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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 19 - Témoignages du 19 novembre 2009


OTTAWA, le jeudi 19 novembre 2009

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 57, pour étudier le projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Translation]

La présidente : Le comité poursuit son étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Ce matin, nous accueillons avec plaisir par le biais d'une téléconférence de Vancouver le professeur Benedikt Fischer de l'Université Simon Fraser, le professeur Neil Boyd, également de l'Université Simon Fraser, et monsieur Thomas Kerr, du B.C. Centre for Excellence in HIV/AIDS.

Messieurs, je vous remercie d'être avec nous ce matin et d'avoir supporté les difficultés techniques qui accompagnent parfois l'organisation de ces téléconférences. Nous apprécions beaucoup votre bonne volonté et la patience dont vous avez fait preuve pendant que nous réglions nos problèmes.

Benedikt Fischer, professeur, Université Simon Fraser, à titre personnel : Bonjour honorables sénateurs. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de partager avec vous mes opinions et mes observations sur le projet de loi C-15, à titre de chercheur universitaire travaillant depuis une quinzaine d'années sur des enjeux tels que la toxicomanie, la lutte antidrogue, la justice pénale, la santé et la politique publiques. Mes observations initiales seront brèves.

En gros, je vous expliquerai pourquoi je pense que le projet de loi C-15 est une mesure législative mal conçue, erronée et inefficace et je développerai ensuite mon raisonnement autour de cinq thèmes principaux.

Premièrement, le projet de loi C-15 cherche à étendre et à renforcer la prohibition comme étant la principale stratégie pour régler le problème de la drogue au Canada et, de ce fait, il constitue un élément de plus dans la politique vieille d'un siècle qui est l'un des pires échecs stratégiques de tous les temps.

La prohibition des substances psychotropes a débuté ici même à Vancouver, il y a environ cent ans. Malgré l'augmentation constante des pouvoirs policiers, des ressources et des mesures antidrogue, non seulement cette stratégie est-elle un échec, mais elle a causé des dommages collatéraux incommensurables à des personnes, notamment à des consommateurs plutôt inoffensifs qui en font un usage récréatif, à des toxicomanes ainsi qu'aux collectivités canadiennes et à la société en général.

Aujourd'hui, les drogues illicites sont plus répandues, plus diversifiées, plus faciles à obtenir et moins coûteuses qu'elles ne l'étaient il y a 100 ans. Les taux de consommation de drogue demeurent inchangés malgré un siècle de prohibition et des milliards de dollars dépensés. En outre, des dizaines de milliers de consommateurs de drogue sont infectés par VIH et plusieurs centaines de milliers par VHC et entre un et deux mille meurent chaque année, pour la principale raison qu'ils sont forcés d'acheter des drogues sur le marché noir, de se les injecter dans des endroits insalubres et avec du matériel contaminé, et qu'ils n'ont pas accès aux soins de santé et aux traitements dont ils ont besoin. La prohibition tue et rend les citoyens canadiens malades. Or, le projet de loi C-15 ne fera que perpétuer cette stratégie en théorie et en pratique.

Deuxièmement, le projet de loi C-15 est fondé sur l'hypothèse que l'imposition de peines plus sévères pour le trafic de drogues empêchera ou dissuadera les « mauvais criminels » de produire et de vendre des drogues. Cette hypothèse est erronée à plusieurs égards. Comme plusieurs autres témoins l'ont déjà signalé au Comité, l'expérience des États- Unis, qui imposent des peines minimales obligatoires, a démontré que la politique américaine à cet égard n'a pas réussi à réduire la disponibilité ou l'offre de drogues dans ce pays. Le principal effet des peines minimales obligatoires, c'est que les prisons américaines sont remplies de petits revendeurs qui, dans bien des cas, sont aussi toxicomanes. Or, malgré la prohibition, les marchés de la drogue demeurent si lucratifs et si flexibles que les vides qu'ils laissent sur les marchés noirs sont rapidement remplis.

Rien ne démontre que les dispositions du projet de loi C-15 auront un effet plus dissuasif que les dispositions déjà extrêmement sévères imposées pour la production de drogue déjà prévues à la loi canadienne. Ces dispositions additionnelles risquent, au contraire, d'accentuer la volatilité et la violence qui caractérisent de plus en plus les marchés de la drogue désormais contrôlés par des gangs et des organisations du crime organisé et qui sont largement responsables des récentes explosions de violence armée et des meurtres à Toronto, Vancouver et dans d'autres villes canadiennes. À noter que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances de 1961 prévoyait des peines minimales pour certaines infractions liées à la vente. Ces dispositions ont été supprimées par la Cour suprême en 1987 car elles étaient cruelles et inusités, c'est-à-dire inconstitutionnelles.

J'aimerais également faire remarquer une forte tendance observée depuis quelques années en matière de consommation de drogues illicites, soit l'usage abusif de médicaments d'ordonnance. Par exemple, les puissants analgésiques opioïdes comme Oxycontin ou Dilaudid ont remplacé les drogues comme l'héroïne dans de nombreuses villes canadiennes dans les marchés de la drogue et chez les toxicomanes de la rue.

Ce sont les compagnies pharmaceutiques, les médecins, les hôpitaux et les pharmacies qui sont les premiers producteurs ou fournisseurs de ces drogues et dans bien des cas, celles-ci sont détournées de leur usage original par des membres de la famille, des amis et même des personnes âgées. Voilà pourquoi je crois que le projet de loi C-15 risque de stimuler l'offre et la demande de médicaments d'ordonnance sur les marchés de substances illicites, ce qui n'est certainement pas l'objectif visé par cette loi.

