Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 12 - Témoignages du 17 juin 2009
OTTAWA, le mercredi 17 juin 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi sur les juges et le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et protection des personnes associées au système judiciaire), se réunit aujourd'hui à 16 h 3 pour étudier les projets de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous allons commencer par l'étude du projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi sur les juges. Nous avons le plaisir spécial d'accueillir comme témoins deux ministres de la Couronne, l'honorable Chuck Strahl, C.P., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits, et un témoin que le comité connaît bien, l'honorable Rob Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada.
Messieurs les ministres, avez-vous décidé qui commencerait?
L'honorable Rob Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Oui. Je vais présenter des remarques préliminaires et laisser ensuite mon collègue poursuivre.
Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour parler d'une modification à la Loi sur les juges. Vous allez constater que nous proposons de modifier une seule disposition de la Loi sur les juges, l'alinéa 16d), qui autorise la nomination de juges à la Cour du banc de la Reine du Manitoba. À l'heure actuelle, cet article prévoit la nomination de 30 juges de cette cour. Notre modification augmenterait d'un juge le nombre de ceux qui pourraient être nommés à la Cour du banc de la Reine du Manitoba. Nous présentons cette modification d'une seule disposition dans le but précis d'appuyer la mise en route de la Commission de vérité et de réconciliation.
Comme le ministre Strahl l'expliquera, un juge siégeant à la Cour du banc de la Reine du Manitoba a fait l'objet d'une recommandation proposant qu'il soit nommé président de la Commission de vérité et de réconciliation. Le juge pourrait prendre un congé de ses fonctions judiciaires aux termes de l'article 56 de la Loi sur les juges pour accepter ce poste. Cependant, un congé n'aurait pas pour effet de créer une vacance dans ce tribunal. Sa nomination aurait ainsi pour effet de réduire d'un juge pour la durée de son mandat le nombre de ceux qui siègent à la Cour du banc de la Reine du Manitoba, sans qu'il soit possible de le remplacer. Cette situation aurait été préjudiciable au bon fonctionnement de cette cour.
L'amendement proposé vise à augmenter d'un juge le personnel de la Cour du banc de la Reine du Manitoba et permettrait au gouvernement de nommer un nouveau juge à la Cour du banc de la Reine pour que celle-ci puisse travailler à pleine capacité pendant l'absence de ce président.
[Français]
L'honorable Chuck Strahl, C.P., député, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits : Madame la présidente, je vous remercie de m'offrir l'occasion de me présenter devant le comité avec le ministre de la Justice pour discuter du projet de loi C-39.
[Traduction]
Je suis heureux que le comité soit disposé à examiner rapidement et de façon détaillée le projet de loi en question. Avant de commencer mes remarques, j'aimerais présenter les collaborateurs qui m'accompagnent aujourd'hui. Il y a Caroline Davis, sous-ministre adjointe, Secteur de résolution et des affaires individuelles et Aideen Nabigon, directrice exécutive intérimaire, Secrétariat de la Commission de vérité et de réconciliation. Je les remercie tous les deux pour le travail qu'ils ont accompli dans ce dossier.
Le projet de loi C-39 propose ce qui nous paraît être une solution efficace à un problème relié à la Commission de vérité et de réconciliation. Comme les membres du comité le savent, le début des travaux de cette commission a été difficile. La Commission de vérité et de réconciliation n'est pas directement mentionnée dans le projet de loi C-39, mais cette mesure législative va faciliter la reprise des travaux de la commission.
Le projet de loi C-39 propose de modifier la Loi sur les juges pour autoriser la nomination d'un juge supplémentaire à la Cour du banc de la Reine du Manitoba. Cette nomination permettrait à l'honorable juge Murray Sinclair de commencer à occuper le poste de président de la Commission de vérité et de réconciliation, et de le faire sans perturber le fonctionnement de la Cour du banc de la Reine du Manitoba.
Toutes les parties à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens appuient déjà la nomination de l'honorable juge Sinclair. Cependant, avec cette nomination, la cour n'aura pas tous les juges auxquels elle a droit, situation qui serait contraire aux intérêts des Manitobains. Ce serait inacceptable. Le projet de loi C-39 résoudra ce problème en facilitant la nomination d'un juge remplaçant au tribunal. Cela permettra aussi à la Commission de vérité et de réconciliation de commencer ses travaux qui sont d'une importance capitale.
[Français]
La Commission de vérité et de réconciliation est nécessaire pour aider les Canadiens à comprendre ce triste chapitre de notre histoire et comment il affecte toujours les Autochtones aujourd'hui.
[Traduction]
Le système des pensionnats indiens a laissé une tache indélébile sur l'histoire du Canada. Il ne faut jamais oublier le passé, mais nous pouvons atténuer les effets négatifs que continuent à ressentir tous les Canadiens. En faisant la lumière sur le passé, la commission va aider les peuples autochtones à considérer notre passé avec franchise et sensibilité. De plus, la commission aidera tous les Canadiens à privilégier la guérison, la compassion et une vision positive de l'avenir.
Madame la présidente, c'est exactement ce que vise le projet de loi C-39. J'invite le comité à examiner ce projet de loi de façon rapide et efficace, comme il le fait habituellement. Je vous remercie de l'attention que vous allez accorder à cette question. Je pense qu'il est dans l'intérêt de tous les Canadiens que nous procédions aussi rapidement que possible.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Nolin : Je n'ai qu'une question technique. En principe, nous sommes tous d'accord sur l'idée de confier la présidence de la commission à un juge. Monsieur Nicholson, cette augmentation est-elle une mesure temporaire qui expirera à la fin du mandat de la commission, ou une augmentation permanente?
M. Nicholson : Tel que le projet de loi est formulé, ce sera une augmentation permanente. Nous pourrons revoir cette question dans cinq ans, mais nous serons peut-être amenés, à ce moment-là, à tenir compte d'autres aspects.
Le sénateur Nolin : Lorsque le juge Sinclair quittera ses fonctions de président de la commission, cela entraînera une augmentation nette d'un juge pour cette cour.
M. Nicholson : À moins que la question ne soit revue à ce moment-là, oui, mais nous allons procéder une étape à la fois, sénateur.
La présidente : Le juge Sinclair est le deuxième membre de la magistrature à présider la commission. Je pense que dans le cas de première nomination, il n'a pas été nécessaire de présenter un projet de loi comme celui-ci. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi?
M. Nicholson : Au moment où le juge LaForme a été nommé, il y avait ce qu'on appelle deux postes spéciaux, ou deux postes supplémentaires à la Cour d'appel de l'Ontario. Il a donc été possible de procéder à cette nomination sans modifier la Loi sur les juges. Toutefois, dans ce cas-ci, nous n'avons pas cette possibilité. Il n'y a pas de postes spéciaux qui nous permettraient d'ajouter un juge au personnel de la Cour du banc de la Reine du Manitoba.
Mon collègue et moi avons parlé de cette question à plusieurs reprises et nous avons estimé que c'était la façon la plus rapide — et franchement, la seule façon qui permette, d'après nous, de régler cette situation et de nommer cette personne. La situation était différente avec le juge LaForme, parce qu'il y avait des postes spéciaux qui nous ont permis de nommer jusqu'à deux membres supplémentaires de la Cour d'appel. C'est la raison pour laquelle nous avons pu le nommer, et nous aurions pu nommer une autre personne à la Cour d'appel de l'Ontario avec la loi actuelle.
Le sénateur Milne : Messieurs les ministres, le sénateur Nolin a posé ma question, mais je m'interroge sur les malentendus internes qui sont à l'origine de la situation difficile précédente et sur les mesures que le ministère prend pour s'assurer que cette fois-ci toutes les parties connaissent bien le rôle qu'elles doivent jouer.
M. Strahl : C'est une bonne question, et nous avons passé beaucoup de temps à y réfléchir depuis la démission des premiers commissaires jusqu'aux nominations que nous avons annoncées récemment.
Toutes les parties au règlement ont accepté de se réunir, avec le juge Iacobucci dans le rôle de facilitateur, pour examiner ces questions, suivre un processus de sélection et d'entrevue au cours duquel elles ont examiné les nominations au poste de commissaire en chef et aux autres postes. Elles ont également convenu d'examiner en détail, avec le secrétariat, le rôle du commissaire en chef et des autres commissaires et leurs rapports entre eux, d'examiner la question de savoir si cette personne devrait conserver le rôle d'administrateur général, ce qui est davantage un rôle technique, par exemple. Toutes ces questions ont été examinées en détail et réglées avec l'aide du juge Iacobucci. C'est un processus qui a bien fonctionné. Lorsque nous avons formulé, pour la première fois, le mandat de la commission, le texte ne semblait soulever aucune difficulté. Cependant, lorsqu'il s'est agi de le mettre en œuvre, lorsqu'il a fallu examiner la façon dont les choses fonctionnaient vraiment, nous avons constaté qu'il fallait préciser certains aspects. Ces éléments ont été précisés et acceptés par toutes les parties à la convention de règlement.
Tout cela a été expliqué au cours des entrevues aux commissaires pressentis et tout le monde a semblé satisfait d'obtenir des détails aussi précis, qui ont permis d'éclaircir la nature des rapports entre les commissaires, le secrétariat, la fonction publique et moi. Tout cela est clairement décrit, de façon à garantir l'indépendance de la Commission de vérité et de réconciliation, aspect très important si nous voulons obtenir un rapport qui sera respecté par tous les participants, tout en voulant faire en sorte que les aspects techniques de l'opération — l'administration, les rapports hiérarchiques, tous ces éléments — soient clairement précisés.
Je suis convaincu, comme le sont les autres participants qui ont travaillé avec le juge Iacobucci, que ces éléments sont maintenant en place. Les commissaires comprennent le juge Murray Sinclair, qui a déjà agi en qualité de commissaire d'enquête, de sorte qu'il savait déjà quels étaient les aspects qu'il était bon de préciser. Tout le monde semble estimer que le travail qui a été effectué a permis de répondre à toutes ces questions.
Le sénateur Milne : Combien de temps prévoyez-vous que cette enquête va durer?
M. Strahl : La convention initiale parlait de cinq ans à partir du lancement de la première commission, mais bien sûr, il s'est déjà écoulé une année. Certaines choses ont été faites entre-temps. Le secrétariat a été mis sur pied; l'organisation des assemblées et d'autres aspects ont déjà été mis au point, tout comme un bon nombre des services destinés aux survivants.
J'ai fait savoir aux commissaires que nous étions disposés à leur accorder cinq ans plutôt que quatre, mais également à travailler avec eux pendant toute cette période. Ils pourraient fort bien souhaiter déposer plus rapidement leur rapport final. Ce sera à eux de le décider. Ils jouissent d'une grande indépendance, et nous voulions être sûrs que cette indépendance paraisse clairement dès le début.
Ils disposent effectivement de cinq ans, mais, là encore, c'est à eux de décider et je ne veux pas leur imposer quoi que ce soit. Ce n'est pas moi qui vais administrer la commission; ce sera aux commissaires de déposer le rapport final lorsqu'ils estimeront que leur travail est terminé.
Le sénateur Wallace : Monsieur Strahl, ce n'est pas tant une question qu'un commentaire. Je tiens à vous féliciter d'avoir mis sur pied la Commission de vérité et de réconciliation. Ses travaux vont bien évidemment être précieux et nécessaires et comme vous l'avez dit, il est temps que la commission reprenne ses travaux. Voilà — pour tous ceux qui sont ici, j'en suis sûr, et pour vous — d'excellentes nouvelles, comme l'étaient les excuses formulées par le premier ministre l'année dernière; les deux choses vont ensemble. Le moment est venu de démarrer ces travaux et je suis sûr que vous en ressentez comme nous toute l'urgence. Allons de l'avant et que ces travaux reprennent, comme vous dites.
M. Strahl : Absolument. Merci.
La présidente : C'était un commentaire, pas une question.
Le sénateur Wallace : Je pense que cela finissait par un point d'interrogation.
M. Strahl : La seule chose que j'aimerais ajouter est qu'un bon nombre d'entre nous ont été sensibles au fait que cette année, un an après les excuses, l'Assemblée des Premières Nations a proposé de tenir une journée de réconciliation plutôt qu'une journée d'action, ou de protestation ou une journée consacrée à autre chose. C'est un point important.
Cela ne veut pas dire que nous pouvons prendre notre temps — nous voulons travailler à la réconciliation — mais j'ai trouvé qu'il était important, tout comme d'autres d'ailleurs, que le chef national et de nombreux autres dirigeants aient parlé de réconciliation; nous devons maintenant tout faire pour la concrétiser. J'ai pensé qu'il était important que le jour anniversaire, l'atmosphère ait quelque peu changé : Nous sommes maintenant prêts à parler des moyens de travailler à cette réconciliation. Il faut que tous les Canadiens y réfléchissent, pas seulement les Autochtones. Nous devons tous essayer d'imaginer comment cela pourrait se faire. C'est la raison pour laquelle le rapport du commissaire est tant attendu, parce qu'il faut qu'il révèle ce qui s'est véritablement passé à l'époque des pensionnats, tout en favorisant la réconciliation, comme vous dites, considérée comme un changement d'attitude chez deux peuples.
La présidente : J'ai quelques questions à vous poser, monsieur Nicholson. La première est purement technique. Lorsqu'un juge est nommé président d'une commission d'enquête, qui paie son salaire? Est-ce que le juge reçoit deux salaires, ou comment cela fonctionne-t-il?
M. Nicholson : C'est une bonne question technique. Il ne reçoit pas deux salaires.
La présidente : Voilà qui est bien.
M. Nicholson : Il n'en reçoit pas deux. Il est rémunéré en tant que juge. Je crois savoir qu'il reçoit le même traitement que celui qu'il reçoit à l'heure actuelle, en qualité de juge de la Cour du banc de la Reine. Je crois que c'est ainsi que les choses se passent. C'est une nomination par décret.
La présidente : Ma deuxième question est plus générale. Étant donné qu'avec le projet de loi tel que formulé, le nombre de juges de la Cour du banc de la Reine au Manitoba sera augmenté de façon permanente, même s'il existe la possibilité de réviser cette mesure dans cinq ans, pouvons-nous y voir une petite indication que vous pensez qu'il ne serait pas mauvais de nommer davantage de juges?
M. Nicholson : J'ai comparu devant votre comité pour proposer une autre modification à la Loi sur les juges qui avait pour but d'en augmenter le nombre. D'une façon générale, lorsque la population d'un pays s'accroît, et lorsque le nombre des litiges s'accroît également, il paraît logique d'avoir plus de juges. Vous avez raison; c'est la deuxième fois que je comparais devant le comité pour proposer une mesure législative qui va augmenter le nombre des juges et, bien entendu, j'ai appuyé ces deux mesures.
