Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 19 - Témoignages du 18 novembre 2009
OTTAWA, le mercredi 18 novembre 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour étudier le projet de loi C-15 : Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Translation]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-15.
Comme c'est souvent le cas, il y aura trois tables rondes distinctes ce soir. Vous constaterez toutefois à l'ordre du jour que la première table ronde compte une seule et unique personne, le Dr Emerson, président du comité des substances psychotropes, qui représente le Health Officers' Council of British Columbia. Nous sommes ravis de le recevoir. À ses côtés se trouve M. Chuck Doucette, vice-président du Drug Prevention Network of Canada. D'après l'ordre du jour, M. Doucette était censé prendre part à la deuxième table ronde. Cependant, il doit prendre l'avion ce soir et une place s'est libérée. Nous devions au départ recevoir Mme Patricia Allard, du Réseau juridique canadien VIH-sida, en même temps que le Dr Emerson, mais elle a la grippe. Elle nous a fait parvenir son mémoire, qui a été remis à tous les sénateurs, et nous transmet ses excuses.
Nous avons donc décidé d'ajouter M. Doucette à la première table ronde; de cette façon, nous aurons amplement le temps de poser des questions aux deux témoins avant que l'appel de l'aéroport ne se fasse trop insistant. Voilà ce qui explique le petit changement à l'horaire.
Comme le Dr Emerson fait partie de cette table ronde depuis le début, nous lui demanderons de parler en premier, puis ce sera au tour de M. Doucette. Nous passerons ensuite aux questions.
Dr Brian Emerson, président, Comité des substances psychotropes, Health Officers' Council of British Columbia : Merci beaucoup de me recevoir aujourd'hui. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de discuter de cet important sujet avec le comité.
À la base, je suis médecin dans le domaine de la santé publique. Je travaille à ce titre en Colombie-Britannique depuis 22 ans; pendant la majeure partie de ma carrière, j'ai travaillé comme médecin hygiéniste dans différents services de santé en Colombie-Britannique. Je représente aujourd'hui le Health Officers' Council of British Columbia, qui regroupe des médecins du domaine de la santé publique qui travaillent dans la province; ces médecins se prononcent sur les questions liées à la santé publique dans le but d'améliorer la santé des populations.
Ce qu'il faut retenir de mes propos, c'est que le grand problème n'est pas la drogue en soi ni la consommation de drogues, mais bien la façon dont nous gérons les substances. J'entrerai dans les détails tout à l'heure. Au fond, notre modèle fondé sur l'interdiction que nous utilisons pour gérer un grand nombre des substances illicites à l'heure actuelle, cause beaucoup de dommages. Et nous pensons que le projet de loi C-15, qui favorise l'interdiction, en causera davantage.
Cette approche nous préoccupe grandement. Dans mon exposé, j'aborderai surtout les conséquences néfastes de l'interdiction. Je parlerai volontiers d'autres questions connexes. J'ai remis au comité un document préparé par le Health Officers'Council of British Columbia, qui traite du sujet de façon générale. Je me concentrerai sur la partie du document qui se rapporte aux conséquences néfastes de l'interdiction.
Il est bien connu, et ce, depuis longtemps, que l'interdiction pose problème. Ce problème n'est pas nouveau. En fait, en 1998, le New York Times publiait sur deux pages une lettre signée par 400 personnalités influentes des quatre coins du monde, dans laquelle elles font valoir que la guerre mondiale contre les drogues cause désormais plus de dommages que la consommation de drogues en soi. Les gens étaient conscients de cette situation auparavant, mais cette déclaration, qui date de plus de 10 ans, a eu beaucoup de poids.
Un certain nombre de groupes tentent de mettre au point une approche novatrice axée sur la santé publique qui pourrait remplacer le modèle d'interdiction des drogues. Si l'interdiction cause tant de dommages, c'est parce que certaines conventions internationales associent la consommation de drogues au mal et obligent les pays à combattre ce mal et à le prévenir. Cette conception de la consommation de drogues est archaïque. Bien entendu, il est très préoccupant qu'on perpétue cette conception préconisant l'interdiction, tant du point de vue de la santé publique que des droits de la personne.
Vous savez qu'au Canada, c'est la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui s'applique. Les principaux ennemis visés par cette loi sont les cultures de pavot, de cannabis et de coca. Certaines personnes ont même dit que cette guerre n'était pas menée contre les drogues, mais bien contre les cultures — voire contre les gens qui font usage de ces cultures. La guerre entraîne des dommages collatéraux. Dans le secteur de la santé publique, nous sommes bien au fait des dommages collatéraux qu'elle cause. Le projet de loi C-15, qui est actuellement à l'étude, illustre bien l'escalade de cette guerre.
Ce qui nous préoccupe, c'est que les dommages collatéraux se répercuteront sur les marginaux et les personnes qui souffrent d'une dépendance, car se sont eux qui écoperont des peines minimales obligatoires proposées. Le gouvernement affirme que ce sont les producteurs et les trafiquants de haut niveau qui sont la cible; en fait, bien d'autres gens, des producteurs et des revendeurs qui sont au bas de l'échelle, se feront prendre. Une partie du problème est attribuable au fait qu'il est très difficile de faire la distinction entre revendeurs, trafiquants et producteurs. Tout n'est pas noir ou blanc. En fait, comme je l'ai mentionné, une grande proportion des revendeurs au bas de l'échelle souffrent d'une dépendance et éprouvent d'énormes difficultés. Nous savons qu'une incarcération ne leur sera pas profitable. En fait, cela mettra leur santé en danger.
J'ai jugé utile de vous mentionner le titre d'un ouvrage que vous ne connaissez peut-être pas, Jailed for Possession : Illegal Drug Use, Regulation, and Power in Canada, 1920-1961. Cet ouvrage écrit par Catherine Carstairs porte sur une étude menée au Canada au sujet des effets de l'interdiction au pays. L'auteure examine la réglementation applicable aux consommateurs et ses répercussions non seulement sur eux, mais aussi sur les policiers, les médecins et les travailleurs sociaux. Il s'agit d'un excellent recueil de témoignages de personnes qui ont constaté ou subi les conséquences néfastes de la politique d'interdiction des drogues, et il pourrait s'avérer intéressant pour les gens qui n'aiment pas prendre des décisions en fonction de statistiques et qui préfèrent se fonder sur des conversations et des discussions. Si vous en avez le temps, je vous encourage à le consulter.
La présidente : Tout à l'heure, pourriez-vous remettre à la greffière la référence de cet ouvrage pour qu'elle puisse la transmettre à tous les sénateurs?
Dr Emerson : Je peux fournir mes notes d'allocution, et la référence y figure.
J'en arrive aux détails concernant les conséquences de l'interdiction. Le document que j'ai fourni présente un tableau qui classe les conséquences par catégories. Je vous invite à vous reporter au tableau 7, qui se trouve à la page 10 du rapport du Health Officers' Council of British Columbia. Les conséquences sur les substances constituent l'une des plus importantes catégories; la concentration des substances interdites est plus élevée parce qu'il est ainsi plus facile de les transporter, les consommateurs adoptent des modes de consommation plus dangereux et les substances contiennent un grand nombre d'impuretés parce qu'elles ne sont pas produites adéquatement. Il y a également des conséquences sur les individus — je ne lirai pas la liste en entier — : ils sont exposés à des risques pour la santé, par exemple celui de contracter le VIH, l'hépatite B ou l'hépatite C, ils entrent dans le cercle de la violence et y restent piégés, ils font face à la stigmatisation et à la discrimination, et ils peuvent être incarcérés et alors entrer dans le cercle vicieux des drogues, et c'est là une grave conséquence.
Le personnel de la justice pénale en subit lui aussi les conséquences; par exemple, les policiers doivent composer avec un grand stress et sont exposés à la violence. Les risques de corruption — par exemple les pots-de-vin — qui pèsent sur le personnel de la justice pénale soulèvent aussi de grandes inquiétudes.
Les familles aussi sont touchées. Les conséquences ne se répercutent pas uniquement sur les personnes visées par les peines prévues par les lois qui préconisent l'interdiction; elles touchent également les familles et ces conséquences se font sentir longtemps.
Les collectivités sont elles aussi touchées parce que l'interdiction entraîne la production de substances dans des maisons et des laboratoires clandestins. Les activités de ce genre ont une incidence dans les quartiers. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une conséquence directe de la stimulation de la production clandestine.
La société entière est touchée. Comme je l'ai mentionné plus tôt, l'interdiction donne automatiquement naissance à un marché noir. On entend dire que l'une des missions les plus ardues qui soit est de s'attaquer au crime organisé et au marché noir, qui sont des conséquences directes de l'interdiction. On s'inquiète aussi des effets sur la perception qu'ont les gens du système judiciaire. Le fait qu'un grand nombre de mesures ne reçoit pas l'appui du grand public en amène certains à se questionner sur le fonctionnement global du système judiciaire et la façon dont on traite cet aspect.
Maintenant, je vais me concentrer sur le projet de loi, puis nous passerons à la discussion. J'ai soulevé quelques éléments entourant l'interdiction et le cadre d'application qui soulèvent des préoccupations. D'après ce que je comprends, le projet de loi entraînera une hausse du nombre de personnes qui se prendront dans les filets du système de justice pénale et qui seront incarcérées, et une aggravation des nombreux problèmes dont j'ai déjà parlé.
Un certain nombre de témoins qui ont comparu devant votre comité ont souligné l'inefficacité des peines minimales obligatoires, alors je n'aborderai pas ce sujet. Toutefois, je tiens à mentionner que le Health Officers' Council of British Columbia est d'avis qu'on doit déterminer ce qui est efficace et ce qui ne l'est pas en fonction des faits. Il s'agit là d'un facteur dont il faut absolument tenir compte pour choisir quelles mesures on doit mettre en œuvre ou laisser de côté.
J'ai mentionné un amendement qui pourrait être apporté à l'un des articles. Avant de parler de cet amendement, je veux d'abord m'assurer que vous comprenez que le fait que nous proposions un amendement ne signifie pas que nous sommes en faveur du projet de loi. En fait, j'estime qu'il faut l'abandonner complètement, si cela est possible. Comme je suis conscient que c'est le Sénat qui décidera du sort du projet de loi, j'ai cru bon de souligner l'article qui prévoit un examen. Je ne sais pas s'il figure dans votre liasse, mais il s'agit d'une proposition d'amendement à l'article 8.1 du projet de loi, qui exige la tenue d'un examen détaillé.
Je propose donc que le nouvel article 8.1, qui exige la tenue d'un examen, prévoie une évaluation détaillée de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. D'après ce que je comprends, cet article exige que la loi en entier, et non seulement les peines minimales obligatoires, fasse l'objet d'un examen dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur. Corrigez-moi si mon interprétation est erronée.
Je propose donc que cet article prévoie une évaluation plutôt qu'un examen et qu'il indique clairement que la loi tout entière, et non seulement les peines minimales obligatoires, ainsi que les répercussions et les résultats obtenus fassent l'objet de l'évaluation. Formulé comme il l'est actuellement, l'article 8.1 du projet de loi prévoit un examen des dispositions et des mesures, c'est-à-dire du fonctionnement de la loi et non des répercussions concrètes. C'est pourquoi je propose que l'article soit axé sur les répercussions et les résultats obtenus. L'évaluation ne devrait pas se limiter à la loi; elle devrait également porter sur ses règlements d'application, car ils font bien entendu partie intégrante de la loi. Ils sont complémentaires. Si l'évaluation porte sur les répercussions et les résultats de la loi, elle devrait également tenir compte des règlements d'application.
Je suis conscient d'avoir conservé l'analyse coût-avantage des peines minimales obligatoires. Mais s'il advenait que ces peines soient exclues de la loi, ce passage devrait être retiré de l'article.
Voilà. J'ai fait un tour d'horizon rapide, mais je crois qu'il vaut mieux que je m'arrête ici pour que nous puissions discuter le plus longtemps possible.
La présidente : Merci beaucoup, docteur Emerson. Monsieur Doucette, la parole est à vous.
Chuck Doucette, vice-président, Drug Prevention Network of Canada : Merci. Je suis moi aussi très heureux d'avoir été invité et d'avoir l'occasion de parler avec vous. J'ai fourni un mémoire dont je vais lire des extraits. J'espère que vous en avez une copie.
Je représente le Drug Prevention Network of Canada, le DPNC. J'occupe actuellement le poste de vice-président de cet organisme et je suis membre du Groupe de travail international sur la politique stratégique de lutte contre les stupéfiants, en anglais l'International Task Force on Strategic Drug Policy, ou l'ITFSDP. Créé en 2005, le Drug Prevention Network of Canada dessert l'ensemble de la population canadienne. En collaboration avec d'autres organisations et particuliers aux vues similaires, nous nous efforçons de promouvoir le traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme par le biais de l'abstinence et de programmes de réadaptation, de promouvoir un mode de vie sans drogue et de lutter contre la légalisation des drogues au Canada.
L'ITFSDP regroupe des professionnels et des dirigeants communautaires du monde entier qui préconisent des principes efficaces de réduction de la demande à l'égard des drogues et s'efforcent de promouvoir la communication et la coopération entre les organisations non gouvernementales engagées à éradiquer la consommation de drogues illicites et à promouvoir une politique antidrogue rigoureuse à travers le monde. Ces deux organisations sont convaincues de la nécessité de mettre en place une politique globale en matière de drogues qui comprend la prévention, le traitement et l'application de la loi.
J'ai pris ma retraite de la Gendarmerie royale du Canada en 2007 après un peu plus de 35 ans de service. Pendant 30 ans, j'ai travaillé dans diverses sections de la Sous-direction de la police des drogues. En tant qu'agent d'infiltration, j'ai mené des enquêtes à long terme sur des complots, analysé des renseignements sur les drogues et coordonné des initiatives de prévention de la toxicomanie. Les 12 dernières années, j'étais responsable du Programme de sensibilisation aux drogues en Colombie-Britannique. À ce titre, j'ai participé de près aux discussions sur les conséquences de l'abus de drogues pour la société et sur les stratégies visant à réduire tant la demande que l'offre de drogues. J'ai représenté la GRC au sein de nombreux comités à l'échelle tant communautaire que provinciale et nationale. Je ne prétends pas être un expert quant à l'efficacité de l'imposition de peines minimales obligatoires pour réduire la consommation abusive de drogues. Je peux cependant partager avec vous ce que mon expérience à la GRC m'a appris.
Les choses ont bien changé depuis mon arrivée au service de lutte antidrogue en 1977. Pendant les 30 années qui se sont écoulées, j'ai constaté que les peines imposées pour des infractions en matière de drogues sont de plus en plus clémentes. Parallèlement, j'ai constaté que les problèmes de toxicomanie n'ont cessé de croître. Au centre-ville de Vancouver, j'ai également observé que les problèmes de toxicomanie augmentaient au fur et à mesure que les mesures d'application de la loi dans ce domaine diminuaient. À la lumière du passé, je ne comprends pas que l'on puisse affirmer que l'imposition de peines plus clémentes contribue à alléger les conséquences sur la société. Mon expérience m'a appris que plus nous sommes cléments, plus les problèmes s'aggravent.
Le Sondage national sur la justice de 2007 : lutte contre la criminalité et confiance du public est venu confirmer mon impression que l'augmentation des infractions liées à la drogue est en lien avec la trop grande clémence des tribunaux. Le sondage révèle que les Canadiens croient que les peines imposées au Canada pour les infractions liées à la drogue sont trop clémentes. En outre, selon une étude publiée en 2002 par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, les coûts sociaux de la consommation de drogues illicites suscitent de vives inquiétudes. Par exemple, mesuré en terme de fardeau sur les services de soins de santé et de police et de perte de productivité au travail ou à la maison due à un décès prématuré ou à une incapacité, le coût global de la consommation abusive de drogues au Canada, en 2002, était évalué à 39,8 milliards de dollars.
J'aimerais maintenant établir une comparaison avec d'autres pays qui, je pense, vivent des problèmes similaires. Je suis allé aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suède pour y observer la situation en ce qui a trait aux drogues. Parmi ces trois pays, nous devrions nous inspirer de la Suède, qui s'est dotée d'une politique efficace en matière de drogues. Les problèmes liés à la consommation abusive de drogues sont moins graves en Suède qu'aux Pays-Bas, en Allemagne et au Canada; or, certains nous ont incités à suivre les politiques adoptées par les Pays-Bas et l'Allemagne.
En Suède, après une période d'application moins rigoureuse de la politique antidrogue et d'augmentation de la consommation de drogues, les Suédois ont réussi à réduire la consommation de drogues en appliquant une politique plus restrictive dans ce domaine. Parallèlement, ils ont accru leurs initiatives de prévention et de traitement. La clé de leur succès est d'avoir trouvé cet équilibre entre la prévention et le traitement et l'application de la loi. En Suède, lorsque les policiers arrêtent une personne pour une infraction liée à la drogue, ils la dirigent vers un spécialiste en toxicomanie avant de la relâcher. S'ils le jugent nécessaire pour la santé du toxicomane, bien que cette solution ne soit pas fréquente, ils peuvent le forcer à suivre un traitement.
Il est essentiel d'imposer un traitement aux toxicomanes si l'on veut réduire les problèmes connexes pour la société. Il y a plusieurs façons de procéder. L'une d'elles est de recourir aux tribunaux de traitement de la toxicomanie, les TTT. Bien qu'il soit important d'imposer aux narcotrafiquants de sévères peines d'emprisonnement, il est tout aussi important de traiter les toxicomanes. L'un des principaux objectifs du Programme des tribunaux de traitement de la toxicomanie est d'offrir aux délinquants toxicomanes la possibilité de suivre un traitement intensif sous la surveillance du tribunal comme solution de rechange à l'incarcération.
Les études portant sur les TTT indiquent une amélioration de la santé physique et mentale chez les participants aux programmes de traitement. En août 2006, le ministère de la Justice du Canada a réalisé une méta-analyse des tribunaux de traitement de la toxicomanie afin de déterminer si les TTT contribuent ou non à réduire le taux de récidive. Il a conclu que les résultats indiquent clairement que le recours à ces tribunaux constitue une bonne méthode pour réduire le taux de criminalité chez les contrevenants ayant des problèmes de toxicomanie.
J'ai rencontré des toxicomanes qui avaient terminé avec succès le programme des TTT. Ils m'ont dit qu'après de vaines tentatives, ils avaient réussi à devenir abstinents grâce au programme des TTT et surtout à la surveillance constante de l'agent chargé du traitement de leur cas. L'agent est là pour les remettre sur la bonne voie lorsqu'ils s'en écartent. Le système normal de santé ne leur offre pas cette possibilité.
Je crois que le système des TTT est un bon moyen de traiter les toxicomanes qui contreviennent à la loi. Nous devons absolument nous assurer d'avoir des TTT là où ils sont requis et qu'il y ait suffisamment d'établissements de traitement pour tous ceux qui en ont besoin. Il est également très important que les toxicomanes qui ne participent pas au programme des tribunaux aient facilement accès à un traitement. Nous ne voulons pas qu'un toxicomane soit tenté de commettre une infraction simplement pour avoir accès à un traitement.
Au Canada, nous avons été influencés par le mouvement international de réduction des préjudices, en anglais, l'International Harm Reduction Movement, qui veut nous faire croire que les lois antidrogues causent plus de préjudices que les drogues elles-mêmes. Cette croyance semble avoir atteint les juges qui se sont mis à imposer des peines de plus en plus clémentes. On a l'impression qu'ils se soucient davantage du toxicomane que du mal causé à la société ou aux proches du toxicomane par la consommation abusive de drogues. Les torts causés aux enfants exposés à la drogue sont réellement préoccupants et au Canada, nous commençons seulement à nous pencher sur ce problème. Même s'il est tragique de séparer un enfant d'un parent toxicomane, il faut aussi songer au préjudice que subira l'enfant si nous le laissons dans une situation où il risque d'être victime de négligence ou de souffrir de l'environnement malsain causé par un grave problème de toxicomanie.
Je reconnais que les toxicomanes ont besoin de traitement, mais je crois que ce traitement doit s'accompagner d'une peine d'emprisonnement lorsque cela est jugé approprié. Je conviens que c'est une erreur d'envoyer un toxicomane en prison sans lui offrir de traitement, mais je pense que c'est également une erreur de ne pas imposer de peine suffisante aux narcotrafiquants de haut niveau qui gagnent leur vie en profitant de la misère des autres. Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de membres de gangs liés au crime organisé. Ces personnes, qui ne sont pas toxicomanes, sont très au courant des risques et des conséquences du trafic de drogue selon les juridictions. Ainsi, elles savent très bien que les peines sont plus clémentes au Canada qu'aux États-Unis, et elles savent aussi pertinemment que les peines sont plus clémentes à Vancouver qu'ailleurs au Canada. Les dispositions du projet de loi C-15 visant à imposer des peines minimales obligatoires seront très efficaces à cet égard.
L'une des principales raisons qui ont incité de si nombreux gangs à s'adonner à la culture du cannabis dans la région de Vancouver, c'est que les peines sont beaucoup moins sévères pour le trafic de cannabis que pour le trafic de cocaïne ou d'héroïne. Le rapport risque-profit est beaucoup plus intéressant. Les modestes amendes dont ils écopent sont simplement considérées comme des dépenses de fonctionnement. De plus, il n'est pas difficile pour les dirigeants de convaincre leurs subalternes de participer aux opérations lorsque le risque d'être envoyé en prison est faible. Même si des lois récentes facilitent la récupération des produits de la criminalité, il nous faut renforcer les mesures de dissuasion. Nous devons brandir la menace d'une peine d'emprisonnement plus sévère. C'est le message que ce projet de loi envoie haut et fort.
On peut dire la même chose de l'utilisation d'une arme durant la perpétration d'un crime. Quelle que soit l'intention originale du contrevenant, la présence d'une arme amplifie considérablement le risque de blesser ou de tuer. Les contrevenants armés représentent une menace beaucoup plus grande pour la société et ils devraient écoper d'une peine proportionnellement plus élevée pour leurs actes. Le meilleur moyen de réduire ce risque pour la société est de mettre le contrevenant à l'écart. Tant et aussi longtemps que ce dernier sera maintenu à l'écart de la société, celle-ci sera à l'abri de la menace. Comme la vaste majorité des infractions sont le fait d'un petit nombre de contrevenants, il va de soi que plus les peines seront longues, moins il y aura de crimes.
Force est d'admettre que la durée des peines n'a cessé de raccourcir depuis 30 ans, peu importe la raison. À mon avis, le temps est venu de renverser cette tendance. Je crois que ce projet de loi peut y parvenir et, pour cette raison, je suis en faveur de son adoption.
La présidente : Merci beaucoup. À vous deux, vous nous avez donné des points de vue fort différents sur ce projet de loi. C'est très intéressant.
Bien sûr, plusieurs sénateurs ont des questions à vous poser.
Le sénateur Wallace : Docteur Emerson, j'aimerais être sûr d'avoir bien compris votre position et vos recommandations. Dans votre rapport et dans votre déclaration liminaire, vous dénoncez l'inefficacité d'une approche fondée sur la prohibition. Voulez-vous dire, en fait, que les drogues devraient être légalisées? Voulez-vous dire que nous ne devrions pas légiférer dans ce domaine et que, au lieu de prévoir des peines d'emprisonnement, nous devrions prendre à l'égard de toutes les drogues quelles qu'elles soient des règlements semblables à ceux qui existent pour le tabac? Est-ce bien l'essentiel de votre message?
Dr Emerson : Le Health Officers' Council de Colombie-Britannique estime qu'il ne faut pas avoir un point de vue manichéen sur la question, comme on semble le faire actuellement en déclarant que toutes les drogues sont illégales. Le Conseil propose d'adopter un modèle réglementé pour toutes les substances psychotropes. Je sais que votre projet de loi porte sur les substances illégales, mais nous nous intéressons également aux conséquences de l'alcool et du tabac. Nous disons également qu'il faudrait examiner dans quelle mesure nos règlements sur l'alcool et le tabac ont été efficaces avant de les appliquer à d'autres substances.
