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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 17 - Témoignages du 28 octobre 2009


OTTAWA, le mercredi 28 octobre 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 3, pour étudier le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Traduction]

Nous poursuivons l'étude du projet de loi C-15, la Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Aujourd'hui, grâce à la magie de la vidéoconférence, nous sommes heureux d'accueillir avec nous de Washington, Mme Mary Price, vice-présidente de Families Against Mandatory Minimums (FAMM), et M. Marc Mauer, directeur de The Sentencing Project.

Messieurs et mesdames les sénateurs, je dois vous dire que les témoins à Washington pourront entendre les traductions en anglais de toute question posée en français, vous pouvez donc procéder normalement avec les témoins qui sont ici à la table. Madame Price et monsieur Mauer, merci beaucoup d'avoir accepté de participer à la présente séance. Vous m'entendez?

Marc Mauer, directeur exécutif, The Sentencing Project : Oui, et nous sommes très heureux d'être ici.

Mary Price, vice-présidente, Families Against Mandatory Minimums (FAMM) : Merci infiniment.

La présidente : J'aimerais lancer un avertissement à tout le monde : nous n'avons pas beaucoup de temps. Nous disposons tout au plus d'une heure, alors tout le monde doit poser des questions et donner des réponses de la façon la plus concise possible, ne pas tordre la réalité et respecter les délais impartis.

M. Mauer : Merci de nous avoir invités ici. C'est une très bonne occasion. Ceux et celles d'entre nous aux États-Unis qui examinent les politiques de détermination de la peine et les politiques correctionnelles regardent souvent ce qui se passe au Canada, car selon nous, les Canadiens abordent certains de ces enjeux de manière plus rationnelle que nous. Par conséquent, j'espère que ce que nous avons appris pourra vous être utile.

Je vais commencer brièvement par une histoire récente se rapportant aux peines obligatoires au niveau fédéral américain. Cette histoire est celle d'un jeune homme nommé Weldon Angelos. M. Angelos était un producteur de musique de 24 ans qui habitait dans l'État de l'Utah. Il était également un trafiquant de marijuana de niveau intermédiaire. À trois reprises, il a été accusé d'avoir vendu de la marijuana d'une valeur totale d'environ 300 $ ou 400 $. Il portait également une arme pendant les transactions de stupéfiants. Il n'y a jamais eu aucune allégation selon laquelle il aurait utilisé ou menacé d'utiliser l'arme en question, mais à au moins une occasion, il transportait un pistolet caché dans sa chaussette. Au terme de son procès, la Cour fédérale l'a reconnu coupable.

Conformément aux peines obligatoires au niveau fédéral, le juge, qui se décrit lui-même comme un juge conservateur, a été forcé de le condamner à cinq ans d'emprisonnement pour le premier chef d'accusation. Fondamentalement, le juge a plaidé auprès des avocats de la défense afin qu'ils lui fournissent une justification des raisons pour lesquelles il ne devrait pas imposer des peines supplémentaires, qui étaient, pour le deuxième et le troisième chefs d'accusation (avoir déjà été reconnu coupable et possession d'une arme), des peines de 25 ans chacune. Par conséquent, M. Angelos a été condamné à cinq ans d'emprisonnement plus 25 années d'emprisonnement, plus 25 autres années d'emprisonnement, ce qui représente un total de 55 années d'emprisonnement pour avoir vendu de la marijuana à trois occasions.

Je ne veux pas laisser entendre qu'il s'agit là d'un cas typique, mais il illustre ce qu'ont donné les peines obligatoires, du moins dans certains cas aux États-Unis.

Je parlerai brièvement de deux enjeux, dans la mesure où les peines obligatoires ont été dans le sens de la sécurité publique aux États-Unis, puis je parlerai des disparités raciales utilisées dans la détermination des peines obligatoires.

Si nous pensons à la sécurité publique comme étant présumément l'objectif des peines obligatoires inscrites dans ces politiques, une grande partie des peines s'applique aux infractions liées à la drogue, sans aucun doute à l'intérieur du système fédéral, mais également dans de nombreux États. À première vue, si nous regardons les chiffres, en 1980, on comptait 40 000 détenus dans nos prisons qui avaient été condamnés pour des infractions liées à la drogue. Aujourd'hui, le nombre de détenus atteint 500 000 uniquement pour des infractions liées à la drogue.

Si on tient pour acquis que les peines obligatoires doivent, d'une manière ou d'une autre, dissuader les gens de perpétrer des actes illégaux et envoyer un message, il est difficile de voir les résultats dans les chiffres en général. Je crois qu'en grande partie, ce n'est pas surprenant, compte tenu du fait que les peines obligatoires ne tiennent pas compte de ce qui se passe dans le monde réel. Si nous connaissons quelque chose sur la dissuasion dans le système de justice criminelle, c'est que tout effet dissuasif est davantage une question de certitude qu'une peine sera imposée plutôt qu'une question de sévérité de la peine. Autrement dit, si nous pouvons accroître les possibilités qu'un contrevenant peut être appréhendé, certaines personnes pourraient y penser à deux fois avant de commettre un crime, mais le simple fait d'augmenter la sévérité d'une peine lorsque les gens ne croient pas qu'ils se feront prendre n'a que peu de répercussions. C'est exactement ce qui se passe avec les peines obligatoires : la seule conséquence, c'est que les peines sont accrues.

Les peines obligatoires, surtout dans les cas de crimes liés à la drogue, ont également constitué tout simplement un autre coup de massue asséné à l'offre de drogue pendant qu'on ignorait la demande de drogue. Toutes les recherches nous indiquent que si nous réduisons la demande de drogue, l'offre finira par diminuer, si les gens ne demandent pas le produit en question.

Nous savons qu'en ce qui concerne l'offre, un nombre apparemment infini de gens cherchent à s'enrichir rapidement en vendant des stupéfiants. Par conséquent, nous enlevons des gens de la rue qui vendent de la drogue. Dans la plupart des collectivités, ces personnes sont remplacées très rapidement par d'autres qui espèrent faire de l'argent aussi longtemps que la demande existera.

Bien entendu, l'autre aspect de la sécurité publique, c'est que nous n'avons aucun manque à gagner qui permette au juge d'imposer des sentences très sévères lorsque les circonstances le permettent. Lorsque nous avons un véritable caïd de la drogue qui se retrouve devant la cour, en général, les juges sont assez contents d'imposer une peine sévère. On n'a pas besoin d'une peine obligatoire pour les amener à faire cela. Les peines obligatoires constituent essentiellement un filet très vaste et permet de contrôler les gens qui, tout compte fait, ne sont pas les prétendus caïds ou les principaux joueurs dans le domaine du trafic de la drogue.

J'aimerais dire un mot sur les effets des peines obligatoires sur les divers groupes raciaux. Bien sûr, en apparence, ces peines n'ont pas de lien avec la race. Il n'existe aucune intention claire d'avoir une incidence dans le domaine racial. Toutefois, c'est exactement ce que nous pouvons constater dans les répercussions de ces peines. En grande partie, cela est lié au transfert du pouvoir discrétionnaire qu'entraîne la détermination de peines obligatoires; un pouvoir discrétionnaire dévolu au juge qui donne un pouvoir discrétionnaire accru au procureur.

Dans une étude importante effectuée par la United States Sentencing Commission au début des années 1990, on indique que dans des cas qui auraient dû entraîner une peine obligatoire, les procureurs avaient vraisemblablement tendance à permettre aux accusés de race blanche d'entamer une négociation de plaidoyers ne comprenant pas une peine obligatoire qu'ils le font pour les accusés de race noire ou des accusés latino-américains.

En outre, dans nos politiques de détermination de la peine, un grand nombre d'entre vous connaissent peut-être la distinction qui existe dans la loi fédérale entre la cocaïne sous forme de crack et la cocaïne sous forme de poudre; en effet, les peines se rapportant aux infractions liées à la cocaïne sous forme de crack sont beaucoup plus sévères que les infractions liées à la cocaïne sous forme de poudre. Que cette mesure soit intentionnelle ou non, il faut savoir que plus de 80 p. 100 des personnes poursuivies pour utilisation de la cocaïne sous forme de crack sont des Afro-Américains, et dans le cas des infractions liées à la cocaïne sous forme de poudre, la plupart des accusés sont Blancs ou des Latino- Américains. Par conséquent, la combinaison des pratiques d'application de la loi et de détermination des peines obligatoires a exacerbé les disparités raciales.

Nous avons trouvé un grand nombre d'études qui portaient sur un autre type de peines obligatoires, qui ont également des conséquences raciales qui ne sont peut-être pas intentionnelles. Il s'agit de ce qu'on appelle les lois liées aux stupéfiants dans les zones scolaires, pour lesquelles une infraction liée à la drogue commise à une certaine distance d'une école — habituellement entre 500 et 1 000 mètres de l'école — est soumise à une peine plus sévère qu'une infraction liée à la drogue qui ne se trouve pas dans une zone scolaire.

Vous vous demandez sans doute pourquoi cela fait une différence dans le domaine racial. Cela fait une grande différence car, dans les zones urbaines, qui sont beaucoup plus densément peuplées que les régions rurales ou les banlieues, toute intersection donnée se trouve fort probablement à l'intérieur des limites géographiques d'une zone scolaire et, par conséquent, est assujettie à des peines plus sévères. En général, les Afro-Américains et les Latino- Américains vivent davantage dans des zones urbaines que les Blancs, qui ont davantage tendance à vivre dans des régions rurales ou dans des banlieues. Par conséquent, une même infraction liée à la drogue est traitée beaucoup plus sévèrement pour les Noirs et les Latino-Américains que pour les Blancs, de façon globale. Selon une étude réalisée récemment au New Jersey, 96 p. 100 des personnes poursuivies pour des infractions liées à la drogue dans une zone scolaire étaient des Noirs ou des Latino-Américains.

Permettez-moi de terminer en vous disant que votre audience arrive à un moment intéressant pour nous. Je crois qu'actuellement aux États-Unis, nous sommes vraiment en train de remettre en question de façon importante le bien- fondé des politiques relatives aux peines obligatoires après leur application au cours des 30 dernières années. Au Congrès américain, une loi est actuellement en attente, et cette loi permettrait d'éliminer la disparité entre les peines liées à la cocaïne sous forme de crack et les peines liées à la cocaïne sous forme de poudre. En ce qui concerne les États, cette année, l'État de New York a réduit de façon importante la portée des soi-disant « lois Rockefeller pour les activités criminelles liées à la drogue », qui représentaient la première génération de lois relatives aux peines obligatoires et qui remontaient aux années 1970. D'autres États réexaminent cette situation également.

On prend conscience que les politiques ont une portée trop vaste. Elles ne sont pas nécessaires parce que les juges ont déjà les outils dont ils ont besoin; les politiques n'ont pas favorisé davantage la sécurité de la population, et c'est une lourde perte.

Je conclus ici pour donner la parole à Mary Price. Nous pourrons ensuite aborder certaines de ces questions.

Mme Price : Merci beaucoup, madame le sénateur, et merci aux membres du comité de m'avoir invitée à témoigner à cet important moment. Il va sans dire que nous souscrivons en grande partie à ce que M. Mauer a dit. J'aimerais ajouter quelques observations additionnelles du FAMM relativement aux coûts et au fonctionnement des peines minimales obligatoires dans notre pays.

Nous constatons que les peines minimales obligatoires sont un outil politique particulièrement populaire. Certains de vos témoins parleront peut-être plus tard de l'importance pour des législateurs de votre pays de parler de l'établissement de mesures plus sévères contre la criminalité par l'adoption de peines minimales obligatoires ou du fait de pointer du doigt les législateurs qui ne sont pas d'accord et de leur dire qu'ils sont tolérants à l'égard des criminels. Ce qui nous intéresse, c'est d'arriver à un système de détermination de la peine qui, en fait, lutte contre le crime de façon intelligente et ne prévoit pas de peines minimales obligatoires.

Pendant longtemps dans notre pays, nous avons reconnu qu'un système de justice sain nécessitait l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sain de la part du juge. Ce qui ne va pas avec les peines minimales obligatoires, comme l'a indiqué M. Mauer, c'est qu'elles retirent le pouvoir discrétionnaire des juges. Cela va de soi que le juge, avec l'accusé devant lui, est le mieux placé pour déterminer la peine appropriée à la lumière de la gravité du crime, des circonstances concernant l'accusé et des différents facteurs aggravants et atténuants qui sont connus. Au lieu de cela, les peines minimales obligatoires mettent entre les mains des législateurs et, plus directement, entre les mains des procureurs, la tâche de déterminer la peine.

Voici certaines de nos préoccupations : les peines minimales obligatoires créent des disparités inadmissibles dans les peines ainsi qu'une uniformité injustifiée dans les peines entre les accusés. M. Mauer vous a fait part d'une disparité raciale très précise dans les peines causées par les peines minimales obligatoires. L'envers de la médaille concerne l'uniformité, où des personnes qui se trouvent dans des situations différentes sont néanmoins placées sur un pied d'égalité.

Par exemple, un contrevenant condamné pour avoir cuit et vendu 50 grammes de crack est passible d'une peine minimale obligatoire de 10 ans, alors que le caïd qui lui a fourni la poudre pour la cuisson et qui en a tiré le maximum de bénéfices ne devient passible de la même peine minimale de 10 ans que s'il est reconnu coupable d'avoir manipulé 100 fois plus de poudre de cocaïne. En fait, en vertu de nos lois, si le trafiquant de cocaïne collabore suffisamment avec la police et lui livre la personne qui a fait la cuisson, il peut recevoir une peine inférieure à celle du contrevenant condamné pour avoir manipulé des quantités moindres de drogue.

Les peines minimales obligatoires dénaturent les rôles traditionnels du juge et du procureur. Nous avons parlé du pouvoir discrétionnaire qui doit s'exercer quelque part lors de la détermination de la peine. Les peines minimales obligatoires, comme l'a dit M. Mauer, le remettent carrément entre les mains des procureurs. Les procureurs ne sont pas incompétents. Le problème, c'est que le pouvoir discrétionnaire s'exerce ensuite à un niveau de tractation dans le bureau du procureur, et ne figure pas dans les dossiers du tribunal. L'une de nos grandes préoccupations au sujet du pouvoir discrétionnaire des juges en tant que conséquence des peines minimales obligatoires, c'est l'influence qu'il a sur les politiques en matière de négociations de plaidoyers.

M. Mauer a parlé de l'affaire de Weldon Angelos. Avant de subir son procès, Weldon Angelos s'est vu offrir de plaider coupable, ce qui aurait ramené sa peine à 16 ans. Autrement dit, les procureurs — le gouvernement des États- Unis — ont déterminé que la culpabilité de M. Angelos ne méritait pas plus qu'une peine de 16 ans. Il a décidé d'exercer ses droits constitutionnels et d'aller en procès, comme il en a le droit. Le procureur lui a dit : « Si vous le faites, nous ajouterons d'autres chefs d'accusation parmi ces peines obligatoires cumulatives de 25 ans. » M. Angelos n'a pas cédé, et les procureurs sont allés de l'avant; M. Angelos a été reconnu coupable et condamné, comme M. Mauer l'a décrit. Il ne s'agit pas d'une situation inhabituelle, car la menace des peines minimales obligatoires est responsable d'un taux de plaidoyers de 96 p. 100 dans les affaires concernant les peines minimales obligatoires. C'est absolument scandaleux.

M. Mauer a traité des zones scolaires exemptes de drogue. Nous pouvons en parler davantage plus tard, si vous voulez. Nous avons des projets dans plusieurs États pour tenter de résoudre le problème des zones scolaires exemptes de drogue. Les peines minimales obligatoires entraînent des coûts astronomiques pour les prisons. Voici les chiffres : dans le code fédéral de notre pays uniquement, il y a 171 chefs assortis d'une peine minimale obligatoire. En 2008, 21 000 personnes ont été condamnées pour 31 329 chefs d'accusation assortis d'une peine minimale obligatoire. Si toutes ces personnes recevaient la peine obligatoire la plus faible, c'est-à-dire cinq ans — et bon nombre de ces peines sont beaucoup plus longues, soit de 10 à 25 ans ou encore à perpétuité —, elles purgeraient un cumulatif de 105 115 années de prison à un coût pour notre pays de près de 26 000 $ par personne par année. Je crois que nous dépensons beaucoup moins d'argent que vous sur les peines fédérales.

Il n'est pas surprenant que les peines minimales obligatoires aient également conduit à la surpopulation carcérale et que la surpopulation carcérale soit causée par l'imposition de peines trop longues prescrites par les peines minimales obligatoires. La semaine dernière, les prisons fédérales des États-Unis comptaient 208 909 prisonniers, soit près de cinq fois plus que dans les années 1990, comme l'a souligné M. Mauer. Le système carcéral fédéral est surpeuplé dans une proportion de 40 p. 100, ce qui impose des pressions considérables sur les ressources du système carcéral fédéral visant à protéger les gardiens et à nourrir, à loger et à soigner les détenus, bref à les préparer à retourner dans la société.

Sur les 24 321 personnes qui ont été condamnées pour trafic de drogue en 2008, la majorité, soit 16 787, ont reçu une peine minimale obligatoire de cinq ans, 10 ans ou plus. Il faut préciser que 83 p. 100 de ces contrevenants n'avaient pas d'armes à feu et n'ont pas fait usage de la violence, et que 63 p. 100 avaient peu d'antécédents judiciaires, voire aucun. Environ 75 p. 100 de l'augmentation est attribuable aux peines minimales obligatoires, et 25 p. 100 au relèvement des peines prévues par les lignes directrices causé par les peines minimales obligatoires.

Je vous remercie d'avoir tenu compte de notre point de vue. Je sais que nous accueillons tous deux vos questions et la discussion qui suivra.

La présidente : Nous vous remercions énormément d'être avec nous aujourd'hui. Évidemment, les sénateurs font la queue pour poser leurs questions.

Le sénateur Nolin : Même si nos systèmes de justice pénale sont différents, nous sommes aux prises avec le même phénomène : l'usage de drogues et le trafic de stupéfiants.

Monsieur Mauer, vous avez fait référence à différents rapports et études. Vous serait-il possible de nous les faire parvenir par courriel?