Troisièmement, le projet de loi C-15 est fondé sur l'hypothèse que le problème de la drogue comporte deux volets, les utilisateurs et les fournisseurs, et que cela permet d'établir une division facile entre les consommateurs et les trafiquants ou producteurs. Malheureusement, cette division, quoique très intéressante du point de vue politique, n'est qu'une illusion. Comme l'ont clairement démontré de nombreuses études, menées notamment par mes collègues qui témoignent aujourd'hui et par moi-même, la majorité des toxicomanes de rue sont également des revendeurs, c'est-à- dire en termes techniques qu'ils vendent des drogues ou en font le trafic, puisque c'est leur seule forme de revenu et d'accès aux drogues. Un grand nombre de ces personnes souffrent d'une dépendance. Les activités policières antidrogue visent essentiellement les petits trafiquants et revendeurs de rue, la plupart étant eux-mêmes toxicomanes, parce qu'il est extrêmement difficile, long, coûteux et, dans bien ces cas, inefficace, d'appliquer la loi contre des producteurs ou des trafiquants à grande échelle.

Pour ces raisons, les dispositions du projet de loi C-15 risquent de renforcer les mesures policières musclées contre des toxicomanes souffrant de comorbidités, socialement et économiquement marginalisées et qui ont fort probablement davantage besoin de soins médicaux et sociaux que de peines plus sévères ou d'un séjour prolongé dans les établissements correctionnels. Vous aurez de la difficulté à trouver un chercheur sérieux ou un professionnel de la santé qui vous dise que la consommation de drogue ou la toxicomanie doit être considérée comme un problème pénal ou de droit, comme c'est le cas dans la loi actuelle, plutôt que comme un problème médical ou de santé publique. Le projet de loi C-15 ne fera qu'augmenter la population déjà nombreuse et croissante de détenus ayant des problèmes de toxicomanie et de comorbidité dans les établissements correctionnels qui ne sont pas en mesure de s'en occuper adéquatement. Au contraire, ils seront probablement exposés à des risques additionnels tels que les injections non sécuritaires, la transmission de maladies infectieuses ou les surdoses, et ils ne pourront certainement pas obtenir l'aide dont ils ont besoin.

Malgré les avantages intéressants qu'il présente du point de vue politique en faisant preuve de fermeté envers les producteurs et les trafiquants de drogue, le projet de loi C-15 ne fera que punir davantage les petits consommateurs et accroître les souffrances individuelles et les problèmes sociaux de cette population. En fin de compte, c'est la société canadienne qui paiera la note.

Quatrièmement, le projet de loi C-15 ne contribuera pas à réduire l'accès aux drogues au Canada ni à améliorer la santé ou la sécurité des citoyens et des collectivités du Canada. Comme je viens de le mentionner, le marché canadien de drogues illicites est vaste, bon marché et flexible et le projet de loi C-15 ne changera rien à cette situation. Pour vous donner un exemple, la production et l'offre de cannabis, une substance consommée à des fins récréatives par deux millions de Canadiens, sont florissantes au Canada malgré les efforts policiers massifs des dernières années pour supprimer cette substance. La consommation abusive de médicaments d'ordonnance constitue un nouveau tournant important dans le paysage contemporain de la toxicomanie. Or, les lois antidrogues anachroniques fondées sur une idéologie vieille de 100 ans ne pourront pas régler ce problème.

Le projet de loi C-15 ne contribuera pas à réduire l'offre de substances illicites au Canada, il ne fera que rendre ce marché plus attrayant et lucratif pour ceux qui le contrôlent et en profitent le plus — les cartels internationaux de production et d'importation de drogues, le crime organisé et les gangs. En fait, les parlementaires qui appuieront le projet de loi C-15 et les mesures de prohibition sous-jacentes devraient s'attendre à recevoir des remerciements de la part de ces entrepreneurs pour avoir maintenu et protégé les marchés extrêmement lucratifs de la drogue.

Comme quelqu'un l'a fait remarquer avec raison : « Les lois visant à interdire les drogues sont des lois sanctionnées par l'État qui favorisent le crime organisé ». Non seulement les marchés de substances illicites seront-ils plus lucratifs, mais ils risquent de devenir encore plus volatils et violents. Il ne fait pas de doute que la violence inhérente aux marchés volatils et non réglementés de la drogue s'est accrue et est à l'origine d'une bonne partie de la violence armée observée récemment dans les villes canadiennes. Tenez-vous-le pour dit : ces problèmes ne feront que s'amplifier dans un proche avenir si la prohibition est maintenue et étendue par le biais d'outils comme le projet de loi C-15.

Cinquièmement, le projet de loi C-15 est tout à fait contraire aux principes de santé publique et constitue, de par sa conception, une politique publique inefficace pour régler le problème de la drogue au Canada. Comme je vous le disais au début, le projet de loi C-15 constitue un élément de plus dans la prohibition des drogues. Il s'agit d'une mesure législative mal conçue qui renforce une politique inefficace intrinsèquement dommageable pour les consommateurs de psychotropes.

Ce régime de prohibition érigé il y a un siècle doit être revu en profondeur, à la lumière de plusieurs principes élémentaires, notamment la reconnaissance qu'il y aura toujours une demande à l'égard des psychotropes. La consommation de ces produits, sous de nombreuses formes, ne doit pas être alourdie par des risques ou des dommages excessifs. Par exemple, le cannabis est une drogue consommée à des fins récréatives. Des millions de Canadiens adultes en consomment. Comme pour d'autres activités à risque licites et sanctionnées par l'État — les jeux de hasard, le saut en parachute, la descente en eau vive et bien d'autres — l'État doit et devrait recourir à des moyens comme l'éducation, la prévention, la réglementation et les contrôles judiciaires pour s'assurer que ces activités sont sécuritaires, ne présentent pas de risques et ne causent pas de dommages. L'État doit également offrir un traitement efficace ou autre intervention de réhabilitation aux personnes qui, malgré nos meilleures intentions, développent des problèmes ou une dépendance aux drogues.