Pour ce qui est du salaire, il serait rémunéré aux termes de la Loi sur les juges, en qualité de président de cette commission.
Le sénateur Milne : Dans votre exposé, vous avez déclaré qu'une fois les nouveaux membres de la commission nommés, vous seriez prêt à fixer la date du premier événement national et des autres activités prévues par le mandat de la CVR. Je comprends ce que veut dire « les autres activités faisant partie du mandat de la CVR », mais qu'entendez- vous par « le premier événement national »?
M. Strahl : Le mandat de la commission prévoit la tenue d'événements importants dans toutes les régions du pays et une autre série d'événements à la discrétion de la commission.
Aideen Nabigon, directrice exécutive intérimaire, Secrétariat de la Commission de vérité et de réconciliation Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada : Comme l'a déclaré le ministre, selon le mandat de la Convention de règlement, la CVR est tenue d'organiser sept événements nationaux.
Le sénateur Milne : Voulez-vous dire des réunions publiques plutôt que des événements nationaux?
Mme Nabigon : Oui, des réunions publiques auxquelles assisteront les médias nationaux et internationaux, ainsi que des Autochtones et des non-Autochtones. Les survivants des pensionnats raconteront ce qu'ils ont vécu. D'autres Canadiens les écouteront et apprendront ce qui est arrivé, ce qui démarrera le processus de réconciliation.
Il est également prévu de tenir des événements communautaires, qui seront d'envergure moindre, et avec une présence réduite des médias. Ces événements pourraient regrouper une à quatre collectivités.
Le sénateur Milne : Vous recueillerez probablement davantage de commentaires à ces événements modestes plutôt qu'à ceux qui susciteront beaucoup d'attention, de la part des médias, notamment.
Mme Nabigon : Oui.
Le sénateur Milne : Ces gens veulent être relativement discrets au sujet de ce qui leur est arrivé.
Mme Nabigon : C'est possible. L'idée est que les événements nationaux vont attirer de nombreux participants et feront un peu plus de bruit, avec la présence des médias. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit là d'événements qui visent aussi à faciliter la réconciliation. Les événements communautaires permettront davantage, comme vous le dites, aux survivants de raconter leur expérience, mais toujours dans un cadre respectueux et très protégé. Nous savons que les survivants ont besoin de soutien et de protection. La situation sera différente pour les événements auxquels assisteront les médias nationaux et internationaux, de sorte que dans ces deux types de réunions, l'ambiance ne sera pas la même. Mais tous ces événements visent à favoriser la réconciliation.
Le sénateur Milne : Prévoyez-vous accorder une aide supplémentaire aux survivants?
Mme Nabigon : Une aide supplémentaire pour ce qui est du soutien?
Le sénateur Milne : Oui, pour les aider à régler les problèmes personnels qui perdurent.
Mme Nabigon : Oui, c'est extrêmement important. Nous travaillons avec Santé Canada et avec la Fondation pour la guérison des Autochtones. Il y a des groupes régionaux et communautaires qui fournissent déjà un soutien de ce genre aux survivants, à leurs familles et à leurs collectivités pour veiller à ce qu'ils soient bien entourés et qu'il y ait des services d'appui très présents au moment où ils vont raconter leur expérience. Cela risque d'être très traumatisant. Il y a des survivants qui en parleront pour la première fois.
Certains survivants racontent depuis longtemps ce qu'ils ont vécu. Ils ont vécu des choses horribles, mais ils se trouvent à des étapes différentes du voyage vers la guérison. Ce sont ces personnes que nous aimerions voir devant les caméras nationales et internationales, parce qu'elles seront peut-être mieux préparées à raconter leur expérience qu'une personne qui le fait pour la première fois.
M. Strahl : La Fondation pour la guérison des Autochtones a publié un deuxième livre qui contient des histoires et des expériences vécues en matière de réconciliation. J'ai parlé l'autre jour au directeur de la fondation et il m'a dit que 11 000 exemplaires de la première édition de ce livre avaient été commandés. La deuxième édition n'a paru que cette semaine.
S'il y a des gens qui veulent se faire une idée des possibilités qu'offre ce voyage vers la réconciliation, je leur recommande de visiter le site Web de la Fondation pour la guérison des Autochtones et d'examiner ce livre, et même, d'en commander un. Ce n'est pas une lecture facile, parce que c'est un problème difficile, mais il est bien fait. Pour ceux qui veulent prendre un peu d'avance pour les audiences, c'est une bonne introduction.
Le sénateur Milne : Madame la présidente, je vous demande de m'excuser de nous avoir éloignés du sujet du projet de loi, mais il est important de faire figurer un certain nombre de ces choses dans le compte rendu.
La présidente : Il est important de bien comprendre pourquoi nous faisons ce que nous faisons et le comité n'a pas souvent la chance d'avoir comme témoin le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et l'interlocuteur fédéral des Métis et des Indiens non inscrits.
M. Strahl : C'est moi qui ai, de tous les ministres, le titre le plus long.
La présidente : Messieurs les ministres et les collaborateurs, nous vous sommes reconnaissants de cette discussion, qui a été fort utile. Je vous remercie.
Chers collègues, sommes-nous d'accord pour que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi sur les juges?
Des voix : D'accord.
La présidente : Le titre est-il réservé?
Des voix : D'accord.
La présidente : D'accord. L'article 1 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
La présidente : Adopté. Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
La présidente : D'accord. Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D'accord.
La présidente : Il est adopté. Le comité souhaite-t-il réfléchir à la possibilité d'annexer des observations au rapport?
Des voix : Non.
La présidente : Par conséquent, acceptez-vous que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
La présidente : Merci. Je le ferai à la séance de demain.
[Français]
La présidente : Nous procédons maintenant à l'étude du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et protection des personnes associées au système judiciaire).
Nous avons le grand plaisir de souhaiter à nouveau la bienvenue à l'honorable Rob Nicholson, député, ministre de la Justice et procureur général du Canada.
[Traduction]
Bienvenue encore une fois, monsieur le ministre. Nous sommes ravis de vous avoir avec nous. Je pense que vous avez une déclaration à faire au sujet du prochain projet de loi à l'ordre du jour, le projet de loi C-14, avant que nous passions aux questions.
M. Nicholson : Je suis heureux d'être ici avec Matthew Taylor du ministère de la Justice. Je suis content qu'il m'accompagne.
Merci de nous avoir invités à comparaître pour parler du projet de loi C-14. Comme vous le savez, le projet de loi propose d'apporter des modifications importantes au Code criminel pour répondre aux actes de violence et d'intimidation perpétrés par le crime organisé, notamment par les gangs de rue.
Je suis heureux de constater que tous les partis sont favorables à ce projet de loi qui a pour but de lutter contre le mépris qu'entretient le crime organisé pour la sécurité de nos citoyens. Le préjudice que ces groupes nous causent nous incite à faire front contre eux et dépasse vraiment les politiques partisanes.
L'appui dont ce projet de loi a bénéficié à la Chambre des communes reflète l'appui unanime qu'il a reçu des gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que de la part des membres des services de police.
Le projet de loi C-14 porte sur quatre principaux aspects. Premièrement, il propose que tous les meurtres liés au crime organisé, qu'ils soient prémédités ou non, constituent automatiquement des meurtres au premier degré. L'article 231 du Code criminel classe les meurtres en deux catégories : le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré. Le meurtre est un meurtre au premier degré lorsqu'il concerne une victime particulière, par exemple un agent de police, lorsqu'il est commis au cours de la perpétration d'une infraction associée à la domination, comme l'agression sexuelle, ainsi que lorsqu'il est commis au cours de la perpétration d'événements associés à une explosion, comme ceux qui sont commis pour le compte d'une organisation criminelle. Le projet de loi C-14 propose de modifier, dans le cas du crime organisé, la disposition établissant ces catégories en élargissant cette catégorie pour qu'elle comprenne tous les meurtres liés au crime organisé, qui deviennent ainsi tous des meurtres au premier degré.
Les modifications visent les liens avec le crime organisé et le danger que posent les activités du crime organisé à la population de deux façons. Premièrement, s'il est possible d'établir que le meurtre a été commis directement au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou en association avec elle, alors il sera qualifié de meurtre au premier degré, même s'il n'est pas possible d'établir qu'il y a eu une préméditation. Par conséquent, même si le meurtre est relativement spontané, mais a été commis au profit d'une organisation criminelle ou conseillé par elle, ce sera un meurtre au premier degré. Deuxièmement, s'il peut être établi que le meurtre a été commis par une personne qui perpétrait ou tentait de perpétrer un acte criminel au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou en association avec elle, alors le meurtre est qualifié de meurtre au premier degré.
Il convient de préciser que le projet n'a pas pour effet de transformer l'homicide involontaire en meurtre ni de créer une disposition prévoyant le meurtre par interprétation. Il vise uniquement les personnes qui ont, au préalable, été déclarées coupables de meurtre. En fin de compte, ces dispositions sont essentiellement des dispositions relatives à la détermination de la peine. Nous avons constaté une tendance générale, à savoir que le nombre des homicides commis par des membres de gangs, ainsi que celui des meurtres, continue d'augmenter. Cette violence pose une menace particulière et mortelle à ceux qui exercent des activités de gang, mais également, d'une façon plus générale, à la population. Il nous appartient de dénoncer, sans aucune ambiguïté, cette activité.
Le deuxième secteur de réforme porte sur la question des fusillades exécutées à partir d'une voiture et autres fusillades avec insouciance. Cette infraction s'attache à l'intention criminelle du contrevenant et non pas aux conséquences particulières de ses actes. Elle punit ceux qui, délibérément, sachant que leur action peut mettre en danger d'autres personnes, décident de décharger quand même leur arme même avec ce risque. Je trouve qu'un tel mépris d'autrui est profondément choquant, comme vous le trouvez également, j'en suis sûr.
Le projet de loi C-14 fixe une peine appropriée pour ce genre d'infraction. L'infraction serait punissable par une peine obligatoire d'au moins quatre ans d'emprisonnement et par une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement. La peine minimale passe à cinq ans si l'infraction est commise au profit, ou sous la direction, d'une organisation criminelle ou en association avec elle. De plus, les récidivistes qui ont utilisé une arme prohibée ou à usage restreint ou ont commis l'infraction au profit du crime organisé feraient l'objet d'une peine obligatoire de sept ans d'emprisonnement. Ce régime des peines est conforme aux autres infractions graves associées à l'utilisation d'armes à feu et prévues dans le Code criminel et sanctionne ce genre de comportement par des peines appropriées.
Nous avons également pris des mesures pour renforcer le traitement accordé par le Code criminel aux agressions contre les policiers et les autres agents de la paix, en ajoutant deux nouvelles infractions qui répondent précisément à ces agressions très graves. La première infraction réprime l'agression armée ou l'infliction de lésions corporelles à un agent de la paix. C'est une infraction mixte punissable par une peine maximale de 10 ans d'emprisonnement. La deuxième infraction réprime les voies de fait graves contre un policier ou un agent de la paix. Cette infraction constituerait un acte criminel punissable par une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement. Combinées, ces deux infractions, conjuguées aux infractions existantes de voies de fait contre un agent de la paix et de meurtre au premier degré d'un agent de la paix, auraient pour effet de créer un régime complet et distinct au sein du Code criminel visant à répondre à la violence exercée contre les agents de la paix dans l'exercice de leurs fonctions. Il convient de noter que ces modifications répriment les agressions contre tous les membres de la catégorie des agents de la paix, ce qui ne comprend pas uniquement les policiers, mais également les gardiens de prison, les gardes-chasse et agents frontaliers, les membres de la Garde côtière et les agents des pêches, pour n'en nommer que quelques-uns.
Nous codifions également un principe selon lequel, lorsqu'un tribunal détermine la peine applicable à un contrevenant pour une des infractions liées aux agressions contre les agents de la paix, il doit accorder une importance prioritaire aux principes de la dénonciation et de la dissuasion. Cela s'applique aux affaires concernant l'intimidation de personnes associées au système judiciaire, une catégorie qui comprend les juges, les procureurs de la Couronne, les jurées et de nombreuses autres personnes qui jouent un rôle dans le système de justice pénale. Ce comportement vise directement à porter atteinte au principe de la suprématie de la loi dans le système de justice pénale en général et doit être vivement dénoncé.
Enfin, l'adoption du projet de loi C-14 renforcerait l'application des dispositions en matière d'engagement de la part des membres de gang, ou ce qu'on appelle couramment les engagements de ne pas troubler l'ordre public applicables aux membres des gangs. Un tel engagement est un moyen préventif qui vise à empêcher la perpétration d'une infraction. Ces modifications précisent clairement que le tribunal qui rend ce genre d'ordonnance peut imposer toute condition raisonnable qu'il estime nécessaire pour garantir la bonne conduite de l'accusé. La modification permet également de prolonger l'ordonnance jusqu'à 24 mois si le défendeur a déjà été déclaré coupable d'une infraction d'organisation criminelle. Nous prévoyons que ces modifications vont nous permettre de réprimer le comportement des personnes que l'on soupçonne d'exercer des activités de crime organisé et, nous l'espérons, nous aider à éviter, dès le départ, que de telles activités soient exercées.
En fait, je sais que le service de police de Toronto a connu du succès avec ces ordonnances, pour ce qui est de limiter les activités des gangs de rue, parce qu'elles leur permettent de suivre les activités des membres de gangs de rue et de les accuser de violation d'une ordonnance, lorsque cela devient nécessaire.
J'invite tous les honorables sénateurs à continuer à travailler dans un esprit de collaboration et à faciliter l'adoption de ces modifications le plus rapidement possible.
La présidente : Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Nolin : Merci d'être venu, monsieur le ministre. Si ma mémoire est bonne, vous avez présenté au cours de la législature précédente, avec le projet de loi C-2, une mesure qui prévoyait des peines minimales obligatoires pour les crimes graves associés aux armes à feu.
M. Nicholson : Oui, c'est exact.
Le sénateur Nolin : Vous faites la même chose avec le projet de loi C-14. Ma première question est la suivante : comment cet ensemble d'infractions criminelles reliées aux crimes graves associés aux armes à feu va-t-il s'appliquer?
