Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 13 - Témoignages du 17 septembre 2009
OTTAWA, le jeudi 17 septembre 2009
Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 52, pour étudier le projet de loi C-25, Loi modifiant le Code criminel (restriction du temps alloué pour détention sous garde avant prononcé de la peine).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bienvenue à tous. Le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles poursuit son étude du projet de loi C-25, Loi modifiant le Code criminel (restriction du temps alloué pour détention sous garde avant prononcé de la peine).
Nous accueillons ce matin deux témoins fort intéressants.
[Traduction]
Il nous fait plaisir d'accueillir le professeur Julian Roberts, du Centre de criminologie de l'Université d'Oxford, et le professeur Michael Weinrath, de l'Université de Winnipeg. Je vous remercie tous les deux de comparaître devant le comité ce matin.
Monsieur Weinrath, vous pouvez commencer votre exposé.
Michael Weinrath, professeur, Université de Winnipeg, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer aux travaux du comité. Je suis ravi de m'adresser à vous au nom de deux entités.
Premièrement, lorsque j'ai entrepris ma recherche sur la détention préventive, malgré ma personnalité très combative et mes extraordinaires assistants de recherche, il fallait que je persuade les accusés — les détenus — que ce serait profitable pour eux de participer à cette recherche. Je leur ai dit que cela leur donnerait l'occasion de se faire entendre. Cependant, certains n'étaient pas convaincus, ils voyaient seulement le fait que j'allais mener une étude et en publier les résultats. Je leur ai promis que j'allais faire les efforts nécessaires pour qu'ils se fassent entendre, et je suis donc heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui de pouvoir m'exprimer pour eux.
Deuxièmement, je suis ici au nom du domaine des sciences sociales et du système de justice pénale, dans l'espoir que les changements que l'on souhaite apporter au système juridique et à la législation connexe seront fondés sur de sérieuses études dans le domaine des sciences sociales et de solides preuves empiriques.
Certains d'ente vous ont lu l'article que j'ai publié récemment dans la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale. Il fait état des discussions et des sondages menés au cours de l'hiver 2006-2007 auxquels ont participé 226 détenus, condamnés ou en détention préventive, au centre correctionnel Headingley, au Manitoba.
L'autre étude que j'ai effectuée, dont vous n'êtes peut-être pas au courant, car elle sera publiée sous peu, consiste en des entrevues réalisées avec des détenus du Manitoba, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. L'échantillon est moins grand, mais les données sont plus complètes puisque chaque entrevue a duré entre une et deux heures. Les discussions ont porté sur la vie en milieu carcéral au Canada des détenus condamnés et des détenus en détention préventive. Il s'agit là d'un sujet lié à votre étude du projet de loi C-25.
Vous savez fort probablement que le taux de détention préventive a progressé et que la proportion de détenus en détention avant procès a aussi augmenté, et ce, à un rythme plus rapide ces derniers temps. Partout dans le monde, on observe une hausse du taux de détention préventive, mais au Canada, on enregistre un taux beaucoup plus élevé qu'ailleurs.
Je crois comprendre que le projet de loi C-25 est proposé notamment parce que la règle selon laquelle on compte en double le temps passé en détention avant le procès encourage les détenus à demeurer en détention préventive, à étirer leur procès, à monopoliser le tribunal et essentiellement à essayer d'éviter la peine. De plus, quand cette situation est rapportée dans les médias, cela a pour effet de discréditer le système juridique.
Comme je vis au Manitoba et que j'ai souvent lu dans les journaux des commentaires de la part de ministres de la Justice sur le sujet, je crois savoir que ce sont eux qui ont réclamé cette modification législative, mettant l'accent sur le problème que pose la règle du deux pour un.
Le projet de loi C-25 suscite chez moi des inquiétudes, car il a été mal élaboré et il comporte deux lacunes fondamentales. Tel qu'il est rédigé, le projet de loi établit une règle du un pour un, à moins d'évoquer des raisons pour qu'une autre règle soit appliquée à cause d'une très longue période passée en détention avant le procès. Dans un tel cas, l'accusé peut présenter des arguments et obtenir l'application d'une règle de un pour un et demi.
Il me semble que cette disposition ne concorde pas du tout avec la situation que nous avons observée au Canada. Les arguments que nous retrouvons dans la jurisprudence et qui sont fondés sur des recherches empiriques, menées au départ par le professeur Martin L. Friedland, au milieu des années 1960, nous permettent de conclure que la vie des détenus en détention préventive est difficile. Nous savons que ces détenus n'ont pas accès aux mêmes programmes que les autres détenus et qu'ils vivent dans des unités. On semble présumer soudainement que la vie dans les centres de détention préventive au Canada est devenue plus facile. Je le répète, on fait état de cette situation à de nombreuses reprises dans la jurisprudence. La Cour suprême s'est d'ailleurs très bien exprimée là-dessus dans l'arrêt R. c. Wust. Je ne vois pas ce qui a changé dans les centres de détention préventive sur le plan matériel.
L'autre problème que pose l'augmentation du crédit accordé pour détention avant procès concerne les lois régissant la libération conditionnelle et la réduction de la peine au Canada. Un détenu qui passe une certaine période en détention avant d'être condamné à une autre période de détention perd une occasion d'obtenir une réduction de sa peine. Un détenu peut mériter au Canada une réduction de sa peine jusqu'à concurrence du tiers de celle-ci, ce qui signifie qu'une demande de libération conditionnelle peut être effectuée au tiers de la peine.
Divers régimes provinciaux offrent la même possibilité. Aucun changement n'a été apporté aux lois régissant la libération conditionnelle et la réduction de la peine. Je n'arrive pas d'emblée à comprendre la raison d'être de la règle du un pour un. Je suppose qu'il appartiendra à un avocat de la défense de faire valoir que ce changement va à l'encontre de la jurisprudence sur la question et que cela est injuste pour l'accusé.
La raison justifiant l'application de la règle du deux pour un est encore valable. J'ai mené des recherches dans différents centres de détention préventive au Canada, et je peux vous dire que la vie y est encore difficile. L'accès aux programmes y est encore restreint. Ces centres sont surpeuplés. Même les installations les plus récentes dans l'Ouest canadien, comme le centre de détention préventive de Winnipeg, construit dans les années 1990, et celui d'Edmonton, bâti dans les années 1980, sont surpeuplés. Il y a même un des centres où les détenus d'une unité ont droit à environ 30 à 45 minutes seulement d'activités récréatives par jour. Ce n'est pas le genre de vie que bien des gens recherchent.
Un autre défaut de cette mesure législative tient au fait que nous n'avons pas beaucoup de preuves de l'influence de la règle du deux pour un sur le taux de détention préventive. On fait souvent référence à l'arrêt R c. Wust. Le taux de détention préventive a progressé au cours des 15 dernières années. On laisse entendre que cela est surtout attribuable au fait que cette règle est appliquée de façon plus systématique.
Il existe cependant d'autres explications possibles. Nous savons que le temps qui s'écoule avant la tenue d'un procès est beaucoup plus long qu'auparavant. Cela signifie, par conséquent, que le temps qu'un détenu passe en détention avant le procès a lui aussi augmenté.
Un grand nombre d'entre vous se souviennent probablement — ou peut-être essayez-vous d'oublier — de ce qu'on appelait, dans les cours de statistiques à l'université, la corrélation illusoire. Dans le domaine de la recherche, nous essayons de tenir compte de cela. Je donne toujours à mes étudiants un exemple que tout le monde peut comprendre. Pendant de nombreuses années, les consommateurs ont eu droit à un rabais sur leur prime d'assurance automobile s'ils étaient mariés. En réalité, ce n'est pas le fait qu'ils étaient mariés qui avait de l'importance, mais plutôt le fait que les gens mariés sont généralement plus vieux. Comme ils étaient plus vieux, il y avait moins de risque qu'ils aient un accident. L'âge était le facteur le plus important en matière d'accidents, mais les gens en sont venus à penser que le fait d'être mariés faisait d'eux des conducteurs plus prudents.
D'une part, il y a la règle du deux pour un. Mais j'ai tendance à penser que l'augmentation de la période qui s'écoule avant la tenue d'un procès pourrait expliquer une bonne part du taux élevé de détention préventive.
Nous faisons aussi de la recherche sur l'augmentation du crédit accordé pour la détention préventive. La liste des études sur le sujet est assez courte; il n'y a pas eu beaucoup de recherche jusqu'à maintenant. J'ai moi-même effectué quelques études. J'ai mené des sondages auprès de détenus et je me suis entretenu avec eux. Qu'on ne s'y méprenne pas. J'en viendrais probablement à la conclusion que certains détenus essaient de manœuvrer pour obtenir un crédit équivalant à du deux pour un. Peut-être que cela leur donne un sentiment de contrôle ou peut-être le sentiment qu'ils déjouent un peu le système.
Toutefois, dans les sondages que j'ai menés, la principale raison qui a été donnée par les détenus pour expliquer la hausse du taux de détention préventive est l'augmentation de la période qui s'écoule avant la tenue du procès. Lorsque j'abordais ce sujet avec les détenus — surtout lors des entrevues approfondies — ils devenaient émotifs. Quand les ministres de la Justice prennent la parole, ils affirment avoir l'impression qu'il y a de la collusion dans les coulisses.
Les détenus sont très mécontents. Ils ont le sentiment que la Couronne a le contrôle. On entend des histoires de détenus qui sont en détention préventive jusqu'à la tenue de leur procès, et puis, à la dernière minute, la Couronne retire les accusations, ravie qu'ils aient été en détention préventive pendant 12 mois. Il existe différents points de vue quant à savoir qui contrôle et contribue à ce processus.
En ce qui concerne les sondages que j'effectue auprès des détenus ou les entrevues que je mène avec eux, on me dit que ce genre de recherche est intéressant, mais on me demande s'il est possible que les détenus ne disent pas la vérité. Ne veillent-ils pas uniquement à leur propre intérêt en donnant certaines informations dans l'espoir que je dise à tous qu'ils sont biens? Vous seriez étonnés d'entendre ce que les détenus nous révèlent lors des sondages ou des entrevues — des choses qui ne les font pas particulièrement bien paraître.
Je me demande toujours pourquoi il y a deux poids deux mesures. Quand j'ai mené ma recherche à Headingly, au Manitoba, j'ai communiqué avec les responsables provinciaux. Je leur ai proposé d'effectuer une étude afin de savoir qui demande les détentions préventives et présente les requêtes. Qui contribue à l'application de cette règle du deux pour un? J'ai téléphoné à certaines personnes au gouvernement fédéral pour savoir s'il était possible d'obtenir des fonds. On m'a répondu qu'on ne financerait pas l'étude à moins que toutes les parties concernées veuillent y participer. Personne n'a manifesté l'intérêt d'y prendre part, sauf le Service correctionnel du Canada, car c'est lui qui est le plus touché par le problème du surpeuplement et qui accueille dans ses établissements tous les détenus en détention préventive.
Il semble que les agents de la Couronne peuvent affirmer à leur ministre qu'ils sont persuadés que le taux de détention préventive est élevé parce que les détenus et les avocats agissent de connivence pour obtenir l'application de la règle du deux pour un. Cependant, je poserais la question suivante aux membres du comité : vous a-t-on déjà présenté des études empiriques à cet égard? A-t-on déjà examiné des cas ou fait d'autres corrélations qui pourraient fournir d'autres explications? J'aimerais savoir si des études ont été présentées. Je pourrais avoir tort. Peut-être que ce sont les avocats de la défense et les accusés qui sont en majeure partie à l'origine des demandes. J'ai des doutes.
Il y a deux poids deux mesures. Les agents de la Couronne peuvent présenter de telles allégations à leur ministre sans fournir des preuves systématiques. Je fais preuve de diligence raisonnable lorsque je fais l'échantillonnage et l'analyse des données, et on me dit que tout s'explique par le fait que les détenus ne pensent qu'à leur propre intérêt.
Pourquoi les agents de la Couronne veilleraient-ils à leur propre intérêt? Cette mesure législative fait soudainement passer le rapport de deux pour un à un pour un. Si j'étais un procureur de la Couronne, je crois que, grâce à cette modification, je serais dans une excellente position pour tirer parti d'un plaidoyer de culpabilité. Il est tout à fait possible que la Couronne se soucie de son propre intérêt.
S'agissant de la législation, je vais récapituler. Les conditions dans les établissements de détention préventive n'ont essentiellement pas changé en ce qui a trait au crédit accordé par le passé. La législation en matière de réduction de la peine et de libération conditionnelle n'a pas été modifiée non plus.
Si vous me demandiez quelle serait la meilleure chose à faire, je vous répondrais qu'il vaudrait mieux ne pas adopter ce projet de loi. Il faudrait mener une étude empirique bien structurée afin de déterminer pourquoi le taux de détention préventive au Canada est si élevé. Nous pourrions apprendre certaines choses utiles à propos des procédures judiciaires et de la façon de les améliorer au profit à la fois des accusés et de l'État.
Julian Roberts, professeur, Centre de criminologie, Université d'Oxford, à titre personnel : Je suis reconnaissant au comité de me donner l'occasion de m'adresser à lui. Je ne suis pas un intellectuel britannique borné. J'ai travaillé au Canada pendant de nombreuses années.
[Français]
Je suis Canadien et j'en suis fier.
[Traduction]
J'ai réfléchi à cette question ces dernières années. Avant de partir pour Oxford, on en parlait beaucoup en Ontario. Je vais faire rapidement valoir quelques points. M. Weinrath en a abordé certains.
Il est clair qu'il existe en ce moment ce qu'on pourrait appeler une crise du crédit — une crise concernant le crédit accordé pour détention avant procès. Contrairement à la véritable crise du crédit, celle-là est peut-être plus apparente que réelle. Il est important de présenter des preuves attestant qu'on abuse de cette pratique.
On ne peut pas permettre aux tribunaux d'appliquer une règle de trois ou quatre pour un, car cela entraînerait de la variabilité. La confiance du public s'en trouverait minée, et ainsi de suite. Il est très clair que c'est ce qui se produit. Les recherches sont peu nombreuses.
Quand les gens parlent de ce sujet, ils racontent des anecdotes; par exemple, l'histoire d'un accusé qui se frottait les mains en détention en pensant à tout le temps qu'il était en train de gagner. Peut-être est-ce vrai. Peut-être que ce genre de personne existe. Peut-être qu'il y en a un certain nombre.
Toutefois, il faut prouver qu'il y a des abus et un manque de cohérence dans l'application avant d'adopter ce que je considère comme une mesure assez radicale de codification. Évidemment, le Parlement détient le pouvoir suprême. Les parlementaires peuvent légiférer dans le domaine de la détermination de la peine, et ils le font. De façon générale, la relation qui s'est établie au fil des ans entre les élus et les tribunaux, c'est que les élus fixent les limites des peines; ce sont eux qui en établissent la durée minimale et maximale, ainsi que les principes importants. Le Parlement a adopté la loi à cet effet en 1996.
Or, lorsque l'on place la détermination de la peine entre les mains d'un seul tribunal — et chaque fois qu'on réduit le pouvoir discrétionnaire, surtout en ce qui concerne quelque chose comme une peine obligatoire —, il devient plus difficile pour le tribunal de rendre justice. Je ne veux pas dire que ce n'est pas une bonne idée de codifier; je crois simplement qu'il ne faut pas le faire sans réfléchir et sans avoir de preuves. Je dis cela pour appuyer les propos de M. Weinrath.
Selon moi, un des motifs du projet de loi est évident : vous voulez regagner la confiance du public. Encore une fois, je pense qu'il faut des preuves que le public est outré par le principe du rapport de deux pour un ou d'un et demi pour un. De façon générale, je crois que c'est vrai que les gens vont affirmer sans réfléchir que ce principe est insensé. Toutefois, si vous discutez avec eux de la détermination de la peine, ils vous diront que bien des choses sont insensées. Par exemple, ils n'aiment pas les plaidoyers de culpabilité. Ils vont vous demander pourquoi vous avez réduit la peine d'une personne qui a plaidé coupable, puisqu'elles sont toutes coupables.