M. Mauer : Il me fera plaisir de les fournir au comité après la réunion.

Le sénateur Nolin : Au Canada — et c'est probablement la même chose aux États-Unis — les peines minimales obligatoires existent pour deux raisons principales : en premier lieu, pour mettre les trafiquants — les véritables criminels —, et non les étudiants universitaires, derrière les barreaux; en second lieu, pour rendre nos rues plus sécuritaires en mettant ces personnes derrière les barreaux pour longtemps. Aux États-Unis, les divers gouvernements avaient-ils des intentions similaires lorsqu'ils ont établi les peines minimales obligatoires? Avez-vous réussi à atteindre ces objectifs?

M. Mauer : Vous avez raison, c'est souvent la justification présentée aux États-Unis également. Derrière cette justification, il y a souvent une méfiance à l'endroit de l'appareil judiciaire — une croyance parmi certains politiciens et certains membres de la population — selon laquelle les juges ne veulent pas imposer les peines appropriées. Malheureusement, cela vient souvent du titre d'un journal ou d'un examen incomplet des faits. Les juges sont-ils parfois à côté de la plaque? Évidemment, mais, dans l'ensemble, la plupart des juges prennent très au sérieux les poursuites graves en matière de drogue. Lorsqu'on connaît les faits, il est difficile d'être en désaccord avec bon nombre des peines imposées. Néanmoins, le climat politique est tel que l'argument a été soulevé : nous ne faisons pas confiance aux juges et, en conséquence, nous exigerons ces peines obligatoires dans ces cas.

À savoir si cela a rendu les rues plus sécuritaires, une distinction doit être faite quant aux personnes que nous emprisonnons. Si un violeur en série terrorise les habitants d'un quartier et qu'il se retrouve en prison pendant longtemps, alors ce quartier devient un peu plus sécuritaire. Lorsqu'un vendeur de drogue se trouve à un coin de rue et vend de la drogue à des enfants et à d'autres personnes, et que nous l'emprisonnons, nous n'avons pas nécessairement pris des mesures pour régler le problème des drogues, car ces vendeurs sont facilement remplaçables. Un violeur en série n'est pas remplacé dans les rues, mais un vendeur de drogue est habituellement remplacé. En conséquence, aux États-Unis, nous déployons des efforts très limités pour nous occuper de la prévention et du traitement en matière de toxicomanie. Aussi longtemps que nous continuerons d'agir ainsi, il existera un nombre presque infini de vendeurs potentiels.

L'emprisonnement et les peines minimales obligatoires n'ont pas donné beaucoup de résultats, mais ont eu des coûts financiers et humains élevés.

Le sénateur Nolin : Madame Price, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Price : M. Mauer a tout dit.

Le sénateur Nolin : Monsieur Mauer, vous avez fait allusion au fait que de nombreux trafiquants attendent de remplacer ceux qui vont en prison. Madame Price, peut-être pourriez-vous m'aider avec ceci? Bien que l'intention est de mettre les vrais criminels derrière les barreaux — ceux qui dirigent les organisations criminelles —, nous capturons en général les petits trafiquants. Pourriez-vous commenter?

Mme Price : Je suis d'accord avec vous. Bien sûr, dans de nombreux cas nous utilisons un ou deux facteurs pour déterminer la culpabilité. Si une personne est arrêtée alors qu'elle traverse une frontière transportant une grande quantité de drogue, par exemple, peu importe son lien avec la transaction si elle ne fait que transporter la marchandise. La seule façon de juger de sa culpabilité est de dire qu'elle a été prise avec 5 000 grammes de cocaïne ou 5 000 livres de quelque chose d'autre et ainsi déterminer que c'est un gros trafiquant. Elle pourrait être une simple mule, ou être la petite amie qui aide son copain en faisant un coup de téléphone. Le problème avec les peines minimales obligatoires est qu'elles ne permettent pas au juge de tenir compte de facteurs atténuants et de comprendre le rôle joué dans l'infraction ni le contexte et les circonstances qui entourent le contrevenant. Je vais vous parler des cas en zone scolaire au Massachusetts.

Nous savons qu'aller dans une école pour vendre de la drogue à des enfants est un crime très sérieux qui doit être puni sévèrement. Le Massachusetts le pense aussi, et ils ont des sentences minimales obligatoires consécutives de deux à 15 ans pour la vente de drogue effectuée dans un rayon de 1 000 pieds d'une école, ce qui est appelé une infraction en zone scolaire. Il y a un jeune homme, qui avait 17 ans à l'époque, qui a vendu un joint de marijuana à un agent d'infiltration. Dans ce cas-ci, il y a eu manipulation parce que c'est l'agent d'infiltration qui a entraîné le jeune homme dans la zone scolaire. Cela a causé tout un esclandre, mais, si l'on regarde strictement les faits, cette personne avait commis un crime et devait être incarcérée. Cependant, ce n'était qu'un jeune de 17 ans qui avait vendu un joint. Je ne dis pas qu'une telle personne ne doit pas être punie, mais il est évident qu'elle ne répond pas aux critères que mes collègues et moi appliquons pour décrire un vrai criminel, que nous voudrions réellement emprisonner pour longtemps.

Il est mieux de laisser au juge la capacité de faire des distinctions. Excusez-moi, mais je ne sais pas si vous procédez à des réévaluations de peines au Canada ou s'il y a le moyen d'avoir un droit commun des peines. De toute façon, il peut y avoir d'autres moyens que les peines minimales obligatoires pour aider les juges à prononcer leur sentence de manière appropriée sans toutefois leur lier les mains. Je ne crois pas que c'est le genre d'injustice que vous aviez l'intention de provoquer.

Le sénateur Wallace : Merci beaucoup pour votre présentation. Je constate, d'après ce que vous avez dit, et c'est très évident dans votre curriculum vitae, que tout cela reflète votre expérience aux États-Unis. Je suis sûr que nous pouvons apprendre de ces expériences.

Premièrement, j'aimerais savoir à quel point vous connaissez la loi canadienne et le Code criminel. Je ne vous demanderai pas de réciter chacune des dispositions, mais je me demande si, par exemple, vous êtes quelque peu familière avec l'expérience canadienne en matière de minimums obligatoires. Est-ce que vous savez que nous en avons eu pendant un certain nombre d'années et que ceci n'est pas la première loi qui traite de peines minimales obligatoires au Canada?

M. Mauer : Je ne les connais pas très bien, non.

Le sénateur Wallace : Madame Price, avez-vous une certaine connaissance de notre expérience au Canada?

Mme Price : Je n'ai pas une connaissance très approfondie. J'ai tenté de jeter un œil aux études et aux recherches qui sont citées dans le résumé de ce qui nous a été donné pour le projet de loi, mais je n'ai pas une connaissance approfondie.

Le sénateur Wallace : En ce qui a trait à la manière dont nous considérons l'efficacité des minimums obligatoires au Canada, vous ne pourriez pas commenter à ce sujet?

Mme Price : C'est exact. Vous êtes probablement en meilleure position pour le faire.

Le sénateur Wallace : Un des objectifs majeurs du projet de loi C-15 est de s'attaquer au crime organisé et à ses ramifications dans le trafic de drogue au Canada. Encore une fois, je me demande à quel point vous êtes familière avec la situation du crime organisé dans ce pays et plus particulièrement de ses relations avec la production et le trafic de drogue. Avez-vous certaines connaissances sur le sujet? Avez-vous fait des études?

M. Mauer : Non, nous n'avons rien fait de cela. Notre expérience aux États-Unis concerne un grand nombre de juridictions. Cette expérience pourrait se refléter dans la situation au Canada ou non, de toute façon nous ne prétendons pas être des experts en la matière au Canada.

Le sénateur Wallace : En dernier lieu, j'ai remarqué dans votre document de présentation, monsieur Mauer, que vous mentionniez l'effet dissuasif des peines. Manifestement, c'est l'un des principes clés de la détermination de peine. Je crois que nous en sommes tous conscients. Toutefois, dans le Code criminel du Canada, six principes sont établis et ils représentent les objectifs que nous, à titre de législateurs, devons considérer lorsque nous discutons de ce type de question en matière de détermination de peine. Les tribunaux doivent également se baser sur ces principes pour juger de la situation des criminels qui se présentent devant eux.

Connaissez-vous un tant soit peu les dispositions du Code criminel du Canada qui font référence à ces principes, non pas les principes des États-Unis, mais nos principes en matière de détermination de peine?

M. Mauer : Seulement en termes généraux. J'aimerais ajouter qu'aux États-Unis nous avons d'autres principes de détermination de peine également. La seule raison pour laquelle j'ai mentionné l'effet de dissuasion dans mon témoignage était en relation avec des questions de sécurité publique. C'est une des raisons principales pour laquelle, théoriquement, les peines obligatoires pourraient avoir un impact sur la sécurité publique. Je reconnais qu'il y a d'autres objectifs à atteindre relativement à des cas individuels.

La présidente : Sénateur Wallace, en guise de défense pour les témoins, nous devrions admettre qu'il n'y a pas beaucoup de documentation canadienne disponible en matière de peines minimales obligatoires comme l'a appris ce comité, et nous ne pouvons donc pas les blâmer de ne pas l'avoir trouvée.

Le sénateur Wallace : Non, absolument pas.

Mme Price : Nous ne nous sommes pas sentis blâmés.

Le sénateur Wallace : Non, vous êtes là pour nous aider. Ce n'est pas du tout le but de ma question.

J'essaie seulement d'établir l'importance que nous pouvons accorder à la preuve que vous nous présentez. Bien sûr, pour moi il est clair, ce ne l'est peut-être pas pour les autres, qu'il faut déterminer à quel point ce que vous nous dites est basé sur vos connaissances du code canadien et de la situation au pays en matière de trafic de drogue et de crime organisé. C'était le seul but de ma question et, d'après votre réponse, je comprends très clairement votre niveau de compréhension. Merci pour votre témoignage.

La présidente : Merci, et pardonnez-moi de vous avoir prêté des propos, sénateur Wallace. C'est bien la dernière chose que j'oserais et même que j'essaierais de faire.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins pour vos présentations intéressantes.

Ma question est d'ordre technique. Elle a un rapport avec le pouvoir discrétionnaire de poursuivre intégré à nos lois en matière de peines minimales et si, en fait, il existe un tel pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Puisque, plus que nous ne l'avons jamais fait dans une loi, nous tentons d'élargir le rôle du système de minimums obligatoires, quelle recommandation pourriez-vous formuler si vous aviez à réécrire les lois à ce sujet et au sujet du pouvoir discrétionnaire de poursuivre?

Mme Price : Le pouvoir discrétionnaire de poursuivre arrive tôt dans le processus, sûrement avant le procès ou avant le plaidoyer, lorsque le procureur décide s'il va porter des accusations pour un crime qui prévoit une peine minimale obligatoire ou non.

Dans le cas des infractions en rapport avec des armes, Weldon Angelos, dont le cas est si probant pour ce type de questions, a été trouvé coupable de possession d'armes en lien avec une infraction de trafic de drogue ce qui prévoit une première peine minimale de cinq ans. Elle est consécutive aux autres peines qui lui sont imposées pour les infractions de départ.

Le gouvernement aurait pu choisir de ne pas porter d'accusation pour ces trois, quatre ou cinq autres infractions comme il l'a finalement fait lorsque l'accusé a refusé de négocier un plaidoyer. Le gouvernement aurait pu également choisir de ne pas l'accuser d'une infraction relative à une arme mais tout simplement laisser le tribunal tenir compte de cette arme en vertu des directives en matière de détermination de peines, ce qui aurait résulté en ce que l'on appelle une augmentation de deux niveaux de la peine de base. Cela aurait donné lieu à une peine beaucoup moindre pour M. Angelos qui après tout, en était à sa première infraction et n'avait jamais utilisé d'armes auparavant. Il avait grandi entouré d'armes, dans une famille qui détenait des armes dans la maison. Il n'était pas inhabituel pour lui d'avoir en sa possession une arme. Je ne dis pas qu'il a eu raison de faire ce qu'il a fait, mais le procureur aurait pu user de sa discrétion sur ce point. Le procureur peut également négocier les faits et négocier les accusations dans une entente de plaidoyer, tout cela se déroule en dehors d'une révision de la cour.

Je ne sais pas quelles sont vos normes en ce qui a trait à ce que le procureur doit suivre comme directive. Je plaide bien sûr pour que vous n'adoptiez pas les peines minimales obligatoires dans la mesure où mon opinion peut vous influencer. Je crois que c'est une excellente façon de rétablir l'équilibre en matière de discrétion au niveau judiciaire.

M. Mauer : J'aimerais brièvement ajouter qu'il est évident que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre a toujours fait partie du système judiciaire et qu'il doit en rester ainsi. Tout comme d'autres acteurs utilisent leur discrétion, nous espérons qu'ils l'utilisent de manière adéquate.

Un des problèmes que les peines obligatoires soulèvent est que les résultats de son usage sont si graves et importants que les peines sont faussées.

Pour vous donner un exemple rapide, je ne sais pas si vous connaissez la loi des trois fautes que nous avons aux États-Unis. La Californie a de loin la politique la plus répandue dans ce domaine : après avoir été condamné deux fois pour des actes délictueux graves qui sont définis comme des infractions graves ou violentes, une troisième condamnation, pour n'importe quel acte délictueux grave dans l'État de la Californie, vous fera encourir une peine à perpétuité de 25 ans.

Deux affaires qui remettent en question cette politique ont été présentées à la Cour suprême des États-Unis. Dans le premier cas, la troisième infraction de l'accusé était le vol de trois bâtons de golf dans un magasin d'équipement sportif, et la deuxième affaire concernait un homme qui avait volé pour 153 $ de bandes vidéo dans un magasin à rayons. La cour a rejeté l'appel : le voleur de bâtons de golf sert en ce moment une peine à perpétuité de 25 ans et le voleur de bandes vidéo sert une peine à perpétuité de 50 ans. En plus d'être le résultat des politiques de détermination de peine, ses peines sont le produit du pouvoir discrétionnaire du procureur qui a choisi de porter des accusations en vertu de la loi des trois fautes. Bien que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre ait toujours été un élément du processus judiciaire, les peines d'emprisonnement excessivement longues et les différences notables en matière de peine créées par les minimums obligatoires sont maintenant dramatiques.

L'éventail des peines d'emprisonnement est maintenant beaucoup plus vaste que s'il n'y avait pas de peines obligatoires ce qui nuit je crois à la perception réelle des peines.

Le sénateur Baker : Vous nous dites que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre est en général exercé avant la plaidoirie. Au Canada, nous avons des minimums obligatoires prévus par le Code criminel et certains d'entre eux concernent la décision d'utiliser les antécédents judiciaires pour prouver la culpabilité d'un accusé, ceci est toujours selon la discrétion du procureur. En d'autres mots, lorsqu'on en arrive à déterminer la peine, le procureur peut exercer une certaine discrétion. Avez-vous le même pouvoir discrétionnaire aux États-Unis?

Mme Price : Il y a une exigence en matière de préavis dans la Loi sur les drogues.

Le sénateur Baker : Oui, je le sais.

Mme Price : Par conséquent, la peine est automatiquement doublée si l'accusé a été antérieurement reconnu coupable d'une infraction reliée aux drogues au niveau fédéral. Le gouvernement doit par contre aviser l'accusé s'il a l'intention d'invoquer ce qu'on appelle une inculpation sous l'article 851.

Dans certaines affaires liées aux armes, il n'y a pas d'exigence en matière de préavis. Un accusé n'enregistrera pas nécessairement de plaidoyer si automatiquement elle ne sait pas ce qui se passe, mais nous connaissons des affaires dans lesquelles des accusés ont été mal avisés.

Le sénateur Baker : Même lorsqu'il y a exigence en matière de préavis, c'est un avis qui est donné. Est-ce que à ce moment-là votre procureur a le pouvoir discrétionnaire d'utiliser le dossier criminel de l'accusé lors de la condamnation?

Mme Price : Oui, je crois.

Le sénateur Baker : Merci.

Le sénateur Joyal : Merci pour votre contribution à notre travail.

J'aimerais aller un peu plus loin que votre déclaration et les documents que vous nous avez fournis.

Dans votre présentation, madame Price, les titres en gras font référence aux effets des minimums obligatoires et se lisent comme suit : les peines minimales obligatoires réduisent la culpabilité à un ou deux facteurs, elles créent des disparités injustifiées et une uniformité inadmissible, elles dénaturent les rôles traditionnels du juge et du procureur public, elles conduisent à la surpopulation carcérale pour cause de peines trop longues, et elles ne remplissent pas leur promesse de réduire la narco-criminalité. J'aimerais approfondir ces déclarations et vous demander, en général, quelles sont les répercussions des peines d'emprisonnement plus longues sur les récidives?

Il existe très peu d'études au Canada à ce sujet. Le professeur Paul Gendreau nous a dit qu'il enquêtait sur la question, mais pourriez-vous nous dire en votre nom, si vous détenez des informations sur les effets des peines plus longues en général sur le niveau de récidive? Il est bon d'emprisonner les gens pour satisfaire la quiétude de tous, mais lorsqu'on remet ces personnes en liberté, sont-elles un plus grand danger pour la société qu'avant? Cette bonne intention, se traduit par une vision à court terme de l'impact de ces peines d'emprisonnement. Pourriez-vous commenter?

Mme Price : Je peux dire quelques mots, mais je vais laisser M. Mauer vous entretenir plus longuement sur cette question parce que c'est un de ses secteurs d'expertise.

La longueur des peines d'emprisonnement a beaucoup à voir avec les récidives en partie à cause des conséquences indirectes importantes de ces peines et sur la façon dont nous occupons les prisonniers pendant leur incarcération. Les programmes, les traitements contre la toxicomanie et autres qui leurs sont disponibles. Une bonne étude en matière de récidive a été faite par la United States Sentencing Commission il y a quelques années, et je vais vous la faire parvenir.

Je vais donc céder la parole à M. Mauer.

M. Mauer : Nos meilleures données viennent des études menées par notre United States Department of Justice qui se sont penchées sur les taux de récidive en lien avec la longueur des peines d'emprisonnement. Certaines gens vont dire que si nous gardons les personnes en prison plus longtemps le message sera clair et que ça leur apprendra une leçon ou ce genre de chose.

À la base, les peines d'emprisonnement de cinq ans et moins n'ont aucun effet réducteur sur la récidive. En d'autres mots, pour chaque année supplémentaire après un ou deux ans, le taux de récidive reste malheureusement élevé. Après cinq années en prison, il y a un léger déclin. Beaucoup de personnes croient que cela est dû au vieillissement des prisonniers, et que ce n'est pas nécessairement dû au système carcéral, de toute façon la plupart des gens qui vont en prison servent au plus cinq années.

