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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 14 - Témoignages du 30 septembre 2009


OTTAWA, le mercredi 30 septembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été déféré le projet de loi C-25, Loi modifiant le Code criminel (restriction du temps alloué pour détention sous garde avant prononcé de la peine) se réunit aujourd'hui à 16 h 6 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je vois que nous avons le quorum. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Français]

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-25, Loi modifiant le Code criminel (restriction du temps alloué pour détention sous garde avant prononcé de la peine). Comme premiers témoins, nous avons de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, Me Lucie Joncas, présidente et Kim Pate, directrice générale.

[Traduction]

De La Société John Howard du Canada, nous accueillons Craig Jones, directeur général. Tous ces témoins ont déjà comparu devant nous par le passé et arrivent toujours à nous fasciner. Nous sommes ravis de vous revoir. Je crois que vous vous êtes entendus entre vous pour que nous entendions d'abord la présentation de M. Jones.

Craig Jones, directeur général, La Société John Howard du Canada : Je vous remercie pour cette occasion de témoigner devant vous cette fois encore. Comme vous le savez, La Société John Howard du Canada a un long passé de défense de lois pénales fondées sur des principes respectueux de la Charte des droits et libertés du Canada et de nos obligations internationales en matière de droits de la personne et de traitement humanitaire des prisonniers.

Nous sommes un organisme de bienfaisance sans but lucratif dirigé par des conseils d'administration composés de bénévoles. Notre mission nous appelle à trouver des solutions efficaces, justes et humaines aux causes et aux conséquences du crime, et des milliers de travailleurs de première ligne de notre organisation fournissent des services et programmes fondés sur les preuves dans tout le pays dans le but d'accroître la sécurité de la population et d'améliorer les perspectives de réintégration fructueuse des prisonniers à la fin de leur peine.

J'ai lu une grande partie des témoignages fournis dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, et j'en ai même observé une bonne partie sur la chaîne CPAC. Je suis généralement d'accord avec le point de vue selon lequel le projet de loi C-25 ne fera rien pour améliorer « l'adéquation de la peine et du crime ». Au lieu de cela, il ne fera que contribuer à prolonger les délais, à exacerber les injustices qui se commettent déjà et en plus de saper encore plus le pouvoir discrétionnaire de l'appareil judiciaire, qui est une valeur fondamentale de notre système de justice pénale.

Dans ce genre de dossiers, quand les témoignages des experts et de praticiens sont quasiment unanimes, je vous implore de prendre au sérieux l'observation qu'a faite le professeur Manson, dont je donne une traduction libre :

Il y a un grave problème d'intelligibilité [...] dans le système de détermination de la peine du Canada. [...] parce que nous n'avons pas de principe fondamental cohérent et praticable sur lequel constituer un système de détermination de la peine efficace, équitable, juste et intelligible. Notre système a pris de l'ampleur avec le temps, au fil de changements mineurs et non intégrés effectués à des fins particulières et perçues, sans les grands axes d'appui que constituent les principes et les preuves empiriques.

Dans ce cas-ci, tout comme en ce qui concerne le désir du gouvernement de fixer des peines minimales obligatoires, le véritable but n'est pas l'adéquation de la peine ni le décongestionnement des tribunaux, puisque d'après les experts qui ont témoigné devant ce comité, il est plus probable qu'elles auront l'effet contraire.

L'objectif réel du projet de loi C-25, c'est le pouvoir judiciaire discrétionnaire, et la conséquence — comme l'a admis le ministre dans son témoignage du mercredi 16 septembre — sera la hausse du taux d'incarcération dans les établissements fédéraux. C'est ce qui a été l'idée maîtresse, tant dans le discours que dans la loi, depuis le Rapport minoritaire de l'opposition officielle sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, publié en 2000, par le parti alors appelé l'Alliance canadienne. Une grande partie de ce que le gouvernement a formulé depuis son arrivée au pouvoir, y compris les recommandations incohérentes et sans principe du rapport du groupe Sampson, s'inspire de ce document.

Les dispositions de la Stratégie nationale antidrogue, qui prône l'imposition de sanctions plus nombreuses et plus sévères aux consommateurs de drogues qui en font le trafic dans le but de stabiliser leur propre consommation, augmenteront très probablement le taux d'incarcération du Canada en limitant le pouvoir judiciaire discrétionnaire. C'est probablement aussi ce qui pousse en faveur des peines minimales obligatoires pour les infractions graves en matière de drogues.

Ce qu'ont en commun ces diverses initiatives stratégiques, c'est qu'elles sont toutes contredites par les preuves de ce qui réussit vraiment à augmenter la sécurité du public dans les territoires de common law auxquels le Canada se compare généralement. Par contre, elles poussent effectivement le taux d'incarcération à la hausse.

Le passé et les données relatives aux peines minimales obligatoires, par exemple, sont clairs et faciles à comprendre, puisque l'expérience des États-Unis a démontré hors de tout doute que les peines minimales obligatoires pour les infractions en matière de drogue ne suffisent pas pour dissuader les délinquants. Bien entendu, le « grand geôlier » du Sud, où 1 p. 100 de la population adulte purge une peine, a atteint les limites de son expérience d'incarcération à outrance. Vous savez que la Californie — où la peine minimale obligatoire a généré une flambée de construction de prisons pendant les années 1980 et 1990 — se voit maintenant forcée de libérer des milliers de délinquants parce qu'elle n'a plus les moyens de les entretenir en cette période de crise économique.

C'est le contexte dans lequel le projet de loi C-25 est soumis à votre examen. Ce projet de loi m'apparaît comme une non-solution à un problème complexe et mal cerné et, s'il est promulgué en loi, il ne fera probablement qu'exacerber les problèmes de délai et d'excès de détention préventive qu'il cherche à remédier.

Si la crise de la détention préventive — et tout le monde s'entend pour dire que c'est une crise — est une raison suffisante pour justifier de miner les décisions de la Cour suprême et de supprimer la proportionnalité, la parité et l'équité du système de détermination de la peine, alors le ministre de la Justice devrait pouvoir fournir des preuves que la crise est vraiment attribuable au report délibéré des plaidoyers de culpabilité pour accumuler du temps en détention préventive.

Il est difficile d'établir des liens entre la limitation du crédit pour la détention préventive avec le désir du ministre Nicholson de rendre nos rues plus sûres, puisque le bon sens voudrait que, si on doit mettre quelqu'un sous garde, on n'a déjà pas su rendre les rues plus sûres. Les données internationales soutiennent fermement les diverses méthodes de prévention en ce qui concerne le crime, mais je n'ai pas pu trouver ce terme dans le témoignage du ministre. De fait, j'ai constaté en préparant des témoignages pour les deux Chambres du Parlement que le ministre de la Justice ne se laisse pas tellement impressionner par les preuves de ce qui est réellement efficace pour accroître la sécurité du public.

Il est certain qu'il y a crise au plan de la détention préventive, et le ministre affirme que le projet de loi C-25 y remédiera en gardant les gens plus longtemps en prison et en stimulant la confiance du public dans la règle de droit. Cependant, comme vous l'a déjà dit l'Association du Barreau canadien, la principale raison de la prolongation des délais de détentions préventive est l'augmentation de la complexité des dossiers criminels et le tarissement des ressources judiciaires et des tribunaux.

M. Gottardi a dit dans son témoignage que bien des retards sont attribuables au processus de divulgation, sur lequel la défense n'a aucun pouvoir — ni l'accusé — et, bien souvent, la Couronne non plus. Cela porte à croire à la présence de multiples goulots d'étranglement dans le système — une théorie qu'appuient les professeurs Manson et Weinrath. Si, comme l'affirme le ministre Nicholson, le projet de loi désengorgera les tribunaux par le seul remède de la limitation du pouvoir judiciaire discrétionnaire, il ne fait rien pour éliminer les nombreux autres obstacles à la résolution rapide des cas.

Le résultat est plus problématique. Comme vous l'avez déjà entendu de nombreux témoins, nous n'avons pas de données valables pour inspirer une réponse à notre crise de la détention préventive. Tant que nous n'en aurons pas, nous ne devrions pas adopter des lois qui pourraient ne faire qu'exacerber un problème que nous voudrions régler.

De fait, vous avez entendu que la conséquence la plus probable du projet de loi C-25, c'est qu'il augmentera à la fois la fréquence des audiences judiciaires de remise en liberté provisoire et la durée des détentions préventives, ce qui aura de profondes répercussions sur la charge de travail des tribunaux de libération sous caution et sur les délais de préparation à la fois de la Couronne et de la défense. Les tribunaux de libération sous caution du Canada sont déjà surchargés. Le projet de loi C-25 créera la nécessité d'une augmentation importante des ressources pour réaliser ses objectifs. Cependant, le problème de la charge de travail des tribunaux de libération sous caution, comme vous le savez, relève de la compétence provinciale.

À notre avis, à La Société John Howard du Canada, le projet de loi C-25 devrait être lu dans un contexte plus vaste, dont j'ai parlé plus haut, parce que des modifications à un aspect du système de détermination de la peine ont parfois des conséquences imprévues ailleurs. Cette réalité n'a pas retenu l'attention qu'elle mérite du ministre de la Justice.

Par exemple, quelle sera la conséquence probable du projet de loi C-25 sur les tribunaux itinérants dans le Grand Nord? Si les ressources des tribunaux du Sud sont poussées à la limite, comme vous l'avez entendu, elles l'ont déjà bien dépassée dans le Nord. Pour ces citoyens, la détention préventive est souvent synonyme de détention à des milliers de milles de leur domicile et de leur famille, où la culture et la langue dominantes sont tout à fait différentes. On peut raisonnablement supposer — compte tenu des ressources limitées de ces tribunaux et l'irrégularité de leurs audiences — qu'un accusé dans le Grand Nord passera plus de temps en détention provisoire qu'un délinquant accusé du même délit dans le sud du Canada, ou en régions urbaines. Nous parlons ici d'Autochtones quand nous parlons du Grand Nord, ce qui signifie que le projet de loi C-25 pourrait avoir pour conséquence d'accroître encore les injustices actuelles commises contre cette population déjà vulnérable et marginalisée.

Vous avez entendu des témoins vous dire que cette loi pourrait entraîner une hausse de 10 p. 100 du taux d'incarcération dans les établissements fédéraux. Si la tendance actuelle se maintient, environ 12 p. 100 — et peut-être même plus — des nouveaux détenus souffriront de maladies mentales et de problèmes de toxicomanie, des problèmes qui sont généralement exacerbés par l'incarcération.

À notre avis, avant que le gouvernement du Canada s'engage dans un projet qui fera monter le taux d'incarcération au pays, il devrait démontrer — en se fondant sur des principes et des preuves — qu'une telle stratégie aura pour effet de réduire le crime et d'accroître la sécurité du public dans un contexte où le crime a été en baisse chacune des 26 dernières années.

Je terminerai ma présentation en appuyant les recommandations des professeurs Doob et Manson relativement au lancement d'un débat public sur la structure et les pratiques du Canada en matière de détermination de la peine. De fait, je vais proposer la remise en service de la Commission canadienne sur la détermination de la peine. Je pense que nous devrions nous garder de faire des changements graduels pouvant avoir des conséquences imprévues en nous fondant sur des preuves absentes, une logique défectueuse ou un principe sans queue ni tête.

Vous avez entendu des experts vous dire que le système de détermination de la peine du Canada actuellement n'est plus qu'incohérence et injustice et que l'accrétion constante de changements progressifs, comme ce que propose le projet de loi C-25, qui brossent un tableau trompeur du problème qu'ils cherchent à corriger, a engendré une série disjointe et chaotique de pratiques de détermination de la peine qui ne font qu'engorger les tribunaux, surcharger les centres de détention provisoire et constamment mettre en échec la justice fondamentale.

Cela me ramène à l'esprit les derniers jours de la cosmologie géocentrique codifiée par Ptolémée, l'astronome et mathématicien grec. Vous vous souvenez que la cosmologie géocentrique de Ptolémée partait de la prémisse de deux principes incontestables : le premier, que nous étions le centre de toute création, ce qui entendait que tout objet observable tournait autour de la terre; et deuxièmement, que tous les objets qui orbitaient autour de la terre le faisaient en cercles parfaitement concentriques, et non en ellipses.

Pendant bien des siècles, cette cosmologie était en accord avec la technologie d'observation de l'époque, jusqu'à l'avènement des dispositifs optiques supérieurs et des mathématiques avancées de Copernic et son successeur, Galilée. Cependant, avant que cette théorie ne soit abandonnée, elle avait atteint une complexité que ne pouvaient saisir que ceux qui comprenaient la mathématique et la physique avancées. Autrement dit, pas le public. Le principe voulant que tous les objets célestes doivent se déplacer en cercles parfaits, et les preuves tenaces que certains ne le faisaient pas, a donné lieu à la nécessité de concilier l'observation avec le principe et, par conséquent, à l'inclusion de ce qu'on a appelé les épicycles, ou les cercles dans des cercles dans des cercles, pour faire correspondre l'observation avec le principe. Ces épicycles sont finalement devenus si nombreux que, avec le temps, les mathématiques se sont écroulées sous le poids des contradictions entre l'observation et les exigences des principes fondamentaux.

Nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation comparable. Le projet de loi C-25 et d'autres aspects du programme de répression du crime des gouvernements est un épicycle qui est arbitrairement généré pour sauver un système de justice pénale qui ploie sur le fardeau d'impératifs contradictoires. Les multiples lacunes du projet de loi C-25 qui ont été examinées au cours de ces audiences font ressortir l'urgence des observations du professeur Dood selon lesquelles la chose la plus importante que puisse faire le Sénat serait de saisir l'occasion qui lui est donnée de lancer un processus réellement constructif de réforme des peines au Canada.

La présidente : Je faisais remarquer, juste avant le début de l'audience, que c'est l'un des comités les plus intéressants que puisse avoir le Sénat. Même à ce comité-ci, je ne pense pas que nous n'ayons jamais parlé d'Aristote et de cosmétologie de Ptolémée. Je vous remercie d'élargir nos horizons.

[Français]

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je vous remercie madame la présidente, je suis très heureuse d'être ici.

[Traduction]

Il ne m'arrive pas souvent de témoigner en compagnie de ma présidente, Mme Joncas, alors je suis heureuse qu'elle soit ici aussi. Je vais présenter une brève introduction, puis Mme Joncas continuera sur le sujet du projet de loi.

Je ne peux faire le genre d'exposé que vient de donner M. Jones, loin s'en faut, mais pour ce qui est de La Société John Howard, nous sommes une organisation communautaire sans but lucratif. Nos 25 membres dans tout le pays sont dirigés, guidés et motivés par des citoyens, des gens qui offrent bénévolement de leur temps. Un bon nombre des gens qui travaillent pour notre organisation sont aussi des bénévoles, bien que nous ayons, du moins pour le moment, la chance d'avoir du personnel rémunéré à temps plein et à temps partiel, dont je suis, soit un équivalent temps plein et demi dans notre bureau national. C'est au bureau national que nous nous concentrons sur les initiatives stratégiques et de réforme du droit.

Ce n'est pas la première fois que vous nous entendez implorer votre comité d'exercer son droit d'être la Chambre d'un second regard sobre, d'arrêter ce processus et de faire, comme l'y incitent M. Jones et La Société John Howard du Canada, un examen beaucoup plus approfondi du système et de la manière dont ce projet de loi — et d'autres qui l'ont précédé — fait obstacle à un programme plus progressif, dont le Canada a, jusqu'ici, tiré fierté à juste titre. Nous nous inquiétons, en tant qu'organisation, des coûts accrus, tant au plan fiscal que social et que sur celui de la santé. Nous estimons aussi qu'aucune tentative n'a été faite pour apaiser certaines graves préoccupations et pour corriger des situations ayant cours avant le procès, qui sont à la source du fait même que l'appareil judiciaire exerce sa discrétion au moment de la détermination de la peine en octroyant un crédit pour la détention sous garde dans des conditions aussi lamentables. Mme Joncas en parlera un peu plus longuement.

Plutôt qu'une tentative pour corriger des conditions inacceptables, lamentables et souvent inhumaines de détention avant l'instruction, nous en avons déjà parlé devant ce comité et d'autres, ce projet de loi admet tacitement et, à notre avis, cherche par là même à enchâsser de telles conditions et supprime au bout du compte l'obligation pour les autorités provinciales et territoriales de rectifier cette situation. Il en découle que ceux qui sont légalement innocents souffriront aussi de conditions plus sévères et punitives d'incarcération que celles imposées aux condamnés.

L'on s'inquiète aussi que ceux qui peuvent être condamnés puissent devoir purger des peines plus longues quand ils sont aussi plus marginalisés en raison de leur pauvreté, de leur race, de leur classe et, en particulier, de troubles mentaux. Nous savons que les femmes représentent le segment de la population qui affiche la croissance la plus rapide dans les prisons. Nous savons aussi que bien des femmes plaident coupables et restent en détention sous garde en raison de ressources insuffisantes dans la communauté. Nous nous inquiétons particulièrement des répercussions potentielles sur les femmes et les filles avec qui nous travaillons.

C'est une situation dont le Canada, selon nous, n'aurait pas de quoi être fier. Nous devrions, plutôt que de nous concentrer sur ce projet de loi, nous concentrer sur ces conditions. Ce projet de loi ne va pas accroître la fiabilité du système de justice pénale ou le respect qu'il inspire, ni ne créera de communautés plus sûres. Comme le dira notre présidente, Mme Joncas, ce n'est pas l'avenir que nous souhaitons pour nos collègues, nos enfants et le Canada en général.

[Français]

Lucie Joncas, présidente, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Madame la présidente, je vous remercie de l'invitation, c'est toujours un plaisir d'être ici.

[Traduction]

Je m'adresserai au comité en français, mais bien évidemment je peux répondre aux questions plus tard en français et en anglais, ce qui j'en suis sûre ne manquera pas d'être un défi intéressant.

[Français]

Les Sociétés Elizabeth Fry du Canada sont préoccupées par l'amputation de la discrétion judiciaire qui selon nous est encore injustifiée. Cette nouvelle intrusion dans la discrétion judiciaire s'inscrit dans la cadre de plusieurs mesures législatives qui ont commandé une augmentation substantielle de détention préventive. On parle, entre autres, des renversements de fardeau de preuve, pour les requêtes pour remise en liberté, de l'imposition de peine minimale et là, on vient se poser des questions sur la détérioration importante des conditions de détention préventive.