La dichotomie entre légal et illégal n'a aucune justification sanitaire. C'est une dichotomie purement historique, politique et sociale. Le Health Officers' Council de Colombie-Britannique estime qu'en adoptant une démarche axée sur la santé publique, on pourrait concevoir des façons de réglementer toutes les substances psychotropes en se fondant sur des principes et des objectifs de santé publique, dans le but de mieux protéger la santé de la population. Pour résumer, je dirais que, en effet, nous estimons que l'approche fondée sur la prohibition est inefficace. Elle cause des dommages. Il existe d'autres façons de faire face au problème. En fait, le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites avait justement proposé, et c'était un excellent point de départ, de remplacer le modèle de prohibition par un modèle de réglementation. Un siècle de prohibition n'a pas donné beaucoup de résultats mais a par contre causé beaucoup de dommages, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Le sénateur Wallace : Vous estimez donc que la production et le trafic de drogue ne devraient être passibles d'aucune sanction pénale. Que c'est davantage un problème sanitaire, qui devrait être réglementé de la même façon que nous réglementons le tabac. C'est bien cela?
Dr Emerson : La loi contient toutes sortes de dispositions qui peuvent être invoquées, et les sanctions pénales ont un rôle à jouer en cas de dommages à autrui. Les lois sur la conduite en état d'ébriété en sont un bon exemple, qui prévoient dans ces cas-là des sanctions pénales sévères. Il est évident que les sanctions pénales ont un rôle à jouer, nous ne le contestons absolument pas. Par contre, nous estimons qu'on devrait les invoquer à bon escient, lorsque ce type d'activité cause des dommages à autrui.
Le sénateur Wallace : Estimez-vous que la production et le trafic de drogue sont des activités qui causent des dommages à autrui? J'essaie tout simplement de comprendre.
Dr Emerson : Non. Nous avons des méthodes tout à fait efficaces pour réglementer la production des substances vendues sur ordonnance, du tabac et de l'alcool. Nous avons toute une panoplie de règlements à cet effet. Dans un marché réglementé, le trafic n'est pas un problème, car on parle alors de vente, de marketing et de distribution. On pourrait mettre en place tout un système pour réglementer la vente, le marketing et la distribution afin d'empêcher tout trafic, à la disparition du modèle de prohibition.
Le sénateur Wallace : Vous avez beaucoup parlé de ceux qui ont actuellement des problèmes de drogue, mais il y a un autre aspect de la question qui est tout aussi important, ce sont les jeunes que nous voulons aider à ne pas tomber dans cette dépendance. Que diriez-vous de l'idée d'associer des sanctions, pour dissuader et pénaliser ceux qui se livrent à la production et au trafic de drogue, d'associer ces sanctions, donc, à des approches sanitaires visant, d'une part, à aider les toxicomanes et, d'autre part, à dissuader nos jeunes de tomber dans ces dérives? Pensez-vous qu'une approche sur deux fronts serait efficace ou aurait tout au moins du bon sens?
Dr Emerson : Bien sûr qu'elle aurait du bon sens. Je n'en ai pas parlé tout à l'heure, parce qu'on discutait précisément des règlements et des lois. Mais, dans le mémoire du Health Officers' Council de Colombie-Britannique, nous disons bien que le dispositif global doit comprendre la prévention, l'éducation et le soutien aux familles qui en ont besoin, et tenir compte des déterminants sociaux de la santé et des problèmes de la petite enfance.
En ce qui concerne les adolescents, on pourrait avoir des lois qui interdisent la vente de stupéfiants à des jeunes, comme c'est le cas pour le tabac; on sait qu'il est illégal de fournir du tabac à des jeunes. En fixant un âge légal pour la consommation de ces substances, on empêcherait des jeunes de commencer à en prendre l'habitude. On pourrait aussi fixer des prix tellement élevés que les jeunes seraient dissuadés d'acheter ces substances.
Il est important d'agir sur tous les fronts. J'espère ne pas vous avoir donné l'impression qu'en modifiant la législation sur les stupéfiants on réglerait tous les problèmes. Je ne parlais que des mesures prévues par le projet de loi à l'étude. À un niveau plus général, il est évident qu'un dispositif de santé publique doit comprendre toute une gamme de mesures différentes. La prise de règlements est un outil important, mais ce n'est pas le seul. Si c'est l'impression que je vous ai donnée, je me suis mal exprimé et vous prie de m'en excuser.
Le sénateur Wallace : Je voulais simplement savoir ce qui était le plus important dans vos recommandations. Le message est clair, j'ai compris.
Le sénateur Wallace : Monsieur Doucette, votre témoignage est pratiquement à l'opposé de celui du Dr Emerson. Ma question est donc simple. Vous avez entendu ce que le Dr Emerson a dit, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez, notamment en ce qui concerne le sujet qui nous préoccupe, c'est-à-dire la prolifération des drogues dans notre société.
Qu'avez-vous à dire?
M. Doucette : Je pourrais vous en parler pendant des heures, mais je vais essayer d'être bref.
Ils ont beau avoir de bonnes intentions, les gens qui avancent ce genre d'argument ne nous disent pas pourquoi ceux qui se livrent au trafic de drogues illicites cesseraient leurs activités du seul fait que le marché serait devenu légal. Pour faire disparaître ces marchés illicites, ils proposent de prendre des règlements et de fixer des prix inférieurs à ceux qu'ils pratiquent, ce qui les acculerait à la faillite. Ou encore de taxer ce commerce, et les revenus iraient à des programmes de prévention et de traitement. Mais si nous ajoutons des taxes, comment allons-nous pouvoir couper les prix et les acculer à la faillite?
Ils parlent aussi de réglementer la puissance de ces drogues. Tout le monde sait qu'avec le temps, les gens s'habituent à des drogues de plus en plus fortes. Supposons que, du jour au lendemain, le débit de drogue ou d'alcool du coin vende des substances moins fortes. Cela va-t-il empêcher le toxicomane d'aller trouver son dealer habituel pour acheter la drogue plus puissante qu'il consomme depuis des années? Pourquoi ne continuerait-il pas à payer le même prix? Pourquoi accepterait-il tout d'un coup d'acheter un produit moins puissant, qui n'a pas les effets qu'il recherche et auquel il est habitué depuis des années?
Leur argumentation laisse tout plein de questions sans réponse. Quand on voit que les deux substances actuellement réglementées — le tabac et l'alcool — causent toutes sortes de problèmes bien plus graves que n'en posent les drogues illicites, je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse recommander le modèle de la réglementation pour les drogues illicites et s'imaginer qu'on aura moins de problèmes. Il existe toujours un important marché noir de l'alcool et du tabac, alors que ces deux substances sont réglementées. Le crime organisé n'a pas disparu lorsque nous avons légalisé l'alcool. Il est toujours là. Ces gens-là ne plieront pas bagage dès que nous commencerons à légaliser des drogues actuellement illicites. Ils trouveront d'autres moyens de faire des affaires.
Par conséquent, c'est loin d'être aussi simple qu'ils ne le prétendent.
Le sénateur Campbell : Pour tout vous dire, monsieur Doucette et moi avons travaillé longtemps ensemble, et nous sommes amis depuis bien longtemps, même si nous n'avons pas les mêmes opinions.
Il y a quelque chose qui me préoccupe, monsieur Doucette, lorsque je lis votre document. Tout d'abord, je tiens à vous dire que je suis d'accord avec vous et qu'il faut prévoir des peines suffisantes pour les trafiquants de haut niveau, même si, comme vous le savez, je préférerais m'en passer.
Comment pouvez-vous concilier des peines suffisantes pour les trafiquants de haut niveau et des peines d'emprisonnement de six mois pour la possession de cinq plants de cannabis, ce que vous et moi estimons tout à fait ridicule?
M. Doucette : D'après mon expérience, les gens ne font pas six mois de prison pour la possession de cinq plants de cannabis. Il est important de faire une différence entre un trafiquant de haut niveau et celui qui produit de la drogue pour sa propre consommation.
Le sénateur Campbell : Pensez-vous que la possession de cinq plants soit un seuil acceptable?
M. Doucette : À mon avis, c'est plus que ce dont une personne a besoin pour sa propre consommation, surtout que les plantes sont beaucoup plus puissantes aujourd'hui qu'à l'époque où nous étions collègues.
Le sénateur Campbell : Je ne vais pas me lancer dans une polémique là-dessus, comme nous avons eu l'occasion de le faire dans le passé.
Je constate toujours que, dans ce genre de témoignage, les arguments sont simplistes. Vous avez dit qu'» une enquête nationale sur le système de justice menée en 2007 est venue confirmer mon impression que l'augmentation des infractions liées à la drogue est liée à la trop grande clémence des tribunaux. »
Cette impression correspond-elle à la réalité?
M. Doucette : Je ne sais pas si je suis qualifié pour répondre à cette question.
Le sénateur Campbell : Vous avez dit que c'était votre impression. Mon problème c'est que, encore une fois, nous n'avons pas de preuves. Vous dites que c'est votre impression et que, pour la majorité des Canadiens, cette impression est une réalité. Mais vous ne nous en donnez aucune preuve.
Vous avez parlé de votre organisation, le mouvement international de réduction des dommages.
Mais comment définissez-vous « réduction des dommages »?
M. Doucette : La définition de cette expression a évolué avec le temps, mais l'Association internationale de réduction des dommages vient d'en publier une. Je ne me souviens pas de sa formulation exacte, mais je peux vous expliquer comment je l'interprète, si cela peut vous aider.
Le sénateur Campbell : Je vais, moi, vous donner sa formulation exacte, et vous me direz si vous êtes d'accord. La réduction des dommages est une notion qui s'applique à « toute une gamme de politiques de santé publique pragmatiques et fondées sur des preuves qui mettent l'accent sur l'atténuation des conséquences négatives liées à la consommation de drogues et à d'autres activités risquées. »
M. Doucette : Oui.
Le sénateur Campbell : Par conséquent, comment pouvez-vous concilier ce que vous avez dit sur le laxisme des tribunaux en matière de drogue et sur les politiques de santé publique fondées sur des preuves avec le fait qu'on impose une peine d'emprisonnement de six mois pour la possession de cinq plants de cannabis? A-t-on des preuves que, si nous condamnons une personne à six mois de prison pour possession de 30 plants, le comportement de cette personne changera? Quand vous dites que le rapport risque-profit est beaucoup plus intéressant à Vancouver, avez-vous des preuves? Est-ce parce que les peines sont moins sévères pour le trafic de cannabis que les installations de production s'y sont développées?
À mon avis, la réponse est plus simple : c'est beaucoup plus lucratif. Plutôt que d'importer de l'héroïne ou de la cocaïne, par exemple, il est beaucoup plus facile de la produire ici.
M. Doucette : Quand je parle de rapport risque-profit, je parle à la fois du profit — ça rapporte beaucoup d'argent — et du risque. Dans la région de Vancouver, les juges infligeaient des sanctions pécuniaires, pas des peines d'emprisonnement. Et ces sanctions étaient moins élevées que dans le cas de l'héroïne ou de la cocaïne.
Il y a des années, lorsque nous faisions enquête sur le trafic de drogue, la plupart des organisations impliquées ne faisaient le trafic que d'une seule drogue. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La plupart des organisations font le trafic d'un grand nombre de drogues, sans parler des autres types de trafic. C'est l'une des raisons pour lesquelles le crime organisé ne va pas disparaître simplement parce que nous modifions la législation sur le trafic de drogue.
On n'a pas besoin d'avoir la tête à Papineau pour déterminer où sont les marchés lucratifs et quels risques d'emprisonnement y sont associés avant de décider à quel trafic vous allez vous livrer. C'est en tout cas ce que j'ai constaté dans la région de Vancouver, où j'ai travaillé pendant longtemps.
Le sénateur Campbell : Nous finirons bien, un de ces jours, par nous entendre.
La présidente : Je ne conteste pas la véracité de ce que vous avez dit, je veux simplement m'assurer d'avoir bien compris.
Vous nous avez dit qu'au cours des années, vous avez constaté, de par votre activité professionnelle, que les sanctions étaient de moins en moins sévères. Je vous crois, mais avez-vous des statistiques pour le prouver? À part votre propre expérience, avez-vous des statistiques? Nous sommes au courant des recherches effectuées par le Dr Darryl Plecas. En connaissez-vous d'autres?
M. Doucette : Personnellement, c'est là que j'irais chercher des preuves, car il a fait beaucoup de recherches dans ce domaine. Je ne sais pas si d'autres chercheurs sont parvenus à des conclusions encore plus convaincantes que les siennes.
Le sénateur Angus : Monsieur Doucette, vous avez pris votre retraite en 2007. Avez-vous encore des activités dans ce domaine ou êtes-vous complètement à la retraite?
M. Doucette : J'ai pris ma retraite de la GRC, mais je continue de participer aux activités de quatre organisations qui œuvrent dans ce domaine : une au niveau communautaire, une au niveau provincial, une au niveau national et une au niveau international.
Le sénateur Angus : De quelles organisations nationale et internationale s'agit-il?
M. Doucette : Au niveau national, il s'agit du Réseau canadien de prévention de la toxicomanie, dont j'ai déjà parlé. Au niveau international, il s'agit du Groupe de travail international sur la stratégie anti-drogue, qui se réunit une fois par an pour élaborer des documents qui aideront les gouvernements à arrêter des politiques efficaces.
Le sénateur Angus : Étant donné vos 30 années de service à la GRC, les différents comités auxquels vous avez participé pendant ces 30 années et les activités que vous poursuivez depuis que vous êtes à la retraite, peut-on en conclure que vous vous considérez comme un expert en la matière?
M. Doucette : J'ai l'habitude d'être considéré comme un expert par les juges, et je suppose qu'on peut raisonnablement me considérer comme tel.
Le sénateur Angus : À la fin de votre déclaration, vous avez dit quelque chose qui n'est peut-être pas tout à fait exact, à savoir que les membres de ces gangs s'installent à Vancouver parce qu'ils savent que les sanctions y sont moins sévères que partout ailleurs au Canada.
A-t-on des preuves?
M. Doucette : Oui, mais je dois dire que récemment, à Vancouver, on a réussi à obtenir des sanctions plus sévères, notamment avec les déclarations d'impact sur la collectivité, si bien que les juges sont plus sensibilisés à ce problème. Il y a donc eu des progrès, je dois le reconnaître.
Le sénateur Angus : Je viens de Montréal. Je suis membre du barreau du Québec, et nous estimons qu'il y a un grave problème à ce niveau-là. On fait des efforts pour y remédier. Pensez-vous que les sanctions infligées au Québec ou en Ontario ou même ailleurs au Canada soient plus sévères qu'à Vancouver?
M. Doucette : Que je sache, les peines sont plus sévères en Ontario. Pour ce qui est du Québec, je ne connais pas bien la situation et je me garderai donc d'émettre une opinion.
Le sénateur Angus : Force nous est de constater que, même si vos conclusions sont radicalement différentes de celles du Dr Emerson, vous reconnaissez que c'est une erreur d'emprisonner un toxicomane sans lui faire suivre un programme de traitement adéquat. Vous dites ensuite, et c'est en cela à mon avis que vous vous distinguez le plus de l'autre témoin, « que c'est également une erreur de ne pas imposer de peines suffisantes aux narcotrafiquants de haut niveau ». J'aimerais savoir ce que vous entendez par « suffisantes ».
Des spécialistes des États-Unis, des témoins sur la situation au Canada, des gens qui, comme le Dr Emerson, sont contre les peines d'emprisonnement, et d'autres sont venus nous parler des peines minimales obligatoires. Aux États- Unis, ils ont des peines minimales obligatoires extrêmement sévères, de 20, 30, 40, voire 50 ans.
Madame la présidente, lors d'un tout récent voyage aux États-Unis, j'ai découvert un article fascinant que je vais vous faire parvenir afin que vous le fassiez distribuer aux autres membres du comité, si vous le jugez bon.
Qu'entendez-vous donc par sanctions suffisantes?
M. Doucette : Plusieurs années, mais pas forcément 20 ans.
Le sénateur Angus : Estimez-vous que les sanctions prévues par le projet de loi C-15 soient suffisantes?
M. Doucette : Oui.
Le sénateur Angus : Permettez-moi d'aller un peu plus loin : pensez-vous qu'elles soient vraiment suffisantes?
M. Doucette : J'espère que, lorsqu'on parle de sanctions « minimales », on ne s'en tiendra pas toujours au minimum, et que les juges sauront exercer leur pouvoir d'imposer des sanctions plus sévères, s'il y a lieu. Dans ce sens-là, je pense qu'elles sont vraiment suffisantes.
Le sénateur Angus : Vous avez dû remarquer, en lisant le projet de loi, que les juges avaient ce pouvoir, n'est-ce pas?
M. Doucette : En effet.
Le sénateur Angus : Mon collègue le sénateur Campbell a parlé de « haut niveau ». J'ai l'impression que certains trafiquants de drogue ne sont que du menu fretin. Pouvez-vous m'expliquer ce qu'est un trafiquant de haut niveau, de niveau moyen et de bas niveau?
M. Doucette : Oui. On distingue généralement trois niveaux. Au niveau le plus bas, ce sont les vendeurs qu'on voit dans la rue et qui sont souvent eux-mêmes des toxicomanes. S'ils vendent de l'héroïne ou de la cocaïne, ce sont presque toujours des toxicomanes.
Le sénateur Angus : S'agissant du type d'infractions liées à la drogue à propos desquelles le bon docteur disait qu'il fallait les traiter différemment, je peux vous dire que ce sont des gens qui ont vraiment un problème. Ce sont des toxicomanes, et ce sont souvent eux qui vendent de la drogue dans les écoles ou à proximité.
M. Doucette : C'est possible, mais c'est peu probable. La plupart de ces toxicomanes ne sont pas intéressés à vendre de la drogue à des élèves. Leur principal souci est de financer leur dépendance à la drogue. Je pense que le Dr Emerson et moi sommes d'accord pour dire qu'il faut les soigner.
Le sénateur Angus : C'est ce que je pense aussi. Je suis content que le Dr Emerson fasse signe qu'il est d'accord.
Mais je vais vous laisser nous expliquer les trois niveaux.
M. Doucette : Vous avez ensuite le niveau des vendeurs qui gèrent des quantités plus importantes. À ce niveau-là, le vendeur n'est pas toujours toxicomane. Il lui faut un certain sens des affaires pour survivre à ce niveau-là. S'il est toxicomane, il ne l'est certainement pas autant que le vendeur dans la rue. À ce niveau-là, la sanction applicable dépend des circonstances.
Les trafiquants de haut niveau sont ceux qui importent la drogue ou qui sont directement en contact avec l'importateur ou le fabricant. Ce sont rarement des toxicomanes parce qu'ils doivent avoir tous leurs moyens pour fonctionner à ce niveau-là.
Le sénateur Angus : Il s'agit donc là des trafiquants de haut niveau.
Vous avez aussi parlé des membres de gangs liés au crime organisé, et je me demande si vous les mettez dans la catégorie des trafiquants de haut niveau.
M. Doucette : Oui.
Le sénateur Angus : Ce sont ceux dont parle le ministre à propos des fusillades au volant d'un véhicule et des guerres de territoire entre gangs?
M. Doucette : Oui. Beaucoup de crimes sont liés au fait d'appartenir à un gang, sans que cela ait nécessairement un lien avec un trafiquant de haut niveau qui ne fait pas partie du gang.
Le sénateur Baker : J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins et les féliciter de la qualité de leurs déclarations.
Le projet de loi me pose un problème particulier, et j'aimerais bien que l'un des témoins m'aide un peu. Si vous préférez ne pas répondre, tant pis.
Nous parlons de Vancouver. En examinant toute la question du trafic de drogue, je me suis rendu compte que le fait de donner une pilule d'ecstasy à quelqu'un ou de lui passer un joint de marijuana constituait du trafic, aux termes de la loi. Maintenant que l'ecstasy fait partie de l'Annexe 1, la prison à vie sera la sanction maximale une fois que ce projet de loi aura été adopté, ce qui ne signifie pas la prison à perpétuité mais bien d'autres choses qui, en vertu du Code criminel, n'ont rien à voir avec la détermination des peines.
Comme cela me préoccupait, j'ai examiné la jurisprudence. Il y a cinq mois, il y a eu la cause R. c. Chu, où un jeune homme de 18 ans avait été condamné pour trafic d'ecstasy parce qu'il avait vendu une pilule à un policier en civil, pendant une partie rave. Le juge a consulté la jurisprudence des années précédentes, c'est-à-dire les condamnations portant sur l'échange d'une pilule. Cela s'est produit au Pacific Coliseum, sénateur Campbell, où des parties raves sont organisées chaque année à l'époque d'Halloween. Ils y envoient un policier en civil, qui demande une pilule à des jeunes, et ils en arrêtent 10 ou 13 de cette façon.
Il y a eu successivement le projet Tiara, le projet Temporal et le projet Thirst au cours des trois dernières années. Cela a abouti à une multitude de condamnations pour l'échange d'une seule pilule. Si je prends l'exemple d'autres causes, c'est la même chose. Le jeune demande combien il en veut, et le policier lui répond : « rien qu'une ». Le policier prend la pilule, il fait signe à ses renforts et le jeune est arrêté. Il est même arrivé que le policier soit une femme et qu'elle fasse la bise à son vendeur avant de le faire arrêter.
C'est une pratique qui est devenue tellement courante chez les policiers, ces arrestations dans des parties raves à Vancouver, que cela me pose des problèmes. Je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres villes du Canada, mais j'imagine que c'est la même chose. Ce qui me pose un problème c'est que maintenant, la peine maximale est la prison à perpétuité; au cours des 10 dernières années, pour l'échange d'un joint, vous écopiez d'un an de prison. Cela déclenche toutes sortes de choses, comme le renversement du fardeau de la preuve. Vous ne pouvez plus obtenir de caution à moins d'arriver à prouver qu'il faut absolument que vous soyez libéré.
Je me demande si nous ne sommes pas allés un peu trop loin avec ce projet de loi et si nous ne devrions pas essayer de corriger le tir, à moins que les policiers cessent de faire ce genre d'arrestations, ce dont je n'ai pas entendu parler, madame la présidente. Quand ils ont comparu, ils nous ont dit qu'ils n'avaient pas l'intention de modifier leurs pratiques.
J'aimerais savoir si l'un des témoins a quelque chose à dire là-dessus.
Dr Emerson : Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est exactement ce à quoi je faisais allusion lorsque je parlais de la portée de ce projet de loi, qui va prendre au piège des trafiquants de bas niveau, alors que ce n'était pas l'objectif initial. Je croyais que le projet de loi visait les trafiquants de haut niveau.
Or, quand on lit le projet de loi — je ne suis pas avocat, et je reconnais qu'un avocat comprend certainement mieux ce texte que moi —, on se rend compte qu'il ne fait pas de distinction entre le trafic, la possession et la production de drogue. Il est impossible de prendre ces mots séparément; si vous en ciblez un, cela a un effet sur les autres. C'est tout un ensemble d'activités très imbriquées les unes dans les autres, comme vous l'avez fort bien dit.
Avec un libellé aussi strict, le projet de loi vise plutôt les trafiquants de bas niveau, comme les a décrits M. Doucette, les toxicomanes et ceux qui fréquentent les parties raves. Ce sont eux qui vont se voir infliger des peines minimales obligatoires. Je regrette que des représentants du Réseau juridique canadien VIH-sida ne soient pas là car ils pourraient vous décrire clairement les dommages que cause l'incarcération et les résultats que vous obtiendrez si vous mettez encore plus de gens en prison.
Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites que ce projet de loi risque de ratisser beaucoup trop large et de prendre au piège un grand nombre de personnes qui se retrouveront en prison ou avec un casier judiciaire. Ce sont les conséquences négatives d'une telle approche, et je suis entièrement d'accord avec votre analyse.
M. Doucette : D'après ce que j'ai constaté, le fait qu'une personne soit arrêtée pour avoir vendu une seule pilule ne signifie pas nécessairement que cette personne n'est pas un trafiquant plus important. Il est fréquent qu'un policier en civil n'achète qu'une pilule lorsqu'il essaie d'infiltrer des réseaux de trafiquants de bas niveau.