Un aspect essentiel du rôle de l'État dans un modèle axé sur la santé publique est d'offrir aux consommateurs responsables un accès réglementé, sécuritaire et restreint aux psychotropes. Un modèle d'approvisionnement en cannabis règlementé et contrôlé par l'État — comme celui récemment proposé par le rapport très bien accueilli de la Global Cannabis Commission de la Fondation Beckley, que j'ai cosigné — permettrait d'éliminer rapidement une bonne partie des profits que le crime organisé tire des actuels marchés illicites de cannabis. Ce modèle contribuerait également à réduire la volatilité et la violence liées à ce commerce et permettrait aux consommateurs de cannabis de se procurer, en toute légalité, un produit réglementé et d'une qualité prévisible. Quant aux personnes souffrant d'une maladie chronique liée à la toxicomanie, ou de toute autre maladie grave qu'un médicament psychotrope peut soulager, l'État devrait sincèrement assumer le rôle et la responsabilité de fournisseur de médicaments lorsqu'il a été démontré que leur administration peut être bénéfique pour la santé d'une personne ou d'une collectivité. À cette fin, il doit mettre en place des programmes d'accès au cannabis à des fins médicales beaucoup plus efficaces que l'actuel programme hautement restrictif d'accès à la marihuana à des fins médicales; il doit également établir des programmes médicaux de maintien d'opiacés beaucoup plus élaborés que l'actuel traitement à la méthadone, comprenant, entre autres, la prescription de stimulants à des fins médicales.

En résumé, honorables sénateurs, le projet de loi C-15 n'est pas une bonne mesure législative. Il faut l'abandonner. Le système anachronique de prohibition des drogues sur lequel il s'appuie doit être entièrement révisé et remplacé par une politique de santé publique efficace, axée sur les besoins et fondée sur des faits.

Le projet de loi C-15 est tout à fait à l'opposé de ces principes. Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Je vous remercie infiniment, monsieur Fischer. Après la réunion, pourriez-vous transmettre à notre greffier l'adresse Internet — je suppose qu'elle existe — du rapport de la Fondation Beckley dont vous avez parlé?

M. Fischer : Oui, bien sûr, avec plaisir.

Thomas Kerr, chercheur scientifique, B.C. Centre for Excellence in HIV/AIDS : Bonjour à tous. C'est un honneur de témoigner devant le comité ce matin. Je vais axer mon témoignage sur quelques points particuliers qui, combinés, montrent que le choix d'imposer des peines minimales obligatoires pour les infractions reliées aux drogues est une mauvaise politique.

Premièrement, les données existantes montrent que les peines minimales obligatoires sont inefficaces et qu'elles n'atteignent pas leurs objectifs de base. Je suis certain que vous savez que les peines minimales obligatoires pour les infractions reliées aux drogues du genre que nous examinons en ce moment existent aux États-Unis depuis quelque temps et ont fait l'objet de nombreuses études. Malgré des peines plus sévères, le coût énorme de l'incarcération et le nombre des victimes, le problème des drogues aux États-Unis ne fait qu'empirer. Le prix des drogues a baissé, alors que la consommation et la pureté des drogues ont augmenté. Les données à cet égard sont disponibles auprès de l'Office of Drug Control des États-Unis.

Il n'est donc pas surprenant que l'on constate une désaffection générale à l'égard des peines minimales obligatoires aux États-Unis, l'exemple qui illustre mieux cette nouvelle attitude étant le projet d'abroger les lois Rockefeller sur les drogues.

Au cours d'une étude détaillée menée en 2002 pour le ministère de la Justice du Canada, les peines minimales obligatoires pour les crimes reliés aux drogues ont été comparées aux politiques similaires adoptées pour la conduite avec facultés affaiblies et les infractions reliées aux armes à feu. L'étude concluait que les peines minimales obligatoires étaient :

[...] très peu efficaces pour ce qui est des infractions reliées aux drogues.

et affirmait que :

La consommation des drogues et les crimes reliés aux drogues ne semblaient pas influencés, de façon significative, par de lourdes peines minimales obligatoires.

En tant que spécialiste du comportement ayant environ 20 ans d'expérience dans ce domaine, je peux vous assurer que les plus grands toxicomanes de notre société sont quotidiennement confrontés à de remarquables facteurs dissuasifs à l'égard de la consommation de drogues, y compris l'infection par VIH, les surdoses et la mort. Par conséquent, il est peu probable que le type de dissuasion examiné aujourd'hui ait une incidence sur les tendances à long terme de la consommation de drogues illégales.

En outre, les peines minimales obligatoires ont un effet néfaste sur les toxicomanes et non pas sur les gros trafiquants, comme l'a indiqué M. Fisher.

Certains affirment parfois que les peines minimales obligatoires visent uniquement « les trafiquants de drogues » et non pas ceux qui en consomment. Cette distinction est toutefois artificielle. Ceux qui profitent vraiment du commerce des drogues, ceux qui font le trafic de drogues illégales en grosses quantités n'exercent pas eux-mêmes les activités visibles qu'exige le trafic de drogues et sont rarement capturés par les responsables de l'application de la loi.

Ce sont plutôt les personnes qui sont dépendantes des drogues, qui les distribuent dans la rue à petite échelle pour alimenter leur toxicomanie qui finissent le plus souvent par être inculpés de trafic de drogues et qui seraient le plus souvent visés par les peines minimales obligations associées au trafic de drogues.