Il y a une augmentation substantielle au Canada de personnes qui sont détenues dans des institutions provinciales. Si les mesures de ce qu'on appelle le « deux pour un » étaient justifiées lors de la décision de la Cour suprême dans Houst en 2000, elles le sont d'autant plus parce qu'encore plus criantes aujourd'hui.

D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec a reconnu dans l'arrêt Beauchamp en 2005 que les mesures du « deux pour un » étaient tout à fait justifiées. Je me permets de citer l'arrêt de la R. c. Beauchamp de la Cour d'appel en 2005. Elle dit quelque chose de très intéressant. Le rapport du « deux pour un » ne peut être considéré comme un avantage pour l'accusé. Je m'explique. Entre autres, la détention préventive est souvent due à des délais institutionnels et au fait que ce n'est pas la responsabilité de l'accusé si la divulgation de la preuve n'est pas disponible. On risque de s'engager — comme on le dit en bon français — « on a slippery slope », d'avoir des plaidoyers de culpabilité alors que les accusés n'ont pas une divulgation complète de la preuve. On sait que particulièrement chez les femmes, il y a enregistrement de plaidoyers de culpabilité, particulièrement des femmes autochtones et de celles qui souffrent de problèmes mentaux.

Alors, on risque d'avoir plus d'erreurs judiciaires si on force un processus hâtif. Il faut rappeler au comité que de 88 à 92 p. 100 des dossiers se soldent par des plaidoyers de culpabilité assez rapidement. Il n'y a qu'une dizaine de dossiers sur 100 qui vont aller effectivement à un procès. On parle de délais occasionnés par la cour. Si nous avons à Montréal un détenu qui veut avoir une enquête préliminaire ou un procès, il peut devoir attendre six mois. Comment peut-on maintenant dire que c'est sa responsabilité? J'ai des clients qui ont été arrêtés au mois de juillet et nous n'avons toujours pas la divulgation de la preuve. Comment puis-je recommander de façon éthique à mon client de régler son dossier? La raison du « deux pour un » ou même dans certains cas du « trois pour un » qui a été reconnu, c'est parce qu'il n'y a une absence de programme, une absence de possibilités de réhabilitation et aucune possibilité de bénéficier d'une libération et que ce soit comptabilisé dans ce sens.

Alors, je vous demande une prudence extrême quand on va abolir à nouveau de façon, selon moi, injustifiée la discrétion judiciaire relative à une comptabilisation que la Cour suprême du Canada a qualifiée de juste et que tous les tribunaux d'appel au pays ont reconnu comme étant justifiée.

Je crains d'ailleurs pour une évaluation de la constitutionnalité d'une telle pratique. Si la Cour suprême en 2000 a reconnu que c'était tout à fait justifié, je ne vois pas comment, alors que les conditions de détention au provincial se sont détériorées de façon importante, on pourrait dire que cette politique n'est plus justifiée.

Pour donner un exemple très concret, dans la région de Hull, une femme était détenue il y a quelques mois pour une évaluation de son aptitude à subir son procès. Il y a déjà une problématique parce que les gens qui devraient être évalués quant à leur aptitude à subir un procès devraient être détenus en milieu hospitalier et elles ne le sont pas. C'est un secret de polichinelle. Elles sont détenues en milieu carcéral.

À la prison de Hull, les femmes sont délogées les fins de semaine parce qu'il n'y a plus de place. Ce sont les hommes qui entrent dans la section des femmes. Et voilà cette femme qui est là en milieu carcéral, de façon erronée, qui se fait amener à la prison de Tanguay dans un fourgon, trois fois, pendant la période qu'elle attendait son évaluation. Peut-on dire que ces conditions ne commandent pas une reconnaissance par les tribunaux?

Il y a une situation extrêmement problématique présentement au provincial. C'est facile pour le gouvernement fédéral de dire : « on va vous les transférer, gardez-les, on ne calculera pas cela en double et après transférer le problème aux provinces ». Le problème est criant et avant de changer ce que les tribunaux ont reconnu comme une pratique juste, je vous suggère une visite en détention préventive pour voir quelles sont les conditions.

La présidente : Merci, madame Joncas. On commence la période des questions avec le sénateur Nolin.

[Traduction]

Le sénateur Nolin : Nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître devant nous, madame Joncas.

Je suis confus parce que le ministre ne cesse de dire que, de façon unanime, les ministres provinciaux ont demandé à deux reprises, sur deux années consécutives, l'adoption de mesures.

[Français]

Madame Joncas, je suis d'accord avec vous. Il y a une contradiction. Les ministres provinciaux la veulent. Quand on examine le projet de loi attentivement, on n'y ampute pas la discrétion. On y met une balise. La discrétion judiciaire demeure.

Lorsque les tribunaux ont reconnu la justesse du crédit, je ne pense pas que le projet de loi élimine la notion du crédit. Le projet de loi propose des balises. Ces causes sont toutes du ressort provincial. Tous ces problèmes de détention se font dans un environnement sous juridiction provinciale. Le fardeau sur les provinces sera augmenté. Comment pouvez-vous nous aider à réconcilier cette contradiction compte tenu de votre expérience?

[Traduction]

Avez-vous compris ma question, monsieur Jones?

Personnellement, je m'inquiète d'apprendre que les ministres provinciaux demandent unanimement au gouvernement fédéral d'adopter ces modifications. D'un autre côté, nous entendons — et pas seulement de vous — que c'est aux provinces et territoires qu'on doit attribuer la cause fondamentale dont ont convenu les tribunaux pour justifier le système de réduction de la peine.

Comment concilier cette contradiction?

En passant, nous devons entendre les témoignages de certains de ces ministres demain.

M. Jones : C'est très bien. Je vais vous donner une réponse politique.

Le sénateur Nolin : C'est un bon point de départ.

M. Jones : Mon impression, c'est que les provinces aimeraient que plus d'accusés plaident coupable, surtout ceux qui sont passibles de peines de plus de deux ans, parce qu'alors ils pourraient être remis aux mains du système fédéral.

Mme Pate : Je pense me répéter un peu, mais c'est vraiment aux provinces et aux territoires qu'il incombe d'améliorer les conditions dans les prisons. Je pense que c'est un peu jeter la poudre aux yeux que de dire que le problème, c'est que des gens purgent des peines à cause du pouvoir judiciaire discrétionnaire et non que la vérité, c'est que les juges n'exercent pas ce pouvoir de discrétion à la légère. Ils appliquent le rapport de trois pour un, par exemple, à cause des piètres conditions de détention.

Le sénateur Nolin : Nous avons lu la décision au sujet du rapport de trois pour un, et les motifs donnés sont assez convaincants. Je pense que c'est une réponse valable. Le projet de loi C-25 aurait pour effet de le confirmer.

Mme Pate : Je le pense, et il élimine aussi, potentiellement, l'obligation de changer ces conditions.

Le sénateur Nolin : Vous savez ce qu'ils feront. Ils demanderont plus d'argent au gouvernement fédéral, comme ils l'ont fait lorsque nous avons étudié le système de justice pour les jeunes délinquants il y a quelques années.

Mme Pate : Oui. Il est intéressant qu'au milieu des années 1990, quand les directeurs de centres correctionnels se réunissaient, ils suggéraient des alternatives à la détention. Je pense que c'était une position bien plus réfléchie et éthique que de dire nous reconnaissons que bien des détenus — tant avant le prononcé de la peine qu'après — sont là surtout à cause de leur condition sociale et qu'ils pourraient en toute sécurité être dans la communauté à purger d'autres types de peines.

Au lieu de poursuivre sur cette voie, nous avons maintenant plus ou moins abandonné l'idée qu'il faudrait changer les conditions difficiles qui règnent dans les prisons, qu'elles soient fédérales ou provinciales, et nous préférons prétendre avec insistance que de plus longues peines, des sanctions plus sévères, rendront le système ou la communauté plus sûrs. De fait, nous voyons bien que le pays qui a établi justement ce genre de règles commence à perdre de vue ces réalités.

[Français]

Mme Joncas : On a bien répondu aux questions. Mes préoccupations restent les mêmes, peu importe la position des ministres. Nous allons dans les prisons et nous voyons les conditions de détention. On rencontre les clients. Il peut y avoir des positions ministérielles. Notre position vient de la fréquentation du terrain. Ce ne sont pas les procureurs de la Couronne qui crient au loup et qui vous le demandent. Les gens sur le terrain qui l'appliquent sur une base quotidienne pensent que notre système fonctionne très bien et que ce serait une erreur de réduire la discrétion judiciaire.

La présidente : Il paraît que la traduction ne fonctionne pas. Nous allons prendre une petite pause.

[Traduction]

Mme Joncas : Je répondrai en anglais s'il le faut.

La présidente : Vous ne devriez pas avoir à le faire. C'est justement l'idée.

[Français]

Mme Joncas : Comme je l'ai mentionné, je comprends qu'il y a peut-être des revendications ministérielles. Je ne suis pas contre les prétentions de mon collègue de La Société John Howard du Canada selon lesquelles il souhaite un transfert des individus au fédéral parce qu'il y a une surpopulation carcérale provinciale importante. Je crois que les gens qui sont sur le terrain tant la poursuite, la défense que les décideurs ne souhaitent pas une telle mesure et qu'il y a quand même 90 p. 100 des dossiers qui se règlent et qui aboutissent dans une suggestion sur les chefs sur lesquels on plaide coupable. Cela pourrait créer des effets très pervers que de modifier cet équilibre.

[Traduction]

La présidente : Certains gouvernements provinciaux, au moins, prétendent que les conditions se sont améliorées dans les centres de détention provisoire. Vous affirmez que ce n'est absolument pas le cas.

Avez-vous une explication à donner? Vous dites qu'elles se détériorent; pouvez-vous me donner une idée de la manière dont je devrais interpréter des affirmations si contradictoires?

Parlez-vous seulement de l'augmentation de la population qui, de toute évidence, entraîne dans sa foulée une détérioration des conditions? Est-ce qu'il pourrait s'agir d'une augmentation des programmes, ou quelque chose du genre?

Mme Jones : L'amélioration est quelque chose de subjectif, bien évidemment. Cependant, les centres de détention que j'ai vus depuis que j'ai pris cet emploi il y a deux ans et demi sont à juste titre appelés « buckets « en anglais, c'est-à-dire des chaudières — une terminologie que j'ai apprise des juges que j'ai rencontrés et avec qui j'ai parlé de ces questions — qui illustre les conditions comme la surpopulation, le climat des plus stressants, la saleté, la puanteur et le manque d'air de bonne qualité. Ce sont toutes des conditions dont on peut comprendre qu'elles puissent augmenter le stress et la tension et exacerber les troubles mentaux.

Je ne vois aucune amélioration. Cela étant dit, je n'occupe ce poste que depuis deux ans et demi.

Mme Pate : L'expérience que j'ai de ces centres de détention — et je dois souvent traverser toute une série d'unités réservées aux hommes avant de passer à celles des femmes — c'est que les conditions ne se sont pas améliorées.

Cependant, les ressources ont augmenté. Ainsi, j'entends souvent parler de l'augmentation des programmes, et quand on demande alors combien de personnes ont vraiment eu accès à ces programmes, ce peut être une très mince minorité qui profite de programmes ou de traitements quelconques. D'après mon expérience, cependant, la plus grande majorité n'y a pas accès. Le personnel qui travaille dans les institutions se plaint souvent que de plus en plus de temps est consacré à s'assurer que les détenus sont enfermés — c'est littéralement de l'entreposage — et à veiller à ce qu'ils restent calmes, notamment en les escortant jusqu'à la cour et au retour; c'est tout cela.

Plus il y a de détenus, plus il y a de ressources dans les prisons, et parfois, je soupçonne que cela se traduit par l'amélioration de certaines conditions ou des ressources, peut-être, mais pas nécessairement par l'amélioration des conditions dans la réalité.

Le sénateur Baker : Monsieur Jones, vous parlez de la puanteur qui règne dans certains de ces centres de détention, de détention avant le prononcé de la peine. C'est donc qu'ils sentent mauvais? Pouvez-vous préciser votre pensée?

M. Jones : Les membres du personnel à qui je parle ont diverses façons de décrire cela. Bien évidemment, il se trouve dans ces centres un grand nombre de jeunes hommes dans la pleine force de l'âge, si on peut dire; il y règne aussi une tension incroyable, surtout à cause du roulement élevé, qu'ils appellent « la baratte ». Le personnel appelle cela « l'odeur de la peur ».

Les hommes passent des jours entiers sans se doucher et portent les mêmes vêtements pendant de longues périodes. Les installations des cellules elles-mêmes sont crasseuses. Les hommes passent leur temps à regarder la télévision ou à jouer aux cartes, à ne rien faire, en réalité. C'est littéralement un temps mort.

Le sénateur Baker : Ils sont là, tout simplement.

M. Jones : Oui.

Le sénateur Baker : Tout d'abord, je tiens à féliciter Mme Pate et M. Jones pour leurs excellentes présentations. J'aimerais aussi féliciter Mme Joncas pour ses remarquables victoires récentes devant nos tribunaux. Elles sont véritablement remarquables. Ses victoires ne cessent de m'ébahir.

Cela étant dit, vous venez de rendre un témoignage des plus intéressants, parce que j'ai lu à l'avance les documents que nous ont remis les témoins que nous devons entendre demain. Ils diront que les temps ont changé et que les conditions dans les installations de détention provisoire sont, généralement, les mêmes que celles dans lesquelles vivent les détenus après le prononcé de la peine.

Ce sont des ministres de la Justice du Canada qui disent cela. Cependant, vous êtes allés sur place. Votre témoignage est en contradiction directe avec le leur.

J'ai d'autres questions à poser, brièvement, et j'aimerais savoir ce que vous pensez de cette autre chose qu'ils disent. Tout d'abord, ils disent que les conditions dans les centres de détention provisoire sont maintenant tout à fait semblables à celles des centres de détenus à long terme. Deuxièmement, la majorité des personnes qui sont dans les centres de détention provisoire y sont là par choix; elles restent intentionnellement en détention provisoire pour bénéficier du rapport 2 :1 de remise de peine. Demain, ces ministres de la Justice nous le diront encore et encore.

J'aimerais que vous nous en parliez. C'est ma première question. J'en ai une autre à poser ensuite, si la présidente veut bien me le permettre.

Mme Pate : Si les conditions sont semblables à celles des prisons fédérales, nous savons qu'il y a eu des situations où — comme dans le cas qui a été hautement médiatisé, celui de la mort d'Ashley Smith — il arrive que ces conditions soient lamentables de temps à autre. Avec la surpopulation, nous ne voudrions pas que ces conditions lamentables deviennent la norme dans les prisons fédérales et provinciales.

Je suis récemment allée dans un établissement provincial, et j'y ai vu des montagnes de déchets. Littéralement, la puanteur dont parlait M. Jones s'ajoute à celle des déchets. Les femmes ont dit qu'on ne leur donnait pas de papier de toilette et elles utilisaient alors leurs draps, puis elles donnaient leurs draps et on ne leur donnait rien pour les remplacer.

Je ne dis pas que ce sont des choses qui arrivent tous les jours, mais je ne suis pas encore allée dans une prison provinciale sans voir quelque chose qui me paraisse être une violation grave de la Charte et des droits de la personne.

Bien sûr que les hauts fonctionnaires vous diront que les conditions s'améliorent. Cependant, est-ce que cela signifie que les conditions s'aggravent partout à cause de la surpopulation, en général? Voilà la question qu'il faut poser.

J'aimerais savoir aussi comment peut-on prouver que ces gens-là veulent y être? Je n'ai pas encore rencontré de groupes de gens, nulle part, qui souhaitent rester là. À l'occasion, quelqu'un dira : « Oui, je suis d'accord pour rester une semaine ou deux de plus parce que je ne peux pas sortir et trouver un appartement tout de suite de toute façon, et en toute probabilité, je vais être condamné ». Cela, je l'ai entendu de temps en temps. Par contre, je n'ai jamais entendu personne dire vouloir rester en prison pour accumuler du temps. C'est tout à fait le contraire; ils veulent sortir de là.

Je leur demanderais aussi combien de places ils ont pour la surveillance judiciaire. N'oubliez pas qui est détenu avant le prononcé de la peine. C'est généralement ceux qui sont les plus marginalisés et qui ont le moins de ressources dans la communauté. Par conséquent, combien y a-t-il de places de détention provisoire, comme dans les maisons de transition?

Il fut un temps où on prévoyait d'en avoir partout au pays. Je n'en connais aucune. Si je me trompe, je serais heureuse qu'on me corrige. Combien de places y a-t-il pour la surveillance judiciaire provisoire? Combien de programmes de surveillance des personnes en liberté sous caution? Combien de programmes d'aide à la surveillance des personnes en liberté sous caution, et de programmes de cautionnement?

Quand il en existait, dans les provinces et territoires où il y en avait — et ce n'était pas partout — nous avons constaté des baisses de la population en détention provisoire, et probablement l'amélioration des conditions dans lesquelles vivaient les personnes qui étaient détenues en attendant le prononcé de la peine. Ce n'était pas généralisé, mais il est certain qu'il y en a eu.

Par conséquent, oui, il se peut bien que nous n'en soyons plus au point où il suffisait d'y mettre le pied pour voir de la vermine, des égouts ouverts et ce genre de choses dans les centres de détention provinciaux. Les conditions sont tout de même loin de celles qu'on souhaiterait, en tant que Canadiens, avec les mesures de protection des droits de la personne et la Charte que nous avons, du moins, dans les livres.

Le sénateur Baker : C'est une excellente réponse. Je remarque que peu de témoins en ont parlé. J'aimerais que Mme Joncas fasse profiter le comité de ses connaissances de la question.

Selon le projet de loi, la remise de peine peut aller jusqu'à un an, et même plus, ce peut aller jusqu'à un an et demi. Une journée est une remise; si c'est un jour pour une année. Pour tout temps de remise accordé, le juge, dit la loi, doit énoncer les raisons justifiant la période d'emprisonnement qu'il impose, en tenant compte de la réduction de la peine.