M. Nicholson : Ces infractions viennent s'ajouter à celles qui existent déjà. Vous avez tout à fait raison de dire que le projet de loi C-2, la Loi sur la lutte contre les crimes violents, contenait des dispositions précises en vertu desquelles les personnes déclarées coupables de certains crimes graves associés aux armes à feu peuvent faire l'objet, sans tenir compte de la peine maximale, d'une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement si elles sont déclarées coupables d'une telle infraction pour la première fois. Si elles ne comprennent pas la première fois, le tribunal va leur imposer, pour une deuxième condamnation, une peine minimale de sept ans d'emprisonnement. Le tribunal peut, à sa discrétion, augmenter la peine en fonction de la gravité de l'infraction. Nous avons ici un ajout à ces dispositions, et qui vise, ce que nous appelons, les fusillades au volant d'une voiture, ou l'usage insouciant d'une arme à feu. Elles viennent s'ajouter aux infractions précédentes et viennent compléter les dispositions qui ont déjà été adoptées à l'égard des crimes associés aux armes à feu. À mon avis, ces dispositions visent à faire comprendre aux gens que, s'ils font preuve d'insouciance, s'ils essaient d'utiliser une arme à feu à des fins illégales ou sans se soucier de la sécurité d'autrui, il existe désormais toute une série de peines prévues par le Code criminel qui visent directement ce genre d'actes et qui entraînent de graves conséquences.
Le sénateur Nolin : Vous avez déclaré dans vos remarques d'ouverture que vous aviez eu des consultations approfondies avec vos homologues provinciaux.
M. Nicholson : Oui.
Le sénateur Nolin : Vous ont-ils fait part de la fréquence de ces situations et de l'ampleur du problème?
M. Nicholson : Le problème que posent les gangs, ce dont il s'agit ici, s'aggrave. Le nombre des homicides a cessé d'augmenter et a même diminué certaines années, mais celui des meurtres reliés aux gangs augmente et représente, aujourd'hui, près de 20 p. 100 des meurtres commis au Canada. Vous pouvez me croire, lorsque je vous dis que l'on m'en parle constamment. Je n'ai pas besoin de vous dire que la situation est très grave, à l'heure actuelle, en Colombie- Britannique, compte tenu de tous les problèmes que cette province connaît avec les gangs, les drogues et les armes à feu. Cette mesure a été, bien sûr, très bien accueillie par mes homologues de la Colombie-Britannique.
Encore une fois, nous avons abordé ces questions à toutes les réunions que nous avons eues avec les procureurs généraux provinciaux et territoriaux, et ils y sont tous très favorables.
Le sénateur Nolin : Ma question portait, bien sûr, sur les crimes reliés aux gangs, mais plus précisément sur le nouvel article 244.2, dans la mesure où cette infraction est commise au Canada. Il s'agit du fait de décharger une arme à feu avec insouciance.
Matthew Taylor, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Un des problèmes qui se pose actuellement est celui des fusillades au volant d'une voiture et ce genre d'activité. Il existe un certain nombre de dispositions du Code criminel qui pourraient être utilisées pour criminaliser et sanctionner les auteurs de fusillades au volant d'une voiture ou de fusillades avec insouciance. Il y a, par exemple, l'article 86, qui est une infraction basée sur la négligence. En fait, elle n'est pas tout à fait appropriée pour réprimer ce genre de comportement, parce qu'il s'agit, ici, de décharger une arme à feu par inadvertance. Cela peut viser des comportements très divers.
Comme le ministre l'a fait remarquer, nous cherchons à sanctionner la personne qui décharge intentionnellement une arme à feu, en étant consciente du danger qu'elle fait courir au public. Nous n'avons pas ces statistiques. Je peux toutefois vous dire que, du point de vue des fonctionnaires, l'autre jour encore, un collègue du gouvernement du Manitoba nous a appelés pour nous dire qu'il y avait eu une série de fusillades de ce genre, de sorte que nous savons que ce genre de crimes est commis fréquemment.
Le sénateur Nolin : Monsieur le ministre, ce n'est pas la première fois que vous présentez à nouveau des peines minimales. Êtes-vous convaincu que ces mesures vont réellement protéger les Canadiens?
M. Nicholson : Cela fait partie de ce que nous essayons de faire. Comme vous le savez, la justice est administrée, en grande partie, au palier provincial, de sorte que nous ne sommes qu'une composante de la justice, mais nous voulons envoyer à la population le message qui convient.
Lorsque j'ai introduit, pour la première fois, les peines d'emprisonnement obligatoire pour les personnes qui commettent des crimes graves associés aux armes à feu, il y a un député de la Chambre des communes qui m'a dit que je ne comprenais pas que la plupart des gens qui commettent ces crimes ne se préoccupent pas des conséquences de leurs actions. Je lui ai répondu que c'était ce que nous cherchions à modifier. Je veux aider ces personnes et veiller à ce qu'elles reçoivent notre message. Il me paraît évident que, lorsqu'un accusé est condamné à une peine de quatre, cinq ou sept ans d'emprisonnement, cela lui donne le temps de réfléchir à la gravité de ses actes.
Je serais très inquiet si la personne qui a commis un crime grave était renvoyée chez elle. Malheureusement, une telle décision ne transmettrait pas le message approprié, parce que finalement, nous voulons que ces personnes se reprennent en main; nous voulons qu'elles se réadaptent à la société et deviennent des citoyens productifs. En même temps, nous voulons leur faire comprendre que les actes qu'elles commettent sont très graves.
Le ministère de la Justice, et les changements au Code criminel que vous examinez ne constituent qu'une partie d'un ensemble plus vaste, je le sais bien. C'est la raison pour laquelle je consulte toujours avec beaucoup de soin les procureurs généraux, et que je suis toujours heureux de recevoir leurs commentaires et ceux des services de police, des membres du milieu juridique et de la population générale. Je suis heureux de constater que, où que j'aille, les gens s'adressent à moi et me disent : « Voilà ce que vous devriez faire. Voilà ce que j'en pense. » Pendant les deux ans et demi où j'ai occupé les fonctions de ministre de la Justice, j'ai toujours apprécié ces commentaires.
Le sénateur Campbell : Je me trouve devant un grave dilemme lorsque je siège à ce comité. Je suis policier de formation, de sorte que j'ai un peu tendance à privilégier la répression, et je connais bien l'aspect concret des peines.
Ma première question concerne l'appartenance à un gang. J'ai participé à un certain nombre d'enquêtes sur des complots, et j'ai constaté que c'était extrêmement complexe. Il est difficile de porter des accusations de complot et il est également difficile de prouver cette infraction. Je n'ai jamais eu à prouver que quelqu'un appartenait à un gang. Je me demande si ce genre de preuve n'est pas également difficile à apporter. Les complots sont difficiles à prouver. Serait-il également difficile de prouver que ces personnes sont membres d'un gang?
M. Nicholson : Cela dépend des faits de chaque affaire, sénateur. Bien évidemment, chaque fois que nous condamnons quelqu'un pour une infraction au Code criminel, nous devons être très prudents. Comme vous le savez, dans notre système, nous appliquons une norme de preuve très élevée. Il est très difficile de prouver la culpabilité au- delà de tout doute raisonnable, et c'est justifié, parce que nous supprimons la liberté d'une personne et, également, nous stigmatisons une personne lorsque nous lui attribuons un casier judiciaire. Il est normal d'avoir à appliquer une norme aussi stricte.
Cela dit, nous fournissons des outils avec le Code criminel. Il y a, depuis quelque temps déjà, des dispositions qui concernent le crime organisé. Si quelqu'un m'indiquait que ces dispositions font problèmes, encore une fois, j'examinerais la question, mais je pense que ce sont là des ajouts raisonnables et appropriés.
Le sénateur Campbell : Ce n'est certainement pas moi qui vais critiquer l'utilité de ces dispositions. Ce qui m'inquiète, c'est la réalité. Si je me mets à la place du policier qui fait une enquête, je me demande s'il sera très difficile d'établir cette appartenance? Je sais qu'il est assez facile de prouver qu'un crime a été commis; la difficulté se pose à l'étape suivante.
M. Taylor : C'est une question difficile qui est d'ailleurs soulevée très souvent. Il existe toutes sortes d'opinions sur ce qu'est la solution appropriée. Certains affirment qu'il est difficile d'établir l'existence d'une organisation criminelle. Cela prend beaucoup de temps, comme l'a déclaré le ministre; les faits sont complexes, et ces affaires prennent beaucoup de temps. Dans d'autres cas, des procureurs de la Couronne nous ont dit qu'ils se sentaient à l'aise avec la façon dont est définie une organisation criminelle. Comme tous les sénateurs le savent, les modifications de 2002 ont changé cette définition et il y a des aspects de cette définition qui sont relativement nouveaux.
Il y a dans la jurisprudence, y compris dans les décisions rendues en Colombie-Britannique, des jugements qui montrent que les procureurs de la Couronne ont réussi à établir l'existence d'organisations criminelles.
Le sénateur Campbell : Ma deuxième question concerne l'accusation de voies de fait contre un policier. Les tribunaux ont toujours déclaré que commettre des voies de fait sur la personne d'un policier était très grave. Lorsque j'examine ce projet de loi, j'essaie de bien comprendre ce qu'il dit. Pourquoi ne pas tout simplement supprimer l'article 270, la disposition qui réprime les voies de fait, et le remplacer par l'article 270.01, que vous ajoutez ici? De mon point de vue, la seule différence que je puisse voir est que la peine maximale est aggravée. Lorsque je vois les accusations qui peuvent être portées aux termes de cet article, j'estime qu'il n'y a pas beaucoup de différence avec la situation antérieure. Pouvez-vous m'expliquer cela?
M. Nicholson : À mon avis, le Code criminel comportait une lacune. Il y avait une disposition concernant les voies de fait contre un policier, et ensuite, une autre qui réprimait le meurtre d'un policier. Nous voulions élaborer une disposition relative aux voies de fait gaves, ces deux dispositions supplémentaires, pour que les voies de fait sur un policier soient réprimées par toute une série de dispositions, de sorte qu'avec cet article, nous visons toutes les situations. Je vais demander à M. Taylor de vous expliquer pourquoi nous n'avons pas supprimé un article pour le remplacer par un autre. C'est une question technique, mais, de mon point de vue, j'étais en faveur de créer un régime distinct applicable à tous les actes commis contre des policiers pour bien faire comprendre à la population qu'il est tout à fait inapproprié et très choquant, de façon générale, que des agents de la paix soient agressés.
Pour ce qui est de l'aspect technique de votre question, et les raisons pour lesquelles nous avons procédé de cette façon, je vais donner la parole à M. Taylor.
M. Taylor : C'est relativement simple, comme l'a dit le ministre Nicholson. La création de ces deux nouvelles infractions, l'agression armée contre un agent de la paix et les voies de fait graves, avait simplement pour but, comme le ministre l'a mentionné, de combler une lacune. Si nous avions supprimé la disposition existante, nous n'aurions plus eu cette disposition qui réprime les voies de fait simples commises contre un agent de la paix. Il y aurait la disposition générale en matière de voies de fait, mais les dispositions législatives ne réprimeraient pas les voies de fait simples commises contre un agent de la paix. C'est principalement pour compléter cet ensemble des dispositions.
La présidente : Pour les personnes qui essaient de suivre nos débats à la télévision, je mentionne que l'article 270 actuel sanctionne les personnes qui commettent des voies de fait « contre un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l'exercice de leurs fonctions ou une personne qui leur prête main-forte »; quelqu'un qui agresse « une personne dans l'intention de résister à une arrestation ou détention légale, la sienne ou celle d'un autre » ou qui agresse une personne « agissant dans l'exécution légale d'un acte judiciaire contre des terres ou des effets », et cetera, ou « avec l'intention de reprendre une chose saisie ou prise en vertu d'un acte judiciaire », et cetera.
M. Nicholson : Ces dispositions viennent s'ajouter à celles-ci.
Le sénateur Wallace : Monsieur le ministre, vous disiez que ce projet de loi bénéficiait d'un appui très large, et que cela est encourageant pour le parrain du projet de loi. Étant donné que c'est moi qui a personnellement parrainé le projet de loi au Sénat, je suis aussi très heureux d'entendre ce genre de chose. J'ai lu récemment que les services de police d'Ottawa et le bureau des procureurs de la Couronne de Québec avaient officiellement fait savoir qu'ils appuyaient ce projet de loi.
En particulier — je suis sûr que vous allez beaucoup apprécier — je sais que Dominic LeBlanc, le critique libéral de la justice, a déclaré, au moment où cette question a été examinée par la Chambre, que ce projet de loi avait pour but de protéger le public et de faire clairement savoir que le Parlement était décidé à lutter vigoureusement contre le crime organisé. Étant donné que cet appui vient de l'autre côté de la Chambre, je trouve cela très encourageant.
Vous avez manifestement procédé à de très vastes consultations avant de déposer le projet de loi. Je me demande si vous pouvez nous donner quelques détails à ce sujet pour que nous puissions mieux saisir toute l'ampleur de ces consultations.
M. Nicholson : Nous recevons constamment des commentaires. Vous avez tout à fait raison; ce projet de loi bénéficie d'un très large appui. D'autres organisations comme l'Association canadienne des chefs de police, par exemple, appuient entièrement cette orientation. Je l'entends dire constamment. Je me suis rendu trois fois en Colombie- Britannique au cours des derniers mois et je peux vous dire que les membres des services de police, les chefs de police et tous ceux qui travaillent sur les problèmes que connaît le Lower Mainland de la Colombie-Britannique sont très favorables à ces mesures. Ils nous disent de continuer d'aller de l'avant. Je peux vous dire que je vais continuer à aller de l'avant aussi rapidement que je le peux. Il n'est pas toujours facile de faire adopter des mesures législatives, comme vous le savez sans doute.
Cela dit, je vous remercie de l'aide que vous nous avez accordée pour faire adopter cette mesure par le Sénat et je suis heureux que vous ayez parrainé ce projet de loi. Encore une fois, je dirais que ce sont là des mesures qui vont dans la bonne direction; effectivement, j'en entends parler constamment.
J'ai assisté à une réunion sur la criminalité qui se tenait à Mississauga, jeudi soir. Là encore, j'ai entendu des défenseurs des victimes, des gens qui voulaient que le Code criminel réponde, dans toute la mesure du possible, à leurs préoccupations. Cela m'importe énormément.
Nous parlons en fait de la question des victimes, en général. C'étaient des victimes, et les intérêts des Canadiens respectueux des lois constituent une priorité pour le gouvernement. Je suis heureux, par exemple, que nous ayons nommé le premier ombudsman fédéral pour les victimes de crime. Ce sont là des mesures qui vont dans la bonne direction et qui transmettent le message approprié. Sénateur, je vous remercie de vos commentaires et de votre appui.
Le sénateur Baker : Il y a une personne qui est bien placée pour le savoir, parce qu'elle surveille de très près les mesures législatives présentées à la Chambre des communes et au Sénat; elle m'a dit que vous aviez établi un record pour ce qui est du nombre de projets de loi déposés, comme ministre.