Cette affirmation est confirmée par l'étude à long terme sur les consommateurs de drogues par injection de Vancouver que j'ai supervisée. Cette étude ciblait les toxicomanes de la rue les plus vulnérables de la ville. Vingt pour cent des personnes visées par l'enquête ont déclaré avoir vendu des drogues au cours des six mois précédents, habituellement à très petite échelle. De plus, les caractéristiques qui constituent des marqueurs d'une forte toxicomanie, comme la consommation intensive de drogues, étaient associées au trafic de drogues.

Les rôles qu'assumaient couramment les participants à l'étude pour ce qui est de la vente de drogues étaient des tâches visibles, de niveau inférieur et dangereuses, comme la vente directe dans la rue. La raison la plus couramment donnée pour expliquer la vente de drogues était la nécessité d'obtenir de l'argent soit pour alimenter une toxicomanie, soit pour rembourser des dettes reliées à la consommation de drogues.

En outre, les peines minimales obligatoires sont néfastes pour la santé publique. Les recherches indiquent que l'incarcération des consommateurs de drogues par injection est un facteur qui facilite la propagation du VIH au Canada. D'après une étude récente, le nombre des cas de VIH connus dans les prisons canadiennes a augmenté de 35 p. 100 sur une période de cinq ans. D'après une étude récente menée à Vancouver, l'incarcération multiplie par plus de deux les risques d'infection par le VIH des personnes qui consomment des drogues illégales.

De plus, il ressort d'une évaluation indépendante de cette étude que 21 p. 100 de tous les consommateurs de drogues par injection de Vancouver, qui sont affectés par le VIH, l'ont probablement acquis en prison. On croit que les peines minimales obligatoires ont pour effet de réduire les risques pour la population, mais l'augmentation de la prévalence du VIH chez les prisonniers qui seront éventuellement libérés dans la collectivité pourrait avoir pour effet de répandre l'infection du VIH. Ceci s'explique en partie par le fait que, malgré les efforts, la consommation de drogues illégales — y compris par injection — est répandue dans les prisons canadiennes. Une étude du SCC a constaté que près de 40 p. 100 des détenus dans les prisons fédérales ont déclaré avoir utilisé les drogues depuis leur arrivée dans leur établissement.

Dans un article publié dans la prestigieuse revue Addiction, en 2009, notre groupe a examiné l'arrêt sur une période de neuf ans de la consommation de drogues par injection chez les participants à l'étude sur les consommateurs de drogues par injection de Vancouver. Dans cette étude, l'incarcération était associée négativement avec l'arrêt de la consommation de drogues par injection. Ces données indiquent que l'incarcération n'a pas pour effet de réduire la consommation de drogues par ceux qui l'injectent, et que l'incarcération semble réduire l'accès aux mécanismes, tels que le traitement de la toxicomanie, ayant prouvé qu'ils favorisent la cessation de la consommation de drogues par injection parmi ce groupe de la population.

Existe-t-il une meilleure solution? Étant donné les preuves qui indiquent que le traitement est une mesure plus rentable que l'application de la loi, les décideurs devraient affecter les fonds consacrés aux mesures d'application de la loi, qui sont pour l'essentiel inefficaces, à des stratégies de traitement de la toxicomanie.

Bien que le projet de loi C-15 recommande la continuation des tribunaux de traitement de la toxicomanie, le résumé législatif correspondant au projet de loi présente tout à fait faussement les données scientifiques concernant ces programmes. Par exemple, les auteurs écrivent :

Le succès des TTT peut se manifester non seulement par une diminution marquée du comportement criminel des participants, mais encore par une réduction importante de l'usage des drogues.

Il est ironique de constater que cette affirmation s'appuie sur une référence à un document d'un programme pour la prévention du crime qui « n'est plus disponible ». Les auteurs citent également une méta-analyse non publiée du ministère de la Justice Canada. Toutefois, les recherches sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie qui ont fait l'objet d'un examen scientifique indépendant et ont été publiées dans les revues scientifiques de bonne réputation, donnent une image très différente de la situation.

Il existe trois évaluations des tribunaux de traitement de la toxicomanie fondées sur des essais aléatoires contrôlés — la norme universelle reconnue en matière d'évaluation de la recherche. Deux études — celles de Baltimore, aux États- Unis, et de New South Wales, en Australie — n'ont constaté aucun effet positif, y compris sur les taux d'activité criminelle, l'emploi, la moralité et la solidité des relations familiales et sociales. Une étude menée en Arizona, et ayant suscitée une importante controverse en raison des restrictions de sa méthodologie, a constaté un progrès faible, mais statistiquement significatif, sur le plan de la récidive.

Il est regrettable que les évaluations entreprises au Canada aient été particulièrement faibles sur le plan de la méthodologie et ne permettent pas de confirmer l'efficacité de ces tribunaux de traitement de la toxicomanie. À Vancouver, 10 p. 100 seulement des participants ont terminé ces programmes et aucune différence n'a été constatée entre les participants à ces programmes et le groupe de contrôle pour ce qui est des accusations pénales portées contre ces personnes après leur libération. L'évaluation n'a pas porté sur l'effet des programmes sur la consommation de drogues.

À Toronto, 15 p. 100 seulement des participants à ces programmes les ont achevés. Des diminutions semblables sur le plan du nombre des accusations pénales et des condamnations ont été constatées parmi les participants et les membres du groupe de contrôle. Cette étude n'a fourni aucune donnée relative à la consommation des drogues après le programme. Par conséquent, les évaluations des programmes judiciaires de lutte contre la toxicomanie effectuées au Canada n'ont pas démontré que ces programmes offraient la possibilité de réduire les taux de récidive et de consommation des drogues parmi les participants, ce qui a incité certains auteurs à conclure que ces interventions étaient simplement plus populaires qu'efficaces.