La loi stipule ensuite que le juge doit, aussi, dans le dossier de l'instance, indiquer au compte rendu la période d'emprisonnement qui aurait été infligée n'eut été le temps passé en détention provisoire et maintenant, le temps alloué pour cela. Le juge doit énoncer ses raisons. On lit aussi que l'inobservation de ces dispositions par le juge — l'obligation de donner ses raisons — « n'entache pas la validité de la peine infligée ».

À la simple lecture de ceci, et à voir la manière dont cette clause a été appliquée dans la jurisprudence, je constate qu'en fait, il n'est pas nécessaire de donner de raisons.

Madame Joncas, est-ce que la loi ne stipule pas, au Canada, qu'un juge doit donner des raisons s'il impose une peine d'emprisonnement, quelle qu'en soit la durée? N'est-ce pas la loi que ce doit être fait pour toute décision que rend un juge? Est-ce que je me trompe? Il me semble que c'est un fait.

Que pensez-vous de cette disposition, ici, qui dit que le juge n'a pas à donner ses raisons et, s'il n'explique pas ses raisons, cela ne change rien à la peine? Qu'en pensez-vous?

Mme Joncas : Je pense que la Cour d'appel s'amusera beaucoup avec cela. Je suis très heureuse que vous posiez la question. Le juge doit expliquer ses raisons, et les juges donnent leurs raisons.

Ils fournissent généralement les raisons et une explication de la manière dont ils ont calculé la durée de la peine et ce que serait la peine dans son entier, la réduction accordée, que ce soit selon un ratio de 1 :1, de 1 :5, et cetera. Ils donnent toujours leurs raisons, sans quoi on peut interjeter appel. Dans le fond, c'est un autre problème que pourrait poser ce projet de loi.

Le sénateur Baker : De votre avis bien pesé, à bien y penser, il est illégal, d'après la loi en vigueur au Canada, de dire qu'un juge n'a pas à donner ses raisons.

Mme Joncas : Je crois que la Cour d'appel pourrait considérer que c'est inconstitutionnel.

Le sénateur Wallace : Madame Pate, c'est à vous que j'adresse ce commentaire. Je n'avais pas l'intention d'en parler, mais c'est dans le même ordre d'idées que les questions que vous a posées le sénateur Baker, et cela concerne la question de savoir si l'accusé en détention provisoire chercherait exprès à obtenir une réduction de peine selon le ratio 2:1 pour passer moins de temps en prison après la condamnation. À ce que je comprends, le ministère de la Justice, comme l'a dit le sénateur Baker, a reçu des ministres de la Justice des provinces et territoires de très fermes affirmations et des témoignages selon lesquels, de fait, c'est faux.

Vous ne l'avez très certainement pas vu, mais nous avons entendu la semaine dernière le témoignage de l'Association canadienne des juristes de l'État. C'est M. Jamie Chaffe qui la représentait. Le comité a reçu une lettre le 24 septembre. Je vais vous lire une traduction libre d'un extrait.

Dans le témoignage de la CLA et de l'ABC, la possibilité même qu'un accusé accumule du temps en détention avant le prononcé de la peine en vue de bénéficier d'une réduction de peine en vertu des dispositions en vigueur relativement à la détermination de la peine [...] a été vigoureusement niée.

M. Chaffe poursuit en disant :

Avec le plus grand respect, l'ACJE ne peut être d'accord avec cette affirmation. Ce concept et cette conduite ne sont pas un mythe, et ne sont pas non plus rares selon l'expérience des procureurs généraux du Canada.

Il me semble que c'est un témoignage assez convaincant de l'Association canadienne des juristes de l'État. Est-ce que ce n'est pas quelque chose que le ministre devrait prendre en compte quand il s'interroge sur la pertinence du projet de loi C-25 et se demande s'il résoudrait peut-être quelque chose qui, de l'avis de beaucoup, est une conséquence inéquitable de la loi en vigueur en matière de détermination de la peine?

Mme Pate : Si c'est le seul fondement de la preuve, si c'est ça, la preuve, je dirais non. Je pense que vous devriez avoir en main des données qui démontrent que des accusés ont eu l'occasion de plaider coupable, ont eu toute l'information en temps opportun, leur avocat a reçu toute l'information, et ils étaient prêts pour le jugement, et quelqu'un a dit : « Non, je veux rester ici en prison quelques mois de plus pour accumuler trois mois, de manière à obtenir une réduction de peine de six mois ». Je ne connais aucun cas de ce genre. Je suis au courant de certains cas où quelqu'un a dit qu'on pouvait procéder aujourd'hui, et si les détenus ont la possibilité d'une alternative à la prison, c'est sûr qu'il n'y a pas d'incitatif.

S'ils doivent de toute façon aller en prison, de fait, le contraire est vrai; et c'est préoccupant en partant. Nous sommes intervenus dans plusieurs cas où des femmes étaient sur le point de plaider coupable et ont demandé à aller dans des prisons fédérales, rien que pour sortir des centres de détention provisoire, contre l'avis de leur avocat, et souvent contre l'avis du procureur. Le juge émet des doutes, et elles insistent encore, convaincues qu'elles vont participer à un programme, ou iront dans un centre où il y aura plus de programmes et un meilleur accès à un traitement. Nous avons reçu des commentaires de juges. Quand nous avons rencontré des juges, nous les avons encouragés à pousser plus loin, à gratter le vernis et à poser des questions sur les motifs qui poussent quelqu'un à faire cela. Si en réalité c'est pour éviter d'être sous garde dans des institutions provinciales, nous insistons, et deux ou trois fois seulement nous avons pu inciter à suggérer une peine alternative dans la communauté, que ce soit la détention à domicile ou le sursis, ce genre de choses.

J'aimerais bien voir ces données, et les preuves à l'appui, au-delà de l'opinion.

Le sénateur Wallace : Pour ceux d'entre nous, à ce comité, qui entendront ces témoignages, bien des points de vue différents nous sont exposés, et le défi pour nous est d'en faire le tri et de déterminer ce que signifie tout cela. Je vous en remercie. D'après les témoignages que nous avons entendus — et je pense que nous en entendrons d'autres demain — les avis divergent sur la question.

Je vais faire une observation, et j'apprécierais que vous y répondiez. À bien songer à tout cela, et quand on réfléchit à l'incidence que pourrait avoir la réduction de la peine pour le temps passé sous garde avant le prononcé de la peine, le résultat semble être que lorsqu'une réduction est appliquée, elle réduit le temps qu'un détenu déclaré coupable devrait passer en prison après le prononcé de la peine; il passe moins de temps en prison. Quand je pense aux gens à qui s'appliqueraient une telle réduction, c'est ceux à qui serait refusée la libération sous caution, pour toutes sortes de raisons pouvant le justifier. C'est pourquoi ces gens sont sous garde avant le prononcé de la peine.

Les services de réadaptation, à ce que j'ai compris, sont beaucoup mieux et nettement meilleurs dans les institutions postsentencielles, comparativement aux centres de détention provisoire. Est-ce que cela ne signifie pas que bien des détenus qui sont incarcérés, en ayant droit à la réduction de la peine selon le rapport 2 :1, ne profiteront pas de cette période prolongée de réadaptation qu'ils auraient pu avoir s'il n'y avait pas cette réduction? Est-ce que ce n'est pas contraire à leur intérêt et à celui de la société? Nous pouvons tous nous entendre sur le principe qu'il ne s'agit pas d'enfermer les gens et de jeter la clé, mais de les réhabiliter, de les réintégrer à la société sans qu'ils posent le risque et qu'ils y deviennent productifs. Est-ce que le système actuel ne réduit pas de fait cette période de réadaptation réelle et ne va pas à l'encontre des intérêts à la fois de la société et du détenu?

Mme Pate : Je sais que Mme Joncas voudra ajouter quelque chose, mais je me demanderais d'abord pourquoi les gens passent cette période sous garde avant le prononcé de la peine et je me poserais les questions que j'ai énoncées tout à l'heure. Plutôt que de les répéter, je vous dirais de poser ces questions. Ce n'est pas simplement parce que quelqu'un est dangereux pour la communauté qu'il est mis sous garde avant le prononcé de la peine. Si vous regardez les chiffres, les pauvres, les personnes qui souffrent de troubles mentaux et les gens qui dépendent du soutien de l'État sont plus susceptibles d'être sous garde avant le prononcé de la peine parce qu'on craint de ne plus les retrouver. Ils n'ont nulle part où aller.

Le sénateur Wallace : Ils ne comparaîtraient pas.

Mme Pate : C'est l'argument employé, parce que c'est le seul moyen légal de le faire. Si vous regardez les compétences qui ont ces autres choix, vous verrez des résultats différents au titre de la garde présentencielle. Vous devriez regarder cela d'abord. Pour ceux qui se retrouvent sous garde, toutes les recherches démontrent que les programmes les plus avantageux sont dans la communauté, sous supervision.

J'ai déjà entendu cet argument. Disons-le tout net, il vise à détourner l'attention de la nécessité première d'améliorer les conditions dont vous parlez. On préconise plutôt des peines plus longues, qui garantiraient une meilleure réhabilitation. La réalité est tout autre. Des peines plus longues entraîneraient une augmentation de la population carcérale, des programmes moins accessibles, le saupoudrage encore plus ténu de ressources sur l'ensemble de ces services, une détention parfois prolongée jusqu'à la date d'expiration du mandat, une libération sans surveillance communautaire et des compressions apportées aux mêmes programmes dans la communauté. D'où mes questions sur les ressources disponibles pour aider à l'intégration des ex-détenus dans la communauté.

Tous les travaux de recherche montrent que les effets bénéfiques se font sentir avant la tenue du procès et après la peine. Je vous encourage à poser ces questions aux provinces et à demander pourquoi on insiste tant sur le volet le plus coûteux et le moins efficace du régime correctionnel et sur le rouage le moins efficace du système c'est-à-dire la détention avant le procès et après jugement.

Le sénateur Wallace : Je ferai peut-être des observations sur le sujet au cours de la deuxième série de questions.

Mme Joncas : Je voulais faire des observations sur les personnes qui veulent rester en détention préventive. Parmi celles qui ne veulent pas croupir en détention préventive, il y a les personnes n'ayant pas le plein statut d'immigrant. La détention préventive présente pour elles un double inconvénient. Elle comptera en effet en double. Même si elles ne sont condamnées qu'à un an de détention, si elles ont été en détention préventive pendant sept mois, ça comptera en double, et elles seront déportées sans droit d'appel. C'est pourquoi elles tiennent à sortir de détention. Selon les lois de l'immigration, toute peine d'au moins deux ans entraîne l'expulsion du pays. De toute évidence, ces personnes ont intérêt à régler les choses le plus rapidement possible, parce que la durée passée en détention préventive entraînera très rapidement leur déportation.

Le sénateur Wallace : Nous parlons d'un très petit nombre de détenus.

La présidente : Pouvez-vous me préciser si vous parlez de détention préventive ou présentencielle?

Mme Joncas : De détention préventive. Ce ne sont pas des personnes reconnues coupables, mais la durée de détention compte en double, de toute manière, en droit de l'immigration.

Le sénateur Joyal : Ma première question concerne votre mémoire auprès des procureurs des provinces. Avez-vous eu l'occasion de leur faire connaître vos opinions avant qu'ils n'aient conclu que le système avait besoin de changement?

Mme Pate : Ils n'ont pas consulté notre organisation.

M. Jones : Pour autant que je sache, nous n'avons pas été consultés. Il se peut, cependant que notre filiale de l'Alberta l'ait été, parce qu'elle entretient de bons rapports avec le gouvernement. De fait, elle a porté à notre connaissance des faits concernant directement la question de la détention présentencielle.

On ne peut trouver aucune preuve selon laquelle les détenus écoulent tout leur temps en détention présentencielle. En fait, dans beaucoup de cas situés en Alberta, les personnes en détention présentencielle demandent d'en sortir par tous les moyens possibles.

Le sénateur Joyal : Je crois comprendre que la recommandation que les procureurs ont faite à leur conférence fédérale-provinciale n'est pas aussi rigide qu'on nous l'a présentée. Je vous renvoie à la question du sénateur Nolin. En général, nous ne pouvons pas conclure que tous les procureurs des provinces ont demandé qu'au prononcé de la sentence on accorde un crédit selon le rapport d'un pour un, c'est-à-dire d'une journée pour chaque jour de détention présentencielle.

D'après moi, lors de la réunion fédérale-provinciale-territoriale, un grand nombre de procureurs des provinces ont recommandé d'accorder une journée et demie pour chaque jour de détention, soit un rapport de 1,5 pour 1. D'autres préconisaient un rapport de un pour un, mais ce n'est pas l'unanimité dont on nous a parlé. C'est une précision que je voulais apporter, parce qu'elle éclaire différemment le projet de loi.

La recommandation majoritaire, ce me semble, d'un rapport de 1,5 pour 1 devient une exception dans le projet de loi, la règle de base étant le rapport de un pour un. À mon avis, c'est prendre le contrepied de l'arrêt Wust de la Cour d'appel du Québec.

Madame Joncas, j'ai en main une copie de l'arrêt de la Cour d'appel du Québec auquel vos remarques se rapportaient. Pouvez-vous en lire le paragraphe 45? J'ai la version anglaise. Peut-être avez-vous la version française.

[Français]

Mme Joncas : Oui, avec plaisir.

En établissant le rapport du « deux pour un », les tribunaux ont donc tout simplement établi une pratique qui prend en compte cette difficulté afin que le prévenu ne soit pas puni davantage pour la seule raison que la peine ne lui fut pas imposée au début des procédures.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous l'expliquer en langage courant? Il me semble qu'un principe fondamental de justice réside dans ce passage.

[Français]

Mme Joncas : Je pense qu'il y a deux aspects principaux que la Cour d'appel retient, c'est qu'en détention préventive, il y a une difficulté ou une impossibilité à aborder le processus de réhabilitation. L'individu n'étant pas condamné, le processus de réhabilitation ne peut pas s'amorcer. Il y a aussi naturellement ce que l'on constate, ce sont les conditions de détention précaires qu'on décrit. Je rappelle aussi ce que j'ai dit, le paragraphe 42, que le rapport du « deux pour un » ne peut être considéré comme un avantage pour l'accusé. La cour ne peut pas être plus claire sur sa position. C'est toujours la décision de la R. c. Beauchamp de la Cour d'appel du Québec du 3 juin 2005. Cette décision, pour l'avoir plaidée, je sais que la permission d'en appeler a été refusée par la Cour suprême, donc elle a confirmé ce principe. La Couronne est allée en appel et la permission d'en appeler a été refusée.

Le sénateur Joyal : Est-ce que si je lis le paragraphe 45, qui m'apparaît au cœur du principe en cause dans le projet de loi C-25, quand la cour dit :

[Traduction]

[...] une pratique qui tient compte des conditions rigoureuses et faisant en sorte que le prévenu ne sera pas davantage puni parce que la sentence n'a pas été prononcée au début des procédures.

Ça signifie que la personne dont la peine obéit au rapport du un pour un est punie plus sévèrement que la personne qui n'est pas passée par le système de détention provisoire.

Mme Joncas : Visiblement parce qu'elle n'est pas admissible à une libération et qu'elle ne fait pas l'objet d'une évaluation visant à déterminer si d'autres mesures pourraient être prises et à quel moment elle pourrait être libérée. Après avoir purgé le sixième, le tiers ou les deux tiers de sa peine, elle devient admissible à une libération ou elle se retrouve en transition. Ces possibilités ne lui sont pas offertes en détention présentencielle.

Le sénateur Joyal : N'est-il pas vrai que le principe du rapport 1 pour 1,5 maintient la partie de la peine qui reste à subir au niveau du jugement plutôt qu'au niveau présentenciel? Dans un régime du rapport un pour un, le détenu dont la durée de la peine n'est pas ajustée est plus dans le pétrin que la personne qui n'est pas passée par la détention présentencielle.

Elle pourrait contester immédiatement le jugement, en invoquant le principe fondamental de justice qui est la même peine pour le même crime commis dans des circonstances semblables et dont la preuve est similaire. Ça semble tellement fondamental que c'est la raison pour laquelle les tribunaux ont établi cette pratique obéissant au rapport de un pour un. D'après moi, l'arrêt explique pourquoi, fondamentalement, il faut continuer de distinguer les conditions de détention présentencielle des conditions de détention après jugement.

Les procureurs des provinces qui ont recommandé le rapport de un pour 1,5 étaient, à mon avis, fidèles au principe selon lequel on tient compte des conditions de détention après jugement, qui sont essentielles pour l'objectif du projet de loi. Je ne suis pas convaincu qu'il faut changer le système comme s'y prend le projet de loi. Nous pourrions le changer, nous pourrions remplacer le rapport de deux pour un par celui de 1,5 pour un, nous pourrions limiter le rapport à deux pour un. Nous pourrions établir comme règle générale le rapport de 1,5 pour un en prévoyant un rapport maximal de deux pour un. Or, changer le système en niant les conditions de détention présentencielle par rapport aux conditions de détention après jugement c'est faire outrage aux principes de justice fondamentale. Je pourrais avoir tort, mais je suis convaincu que des juristes soulèveront très bientôt l'inconstitutionnalité du projet de loi.

Mme Joncas : Nous croyons que le pouvoir discrétionnaire des juges devrait être maintenu. Dans les cas où il faut tenir compte à la fois des conditions de détention et des principes de la Cour suprême du Canada, le juge peut décider. Le juge pourrait opter pour le rapport de un pour un; j'ai des exemples, à la Cour supérieure, que la Cour suprême a avalisés, où le juge Martin s'en est tenu au rapport du un pour un pour ses propres raisons. Nous croyons que l'évaluation des juges devrait se faire au cas par cas. Comme nous le disons en français :

[Français]

L'individualisation de la peine devrait demeurer le principe général. Alors, il faut voir dans le cas de chacun des individus, de chacune des infractions, quelles sont les conditions. C'est la règle de droit au Canada, l'individualisation de la peine et c'est ce qu'il faut maintenir.

Le sénateur Carignan : J'avais une première question sur la question du « deux pour un », que ce soit un avantage ou un désavantage.

Je comprends que dans certaines situations, cela pourrait être un avantage, même si dans d'autres, cela ne l'est pas. C'en est tellement un qu'au cours des dernières semaines, on a entendu une personne refuser une enquête de cautionnement pour demeurer à l'intérieur parce qu'elle avait peur d'être menacée par les victimes. Cela a été rapporté par les médias. On peut comprendre qu'il peut y avoir un avantage à demeurer à l'intérieur.