Il en est de même pour la réduction de la peine dans le cas d'une première infraction. Pourquoi alléger une peine parce que c'est la première fois que la personne commet un crime?
Les gens comprennent lorsqu'on leur explique les principes qui sous-tendent la réduction de la peine dans le cas d'une première infraction et de plaidoyer de culpabilité. Nous pouvons expliquer à la population que c'est un peu comme une amende. Par exemple, une personne reçoit une amende de 5 000 $, mais on apprend qu'elle a déjà payé 2 000 $. Combien doit-elle à l'État, dans ce cas : 3 000 $ ou 5 000 $?
Je crois que les gens seront d'accord qu'il faut tenir compte du temps passé en détention provisoire au moment de déterminer la peine.
Les gens n'ont jamais vraiment reçu l'explication de ce principe; je ne crois pas que les tribunaux la donnent souvent. Les tribunaux pourraient donner des précisions sur la pratique. Cette situation ne justifie pas nécessairement la création d'un projet de loi qui établit un rapport précis, rapport que les tribunaux seront dans l'obligation d'utiliser.
Troisièmement, les tribunaux ont déjà traité de la question : un précédent a été établi en cour d'appel sur la question du temps alloué pour détention provisoire. L'arrêt Wust guide les tribunaux. Je le répète : qu'est-ce que le projet de loi accomplira de plus que l'arrêt Wust?
Je crois que le gouvernement doit présenter des arguments plus clairs et plus convaincants pour appuyer cette mesure législative assez radicale. Ne créez pas de loi et n'empêchez pas l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'échelle des procès devant jury sans avoir de preuves claires et convaincantes qu'il est nécessaire de le faire. Si c'est bel et bien nécessaire, soit.
Toutefois, je crois que nous avons besoin de rapports de recherche plus convaincants que ce que nous avons jusqu'à maintenant. Je vais conclure là-dessus puisque nous parlons déjà depuis près de 20 minutes.
La présidente : Vos exposés étaient fascinants, et je suis certaine que les questions le seront tout autant.
Le sénateur Nolin : Je vous remercie, messieurs Weinrath et Roberts, de vous mettre à notre disposition. De bonnes lois sont créées dans votre pays.
Monsieur Weinrath, ai-je raison de croire que les crédits ont surtout été créés en raison des compétences provinciales?
M. Weinrath : Je dirais que les conditions...
Le sénateur Nolin : J'ai dit « surtout ». Bien sûr, il y a aussi la détermination de la libération conditionnelle, qui relève strictement du fédéral. Toutefois, les autres raisons découlent surtout de la mauvaise qualité des centres, qui relèvent, eux, des provinces.
M. Weinrath : C'est exact. L'administration des centres de détention provisoire relève des provinces.
Le sénateur Nolin : La qualité de l'éducation, les installations, le surpeuplement; en gros, toutes ces conditions sont entre les mains des gens qui veulent que ces modifications soient apportées, n'est-ce pas?
M. Weinrath : Oui, je dirais que cette affirmation est exacte.
Le sénateur Nolin : Monsieur Roberts, vous avez parlé de la crise des crédits. Pouvez-vous nous dire comment on procède au Royaume-Uni?
M. Roberts : Dans la plupart des autres États de common law, le fonctionnement est beaucoup plus simple. Le tribunal inflige une peine — six mois, par exemple —; si la personne a déjà passé du temps en détention, elle se présente devant l'autorité correctionnelle, qui déduira les deux mois, disons, que la personne a passé sous garde avant le prononcé de la peine.
Le sénateur Nolin : Le rapport est donc d'une journée de moins à purger par journée en détention provisoire.
M. Roberts : C'est exact. La question du rapport est intéressante, et je crois qu'il est évident que vous pourriez fonctionner de deux façons différentes. La première a rapport au cautionnement. Dans ce cas-là, on décide de détenir la personne pour des raisons et critères différents; il ne faut donc pas nécessairement faire une comparaison directe entre les deux, puisque la décision de détenir la personne après le prononcé de la peine repose sur d'autres raisons et d'autres critères.
Toutefois, de façon générale, dans les pays de common law, on a tendance à penser que les deux devraient être réglementés en fonction des mêmes considérations, et qu'une journée passée en détention provisoire devrait être l'équivalent d'une journée passée en détention après le prononcé de la peine. Si c'est le cas, vous serez presque obligés d'adopter un projet de loi qui dicte d'utiliser un rapport d'un jour et demi de crédit par jour de détention provisoire, pour faire les calculs dont vous allez entendre parler au cours de la prochaine heure.
Le sénateur Nolin : Selon vous, dois-je bien comprendre que la situation au Canada est surtout due au fait que les tribunaux ont beaucoup exercé leur pouvoir discrétionnaire, ce qui a pour résultat que l'allocation de temps pour détention provisoire entre maintenant dans la détermination de la peine?
M. Roberts : Ce n'est pas si simple que cela, car les juges d'ici — cela ne se produit pas ailleurs, à ce que je sache — semblent être influencés par les mauvaises conditions qui règnent dans les centres de détention provisoire. Je n'ai jamais entendu un juge anglais dire : « Puisque les conditions étaient mauvaises, je vais vous accorder un crédit double. »
Le sénateur Baker : Permettez-moi de renchérir sur ce point. Les juges n'inventent pas de raisons ou quoi que ce soit d'autre. L'affaire leur est présentée par l'avocat de la défense et le procureur de la Couronne. On n'entend pas de juges au Canada affirmer tout d'un coup : « Ce centre de détention est honteux; il viole les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus des Nations Unies. »
Dites-le-moi si j'ai tort, mais je ne pense pas qu'il y ait d'autres pays qui prennent en considération les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus au moment de déterminer la peine. Je crois qu'il serait extraordinaire de procéder ainsi dans un des endroits que vous avez mentionnés.
M. Roberts : En Angleterre et au pays de Galles, la jurisprudence de la Cour européenne influerait sur les conditions dans les prisons. Votre première affirmation est exacte. Le rapport serait fixé selon les observations des avocats; le tribunal ne l'établirait pas nécessairement de lui-même.
Toutefois, selon ce que j'ai vécu et ce que j'ai entendu dire, les tribunaux utilisent couramment la formule du deux pour un sans attendre que l'avocat en fasse la demande. C'est certainement le cas au Québec. C'est devenu la norme.
Le sénateur Baker : Cela se produit à certains endroits. La Cour d'appel du Nouveau-Brunswick en a fait la norme dans un de ses arrêts. Je ne sais pas si elle est la seule au pays à l'avoir fait. Ce point nous ramène certainement à ce que disait M. Weinrath. Nos centres de détention sont extrêmement surpeuplés, au point où il n'y a pas assez de lits pour tous les occupants. Une personne devra donc dormir sur le plancher pendant deux ou trois ans, et cette personne est souvent la plus faible du groupe.
Monsieur Weinrath, je suis surpris que vous ayez réussi à faire des entrevues dans des centres de détention provisoire. Les détenus auraient soupçonné que vous cherchiez à identifier leur voix ou quelque chose du genre. Je suis surpris que vous ayez réussi à leur parler.
Le sénateur Angus : C'était peut-être Conrad Black.
Le sénateur Baker : On n'avait pas de preuves d'écoute électronique dans son cas. Avez-vous fait une distinction, monsieur, entre les centres de détention provisoire et les cellules de détention provisoire — les détenus sont amenés du centre à la cellule, où ils peuvent passer 24 heures, où la toilette se trouve au beau milieu de la pièce, où les lumières ne sont jamais éteintes et où il y a beaucoup trop de monde? Je cite des affaires — j'allais dire M. Angus, mais je veux dire sénateur Angus. Je le connais surtout en raison des affaires qu'il a débattues devant la Cour suprême du Canada, et non à cause de la cellule du poste.
Dans vos conclusions, avez-vous fait une distinction entre ces deux groupes?
M. Weinrath : Il y a tellement de personnes en détention provisoire que certaines d'entre elles sont maintenant placées dans des établissements pour personnes condamnées. Le Headingley Correctional Centre, au Manitoba, et le Fort Saskatchewan Correctional Centre, en Alberta, sont les établissements centraux de ces deux provinces. Avant, presque tous les détenus condamnés étaient envoyés là. C'est là qu'une grande partie des meilleurs programmes de la province se déroulaient et que les détenus à long terme restaient.
Lors de mon passage à Headingley, environ 70 p. 100 des détenus étaient en détention provisoire. Ces détenus restaient dans des blocs, habituellement dans les vieux blocs, et ils nuisaient en fait à la vie en prison des détenus condamnés. Lorsqu'un si grand nombre de détenus sont en détention provisoire, les déplacements de chacun doivent être surveillés. Soudain, on n'a plus autant de temps pour les programmes. La détention provisoire a donc des conséquences néfastes sur les autres détenus.
Pour être juste, il faut dire que les provinces ont parfois essayé, dans de telles situations, d'offrir des programmes aux personnes en détention provisoire. Toutefois, ces programmes sont souvent de courte durée, et la moitié des détenus quittent avant la fin parce que leur affaire passe en cour ou parce qu'ils doivent se présenter eux-mêmes en cour. Le taux élevé de détention provisoire a des conséquences néfastes sur les détenus condamnés dans nos provinces.
Une autre répercussion du fait qu'il y a tellement de personnes en détention provisoire — j'en profite pour répéter que les délais avant les procès sont très longs —, c'est que la durée moyenne de la peine des détenus condamnés aux établissements fédéraux est maintenant plus courte. Avant, un grand nombre de détenus étaient condamnés à quatre ou cinq ans d'emprisonnement. Maintenant, les peines sont de deux ou trois ans.
Ils arrivent à l'établissement, et certains d'entre eux ont de graves problèmes. Ils ont reçu des peines assez longues et ils seront bientôt admissibles à la libération conditionnelle. Les agents de libération conditionnelle, les agents de préparation du cas, n'arrivent pas à les placer dans des programmes à temps pour qu'ils obtiennent la libération conditionnelle; ils finissent donc par passer plus de temps en détention.
Je suis d'accord qu'un grand nombre de détenus n'obtiennent pas la libération conditionnelle; le taux n'est même pas de 40 p. 100. Toutefois, notre taux élevé de détention provisoire nuit aux détenus admissibles, à ceux qui pourraient être libérés, qui pourraient travailler et qui pourraient contribuer à la société canadienne.
Le sénateur Baker : Nous avons approuvé des changements au Code criminel en matière de liberté sous caution et de renversement du fardeau de la preuve. Tous les changements que nous avons apportés, que le comité a adoptés au cours des deux dernières années, ont allongé la liste des personnes qui doivent prouver, par renversement du fardeau de la preuve, qu'elles peuvent être libérées lorsqu'elles sont en détention provisoire. Ces changements ont peut-être contribué à nos difficultés.
J'ai trouvé intéressant votre commentaire sur le fait que le Canada se trouve dans une situation particulière, comparativement à d'autres endroits, puisque les personnes en détention provisoire sont si nombreuses. Vous avez mentionné qu'une personne que vous avez passée en entrevue a dit : « Écoutez, je peux rester en détention provisoire pendant un an, puis la Couronne peut décider de laisser tomber les accusations et me renvoyer chez moi. »
Hier, nous avons entendu au cours d'un témoignage que 35 p. 100 des personnes accusées ne sont pas condamnées. Elles sont libérées pour une raison ou une autre : on reconnaît leur innocence, la Couronne laisse tomber les accusations, l'instance est suspendue.
Si nous modifions le projet de loi de façon à ce que le tribunal soit automatiquement appelé à prendre en considération la compensation des personnes trouvées innocentes, y compris pour leurs frais d'avocat et pour le temps perdu à leur emploi, croyez-vous que cette disposition réglerait une partie du problème?
M. Weinrath : Certainement. Une telle disposition augmenterait le fardeau de la Couronne. Certains détenus connaissent bien le droit. L'un d'entre eux m'a fait remarquer qu'il est difficile de remporter un procès de poursuite malveillante contre la Couronne. Une telle disposition créerait une distinction importante.
Toutefois, l'autre problème que pose cette disposition est la négociation de plaidoyers au Canada. Je ne suis pas certain que l'avocat de la défense conclurait un accord avec la Couronne pour exclure une telle mesure.
Nous avons passé en entrevue un procureur de la Couronne dans le cadre de l'évaluation d'un programme pour les jeunes. Fait étonnant, les procureurs de la Couronne s'inquiètent toujours au sujet de la discrétion des agents de probation et des manquements aux conditions de probation. Or, comme vous dites, lorsqu'on leur mentionne toutes les accusations qui sont retirées, ils répondent que ce n'est pas la même chose.
Pour revenir à votre question, oui, je pense qu'une telle disposition ferait une différence. Je m'inquiéterais au sujet de l'influence de la négociation de plaidoyers.
Le sénateur Angus : Je crois que vous avez reconnu tous les deux que le rapport d'un jour crédité par jour passé en détention provisoire en vigueur dans des pays comme le Canada, par exemple au Royaume-Uni, aux États-Unis et ailleurs. Est-il garanti par la loi dans ces pays?
M. Roberts : Oui, mais ce rapport est différent de celui que crée le projet de loi C-25. Une journée avant équivaut à une journée après. C'est un peu comme la proposition canadienne selon laquelle la peine serait antidatée de façon à ce qu'elle commence au moment où la personne est entrée en détention.
Le sénateur Angus : Toutefois, une journée est encore une journée, et non deux?
M. Roberts : Oui, c'est exact.
Le sénateur Angus : Ce que je ne comprends pas, c'est que je pense que vous avez reconnu tous les deux que de codifier ainsi n'est pas une mauvaise idée, sauf que le moment n'est peut-être pas bien choisi. Que répondriez-vous à la question suivante : si nous n'avions pas de problème de surpeuplement au Canada, ce qui nous place dans une situation distincte étant donné non seulement le surpeuplement, mais aussi les délais dans les tribunaux de libération sous caution, appuieriez-vous le projet de loi?
M. Weinrath : Désolé, vous nous demandez si...
Le sénateur Angus : Je vous pose la même question à tous les deux. Si les conditions au Canada ne rendaient pas notre situation distincte, comme vous l'avez décrite — notamment, si les centres de détention provisoire, les centres de détention et les lieux de détention provisoire n'étaient pas dégoûtants (et les conditions ne sont pas nécessairement les mêmes aujourd'hui qu'elles l'étaient lors de votre passage ou du mien, ou comme elles sont décrites dans l'affaire de 1931) —, si les installations étaient modernes et respectaient les normes, auriez-vous encore des préoccupations au sujet du projet de loi?
M. Weinrath : Mais vous ne pouvez pas changer la situation. C'est évident que vous aimeriez avoir des installations modernes, mais je parle seulement de la vie en détention provisoire. Les personnes placées dans un établissement de détention après condamnation peuvent se déplacer dans l'édifice, elles peuvent faire demande à des programmes et elles peuvent penser à leur avenir. Lorsqu'elles sont placées dans un bloc de détention provisoire, elles sont confinées à ce bloc.
Je crois que ce que vous essayez de dire, c'est que le Canada n'aborde pas ces questions de la même façon que d'autres pays. Nous reconnaissons l'injustice d'être accusé d'un crime, d'être placé en ce qui équivaut à la détention à sécurité maximale et de n'avoir pas droit aux mêmes conforts et à la même qualité de vie que les détenus condamnés. Le Canada reconnaît la situation.
Je ne suis pas convaincu que le rapport d'un jour crédité par jour de détention provisoire, les antidates et le fait de tenter de préparer les détenus à la libération conditionnelle ne posent pas de problèmes dans d'autres pays. Encore une fois, le Canada et les tribunaux ont reconnu que ces questions n'étaient pas réglées.