Les preuves scientifiques actuelles montrent que les peines minimales obligatoires vont simplement aggraver les méfaits sur la santé de l'incarcération, en augmentant la transmission de maladies infectieuses dans les prisons. Les dépenses publiques massives que peuvent entraîner les activités policières, les poursuites et l'incarcération des condamnés, ainsi que le traitement ultérieur des infections au VIH et les autres méfaits reliés à la consommation de drogues dans les prisons font des peines obligatoires une mesure extrêmement coûteuse et risquant fort d'avoir un effet contraire à celui souhaité. Les données scientifiques qui existent dans ce domaine sont convaincantes.

Elles démontrent que les mesures de rechange aux activités policières et à l'emprisonnement sont beaucoup plus efficaces pour ce qui est d'améliorer la santé et de réduire les coûts associés à la consommation de drogues illégales. Bien que le projet de loi vise à améliorer la sécurité des collectivités, je n'ai aucun doute qu'il n'y arrivera pas. C'est pourquoi il ne convient pas d'appuyer le projet de loi à l'étude.

La présidente : Merci, monsieur Kerr. Je vais vous demander ce que j'ai également demandé à M. Fischer. Vous avez cité plusieurs études. Nous avons des copies des deux études menées par le ministère de la Justice, mais après notre réunion, peut-être plus tard aujourd'hui, pourriez-vous transmettre à notre greffier les adresses Internet des autres études que vous avez mentionnées?

M. Kerr : Certainement.

Neil Boyd, professeur, Université Simon Fraser, à titre personnel : Je vous remercie de m'offrir l'occasion de vous parler ce matin.

J'aimerais traiter de certains articles du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. En guise d'introduction, je suis sûr que vous savez que deux de vos propres études empiriques réalisées par le ministère de la Justice critiquent les peines d'emprisonnement minimales obligatoires pour les crimes liés au trafic des drogues illicites. Le commentaire préparé pour ce projet de loi cite une étude de 2005 :

Il semblerait que les peines minimales ne constituent pas un outil efficace de détermination de la peine : en effet, elles limitent le pouvoir discrétionnaire des juges sans offrir d'avantages accrus sur le plan de la prévention de la criminalité.

L'autre étude, qui date de 2002, souligne que l'absence d'effet de dissuasion découle de la perte de pouvoir judiciaire discrétionnaire. Les procureurs et les policiers sont alors obligés d'exercer ce pouvoir discrétionnaire, choisissant souvent de ne pas déposer d'accusations contre une personne qui se verra automatiquement imposer une peine d'emprisonnement. En outre, un jury pourrait choisir d'acquitter une personne qui fait face à une peine d'emprisonnement automatique, lorsque cela lui paraît excessif et injuste.

J'aimerais examiner certains aspects particuliers du projet de loi C-15 et ses contradictions internes en vue de proposer des amendements pratiques que je juge essentiels pour assurer sa cohérence et qui contribueront à en améliorer la logique intrinsèque. Tout d'abord, laissez-moi débuter sur une note positive en soulignant que l'article 8, qui prévoit le dépôt obligatoire d'un rapport au Parlement au plus tard deux ans après la mise en application de la loi, est une initiative avisée. Je n'ai pas connaissance de données empiriques crédibles qui permettraient d'entrevoir des avantages susceptibles de compenser les coûts excessifs de cette mesure, de sorte que l'on peut être rassuré par la perspective que cette expérience de réforme plutôt irréfléchie en matière de détermination de la peine sera de courte durée.

La contradiction la plus sérieuse de ce projet de loi est le traitement relativement sévère qu'il prévoit pour la production de cannabis, en comparaison du traitement réservé au trafic ou à la possession en vue de faire le trafic d'héroïne, de cocaïne ou de cannabis. Ainsi, le paragraphe 5(3) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances doit être modifié afin d'imposer une peine minimale d'emprisonnement d'un an pour le trafic d'héroïne, de cocaïne ou de cannabis lorsque la personne reconnue coupable a commis l'infraction dans le cadre d'une organisation criminelle, au sens du paragraphe 467(1) du Code criminel; qu'elle a eu recours à la violence en commettant l'infraction; qu'elle portait ou a menacé d'utiliser une arme en commettant l'infraction, ou qu'elle a purgé une peine d'emprisonnement pour une infraction désignée liée à ces substances — habituellement le trafic ou l'importation d'une drogue illicite. Curieusement et de manière plutôt inconsistante, ces réserves ne s'appliquent pas à l'infraction prévue pour la production de marihuana à l'alinéa 3(1)b) du projet de loi C-15. Certes, la peine d'emprisonnement minimale est de six mois plutôt que d'un an dans ce cas, mais il est ironique de constater que les personnes qui font la distribution de drogues plus dangereuses soient traitées moins sévèrement que celles qui produisent une drogue moins dangereuse, le cannabis, sans égard à la quantité distribuée.

Je voudrais aborder deux points. Premièrement, je vous demanderais d'envisager sérieusement d'amender ou de supprimer la division 1(1)a)(i)(D) du projet de loi C-15, qui traite de l'imposition projetée d'une peine d'emprisonnement obligatoire d'un an lorsque la personne reconnue coupable d'avoir fait la distribution de drogues illicites a servi une peine d'emprisonnement pour une infraction similaire au cours des dix années précédentes. Prenons le cas d'un usager-trafiquant éprouvant des problèmes de toxicomanie et de santé mentale qui est reconnu coupable d'avoir vendu une petite quantité de cocaïne épurée à son entourage et qui a servi une courte peine d'emprisonnement pour cette infraction dans le passé. Est-ce le genre de personne que nous voulons écrouer pour au moins un an? Il semble assez évident que si vous laissez cet article inchangé, vous allez remplir nos prisons de centaines de personnes qui seraient mieux servies par tout un éventail de modes de traitement autres qu'une peine d'emprisonnement obligatoire. À tout le moins, vous pourriez préciser une peine d'emprisonnement antérieure minimale, peut-être d'un an, comme condition préalable, même si j'estime que la suppression de cette disposition constituerait une bien meilleure stratégie. Les autres réserves prévues — l'existence d'un réseau criminel organisé, le recours à la violence et la présence d'une arme — sont liées à des actes beaucoup plus flagrants.

