice qui viendront essentiellement pour répondre à des questions techniques. Il se peut qu'ils aient à leur disposition certains renseignements sur le financement, mais ce n'est pas leur principale responsabilité. Nous pouvons toujours essayer de voir si nous pouvons obtenir une réponse du ministre du Patrimoine. Pour l'instant, aucun témoin de ce ministère n'est censé comparaître. Nous essaierons de vous obtenir une réponse, sénateur Watt.

Le sénateur Watt : Je crois que c'est un élément très important de notre responsabilité, c'est-à-dire veiller à ce que les lois que nous adoptons puissent être mises en œuvre et qu'elles ne s'enlisent pas.

Le sénateur Milne : Madame Kublu, nous sommes en train de parler d'argent, et il en faudra pour encourager l'usage de l'inuktitut. Savez-vous s'il existe des projets de cours de langue pour les jeunes?

Mme Kublu : Des projets de quoi au juste?

Le sénateur Milne : Des projets de cours de langue inuktitut pour les jeunes?

Mme Kublu : Vous voulez dire une école! Cela est prévu dans la Loi sur la protection de la langue inuite. En effet, cette loi stipule que les parents ont le droit d'envoyer leurs enfants à une école en inuktitut.

À compter du 1er juillet, ce qui n'est pas très loin, les écoles du Nunavut doivent être en mesure d'offrir des cours en langue inuite de la maternelle à la troisième année, ce qui signifie que les élèves qui commenceront leur scolarité en septembre pourront assister à ces cours. C'est déjà le cas dans de nombreuses collectivités, mais pas toutes. À partir de septembre 2009, toutes les écoles du Nunavut seront tenues d'offrir des cours en langue inuite entre la maternelle et la troisième année, si tel est le souhait des parents.

Puis cela va jusqu'à la 12e année.

Le sénateur Milne : Il y aura donc une progression année après année, à mesure qu'on passe à une autre classe.

Mme Kublu : C'est exact.

Le sénateur Milne : Mais ce sera toujours volontaire?

Mme Kublu : Comme nous avons une majorité inuite, une fois que les parents sauront qu'ils ont ce droit, ils l'exerceront. Comme je l'ai dit, les gens ont des droits. Une fois qu'ils sont au courant de ces droits, ils les exerceront.

Nous faisons tout en notre pouvoir pour que les gens sachent que la Loi sur la protection de la langue inuite est mise en œuvre graduellement. C'est pourquoi il y a une progression dans les classes. Tous les cours ne seront pas offerts en inuktitut à tous les enfants à partir de septembre 2009.

Le sénateur Milne : Je vous remercie de votre réponse. Le sénateur Joyal voulait que je vous demande si vous avez des projets de coopération avec le commissaire fédéral aux langues officielles, M. Fraser, sur la façon de mettre en œuvre cette nouvelle loi. Le cas échéant, quels sont ces projets?

Mme Kublu : Peu de temps après mon entrée en fonction à titre de commissaire aux langues, je suis allée rencontrer le commissaire Fraser dans son bureau pour me présenter. Les commissaires aux langues précédents du Nunavut ont toujours entretenu une relation de travail avec le commissaire aux langues officielles du Canada. Je reste en contact avec le commissaire Fraser. Je pense que nous devrons nous efforcer de ne pas perdre le contact.

J'ai dit à Mme Tremblay que je collaborerai volontiers avec le commissaire, mais je n'accepterai pas qu'il surveille mes activités.

Le sénateur Milne : Tant mieux pour vous. Merci.

La présidente : Merci, sénateur Milne. D'après ce que j'ai compris des propos du sénateur Joyal, ce n'est pas ce qu'il avait en tête.

Le sénateur Corbin : Je ne sais pas si ma question cadre avec l'ordre de renvoi du comité. Sous la rubrique « commissaire aux langues », au paragraphe 16(2) sur l'admissibilité au poste, à l'alinéa a), on dit qu'il faut manifester un intérêt pour les préoccupations, expériences et points de vue des membres ou représentants des trois communautés linguistiques des langues officielles, et la volonté d'agir en conséquence.

Cet après-midi, je vous ai entendu parler d'un chercheur en langue française. Voici ma question, puisque l'article 16 et le reste du texte sont muets là-dessus : le commissaire ne doit-il pas parler les trois langues officielles?

Mme Kublu : Je ne pense pas.

Le sénateur Corbin : Vous êtes manifestement bilingue, mais êtes-vous trilingue?

Mme Kublu : J'ai essayé d'apprendre le français, mais la conjugaison des verbes a été une pierre d'achoppement pour moi.

Le sénateur Corbin : Vous avez toute ma sympathie. Ce n'était qu'une question. Je suis parfois curieux, et c'est le genre de questions que j'aime poser.

Dois-je conclure que si des plaintes sont déposées par des membres de la communauté francophone, il incombera au chercheur en langue française de faire enquête et de vous présenter un rapport?

Mme Kublu : Le commissaire aux langues est le responsable, au bout du compte.

Le sénateur Corbin : Oui, c'est vous la patronne.

Mme Kublu : Il reste que comme notre territoire mesure plus de deux millions de kilomètres carrés, sans accès sinon par avion, nous n'avons pas une population très importante. Nous ne nous attendons pas à ce qu'il y ait de nombreuses plaintes, mais il y en aura.

Nous voulons avoir un chercheur ou un enquêteur à nos bureaux, qui se consacrera à cette tâche, plutôt que de dépendre comme nous le faisons actuellement de l'interprétation et de la traduction.

Le sénateur Corbin : Je vois.

Mme Kublu : Ainsi, tout se fera à l'interne.

Le sénateur Corbin : De manière directe.

Mme Kublu : Oui.

La présidente : Merci, sénateur Corbin. J'ai quelques questions. Je les poserai rapidement. Comme nous avons déjà dépassé le temps prévu et qu'il y a encore deux autres groupes de témoins à entendre, je vous demanderais de nous donner de courtes réponses.

Ma première question porte sur la demande importante de services. Ce sera en grande partie à vous de décider à cet égard. À votre avis, qu'est-ce qu'une demande importante?