J'aimerais poser plusieurs questions au sujet de ce projet de loi, et je suis sûr que nous aurons la possibilité d'en examiner un certain nombre d'autres. Cependant, ma question porte sur un aspect évident, qui est l'article dont a parlé le sénateur Nolin, il y a un instant. Si j'ai bien compris, il prévoit une peine minimale. Chaque fois que je vois une disposition qui prévoit une peine minimale, je réfléchis et je me pose la question suivante : « Est-ce que cette disposition risque d'être appliquée involontairement à des personnes qui n'étaient pas visées au départ? » C'est le projet d'article 244.2 du Code criminel, qui se trouve à l'article 8 du projet de loi. Il énonce, dans une phrase :
244.2 (1) Commet une infraction quiconque :
a) soit décharge intentionnellement une arme à feu en direction d'un lieu, sachant qu'il s'y trouve une personne ou sans se soucier qu'il s'y trouve ou non une personne [...]
La disposition prévoit ensuite des variations sur ce thème et définit le mot « lieu » comme étant un bâtiment ou une construction.
Ensuite, la disposition qui prévoit la peine le paragraphe (3) énonce :
(3) Quiconque commet l'infraction prévue au paragraphe (1) est coupable d'un acte criminel passible :
a) d'un emprisonnement maximal de 14 ans [...]
la peine minimale étant de quatre ans.
Selon le sens courant des termes utilisés — je sais qu'il s'agit là d'une question technique, monsieur le ministre, et que M. Taylor pourrait peut-être y répondre — cela semble dire « Quiconque décharge une arme à feu, sans se soucier de la présence d'une personne [...] ». C'est une disposition très vaste qui couvrirait la définition d'« arme à feu » au sens de l'article 2 du code. Ce projet de loi a-t-il pour effet de modifier la définition d'« arme à feu » qui se trouve à l'article 2 du code?
M. Taylor : Non.
Le sénateur Baker : Cela pose problème. Si vous étudiez la récente jurisprudence canadienne, vous constaterez qu'il est souvent arrivé que des personnes soient déclarées coupables d'une infraction, parce qu'elles avaient utilisé un fusil à air comprimé ou un fusil à plombs. Comme M. Taylor le sait, selon la définition de l'article 2, une arme à feu est une arme qui possède un canon. Cette définition vise les fusils à air comprimé. J'ai ces décisions ici. Vous les avez également, j'en suis certain.
En d'autres termes, la personne qui décharge un fusil à air comprimé ou un fusil à plombs sera visée par cet article, si elle le fait dans un lieu, sans se soucier qu'il s'y trouve ou non une personne. Est-ce bien exact?
M. Taylor : En fait, je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur l'exemple que vous nous avez fourni, mais je dirais, néanmoins, que la notion d'insouciance, telle que définie en droit, est une norme relativement stricte, comme tous les sénateurs le savent. La personne en question doit percevoir l'existence d'un risque, et malgré la présence d'un tel risque, commet quand même un acte interdit qui entraîne la conséquence prohibée. De la façon dont vous avez présenté l'infraction, aux termes de l'article 2, il existe une deuxième façon d'établir ce critère, c'est le risque pour la vie ou la sécurité d'autrui. L'accusé doit savoir que ce qu'il faisait mettait en danger une autre personne.
Le sénateur Baker : Je comprends cela, mais cette partie de la disposition est séparée par un « ou ».
M. Taylor : Dans le premier contexte.
Le sénateur Baker : Dans le premier contexte, la disposition parle uniquement de décharger une arme à feu dans un lieu, sachant qu'il s'y trouve une personne ou sans se soucier qu'il s'y trouve ou non une personne. La nuance dont vous parlez vient après le mot « ou », ce qui constitue une infraction tout à fait différente.
Ce n'est pas l'aspect insouciance dont je veux parler ici, c'est de la définition d'arme à feu.
Le sénateur qui est assis à côté de moi, le sénateur Watt, du Nord du Canada, connaît très bien les armes à feu et les divers règlements qui s'y appliquent. Habituellement, la définition d'arme à feu tient compte de la vitesse initiale et de l'énergie initiale, et c'est ainsi qu'on détermine si un règlement donné est applicable. Dans ce cas-ci, vous avez simplement pris la définition d'arme à feu, et vous vous en êtes servi pour imposer une peine minimale de quatre ans, dans le cas où une personne utilise une arme à feu, en sachant fort bien que cette définition vise les fusils à air comprimé et les fusils à plombs.
M. Taylor : Ce que nous avons fait avec l'alinéa a), sur le plan de la création d'une infraction, c'est d'aborder certains aspects. On nous a parlé — et cela constitue une partie des motifs qui nous ont amenés à créer cette infraction — du fait que le crime organisé avait recours aux fusillades au volant d'une voiture ou à d'autres fusillades avec insouciance. À la différence de l'article 244 — qui réprime l'intention particulière de causer des lésions corporelles — il s'agit en fait ici de membres de gang rivaux qui tentent d'intimider l'ensemble de la collectivité. Ils arrivent en voiture devant une maison, ils arrosent la maison et repartent. Ils pensent à ce qu'ils vont faire. La maison est parfois habitée. En réalité, le fait qu'elle soit habitée peut remplacer la notion de vie ou de sécurité d'autrui. C'est ce que nous essayons de faire avec l'alinéa a). Quant à la partie de votre question qui porte sur la jurisprudence et l'interprétation, je ne peux pas y répondre aujourd'hui. Je serais en fait heureux d'y répondre plus tard par écrit.
Le sénateur Baker : Je vais vous donner deux références : l'affaire Cripps en Ontario de l'année dernière, dans laquelle le tribunal a jugé qu'un fusil à plombs était visé par la définition d'arme à feu de l'article 2 du Code criminel. Il y a ensuite R. c. Siguenza, encore de la Cour supérieure de l'Ontario, qui a défini ce qu'était un fusil à air comprimé, de sorte qu'il y a les fusils à plombs et les fusils à air comprimé. Dans ces deux affaires, oui, l'accusé avait commis une infraction, mais il a reçu une absolution.
Vous avez renforcé considérablement cette mesure en imposant une peine minimale. Ce qui nous paraît critiquable à propos des peines minimales est que vous obligez le tribunal à envoyer l'accusé en prison pendant quatre ans. C'est peut-être un aspect auquel il faudrait réfléchir : utiliser la vitesse initiale et l'énergie initiale pour définir une arme à feu et ajouter cela à l'article 2 de façon à justifier ce genre de mesure extrême.
M. Taylor : Comme je l'ai dit, je vais prendre note de votre question et je vous répondrai, de façon plus détaillée, par la suite.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, vous avez déjà déclaré au comité que vous étiez très favorable aux peines minimales obligatoires, et vous avez déjà introduit plusieurs projets de loi prévoyant ce genre de peines. Le ministère a dû vous transmettre des études qui indiquent si ce genre de peine est vraiment efficace.
M. Nicholson : D'ici quelques années, nous serons mieux placés pour vous dire ce qui s'est passé avec les peines que nous avons introduites. Nous vous communiquerons les résultats, mais encore une fois, il est toujours très difficile et très périlleux d'essayer de deviner ou de prédire comment se comporteront les gens à l'avenir, ou de savoir exactement ce qui a poussé les gens à agir.
J'ai déjà dit ce qui suit, à savoir que, lorsque les personnes qui ne devraient pas être en liberté se trouvent en prison, il y a moins de victimes et nous sommes tous d'accord sur ce point. Encore une fois, les gens qui n'acceptent pas les peines minimales obligatoires ne les appuieront jamais, quel que soit le nombre d'études ou de cas particuliers, ou les raisons qui leur seront fournies; je l'accepte. Ce projet de loi me paraît toutefois approprié, et il transmet le message qu'il faut.
Le sénateur Milne : Monsieur le ministre, je ne parle pas de cas particuliers, mais d'études qui ont été effectuées dans les autres pays qui utilisent ce genre de peine. Je suis certaine que le ministère s'en est procuré et qu'il vous a donné la possibilité de consulter ces études.
M. Nicholson : On est toujours en train de comparer des pommes et des oranges, lorsqu'on essaie de savoir ce qui est efficace ailleurs.
Monsieur Taylor, avez-vous des commentaires sur ce point?
M. Taylor : Nous avons affiché, sur le site Web de la Justice, de l'information sur les peines minimales obligatoires. Je crois que les résultats ne sont pas décisifs.
Le sénateur Milne : Que démontrent-ils?
M. Nicholson : M. Taylor a dit qu'ils n'étaient pas décisifs, parce qu'il est très difficile de comparer certaines choses. Nous n'avons pas le même genre de système.
Le sénateur Milne : Monsieur Taylor?
M. Taylor : Comme je l'ai dit, les résultats ne sont pas décisifs.
Le sénateur Milne : On ne peut pas dire grand-chose d'autre à l'heure actuelle.
La présidente : Monsieur Taylor, je vais vous demander de donner au greffier la référence exacte à ces renseignements très importants qui se trouvent sur le site Web de la Justice.
M. Taylor : Je peux vous les décrire maintenant, ou vous les communiquer plus tard.
La présidente : Si vous pouviez le faire ce soir, ce serait excellent, parce que nous pourrions ainsi distribuer toute l'information à nos collègues avant la séance de demain matin.
Le sénateur Nolin : Monsieur Taylor, les renseignements qui figurent sur votre site web à l'heure actuelle sont excellents, mais nous aimerions aussi voir les renseignements qui avaient été affichés sur votre site web auparavant et qui ont été retirés depuis .
M. Taylor : Je peux remonter un peu en arrière.
Le sénateur Nolin : Revenons 10 ans en arrière, si vous le permettez. Vous aviez affiché auparavant des documents sur votre site web qui n'étaient pas très favorables aux peines minimales obligatoires, mais voyons ce que vous avez.
M. Nicholson : Nous ferons de notre mieux.
Le sénateur Milne : C'est une question technique, parce que lorsque j'examine l'article 244.2 proposé, les alinéas 8(1)a) et b), je dirais que ces deux alinéas disent exactement la même chose.
M. Taylor : Ils sont très semblables, effectivement très semblables. Dans certains cas, ces deux dispositions pourraient s'appliquer.
Le sénateur Milne : Ou une disposition pourrait viser les deux?
M. Taylor : Ou une d'elles pourrait couvrir les deux, mais pas dans toutes les situations. Nous avons scindé cette infraction en deux parties, parce qu'un parc, un espace public ou un espace ouvert — une rue, par exemple — ne peut facilement être qualifié de « lieu », d'après la définition qu'en donne le code. Nous essayons d'englober ces espaces ouverts — qui pourrait être une cour d'école — dans lesquels quelqu'un décharge intentionnellement une arme à feu sans se soucier des conséquences.
C'est la raison pour laquelle la formulation est différente, et énonce :
[...] sans se soucier de la vie ou la sécurité d'autrui.
Si vous vous trouvez dans un espace ouvert, il est probable que vous savez qu'il y a des gens dans cet espace. Ce n'est pas tout à fait la même chose que de dire — comme nous l'avons fait au paragraphe 8 — que la personne en question n'a pas confirmé, délibérément ou consciemment, que le lieu est occupé. Dans le cas du paragraphe 8, nous pensons à la personne qui voit que les lumières sont allumées dans une maison et qui en a déduit que quelqu'un s'y trouvait. Autrement dit, cela se passe à une certaine heure de la journée et cette personne sait qu'il y a quelqu'un dans la maison.
Ces dispositions couvrent des situations différentes et bien sûr, cela dépend toujours des faits particuliers de l'affaire. Nous essayons de donner aux procureurs de la Couronne provinciaux différentes façons de lutter contre toute une série de comportements.
Le sénateur Milne : Il s'agit toujours de comportement insouciant.
M. Taylor : C'est effectivement la norme de l'insouciance qui s'applique aux deux infractions. Dans le contexte de l'alinéa a), les personnes concernées savent qu'elles font preuve d'insouciance, de sorte qu'il est possible d'établir qu'elles ont agi sciemment. Alors que dans le cas de l'alinéa b), si vous réussissez à établir la connaissance chez l'accusé, alors bien évidemment, vous avez respecté un seuil supérieur à ce qu'exige cet élément dans ce contexte.
Le sénateur Milne : La disposition énonce quand même que :
[...] sachant qu'il s'y trouve une personne et sans se soucier [...]
On en revient toujours à l'usage insouciant d'une arme à feu.
Le procureur général et le solliciteur général de la Colombie-Britannique affirment qu'ils doivent cibler le crime organisé, et que ce projet de loi ne contient pas les outils dont ils ont besoin.
M. Nicholson : Ils ont demandé que l'on supprime le crédit pour la partie de la peine déjà purgée, et j'ai eu le plaisir de leur donner satisfaction sur ce point, quelques semaines plus tard.
Le sénateur Milne : Peut-être. Je crois toutefois que cette question n'est pas encore tout à fait réglée.
Le sénateur Dickson : Cette question s'adresse au ministre. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse, et il ne se passe maintenant pas une semaine en Nouvelle-Écosse sans qu'il y ait une fusillade, parfois même sans que l'on vise qui que ce soit. Cela est très fréquent en Nouvelle-Écosse.
Je note que le chef de police, Frank Beazley, de la municipalité régionale d'Halifax, a déclaré :
Le projet de loi C-14 fait clairement comprendre que notre société n'accepte pas que les criminels se livrent à des fusillades à partir d'une voiture, le fait de décharger dangereusement des armes à feu dans des endroits publics, et l'utilisation des armes à feu pour intimider. Cela fait longtemps que cela aurait dû être fait.
Je suis tout à fait d'accord avec le chef Beazley. Il poursuit :
Je suis également heureux de constater que ce projet de loi crée deux nouvelles infractions qui ont pour but de protéger les agents de la paix et les autres fonctionnaires judiciaires. De nos jours, les policiers sont confrontés de plus en plus souvent aux armes et à la violence.
Voilà qui est certainement vrai en Nouvelle-Écosse, et en particulier, dans la région d'Halifax.
Il continue :
Nous devons veiller à ce que nos lois répriment cette violence et ces dispositions reflètent le niveau de violence et d'intimidation auquel la police fait face de nos jours.
Cette statistique est en fait très choquante :
Le nombre des agressions qu'ont subies les policiers d'Halifax cette année a augmenté de plus de 40 p. 100 par rapport à l'année dernière.
Cela ne fait pas très longtemps que je suis sénateur, mais je suis tout à fait en faveur de la mise en œuvre rapide de ce projet de loi; j'aimerais avoir vos commentaires sur la façon dont ce projet de loi va nous aider à lutter contre le crime organisé, parce qu'il est évident que ces organisations sont impliquées dans le trafic de drogues et dans toutes ces choses.