Vous avez répondu en partie à cette question. Je vais plutôt passer à ma deuxième question qui porte sur les principes de justice fondamentale. Le sénateur Joyal vous a parlé que c'était, selon lui, un principe de justice fondamentale. Les principes de justice fondamentale sont différents quand une personne est reconnue coupable. L'évaluation de la constitutionnalité de cette peine se ferait en fonction de l'article qui touche les peines de cruauté mentale, les peines cruelles et non pas en fonction des principes de justice fondamentale. Est-ce que je me trompe?

Mme Joncas : Je m'excuse, je veux être certaine de bien comprendre votre question.

Le sénateur Carignan : Le fait qu'un jugement de la Cour d'appel évalue la validité d'une pratique de faire du « deux pour un » n'en fait pas pour autant un principe de justice fondamentale sur le plan des sentences garanties par la Constitution.

Mme Joncas : Je pense que les principes reconnus par la Charte sont des peines justes et, comme vous l'avez mentionné, ne sont pas des peines cruelles et inusitées. Cependant, il y a les principes dans le Code criminel qui portent sur l'individualisation de la peine. Il faut que les peines soient justes et proportionnées à l'implication d'un individu dans la perpétration d'une infraction, soit son rôle, les facteurs aggravants et les facteurs atténuants. On a le droit d'avoir une peine juste.

Le sénateur Carignan : C'est pour cette raison qu'on amende le Code criminel, pour changer cette balise-là.

Mme Joncas : C'est très inquiétant si c'est ce qui va se passer.

Le sénateur Carignan : Un des arguments est de dire que les attentes en vertu d'un procès seront plus longues. Cela risque de prolonger le délai entre l'accusation et le procès. Y a-t-il un recours qu'un accusé peut avoir lorsqu'il subit un préjudice parce que le délai est déraisonnable? Et ne pensez-vous pas que cette nouvelle norme de « un pour un » va entrer dans l'évaluation par le juge du délai raisonnable pour subir un procès?

Mme Joncas : Il est certain que nous avons droit à un procès dans un délai raisonnable et que ce genre de modification législative risque d'avoir un impact sur les délais. Est-ce que la société va être mieux servie par des gens qui vont obtenir des arrêts des procédures et qui vont être remis en liberté? Je ne pense pas que ce soit l'objectif visé, mais cela risque d'être une conséquence un peu perverse de ce genre de projet de loi; des requêtes selon la Charte et des requêtes en arrêt des procédures parce que les tribunaux ne pourront pas fournir à la demande.

Le sénateur Carignan : Je comprends qu'à la limite, s'il y avait des procès plus longs qui amenaient un préjudice important à l'accusé dû à cette règle-là, ce serait un motif pour en tenir compte dans une requête en arrêt des procédures?

Mme Joncas : J'ai de la misère à voir que le délai d'attente des procès serait augmenté. On a vu au cours des dernières années plusieurs modifications législatives non justifiées par une augmentation du taux de criminalité — on admet qu'il est à la baisse — et qui finissent par avoir un effet domino sur notre système parce qu'il n'y a aucune vision globale de modification du Code criminel. C'est ce que nous déplorons. On se fait une espèce de courtepointe à la pièce et on ne tient pas compte de l'impact global qu'ont ces petites modifications. Les renversements de fardeau de preuve, comme je le disais plus tôt, les peines minimums. Je pense qu'il y a lieu de s'asseoir, d'arrêter de faire de la démagogie et de voir quels sont les vrais besoins. Je ne vois pas un besoin criant pour ce projet de loi, pas plus que j'en voyais pour les renversements de fardeau de preuve. On a un système de justice qui fonctionnait très bien. Nous avons des juges compétents et je réitère ma confiance dans notre système de justice.

[Traduction]

Le gouvernement ne devrait pas saper notre système de justice tel qu'il le fait en apportant toutes ces modifications inutiles. Non seulement elles sont inutiles, mais, en plus, elles ont un effet contraire sur la bonne marche du système.

Le sénateur Watt : Monsieur Jones, je crois que vous avez soulevé la question du Grand Nord et des habitants de l'Arctique. En outre, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry aurait effectué une étude sur les femmes, et les chiffres cités sont alarmants.

D'après l'étude, les femmes autochtones ne représentent que 3 p. 100 de la population féminine du Canada, mais 32 p. 100 de la population féminine des pénitenciers fédéraux. Je ne parle ici que des femmes.

De quoi s'agit-il? Quel est le pourcentage réel, si l'on combine les hommes et les femmes?

Mme Pate : D'après les chiffres les plus récents, je crois que c'est 18 p. 100 de la population carcérale. M. Jones est peut-être au courant.

M. Jones : Un Autochtone sur cinq est incarcéré dans le réseau fédéral. Comme vous le savez, les Autochtones représentent 3 p. 100 de la population totale.

Je veux souligner que nous tirons de nombreuses leçons des États-Unis, où ce genre de bricolage croissant du système de justice criminelle est répandu depuis longtemps. La principale leçon est la suivante : en général, ce sont surtout les minorités qui en font les frais. Aux États-Unis, ce sont les Noirs et les Hispaniques, qui sont surreprésentés dans ce que j'appelle l'empire carcéral de ce pays.

Au Canada, les Autochtones sont énormément surreprésentés. Ils sont plus faciles à poursuivre en justice, à capturer et à incarcérer. En général, ils sont moins capables de se défendre eux-mêmes, et de nombreux problèmes d'alphabétisation et divers autres types de problèmes les rendent plus vulnérables au système de justice criminelle.

J'ajouterai enfin que ce tripotage, sans vision élargie de ce que le système est censé accomplir, est une attaque en règle contre les minorités, en l'occurrence les Autochtones.

Le sénateur Watt : Dans un certain sens, nous ne rendons pas service aux collectivités autochtones, n'est-ce pas?

M. Jones : Vous avez raison.

Mme Pate : Je vous encourage à vous informer des projections du Service correctionnel du Canada. D'ici 2017, des augmentations très inquiétantes auront lieu dans le nombre d'Autochtones placés dans les établissements, notamment les femmes mais aussi les hommes, les jeunes et les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Il y a lieu de s'inquiéter. Nous constatons assurément ce phénomène chez les femmes.

Le sénateur Watt : Ce que vous dites, donc, c'est que, dans la recherche de solutions à nos problèmes, il faut nous représenter la situation dans son ensemble.

Mme Pate : Demandez aussi aux provinces combien d'Autochtones se trouvent dans les centres de détention présentencielle, parce que nous savons que cette tranche de la population y est aussi énormément surreprésentée.

M. Jones : Informez-vous aussi, en demandant des preuves formelles, des chiffres des populations qui croupissent en détention présentencielle jusqu'à la fin de leur mandat. Nous avons reçu des comptes rendus anecdotiques, mais personne ne nous a présenté de preuve. Je ne sais pas pourquoi j'attends que quelqu'un m'apporte des preuves sur un changement de cette conséquence. Je n'en demande pas trop, il me semble.

Mme Pate : De fait, même ceux qui ont effectué de la recherche sur les peines attribuées aux Autochtones ont montré qu'on retient souvent contre eux des chefs d'accusation graves, qu'ils plaident souvent la culpabilité et qu'ils sont moins susceptibles de négocier l'aveu. Souvent, les peines semblent plus courtes pour des crimes plus graves. Cependant, la comparaison minutieuse des chefs d'accusation et des infractions réelles montre souvent que, si l'accusé avait été représenté et avait eu l'avantage d'être défendu par quelqu'un de la trempe de Mme Joncas, il ne se trouverait pas dans cette situation. Nous savons qu'on a pris l'habitude de multiplier les chefs d'accusation, dans l'hypothèse qu'il y aura négociation de l'aveu et, en conséquence, des peines différentes. La situation est donc encore plus complexe que celle que nous avons été en mesure d'exposer aujourd'hui.

La présidente : Chers collègues, je suis désolée de vous annoncer que notre temps est écoulé. Au début de la séance, j'ai dit que ces témoins sont toujours intéressants et stimulants. Aujourd'hui, ils ont été à la hauteur de leur réputation. Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé et de l'aide que vous nous avez donnée pour parachever notre travail sur ce projet de loi.

Sénateurs, nous sommes heureux d'avoir parmi nous, du Bureau de l'enquêteur correctionnel, Howard Sapers, l'enquêteur correctionnel, et Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général. Soyez les bienvenus. Nous sommes heureux de vous revoir. Monsieur Sapers, vous avez la parole.

Howard Sapers, enquêteur correctionnel, Bureau de l'enquêteur correctionnel : Merci. Je suis heureux de l'invitation que vous m'avez faite de comparaître de nouveau devant le comité. Nous avons eu l'occasion d'exprimer, devant le comité parlementaire, notre opinion sur l'incidence du projet de loi C-25 intitulé Loi sur l'adéquation de la peine et du crime. Nous avons exposé nos préoccupations lors de la comparution du 25 mai 2009. Je m'efforcerai de ne pas trop me répéter, mais je dirai que, d'accord avec d'autres observateurs, nous croyons que le projet de loi C-25 mènera probablement à une augmentation considérable de la population carcérale gérée par le Service correctionnel du Canada. À mon bureau, nous sommes préoccupés par les répercussions qu'aurait une arrivée significative de nouvelles admissions dans le système correctionnel fédéral déjà surchargé. Une hausse notable de la population carcérale fédérale aura un effet sur la sûreté et la sécurité de cette population, ainsi que sur la capacité des détenus à profiter de programmes et de services qui les aideront à retourner dans leur collectivité.

J'aimerais traiter des conséquences probables de la surpopulation pénitentiaire sur la sécurité du personnel et des détenus, puis j'exposerai les préoccupations des employés de mon bureau quant à la prestation des services aux détenus fédéraux en matière de santé mentale. Je demanderai ensuite à mon directeur exécutif et avocat général, M. Zinger, de parler de l'accès aux programmes correctionnels et des répercussions potentielles du projet de loi C-25 sur les Autochtones dans le système correctionnel.

De nombreux ouvrages démontrent que la surpopulation pénitentiaire peut faire croître les tensions et la violence, et mettre en danger la sécurité du personnel, des détenus et des visiteurs. Comme je l'ai mentionné dans mon dernier rapport annuel, le degré actuel de tension et de violence dans les pénitenciers canadiens est déjà excessif. Par exemple, dans le premier trimestre du présent exercice, les données les plus récentes dont nous disposons, le Service correctionnel a recensé un nombre impressionnant de 2 231 incidents de sécurité et 577 blessures physiques déclarées chez les détenus. Au cours de cette période, les incidents de sécurité ont englobé des agressions contre des détenus, des problèmes disciplinaires, des combats entre détenus, des urgences médicales, des blessures auto-infligées ainsi que trois décès. Le Service correctionnel a reconnu l'importance du problème et a pris des mesures pour tenter de réduire le nombre d'incidents, par exemple en améliorant la sécurité active, ce qui favorise l'engagement des agents de correction envers les détenus afin de désamorcer les tensions et de permettre au personnel de recueillir des renseignements et d'empêcher que des incidents ne surviennent ou ne dégénèrent en émeute, par exemple.

La situation difficile des délinquants souffrant de troubles de santé mentale dans les prisons est devenue une question prioritaire au bureau. Ceci est important pour l'étude sur le projet de loi C-25, car les délinquants qui souffrent de maladie mentale et de déficience sont souvent détenus durant la période de détention présentencielle. Nous savons que le nombre de détenus aux prises avec d'importants troubles de santé mentale à leur arrivée en prison a doublé au cours des cinq dernières années. Les prisons fédérales hébergent actuellement la clientèle psychiatrique la plus nombreuse du pays; pourtant, en dépit des besoins, la capacité du système correctionnel fédéral à gérer et à traiter les cas de maladie mentale est en grande partie monopolisée par les dossiers les plus lourds et les plus chroniques, c'est-à-dire les personnes qui obtiennent des soins dans l'un des cinq centres régionaux de traitement. La plupart des autres problèmes de santé mentale font l'objet d'une attention clinique limitée, dans le meilleur des cas.

Bien que certains détenus ayant des besoins criants ou nécessitant une intervention spéciale soient envoyés à un centre régional de traitement, ils sont généralement retournés à l'établissement initial après une brève période de stabilisation. Croulant sous la demande, les centres régionaux de traitement sont devenus des portes tournantes d'admission et de renvoi. Pratiquement aucun service intermédiaire en matière de santé mentale n'est offert pour assurer la transition entre les interventions thérapeutiques et cliniques des centres régionaux et le retour des détenus à leur établissement d'attache.

Le manque généralisé de services de santé mentale fait en sorte que les détenus qui ont besoin de tels services restent dans des conditions où l'on n'est pas préparé à réagir à leurs symptômes ou comportements. Trop souvent, la santé mentale de ces personnes se détériore, au point de mener au non-respect des règles de l'établissement, à des altercations avec le personnel ou des codétenus et aussi, dans bien des cas, à l'automutilation. Trop souvent, ces détenus sont isolés, pour leur sécurité personnelle, ou transférés dans des établissements à haute sécurité, y compris l'Unité spéciale de détention au Québec, c'est-à-dire l'établissement le plus sécuritaire et le plus restrictif du Service correctionnel du Canada.

Je vais maintenant demander à M. Zinger de formuler quelques observations sur les programmes.

[Français]

Ivan Zinger, directeur exécutif et avocat général, Bureau de l'enquêteur correctionnel : En vertu de la loi, le SCC a pour mandat de fournir aux délinquants des programmes et des interventions axés sur les facteurs liés au risque de récidive. Les programmes abordent un certain nombre de questions importantes qui, lorsqu'elles sont traitées, permettent de réduire le risque de récidive.

Le Service correctionnel du Canada, offre un bon nombre de bons programmes dans divers domaines, notamment pour les délinquants sexuels, pour la maîtrise de la colère, et pour contrer la violence, soit en milieu familial ou dans la communauté ainsi que la toxicomanie.

Actuellement le principal problème concernant les programmes offerts par le Service correctionnel est l'accessibilité. Le SCC alloue seulement 2 p. 100, soit moins de 41 millions de dollars sur un budget total de 2,1 milliards de dollars au programme de traitement pour les délinquants.

Pour l'instant, les délinquants doivent composer avec de longues listes d'attente et avec l'annulation de programmes en raison du manque de financement ou de professionnels.

Ils voient également leur date de mise en liberté sous condition retarder en raison de l'incapacité du service de leur fournir en temps opportun les programmes dont ils ont besoin.

Ils doivent donc purger en conséquence leur peine durant une période plus longue avant d'être considérés pour la libération conditionnelle.

La situation devient critique puisque de plus en plus les délinquants sont mis en liberté plus tard au cours de leur peine et que, trop souvent, ces mêmes délinquants n'ont pas suivi de programmes et des traitements nécessaires pour augmenter leur chance de réussite dans la collectivité.

Le Service correctionnel a reconnu publiquement qu'une allocation de deux p. 100 de son budget annuel aux programmes est insuffisante.

Il a mentionné qu'il espère consacrer à ses principaux programmes au cours du prochain exercice, une importante part des 48,1 millions de dollars qu'il s'attend à recevoir dans le cadre de son examen stratégique.

Le Bureau de l'Enquêteur correctionnel a aussi exprimé ses préoccupations devant le Comité de la justice et des droits de la personne quant aux différentes répercussions qu'aura la proposition relative à la période de détention pré-sentence sur les Autochtones.

Comme le révèle une comparaison des données de 2001 à 2007, le nombre d'adultes autochtones placés en détention préventive a augmenté de 23 p. 100 par rapport à une hausse de 14 p. 100 du taux de toutes les admissions en détention préventive au cours de la même période. Des recherches démontrent que les Autochtones placés en détention préventive sont plus susceptibles de se voir refuser la mise en liberté sous condition; ils sont aussi plus susceptibles d'être détenus dans des conditions de sécurité plus sévères et de purger des peines plus longues en détention préventive.

En raison de leur situation défavorable, les mêmes écarts se répètent à l'échelle fédérale et les délinquants autochtones représentent maintenant 20 p. 100 de la population carcérale fédérale.

[Traduction]

M. Sapers : En conclusion, toute augmentation notable de nouvelles admissions sans l'ajout de ressources en matière de logement, de programmes, de services en soins de santé, d'améliorations de l'assainissement, d'hygiène et de contrôle des maladies transmissibles et infectieuses et sans ajout du temps nécessaire pour mettre en œuvre ces initiatives ne fera qu'empirer une situation déjà difficile. Ce projet de loi aura des répercussions particulières sur les Autochtones, et ces répercussions doivent être soigneusement examinées et atténuées.

Merci encore de l'occasion que vous m'avez donnée de faire part de mes réflexions au comité. Nous attendons vos questions avec intérêt.

La présidente : Merci, monsieur Sapers. Nous aurons bien sûr des questions à vous poser.

Le sénateur Watt : Merci de votre exposé. Il renfermait des révélations choquantes. Je crois comprendre que le rôle de votre organisation est de s'assurer que le Service correctionnel du Canada accomplit le mandat que lui confère la loi, conformément aux politiques canadiennes et internationales concernant les obligations en matière de droits juridiques et de droits de la personne.

À quel point rendons-nous bien service à notre collectivité?

Vous avez mentionné que de très nombreux Autochtones se trouvaient dans les pénitenciers. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi le phénomène semble s'aggraver.

M. Sapers : Je vous remercie de cette question. Elle est très vaste et elle a des ramifications très graves. Dans ma réponse, j'essaierai d'être bref. Chaque année, nous faisons rapport au Parlement; année après année, nos rapports soulèvent souvent les mêmes problèmes de conformité. Conformité avec le cadre légal et stratégique dans lequel le Service correctionnel du Canada fonctionne ou, du moins, est censé fonctionner.

Je soulève ces problèmes. Des obstacles de taille s'opposent à ce que le Service correctionnel du Canada accomplisse le double mandat qui lui a été confié et qui concerne la sécurité et la réinsertion dans la collectivité.