Dans la plupart des cas, la personne en question est ciblée parce que la police a des preuves substantielles qu'elle fait un trafic plus important. Le policier en civil n'a besoin d'acheter qu'une seule pilule pour justifier une accusation de trafic de drogue. Les circonstances sont déterminantes, dans chaque cas, et j'espère que les juges les prennent en considération au moment de la détermination de la peine.
Le sénateur Angus : Oui, mais il y a des peines minimales obligatoires.
Le sénateur Joyal : Précisément.
Le sénateur Baker : Et également le renversement du fardeau de la preuve, pour l'obtention de la caution.
M. Doucette : Pour quelqu'un qui fait du petit trafic, il faudrait peut-être apporter certains éclaircissements. Mais c'est quand même beaucoup moins fréquent que les gens qui font le trafic de grandes quantités de drogue et qui, selon le système actuel, se voient infliger des peines beaucoup trop légères. Il faut prévoir ces cas-là aussi.
Il y a aussi autre chose qu'il faut bien comprendre en ce qui concerne l'incarcération. Je travaille avec un certain nombre de toxicomanes en rémission, qui m'aident à faire de la formation pour les policiers, et cetera. Beaucoup d'entre eux se souviennent du policier qui les a arrêtés et qui les a envoyés dans un programme de désintoxication, et ils disent bien que c'est le fait d'avoir été incarcérés qui les a poussés à suivre un programme de désintoxication. Il ne faut donc pas penser que l'incarcération n'a que des effets négatifs. Dans certains cas, ça va être l'élément déclencheur qui va pousser un toxicomane à se reprendre en main et à se débarrasser de sa dépendance. Bien sûr, ça peut avoir l'effet contraire.
Le sénateur Baker : Je comprends que les effets peuvent varier d'une personne à l'autre, mais il n'en reste pas moins que des causes comme celle de R. c. Chu sont un bon exemple pour celui qui veut examiner toute cette question des arrestations. Encore une fois, ce jeune homme de 18 ans avait dû s'adresser à quelqu'un d'autre pour se procurer la pilule que le policier en civil voulait acheter. Et la même chose s'est produite dans deux autres causes l'an dernier. Il est aussi arrivé que des soldats de retour d'Afghanistan soient arrêtés pour avoir échangé des joints. Et ils ont reçu une double sanction : pour infraction au code militaire et pour infraction au Code criminel.
C'est un énorme problème. Si vous êtes passible d'une peine maximale d'emprisonnement à vie, vous ne pouvez obtenir de caution que si vous réussissez à convaincre le juge, au cours d'une audience de justification, que vous devez absolument être libéré. Ces audiences ne sont pas faciles. Par conséquent, il y en a qui, à cause des dispositions de ce projet de loi, vont être condamnés à la prison à perpétuité pour avoir vendu une seule pilule d'ecstasy.
De plus, une fois que vous avez purgé une peine de prison, vous ne pouvez plus trouver d'emploi. Vous ne pouvez plus aller aux États-Unis. Vous ne pouvez plus vous rendre à l'étranger. Vous n'avez pas droit à un pardon avant 16 ans parce que vous avez été frappé d'interdiction de port d'arme à feu pendant 10 ans. C'est bien cela, sénateur Watt? Ensuite, vous devez attendre six ans avant d'avoir droit à un pardon parce qu'il s'agit d'un acte criminel. Et tout ça pour une seule pilule d'ecstasy ou un seul joint; ça n'a pas de bon sens.
La présidente : Je suppose que c'est plus un commentaire qu'une question.
Le sénateur Baker : Je suis désolé, mais tout cela me frustre énormément, tout au moins la jurisprudence.
La présidente : L'un des deux témoins a-t-il quelque chose à dire en réponse aux remarques du sénateur Baker?
M. Doucette : Non, merci.
Dr Emerson : Non, il a dit très clairement ce qu'il avait à dire.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je suis aussi découragé quand je vois autre chose. Samedi dernier, le 14 novembre 2009, dans La Presse, il y avait un reportage spécial sur les récoltes clandestines de marijuana. On apprend que le Québec est devenu producteur no 1. Il estdonc passé devant la Colombie-Britannique, selon les statistiques présentées. Le journaliste a fait un travail d'enquête — je suis parfois impressionné par le travail des journalistes — et s'est introduit avec des jeunes qui cultivent la marijuana dans les champs.Il a passé quelques jours avec eux.
Je vous lis quelques extraits afin d'introduire ma question. Il est question de Sylvain et Éric qui cultivent depuis 15 ans.
En 15 ans, les deux mariculteurs ne se sont jamais fait prendre.Ni par la police ni par qui que ce soit d'autre[...] « On a souvent eu des petites frousses, mais rien n'est jamais arrivé. Même après toutes ces années, il y a toujours une petite montée d'adrénaline au moment de se lancer dans le champ. C'est stressant, mais c'est mon petit côté rebelle. J'aime ça [...]
Les deux ne consomment pas de marijuanaet leurs clients sont de grosses cliques du crime organisé qui exportent aux États-Unis.
On a aussi l'exemple d'une jeune femme de 20 ans qui a commencé à trimer de la drogueà l'âge de 13 ans. Elle travaillait à 13 $ l'heure. Elle a acheté son premier scooter avec ce travail. Elle a maintenant 20 ans et elle gagne 20 $ l'heure à trimer de la drogue. On a un autre exemple, un musicien, qui lui a travaillé dur pour la mafia italienne, deux semaines intensives dans le bois, 15 heures par jour. Il trouvait que les conditions étaient difficiles, il mangeait des « grilled-cheese » et il est sorti du bois avec 2 000 $ pour travailler 15 heures par jour. Il trouvait cela trop dur alors il a décidé de partir à son propre compte et il fait pousser ses propres plants.
Quand je vois des choses comme cela, avec la situation juridique actuelle, on n'a pas de peine minimale; nous avons un système de justice que certains disent efficace et qu'il fonctionne.Nous avons des centres de traitement de toxicomanie, mais manifestement ces gens ne consomment pas.Ma question s'adresse aux deux témoins, vous ne pensez pas que l'on devrait au moins essayer d'imposer des peines minimales de façon à ce que nos deux mariculteurs qui, depuis 15 ans, ne se sont pas fait prendre, aient autre chose qu'un petit peu d'adrénaline quand ils vont dans le champ et qu'ils aient vraiment l'inquiétude de se faire prendre avec les stigmates que le sénateur vient de mentionner pour notre exemple de pilules d'ecstasy et de faire en sorte que des jeunes de 13 ans ne puissent pas être utilisés dans la culture de la marijuana? Je trouve que c'est une introduction au crime à un très jeune âge. Je pense que si les peines minimales existaient, au moins, cela pourrait faire cette partie de travail. Êtes-vous d'accord avec moi?
[Traduction]
Dr Emerson : Permettez-moi de vous répondre en vous parlant de l'effet dissuasif des peines minimales obligatoires. Je ne suis pas criminologue, je vous préviens, mais j'ai lu le témoignage de nombreuses personnes qui ont comparu devant votre comité. J'ai constaté que les sénateurs ont souvent posé des questions sur l'effet dissuasif des peines minimales obligatoires, et qu'on leur a presque toujours répondu qu'elles n'avaient pas d'effet dissuasif. Aucune preuve n'indique que les peines minimales obligatoires dissuadent les criminels d'agir.
Vous avez parlé de l'attrait qu'exerce ce type de trafic, notamment le profit. L'argent est un mobile puissant, et c'est sans doute la raison pour laquelle aucune preuve n'indique que les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif. L'appât du gain est bien plus fort que l'effet de dissuasion que sont censées avoir les peines minimales obligatoires.
Vous avez aussi parlé de la montée d'adrénaline. C'est dû en partie au fait qu'il s'agit de substances interdites. Les jeunes aiment souvent faire des choses que les adultes jugent inacceptables, ça les excite. Si l'on décidait de réglementer ces substances plutôt que de les interdire, il n'y aurait plus d'excitation à enfreindre la loi et les jeunes seraient moins attirés par ce genre d'activités.
Je ne pense pas que les peines minimales obligatoires soient une solution pour les cas que vous venez de mentionner. En fait, ces jeunes gens risqueront de se retrouver en prison pendant de nombreuses années et d'être marqués par cette expérience pour le restant de leur vie, avec toutes les conséquences que le sénateur Baker a décrites tout à l'heure.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je veux juste vous préciser que les salaires mentionnés ne sont pas énormes. Dans une usine de tabac actuellement, les gens sont probablement mieux rémunérés que le salaire mentionné. Manifestement, ce n'est pas l'argent qui est un attrait ici,et le fait de légaliser ou non ne fera pas augmenter les salaires.
[Traduction]
M. Doucette : Comme je le dis dans le mémoire que je vous ai soumis, je suis convaincu qu'il faut essayer de dissuader les criminels d'agir, et que les sanctions pécuniaires n'ont pas un effet dissuasif suffisant. Ces gens-là gagnent énormément d'argent. Il faut donc trouver quelque chose qui les touche vraiment. Personne ne veut aller en prison, c'est pour cela que ça a un effet dissuasif. Et les organisateurs, c'est-à-dire les trafiquants de haut niveau, devraient se voir infliger des peines d'emprisonnement beaucoup plus sévères que les jeunes.
Permettez-moi de vous rappeler qu'un jeune contrevenant ne sera pas emprisonné, sauf si ce projet de loi prime, car en tant que jeune contrevenant, il tombe sous le coup de la Loi sur les jeunes contrevenants. Mais c'est une autre question. Nous parlons ici d'adultes. Si un adulte commet un crime, il ou elle doit assumer les conséquences de son acte. Plus les gens l'apprennent tôt, mieux ça vaut. Il y en a qui vont se faire prendre dès le début parce qu'ils ignoraient la loi, mais une fois que les journaux en parleront, les autres seront informés et, il faut l'espérer, y réfléchiront deux fois avant de commettre le même crime.
La présidente : En tant qu'ancienne journaliste, j'espère que vous avez raison quand vous dites que les jeunes vont lire les journaux.
[Français]
C'est ça sénateur Carignan, vous avez terminé.
Le sénateur Carignan : J'avais une autre question.
La présidente : Comme vous le savez, on a dépassé l'heure, je vais vous demander de la faire courte.
Le sénateur Carignan : Vous avez dit dans votre témoignage qu'on devrait s'inspirer de la légalisation de l'alcool et du tabac. Si on s'inspire effectivement de l'alcool et du tabac, on s'entend tous que l'alcool et le tabac, comme la drogue, sont mauvais pour la santé et sont bannis dans presque tous les pays du monde au niveau de la drogue. Si on pousse le raisonnement en s'inspirant du tabac et de l'alcool, actuellement, on interdit aux gens de fumer à peu près dans tous les endroits publics; on interdit la publicité sur le tabac et on investit des milliards pour essayer de réduire la consommation de tabac. On investit également dans des publicités importantes pour réduire la consommation d'alcool.
Est-ce que ce n'est pas premièrement utopique de penser qu'un jour, la marijuana soit légale, au moins en Amérique du Nord et, deux, même si c'était légalisé, vous ne pensez pas que les problématiques de santé seraient encore très présentes et qu'on n'aurait pas réglé le problème de la consommation pour autant.
[Traduction]
Dr Emerson : Je suis content que vous me posiez la question car, pendant que M. Doucette parlait de ma suggestion d'adopter pour les drogues illicites le même modèle que nous avons pour l'alcool et le tabac, j'avais noté qu'il me faudrait préciser ma pensée. En effet, ce n'est pas tout à fait ce que je voulais dire, si c'est bien ça que j'ai dit. J'ai dit que nous pourrions tirer de nombreuses leçons de notre expérience avec le tabac et l'alcool et trouver une meilleure façon de réglementer les substances psychotropes. Cela ne veut pas dire qu'il faut appliquer aux substances psychotropes le modèle que nous avons pour l'alcool et le tabac.
Je tenais donc à apporter cet éclaircissement. Le problème que pose le modèle de l'alcool et du tabac vient du fait que ces deux produits font l'objet d'une promotion commerciale, ce qui, du point de vue de la santé publique, serait inacceptable pour des substances psychotropes. En fait, il faudrait prendre toutes sortes de mesures de santé publique pour que le modèle appliqué à l'alcool et au tabac cesse d'être commercial et devienne un modèle axé sur la santé publique. Je n'ai jamais suggéré qu'il fallait intégrer des substances psychotropes, en l'occurrence le cannabis, comme l'a dit le sénateur, au modèle de l'alcool et du tabac, et je tenais à apporter cet éclaircissement.
J'estime que nous devons agir avec prudence. Nous n'avons pas toutes les réponses mais, pour l'instant, nous ne parlons même pas d'autres façons de réglementer ces substances. Il n'est question que de renforcer les dispositifs de prohibition qui, comme je l'ai indiqué, ne feront qu'aggraver les dommages de la prohibition. Il y a pourtant bien d'autres façons d'agir, et il faudrait en discuter afin d'explorer toutes les options disponibles, de façon prudente, progressive et volontaire, dans le but de trouver un juste équilibre entre les dommages causés par des substances et les dommages causés par les politiques et les lois qui s'appliquent à ces substances.
La légalisation de la marijuana est une utopie, et ce n'est pas cela que je propose, mais il nous faut avoir ce genre de discussions. C'est la raison pour laquelle le mémoire du Health Officers' Council de Colombie-Britannique proposait notamment de créer des groupes de travail chargés d'élaborer des modèles bien pensés, tenant compte de notre expérience de la réglementation du tabac et de l'alcool afin de ne pas répéter les mêmes erreurs.
Le sénateur Joyal : Je m'intéresse essentiellement aux trafiquants de bas niveau, dont on a parlé tout à l'heure, c'est- à-dire ceux qui vendent de la drogue dans la rue pour se faire un peu d'argent et ainsi financer, comme c'est le cas bien souvent, leur propre dépendance à la drogue.
Monsieur Doucette, au cours de votre déclaration, vous avez dit, au sujet du rôle des tribunaux de traitement de la toxicomanie, et je cite :
Je crois que le système des TTT [tribunaux de traitement de la toxicomanie] est un bon moyen de traiter les toxicomanes qui contreviennent à la loi. Nous devons seulement nous assurer qu'il y a des TTT là où ils sont requis et qu'il y a suffisamment d'établissement de traitement pour tous ceux qui en ont besoin.
Je suis entièrement d'accord avec vous là-dessus. Le problème que nous pose ce projet de loi est qu'il va prendre dans ses filets les trafiquants de bas niveau. Mon collègue le sénateur Baker en a donné quelques exemples. Le sénateur Watt pourrait vous en donner d'autres sur des Autochtones qui se trouvent dans ce genre de situation.
Lorsqu'il a présenté ce projet de loi, le gouvernement n'a pas annoncé qu'il allait augmenter le nombre des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Nous n'en avons que six au Canada. Nous nous entendons tous pour dire que les trafiquants de haut niveau devraient être mis en prison. Nous craignons par contre que ces dispositions aient un effet néfaste sur certains des membres les plus vulnérables de notre société. Ce projet de loi ne contient pas de clause de protection qui permettrait à un juge de tenir compte du fait que, dans certaines régions du Canada, il n'y a pas de tribunal de traitement de la toxicomanie. Il faudrait donc prévoir une soupape de sécurité, afin que le juge puisse tenir compte de la situation que nous connaissons aujourd'hui, pas dans 10 ans mais maintenant. Si nous adoptons ce projet de loi d'ici quelques semaines, il va avoir force de loi, et le juge sera obligé de l'appliquer. Certes, nous voulons que la loi soit plus efficace et qu'elle nous permette de mieux lutter contre le crime organisé, mais nous devons nous préoccuper tout autant des toxicomanes qui veulent s'en sortir.
Vous n'en parlez pas dans votre mémoire, et j'ai l'impression que c'est parce que vous ne vous rendez pas compte que les tribunaux de traitement de la toxicomanie n'existent pas dans toutes les régions du Canada et qu'en fait, un très grand nombre de Canadiens — notamment parmi les plus vulnérables, comme je le disais — n'y auront pas accès. Ces gens-là vont donc se retrouver en prison, sans pouvoir bénéficier d'un traitement, et ce n'est pas ce que nous voulons.
M. Doucette : C'est bien pour cela que je l'ai formulé de cette façon, dans mon mémoire. Je suis d'accord avec vous, il est important que nous ayons les ressources nécessaires pour financer un plus grand nombre de programmes de désintoxication. J'espérais que vous en feriez la recommandation, à savoir qu'en plus d'adopter ce projet de loi, il faut financer un plus grand nombre de programmes de désintoxication, que ce soit par l'entremise des tribunaux de traitement de la toxicomanie, qui sont un outil excellent, ou que ce soit des programmes de traitement pour les autres toxicomanes qui ne sont pas justiciables. Il faut des ressources supplémentaires pour ces programmes. Je sais que les budgets ont été augmentés au cours des dernières années, mais ce n'est pas encore suffisant.
Dr Emerson : Vous soulignez un point très important, qui nous ramène à ce que nous disions tout à l'heure au sujet de la nécessité d'avoir une approche globale, sur plusieurs fronts à la fois. Vous avez raison. L'un des volets les plus faibles de cette approche globale est justement le nombre insuffisant de programmes de désintoxication. M. Doucette a expliqué tout à l'heure que, au moment où le toxicomane se retrouve face à face avec un juge, il y a comme un déclic et il se rend souvent compte qu'il a intérêt à suivre un programme de traitement. Il faudrait qu'il y ait plusieurs autres déclics de ce genre, afin d'encourager les gens à suivre ce genre de programme.
Je suis convaincu que les peines minimales obligatoires ne sont pas un mobile idéal pour inciter les gens à suivre un programme de traitement. Il nous faut mettre en place des programmes de désintoxication plus développés, afin de répondre à toutes sortes de besoins.
Je trouve qu'il est très injuste que dans certaines régions, les toxicomanes puissent avoir accès à des programmes de traitement obligatoires, ce qui leur permet de se soustraire aux peines minimales obligatoires, alors que dans d'autres régions, s'il n'y a pas de programmes de traitement de la toxicomanie, les gens seront obligés de purger des peines minimales obligatoires. Il me semble que c'est deux poids deux mesures. Il y a déjà le fait que ce projet de loi va prendre dans ses filets les petits trafiquants et les petits producteurs, comme vous l'avez fait remarquer, mais en plus, une telle disparité d'accès aux programmes de désintoxication va se traduire par l'emprisonnement obligatoire d'un plus grand nombre de personnes, ce qui leur fera plus de mal que de bien. Je suis d'accord avec vous.
La présidente : Ce projet de loi exempte de la peine minimale obligatoire tout contrevenant qui « termine avec succès » un programme de désintoxication. Existe-t-il des études ou des barèmes qui permettent de faire une distinction entre « terminer » et « terminer avec succès »? Nous savons qu'il existe des statistiques sur le nombre de personnes qui décrochent avant la fin du programme. Avons-nous les outils nécessaires pour faire une distinction entre « terminer » et « terminer avec succès »?
Dr Emerson : Justement, cela me préoccupe, car je ne sais pas exactement ce que l'on entend par « terminer avec succès », puisque l'expression n'est accompagnée d'aucune définition ou description. Nous savons que la toxicomanie est une condition chronique sujette à des rechutes. Autrement dit, vous pouvez fort bien terminer un traitement et ne pas prendre de drogue pendant un certain temps, puis recommencer à en prendre. Dans ce cas-là, avez-vous terminé le programme avec succès ou non? Je ne vois pas comment on pourrait alors parler de succès. Je ne sais pas comment on pourrait mesurer cela.
M. Doucette : J'ai supposé que la procédure serait la même que celle qu'on utilise pour le programme judiciaire de traitement de la toxicomanie. Je ne me souviens plus exactement du laps de temps qui est prévu, mais j'ai parlé à des gens qui avaient terminé avec succès un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie. Le travailleur social les accompagne après leur sortie du programme, et, bien sûr, il peut y avoir une rechute. Lorsque cela se produit, le travailleur social les réintègre dans le programme en y apportant parfois quelques changements pour tenir compte des causes de la rechute.
En tout cas, ce n'est qu'après une période d'abstinence d'une durée déterminée qu'ils sont réputés avoir terminé avec succès le programme de désintoxication. Cela ne signifie pas qu'ils ne feront pas une rechute un an ou deux ans plus tard. Je suppose qu'ils ne les accompagnent pas pendant aussi longtemps pour les incarcérer après une rechute. Ils ont un système en place, et j'ai supposé que c'est à ça que le projet de loi faisait allusion.
La présidente : Sinon, il va falloir que le libellé soit plus clair.
J'aimerais remercier nos deux témoins. Les discussions ont été très intéressantes. J'espère que vous ne vous êtes pas sentis mal à l'aise lorsque vous avez dû expliquer certaines de vos positions, mais croyez-moi, ça été très instructif pour nous de vous recevoir tous les deux en même temps.
[Français]
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.
Alors ce soir nous accueillons, de Santé Canada, Cathy Sabiston, directrice générale des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme, Catherine MacLeod, directrice générale principale de la Direction générale des régions et des programmes et Jane Hazel, directrice générale de la Direction des services de marketing et des communications.
[Traduction]
Merci à vous tous, et un merci encore plus spécial car, même si nous remercions toujours chaleureusement nos témoins, nous savons que Santé Canada est sens dessus dessous à cause de l'épidémie de H1N1. Je sais qu'elle ne relève pas directement de vous, mais je suppose qu'elle a une incidence sur toutes les directions du ministère. Madame Sabiston, vous avez la parole.
Cathy Sabiston, directrice générale, Direction des substances contrôlées et de la lutte au tabagisme, Santé Canada : Je remercie les membres du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles de me donner l'occasion de vous parler du rôle que joue Santé Canada dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue, qui est l'approche adoptée par le Canada pour réduire l'offre et la demande de drogues illicites et pour combattre la criminalité qui y est associée.
Le projet de loi C-15 dont vous êtes saisis propose de modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances par l'introduction de peines minimales obligatoires pour des crimes graves liés aux drogues qui impliquent certains facteurs aggravants (utilisation d'armes, implication des jeunes, et cetera.). Le projet de loi C-15 ne constitue pas une mesure isolée; il ne s'agit que d'un élément d'une stratégie plus vaste du gouvernement visant à réduire la consommation et l'abus de drogues illicites.
[Français]
Bien que le ministère de la Justice soit le principal responsable de la stratégie nationale de la lutte antidrogue, Santé Canada est le ministère responsable de la mise en œuvre du Plan d'action axé sur la prévention et le traitement.
À titre de coordonnatrice de l'ensemble des activités de la stratégie nationaleantidrogue pour le portefeuille de la santé, je vous parlerai plus longuement des Plans d'action axés sur la prévention et le traitement et du rôle que nous jouons dans le cadre du Plan d'action en matière d'application de la loi.
[Traduction]
La consommation et la surconsommation de drogues illicites ont des répercussions sur tous les Canadiens, ainsi que des conséquences directes à la fois sur le système de santé et sur l'économie canadienne. Une étude de 2002 du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies a révélé que l'ensemble des coûts reliés à la toxicomanie au Canada était évalué à 39,8 milliards de dollars. Plus précisément, les coûts économiques attribués à la consommation et à la surconsommation de drogues illicites ont été évalués à approximativement 8,2 milliards de dollars. La majeure partie des coûts économiques découle de la perte de productivité due à la maladie et aux décès prématurés, aux activités d'application de la loi ainsi qu'à la prestation de soins de santé directs.
Étant donné que la consommation de drogues illicites est un problème complexe qui existe depuis très longtemps et qui est accompagné de coûts considérables sur les plans personnel, social et économique, le gouvernement du Canada a décidé de créer et de lancer une stratégie complète en partenariat avec Sécurité publique Canada, le ministère de la Justice et Santé Canada afin de renforcer la sûreté et la santé des collectivités, et ce, en réduisant la consommation et la surconsommation de drogues illicites au Canada et en prenant part à l'élimination de ces activités. C'est ici que se situe le rôle que joue Santé Canada dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue du gouvernement du Canada.
Lancée en octobre 2007, la Stratégie nationale antidrogue vise à réduire l'offre et la demande de drogues illicites. La Stratégie, dans laquelle ont été investis 230 millions de dollars sur cinq ans, est composée de trois secteurs d'intervention prioritaires, qui sont : 1) prévenir la consommation de drogues illicites (30 millions de dollars); 2) traiter la dépendance aux drogues illicites (100 millions de dollars); 3) lutter contre la production et la distribution de drogues illicites (100 millions de dollars).