Lorsqu'on tente de comparer, il ressort que les autres pays ne sont pas aussi généreux que nous et qu'ils n'interprètent pas les choses comme nous. Ici, nous n'avons pas recours à la peine capitale. Comptons-nous le nombre de pays qui ont recours à cette peine, pour conclure que nous devrions nous joindre à eux? Les recherches que nous avons menées dans ce domaine ont été positives et progressistes.
Le sénateur Angus : Vous êtes en train de me dire quelque chose que je n'avais peut-être pas compris jusqu'ici. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le rapport est d'un jour crédité par jour de détention provisoire, mais vous nous avez dit que les conditions n'étaient pas bonnes là non plus. Le Canada ne se distingue pas sur ce plan. Vous dites qu'on ne peut pas changer les conditions de la détention provisoire et des centres de détention, mais ma question était hypothétique : si nos installations étaient modernes, si elles n'étaient pas surpeuplées, s'il y avait suffisamment de juges pour les tribunaux de libération sous caution, et cetera, seriez-vous contre le projet de loi? Êtes-vous d'avis que le projet de loi est une mauvaise mesure législative?
M. Weinrath : Oui, je pense que la formule du deux pour un est déjà établie. Comme je l'ai dit au cours de mon exposé, les conditions de la détention provisoire n'ont pas changé, et on ne peut les changer que légèrement pour les améliorer. Les centres seront toujours limités sur le plan des loisirs et autres. De plus, d'autres raisons nous empêchent d'offrir du traitement aux personnes placées dans les centres de détention provisoire. Puisque ces personnes sont seulement accusées, leur offrir un traitement serait presque les forcer à admettre qu'elles sont coupables. Nous ne pouvons pas changer les conditions sur le plan matériel, ni le fait que le mécanisme de réduction de la peine n'est pas applicable.
Le sénateur Angus : Les conditions sont les mêmes aux États-Unis et au Royaume-Uni; nous ne nous distinguons pas sur ce plan. Ce qui nous distingue, c'est la façon dont nous procédons actuellement, et le projet de loi changerait cette façon. C'est bien cela?
M. Weinrath : Ce qui nous distingue, c'est le temps que nous allouons pour la détention provisoire.
M. Roberts : Il y a deux choses dans le projet de loi qui me préoccupent. L'augmentation du temps alloué pose deux problèmes. Le premier est celui que vous avez souligné : le fait que les conditions dans les centres de détention provisoire sont bien pires que celles dans les centres de détention après condamnation. Le second est la réduction de la peine et le fait que le détenu ne purgera pas toute la peine prononcée par le tribunal.
En éliminant le premier problème, on ne règle pas le second. Dans les autres pays mentionnés, une journée passée en détention avant le prononcé de la peine est équivalente à une journée passée en détention après. Si vous régliez les deux problèmes que vous avez notés, je ne vois pas pourquoi on n'inclurait pas la disposition dans la loi. Pourquoi un tribunal augmenterait-il le temps alloué, en l'absence de ces deux motifs, si les tribunaux n'ont aucune raison de le faire puisque les deux problèmes, ou différences, ont été résolus?
Le sénateur Angus : J'aimerais demander à M. Roberts de répéter ce qu'il a dit au sujet de la formule d'une journée avant pour une journée après. Est-ce qu'on améliorerait le projet de loi en le modifiant de façon à ce qu'une journée avant soit équivalente à une journée après, comme c'est le cas au Royaume-Uni, selon ce que vous dites?
M. Roberts : Oui, cela aiderait si vous pouviez faire en sorte qu'une journée passée en détention avant le prononcé de la peine soit l'équivalent d'une journée passée en détention après. Reprenez l'analogie de l'amende : si la journée après vaut 1 $, la journée avant devrait aussi valoir 1 $. En ce moment, c'est plutôt 0,80 $ pour la journée avant et 1 $ pour la journée après.
Le sénateur Angus : C'est une société équitable.
Le sénateur Wallace : Vous avez présenté de bons exposés. Je me tourne d'abord vers M. Weinrath.
Il semble y avoir beaucoup de raisons pour lesquelles le nombre de personnes en détention provisoire a augmenté, et ce nombre semble continuer à croître. Le délai avant les procès peut compter parmi les facteurs. Toutefois, selon ce que vous avez déduit de vos recherches, le temps alloué pour détention provisoire avant le prononcé de la peine a causé une augmentation du nombre de personnes en détention provisoire. Est-ce exact? Est-ce l'un des facteurs?
Le sénateur Angus : C'est pour cette raison que nous menons l'étude.
M. Weinrath : Comme vous l'avez souligné, j'ai mentionné au cours de mon exposé que certains détenus avaient déclaré qu'ils faisaient des manœuvres en détention provisoire. Toutefois, le pourcentage n'était pas élevé. Les détenus que j'ai passés en entrevue étaient surtout préoccupés par le délai avant leur procès. Si nous voulons régler la situation, c'est par là qu'il faut commencer.
Le sénateur Wallace : Tous les ministères provinciaux et territoriaux ont demandé à M. Nicholson et à son ministère d'adopter le projet de loi C-25. C'est évident que ceux qui sont sur le terrain et qui gèrent directement les centres de détention provisoire sont d'avis que la formule du deux pour un ou du trois pour un utilisée actuellement a des conséquences néfastes sur le nombre de personnes en détention provisoire. C'est là une preuve solide. M. Nicholson et son ministère ne devraient-ils pas la prendre au sérieux? Ne trouvez-vous pas que c'est une preuve solide?
M. Weinrath : Sur le plan des recommandations et des diverses mesures que l'on peut prendre, le projet de loi est certainement l'une des options les moins coûteuses. Sa mise en œuvre ne requiert pas beaucoup de ressources.
J'ai travaillé au sein du système de justice pénale pendant 14 ans. J'aime me rendre dans les établissements pour en faire le tour et pour parler au personnel et aux détenus. C'est important d'aller voir ce qui se passe, comme on dit. Cela dit, de nombreuses études ont montré que les gens qui travaillent dans le système de justice pénale sont comme tous les autres travailleurs : ils ont tendance à vouloir se simplifier la vie. Ce genre de changements serait avantageux pour les procureurs de la Couronne, sur le plan de leurs relations avec les avocats de la défense et les accusés.
Le sénateur Wallace : J'espère que ce que vous dites n'est pas tout à fait vrai et que des principes plus nobles que celui de se simplifier la vie les poussent à faire de telles recommandations. J'espère que chaque province essaie plutôt d'agir dans l'intérêt de la justice. Je crois qu'au bout du compte, c'est cela, le facteur principal.
Comme vous dites, il y a une différence entre le fait d'être assis ici et de discuter, et celui de vivre ce que beaucoup de personnes vivent et de voir les répercussions du temps alloué pour détention provisoire sur les personnes qui sont, justement, en détention provisoire. Il y a un monde réel et vous le connaissez, en partie grâce à vos recherches. Je sais que de nombreuses personnes ont fait des déclarations et qu'il y a des citations. En cherchant les opinions de personnes qui ont affronté le problème sur le terrain, j'ai trouvé une citation de Matt Logan, un expert en infractions sexuelles à la GRC, qui date du 13 avril 2009. C'est vrai qu'il s'agit d'une seule opinion et d'une seule expérience. M. Logan dit avoir mis sa carrière de côté pendant deux ans pour aller passer du temps en prison en tant que psychologue pour le Service correctionnel du Canada. Selon lui, la formule du deux pour un est une arnaque. Les personnes qui obtiennent le deux pour un engorgent l'appareil judiciaire et contribuent au retard. Il était très heureux d'apprendre qu'elle serait éliminée.
Je ne veux pas dire que nous devrions nous fonder sur cette opinion pour modifier le Code criminel, mais nous avons reçu des commentaires de diverses parties sur le terrain — vous, les ministères de la Justice des provinces, la police de partout au pays —, et toutes semblent appuyer fortement le projet de loi. Oui, nous pourrions toujours mener d'autres études, et je n'en écarte pas le besoin. Toutefois, je crois que le ministère a reçu des comptes rendus d'expériences réelles qui appuient le projet de loi C-25. Êtes-vous d'accord?
M. Weinrath : Les gens fondent souvent leurs déclarations sur leur propre point de vue et sur l'importance qu'ils attachent à la question. C'est vrai qu'il est arrivé que des gens abusent de la formule du deux pour un; je n'ai pas nié ce fait. Toutefois, le point de vue présenté ne constitue pas une véritable étude. Vous avez cité une seule personne. Au moins, j'ai enquêté auprès d'environ 220 détenus et j'ai pris le temps de parler à d'autres. J'ai tenté de mener des recherches méthodiques, même si elles ne sont pas aussi bonnes que celles qui doivent être faites sur la question. Si on commandait une étude, et cette étude montrait que les avocats de la défense prennent des mesures pour reporter le procès et utiliser la formule du deux pour un, je l'accepterais, en autant que les preuves confirment ce point de vue.
Les ministres de la Justice ont fait un grand nombre de déclarations. Je ne veux pas dire que les gens qui travaillent dans le système de justice pénale sont complètement égoïstes et manipulateurs; en général, les gens cherchent sincèrement à bien faire leur travail.
Le sénateur Wallace : J'étais certain que c'était ce que vous pensiez et que vous aviez peut-être exagéré un peu. Merci d'avoir apporté cette précision.
Le sénateur Dickson : Messieurs, le projet de loi contient, comme vous le savez, une disposition qui prévoit un rapport d'un et demi pour un dans les cas où les circonstances justifient une telle augmentation du temps alloué. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette disposition. Les juges conservent-ils suffisamment de pouvoir discrétionnaire, selon les circonstances? Pourquoi n'y a-t-il pas de telles dispositions au Royaume-Uni et ailleurs?
M. Roberts : Le rapport d'un et demi pour un nous ramène à la question de savoir si on veut que la détention provisoire ait le même poids que la détention après le prononcé de la peine. Les données sont claires; pensez au mécanisme de réduction de la peine. MM. Webster et Doob vous en parleront dans quelques instants. La formule employée ne peut pas être d'un pour un parce que la détention après condamnation peut faire l'objet d'une réduction de la peine, mais non pas la détention provisoire.
Cette structure correctionnelle nous oblige donc à employer le rapport d'un et demi pour un avant même de penser à l'augmenter dans les cas où les conditions dans les prisons sont particulièrement mauvaises. Selon moi, le rapport d'un et demi pour un est le point de départ. Je ne voudrais pas qu'il augmente de beaucoup puisque le problème se situe sur le plan correctionnel. Si les conditions sont mauvaises, ce sont les autorités correctionnelles qui doivent régler la situation, et non pas les juges. Nous voudrons peut-être faire des augmentations ou permettre une certaine marge de manœuvre étant donné la tradition actuelle, mais les augmentations ne devraient pas être de beaucoup.
Je ne sais pas vraiment pourquoi le rapport n'a pas été augmenté ailleurs aussi. J'ai parlé à des collègues du Royaume-Uni — d'Angleterre et du pays de Gales — pour en savoir plus. Il n'y a pas eu de débat autour de la question de savoir s'il faudrait tenir compte des mauvaises conditions en détention provisoire au moment de déterminer la peine. Cela est dû en partie au fait qu'on considère là-bas que la peine commence au moment où la personne entre en détention. La question n'a donc pas été soulevée ailleurs.
M. Weinrath : L'arrêt R. c. Wust parle en gros du pouvoir discrétionnaire dont jouit l'appareil judiciaire dans la détermination de la peine en ce qui concerne l'augmentation du temps alloué pour détention provisoire. Le fait d'augmenter ou de diminuer le temps alloué dans le cas de délinquants qui ne se sont pas présentés en cour ou qui ont récidivé a toujours été du ressort des juges. Je vois la mesure comme une tentative de réduction du pouvoir de l'appareil judiciaire d'augmenter le temps alloué. À certains égards, la situation n'a pas changé, mais on a certainement limité le temps qu'on peut allouer à un rapport d'un et demi pour un.
Nous devons penser à ce que les gens vivent avant le prononcé de la peine. Un tribunal au Manitoba a alloué du temps à une personne libérée sous caution qui avait un couvre-feu. Avoir un couvre-feu de 18 heures à 6 heures ou toute la journée, c'est comme être en prison ou être emprisonné avec sursis. Le juge a alloué du temps à la personne, ce qui a soulevé une petite controverse.
C'est dans de telles situations que les tribunaux se distinguent du service correctionnel. Quelqu'un a mentionné plus tôt qu'il est rare que les établissements examinent dans quel état ils sont. À certains endroits aux États-Unis, des détenus ont été libérés plus tôt que prévu à la suite d'examens de l'état des établissements. Cela ne s'est jamais fait au Canada. Les tribunaux doivent prendre en considération les efforts déployés pour obtenir du traitement et un emploi, ce qui, de façon générale, est plus difficile à faire pour une personne en détention que pour une personne en liberté.
Ces parties du projet de loi sont bonnes. Toutefois, il est évident qu'on limite le temps alloué afin de tenter de réduire les possibilités pour les accusés.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur l'arrêt Wust prononcé par la Cour suprême en 2000; vous en avez parlé au cours de votre exposé. Selon le paragraphe 45 de l'arrêt :
Dans le passé, nombre de juges ont retranché environ deux mois à la peine du délinquant pour chaque mois de détention présentencielle. Cette façon de faire est tout à fait convenable, quoiqu'un autre rapport puisse aussi être appliqué, par exemple si l'accusé a été détenu avant son procès dans un établissement où il avait pleinement accès à des programmes d'enseignement, de formation professionnelle ou de réadaptation. Le rapport de deux pour un qui est souvent appliqué reflète non seulement la rigueur de la détention en raison de l'absence de programmes, rigueur qui peut être plus grande dans certains cas que dans d'autres, mais également le fait qu'aucun des mécanismes de réduction de la peine prévus par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne s'applique à cette période de détention. Le « temps mort » est de la détention « concrète ». Comme la période à retrancher ne peut ni ne doit être établie au moyen d'une formule rigide, il est par conséquent préférable de laisser au juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c'est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d'arrêter la peine appropriée, y compris l'opportunité d'accorder une réduction pour la période de détention.
Comme M. Roberts l'a dit, nous demandons maintenant de limiter ce pouvoir discrétionnaire de manière à ce que le rapport soit d'un jour pour chaque jour passé sous garde. Il revient au juge de décider si des circonstances particulières ou des circonstances justifient une période maximale. Nous n'avons pas entendu de témoignages sur l'incidence qu'un changement du rapport de deux jours pour un jour à un rapport d'un jour et demi pour un jour aurait sur le système.
Faire passer le crédit de deux jours à un jour et demi aura-t-il un effet considérable sur le désengorgement du système? Le sujet n'a pas été abordé. Il a été soulevé, mais vous avez dit dans votre dernière réponse que le ministère ne dispose d'aucune étude sur la question. S'il avait des études, il les aurait soumises quand nous les avons demandées, et il n'a pas été en mesure de nous fournir de l'information.
Des témoins du ministère de la Justice étaient ici hier. Ils ont dit avoir examiné 110 cas où le crédit moyen était d'environ deux jours de crédit pour chaque jour passé en détention provisoire. Ils ne nous ont toutefois pas fourni des données permettant d'établir qu'il y avait clairement une incidence sur l'engorgement du système. Vous avez dit dans votre déclaration que la période moyenne pour traiter les causes, depuis la première comparution en cour jusqu'à la décision finale, avait augmenté de 47 p. 100 entre 1997 et 2007. Les témoins n'ont pu fournir aucune donnée réelle sur l'incidence de l'augmentation de la détention provisoire sur la prolongation du temps nécessaire pour traiter une cause. Il y a des parallèles, mais la relation n'est pas bien établie.