L'un des sujets d'enquête les plus épineux pour notre bureau concerne les résultats différents que l'on obtient avec les contrevenants autochtones par rapport aux non autochtones. Les individus qui sont mis en détention présentencielle, au début de leur contact avec le système de justice criminelle, sont souvent les mêmes qui traînent les carences, quelles qu'elles soient, qui les ont amenés en détention présentencielle, d'abord, jusqu'en détention après jugement. Cela a abouti à des écarts énormes dans les résultats correctionnels.

Ce sont des contrevenants qui purgent une plus grande partie de leur peine en détention avant d'obtenir une libération conditionnelle. Ils passent plus de temps dans un milieu de plus haute sécurité; ils sont le plus souvent placés en isolement, assujettis aux formes les plus sévères d'incarcération. S'ils sont libérés sous condition, ce sont eux qui manquent le plus souvent aux conditions techniques de leur libération, qui sont le plus souvent retournés dans leur établissement et, en fin de compte, qui ne sont pas libérés avant leur date de libération d'office ou avant la date d'expiration du mandat, ce qui garantit, par définition, avec assez de certitude qu'ils ont le moins progressé par rapport à leur plan correctionnel. Ils ont profité le moins des programmes et des interventions de traitement qui leur étaient offerts.

Voilà l'effet possible d'une augmentation du nombre de détenus ainsi désavantagés, qui seraient admis dans les pénitenciers fédéraux.

Le sénateur Watt : Qu'en est-il des programmes?

M. Zinger : Simplement pour compléter la réponse de M. Sapers, il y a environ trois ans, nous avons demandé à Statistique Canada de nous dire quel était le taux d'incarcération des Autochtones par rapport aux non-Autochtones, et nous avons publié ces chiffres dans notre rapport annuel. Phénomène des plus frappants, d'une année à l'autre, le taux d'incarcération des Autochtones augmente constamment. Il est maintenant neuf fois plus élevé que chez les non-Autochtones. D'après ce que la Commission canadienne des droits de la personne a dit, il y a de nombreuses années, et cette affirmation reste vraie, c'est le problème numéro un de droits de la personne devant lequel se trouve le Canada.

Devant ces faits, je dirais donc que, dans l'étude d'un projet de loi, la Chambre ou le Sénat doivent vraiment examiner ses répercussions possibles sur les Autochtones. Ils doivent y consacrer beaucoup de travail sérieux pour s'assurer de neutraliser tous les effets négatifs pour cette population.

Pour ce qui est des programmes, nous constatons que, dans les pénitenciers, le Service correctionnel du Canada offre de très bons programmes aux Autochtones. Malheureusement, bon nombre de ces programmes sont donnés dans des établissements pénitentiaires ouverts, alors que beaucoup d'Autochtones sont plutôt admis dans des établissements à sécurité maximale où, en général, les programmes sont très limités, notamment les programmes adaptés aux besoins des Autochtones. Je signale en passant que ces programmes sont exigés par la loi. Une disposition de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition précise que le Service correctionnel du Canada doit se doter de programmes qui sont façonnés pour répondre aux besoins des Autochtones.

Le sénateur Watt : Madame la présidente, puis-je poser encore une question?

La présidente : Vous le pouvez, mais soyez très bref.

Le sénateur Watt : Un phénomène très visible dans les communautés inuites est celui des récidivistes. Je vous fais part de ma propre évaluation, fondée sur ce que j'observe chez moi. Les personnes qui ont été exclues des collectivités ont subi une sorte de mutilation. Elles reviennent chez elles de temps à autre, mais pas pour très longtemps. On les met dedans à nouveau. Il n'y a donc pas moyen de réduire leur nombre.

Ce constat est effectivement comparable à ce que vous affirmiez sur l'augmentation du nombre de détenus. C'est également très facile à observer dans nos petites collectivités, parce que nous ne voyons pas d'amélioration. Nous sommes nombreux à nous demander si ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas réhabilités.

Qu'est-ce qui ne va pas avec le système pour que nous nous retrouvions, année après année, avec le problème de la récidive?

M. Sapers : Je n'ai pas de réponse très complète ni très satisfaisante à vous donner. Cependant, je pense qu'une partie de la réponse peut se trouver dans les résultats différentiels auxquels j'ai fait allusion. C'est le cas, plus précisément, d'un détenu maintenu en isolement dans un établissement à sécurité maximale, dont les déplacements, l'exposition à la collectivité et les occasions de bénéficier de certains programmes sont limitées. Ce détenu est très peu susceptible d'accéder à des traitements et à une intervention. En conséquence, même si le Service correctionnel du Canada a mis sur pied un excellent programme pour répondre à ses besoins particuliers — quels qu'ils soient — ce détenu n'aura probablement pas accès à ce programme.

Sa détention dure jusqu'à la date de libération d'office ou jusqu'à la date d'expiration du mandat. Il est donc libéré dans la collectivité, non seulement sans avoir profité d'une intervention correctionnelle, mais, aussi, en n'ayant presque pas d'aide ou de surveillance communautaires.

Le sénateur Watt : C'est exact.

M. Sapers : Le résultat est la récidive dont vous parliez.

Le sénateur Wallace : Nous avons entendu tous les témoins. J'ai l'impression que, pour nous tous, il semble si difficile de trouver le juste équilibre entre les différentes opinions que nous avons entendues. Certains témoins, et c'est compréhensible, ont parlé pour les accusés. D'autres, de la nécessité de services de réhabilitation.

D'autre part, il y a le besoin d'assurer la meilleure protection possible à notre société et aux citoyens. Il serait juste de dire que les parrains du projet de loi C-25 au ministère de la Justice du Canada estiment — bien que je soupçonne qu'il n'y ait pas unanimité sur ce point — que le projet de loi protégerait davantage le public, qu'il assurerait une plus grande transparence au prononcé de la peine, que cette étape serait plus facile à comprendre et que, en général, la primauté du droit serait plus évidente et plus efficace grâce au projet de loi. Je sais que vous n'êtes pas ici pour vous prononcer sur ce point, mais il y en a qui le croient.

Dans votre exposé, vous nous avez parlé de ce que seraient, d'après vous, les répercussions du projet de loi C-25. Elles se résumeraient essentiellement à une question de ressources : si la population carcérale sous responsabilité fédérale augmente, alors les ressources, déjà mises à rude épreuve, le seront encore davantage. Vous déduisez ensuite les difficultés pratiques accrues qui en découleraient.

Est-ce que ça signifie que nous devrions nous écarter des principes de la primauté du droit — les principes de justice qui s'appliquent à tous les citoyens — et les corrompre pour des motifs pécuniaires? Autrement dit, notre société privée de ressources devrait faire fi de ces principes, les abandonner.

Personnellement, je ne suis pas de cet avis. Si nous concluons que le projet de loi C-25 affirme la primauté du droit et améliore l'administration de la justice au pays, nous devrions nous lui donner suite.

Comment résoudre les problèmes que vous soulevez? C'est assez évident : il faut plus d'argent et plus de ressources. Je crois comprendre que le ministre de la Justice a prévu une enveloppe supplémentaire de 14 millions de dollars pour le Service correctionnel du Canada dans le budget de 2009 et que, au cours des trois prochaines années, cette enveloppe passera à 48 millions.

Je ne saurais dire si c'est suffisant. Il semble toutefois que le gouvernement adopte une stratégie intégrée à cet égard et qu'il reconnaît exactement les problèmes dont vous parlez. Je suis convaincu qu'il faudra plus de ressources à mesure que le temps passera.

Croyez-vous qu'on ne devrait pas faire de compromis aux dépens de ces principes de justice ou de la primauté du droit uniquement pour des raisons économiques?

M. Sapers : Merci beaucoup d'amener la discussion sur la question des principes. D'abord, je ne crois pas que ce soit principalement une discussion sur les ressources. Le Service correctionnel du Canada est un élément assez important de l'administration fédérale. Son budget se chiffre à plus de 2 milliards de dollars et le nombre de ses employés à 16 000. Il gère 58 établissements partout au pays. Cela dit, je crois qu'il pourrait disposer de plus de ressources.

Cependant, la discussion touche davantage les principes et ce que nous considérons comme étant la raison d'être d'un système correctionnel. L'équilibre entre les deux est véritablement une question de politique publique, ce qui n'est pas mon domaine; c'est le vôtre et celui des élus.

Depuis longtemps au Canada on discute de ce que devraient être l'objet du droit criminel et les pratiques correctionnelles. On a tenté de codifier le résultat de cette réflexion dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de rédiger cette loi en tenant compte des questions de droits de la personne au Canada et sur la scène internationale ainsi que de ses obligations à cet égard, sans oublier la Charte canadienne des droits et libertés.

Généralement, toute discussion sur les principes devrait porter sur le juste équilibre à instaurer entre les buts souvent perçus comme opposés de la justice criminelle.

La seule autorité sous laquelle se place l'intervention correctionnelle est l'autorité conférée par la loi, et toute érosion de cette autorité — toute érosion du droit — dégrade cette autorité et, j'oserais dire, rend l'intervention correctionnelle de moins en moins légitime.

Donc, pour répondre à votre question sur le projet de loi C-25 et sur un éventuel abandon de nos principes, je répondrai bien sûr par la négative. Cependant, nous devrions revoir les critères de véracité de ces principes du droit criminel et de la pratique, puis nous demander si les objectifs du projet de loi sont cohérents.

Le sénateur Wallace : Admettriez-vous que la transparence des dispositions du Code criminel est essentielle et que ces dispositions devraient être compréhensibles? Nous avons la responsabilité, à l'égard du grand public, de lui permettre de comprendre les fondements généraux de la détermination des peines. Je vous ferais remarquer que, actuellement, et notamment pour ce qui concerne la question du crédit du double au simple, on trouve de tout, sauf la transparence, et cela est incompréhensible. D'après moi, ça ne semble pas relié à quelque chose de précis. C'est devenu la norme que d'accorder, sans motif, le crédit du double au simple. Sur ce point, j'estime que le projet de loi C-25 augmente la transparence.

La présidente : Avez-vous une observation à faire à ce sujet, monsieur Sapers?

M. Sapers : J'aimerais bien, effectivement. Mon avocat général n'est peut-être pas du même avis. Je vais me déplacer pour ne plus recevoir ses appels du pied.

Sénateur, le calcul des peines est d'une complexité frustrante; pourtant, nous avons des spécialistes du domaine. On peut considérer cette complexité de deux façons : soit on essaye de démonter le processus pour en élucider les mécanismes, soit on s'incline devant sa complexité et on reconnaît qu'il ne sert à rien de tenter de l'expliquer en usant de moyens simplistes.

En fait, c'est très technique. J'imagine qu'il est préférable qu'il en soit ainsi, parce que nous parlons ici d'une liberté individuelle. Nous voulons que la loi soit précise à ce sujet. Si nous commençons à utiliser la loi pour entraver la liberté d'une personne, alors je dirais qu'il est préférable qu'elle soit aussi complexe que nécessaire, et c'est au système qu'il incombe de la rendre aussi simple à comprendre que possible. Il n'en demeure pas moins qu'au fond, il s'agit d'une question complexe.

Le sénateur Wallace : Elle nécessite clarté et précision, et le projet de loi C-25 devrait être évalué en fonction de ces critères, à mon avis.

La présidente : Votre temps est écoulé, mais ce sont des points intéressants; j'aimerais connaître l'opinion de M. Sapers à ce sujet, puis nous enchaînerons.

Le sénateur Wallace : J'ai terminé.

Le sénateur Nolin : Votre dernier geste visait-il à approuver ou non ce que mon collègue disait?

La présidente : Il a parlé de clarté et de précision.

M. Sapers : Sachez que je suis très en faveur de la clarté et de la précision. Je vais m'en tenir à cela.

Le sénateur Nolin : Je croyais avoir vu un geste ou un signe affirmatif.

Le sénateur Joyal : Je vais m'abstenir d'argumenter maintenant et je vais revenir à votre mémoire.

À la page 2, dernière phrase du deuxième paragraphe, vous écrivez :

L'augmentation de la population carcérale fédérale aura un effet sur la sûreté et la sécurité de cette population, ainsi que sur la capacité des détenus à profiter de programmes et de services qui les aideront à retourner dans la société en temps opportun et en toute sécurité.

Avez-vous évalué l'incidence du projet de loi C-25, s'il est adopté dans sa forme actuelle, sur le nombre de détenus qui se retrouveront dans le système correctionnel fédéral?

M. Sapers : Nous avons examiné certaines estimations qui prévoyaient une augmentation en fonction de divers scénarios. Je ne veux pas éviter votre question, mais je crois que vous devriez l'adresser au commissaire du Service correctionnel. C'est en nous fondant sur l'information reçue de ce service que nous en sommes arrivés à cette conclusion.

Le sénateur Joyal : D'autres témoins, de Statistique Canada entre autres, nous ont parlé d'une augmentation prévue de la population carcérale de 10 à 12 p. 100. À votre avis, s'agit-il d'une augmentation importante?

M. Sapers : Oui, en particulier si l'on tient compte de la répartition de ces 10 à 12 p. 100 de détenus. Le système fédéral est actuellement aux prises avec des engorgements. Les établissements à sécurité moyenne, là où la plupart des programmes sont offerts, sont surpeuplés. De plus, on constate de plus en plus de délais, de remises et de renonciations en ce qui a trait à la libération conditionnelle, en ce sens que la plupart des libérations découlent d'une libération d'office plutôt que d'un processus décisionnel de mise en liberté sous condition. Compte tenu d'où se trouvent les engorgements et la population carcérale, une augmentation de 10 ou de 12 p. 100 de la population serait très préoccupante, et nous croyons qu'elle ne ferait qu'empirer les choses.

Le sénateur Joyal : Dans votre mémoire, vous décrivez, comme l'a fait M. Zinger, les répercussions de ce projet de loi sur la population carcérale, mais vous n'en avez pas évalué les répercussions sur les détenus qui seraient libérés après avoir purgé leur peine en entier, parce qu'ils ne pouvaient pas profiter des programmes de réinsertion ni demander la libération conditionnelle. Comme vous le savez, tout cela forme une chaîne, et chaque maillon à une incidence sur l'extrémité de la chaîne. Davantage de détenus vont purger des peines plus longues et n'auront pas profité de programmes de réinsertion et de réhabilitation. Ils auront purgé leur peine en entier. Toutefois, lorsqu'ils quitteront la prison, ils ne seront pas de meilleurs citoyens. En fait, ils risquent davantage de récidiver.

M. Sapers : Oui.

Le sénateur Joyal : Si nous adoptons ce projet de loi dans sa forme actuelle, sans l'assortir de ressources adéquates, la sécurité publique risque de diminuer au lieu d'augmenter, comme l'a dit le ministre.

M. Sapers : Sénateur, c'est là le cœur de l'exposé que nous vous avons présenté, à vous et à vos collègues, cet après-midi. Les problèmes sont déjà nombreux dans le système avec le statu quo. Cette augmentation les rendra encore plus difficiles à résoudre. Nous sommes inquiets, car il y a de plus en plus de violence dans les institutions, et l'accès aux programmes est limité. C'est un mélange très dangereux.

Le sénateur Joyal : Il n'existe aucun lien direct entre les peines plus longues purgées par les détenus et la sécurité de nos rues, laquelle constitue l'objectif à atteindre pour le gouvernement. Il souhaite rendre les rues du Canada plus sécuritaires. C'est ce qu'il répète souvent. La population carcérale augmenterait sans que les détenus aient accès aux programmes de réhabilitation, d'orientation et d'aide qui les aideraient à reprendre une vie normale et à respecter les lois après leur libération. Autrement dit, le taux de récidive serait plus élevé et les rues moins sécuritaires si la population carcérale augmentait sans qu'on l'ait dotée d'un système adéquat de réhabilitation, n'est-ce pas?

M. Zinger : De toute évidence, les bons programmes peuvent réduire considérablement le taux de récidive. Nous recevons des centaines de plaintes à notre bureau de la part de détenus qui aimeraient suivre des programmes, mais qui ne le peuvent pas, parce qu'il y a une liste d'attente. Ils ne peuvent pas faire de progrès dans ce que l'on appelle leur plan correctionnel, qui les aide à retourner dans la société en temps opportun et en toute sécurité.

Pour ce qui est de purger des peines plus longues et de leur incidence sur la sécurité publique, je vous invite à consulter ce que l'on appelle une méta-analyse, soit une étude qui rassemble des dizaines et parfois même des centaines d'autres études et qui les quantifie. Une méta-analyse très importante a été réalisée par Paul Gendreau, de l'Université du Nouveau-Brunswick. En se fondant sur une série d'études, il a déterminé qu'augmenter la sévérité ou la durée de la peine a une incidence sur le taux de récidive, qui monte de 3 p. 100.

Cela peut sembler paradoxal pour bien des gens, qui pensent que le fait d'imposer aux délinquants des peines un peu plus longues aura une incidence positive sur la sécurité publique. C'est faux. La recherche est catégorique sur ce point. Je suis très heureux de mentionner cet excellent ouvrage de Paul Gendreau, qui est reconnu à l'échelle internationale pour son travail dans le domaine des services correctionnels.

La présidente : Nous aimerions que vous en fournissiez la référence à notre greffière, si possible.

M. Zinger : Bien sûr.

Le sénateur Joyal : Je vous remercie de cette information additionnelle. Il semble que nous allons devoir adopter une approche globale si nous voulons améliorer la sécurité et la confiance de la population dans le système. C'est en quelque sorte un cercle vicieux. Nous voulons que nos rues soient plus sécuritaires; nous mettons donc plus de gens en prison. Nous leur imposons des peines plus lourdes, et quand ils sont libérés, ils sont censés réintégrer la société sans problème — on leur a pardonné, et ils seront prêts à devenir de bons citoyens productifs.

Une partie de ce projet de loi aura une incidence particulière sur les peuples autochtones; nous savons que, par définition, les Autochtones ont moins de chances de reprendre un mode de vie productif que les autres Canadiens. À mon avis, nous aggravons un problème déjà critique, au point où notre objectif de rendre les rues plus sécuritaires serait totalement compromis par une approche qui ne tiendrait pas compte de la situation actuelle.

Comme vous l'avez dit, il est facile de dire que tous les coupables seront en prison et purgeront leur peine dans des conditions difficiles, et que lorsqu'ils seront libérés, ils devront bien se comporter — c'est une façon simpliste de comprendre le comportement humain dans les prisons et le processus de libération.