Même si l'imposition de peines d'emprisonnement minimales obligatoires est une mesure qui contribue à réduire l'offre de drogues illicites, les initiatives de prévention et de traitement constituent néanmoins les composantes nécessaires de toute stratégie intégrée et complète dont le but est de contrer la consommation de drogues illicites.
[Français]
Je débuterai par le Plan d'action en matière de prévention. Comme son nom le laisse entendre, le Plan d'action en matière de prévention vise à dissuader les gens d'utiliser des drogues. Autrement dit, il vise à éliminer le problème avant que celui-ci ne se présente. Le Plan d'action privilégie la prévention de la consommation de drogues illicites chez les jeunes. Il diffusera de l'information aux personnes qui sont les plus touchées par la consommation de drogue, y compris les parents, les jeunes, les éducateurs et les instances responsables de l'application des lois et les collectivités.
[Traduction]
Le Plan d'action en matière de prévention réoriente les stratégies, les programmes et les services communautaires actuels de prévention de la consommation de drogue axés sur les jeunes; il présente des renseignements directement aux parents, aux éducateurs et aux professionnels du domaine de la santé; il prépare du matériel scolaire dans le cadre de stratégies de sensibilisation et de prévention visant les élèves des écoles primaires et secondaires; il dissuade les jeunes de consommer des drogues illicites au moyen d'une nouvelle campagne de sensibilisation publique lancée à l'échelle nationale; et il offre un appui financier aux collectivités afin qu'elles mettent en place des projets locaux pour venir en aide au nombre de plus en plus élevé de jeunes ayant des problèmes de consommation de drogues illicites.
Il va sans dire que beaucoup d'entités ont un rôle à jouer en matière de prévention. Quant à lui, le gouvernement du Canada a investi 30 millions de dollars sur cinq ans dans une campagne médiatique ciblée dont le but est de sensibiliser les jeunes de 13 à 15 ans aux dangers de la drogue. La première de ce genre depuis 1993, cette campagne a été lancée en mars 2008 et a commencé par un message aux parents : renforcez votre influence sur vos adolescents et discutez de la drogue avec eux.
Une évaluation de mai 2009 a indiqué que la campagne a atteint le groupe ciblé et que les messages ont fait écho. En fait, le volet de la campagne destiné aux parents a suscité plus de 2 900 appels à notre centre d'information et plus de 280 000 visites à notre site web. En outre, plus de 123 000 exemplaires de la brochure destinée aux parents ont été commandés, et des milliers d'autres ont été téléchargés à partir de notre site web. Un sondage ultérieur à la campagne a confirmé ce que nous pensions. Ce sondage a révélé que les parents de notre public cible étaient intervenus précisément en réaction à la campagne. Les adultes sont allés chercher la brochure d'information et ont discuté des dangers de la drogue avec leurs enfants. Il faudra toutefois du temps avant de pouvoir constater des résultats probants en matière de réduction de la consommation de drogue chez les jeunes adolescents.
Fort du succès du lancement initial, Santé Canada fait encore une fois participer les parents des jeunes de 13 à 15 ans en relançant la campagne le 23 novembre, par l'entremise de la télévision et d'Internet. Cet événement sera suivi le 28 décembre par le lancement d'une campagne multimédia visant les jeunes dont l'âge se situe entre 13 et 15 ans.
Les jeunes consomment généralement de la drogue pour la première fois à l'âge de 14 de 15 ans environ. C'est pourquoi notre campagne vise à rejoindre les jeunes avant qu'ils n'expérimentent des drogues illicites.
Le gouvernement du Canada appuie également des projets de promotion de la santé et de prévention de la toxicomanie. Grâce au Fonds des initiatives communautaires de la Stratégie antidrogue, Santé Canada contribuera à diminuer la toxicomanie chez les jeunes en finançant des initiatives communautaires qui permettront de recenser les besoins particuliers des jeunes de la région et d'y répondre.
[Français]
Par exemple, Santé Canada soutient financièrement le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies afin de créer une stratégie de prévention en toxicomanie chez les jeunes; une initiative qui permet de mobiliser les efforts de prévention ainsi que d'étoffer les politiques et les pratiques en matière de prévention, et qui favorise l'établissement de liens entre des associations sans but lucratif, le secteur privé et les ordres du gouvernement afin d'optimiser la portée de nos efforts.
[Traduction]
Malheureusement, les mesures de prévention arrivent trop tard pour celles et ceux qui consomment des drogues, qui ont développé une dépendance à leur égard et qui en souffrent sur les plans social, physique et mental. C'est pourquoi le gouvernement du Canada a aussi fait d'importants investissements pour mettre en œuvre la deuxième composante de la Stratégie nationale antidrogue, à savoir le Plan d'action en matière de traitement. Le Plan d'action en matière de traitement appuie les approches innovatrices visant à traiter et à réadapter les toxicomanes qui constituent un risque pour eux-mêmes et pour la collectivité.
Ce plan favorise la collaboration entre les gouvernements et appuie les organismes en vue d'accroître l'accès aux services de désintoxication. Le Plan permet d'améliorer le traitement et le soutien offert aux Premières nations et aux Inuits; d'offrir des programmes de traitement aux jeunes délinquants qui ont des problèmes liés à la consommation de drogue; d'autoriser la GRC à aiguiller les jeunes ayant des problèmes liés à la consommation de drogue vers des programmes de traitement; et d'appuyer la recherche portant sur de nouveaux modèles de traitement.
Le Programme de soutien au financement du traitement de la toxicomanie, qui est une initiative dont le but est d'aider les gouvernements provinciaux et territoriaux à dispenser des services de qualité dans ce domaine, est un élément important du Plan d'action en matière de traitement. Ce programme aide les provinces et les territoires à adopter des pratiques exemplaires à l'échelle nationale, à appliquer les découvertes de la recherche à la pratique clinique, et à mieux mesurer l'efficacité des systèmes de traitement de la toxicomanie.
Le gouvernement du Canada consacre des fonds afin de répondre aux besoins des populations particulièrement vulnérables, à savoir les habitants du centre-est de Vancouver et les membres des collectivités inuites et autochtones.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, le quartier centre-est regroupe une population extrêmement vulnérable, composée de milliers de personnes qui ont une dépendance à l'héroïne, à la cocaïne, au crack, à la métamphétamine en cristaux et à d'autres drogues. Ces personnes ont besoin d'aide pour recouvrer la santé et l'espoir.
Pour cette raison, le gouvernement du Canada a créé une équipe communautaire de traitement actif qui travaille en permanence à offrir des services de psychiatrie, de médecine, de soins infirmiers, de thérapie et de réadaptation. Seront également créés 20 nouveaux lits de traitement destinés aux travailleuses du sexe toxicomanes; ces femmes ont besoin d'un milieu sûr et stable pour surmonter la toxicomanie. Des fonds ont également été alloués pour améliorer les services de traitement des toxicomanies à l'intention de la population autochtone qui habite le quartier.
De plus, Santé Canada fournit des fonds chaque année dans le cadre du Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones, afin de financer 54 centres de traitement ainsi que des services de prévention de l'alcoolisme et de la toxicomanie dans plus de 500 collectivités des Premières nations du Canada.
En vertu du Plan d'action en matière de traitement, Santé Canada travaille à améliorer l'accès et la qualité des services de traitement des toxicomanies destinés aux jeunes et aux familles inuites et autochtones du Canada.
[Français]
Pendant que les Plans d'action en matière de prévention et de traitement diminuent la demande de drogues illicites et offrent des traitements à ceux qui ont des dépendances aux drogues, le Plan d'action en matière d'application de la loi vise à restreindre l'offre des drogues illicites en soutenant la capacité de mise en application de la loi afin de combattre les activités de production et de distribution de drogues synthétiques ainsi qu'en renforçant les efforts d'application de la loi afin de permettre la tenue d'enquêtes et l'engagement de poursuites dans le cas des crimes liés aux drogues.
[Traduction]
Pour Santé Canada, le Plan d'action pour la mise en application de la loi a permis au Ministère d'embaucher des agents de conformité régionaux pour inspecter les lieux et les établissements qui ont été agréés pour produire, importer, exporter et distribuer des précurseurs en vertu du Règlement sur le contrôle des précurseurs de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la LRCDAS. Le Plan a aussi permis d'accorder un financement pour accroître la capacité d'aider aux enquêtes sur les laboratoires clandestins et pour effectuer de nouvelles analyses de laboratoire — à des fins d'identification — sur les produits chimiques et drogues illégales saisis pour les besoins des poursuites judiciaires.
Depuis 2007-2008, ces crédits ont permis à Santé Canada de recruter huit agents de conformité régionaux supplémentaires. L'objectif est d'en recruter 22 d'ici à 2011-2012. Depuis le début de 2008, les agents de conformité ont effectué 120 inspections liées aux précurseurs, et ils prévoient en faire 190 autres environ d'ici la fin de l'année financière.
Ces inspections permettent de s'assurer que les produits chimiques couramment utilisés dans la fabrication de drogues synthétiques, comme la métamphétamine et l'ecstasy, ne sortent pas des réseaux de distribution légitimes, et que, s'il y a lieu, l'analyse ponctuelle et précise des drogues illicites qui ont été saisies par les policiers servira à étayer les poursuites intentées contre des contrevenants.
En conséquence, l'adoption des modifications à la LRCDAS proposées dans le projet que vous avez devant vous permettra l'imposition de peines plus sévères pour certains contrevenants. Ce projet de loi permettra aussi l'application de pénalités semblables dans le cas d'infractions impliquant toute substance semblable aux amphétamines; de ce fait, ce projet de loi permettra de combler l'écart qui existe actuellement entre les peines liées aux amphétamines et les peines liées à l'ecstasy ou à la MDMA.
Comme vous pouvez le constater, le projet de loi C-15 représente un élément de l'approche globale adoptée par le gouvernement du Canada pour lutter contre la production, la consommation et la surconsommation de drogues illicites au Canada. Tandis que les plans d'action en matière de prévention et de traitement visent à réduire la demande de drogues illicites et offrent un traitement aux personnes qui souffrent d'une dépendance à la drogue, le Plan d'action sur la mise en application de la loi vise à enrayer l'offre de drogues illicites au Canada; le projet de loi C-15, en particulier, vise à rendre les activités criminelles moins lucratives et moins attrayantes.
Ma déclaration, en cette troisième semaine de novembre, tombe à point puisqu'il s'agit de la Semaine nationale de sensibilisation aux toxicomanies au Canada, laquelle est une occasion de diffuser de l'information et de sensibiliser les Canadiens au problème de la dépendance aux drogues.
Merci de nous accueillir aujourd'hui, mes collègues et moi. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Avant de donner la parole au premier nom qui figure sur ma liste, je voudrais vous poser une question sans doute très terre à terre pour vous : 230 millions de dollars, c'est une coquette somme. Ce n'est pas négligeable. Toutefois, elle est étalée sur cinq ans, et vise trois secteurs prioritaires.
Par exemple, le second volet du programme, les programmes de traitement, reçoit 100 millions de dollars sur cinq ans, ce qui donne en moyenne 20 millions de dollars par an. Si l'on répartit cette somme entre les 10 provinces et les trois territoires, on a l'impression que, tout d'un coup, ça ne fait pas grand-chose.
Pourriez-vous nous donner une ventilation plus détaillée de la façon dont ces précieux dollars seront dépensés, afin que nous ayons une idée plus claire de ce qui se fait en ce moment?
Le sénateur Wallace : Merci, madame Sabiston, vous avez fait une excellente déclaration.
Après tous les témoins que nous avons entendus ces dernières semaines au sujet du projet de loi C-15, je suis content que vous nous ayez exposé l'approche globale de la Stratégie antidrogue du gouvernement. Comme vous pouvez vous en douter, chacun des témoins s'est intéressé plus particulièrement à un élément de la stratégie, et je dois dire que ce sont les programmes de traitement de la toxicomanie qui ont surtout retenu leur attention, à juste titre d'ailleurs. En effet, c'est là un élément extrêmement important de la stratégie, et nous sommes tous d'accord là-dessus.
Vous avez dit que cette approche est globale parce qu'elle comprend la prévention, le traitement et l'application de la loi, et, aussi, ce que je trouve intéressant, parce qu'elle mobilise plusieurs ministères du gouvernement fédéral : Sécurité publique Canada, Justice Canada et Santé Canada. Pour certains d'entre nous tout au moins, il est rassurant de voir que ce projet de loi, même s'il est parrainé par le ministère de la Justice, mobilise plusieurs ministères fédéraux.
Comme je l'ai dit, un grand nombre de témoins ont parlé du volet traitement de la stratégie. J'ai trouvé intéressant que vous nous parliez de la prévention, car, pour nous tous, c'est un élément clé de la stratégie. Il faut que nous prenions les mesures nécessaires afin de réduire les risques que nos enfants et nos adolescents ne soient pris dans l'engrenage de la drogue.
Vous avez parlé, madame Sabiston, d'une campagne de prévention, axée plus particulièrement sur les parents. Cela m'a un peu surpris, car je pensais que vous auriez commencé par les adolescents. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez décidé de procéder de cette façon et nous dire dans quelle mesure cette campagne est efficace?
Mme Sabiston : Je vais demander à ma collègue, Jane Hazel, de vous répondre car elle est responsable de ce programme.
Jane Hazel, directrice générale, Direction des services de marketing et de communication, Santé Canada : Merci, sénateur. C'est une excellente question.
Comme l'a dit madame Sabiston dans sa déclaration, cela faisait longtemps, 16 ans exactement, que nous n'avions pas eu de campagne antidrogue au Canada. Nous avons essayé de voir ce qui s'était fait depuis dans neuf autres pays, notamment au Royaume-Uni, en Australie et aux États-Unis, pour tirer parti de leur expérience.
Pour ce qui est des pratiques exemplaires, nous avons appris certaines choses très importantes. Premièrement, il est important de cibler le groupe d'âge de 13 à 15 ans, comme l'a dit Mme Sabiston, car c'est à cet âge-là que les adolescents sont le plus susceptibles de vouloir faire ce genre d'expérience. Le premier enseignement que nous en avons tiré, et c'était un peu surprenant, est que les enfants de cet âge respectent et écoutent encore leurs parents. Cela en a vraiment surpris certains. Les recherches que nous avons faites au Canada ont corroboré cette conclusion. Bref, à cet âge-là, les enfants écoutent encore leurs parents et leur posent encore des questions.
Par conséquent, il nous fallait commencer par donner aux parents les outils dont ils ont besoin pour parler facilement à leurs enfants. Nous nous étions rendu compte, au cours de nos recherches ici au Canada, que certains parents n'étaient pas très à l'aise face à ce problème. Certains d'entre eux avaient fumé de la marijuana quand ils étaient jeunes, et ils se demandaient comment aborder aujourd'hui le problème avec leurs enfants. D'autres disaient ne rien savoir des nouvelles drogues, que ces drogues étaient beaucoup plus fortes qu'à leur époque, et que par conséquent ils ne se sentaient pas très à l'aise pour en parler. Nos recherches ont indiqué que très peu d'entre eux avaient en fait pris l'initiative d'en parler à leurs enfants.
Il nous fallait donc commencer par leur donner les outils nécessaires afin qu'ils se sentent à l'aise pour répondre aux questions de leurs enfants, une fois que la campagne pour les jeunes aurait commencé. Nous voulions qu'ils soient au courant des nouvelles drogues et qu'ils sachent quel ton adopter avec leurs enfants. Je ne sais pas si certains d'entre vous ont vu la campagne pour les parents que nous avons organisée l'an dernier, mais c'était là le thème essentiel. En fait, il s'agit d'apprendre un nouveau langage.
Mme Sabiston vous a parlé des résultats de cette campagne, qui ont été extrêmement positifs, car de nombreux parents ont téléchargé ou commandé la brochure. Les leçons que nous avions apprises ont vraiment bien marché au Canada. C'est pour cela que nous avons procédé de cette façon.
La présidente : Pourriez-vous nous faire parvenir cette brochure?
Mme Hazel : Volontiers.
Le sénateur Wallace : J'aimerais poser une autre question, si vous me le permettez, et l'adresser aux trois témoins.
Le traitement de la toxicomanie est une question extrêmement importante et doit donc faire partie d'une approche globale. Toutefois, tout ce qui concerne les traitements relève fondamentalement des provinces. Quel est donc le rôle de votre ministère et peut-être d'autres ministères fédéraux?
Catherine MacLeod, directrice générale principale, Direction générale des régions et des programmes, Santé Canada : Il est vrai que le traitement relève principalement de la responsabilité des provinces et des territoires. Toutefois, dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue, le gouvernement fédéral distribue des fonds aux provinces et aux territoires pour les aider sur plusieurs fronts, par l'entremise du Programme de financement du traitement de la toxicomanie.
L'un de ces fronts est le fonctionnement des systèmes, c'est-à-dire que les fonds servent à faire connaître les pratiques exemplaires et à améliorer le rendement des systèmes mis en place dans les différentes juridictions.
Le deuxième front concerne davantage les services. Il s'agit là de combler les lacunes qui peuvent exister dans certaines juridictions pour ce qui est des services aux jeunes, notamment la prévention et l'intervention, le renforcement des effectifs de conseillers aux heures où les adolescents sont libres afin qu'ils puissent faire appel à eux, enfin ce genre de choses, selon la province et la juridiction. C'est de cette façon que nous aidons nos collègues des autres paliers de gouvernement.
Le sénateur Wallace : Je suis content de voir que, dans ce domaine, vos efforts sont étroitement coordonnés avec ceux des provinces, notamment pour l'application du projet de loi C-15, dont l'efficacité sera ainsi renforcée. C'est parfait. Merci beaucoup.
Mme Sabiston : Ma collègue a raison, mais j'aimerais ajouter que le gouvernement fédéral est responsable des services de traitement offerts aux Autochtones, ainsi que des services de traitement dispensés dans le système correctionnel. Nous avons donc un mandat limité dans ce domaine, car, en effet, c'est une responsabilité qui relève essentiellement des provinces et des territoires.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'aimerais dans un premier temps vous signaler comment je suis impressionné par la qualité et la structure du plan qui a été mis sur pied, et qui a été lancé, si j'ai bien compris, en octobre 2007, par Santé Canada. Comme je le dis souvent, à situation ou à problème complexe, solution complexe. Et je pense que le plan a identifié un problème complexe et a mis de l'avant des solutions de différents niveaux. Donc c'est très impressionnant.
Je vais vous poser une question étant donné que nous sommes dans la semaine de la prévention. Santé Canada a publié une étude récemment sur ce qu'elle a trouvé comme produit de drogues inexactes et sur les formes également qu'elles sont faites. C'est malheureux que le sénateur Baker ne soit pas ici parce qu'il donne souvent l'exemple d'une petite pilule d'ecstasy et comment c'est si peu. Il laisse sous-entendre que c'est peu par rapport à d'autreschoses. Je comprends qu'il ne minimise pas quand même l'impact de l'ecstasy.
Pouvez-vous nous dire ce que vous avez trouvé dans la fameuse petite pilule d'ecstasy, tant au niveau de son contenu que de sa forme si attrayante pour amener les jeunes à la consommer?
[Traduction]
Mme MacLeod : La semaine dernière, à Québec, le Service d'analyse des drogues a annoncé, de concert avec des responsables de l'application de la loi, les résultats d'une étude qui a permis d'analyser le contenu de certaines de ces pilules.
Nous n'avons pas été étonnés de constater que ces pilules contenaient des produits tout à fait étrangers. En fait, plus de 50 p. 100 des pilules ne correspondaient pas aux produits achetés. Ainsi, nous avons constaté que ce qu'on vendait comme de l'ecstasy contenait de la métamphétamine et d'autres produits encore plus dangereux.
J'ai rédigé un communiqué de presse à partir de ce rapport, que je vous ferai volontiers parvenir si vous le désirez. Les gens ne s'imaginent pas qu'on peut leur vendre autre chose que ce qu'ils croient acheter, mais c'est pourtant ce que l'on constate quand on fait l'analyse de ces pilules.
La présidente : Merci de faire parvenir ce document à la greffière.
Le sénateur Campbell : Je vous remercie de comparaître devant notre comité. Je suis un fervent partisan de votre organisation. En 2003, c'est grâce à vous que nous avons eu un site d'injection supervisé à Vancouver. Je respecte beaucoup ce que vous faites.
Le gouvernement a investi 102 millions de dollars dans le volet sécurité publique du Plan d'action en matière d'application de la loi. Est-ce pour cinq ans?
Mme Sabiston : Tous les fonds investis dans la Stratégie nationale antidrogue sont étalés sur cinq ans.
Le sénateur Campbell : Je constate également qu'à une certaine époque, Santé Canada s'occupait de prévention, d'application de la loi, de traitement et de réduction des dommages. J'ai l'impression que vous ne vous occupez plus de la réduction des dommages; qui s'en occupe alors?
Mme Sabiston : Ce n'est pas un volet de la Stratégie nationale antidrogue, mais le gouvernement s'occupe toujours des toxicomanes vulnérables qui ont besoin de traitement. Notre objectif est, au départ, d'essayer de prévenir le problème.
Vous avez donc raison de faire remarquer que ce n'est plus un volet de la stratégie, mais cela fait assurément partie de nos activités de prévention et de traitement.
Le sénateur Campbell : Tout cela serait bien beau dans un monde parfait mais, malheureusement, nous comptons les personnes dépendantes par milliers, peut-être par centaines de milliers. Il est évident que la prévention ne suffira pas. On peut penser que Santé Canada s'appuie sur des données pragmatiques et validées ainsi que sur des témoignages crédibles. Nous ne réglerons manifestement pas ce problème en jetant les gens en prison.
Un budget annuel de 20 millions de dollars serait loin de répondre aux besoins en matière de traitement.
Que devons-nous faire de ces personnes pendant qu'elles sont dans les rues, qu'elles utilisent ou qu'elles partagent des aiguilles, qu'elles propagent le VIH-sida, qu'elles n'utilisent pas de condoms, et cetera? Comment devons-nous composer avec tous les méfaits qui résultent de cette situation? Comment nous occuperons-nous de ces gens d'ici à ce que nous vivions dans un monde parfait?
Mme MacLeod : Comme Mme Sabiston l'a mentionné, l'examen des piliers de la stratégie en tant que tel n'est pas de notre ressort, mais nous serions heureuses de vous parler des travaux complémentaires que nous faisons dans le centre- est de Vancouver.
Le sénateur Campbell : Permettez-moi d'abord de poser une question. Je suis conscient de la qualité du travail qui se fait là-bas; je suis au courant des travaux que vous menez dans le quartier centre-est, et vous faites un travail formidable. Mais pourriez-vous m'expliquer pourquoi la question des piliers n'est pas de votre ressort?
La présidente : J'aimerais poser une question.
Le sénateur Campbell : Permettez-moi de terminer, s'il vous plaît.
Vous êtes la directrice générale, alors j'aimerais savoir pourquoi il ne vous reviendrait pas de nous expliquer comment nous avons perdu un pilier qui a été là pendant toute la période où j'ai travaillé dans le domaine du maintien de l'ordre, et où j'ai été coroner et coroner en chef, et pendant tout le temps où j'ai été maire. Nous nous réveillons un beau matin et nous constatons que, soudainement, ce pilier a disparu. Je veux savoir ce que nous ferons pour les victimes des méfaits liés à la toxicomanie. Pourquoi cela ne relève-t-il plus de vous?
Mme Sabiston : La Stratégie nationale antidrogue comporte trois piliers distincts : la prévention, le traitement et l'application de la loi. Le gouvernement a choisi ces trois piliers, et ce sont de ces piliers, et de l'allocation des fonds, que je peux vous parler aujourd'hui.
Le sénateur Campbell : Voilà ce que je voulais vraiment savoir.
Je suis très intéressé par cette question. Je suis fasciné par la prévention. Je crois que c'est la clé de tout ce problème.
Quand vous avez étudié les processus et les différents modèles de prévention, avez-vous examiné le programme DARE?