Par conséquent, nous ne voyons aucun lien entre les peines d'emprisonnement plus longues et la réduction du taux de récidive, par contre les coûts financiers pour chaque année supplémentaire d'emprisonnement augmentent ainsi que les effets collatéraux dont Mme Price a fait mention.

Le sénateur Joyal : Est-ce que cette étude a été menée par le United States Department of Justice?

M. Mauer : Oui, et nous pouvons vous fournir ces références également.

Le sénateur Milne : Je crois, monsieur Mauer, que vous avez parlé de l'augmentation de la population carcérale, qui est passée de 40 000 à 500 000 à cause des peines minimales obligatoires.

À quoi est attribuable cette énorme augmentation? Est-ce les personnes haut placées dans le monde de la drogue qui sont condamnées, ou est-ce plutôt les contrevenants de bas niveau?

M. Mauer : Que ce soit bien clair : les chiffres que j'ai avancés se rapportent à l'ensemble des auteurs d'infractions liées aux drogues, tant ceux en attente de leur procès que ceux qui purgent leur peine; bon nombre d'entre eux étaient passibles d'une peine obligatoire, mais pas tous. Les moyens de dissuasion s'appliquent à toute personne qui commet une infraction liée aux drogues.

Nous avons des données probantes, à l'échelle fédérale et à l'échelle des États, sur le type de personnes condamnées pour une infraction liée à la drogue. À l'échelle fédérale, on a porté beaucoup d'attention aux contrevenants mêlés au trafic de crack et de cocaïne. La commission américaine sur la détermination de la peine, l'agence fédérale qui étudie ces questions, possède des données qui montrent invariablement que la majorité des contrevenants mêlés à ce genre de trafic sont au bas de l'échelle : il s'agit des mules, des passeurs, des éclaireurs et d'autres encore.

En règle générale, les analyses qui portent sur les auteurs d'une infraction liée aux drogues incarcérés dans les prisons des États — analyses publiées dans des revues scientifiques et par des organisations comme la nôtre — permettent de conclure qu'une majorité de ces personnes n'ont jamais été impliquées dans les hautes sphères du trafic de drogue et n'ont jamais utilisé d'arme pour commettre leurs méfaits.

Il est vrai que plusieurs personnes incarcérées pour une infraction liée à la drogue peuvent compter de multiples accusations et condamnations à leur dossier, liées à la drogue ou non. À mon avis, cette situation témoigne de notre incapacité à nous attaquer de manière efficace aux facteurs qui sous-tendent le crime, que ce soit en infligeant une peine communautaire de probation ou lors d'une incarcération précédente. La grande majorité des contrevenants ne sont pas des barons de la drogue.

Le sénateur Milne : Donc, on ne met pas un frein aux activités des têtes dirigeantes et on ne diminue pas du tout le trafic.

M. Mauer : Non. Voyez le commerce de la drogue comme une pyramide. Les barons sont au sommet, un plus grand groupe occupe le milieu, mais l'écrasante majorité opère dans la rue. Si la situation prend l'ampleur qu'elle a aux États- Unis, il est bien plus facile de trouver les sous-fifres que ceux qui contrôlent le trafic.

Mme Price : Pour les forces de l'ordre, il est tentant d'essayer de coincer les revendeurs de bas étage. Ils sont faciles à attraper, et les répercussions positives sont immédiates parce qu'on peut leur infliger des peines de longue durée. On n'a pas à attendre pour être récompensé de ses efforts, alors que les opérations d'envergure nécessitent davantage de ressources et de temps. Quand on regarde le tableau, on voit les importateurs et les trafiquants tout en bas, puis il y a une augmentation immédiate quand on arrive aux revendeurs ou aux « cuisiniers », et ça baisse de nouveau. C'est ce qui motive ces peines, surtout pour le crack. Ces études en ont fait la preuve de manière incontestable.

Le sénateur Milne : Monsieur Mauer, vous avez parlé de quelqu'un qui a été condamné à 5 ans plus 25 ans, plus un autre 25 ans. Si on fait une moyenne de tous les États — car je crois que ça doit varier d'un État à l'autre —, combien de temps devrait passer en prison quelqu'un qui a été condamné à 55 ans avant d'être remis en liberté? Recouvrirait-il même sa liberté?

M. Mauer : Dans le système fédéral, une peine obligatoire est une peine obligatoire. Habituellement, il faut purger 85 p. 100 de sa peine, et ça prend des circonstances exceptionnelles pour être remis en liberté — en fait, ça prend une commutation de peine du président.

Dans les différents États, le système varie davantage. Certaines personnes se voient infliger une peine obligatoire, et d'autres, une peine plus traditionnelle d'une durée indéterminée. On a vraiment de tout.

Le sénateur Milne : Quelle serait la durée de la peine pour quelqu'un coupable de meurtre?

M. Mauer : Il pourrait être condamné à mort, comme il pourrait être condamné à aussi peu que 10 ans de prison, selon les circonstances de l'infraction.

Il n'y a aucun doute que les personnes condamnées pour des infractions liées aux drogues se sont vu infliger, pour la plupart, des peines autrement plus sévères que celles des personnes reconnues coupables d'infractions graves avec violence.

Mme Price : Aux pages 7 et 8 du document que j'ai présenté, je parle du juge Cassell qui a condamné Weldon Angelos, un revendeur de drogue qui en était à sa première infraction, à 55 ans de prison. Le juge a comparé cette peine à celle d'un pirate de l'air, condamné à 293 mois; à celle d'une personne qui a violé un enfant de 10 ans, condamnée à 135 mois; et à bien d'autres encore.

J'ai donné quelques exemples pour illustrer à quel point notre système de peine minimale obligatoire est disproportionné comparativement aux peines infligées à d'autres défendeurs. Soit dit en passant, les peines auxquelles le juge Cassell a comparé celle de M. Angelos ne sont pas des peines minimales obligatoires, mais bien des sanctions proposées dans les directives.

La présidente : Je vous demanderais de l'ajouter à la liste d'éléments pour lesquels vous nous avez promis des références.

Étant donné la quantité de peines minimales obligatoires qui parsèment le paysage du droit américain, je présume que cette question a été présentée devant la Cour suprême des États-Unis à plus d'une occasion et que la décision a été confirmée.

Je me demande donc si vous pouvez nous fournir les deux ou trois décisions principales qui, à votre vais, confirment les peines minimales obligatoires. Si vous voulez en ajouter quelques-unes pour appuyer votre position, n'hésitez pas.

Mais surtout, compte tenu de la force des arguments que vous présentez aujourd'hui, j'aimerais savoir pourquoi la loi actuelle diverge si souvent de la position que vous soutenez.

Mme Price : Nous allons nous concerter pour vous préparer quelque chose.

La présidente : Sénateur Nolin, avant de vous redonner la parole, je vais permettre au sénateur Watt de poser une question.

Le sénateur Watt : Merci de votre exposé. Je viens du Nord, de l'Arctique, et j'ai deux ou trois questions à vous poser. Depuis plusieurs années déjà, je suis ce qui se passe aux États-Unis à propos du sujet dont nous traitons aujourd'hui.

Est-il plus difficile de se procurer des drogues illicites aux États-Unis depuis le début de la lutte antidrogue? À votre connaissance, la situation a-t-elle changé depuis que les Américains ont décidé de prendre la question au sérieux?

M. Mauer : Je crois que la réponse courte est non. D'autres témoins qui comparaîtront devant vous plus tard aujourd'hui en parleront sans doute plus en détail. Les principales raisons sont la situation économique et le trafic international de drogue. Même si on procède à de nombreuses saisies, dans le meilleur des cas ce n'est qu'une infime fraction des drogues qui n'arrive pas en sol américain. Et comme c'est un commerce très lucratif, il n'est pas très difficile de répondre à la demande.

Nous n'avons pour ainsi dire vu aucun changement dans la disponibilité des drogues. Leur prix n'a pas non plus augmenté après l'entrée en vigueur de ces politiques.

Le sénateur Watt : Ont-elles eu des conséquences plus importantes sur les petits revendeurs ou sur les têtes dirigeantes? Pouvez-vous me dire si les mesures vous servent à appréhender les gens qui sont dans votre mire, ou si vous n'attrapez que les subalternes impliqués dans le trafic?

M. Mauer : S'il y avait des procureurs des États-Unis parmi nous pour écouter nos témoignages, ils diraient qu'ils ont l'air d'appréhender ou de poursuivre en justice beaucoup de petits revendeurs, mais que c'est parce qu'ils veulent les utiliser pour atteindre les niveaux supérieurs. Ils veulent en faire des délateurs pour obtenir d'eux des renseignements en échange d'un meilleur plaidoyer. C'est l'explication qu'ils donneraient.

Il est indéniable que, dans certains cas, cette stratégie s'avère efficace pour coincer les gens des niveaux supérieurs et les déclarer coupables. Cependant, les chiffres imposants que nous avons obtenus — 500 000 personnes condamnées pour une infraction liée aux drogues, comme je l'ai déjà dit — indiquent une augmentation sans précédent dans l'ensemble, bien que la grande majorité ne soit pas des têtes dirigeantes. Après 25 ans de lutte antidrogue, on aurait tendance à penser que si la stratégie employée était bonne, les prisons seraient pleines et il s'y trouverait uniquement des barons de la drogue. Mais le fait est que nous n'avons pas beaucoup de preuves à cet effet.

Mme Price : J'ajouterais quelque chose. Souvent, nous entendons qu'il est nécessaire d'imposer des peines minimales obligatoires, comme l'a décrit M. Mauer, afin que les subalternes et les personnes des rangs inférieurs du commerce de la drogue acceptent de dénoncer les personnes plus haut placées; ainsi, les peines minimales obligatoires seraient nécessaires pour faire l'apologie de causes plus importantes.

Notre pays regorge d'exemples de grandes poursuites intentées pour fraude, par exemple, ou pour crimes économiques. Toutes ces poursuites se soldent par des condamnations. Ce sont des affaires où des fraudeurs de haut niveau sont mis derrière les barreaux pour de nombreuses années; Bernie Madoff est un de ceux là. Pourtant, aucun — sinon très peu — de ces crimes n'est assorti d'une quelconque condition s'apparentant à une peine minimale obligatoire.

Donc je ne crois pas que l'argument selon lequel il faut, pour arriver à nos fins, imposer des peines minimales obligatoires aux personnes de rang inférieur se tienne car, sinon, cette procédure serait appliquée coup sur coup et elle donnerait par ailleurs d'excellents résultats.

Le sénateur Nolin : Tout d'abord, j'aimerais savoir ce que pensent les législateurs fédéraux et d'État des mesures adoptées aux États-Unis. Observe-t-on parmi ces gens une tendance à vouloir s'éloigner d'un régime comme celui des peines minimales obligatoires, parce qu'elles ne fonctionnent pas?

M. Mauer : Je crois que c'est une tendance naissante. La crise financière y est pour beaucoup : les États en sont à déterminer comment appuyer leurs services essentiels et reconnaissent que, dans bien des cas, les populations carcérales sont beaucoup plus denses que ne le requiert véritablement la sécurité publique.

Par conséquent, les gens commencent à remettre en cause le bien-fondé de cette démarche et à s'en éloigner. Je ne parle pas ici de renonciation totale et absolue, mais on a vu s'opérer un changement important au cours des dernières années.

Le sénateur Nolin : Aux États-Unis, vous avez recours aux programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie. Pouvez-vous nous parler des effets de ces programmes et nous donner une idée de la mesure dans laquelle ils sont appliqués? Nous le faisons également, dans un certain nombre de régions urbaines. Le projet de loi à l'étude présentement tend à vouloir en élargir cette pratique.

Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

M. Mauer : Je dirais rapidement que les tribunaux de traitement de la toxicomanie se sont multipliés au cours des vingt dernières années aux États-Unis. Le pays compte maintenant quelque 2 000 tribunaux de traitement de la toxicomanie. Nous ne pouvons nous vanter d'en faire des évaluations exhaustives parce que bon nombre de ces tribunaux n'ont pas été évalués. En règle générale, lorsque les évaluations sont bien faites, on constate que les gens qui réussissent le programme font moins de récidives et consomment moins de drogues. De plus, on constate généralement une économie de coûts en raison des incarcérations moins nombreuses.

Toutefois, certains problèmes potentiels sont rattachés aux tribunaux de traitement de la toxicomanie, dont deux en particulier. Le premier problème est relié aux critères d'admissibilité à ce type de programme. Une des craintes est la suivante : lorsqu'un important réseau de tribunaux de traitement de la toxicomanie est mis sur pied, les gens qui y passent ne sont pas nécessairement ceux qui auraient autrement à purger une peine d'emprisonnement. On peut alors se demander s'il se produit l'effet de déjudiciarisation recherché.

Deuxièmement, le système de justice pénale se doit-il d'être le dispensaire de services de traitement de la toxicomanie et d'autres services sociaux? Ne serions-nous pas mieux, du moins dans certains cas, d'élargir l'éventail des services de traitement de la toxicomanie offerts dans la collectivité? En ce moment, dans de nombreuses collectivités à faible revenu, il se produit une chose étrange, c'est-à-dire que les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie auraient de meilleures chances d'être traitées si elles étaient d'abord appréhendées. Ces personnes peuvent être admises aux programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie plutôt que d'attendre qu'une place se libère pour eux dans un programme de traitement subventionné par l'État. Cette façon de structurer les choses me paraît inefficace.

Mme Price : Au niveau fédéral, on ne trouve pas de tribunaux de traitement de la toxicomanie. Nous avons des tribunaux chargés de superviser les détenus après leur sortie de prison. Lorsque les gens sont remis en liberté, ils sont supervisés par ces tribunaux pendant un certain nombre d'années. Ces personnes sont souvent incarcérées de nouveau si elles échouent le processus de supervision. Il s'agit d'un programme pilote mis à exécution dans certains districts afin de tenter de garder ces gens hors de prison et de réduire les taux de récidivisme qui, parfois, ne sont pas fidèles à la réalité du fait qu'ils tiennent compte des violations à caractère technique et autres.

La National Association of Criminal Defense Lawyers a récemment publié un examen approfondi des tribunaux de traitement de la toxicomanie aux États-Unis, qui pourrait se révéler utile pour les membres de ce comité. L'examen a été mené en réponse à certaines préoccupations comme quoi, dans certains cas, les défendeurs sont tenus de renoncer à certains droits constitutionnels ou de plaider coupables avant qu'une décision soit rendue, pour ensuite être admis au tribunal de traitement de la toxicomanie. S'ils réussissent le programme, la suite des choses ne sera pas forcément la même pour tous. Certains avocats de la défense estiment que cette tendance, bien que prometteuse, soulève des préoccupations d'ordre constitutionnel.

Le sénateur Nolin : Nous prendrons connaissance de l'étude dont vous parlez.

La présidente : Vos observations ont été extrêmement intéressantes et utiles.

J'aimerais accueillir nos prochains témoins, M. Eric Sterling et Mme Sharon Dolovich, qui sont des nôtres par vidéoconférence et qui nous aideront à poursuivre notre étude du projet de loi C-15.

Monsieur Sterling, la parole est à vous.

Eric E. Sterling, président, Criminal Justice Policy Foundation : Je vous remercie d'avoir distribué le texte de ma déclaration préliminaire. J'aimerais repartir du point soulevé par le sénateur Wallace. J'ai eu le privilège d'entendre les observations des témoins précédents. Je reconnais que ceux qui comme moi se penchent sur le problème de la drogue sont conscients de la gravité du problème que représente en ce moment le narcotrafic associé au crime organisé au Canada. Nous sommes conscients de la violence perpétrée par les gangs de criminels, de l'ampleur des profits et de l'appréhension qu'éprouve, avec raison, la population à l'égard de cette situation, qui prend des proportions de plus en plus inquiétantes. Par conséquent, il est compréhensible que le gouvernement du Canada ait proposé de nouvelles mesures pour tenter d'enrayer ce problème. Il me fait très plaisir de savoir que vous prenez le temps d'analyser les mesures proposées afin de déterminer si elles permettront de rétablir la paix et la tranquillité au Canada.

Comme vous le savez peut-être, dans les années 1980, je siégeais comme avocat à la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis, qui planchait sur le problème de la drogue. J'ai été nommé à ce poste lorsque Jimmy Carter était président et j'y suis resté tout au long du mandat du président Reagan également. Pendant que le problème de la drogue s'amplifiait aux États-Unis, que la violence en Floride ne cessait d'augmenter, que le problème de la cocaïne prenait racine et que la consommation et le trafic du crack explosaient dans tout le pays, j'étais assis autour d'une table à aider des hommes et des femmes comme vous qui étaient vivement préoccupés par ce problème.

Le sénateur Watt a posé une question à propos des petits revendeurs et des têtes dirigeantes. C'est une notion très importante qu'il vous faut saisir. Qu'est-ce qu'un petit revendeur? Qu'est-ce qu'une tête dirigeante? Lorsque les lois des États-Unis ont été élaborées et que nous avons été appelés à établir des quantités, les premières quantités que j'ai proposées pour les trafiquants de haut rang ont été rejetées par le membre du Congrès Romano — ou, si vous préférez, Ron — Mazzoli, de Louisville, au Kentucky. Ce dernier a déclaré que les peines minimales obligatoires ne seraient pas appliquées à Louisville si ces définitions étaient adoptées à l'égard des trafiquants de haut rang. Personne autour de la table n'a eu la sagesse de mentionner que Louisville n'est pas une plaque tournante du commerce la drogue aux États- Unis. On ne trouve pas de véritables barons de la drogue à Louisville. Il y a d'importants trafiquants à Louisville, certes, mais le plus important trafiquant de Louisville n'est qu'un contrevenant aux lois de l'État, qui ne pourrait en ces circonstances être l'objet d'une poursuite fédérale.

Ainsi, dans notre hâte à faire adopter la loi, personne n'a abordé ce point et, par conséquent, nos quantités sont triviales. Nous n'avons pas pu nous concentrer sur les contrevenants de haut niveau. Nous avons aux États-Unis 96 procureurs fédéraux, répartis dans divers districts un peu partout au pays, qui s'affairent tous activement à mettre la main au collet des plus gros trafiquants de drogue dans leurs territoires respectifs. Par conséquent, d'énormes ressources sont gaspillées en Virginie occidentale, au Kentucky, en Caroline du Nord et dans le Dakota du Nord, puisque les narcotrafiquants américains et internationaux concentrent leurs activités à New York, Miami, Houston, Los Angeles et Chicago. Au lieu de répartir nos ressources comme il se doit, nous les avons diluées un peu partout au pays.