Ce projet de loi semble facile à comprendre et à accepter — un crédit d'un pour un ou encore d'un et demi pour un, quand les circonstances le justifient — mais en fait, si l'on tente de comprendre les répercussions potentielles de ce projet de loi sur le système, d'après ce que vous dites, il n'y a aucune garantie que cela fonctionne. Au contraire, selon vous, il va accroître l'insécurité des autres détenus parce qu'il y aura davantage de tensions dans les prisons. Quand ces détenus seront libérés, ils représenteront un risque plus grand pour la population canadienne.

Il est difficile de changer le système de manière satisfaisante; comme on l'a dit tout à l'heure, c'est une question d'équilibre. Chaque élément de l'équation doit être bien équilibré afin que nous ne perdions pas de vue l'incidence d'un seul changement sur le reste du système. Cela semble être le problème épineux que nous pose ce projet de loi.

M. Sapers : Oui. Je crois que c'est l'équilibre qu'il faut viser dans l'examen du projet de loi C-25. Ce n'est pas à moi de me prononcer sur l'aspect de la politique publique. Toutefois, j'approuve en grande partie votre analyse des diverses répercussions potentielles que le projet de loi aura sur divers groupes — par exemple, les personnes souffrant de troubles de santé mentale et les Autochtones. Il va accroître l'engorgement dans un système où il y en a déjà trop.

Le sénateur Baker : La question des détenus en détention provisoire est-elle de votre ressort?

M. Sapers : Non.

Le sénateur Baker : Votre domaine de compétence se limite aux personnes qui sont reconnues coupables d'une infraction et détenues dans une institution fédérale, n'est-ce pas?

M. Sapers : C'est exact.

Le sénateur Baker : Parmi les questions dont vous vous occupez — les plaintes que vous recevez, les problèmes systémiques dont vous avisez le gouvernement fédéral — y en a-t-il qui, d'une façon ou d'une autre, se rapportent à la détention provisoire?

M. Sapers : Pas directement. Nous ne traitons pas les plaintes des personnes placées en détention provisoire, et les questions provinciales ne relèvent pas de notre compétence.

Parfois, certaines décisions ou mesures prises par le personnel du Service correctionnel du Canada conduisent à la détention temporaire de personnes dans des centres de détention provisoire provinciaux. Dans de tels cas, il se peut que nous soyons concernés, mais nous ne voulons pas vous donner l'impression que nous avons comme mandat de nous occuper des détenus en détention provisoire.

Le sénateur Baker : Vous avez dit au comité — et à la Chambre des communes, je crois —, que vous craignez que ce projet de loi se traduise par une augmentation de la population carcérale que vous devrez gérer, n'est-ce pas? Voulez-vous que je lise ce que vous avez dit?

M. Sapers : Non. C'est exact. Encore une fois, notre témoignage d'aujourd'hui, tout comme le précédent, était axé sur ce point. Nous croyons, premièrement, que le projet de loi C-25 va entraîner une augmentation de la population carcérale dans les pénitenciers fédéraux. Deuxièmement, nous pensons que cette augmentation va avoir un impact disproportionné sur certains groupes, et que les problèmes actuels liés à la détention sécuritaire et à la réinsertion rapide vont s'aggraver.

La présidente : J'aimerais vous poser une question, monsieur Zinger. Je crois connaître la réponse, mais je n'en suis pas sûre, alors je vais vous poser la question.

Vous avez dit que de plus en plus de délinquants obtiennent leur liberté plus tard au cours de leur peine. Pourquoi?

M. Zinger : Toute une série de facteurs entrent en jeu, mais l'accès aux programmes en est sans doute la principale raison.

À titre de rappel, le plan correctionnel est conçu et mis en place par le SCC au cours d'un processus d'admission très élaboré, durant lequel le SCC désigne des éléments clés qui doivent être améliorés afin de diminuer les risques de récidive. Par exemple, si l'on demande à un détenu de suivre un programme de traitement de la toxicomanie ou de gestion de la colère et qu'il ne termine pas ce programme avant sa première date d'admissibilité à la libération conditionnelle, soit il devra renoncer à son audience de libération conditionnelle et tenter sa chance une fois que le programme sera terminé, soit il assistera à l'audience sans obtenir sa libération conditionnelle parce qu'il n'a pas fait assez de progrès et que la Commission nationale des libérations conditionnelles considère qu'il représente encore un risque inacceptable pour la société. La conséquence directe de ne pas avoir accès aux programmes en temps opportun, c'est que les détenus obtiennent leur liberté plus tard au cours de la peine.

La présidente : Est-ce ce à quoi vous faisiez allusion quand vous parliez des détenus qui purgent des peines plus longues avant de pouvoir faire une demande de libération conditionnelle?

M. Zinger : Oui.

La présidente : Il ne s'agissait pas d'une catégorie distincte, mais du même type de problèmes, n'est-ce pas?

M. Zinger : Oui.

La présidente : Merci.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous faire parvenir une copie de l'étude Gendreau dont vous nous avez parlé?

M. Zinger : Certainement. Je vais la faire numériser et l'envoyer à votre greffière.

La présidente : J'aimerais également que vous lui donniez la référence. Il est possible que nous puissions déjà avoir accès à cette étude grâce aux vastes ressources du Parlement.

M. Zinger : Je vais le faire à la première heure demain matin.

La présidente : Messieurs Sapers et Zinger, je vous remercie beaucoup. Vous nous avez fourni beaucoup de matière à réflexion. Nous vous en sommes reconnaissants.

Notre prochain témoin, qui va vraiment nous aider à comprendre comment tout cela fonctionne, est Don Head, commissaire du Service correctionnel du Canada. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur Head.

Don Head, commissaire, Service correctionnel du Canada : Bonsoir. Je suis heureux de me présenter devant vous pour répondre à vos questions concernant la réponse du Service correctionnel du Canada au projet de loi C-25.

Avant de commencer, permettez-moi de vous parler de mon expérience au sein du système de justice pénale. J'occupe le poste de commissaire du Service correctionnel du Canada depuis le 27 juin 2008. J'ai commencé ma carrière en tant qu'agent de correction, en 1978. Entre 2002 et 2008, j'ai exercé les fonctions de sous-commissaire principal du Service correctionnel du Canada.

J'ai également travaillé au sein des services correctionnels provinciaux et territoriaux, d'abord au Yukon, à titre de directeur du pénitencier territorial et de directeur intérimaire des Services communautaires et correctionnels, puis en Saskatchewan, à titre de sous-ministre adjoint responsable des Services de probation et des Services correctionnels au ministère des Services correctionnels et de la Sécurité publique de la province.

Grâce à l'expérience que j'ai acquise dans les systèmes correctionnels fédéral, provinciaux et territoriaux, je pense bien comprendre ce dont nous avons besoin pour répondre au projet de loi C-25. À titre de coprésident actuel du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial des responsables des services correctionnels, j'ai également participé à de nombreuses réunions et discussions sur les pressions de plus en plus fortes qui existent dans les établissements de détention préventive de tout le pays.

Lorsqu'on examine les effets que pourrait avoir le projet de loi C-25 sur le Service correctionnel du Canada, il est important de noter que même si davantage de délinquants risquent d'être condamnés à une peine de ressort fédéral et d'être placés sous la responsabilité du SCC, les délinquants touchés par les nouvelles dispositions seront pour la plupart des délinquants qui auraient de toute façon été condamnés à une peine de ressort fédéral, mais qui se verront imposer une peine plus longue, prolongeant ainsi la durée de leur séjour au sein du système correctionnel fédéral.

Pour faire face à l'augmentation du nombre de délinquants qui seront admis dans les pénitenciers fédéraux à la suite de l'adoption des nouvelles dispositions législatives, le SCC devra, à court terme, adopter des mesures telles que l'augmentation du recours à la double occupation des cellules et l'aménagement de nouvelles installations temporaires pour loger les délinquants. À long terme, le SCC devra cependant se doter d'installations plus permanentes en construisant, par exemple, de nouvelles unités ou de nouveaux établissements.

Il est également important de mentionner que le SCC devra consacrer davantage de ressources aux programmes de formation, aux interventions et aux programmes correctionnels, à la formation axée sur l'acquisition de compétences liées à l'emploi et à la surveillance dans la collectivité pour atteindre les résultats escomptés par la population canadienne en matière de sécurité publique. Même si le projet de loi amène de nouveaux défis, le SCC continuera, conformément à ce que prévoit son mandat, de gérer les peines des délinquants sous responsabilité fédérale et de s'efforcer d'atteindre les résultats auxquels les Canadiens s'attendent chaque jour en matière de sécurité publique.

J'ai essayé d'être bref afin d'avoir suffisamment de temps pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. En tant qu'ancienne rédactrice en chef, j'admire les gens qui font preuve de concision. C'est une qualité qui n'est pas donnée à tout le monde. Je parle autant pour moi-même que pour les autres.

Le sénateur Baker : Je suppose, monsieur Head, que vous en avez l'habitude; maintenant que vous êtes commissaire, rendez-vous encore des décisions concernant les griefs au troisième palier, comme auparavant?

M. Head : C'est la personne qui a pris en charge mes responsabilités, le sous-commissaire principal, qui s'en occupe. En cas de conflit entre ses décisions antérieures et les décisions qu'il doit rendre, j'interviens personnellement.

Le sénateur Baker : Je me demande combien de demandes de révision judiciaire concernant ces décisions seront présentées à l'avenir. Vous en avez reçu vous-même beaucoup.

M. Head : En effet.

Le sénateur Baker : Il s'agissait de décisions de la Cour fédérale.

M. Head : Oui.

Le sénateur Baker : Monsieur Head, j'ai deux questions simples. Je ne sais pas si vous souhaitez y répondre. L'augmentation du nombre de détenus dans les prisons du Canada va-t-elle inciter les prisonniers à utiliser les ressources d'aide juridique qui leur sont offertes pour contester leurs conditions? Vous avez mentionné que cela causerait un surpeuplement et vous avez parlé d'une « double occupation des cellules ».

M. Head : Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Comme pour la plupart des modifications à la loi, j'imagine qu'il y aura des contestations à un moment donné et que cela pourrait avoir un impact sur les ressources d'aide juridique partout au pays. Rien ne me permet de déterminer si le nombre de contestations augmenterait, diminuerait ou resterait le même.

Le sénateur Baker : Parlez-vous de l'assistance juridique que les prisonniers réclameraient?

M. Head : Exactement.

Le sénateur Baker : Nous allons entendre des témoins qui vont nous dire que les prisonniers en détention provisoire au Canada ne sont pas, en général, dans la même situation qu'il y a quelques années. Je ne sais pas si vous souhaitez vous prononcer là-dessus, mais j'aimerais que vous le fassiez. Autrement dit, ces témoins vont dire qu'une personne en détention provisoire est pratiquement dans la même situation et reçoit le même traitement qu'un détenu condamné. Selon vous, est-ce exact?

M. Head : Oui. Je peux vous le dire grâce à mon expérience sur le plan territorial et provincial et aux conversations auxquelles j'ai participé lors de rencontres avec les responsables des services correctionnels fédéral, provinciaux et territoriaux. Je vais revenir en arrière un instant — Statistique Canada pourra vous donner les chiffres exacts — et vous dire qu'à un moment donné, dans le système provincial, 30 p. 100 des détenus étaient en détention provisoire et 70 p. 100 purgeaient une peine dans un établissement correctionnel provincial. Au cours des 10 dernières années, ces chiffres se sont inversés : on dit le plus souvent qu'environ 70 p. 100 de la population carcérale provinciale — mais on parle de 60 p. 100 à certains endroits et de 50 p. 100 à d'autres — est en détention provisoire et 30 p. 100 purge une peine. La durée de la détention provisoire a augmenté dans le système provincial.

Il est difficile pour les provinces et les territoires de savoir ce qu'ils doivent faire des détenus qui restent en détention provisoire durant de longues périodes. À certains endroits, on en est venu à intégrer les délinquants en détention provisoire à la population de détenus condamnés. Selon l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, on doit séparer les détenus en détention provisoire des détenus condamnés, pour des raisons évidentes. Quelques provinces et territoires ont toutefois dû les réunir, simplement dans le but d'utiliser les lits disponibles et d'éviter la triple ou la quadruple occupation des cellules.

De plus, en raison du temps que certains délinquants passent en détention provisoire, les provinces ont envisagé de leur donner accès à quelques programmes. Dans certains cas, les détenus ont accès à un programme d'apprentissage; dans d'autres, ils peuvent commencer des programmes provinciaux, notamment pour traiter leur toxicomanie ou apprendre à gérer leur colère. Cela varie selon les provinces. Ce n'est pas la même chose partout. Certaines provinces possèdent encore des unités ou des établissements spécialisés de détention provisoire, où ils sont traités comme tels.

Au cours des dernières années, quelques provinces et territoires ont entrepris des travaux de rénovations pour tenter d'améliorer les établissements de détention provisoire. Au Canada, ces établissements étaient, pour la plupart, des endroits où les détenus ne passaient pas plus de sept jours. Il ne s'agissait pas nécessairement des milieux les plus esthétiques ou agréables. Pour les gens qui restent en détention provisoire durant des mois, voire des années, ce n'est pas un environnement favorable au respect des droits de la personne ou même à l'interaction entre les personnes.

Certaines choses ont changé, notamment les conditions de logement, mais pas dans tous les cas et parfois, on tente d'offrir des ressources aux délinquants. Comme je l'ai dit, à certains endroits, on a réuni les détenus en détention provisoire et les détenus condamnés dans le seul but de faire face à l'augmentation de la population carcérale.

Le sénateur Baker : Donc, on a fait quelques améliorations. Toutefois, comme vous le soulignez, rester en détention provisoire durant deux ou trois ans est certainement un facteur négatif dont on devrait tenir compte lors de la détermination de la peine. Autrement dit, vous dites que 70 p. 100 des prisonniers des centres de détention provinciaux n'ont pas encore été condamnés.

M. Head : En effet. C'est peut-être 60 ou 50 p. 100, mais c'est la majorité des délinquants, dans la plupart des systèmes provinciaux.

Le sénateur Baker : À 70 p. 100, c'est une augmentation phénoménale. Vous venez de dire qu'auparavant, c'était 30 p. 100; c'est un changement draconien. Vous avez beaucoup d'expérience dans ce domaine. À quoi attribuez-vous cette augmentation notable? Nous sommes ici en tant que législateurs. Nous savons que nous sommes en partie responsables de la situation, parce que nous avons créé les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve. Tous les jours, nous adoptons des projets de loi qui prévoient que les gens ne peuvent pas obtenir une libération sous caution à moins de prouver au juge qu'ils devraient être libérés. Nous sommes en partie responsables, mais certainement pas entièrement responsables de cette augmentation considérable.

M. Head : On mène constamment de nouvelles offensives pour combattre les divers crimes commis au pays, comme les crimes liés aux gangs de rue ou aux armes. La question des programmes de mise en liberté sous caution offerts dans les provinces est complexe. Je ne peux pas isoler un ou deux facteurs; c'est toute une série de facteurs qui a mené à ce changement.

Vous avez probablement parlé à des juges ou vous allez le faire, mais quand les juges déterminent s'ils doivent garder une personne en détention provisoire ou non, ils tiennent toujours compte de la sécurité publique, des installations et de choses de ce genre. Par conséquent, beaucoup de facteurs interviennent.

Le sénateur Baker : Monsieur Head, dans le système canadien, quand un détenu est admissible à la libération conditionnelle, la loi prévoit que le juge doit la lui accorder sauf s'il y a présence de trois éléments. Avec ce projet de loi, un quatrième élément vient compliquer les choses. Il y a un changement majeur. Vous dites que ce n'est pas uniquement parce que nous avons créé le fardeau inversé, mais également en raison du nombre accru d'infractions qui ont été inscrites dans le Code criminel.

M. Head : Exactement. C'est l'un des nombreux facteurs. Comme je l'ai dit, les pourcentages n'ont pas changé du jour au lendemain. Ils ont augmenté au fil des ans et maintenant, les provinces se retrouvent avec une majorité de détenus en détention provisoire.

Le sénateur Baker : Les griefs au troisième palier sont le dernier recours d'un prisonnier. Dans vos anciennes fonctions, vous rendiez ces décisions finales. Puis, bien entendu, la Cour fédérale procédait à la révision judiciaire. Lorsque vous occupiez ce poste, la question des personnes en détention provisoire était-elle de votre ressort?

M. Head : Non. Nous nous occupions des personnes en détention provisoire uniquement dans le cas où un délinquant sous responsabilité fédérale faisait face à des accusations additionnelles et se retrouvait en détention provisoire, mais il était alors détenu dans un établissement fédéral. Les vrais délinquants en détention provisoire sont sous la responsabilité des provinces et des territoires.

Le sénateur Wallace : Dans votre exposé, vous avez parlé des répercussions prévues du projet de loi C-25 sur le SCC. Vous dites que les délinquants touchés par les nouvelles dispositions seraient pour la plupart des délinquants qui auraient de toute façon été condamnés à une peine de ressort fédéral, mais se verraient imposer une peine plus longue, prolongeant ainsi la durée de leur séjour au sein du système correctionnel fédéral. Je me demande si c'est effectivement le cas. Leur imposerait-on vraiment une peine plus longue, ou bien le crédit accordé pour le temps purgé avant le prononcé de la peine serait-il simplement réduit? Selon moi, cela aurait comme effet non pas de réduire la peine imposée par le juge, mais plutôt de réduire le temps total qui devrait être purgé en lien avec cette peine. Est-ce exact?

M. Head : Oui. Je vais vous donner une brève explication afin de rendre les choses plus claires. Quand nous avons examiné les effets potentiels du projet de loi, nous nous sommes penchés sur deux catégories de délinquants; l'une comprend ceux à qui on impose actuellement des peines fédérales. Nous avons présumé qu'un grand nombre d'entre eux reçoivent actuellement un crédit de deux pour un, compte tenu de la façon dont leur peine est calculée à l'heure actuelle.

Ces dernières années, un nombre considérable de délinquants ont été condamnés à des peines de deux à trois ans, alors qu'auparavant, ils étaient plus souvent condamnés à des peines de quatre à six ans. Le problème du crédit pour détention provisoire s'est aggravé au fil du temps, et on impose des peines inférieures à davantage de délinquants, principalement parce qu'ils ont passé plus de temps en détention provisoire. Bref, nous présumons que les juges imposeront dorénavant à ces délinquants des peines plus longues, parce qu'ils ne leur accorderont plus un crédit de deux pour un, mais d'un pour un, ce qui signifie qu'ils déduiront moins de temps de leur peine initiale. Ce sera un changement considérable.