Mme Kublu : Pour vous répondre, je citerai certains faits. La petite collectivité de Repulse Bay compte environ 600 habitants, dont la majorité sont des Inuits. Il y a peut-être 580 Inuits, et de tous les non-Inuits, il n'y a peut-être qu'un francophone, les autres étant anglophones. Dans ce cas-ci, je ne considérerais pas qu'il y a une demande importante de services en français.

Il reste que comme le français est une langue officielle au Nunavut, ce francophone a droit à des services en français, surtout pour des questions de santé et de sécurité.

La présidente : On présume que ces services seraient offerts à distance?

Mme Kublu : Oui.

La présidente : La technologie est une chose merveilleuse, n'est-ce pas? On fait du travail très intéressant du côté de la télémédecine.

Mme Kublu : Voilà un exemple de situation où j'aurai, comme commissaire aux langues, à déterminer s'il y a une demande importante de services en français à Repulse Bay, en plus des services en anglais et en inuktitut.

La présidente : J'en déduis que votre générosité naturelle vous guidera, mais que vous ferez aussi une analyse précise des circonstances dans chaque cas, n'est-ce pas?

Mme Kublu : Oui.

La présidente : Merci. Question suivante. Vous serez à même de constater ma grande ignorance. J'espère que vous éclairerez ma lanterne.

La Loi sur les langues officielles dit dans son préambule qu'il y aura trois langues officielles et définit la langue inuite selon la définition de la Loi sur la protection de la langue inuite. D'après cette loi, il s'agit dans la plupart des cas de l'inuktitut mais, dans quelques autres cas, environ quatre, c'est l'inuinnaqtun ou les deux langues, selon ce que décide le Cabinet.

J'ai bien dit « les deux ». Plus tôt aujourd'hui, on nous a dit qu'il s'agit de deux dialectes d'une même langue, dont l'écriture est différente. Pourriez-vous nous expliquer en quoi diffèrent ces dialectes? Je ne veux pas une longue dissertation linguistique. Il s'agit essentiellement de savoir s'il y a convergence ou divergence entre les deux.

Mme Kublu : La langue inuite se parle de l'Alaska au Groenland. C'est une langue qui comprend de nombreux dialectes. Dans notre cas, au Nunavut se parlent l'inuinnaqtun et l'inuktitut. Le dialecte inuktitut comprend de nombreux sous-dialectes. Le sénateur Watt et moi parlons deux sous-dialectes différents, mais nous parlons tous les deux l'inuktitut.

La présidente : Et vous vous comprenez l'un et l'autre?

Mme Kublu : Oui, nous nous comprenons. Nous nous servons tous deux de l'écriture syllabique, qui est employée dans l'Est du Canada ainsi qu'au Nunavik. C'est pour des raisons historiques. C'est à cause de l'œuvre missionnaire. Il s'agit donc d'une langue, mais de deux dialectes très différents.

La présidente : Très différents.

Mme Kublu : Très différents.

La présidente : Et vous vous comprenez quand vous parlez?

Mme Kublu : Je peux comprendre ce qu'ils disent.

La présidente : Et eux vous comprennent?

Mme Kublu : Oui.

La présidente : Y a-t-il convergence ou divergence?

Mme Kublu : Je pense qu'il y a convergence pour tout le Nunavut, et qu'il y en aura plus pour les dialectes, parce que la Loi sur la protection de la langue inuite prévoit la création d'un office de la langue inuite.

La présidente : Ainsi que des normes et un vocabulaire communs.

Mme Kublu : L'objectif est de protéger la langue inuite. Nous ne cherchons pas à faire en sorte que tous parlent le même dialecte. Nous voulons nous assurer que lorsqu'un jeune de Pangnirtung dit un mot pour « image », un jeune de Gjoa Haven le comprendra, au lieu d'employer le mot en anglais. Ils se serviront du même mot, un mot inuktitut.

La présidente : Merci. En terminant, permettez que je fasse une petite déclaration, en tant que Québécoise anglophone.

Vous avez dit que l'anglais ne sera jamais une langue minoritaire, où que ce soit. Il y a une distinction qui gagnera en importance à l'avenir, par rapport à la situation actuelle, pour vous. Il faut distinguer entre l'anglais, qu'on trouve partout, une langue universelle envahissante, et la langue qu'emploient les citoyens dans leur quotidien, d'une part, et d'autre part, les besoins de ces citoyens. Beaucoup de l'anglais qu'on entend provient des États-Unis, dans les médias et le cinéma, mais maintenant aussi de pays aussi éloignés que l'Inde. Il y a une différence entre l'incursion de CNN dans le salon de tous et chacun, et les services sociaux en anglais dont a besoin une personne âgée ou une mère de famille monoparentale.

Si tout se passe selon les prévisions, la langue inuite deviendra la langue d'usage au Nunavut. Ce sera la langue de la majorité au travail, dans l'administration publique, et dans les services publics, et les langues minoritaires seront aussi protégées.

Justement, il sera important de ne pas oublier l'impact sur les gens dont je parle. Avec le temps, et à mesure que la langue inuite prendra davantage la place qui lui revient au Nunavut, il ne faudra pas oublier l'impact sur les gens et penser uniquement à la nature planétaire de l'anglais. Par exemple, dans quelques années, il pourrait devenir approprié d'avoir un chercheur ou un enquêteur, non seulement pour les langues inuite et française, mais aussi pour la langue anglaise.

Mme Kublu : Je crois qu'après l'inuit et le français, la même chose pourrait se produire avec l'anglais.

Le président : Merci, madame Kublu. Vos commentaires sont des plus intéressants et utiles pour nous. Nous apprenons beaucoup aujourd'hui.

Honorables sénateurs, nous sommes très ravis d'accueillir nos prochains témoins. De la Qikiqtani Inuit Association, nous recevons M. Joe Attagutaaluk, membre exécutif, et Mme Navarana Beveridge, directrice de la politique sociale et, de la Nunavut Tunngavik Inc., nous accueillons Mme Laurie Pelly, conseillère juridique.

Nous allons vous demander de faire un exposé liminaire, et nous vous poserons ensuite des questions.

Joe Attagutaaluk, membre exécutif, Qikiqtani Inuit Association : Je m'attendais à avoir un interprète.

Le président : Je me confonds en excuses.