L'incohérence la plus manifeste du projet de loi est le traitement beaucoup plus sévère qu'il prévoit pour la production de cannabis. Tel qu'indiqué ci-dessus, l'alinéa 3(1)b) du projet de loi C-15 imposera une peine minimale d'emprisonnement de six mois à toute personne ayant cultivé six plants ou plus, sans égard aux considérations relatives à la violence ou à la présence d'une arme ou d'un réseau criminel. Est-il besoin de dire que les producteurs de marihuana ne sont pas tous violents. En fait, les études publiées jusqu'à maintenant indiquent que cette industrie est loin d'être hiérarchisée et qu'elle englobe toute une variété de plantations sans liens les unes avec les autres. La majorité des producteurs ne recourent pas à la violence, ne portent pas d'armes et ne font pas partie d'une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.1(1) du Code criminel. Dans ces circonstances, le projet de loi C-15 aura malheureusement pour conséquence d'envoyer en prison annuellement des milliers de Canadiens qui ne menacent pas plus la trame sociale que ceux qui produisent, dans un cadre réglementé, des drogues telles que le tabac et l'alcool. En fait, si nous employons la morbidité comme critère, on peut dire avec assez de justesse que les producteurs d'alcool et de tabac causent beaucoup plus de tort dans nos collectivités, même en tenant compte des taux d'utilisation. Je suggère fortement que les réserves qui s'appliquent à la distribution d'héroïne, de cocaïne et de marihuana s'appliquent également à la production de cannabis, avant l'imposition d'une peine d'emprisonnement obligatoire.

Exprimé différemment, le projet de loi ne fait pas de distinction entre la culture de la marihuana et certains des actes extrêmes perpétrés par certains producteurs de marihuana : les risques pour la sécurité du public qu'engendrent le vol d'électricité, l'exposition des enfants à des résidus toxiques, la présence d'armes à feu dans les installations de culture et la mise en place de trappes pouvant être mortelles dans ces installations et à proximité. Bien qu'il convienne de dénoncer ce type de comportements dans le cadre de ce projet de loi, il est nettement exagéré de dénoncer toutes les formes de culture de la marihuana en leur réservant des peines minimales d'emprisonnement. Bien sûr, on peut faire valoir le même argument en ce qui a trait à la distribution de cannabis, mais là se trouve l'ironie. En vertu du projet de loi, les producteurs de cannabis seront traités plus sévèrement que les personnes qui en font la distribution, sans égard à la quantité en cause dans chaque cas. Cette incohérence semble pratiquement impossible à justifier.

Enfin, examinons la question du coût des peines d'emprisonnement minimales obligatoires prévues dans le projet de loi C-15. Je ferai porter mon propos sur la culture de la marihuana, bien que les producteurs de marihuana ne soient certes pas les seuls visés par l'effort financier requis des contribuables en vue de l'adoption de cette nouvelle loi. Mais heureusement, nous possédons de bonnes données sur ce point. Une étude de 2005 de la GRC portant sur tous les cas connus de culture de la marihuana en Colombie-Britannique entre 1997 et 2003 a révélé qu'il y a eu 14 483 cas dans la province durant cette période de sept ans, lesquels ont entraîné environ 3 500 condamnations et des peines d'emprisonnement d'une durée moyenne de 5 mois pour 60 personnes annuellement.

La nouvelle loi exigera une peine d'emprisonnement de six mois pour 3 000 autres Britanno-Colombiens ou, en d'autres termes, l'emprisonnement de 500 producteurs de marihuana supplémentaires chaque année en Colombie- Britannique. Le coût d'incarcération annuel atteint approximativement 57 000 dollars par détenu provincial, ce qui signifie un coût total de près de 30 millions de dollars annuellement pour les producteurs de marihuana. Ce changement signifiera que les producteurs de marihuana représenteront environ 20 p. 100 de tous les détenus de la province, contre moins de 5 p. 100 à l'heure actuelle.

Encore une fois, je reviens au point que j'ai soulevé plus tôt. Si les producteurs ou les trafiquants de marihuana, ou les trafiquants de cocaïne, d'héroïne et d'autres drogues illicites, se livrent à des actes de violence ou à des pratiques commerciales qui perturbent le fonctionnement de la société, on est en droit de dénoncer clairement et sans équivoque une telle conduite. Malheureusement, ce n'est pas ce que le projet de loi C-15 permettra, du moins pas sans un certain nombre d'amendements clés.

Je vous remercie de m'avoir accordé votre temps ce matin et je vous encourage fortement à envisager sérieusement les modifications proposées.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Boyd. Je vous demande aussi de bien vouloir nous indiquer où l'on peut trouver l'étude de la GRC dont vous avez parlé.

Le sénateur Wallace : Messieurs, je vous remercie pour vos présentations. Il semble y avoir une grande divergence entre vos propos et ceux des témoins qui vous ont précédé, plus particulièrement dans le cas du ministre de la Justice, M. Nicholson. Le fondement de vos arguments, qui sont présentés de manière très convaincante individuellement, montre une grande différence dans la façon d'aborder le sujet.

Pour cette raison, il sera peut-être difficile faire cadrer vos positions avec ma compréhension des principes sous- jacents du projet de loi C-15. Vous avez tous axé vos commentaires sur la consommation de drogues et les besoins de traitement, qui sont, de toute évidence, des enjeux importants. Cependant, si j'ai bien compris le fondement sous-jacent du projet de loi C-15, c'est qu'à titre de société, nous devons faire tout ce qui est possible pour lutter contre la prolifération de la consommation de drogues illégales au pays.