Dans l'autre catégorie, on trouve les délinquants à qui on impose actuellement une peine provinciale en fonction d'un ratio de deux pour un après toutes les déductions. Avec un ratio de crédit d'un pour un, on leur imposera maintenant une peine plus longue; elle sera supérieure à deux ans et les placera sous responsabilité fédérale.

Le sénateur Wallace : Très bien. Comme vous le dites, si le projet de loi C-25 est adopté, on pourrait accorder un crédit d'un pour un ou d'un et demi pour un.

M. Head : Oui, ce pourrait être un et demi pour un.

Le sénateur Baker : Ce pourrait être zéro.

Le sénateur Wallace : Oui, si le ratio est d'un pour un.

Dans votre conclusion, vous dites que même si le projet de loi amène des changements et de nouveaux défis pour votre service, vous croyez tout de même être en mesure de vous acquitter de votre mandat et d'atteindre les résultats auxquels les Canadiens s'attendent chaque jour en matière de sécurité publique.

Même en tenant compte des répercussions possibles du projet de loi C-25, vous pouvez fonctionner efficacement et fournir les services que les Canadiens réclament.

M. Head : Oui, sénateur. Nous croyons que si nous recevons les fonds qui y sont associés, pour offrir les programmes, les interventions et les ressources voulus aux délinquants, nous serons en mesure d'atteindre les résultats que nous obtenons actuellement en matière de sécurité publique.

Le sénateur Wallace : À votre avis, recevrez-vous un financement additionnel?

M. Head : C'est ce à quoi nous nous attendons.

Le sénateur Wallace : Par l'entremise du ministère de la Justice du Canada?

M. Head : Oui. Nous sommes en train de transformer nos hypothèses en calculs.

Le sénateur Wallace : Oui.

La présidente : Je crois que votre ministre a fait certaines annonces. Malheureusement, malgré nos efforts, nous n'avons pas réussi à le faire comparaître à ce comité. Pourriez-vous nous résumer brièvement ce qu'il a annoncé — aux fins du compte rendu — notamment en ce qui concerne le budget et les nouvelles prisons?

M. Head : Toutes ces questions suivent leur cours normal et nécessitent l'approbation du Cabinet et du Conseil du Trésor. À ce stade-ci, je ne suis pas en mesure de vous donner de chiffres. Nous avons présenté les hypothèses que nous avons utilisées pour évaluer le projet de loi. Nous croyons que les calculs appropriés nous permettront de recevoir le financement dont nous aurons besoin pour répondre aux besoins découlant de l'augmentation de la population.

Le sénateur Joyal : Nous avons entendu le témoignage de Mme Lynn Barr-Telford, de Statistique Canada. Elle est la directrice du Centre canadien de la statistique juridique. Dans son témoignage, en particulier dans le graphique 16 qu'elle nous a distribué, elle dit prévoir une augmentation moyenne de 11 p. 100 de la population carcérale si le projet de loi C-25 est adopté dans sa forme actuelle. Cette prévision correspond-elle à peu près aux calculs que vous avez effectués?

M. Head : Je ne sais pas quelles hypothèses Statistique Canada a utilisées pour arriver à ce chiffre. Nous avons pris les admissions dans le système au cours des dernières années; nous avons examiné le nombre de délinquants qui d'après nous, ont reçu un crédit de détention provisoire de deux pour un. Je ne sais pas sur quelles hypothèses s'est fondé Statistique Canada.

Le sénateur Joyal : Quelles sont vos hypothèses? Quelle est votre estimation de l'augmentation?

M. Head : À ce stade-ci, je ne peux pas vous dévoiler les chiffres, parce qu'il s'agit de documents confidentiels du Cabinet. Quant à nos hypothèses, nous avons examiné le nombre de délinquants qui purgeaient des peines de deux ou trois ans ainsi que l'admission des détenus au cours des dernières années pour calculer la moyenne. Nous avons établi des hypothèses en nous fondant sur le pourcentage important de délinquants qui recevaient un crédit de deux pour un et le fait que la majorité de ces délinquants recevraient probablement un crédit de détention provisoire d'un pour un, et nous en sommes arrivés à des chiffres de base.

Le sénateur Joyal : Cependant, nous ne pouvons pas obtenir ces chiffres?

M. Head : À l'heure actuelle, ils sont confidentiels, et je ne peux pas les divulguer.

Le sénateur Joyal : Je comprends votre position. Cependant, vous comprendrez également qu'on nous demande d'accepter un projet de loi, avec la conviction que sa mise en œuvre ne nuira pas au système, mais fera en sorte que les choses restent au moins comme elles sont actuellement, même si certains groupes de détenus se trouvent en piètre situation. Je parle ici des Autochtones. Si j'ai bien compris, vous avez travaillé pour les services correctionnels du Yukon et de la Saskatchewan, qui ont une forte population carcérale autochtone.

Il est difficile pour nous — et je le dis avec le plus de tact possible — d'accepter votre affirmation selon laquelle vous avez fait des calculs, mais que nous ne pouvons pas les consulter parce qu'il s'agit de documents confidentiels du Cabinet. Je crois que cela fait partie de notre rôle général que d'adopter une position de principe de même que de connaître les chiffres et l'impact financier réels de ce projet de loi, surtout si les calculs ont été faits. Si vous nous aviez dit que vous n'aviez pas effectué ces calculs, alors j'aurais compris que vous alliez le faire quand vous seriez confrontés au problème. Toutefois, il est assez clair que vous connaissez les répercussions potentielles de ce projet de loi.

On nous demande, en tant que législateurs, d'accepter ce projet de loi sans avoir tous les chiffres suffisants en mains et sans comprendre ses répercussions. Vous comprendrez qu'il est difficile pour nous de le faire, d'autant plus que l'enquêteur correctionnel et le directeur exécutif du Bureau de l'Enquêteur correctionnel nous ont décrit un système qui, c'est le moins qu'on puisse dire, n'est pas conçu de façon à tenir compte du nombre de détenus pouvant avoir accès aux programmes de réhabilitation qui les aideront à retourner dans la société en toute sécurité lorsqu'ils quitteront le Service correctionnel du Canada.

Nous avons un témoin qui affirme que si les fonds nécessaires ne sont pas investis, nous allons avoir davantage de problèmes. Nous nous attendions à ce que vous nous fournissiez des chiffres, car le témoin qui vous a précédé nous a dit que M. Head les avait. Or, vous avez les chiffres en main, mais vous ne pouvez pas les divulguer.

M. Head : Si les chiffres relevaient du domaine public, je vous en expliquerais volontiers la teneur. Toutefois, comme ils n'ont pas été rendus publics, je ne peux vous les donner. Je peux vous dire comment nous prévoyons répondre aux besoins des délinquants, ou encore vous parler des lacunes que l'enquêteur correctionnel a probablement relevées dans les programmes. Toutefois, étant donné que les chiffres ne relèvent pas du domaine public, je ne peux les dévoiler.

La présidente : Sénateur Joyal, le sénateur Baker souhaiterait poser une question supplémentaire.

Le sénateur Joyal : D'accord. Ce point me préoccupe. J'ai ici les tableaux, y compris le tableau 16, que nous a remis Mme Barr-Telford. Nous avons cherché à connaître de manière précise l'impact qu'aurait le projet de loi sur les délinquants actuellement sous responsabilité provinciale qui seront transférés dans le système carcéral fédéral, et les délinquants du ressort fédéral qui vont devoir purger des peines plus longues. Vous nous dites que vous avez étudié la question, que vous connaissez le système, que vous avez une idée des problèmes qui vont se poser et des solutions que vous allez y apporter. On nous a cité un chiffre qui se situe entre 10 et 12 p. 100. Ce n'est pas moi qui ai fait ce calcul, mais les experts auxquels le président et le comité de direction ont fait appel pour nous aider à comprendre le contenu du projet de loi.

Vous dites ne pas pouvoir répondre à la question. Je tiens à préciser que ce sont les autres témoins qui nous ont demandé de vous la poser. Or, vous vous présentez devant nous, et il nous est impossible d'obtenir une réponse. D'après les témoins que nous avons entendus, le projet de loi va avoir un impact majeur sur le système, car il n'y a pas suffisamment de fonds pour fournir des services adéquats, assurer la sécurité des Canadiens et remettre en liberté les délinquants qui ont le plus de chances de se réadapter, une fois leur peine purgée.

M. Head : Encore une fois, sénateur, si je pouvais vous fournir ces chiffres, je le ferais. C'est certain.

De manière générale, il est vrai que le nombre de délinquants va augmenter de façon notable. Nous allons devoir nous doter de nouvelles installations permanentes, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire. Nous allons également avoir besoin de fonds pour offrir davantage de programmes de formation, de programmes correctionnels, de programmes axés sur l'acquisition de compétences liées à l'emploi et aussi pour accroître la surveillance dans la collectivité.

La question qui revient sans cesse est la suivante : peut-on qualifier cette augmentation d'importante? La réponse est oui. Il faudra investir davantage et dans l'hébergement et dans les programmes.

Je tiens à ajouter, sénateur, que j'aurais inclus ces chiffres dans ma déclaration liminaire si j'avais pu le faire.

La présidente : Sénateur Joyal, en raison de votre intervention, il y a maintenant une longue liste de personnes qui souhaitent poser des questions supplémentaires.

Le sénateur Joyal : Cela fait partie du débat. Je pensais que nous aurions, en bout de ligne, une meilleure idée l'incidence du projet de loi.

La présidente : Nous l'espérions tous.

Le sénateur Baker : Il est vrai que le secret ministériel est un principe bien établi que l'on invoque pour éviter de divulguer certains renseignements. Or, madame la présidente, je me demande si je peux poser les questions suivantes au témoin : d'abord, n'est-il pas vrai que le Service correctionnel du Canada se fonde sur les données de Statistique Canada pour établir ses chiffres? Ensuite, à son avis, est-ce que les données de Statistique Canada sont fiables?

La présidente : Vous venez de le faire, sénateur Baker.

Monsieur Head, souhaitez-vous répondre?

M. Head : Comme je l'ai déjà mentionné, les chiffres que nous avons utilisés se fondent sur le nombre de délinquants qui, selon les taux d'admission, purgent des peines de deux à trois ans. Ces données ne proviennent pas de Statistiques Canada, mais de nos propres systèmes.

Le sénateur Baker : Et vous communiquez cette information à Statistique Canada quand il vous en fait la demande?

M. Head : Ils s'en servent pour produire leurs rapports annuels.

Le sénateur Baker : En effet. C'est ce qu'a laissé entendre le témoin. Ils se sont appuyés là-dessus pour arriver à ces chiffres. Vous n'iriez pas jusqu'à dire que les données de Statistique Canada sont peu fiables, n'est-ce pas?

M. Head : Non, absolument pas.

Le sénateur Baker : Vous ne le feriez pas, bien sûr. Comme ils ont suivi la même démarche, nous pouvons déduire, madame la présidente, que le 11 p. 100, est exact.

La présidente : Pour être juste envers Mme Barr-Telford, elle a insisté pour dire qu'il s'agissait uniquement d'une projection, d'une estimation. Elle n'est pas la seule, en passant, à avoir fourni un tel pourcentage. Il ne s'agissait pas d'un chiffre précis, mais d'une projection fondée, entre autres, sur les renseignements actuellement disponibles. Encore une fois, elle n'est pas la seule à avoir fourni un chiffre comparable.

Le sénateur Baker : Quoi qu'il en soit, il va falloir prendre une décision, car, comme le précise l'article 115 du Code criminel, il faut répondre aux questions posées dans le cadre d'une procédure judiciaire, et tout refus de le faire doit être motivé.

La présidente : Je crois que la raison donnée par M. Head est acceptable, bien qu'il connaisse la réponse à la question. Il est vraiment regrettable que le ministre n'ait pas pu comparaître devant le comité.

Le sénateur Wallace : En effet. Nous avons devons nous M. Head, qui est responsable du Service correctionnel du Canada et qui connaît manifestement bien le fonctionnement de celui-ci.

Je présume que vous avez procédé à une analyse approfondie des effets du projet de loi C-25, que vous n'avez pas pris cette tâche à la légère. Vous avez dit que vous croyez pouvoir répondre aux exigences des Canadiens si le projet de loi C-25 est adopté. Vous êtes sûr de pouvoir le faire.

Je trouve déroutant que l'on puisse laisser entendre que votre témoignage ne sera pas pris en compte parce que nous n'avons pas tous les chiffres en main. Je doute sérieusement que quelqu'un, ici, puisse effectuer une analyse financière aussi détaillée que celle que vous avez réalisée.

On nous a expliqué les répercussions que l'adoption du projet de loi C-25 pourrait avoir sur le SCC. Encore une fois, croyez-vous être en mesure de fournir des services correctionnels adéquats si le projet de loi C-25 est mis en œuvre, d'avoir accès aux ressources nécessaires pour le faire? Avez-vous bien réfléchi à tous les arguments invoqués devant nous aujourd'hui?

M. Head : Franchement, oui. Nous avons mené une étude très détaillée de l'impact du projet de loi en nous appuyant sur une série d'hypothèses. Pour être honnête avec vous, il n'existe pas de données sur lesquelles fonder certaines des hypothèses qui ont été émises. Pour y arriver, il faudrait passer en revue le dossier de 50 000 délinquants de toutes les régions du pays. Nous avons, à partir de postulats bien définis, établi des plans concernant les installations et, tout aussi important, les programmes qui seront jugés nécessaires pour répondre aux besoins des délinquants.

Comme je l'ai indiqué, nous aurons des défis à relever à court terme. Les installations ne peuvent être construites en 24 heures. Donc, nous aurons des défis à court terme, mais à long terme, je suis convaincu que nous aurons accès aux ressources nécessaires pour répondre aux besoins et, encore une fois, obtenir le genre de résultats que nous connaissons déjà.

Le sénateur Wallace : Je présume que les programmes que vous allez offrir auront pour objet de favoriser la réadaptation de ceux qui sont incarcérés?

M. Head : C'est exact. Je tiens à signaler, sénateur, que le Service correctionnel du Canada s'attarde à régler certains des problèmes relevés par l'enquêteur correctionnel touchant l'accès aux programmes au sein du système. Nous sommes en train de revoir toute notre démarche pour que les délinquants puissent entamer les programmes beaucoup plus tôt, par exemple, dès qu'ils sont admis dans un établissement, et avoir l'occasion, à tout le moins, de présenter une demande à la commission des libérations conditionnelles bien avant leur date de libération d'office.

Que le projet de loi C-25 soit adopté ou non, nous sommes en train d'apporter des changements au système pour que les délinquants aient accès aux programmes plus rapidement afin d'éviter qu'ils ne soient remis en liberté plus tard au cours de leur peine. S'ils participent aux programmes plus tôt et qu'ils retrouvent graduellement leur liberté au sein de la collectivité, il sera plus facile pour nous de fournir aux Canadiens les résultats en matière de sécurité publique qu'ils attendent de nous.

Le sénateur Wallace : Je trouve vos propos fort encourageants.

Le sénateur Nolin : Les questions posées par les sénateurs Baker et Wallace m'ont permis d'obtenir la réponse que je recherchais. Ainsi, les calculs ou les chiffres fournis par Statistique Canada ne diffèrent pas tellement des vôtres?

M. Head : Encore une fois, je ne connais pas les hypothèses sur lesquelles Statistique Canada s'est fondé. Leurs chiffres correspondaient à ceux fournis par notre système et de celui de la province. Je peux simplement présumer qu'ils ont eu recours aux mêmes hypothèses que nous. Cependant, je ne connais pas la teneur de celles qu'ils ont retenues.

Le sénateur Nolin : Nous devons respecter le fait que les documents du cabinet sont confidentiels.

La présidente : M. Head est tenu de respecter cette règle.

Le sénateur Nolin : Nous devons accepter son témoignage en nous appuyant sur ce principe.

Le sénateur Joyal : J'aimerais vous expliquer, monsieur Head, ce que les témoins nous ont dit, en français, avant que vous n'arriviez ici, ce soir. Le problème actuel concernant les programmes en est un d'accès. Le SCC ne consacre que 2 p. 100 de son budget annuel aux programmes. Pour l'instant, les délinquants doivent composer avec de longues listes d'attente, l'annulation de programmes à cause d'un financement insuffisant ou de la pénurie d'intervenants qualifiés, des libérations conditionnelles reportées en raison de retards dans la prestation de programmes, ce qui signifie que les délinquants mettent plus de temps à réaliser leur plan correctionnel, et des périodes d'incarcération plus longues avant d'être considérés pour la libération conditionnelle. La situation devient critique puisque de plus en plus de délinquants sont mis en liberté plus tard au cours de la peine et, trop souvent, sans avoir suivi les programmes et les traitements nécessaires pour augmenter leurs chances de réussite dans la collectivité.

C'est ce que nous a dit M. Zinger, directeur exécutif et avocat général auprès du Bureau de l'enquêteur correctionnel.

Or, vous nous dites que tout va bien et nous sommes censés vous croire après avoir entendu son témoignage et ceux de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et de La Société John Howard du Canada, qui travaillent dans ce domaine, c'est-à-dire sur le terrain.

Je veux vous croire. Je sais que vous êtes une personne honnête, que vous vous êtes attaché à bien servir les Canadiens au cours de votre carrière. Toutefois, vous comprendrez qu'à la suite de ce que nous a dit l'enquêteur, j'éprouve quelques doutes au sujet de la mise en œuvre de ce projet de loi, vu les problèmes qui existent dans les prisons canadiennes au chapitre de la prestation des programmes.

M. Head : Permettez-moi de vous rassurer. Je ne veux vous donner, ni à vous ni aux autres sénateurs, l'impression que la tâche que nous sommes sur le point d'entreprendre est simple. Loin de là. Le projet de loi, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire, amène des défis. Nous sommes déjà confrontés à certains d'entre eux.