M. Attagutaaluk : Puisque nous n'avons pas d'interprète, je vais tenter de lire en anglais.

Je vous remercie de me donner l'occasion de faire un exposé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Aujourd'hui, je parle au nom de la Nunavut Tunngavik Inc., qui représente tous les Inuits signataires de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Je suis accompagné de Laurie Pelly, conseillère juridique auprès de la Nunavut Tunngavik Incorporated, et de Navarana Beveridge, directrice de la politique sociale de la Qikiqtani Inuit Association. Elles pourront répondre à vos questions.

En ce qui concerne notre participation à la préparation des modifications à la Loi sur les langues officielles du Nunavut, en vertu de l'article 32 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, les Inuits ont le droit de participer à l'élaboration des politiques sociales et culturelles des administrations publiques fédérales et territoriales, ainsi qu'à la conception de programmes et de services sociaux et culturels, y compris leurs méthodes de prestation au sein du Nunavut.

Les modifications à la Loi sur les langues officielles du Nunavut ont été élaborées sur une période de trois ans par un comité directeur bipartite comprenant des représentants du gouvernement du Nunavut et de la NTI, le commissaire aux langues officielles du Nunavut jouant le rôle de conseiller spécial. À la fin d'un long processus de consultation auprès de particuliers et de groupes intéressés aux langues dans l'ensemble du Nunavut, y compris un travail collaboratif avec l'Association des francophones du Nunavut et la Commission scolaire francophone du Québec, la nouvelle loi sur les langues officielles du Nunavut a été adoptée le 4 juin 2008. Ce fut un jour de célébration. Les représentants du Nunavut, par conséquent, appuient fortement la nouvelle loi.

Je parlerai maintenant de la suppression de six langues autochtones de la Loi sur les langues officielles du Nunavut. Comme ce comité l'a remarqué la semaine dernière, la Loi sur les langues officielles du Nunavut ne contient plus de références à six langues autochtones qui ne sont pas parlées au Nunavut mais plutôt dans les Territoires du Nord- Ouest. Ces langues sont les suivantes : le chipewyan, le cri, le dogrib, le gwich'in, le slave du Nord et le slave du Sud. Si l'une de ces six langues autochtones était parlée au Nunavut, nous accorderions notre plein appui à l'inclusion des droits linguistiques connexes dans la Loi sur les langues officielles du Nunavut, mais ce n'est pas le cas. En vertu de l'article 38 de la Loi sur le Nunavut du gouvernement fédéral, le Parlement doit approuver la modification de la Loi sur les langues officielles si la mesure porte sur le retrait de ces langues de cette même loi.

Cette modification découle du fait qu'à la création du territoire du Nunavut en 1999, les lois des Territoires du Nord-Ouest ont été adoptées, avec peu de modifications, pour le Nunavut. Cette décision a été prise pour assurer une transition facile et rapide et pour permettre à la nouvelle Assemblée législative du Nunavut, une fois établie, de modifier les lois qu'elle jugerait appropriées pour le Nunavut. C'est ainsi que les Inuits du Nunavut ont hérité de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, qui accorde le statut de langues officielles aux langues des Premières nations des Territoires du Nord-Ouest.

Ces six langues autochtones ne sont pas et n'ont jamais été parlées dans une proportion mesurable de la population du Nunavut. Le territoire est à 85 p. 100 inuit, et la langue parlée au Nunavut est en grande majorité la langue des Inuits, dans ses divers dialectes. Ceux qui parlent l'une des six langues des Premières nations vivent dans les Territoires du Nord-Ouest et non pas au Nunavut; il n'est donc pas nécessaire ou approprié d'inclure ces langues dans la Loi sur les langues officielles du Nunavut. En tant qu'Inuits, nous avons lutté, et continuons de le faire avec vigueur, afin de protéger, de promouvoir et de faire valoir la langue des Inuits au Nunavut, pour assurer sa revitalisation ainsi que sa durabilité à long terme.

La semaine dernière, le comité a soulevé la question de savoir si certains droits ou services fournis aux francophones dans le cadre de la nouvelle Loi sur les langues officielles seraient diminués. La meilleure réponse est sans doute celle donnée par la présidente de l'Association des francophones du Nunavut, citée dans le Nunavut News après l'adoption de la Loi sur les langues officielles : « Il s'agit d'un moment historique pour le Nunavut. Nous sommes ravis d'avoir contribué à l'élaboration de la nouvelle Loi sur les langues officielles. La loi protégera non seulement les droits constitutionnels de la communauté francophone, mais elle accordera aussi à la langue des Inuits une reconnaissance qui se fait attendre depuis longtemps ».

Par ailleurs, le directeur général de l'Association des francophones du Nunavut, M. Daniel Currier, qui a fait une déclaration au Comité sénatorial permanent des langues officielles le 10 mars 2008, a demandé au gouvernement du Canada d'adopter le plus tôt possible cette nouvelle Loi sur les langues officielles.

Loin de diminuer les droits et les services de la communauté francophone ou anglophone, un examen de la loi révèle que les droits et services en question sont complètement protégés. De plus, quand on compare la Loi sur les langues officielles du Nunavut à l'ancienne Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, on trouve plusieurs nouveaux articles dans la loi du Nunavut qui renforcent ces droits.

Plus précisément, la nouvelle loi comprend des droits étendus qui permettent à toute personne comparaissant devant un tribunal de demander une traduction imprimée ou enregistrée d'une décision, d'un ordre ou d'un jugement final dans la langue de son choix, et de demander la traduction de décisions, ordres ou jugements finaux s'ils peuvent être susceptibles d'intéresser une communauté de langue officielle au Nunavut ou d'être importants pour elle.

Le contenu des attendus de la nouvelle Loi sur les langues officielles prévoit la protection et la mise en valeur de la langue française et de la vitalité de la communauté francophone; il prévoit aussi un cadre d'action pour faire en sorte que les communautés inuites et francophones disposent chacune des moyens nécessaires pour protéger et renforcer leur expression culturelle.

La nouvelle loi comporte aussi de fortes dispositions de mise en œuvre et de reddition de comptes, où le ministre responsable des langues doit promouvoir et préconiser un statut égal pour les langues officielles, et promouvoir la mise en œuvre efficace de la loi au moyen d'un plan d'ensemble auquel participent les communautés de langue française et anglaise.

Bref, la nouvelle Loi sur les langues officielles constitue un bien meilleur moyen, plus fort, pour protéger la langue et l'expression culturelle de tous les détenteurs inuits, francophones et anglophones de droits linguistiques.