Si nous apportons ces changements, le faisons-nous dans le contexte des articles qui paraissent dans la presse? Une cause peut susciter beaucoup d'intérêt dans les médias. Les gens deviennent furieux. Les tribunes radiophoniques traitent du sujet et exercent des pressions sur les politiciens, qui veulent alors intervenir.
Si nous changeons un système qui a été décrit par la Cour suprême du Canada comme étant le système le plus approprié, il nous faut de l'information additionnelle sur la relation qui existe entre l'augmentation de la détention provisoire et son incidence sur la prolongation du temps nécessaire pour traiter une cause. Cette relation n'a pas été établie devant le comité jusqu'à présent. On nous a informés que le changement désengorgerait les tribunaux. Il me semble que le changement aurait davantage une incidence sur le système pénitentiaire que sur les tribunaux à proprement parler. Un représentant du procureur de la Couronne nous a expliqué hier l'incidence que le changement aurait sur le système. Ce n'était pas du tout le désengorgement du système. L'effet se ferait surtout sentir au niveau du système de libération sous caution. En fait, plutôt que de régler les problèmes, le changement perturbera davantage l'administration de la justice.
Je trouve qu'il y a encore trop d'éléments sans réponse dans l'équation pour que nous puissions conclure que le projet de loi est approprié dans l'état actuel du droit, comme l'a relevé la Cour suprême en 2000, et j'ai des doutes quant à ce qu'on nous demande d'accepter.
M. Roberts : Si j'étais un législateur et que quelqu'un faisait une proposition législative, je voudrais d'abord savoir les problèmes que cette mesure législative ou ce projet de loi réglerait. Le problème, c'est la hausse du crédit qui a une incidence sur la population en détention provisoire, l'exploitation du crédit par des accusés qui sont encouragés par des avocats de la défense rusés, et cetera. Premièrement, j'aimerais voir des données fiables concernant les problèmes que le projet de loi va régler. Deuxièmement, j'aimerais savoir les répercussions que la mesure législative aura.
Vous avez parlé de la différence qu'il y aura si on fait passer le crédit de deux jours à un jour et demi. C'est une analyse des répercussions. Vous pouvez faire une simulation. Pourquoi ne la feriez-vous pas? C'est ce qu'on appelle une mesure législative fondée sur des preuves. Voilà de quoi il retourne : Persuadez-moi de penser autrement.
C'est ce dont vous avez besoin; il vous faut ces deux éléments. Je ne parle pas d'une position idéologique contre le projet de loi. Je dis que vous avez besoin de données probantes pour savoir si le projet de loi est nécessaire et connaître les effets qu'il aura, y compris, et surtout, le point que vous avez soulevé.
M. Weinrath : Je ne pense pas qu'il soit impossible de mener ces études. Les preuves sont là. Il faut aller aux Archives judiciaires et examiner les transcriptions, l'information à l'appui et peut-être certaines observations. Vous pouvez faire des projections.
Vous pouvez aussi faire des projections sur d'autres explications pour justifier l'engorgement du système de détention provisoire. Vous pouvez peut-être envisager ce qui pourrait arriver si vous affectiez des ressources aux provinces, ou si le ministère affectait des ressources pour tenir plus d'audiences le soir et avoir plus de dates prévues pour les audiences, pour essayer de régler les causes plus rapidement.
Là encore, vous n'auriez pas à engager des ressources. Des gens pourraient toutefois préparer des simulations et vous fournir de l'information sur la rédaction du projet de loi.
Le sénateur Joyal : Dans votre étude sur la population carcérale dans le contexte de la détention provisoire, les répercussions sur le processus de réadaptation subséquent seraient-elles plus grandes sur ceux qui ont été incarcérés plus longtemps que d'autres?
M. Weinrath : Je pense que les répercussions font partie de la préoccupation plus générale. J'ai effectué des recherches sur la motivation des personnes en détention provisoire à suivre un traitement. Dans 60 p. 100 des cas, les personnes condamnées sont motivées à suivre un traitement. Pour être juste, certaines personnes en détention provisoire peuvent avoir l'impression qu'elles ne sont pas coupables ou qu'elles n'ont aucun ennui. On s'intéresse au traitement, mais la disponibilité est encore limitée.
Le fait que les prisonniers passent plus de temps en détention provisoire me préoccupe. Ils ne passent pas de temps dans des établissements correctionnels où ils ont accès à des programmes de réadaptation. Il y a aussi le fait que lorsqu'ils sont condamnés, ils ont le temps de réfléchir à ce qu'ils vont faire. Si vous avez déjà travaillé dans un centre de détention provisoire ou avec des détenus, vous savez que leur cause est leur préoccupation première. Quand j'interrogeais les prévenus en détention provisoire, je devais habituellement les écouter parler pendant une demi-heure de leur cause avant de pouvoir passer à d'autres sujets dont je voulais discuter avec eux. Leur cause occupe leurs pensées. Quand vais-je pouvoir parler à mon avocat? Qu'est-ce que la Couronne fait? Comme la cause avance-t-elle?
Même s'ils ne suivent pas les programmes, quand ils sont condamnés, ils pensent au moins à ce qu'ils feront lorsqu'ils seront libérés. Contrairement à ce que bien des gens disent, une fois que les détenus sont condamnés — du moins au début —, ils finissent habituellement à en avoir assez d'être en prison et ils se mettent à penser à autre chose.
Le phénomène général selon lequel un plus grand nombre de personnes passent plus de temps en détention provisoire a un effet négatif sur les détenus. Ce serait bien si nous pouvions porter les causes devant les tribunaux plus rapidement pour que les détenus puissent passer plus de temps dans un milieu de réadaptation.
La présidente : Avant de céder la parole aux sénateurs Baker et Wallace pour un bref deuxième tour, je veux clarifier un point pour m'assurer de bien comprendre. On parle ici qu'« un dollar, c'est un dollar ».
Si la peine est calculée à partir du jour où la personne est placée en détention, dans la pratique, la différence entre ce calcul et le fait de simplement accorder un crédit d'un jour, comme il est proposé dans le projet de loi, serait la libération conditionnelle, je présume? C'est la principale différence dont il est question ici, n'est-ce pas?
M. Roberts : Oui, cet aspect est l'un des deux éléments en jeu pour envisager la bonification du crédit. Ils seraient considérés si l'on adoptait un modèle de ce genre.
La présidente : Je voulais m'assurer que je comprenais bien ce dont nous parlions. Nous avons dépassé de beaucoup le temps qu'il était prévu de passer avec ces témoins. Je demande aux sénateurs Baker et Wallace d'être le plus concis possible.
Le sénateur Baker : La clarification que la présidente vient de faire a été évoquée par le sénateur Angus, qui a dit qu'un amendement serait peut-être apporté au projet de loi. Je ne sais pas si le sénateur Angus parlait d'un amendement au projet de loi pour le rendre...
Le sénateur Angus : Je parlais au conditionnel, ce qui est très différent. Je l'ai bel et bien dit cependant, et M. Roberts a répondu que le projet de loi l'améliorerait considérablement.
Le sénateur Baker : Je n'ai pas d'autres questions.
Le sénateur Wallace : Monsieur Roberts, dans vos observations, vous avez décrit le projet de loi C-25 comme étant une mesure législative radicale. J'interprète le commentaire de manière plus négative que positive. Je présume que le projet de loi pourrait être radical de façon positive, mais, d'après vos commentaires, c'est peut-être davantage de façon négative.
Quand j'examine le projet de loi C-25 et que je le compare aux crédits présentenciels existant qui sont accordés, la norme actuelle du crédit double émane des tribunaux. Il résulte de l'utilisation au quotidien du pouvoir discrétionnaire par les juges qui ont accumulé une jurisprudence considérable pour que le crédit double soit admis comme étant la norme.
Bien que le projet de loi C-25 se sert du crédit selon la formule du un pour un comme base, cela permet aux tribunaux de l'augmenter à un jour et demi pour un jour lorsque les circonstances le justifient. Le projet de loi n'impose aucune restriction au sujet de ces circonstances, si bien que nous présumons qu'il appartient aux tribunaux de décider; les juges détermineront quelles sont ces circonstances. Je pense qu'on peut supposer que ces circonstances seront semblables, sinon identiques, à ce qui est pris en considération aujourd'hui pour créer la norme de deux jours pour chaque jour passé en détention.
Là encore, je pense à ce que vous avez dit, à savoir que le projet de loi est une mesure législative radicale. Les tribunaux peuvent effectivement déterminer les critères à utiliser pour établir une nouvelle norme, et je présume qu'elle pourrait bien être de 12,5 jours pour chaque jour passé en détention, si les juges suivent la pratique antérieure. De plus, il faut penser au fait que le projet de loi oblige les tribunaux à fournir les raisons pour lesquelles ils accordent le crédit présentenciel, ce qui, à mon avis, serait une énorme amélioration par rapport à ce qui existe à l'heure actuelle. Quand je pense à ces deux facteurs, la mesure législative ne me semble pas être radicale dans le sens négatif du terme.
Nous pouvons débattre de la question de savoir si le ratio de deux jours pour un jour ou celui d'un jour et demi pour un jour est approprié, mais si c'est la seule grande distinction, à quel point ce changement est-il radical?
M. Roberts : Le pouvoir discrétionnaire que le projet de loi accorde aux tribunaux est une bonne chose, et c'est différent de certaines autres mesures législatives, telles que la loi sur les peines minimales obligatoires, où aucun pouvoir discrétionnaire n'est octroyé. Cette discrétion est une bonne chose.
Le projet de loi est radical car il retire à la cour le pouvoir discrétionnaire d'aller au-delà du ratio d'un jour et demi pour un jour. Il y a deux choses. Il y a l'incapacité de dépasser ce ratio où une norme s'est établie pour un ratio plus élevé que ce rapport, et le projet de loi retire la discrétion judiciaire d'accorder le crédit d'un jour pour chaque jour de détention avant procès. Dans le projet de loi, vous dites que vous ne vous souciez pas de la réduction de la peine, du ratio d'un pour un, et que cela revient à dire que 75 cents équivalent à un dollar.
C'est ce que je veux dire. La mesure législative est radicale en ce sens qu'elle restreint la discrétion judiciaire. Le projet de loi n'enlève pas aux juges le pouvoir discrétionnaire, et je pense que c'est un bon aspect. Il le limite toutefois considérablement, et c'est ce que j'entends par « radical ».
Le sénateur Wallace : Les législateurs ont le devoir de rédiger de manière précise les lois que nous adoptons, et de ne pas simplement rejeter l'obligation sur les tribunaux et de les laisser faire la loi. Les tribunaux font la loi — nous en sommes conscients —, mais il y a souvent les critiques des législateurs selon lesquelles nous ne sommes pas assez précis et que nous nous déchargeons de notre responsabilité sur les tribunaux. Que vous approuvez la manière dont le projet de loi apporte des clarifications ou non, c'est effectivement ce qu'il fait; le projet de loi clarifie l'intention, s'il est adopté et, par conséquent, cette clarification est peut-être positive.
M. Roberts : Je reconnais que le projet de loi apporte des clarifications, et vous avez la prérogative et le devoir de mettre en place un pouvoir discrétionnaire dans une certaine mesure. La question — et c'est là que nous pouvons nous lancer dans un débat interminable — est de savoir à quel point vous devriez intervenir dans la question du pouvoir discrétionnaire des cours de première instance.
La présidente : Notre personnel de la Bibliothèque du Parlement m'a rappelé que conformément à l'article 746 du Code criminel, la libération conditionnelle au Canada pour les condamnés à la prison à perpétuité — c'est-à-dire pour meurtre — est calculée à partir de la date où la personne est arrêtée ou détenue. On pourrait dire que la disposition complique cette cause davantage, mais elle se rapporte à ce dont nous discutons.
Le sénateur Dickson : Cette question s'adresse à M. Roberts. Nous entendrons plus tard M. Manson. À la page 7 de l'exposé de M. Manson, on peut lire ce qui suit :
Pratiquement tous les pays démocratiques occidentaux, lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes semblables, s'engagent dans un débat énergique et stimulant sur la détermination des peines. À l'exception du Canada [...] La vérité, c'est qu'au Canada, il nous faut un débat sérieux et approfondi [...]
J'aimerais savoir, d'après votre expérience, de façon générale, quelle est l'étude la plus récente qui a été menée sur la détermination de la peine?
M. Roberts : Dans quel sens?
Le sénateur Dickson : Je présume que M. Manson examine la détermination de la peine de façon générale. Il fait valoir que pratiquement tous les pays démocratiques occidentaux ont tenu un vaste débat sur la détermination de la peine et, par conséquent, des études doivent avoir été réalisées. Quelle est la plus récente et la plus pertinente?
M. Roberts : Je pense qu'il fait référence aux pays de common law comme l'Angleterre et le pays de Galles, qui ont apporté des changements radicaux au cadre de la détermination de la peine, où les juges ont des lignes directrices et des pouvoirs, et il y a des sites Web où ils peuvent avoir accès à l'information au sujet des lignes directrices et des pouvoirs. On ne retrouve toutefois pas ces changements seulement dans les pays de common law. La Corée du Sud a mis en place des réformes semblables, Israël y songe, l'Afrique du Sud les a proposées, et cetera.
Le sénateur Dickson : Le Canada pense-t-il à l'avenir? Que faut-il faire pour rattraper les pays à l'avant-garde? À qui doit-on s'adresser pour les ressources?
M. Roberts : M. Manson dira que vous avez besoin d'adopter une approche plus complète et globale, mais il dit cela depuis des années.
La présidente : C'est peut-être une question à poser à M. Manson.
Messieurs Roberts et Weinrath, nous vous remercions énormément. Vos témoignages étaient très intéressants et nous ont été utiles. Nous pourrions continuer de vous poser des questions pendant au moins une autre heure, mais la vie est courte. Ce sont les frustrations avec lesquelles nous devons vivre.
Nous avons maintenant la chance d'accueillir trois autres témoins avisés et intéressants : M. Allan Manson, professeur à la Faculté de droit de l'Université Queen's, M. Anthony N. Doob, professeur à l'Université de Toronto, et Mme Cheryl Webster, professeure du Département de criminologie de l'Université d'Ottawa. M. Manson est avocat, et M. Doob et Mme Webster sont criminologues.
M. Doob et Mme Webster ont préparé un exposé ensemble. Je pense que Mme Webster prendra la parole en premier. Bienvenue.
Cheryl Webster, professeure, Département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci de nous avoir invités, Tony Doob et moi-même, à venir vous présenter nos points de vue sur le projet de loi C-25. Nous avons préparé un seul exposé que nous allons présenter en semble.
Aux fins des discussions sur le projet de loi, nous formulons des hypothèses. Tout d'abord, nous présumons que peu importe les autres buts que l'emprisonnement pourrait avoir, le but premier peut être considéré comme étant la punition. Dans les cas où un délinquant est détenu avant son procès, il aura été puni en partie avant sa condamnation.
Par ailleurs, nous présumons que le projet de loi ne vise pas à augmenter ou à diminuer la punition que certains délinquants reçoivent. Il vise plutôt à assurer que le temps qu'ils ont passé en détention avant leur procès soit compté comme s'ils avaient été en détention après le prononcé de la peine.
Autrement dit, nous présumons que, en ce qui concerne le nombre de jours ou de mois d'emprisonnement, le but ici consiste à veiller à ce que la personne ne soit ni avantagée ni désavantagée, à tout le moins pour ce qui est des jours de détention, les jours passés sous garde avant la détermination de la peine, plutôt qu'après. La peine totale qu'un délinquant reçoit serait la même, qu'il ait passé du temps en détention avant son procès ou non.