Lorsqu'un revendeur pousse de la drogue à des enfants, peu m'importe qu'il soit un gros revendeur ou un petit revendeur : cette situation m'inquiète. Néanmoins, est-ce une affaire d'importance fédérale? Ceux qui comme moi travaillent aux États-Unis ne connaissent rien du système fédéral canadien. Est-ce que vos causes sont toutes des causes fédérales? Quel est le rôle des autorités provinciales d'application de la loi? Aux États-Unis, bon an mal an, on compte 25 000 causes fédérales liées à la drogue et 1,5 million de causes locales ou d'État liées à la drogue. Il y a de grandes disparités dans l'affectation des ressources, du moins aux États-Unis.

Brièvement, notre perception était que les peines minimales obligatoires ont conduit à une injustice, et qu'elles ont été inefficaces. Nous n'avons pas mis l'accent sur les grands trafiquants, mais plutôt sur les petits trafiquants. Aujourd'hui, les trafiquants de drogue sont plus efficaces qu'il y a 25 ans. Ils fournissent un produit plus pur et à coût moindre par gramme. En effet, les lois sur les drogues ont permis d'arrêter les trafiquants de drogue malchanceux ou peu intelligents, alors que les trafiquants plus agressifs, plus violents et plus intelligents ont prospéré. Par conséquent, nous n'avons pas réussi à cet égard.

Les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont une bonne chose. Dans mon témoignage écrit, j'indique que j'ai assisté à la remise de diplômes dans un tribunal de traitement de la toxicomanie aux États-Unis il y a quelques semaines à peine. Quatre diplômés ont participé à une grande cérémonie à l'intérieur du tribunal. Il existe un problème de proportion qui est complètement inadéquate. Je recommande que le comité examine le programme HOPE mis en œuvre à Hawaï ainsi que différentes façons d'aborder la question des contrevenants consommateurs de stupéfiants et qui se retrouvent devant un tribunal au Canada.

Dans une certaine mesure, le comité se concentre sur le cannabis. Je recommanderais que les contrevenants condamnés pour possession de cannabis ne soient pas punis. Je ne suis pas d'accord avec mon amie, Mme Mary Price, qui affirme qu'un jeune âgé de 17 ans doit être puni pour avoir vendu un joint. Un jeune de 17 ans ne doit pas être puni pour avoir vendu un joint, en tout cas, ce jeune ne doit certainement pas être emprisonné.

C'était là certaines de mes réflexions. Vous avez en main les remarques que j'ai préparées. J'ai hâte d'essayer de répondre à vos questions du mieux que je le peux. J'aimerais maintenant remettre le microphone à la professeure Dolovich.

La présidente : Avant cela, j'ai oublié de vous présenter nos téléspectateurs. M. Sterling est le président de la Criminal Justice Policy Foundation, et Mme Dolovich est professeure de droit à l'Université de Georgetown. Bienvenue à vous deux. Vous pouvez maintenant commencer, madame Dolovich.

Sharon Dolovich, professeure, faculté de droit de l'Université de Georgetown, à titre personnel : Merci. Madame la présidente et messieurs et mesdames les membres du comité, merci de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Comme vous l'avez mentionné, je suis professeure à la faculté de droit de l'Université de Georgetown. Je dois dire qu'habituellement, je suis professeure de droit à l'UCLA, et cette année, je suis professeure invitée à la faculté de droit de l'Université de Georgetown. J'enseigne le droit criminel et le droit relatif aux emprisonnements, et dans mes recherches et dans mon enseignement, je mets l'accent sur la théorie du droit et les politiques d'incarcération.

Au cours de la dernière décennie, j'ai étudié le système de justice criminelle aux États-Unis, et le système de justice pénale en particulier, et d'après tout ce que j'ai pu apprendre et observer, il est évident pour moi que l'expérience des peines minimales obligatoires aux États-Unis et d'autres modèles inflexibles de détermination des peines, une expérience qui a d'abord été menée dans le cadre de la prétendue guerre à la drogue, a été une catastrophe totale en matière de politique. Non seulement cette expérience a-t-elle eu peu d'effets sur le problème de la drogue, mais elle a mené à des incarcérations massives qui ont créé énormément de problèmes sociaux et qui ont davantage miné la sécurité des citoyens.

Si le Canada suivait l'exemple des États-Unis à cet égard, à mon avis, ce serait une terrible erreur. En outre, une fois que cette erreur aurait été commise, il serait extrêmement difficile d'y remédier car, comme nous l'enseigne l'exemple américain, une fois que les peines minimales obligatoires ont été adoptées, ça peut être difficile de revenir en arrière.

La raison pour cela est politique. Les peines obligatoires remettent entre les mains des législateurs la responsabilité de fixer des peines particulières pour certains crimes au moyen d'un processus qui est nécessairement séparé de la détermination de la peine des contrevenants. Dans le contexte législatif, du moins aux États-Unis, toute la pression politique va dans le sens d'un accroissement des peines dans le domaine criminel. Les politiciens ne paient presque jamais de prix politiques pour avoir institué des sanctions davantage punitives. Cependant, dès qu'un signe montre que la sévérité des peines est assouplie, les législateurs peuvent facilement être accusés d'être trop cléments envers les criminels, une accusation pour laquelle les politiciens paient habituellement un prix politique très élevé. En pratique, cependant, un modèle de détermination des peines obligatoires a mené uniquement à des peines plus sévères. De plus, l'adoption d'un modèle de détermination des peines obligatoires, même s'ils se limitent à un nombre limité de cas, comme c'est le cas dans le projet de loi C-15, peut annoncer la venue d'une utilisation beaucoup plus grande de cette forme de détermination des peines. Par conséquent, autrement dit, une fois que ce modèle a été adopté dans un contexte, il est facile de l'adopter dans un autre. C'est du moins ce qu'on a pu constater aux États-Unis.

Par contre, l'utilisation extravagante de peines fixées à l'avance aux États-Unis a également contribué d'une façon significative à une expansion massive du système carcéral, ce qui a entraîné un ensemble de problèmes sociaux graves dont j'aimerais parler brièvement.

Je veux indiquer clairement qu'en énumérant ces problèmes, je ne cherche pas à laisser entendre que l'incarcération n'est jamais justifiée. Toutefois, le fait de condamner des gens à des peines d'emprisonnement n'est pas une solution gratuite — bien au contraire. L'emprisonnement impose toutes sortes de types de coûts sociaux graves et nuisibles. Par conséquent, s'il doit y avoir emprisonnement, il faut le faire de façon judicieuse et seulement dans la mesure où cela est absolument nécessaire. Malheureusement, au cours des dernières décennies aux États-Unis, il est arrivé trop souvent que ça n'a pas été le cas.

Au cours des 40 dernières années environ, comme certains d'entre vous le savez, la population carcérale a explosé aux États-Unis. Pour vous donner une idée des chiffres, en 1970, environ 360 000 hommes et femmes étaient incarcérés dans des prisons fédérales et dans des prisons des États. Aujourd'hui, plus de 2,4 millions de personnes sont incarcérées. Les États-Unis emprisonnent maintenant un nombre beaucoup plus élevé de personnes par habitant que n'importe quel autre pays dans le monde, plus qu'en Russie, au Rwanda ou à Cuba, qui sont eux-mêmes des leaders mondiaux dans ce domaine. En réalité, il est devenu pratique commune de qualifier le régime actuel aux États-Unis comme en étant un d'emprisonnement de masse.

Ce changement important a correspondu à un repositionnement majeur vers la droite de la culture politique américaine. Il ne fait aucun doute que de nombreux facteurs ont contribué à ce changement et aux peines de plus en plus sévères qu'il a apportées, mais si nous nous concentrons sur la question de façon précise, les changements législatifs qui ont rendu possible cette expansion, la réponse est un consensus national sur la détermination des peines, par exemple, les peines minimales obligatoires sous diverses formes, y compris la loi exigeant que les personnes reconnues coupables de crimes avec violence purgent la quasi-totalité de leur peine en prison, la loi des trois fautes et les peines minimales obligatoires, ce qui, comme je l'ai mentionné, a commencé dans le contexte des infractions liées à la drogue mais se sont rapidement étendues à d'autres domaines.

Parallèlement, cet ensemble de politiques a mené à une augmentation en flèche de la population carcérale aux États- Unis. Le résultat a été l'émergence d'un système carcéral massif qui a fait augmenter les coûts sociaux, qu'il est presque impossible d'exagérer. De façon encore plus évidente, les emprisonnements de masse sont extrêmement dispendieux, ils nécessitent des fonds qui pourraient autrement être utilisés dans des initiatives plus productives sur le plan social. Les coûts de fonctionnement peuvent s'élever jusqu'à 44 000 $ par détenu par année, selon le niveau de sécurité de l'établissement. En outre, le renforcement de nouvelles capacités, qui constitue une nécessité permanente compte tenu de la surpopulation carcérale, peut coûter jusqu'à 65 000 $ par lit. En 2008, les États ont dépensé au total 52 milliards de dollars pour faire fonctionner leur système carcéral.

En plus des coûts financiers, d'autres coûts sont liés à l'emprisonnement de masse. L'emprisonnement déchire les familles et génère un stress matériel et psychologique qui peut faire en sorte que les enfants de parents emprisonnés aient une propension eux-mêmes à être emprisonnés plus tard. De plus, dans le cas des personnes emprisonnées, l'emprisonnement peut entraîner des troubles physiques et psychologiques importants et peut éroder systématiquement la possibilité que les personnes incarcérées obéissent aux lois et soient productives du point de vue social lorsqu'elles seront libérées.

Dans une certaine mesure, c'est le résultat inévitable de l'emprisonnement, et comme les spécialistes l'ont montré, un emprisonnement à long terme inculque une passivité apprise qui peut miner la capacité d'une personne de fonctionner d'une manière saine dans la société.

Par contre, chose encore plus troublante, il y a les dangers que représente l'emprisonnement pour les gens qui se retrouvent dans un établissement surpeuplé. Aujourd'hui aux États-Unis, les prisons sont surpeuplés de façon chronique, ce qui constitue le résultat des décennies au cours desquelles les États avaient une propension toute particulière en faveur de l'emprisonnement, et qui a mené à l'adoption et à un accroissement des peines obligatoires, ce qui a dépassé la capacité de construire de nouvelles capacités carcérales. En conséquence, dans les installations carcérales du pays, les prisonniers sont regroupés dans des dortoirs ou dans des cellules minuscules destinées à accueillir une seule personne, ce qui a mené à plus d'instabilité et à plus de risque de violence tout en diminuant le contrôle que les responsables des prisons peuvent avoir sur un établissement.

En résumé, les prisons surpeuplées sont dangereuses à plusieurs égards. Dans de telles circonstances, par exemple, même des prisonniers qui ne sont pas enclins à la violence doivent être prêts à se battre pour se défendre. Dans un tel milieu, la nécessité pour les gens d'avoir l'air dur et rude peut donner lieu à toutes sortes de tendances, comme l'agressivité, l'insensibilité et un tempérament à fleur de peau, ce qui ne peut que perpétuer une atmosphère instable et malsaine en prison et créera sans doute les mêmes problèmes dans la société en général une fois que les prisonniers auront été libérés.

Voilà donc un des aspects du problème que pose l'encombrement des établissements. Il y a aussi toute la question des préoccupations à l'égard de la santé publique. Pour dire les choses simplement, dans les situations de ce genre, il peut être difficile de maintenir un niveau suffisant d'hygiène et l'encombrement conjugué à l'insalubrité crée des conditions propices à la propagation rapide de maladies infectieuses. En fait, je dirais que le risque de propagation de maladies infectieuses et la promotion de la violence que l'on observe dans les établissements pénitenciers surpeuplés ont beaucoup en commun. Dans les deux cas, il s'agit de conditions dégradantes qui menacent non seulement la santé et le bien-être des détenus mais également celle de la société en général, puisque la plupart des gens condamnés à la prison en sortiront tôt ou tard et réintégreront la société.

L'expansion du système carcéral présente également d'autres aspects dangereux sur le plan social. Plus le système est gros et plus les prisons sont encombrées, plus il est difficile pour les agents chargés de maintenir l'ordre et la sécurité d'accomplir leur travail, ce qui crée un terreau fertile à la formation et au développement de bandes dans le milieu carcéral. Dans de telles conditions, le viol et la coercition sexuelle parmi les prisonniers se répandront et il deviendra difficile de maintenir ne serait-ce qu'un minimum de soins de santé physique et mentale adéquats chez les détenus.

Mon propos, en énumérant ainsi les coûts sociaux de l'incarcération de masse, n'est pas tant de dire que c'est ce qui attend le Canada si le projet de loi C-15 est adopté, mais tout simplement d'indiquer quelques-uns des graves problèmes qui sont apparus aux États-Unis après qu'on eut laissé pendant des années s'installer l'émotivité et la culture de la peur au détriment de la sagesse et de la réflexion qui auraient dû présider à l'élaboration d'une politique sur la criminalité.

Encore une fois, l'expérience américaine nous enseigne qu'il est beaucoup plus facile de créer un intérêt politique pour des mesures sévères de répression de la criminalité telles que l'imposition de peines obligatoires qu'il ne l'est de renoncer aux politiques en cause une fois que leurs conséquences néfastes sont devenues évidentes. La politique en matière de détermination de la peine tend à se constituer dans l'abstrait à l'égard de la figure mythique du méchant criminel; et il est facile d'être contre ce genre de personne. Mais tous les délinquants criminels ne sont pas méchants. Aux États-Unis, il est possible de soutenir que, pour ce qui est d'un très grand nombre de personnes, le coût du maintien en détention l'emporte largement sur les avantages.

Le problème que pose l'imposition de peines minimales est qu'elle ne permet pas de déterminer au cas par cas qui doit rester derrière les barreaux et qui la société peut remettre en liberté sans risque pour sa sécurité et dans une perspective de réinsertion productive. Elle est par conséquent en contradiction avec les exigences de la justice et de l'équité, qui requièrent de prendre en compte les circonstances particulières d'une affaire quand il s'agit de déterminer la peine à imposer. Elles vont également à l'encontre de l'intérêt supérieur de la société, qui demande de n'incarcérer qu'en cas d'absolue nécessité pour une durée ne dépassant pas ce qui est absolument nécessaire.

Encore une fois, je ne dis pas qu'il ne faut pas incarcérer les délinquants criminels. Mais nous devons garder à l'esprit que l'État n'est pas tenu de répondre à chaque crime par une peine d'emprisonnement de longue durée. On entend souvent dire que ceux qui commettent un crime doivent purger la peine que leur vaut leur acte, mais cette formule passe complètement à côté du fait que la durée de la peine qui est prescrite pour une infraction donnée n'est pas prédéterminée; elle relève d'une décision politique.

Considérant les graves conséquences qu'entraîne le maintien de prisonniers derrière les barreaux, il conviendrait de ne recourir à cette mesure qu'en cas d'absolue certitude qu'il n'existe aucune autre façon de mettre la société à l'abri du danger.

Le sénateur Nolin : Bon après-midi et merci d'avoir accepté notre invitation. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir fait part de votre expérience. Elle nous sera sans doute utile pour évaluer le projet canadien.

Monsieur Sterling, je suis en train de relire des passages de votre mémoire. Madame la présidente, attendrons-nous à la fin pour proposer que ces documents soient intégrés à nos délibérations ou souhaitez-vous que je le fasse maintenant?

La présidente : Nous ne devrions pas gaspiller le temps dont nous disposons pour la vidéoconférence, il vaudrait mieux garder le tout pour la fin.

Le sénateur Nolin : Monsieur Sterling, j'aimerais revenir sur ce que vous écrivez aux pages 15 et 16 au sujet de la peur qu'éprouve le public.

À la page 16, vous affirmez carrément, dans la première phrase du deuxième paragraphe, que nos cultures sont fascinées sinon obsédées par le crime. Au cours de votre allocution d'introduction, vous avez mentionné que la véritable intention à la base est de nature politique. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce dont vous vouliez nous convaincre?

M. Sterling : Il importe de ne pas donner une extension démesurée à cette critique de la récupération de la criminalité par la politique. C'est ce qui s'est produit aux États-Unis. Là où je veux en venir, c'est que la politique à l'égard de la criminalité est largement médiatisée. Le public y est attentif parce qu'elle s'exerce sur des réalités qui nous font peur; nous cristallisons nos peurs sur cette dimension en raison de la représentation qu'en donne notre culture.

Une autre culture sera davantage encline à craindre les catastrophes naturelles; c'est l'approche d'une tempête, par exemple, qui fera la manchette, ou une inondation, ou un ouragan. Voilà ce qui fera peur à la population. Accessoirement, on craint davantage la maladie, à moins que la catastrophe ne soit le thème d'une de nos émissions de télévision.

Pensez aux chansons, à la musique, au cinéma, aux spectacles et aux romans — le roman policier lui-même, par exemple. On observe dans notre culture une formidable fascination pour le crime, avec, en corollaire, l'inquiétude qu'il inspire.

Je me rappelle un membre de notre comité, à Washington, qui avait la réputation d'être un champion de la lutte contre la criminalité; l'essentiel du travail qu'il accomplissait au Congrès se faisait en coulisses pour le compte d'institutions financières. Il ne pouvait naturellement pas dire à ses électeurs : « J'ai fait faire des affaires d'or aux banques. J'ai escroqué le consommateur en travaillant dans l'intérêt des banques. » Il dirait plutôt : « J'ai combattu le crime pour vous. »

Dans une assemblée publique, les membres du Congrès ne parleront pas de leur intervention à l'égard d'un taux de taxation donné appliqué à des articles importés de Corée du Sud. Ils parleront plutôt de ce qu'ils ont fait pour protéger le public contre ce qui lui fait peur.

Je ne voudrais pas m'étendre trop longuement sur cette question, mais j'ai observé cette attitude à Washington. Je ne veux pas dire que la même chose est en train de se produire au Canada. Je sais qu'il y a chez vous un problème de criminalité organisée qui vous préoccupe.

Mme Dolovich : J'ai effleuré cet aspect dans mes commentaires. Il est très vrai que la peur de la criminalité peut être récupérée sur le plan politique, mais je ne crois pas qu'il en aille de même au Canada.