Le comité a reçu une lettre rédigée par le commissaire aux langues officielles du gouvernement fédéral et adressée au ministre de la Culture, de la Langue, des Aînés et de la Jeunesse du Nunavut, l'honorable Louis Tapardjuk, en mai 2007. Cette lettre a été rédigée il y a deux ans, quand le projet de loi 6, à l'époque, en était à l'étape de consultation. Les préoccupations soulevées par le commissaire ont par la suite été traitées; la lettre n'est donc plus pertinente par rapport à ces préoccupations. Il est intéressant de remarquer, toutefois, que le commissaire a été élogieux à propos du projet de loi 6 dans plusieurs secteurs tels que le statut égal de la langue des Inuits, du français et de l'anglais.

Le commissaire aux langues officielles du gouvernement fédéral a remarqué que les paragraphes 12(5) et 12(6) du projet de loi 6 devraient exiger que toutes les institutions territoriales, et non pas seulement les ministères et organismes gouvernementaux, veillent à ce que les communications avec le public et les services qui lui sont offerts en leur nom par un tiers soient disponibles dans les langues officielles des territoires. Le gouvernement du Nunavut a adopté les recommandations du commissaire aux langues officielles et, en vertu des paragraphes 12(2) et 11(1), ces obligations incombent maintenant à toute institution territoriale.

Le commissaire aux langues officielles a aussi remarqué un problème éventuel si les débats de la Chambre des communes ne sont disponibles que dans la langue d'origine et dans les autres langues officielles sur demande. Des modifications ont donc été apportées à la Loi sur les langues officielles du Nunavut pour indiquer que les dossiers et les comptes rendus officiels de l'assemblée législative seront imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions faisant pareillement autorité.

Pour résumer, nous avons travaillé pendant trois ans à élaborer la Loi sur les langues officielles avec le gouvernement du Nunavut, en consultation avec des intervenants clés, des groupes de discussion et le grand public. Nous avons mis beaucoup de temps, d'effort et d'expertise pour élaborer cette loi. Même si nous sommes un jeune territoire, nous sommes convaincus que la Loi sur les langues officielles du Nunavut peut servir d'incitatif pour protéger, promouvoir et faire valoir les droits linguistiques autochtones et francophones dans l'ensemble du Canada. La Loi sur les langues officielles est une loi qui dépasse la bonne volonté et les bonnes intentions. Elle protégera et fera progresser les droits linguistiques des Inuits dans des secteurs clés de la société. L'adoption de la Loi sur les langues officielles à l'Assemblée législative du Nunavut a fait l'objet de discussions, de débats et de célébrations. Je vous exhorte maintenant, au nom de tous les Inuits du Nunavut, à nous donner une autre raison de nous réjouir en approuvant la Loi sur les langues officielles du Nunavut.

Le président : Merci. Toutes mes excuses encore une fois. Nous avions l'intention d'offrir l'interprétation de l'inuktitut pour toute la durée de la séance aujourd'hui. Comme vous le savez probablement, la prestation de ce service d'interprétation au Sénat en était encore à l'étape du projet pilote. Ainsi, nous n'avons pas encore tout le budget et le personnel nécessaire que nous espérons avoir lorsque le service deviendra partie intégrante de notre fonctionnement. Aujourd'hui, nous n'avons pas les ressources nécessaires en raison de la retraite du sénateur Adams, dont les célébrations se déroulent ailleurs. Voilà la raison. Ce n'est pas une excuse, selon moi, mais c'est la meilleure explication que je puisse vous offrir; nous sommes navrés.

Mesdames Pelly et Beveridge, avez-vous également une déclaration à faire?

Laurie Pelly, conseillère juridiques, Nunavut Tunngavik Inc. : Non, nous sommes seulement ici pour répondre aux questions.

Le président : Nous allons commencer par le sénateur Watt.

[Note de la rédaction : Le sénateur Watt s'exprime en inuktitut.]

Le sénateur Watt : Nous aimerions tous les deux parler de cette question en inuktitut, mais la réalité est ce qu'elle est. Heureusement que cela deviendra possible bientôt.

Le président : Avec de la chance, à votre retour.

Le sénateur Watt : Comme le président le dit, avec de la chance à notre retour, du moins avant ma retraite, je l'espère.

J'aimerais d'abord dire que je connais M. Attagutaaluk depuis de nombreuses années, depuis son adolescence. En fait, je pense qu'il n'avait même pas encore atteint l'adolescence, mais il y arrivait. J'étais le superviseur d'un pensionnat à Churchill, au Manitoba, et il était un de mes élèves en 1963 et 1964. Les pensionnats ont causé beaucoup de tort, mais ont aussi fait beaucoup de bien. Comme vous pouvez le voir, il a lu le texte même s'il s'attendait à ne parler qu'inuktitut avec interprétation.

Monsieur Attagutaaluk, je vous félicite et vous souhaite la bienvenue au Sénat. L'une de nos tâches est d'écouter ce que les gens ont à dire, puis de temps à autre, nous sommes appelés à prendre des décisions. J'aimerais bien faire un saut à la réception pour le sénateur Adams avant qu'il parte. Comme il a été mon compagnon de pupitre pendant 25 ans et que j'aimerais l'attraper avant son départ, je vais limiter mes questions.

Je sais que vous avez de nombreux échanges avec la Nunavik Tungavik Inc., qui est une société mère qui s'occupe du côté régional. Pouvez-vous me dire si le gouvernement du Canada offre du financement pour la survie ou la protection de la langue? Si vous le savez, j'aimerais que vous nous disiez si le gouvernement fédéral verse des fonds pour de la formation linguistique ou des initiatives connexes.

M. Attagutaaluk : Puisque Mme Beveridge travaille au bureau, elle serait peut-être mieux placée pour répondre.

Navarana Beveridge, directrice, Politique sociale, Qikiqtani Inuit Association : Merci, sénateur Watt. Il y a du financement. Le programme Initiatives des langues autochtones est géré à Patrimoine canadien. Pour la région de Baffin, nous obtenons un peu plus de 100 000 $ par année pour l'Initiative des langues autochtones. Pour la région de Baffin, nous produisons des livres et des revues en inuktitut. Il y a un accord linguistique entre le gouvernement fédéral et le gouvernement territorial. Toutefois, il y a iniquité dans le financement offert pour les langues inuites et celui offert pour la langue française. Je peux vous donner un exemple. L'argent alloué pour les initiatives communautaires en vertu de l'accord sur les langues pour l'inuktitut est de 40 $ par personne, tandis que le montant accordé par personne francophone est de 4 000 $.