Dans ce contexte, notre exposé examine le crédit accordé pour le temps passé en détention avant le procès qui assure le plus efficacement un traitement égal. Nous avançons que le projet de loi C-25, dans sa forme actuelle, désavantagera injustement la grande majorité des délinquants qui auront passé du temps en détention avant leur procès.
En effet, le système présumé du crédit d'un jour pour chaque jour en détention fera en sorte que la plupart des contrevenants qui ont été détenus avant leur procès passeront plus de temps en prison que ceux qui méritent la même peine, mais qui n'ont pas passé de temps en détention avant leur procès. Cette inégalité découle directement du fait que le projet de loi ne prend pas en considération la législation correctionnelle qui régit les façons dont les peines d'emprisonnement sont purgées au Canada.
Pour illustrer cette affirmation, prenons la cause concrète d'un délinquant condamné à 90 jours de prison. Étant donné que la peine du délinquant est inférieure à deux ans, il la purgera dans une prison provinciale. L'article 6 de la Loi sur les prisons et les maisons de correction prévoit que tous les détenus provinciaux et territoriaux peuvent s'attendre à voir leur peine réduite du tiers. Cela veut donc dire que presque personne ne purge la totalité de sa peine en prison. Les détenus sont libérés aux deux tiers de leur peine — sinon avant.
Si notre contrevenant condamné à 90 jours de prison n'a jamais été détenu dans le passé, il passerait en fait 60 jours en prison. Les deux tiers de 90 jours équivalent à 60 jours. Autrement dit, en raison de cette réduction automatique des peines, chaque jour de la peine que le détenu purge en prison après sa condamnation compte en fait pour un jour et demi. En effet, 60 jours multipliés par 1,5 équivalent à une peine de 90 jours. Pratiquement tous les prisonniers provinciaux qui purgent leur peine après leur condamnation reçoivent un crédit d'un jour et demi pour chaque jour de détention.
Prenons le même détenu qui est condamné à 90 jours de prison, mais cette fois-ci, il passe 30 jours en détention avant son procès. Pour veiller à ce que ces 30 jours en prison avant le prononcé de la peine comptent comme s'ils avaient été purgés après sa condamnation, le temps passé en détention avant le procès doit être compté au même titre que le temps passé en prison après la condamnation.
Autrement dit, chaque jour de la peine de 90 jours du délinquant qui a été purgé en détention avant le procès compterait pour un jour et demi. Un crédit moindre donnerait lieu au traitement inégal des personnes détenues avant leur procès et de celles qui ne l'ont pas été.
Permettez-moi de faire le calcul : un délinquant condamné à 90 jours de prison qui n'est pas détenu avant son procès purgera en fait 60 jours en prison avant sa libération. Le tiers de sa peine est automatiquement retranché. Ce délinquant condamné à 90 jours d'emprisonnement, mais qui a passé 30 jours en détention avant son procès devrait seulement purger 60 jours en prison avant d'être libérés. Si l'on applique un crédit d'un jour et demi pour chaque jour passé en prison, la détention avant procès de 30 jours équivaudrait à 45 jours. Ainsi, le délinquant aurait encore 45 jours à purger après sa condamnation.
Comme les prisonniers provinciaux purgent seulement les deux tiers de leur peine, il faudrait qu'il passe 30 jours en détention sur les 45 jours restant avant sa libération. En effet, les deux tiers de 45 jours équivalent à 30 jours. Au total, le délinquant aura passé 60 jours en prison — 30 jours avant le prononcé de la peine, et 30 jours après —, ce qui est exactement le même temps que le délinquant qui n'a pas été détenu avant son procès aurait purgé.
Toutefois, conformément au projet de loi C-25 et à son crédit présumé d'un jour pour chaque jour passé en prison, le délinquant purgerait plus de 60 jours. Les 30 jours en détention avant procès seraient comptés seulement comme 30 jours de purger sur la peine d'emprisonnement totale. Par conséquent, le délinquant aurait encore 60 jours à purger après le prononcé de sa peine. Avec la réduction de la peine automatique, il aurait encore 40 jours à faire sur les 60 jours restant, puisque les deux tiers de 60 jours équivalent à 40 jours. Le délinquant aura passé 70 jours en prison au total : 30 jours avant sa condamnation et 40 jours après. Juste parce qu'il aurait purgé une partie de sa peine avant sa condamnation, il serait désavantagé. Le délinquant purgerait injustement dix jours de plus que celui qui n'aurait pas été détenu avant son procès.
On a le même problème avec les prisonniers fédéraux — ceux condamnés à une peine de deux ans ou plus. Cette population carcérale est gouvernée par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui régit les manières dont les prisonniers fédéraux peuvent être libérés avant la fin de leur peine. Conformément à cette loi, la grande majorité des prisonniers fédéraux son libérés par voie législative après avoir purgé les deux tiers de leur peine dans un pénitencier. Bien que le mécanisme législatif pour une libération anticipée soit différent, presque tous les prisonniers provinciaux et fédéraux sont libérés après avoir purgé les deux tiers de leur peine ou avant.
Par conséquent, chaque jour qu'un délinquant purge dans un pénitencier fédéral, comme dans une prison provinciale, continue de compter pour un jour et demi. Pour faire en sorte que le temps passé en détention avant le procès soit compté au même titre que le temps passé après celui-ci, la détention présentencielle doit recevoir le même crédit que pour le temps passé dans un pénitencier après la condamnation — un minimum d'un jour et demi pour chaque jour en détention.
Du point de vue strictement de l'équité ou de l'équivalence, le projet de loi C-25 est clairement problématique. En effet, pour la grande majorité des prisonniers provinciaux et fédéraux — 99,8 p. 100 de tous les prisonniers au Canada —, le système présumé du ratio d'un pour un du projet de loi pour le temps purgé ira systématiquement à l'encontre du but présumé visant à veiller à ce que les délinquants qui passent du temps en détention avant leurs procès soient détenus le même temps que ceux qui méritent la même peine, mais qui n'ont pas été détenus avant leur condamnation.
Le projet de loi C-25 comporte une erreur de logique ou de calcul pour la grande majorité des prisonniers au Canada, ce qui désavantagera indûment ceux qui ont passé du temps en détention avant leur procès. Plus précisément, ce crédit présumé fera en sorte que pratiquement tous les délinquants qui ont été détenus avant leur procès passeront plus de temps en prison que les délinquants ayant reçu la même peine, mais qui n'ont pas été détenus avant leur procès. Pour pratiquement aucun délinquant au Canada qui purge une peine en prison ou dans un pénitencier, un jour d'emprisonnement ne compte en fait pas pour un jour. Par conséquent, le système du crédit d'un jour pour un jour ne s'appliquerait pratiquement à personne.
La norme pour la grande majorité des prisonniers provinciaux et fédéraux, c'est de purger au maximum les deux tiers de leur peine. Pour veiller à ce qu'un crédit équivalent pour le temps purgé avant la condamnation, par opposition à après, la détention présentencielle doit être calculée, au minimum, selon un ratio d'un jour et demi pour chaque jour passé en détention. Par ailleurs, même un système de crédit d'un jour et demi pour un jour de détention créerait quand même une inégalité pour le nombre relativement faible de prisonniers qui purgent moins des deux tiers de leur peine. Par conséquent, cela devrait constituer seulement le système présumé, dans le cadre duquel un plus grand crédit pourrait être attribué à ceux qui sont susceptibles d'être mis en liberté conditionnelle avant d'avoir purgé les deux tiers de leur peine.
La présidente : Merci, madame Webster.
Anthony N. Doob, professeur, Université de Toronto, à titre personnel : J'estime que le projet de loi C-25 n'est pas la bonne solution au vrai problème. Cheryl Webster a décrit l'erreur : Le projet de loi ne reconnaît pas le fait que presque tous les délinquants purgent seulement une partie de la peine d'emprisonnement qu'ils ont reçue. Cette erreur fait en sorte que si le projet de loi C-25 est adopté, l'injustice entraînera le calcul du crédit pour le temps purgé en détention présentencielle. Le problème que le projet de loi est censé régler, mais ne règle pas, c'est que la détermination des peines et l'administration des peines au Canada sont fondées sur un ensemble de principes quelque peu incohérents. Nous avons un système de détermination des peines et des sanctions sur lequel on doit désespérément se pencher. Il n'inspire pas le respect, en partie à cause de son incohérence.
Vous pouvez réagir au projet de loi que vous avez sous les yeux de bien des façons. J'ose espérer que votre réaction à une mesure législative malavisée serait de la modifier pour qu'elle reflète les lois du Canada qui régissent l'administration des peines au pays. Cette modification pourrait être facilement apportée en faisant passer le crédit présumé à un jour et demi pour chaque jour passé en détention avant le procès, et en laissant au juge le soin d'apporter d'autres modifications.
À long terme, la chose la plus importante que vous puissiez faire, c'est de saisir l'occasion pour lancer un processus véritablement constructif sur la réforme de la détermination de la peine au Canada. Nous devons entreprendre un débat sur le régime canadien de détermination de la peine.
Premièrement, nous pourrions vouloir discuter de l'objectif de la détermination de la peine. Le Sénat du Canada, a, dans un passé relativement récent, adopté un code de détermination de la pleine cohérent pour les jeunes. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents comporte un énoncé clair sur l'objectif de la détermination de la peine. De plus, la loi précise des principes à appliquer dans un ordre de priorité. Malheureusement, l'énoncé concernant l'objectif de la détermination de la peine pour les adultes dans le Code criminel promet beaucoup plus qu'il ne peut donner et ainsi, tient injustement les juges responsables des crimes.
En 2001, vous avez indiqué sans ambiguïté que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du jeune contrevenant à l'égard de l'infraction. Ce principe n'était pas encombré par les promesses contradictoires d'autres objectifs.
Dans le contexte du projet de loi C-25, il est important de noter que les peines s'appliquant aux jeunes contrevenants ont un sens beaucoup plus clair que les peines infligées en vertu du Code criminel. Un jeune contrevenant condamné à six mois de détention sait plus ou moins exactement quand il sera libéré aussitôt que la durée de sa peine est connue. En effet, en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le juge est tenu de préciser en audiences publiques ce que signifie une ordonnance de placement et de surveillance.
Il est impossible pour un juge au Canada de donner ce niveau de prévisibilité pour les peines d'adultes parce que la signification d'une peine pour un adulte dépend de facteurs qui ne sont pas à la portée du juge. De plus, les principes qui régissent la libération de la détention ne sont pas les mêmes que ceux qui ont servi à déterminer que l'incarcération était la peine appropriée.
Lorsqu'une peine de trois ans d'emprisonnement pour un adulte peut signifier que le détenu purgera entre six mois seulement et jusqu'à trois ans dans un établissement de détention, il n'est pas étonnant qu'il y ait de la confusion dans l'esprit du public et que ce dernier ne croit pas que la loi soit sensée. De toute évidence, 6 mois et 36 mois sont des périodes de temps inhabituelles passées en détention pour une peine de trois ans. Est-il sensé que dans des cas ordinaires, une peine de trois ans puisse signifier un an de détention si le contrevenant obtient une libération conditionnelle et deux ans s'il ne l'obtient pas? Autrement dit, est-il sensé donner la plus courte période de supervision dans la communauté, ou pas de supervision du tout, après une peine d'emprisonnement aux contrevenants que la Commission nationale des libérations conditionnelles juge comme étant les plus dangereux pour la société?
Le résultat de notre système d'administration des prisons et des peines d'incarcération, c'est qu'il est impossible pour les juges d'allouer du temps pour la détention sous garde avant le prononcé de la peine dans le cas de tous les contrevenants. Pour pouvoir allouer le temps approprié, le juge doit pouvoir prévoir correctement la date de libération des prisonniers au moment où le contrevenant reçoit sa peine.
Cependant, il y a d'autres façons de résoudre le problème immédiat du temps alloué pour le temps passé en détention provisoire sans ajouter à la complexité de la détermination de la peine. Une proposition en ce sens a été faite il y a 20 ans par la Commission canadienne sur la détermination de la peine. La proposition consiste essentiellement à antidater le début de la peine pour inclure le nombre de jours de détention provisoire. Les règles de libération fonctionneront comme elles le font actuellement pour tous les prisonniers.
La façon dont les contrevenants purgent leur peine peut être rendue beaucoup plus cohérente que c'est le cas actuellement. Apporter des changements modestes aux objectifs et aux principes de la détermination de la peine est un excellent premier pas. Rendre cohérente la façon dont les gens purgent leur peine est un excellent deuxième pas. Enfin, apporter des changements pour rendre toutes les peines un peu plus prévisibles est également une bonne politique.
Aucun des problèmes qui doivent être réglés dans le régime de détermination de la peine au Canada ne concerne la sévérité des peines. Aucun des problèmes les plus sérieux de notre régime de détermination des peines ne présuppose un niveau particulier d'emprisonnement. Le fait de rendre les peines plus dures ou plus indulgentes n'est pas le principal problème à résoudre. Non plus qu'il ne devrait être la question de déterminer combien de temps allouer pour la détention sous garde avant le prononcé de la peine.
Nous avons tous un intérêt légitime pour ce qui arrive aux contrevenants. Je ne veux pas laisser entendre que l'on puisse obtenir l'unanimité dans la conception d'un régime cohérent de détermination de la peine au Canada. Cependant, comme nous l'avons vu au cours du débat sur la détermination de la peine pour les adolescentes qui a eu lieu entre 1999 et 2002, il n'est pas impossible de créer un régime de détermination de la peine au Canada qui soit beaucoup plus cohérent que ce qui existe à l'heure actuelle pour les adultes.
J'invite le Sénat du Canada à faire deux choses en ce qui concerne le projet de loi C-25. Premièrement, lui donner une réflexion indépendante, comme John A. Macdonald a défini votre rôle en ce qui a trait à la législation. Si vous le faites, vous allez découvrir qu'il contredit à tel point de nombreux aspects des lois qui régissent le châtiment au Canada qu'il ne doit pas être adopté comme une loi dans son état actuel. Entre autres choses, il n'est pas conforme à l'énoncé des ministres provinciaux de la Justice de 2008 sur cette question.
Deuxièmement, utiliser le débat sur le projet de loi C-25 comme une occasion pour ouvrir le débat de façon beaucoup plus large sur la détermination de la peine et le châtiment dans notre système de justice pénale.
[Français]
Allan Manson, professeur, Université Queen's, Faculté de droit, à titre personnel : Bonjour; je regrette mais je ne suis pas bilingue et je vais présenter mon discours en anglais.
La présidente : C'est pour cela que nous avons des interprètes.
M. Manson : C'est bien.
[Traduction]
Je ne veux pas répéter ce que les professeurs Weinrath et Roberts ont dit plus tôt. J'épouse certainement les positions des professeurs Webster et Doob. Je ne veux pas lire le mémoire que j'ai fait parvenir au comité, mais je vais suivre la même présentation. J'ai également fait parvenir au comité mon article paru dans Criminal Law Quarterly en 2004 qui récapitule l'évolution dans ce domaine, du point de vue législatif et de la jurisprudence, et qui traite de la situation dans d'autres administrations.
Le titre abrégé de ce projet de loi est : Loi sur l'adéquation de la peine et du crime. Je suis heureux d'avoir cette occasion de dire la vérité au sujet de la détermination de la peine. Je pense que c'est ce que nous devrions faire pour quelques minutes.
Il existe un grave problème de compréhension dans le régime de détermination de la peine au Canada. La question du crédit de détention provisoire n'est pas la cause de ce problème ni un exemple significatif de celui-ci. Comme l'a dit le professeur Doob, notre régime doit faire l'objet d'un examen minutieux du fait qu'il est difficile à comprendre. Cette situation est attribuable au fait que nous n'avons pas de fondement en principe cohérent et pertinent sur lequel bâtir un régime de détermination de la peine qui soit équitable, efficace et compréhensible. Au fil du temps, notre régime a subi des modifications mineures et éparses en fonction d'objectifs perçus particuliers.