Il peut donc être facile, comme l'a laissé entendre M. Sterling, d'obtenir l'appui des électeurs à une mesure qui semble propre à mettre sérieusement à mal la criminalité. C'est ainsi qu'on observera une augmentation systématique de la sévérité des peines infligées en de nombreux endroits de ce pays. Je viens de Californie, où j'ai passé les 10 dernières années. On observe là-bas une sorte de surenchère systématique au niveau de la sécurité des peines infligées quand il devient politiquement rentable d'aller dans ce sens, au détriment d'une véritable réflexion sur l'efficacité d'un régime donné d'imposition de peines.

Le défi consiste à séparer l'analyse de la politique de façon suffisamment nette pour qu'il soit sûr que le régime adopté soit véritablement sensé.

Le sénateur Nolin : Vous êtes deux observateurs de la société. Permettez-moi de faire une analogie avec le commerce de l'assurance. Pour vendre de l'assurance, on amplifie le risque que l'on court peut-être. Et voilà que les ventes d'assurances prennent leur essor. Voyez-vous les choses un peu comme ça?

Mme Dolovich : C'est une analogie qui semble convaincante.

Le sénateur Nolin : Merci beaucoup.

La présidente : Madame Dolovich, si ma mémoire est bonne, vous êtes originaire du Canada, n'est-ce pas?

Mme Dolovich : C'est exact. Je suis née aux États-Unis mais j'ai grandi à Hamilton et j'ai fréquenté l'Université Queen's de Kingston, en Ontario.

La présidente : Vous serez toujours la bienvenue quand vous voudrez revenir.

Mme Dolovich : Merci. Je reviens souvent, en fait.

Le sénateur Angus : Je me permets de vous souhaiter moi aussi la bienvenue à tous les deux. Nous apprécions le travail que vous avez accompli et nous vous remercions du temps que vous avez consacré à notre étude.

Je voudrais être sûr de bien comprendre la situation. Je me rappelle qu'à l'époque où M. Nixon était président, je crois, on avait déclaré une guerre totale à la drogue. Est-ce bien à peu près à ce moment-là que tout a commencé?

M. Sterling : Il y a eu un peu de ça, puis la campagne a pris une ampleur considérable sous l'administration Reagan. À l'époque du président Nixon, les taux de criminalité avaient connu une croissance considérable. La consommation de drogues chez les militaires américains au Vietnam inquiétait au plus haut point.

C'était une ère d'assassinats politiques aux États-Unis. C'était une ère de formidables bouleversements sociaux et les drogues revêtaient une signification symbolique. Les jeunes hommes portaient les cheveux longs; les femmes brûlaient leur soutien-gorge. Tout cela s'inscrivait dans une intense période d'agitation sociale aux États-Unis.

Le sénateur Angus : Je m'en rappelle. Je suis avocat. J'ai fréquenté l'école de droit à la fin des années 1950 et au début des années 1960 et je me rappelle être allé souvent aux États-Unis pendant l'administration Nixon.

Quelques-uns de mes amis membres de l'American Young Lawyers Conference ont été convoqués à Washington pour plancher sur la guerre totale à la drogue et ils ont introduit la notion de tolérance zéro. Nous sommes maintenant en 2009. La guerre à la drogue a-t-elle contribué à enrayer, à le faire reculer ou à mieux gérer le problème?

M. Sterling : Je dirais qu'elle a eu un certain impact. Il est toutefois difficile de s'en faire une idée exacte parce que le problème a considérablement empiré depuis l'époque du président Nixon. Nul doute qu'il est plus facile de se procurer des drogues aujourd'hui. C'est sous l'administration Nixon qu'ont été mises sur pied les premières campagnes de collecte de données nationales. Elles ont lieu chaque année et elles révèlent que les drogues sont toujours très faciles d'accès pour les jeunes et que le nombre de consommateurs de drogue aujourd'hui aurait été inimaginable à l'époque de l'administration Reagan. Le prix de la drogue aujourd'hui est incroyablement bas. Lors de la première audience du Congrès que j'ai mise sur pied, le directeur de la Drug Enforcement Administration, la DEA, se vantait de ce que le degré de pureté de l'héroïne était passé de 5 à 3 p. 100 et prétendait qu'on faisait des progrès. Aujourd'hui, le degré de pureté moyen de l'héroïne est de 30 à 50 p. 100, ce qui aurait été inconcevable il y a 25 ans.

Mme Dolovich : Vous avez demandé si le problème persistait. Je répondrais en disant que quelle que soit la situation actuelle — et je reconnais avec M. Sterling qu'il a pu y avoir une certaine amélioration sur certains aspects — le remède choisi est pire que le mal. Dans mon allocution du début, j'ai parlé des effets de l'incarcération de masse. Le premier facteur à avoir favorisé l'incarcération de masse aux États-Unis est la guerre à la drogue. Les problèmes agissent sur les familles de différentes manières; par exemple, elles acculent les enfants à la pauvreté et elles compliquent la démarche de ceux qui veulent réintégrer la société pour y jouer un rôle socialement productif. Je soutiens qu'une sorte de fatalité unit le problème de la drogue et l'incarcération. Je proclame qu'il n'est pas obligatoire que ces deux phénomènes demeurent liés et qu'il serait possible d'adopter des solutions plus saines et plus imaginatives desquelles l'incarcération serait absente.

Le sénateur Angus : La réalité, c'est que les États-Unis se sont dotés d'une batterie de lois draconiennes en matière pénale, entre autres. Certaines situations observées au Canada nous causent un choc, quand, par exemple, des gens qui sont aujourd'hui d'âge moyen sont interceptés à la frontière parce que, pendant leurs années d'université, ils ont été pris alors qu'ils cachaient un reste de marijuana dans une de leurs chaussures, ou pour d'autres raisons analogues. Ils se voient interdire l'entrée aux États-Unis pour toujours. J'ai connu beaucoup de clients qui ont dépensé des sommes énormes pour faire radier toute mention de ces « frasques » de leurs dossiers.

Dernièrement, le comité s'est penché sur un projet de loi qui instaurait des mesures que je trouvais draconiennes et dont j'ai vigoureusement combattu l'adoption. Il prévoyait des peines minimales au Canada en cas de pollution par les hydrocarbures déversés par des navires et faisait des criminels des marins en cause. Nous avons entendu quelques-uns des principaux arguments présentés à l'appui de ce projet de loi, qui allait beaucoup trop loin, en ce sens que le châtiment aurait été bien pire que le crime. Les partisans du projet de loi donnaient en exemple le courant américain en faveur de lois plus sévères. Les gardes-côtes américains munis d'armes automatiques peuvent arraisonner un navire et arrêter le capitaine et l'équipage pour un déversement ayant causé le rejet sur la plage de quelques oiseaux.

Quand notre ministre a comparu devant le comité, il a dit que le gouvernement ne cherchait pas à pincer une poignée d'étudiants avec quelques joints de marijuana, mais qu'il essayait de mettre la main sur les gros caïds. Vous avez indiqué à quel point il était difficile d'y arriver. J'ai lu votre document, monsieur Sterling, que j'ai trouvé fort intéressant. Une phrase a attiré mon attention. À la page 3, vous dites que vous voulez nous féliciter pour la modestie dont nous faisons preuve relativement aux peines minimales obligatoires qui sont proposées. Vous dites qu'aux États-Unis les peines minimales obligatoires sont de 5, 10, 15, 20 ans et même plus. La législation américaine prévoit un grand nombre de peines minimales obligatoires. Est-ce exact?

M. Sterling : Oui.

Le sénateur Angus : Vous vous opposez à cette idée, et vous vous justifiez en disant que, sur le plan de la criminologie, vous ne les voyez pas d'un bon œil. En réalité, il y a beaucoup de peines obligatoires aux États-Unis. Le gouvernement canadien essaie de trouver un moyen de dissuader les gros caïds et de les arrêter.

Je ne sais absolument pas si c'est la bonne façon d'y arriver, mais c'est un début. Y a-t-il des aspects positifs liés aux peines minimales ou aux sentences déterminées?

Mme Dolovich : Il y en a quelques-uns. Comme vous l'avez laissé entendre, dès qu'on établit le concept d'une peine minimale obligatoire même dans une seule région, il se produit deux choses, comme en témoigne l'expérience que nous avons vécue aux États-Unis : les peines minimales que vous imposez au départ seront prolongées parce que c'est facile de le faire; et vous commencez à imposer les peines minimales dans un contexte, ce qui vous emmène ensuite vers d'autres contextes criminels. Cela m'inquiète.

Vous vous interrogez sur les aspects positifs. Ce que les témoins précédents ont dit concernant l'utilisation des peines minimales comme menace à l'endroit des gens qui détiennent de l'information sur d'autres crimes, j'imagine que cela pourrait constituer un aspect positif. Cependant, je crois qu'on obtient souvent l'effet contraire parce qu'on se retrouve dans une situation où les personnes qui détiennent plus d'information se voient imposer une peine moins longue que les personnes qui détiennent moins d'information.

M. Sterling : Si vous voulez poursuivre les gros trafiquants, j'encourage la Gendarmerie royale du Canada à demander à la Drug Enforcement Administration et au Federal Bureau of Investigation de collaborer avec elle sur la question des trafiquants haut placés. Les États-Unis ont la capacité de surveiller tous les types de communications internationales et d'activités financières. J'ai l'impression qu'en travaillant ensemble vous pourriez trouver les personnes qui blanchissent de l'argent dans les îles Caïmans, dans les Bahamas ou en Suisse et celles qui organisent les envois de l'Amérique du Sud vers le Canada.

Je crains entre autres que nous soyons en train de gaspiller notre énergie sur des affaires de bas niveau à cause d'un manque de discipline de la part de procureurs qui, pour assouvir leurs ambitions politiques, préfèrent annoncer à la télévision qu'ils ont démantelé une grosse organisation et arrêté le caïd. Cependant, ils ont arrêté le caïd de la 33e Rue, et non celui de l'État ou du pays. Dans la mesure du possible, vous devez surveiller les activités de vos organismes d'enquête et leur demander la preuve qu'ils ont une stratégie. À New York, l'ancien commissaire de police William Bratton a élaboré une stratégie intitulée Compstat avec les chefs de ses postes de police. Il est allé voir les chefs du service de police de New York et leur a dit : « Je veux savoir quelle est la stratégie que vous employez pour réduire le crime dans votre secteur et, si vous n'avez pas de stratégie, je ne veux plus vous voir. Si vous n'avez pas de résultats à me donner, vous êtes congédiés. »

Malheureusement, en tant que législateur, je le constate souvent au Congrès, ils veulent se lier d'amitié avec le procureur. Ils veulent devenir amis avec le chef de l'organisme d'application de la loi, et ils n'exercent aucune pression pour obtenir des stratégies efficaces.

Le sénateur Angus : Au moins, nous avons la chance d'avoir un système différent du vôtre dans lequel nos procureurs et nos procureurs locaux ne sont pas élus.

Monsieur, tout ce que vous dites m'intéresse. Vous avez devancé ma troisième question lorsque vous avez demandé ce que nous allions faire si ce projet de loi ne nous aidait pas du tout. Notre ministre a dit qu'il s'agirait d'une panacée, mais c'est un autre outil dans la boîte de nos organismes d'application de la loi, un outil qu'ils ont demandé. Voilà donc de quoi il s'agit.

Si vous ne croyez pas que le projet de loi C-15 nous aidera à arrêter ces gens terribles, que nous faut-il? Vous avez dit qu'il fallait arriver jusqu'aux cartels les plus haut placés et jusqu'à ceux qui se trouvent à l'extérieur de notre territoire. Est-ce exact? C'est vraiment ce que vous dites, et c'est une tout autre histoire.

M. Sterling : Dans la législation américaine, la conspiration en vue de faire entrer de la drogue aux États-Unis est un crime. Nous appliquons une juridiction extraterritoriale aux crimes qui doivent être commis aux États-Unis, de sorte que nous puissions être informés des activités des organisations criminelles au Mexique, au Nigeria, en Thaïlande, en Colombie ou en Afghanistan. Je ne sais pas si vos lois prévoient cela.

Le sénateur Angus : Je pense que la coopération interfrontalière pour ce qui est d'Interpol est bonne. C'est un crime terrible. Ces avions atterrissent au milieu de la nuit, dans notre pays et dans le vôtre. Des navires viennent laisser des trucs. Des gens débarquent avec d'énormes quantités de ces substances.

M. Sterling : Il s'agit au bout du compte d'activités économiques. Les gens le font parce que c'est extrêmement lucratif. Jusqu'à tout récemment, la valeur de la marijuana était beaucoup plus élevée que celle de l'or. Le prix de l'or a grimpé radicalement depuis, mais il est tout de même inférieur, en dollars par gramme, à celui de la cocaïne et de l'héroïne.

Ces drogues coûtent cher parce qu'elles sont interdites. Nous devons chercher à déterminer si le fait d'interdire l'utilisation de ces drogues nous protège, ou si cela met les organisations criminelles en mesure de faire des profits.

La présidente : C'est un tout autre aspect du débat. Il ne reste que quelques minutes. Je peux vous dire qu'au Canada nous ne sommes pas de grands amateurs de la juridiction extraterritoriale.

Le sénateur Milne : Madame Dolovich, vous avez mentionné que les enfants dont les parents sont incarcérés sont plus susceptibles d'aboutir en prison. Avez-vous des statistiques qui prouvent cette affirmation?

Mme Dolovich : Je peux en obtenir. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux. C'est ce qu'ont révélé diverses études, et un certain nombre de facteurs sont en cause, notamment ce qu'il advient des enfants dont les parents sont en prison. Où se retrouvent-ils? Sont-ils pris en charge par d'autres membres de leur famille ou aboutissent-ils dans des familles d'accueil?

Apparemment, aux États-Unis, l'élément crucial qui permet de déterminer si un enfant dont le parent est incarcéré ira en prison est de savoir s'il a été placé en famille d'accueil, et c'est là que plusieurs jeunes aboutissent.

Je vais vous trouver les chiffres.

Le sénateur Milne : Veuillez les faire parvenir au greffier du comité.

Je vous ai écoutée parler de la loi exigeant que les personnes reconnues coupables de crime avec violence purgent la quasi-totalité de leur peine en prison et du fait que cette loi ne donne pas les résultats escomptés. M. Sterling a parlé d'envoyer un message, ce qui ne fonctionne pas parce que les criminels ne lisent pas ce message. Cela ressemble beaucoup au type de message dont nous sommes bombardés actuellement au Canada, vous savez donc maintenant ce que je pense de cette question.

Monsieur Sterling, vous avez parlé de songer un instant au message que la promulgation des dispositions relatives aux peines minimales obligatoires enverrait aux juges du Canada. Vous dites que c'est un message très accablant pour notre Parlement et les Canadiens, et vous pensez que nous devrions être tout à fait certains que c'est un message que nous voulons envoyer à nos juges.

Au Canada, nous avons toujours été extrêmement fiers de notre système judiciaire indépendant. Les juges ne sont pas élus; ils n'ont pas à être élus. Quel message voudriez-vous envoyer aux juges des États-Unis?

M. Sterling : Bon nombre de mes amis sont des juges, et ils apprécient les efforts que je déploie pour mettre un terme aux peines minimales obligatoires. Je veux reconnaître que leur formation et leur expérience, le jugement que nous leur attribuons, qui constitue le critère sur lequel repose leur nomination à ce poste important, peuvent s'appliquer aux affaires de trafic de stupéfiants. Si vous fournissez aux juges les faits d'une cause, la plupart d'entre eux seront en mesure de prendre une bonne décision en ce qui concerne la peine qu'il est justifié d'imposer.

Je vous invite à ne pas vous arrêter à une petite poignée de causes choisies exprès pour donner à penser que les juges agissent incorrectement, mais à examiner plutôt les peines appliquées au Canada pour voir si les juges imposent en fait des peines sévères dans les situations graves. Si les juges n'agissent pas incorrectement, je ne vois aucune raison de leur enlever cette étape, comme pour leur dire : « Voici les menottes, voici comment un juge doit procéder. Nous ne vous faisons pas confiance pour imposer la peine qui convient. » C'est là un message épouvantable.

Mme Dolovich : Je précise que les juges fédéraux, aux États-Unis, sont eux aussi nommés et non élus, et ont une fière tradition d'indépendance. Jusqu'à très récemment, soit depuis deux décennies, les lignes directrices fédérales limitaient énormément leur latitude en matière d'imposition de peines.

Durant la vingtaine d'années où les lignes directrices avaient un caractère obligatoire, on permettait uniquement aux juges d'examiner l'infraction commise et les antécédents criminels du délinquant. La peine devait être déterminée en fonction de ces deux facteurs exclusivement. C'était une grille toute simple : on alignait « acte criminel » d'un côté, « antécédents » de l'autre, et la peine se situait au point de convergence.

Le sénateur Milne : Le témoignage devant le juge n'avait aucune valeur?

Mme Dolovich : Le témoignage servait à établir les antécédents criminels. Il était important aussi pour obtenir une condamnation. Mais le problème était ensuite de savoir sur quoi se fonder pour déterminer la peine, parce que les lignes directrices permettaient uniquement de tenir compte de la nature de l'infraction, dont il existe de nombreux aspects, et des antécédents criminels. On laissait de côté les antécédents familiaux, les difficultés particulières, les motifs et les autres éléments.

Dans un système plus discrétionnaire, un juge qui, comme l'a dit monsieur Sterling, possède une expérience en la matière et a connu de telles causes pourrait donc décider ce qui est juste dans les circonstances. Par contre, le juge a les mains liées en présence d'un système de peines obligatoires. On objecte souvent aussi que ce système ne tient aucun compte de l'expérience des juges et de leur sagesse acquise.

M. Sterling : Un éducateur sait que la souplesse est nécessaire dans certains cas. Ce que vous essayez de faire, c'est d'inculquer un sens du jugement.

Le sénateur Milne : Je me permets de demander à monsieur Sterling de répondre par écrit à une question : vous nous avez recommandé un livre intitulé When Brute Force Fails : How to Have Less Crime and Less Punishment, de Mark Kleiman. Pourriez-vous nous envoyer un très court résumé des parties les plus importantes? Nous n'aurons malheureusement pas le temps de lire le livre au complet.

M. Sterling : Je m'en occupe.

Le sénateur Wallace : Je vous remercie pour vos exposés, qui nous ont beaucoup intéressés.

Monsieur Sterling, nous avons longuement débattu des peines minimales obligatoires et de leur efficacité, et nous avons aussi écouté attentivement vos propos.