Le sénateur Watt : Et les Inuits?

Mme Beveridge : Une personne inuite obtient 40 $, et ce, pour l'ensemble du territoire. Le montant pour les francophones est de 4 000 $ par personne en vertu de l'accord fédéral-territorial sur les langues.

Il y a donc une iniquité dans le financement. Il y a eu de nombreux désaccords entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Nunavut à cet égard. Le gouvernement fédéral m'a donné comme explication que le français est une langue officielle du Canada, mais pas l'inuktitut. C'est ce qu'on nous dit.

Le sénateur Watt : C'est l'explication qu'on vous a donnée.

Mme Beveridge : Oui.

Le sénateur Watt : Croyez-vous que la coexistence de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la protection de la langue inuite entraînera des changements dans la façon dont le gouvernement interagit avec le gouvernement du Nunavut?

Mme Beveridge : Oui. Les deux nouvelles lois auront divers effets sur le financement et la façon dont l'argent est dépensé relativement aux programmes et aux services en langue inuite. Le gouvernement du Nunavut devra allouer davantage de financement aux services en langue inuite. Par exemple, au lieu de dépenser dix millions de dollars pour asphalter une nouvelle route, le gouvernement serait plus susceptible de créer des programmes et des ressources en langue inuite.

Le fait est qu'un territoire ne peut pas y arriver seul. Nous avons besoin de financement du gouvernement fédéral pour mettre en œuvre de nouvelles initiatives. Nous avons besoin d'enseignants. Nous avons besoin de programmes d'enseignement. Nous avons besoin de programmes. Nous faisons ce que nous pouvons au niveau organisationnel pour y arriver, mais nous avons besoin d'aide sous forme de financement de la part du gouvernement fédéral.

Le sénateur Watt : Bref, le financement est extrêmement important. Le gouvernement du Nunavut ne peut pas agir seul. Je crois que les ressources naturelles, renouvelables et non renouvelables, relèvent du fédéral. La responsabilité n'a pas encore été transférée. Vous pourriez ainsi un jour compter sur ces revenus pour couvrir les coûts, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui. Ai-je raison?

Mme Pelly : Oui, vous avez raison. Les discussions sur le transfert des responsabilités sont en cours, mais à leur début. Un négociateur fédéral n'a même pas encore été officiellement nommé pour l'instant.

Le sénateur Watt : J'ai une dernière question. Dans la loi, y a-t-il un engagement ou une mesure qui obligerait le gouvernement d'offrir du financement pour l'application? Est-ce énoncé dans la loi?

Mme Pelly : À ma connaissance, la Loi sur les langues officielles ne comporte aucune disposition sur le financement du fédéral. Idem pour la Loi sur la protection de la langue inuite.

Le sénateur Watt : Rien?

Le président : Nous avons une question supplémentaire à ce sujet du sénateur Corbin.

Le sénateur Corbin : Dans le cadre des consultations et des négociations qui ont précédé l'entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles, a-t-il été question d'aide supplémentaire pour vous permettre à tout le moins d'obtenir la parité avec ce qui est donné à la communauté francophone? Y a-t-il eu des discussions à cet égard?

Mme Pelly : Je ne suis pas au courant de discussions de cette nature.

Le sénateur Corbin : Selon vous, à qui devrions-nous nous adresser pour obtenir une réponse à cette question?

Mme Pelly : Le gouvernement du Nunavut et le gouvernement fédéral seraient les participants clés à de telles discussions.

Le sénateur Corbin : Des témoins du gouvernement fédéral comparaîtront bientôt, mais je ne suis pas certain de leur capacité de répondre à cette question. Nous continuerons nos recherches.

Le sénateur Milne : Je vous signale que l'article 14(1) de la Loi sur les langues officielles stipule que :

Le ministre peut conclure avec le gouvernement fédéral des accords portant sur la promotion et la protection des langues officielles ou des communautés de langue officielle au Nunavut et doit promouvoir et protéger les langues officielles et la vitalité des communautés de langue officielle d'une manière compatible avec les obligations du Nunavut et du Canada et avec leurs politiques mutuellement convenues.

Le ministre aura l'autorité de négocier avec le gouvernement du Canada. J'espère sincèrement qu'il le fera, parce que tout dépend du financement. Il y a une différence flagrante entre les 40 $ par personne de langue inuktitut et les 4 000 $ par personne francophone, surtout, quand on pense que selon Statistique Canada, 55 peuples déclarent que le français est leur langue maternelle.

Le président : Non, il s'agit seulement des peuples autochtones qui déclarent le français comme étant leur langue maternelle. Il y a environ 400 francophones selon Statistique Canada et près de 1 000 selon M. Cuerrier. Il y a un peu plus de 20 000 personnes dont la langue maternelle est l'inuit au Nunavut, selon les données de Statistique Canada.

Le sénateur Milne : Il s'agit tout de même d'environ un vingtième.

Le président : Non. Puis-je poser une question supplémentaire? À des fins de comparaison, pour peut-être clarifier la question, pouvez-vous nous donner — le montant en dollars par habitant et les chiffres absolus? Avez-vous ces données? M. Cuerrier a dit qu'il s'agissait d'environ 1,5 million de dollars pour les francophones.

M. Cloutier : Le gouvernement du Nunavut et le gouvernement fédéral ont conclu une entente de collaboration appelée Entente de coopération Canada-Nunavut pour la promotion du français et des langues autochtones. En vertu de cette entente, 1,65 million de dollars est offert au gouvernement du Nunavut pour l'aider à offrir des services en français et pour instituer le français comme langue officielle — traduction des lois, des règlements, et ainsi de suite —, de même que pour soutenir le développement et l'épanouissement de la communauté francophone.

La composante qui vise la langue inuite est de 1,1 million de dollars. Ce montant peut être utilisé pour des initiatives communautaires liées à la langue. Il ne peut pas être utilisé pour les services gouvernementaux.

Le président : Je vois certaines recommandations prendre forme.