Laissez-moi regarder le projet de loi C-25. Comme l'a dit le professeur Roberts il y a quelques minutes, quel est le problème ici? Si vous regardez les observations du parrain du projet de loi, le ministre Nicholson, il est difficile, à mon avis, de savoir exactement quel problème ce projet de loi est censé corriger. Si le problème, c'est que le public ne comprend pas pourquoi un juge impose une peine en tenant compte du crédit de détention provisoire, il s'agit alors d'un problème de communication. Il incombe aux juges de mieux expliquer les peines qu'ils prononcent. Qui plus est, si un fondement législatif est nécessaire, le paragraphe 719(3.3) proposé et la nouvelle formule de mandat suffisent à régler la question entièrement. Rien d'autre n'est nécessaire si le problème se limite à un problème de communication.
Peut-être que le problème est ailleurs. Dans ses observations faites le 20 avril dernier au moment où il a déposé le projet de loi, le ministre Nicholson a dit : « Mais les tribunaux lui alloue habituellement le double du temps réel ».
Ensuite, il a dit : « Dans de nombreux cas, les tribunaux accordent trois fois le temps réel ».
Cette question est la question du crédit bonifié. Est-ce là le problème que le projet de loi C-25 cherche à régler? Si c'est le cas, disons la vérité. Il n'y a pas beaucoup de cas de crédit bonifié. Je dis au comité qu'il n'y a qu'une poignée de cas par année sur des centaines de milliers de sentences prononcées. Nous infligeons des peines pour environ 250 000 infractions par année et de ce nombre, 85 000 sont des infractions qui donnent lieu à des peines d'incarcération. Je suis d'avis que les cas de crédit bonifié sont très peu nombreux. S'il y a des preuves du contraire, je ne les ai jamais vues et j'aimerais bien les voir.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, l'arrêt faisant autorité en matière de crédit bonifié est l'affaire R. c. Kravchov, qui est un des cas survenus durant la grève des gardiens de prison à Toronto en 2002. La semaine dernière, j'ai fait une recherche dans Quicklaw pour voir combien de décisions rendues ont tenu compte de l'arrêt Kravchov. En sept ans, il y a eu 25 cas. Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas eu d'autres exemples de crédit bonifié, mais qu'il y a eu 25 renvois de QL à l'affaire Kravchov en sept ans. Ces résultats, je dirais, appuient ma prétention qu'il ne se produit qu'une poignée de cas chaque année.
M. Nicholson a également noté la préoccupation au sujet de l'augmentation de la population en détention provisoire. Je ne veux pas répéter cet argument. Je pense que le sénateur Joyal a parlé de cette question. Si le but de ce projet de loi est de régler la question de l'augmentation du recours à la détention provisoire, montrez-moi comment il règle cette situation. Je n'ai pas vu cette intention. Dans une minute, je vais essayer de vous expliquer comment le projet de loi accroîtra l'engorgement des tribunaux, aussi bien à l'étape de l'enquête sur le cautionnement qu'à l'étape du prononcé de la peine.
Cependant, en l'absence de données et de preuve de causalité entre le crédit de détention provisoire et l'augmentation de la population en détention provisoire, nous ne faisons que prendre un problème réel et construire un argument vide autour de ce problème.
Autre problème soulevé par le ministre Nicholson :
La coutume d'accorder un généreux crédit pour la période de détention présentencielle ne peut être justifiée par l'existence d'un régime de libération d'office et de libération conditionnelle qui a lui-même fait l'objet de critiques négatives impartiales et qui pourrait donc être modifié substantiellement dans les temps à venir.
Cette citation faisait partie de ses observations du 20 avril.
Comme l'ont démontré les professeurs Webster Doob, je pense qu'il est important que le crédit de détention provisoire soit intégré au régime actuel de libération conditionnelle et de libération. Le ministre faisait sans doute allusion au rapport de 2007 du Comité d'examen du Service correctionnel du Canada intitulé Pour une sécurité publique accrue. Le ministre a tout à fait raison de dire que ce comité a recommandé l'abolition à la fois de la libération d'office et de la procédure d'examen expéditif de la mise en liberté sous condition.
Toutefois, j'estime que cette étude est tellement déficiente du point de vue méthodologique et pauvre du point de vue analytique que je suis tenté de dire qu'elle est foncièrement tendancieuse; elle n'est certainement pas fiable. Cependant, le rapport du comité d'examen n'est pas un texte de loi. Nous avons un système et le projet de loi C-25 s'appliquera au système judiciaire actuel.
Essentiellement, ma position, c'est qu'il ne faut pas modifier le crédit de détention provisoire à moins d'être prêt à examiner des questions plus globales. Je reviendrai aux questions plus globales dans une minute.
Il a beaucoup été question ce matin de la deuxième justification du crédit dans un rapport de deux à un : la question des conditions de détention. Je ne vais pas traiter de cette question. Je pense que c'est clair, comme le démontre la citation de l'arrêt Wust que vous a lue le sénateur Joyal; c'est ce raisonnement qui a persuadé les tribunaux de faire passer le crédit de 1,5 à 2.
Le président : Les interprètes aimeraient que vous ralentissiez un peu, s'il vous plaît. Toutefois, l'enthousiasme est important et je dois vous prévenir que dans 40 minutes, le timbre va retentir et que le comité ne peut siéger quand le Sénat siège. Veuillez poursuivre avec toute la diligence voulue.
M. Manson : J'étais conscient de cela, monsieur le président, et c'est pourquoi j'accélérais. Je vais ralentir un peu. Je ne vais pas reprendre les arguments concernant les conditions de détention, mais ce sont ces arguments qui ont convaincu les tribunaux de faire passer le crédit de 1,5 à 2. Le crédit de 1,5, comme l'ont démontré mes collègues, les professeurs Webster et Doob, est essentiel si vous voulez créer la parité. Ce crédit est le minimum légal.
Il y a de véritables problèmes liés au crédit de détention provisoire. Si vous lisez mon mémoire, vous allez remarquer que le groupe de travail de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada a traité de ces derniers l'an dernier. Je n'ai aucune objection à en parler parce que j'étais membre de ce groupe de travail. Vous allez voir à la page 3 une liste des questions liées à l'intégration des crédits de détention provisoire avec d'autres mécanismes, comme les peines minimales, les peines d'emprisonnement avec sursis, les ordonnances de probation, les examens différés des cas en vue d'une libération conditionnelle, les détenus purgeant une peine de longue durée, les établissements correctionnels, l'expulsion et l'admissibilité à la libération conditionnelle pour meurtre.
Des tribunaux de diverses instances, allant jusqu'à la Cour suprême du Canada, ont examiné certaines de ces questions. Le groupe de travail a conclu que la résolution a été incohérente. Je ne vais pas décrire les détails de cette incohérence. Je veux simplement dire que la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada a adopté une résolution en août demandant à Justice Canada d'examiner les questions soulevées par le groupe de travail pour s'assurer qu'une peine déjà infligée en tenant compte du crédit de détention provisoire ne vienne pas modifier les conséquences postérieures à la déclaration de culpabilité. Ces questions sont importantes. Ce projet de loi ne réglera en rien ne serait-ce qu'une seule de ces questions.
Pour cette raison, je ne comprends pas le problème que ce projet de loi tente de régler. Il y a des problèmes liés à la détention sous garde avant le prononcé de la peine. Ce projet de loi ne traite pas de ces derniers. Regardons maintenant certaines des conséquences de ce projet de loi, s'il était adopté, surtout en ce qui a trait à l'exacerbation du problème des délais.
Premièrement, j'estime que les paragraphes proposés 719(3.1) et 719(3.2) minent la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Wust, qui avait souscrit au point de vue selon lequel dans une affaire ordinaire le crédit de deux jours pour un est tout à fait convenable. Je pense que les citations du sénateur Joyal ont illustré cette situation. Cela signifie qu'à l'étape du prononcé de la peine, si la Couronne décide de défendre l'idée que le cas est un cas extraordinaire où le crédit devrait être inférieur, alors, c'est bien. Cependant, ce cas est extraordinaire. Si les contrevenants veulent débattre pour obtenir le crédit bonifié, ils vont présenter leurs arguments. Encore une fois, ce cas est extraordinaire. Il s'agit de la poignée de cas dont j'ai parlé. Dans les milliers d'autres cas, le crédit est de deux pour un. Par conséquent, combien de temps cela prend-il? Il suffit de quelques secondes.
Si ce projet de loi est adopté, pour passer d'un crédit de 1 pour 1 à 1,5, ce qui est substantiel si l'on parle d'une longue période de détention provisoire, les contrevenants devront présenter des arguments. Ils devront présenter des preuves liées à l'expression « si les circonstances le justifient » et il pourrait même y avoir des problèmes juridiques pour ce qui est de définir quelles circonstance sont appropriées.
Cette justification prolongera forcément la grande majorité des audiences de détermination de la peine. De combien seront-elles prolongées? Je ne peux pas le prévoir : 10, 15, 20 minutes? L'an dernier, 85 000 personnes ont reçu une peine d'incarcération. Si nous additionnons toutes ces minutes, nous parlons d'engorgement du système.
Deuxièmement, regardons le processus de mise en liberté sous caution. Ce projet de loi propose un nouveau paragraphe, le paragraphe 515(9.1). Le projet de loi C-25 propose le nouveau paragraphe parce que le but est d'exclure certaines personnes de la possibilité de demander le crédit de 1,5. Le but est d'exclure les personnes qui, dans ce groupe, ont été incarcérées pour avoir violé une de leurs conditions de libération. Cette exclusion m'apparaît sensée. Cette disposition se trouve dans le paragraphe 524(4) du Code criminel et cela fait partie de l'exclusion.
Le but est également d'exclure toute personne à qui ce nouveau paragraphe 515(9.1) proposé s'applique. Quelle est cette nouvelle disposition? Elle dit que les juges et les juges de paix, au cours de l'audience sur la libération sous caution, doivent inscrire au dossier de l'instance le temps qu'une personne a été détenue « principalement sur toute condamnation antérieure ». Je ne sais pas combien d'entre vous ont assisté à des audiences sur la libération sous caution. Cette disposition n'est pas un motif de détention.
Nous avons trois motifs. Ils sont fixés dans le paragraphe 515(10) du Code criminel : les motifs primaires, secondaires et tertiaires. Je ne vais pas donner un cours magistral sur ces motifs, mais quiconque autour de la table connaît le paragraphe sait que cette disposition n'est pas un motif. Maintenant, à l'audience sur la libération sous caution, le juge de paix ou le juge, si le procureur de la Couronne en fait la demande ou s'il est vif et alerte, devra d'abord traiter de la question de la détention et, ensuite, il devra revenir et dire : « J'ai le problème du paragraphe 515(9.1) ». Est-ce que ma décision d'imposer la détention repose principalement sur toute condamnation antérieure? Puis-je entendre les arguments de l'avocat sur cette disposition parce que je dois consigner cette information au dossier de l'instance de sorte qu'elle puisse être utilisée à l'étape de la détermination de la peine?
Maintenant, nous avons une exacerbation du problème des délais dans le cas des audiences sur la libération sous caution. J'ignore combien nous avons de telles audiences au Canada chaque année. Nous avons maintenant, en plus de ce processus, quelque chose de nouveau qui n'a rien à voir avec les motifs de détention. Si nous parlons d'engorger le système et de créer d'autres délais, ce projet de loi parvient à faire les deux.
Je vous signale également que les pires candidats au cautionnement ne sont pas compris dans ces exclusions parce que ces candidats reconnaissent qu'ils seront détenus et y consentent. Par conséquent, il n'y a jamais de décisions rendues en vertu du paragraphe 515(9.1) contre ces derniers.
Je parle des grandes questions dans les pages 5, 6 et 7. Il y a un manque élémentaire d'intelligibilité dans le système de détermination de la peine au Canada pour trois raisons. L'absence de principes cohérents et faciles à mettre en pratique au moment de la détermination de la peine. Nous avons un système à la carte avec les articles 718, 718.1 et 718.2, ce qui veut dire que chaque juge peut choisir ce qu'il veut : je suis végétarien, alors, je rejette les viandes; la personne à côté de moi peut avoir une folle envie de consommer des côtes levées. Le système au Canada détermine si le juge qui prononce la peine est végétarien ou est un adepte des côtes levées le jour où il prononce la peine.
Deuxièmement, l'absence d'indications systématiques pour les juges de première instance, contrairement à ce que l'on trouve dans d'autres pays. Troisièmement — et cela est pertinent aujourd'hui — il y a une division, en principe et dans la pratique, entre les motifs à partir desquels les peines sont imposées et les lois et politiques qui régissent à la fois leur application et la remise en liberté. Je pense que le sénateur Nolin a soulevé cette division plus tôt lorsqu'il a parlé des compétences provinciales.
Un problème que nous avons au Canada, c'est qu'il y a un partage des compétences entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires en ce qui concerne de nombreuses questions qui concernent les prisons, la mise en application des peines et la remise en liberté. J'ai soulevé cette question avec le ministre de la Justice une fois — je ne vous dirai pas qui — et il m'a répondu : « Cela a été réglé en 1867 », puis il est parti.
Non, ce n'était pas Irwin Cotler.
Sûrement que, dans un pays comme le Canada, nous pouvons essayer de créer une situation où, au moins, nous avons une uniformité des ressources. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de différences locales et culturelles, mais une uniformité des ressources de sorte que les ressources qui s'appliquent aux peines et à la mise en application des peines soient les mêmes, que ce soit à Trois Rivières, Trenton, Tofino ou Teslin au Yukon.
Le sénateur Dickson a posé une question au professeur Roberts au sujet d'un paragraphe de mon mémoire. Je dirais que depuis le rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine en 1987, il n'y a pas eu de débat sérieux sur les grandes questions liées à la détermination de la peine au Canada, contrairement à ce qui s'est passé dans toutes les démocraties occidentales que je connais, où les gens discutent de ces questions.
Je ne prends aucune position sur les questions. Je dis qu'il y a des questions de principe importantes, des questions juridiques importantes et que faisons-nous? Chaque année il y a deux ou trois projets de loi minuscules, sans lien les uns avec les autres, traitant d'un problème particulier, réel ou non — et je ne pense pas que le projet de loi C-25 soit réel — et ensuite, nous nous retrouvons avec un livre comme celui-ci : voici la taille de notre Code criminel. La partie qui traite de la détermination de la peine est énorme et incompréhensible. Nous avons besoin d'un débat sur la détermination de la peine au Canada.
Le sénateur Nolin : Vous avez devant vous les leviers pour revenir en arrière et essayer de comprendre les principes directeurs de la détermination de la peine au Canada, et essayer de remettre un peu d'ordre dans la myriade d'influences politiques de toutes sortes. Revenons au projet de loi C-25, le projet de loi que nous devons étudier.
J'aimerais me concentrer sur une chose à laquelle vous faites allusion à la page 5 de votre mémoire, sous-titre « Les conséquences du projet de loi C-25 », où vous parlez d'un problème avec la Charte :
... L'on peut envisager, à l'étape de la détermination de la peine, de présenter des arguments au sujet de l'aspect légal, au sens de la Charte, de la distinction que ces dispositions tentent d'établir.
La distinction se situe entre le paragraphe 515(9.1) proposé et le paragraphe 515(10). Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette question de contestation du point de vue de la Charte?
M. Manson : Oui, mais cela ne m'est venu à l'esprit que très récemment. Il me semble que si nous regardons l'article 7 et les principes de justice fondamentale, ainsi que les questions liées à la détention arbitraire, nous pouvons présenter des arguments voulant que, malgré les pouvoirs étendus du Parlement en ce qui concerne le droit pénal, les distinctions entre les catégories de personnes doivent être rationnelles et équitables. Dans le cas de l'exclusion des personnes dans le paragraphe 515(9.1) proposé au sujet desquelles il existe un dossier de sorte que le juge puisse dire que la détention est fondée principalement sur toute condamnation antérieure, on pourrait prétendre que cet article rate le but visé.