M. Nicholson : Voici une excellente question, et une très bonne citation. Pourriez-vous la faire distribuer à tous vos collègues avec les autres renseignements qu'ils vont recevoir?
Je trouve très important de renforcer les dispositions qui répriment les agressions contre les agents de la paix et les autres personnes associées au système de justice pénale. Il faut que personne ne puisse penser que notre système de justice leur permet d'intimider les gens chargés de l'application de la loi, à tous les niveaux. Vous constaterez que nous avons utilisé une définition assez large.
Je me souviens d'un cas où une personne a fait quelque chose que l'on pouvait interpréter comme étant une menace contre un fonctionnaire public, et je me suis dit qu'il serait vraiment très mauvais que certaines personnes puissent s'en prendre à ceux qui sont là pour nous protéger.
Je n'ai pas du tout l'intention de m'excuser d'avoir renforcé les infractions qui touchent les personnes qui font respecter les lois et d'avoir inclus, dans le cadre des dispositions relatives aux peines, les notions de dissuasion et de dénonciation. Nous voulons faire savoir à la population que nous n'accepterons jamais que l'on essaie d'intimider les personnes qui nous protègent.
Je suis heureux d'avoir entendu les commentaires du chef de police de la municipalité régionale d'Halifax. Il a très bien fait d'insister sur cet article. Évidemment, rien n'est parfait, mais nous avons reçu d'excellents commentaires au sujet de ce projet de loi. À mon avis, il fait clairement comprendre ce que nous voulons dire, et cela ne représente qu'une partie de ce qu'il faut faire. Je sais qu'il faut adopter une approche globale à la lutte contre le crime. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté une approche très équilibrée. Cela en constitue une partie et nous devons toujours étudier le Code criminel pour s'assurer qu'il est à jour. Cela va couvrir le vol d'identité et le vol de voiture. Encore une fois, nous essayons de mettre à jour le Code criminel pour être sûrs qu'il est adapté aux nouveaux problèmes qui apparaissent constamment.
Vous avez fait allusion à ce qui se passe à Halifax. Nous ne faisons pas face aux problèmes que nous avons connus il y a 25 ans. Je connais bien la situation.
Lorsque j'ai présenté le projet de loi sur le vol d'identité, un journaliste m'a demandé si le but était de devancer les criminels. J'ai répondu que je voulais tout simplement ne pas être distancé par eux. C'est de cela qu'il s'agit. Le crime évolue. Il est de plus en plus sophistiqué et dangereux. Nous devons réagir, et cela fait partie de notre action.
La présidente : Monsieur le ministre, pourrais-je vous demander de donner à quelqu'un, peut-être à M. Taylor, un devoir de vacances? Depuis que votre gouvernement a pris le pouvoir, vous avez présenté un bon nombre de projets de loi, mais revenons au projet de loi C-2, la Loi sur la lutte contre les crimes violents. Pourriez-vous nous fournir, sous forme de tableau, une liste de tous les changements concernant les peines qui ont été adoptés ou qui sont maintenant proposés dans des projets de loi ayant été soumis à l'une ou l'autre Chambre du Parlement. Cela comprendrait l'imposition de peines minimales, qui n'existait pas auparavant, ou leur augmentation, mais également, si vous le permettez, les modifications apportées aux critères de détermination de la peine et, dans la dernière colonne, quelle était la peine précédente dans les cas où nous ne parlons pas d'une infraction nouvelle, mais plutôt d'une modification de la peine prévue pour une infraction existante.
Ce sera peut-être un document assez volumineux, mais il serait très utile pour les travaux futurs du comité. Je vois là un outil.
M. Nicholson : Nous ferons ce que nous pourrons pour vous fournir ces renseignements. Dans certains cas, nous avons créé des infractions toutes nouvelles. Il existe une infraction distincte pour le vol de voiture. Elle a remplacé l'ancien vol de plus de 5 000 $, et c'est donc un raffinement.
La présidente : Je ne vous demande pas de me fournir tout cela immédiatement. J'aimerais simplement avoir un document auquel nous pourrions nous référer à l'avenir.
Le sénateur Joyal : Veuillez excuser mon retard. J'ai été pris en Chambre sur une autre question.
Avez-vous évalué l'effet qu'aurait ce projet de loi sur le marchandage de plaidoyers et sur la capacité de la Couronne à traduire devant les tribunaux un nombre de criminels beaucoup plus élevé?
M. Nicholson : Je ne pourrais qu'essayer de le deviner, sénateur. Comment mesurer quelque chose qui n'existe pas encore? Encore une fois, nous voulons que ce projet de loi soit efficace et réponde aux difficultés que les procureurs de la Couronne et les policiers connaissent à l'heure actuelle dans l'ensemble du pays. Nous avons apporté des changements au Code criminel, et je suis sûr qu'ils seront bien reçus.
Le sénateur Joyal : Je me demande si vous avez eu la possibilité d'évaluer, avec les procureurs de la Couronne, l'impact que ces changements pourraient avoir sur leurs activités quotidiennes?
M. Taylor : Cet aspect n'a pas été soulevé avec les procureurs de la Couronne auxquels nous avons parlé au cours de l'élaboration du projet de loi. Nous pourrions essayer de nous guider à l'aide d'autres parties du code dans lesquelles a été introduite la notion d'organisation criminelle. Certains affirment qu'une accusation reliée à une organisation criminelle ou concernant une autre infraction dont la peine a été aggravée en raison d'un lien avec une organisation criminelle pourrait inciter les criminels à négocier un plaidoyer.
Je ne suis pas en mesure de vous dire si cela est approprié ou inapproprié. Cette décision appartient, bien évidemment, aux procureurs de la Couronne provinciaux ou à ceux qui sont chargés des poursuites dans ce genre d'affaires. Cet aspect ne nous a pas été mentionné lorsque nous avons élaboré ces propositions particulières.
Le sénateur Joyal : En d'autres termes, vous n'avez pas examiné comment ce projet de loi pourrait influencer la décision du procureur de la Couronne de porter une accusation de meurtre au premier degré et non d'homicide involontaire coupable?
M. Taylor : Pour ce qui est de nos propositions concernant le meurtre au premier degré, nous ne parlons pas du tout d'homicide involontaire coupable. Les amendements qui vous ont été soumis avec le projet de loi C-14 n'entrent en jeu qu'une fois l'accusé déclaré coupable de meurtre, parce qu'il s'agit d'une disposition relative à la peine. Ce n'est pas un aspect qui est pris en considération dans la modification qui touche l'article 231. C'est seulement une fois que l'accusé a été déclaré coupable que la question de savoir s'il s'agit d'un meurtre au premier degré ou au second degré se pose. Nous proposons, pour ce qui est du crime organisé, que le meurtre soit qualifié de meurtre au premier degré dans l'une des deux circonstances prévues par le projet de loi C-14.
Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas reçu de commentaires des procureurs de la Couronne sur ce...
M. Nicholson : Nous avons des discussions avec les procureurs généraux des provinces. Ces infractions relèvent des provinces. Comme je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires, j'ai reçu d'excellents commentaires au sujet du projet de loi, y compris de l'ancien procureur général et de l'ancien solliciteur général de la Colombie-Britannique. Ils étaient très favorables à cette mesure législative et ils étaient représentatifs de plusieurs autres personnes. Ce sont eux qui ont soulevé ces questions avec moi et nous avons décidé d'agir.
Nous nous sommes toutefois abstenus de nous adresser directement aux procureurs de la Couronne, pour savoir s'ils étaient satisfaits de ce projet de loi. Nous nous en sommes remis au procureur général de chaque province et territoire.
Le sénateur Joyal : Il ne s'agit pas de s'adresser directement à d'autres; il s'agit d'essayer de comprendre l'effet que cette mesure aura sur l'administration de la justice.
M. Nicholson : C'est la raison pour laquelle je m'en remets aux procureurs généraux des provinces. Ce sont eux qui sont responsables de l'administration de la justice, et je leur fais confiance. Je les rencontre régulièrement et nous communiquons régulièrement. Je suis heureux d'obtenir leurs commentaires et s'ils étaient ici, ils vous diraient que le gouvernement conservateur qui siège à Ottawa donne suite à leurs demandes.
Nous ne vous avons pas présenté une liste de mesures législatives concoctées au hasard. Elles viennent, pour la plupart d'entre elles, de nos électeurs, ainsi que des procureurs généraux des provinces et même des policiers. Le sénateur Dickson a mentionné un excellent exemple, à savoir, le chef de police de la municipalité régionale d'Halifax. Ce projet de loi bénéficie d'un large appui.
M. Taylor : Comme l'a mentionné le ministre Nicholson, la plupart de ces propositions émanent des provinces. Si vous me permettez de revenir, par exemple, sur les modifications touchant le meurtre au premier degré, je pourrais vous dire qu'elles découlent d'une recommandation spéciale présentée par le ministre de la Justice du Manitoba. Cette recommandation s'appuyait sur des consultations appropriées entre des fonctionnaires provinciaux et des spécialistes du crime organisé de l'ensemble du Canada. Lorsque ces personnes ont présenté cette recommandation au ministre et ensuite aux fonctionnaires, cet aspect n'a pas été soulevé au moment où nous avons rédigé le projet de loi. Comme je l'ai mentionné, dans les discussions que nous avons eues avec nos homologues, la question de savoir si cette mesure aurait un effet négatif ou positif sur le marchandage de plaidoyers n'a jamais été soulevée. Nous avons également consulté des procureurs de la Couronne spécialisés dans les poursuites relatives au crime organisé, et nous avons parlé avec eux des principes sur lesquels reposait ce projet de loi et, là encore, cet aspect n'a pas été soulevé.
Comme je l'ai dit plus tôt, ce projet de loi peut être considéré de façon positive ou négative. Cela dépend du procureur de la Couronne concerné et de ce que vous estimez être un résultat positif par rapport à une condamnation pour une infraction plus grave ou à une infraction moindre découlant d'un marchandage de plaidoyers.
Le sénateur Milne : J'aimerais faire un commentaire au ministre au sujet de sa remarque selon laquelle nous allons bientôt recevoir le projet de loi relatif au vol d'identité. Nous l'avons déjà reçu, monsieur le ministre, et je suis sûre que vous vous souvenez nous en avoir déjà parlé.
La présidente : Nous l'avons envoyé à votre cabinet.
Le sénateur Bryden : Merci d'être venus. J'aimerais revenir sur le point qu'a abordé le sénateur Baker et passer ensuite à autre chose.
J'aimerais connaître le nombre de projets de loi modifiant le Code criminel et augmentant les peines que le ministère de la Justice a présentés depuis la formation du gouvernement?
M. Nicholson : Je peux vous dire que, uniquement pendant cette législature, nous avons le projet de loi C-14, crime organisé; le projet de loi C-15, infractions reliées aux drogues; le projet de loi C-25, la vérité dans la détermination de la peine; le projet de loi C-26, vol d'automobile; le projet de loi C-31, procédure pénale; le projet de loi C-36, suppression de la disposition accordant un léger espoir; le projet de loi C-39, Loi sur les juges, auquel je suis associé avec mon collègue le ministre des Affaires indiennes; le projet de loi C-42, les peines avec sursis et le projet de loi S-4 qui a été présenté au Sénat et qui porte sur le vol d'identité. Ce sont les projets de loi que nous avons présentés au cours de cette législature.
Au cours de la législature précédente, nous avons introduit des changements comme la criminalisation du piratage de vidéo. Nous avons également eu la Loi sur la lutte contre les crimes violents; il y en a une autre pour la loi sur les courses de rue. C'est une longue liste qui couvre de nombreux domaines.
Le sénateur Bryden : Cela représente combien de projets de loi?
M. Nicholson : Je crois qu'il y en a 10 ou 11 au cours de cette législature. Il y a des projets de loi que nous avons présentés pendant la législature précédente qui n'ont jamais été adoptés, mais nous les avons regroupés avec la Loi sur la lutte contre les crimes violents. Je crois qu'elle regroupait en fait cinq lois.
Le sénateur Bryden : Il y en a donc 15, 20 ou 25.
M. Nicholson : À peu près, nous avons été très actifs.
Le sénateur Bryden : Chacune de ces lois vise principalement à aggraver les peines.
M. Nicholson : C'est ce que font la plupart d'entre elles, sénateur. Certaines criminalisent un comportement qui n'était pas criminalisé auparavant. C'est certainement le cas du vol d'identité. Certaines, comme la Loi sur les juges, n'ont rien à voir avec les peines, mais relèvent du ministère de la Justice. Il est exact que nous avons aggravé les peines pour un certain nombre d'infractions, mais encore une fois, le sénateur Fraser nous a demandé de faire des devoirs de vacances. Nous allons vous remettre cela en détail, que ce soit de nouvelles infractions ou l'aggravation des peines relatives à des infractions existantes.
Le sénateur Bryden : À ce sujet, je vais revenir au projet de loi C-2. C'est parce que vous avez dit que nous ne savons pas si ces lois vont nous apporter quelque chose ou non, qui m'y a fait penser.
M. Nicholson : Je pense qu'elles ont un effet positif.
Le sénateur Bryden : Vous le pensez, mais vous n'avez pas de preuve le démontrant, parce que vous avez déclaré que vous n'aviez pas eu suffisamment de temps pour faire des études.
M. Nicholson : Je parlais à ce moment-là des projets de loi qui ont été présentés au Parlement. Si vous me demandez quels en seront les effets, je vous répondrai que nous le saurons mieux lorsqu'elles seront mises en œuvre. Même pour la Loi sur la lutte contre les crimes violents, j'admets que nous ne sommes au pouvoir que depuis deux ans et demi et cette loi est entrée en vigueur il y a moins de 12 mois. Il faut donc attendre que son effet se fasse sentir.
Le sénateur Bryden : Combien de temps va-t-il falloir attendre? Lorsque vous obtiendrez des résultats et que vous vous apercevrez que cela va dans la mauvaise direction, et qu'en fait, ce n'est pas la façon d'améliorer la sécurité de la population, qu'allez-vous faire alors? Allez-vous simplement dire : « Excusez-moi! »?
Nous avons réussi à démontrer au cours de notre analyse du projet de loi C-2, que les États-Unis, l'Australie et de nombreux autres pays — mais les États-Unis en particulier — ont introduit les peines minimales, pour utiliser l'expression de mon collègue; ils ont choisi la répression. J'ai non seulement consacré beaucoup de temps à faire de la recherche sur cet aspect, mais j'ai également dépensé une bonne partie de mon budget. Nous avons entendu toute une série d'experts dont aucun n'a été en mesure de dire que les peines minimales obligatoires avaient pour effet de réduire la criminalité et de renforcer la sécurité de la population.