Mme Sabiston : J'ai entendu parler du modèle de prévention DARE mais, en ce moment, les fonds sont alloués à la Stratégie nationale antidrogue, dont ma collègue a parlé. Dans le cadre de nos programmes communautaires, nous faisons également de la prévention grâce à des projets communautaires financés par l'intermédiaire de la stratégie. Cela s'inscrit dans nos mesures de soutien à la prévention.
Le sénateur Campbell : Le programme DARE ne fait pas partie de ceux dont vous avez analysé l'efficacité, n'est-ce pas?
Mme Sabiston : À ma connaissance, non.
Le sénateur Campbell : Pourriez-vous me transmettre un document, ou quoi que ce soit d'autre, qui décrirait les programmes que vous avez examinés et qui expliquerait comment vous avez pu en évaluer l'efficacité?
Mme Hazel : Sans problème. Je me ferai un plaisir de le faire.
Le sénateur Campbell : Nous venons de parler des pilules d'ecstasy. Un des problèmes, quand une personne achète des drogues dans la rue, c'est qu'elles n'affichent pas le sceau d'approbation de Santé Canada.
Est-ce que cela fait partie de vos arguments quand vous faites de la prévention auprès des parents? Je veux parler du fait qu'on n'a aucune idée de ce que ces pilules peuvent contenir, qu'elles peuvent être coupées avec n'importe quoi.
Mme Hazel : Absolument. C'est une chose qui s'est dégagée très clairement de nos recherches. Dans notre annonce, des jeunes disent différents mots, comme « jucy », et on apprend que c'est un mélange d'ecstasy et de méthamphétamine. Nous essayons vraiment de faire passer le message qu'on ne sait pas ce qu'il y a dans les drogues. Sur le site Web, nous montrons des laboratoires et les conditions dans lesquels elles sont produites. L'idée est de montrer que c'est une industrie en laquelle on ne peut pas avoir confiance, et qu'on ne sait pas ce qu'on achète.
C'est un thème qui s'est dégagé clairement. C'était un message de prévention.
Le sénateur Campbell : Je m'intéresse également à la question du contrôle des précurseurs. Actuellement, les précurseurs ne sont pas illégaux en eux-mêmes.
Mme Sabiston : Non. Sous le régime du Règlement sur le contrôle des précurseurs, nous surveillons la conformité pour nous assurer que les entreprises légales, comme les grandes sociétés pharmaceutiques ou de l'industrie des produits chimiques, ne se réorientent pas vers le marché clandestin. C'est ce qui constitue le rôle de Santé Canada. Nous nous occupons du marché légal.
Le sénateur Campbell : Je sais que j'ai semblé un peu agressif, mais j'ai beaucoup d'estime pour ce que vous faites. Je vous remercie.
La présidente : Je me suis posé une question en vous écoutant et en lisant votre document. En ce qui concerne le Plan d'action en matière de plan — celui auquel 100 millions de dollars seront alloués sur cinq ans —, vous énumérez quatre points qui correspondent aux objectifs du traitement, et vous parlez du Programme de soutien au financement du traitement de la toxicomanie. Vous dites ensuite que le gouvernement du Canada alloue des fonds pour le quartier centre-est de Vancouver. On retrouve la même formulation un peu plus bas, au sujet des communautés des Premières nations.
Est-ce simplement une question de formulation, et est-ce que ces programmes relèvent également du Plan d'action en matière de traitement — les 100 millions de dollars —, ou est-ce que ce sont des programmes distincts, qui s'ajoutent au plan?
Mme MacLeod : Le financement du projet du centre-est de Vancouver est lié à un des trois axes de financement du Programme de soutien au financement du traitement de la toxicomanie. Le premier axe correspond aux systèmes, le second, aux services, et le troisième correspond aux travaux particuliers que nous exécutons dans le quartier centre-est.
La présidente : Est-ce distinct du financement annuel attribué au Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones? Et est-ce qu'il y a eu des changements à cet égard ou la situation est-elle demeurée inchangée?
Quand vous nous ferez parvenir les chiffres, pouvez-vous inclure ceux-ci également, s'il vous plaît?
Le sénateur Milne : Je veux vous féliciter moi aussi pour ce que vous réussissez à faire avec les fonds que vous recevez, car les sommes qui vous sont allouées ont l'air d'une goutte d'eau dans l'océan quand on considère l'importance des problèmes de dépendance avec lesquels vous êtes aux prises. Cela me ramène aux préoccupations du sénateur Campbell au sujet du quartier centre-est de Vancouver et du site d'injection sécuritaire qu'il y a là-bas. Initialement, ce site avait été financé par le gouvernement libéral et, à ce que je sache, le projet a été couronné de succès. L'année dernière, le gouvernement conservateur a demandé à Neil Boyd, professeur à l'Université Simon Fraser, d'examiner la question. Il a dit que sa recherche a révélé que le site de Vancouver n'avait pas fait augmenter le trafic de stupéfiants ni les autres types de crime dans le quartier centre-est, et qu'il y avait eu une légère réduction de la consommation de drogues dans les rues.
Le ministre de la santé Tony Clement a ensuite dit que le gouvernement continuait de faire preuve d'ouverture d'esprit à l'égard d'Insite. Qu'est-ce que le gouvernement pense actuellement de l'idée de continuer à financer Insite et de la demande croissante pour des sites de ce genre à Montréal et à Toronto?
Mme Sabiston : Je vais revenir un peu en arrière. La Stratégie nationale antidrogue est axée sur la réduction et la prévention de la consommation de drogues illicites, le traitement des personnes dépendantes et la lutte contre la production et la distribution illicites de stupéfiants. Santé Canada reconnaît assurément que les utilisateurs de drogues injectables ont besoin de soutien, et c'est pourquoi nous nous concentrons avant tout sur la prévention et l'accès à un traitement permettant de se guérir complètement de la dépendance à la drogue et d'en prévenir l'usage. Comme l'a dit ma collègue, l'an dernier, nous avons alloué des fonds supplémentaires — 10 millions de dollars — pour le quartier centre-est de Vancouver.
Pour en revenir au site d'injection sécuritaire et à votre question, le dossier est devant les tribunaux et, par conséquent, je ne peux rien dire à ce sujet.
Le sénateur Milne : Et en ce qui concerne des sites semblables à Toronto et à Montréal? Cette question-là n'est pas devant les tribunaux.
Mme Sabiston : Je vous répondrais qu'il y a une relation entre les deux et que je ne peux pas répondre à cette question pour l'instant. Je vous remercie.
Le sénateur Campbell : Je voudrais préciser que le gouvernement fédéral n'a aucunement financé Insite. Les fonds que le gouvernement fédéral a alloués à Insite ont exclusivement servi à financer la recherche. La Cité de Vancouver a signé un contrat, qui est arrivé à terme à la fin de la période prévue. Vancouver en aurait voulu plus, mais ce qu'elle a eu était très bien.
J'insiste sur le fait que c'est une question de santé. Insite est une clinique de soins de santé entièrement financée par le gouvernement provincial. Je ne vais vous poser aucune question là-dessus, étant donné que le dossier est devant les tribunaux. Nous parlons du gouvernement fédéral et d'Insite alors qu'en fait, les fonds alloués ont exclusivement servi à la recherche. Pour le reste, le financement était imputé à la santé.
Le sénateur Milne : Je remercie le sénateur Campbell de m'avoir corrigée, mais cela me ramène à la même question. Il semble que ça fonctionne. J'aimerais savoir ce qui se fait au sujet de sites éventuels à Toronto et à Montréal, où il y a une demande croissante de la part des organisations concernées.
Mme Sabiston : Pour l'instant, la question du site d'injection sécuritaire de Vancouver est devant les tribunaux.
Le sénateur Milne : C'est le seul site de ce genre au Canada, malgré les conclusions de l'étude de l'année dernière.
La présidente : Sénateur Milne, nous avons eu la réponse que le témoin s'estime en mesure de donner à cette question. Il serait peut-être indiqué d'écrire au ministre, étant donné que la question relève maintenant des décisions stratégiques de haut niveau.
Le sénateur Wallace : En parlant de la contribution financière du gouvernement fédéral, le sénateur Milne a parlé d'» une goutte d'eau dans l'océan ». Est-ce que le témoin peut nous donner une idée, en pourcentage, de la différence entre le financement il y a trois ou quatre ans, et le financement alloué actuellement, dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue? Est-ce que ce n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan, ou y a-t-il eu une augmentation considérable?
Mme Sabiston : Je ne voudrais pas mettre d'étiquette pour décrire le changement. Puisqu'on m'a posé la question pour le financement, je vais profiter de l'occasion pour fournir également les données sur sa variation.
Le sénateur Wallace : Je vous en serais reconnaissant.
La présidente : La réponse qui m'est immédiatement venue à l'esprit quand le sénateur Wallace a posé la question aurait été de dire qu'au lieu d'une goutte dans l'océan, il y en a plusieurs, mais ce ne sont toujours rien d'autre que des gouttes dans un océan.
Le sénateur Watt : Je suis le seul sénateur inuit qui essaie de parler au nom des peuples du Nord : ceux du Nunavik, du Nunavut et du Labrador. Je suis très préoccupé par ce qui est arrivé aux Premières nations et aux Métis. J'ai lu votre exposé en entier et j'ai écouté très attentivement ce que vous avez dit ce soir. Je suis resté un peu perplexe devant le passage suivant de votre document :
De plus, Santé Canada fournit des fonds chaque année dans le cadre du Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones afin de financer 54 centres de traitement ainsi que des services de prévention de l'alcoolisme et de la toxicomanie dans plus de 500 collectivités des Premières nations du pays.
J'imagine que vous parlez exclusivement des Premières nations dans ce paragraphe. Vous poursuivez comme ceci :
En vertu du Plan d'action en matière de traitement, Santé Canada travaille à améliorer l'accès et la qualité des services de traitement des toxicomanies destinés aux jeunes et aux familles inuites et des Premières nations du pays.
Pouvez-vous clarifier cette question? Cela fait un certain temps que je me pose des questions là-dessus et j'aimerais savoir exactement de quoi nous parlons. Je suis certain qu'il y a des Inuits à l'écoute.
Mme Sabiston : Je n'ai pas la ventilation des sommes allouées aux communautés du Nord et des Premières nations avec moi. Je pourrais clarifier cela dans le document que je fournirai au sujet du financement.
Il est regrettable que la personne qui s'occupe du dossier des Premières nations n'ait pu être des nôtres aujourd'hui. Nous aurions pu vous donner une réponse plus immédiate. Je ne suis pas une experte dans ce domaine; je m'en excuse.
Le sénateur Watt : Votre collègue a parlé de l'idée de faire intervenir les parents dans la prévention à l'endroit des adolescents. Je dois dire que je ne suis pas de cet avis. À cet âge, les jeunes commencent à ne plus écouter leurs parents, du moins dans ma région de l'Arctique. Vers l'âge de 14 ans environ, les jeunes sont en mesure de s'occuper d'eux- mêmes et d'être autonomes. Nous tâchons habituellement d'éduquer les enfants à un stade précoce en ce qui concerne les questions de survie et c'est une préoccupation qu'ils gardent à l'esprit en tout temps. Que fait-on pour les jeunes de moins de 14 ou 15 ans? Je sais de source sûre que dès l'âge de 7 à 12 ans, nos jeunes sont exposés à des drogues, et il ne s'agit pas seulement de marijuana mais également de drogues dures. Ce phénomène commence à détruire nos petites collectivités. Comment peut-on régler ce problème?
Mme Hazel : C'est une bonne question mais il n'est pas simple d'y répondre. Dans le cas d'une campagne qui utilise des moyens de communication de masse, comme celle que nous faisons actuellement, on cherche à cibler l'âge moyen auquel les jeunes commencent à utiliser des drogues illicites, à l'échelle nationale. Dans le cas de n'importe quelle campagne, et en particulier des campagnes de cette nature, nous constatons que si une publicité cible les jeunes de 13 ans, si elle est conçue en fonction de ceux-ci, les enfants moins âgés qui la voient sont influencés également. Même si on dit que les jeunes de 13 à 15 ans constituent notre groupe cible, l'influence de la campagne se fait largement sentir parmi les jeunes moins âgés. Il est certain que le matériel et le site Web que nous créons seront consultés par des enfants de moins de 13 ans, et qu'ils les influenceront. Nous allons assurément faire des tests auprès d'une audience moins âgée également.
Il est plus facile d'atteindre une audience plus jeune. Les plus vieux ont tendance à se dire que ce qui leur est présenté est enfantin; ça ne les rejoint pas. Nous nous attendons à ce que la campagne influence les plus jeunes également.
Le sénateur Watt : Est-ce que le fait que vous ayez ciblé le groupe des 13 à 15 ans a quelque chose à voir avec le fait que les jeunes peuvent maintenant faire l'objet d'accusations au criminel dès l'âge de 14 ans? Est-ce que cela a, d'une manière ou d'une autre, influencé votre décision?
Mme Hazel : Non, ça n'a rien eu à voir.
Le sénateur Watt : Je vais envisager les choses sous une perspective plus vaste. Cela va probablement m'aider à comprendre ce que nous faisons ici et l'objectif que nous voulons atteindre.
Les témoins ont été interrogés par différents sénateurs. J'ai limité mes interventions dans la mesure du possible, parce que ma connaissance du sujet se limite à ce qui se passe dans le Nord.
Ce qui me dérange, c'est que nous parlons du niveau supérieur et également du niveau inférieur. Je comprends cela; je comprends à quoi on fait référence quand on parle de ces deux niveaux. Si le projet de loi est adopté, j'imagine que les deux niveaux seront touchés, même si la loi est censée cibler le niveau supérieur. Est-ce exact?
La présidente : Voulez-vous parler du trafic et de la production à grande échelle?
Le sénateur Watt : Oui, du trafic à grande échelle. J'imagine que c'est surtout le niveau inférieur qui serait touché, beaucoup plus que le niveau supérieur. Cela me préoccupe parce qu'il n'y a pas de distinction ou de définition claire en ce qui concerne l'approche à adopter relativement à l'entre-deux.
Avez-vous des réponses à me donner à ce sujet? Jusqu'à présent, je n'ai rien entendu de clair à cet égard dans les questions ou dans les commentaires des témoins. Je ne suis pas sûr de m'être bien fait comprendre.
Mme Sabiston : Je ne crois pas que cela fasse partie de mon domaine d'expertise, en tant que fonctionnaire de Santé Canada. Notre rôle est lié à la prévention de la consommation de drogues illicites et au traitement des dépendances. Pour ce qui est des peines minimales obligatoires en elles-mêmes, mes collègues du ministère de la Justice seraient mieux placés pour répondre à votre question.
Le sénateur Watt : Vous avez pourtant présenté le Plan d'action en matière d'application de la loi dans votre exposé.
Mme Sabiston : En effet, mais le rôle de Santé Canada dans ce plan est assez réduit, bien que je crois qu'il a son importance. Nous procédons à des inspections dans les locaux des grandes entreprises du Canada qui ont, qui importent ou qui vendent les précurseurs chimiques, comme les méthamphétamines, qui peuvent éventuellement être détournés vers le marché illicite. Nous vérifions comment ils les contrôlent, nous examinons les mesures de sécurité qu'ils prennent pour garantir que ces précurseurs ne soient pas détournés vers le marché illicite. Nous jouons un petit rôle, mais il est important. Mais, encore une fois, c'est du marché légal qu'il s'agit.
La présidente : Nos prochains témoins travaillent pour le ministère de la Justice. Ils pourront peut-être donner plus de précisions.
Le sénateur Joyal : Avez-vous 100 millions de dollars pour cela?
Mme Sabiston : Pas à Santé Canada. Nos fonds sont plutôt limités. Ma collègue aimerait ajouter quelque chose au sujet de notre Service d'analyse des drogues.
Mme MacLeod : Pour ajouter une petite précision sur l'aspect d'exécution de la loi, nous sommes également responsables de l'analyse des drogues pour le compte d'organismes d'application de la loi dans tout le pays, ainsi que des enquêtes sur les laboratoires clandestins. Nous apportons un soutien dans ces domaines.
Le sénateur Watt : Comme je suis le seul sénateur inuit ici présent, j'essaie pour le compte de l'auditoire d'exprimer mon opinion au nom de mon peuple.
Vous avez dit dans votre exposé que vous n'avez aucune statistique pour vous guider dans vos relations avec les Inuits. Est-ce que je dois croire et prévoir que chacune de nos collectivités peut s'attendre à des mesures de traitement semblables à celles que vous avez présentées pour les 500 collectivités des Premières nations?
Mme MacLeod : Notre engagement dans les communautés nordiques est mené sur deux fronts. Nous allons consacrer une partie du Fonds des initiatives communautaires de la Stratégie antidrogue au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. De plus, nous négocions avec le Nunavut dans le cadre du programme de traitement, et nous attendons avec plaisir de recevoir une proposition de ce territoire.
Le sénateur Watt : Vous avez bien dit le Nunavut?
Mme MacLeod : Oui.
Le sénateur Watt : Et pas le Nunavik? Il faut distinguer entre le Nunavut et le Nunavik. Je suis originaire du Nunavik, qui fait partie du Québec.
Mme MacLeod : Je précise donc que toutes les provinces et tous les territoires nous ont bien envoyé des propositions de financement, ou sont en négociation pour recevoir de telles propositions en vertu du programme de traitement.
Le sénateur Watt : Est-ce que cela est en cours de négociation avec le gouvernement provincial?
Mme MacLeod : C'est exact, les gouvernements provinciaux et territoriaux.
Le sénateur Joyal : J'ai deux séries de questions. La première concerne la page 4 de votre exposé, où vous décrivez le plan en quatre points. Puisque vous avez convenu de nous communiquer les chiffres pour les provinces et les territoires, pouvez-vous aussi nous faire connaître les montants des différentes sommes affectées à chacun de ces quatre points?
Mme Sabiston : Pouvez-vous clarifier? Ce n'est pas ce que je vois au bas de ma page 4.
Le sénateur Joyal : Le plan commence par élargir le traitement et le soutien offerts aux Premières nations et aux Inuits; il fournit des programmes de traitement pour les jeunes délinquants; il habilite la GRC; et il appuie la recherche. En ce qui concerne l'énoncé « d'appuyer la recherche portant sur de nouveaux modèles de traitement », par exemple, je suis certain que vous possédez des chiffres exacts. Comme vous distribuez les fonds à certains projets, vous devez en connaître les montants.
À l'égard de l'énoncé « d'améliorer le traitement et le soutien », je crois comprendre que vous assurez des services — sans doute pour les Autochtones au nom du gouvernement du Canada, puisqu'ils sont de compétence fédérale. Vous prenez une part active dans l'exécution des services de traitement, à moins qu'un accord soit conclu avec une province ou un territoire. Pouvez-vous nous donner les chiffres et indiquer où ces fonds sont distribués parmi les territoires?
D'après ce que j'en sais, les centres de traitement font défaut pour les Autochtones. Les fonds sont insuffisants pour répondre à la demande et pour s'attaquer à la hausse de la consommation de drogue parmi la population autochtone. Il est important de bien saisir ce que vous dites à la page 5 — vous apportez un soutien à 54 centres de traitement établis dans plus de 500 collectivités des Premières nations au Canada. J'aimerais comprendre comment cela fonctionne, avec les montants distribués et les augmentations au fil des ans, afin de mettre les choses en perspective, pour reprendre les termes du sénateur Wallace.
Si les collectivités autochtones souffrent de graves problèmes, il me semble que c'est à cela qu'il faudrait affecter ces fonds.
Ma question suivante porte sur l'évaluation des programmes. Vous dites, à la page 3 de votre exposé, qu'une évaluation menée en mai 2009 a montré que la campagne atteint l'auditoire visé. Quelle campagne avez-vous conçue à l'intention expresse des Autochtones?
Comme vous le savez, il existe une approche particulière des campagnes qui ciblent les Autochtones par opposition aux gens dans le Sud, si je peux m'exprimer ainsi. Si vous créez une campagne de prévention, il faut qu'elle soit conçue pour s'adresser aux Autochtones, puisque je crois savoir que le problème de la drogue parmi les jeunes de cette population est assez grave — en fait, plus grave que dans les autres segments de la population canadienne, selon les chiffres que j'ai consultés. Quelle est la nature du programme ou de la campagne de prévention que vous avez conçue à l'intention expresse des Autochtones?
En deuxième lieu, vous êtes-vous entendu avec l'Assemblée des Premières Nations ou avec les représentants des Autochtones, des Inuits, des Métis ou des Indiens pour cibler tous ces gens, et pour établir avec eux des partenariats conçus pour faire participer la communauté — une participation qui ne se ferait pas exclusivement par l'intermédiaire des gouvernements, mais aussi des représentants des Autochtones?
Mme Sabiston : Je réponds à votre première question au sujet du mode exact de distribution des fonds aux 54 centres de traitement et aux plus de 500 Premières nations. J'ai déjà pris l'engagement de communiquer cette information au comité, et j'y donnerai suite. Je m'excuse une fois encore. Si nous avions su que cette question vous intéressait tout particulièrement, nous aurions bien sûr demandé au responsable de cette question d'être avec nous aujourd'hui. Je le répète, cet oubli est de ma faute.
Mme Hazel : Concernant la campagne dans les médias de masse, nous avons pour guide un comité consultatif composé de plus de 10 ONG différentes, dont l'une est la Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances. Comme cette campagne est menée dans les médias de masse, on ne peut l'adapter à des auditoires particuliers. Mais l'idée sous-jacente de la collaboration avec ce groupe, et avec nos propres collègues à la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits qui œuvrent avec l'Assemblée des Premières Nations, l'APN et l'Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, est de veiller à ce que le message général que nous créons convienne aussi bien aux collectivités des Premières nations et des Inuits. Il ne faut pas que ce message aille à l'encontre de ce qu'elles disent ou n'y corresponde pas. La campagne est davantage orientée vers le grand public, dans l'idée que les fonds d'initiative communautaires offrent des programmes mieux adaptés à chaque collectivité.
Le sénateur Joyal : Le gouvernement fédéral a sa responsabilité, il a une obligation fiduciaire envers les Autochtones. Je ne conteste pas un objectif qui vise l'ensemble de la population canadienne, mais nous avons une responsabilité particulière envers la population autochtone. Ce « nous » englobe aussi les parlementaires, y compris moi-même.
Il me paraît important, si nous voulons offrir les services qui s'imposent à la communauté autochtone, d'être bien conscient qu'elle s'attend à une approche adaptée au vécu des jeunes Autochtones et rajustée en conséquence. Comme vous le savez, les Autochtones comptent parmi les victimes principales de la toxicomanie au Canada, victimes qui finissent en prison. En Saskatchewan, 80 p. 100 des détenus sont autochtones. Vous devez avoir conscience que si vous proposez de mener votre campagne de prévention en Saskatchewan — ce qui est très bien, nous n'en disconvenons pas — vous devez pouvoir déterminer que les destinataires reçoivent le message voulu.
Mme Hazel : Ce que vous dites est très juste. Notre évaluation et nos enquêtes portent sur la population tout entière. Nous englobons une partie de la population autochtone pour veiller à ce que la campagne la touche elle aussi. Ainsi, les Premières nations sont présentes dans les images de nos annonces, puisque l'un des jeunes illustrés est membre d'une Première nation. Une bonne partie de notre recherche sur les jeunes, où qu'ils soient, a permis de conclure qu'ils utilisent les médias sociaux, Web 2.0 et Facebook. Nous avons donc estimé qu'il n'était pas nécessaire que la prévention cible spécifiquement les jeunes.
La présidente : Le livret que vous avez préparé à l'intention des parents est-il offert en langues autochtones, notamment en inuktitut?
Mme Hazel : Non, uniquement en français et en anglais.
La présidente : À mon humble avis, vous devriez songer à le faire traduire. Certains Canadiens unilingues ne parlent ni l'anglais, ni le français, surtout parmi la génération des parents.