J'observe une chose dans vos documents écrits, concernant en particulier les infractions reliées au cannabis — et gardons à l'esprit que le projet de loi C-15 voit la production et le trafic de cannabis comme une infraction, et que les peines minimales obligatoires s'appliqueraient ou pourraient s'appliquer dans certaines circonstances. Discuter des peines minimales obligatoires est une chose, mais je crois que dans le cas de la production et du trafic de cannabis, la question ne se pose même pas dans votre esprit.

Je dis cela parce qu'il m'a semblé, à la lecture de votre document, que vous êtes en faveur de la légalisation du cannabis. Vous affirmez que la consommation de cannabis ne semble pas causer un grand tort social au Canada, et vous ajoutez que les principes qui légitiment la punition par l'État d'un comportement fautif ne justifient pas la punition de la consommation de cannabis.

Est-ce que mon interprétation est correcte — tous vos propos sur les peines minimales obligatoires sont sans pertinence pour le cannabis, puisque vous défendez en fait sa légalisation?

M. Sterling : Je ne crois pas que cela soit exact. J'estime qu'il faudrait légaliser le cannabis.

Sur la question des peines minimales obligatoires, j'ai participé dans les années 1980 à leur rédaction en ce qui concerne le cannabis, pour le compte du Congrès américain. Mes observations sur les conséquences de telles peines s'appliquent à toutes les situations. Il se peut que j'aie mal compris la question.

Le sénateur Wallace : Vous y avez répondu, peut-être sans le savoir. Vos observations sur les peines minimales obligatoires ne concernent pas la production et le trafic du cannabis, et les accusations à ce sujet, puisque vous estimez qu'il faudrait le légaliser. Je suis conscient que les avis sont partagés, mais je tenais à clarifier ce point par rapport à la production et au trafic de la drogue qui est particulièrement visée par le projet de loi C-15.

Je suis offusqué aussi de l'idée que le législateur veuille lier les mains des juges, et de la suggestion qu'il manque de confiance envers l'appareil judiciaire, particulièrement en ce qui touche le projet de loi C-15. Vous partez de l'idée que le législateur n'a aucune responsabilité ou aucun rôle à jouer dans la détermination de la peine. Je ne suis pas d'accord avec vous. J'estime qu'il est de notre responsabilité, à nous les législateurs, d'entourer de définitions les lois et les règles que nous créons.

Le rôle des tribunaux consiste à interpréter notre intention.

M. Sterling : Bien sûr. Je crois que nous sommes d'accord, vous et moi. Comme vous l'avez dit, nous ne sommes pas en désaccord.

La présidente : Le sénateur Wallace n'a pas fini de s'exprimer.

M. Sterling : Excusez-moi.

Le sénateur Wallace : L'essentiel, dans tout cela, c'est que le pouvoir discrétionnaire est nécessaire, et qu'il ne disparaît pas après l'adoption de peines minimales obligatoires. Ce pouvoir s'exerce entre le maximum et le minimum obligatoires. C'est ce que je voulais vous dire.

Je ne crois pas que vous ayez des objections aux nombreux exemples de peines maximales contenus dans notre Code criminel, tout comme aux États-Unis, ou que cela vous mène à croire que nous empiétons, en notre qualité de législateurs, sur les droits du système judiciaire. J'estime que le rôle de ce système est d'interpréter notre intention. Pour notre part, nous devons bien préciser cette intention. Si nous jugeons qu'une peine minimale obligatoire s'impose, je ne crois pas que ce soit un empiètement sur les droits du système judiciaire. Qu'en dites-vous?

M. Sterling : Je réponds qu'il existe un meilleur moyen de faire connaître aux juges les facteurs dont vous voulez qu'ils tiennent compte dans l'imposition d'une peine adéquate que le simple choix d'un nombre quelconque d'années, en fonction d'une quantité donnée de drogue.

Mme Dolovich : Je pense que tout le monde convient que la fonction du pouvoir législatif est de fixer une fourchette de peines. Avant l'avènement des peines minimales obligatoires aux États-Unis, nous avions un système indéterminé. Le législateur établissait une fourchette — de cinq à 15 ans, de 20 ans à la perpétuité, et cetera —, puis le juge, après avoir apprécié les faits de l'espèce, statuait où la peine devait s'inscrire dans la fourchette. L'idée à la base était que le délinquant pouvait être incarcéré, bien se comporter, et prouver à la commission des libérations conditionnelles qu'il était prêt à la libération à l'expiration d'un délai minimal donné.

La peine minimale obligatoire réduit le champ des possibilités. Ainsi, les lignes directrices fédérales sur les peines fixent une fourchette, mais elle est beaucoup plus réduite, le seuil est en général beaucoup plus élevé, et dans certains cas il n'y a pas de marge de manoeuvre du tout. Quant aux lois sur l'adéquation de la peine et du crime, elles exigent plus souvent de purger 85 p. 100 de la peine; la réduction de peine pour bonne conduite ne peut dépasser 15 p. 100.

Au fond, la question est de déterminer la largeur de cette fourchette et l'ampleur du pouvoir discrétionnaire accordé d'un côté au juge pour trancher une cause donnée, et de l'autre à la commission des libérations conditionnelles.

Le sénateur Joyal : Nous vous remercions de votre contribution à notre étude. Y a-t-il selon vous un lien de causalité entre la durée des peines minimales obligatoires et la baisse du taux de criminalité?

M. Sterling : Non.

Mme Dolovich : À mon avis, M. Mauer avait raison quand il a dit que les gens incarcérés pour une longue période sont dans certains cas moins portés à commettre des crimes, parce que le vieillissement s'accompagne souvent d'une baisse de la violence.

Ma propre opinion du système carcéral, du moins aux États-Unis, est que les conditions dans lesquelles beaucoup de délinquants purgent leur peine, et la durée de cette peine, font en sorte que des personnes reconnues coupables d'infractions non violentes risquent en fait d'être plus susceptibles de commettre des actes de violence à leur sortie de prison.

M. Sterling : Voici ce qui se produit : plus les peines sont longues, moins on peut punir de gens. La peine perd alors son efficacité et cesse de représenter une menace pour beaucoup de délinquants.

Si vous faites appel à la dissuasion, il faut que la menace d'une peine soit crédible. Mais si quelques-uns seulement des gens reçoivent la totalité de la punition, beaucoup échappent à cette punition. Vous obtiendrez probablement de meilleurs résultats si vos peines sont de courte durée.

Vous devez réfléchir aussi à la façon de penser de ceux que vous essayez de punir, de même qu'à ses incidences. Je recommande vivement, surtout sur ce sujet, le livre intitulé When Brute Force Fails : How to Have Less Crime and Less Punishment. Vous pourriez peut-être vous fier aux indications du professeur Kleiman, qui a mené une réflexion minutieuse sur ce sujet.

Le sénateur Joyal : Vous estimez donc que la certitude d'une condamnation est plus dissuasive que la sévérité?

M. Sterling : C'est exact.

Le sénateur Joyal : La crainte de se faire prendre en raison de l'efficacité de la police et de la qualité de l'enquête exerce donc un effet plus dissuasif que de savoir qu'un acte en particulier correspond à X années de prison.

M. Sterling : C'est bien cela. Permettez-moi d'ajouter un autre point. Quand vous réfléchissez au problème de la drogue, cherchez à déterminer qui en sont les plus gros consommateurs. Si vous êtes dans le même cas que les États- Unis, il se peut que ces gens soient déjà fichés par la police, peut-être sous probation et en liberté conditionnelle. Si vous les obligiez à subir des tests de dépistage obligatoires, et si un échec à ces tests entraînait une punition immédiate, et non dans trois ou six mois, vous pourriez exercer le même effet dissuasif que celui obtenu par le juge Steven Alm à Honolulu. Le juge a réalisé une baisse impressionnante à la fois du pourcentage de personnes sous probation ou en liberté conditionnelle qui consomment de la drogue, et de leur taux de récidivisme criminel — même avec des drogues qui créent une forte dépendance, par exemple la méthamphétamine. Comme les punitions sont courtes et immédiates, très peu de cellules de prison sont nécessaires.

La présidente : Si je comprends bien, ce juge renvoie séance tenante en prison toute personne qui commet une telle infraction alors qu'elle est en liberté conditionnelle; c'est comme ça que son système fonctionne?

M. Sterling : Il ne révoque pas la peine de probation. Les personnes en question peuvent être incarcérées pendant une fin de semaine ou une semaine avant d'être remis sous le contrôle de la communauté. En fait, très peu sont punis, parce qu'ils ont bien compris que le juge ne plaisante pas. Lors des tests de dépistage, ils savent tout de suite si les résultats sont négatifs ou positifs — et, dans le dernier cas, ils sont mis en état d'arrestation sur-le-champ. Le juge ne laisse personne échapper : il s'est entendu avec les US marshals pour qu'ils appréhendent quiconque omet de se présenter. Au lieu de pousser à enfreindre la loi, il enseigne comment se conformer à la loi.

Mme Dolovich : Je voulais inviter à la prudence. Je n'ai aucune connaissance de l'exemple hawaiien invoqué par monsieur Sterling. Toutefois, la Californie impose elle aussi une révocation obligatoire de la libération conditionnelle de ceux qui échouent à un test de dépistage de la drogue, mais on a fait valoir que cette façon d'aborder le problème est improductive. Je vous mets donc en garde contre les généralisations excessives.

M. Sterling : C'est très important. Je ne parle pas de la révocation de la libération conditionnelle, je parle de celui qui est incarcéré pour une courte période, en raison d'une modification temporaire de l'ordonnance de probation, mais sa probation et sa libération conditionnelle ne sont pas révoquées.

La présidente : Nous vous remercions infiniment tous les deux. Nous sommes désolés de devoir ainsi précipiter les choses, c'est frustrant.

M. Sterling : Nous comprenons tout à fait.

La présidente : Je sais que vous comprenez car vous avez tous les deux de l'expérience dans ce domaine. Monsieur Sterling et madame Dolovich, nous vous remercions infiniment, ainsi que nos témoins à Washington.

M. Sterling : Merci à vous. Je vous félicite d'examiner toutes ces questions avec autant de soin.

La présidente : Chers collègues, nous allons poursuivre nos audiences sur le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois. Nous avons maintenant le grand plaisir d'accueillir M. Michael Jacobson, directeur du Vera Institute of Justice, qui va s'adresser à nous par vidéoconférence à partir de New York.

Monsieur Jacobson, je suis le sénateur Joan Fraser, et je suis la présidente de ce comité. Les autres sénateurs s'identifieront au fur et à mesure qu'ils poseront des questions. Je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire à faire, et je vais donc vous laisser la parole tout en vous remerciant d'avoir accepté de vous joindre à nous.

Michael Jacobson, directeur, Vera Institute of Justice : Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. J'ai eu l'occasion, par le passé, de diriger le système carcéral et le système de libération conditionnelle de la ville de New York, et j'ai publié un livre intitulé Downsizing Prisons : How to Reduce Crime and End Mass Incarceration et plusieurs autres textes sur les mêmes sujets.

J'ai pensé qu'il valait mieux éviter de répéter certains des propos que vous venez d'entendre, notamment de la bouche de M. Mauer qui est très éloquent sur tous ces sujets-là, comme vous avez pu le constater si vous ne le saviez pas avant. Il vous a expliqué qu'aux États-Unis, on se rend compte de plus en plus que les peines obligatoires coûtent très cher et qu'elles n'ont qu'un impact limité sur la sécurité publique, tout au moins dans le contexte américain.

Permettez-moi de commencer par vous dire qu'en matière de politique carcérale, l'expérience américaine est, à bien des égards, un exemple pour les autres pays de ce qu'il ne faut pas faire, en tout cas, ce n'est certainement pas un exemple de ce qu'il faut faire. Toutes les conséquences dont je vais vous parler découlent de notre régime de peines obligatoires, surtout en ce qui concerne les crimes liés à la drogue. Les peines obligatoires accaparent d'énormes sommes d'argent au détriment d'autres programmes qui, nous le savons, contribuent de façon beaucoup plus efficace à la réduction de la criminalité et du taux de récidive.

Aux États-Unis, surtout dans les grands États, les lois « à riposte graduée » maintiennent les gens sur le territoire américain bien au-delà de leur période de risque; un grand nombre d'entre eux violent les conditions de leur libération conditionnelle et se retrouvent, par intermittence, dans notre système carcéral, surtout pour des crimes liés à la drogue, ce qui ne contribue nullement à améliorer la sécurité publique.

M. Mauer a parlé des disparités raciales dans les populations carcérales de notre pays. Cela résulte en grande partie de la guerre que nous menons contre les trafiquants de drogue et, surtout, des peines plus sévères qu'on encourt quand on habite près d'une école. Dans le contexte américain, ce régime a généralement plus d'impact sur les gens qui habitent dans les zones urbaines que sur les gens qui habitent dans les banlieues et les collectivités rurales. Dans la plupart des villes, notamment à New York, il est pratiquement impossible de ne pas avoir une école à proximité des endroits où la plupart des gens sont appréhendés pour trafic de drogue.

Même si M. Mauer a déjà abordé la question, j'aimerais vous parler de certaines tendances qu'on observe actuellement dans divers États américains. Le Vera Institute connaît très bien la question, car nous travaillons actuellement sur une grande variété de dossiers de justice pénale dans une quarantaine d'États. La tendance que nous observons, et qui se dessine déjà depuis quelque temps, va en fait dans la direction opposée. Pour toutes sortes de raisons sur lesquelles je pourrai revenir plus tard, les États se démènent actuellement pour réduire la taille de leur population carcérale et pour réinvestir des ressources incroyablement limitées dans des programmes qui, nous le savons, contribuent réellement à réduire la criminalité.

Dans l'ensemble des États-Unis, des changements importants sont survenus au cours des six ou sept dernières années, surtout au cours des deux dernières, en ce qui concerne les peines obligatoires et les peines en général qui sont imposées en cas d'infractions liées à la drogue. Des États comme la Californie et l'Arizona ont adopté, à une majorité écrasante, des propositions publiques visant à privilégier la désintoxication des délinquants plutôt que leur incarcération. Cela s'est donc passé dans deux États très conservateurs, très répressifs à l'égard des criminels, avec l'appui d'une majorité écrasante de la population.

La ville de New York, vous le savez sans doute, vient d'apporter une seconde série de modifications à ses lois Rockefeller, très répressives, afin d'alléger un grand nombre des peines minimales obligatoires et de transférer le pouvoir discrétionnaire du procureur au juge. Le Kansas a récemment décidé que, pour des catégories entières d'actes délictueux graves liés à la drogue, les délinquants ne seraient plus incarcérés mais envoyés plutôt dans un programme de désintoxication. Le Michigan a récemment annulé la plupart de ses peines minimales obligatoires pour des infractions liées à la drogue. L'Indiana et le Delaware lui ont emboîté le pas. Le Massachusetts a dépénalisé la possession de moins d'une once de marijuana et en a fait une infraction au civil. L'Arkansas et le Colorado ont reclassifié les infractions liées à la possession de drogues et d'accessoires facilitant la consommation de drogue.

Il y a ainsi tout un mouvement aux États-Unis en ce moment — et je pourrais vous en expliquer les raisons plus tard — pour faire adopter une loi sur le réinvestissement dans la justice, au niveau de chaque État. Il s'agit essentiellement de prendre l'argent qui était investi dans des établissements pénitenciers et de le réinvestir dans des prisons mais surtout dans des programmes communautaires de réinsertion. C'est au Texas que ce changement de politique a été le plus notoire.

C'est d'autant plus intéressant que le Texas est un État qui, comme vous le savez, a la réputation d'être particulièrement répressif à l'égard des délinquants. Or, tout récemment, cet État a adopté toute une série de réformes législatives visant à réorienter radicalement tout son système carcéral. Désormais, le système est basé sur la réinsertion, et non plus sur la sanction et le châtiment. L'État a décidé d'annuler tous ses projets de construction de nouveaux pénitenciers et de réinvestir des centaines de millions de dollars dans des programmes communautaires, dans l'espoir que ces mesures éviteront d'incarcérer les nouveaux délinquants et contribueront à réduire les taux de récidive chez ceux qui sortent de prison. Mais de façon générale, l'objectif est de diminuer la population carcérale.

D'autres États ont pris des mesures semblables, comme l'Arizona, l'Alabama, le Kansas et l'Illinois.

Voilà ce qui se passe aux États-Unis en ce moment, chez nous, après 40 ans d'augmentations quasi géométriques de notre population carcérale. Cela arrive maintenant parce que, aux États-Unis tout au moins, nous vivons une période de l'histoire assez particulière, qui va sans doute durer encore pendant quelques années. Nous traversons une grave crise financière que, certes, la plupart des autres pays connaissent, mais que les États américains ressentent plus profondément. L'opinion publique américaine est aujourd'hui beaucoup plus tolérante à l'égard des infractions non violentes et des infractions liées à la drogue. Nous avons fait beaucoup de recherches sur les peines de substitution, et nous nous rendons compte, notamment grâce aux excellentes recherches faites au Canada, qu'en développant notre système carcéral, nous n'obtiendrons qu'une amélioration très marginale de la sécurité publique, et à un coût financier et social considérable.

Nous constatons donc, et j'inclus dans ce nous les législateurs très conservateurs de notre pays — le Texas en étant sans doute le meilleur exemple —, nous constatons donc, disais-je, vu la situation financière, l'opinion publique et nos recherches sur les programmes que nous savons être efficaces, qu'il est tout simplement plus logique d'investir dans des programmes qui sont efficaces plutôt que dans des programmes qui ne nous apportent que des bienfaits marginaux.

Aux États-Unis, 52 p. 100 de ceux qui sortent de prison y retournent dans les trois ans. Un pourcentage disproportionné de ces gens-là sont incarcérés pour des infractions liées à la drogue, et ils refont régulièrement de la prison, à intervalles réguliers. Or, nous avons constaté, d'après les recherches que nous avons faites à différents niveaux, qu'il ne sert à rien de continuer à incarcérer ces catégories de gens pendant de longues périodes, alors que nous pourrions investir dans d'autres solutions qui seraient beaucoup plus efficaces.