Je ne prétends pas avoir élaboré complètement cet argument et je ne peux pas vous citer toute la jurisprudence dans ce cas. L'article rate le but visé parce que, comme je l'ai dit plus tôt, un grand nombre des pires candidats à la détention donneront leur consentement. Ils ne sont pas exclus de la possibilité de chercher à obtenir un crédit de 1,5 en vertu de ce projet de loi; mais quelqu'un au sujet duquel il y a une ordonnance —un dossier disant : « Je vous ai détenu et maintenant, la Couronne a demandé pourquoi, je suis allé voir le dossier et je lui ai répondu que c'était fondé principalement sur toute condamnation antérieure » —, cette personne est exclue.
Encore une fois, les tribunaux demanderaient quel est l'objectif ici. Si l'objectif était d'exclure ceux qui ont été détenus parce qu'ils sont les pires détenus, cette disposition ne réaliserait pas cet objectif — ou si les prisonniers représentent le pire risque et ne justifient pas le crédit additionnel, la disposition ne réalise pas cet objectif. Les pires candidats ne seront pas exclus.
Je pense que je pourrais élaborer d'autres arguments au sujet du caractère arbitraire de cette notion qu'outre les personnes visées par le paragraphe 524(4) qui ont brisé une des conditions de leur libération et qui sont maintenant détenues, les personnes qui tombent sous le coup du paragraphe 515(9.1) entrent dans cette catégorie anormale. Les prisonniers ne sont pas nécessairement les pires. Si j'étais avocat, profession que j'ai déjà pratiquée, j'essaierais à un moment donné d'élaborer un argument démontrant que cette exclusion est arbitraire et dénuée de rationalité et d'équité.
Le sénateur Nolin : Lorsque nous lisons l'alinéa 515(10)c), qui ouvre un grand champ de motifs...
M. Manson : Très controversé, oui.
Le sénateur Nolin : «Sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice [...]» Par exemple, la personne A, qui est devant moi pour enquête sur cautionnement, a été détenue pendant 10 ans, et ce fait a influé sur ma décision en tant que juge de paix lorsque j'ai déterminé que cette personne doit être détenue ou non. On pourrait prétendre que la question est traitée en vertu de l'alinéa 515(10)c). Voilà pourquoi je remets en question l'affirmation contenue dans votre dernière phrase. Évidemment, nous pouvons voir venir la contestation en vertu de la Charte. Je suis certain que le ministre est également conscient de ce problème.
M. Manson : Le motif tertiaire que vous venez de décrire est un bon exemple. Ce n'est pas qu'il y a de nombreux cas qui sont signalés en vertu du motif tertiaire, mais la plupart d'entre eux sont des cas de meurtre. La plupart d'entre eux ne sont pas des cas de personnes qui ont été détenues en se fondant principalement sur toute condamnation antérieure, mais à cause de la notoriété entourant l'infraction.
Le sénateur Nolin : Ce sont les cas que l'on retrouve dans les médias, ceux qui attirent la curiosité des gens qui ne savent rien de la loi mais qui ont une opinion.
M. Manson : Bien qu'il puisse s'agir d'un cas crapuleux, répugnant, cruel, ces gens ne sont pas exclus de la possibilité d'obtenir le crédit d'un jour et demi pour un en vertu de ce projet de loi. Seules les personnes qui ont fait l'objet de décisions en vertu du paragraphe 515(9.1) sont exclues, ce qui est un autre exemple.
Le sénateur Nolin : Le paragraphe proposé ne dit pas que ce sera le cas. Le juge ou le juge de paix décidera si, dans sa décision, il a été influencé par le fait que l'accusé a été détenu avant que la sentence ait été prononcée. Si c'est le cas, le juge doit noter la raison. La loi ne laisse pas entendre que quiconque s'est vue infliger des peines antérieures est exclu du processus. Cette distinction est importante. Si le juge a été influencé par cette raison, il doit le signaler.
M. Manson : Le point que je veux faire valoir, c'est que dans le cas des motifs tertiaires, un grand nombre des personnes en cause n'ont pas de dossiers antérieurs. C'est la nature de l'infraction qui est à l'origine du motif tertiaire, qui pourrait être crapuleuse, répugnante, cruelle, mais les personnes en cause ne seront pas exclues de la possibilité de faire la demande. C'est un autre exemple que des situations banales pourraient être exclues et des situations graves, incluses. C'est pourquoi je dis qu'il pourrait y avoir un argument à présenter en vertu de la Charte. Je ne pense pas que ce soit la lacune la plus importante de ce projet de loi.
Le sénateur Nolin : Si j'en ai parlé, c'est que dans un bon document, et j'ai parcouru celui-ci d'un bout à l'autre, c'est le genre de point qui serait mieux expliqué.
Le sénateur Baker : Pour poursuivre dans la même veine que le sénateur Nolin, vous serez certainement d'accord avec moi pour dire qu'à l'étape de l'enquête sur cautionnement, le juge passe en revue les trois motifs qui servent à l'infliction de la peine. Quoi qu'il arrive parfois, depuis un certain temps, que le troisième motif soit carrément laissé de côté. Restent alors les deux premiers. Cette situation se retrouve noir sur blanc dans la loi, et la jurisprudence relative aux deux premiers motifs est abondante. Pourtant, comme vous nous l'avez signalé, voici qu'on peut maintenant infliger une peine « en se fondant principalement sur toute condamnation antérieure », ce qui, comme vous nous l'avez également dit, n'a aucune incidence sur l'issue de l'enquête sur cautionnement.
Vous attendez-vous à assister à l'apparition d'un tout nouveau débat lors des enquêtes sur cautionnement, surtout, j'imagine, de la part des procureurs de la Couronne?
M. Manson : En effet, oui.
Le sénateur Baker : Est-ce que ce débat ne risque pas de retarder encore le processus? Qu'en pensez-vous?
M. Manson : C'est précisément là où je voulais en venir. L'adoption du projet de loi C-25 retardera inévitablement le processus.
Le sénateur Baker : Si je comprends bien, le projet de loi permettrait d'infliger une peine en se fondant sur une autre peine dans laquelle il n'est nullement question des procédures en cours.
M. Manson : C'est cela.
Le sénateur Baker : C'est quelque peu incroyable. Et vous, que pensez-vous du syntagme « en se fondant principalement sur... » et sur le fait que l'on puisse s'en servir pour infliger une peine? Les seules décisions que j'ai pu trouver qui l'utilisent aussi ont été jugées en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, dans laquelle on retrouve les mêmes mots. C'est une question éminemment complexe. Comment peut-on rendre une décision « en se fondant principalement sur une chose », alors que la loi prévoit que l'on doit se fonder sur trois motifs et qu'aucun de ces trois motifs n'en fait mention? C'est un tout nouveau concept qui fait son apparition.
M. Manson : Selon l'interprétation qu'en donnerait le sénateur Nolin, ce syntagme voudrait dire « ma décision a été influencée par... ». J'aurais dû vous demander de répondre aussi, sénateur. Je ne suis pas certain de l'interprétation qu'il faut en donner, puisque le mot « influence » ne s'y trouve pas. J'ai l'impression que les tribunaux vont passer un temps fou à déterminer s'il signifie « selon la prépondérance des probabilités » ou s'il fait référence à une autre norme. C'est une terminologie encore jamais vue en droit criminel.
Le sénateur Baker : J'imagine que ce sera une question de prépondérance et de comparaison. Il faudrait évidemment pouvoir analyser le motif principal.
J'aimerais vous poser, à vous ou à un autre témoin, une question sur la disposition qui traite des motifs. Théoriquement, le projet de loi oblige le tribunal à consigner les motifs derrière sa décision. Le juge est tenu de faire inscrire ses motifs au dossier, alors je ne vois pas ce que le paragraphe suivant vient faire là. Voici ce que dit la version proposée du paragraphe 719(3.4) :
L'inobservation des paragraphes (3.2) ou (3.3) n'entache pas la validité de la peine infligée.
Comment cette disposition sera-t-elle interprétée? À l'heure actuelle, le juge doit consigner ses motifs par écrit. Mais voici que tout à coup, même s'il ne le fait pas, sa décision demeure valide. Corrigez-moi si je me trompe, mais il faut qu'il reste quelque chose sur lequel le tribunal de division pourra se pencher, non?
M. Manson : Absolument.
Le sénateur Baker : Monsieur Doob, y a-t-il d'autres cas où on n'est pas tenu d'expliquer ses motifs?
M. Doob : J'avais peur que vous me posiez cette question. Je ne peux voir qu'un seul autre cas, et je dois vous dire que les circonstances sont très différentes : en vertu de l'article 6 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, l'agent de police qui appréhende un adolescent doit déterminer s'il y a lieu d'engager des poursuites, mais, même s'il ne le fait pas, cela n'a pas pour effet d'invalider les accusations qui pourraient être ultérieurement portées contre l'adolescent pour l'infraction en cause. C'est le seul exemple qui se rapproche un tant soit peu des circonstances actuelles. Il y a des cas où il serait impensable d'invalider une décision en se fondant sur ce type d'inobservation apparente.
En fait, le véritable problème réside en l'effet qu'aura le projet de loi C-25 sur les cas qui ne sortent pas de l'ordinaire. Comme l'indiquait Mme Webster dans son exposé préliminaire, les rapports d'un et demi pour un ou plus conviennent dans 99,8 p. 100 des cas. Les juges ne comprendront pas pourquoi on leur demandera de justifier les motifs pour lesquels ils dépassent le rapport d'un pour un. J'imagine très bien un juge dire « Pour les motifs habituels... » ou au contraire ne pas prendre la peine de dire « Pour les motifs habituels... ». Tous les juges qui ont réussi leur cours de mathématiques de quatrième année comprendront d'instinct que le rapport de un pou un constitue le point de départ.
Le sénateur Baker : Vous avez tout à fait raison. Lorsque le sénateur Wallace a soulevé ce point la première fois, il a oublié de dire qu'il y aura une faible proportion de gens pour qui on envisagera un rapport d'un et demi pour un parce qu'ils auront rompu leurs engagements ou leurs conditions de remise en liberté. Comme vous l'avez si bien dit, M. Manson, cette restriction s'ajoute aux autres.
L'exposé de Mme Webster était aussi intéressant que limpide. Elle a bien fait comprendre à tout le monde qu'une injustice sera créée. Le sénateur Angus vous dirait que, pour deux personnes qui sont accusées de la même effraction, celle qui n'est pas libérée sous caution ne recevra certainement pas la même peine que l'autre, même si les circonstances sont comparables. Il vous dirait également que, lorsqu'on refuse de libérer une personne sous caution, c'est rarement sans raison, et que le poids du préjudice additionnel qu'on lui fait subir n'est peut-être pas injustifié. Voulez-vous répondre à cet argument dès maintenant afin qu'on ne vous le ressorte pas dans quelques instants?
La présidente : Sénateur Angus, avez-vous objection à ce qu'on parle ainsi en votre nom?
Le sénateur Angus : J'ai une charge de professeur, et c'est le sénateur Baker qui m'y a nommé.
La présidente : Vous êtes le prochain sur la liste, alors nous entendrons votre réponse aussitôt après celle de madame.
Mme Webster : En ce qui concerne le préjudice additionnel, pour reprendre les propos de mon collègue lors de la première séance, occasionné par le temps passé en détention préventive, lequel serait beaucoup plus éprouvant que la détention après la condamnation, on peut répondre que quiconque est incarcéré subit déjà un préjudice, alors il est vrai que la situation d'une personne qui est détenue avant d'être reconnue coupable peut être considérée comme particulièrement délicate.
M. Manson : Si l'on revient à l'essence même de la réforme des libérations sous caution, les travaux de M. Friedland, qui datent de 1965, nous apprennent que les prisonniers à qui l'on refuse la libération sous caution finissent au bout du compte par purger des peines plus longues à cause du préjudice occasionné par la détention préventive. On parle ici de l'impossibilité de retourner à la maison ou de travailler et de la difficulté à rencontrer son avocat sur une base régulière.
Je suis d'accord avec Mme Webster, mais j'aimerais cependant ajouter ceci : la population de personnes détenues à titre préventif n'est pas composée uniquement de gens dont on a ordonné la détention préventive. En effet, il ne faut pas oublier qu'une bonne proportion de gens à qui on a accordé une libération sous caution n'ont pas réussi à remplir les conditions nécessaires pour être effectivement remises en liberté. Si on vous annonce par exemple que, pour être remis en liberté, vous devez obtenir deux cautions, mais que vous ne réussissez pas à les obtenir ou que l'une des deux est jugée inadéquate par le juge, eh bien vous vous retrouverez au même endroit que votre voisin, à qui on a refusé la liberté sous caution.
La population de personnes détenues à titre préventif se divise en deux groupes et ne se compose pas uniquement de ceux à qui on a refusé la liberté sous caution.
Le sénateur Baker : Quoi qu'il en soit, on ne peut pas leur refuser...
La présidente : Je vous remercie, sénateur Baker.
M. Doob : Je tiens à préciser que notre mémoire repose sur la prémisse selon laquelle une peine est une peine. Quelle que soit la raison, si une personne mérite une peine de 60 jours, elle doit toujours passer le même nombre de jours en prison, qu'elle purge ou non une partie de sa peine à titre préventif.
Nous voulons que la détention préventive équivaille à la détention après la condamnation. Pour ce faire, il faut bien comprendre la portée des peines. Or, c'est un problème tellement complexe que l'incohérence du système canadien de détermination des peines en devient le principal problème.
Le projet de loi C-25 ne fait qu'empirer les choses. C'est précisément pour cette raison que nous estimons que, pour rendre le système de détermination des peines plus cohérent, il faut prendre du recul et l'envisager de manière plus globale. Alors seulement vous pourrez vous attaquer au problème des crédits de détention provisoire. Comme nous le disions plus tôt, il existe un certain nombre de solutions relativement simples à ce problème. Mais le projet de loi C-25 n'en fait malheureusement pas partie.
Le sénateur Angus : Madame la présidente, je suis bien conscient des contraintes que vous nous avez exposées tout à l'heure.
La présidente : Croyez bien qu'elles me déplaisent aussi bien à moi qu'à vous.
Le sénateur Angus : J'ai déjà posé toutes mes questions par personne interposée. C'est lui la marionnette et moi le ventriloquiste, on dirait bien.
La discussion d'aujourd'hui est absolument fascinante, sans parler du débat de fond que nous souhaiterions tous voir se tenir. Vous nous avez dit que le projet de loi C-25 est une fausse solution à un vrai problème. Vous nous avez décrit le problème en termes différents et nous avez expliqué que le système de détermination des peines que nous utilisons aujourd'hui est inintelligible et repose sur des principes incohérents. Selon ce que je comprends de vos propos, on pourrait dire que les changements apportés depuis 1987 par les différents gouvernements sont insignifiants et désordonnés et qu'ils n'ont pas réussi à modifier le système de manière coordonnée.
Personne autour de cette table, du moins je crois, n'oserait dire qu'il s'agit d'un débat qui n'a pas sa raison d'être. Malheureusement, ce n'est pas ici qu'il doit avoir lieu. Même si je suis convaincu que nous aimerions tous y participer, sénateur Baker compris.
Selon vous, la nouvelle série de changements et d'améliorations qui se trouve dans le projet de loi à l'étude fait fausse route. Vous prétendez que le ministre de la Justice et les fonctionnaires qui l'accompagnaient hier ne nous présentent pas la situation sous son véritable jour. Est-ce bien cela? Vous n'êtes d'accord avec rien de ce que le ministre Nicholson et les autres témoins du ministère de la Justice nous ont dit hier? J'ai un peu de mal à accepter un point de vue comme celui-là.