Le sénateur Joyal : C'est exactement l'aspect de la question que j'essayais d'expliquer. Nous détenons une responsabilité spéciale envers les Autochtones, et nous devons communiquer avec eux d'une manière qui leur soit compréhensible. Pour leur faire comprendre quelque chose, la langue employée est parfois importante, et il faut aussi donner une représentation différente de la réalité. C'est sans doute un élément décisif et essentiel si nous tenons à nous attaquer au problème lorsqu'il se présente sous sa forme la plus aiguë, à savoir parmi la population autochtone.
Madame Sabiston, vous n'avez pas décrit les différents aspects du plan d'action en matière de traitement, comme nous vous l'avions demandé. Je crois que nous devons vraiment prendre la mesure de ce plan.
Mme Sabiston : J'ai le sentiment que la question suscite beaucoup d'intérêt; nous veillerons à ce que l'information vous parvienne.
Le sénateur Joyal : Ma dernière question concerne l'abandon du pilier intitulé « réduction des préjudices ». Votre décision d'abandonner cet aspect de l'initiative a-t-elle été prise à la suite d'une évaluation interne par le ministère? Comment y est-on parvenu? S'agissait-il d'une décision gouvernementale prise à un échelon autre que le vôtre? En votre qualité de responsable de l'application du programme, avez-vous conclu qu'il n'atteignait pas sa cible, qu'il était devenu inutile et qu'il n'était pas rentable, et avez-vous alors décidé de l'écarter ou de l'abandonner? S'agissait-il d'une décision de principe?
Mme Sabiston : Quand il a annoncé la Stratégie nationale antidrogue, le gouvernement avait décidé qu'elle comporterait trois piliers principaux : prévention, traitement et application. C'est la troisième fois que je donne cette explication aujourd'hui.
Le sénateur Joyal : Je tiens à bien la comprendre. Il est normal qu'un ministère réévalue périodiquement un programme et décide qu'il est ou non efficace, ou qu'il a fait son temps. Mais c'est tout autre chose de décider, en fonction des principes X, Y et Z, qu'il faut abandonner tel aspect du programme. C'est ce que j'essaie de comprendre, parce qu'à mon avis vous n'avez pas été suffisamment claire. Je vous prie de m'excuser. C'est vous qui avez réalisé l'évaluation, à partir de laquelle le gouvernement a conclu qu'il fallait abandonner cet aspect.
Mme Sabiston : Les gouvernements aiment imprimer leur marque sur les mots contenus dans une stratégie. Ces trois mots sont ceux que le gouvernement a choisis. Si vous approfondissez ces trois termes — prévention, traitement, application — vous y retrouverez l'idée qu'il faut empêcher les gens de s'adonner aux drogues illégales. Je crois aussi que la notion de traitement et d'aide aux plus vulnérables existe encore.
Le sénateur Joyal : Mais non sous une rubrique distincte qui nous permette de prendre des mesures.
Mme Sabiston : Je conviens que ce n'est pas une rubrique séparée, mais j'estime néanmoins que nos activités aident les toxicomanes à se désintoxiquer.
Le sénateur Joyal : Je ne pousserai pas la discussion plus loin, mais j'ai mon opinion sur la question. Merci.
La présidente : Je remercie beaucoup tout le monde. Nous attendons avec impatience l'information détaillée que nous avons demandée, le plus tôt sera le mieux.
Nous accueillons avec plaisir notre dernier groupe de témoins.
[Français]
De Sécurité publique Canada, nous accueillons M. Daniel Sansfaçon, directeur des politiques, de la recherche et de l'évaluation au Centre national de prévention du crime.
[Traduction]
Nous accueillons aussi M. James Bonta, directeur, Recherche correctionnelle, Groupe de la recherche correctionnelle; et M. Guy Bourgon, agent principal de recherche, Groupe de la recherche correctionnelle. Nous recevons aujourd'hui, du ministère de la Justice Canada, Mme Elizabeth Hendy, directrice, Direction de la mise en œuvre des politiques; M. Paul Wheatley, directeur, Division de l'évaluation; et Mme Kelly Morton-Bourgon, chercheuse supérieure, Division de la recherche et de la statistique.
Vous êtes tous les bienvenus. Nous vous sommes reconnaissants de consacrer du temps à vous préparer et à venir ici nous aider dans notre cheminement.
Je suppose que M. Sansfaçon commencera et que Mme Hendy lui fera suite.
[Français]
Daniel Sansfaçon, directeur, Politiques, recherche et évaluation, Centre national de prévention du crime, Sécurité publique Canada : Honorables sénateurs, merci beaucoup. Le fait que le Centre national de prévention du crime commence cette présentation c'est un peu dire que l'on remonte dans le temps, dans l'histoire, puisque le Centre national de prévention du crime a financé effectivement les premiers projets pilotes de tribunaux de traitement de la toxicomanie au Canada; c'était entre 1998 et 1999 pour Toronto et de 2001 jusqu'à 2005 pour Vancouver. Dans la foulée du financement de ces projets pilotes, on en a aussi financé les études d'évaluation. Je crois d'ailleurs que, parmi les documents qui vous ont été distribués vous pourrez voir les sommaires de ces deux études d'évaluation.
Le Centre national de prévention du crime, qui relève de Sécurité publique Canada, contribue à l'élaboration et à la diffusion de connaissances sur les interventions efficaces pour prévenir la délinquance très largement et pour prévenir notamment, spécifiquement, la délinquance liée au phénomène de la toxicomanie. C'est suite à l'établissement de tribunaux de traitement de la toxicomanie aux États-Unis dans les années 1980 qu'avait émergé l'idée de tester au Canada des projets de tribunaux de traitement. Cette idée de tester s'est présentée d'abord à Toronto puis à Vancouver. S'agissant effectivement d'un organisme — le Centre national de prévention du crime — qui finance des projets pilotes à durée limitée, pour un maximum de cinq ans, on n'est pas là pour donner du financement sur le long terme; on s'assure, la plupart du temps en tout cas, de mener des études d'évaluation. Elles vont porter au moins sur deux choses, et parfois trois : d'abord les processus (comment cela marche); deuxièmement les impacts (ce que cela donne comme résultat); puis troisièmement,dans certains cas, et ce fut le cas pour les études à Toronto et à Vancouver, on a aussi regardé les aspects relatifs aux coûts et, pour partie, aux bénéfices de ces interventions.
[Traduction]
Que nous ont appris ces deux études d'évaluation? Bien évidemment, comme toute étude d'évaluation, elles ont des limites, auxquelles je reviendrai dans quelques minutes. Pour commencer, nous avons constaté que les taux de rétention de ces deux tribunaux de traitement de la toxicomanie étaient relativement faibles : 15 p. 100 à Toronto ont obtenu leur diplôme — c'est-à-dire ont suivi le programme au complet — contre 15 p. 100 à Vancouver. Les autres participants ont abandonné de leur propre chef, ont été relâchés par l'État ou ont tout simplement été priés de partir.
Le niveau des besoins des participants était un facteur déterminant de la rétention, les participants ayant des besoins modérés étant généralement plus susceptibles d'aller jusqu'au bout du programme. Autrement dit, les deux projets pilotes ont établi que les participants souffraient de problèmes de toxicomanie et de criminalité plus graves que ce à quoi on s'attendait à l'origine, et que ces problèmes sont la cause du faible taux de rétention.
Les programmes se sont révélés utiles, du moins du point de vue des participants, sous plusieurs angles, dont une amélioration globale dans leur qualité de vie et, par exemple, l'estime de soi, la maîtrise de soi et le bien-être. Ils les ont aussi aidés à réduire leur dépendance aux drogues et leur activité criminelle au cours de l'intervention même. À Toronto, par exemple, les diplômés ont affirmé que le projet les avait aidés à réduire considérablement leur toxicomanie.
Les programmes ont moins bien réussi à l'égard d'autres indicateurs, par exemple l'aide à la recherche de logements, le counseling financier et l'orientation professionnelle.
Les conséquences observées à Toronto étaient par exemple que les diplômés faisaient défaut de comparaître devant le tribunal dans 25 p. 100 des cas, contre de 50 à 90 p. 100 des participants qui ne participaient pas ou qui avaient finis par être expulsés. Le programme avait aidé 96 p. 100 des diplômés à réduire leur participation à des activités criminelles. Tous les groupes avaient reçu moins de condamnations lors du premier suivi postérieur au projet, ainsi qu'à la fin de la première, de la deuxième et de la troisième années suivant le projet de tribunaux de traitement à Toronto. Moins de 15 p. 100 des clients diplômés avaient commis de nouvelles infractions à la suite du projet, soit un an plus tard, contre 90 p. 100 des clients du groupe témoin.
À Vancouver, par exemple, nous avons constaté que de nouvelles accusations avaient été portées contre 52 p. 100 de tous les participants, et que 24 p. 100 avaient reçu de nouvelles condamnations dans les six mois de leur participation au programme. En outre, 88 p. 100 des participants avaient obtenu des résultats positifs aux tests de dépistage de l'héroïne, de la cocaïne ou d'autres drogues dans les six mois. Par contre, les pourcentages étaient moindres parmi les diplômés.
[Français]
En ce qui concerne les coûts, nous avons noté, notamment à Vancouver — car nous avons fait une analyse plus fine des coûts à Vancouver —que ceux-ci s'élevaient à quelque 4 800 $, chiffre arrondi, par participant et diminuentlorsque le nombre de participants augmente. Par contre, sur le plan de la rentabilité, le programme de traitement s'avère parfois plus dispendieux que les interventions traditionnelles. Évidemment, cela dépendra de ce que l'on mesure et comment on mesure l'ensemble des interventions, qui sont faites.
Je le disais tout à l'heure, pour n'importe quelle étude d'évaluation il y a un certain nombre de lacunes, de limites. Une équipe de chercheurs a notamment réexaminé les deux études d'évaluation menées pour le Centre national de prévention du crime et a observé, et c'est effectivement le cas, que le fait que ce ne soient pas des études à contrôle « randomisé » fait en sorte que la capacité d'attribution des effets observés aux interventions est effectivement limitée. On n'est pas véritablement en mesure de dire que c'est effectivement en raison de ces interventions que les observations que l'on a faites étaient effectivement avérées. Dans les deux études, les caractéristiques des groupes témoins étaient aussi différentes de celles du groupe expérimental, ce qui limite la capacité d'attribution des résultats observés.
Dans les deux cas, les études ont semblé indiquer que les expérimentations, les programmes, étaient, somme toute, peu rentables, en tout cas eu égard, encore une fois, à ce que l'on était en mesure de mesurer et d'observer. Ces auteurs concluaient, à la lumière de cette analyse, qu'il serait probablement prématuré de mettre en place d'autres tribunaux de traitement de la toxicomanie tant qu'on n'aurait pas fait des essais contrôlés et « randomisés ».
Les auteurs de nos études d'évaluation arrivaient, eux, à des conclusions différentes, notamment suggérant plutôt que les études d'évaluation qu'on devrait mener sur les programmes de traitement de la toxicomanie dans les tribunaux devraient plutôt s'intéresser d'abord et avant tout au processus, autrement dit comment ça marche, et donc examiner notamment la prestation des interventions plutôt que de chercher à faire nécessairement une étude « randomisée ».
Au total, malgré ces diverses lacunes, pour le Centre national de prévention du crime nous avons tiré quelques leçons importantes de ces études d'évaluation des deux projets pilotes. Premièrement, que la collaboration entre les tribunaux, le personnel responsable du traitement et la collectivité est essentiel au succès des interventions. Par exemple, à Toronto, le fait que le centre de traitement de la toxicomanie et de santé mentale possédait une longue expertise en la matière et une légitimité bien avérée a contribué nettement au succès de l'intervention thérapeutique. Nous avons aussi observé deuxièmement que les encouragements et les récompenses donnés aux participants, surtout les remarques positives provenant des juges des tribunaux sur leurs progrès, semblent être plus efficaces pour assurer leur maintien dans le programme de traitement que les sanctions plus sévères, notamment le retour en incarcération.
Troisièmement, et mes collègues du ministère de la Sécurité publique Canada en parleront certainement, comme c'est généralement le cas lors des interventions correctionnelles, on devrait, dans le cadre du traitement des délinquants qui se présentent devant les tribunaux de toxicomanie, tenir compte des risques qu'ils présentent et de leurs besoins. C'est le principe risque-besoin qui s'applique dans ce cas-ci aussi.
Quatrièmement, il est effectivement important d'évaluer continuellement la situation,les besoins des participants, et de prendre en compte d'autres besoins, notamment l'accès au logement et à l'emploi dans le cadre de ces interventions thérapeutiques.
En somme, pour le CNPC, ces deux interventions étaient suffisamment prometteuses pour qu'on les considère comme telles et que l'on fasse la recommandation que ce programme soit repris de manière plus ample et poursuivi par d'autres acteurs. C'est effectivement le cas, depuis lors, au ministère fédéral de la Justice.
[Traduction]
Elizabeth Hendy, directrice, Direction de la mise en œuvre des politiques, ministère de la Justice Canada : Je suis directrice de la Direction de la mise en œuvre des politiques au sein de la Direction générale des programmes du ministère de la Justice. Je suis aussi responsable de plusieurs programmes de paiements de transfert administrés par le Ministère, dont l'un est le Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie.
Le Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie a été créé en 2005, pour prendre acte du lien entre la consommation de drogues et le crime. Il s'agit d'un partenariat stratégique entre le ministère de la Justice et Santé Canada qui permet aux représentants des deux ministères de mettre à l'essai des approches horizontales du règlement des problèmes occasionnés par la présence de contrevenants toxicomanes dans le système de justice pénale.
Le Programme a pour objectifs d'encourager et de renforcer le recours à des solutions autre que l'incarcération pour les contrevenants toxicomanes; de faire connaître les tribunaux de traitement de la toxicomanie aux personnes qui œuvrent dans le domaine de la justice pénale et des services médicaux et sociaux, ainsi qu'au grand public; et de recueillir des renseignements et des données sur l'efficacité des tribunaux de traitement de la toxicomanie, ou TTT.
Le Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie, une composante du Plan d'action sur le traitement de la Stratégie nationale antidrogue, apporte un soutien aux tribunaux de traitement de la toxicomanie dans six lieux pilotes — Toronto, Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Ottawa et Regina — avec un budget annuel de 3,6 millions de dollars.
Les tribunaux de traitement de la toxicomanie fonctionnent à l'intérieur du système de justice pénal. Alliant la supervision judiciaire et le traitement de la toxicomanie, ils représentent un effort concerté pour briser le cycle de consommation de drogue et de récidive criminelle par des récidivistes toxicomanes. Une personne accusée d'une infraction liée à la drogue n'est pas automatiquement déférée aux tribunaux de traitement de la toxicomanie, qui refusent par exemple les accusés violents ou engagés dans le trafic des drogues. Ces tribunaux disqualifient de même les accusés qui se sont servis d'un jeune de moins de 18 ans pour perpétrer leur infraction, ou qui sont inculpés d'introduction par effraction dans une résidence.
La participation à un Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie comporte une comparution devant les tribunaux jusqu'à deux fois par semaine, de fréquents dépistages aléatoires, et la présence à un programme de traitement, qui peut aller de quotidien à hebdomadaire, à mesure que les participants avancent dans le programme.
Les comparutions permettent aux participants de faire part au tribunal de leurs progrès, et au tribunal de récompenser la conformité, de sanctionner les écarts ou d'imposer de nouvelles conditions ou interventions conçues pour aider les participants à rompre le cycle du crime et de la toxicomanie. Les clients adhèrent normalement au programme pour plus d'un an, jusqu'à ce qu'ils répondent aux critères de réussite. Pour obtenir leur diplôme, ils doivent s'abstenir de toute drogue pour une période prescrite, qui est en moyenne de trois mois, et par ailleurs obéir à toutes les conditions et stabiliser leur situation dans la communauté, sous forme par exemple d'un logement stable et d'un emploi. Ce ne sont pas tous les clients de ces tribunaux qui obtiennent leur diplôme.
Certains sont priés de partir pour différentes raisons : nouveaux chefs d'accusation, mensonge au tribunal, multiples manquements aux conditions, non-présence au traitement ou défaut de comparution devant le tribunal. La fonction des tribunaux de traitement de la toxicomanie est de réduire le tort que les gens se causent et causent à autrui par leur toxicomanie, et de réduire aussi leur risque d'accoutumance, et donc de constants affrontements avec le système de justice pénal.
Les lieux pilotes d'application du Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie doivent instaurer une forte collaboration locale entre les professionnels juridiques et de la santé. Comme le programme ne fournit pas de modèle précis aux lieux pilotes, chacun d'eux a ses propres caractéristiques, qui tiennent compte des besoins des délinquants dans la ville en question.
Comme nous l'avons déjà dit, un autre objectif du programme est de faire connaître les tribunaux de traitement de la toxicomanie aux intervenants et au grand public. Dans cette optique, on a entre autres offert un soutien à la Canadian Association of Drug Treatment Court Professionals (Association canadienne des tribunaux de traitement de la toxicomanie) pour des congrès nationaux en 2006 et en 2008, et pour des tables rondes en 2007 et en 2009. Nous apportons aussi un soutien à un babillard électronique qui facilite le partage de renseignements, de pratiques exemplaires et de leçons apprises entre les tribunaux de traitement de la toxicomanie canadiens dans les différents lieux pilotes.
Enfin, nous nous concentrons sur la collecte de données nationales tandis que nous mettons en application les recommandations de l'évaluation sommative. Justice Canada s'est engagé, dans le cadre de la gestion continue du programme, à mener d'autres examens et évaluations en vue de mesurer l'efficacité de cette approche innovatrice des contrevenants toxicomanes dans le système de justice pénal.
La majorité des lieux pilotes donnent le programme depuis moins de quatre ans : il est donc impossible à l'heure actuelle, en fonction des données disponibles et de notre connaissance du programme, de déterminer si les tribunaux de traitement de la toxicomanie constituent la méthode d'intervention criminelle la mieux adaptée aux contrevenants toxicomanes, ou si ces tribunaux sont le moyen le plus efficace et rentable de combattre la toxicomanie au sein du système de justice pénal.
Je demande maintenant à mon collègue Paul Wheatley, directeur de la Division de l'évaluation, de faire le point sur la question de l'évaluation.
Paul Wheatley, directeur, Division de l'évaluation, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie de cette occasion de parler de l'évaluation du Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Cette évaluation, réalisée dans le cadre de la stratégie de mesure du rendement du Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie, visait à apprécier la pertinence, la conception, la prestation, les résultats et la rentabilité de ce programme.
La méthode d'évaluation comprenait un examen des documents et des dossiers, une analyse des données administratives recueillies par le programme, des entrevues avec 50 informateurs clés, des études de cas comportant des entrevues structurées avec un échantillon de 22 participants, et une enquête auprès des intervenants, qui a obtenu 88 réponses.
Les constatations principales sont globalement positives. Le modèle de tribunal de traitement de la toxicomanie jouit d'un fort soutien parmi les professionnels de la justice pénale, les spécialistes de la toxicomanie, et les organisations communautaires et gouvernementales qui œuvrent auprès de ces tribunaux spécialisés. Une bonne partie de la preuve qualitative évaluée laisse à penser que ces tribunaux, grâce au mariage qu'ils opèrent entre la supervision judiciaire et le traitement de la toxicomanie, se substituent efficacement au système de justice pénal traditionnel.
L'évaluation a aussi conclu, notamment, que les accords de contribution étaient correctement gérés, bien que des organisations non gouvernementales aient éprouvé des difficultés financières, surtout aux premiers stades de l'élaboration du programme.
Le programme semble en gros atteindre bon nombre des groupes qu'il vise, y compris les démunis, mais sa nature fortement structurée complique l'atteinte de certains participants ayant des besoins élevés, notamment les jeunes adultes, les Autochtones et les femmes.
L'évaluation a fait ressortir une autre difficulté éprouvée par certains des programmes : le manque d'options de logement et de locaux de traitement. Il est possible d'établir un lien clair entre la disponibilité de logements adéquats et les résultats du traitement offert à ceux qui vivent dans des milieux à risque élevé.
L'évaluation a observé que 44 p. 100 des 429 participants admis au programme de 2006 à 2008 avaient obtenu leur diplôme ou adhéraient encore au programme en septembre 2008. Le taux d'obtention de diplôme était de 18 p. 100 parmi les participants admis au programme mais qui avaient cessé d'y adhérer.
Toutefois, il faut interpréter ces chiffres avec la plus grande circonspection, parce que nous disposons de données pour deux ou trois années de fonctionnement seulement. Les taux véritables d'obtention de diplôme s'établiront sans doute entre les 18 p. 100 pour les diplômes obtenus à court terme et les 44 p. 100 de rétention à court terme.
Les données qualitatives sur les résultats à long terme, recueillies à l'issue du programme, semblent confirmer provisoirement l'efficacité à long terme du modèle de tribunal de traitement de la toxicomanie. Mais le très court délai dont nous disposions pour observer et mesurer l'activité criminelle à la suite du programme nous a empêchés de mener une étude de la récidive en vue de cette évaluation. Malgré tout, nous menons une étude de suivi pour essayer d'évaluer rigoureusement les incidences du programme sur les modes de récidive des participants après qu'ils ont quitté le programme.
La présidente : Merci infiniment. Toute cette information est des plus précieuses et utiles.
Le sénateur Wallace : Merci de votre exposé à cette heure tardive. Quand je repense à tout ce que nous avons entendu ces dernières semaines, les discussions sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie ont été intéressantes, bien que le débat ait souvent porté sur les châtiments prévus dans le projet de loi C-15, les dispositions sur l'incarcération. Il est bien que vous soyez ici pour nous parler du traitement, pour mettre l'accent sur cet aspect. Les questions de traitement sont un élément majeur du projet de loi C-15 et de la Stratégie nationale antidrogue du Canada.
En particulier, les deux ministères représentés ici, Justice Canada et Santé Canada, collaborent très étroitement sur des questions pertinentes au projet de loi C-15. Je crois que nous pouvons en tirer un grand réconfort.
Comme je ne sais pas au juste à qui ma question devrait s'adresser, je vous laisse libres de décider qui doit y répondre; peut-être que plus d'une personne le voudra. Je constate, dans votre documentation, que le modèle original du tribunal de traitement de la toxicomanie reposait en partie sur l'expérience des États-Unis. Quand vous l'avez préparé et que vous y avez travaillé pour déterminer son efficacité et les modifications éventuellement nécessaires à l'avenir, quel a été le fondement de notre modèle actuel? Quels ressorts ont été examinés? De quel système notre tribunal de traitement de la toxicomanie s'est-il le plus largement inspiré?
Au palier provincial, en deuxième lieu, y a-t-il eu des représentants de la santé, ou des exemples de tels représentants, ou encore une participation provinciale, qui aient contribué à la création du programme des tribunaux de traitement de la toxicomanie que nous connaissons aujourd'hui?
Mme Hendy : Je vais tenter de répondre à votre question. Je n'occupais pas le poste de directeur de la mise en œuvre des politiques au moment du lancement du programme des tribunaux de traitement de la toxicomanie, mais d'après ce que j'ai compris, des projets pilotes ont été lancés à Toronto et à Vancouver, sous l'égide du Centre national de prévention du crime, ou CNPC, à la demande de procureurs fédéraux frustrés par la présence constante de récidivistes dans le système.
Quand nous avons examiné la question, ce qui remonte à 2005, le gouvernement a décidé de lancer un appel de propositions aux parties intéressées, à savoir les fournisseurs de services et les services judiciaires. À partir de cela, quatre sites supplémentaires ont été élargis en 2005.
Je dois supposer que le gouvernement s'est tourné vers les États-Unis, avant l'expansion, pour observer le mode de fonctionnement de leurs tribunaux de traitement de la toxicomanie. Mais je n'en ai aucune connaissance personnelle.
La présidente : Sénateur Wallace, le moment est bien ou mal choisi — il n'y a jamais de bon moment pour interrompre — mais j'ai été négligente; il semblerait que M. Bourgon et M. Bonta souhaitaient faire une déclaration susceptible d'appuyer notre réflexion. Seriez-vous disposé à leur céder la parole?
Le sénateur Wallace : Maintenant que j'ai jeté le hameçon dans l'eau, il me serait difficile de refuser.
James Bonta, directeur, Recherche correctionnelle, Groupe de la recherche correctionnelle, Sécurité publique Canada : Je m'exprimerai en premier, sénateur. J'imagine que c'est la première fois qu'un fonctionnaire a pu renverser un sénateur.