Le sénateur Milne : Je vais poser la dernière partie de ma question. Monsieur Attagutaaluk, vous avez parlé de la participation à l'élaboration de la Loi sur les langues officielles du Nunavut. Vous avez dit que les Inuits ont le droit de participer au développement des politiques sociales et culturelles des gouvernements fédéral et territorial de même qu'à la conception de programmes et de services sociaux et culturels, y compris la méthode de prestation au Nunavut. Dois- je comprendre que la société Nunavut Tunngavik Inc. financera une partie de cette initiative également?

Mme Pelly : La disposition dont vous parlez provient de l'article 32 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Il est question du droit des Inuits de participer lorsque le gouvernement élabore des politiques et des programmes. Autrement dit, ils ont le droit d'être consultés étroitement par les gouvernements fédéral et territorial.

Cela ne veut pas dire ni ne laisse entendre que NTI, ou tout autre organisme inuit du Nunavut, participerait au financement de programmes des gouvernements fédéral ou territorial.

Le sénateur Milne : Je parle de programmes de langue inuite au Nunavut.

Mme Pelly : S'il y a des programmes gouvernementaux au Nunavut, les Inuits s'attendraient à ce qu'ils soient financés par les gouvernements fédéral ou territorial.

Le sénateur Milne : Je parle de cette loi en particulier dont il est question qui fera en sorte que l'inuktitut soit une langue officielle au Nunavut. Nous venons d'entendre que la langue sera enseignée en première, deuxième et troisième année. On espère que ce sera fait au mois de septembre. L'enseignement sera ensuite étendu graduellement.

On dit que NTI a le droit de participer, y compris dans la méthode de prestation au Nunavut. Je demande si NTI offrira une partie de l'argent nécessaire pour y arriver, tout en demandant à son tour des contributions du gouvernement fédéral.

Le président : Vous parlez d'argent pour la formation des enseignants, les manuels et ainsi de suite?

Le sénateur Milne : Oui.

Mme Pelly : NTI n'est pas un gouvernement et n'est pas en mesure de verser les sommes monumentales nécessaires pour financer un système d'éducation ou des services gouvernementaux bilingues. C'est le rôle du gouvernement.

L'article 32 fait état de participation à des discussions menant à l'élaboration de programmes et de politiques du gouvernement, ce que fait NTI au meilleur de sa capacité sous forme de participation. Évidemment, NTI finance divers programmes qui profitent aux Inuits.

Le sénateur Milne : Est-ce une possibilité qui est examinée pour l'avenir pour NTI?

Mme Pelly : Je ne crois pas que NTI ait la capacité de financer des initiatives telles qu'un système d'éducation bilingue.

Le sénateur Milne : Je ne parle pas du système en entier — il peut s'agir de formation des enseignants, de transport ou de rendre les services accessibles à des communautés éloignées qui ont les mêmes besoins qu'à Iqaluit.

Mme Pelly : NTI n'a tout simplement pas la capacité pour ce genre de financement. Nos ressources sont exploitées au maximum avec les quelque 60 employés que nous avons, simplement pour les discussions, les négociations et les consultations avec le gouvernement concernant ces programmes et politiques.

Le sénateur Milne : La réponse est donc non.

Le président : Sénateur Milne, je vous interromps parce que comme vous pouvez peut-être l'entendre en arrière-plan, le timbre se fait entendre. Il y aura un vote par assis et levé à 17 h 50. Tout de suite après le vote, la salle est réservée au Comité des peuples autochtones, que nous ne sommes pas.

Je demande donc très rapidement aux sénateurs qui ont des questions de les poser par écrit aux témoins, qui nous enverront ensuite une réponse par écrit. Je vous remercie beaucoup. Je vous remercie de votre patience durant cette longue journée de séances. J'espère que vous les avez trouvées aussi intéressantes que nous. Elles ont toutefois probablement été plus utiles pour nous que pour vous puisque vous êtes déjà au courant de beaucoup de choses, mais nous en sommes à l'étape de l'apprentissage.

Je vous remercie donc beaucoup. Je vais demander aux témoins de Justice Canada de venir à la table. Nous avons précisément vingt minutes avant de devoir arrêter nos travaux pour monter voter. Si je ne l'ai pas encore fait, je vous présente mes excuses plates et sincères pour la façon dont les caprices du Parlement finissent par avoir le dessus sur tout le monde.

Les prochains témoins sont du ministère de la Justice : Michael Aquilino, avocat, Groupe du droit des langues officielles, Jo Anne Lagendyk, avocate, Patrimoine canadien, Services juridiques, et Renée Soublière, avocate conseil/ coordonnatrice du contentieux, Groupe du droit des langues officielles. Je vous remercie tous vivement de votre présence parmi nous aujourd'hui. Ainsi qu'on vient de le dire, cette comparution sera probablement la plus brève que vous aurez faite devant un comité sénatorial. Vos témoignages nous seront quand même très utiles. Je crois que vous êtes ici pour répondre à des questions.

[Français]

Le sénateur Nolin : Si vous prenez le projet de loi du Nunavut que nous avons sous les yeux, à l'article 14.(1), il est fait référence, tout comme dans le préambule d'ailleurs, à la toute fin du paragraphe, à des politiques mutuellement convenues. J'aimerais bien savoir de quoi parle-t-on exactement?

Le sénateur corbin : Quelle est la référence?

Le sénateur Nolin : L'article 14.(1).

[Traduction]

Jo Anne Lagendyk, avocate, Patrimoine canadien, Services juridiques, ministère de la Justice Canada : Je répondrais volontiers à cette question mais nous ne sommes ici que pour répondre aux questions liées à notre mandat au ministère de la Justice. Nous avons étudié cette loi pour déterminer si elle devait recevoir l'agrément du Parlement, autrement dit, affaiblissait-elle des droits déjà reconnus?

Nous n'avons rien étudié à part cela. Nos observations porteront donc strictement là-dessus et les réponses que nous donnerons respecteront aussi, bien sûr, le secret professionnel de l'avocat. Nous nous sommes concentrés sur la question de savoir s'il y a eu diminution des droits. Si tel était le cas, l'agrément du Parlement était nécessaire.

Le gouvernement du Canada estime qu'il y a bel et bien eu affaiblissement des droits et que l'agrément du Parlement était donc obligatoire. Il n'entrait pas dans notre mandat au ministère de la Justice d'analyser si des améliorations s'imposaient ou d'étudier des questions relatives aux grandes orientations du projet de loi.