Je crois que c'est une importante leçon à tirer, pour nous tout au moins, mais aussi pour vous puisque vous envisagez aujourd'hui de mettre en place un système dont nous avons décidé de nous débarrasser tout simplement parce que nous ne pouvions plus nous le permettre. En effet, les États n'ont plus le luxe de fonder leurs décisions uniquement sur des critères politiques. L'argent se fait rare. Les États sont aujourd'hui obligés d'exclure des enfants de l'assurance-maladie, de mettre à pied des enseignants et de réduire les effectifs de leurs services de police, et c'est dans ce contexte que la réforme carcérale en est arrivée à véritablement occuper le devant de la scène.

D'une certaine façon, il est surprenant de voir que le pays qui enregistrait le plus fort taux de croissance de sa population carcérale s'engage maintenant dans un train de réformes tout à fait intéressantes. Chez nous, il était vraiment temps de le faire.

Je vais m'arrêter là car je sais que vous avez entendu beaucoup de témoignages aujourd'hui. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous et je suis bien sûr disposé à répondre à vos questions.

La présidente : Il est vrai que nous avons entendu beaucoup de témoignages, mais le vôtre est d'autant plus intéressant que c'est un point de vue que nous n'avions pas encore entendu.

Le sénateur Nolin : Bonsoir, monsieur Jacobson. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.

Vous avez publié un livre intitulé Downsizing Prisons: How to Reduce Crime and End Mass Incarceration. Dans votre déclaration liminaire, vous nous avez invités à investir davantage dans la réinsertion des délinquants plutôt que dans la construction de pénitenciers. Vous avez également dit que la population était de plus en plus nombreuse à demander à ses législateurs locaux d'investir davantage dans la réinsertion sociale. Que demande-t-elle exactement? Que les délinquants soient envoyés devant un tribunal de traitement de la toxicomanie?

M. Jacobson : Les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont une forme de réinsertion, tout comme les tribunaux de traitement de la santé mentale et divers autres tribunaux axés sur la résolution de certains types de problèmes. Nous savons également que beaucoup de traitements, surtout les programmes de désintoxication, s'ils ne sont pas trop accaparants, sont généralement plus efficaces que des peines d'emprisonnement relativement courtes. L'une des caractéristiques du système américain, surtout en ce qui concerne les auteurs d'infractions liées à la drogue — et c'est d'ailleurs une conséquence relativement imprévue de l'entrée en vigueur des peines obligatoires pour les infractions liées à la drogue — l'une des caractéristiques du système américain, disais-je, est que les gens se retrouvent en prison pour toutes sortes d'infractions relatives à la drogue. Je suis sûr que le système canadien est plus sophistiqué à cet égard, mais dans notre système américain, nous ne faisons pratiquement rien pour régler les problèmes de drogue. Si bien que, chez nous, lorsque les gens sortent de prison, ils recommencent à consommer de la drogue, ce qui n'est guère surprenant, même s'ils n'en consomment que peu. Le système américain est administré au niveau de l'État, et quand les gens sortent de prison, ils sont assujettis à une sorte de surveillance communautaire, une sorte de libération conditionnelle. Mais pour avoir droit à la libération conditionnelle aux États-Unis, il ne faut plus consommer de drogue. Il est très facile de déterminer si quelqu'un consomme de la drogue, la technologie est simple et bon marché. Quand nous décelons des traces de drogue dans les urines, les gens sont renvoyés en prison pour avoir violé les conditions de leur libération conditionnelle, mais ils avaient déjà été incarcérés pour la même chose. Ensuite, ils ressortent de prison, reprennent de la drogue et retournent en prison parce qu'ils n'ont pas respecté les conditions de leur libération conditionnelle. Ce va-et-vient concerne un nombre incroyable de délinquants. En Californie, par exemple, il y a environ 120 000 personnes en libération conditionnelle chaque année. Environ 80 000 d'entre elles retournent prison pour avoir violé les conditions de leur libération conditionnelle, et la plupart du temps, c'est pour avoir consommé de la drogue.

Il ne s'agit donc pas seulement de la première incarcération, mais aussi des incarcérations ultérieures dues à une suspension de la libération conditionnelle. Nous continuons d'envoyer les gens en prison alors que nous savons qu'il existe des programmes de formation professionnelle, des programmes de placement en emploi, des programmes de désintoxication et des programmes de réinsertion. Si nous orientions ces délinquants vers le programme qui répond à leurs besoins, cela nous coûterait beaucoup moins cher que de les envoyer en prison. Les systèmes canadien et américain ont ceci en commun qu'ils coûtent extrêmement cher. Or, nous savons qu'en utilisant ces programmes de façon ciblée, nous contribuerons à faire diminuer le nombre des victimes et à renforcer la sécurité publique. C'est la raison pour laquelle, après tant de décennies, les États-Unis commencent à investir dans des programmes de réinsertion sociale.

Un programme de réinsertion est un concept vague parce qu'il inclut de nombreux aspects différents, y compris les tribunaux de traitement de la toxicomanie. Un grand nombre de délinquants méritent de rester en prison pendant longtemps; mais il y en a également beaucoup d'autres pour qui l'incarcération n'est pas la meilleure solution et que nous devrions donc orienter vers ces programmes.

Le sénateur Nolin : Le projet de loi dont nous sommes saisis s'adresse plus aux trafiquants, aux importateurs et aux producteurs de drogue qu'aux simples consommateurs. Quoi qu'il en soit, le projet de loi permet également au juge d'envoyer le délinquant dans un programme de désintoxication. Je ne suis toujours pas convaincu qu'il est possible de réadapter un trafiquant, un producteur ou un importateur en l'envoyant devant un tribunal de traitement de la toxicomanie.

Le projet de loi prévoit des peines minimales obligatoires ou le renvoi devant un tribunal de traitement de la toxicomanie. Vous avez dit qu'un mouvement est en marche aux États-Unis et que, dans les 35 États avec lesquels vous travaillez, les législateurs et les décideurs ont décidé d'investir davantage dans la réinsertion sociale et moins dans les peines minimales obligatoires. Mais comme je l'ai dit, ce projet de loi nous permet de faire les deux, alors pourquoi ne l'adopterions-nous pas?

M. Jacobson : C'est une excellente question. Aux États-Unis, un trafiquant peut être aussi bien un gros trafiquant du crime organisé, qui fait le commerce d'énormes quantités de drogue, qu'un petit revendeur de la rue, qui ne vend que de petites quantités de drogue, surtout de la marijuana et de la cocaïne. En fait, ce sont tous ces petits trafiquants ou revendeurs qui peuplent nos prisons. Bien souvent, ce sont des jeunes et par conséquent, un traitement de désintoxication ou leur renvoi devant un tribunal de traitement de la toxicomanie pourrait être la solution. Par contre, s'ils font du trafic de drogue simplement pour gagner de l'argent, et qu'ils n'en consomment pas, il sera inutile de les renvoyer devant un tribunal de traitement de la toxicomanie ou de leur faire suivre un programme de réinsertion axé sur la toxicomanie. Dans ce cas, on pourrait leur faire suivre un programme de réinsertion axé sur d'autres besoins, notamment l'emploi et l'éducation.

Cela dit, nous avons réussi à rassembler suffisamment de preuves, aux États-Unis, indiquant que la dissuasion, surtout pour les délinquants mineurs, est l'un des objectifs de tout régime disciplinaire. Aux États-Unis, lorsque nous enfermons un violeur ou un meurtrier, cela signifie que cette personne ne pourra pas commettre d'autres actes semblables pendant un certain temps. Ce n'est pas comme si quelqu'un attendait qu'il soit enfermé pour prendre sa place. Par contre, lorsque nous emprisonnons un petit revendeur de drogue, il y a toujours, tout au moins aux États- Unis, un autre petit revendeur qui est prêt à prendre sa place. En criminologie, c'est presque le principe des chaises musicales. L'infraction n'est ni un crime passionnel ni une manifestation de colère, c'est d'abord un délit économique. Les prisons américaines sont pleines de gens qui sont incarcérés pour avoir vendu de la drogue, mais en très petites quantités. Et leur place dans la rue a été prise dès qu'ils ont été mis à l'ombre. Autrement dit, on peut avoir d'autres raisons d'enfermer ces gens-là, mais ça n'empêche pas le trafic de se poursuivre. En tout cas, ça ne semble pas réfréner la consommation de drogue, qui ne fait qu'augmenter aux États-Unis.

Nous devons nous demander s'il n'y a pas une façon plus efficace de dépenser les centaines de millions — et peut- être même de milliards — de dollars que nous consacrons au maintien en prison de ces trafiquants mineurs, même pour de courtes périodes, étant donné qu'un grand nombre d'entre eux y sont renvoyés pour avoir violé les conditions de leur libération conditionnelle.

Je pense que la réponse est oui, en tout cas c'est mon opinion.

Je vois que votre projet de loi offre les deux options : les peines minimales obligatoires ou le renvoi devant un tribunal de traitement de la toxicomanie. Il faut que le système vous donne un certain pouvoir discrétionnaire. C'est mon avis et c'est aussi celui d'autres témoins que vous avez entendus ce soir. Lorsque vous prévoyez l'application de peines minimales obligatoires, vous ne supprimez pas ce pouvoir discrétionnaire, vous le transférez en fait au procureur. À ce moment-là, c'est lui qui a cette discrétion. Va-t-il renoncer aux poursuites, augmenter les chefs d'accusation ou en invoquer d'autres? Le système prévoit toujours un pouvoir discrétionnaire, tout dépend de la personne qui le détient.

Nous avons constaté aux États-Unis que, lorsqu'on adopte le principe des peines minimales obligatoires, cela revient à retirer ce pouvoir discrétionnaire à celui qui devrait l'avoir — c'est-à-dire le juge — pour le donner au procureur. Je ne dis pas que le procureur ne devrait pas l'avoir. Il est évident qu'on se bat tous pour la même cause. Toutefois, les procureurs ont des objectifs différents, et ce sont aussi des gens un peu différents. Je préfère donc nettement donner ce pouvoir aux juges, qui condamneront peut-être à la prison beaucoup de ceux que vous voulez voir en prison de toute façon. Mais il ne faut pas que les juges soient obligés d'imposer une peine d'emprisonnement.

Le sénateur Angus : Votre homonyme, David Jacobson, vient d'être assermenté comme ambassadeur américain au Canada. Avez-vous un lien de parenté avec lui?

M. Jacobson : J'aimerais bien. Peut-être.

Le sénateur Angus : J'aimerais vous féliciter de la qualité de votre exposé, qui va nous être très utile. Vous avez parlé des délinquants mineurs que vous ciblez avec les programmes que vous avez mentionnés.

Avez-vous pris connaissance du projet de loi C-15?

M. Jacobson : Oui. Je l'ai fait rapidement, mais je pense en avoir compris l'essentiel.

Le sénateur Angus : Notre ministre de la Justice a comparu devant notre comité pour nous expliquer ce qu'il essayait d'accomplir et, sans chercher à citer exactement ses paroles, je crois qu'il a dit que le projet de loi était un outil que le gouvernement voulait donner aux responsables de l'application de la loi pour leur permettre d'attraper les gros trafiquants de drogue, en l'occurrence le crime organisé. Reste à savoir si cet outil sera efficace.

Vous avez publié le livre intitulé Downsizing Prisons: How to Reduce Crime and End Mass Incarceration, et ce que vous dites me plaît. Je suis personnellement en accord avec le mouvement de réforme qui se dessine au Texas et dans d'autres États.

Mais pour ce qui est du crime organisé, avez-vous des théories sur la façon de lutter contre ce fléau? Ces gens-là ne sont pas des consommateurs de drogue, ce sont eux qui dirigent les petits trafiquants qui revendent leur came au coin de la 5e et de la 56e rue.

M. Jacobson : C'est exact. C'est une très bonne question. Ceux qui s'occupent de l'application de la loi — et cela est particulièrement vrai chez nous aux États-Unis — élaborent toujours des systèmes destinés à attraper les gros poissons. Ce qui les intéresse, ce n'est pas nécessairement les petits trafiquants mineurs, ce sont surtout les gros trafiquants qui transportent de grandes quantités de drogue.

Si vous pouviez avoir un système qui serait capable de faire la distinction, c'est-à-dire que les peines obligatoires seraient réservées à ces gens-là, je suppose que ça mériterait d'être essayé. Votre système fait peut-être cette distinction. Le nôtre est beaucoup plus lourd, beaucoup plus coûteux et beaucoup moins efficace que le vôtre, c'est bien connu.

Aux États-Unis, il se trouve que les responsables de l'application de la loi sont très bons pour attraper et arrêter les petits trafiquants de drogue. Il suffit de se faire passer pour un acheteur et d'amener le trafiquant à vous vendre de la drogue. Ensuite, la police n'a plus qu'à l'arrêter et à le faire incarcérer. Dans ce cas, pas de problème. Je ne dis pas que les policiers ne sont pas bons pour attraper les gros trafiquants du crime organisé, je dis simplement qu'il leur faut alors monter des opérations beaucoup plus coûteuses.

Je suis donc d'accord pour dire qu'une loi doit cibler les gros trafiquants, car ça n'amuse personne d'aller infliger un châtiment excessif à des jeunes qui vendent de la came dans la rue. Je constate cependant, aux États-Unis tout au moins, que même si c'était là l'objectif de bon nombre des lois que nous avons adoptées, ce n'est pas ce qui s'est passé. Certes, il y a des trafiquants et même de gros trafiquants dans nos prisons, mais ils sont en nette infériorité numérique par rapport aux délinquants mineurs que la police n'a aucun mal à attraper et à faire condamner.

Je ne vois pas comment une loi pourrait faire la distinction entre ces deux catégories de criminels, et sanctionner davantage les membres du crime organisé. D'autres sont peut-être plus brillants que moi et en ont une petite idée. Si vous parvenez à le faire, bravo. Nous avons tendance, aux États-Unis, à finir par punir tout le monde.

Le sénateur Angus : C'est le problème que nous avons tous.

Peut-on dire que le projet de loi C-15 donne une certaine discrétion au procureur en ce sens que celui-ci peut décider de réclamer une peine minimale obligatoire uniquement dans le cas des délinquants dangereux?

M. Jacobson : Tout à fait. Des lois comme celle-ci reviennent à transférer de plus en plus de pouvoir discrétionnaire au procureur, diminuant d'autant le pouvoir des juges, ce qui est à mon avis problématique. Je suppose que la grande question, théorique ou philosophique, est de savoir qui devrait avoir ce pouvoir.

Personnellement, je préfère que ce pouvoir appartienne aux juges, car ils savent très bien, eux, faire la distinction entre les gros poissons et le menu fretin. Aux États-Unis tout au moins, la politique s'immisce moins dans les décisions des juges. Ces derniers n'ont pas à se faire réélire ou à devoir augmenter leur taux de condamnation. Pour toutes ces raisons, je pense que c'est aux juges que ce pouvoir devrait être conféré.

Mais il n'en demeure pas moins que vous avez raison : votre projet de loi donne au procureur le pouvoir de faire exactement ce dont je parlais.

Le sénateur Angus : Savez-vous que, chez nous, les procureurs ne sont pas politisés?

M. Jacobson : Je sais qu'il n'y a pas tout à fait la même dynamique dans nos deux pays, mais il n'en reste pas moins que les procureurs ont des objectifs publics différents de ceux des juges. Les juges sont généralement plus âgés et plus expérimentés, et je crois que sur ce plan-là, c'est la même chose au Canada. Aux États-Unis, les procureurs — surtout ceux qui décident d'intenter les poursuites initiales — sont généralement les procureurs qui ont le moins d'expérience.

Bref, je préfère qu'une décision soit prise par un juriste plus expérimenté que par un procureur moins expérimenté.

Le sénateur Milne : Monsieur Jacobson, avez-vous entendu le témoignage de M. Sterling tout à l'heure? Étiez-vous à l'écoute?

M. Jacobson : Non, je n'étais pas à l'écoute. J'ai seulement lu le témoignage de M. Mauer.

Le sénateur Milne : M. Sterling nous a parlé de l'expérience d'un juge à Hawaï. Est-ce que le Vera Institute of Justice travaille sur des dossiers à Hawaï?

M. Jacobson : Non. Vous a-t-il parlé du projet H.O.P.E?

Le sénateur Milne : Oui.

M. Jacobson : Nous ne travaillons pas avec le juge qui est affecté à ce programme, mais nous avons eu l'occasion de parler du programme avec ceux qui sont chargés d'en faire l'évaluation.

Le sénateur Milne : Est-ce que c'est un programme qui marche?

M. Jacobson : J'hésite à vous donner une réponse tant que l'évaluation n'est pas terminée. Nous sommes nous- mêmes un organisme de recherche, et je sais ce que c'est. Je peux vous dire par contre que les données préliminaires semblent très encourageantes, surtout en ce qui concerne la réduction du nombre de violations des conditions de la probation et la réduction de la durée des peines d'emprisonnement. J'ai vraiment l'impression qu'il s'agit là d'un programme, au bas mot, très prometteur.

Le sénateur Milne : Puisque vous êtes un organisme de recherche, pouvez-vous me dire si, à votre avis, le projet de loi dont nous sommes saisis contribuera à améliorer la sécurité publique au Canada? Il va sans doute entraîner une augmentation de notre population carcérale et de nos coûts, comme cela s'est produit aux États-Unis, mais va-t-il accroître la sécurité publique?

M. Jacobson : Je suis convaincu qu'il va entraîner une augmentation de votre population carcérale, mais je ne saurais dire de combien. Vous êtes certainement mieux en mesure de le déterminer que moi.

Par contre, d'après toutes les études que j'ai consultées, et le Canada en a fait d'excellentes à ce sujet, je peux vous dire que même si ce projet de loi contribue à accroître la sécurité publique, l'argent qui vous aura servi à enfermer tous les délinquants que vous allez attraper et à les renfermer chaque fois qu'ils vont violer les conditions de leur libération, ce qui est inévitable, ou qu'ils vont commettre une nouvelle infraction, cet argent-là, donc, aurait été plus utile, sur le plan de la sécurité publique, si vous l'aviez investi non pas simplement dans des peines obligatoires mais dans d'autres programmes plus ciblés.

Je précise ma pensée. Je ne dis pas que vous n'allez pas accroître la sécurité publique. Dans la mesure où vous enfermez des délinquants, vous achetez toujours, en théorie du moins, un peu de tranquillité publique. Nous avons toutefois observé aux États-Unis — et heureusement, vous ne vivez pas la même expérience — qu'en développant notre système pénitentiaire de façon marginale, nous en tirons des avantages de plus en plus marginaux. Des recherches nous indiquent aussi, notamment d'excellentes recherches faites au Canada, que si vous infligez un châtiment excessif à un délinquant qui n'est pas une menace à la sécurité publique, ce délinquant va finir par être une menace à la sécurité publique. Autrement dit, non seulement vous n'avez pas renforcé la sécurité publique, mais vous l'avez en fait diminuée.