Merci beaucoup de votre invitation. Les raisons de notre présence ici sont doubles. L'une est que notre unité de recherche a mené une vaste analyse quantitative de la documentation sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie, qui est en cours de publication et que l'on fait traduire à l'heure actuelle. M. Bourgon discutera de quelques-unes des constatations issues de cet examen des 96 études sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie.
Mon but ici est de vous présenter le sujet dont M. Bourgon discutera et de vous en donner le contexte. Ma carrière de chercheur a été largement consacrée aux questions de réadaptation des délinquants, aux méthodes de réadaptation qui ont fait leurs preuves. Mes collègues et moi étudions ce problème depuis des années.
Ce faisant, nous avons étudié plus de 200 évaluations contrôlées d'interventions auprès de délinquants, puis nous avons essayé d'extraire de ces évaluations les modes de traitement qui donnent les meilleurs résultats. Les traitements n'ont pas tous la même efficacité : il importe de le souligner, parce que les tribunaux de traitement de la toxicomanie offrent en fait des services de traitement, et qu'il faut comprendre la qualité de ces services.
Dans notre examen — je m'explique en quelques mots — nous avançons trois principes généraux qui semblent propres aux programmes de traitement les plus efficaces. Nous les avons qualifiés de principes du risque, des besoins et de la réceptivité. Je les résume à votre intention.
Tout d'abord, le traitement a généralement plus d'effet si son intensité est suffisante pour correspondre aux délinquants à risque moyen à élevé. Le premier principe est donc la correspondance entre l'intensité du service et le niveau de risque posé par le délinquant.
Le deuxième principe est celui des besoins. L'important, ici, est qu'un délinquant qui recherche un traitement décrit toutes sortes de problèmes et de plaintes aux fournisseurs de services, mais que ces problèmes n'ont pas tous un lien avec son comportement criminel. Certains sont pertinents, mais d'autres non. Si par exemple un délinquant se plaint d'une grande nervosité et d'une forte anxiété, le règlement de ces besoins peut ne pas se traduire par une baisse de sa criminalité. Je dis parfois, pour rire, que le seul résultat est alors un criminel plus calme. D'autres besoins ont un lien plus direct avec l'activité criminelle. Votre comité se penche sur la toxicomanie, qui est un besoin criminogène rattaché à un comportement criminel.
Le troisième principe général porte le nom de réceptivité, que je vais m'efforcer de vous expliquer. Il existe des traitements et des interventions de toutes sortes. M. Bourgon et moi sommes des psychologues et avons connaissance de tous ces traitements, par exemple la psychanalyse et la thérapie rogérienne. Mais tout le monde n'a pas une réaction identique à ces traitements. Nous savons que ce qui fonctionne généralement le mieux pour les délinquants criminels sont les traitements cognitivo-comportementaux, qui tentent de modifier le mode de pensée des délinquants, et par ricochet leur comportement.
Si maintenant je reviens en arrière pour communiquer les résultats de notre analyse de centaines d'études, la première chose que nous constatons est que les programmes de traitement n'obéissent pas tous à ces trois principes : certains en respectent un, d'autres deux, d'autres encore tous les trois. Les interventions sur le terrain qui se conforment aux trois principes sont associées à une baisse de 35 p. 100 dans la récidive, ce qui est considérable. Je rappelle que les programmes de traitement ne donnent pas tous un tel résultat.
Si on me permet de résumer avant de donner la parole à M. Bourgon, un bon traitement revêt la forme d'interventions qui obéissent aux principes du risque, des besoins et de la réceptivité. M. Bourgon abordera certains de ces aspects dans son analyse des tribunaux de traitement de la toxicomanie.
Guy Bourgon, agent principal de recherche, Groupe de la recherche correctionnelle, Sécurité publique Canada : Pour poursuivre le raisonnement de M. Bonta, notre méta-analyse, qui est un simple examen quantitatif de la totalité de la documentation, n'était pas la première. En fait, trois méta-analyses étaient déjà publiées avant même que notre étude soit lancée. Elles parviennent à des résultats différents, les tribunaux de traitement de la toxicomanie réduisant selon elles le taux de récidive d'aussi peu que 7 p. 100 et jusqu'à 14 p. 100. Cela nous a préoccupés, parce que nous voulions un indicateur plus fiable de l'état des choses et de l'efficacité de ces tribunaux. Tous les chercheurs ont observé que l'étude, ou qualité méthodologique, des évaluations est critique et médiocre; c'est pour cette raison peut-être que différents chercheurs obtenaient des chiffres différents.
Nous voulions aussi nous pencher sur la qualité du traitement. M. Bonta vient de vous parler du risque, des besoins et de la réceptivité. Les traitements offerts par les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont très variables, au point que certains États déclarent le nombre de clients qui adhèrent au programme mais qu'en fait ces clients ne subissent pas tous un traitement. Une grande variabilité est observée dans ce domaine. Nous voulions jeter un regard quantitatif sur toutes ces études et les rassembler pour déterminer si la qualité de l'étude et du traitement jouaient un rôle à cet égard. Le but était d'obtenir un indicateur plus fiable.
La qualité de l'étude est une simple façon de dire que les témoignages n'ont pas tous la même valeur. Si vous y songez bien, une étude peut porter sur une personne et sur une deuxième, puis parvenir à une conclusion fondée sur ces deux observations, alors qu'une autre étude se penche sur mille personnes puis sur mille autres avant de parvenir à une conclusion.
Nous avons fait usage des lignes directrices publiées par le Comité de collaboration sur les données collectives relatives aux résultats, qui permettent d'évaluer une étude et sa qualité méthodologique. Les études sont essentiellement réparties en quatre catégories. La première est la catégorie déterminante, assimilable à un essai clinique aléatoire qui permet de conclure qu'une drogue est utile et légale. La preuve, dans ces études, est très solide. L'échelle des catégories va de « déterminante » à « bonne », puis à « faible » et enfin à « rejetée ». Une étude est rejetée si d'une simple lecture, quels que soient les résultats, vous doutez qu'il soit possible d'en reproduire les résultats, ou encore si vous détectez un parti pris qui enlève aux résultats beaucoup de leur validité et de leur utilité.
Nous avons examiné ces 96 études, qui ont été codées selon l'échelle précitée. Nous avons été amenés à conclure qu'environ 75 p. 100 des études sur le tribunal de traitement de la toxicomanie n'allaient pas au-delà de la catégorie « rejetée ». Autrement dit, seules 25 p. 100 présentaient une qualité méthodologique que nous jugerions suffisamment bonne pour qu'on puisse en tirer un indicateur fiable. Dans toutes ces études, en fait, une partialité ressortait de la simple lecture de leur méthodologie, c'est-à-dire qu'environ 80 p. 100 cherchaient à conclure que le traitement exerce un effet. C'est dire à quel point la qualité méthodologique de ces études, publiées dans des revues arbitrées et des rapports de recherche, était empreinte de partialité. Il ne nous est resté qu'environ 25 études jugées faibles ou mieux. En fait, deux seulement ont obtenu la cote « bonne », et aucune la cote « déterminante ».
Nous avons inséré ces 25 études dans notre méta-analyse, qui a conclu à une baisse de 8,4 p. 100 dans la récidive, soit vers le bas de la gamme initiale. Si l'on s'en tenait aux deux « bonnes » études, on obtenait une baisse de 4 p. 100 dans la récidive.
Ce n'est que l'un des facteurs qui, dans notre hypothèse, influent peut-être sur les résultats. L'autre est la qualité du traitement, dont M. Bonta vous a donné une solide vue d'ensemble. Nous avons analysé toute la documentation de ces tribunaux ainsi que les 25 études, pour essayer de déterminer s'ils respectaient l'un de ces principes. Nous avons constaté que 44 p. 100 de ceux qui respectaient les critères minimum n'obéissaient à aucun des principes d'un traitement efficace. Près de la moitié ne respectait pas même l'un des principes de risque, de besoins ou de réceptivité; 52 p. 100 adhéraient à un seul principe; seule une étude obéissait à deux principes, et aucune aux trois. Cela dit, vous observez des réductions d'environ 5,4 p. 100 pour l'absence de conformité à tout principe.
La présidente : Pouvez-vous me donner un éclaircissement? Vous dites que seule une étude a respecté les principes. Veut-on dire que seul un tribunal ou seule une étude a mesuré ces principes?
M. Bourgon : Toutes les études ont été cotées sur cette base; il m'en est donc resté 25 qui satisfaisaient aux critères méthodologiques, dont 44 p. 100 ne respectaient aucun des principes.
La présidente : S'agit-il de 44 p. 100 des tribunaux ou des études?
M. Bourgon : De ces études. Je crois que cela donne onze études.
La présidente : Vous voulez donc dire qu'elles n'ont pas mesuré les trois principes?
M. Bourgon : Ils n'ont pas respecté ces principes. Nous les avons cotés en fonction de leur respect de ces principes.
La présidente : Il s'agit ici des programmes, et non des études.
M. Bourgon : Les programmes eux-mêmes.
La présidente : Les programmes n'ont pas respecté les principes. Excusez-moi, je veux être certaine de bien comprendre.
M. Bourgon : Je comprends, vous avez à la fois des tribunaux des drogues et des programmes de traitement.
Le sénateur Milne : Nous avons des études des études.
M. Bourgon : Oui. Seuls onze de ces services de traitement ne respectaient aucun des principes; treize en respectaient un, et un seulement en respectait deux. Aucun ne respectait les trois. Est-ce que c'est clair?
La présidente : Terriblement clair, oui, merci.
M. Bourgon : De même que dans la recherche mentionnée par M. Bonta, l'efficacité augmente à mesure que les tribunaux se conforment à un plus grand nombre de principes. La seule étude qui respectait deux principes portait sur 248 délinquants, et elle a réalisé une baisse de 31 p. 100, ce qui concorde parfaitement avec les données de la documentation générale dans ce domaine.
La conclusion à tirer de tout ceci — autre que la grande médiocrité de la méthodologie employée — est qu'il faut améliorer davantage les services de traitement afin d'en avoir plus pour son argent. Dans l'état actuel des choses, nous estimons que la plupart des tribunaux de traitement de la toxicomanie peuvent s'attendre à une baisse dans la récidive d'entre 4 à 8 p. 100. Le problème est que la méthodologie dans ce domaine est encore relativement médiocre.
Le sénateur Wallace : Vous nous avez donné beaucoup d'information. Pouvez-vous nous dire, pour nous aider à comprendre sur quoi reposent les études que vous avez analysées, si elles portaient sur des tribunaux de la toxicomanie au Canada exclusivement, ou également aux États-Unis et dans d'autres ressorts?
M. Bourgon : Sur les 96 études analysées, deux provenaient du Canada, trois de l'Australie et toutes les autres des États-Unis.
Le sénateur Wallace : Vous avez critiqué assez vertement les résultats observés, et je n'étais pas sûr si nous parlions du Canada uniquement.
M. Bourgon : Nous ne faisons que commencer.
Le sénateur Wallace : Le Canada n'est donc qu'une infime partie de l'échantillon qui a servi de base à votre analyse.
Mme Hendy : Je voulais dire qu'il est vrai que les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont un phénomène très récent au Canada. S'ils existent depuis longtemps aux États-Unis, le modèle de tribunal n'y est pas nécessairement le même qu'au Canada.
Je tiens toutefois à rappeler la nature de la clientèle de nos tribunaux de traitement de la toxicomanie, clientèle marginalisée et aux besoins élevés. L'évaluation sommative nous apprend que la majorité des participants sont des hommes caucasiens âgés de 30 à 40 ans qui ont un peu d'instruction secondaire, tout au plus jusqu'à la dixième ou la onzième année. Ils sont sans abri et au chômage, et souffrent de troubles mentaux et d'une grave dépendance à la cocaïne, à l'héroïne ou au crack.
Si vous mettez cette population tout à fait marginale dans un programme de traitement fortement structuré, placé sous la surveillance des tribunaux, et que vous lui demandez de cesser de consommer et de se faire suivre par un juge jusqu'à deux fois par semaine, je vous rappelle que les résultats observés dans la documentation sont à prévoir. Vous insérez un groupe fortement marginalisé dans une structure à laquelle il n'est pas habitué. L'examen de l'efficacité des tribunaux des drogues doit tenir compte de ce facteur.
Le sénateur Wallace : Est-ce que les programmes sont rajustés en fonction des évaluations de l'efficacité des tribunaux de la drogue et des études suivantes réalisées depuis tant ou tant d'années, comme celles auxquelles vous avez participé? Le ministère impose-t-il des modifications pour améliorer l'efficacité des programmes en fonction de l'analyse, ou ces programmes sont-ils statiques, c'est-à-dire que la réadaptation que nous offrons aujourd'hui est essentiellement inchangée depuis trois ou quatre ans?
Mme Hendy : Non, je dirais que les tribunaux étudient ensemble et à l'interne les leçons apprises. C'est pour cela que nous partageons les pratiques exemplaires. Les résultats de l'évaluation sommative viennent de nous parvenir. Nous évaluerons ces résultats au cours des deux années à venir et nous collaborerons avec les différents lieux pour déterminer comment améliorer les programmes de traitement en fonction des recommandations issues de cette évaluation sommative.
Je dirais donc qu'ils ne sont pas statiques.
Le sénateur Wallace : Comment les services de traitement offerts par ces tribunaux seraient-ils affectés par l'apport communautaire local, c'est-à-dire par les représentants de la santé à l'échelle provinciale et locale? Cet élément a-t-il de l'importance? Réagit-on à l'évaluation locale plutôt qu'aux ordonnances lancées par Ottawa par l'intermédiaire de la bureaucratie fédérale?
Mme Hendy : Oui, c'est bien ainsi que ça se passe. Comme je l'ai déjà dit, le gouvernement fédéral n'envoie aucune directive sur le modèle de tribunal qui convient. Tout dépend des circonstances locales. Comme il semble que les services d'administration du traitement, de la justice et des tribunaux travaillent en équipe dans les villes pilotes, les tribunaux s'adaptent aux circonstances de la population de délinquants dans cette ville.
Le sénateur Wallace : Le ministère fédéral de la Justice va-t-il collaborer avec les ministères de la justice provinciaux à l'évaluation ou à la détermination de l'efficacité des tribunaux de traitement?
Mme Hendy : Tout à fait. L'évaluation sommative est offerte à tout le monde. Nous invitons nos homologues provinciaux à l'étudier, de même qu'à nous transmettre toute information qu'ils détiennent sur l'efficacité des tribunaux relevant de leur compétence.
Le sénateur Wallace : Recevez-vous souvent un apport de ce genre des ministères provinciaux?
Mme Hendy : Oui, mais pour l'instant deux tribunaux de traitement de la toxicomanie seulement — ceux de Regina et de Vancouver — reçoivent des fonds provinciaux. Ce type d'information nous est donc communiqué par ces deux villes.
[Français]
M. Sansfaçon : Si vous permettez, j'ajouterai quelques observations sur l'ensemble des questions qui ont été soulevées. D'abord, en ce qui concerne les méthodologies d'évaluation, les deux études qui ont été faites au Canada notamment — en tout cas, c'est de ces deux-là dont je peux parler le plus intelligemment — sont aussi des évaluations qui ont justement pour objectif d'aider les programmes à s'améliorer de manière continue. Dans ce sens-là, et sans entrer dans un débat méthodologique avec mes collègues, on fait face à une situation complètement différente du test que l'on fera, « randomisé », par exemple pour élaborer des médicaments pharmaceutiques. Ce n'est pas ce type de méthodologie dont on parle.
On a toujours pour objectif de faire en sorte que les études d'évaluation permettent aux gens qui administrent ces programmes, qui livrent les interventions sur le terrain, au fur et à mesure, de tenter de les améliorer. Lorsque le Centre national de prévention du crime, en 1998-1999, a répondu à la demande qui lui était faite par les intervenants de Toronto, l'impulsion est venue de la base, pas du gouvernement fédéral; elle est venue notamment duCAMH (Centre for addiction and mental health) de Toronto,donc des intervenants locaux, qui avaient d'ailleurs démarré sans nous — ils n'avaient pas besoin de nous pour cela — et qui, par la suite, sont venus chercher un financement — le Centre national était alors à Justice Canada — pour améliorer le programme et, dans la foulée, mener une étude d'évaluation. C'est comme cela que l'on est arrivé à ces deux projets pilotes qui ont mené à ce que l'on connaît aujourd'hui.
La présidente :Je vous remercie infiniment. Nous avons sur la liste les sénateurs Watt, Milne, Baker et Joyal. Je vous rappelle, très chers collègues, que nous avons déjà gardé nos témoins très tard.
[Traduction]
Le sénateur Watt : Nous vous remercions pour vos exposés. Il me sera une fois de plus impossible d'entrer dans le détail des tribunaux de traitement de la toxicomanie, et j'en parlerai donc en termes généraux. À titre d'exemple, quelle place est faite aux habitants de l'Arctique dans tout cela? Comment pouvons-nous accéder aux programmes?
Si je comprends bien, l'élément important de ce projet de loi est un tribunal de traitement de la toxicomanie qui se substitue à l'incarcération. D'un côté, l'idée semble intéressante, mais de l'autre, je me demande comment elle fonctionnera. Comment la population du Nord, de l'Arctique, aura-t-elle accès à ces tribunaux? Je crois savoir que le nombre de ces tribunaux au Canada est déjà réduit, et vous en êtes encore au stade d'organisation de l'établissement de nouveaux tribunaux dans tout le Canada.
Comment y accéderons-nous? Qui paiera pour les déplacements depuis l'Extrême-Arctique jusqu'au tribunal?
Mme Hendy : Merci de votre question. Je suis consciente des différences d'accès aux tribunaux entre les territoires et les provinces. Mais je vous demande de revenir en arrière. Le but du projet de loi n'était pas de ne reporter la détermination de la peine qu'à la condition de participer à un programme du tribunal de traitement de la toxicomanie. La deuxième partie de l'exemption prescrit que l'on peut s'inscrire à un programme de traitement visé par le paragraphe 720(2) du Code criminel, lequel fait mention d'un programme de traitement approuvé. Il serait possible aux habitants du Nord de participer à un tel programme approuvé dans le Nord sans avoir à comparaître devant un tribunal de traitement de la toxicomanie.
La présidente : Combien de programmes de traitement de la toxicomanie approuvés compte-t-on dans le Nord?
Mme Hendy : Je ne suis pas assez spécialisée pour répondre à la question, mais je suis consciente des besoins.
Le sénateur Watt : Autrement dit, si ce projet de loi est adopté, on risque de manquer d'installations de traitement de la toxicomanie. Est-ce une certitude? Quand est-ce que tout cela va se produire?
Mme Hendy : Il faudrait que je laisse le soin à mes collègues chargés de ce type de programme de répondre à cela.
Le sénateur Watt : Où peut-on trouver réponse à la question?
Mme Hendy : J'adresserai votre question à Justice Canada, pour en obtenir une réponse.
Le sénateur Watt : Pouvez-vous nous envoyer une réponse par écrit?
Mme Hendy : Oui, mais je crois que je vais adresser votre question à Santé Canada. Je vous communiquerai la réponse.
Le sénateur Watt : Cela s'applique au Nunavut, au Nunavik et au Labrador.
Mme Hendy : Oui, j'ai bien compris. Je verrai si Justice Canada est en mesure de répondre à la question.
La présidente : Demandez que la réponse porte aussi sur les autres territoires.
Le sénateur Watt : Vous pourriez aussi inclure les Premières nations.
Mme Hendy : Je m'en occupe.
Le sénateur Watt : Vous avez mentionné qu'on tient compte de l'attitude de la personne qui subit le traitement, et vous avez aussi parlé du logement — surtout du logement de ceux qui vont se faire traiter. Une grave pénurie de logements est l'un des grands problèmes de l'Arctique, que ce soit le Nunavut, le Nunavik ou le Labrador. Le Nord traverse une crise sociale, qui vient s'ajouter à son problème de drogue. Si nous voulons que ces programmes soient utiles aux gens, nous devons aborder ce problème.
Mme Hendy : Nous avons découvert très tôt, quand nous avons discuté du logement avec les villes pilotes, que l'absence de logement stable dans les trois premiers mois de participation à un programme de traitement de la toxicomanie augmentait les risques que les participants soient expulsés ou incapables de suivre le programme. Il n'est pas possible de s'occuper d'une personne sans abri, qu'elle vive sous un pont ou ailleurs.
Nous essayons depuis deux ou trois ans de collaborer avec nos partenaires au Secrétariat des partenariats de lutte contre l'itinérance, à Ressources humaines et Développement des compétences Canada, ou RHDCC, en vue d'adjoindre un volet « logement » aux tribunaux de traitement de la toxicomanie à Toronto et à Vancouver. Nous y avons réussi, et nous attendons les résultats du nouveau programme pilote pour établir si l'ajout de ces logements a amélioré la rétention aux premiers stades du programme de tribunal de traitement de la toxicomanie. Mon collègue pourra fournir des précisions, mais l'évaluation a conclu que le logement fait partie intégrante du programme de tribunal de traitement de la toxicomanie.
Le sénateur Watt : Nous devrons attendre de voir ce que nous réserve l'avenir.
Mme Hendy : C'est ce que je crois moi aussi.
Le sénateur Milne : Je suis totalement découragée. Je croyais comprendre que le projet de loi C-15 visait les criminels et les groupes criminels qui font le trafic de la drogue, et non les sans-abri dans la rue qui souffrent d'une dépendance aux drogues. Les tribunaux de toxicomanie semblent pouvoir accommoder uniquement ces gens. Madame Hendy, il me semble que vous avez dit qu'il est impossible d'assurer le suivi de chaque participant au programme de tribunal de traitement de la toxicomanie parce qu'on ignore où ils vivent, que ce soit dans la rue ou sous des ponts.
D'autres témoins ont parlé avec enthousiasme du programme du tribunal de traitement de la toxicomanie — et pourtant, deux détenteurs d'un doctorat nous affirment que seule une des centaines d'études qu'ils ont examinées répond à ne serait-ce que deux de leurs trois principes. Monsieur Bonta, l'étude conforme aux deux principes était-elle canadienne?
M. Bonta : Non.
Le sénateur Milne : Les témoins devant nous font entendre un son de cloche différent de ceux qui ont comparu précédemment. Si je comprends donc bien, une personne accusée de trafic de drogue en vertu de ce projet de loi n'est pas admissible au tribunal de traitement de la toxicomanie. Est-ce exact?
Mme Hendy : Elle n'est pas admissible si elle est accusée de trafic à des fins commerciales.
Le sénateur Milne : Dans ce projet de loi, le trafic à des fins commerciales, comme le sénateur Baker ne se lasse pas de nous le répéter tous les soirs, peut consister en un acte aussi simple qu'une personne donnant une pilule d'ecstasy ou un joint de marijuana à un ami. Des professeurs d'université ont déclaré devant le comité que 80 p. 100 de leurs étudiants seraient emprisonnés à vie si on leur appliquait le projet de loi. Presque tous ses aspects commencent à m'inspirer du découragement.
Mme Hendy : Il faudrait que je demande à mes collègues à la Section de la politique en matière de droit pénal de discuter du projet de loi. Si mes observations ont été mal interprétées, qu'on me permette d'apporter une précision. La majorité des participants aux tribunaux de traitement seraient considérés sans-abri, ce qui ne veut pas dire qu'ils le seraient tous. Le Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie est destiné aux délinquants toxicomanes non violents et récidivistes. Le projet de loi C-15, à ce que je crois comprendre, concerne les narcotrafiquants violents et commerciaux, c'est-à-dire les infractions de haut niveau liées aux drogues. Je crois que l'exemption est un ajout.
Le sénateur Milne : Néanmoins, il ne suffit pas d'invoquer le trafic commercial, parce que selon la définition dans le projet de loi, donner une pilule à un ami peut être interprété comme un trafic de drogue usuel et quotidien.
Mme Hendy : Je laisse le soin à mes collègues de répondre.
La présidente : Nous devons croire le témoin quand elle affirme ne pas être experte au sujet du Code criminel. Le point avancé par le sénateur Milne est d'un grand intérêt pour ceux qui étudient le projet de loi.