Le sénateur Nolin : Nous ne cherchons pas à amender le projet de loi. Au paragraphe 37(1), il est question d'un premier examen après six ans, puis d'un autre après cinq ans. Il se peut que nous demandions qu'une recommandation au Parlement fasse partie intégrante de l'examen. Qu'en pensez-vous?

Mme Lagendyk : Mon avis sur la question n'est pas pertinent. D'ailleurs, je n'ai pas d'avis sur cette question.

[Français]

À titre d'avocate responsable au sein des Services juridiques de Patrimoine canadien, avez-vous un avis?

[Traduction]

Si vous n'avez pas d'avis juridique sur la question, peut-être que Mme Soublière, elle, en a un.

Mme Lagendyk : Puisque nous travaillons tous au ministère de la Justice, nous n'avons tous que des avis juridiques.

La présidente : C'est précisément cela que nous vous demandons.

Mme Lagendyk : Nous sommes autorisés à vous communiquer la position du gouvernement du Canada. Il nous est cependant interdit de divulguer la nature des avis, quels qu'ils soient, que nous avons donnés au gouvernement.

Le sénateur Nolin : Nous ne l'ignorons pas. Permettez-moi alors de formuler la question autrement.

L'Assemblée législative pourrait-elle légalement amender sa loi et inclure la participation du Parlement du Canada à son processus d'examen après six ans?

Mme Lagendyk : Je n'aime pas devoir me répéter, mais cela ne correspond pas à ce qu'on nous a demandé d'étudier.

La présidente : On vous a demandé de venir ici afin de répondre à des questions de nature technique et de nature juridique au sujet du projet de loi, de la loi adoptée par l'Assemblée législative du Nunavut, et à mon avis, il s'agit bien ici d'une question de nature juridique.

Mme Lagendyk : Elle exige que j'exprime un avis. J'aurais donné un tel avis si le gouvernement me l'avait demandé et il aurait été confidentiel. Tel est le problème créé par le secret professionnel de l'avocat. Mes collègues voudront peut-être ajouter quelque chose ici.

La présidente : Nous représentons le Sénat du Canada et nous avons donc le droit de poser les questions relatives à l'interprétation des lois qu'on nous demande d'approuver. En ce sens, nous sommes vos clients.

[Français]

Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice Canada : Je voulais m'assurer d'avoir bien compris la question du sénateur Nolin. Est-elle liée à la suggestion qu'a faite M. Cuerrier, si je ne me trompe pas, proposant que le Sénat participe, ou qu'il y ait des membres du Sénat qui participeraient à cet examen annuel que prévoit la loi?

Le sénateur Nolin : Exactement.

Mme Soublière : Dans ce cas, je suis d'accord avec les propos de ma collègue; j'ignore si vos politiques et la procédure parlementaire permettent que cela se fasse. C'est une question.

Le sénateur Nolin : Est-ce que cela affecte le devoir que nous avons, comme nous le faisons présentement, d'examiner une loi qui affecte les droits linguistiques?

Mme Soublière : Je ne suis pas certaine de comprendre le sens de votre question.

Le sénateur Nolin : Est-ce que le fait de participer à un tel examen mettrait en doute le fait qu'on ait le devoir d'approuver ou d'infirmer une loi qui viendrait affecter l'exercice de droits linguistiques? Vous comprenez?

Mme Soublière : Votre question est-elle reliée au fait qu'ici, l'assentiment du Parlement est requis?

Le sénateur Nolin : Je pense que nous avons saisi que notre assentiment est requis. Si on fait une recommandation et que le Nunavut décide de modifier sa loi pour inclure la participation du Parlement du Canada à sa révision dans six ans, est-ce que vous allez voir en cela un affaiblissement de notre responsabilité relativement à l'exercice qu'on nous demande de faire à l'occasion de l'adoption d'une loi qui peut affecter les droits linguistiques des langues officielles du Canada?

Mme Soublière : Non, je ne crois pas.

[Traduction]

La présidente : J'ai une question au sujet du sens de l'article 5 du projet de loi. Le paragraphe 5(1) dit en effet que les lois de l'assemblée législative sont promulguées, imprimées et publiées en français et en anglais, les deux versions ayant également force de loi — ce qui, à mon avis, est un report de la loi précédente.

Au paragraphe 5(4), il est dit, et je cite : « Sur recommandation du Conseil exécutif, l'Assemblée législative peut, au moyen d'une résolution, désigner la version en langue inuit d'une loi comme ayant force de loi ».

Étant donné que ces deux dispositions sont distinctes, j'aimerais savoir quels sont les liens entre elles. La version en langue inuite de la loi peut avoir force de loi par résolution; est-ce à dire qu'elle fait autorité autant que les textes anglais et français? A-t-elle un statut différent?

Mme Lagendyk : Elle a autant force de loi. Les trois versions de la loi devront être scrutées dans le cas d'une ambiguïté; les trois sont sur un pied d'égalité et devront être interprétées ensemble.

La présidente : La même chose vaudrait donc pour l'article précédent, où l'on trouve une série comparable de dispositions, portant cette fois sur les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux. Une fois qu'il a été déclaré que le texte en inuit a force de loi, les versions anglaise, française et inuite sont égales devant la loi.

Mme Lagendyk : Tout à fait.

[Français]

Le sénateur corbin : Une toute petite question, madame la présidente. Est-ce que la sanction royale est requise pour l'entrée en vigueur ou la reconnaissance de l'assentiment des deux chambres? Ce n'est pas clair.

Michael Aquilino, avocat, Groupe du droit des langues officielles, ministère de la Justice Canada : Bien que la disposition dans la loi sur le Nunavut se réfère au mot « Parlement » qui ordinairement signifie les deux Chambres et la Reine, il faut lire dans cette disposition le mot « résolution ». Le mot « résolution » l'emporte sur le mot « Parlement » dans cette instance et nous avons interprété le mot « résolution » comme disant que la sanction royale n'est pas requise dans cette instance. Donc, l'agrément des deux Chambres suffira.

Le sénateur corbin : Comment communiquer l'assentiment à l'assemblée du Nunavut? Est-ce que c'est fait par les greffiers respectifs des deux Chambres, par les Présidents? Quel est le véhicule?