Vous réussirez peut-être à accroître un peu la sécurité publique, mais je ne peux pas vous dire de combien. Par contre, je suis à peu près sûr que vous pourriez l'accroître bien davantage si vous transfériez toutes les ressources que vous allez y consacrer — et elles vont être considérables — vers différents programmes beaucoup plus ciblés, ce qui n'est pas facile à faire. Dans ce domaine, rien n'est facile de toute façon. Ce sont des décisions difficiles sur le plan du contenu et au niveau politique. En investissant vos maigres budgets dans ce genre d'intervention, vous en aurez plus pour votre argent.

Le sénateur Joyal : Si vous me permettez de résumer en quelques mots votre témoignage, je dirais que vous nous conseillez d'affiner notre approche en nous montrant moins répressifs, ce qui devrait donner de meilleurs résultats.

M. Jacobson : Oui. Aucun pays n'est plus répressif à l'égard des criminels que ne l'ont été les États-Unis. Aucun pays n'a développé son système carcéral autant que nous l'avons fait. Il y a un slogan que les décideurs et les législateurs américains aiment se répéter de nos jours : mieux vaut déjouer un crime que le réprimer. Ça ne vous empêche pas de faire de la répression, mais il faut essayer. Croyez-moi, nous ne sommes pas des exemples à suivre dans ce domaine.

Personne ne devrait nous prendre comme modèle. Après avoir refusé de le faire pendant des décennies, nous essayons aujourd'hui d'adopter une approche un peu plus nuancée, un peu plus sophistiquée et un peu plus ciblée. Pendant au moins 40 ans, on a emprisonné systématiquement les délinquants, quelle que soit l'infraction. C'était la sanction qu'on infligeait pour n'importe quel type de comportement illégal.

L'emprisonnement est justifié pour un grand nombre de comportements illégaux, car certains délinquants doivent absolument être mis hors d'état de nuire. Mais même si le délinquant doit être mis hors d'état de nuire, il n'est peut-être pas nécessaire de le mettre hors d'état de nuire pendant des années, comme nous le montre bien le projet H.O.P.E. Dans certains cas, quelques semaines peuvent être suffisantes. Lorsque la peine en soi est déjà une punition, la durée de l'incarcération n'a pas besoin d'être longue.

Ce qui se passe dans l'État de New York est particulièrement intéressant, car c'est dans cet État qu'on enregistre la diminution la plus rapide de la population carcérale, parmi tous les autres États américains. En fait, c'est l'un des rares États où la population carcérale est en diminution. Notre population carcérale a diminué d'environ 15 p. 100 au cours des sept ou huit dernières années.

La raison pour laquelle cet exemple est intéressant n'est pas le phénomène en soi, mais plutôt le fait que ce soit dans l'État de New York qu'on observe la plus forte diminution de la criminalité, et de loin. La diminution de la criminalité y a été plus forte que dans n'importe quel autre État, et la taille de notre système pénitentiaire municipal a elle aussi diminué, d'environ 40 p. 100. La ville de New York est elle aussi en tête du peloton national en ce qui concerne le taux de diminution de la criminalité. Nous voyons donc qu'il est possible de réduire la taille de la population carcérale et de réduire en même temps le taux de criminalité. Ce n'est pas facile, c'est même très difficile.

Vous avez raison. Il ne faut pas que la répression soit votre seul guide. Nous savons qu'aux États-Unis, la répression était efficace sur le plan politique. Politiquement, c'était populaire. Quand on se fait le champion de la répression contre les criminels, on gagne des voix. Mais on en est arrivé au point où la répression ne donne plus, à elle seule, les résultats escomptés.

La présidente : Monsieur Jacobson, pourriez-vous faire parvenir à la greffière cette longue liste fascinante que vous avez énumérée au début de votre déclaration, sur ce qui se passe dans les différents États américains? Si vous l'avez, bien sûr.

Monsieur Jacobson : Volontiers. C'est une note que je vous lisais et qui résume la situation. Je serai heureux de vous la faire parvenir.

La présidente : Ma deuxième question concerne les coûts et les avantages. Supposons que l'objectif soit d'augmenter la sécurité publique. Il est clair que, pour vous, les peines minimales obligatoires et, de façon générale, l'incarcération ne sont pas nécessairement la meilleure façon d'atteindre cet objectif. Supposons que nous ayons un budget limité. D'après votre expérience, quelle est la solution la plus efficiente pour accroître la sécurité publique? Faut-il déployer davantage de policiers dans les rues, ou faut-il investir davantage dans des programmes communautaires, des programmes de placement en emploi, des programmes de désintoxication, et cetera?

M. Jacobson : C'est une excellente question. Le Vera Institute of Justice fait justement ce genre d'analyse de rentabilité, comme d'autres centres aux États-Unis, notamment le Washington State Institute for Public Policy. En fait, c'est un organisme qui dépend de l'assemblée législative de l'État de Washington et qui consacre énormément de temps à l'étude de ces questions.

L'État de Washington est l'un des rares États de notre pays où l'on pratique la gouvernance et où l'on prend des décisions en fonction des données recueillies. Je ne réside pas dans l'un de ces États.

Le Washington State Institute for Public Policy compile toutes les recherches qui ont été faites dans le monde entier sur ce genre de programme, et vous devriez demander à vos collaborateurs d'aller consulter son site web car il est excellent. Ce centre analyse quels sont les programmes qui sont les plus efficaces pour réduire la criminalité, et pour quelles populations. Est-ce le développement de l'éducation aux niveaux primaire et secondaire, l'augmentation des taux de diplômation au secondaire — et c'est en fait à ce niveau-là qu'ils sont les plus efficaces —, les programmes de formation professionnelle et de placement en emploi, ou encore les interventions policières ciblées?

Le centre résume toutes ces données dans des rapports annuels, où il fait une analyse de rentabilité précise de chacune de ces options. Par exemple, il compare chaque dollar investi dans des initiatives d'augmentation des taux de diplômation au secondaire au dollar investi dans des partenariats infirmière-famille pour les jeunes enfants ou dans des activités policières communautaires, et il détermine lequel vous rapporte le plus. Cette analyse est très précise, mais elle est complexe parce qu'elle porte sur des populations différentes, et les situations ne sont donc pas toujours les mêmes.

L'institut présente différentes options à l'assemblée législative. Par exemple, si vous avez 100 millions de dollars à dépenser, il peut vous présenter une option conservatrice en proposant la construction d'un petit pénitencier et des investissements dans d'autres programmes. Il peut aussi vous présenter une option plus novatrice en proposant d'investir la totalité du budget dans ces sept programmes, et ne construire aucune prison.

Je vous recommande d'aller visiter ce site, dont je vous donnerai l'adresse. Ils ont l'habitude de travailler avec les législateurs et, par conséquent, leurs données sont claires et leurs tableaux, faciles à comprendre.

Je pense donc que la solution est de recourir, comme vous le disiez, à différents types d'intervention — comme les initiatives policières ciblées, ou la collecte des données en temps réel dans les services de police — ainsi qu'à d'autres programmes comme l'investissement ciblé dans l'éducation, l'augmentation des taux de diplômation au secondaire, les programmes de placement en emploi, les programmes de formation professionnelle pour les gagne-petit qui sortent de prison, et cetera.

Comme je l'ai dit, rien n'est facile. D'une certaine façon, il est plus facile de construire des prisons et d'y mettre les gens. Ça coûte plus cher, mais c'est facile. Par contre, choisir les programmes qu'on va financer, et à quelle hauteur, n'est pas une décision facile, et je vous recommande de choisir ces programmes en fonction du budget dont vous disposez.

Si vous êtes prêts à investir 100 millions de dollars afin d'accroître la capacité d'accueil de vos prisons, je vous conseillerais d'examiner au moins les autres options qui vous permettraient de ne dépenser que la moitié de ce montant. Le Washington State Institute for Public Policy vous serait d'une grande utilité pour essayer d'y voir un peu plus clair dans toute cette question.

Le sénateur Wallace : Merci, monsieur Jacobson. Votre témoignage est intéressant et instructif.

Nous essayons tous, en tant que législateurs, et vous avec votre expérience, d'essayer de trouver une solution à un problème extrêmement difficile. Il ne semble pas exister de panacée, c'est-à-dire une solution qui s'adapte à toutes les circonstances, et qui permettrait d'améliorer la santé et la sécurité de nos citoyens.

Je pourrais vous donner de multiples exemples, mais il y en a un qui me vient à l'esprit lorsque je lis le projet de loi C-15, que vous dites avoir lu. Selon ce projet de loi, le trafic et la production de drogues illégales sont passibles d'une peine minimale obligatoire si ces infractions sont perpétrées à proximité d'une école. Pour nous, parents, c'est le pire scénario : un trafiquant de drogue qui se trouve à proximité de l'école et qui essaie d'encourager nos enfants à en consommer. Rien que d'y penser, nous en avons la chair de poule. On peut discuter du problème de la drogue sur le plan théorique ou politique, mais quand il s'agit de nos enfants, c'est autre chose.

Pensez-vous que les peines minimales obligatoires soient appropriées lorsqu'il s'agit d'éradiquer le trafic et la production de drogue à l'intérieur et à proximité de nos écoles et des endroits que fréquentent nos enfants?

J'ai du mal à comprendre que l'on dénonce le bien-fondé de l'incarcération des trafiquants qui se livrent à ce genre d'activité criminelle. Je ne dis pas que c'est ce que vous faites, mais j'ai l'impression que vous êtes très influencé par les critères de rentabilité et que votre souci principal est la rentabilité économique de ces mesures.

Et pourtant, quand il s'agit de nos enfants et du trafic de drogue qui se fait dans nos écoles, je ne pense pas qu'on devrait se limiter à des critères économiques. Quoi qu'il en coûte, nous devons le faire. Si nous devons incarcérer les personnes qui se livrent à ce genre d'activités illégales et leur infliger des peines minimales obligatoires, c'est le prix que nous devons payer pour protéger nos enfants.

M. Jacobson : Je suis moi-même parent, et je comprends tout à fait ce que vous voulez dire.

Je vais vous répondre de plusieurs façons. Je ne vous aurais pas dit ce que je vous ai dit s'il n'y avait que les critères économiques qui comptaient, car vous avez raison dans une certaine mesure. Il est vrai qu'au final, on ne peut pas fixer une limite à ce qu'on est prêt à payer pour assurer la sécurité publique, et chaque pays doit faire ce qu'il a à faire pour protéger ses citoyens.

Je dis par contre que, de façon générale, et je reviendrai sur votre exemple des écoles, il y a des interventions qui, si l'on s'en tient uniquement à la sécurité publique et que l'on fait fi des économies qu'elles pourraient représenter, il y a des interventions, donc, qui permettent de réduire la criminalité et le nombre de victimes bien plus que le recours excessif à l'incarcération ne peut le faire. Leur avantage secondaire est que la plupart d'entre elles coûtent moins cher que l'incarcération. Jamais je ne vous recommanderais quelque chose uniquement en fonction de critères économiques. Vous pourriez économiser énormément d'argent en libérant tous les prisonniers, mais ce n'est évidemment pas cela que je vais vous recommander. Vous dites, et je vous comprends, que toutes les mesures envisageables doivent avoir pour objectif l'augmentation de la sécurité publique, et être plus efficaces que l'incarcération, sinon, à quoi bon en parler? Mais dans ce cas-là, vous ne vous intéressez qu'à la rentabilité économique.

Pour ce qui est des écoles, c'est l'expression « à l'intérieur et à proximité de » qui me préoccupe. Pour moi, c'est très différent si c'est « à l'intérieur de » — c'est-à-dire à l'intérieur de l'école, ou sur le terrain de l'école — car, comme vous, je trouve cela effrayant et inadmissible à tous points de vue. Je comprends tout à fait pourquoi on veut enfermer ces gens-là. En revanche, il y a l'interprétation qu'on donne aux lois — et c'est certainement le cas aux États-Unis —, et notamment à l'expression « à proximité de ». Le libellé des lois peut varier d'un État et d'une ville à l'autre, aux États- Unis, mais elles indiquent généralement une distance de X pieds d'une école. Cela peut être 1 000, 2 000 ou 3 000 pieds, ça varie.

Tout en comprenant pourquoi on s'efforce de définir cette distance, je sais qu'aux États-Unis tout au moins, il existe une grande différence entre les zones rurales et les zones urbaines. À New York, à Boston et à Philadelphie, il n'y a pratiquement aucun endroit qui ne soit situé à moins de 2 000 pieds d'une école. Autrement dit, si vous essayez de vendre de la drogue à cinq rues d'une école, vous vous trouvez dans la zone de sanction maximale. Par contre, si vous faites exactement la même chose dans une petite ville de l'État de New York, où l'école se trouve à une distance de cinq miles, vous êtes passible d'une sanction plus légère.

La question est donc de savoir à partir de quel moment vous vous trouvez sur le terrain de l'école. Car pour ce qui est de la durée de la peine d'emprisonnement, aux États-Unis — et cela vous concerne peut-être moins —, cela s'est traduit par un taux d'incarcération des minorités tout à fait disproportionné. Nous savons que les jeunes Blancs et les jeunes de couleur font du trafic de drogue dans des proportions à peu près comparables, mais ces derniers sont plus nombreux à se retrouver en prison, pour toutes sortes de raisons, notamment parce que les enfants des villes sont plus souvent passibles des peines plus sévères. Très peu d'entre eux, en fait, se livrent à ce trafic sur la propriété ou à l'intérieur de l'école. S'ils le font à cinq rues de l'école, ils se retrouvent quand même en prison. Je comprends tout à fait votre position, surtout quand il s'agit de trafic de drogue sur le terrain de l'école. Mais je vous invite quand même à réfléchir davantage aux conséquences de cet article du projet de loi. Comment allez-vous déterminer qu'une infraction est passible d'une sanction plus sévère? Si on ne s'en tient qu'au lieu du délit, c'est-à-dire l'école, c'est assez facile, mais si l'on doit tenir compte des différences entre la banlieue, la ville et les zones rurales, ça devient plus difficile.

La présidente : Monsieur Jacobson, je vous remercie infiniment, au nom de tous mes collègues. Votre témoignage a été extrêmement intéressant et, comme l'a dit le sénateur Wallace, extrêmement instructif. Nous vous en sommes très reconnaissants et nous avons hâte de recevoir les documents que vous nous avez promis.

M. Jacobson : Je vous remercie et vous souhaite bonne chance.

La présidente : Nous vous libérons, tout en vous remerciant. Vous entendez sans doute les remerciements qui fusent tout autour de la table.

Chers collègues, j'ai besoin que vous présentiez des motions au sujet de deux séries de documents. La première série concerne des questions que nous avons posées à des témoins qui nous ont répondu par écrit. Il y a une lettre de M. Jamie Chaffe, qui corrige un passage de son témoignage devant notre comité. Il y a aussi la déclaration de M. Sterling, que nous avons entendue aujourd'hui, et enfin une lettre de M. Brian Saunders, qui répond à notre comité. Ces documents sont directement liés aux dépositions de témoins qui ont comparu devant notre comité. Il y a aussi un document du Service canadien de renseignements criminels, qui est la source des statistiques que le sénateur Wallace a citées au sujet du nombre d'organisations criminelles. Nous lui avons demandé de fournir ce document, et voilà qui est fait.

L'un d'entre vous est-il prêt à proposer une motion pour que ces quatre documents soient annexés au compte rendu de notre réunion?

Le sénateur Nolin : Je la propose.

Le sénateur Angus : Cela comprend-il les réponses écrites?

La présidente : Ce sont les réponses écrites que nous avons reçues jusqu'à présent. Je propose que nous procédions dorénavant de cette façon.

Le sénateur Baker : J'aimerais savoir, en quelques mots, si la correction signifie que le témoin a changé d'opinion.

La présidente : La lettre a été distribuée dans les bureaux de tous les membres du comité. Vous vous souviendrez qu'il a parlé d'un gel annoncé tout récemment et même de rétrogradations. Cela ne s'applique pas aux procureurs, mais aux avocats du ministère de la Justice Canada.

Le sénateur Baker : Sa comparution a eu du succès, elle a été retransmise à la télévision le soir même. C'est rapide.

La présidente : Il nous a probablement contactés pour nous dire qu'il était désolé et qu'il avait fait une erreur. À mon avis, le document devrait être annexé à notre compte rendu.

Le sénateur Nolin : J'aimerais ajouter le mémoire écrit de M. Mauer, du Sentencing Project.

La présidente : Ne l'a-t-il pas lu et, de ce fait, consigné au compte rendu?

Le sénateur Nolin : Non.

La présidente : Ce serait inutile de le faire deux fois, mais puisque vous dites qu'il ne l'a pas lu. Le sénateur Nolin propose une modification à sa propre motion.

Le sénateur Nolin : Cela comprend la déclaration de M. Sterling, bien sûr.

La présidente : Oui. Nous avons maintenant cinq documents. Êtes-vous favorables à la motion?

Des voix : D'accord.

La présidente : Pas d'opposition ni d'abstention. Dorénavant, c'est ce que nous ferons.

La deuxième série de documents, que je propose de soumettre à la même procédure, désormais, afin d'aller plus vite, concerne des soumissions qui nous ont été envoyées par des gens qui ne comparaîtront pas devant le comité à titre de témoins, parce qu'ils ont décliné l'invitation qui leur a été faite. Il arrive parfois qu'ils en prennent l'initiative. J'ai ici le cas, par exemple, de l'Association canadienne des chefs de police qui a envoyé une soumission mais qui a refusé de comparaître. L'honorable Dave Chomiak, ministre de la Justice et procureur général du Manitoba, a envoyé une soumission mais a refusé de comparaître. Nous avons aussi une soumission du Toronto Drug Strategy Implementation Panel. Je propose que, dorénavant, les soumissions de ce genre soient présentées à notre greffière comme des pièces au dossier, et que leur numéro soit inscrit au compte rendu officiel. Quiconque veut consulter ces documents pourra ainsi le faire. Qui veut proposer cette motion?

Le sénateur Angus : Je la propose.

La présidente : Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Pas d'abstention ni d'opposition. Merci beaucoup. La réunion a été longue mais fort intéressante.

(La séance est levée.)


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