M. Doob : Vous savez, je n'étais pas ici hier, alors je peux difficilement ne pas être d'accord avec des propos que je n'ai ni lus ni entendus.
Ce que je dis, c'est que si l'on part de la prémisse selon laquelle une journée passée en détention préventive équivaut à une journée purgée après la condamnation — et non à une journée de peine —, eh bien le projet de loi C-25 fait fausse route, oui. Au contraire, il vient ajouter à l'incohérence existante. Je ne sais pas ce que le ministre vous a dit, mais il est mathématiquement faux de prétendre qu'un rapport d'un et demi pour un ou que les crédits doubles correspondent automatiquement à une réduction.
Le sénateur Angus : Dans la mesure où le système aurait besoin d'une réforme en profondeur, est-ce que je me trompe en disant que vous reprochez principalement au projet de loi C-25 de ne pas aller assez loin? De n'être en fait qu'une modification mal coordonnée de plus qui ne pourra qu'embrouiller davantage la situation, en plus d'introduire une injustice?
M. Doob : C'est exact.
Le sénateur Angus : Le ministre n'était pas de cet avis.
Le sénateur Wallace : Vous venez de me faire la même chose que le sénateur Baker vous a faite, sénateur Angus, et vous m'avez volé les mots de la bouche, car j'allais dire à peu près la même chose.
Votre exposé était à la fois informatif et intelligent. Et j'ai vite compris, à vous écouter, à quel point vous connaissez votre sujet et y avez réfléchi. Je sais que vous êtes des passionnés, et vos arguments étaient présentés de façon convaincante.
Par contre, je dois dire que le projet de loi vise à améliorer la situation. Il cherche à mieux définir les principes sous-tendant le système de détermination des peines et à les rendre plus clairs, à les consolider, même si ce n'est pas encore assez à votre goût. Je crois que nous avons franchi une étape importante en exigeant des tribunaux qu'ils énoncent les motifs pour lesquels ils accordent des crédits de détention provisoire.
Quand je repense à votre exposé, j'ai l'impression que vous n'en avez pas seulement contre le projet de loi à l'étude, mais contre d'autres encore. C'est bien difficile de s'arrêter sur une série d'amendements ponctuels et d'affirmer sans crainte de se tromper qu'ils réussiront réellement à améliorer un système sous prétexte qu'on ne reverra pas ce dernier de fond en comble. J'ai donc l'impression que, vu votre position, et même si vous avez raison de dire que le système de détermination des peines aurait bien besoin d'être revu, peu importe l'amendement proposé, vous nous auriez servi les mêmes arguments.
Je comprends que les calculs mathématiques sont bien réfléchis. Corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai l'impression que c'est le concept même des amendements ponctuels qui vous irrite. Vous en avez même contre la commission de 2007, dont la logique était défaillante et dont il faudrait selon vous revoir les fondements pour être en mesure de progresser et d'apporter des modifications valables.
M. Doob : Si vous permettez, je ne suis pas du tout d'accord. Les amendements ponctuels peuvent avoir leur raison d'être; il suffit de penser à un amendement qui s'attaquerait à la fois à la complexité et à l'incohérence du système de détermination des peines, ou qui réussirait du moins à ne pas le rendre encore plus incohérent. Dans le cas qui nous intéresse, on aurait pu envisager de ramener la date effective du début de la peine à une date antérieure. Comme Mme la présidente nous l'a fait remarquer, cela se fait déjà avec la période d'inadmissibilité aux libérations conditionnelles dans les cas de meurtre. Nous aurions ainsi rendu la loi cohérente, et les gens peuvent comprendre cela.
J'aimerais aborder un autre point dont nous avons très peu parlé, même si M. Manson en a brièvement fait mention et en parle beaucoup plus longuement dans son mémoire écrit, et c'est le mandat dont il est question dans le projet de loi. Ce mandat semble être une amélioration, en ce sens qu'on pourra désormais avoir une idée de ce que la peine sera dans les faits, et du nombre de jours qui restent à purger.
Le fait que l'on indique maintenant que telle ou telle infraction mérite tel type de peine me semble aussi une bonne idée. En effet, si jamais les résultats obtenus sont différents et qu'une personne n'est pas d'accord avec la peine infligée, elle saura au moins pourquoi. Cette partie-là du projet de loi me semble intéressante.
Par contre, si l'on nous avait proposé un amendement ponctuel selon lequel le temps passé en détention préventive aurait été pris en compte par les mécanismes de remise en liberté prévus dans deux autres lois fédérales, les choses auraient été plus claires, quoique les précisions apportées auraient été d'une autre nature.
M. Manson : Je ne suis pas d'accord avec ce que vous proposez. Par exemple, si vous lisez l'article que j'ai publié dans The Criminal Law Quarterly, j'y propose quatre modèles permettant de s'attaquer à ce problème. Depuis 2004, c'est-à-dire l'époque où j'ai écrit cet article, d'autres ont pu s'ajouter à la liste. J'y dressais également la liste des mesures législatives, et l'ordre dans lequel elles devaient être prises, permettant de modifier la loi d'une manière qui s'harmoniserait autant avec les mécanismes de remise en liberté que les autres mécanismes prévus dans le Code criminel. Les mesures proposées ici ne donnent suite à aucun de ces enjeux.
Comme M. Doob, je suis aussi d'avis que l'on peut revoir l'importance relative accordée à la détention préventive sans procéder à un examen exhaustif du système de détermination des peines; il suffirait pour cela de l'harmoniser avec les autres de mécanismes du Code et les divers mécanismes de remise en liberté. Personnellement, cela me suffirait amplement. Si la majorité des gens me disait que leur intention consiste à saboter la jurisprudence établie par les tribunaux, et ce, jusqu'à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Wust, si l'on me disait que c'est là l'intention du Parlement, je vous dirais que le Parlement a son rôle à jouer.
Mais ce n'est pas ça qui se passe. Au contraire, vous ne faites que changer une infime partie de la loi, celle qui porte sur le calcul mathématique, et vous l'intégrez au système de réduction des peines sur lequel reposent l'argument de MM. Webster et Doob et le rapport d'un et demi pour un appliqué aux crédits de détention provisoire. Ce faisant, vous compromettez ce système, vous faites fi des décisions de la Cour suprême et vous créez d'autres problèmes qui ne feront que rallonger les enquêtes sur cautionnement et les audiences de détermination des peines. Sans compter que vous êtes incapables de nous expliquer ce que le projet de loi va réussir à faire. La situation est plus précise, c'est vrai, mais le véritable problème demeure.
Je n'étais pas ici hier et je n'ai pas pu entendre ce que le ministre a dit, mais s'il existe des données qui prouvent que les crédits bonifiés posent problème, je ne les ai jamais vues. Même chose concernant l'existence de preuves qui ne seraient pas empiriques sur de possibles manipulations. Je ne dis pas qu'il n'y a jamais eu de manipulation. Mais sur 85 000 peines d'emprisonnement, combien de fois les crédits de détention provisoire ont-ils pu être manipulés? Je ne sais pas.
Le sénateur Wallace : Selon que vous nous dites, nous pourrions facilement débattre de la mesure dans laquelle le projet de loi C-25 réussira ou non à améliorer la situation et à désengorger le système judiciaire, comme le prétend le ministre. Par contre, vous ne pouvez pas nier qu'il est possible qu'il soit d'une quelconque utilité.
M. Manson : Il ne sera utile qu'à ceux pour qui le nouveau crédit sera désavantageux, même si on tombe ici dans l'hypothétique. Comme je vous le disais, si vous ajoutez 5 ou 10 minutes à chaque audience de détermination de la peine et que vous multipliez ce chiffre par 85 000, vous ralentissez considérablement le processus. Le projet de loi ne sera utile que si l'on réussit à prouver qu'un nombre important de gens remettent volontairement leur plaidoyer de culpabilité à une date ultérieure pour profiter du crédit double au lieu du crédit simple ou du rapport d'un et demi pour un.
Encore là, il s'agit d'une situation hypothétique, et rien ne nous permet d'affirmer que j'ai raison.
Le sénateur Wallace : J'imagine que l'expérience des provinces et des territoires doit aller dans le même sens. Sinon, ils n'auraient pas fait pression pour que le projet de loi C-25 soit adopté. Pour eux, la question prend une tout autre dimension, car ce sont eux qui gèrent les installations où les prévenus sont gardés en détention préventive. Il n'en demeure pas moins que votre idée mérite qu'on y réfléchisse attentivement.
M. Manson : Vous vous rendez compte aussi bien que moi à quel point la question est complexe. Il y a beaucoup d'interactions entre les dispositions. J'aimerais qu'on me dise que tous ces gens connaissent bien ces interactions et leurs répercussions. Avant de donner foi à leur opinion, peut-être est-il bon de se rappeler que d'autres facteurs peuvent les avoir amenés à adopter ce point de vue.
La présidente : Je crois que nous nous éloignons du projet de loi et des mots avec lesquels il est rédigé. Tout ce débat, aussi fascinant soit-il, touche au fond et non à la forme. Et les deux côtés ont eu amplement le temps de s'exprimer.
Le sénateur Joyal : J'ai deux questions à poser. Monsieur Doob, nous avez-vous dit dans votre exposé, ou vous aurais-je mal compris, que l'avis des procureurs généraux à propos de l'infliction des peines va à l'encontre de ce qui est proposé dans le projet de loi à l'étude? Vous ai-je bien compris et est-ce bien cela que vous avez dit?
M. Doob : Oui, même si ce n'est pas ressorti aussi clairement que cela des rencontres qui se sont tenues en 2008. Selon ce que j'en comprends, du moins, le crédit double suscitait certaines réserves chez les procureurs généraux. Je crois qu'au départ, ils semblaient être d'avis que c'est le rapport d'un et demi pour un qui devrait constituer la norme et non le crédit double. Il s'agit d'une différence somme toute mineure.
Je n'ai pas lu la déclaration de 2008 dans laquelle, il me semble, les procureurs se prononcent en faveur du rapport d'un et demi pour un. Je crois qu'ils en ont surtout contre le crédit simple qui est actuellement la norme. Beaucoup pensent encore que cette question devrait être laissée à la discrétion du juge, surtout vu la nature des mécanismes de remise en liberté. Quoi qu'il en soit, on comprend, à la lecture de leurs déclarations, que les procureurs généraux souhaitent que l'on légifère pour établir une norme, préférablement un rapport d'un et demi pour un.
Le sénateur Joyal : Mon autre question porte sur l'exposé de Mme Webster. Je vous renvoie encore une fois à la décision Wust. Selon moi, les paragraphes 42 et 43 instaurent un principe selon lequel le même crime, commis dans des circonstances semblables, ne peut pas être puni par deux peines différentes. C'est dans ce sens-là que va le jugement de la cour. On y indique clairement :
Si notre Cour jugeait que le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte la période de détention présentencielle conféré par le par. 719(3) ne s'applique pas à la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 344a), des peines injustes ne manqueraient certainement pas d'en résulter. Premièrement, les tribunaux se trouveraient dans une situation difficile, car ils devraient réserver des traitements différents à des délinquants dans des situations similaires [...]
On parle évidemment ici de la décision McDonald.
J'ai bien l'impression que cette disposition se retrouvera bien vite devant les tribunaux, qu'elle sera rapidement contestée, parce qu'en établissant un crédit simple, on crée une inégalité. Ce qui, bien sûr, irait carrément à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Maintenant, lorsque vient le temps d'appliquer cette disposition à la rationalité du système de détermination des peines, l'argument du « un pour un » que nous proposait le sénateur Angus, selon lequel un jour en prison équivaut à un jour en prison, qu'il soit purgé avant ou après la condamnation, ne tient plus.
Les conditions de détention ne peuvent pas être améliorées en détention préventive; elles peuvent seulement l'être s'il y a eu condamnation.
Il me semble évident que deux délinquants qui vivent la même situation ne peuvent pas être traités différemment l'un de l'autre, ce serait injuste. Je ne vois vraiment pas comment le ministère de la Justice, lorsqu'il a rédigé ce projet de loi, a pu tenir compte de cet aspect de la décision Wust. D'autant que ce principe fondamental a été réitéré à maintes reprises par le tribunal, et que la loi serait rapidement contestée par ceux à qui elle serait appliquée, surtout si le paragraphe 719(3.1) est ajouté au paragraphe 719(3). Même si l'on pouvait le justifier invoquer des circonstances particulières, je demeure convaincu que le système en serait dénaturé.
Mme Webster : Le crédit simple que l'on se propose actuellement d'adopter pose plusieurs problèmes. Tout d'abord parce qu'il ne s'appliquerait pour ainsi dire à aucun délinquant, puisque dans la quasi-totalité des cas, chaque journée de détention après condamnation vaut dans les faits une journée et demie. C'est donc le rapport d'un et demi pour un qui devrait servir de minimum présumé.
De la manière dont le projet de loi est formulé à l'heure actuelle, le premier article ne s'appliquerait à personne. Quant au deuxième article, qui devrait en théorie décrire les situations exceptionnelles, il s'applique en fait à la très vaste majorité des détenus. Si les crédits de détention provisoire sont limités à un rapport d'un et demi pour un, il sera impossible d'attribuer des crédits équivalents, voire appropriés, aux délinquants, tant fédéraux que provinciaux, qui bénéficieront d'une liberté conditionnelle et qui seront ainsi libérés avant les deux tiers de leur peine.
Les prisonniers fédéraux comme les prisonniers provinciaux peuvent être libérés aussitôt qu'ils ont purgé le tiers de leur peine, moment à partir duquel le crédit bonifié (trois pour un) commence à s'appliquer, que la peine soit purgée dans une prison provinciale ou dans un pénitencier. Ce qui crée un nouveau problème, car en limitant les crédits de détention provisoire à un rapport d'un et demi pour un, on ne peut plus rien pour ceux qui vivent la situation contraire et qui sont eux aussi désavantagés, mais dans l'autre sens.
Comme si ce n'était pas assez, il n'y a aucune disposition qui permette de compenser de quelque manière que ce soit les conditions plus difficiles, plus éprouvantes que doivent subir les personnes détenues à titre préventif : aucun programme, aucun cours, rien.
Le sénateur Joyal : Aucune prise.
Mme Webster : Rien à faire.
Le sénateur Joyal : C'est là que nous mène le projet de loi à l'étude : plus moyen d'établir une comparaison rationnelle avec le reste du système à partir du moment où la peine commence à être purgée. Sans compter qu'on ne pourra plus compenser les conditions éprouvantes subies par les accusés détenus à titre préventif.
La présidente : Il vous reste 30 secondes pour conclure.
M. Manson : Si c'est effectivement vrai que c'est sur la décision Wust que repose le principe de justice fondamentale du système de détermination des peines, et je crois que ça l'est, le projet de loi à l'étude, en allant à l'encontre de cette décision, viole l'article 7 de la Charte, ce que l'État ne peut faire que s'il peut en invoquer l'article 1. C'est-à-dire que les droits garantis par l'article 7 ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Hier, lorsqu'il a comparu devant vous, le ministre a-t-il réussi à démontrer sa justification ou a-t-il produit des données qui prouvent que les principes de justice fondamentale devaient être violés? J'en doute quelque peu.
La présidente : Monsieur Doob, madame Webster et monsieur Manson, nous vous sommes extrêmement reconnaissants de votre temps. Comme beaucoup d'autres membres du comité vous l'ont déjà dit, la séance d'aujourd'hui fut aussi intéressante que stimulante intellectuellement, et vos arguments nous ont obligés à nous remettre en question.
Je vais demander à mesdames et messieurs les sénateurs de demeurer en place pour une brève séance à huis clos. Je demanderais maintenant à tous ceux et celles qui ne sont pas autorisées à assister à ce type de réunion de quitter la salle, s'il vous plaît.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)