Le sénateur Milne : Les tribunaux de traitement de la toxicomanie donnent-ils des résultats? On me dit que des études menées sur des études ne permettent pas de conclure à leur efficacité. Leurs résultats ne dépassent pas la marge d'erreur statistique.
Mme Hendy : Je laisse le soin à mes collègues de répondre.
Le sénateur Milne : J'attends la réponse.
M. Wheatley : Nous avons évalué le fonctionnement des six tribunaux de traitement de la toxicomanie canadiens depuis deux ou trois, mais ce laps de temps a été trop court pour nous permettre d'en arriver à une conclusion définitive. Il reste qu'une bonne partie de la preuve que nous avons examinée, qui était largement qualitative et provenait des évaluations sur place de chacun de ces tribunaux, était positive. Notre conclusion provisoire est qu'ils font un bon travail.
Toutefois, nous menons actuellement une étude beaucoup plus rigoureuse portant sur tous les participants qui ont passé par chacun des tribunaux de traitement de la toxicomanie au Canada. Nous conduirons aussi une étude rigoureuse de la récidive, axée sur les modes de récidive des participants après leur passage au tribunal.
Tout cela concerne les résultats à long terme. On cherche à savoir non seulement si les participants résistent à la drogue et ne commettent pas de crime durant le traitement, mais aussi la situation après leur départ du programme. Nous cherchons à détecter des effets durables. Il nous est actuellement impossible de prédire exactement quels seront les résultats, mais nous étudions activement la question.
Le sénateur Milne : Vous sentez-vous un tant soit peu encouragé? Il me semble que c'est la direction que nos services correctionnels devraient prendre, mais je ne ressens absolument aucun espoir ce soir.
M. Wheatley : Je peux dire que nous avons parlé à beaucoup de gens durant notre évaluation, dont beaucoup œuvraient sur le terrain auprès de ces tribunaux. Ils étaient tous enthousiasmés par leur travail. Ils voient et disent que ces tribunaux fonctionnent, même si cela peut paraître un peu anecdotique et qualitatif. Ces tribunaux ne fonctionnent pas pour tout le monde, probablement pas même pour la majorité de ceux qui en font l'expérience, mais ils apportent à tout le moins une amélioration marginale.
Le sénateur Milne : Il semble aussi qu'ils donnent des résultats différents pour les hommes, d'une part, et d'autre part pour les femmes et les jeunes. Est-ce qu'ils fonctionnent pour les femmes et les jeunes?
M. Wheatley : L'évaluation a effectivement détecté des différences. Les tribunaux réussissent moins bien auprès des jeunes et des femmes. Les travailleuses du sexe étaient d'ailleurs l'un des groupes ciblés. En outre, le programme réussit mal à atteindre les Autochtones. Ici encore les preuves ne sont pas concluantes, mais il semble que les programmes pourraient ne pas bien fonctionner pour eux non plus.
M. Bourgon : Vous recherchez une réponse définitive, et la meilleure que je puisse probablement vous donner est qu'il est possible de traiter des délinquants. M. Bonta a passé des années à recueillir une masse immense de données qui montrent que le traitement des délinquants peut réussir. Les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont un simple modèle de prestation de traitement.
Selon ma recherche, les stratégies d'évaluation employées sont relativement médiocres. Nos meilleures estimations situent leurs résultats entre 4 à 8 p. 100. Notre recherche a également établi qu'il faut chercher à offrir un traitement qui soit davantage axé sur les délinquants. Les gens envoyés aux tribunaux de traitement de la toxicomanie y parviennent par le truchement du système de justice pénal. Le monde compte beaucoup de toxicomanes et de personnes qui abusent de l'alcool ou d'autres drogues, mais ils ne finissent pas tous dans le système de justice pénal. Un bon traitement des délinquants obéit à ces principes. Comme l'a fait observer M. Sansfaçon, une partie de l'évolution est prometteuse, c'est une façon prometteuse de donner des services à cette population. Mais il reste beaucoup à faire.
Le sénateur Milne : Si on espère obtenir une baisse dans la récidive et qu'on souhaite corriger la façon de vivre des gens, on commence en général avec les jeunes et ceux qui ne sont pas enfoncés trop profondément dans cette vie. Par contre, M. Bonta nous dit qu'on obtient de biens meilleurs résultats si ces types de traitement sont appliqués intensivement aux plus nécessiteux.
M. Bonta : Oui, mais des variations sont observées même parmi les jeunes. Certains peuvent avoir des besoins criminogènes beaucoup plus forts et être à plus haut risque. Même lorsque l'analyse distingue entre les adultes et les jeunes, nous observons la même chose : les principes du risque, des besoins et de la réceptivité s'applique tout autant aux jeunes. Un jeune, dans nos études, est défini comme une personne âgée de 12 à 18 ans.
La présidente : C'est comme l'histoire de la poule et de l'œuf, on ne sait pas lequel vient avant l'autre. À vous écouter, toutefois, il me vient à l'idée que la difficulté peut se situer dans la réceptivité. Des programmes qui ne sont pas assez bien pensés pour répondre à la nature et aux besoins particuliers des clients n'obtiendront pas grand succès auprès d'eux.
Est-il du moins possible que les programmes, qui ont commencé par traiter des caucasiens adultes masculins, doivent maintenant s'occuper d'autres clientèles avec un peu plus de sophistication?
M. Bonta : C'est bien ce qui se produit aujourd'hui dans la documentation sur la réadaptation des délinquants. Nous avons commencé par les délinquants en général, pour s'orienter maintenant vers des sous-types de délinquants. À cet égard, M. Karl Hanson, l'un de nos collègues au groupe de la recherche, a découvert que les principes de risque, de besoins et de réceptivité semblent applicables également aux délinquants sexuels. La même tendance semble ressortir d'une analyse de la documentation sur les délinquants toxicomanes, mais cela n'est pas encore très clairement établi.
M. Sansfaçon : Je voudrais ajouter un simple élément d'information en réponse à la question du sénateur Milne concernant les interventions auprès des jeunes. Le Centre national de prévention du crime appuie effectivement plusieurs projets en vertu de la Stratégie nationale antidrogue. Il s'agit de projets, et non d'interventions systématiques, qui cherchent à aider les jeunes de 6 à 11 ans présentant des tendances précoces de consommation de la drogue, et à aider aussi les adolescents de 12 à 17 ans qui ont déjà fait usage de drogues, pour essayer de les en dissuader et de les empêcher de s'engager dans des trajectoires à long terme.
Le sénateur Baker : Permettez-moi de féliciter le directeur de la recherche et de l'évaluation pour la grande qualité de son personnel. Les directeurs de recherche ici présents en sont d'excellents exemples. Je tiens à féliciter tout le monde. Vos exposés devant le comité étaient excellents.
Monsieur Bonta, depuis quand êtes-vous au service du Service correctionnel du Canada?
M. Bonta : Je suis à Sécurité publique Canada, que j'ai rejoint en 1990. Auparavant, j'ai occupé pendant 14 ans le poste de psychologue en chef au Centre de détention d'Ottawa-Carleton.
Le sénateur Baker : Vous êtes l'auteur de The Psychology of Criminal Conduct, livre abondamment cité dans la jurisprudence canadienne. Le saviez-vous, monsieur Bonta? À sa publication, il y a de cela 14 ou 15 ans, une phrase était restée gravée dans ma mémoire : vous disiez que si le Service correctionnel du Canada respectait la procédure voulue, le nombre de récidivistes chuterait de 50 p. 100.
M. Bonta : Ce n'est pas tout à fait 50 p. 100.
Le sénateur Baker : Je suis à peu près certain que c'était 50 p. 100.
M. Bonta : Je crois que c'est ce que j'avais écrit.
Comme je l'ai dit plus tôt, il ressort de notre analyse que les programmes appliqués dans la communauté — probation, libération conditionnelle, et cetera, de même que les bons programmes qui respectent les trois principes — entraînent en moyenne une baisse de 35 p. 100. Les programmes carcéraux donnés dans les prisons et les établissements surveillés rencontrent un peu plus de difficulté et produisent une baisse moyenne de 20 à 25 p. 100 dans la récidive.
Le sénateur Baker : Cela remonte à 15 ans. Avez-vous changé d'opinion sur les conclusions présentées dans votre livre qui a été si largement cité? Les choses ont-elles bougé en 15 ans?
M. Bonta : Sénateur Baker, le livre en est à sa cinquième édition, et nous n'avons pas changé d'opinion.
Le sénateur Joyal : Un crime est un crime.
M. Bonta : Mais le traitement marche, dans les conditions voulues.
Le sénateur Baker : L'analyse des risques est désormais considérée comme un élément incontournable de la détermination de la peine par la plupart des tribunaux compétents au Canada. Je crois qu'on vous est redevable d'une partie de la formule employée par certaines provinces pour réaliser une évaluation du risque posé par ceux reconnus coupables d'un crime.
M. Bonta : Effectivement. Je suis coauteur, avec mon collègue M. Adrews, d'un instrument d'évaluation du risque et des besoins qui est utilisé dans sept de nos provinces environ et dans tous les territoires. Certains ressorts se servent de ces renseignements pour aider à rédiger leurs rapports prédécisionnels, contenant des recommandations au tribunal.
Le sénateur Baker : Est-il destiné expressément aux jeunes?
M. Bonta : Un autre de mes collègues, M. Hoge, se spécialise dans la version pour les jeunes. Je suis coauteur de la version pour adultes.
Le sénateur Baker : Messieurs Bonta et Bourgon, avez-vous changé d'opinion ces dernières années sur l'un ou l'autre de ces importants facteurs de traitement visant à prévenir la récidive, et sur l'évaluation du risque posé par ceux reconnus coupables par nos tribunaux d'infractions liées à la drogue? Votre opinion a-t-elle un tant soit peu évolué depuis une dizaine d'années?
M. Bonta : Je vais vous paraître têtu, mais l'opinion fondamentale demeure inchangée. Nous avons appris, au cours des 15 à 20 dernières années, à apporter toutes sortes d'améliorations et de mises au point importantes. Nos programmes se sont améliorés.
À titre d'exemple, un nombre accru de nos programmes de traitement des délinquants au Service correctionnel du Canada adhèrent plus étroitement aux principes du risque, des besoins et de la réceptivité. Nos différents formulaires d'évaluation du risque et des besoins ont été améliorés et sont désormais plus sophistiqués et complets.
Le sénateur Baker : Est-ce que l'auteur assis à votre droite partage votre opinion?
M. Bourgon : Je suis d'accord avec M. Bonta. Je dirais même que le point de vue s'est précisé dans les 10 à 15 dernières années.
Le sénateur Joyal : Comment se fait-il que les provinces Atlantiques et le Québec n'aient jamais fait l'essai des tribunaux de traitement de la toxicomanie, alors qu'ils ont été essayés dans tout l'Ouest du Canada — Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Saskatchewan — si on me permet de ranger l'Ontario parmi les provinces de l'Ouest? Y a-t-il une explication à cela?
Mme Hendy : Lors de l'élargissement du programme à quatre lieux supplémentaires en 2005, il s'est fondé sur l'appel de propositions et sur les propositions présentées à l'époque.
Le sénateur Joyal : Vous n'avez reçu aucune proposition de l'une de ces cinq provinces?
Mme Hendy : Pas à ma connaissance.
Le sénateur Joyal : Vous attirez notre attention, avec beaucoup d'acuité, sur la clause du projet de loi — le paragraphe 5(2) modifiant l'article 10 de la loi — qui est ainsi rédigé :
b) afin de permettre à la personne de participer à un programme conformément au paragraphe 720(2) du Code criminel.
Le paragraphe 720(2) du Code criminel est libellé comme suit :
[...] reporter la détermination de la peine pour permettre au délinquant de participer, sous la surveillance du tribunal, à un programme de traitement agréé par la province[...]
Est-ce que l'un de vous a pris part à la détermination des programmes approuvés par les tribunaux, ou cette tâche est-elle laissée à chacune des provinces?
Et qu'en est-il des territoires? En vertu de quelle compétence peuvent-ils approuver les programmes offerts dans leurs limites aux Autochtones et aux autres Canadiens qui y sont établis?
Si je pose la question, c'est que nous avons entendu le Centre canadien de la statistique juridique dire que l'augmentation dans le nombre d'infractions liées à la drogue dans les Territoires du Nord-Ouest est parmi la plus forte au Canada. Nous ne pouvons comprendre l'action exercée par ce projet de loi qu'à la condition de savoir la forme concrète qu'il revêtira dans cette partie du pays. Selon les statistiques — je cite le graphique que nous a remis le Centre canadien de la statistique juridique — les infractions liées aux drogues sont parmi les plus fréquentes dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et au Yukon, dans certains cas plus fréquentes qu'en Colombie-Britannique. D'après ce graphique, le problème est grave.
Cette clause me préoccupe : en l'absence de tribunaux de traitement dans les territoires, qui approuvera le programme permettant à un toxicomane, conformément à la recherche que vous menez, de tirer profit de cette clause du projet de loi?
Autrement dit, je crains d'en arriver à des situations disparates à travers le pays. Quand nous adoptons un amendement au Code criminel, l'une de nos préoccupations est de garantir une application égale de la justice dans tout le pays, dans la mesure du possible.
Mme Hendy : Aucun de mes collègues de Justice Canada présents aujourd'hui n'est avocat, donc nous ne pouvons pas interpréter le Code criminel; nous devons mettre en œuvre nos programmes. Je crois comprendre que — et je vais devoir vous revenir plus tard pour vous fournir une réponse — dans les provinces, c'est le procureur général qui approuverait les programmes de désintoxication.
Pour ce qui est des territoires, je ne veux pas commencer à décrire la différence qui existe entre l'administration de la justice dans les gouvernements territoriaux et l'administration de la justice au niveau fédéral. Je vais en parler à mes collègues et vous fournir une réponse par écrit.
Le sénateur Joyal : Vous comprenez ma question : Je veux savoir si le programme de désintoxication que vous étudiez et que vous administrez sous le régime d'un tribunal spécialisé dans les affaires de drogue est semblable pour ce qui est du contenu à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie que le procureur général d'une province pourrait approuver, pour que nous puissions offrir les mêmes possibilités et pour qu'il n'y ait pas deux façons de faire en ce qui a trait à la latitude donnée à un juge pour lever la peine minimale dans certaines situations.
Mme Hendy : Absolument. Tous les tribunaux de traitement de la toxicomanie actuellement à l'essai et financés par le gouvernement fédéral auraient eu à faire l'objet d'une approbation par le procureur général de la province visée. Rien n'empêche le procureur général de n'importe quelle autre province de mettre en place un tribunal de traitement de la toxicomanie s'il le souhaite, sans l'aide du gouvernement fédéral.
M. Sansfaçon : Au Yukon, il y a le tribunal communautaire du mieux-être. Justice Canada pourrait certainement chercher à déterminer si ce genre de programme pourrait être reconnu par le gouvernement territorial ou par une autre partie, s'il pourrait être visé par les dispositions du Code criminel et devenir un programme reconnu. Dans tous ces cas, il ne fait aucun doute qu'il faut assurer l'accessibilité, par exemple, à des programmes de désintoxication partout au pays. Parallèlement, il faut reconnaître qu'un facteur local entre en jeu puisque la situation, disons, à Vancouver est différente de celle à Yellowknife ou à Halifax.
Par conséquent, il faudra toujours dans une certaine mesure adapter les programmes en fonction des besoins, ce qui explique pourquoi les six programmes judiciaires de traitement de la toxicomanie qui existent actuellement sont différents les uns des autres. Même les deux premiers programmes que nous avons financés dans le cadre des activités du Centre national de prévention du crime étaient différents l'un de l'autre. Ils reposaient essentiellement sur la même philosophie et les mêmes principes de base pour ce qui est d'aider les récidivistes toxicomanes — infractions sans violence, et cetera, comme il a été expliqué plus tôt — mais ils pouvaient néanmoins répondre aux besoins locaux et tenir compte des situations et de la capacité locale.
Le sénateur Joyal : Je le répète, j'aimerais vraiment savoir quel programme de désintoxication est offert dans le Nord du pays, étant donné que c'est là que l'augmentation de la toxicomanie se fait le plus sentir d'après ces statistiques. Nous avons besoin de cette information pour savoir si nous contribuons à résoudre le problème.
Un rapport nous a été distribué; je pense que vous le connaissez. Il s'intitule Les tribunaux de traitement de la toxicomanie : Meta-analyse. Ont-ils un effet positif sur les taux de récidive? Ce rapport a été publié en août 2006, il y a donc trois ans. Je vais vous lire la conclusion :
Bien que d'autres questions n'aient pas été abordées dans le cadre de cette recherche, telles que le rapport coefficacité des TTT, les résultats de la présente méta-analyse [...] apportent un appui clair aux tribunaux de traitement de la toxicomanie comme mécanisme pour réduire le taux d'activités criminelles des délinquants qui ont des problèmes de toxicomanie.
Comme trois années se sont écoulées depuis la publication de ce rapport, pourriez-vous nous donner une idée plus actuelle de la situation que cette conclusion, plus particulièrement en ce qui concerne le taux de récidive? À la page 9 du rapport, qui présente des résultats correspondant aux chiffres que vous nous avez donnés, on peut lire : « Les tribunaux de traitement de la toxicomanie ont permis une réduction de 14 p. 100 du taux de récidive comparativement à d'autres mécanismes du système judiciaire traditionnel. »
Devrions-nous utiliser ces statistiques, ou avez-vous d'autres données à nous fournir?
Kelly Morton-Bourgon, chercheuse principale, Division de la recherche et de la statistique, ministère de la Justice Canada : Il s'agit de la méta-analyse que nous avons faite en 2005. Depuis, Sécurité publique Canada en a réalisé une autre, qui nous a été présentée aujourd'hui. Nous n'avons pas cherché à déterminer si l'étude menée était de qualité ou si les programmes examinés respectaient les principes relatifs aux risques, aux besoins et à la réceptivité. Bien que nos résultats remontent à 2005 seulement, ils ne sont plus tout à fait actuels. Le taux de 14 p. 100 doit être tempéré compte tenu du fait que nous n'avons pas examiné les autres aspects. À mon avis, les statistiques relatives à la réduction du taux de récidive que contient la méta-analyse de Sécurité publique Canada, compte tenu de la qualité de l'étude et du respect des principes, seraient probablement plus représentatives.
Le sénateur Milne : Vos données provenaient-elles des tribunaux canadiens?
Mme Morton-Bourgon : Non, nous les avons obtenues auprès de deux tribunaux canadiens et de deux tribunaux australiens, et le reste provenait des États-Unis.
M. Bonta : Notre étude englobait toutes les études soumises à leur examen, de même que quelques études additionnelles.
La présidente : Nous n'en avons reçu qu'une seule.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous me rafraîchir la mémoire? Depuis combien de temps les tribunaux de traitement de la toxicomanie existent-ils aux États-Unis?
M. Bonta : Le premier a été établi à Miami, en Floride, en 1989.
Le sénateur Joyal : Ils continuent de prendre de l'expansion, est-ce exact?
M. Bonta : On compte probablement 2 000 tribunaux spécialisés dans les affaires de drogue aux États-Unis.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, on pourrait conclure très naïvement que, si les Américains les ont maintenus, c'est probablement parce qu'ils en retirent un avantage pour la collectivité.
M. Bourgon : L'objectif visé au départ relativement aux tribunaux spécialisés dans les affaires de drogue était de réduire la population carcérale. On ne cherchait pas à réduire le taux de récidive. On cherchait strictement à réduire le nombre de personnes en prison. C'était pendant la période de l'épidémie du crack, et le gouvernement fédéral menaçait de réduire le budget de la Floride si la population carcérale n'était pas réduite. C'est à ce moment-là que les tribunaux spécialisés dans les affaires de drogue ont vu le jour.
Le sénateur Joyal : Le raisonnement est-il toujours le même aujourd'hui? Est-ce qu'on cherche aussi à réduire le taux de récidive, comme vous l'avez avancé?
M. Bourgon : Cet objectif a été un élément moteur. À savoir s'il demeure un facteur déterminant, il faudrait s'intéresser à l'aspect sociologique de la chose, et je ne suis pas placé pour en parler.
La présidente : Je vais vous poser une question que j'ai posée plus tôt à d'autres témoins parce que je viens de me rendre compte que vous êtes peut-être mieux outillé pour y répondre. Ce projet de loi prévoit une exemption de toute peine minimale obligatoire pour les personnes qui réussissent un programme de désintoxication. Tout ce que j'ai lu me laisse croire qu'une personne n'est pas réputée avoir terminé un programme, c'est-à-dire obtenu son diplôme, avant de l'avoir réellement fait; et le programme comprend une période de suivi — je pense que vous avez parlé d'une moyenne de trois mois — sur laquelle on se fonde pour déterminer si la personne a réussi. Si je comprends bien la façon dont les programmes se déroulent, alors quelle serait la différence entre le fait de terminer un programme de désintoxication et le fait de le réussir? Y a-t-il une différence, ou bien est-ce que ça n'a pas d'importance?
Mme Hendy : Je le répète, je ne suis pas à la Section de la politique en matière de droit pénal, donc ce n'est pas moi qui ai rédigé la législation.
La présidente : Je vous pose la question pour que vous me répondiez en fonction de votre expérience à l'égard des tribunaux spécialisés dans les affaires de drogue. Voyez-vous une distinction entre le fait de terminer un programme et le fait de le réussir?
Mme Hendy : Je pense que, dans de nombreux cas, les directeurs des tribunaux de traitement de la toxicomanie ont du mal à définir ce qu'est la « réussite ». Je pense que, en collaboration avec les membres de leur personnel, ils cherchent probablement à déterminer ce que cela signifie exactement.
À titre d'exemple, il y a certains délinquants qui, quand ils sont arrivés au tribunal de traitement de la toxicomanie, étaient sans-abri et sans emploi et avaient bel et bien une dépendance chronique à l'héroïne. À la fin du processus de traitement, ils n'ont plus de dépendance à l'égard de l'héroïne, mais ils fument peut-être un joint à peu près une fois par semaine. Par conséquent, ils ne réussiraient jamais à passer un test de dépistage aléatoire pour prouver qu'ils ne consomment vraiment plus. Si l'on tenait compte de tous les autres aspects de leur participation au programme, notamment pour ce qui est de prendre part aux activités et de se présenter au tribunal et peut-être d'avoir maintenant un travail et un logement stables, on pourrait considérer qu'ils ont réussi le programme. Par contre, compte tenu des critères établis, ils n'obtiendraient peut-être pas leur « diplôme ». Ce serait un exemple.
La présidente : C'est intéressant.
Mme Hendy : C'est ce que je comprends mais, je le répète, je ne suis pas spécialiste.
La présidente : Le fait d'avoir réussi le programme constituerait peut-être une situation un peu moins contraignante que le fait de l'avoir simplement terminé. C'est un concept intéressant.
M. Sansfaçon : Cela correspond certainement à ce qui a été observé, notamment dans la revue d'évaluations réalisée à Toronto selon laquelle, entre autres choses, on veut cesser d'utiliser la réussite comme une variable dichotomique — diplômé, non diplômé — et voir la participation au programme comme une progression régulière, en tenant compte d'indicateurs comme le mieux-être. On chercherait non seulement à déterminer si la personne a consommé de la drogue ou a connu une récidive, mais on s'intéresserait aussi à de nombreux autres indicateurs de mieux-être pour avoir une idée plus complète et plus globale de l'efficacité de ces tribunaux de traitement de la toxicomanie.
Il est vrai qu'il n'est pas facile de définir ce qu'est un « diplômé » ou une « réussite » dans le cadre d'un tribunal de traitement de la toxicomanie, et je pense que nos tribunaux peinent à y arriver, fort probablement comme les 2 000 tribunaux américains.
La présidente : C'est fascinant. C'est extrêmement utile d'entendre de vrais spécialistes nous dire ce que savent les vrais spécialistes. Nous vous en sommes reconnaissants.
Mesdames et messieurs les sénateurs, la prochaine réunion du comité se tiendra demain matin, à 10 h 45, dans la même salle.
(La séance est levée.)