Le projet de loi C-15 repose sur l'hypothèse qu'il faut viser les personnes qui ont présentement des problèmes de consommation de drogues; mais je pense que nous devons, particulièrement en tant que parents et de grands-parents, penser à la génération actuelle et aux suivantes lorsque nous essayons de régler ces problèmes.

Je suis d'avis que plusieurs personnes — et je crois qu'il s'agit de la majorité au pays et certainement des personnes qui ont proposé le projet de loi C-15 — ne sont pas prêtes à accepter l'idée que la consommation de drogues est une activité qui doit être encouragée dans notre société. Cela étant dit, nous sommes conscients qu'il s'agit d'un enjeu délicat, qui n'est certainement pas propre aux Canadiens en particulier. Toutefois, selon ce principe de base, si le projet de loi C-15 et ses auteurs ne sont pas prêts à reconnaître la légalisation des drogues et à ce qu'elles deviennent acceptables dans notre société, cela nous place dans une position totalement opposée à la vôtre.

Ce que j'ai compris de votre opinion, c'est que nous devons accepter que les drogues sont une réalité et que les générations futures devront également l'accepter. Cette affirmation peut sembler naïve. Je comprends ce que nous devons faire dans notre société, et pour cette raison, il semble pratiquement impossible que nous puissions accepter vos opinions et même essayer de les réconcilier avec le projet de loi C-15.

J'aimerais entendre vos commentaires.

M. Boyd : Je ne sais pas par où commencer. Je ne crois pas qu'aucun d'entre nous ne pense qu'il faut encourager la consommation des drogues. Les hypothèses sous-jacentes au projet de loi C-15 devraient être assujetties à des vérifications scientifiques. Nous devrions aller de l'avant en fonction de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, et il est évident que le projet de loi C-15 ne permettra pas de réduire la consommation de drogues comme nous le voudrions, de réduire les infections au VIH et la mortalité causée par les surdoses. Rien de tout cela ne se produira, et je suis un peu étonné par vos commentaires et la simplicité, la naïveté et l'importance de votre mauvaise compréhension de ce projet de loi et l'absence d'examen éclairé des meilleures preuves disponibles.

Mes commentaires concernaient des modifications; ils ne visaient pas la légalisation des drogues. Je suis stupéfait par l'incroyable manque de logique de vos questions. Je dis cela avec respect, mais je suis très déçu.

Le sénateur Wallace : J'ai peut-être été trop général en m'adressant à vous trois. J'aurais pu parler aux professeurs Kerr et Fischer, car pour être juste envers vous, monsieur Boyd, le commentaire est peut-être vrai. Toutefois, je pense certainement que ce que j'ai dit peut en toute sécurité s'adresser à MM. Kerr et Fischer, et je ne m'en excuse pas.

M. Fischer : Je vais en profiter pour poursuivre la réponse initiale du professeur Boyd. J'aimerais respectueusement réfuter l'idée que l'un d'entre nous ait proposé d'encourager la consommation ou la légalisation des drogues. Aucun de ces termes n'a été utilisé ou sous-entendu dans nos commentaires. J'aimerais que cela soit très clair.

Sans vouloir vous contredire, nous vivons dans une société où la consommation de drogues est une réalité qui est encouragée. Il n'y a absolument aucune raison d'établir une différence du point de vue pharmacologique ou de la santé publique entre d'une part l'alcool et le tabac et d'autre part, par exemple, la consommation du cannabis. En fait, si j'étais en train d'élever des enfants et qu'ils me demandaient s'ils devaient commencer à consommer de l'alcool, du tabac ou du cannabis, je choisirais probablement ce dernier, et j'essaierai de les éloigner des premiers parce qu'ils sont beaucoup plus dangereux pour les personnes et les collectivités.

Ce que vous devez d'abord comprendre c'est que la consommation de drogues est une réalité dans la société canadienne et qu'une bonne politique devrait viser à réduire les risques et les dangers associés à cette réalité. Le projet de loi C-15 n'accomplira rien à cet égard. Même s'il permettait de supprimer demain l'offre de toutes les drogues illégales, vous seriez toujours confrontés à cette réalité et à tenter de résoudre les problèmes liés aux nombreuses personnes qui doivent consommer certains types de drogues ou qui en sont dépendantes. Ce projet de loi ne touche pas du tout ce problème.

Deuxièmement, vous représentez de nombreux citoyens canadiens qui choisissent de consommer quotidiennement des substances telles que le cannabis en tant qu'adultes consentants ou qui prennent librement des décisions à cet égard. Il est dépassé et naïf de penser que la consommation de drogues illégales est nécessairement mauvaise, diabolique et qu'elle entraîne des résultats néfastes. Même si notre loi définit les drogues illégales d'une façon primaire et très illogique, cela ne veut pas dire que toutes les formes de consommation de drogues sont dangereuses, anormales ou même criminelles.

Vous devez réaliser qu'il y a une demande pour certains types de drogues. Je pense que l'État doit d'une façon ou d'une autre trouver un moyen de composer avec cette réalité et d'éliminer la volatilité et les dangers des marchés de la drogue actuels.

Vous devez comprendre que cette loi de lutte contre les drogues, selon son libellé actuel, pénalisera davantage les petits consommateurs de drogues, les revendeurs et trafiquants de la rue, et qu'elle augmentera la sévérité des sentences qui sont imposées à ces personnes qui sont elles-mêmes toxicomanes et dont les problèmes de santé seront amplifiés plutôt que traités par une incarcération plus longue.