Vous avez qualifié la situation de critique. Je ne crois pas que ce terme s'applique aux programmes correctionnels que nous offrons. Il est vrai que nous éprouvons quelques problèmes pour ce qui est d'offrir des programmes à tous les délinquants en temps opportun. Nous continuons d'atteindre, depuis quelques années, les résultats auxquels nous nous attendons en matière de sécurité publique, de sorte qu'il n'y a aucun changement notable de ce côté-là.

Comme je l'ai indiqué, nous comptons apporter quelques modifications à la prestation des programmes. Quelqu'un a mentionné le chiffre 2 p. 100, et c'est à peu près cela pour ce qui est des programmes correctionnels. Nous consacrons environ 56 millions de dollars aux programmes d'intervention, 20 millions de dollars aux programmes de formation, et 47 millions de dollars à la formation axée sur l'acquisition de compétences liées à l'emploi et améliorant l'employabilité. Donc, nous consacrons 130 millions de dollars aux interventions sur un budget de 2,2 à 2,3 milliards de dollars.

Nous investissons également dans la santé mentale. Nous avons reçu, au cours des dernières années, des fonds que nous avons consacrés à notre initiative sur la santé mentale — environ 29 millions de dollars sur cinq ans. Nous avons reçu un montant additionnel de 16 millions de dollars pour les initiatives sur la santé mentale mises sur pied au sein des établissements.

Les fonds consacrés à la prestation de programmes ont beaucoup augmenté au cours des dernières années. Nous allons recevoir, par suite du processus d'examen stratégique, une somme additionnelle de 44 millions de dollars, dont une bonne partie servira à mettre sur pied des programmes de prévention de la violence; à adopter des mesures visant à revoir et à raccourcir le processus d'évaluation initiale pour que les délinquants puissent entamer leurs programmes plus rapidement; à établir des programmes de suivi dans la collectivité pour les délinquants placés sous notre surveillance au sein de la collectivité et des programmes destinés aux Autochtones. Nous prévoyons par ailleurs augmenter le budget consacré à ce que nous appelons les « sentiers autochtones », qui sont des environnements propres aux délinquants autochtones qui souhaitent suivre un cheminement adapté à leur culture.

Je n'utiliserais pas le mot critique pour décrire les problèmes auxquels est confronté le système. Y a-t-il des défis à relever? Oui. Il n'y a aucun doute là-dessus.

Nous savons que les délinquants ne participent pas aux programmes aussi vite que nous le souhaiterions. Nous devons nous attaquer à ce problème. Comme je l'ai mentionné plus tôt au sénateur Wallace, nous sommes en train de passer en revue les programmes correctionnels dans le but de permettre aux délinquants d'avoir accès aux programmes dès leur arrivée à l'unité d'évaluation initiale. Ils pourront obtenir les renseignements dont ils ont besoin sur les programmes de traitement de la toxicomanie, les programmes de prévention de la violence et les programmes de maîtrise de la colère. Une fois qu'ils seront placés en permanence dans un établissement, ils pourront participer aux programmes sans délai, et non pas attendre comme ils le font maintenant.

Il y aura des défis à relever. Un délinquant doit attendre 150 jours avant de participer à son premier programme. Est-ce que la situation est critique? Ce n'est pas le terme que j'utiliserais. Nous avons de sérieux défis à relever et nous y travaillons. Nous avons reçu de l'argent du gouvernement pour entreprendre les changements jugés nécessaires à l'ensemble des programmes que nous offrons.

Nous avons passé beaucoup de temps, au cours de la dernière année, à trouver des moyens d'améliorer les compétences liées à l'employabilité des délinquants. En plus de nous attaquer aux facteurs « criminogènes » qui les ont menés dans le système — des problèmes de toxicomanie, de maîtrise de la colère —, nous devons nous assurer qu'ils possèdent les compétences voulues pour trouver un emploi, agir en tant que citoyen respectueux de la loi, et gagner un revenu qui leur permettra de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

Nous investissons pour favoriser la mise en œuvre de nouveaux projets pilotes qui permettront aux contrevenants de tirer profit des emplois disponibles à leur libération.

Le sénateur Watt : On nous a abondamment signalé que l'accès aux programmes était lacunaire. Vous avez évoqué que de nouveaux crédits seraient accordés dans le cadre du projet de loi C-25. Ces crédits donneront-ils aux Autochtones un meilleur accès aux programmes?

M. Head : Tout à fait, sénateur. Nous voulons notamment que de meilleurs débouchés soient offerts aux contrevenants issus des Premières nations et des collectivités métisses et inuites. C'est ce groupe de délinquants que nous avons probablement le plus de difficultés à intégrer aux programmes.

Nous offrons deux genres de programmes aux contrevenants autochtones : les programmes offerts habituellement aux contrevenants non autochtones et ceux adaptés aux différences culturelles des Autochtones.

Nous avons commencé à étendre la portée de ces programmes au cours des dernières années. À compter de cette année, nous recevrons de nouveaux crédits qui seront augmentés au cours des prochaines années, pour que nous puissions accroître le nombre de programmes destinés aux Autochtones, qui auront notamment accès au Programme de prévention de la toxicomanie et au Programme de prévention de la violence pour lesquels nous aurons recours aux aînés et à l'enseignement adapté aux différences culturelles.

Nous recevons, je le répète, des crédits pour améliorer les sentiers autochtones et en augmenter le nombre. Ces sentiers permettent aux Autochtones incarcérés dans nos établissements de choisir un programme de réadaptation davantage axé sur leurs valeurs traditionnelles ou culturelles.

Les contrevenants autochtones nécessitent davantage de notre part que les délinquants non autochtones. Cependant, je le répète, nous avons reçu à cette fin des crédits au cours des dernières années et nous en obtiendrons davantage au cours des prochaines années.

Le sénateur Watt : J'imagine que ces crédits proviendront du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien?

M. Head : Non, ces montants ont été affectés à Service correctionnel Canada dans le cadre du Budget 2008, du Budget 2009 et des fonds de réinvestissement stratégique.

Le sénateur Watt : Pouvez-vous me dire le montant approximatif dont il s'agit?

M. Head : Je pourrai vous donner ce renseignement, mais comme je ne le sais pas par cœur, je le transmettrai à la greffière.

Le sénateur Watt : Vous pourrez nous fournir ce renseignement, n'est-ce pas?

M. Head : Tout à fait.

Le sénateur Watt : Combien de contrevenants autochtones ont-ils accès aux programmes avant leur libération?

M. Head : Le montant exact n'est pas aussi élevé que nous le souhaitons. J'ignore quel est le taux de participation.

Le sénateur Watt : On tient cependant des statistiques à cet égard.

M. Head : Effectivement. Je pourrai transmettre à la greffière les taux de participation des contrevenants autochtones et des contrevenants non autochtones.

Le président : Voici la première question que je me pose : Service correctionnel Canada a-t-il pour politique d'avoir un seul détenu par cellule dans ses établissements?

M. Head : C'est ce que nous souhaitons effectivement.

Le président : Quelle est la proportion de détenus qui ne sont pas seuls dans leur cellule?

M. Head : À l'heure actuelle, il s'établit à 9,7 p. 100, soit environ 10 p. 100 si nous arrondissons.

Le président : D'après votre témoignage, ce taux serait susceptible d'augmenter.

M. Head : Il devrait effectivement augmenter à la suite de l'adoption du projet de loi C-25.

Le président : Dans votre témoignage, vous avez également indiqué que, à court terme, vous aurez besoin d'installations supplémentaires temporaires pour accueillir de nouveaux détenus. Qu'entendez-vous par installations temporaires? S'agit-il de roulottes?

M. Head : Il pourrait s'agir parfois de roulottes pour nos établissements de sécurité minimale. À nos établissements de sécurité même minimale, nous pouvons construire les installations en bois beaucoup plus rapidement que les bâtiments en béton avec des barreaux. Nous pouvons le faire d'une façon accélérée.

Le président : Vous ne pouvez pas nous donner le nombre supplémentaire de cellules se prêtant à la double occupation et d'installations temporaires dont vous auriez besoin à court terme?

M. Head : Lorsque nous parlons du court terme, il s'agit de deux à trois ans.

Le président : Vous avez ajouté que, à long terme, vous vouliez construire plus d'installations permanentes. Qu'entendez-vous par le long terme?

Le sénateur Joyal : Ce qui vient après le court terme.

Le président : Non, c'est le moyen terme.

M. Head : Toutes choses étant égales et une fois le projet de loi adopté, nous envisagerions la solution à long terme peu de temps après cette adoption, car il faudrait construire des installations, ce qui nécessiterait de deux à trois ans. D'après nous, la solution à long terme pourrait être mise en œuvre dans un délai d'à peu près trois ans.

Le président : En ce qui concerne le budget, présumons, pour les besoins de la discussion, que la population carcérale augmentera de 10 p. 100. Pour offrir le même niveau de services, faudrait-il une augmentation correspondante de 10 p. 100 du budget, ou des économies d'échelle seraient-elles possibles, notamment grâce au recours accru aux programmes informatiques. Pouvez-vous nous donner des précisions à cet égard?

M. Head : Que ce soit 10 p. 100 ou un autre pourcentage, nous envisagerions la possibilité de réaliser des économies d'échelle, ce qui se produit habituellement lorsque nous modifions l'aménagement des établissements. Nous ne pourrions guère y parvenir en multipliant simplement le nombre de nos établissements. Cependant, au fur et à mesure que nous mettrions en œuvre les solutions à long terme sur le plan notamment des installations, nous pourrions réaliser des économies d'échelle en fonction de ce que nous permettrait l'aménagement de nos établissements. Nous pourrions en l'occurrence affecter différemment notre personnel.

Le président : À combien se chiffre la construction d'un nouvel établissement?

M. Head : Je pourrais vous donner ce renseignement précis ultérieurement. À titre d'exemple, la construction d'un établissement à sécurité moyenne pouvant accueillir environ 100 détenus nous coûte environ 20 millions de dollars. Dans le cas d'un établissement à sécurité minimale, le coût est d'environ 10 millions de dollars, et j'imagine qu'il passerait à 70 à 80 millions de dollars s'il s'agissait d'un établissement à sécurité maximale. Je vous donnerai ce renseignement ultérieurement.

Le président : Ce sont là les ordres de grandeur dont nous pouvons tenir compte.

M. Head : Tout à fait.

Le sénateur Wallace : Monsieur Head, je possède certaines données dont je voudrais vous faire part pour que vous puissiez me confirmer si elles sont exactes. Le budget de Service correctionnel Canada a été augmenté de 14 millions de dollars en 2009 par rapport à celui de l'exercice précédent, et son budget serait accru d'un montant supplémentaire de 48 millions de dollars au cours des trois prochaines années.

M. Head : En ce qui concerne ne le fonds de réinvestissement stratégique dont j'ai parlé, il s'agirait effectivement d'un délai de quatre ans. Pour l'exercice en cours, nous avons obtenu un montant supplémentaire de 14 millions de dollars, ce qui donne une augmentation permanente de 44 millions de dollars.

Le sénateur Wallace : Les montants supplémentaires que vous ne pouvez pas dévoiler parce qu'il s'agit d'un secret du Cabinet et dont vous auriez besoin dans la foulée du projet de loi C-25 ne feraient pas partie des chiffres que nous venons d'évoquer, n'est-ce pas?

M. Head : Effectivement.

Le sénateur Wallace : Ils ne feraient pas partie des chiffres que vous venez de donner.

M. Head : Non. Ces montants seront reportés en fonction de la population carcérale et des activités que nous aurons entreprises. Toute somme supplémentaire découlant du projet de loi C-25 viendrait s'y ajouter.

Le sénateur Wallace : Il semblerait que votre service correctionnel soit bien financé. En fin de compte, il s'agirait apparemment d'une augmentation importante.

M. Head : Il s'agit effectivement d'une augmentation sans précédent, dans le domaine correctionnel.

Le sénateur Wallace : Sans précédent?

M. Head : Effectivement.

Le président : À combien se chiffre votre budget de base?

M. Head : À 2,3 milliards.

Le président : Par conséquent, 40 millions de dollars sur 2,3 milliards, cela équivaudrait à une hausse de 2 p. 100, n'est-ce pas?

M. Head : Environ 2 p. 100, effectivement.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma dernière question sur la surpopulation carcérale. Le témoin précédent, M. Sapers, du Bureau de l'Enquêteur correctionnel, nous a livré un témoignage inquiétant à propos de la surpopulation carcérale. Je veux vous citer les statistiques dont il nous a fait part et qu'il avait en mains :

[...] la surpopulation pénitentiaire peut faire croître les tensions et la violence, et mettre en danger la sécurité du personnel, des détenus et des visiteurs. Comme je l'ai mentionné dans mon dernier rapport annuel 2008-2009, le degré actuel de tension et de violence dans les pénitenciers canadiens est déjà considérablement élevé. Par exemple, dans le premier trimestre de l'exercice 2009-2010 —

Le premier trimestre, c'est trios mois.

— données les plus récentes —, le Service correctionnel a recensé un nombre impressionnant de 2 231 incidents de sécurité ainsi que 577 blessures physiques déclarées chez les détenus. Au cours de cette période de trois mois, les incidents de sécurité incluaient des agressions contre des détenus, des problèmes disciplinaires, des combats entre détenus, des urgences médicales, des blessures auto-infligées ainsi que trois décès.

Cela est survenu en trois mois. Si vous multipliez ces chiffres par quatre, vous obtenez le résultat pour une année. Vous comprendrez que la surpopulation carcérale semble entraîner de graves conséquences sur la vie des détenus et des visiteurs ainsi que sur le genre de personnes qui sont libérées une qu'elles ont purgé une très longue peine.

J'aimerais comprendre ce que vous nous dites. Selon vous, la période temporaire serait de deux à trios ans. En fait, ces statistiques vaudraient encore pour une période supplémentaire de deux à trois ans, étant donné les effets qu'entraînerait l'augmentation du nombre de nouveaux détenus sur les personnes déjà incarcérées.

Autrement dit, la surpopulation carcérale, selon vous, s'exacerbera au cours des deux à trois prochaines années à mesure que le nombre de détenus augmentera. Vous comprendrez alors que nous devons absolument en tenir compte au moment où l'on nous demande d'adopter le projet de loi C-25 dans sa version actuelle.

M. Head : Vous pouvez comprendre, je pense, que ce sont là les problèmes qui me préoccupent quotidiennement. C'est mon personnel qui doit intervenir auprès de ces détenus pour essayer de prévenir de telles situations. Nous ne restons pas là à nous croiser les bras et à accepter de telles statistiques. Nous déployons des efforts pour nous attaquer aux causes de ces situations.

Ce qui cause notamment cette violence, ce sont la consommation et le commerce de la drogue dans nos établissements. Nous avons reçu beaucoup de fonds pour nous attaquer à ce problème, ce qui nous a permis notamment d'augmenter le nombre d'équipes de maîtres-chiens ainsi que d'acquérir la technologie et d'embaucher le personnel de surveillance du périmètre pour prévenir le problème des « colis volants », ces colis de drogue projetés par-dessus les murs et les clôtures des cours des établissements à l'intention des détenus. La drogue est à l'origine de ces problèmes de violence, auxquels nous nous attaquons.

Le problème des gangs dans nos établissements est également préoccupant. La lutte fructueuse contre les gangs de rue a fait augmenter la population carcérale des établissements provinciaux et fédéraux. Nous déployons les efforts nécessaires à cet égard. Nous nous penchons notamment sur la multiplication des problèmes liés aux gangs autochtones dans les Prairies. C'est un problème important dans les collectivités et pénitenciers de l'Ouest.

Au cours des trois prochaines années, nous ne resterons pas les bras croisés devant cet état de fait. Nous déployons les efforts nécessaires pour nous attaquer aux causes de ces incidents de sécurité et, plus précisément, de la violence à l'encontre des détenus.

Le sénateur Joyal : Quel est le coût quotidien d'un prisonnier fédéral?

M. Head : Un détenu coûte environ 84 000 $ par année, ce qui comprend la surveillance à la fois dans les établissements et dans la collectivité. Si je me souviens bien, le coût moyen de la surveillance dans l'établissement s'établit à 101 000 $ et celui de la surveillance dans la collectivité atteint 23 000 ou 24 000 $.

Le sénateur Joyal : Combien y a-t-il de détenus dans les établissements fédéraux à l'heure actuelle?

M. Head : Un peu plus de 13 000 détenus sont incarcérés et environ 8 800 sont assujettis à un programme de surveillance dans la collectivité.

Le sénateur Joyal : Si nous effectuons le calcul en nous fondant sur ce nombre de détenus, sur les coûts quotidien et annuel d'un prisonnier ainsi que sur l'augmentation moyenne de 10 ou 12 p. 100, nous pourrions déterminer quel serait le coût du projet de loi dans un tel contexte, n'est-ce pas?

M. Head : Rien ne cloche dans votre logique mathématique, sénateur. J'ignore cependant quel serait le coût du projet de loi.

Le président : La dernière question sera posée par le sénateur Watt. Mais auparavant, je voudrais signaler à mes collègues et, en fait, à toutes les personnes présentes que je convoquerai une séance à huis clos d'au plus deux minutes, à la fin de la présente séance publique. Cette séance est relativement importante pour nous.

Le sénateur Watt : Merci. Je voudrais poser une dernière question pour obtenir une précision.

Il semble qu'un grand nombre d'autochtones se retrouvent dans les établissements à sécurité maximale.

M. Head : Grosso modo, c'est effectivement le cas. En moyenne, il y a davantage de détenus autochtones que de détenus non autochtones dans les pénitenciers, à l'exception des établissements à sécurité maximale.

Le sénateur Watt : Des crédits ont-ils été affectés pour faciliter l'accès des détenus autochtones aux programmes que vous avez évoqués?

M. Head : Oui. Nous cherchons à mettre en œuvre les programmes autochtones dans les établissements à sécurité maximale. Par exemple, à l'établissement de Kent d'Agassiz en Colombie-Britannique, nous avons constitué un sentier autochtone pour satisfaire aux besoins des détenus autochtones. Nous affectons donc des fonds dans les établissements à sécurité maximale également.

Le sénateur Watt : Voilà qui est intéressant.

Le président : Merci infiniment, monsieur Head. La situation a été légèrement frustrante pour vous comme pour nous, mais vous nous avez donné tout de même beaucoup de renseignements. Nous vous en sommes reconnaissants et nous vous remercions de votre présence aujourd'hui.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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