Il est arrivé qu'aux États-Unis, ces lois ont surchargé les prisons, de sorte qu'il y a tout un secteur économique qui a fait beaucoup d'argent dans la construction de nouvelles prisons. Les Afro-Américains et les Latinos sont tous automatiquement visés par ces dispositions. Nous avons constaté que, dans le cas du Canada, c'étaient les Autochtones. Ils représentent un faible pourcentage de la population canadienne, mais 70 p. 100 de la population carcérale, et c'est bien le chiffre qui nous a été donné à l'époque. Si nous adoptons les peines minimales obligatoires, ce seront eux qui en subiront le contrecoup. Nous avons constaté que la situation était si mauvaise en Australie que les Australiens ont supprimé les peines minimales obligatoires. Ils ont constaté que ces peines étaient non seulement d'aucune utilité, mais ils en sont arrivés à la conclusion qu'elles ne faisaient qu'aggraver la situation.
À part cette recette magique, selon laquelle, si nous pouvions envoyer tout le monde en prison, alors tous ceux qui commettent des crimes vont réfléchir et se dire « Je ne vais pas commettre de crime, parce que voilà ce qui va m'arriver. » Les études démontrent très clairement que les criminels n'agissent pas de cette façon.
À part d'« envoyer les gens en prison », avez-vous un programme qui a pour but de diminuer les répercussions de la criminalité sur nos collectivités? Ce genre de programme existe.
M. Nicholson : Il est évident, sénateur — et j'apprécie votre commentaire — que les dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public dissuadent les criminels de commettre des infractions. Nous imposons ces conditions à l'égard d'un certain type de comportement dans le but de réduire les activités criminelles.
J'ai été très fier et heureux de faire partie de la Stratégie canadienne antidrogue, avec mes collègues, le ministre de la Santé et le ministre de la Sécurité publique, et de mettre sur pied un programme pour aider la population. J'aime l'idée des programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie. Cela fait également partie de la Loi sur la lutte contre les crimes violents et du financement qu'a accordé le gouvernement pour aider les personnes inculpées d'une infraction reliée aux drogues. Il ne s'agit pas de membres du crime organisé, et je ne voudrais pas que les gens confondent les deux choses. Cela ne vise pas les personnes qui importent des drogues dans notre pays, qui essaient de le détruire, mais les personnes qui en sont dépendantes. Je veux que ces personnes puissent obtenir de l'aide, et je suis en faveur de ces programmes judiciaires, pour que nous puissions donner à ces personnes un choix autre que celui d'avoir un casier judiciaire.
Si mon collègue, le ministre de la Sécurité publique, était ici, il vous donnerait une longue liste de toutes les organisations que nous appuyons. Pourquoi le faisons-nous? Nous savons qu'il faut prendre un ensemble de mesures. Ce n'est pas un projet que j'ai conçu dans mon sommeil samedi et que je viens vous présenter. Comme M. Taylor et d'autres vous l'ont fait savoir, nous avons écouté les procureurs généraux des provinces, les personnes qui travaillent en première ligne, les services de police et mes propres électeurs, toutes les personnes avec qui nous parlons régulièrement. Elles veulent que nous allions de l'avant dans ces domaines, sénateur. Elles disent que nous allons dans la bonne direction.
Le sénateur Bryden : Accordez-vous autant de temps aux travailleurs sociaux et aux personnes qui essaient vraiment de changer les choses? Que répondez-vous aux cyniques qui examinent cette liste et qui, même si c'est injuste, en déduisent ce qui suit : « Eh bien, c'est simplement ce que souhaitent les gens qui appuient ce parti. Ce sont des gens qui s'intéressent au crime et à la répression. » Les Canadiens ordinaires s'inquiètent de nous voir aller plus loin dans cette direction. Nous parlons beaucoup aux policiers, nous parlons beaucoup aux victimes, nous ne parlons pas beaucoup aux gens qui se promènent dans les rues et qui utilisent ma ferme et des choses de ce genre. Nous pourrions, très facilement, nous retrouver dans ce qui ressemblerait à un état policier ou à quelque chose du genre.
M. Nicholson : Je n'ai aucune inquiétude à ce sujet, sénateur. Je suis vraiment convaincu que ce sont là des approches équilibrées. Ce sont des peines appropriées pour le genre d'activités que nous visons. J'espère que j'ai parlé des groupes de victimes. Je leur parle aussi. Les victimes ont des opinions très tranchées sur cette question et sur ce qu'il faut faire. Je leur dis la vérité. J'aime beaucoup entendre ce qu'elles ont à dire. Lorsque nous agissons dans le cadre de la Stratégie canadienne antidrogue ou des programmes nationaux de prévention du crime ou encore dans celui des initiatives reliées aux armes à feu, aux gangs et aux drogues, nous travaillons avec des personnes qui font du travail de première ligne pour aider la population. Je veux que ces personnes sachent que si elles se comportent mal, le Canada ne tolèrera pas ce genre de conduite, qu'il y a des conséquences, que nous voulons qu'elles aient une vie utile et que nous voulons les aider à y parvenir.
Le sénateur Bryden : Je vais faire un autre commentaire et je me tairai ensuite. Le Livre dit que si votre main vous amène à pécher, il faut la couper. Si c'est votre pied, il faut faire la même chose. Œil pour œil et dent pour dent. C'est le genre de message que me semble transmettre cette approche presque totalitaire qui semble dire : « La solution consiste à punir les gens, à les punir directement, et si nous le faisons, alors cela réglera tous nos problèmes. »
M. Nicholson : Je n'accepte pas votre comparaison, sénateur, lorsque vous parlez d'œil pour œil. J'ai parlé à des groupes de victimes, et je peux vous dire que les mesures que nous proposons ne contiennent pas une seule peine qui puisse jamais se comparer à la douleur qu'ont ressentie les victimes à cause d'un crime qui a été contre elles et leur famille. Je n'admettrai jamais que l'on parle de œil pour œil ou dent pour dent, parce que ces choses ne peuvent même pas se comparer. C'est un aspect sur lequel nous revenons constamment lorsque je vais voir des victimes ou qu'elles me rencontrent.
Le sénateur Bryden : Il est faux d'affirmer qu'étant donné que nous avons toutes ces peines magnifiques et que nous pouvons enfermer ces gens pendant quatre, cinq ou dix ans, nous allons maintenant être en sécurité. Cela ne repose sur rien. Il n'y a aucune étude qui le démontre.
M. Nicholson : C'est comme la suppression de l'article qui donne un « léger espoir ». Les gens que j'ai rencontrés savent que la personne qui a tué un membre de leur famille pourra encore profiter de l'article qui accorde un léger espoir, et qu'elles vont continuer à être victimisées chaque fois que cette personne assistera à une audience pour obtenir la libération conditionnelle. Nous avons pris des mesures pour atténuer cet aspect. Elles m'ont dit qu'au moins à l'avenir les gens ne seraient pas constamment victimisés à nouveau, après avoir fait condamner la personne qui a pris la vie d'un être cher. Voilà ce qu'elles me disent. Ce n'est même pas pour elles qu'elles le disent; c'est pour les gens qui se retrouveront dans leur situation à l'avenir. Elles comprennent la situation et elles me remercient de l'avoir fait.
Le sénateur Bryden : Ce qui est grave, c'est qu'il croit vraiment ce qu'il dit.
Le sénateur Angus : Nous avons eu le cours Criminologie 201.
La présidente : Nous avons entendu toute une série d'arguments magnifiques, monsieur le ministre. Merci.
M. Nicholson : Merci. Je suis sûr que je reviendrai.
La présidente : Cela paraît probable, n'est-ce pas?
Nous avons le plaisir d'accueillir Michael Spratt, un avocat de la défense qui représente la Criminal Lawyers' Association.
Bienvenue, Monsieur Spratt. Voulez-vous nous présenter un exposé?
Michael Spratt, avocat de la défense, désigné par la CLA, Criminal Lawyers' Association : J'ai préparé de brèves remarques d'ouverture.
Merci de m'avoir présenté. Je suis un pénaliste ici à Ottawa et je fais partie du cabinet Webber Schroeder Goldstein Abergel. Je suis membre de la CLA, la Criminal Lawyers' Association. Je suis venu pour la représenter.
Très brièvement, je dirais que la CLA est en faveur des mesures législatives lorsqu'elles sont modestes, équitables, constitutionnelles et nécessaires. Nous sommes là aujourd'hui pour parler du projet de loi C-14. À mon avis, ce projet de loi soulève certains problèmes qui méritent d'être examinés. J'aimerais me concentrer particulièrement sur le nouvel article 244.2.
Bien entendu, cet article crée une nouvelle infraction, le fait de décharger une arme à feu en direction d'un lieu, sachant qu'il s'y trouve une personne ou sans se soucier qu'il s'y trouve une personne ou de décharger intentionnellement une arme à feu sans se soucier de la vie ou de la sécurité d'autrui.
Cet article prévoit également une peine minimale si l'infraction est commise à l'aide d'une arme prohibée ou à usage restreint. Cette disposition me paraît très inquiétante.
Le projet de loi propose une autre peine minimale. La détermination de la peine est traditionnellement un processus d'individualisation. La réadaptation et la dissuasion spéciale sont des principes importants de la peine et, à mon avis, ne devraient pas être écartées au profit de la dissuasion générale et de la dénonciation. C'est particulièrement vrai, si l'on tient compte, comme je vais vous en parler, de certaines données empiriques concernant les taux de criminalité.
À l'heure actuelle, la position de la CLA est que les juges expérimentés qui ont non seulement accès aux faits particuliers de l'affaire, mais également aux faits concernant le contrevenant sont les mieux placés pour fixer une peine juste et appropriée. Bien entendu, il convient de rappeler que les décisions des juges peuvent toujours faire l'objet d'un contrôle judiciaire, mais la position de la CLA est que ce sont les juges eux-mêmes, compte tenu de leur expérience et de leur connaissance approfondie des faits précis que j'ai mentionnés, qui sont les mieux placés pour imposer une peine juste et appropriée.
Je remarque que le projet de loi C-14 élargit également le recours aux dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Il serait utile d'examiner certaines déclarations faites à ce sujet. Je note que le comité vient d'entendre l'honorable M. Nicholson, le ministre de la Justice. Lorsque le ministre a parlé de l'élargissement des dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public contenues dans le code, il a déclaré : Plus précisément, nous avons apporté des changements pour préciser que, lorsque le tribunal assortit son ordonnance de conditions, il dispose d'une très grande latitude pour imposer des conditions raisonnables qui sont souhaitables pour faire en sorte que l'accusé se comporte correctement. Cette latitude est extrêmement importante, parce qu'elle offre à ceux qui doivent prendre une décision à l'égard de ces personnes, un cadre qui leur permet d'élaborer une réponse appropriée qui tienne compte des faits de l'affaire et de la situation de l'accusé. Cela évite d'adopter une approche unique et donnera aux tribunaux les moyens d'imposer des conditions utiles et efficaces.
Je suis tout à fait d'accord avec cette déclaration. Ce raisonnement s'applique non seulement à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public dont peut être assortie une condamnation, mais il est tout aussi applicable à la détermination de la peine. Je pense que toute une série d'études ont été présentées au comité sur ces différents projets de loi, et cela comprend les rapports préparés par le ministère de la Justice qui montrent que les peines minimales obligatoires ne sont pas efficaces. Je me fais l'écho de la position du ministre. Une approche unique, même si elle est intéressante sur le plan politique, ne favorise pas la cause de la justice et ne garantit pas qu'une peine juste et appropriée sera imposée à un contrevenant donné.
L'approche universelle proposée, et c'est ce que sont, en fait, les peines minimales, va entraîner davantage de litiges et augmenter la population carcérale aux frais du contribuable, et surtout, elle risque d'entraîner l'imposition de peines injustes. Avec les peines minimales, nous tournons le dos à un processus de détermination de la peine équitable et individualisé qui était, jusqu'à tout récemment, une des caractéristiques enviables du système canadien.
J'ai mentionné plus tôt dans mes remarques certaines données relatives à la criminalité. Je pense qu'elles appuient cette position. Statistique Canada a récemment élaboré un nouvel indice pour déceler les tendances dans le nombre de crimes commis. Les résultats obtenus ne concordent pas du tout avec le mantra du gouvernement fédéral actuel, selon lequel la criminalité augmente, et qu'on ne peut lutter contre elle qu'en allongeant la durée des peines, en supprimant la mise en liberté et en créant constamment des infractions. Ce nouvel indice de la criminalité est l'indice de gravité de la criminalité déclarée par la police. Il a, bien entendu, un sigle, l'IGCDP. Il est différent des index précédents — par exemple, le taux de crimes déclarés par la police qui comprend tous les crimes rapportés. L'indice de gravité de la criminalité déclarée par la police mesure en fait la gravité du crime. Il est basé sur la gravité de l'infraction.
Statistique Canada a constaté que, depuis 10 ans, la gravité des crimes a diminué d'environ 20 p. 100. Cela amène à se poser la question suivante : Est-ce que les peines minimales, les mesures répressives, cette nouvelle mesure législative, sont vraiment nécessaires? Le problème est-il aussi grave que les médias et les déclarations du gouvernement nous amènent à croire?
À mon avis, ce n'est pas le cas. Cette peine minimale et ce projet de loi ne sont pas nécessaires; ils suppriment une importante fonction de nos tribunaux, à qui est traditionnellement confié le soin d'imposer des peines justes et équitables et dont les décisions, encore une fois, sont toujours susceptibles d'appels.
Il y a un autre aspect du projet de loi, qui porte sur un article particulier, dont j'aimerais parler. Je considère que le nouvel article 244.2 vient compléter l'article 244, qui réprime le fait de décharger une arme à feu dans le but de blesser ou de causer des lésions corporelles à autrui. Bien entendu, cet article prévoit également des peines minimales obligatoires — en fait, ce sont les mêmes peines minimales obligatoires que celles que propose le projet de loi.
Nous aurions, si ce projet de loi était adopté tel que formulé, des articles qui font appel à des éléments moraux très différents : le premier est l'intention de blesser ou de mutiler une personne et l'autre, la simple insouciance, mais la peine minimale est exactement la même dans les deux cas.
Cette différence est injustifiée. On affirme depuis longtemps que la peine doit refléter la culpabilité morale, et l'on peut dire qu'il y a une différence de culpabilité morale entre le fait de décharger une arme à feu dans l'intention de blesser ou de mutiler une personne et le fait de décharger une arme à feu avec insouciance.