M. Aquilino : J'imagine que cela serait une question procédurale.

La présidente : J'imagine que le greffier du Sénat peut certifier la résolution et l'envoyer à qui de droit.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Toujours sur le même sujet, je conteste le bien-fondé de votre affirmation car la Loi d'interprétation précise de manière très claire que le Parlement désigne le Parlement du Canada et que ce dernier, selon l'article 17 de la Loi constitutionnelle, est composé de Sa Majesté, de la Chambre des communes et du Sénat. À l'article 39.1 de la Loi concernant l'interprétation des lois et des règlements, il est dit, et je cite :

... (Dans les lois, l'emploi des expressions ci-après... comporte les implications suivantes) : « Sous réserve de résolution de ratification du Parlement » : le règlement est à déposer devant le Parlement dans les 15 jours suivant sa prise.

La définition du Parlement que vous avancez a trait à la réglementation. Or, nous ne sommes pas ici pour parler de règlement : nous le sommes pour donner notre aval à une loi ayant une incidence sur les droits des citoyens canadiens. Tel que je l'interprète ici, le terme Parlement implique l'agrément de Sa Majesté par voie de proclamation. C'est ainsi que j'interprète l'article 38.

M. Aquilino : Dans d'autres circonstances, je partagerais votre interprétation. Toutefois, nous sommes ici pour donner notre appui par voie de résolution. Si je ne m'abuse, selon le règlement sur les procédures parlementaires, une résolution est l'expression de la volonté de l'une ou des deux chambres et ne nécessite pas la sanction royale. Telle est notre interprétation.

Le sénateur Joyal : Oui, mais Sa Majesté peut émettre une proclamation. Sa Majesté peut proclamer tout ce que le Parlement peut lui avoir proposé.

Mme Lagendyk : Selon nous, puisqu'en fait la résolution est une motion, elle ne nécessite aucunement une telle intervention de l'une ou l'autre chambre. Elle est l'expression d'un principe ou d'une position.

Nous sommes d'avis que la sanction royale n'est pas nécessaire. Cela peut être interprété ainsi, même si je ne cherche pas à manquer de respect. Si la sanction royale est obligatoire, si telle est bien la conclusion à laquelle on arrive, alors, à mon avis, la sanction royale est une étape de la procédure qui ne fait toutefois pas obstacle à cette procédure-ci. Il s'agit d'une étape de plus, mais qui ne nuira en rien au processus, quelle que soit votre décision.

La présidente : À votre connaissance, existe-t-il des précédents auxquels se reporter?

Mme Lagendyk : Pas à ma connaissance. Pour ce qui est de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord- Ouest, le Parlement a exprimé son approbation autrement. Il existe un mécanisme différent. C'est la première fois qu'un agrément est demandé. Il n'existe aucun précédent. Nous essayons donc simplement d'appliquer des principes analogues lorsque nous traitons de cette question.

Le sénateur Joyal : À mon sens, il y a une distinction juridique entre les mots « agrément » et « sanction ». La sanction constitue un rôle législatif de Sa Majesté. L'agrément est autre chose. Elle a dit qu'elle a agréé ce qu'elle avait devant elle. À mon sens, si nous utilisons le mot « Parlement » tel qu'il est utilisé dans la Loi d'interprétation, dans la Loi constitutionnelle et dans toutes les autres lois canadiennes, il faudrait faire preuve de cohérence. Au lieu d'utiliser le mot « Parlement », on aurait dû utiliser les mots « la Chambre des communes et le Sénat ». Je l'aurais compris. Maintenant nous parlons du Parlement.

Pour être sûrs de ce que nous faisons, nous devrions demander l'agrément de Sa Majesté par le truchement de la gouverneure générale. Il s'agit d'une procédure, mais c'est important. Vous êtes le ministère de la Justice, et c'est à vous qu'il incombe de nous donner des avis solides sur la Constitution.

La présidente : Je crois que vous nous avez donné votre avis.

Mme Lagendyk : Évidemment, c'est ouvert à l'interprétation. Nous en avons discuté, et ce sont nos conclusions. Je ne peux pas en dire plus.

La présidente : Cela dit, je vous remercie beaucoup de votre contribution. Je vous demanderais de quitter la table et je me tourne rapidement vers les membres du comité.

Chers collègues, comme vous le savez, notre ordre de renvoi nous demande de fournir un rapport au Sénat demain. D'ici 8 h 30 demain matin, l'heure à laquelle nous allons nous rencontrer dans notre salle régulière dans l'édifice de l'Est, nos rédacteurs devront donc produire une ébauche de toutes les recommandations que nous souhaitons faire.

Nous faisons face à un vote entre autres. Voulez-vous demander au comité de direction de rencontrer les rédacteurs tout de suite après le vote par assis et levé afin de discuter rapidement des recommandations possibles? À mon sens, l'orientation de nos séances est très claire et il n'y a pas eu trop de divergences d'opinions autour de la table. Si vous êtes prêts à confier la chose au comité de direction, cela permettrait à nos rédacteurs d'une patience à toute épreuve de commencer le travail un peu plus tôt et peut-être d'avoir un peu plus de sommeil à la fin de cette longue tâche qui les attend. Vous plaît-il, chers collègues, de procéder ainsi?

Le sénateur Joyal : Peut-on échanger nos opinions pendant une vingtaine de minutes après le vote?

La présidente : Sénateur Joyal, vous savez sans doute que de nombreux membres de notre groupe ont des engagements ce soir. Si les autres membres veulent confier cette tâche au comité de direction, ceux qui désirent venir à la réunion dans la salle 356-S après le vote par assis et levé sont les bienvenus, mais nous ne serons pas assujettis aux mêmes exigences officielles et fastidieuses qui s'appliquent à une réunion du comité plénier.

Le sénateur Joyal : Il s'agit plutôt de creuser les méninges des divers sénateurs.

La présidente : Très rapidement.

Le sénateur Joyal : Oui.

La présidente : Chers collègues, la journée a été très intéressante. Je vous remercie tous beaucoup. Le comité de direction se réunira dans la salle 356-S tout de suite après le vote par assis et levé et le comité tout entier se réunira à 8 h 30 demain matin dans notre salle régulière à l'édifice de l'Est.

(La séance est levée.)


Haut de page