L'insouciance est une norme peu stricte en droit pénal, et la peine devrait en tenir compte. Elle devrait, normalement, se refléter dans la peine qui est imposée par le tribunal qui connaît tous les faits de l'affaire et pas seulement un chiffre imprimé dans le Code criminel. Là encore, l'article proposé a une portée très large, et pourrait viser une série d'activités qui n'étaient peut-être pas prévues au départ — par exemple, les enfants qui trouvent une arme à feu dans la maison de leurs parents et qui l'utilisent. On peut penser à un jeune Autochtone qui hérite d'une arme qui a été utilisée à un moment donné et qui la décharge d'une façon qui est visée par le code. Il est évident qu'une arme à feu pourrait être une arme prohibée ou à usage restreint, et dans une telle situation, le tribunal devrait avoir le pouvoir de tenir compte de tous les éléments de la situation avant d'imposer une peine.
La présidente : Pour un jeune enfant?
M. Spratt : Lorsque je parle d'un jeune enfant, je veux dire un jeune enfant qui serait visé par cet article. Cela montre un peu mon âge, ce qui est peut-être une bonne chose, parce que je pense que tous ceux qui sont plus jeunes que moi sont de jeunes enfants. Je commence à ressembler à mes parents, je perds mes cheveux.
Pour revenir à ce que je disais, l'article proposé a une vaste portée et le Code criminel ne devrait pas se répéter. À mon avis, ce nouvel article n'est peut-être pas nécessaire, compte tenu des données relatives à la criminalité, mais également compte tenu du fait qu'il existe de nombreux autres articles du Code criminel qui permettent de s'attaquer à ce problème, ou à cette apparence de problème. Si vous examinez les articles 86 et suivants du Code criminel, vous constaterez qu'il y a de nombreuses accusations relatives aux armes, notamment l'article 86, qui réprime l'usage négligent d'une arme à feu — un article qui prévoit une peine minimale et pas de peine maximale. Le tribunal qui utiliserait le pouvoir discrétionnaire que lui accorde cette disposition — ou le pouvoir qu'il peut exercer, compte tenu de l'existence d'une peine minimale — pourrait l'appliquer à n'importe quelle conduite qui est visée par cette nouvelle mesure législative.
Comme je l'ai dit, il n'est pas souhaitable de multiplier les infractions du Code criminel. D'après mon expérience, cela incite les policiers à porter des accusations trop graves, des accusations multiples pour un seul acte, ce qui va entraîner des procès plus complexes, des risques d'injustice dans les négociations tenues au cours des conférences préalables au procès avec la Couronne et, finalement, des litiges interminables.
Il faut se demander si, compte tenu des dispositions que contient déjà le Code criminel et des données relatives à la criminalité indiquant que les crimes graves n'ont pas augmenté, cette nouvelle mesure législative est vraiment nécessaire? À mon avis, il faut répondre par non à cette question. Tel que rédigé, j'estime que, en plus d'être inutile, l'article proposé pourrait entraîner de graves injustices dans les peines imposées à certains contrevenants; une injustice qui, à la différence de certains autres pays au monde, le Canada a réussi, jusqu'ici, à éviter.
Le sénateur Nolin : Monsieur Spratt, je vous remercie d'avoir pris le temps d'étudier ce projet de loi avec nous.
M. Spratt : C'est toujours un plaisir.
Le sénateur Nolin : Avez-vous témoigné devant le comité de la Chambre des communes?
M. Spratt : Je n'ai pas eu ce plaisir.
Le sénateur Nolin : Avez-vous lu ou écouté la transcription des débats du Comité de la justice de la Chambre des communes?
M. Spratt : Oui. Je ne pense pas les avoir tous lus, mais j'ai essayé d'en prendre connaissance avant de venir ici aujourd'hui.
Le sénateur Nolin : Savez-vous si les arguments que vous avez soulevés aujourd'hui l'ont été là-bas?
M. Spratt : Je le penserais.
Le sénateur Nolin : Je vous demande si vous les avez lus — je pense que c'est un argument important.
M. Spratt : Je sais que cet argument a été soulevé. Je n'ai pas lu les détails, mais je pense que c'est un argument très important qui devrait être pris en compte par tous les intéressés.
Le sénateur Nolin : Vous mentionnez dans vos remarques un document — et vous vous interrogez sur son origine, vous avez parlé du ministère de la Justice — qui indiquait que ces peines ne sont pas efficaces. Avez-vous encore ce document?
M. Spratt : Je ne l'ai pas avec moi. Je sais qu'il y a eu un rapport du ministère de la Justice en 2002 ou 2005. Il traitait principalement des infractions reliées aux stupéfiants. Je pense que l'analyse des peines minimales qu'il contient s'appliquerait également au cas qui nous occupe.
Le sénateur Nolin : Je ne voudrais pas avoir à me fier du ouï-dire pour ce qui est de ce document. Pourriez-vous vérifier dans vos notes, dans votre bibliothèque, pour voir si vous avez encore ce document? Je suis sûr que nous serions heureux de l'examiner.
La présidente : Je pense que nous pourrions en fait le trouver. Nous avons d'excellents attachés de recherche.
Le sénateur Nolin : Je ne pense pas qu'il soit encore sur le site Web.
La présidente : Je pense, par contre, que notre personnel dispose de ressources qui lui permettraient de le retrouver.
Le sénateur Nolin : Je voudrais être sûr que nous parlons du même document, et je me demande si vous accepteriez d'examiner vos documents et peut-être de transmettre au greffier une copie du document que vous avez?
M. Spratt : Je ferai de mon mieux, sénateur.
Le sénateur Nolin : Merci. Cela nous aidera peut-être pour nos travaux futurs.
La présidente : Ce n'est pas le dernier projet de loi qui sera présenté au comité sur ces questions.
Le sénateur Watt : Vous avez déjà soulevé une question qui me préoccupait beaucoup, mais je vais y revenir. Prenons le cas d'un enfant autochtone qui sait où sont entreposés les fusils; même s'ils se trouvent dans un endroit fermé à clé, il est très possible qu'il arrive à trouver la clé et à prendre un de ces fusils. Il n'y a pas d'âge limite dans ce projet de loi, et comme vous l'avez mentionné, il a une portée très large. Je suis d'accord avec vous sur ce point.
Disons qu'il s'agit d'un enfant de moins de 14 ans, comme exemple, et que cet enfant utilise un fusil à plombs ou à air comprimé — une arme qui est très souvent utilisée dans le Nord lorsque les jeunes commencent à se servir d'un fusil; nous nous servons même de ces armes pour enseigner à nos jeunes comment manier un fusil — et disons que l'enfant tire sur quelqu'un ou blesse quelqu'un, pensez-vous que l'enfant puisse être accusé de quelque chose?
M. Spratt : Il faudrait, bien sûr, que cet enfant ait atteint l'âge qui permet d'être inculpé aux termes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Pour être franc, je ne sais pas très bien comment la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents se combinerait avec ce projet de loi pour ce qui est de la détermination de la peine. C'est un aspect que j'aimerais étudier, mais il est certain qu'il pourrait se poser des problèmes. Je pense, toutefois, que si l'enfant a atteint un certain âge, il pourrait faire l'objet d'accusations.
Le sénateur Watt : Pensez-vous que cette personne serait accusée, quel que soit son âge, avec cette peine minimale?
M. Spratt : Oui, et si l'enfant n'est pas accusé, ce projet de loi a, en réalité, pour effet de supprimer le pouvoir discrétionnaire que possèdent les tribunaux et de le remettre aux policiers qui décideront de porter ou non des accusations, ce qui pourrait également poser un problème.
Le sénateur Watt : Parallèlement, je ne pense pas qu'il existe, dans le Nord, des établissements, même dans la région subarctique, qui permettent de prendre en charge les jeunes qui ne respectent pas la loi.
Le sénateur Angus : Travaillez-vous en fait comme avocat de la défense?
M. Spratt : Je pratique exclusivement dans le domaine de la défense pénale.
Le sénateur Angus : Est-ce que la Criminal Lawyers' Association regroupe des avocats de la défense?
M. Spratt : C'est exact, oui.
Le sénateur Angus : Les opinions que vous exprimez ici sont bien celles du barreau de la défense, comme vous l'avez dit?
M. Spratt : C'est exact.
Le sénateur Angus : Avez-vous tenu une réunion pour préparer votre exposé ou venez-vous parce que vous vous trouvez à Ottawa et que vous avez votre opinion personnelle sur ces questions?
M. Spratt : L'association est dirigée par M. Frank Addario. J'ai également parlé à un certain nombre de membres du barreau de la défense pénale — un certain nombre de membres de la Criminal Lawyers' Association, y compris M. Matthew Weber, un avocat principal de mon cabinet qui pratique le droit pénal depuis beaucoup plus longtemps que moi.
La CLA regroupe de nombreux avocats d'expérience, y compris M. Joe De Luca, qui s'occupe, à l'heure actuelle, d'un procès pour meurtre à Barrie. C'est grâce à ce procès qu'en fait est apparu le problème que pose l'acceptation des jurés. Le conseil d'administration de la CLA comprend plusieurs avocats de grande expérience.
Le sénateur Angus : Et vous présentez l'opinion que l'on retrouve chez les membres du barreau qui défendent les personnes accusées d'un crime, est-ce bien exact?
M. Spratt : Oui. Je ne pense pas avoir jamais rencontré un avocat de la défense qui soit en faveur des peines minimales.
Le sénateur Angus : Je voulais que ce point figure au compte rendu. Étiez-vous dans la salle lorsque le ministre Nicholson a eu un échange avec mon collègue, le sénateur Bryden?
M. Spratt : Oui. J'ai eu le plaisir d'assister à la fin de son témoignage et je crois avoir entendu cet échange.
Le sénateur Angus : Que pensez-vous des réponses qu'a fournies le ministre?
M. Spratt : Pourriez-vous me rappeler le sujet de la conversation? Plusieurs sujets ont été abordés.
Le sénateur Angus : Il s'agissait d'une discussion théorique classique en criminologie sur l'effet dissuasif des peines minimales obligatoires. Mon collègue affirmait, après avoir étudié la question de façon approfondie, que ces peines n'ont aucun effet dissuasif et qu'en fait, ont peut-être un effet contraire. Le ministre a présenté vigoureusement la position contraire.
Je pensais vous avoir vu assis là-bas. Je ne veux pas vous embarrasser.
M. Spratt : J'ai entendu ces commentaires. Les études que j'ai examinées, qui ont été, je crois, présentées au comité à propos d'autres projets de loi, affirment qu'elles ne sont pas efficaces. En fait, j'ai trouvé aujourd'hui un article du National Post sur Internet qui le disait.
Le sénateur Angus : C'est un excellent journal juridique. Je vais terminer par une question. Votre position était claire et je m'y attendais.
On entend dire tous les jours, et même dans les journaux, que nous assistons à une vague de crimes avec ces fusillades au volant d'une voiture et ces meurtres par insouciance. Dimanche et samedi dernier, il y a eu quatre fusillades à Montréal. Je pense qu'il y a eu un mort dans au moins trois des quatre. C'est un grave problème.
Pouvez-vous suggérer une solution qui serait meilleure que celle que proposent ces projets de loi?
M. Spratt : Je ne suis peut-être pas d'accord avec vous, lorsque vous parlez d'une vague de crimes. Je ne sais pas s'il existe des données empiriques qui l'indiquent. En fait, c'est peut-être le contraire. J'affirmerais toutefois que les dispositions actuelles du Code criminel sont tout à fait suffisantes pour régler ce problème. Pour être franc, depuis que je pratique le droit, je n'ai jamais vu un tribunal qui ait imposé une peine légère pour un homicide commis à l'aide d'une arme à feu. Je pense que les lois actuelles sont suffisantes pour régler tous les problèmes qui peuvent se poser.
Le sénateur Angus : Très bien. Merci.
Le sénateur Baker : Le sénateur Joyal a posé plusieurs questions au ministre, dont l'une touchait l'effet de cette mesure sur les poursuites, à quoi le ministre a répondu que les poursuites relevaient des procureurs généraux des provinces et des ministres de la Justice. Je pense qu'il a oublié que nous avions un directeur des poursuites pénales, et que ce sont des procureurs de la Couronne qui intentent les poursuites aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de la Loi sur les pêches et que, bien souvent, il y a recoupement avec les accusations portées aux termes du Code criminel, de sorte que la question du sénateur Joyal était tout à fait légitime.
J'aimerais demander au témoin ce qu'il pense de l'effet des peines minimales sur le marchandage de plaidoyers. Est- ce que le fait qu'un condamné risque des peines plus graves va entraîner l'augmentation du nombre marchandages de plaidoyers, comme celui des plaidoyers de culpabilité à une infraction incluse ou à d'autres infractions mentionnées dans le même acte d'accusation, ce qui aurait également pour effet d'augmenter le nombre des détenus au Canada?
M. Spratt : J'estime que les peines minimales ont deux effets, dont aucun n'est vraiment avantageux : Le premier est qu'elles retirent aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire pour le remettre aux procureurs de la Couronne, qui ont la possibilité de retirer certaines accusations et d'aller de l'avant pour d'autres. L'accusé qui fait face à une accusation qui comporte une peine minimale obligatoire est ainsi incité à marchander un plaidoyer avec la Couronne pour éviter le procès et être déclaré coupable de l'accusation et à plaider coupable à une infraction incluse. Cela soulève des problèmes, parce que le pouvoir discrétionnaire n'est pas confié à l'instance appropriée. C'est le tribunal qui devrait disposer de ce pouvoir discrétionnaire. Si nous nous posons des questions au sujet de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, il faut admettre que le confier à un membre de la magistrature dont la décision est susceptible d'appel est la chose à faire.
D'un autre côté, les peines minimales obligatoires peuvent également faire en sorte que davantage d'accusations fassent l'objet d'un procès. L'accusé qui fait face à une accusation assortie d'une peine minimale obligatoire, en particulier dans le cas où son comportement criminel semble peu grave, n'est pas incité à plaider coupable, parce qu'il sait déjà quelle est la peine qu'il va obtenir. L'accusé est en fait poussé à aller au procès, parce qu'après le procès, s'il est déclaré coupable, il ne risque pas de se voir imposer une peine supérieure à la peine minimale obligatoire dans le cas où sa conduite est relativement peu grave. Il y a donc un problème, sur le plan du marchandage de plaidoyers, ainsi qu'un risque de surcharger les tribunaux, parce qu'on a porté des accusations qui auraient pu être réglées plus rapidement, mais qui ne l'ont pas été, à cause de la peine minimale obligatoire.
Le sénateur Baker : J'ai une autre question brève. Vous avez fait remarquer que nous sommes en train d'augmenter le nombre des infractions du Code criminel qui couvrent, déjà, en partie, au moins, le même délit. Vous avez parlé de l'article 86.1, l'usage négligent d'une arme à feu, de l'article 221, négligence criminelle, le fait de décharger une arme à feu avec insouciance, l'article 244, l'article 87, fait de porter une arme à feu dans un dessein dangereux pour la paix publique; l'alinéa 267(1)a), agression armée, à savoir avec un lance-pierre.
La réponse qui a été fournie à cet argument était que la Couronne pourrait invoquer l'arrêt « Kienapple » pour éviter toutes ces infractions et que la personne subirait un procès qui ne porterait pas sur toutes les infractions et que cela n'augmenterait donc pas le nombre des infractions. Que répondez-vous à cela?
M. Spratt : D'après mon expérience, c'est le tribunal qui devrait appliquer le « principe Kienapple » après les déclarations de culpabilité, c'est-à-dire, la règle contre les condamnations multiples. Il arrive souvent que l'accusé fasse l'objet d'une accusation de voies de fait et d'agression armée, par exemple. Je n'ai jamais vu une de ces accusations suspendues ou retirées avant le procès. L'accusé doit plaider sur toutes les accusations, et le procès porte sur toutes les accusations, de sorte que je n'ai jamais vu la Couronne utiliser ce pouvoir discrétionnaire.
Le sénateur Baker : Vous avez oublié un article. Vous avez mentionné l'article 244 au début et vous avez déclaré, et je crois que vous vous êtes trompé, que cette peine minimale s'appliquait uniquement aux armes à feu à autorisation restreinte et aux armes à feu prohibées. Cela figure à l'alinéa a), mais l'alinéa b) énonce « dans tous les autres cas ».
M. Spratt : Oui.
Le sénateur Baker : Cette disposition ne s'appliquerait donc pas uniquement aux armes à feu à utilisation restreinte, mais également à un fusil à air comprimé, à un fusil à plombs et à un lance-pierre.
Le sénateur Wallace : Monsieur Spratt, lorsque je vous entends parler des peines minimales obligatoires, j'ai presque l'impression que ce projet de loi introduit, pour la première fois, ce genre de peine dans le Code criminel, mais bien sûr, ce n'est pas le cas, n'est-ce pas?
M. Spratt : Non. Le code est rempli, ces jours-ci, de dispositions prévoyant des peines minimales obligatoires. C'est un autre exemple de ce genre de peine.
Le sénateur Wallace : Ces peines minimales obligatoires qui se trouvent dans le code aujourd'hui ont été introduites par différents gouvernements. Le gouvernement actuel n'est certainement pas le seul à avoir adopté ce genre de peine. N'est-ce pas exact?
M. Spratt : De nombreux gouvernements ont introduit des peines minimales obligatoires.
Le sénateur Wallace : Il est évident que différents gouvernements ont estimé que ces peines avaient une certaine valeur pour la société. Elles offrent également un intérêt pour les services de police, c'est ce que je dois penser. N'êtes- vous pas d'accord?
M. Spratt : C'est peut-être le cas ou c'est peut-être parce que cela est avantageux sur le plan politique. Je ne sais pas quelle est l'explication à retenir.
Le sénateur Wallace : Le gouvernement introduirait des dispositions dans le Code, parce qu'il risque d'en retirer un avantage sur le plan politique et non pas parce que cela est dans l'intérêt de la justice. En tant qu'avocat, c'est ce que vous affirmez?
M. Spratt : C'est ce que je dis, sans vouloir, bien sûr, vous manquer de respect.
Le sénateur Wallace : C'est une question grave qui touche l'administration de la justice. Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je ne ferai pas d'autres commentaires sur ce que vous dites.
M. Spratt : J'affirme cela, sans vouloir vous manquer de respect, sénateur, uniquement parce que je n'ai vu aucune preuve empirique qui montre que ces peines minimales ont une utilité.
Le sénateur Wallace : Avez-vous fait vous-même une recherche au sujet des peines minimales existantes? Affirmez- vous que les peines minimales obligatoires qui figurent dans le code aujourd'hui n'ont aucun effet dissuasif pour ce qui est de la perpétration d'une infraction?
M. Spratt : Je dis que je n'ai pas vu ces études.
Le sénateur Wallace : Vous n'avez pas ces études? Vous ne le savez pas par vous-même?
M. Spratt : Je n'ai pas vu ces études. Je ne sais pas si elles ont été présentées au comité, mais je sais que le ministère de la Justice, au sujet de...
Le sénateur Wallace : C'est vous qui témoignez. Nous avons déjà entendu des représentants du ministère de la Justice. Vous affirmez que vous n'avez rien à présenter pour appuyer votre déclaration, ou votre impression, plutôt, selon laquelle les peines minimales obligatoires n'ont aucun effet dissuasif. Vous ne pouvez pas faire de commentaire à ce sujet?
M. Spratt : J'estime que ce n'est pas le cas. Je n'ai rien vu qui m'amène à changer ma position.
Le sénateur Wallace : Vous n'avez aucune étude à nous présenter à l'appui de votre position?
M. Spratt : Non. Je pense que d'autres seraient mieux placés que moi pour présenter ces études.
Le sénateur Wallace : Au cours de votre témoignage, vous avez fait un commentaire au sujet de l'approche qui avait été adoptée, non seulement avec ce projet de loi, mais peut-être aussi avec d'autres. Vous avez résumé votre commentaire en disant qu'à votre avis, le gouvernement semblait affirmer qu'on ne peut lutter contre la criminalité qu'en imposant des peines très longues. J'espère que vous vous êtes mal exprimé. J'espère que vous admettez que l'administration de la justice ne se résume pas uniquement à l'imposition de lourdes peines et que vous ne pensez pas que c'est à cela uniquement que se résume l'approche du gouvernement.
M. Spratt : Dans ce projet de loi, pour être juste, il faut mentionner qu'il y a des dispositions relatives à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Je trouve troublant que, dans ce projet de loi, le pouvoir discrétionnaire soit réputé être utile et sage dans certaines circonstances, mais qu'on le supprime dans d'autres cas au risque d'entraîner des résultats inéquitables.
Le sénateur Wallace : Vous avez également affirmé qu'il semblait que le gouvernement s'écartait du système juste et équitable de détermination de la peine qui existe aujourd'hui. Je peux vous dire que le public et les policiers ne seraient pas d'accord avec cette affirmation et entretiennent de graves doutes sur le fait que le système actuel est toujours un système juste et équitable de détermination de la peine. C'est en partie la raison pour laquelle ce projet de loi a été présenté. Reconnaissez-vous qu'il existe une grande divergence d'opinions sur ce sujet?
M. Spratt : Je reconnais qu'il existe une grande divergence d'opinions sur ce sujet, tout comme il existe une grande diversité de contrevenants et de types d'infractions, ce qui est la raison pour laquelle il conviendrait d'encourager, et non pas de décourager, l'utilisation d'un pouvoir discrétionnaire et la prise en compte des différences de ce genre.
Le sénateur Wallace : Comme vous l'avez dit en réponse à la question du sénateur Angus, vous représentez les accusés. Vous les représentez et c'est votre point de vue. Heureusement que vous êtes là pour faire ce travail important, mais c'est votre point de vue.
La présidente : Sénateur Wallace, si nous avons le temps de faire un deuxième tour, vous y participerez.
M. Spratt : Je suis un procureur de la défense, et mon travail consiste à veiller à ce que la procédure soit équitable pour les accusés qui sont présumés innocents.
Le sénateur Joyal : Je rappelle aux honorables sénateurs que c'est le principe fondamental sur lequel repose le système de justice pénale du Canada.
Monsieur Spratt, vous nous avez expliqué quel serait l'effet que ces modifications pourraient avoir sur le marchandage de plaidoyers. D'après votre expérience, comment cela se passe-t-il lorsqu'un procureur de la Couronne parle avec vous ou avec un autre avocat de la défense des motifs pour lesquels il décide de négocier avec les avocats? Est-ce que cela dépend de la probabilité d'obtenir gain de cause devant le tribunal?
M. Spratt : Je ne sais pas comment ces dispositions seront appliquées, mais j'ai eu cette expérience avec d'autres dispositions, dont certaines traitent des armes à feu. Bien souvent, il y a une peine minimale obligatoire, et un bon exemple est peut-être la disposition relative à la conduite en état d'ébriété. Il y a une peine minimale obligatoire de 14 jours en cas de deuxième condamnation, si le procureur de la Couronne décide de déposer un avis de peine aggravée. Bien souvent, si les circonstances sont expliquées au procureur de la Couronne — si, par exemple, la situation familiale ou la situation professionnelle s'y prête, si l'infraction est peu grave, celui-ci peut décider de ne pas déposer un avis de peine aggravée et donc, de ne pas demander la peine minimale obligatoire. Le même genre de choses peut se passer pour d'autres infractions passibles d'une peine minimale obligatoire. Habituellement, d'après mon expérience, c'est ainsi que les négociations se font.
Il y a toujours le risque que l'accusé qui fait face à une peine minimale obligatoire décide d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Si le dossier de la Couronne semble très solide, il peut accepter de plaider coupable à une infraction qui ne comporte pas de peine minimale obligatoire et accepter une peine d'emprisonnement, en échange de quoi la Couronne retire l'infraction punissable par une peine minimale obligatoire. Bien sûr, l'accusé se trouve alors dans une situation très stressante et j'ai toujours du mal, de mon point de vue, à me convaincre que l'accusé devrait plaider coupable. Il le fait parfois contre mon avis et il m'est arrivé de me retirer d'un dossier lorsque l'accusé voulait le faire parce qu'il risque une peine obligatoire ou une longue peine d'emprisonnement s'il est trouvé coupable.
Le sénateur Joyal : Dans ce contexte, peut-on penser à une situation où pour accélérer les choses à la veille d'un procès où il y a de nombreuses accusations, l'avocat de la défense et le procureur de la Couronne choisissent ensemble les accusations sur lesquelles ils s'entendent et essaient de retirer les accusations les plus graves, parce que, à propos d'une autre accusation, l'accusé accepte de plaider coupable?
M. Spratt : Oui. En bref, oui.
Le sénateur Joyal : Lorsque le ministre était ici, j'ai constaté qu'il avait déclaré à 13 reprises : « Nous devons envoyer le bon message. » C'était le leitmotiv de son exposé. Il me semble que ce n'est pas envoyer le bon message si, au moment du procès, ces personnes choisissent l'accusation pour laquelle l'accusé sera traduit devant les tribunaux.
M. Spratt : Le fait de placer un pouvoir discrétionnaire entre les mains du procureur de la Couronne peut soulever certains problèmes et il y a également le fait qu'à ce moment, les discussions entre l'avocat de la défense et la Couronne ne sont pas publiques. Elles ne se font pas en audience publique. Il peut exister une raison valide d'en arriver à ce genre d'entente. Il peut exister des circonstances qui justifient ce genre d'entente. Mais, étant donné que ces discussions n'ont pas lieu en audience publique, les victimes du crime ou les membres du public ne peuvent connaître les motifs de ce genre de décision. Je préférerais qu'il n'y ait pas de peine minimale obligatoire, et que ces aspects soient discutés devant un juge, dont la décision peut faire l'objet d'un appel en cas d'erreur, et que ces choses figurent dans un dossier public. À mon avis, le public serait mieux informé de cette façon et aurait une meilleure idée de ce qui s'est produit dans une affaire donnée.
Le sénateur Joyal : Merci.
Le sénateur Bryden : Il y aurait beaucoup à dire. J'aimerais toutefois préciser que je ne dis pas que ce gouvernement a découvert les peines minimales obligatoires, mais je dois dire qu'il sait comment les accumuler. J'étais tout aussi opposé aux peines minimales obligatoires, lorsqu'elles ont été introduites, pour la première fois, par l'administration Mulroney, je crois, mais il y a également eu des peines minimales obligatoires pendant les gouvernements Chrétien et Martin.
Pour être juste envers tous, je dois dire que nous ne vivons pas dans une tour d'ivoire. Cela ne fait que 15 ans que je suis ici, même si je travaille dans le milieu juridique depuis beaucoup plus longtemps. Bien souvent, les changements viennent des pressions politiques exercées par la police et par toute sorte d'autres sources, y compris, éventuellement, l'opposition, et visent à obtenir un avantage. Il ne faut, bien sûr, jamais avouer vouloir être clément pour les criminels, parce que si un politicien le fait, il s'en repentira. Que cela soit efficace ou non, il faut toujours paraître vouloir être sévère avec les criminels.
Le sénateur Joyal : C'est le bon message.
Le sénateur Bryden : Nous l'avons entendu aujourd'hui.
La présidente : C'est un débat extraordinaire, mais allez-vous poser une question?
Le sénateur Bryden : De toute façon, il n'existe aucune preuve, dans les pays que nous avons étudiés, qui montre que les peines minimales obligatoires ont eu un effet dissuasif et ont réduit la criminalité.
J'ai deux choses à dire. Premièrement, tout le monde sait probablement ceci, mais la Cour suprême a jugé que le Parlement avait le droit et le pouvoir d'adopter les peines minimales. C'est reconnu. Je ne pense pas que la Cour suprême recommande de le faire. Ce n'est pas contraire à la Charte.
Le sénateur Angus : La Cour suprême n'a pas non plus recommandé qu'il ne le fasse pas.
Le sénateur Bryden : Non, mais elles sont là. Qu'elles soient utiles ou non, comme je le pense plutôt, c'est à la population de se prononcer.
Je vais faire l'autre remarque que je voulais faire au ministre en une seule phrase. Il y a moins de trois semaines, il a été démontré que les collectivités qui avaient affecté — dans un cas, un dollar par personne, et dans un autre, deux dollars par personne — à la prévention du crime, en particulier pour les gangs de jeunes, avaient enregistré une diminution de la criminalité. Cette méthode a entraîné une réduction de la criminalité de 30 p. 100 dans un cas et de 35 p. 100 dans une autre collectivité d'une autre région.
À l'heure actuelle, il n'existe aucun élément indiquant qu'une partie de l'action de notre ministère de la Justice vise à prévenir les crimes. Ces collectivités ont dépensé leur argent pour créer des activités pour ces personnes et veiller à ce qu'elles puissent aller à l'université. Il existe d'autres façons de protéger la population que de simplement emprisonner les gens et de les laisser en prison pendant au moins sept ans.
La présidente : J'allais donner au sénateur Wallace la possibilité de vous répondre dans ce débat, mais nous avons dépassé l'horaire. Nos interprètes doivent se rendre dans un autre édifice dans cinq minutes pour travailler pour un autre comité.
Le sénateur Joyal : Vous pourrez lui donner cette possibilité demain.
La présidente : Nous vous donnerons cette possibilité demain matin, sénateur Wallace.
Chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu demain matin dans cette salle à 10 h 45. Nous entendrons demain matin des représentants de la GRC, de l'Association canadienne des chefs de police et du Centre canadien de la statistique juridique.
(La séance est levée.)