M. Kerr : Avec tout le respect possible, j'ai l'impression que si le message qui a été reçu est que nous déclarons que la consommation de drogues devrait être acceptée, il y a un énorme malentendu. Certainement, à titre de scientifique qui étudie les effets néfastes de la consommation des drogues illégales, et à titre de père de deux jeunes filles, je n'aimerais rien de mieux que de voir la consommation des drogues illégales complètement disparaître de notre société. Toutefois, je crois que lorsque nous investissons dans des politiques et des programmes visant cet objectif, nous devons le faire en fonction des meilleures données scientifiques disponibles.

Il est intéressant de remarquer que la plus grande expérience naturelle s'est probablement produite au sud de nos frontières, aux États-Unis, où cette approche a été mise en œuvre à grande échelle et abondamment étudiée. Les résultats de cette approche ont été des pratiques racistes et basées sur le sexe en matière de sentences et des prisons surpeuplées. Simultanément, l'Office of National Drug Control Policy, un organisme très conservateur favorable à l'incarcération et à l'application de la loi à titre de moyens privilégiés pour lutter contre la consommation de drogues, montre qu'en présence des peines minimales obligatoires, la consommation de drogue a augmenté tandis que le prix et la pureté de ces drogues ont diminué.

Ce que j'essaie vraiment de dire c'est que nous avons besoin de politiques et de programmes plus efficaces. Nous avons besoin de réduire la demande. De nombreuses preuves scientifiques montrent qu'il est possible de réduire efficacement la demande pour les drogues en mettant en œuvre des interventions de traitement et certaines approches de prévention basées sur les faits.

Les preuves scientifiques appuyant les peines minimales obligatoires n'existent pas. Vous avez dit qu'il est difficile d'établir un rapprochement avec l'opinion du ministre, et je peux comprendre pourquoi cela peut sembler être un problème. Toutefois, il suffit d'examiner le type de preuve citée par le ministre et le sommaire législatif publié à l'appui de ce document.

Bien que nous croyons que les expériences relatées par les chefs de police et les représentants des forces policières puissent avoir une certaine valeur, soyons très clairs : il ne s'agit pas d'études scientifiques. Les meilleures données qui ont été présentées pour appuyer ce projet de loi sont des opinions personnelles et des récits de ce genre. En fin de compte, je ne suis pas intéressé par des opinions personnelles. Je suis intéressé par les observations scientifiques — dérivées objectivement et rigoureusement de la science. Je pense que les données scientifiques sont claires. Notre argent serait beaucoup mieux dépensé en investissant dans une réduction de la demande basée sur des faits, notamment les traitements et la prévention.

Le sénateur Wallace : Je laisse tomber car nous allons manquer de temps. Ça va.

Le sénateur Campbell : Bonjour messieurs. Soyez à l'aise de me dire que je suis naïf.

Premièrement, en ce qui a trait à la grande différence d'opinions mentionnée par le sénateur Wallace, des données scientifiques évaluées par des pairs pourraient-elles nous aider? Je vais demander à M. Kerr de répondre.

M. Kerr : Très certainement. C'est exactement ce que j'essaie de faire comprendre. D'un côté, il y a une opinion personnelle, un récit offert à l'appui de ce type d'approche en matière d'imposition des peines. Pourtant, nous avons à notre disposition une grande quantité de données scientifiques sur l'expérience américaine et beaucoup d'observations exceptionnelles évaluées par des pairs qui montrent les effets très néfastes de cette approche sur la santé publique.

Si une approche purement factuelle avait été adoptée envers cet enjeu politique, il n'y aurait aucun débat académique. Je pense que c'est pour cette raison que lorsque nous observons la diversité des opinions exprimées ici, il y a d'un côté les scientifiques travaillant dans une vaste gamme de domaines — y compris la santé publique, la médecine, la criminologie et la loi — qui affirment une chose, c'est-à-dire que cette approche est dangereuse. De l'autre côté, il y a les représentants des forces policières qui, avec tout le respect que nous leur devons, ont parfois des expériences intéressantes à présenter, mais qui ne sont pas des scientifiques. Si nous étions en présence d'une décision reposant uniquement sur des données scientifiques rigoureusement évaluées par des pairs, je pense qu'il n'y aurait pas de débat.

Le sénateur Campbell : Monsieur Fischer, nous avons entendu hier le témoignage de M. Doucette, du Groupe de travail international sur la politique stratégique de lutte contre les stupéfiants, une organisation connue, non évaluée par les pairs. M. Doucette a expliqué que la méthode suédoise a connu de grands succès. Connaissez-vous cette méthode, monsieur Fischer?

M. Fischer : Je connais M. Doucette, qui a travaillé pendant longtemps à la GRC, et je connais également très bien le mythe du modèle suédois, souvent mentionné par les responsables de l'application de la loi comme la plus grande réussite en matière de politique de lutte contre les drogues axée sur la dissuasion. Beaucoup de mythes entourent ce modèle.

Si on examine les données en détail et rigoureusement, plutôt que les anecdotes sélectives, on constate que premièrement, l'environnement de consommation des drogues en Suède, la culture de la drogue, est entièrement différent. L'approche ne peut être comparée aux situations vécues au Canada et en Amérique du Nord.

En fait, la Suède a connu de nombreux problèmes liés aux drogues. Ils se sont seulement manifestés différemment. En général, les données ne sont pas rigoureuses ou elles ne peuvent pas être comparées. Ce mythe ne repose pas sur des données scientifiques et il doit être écarté. Je sais que les représentants de la loi aiment le citer en exemple, mais en fait, il est complètement inutile dans le cas présent.

Le sénateur Campbell : Voici une citation directe de M. Doucette :

Au Canada, nous avons été influencés par le mouvement international de réduction des préjudices qui veut nous faire croire que les lois antidrogue causent plus de préjudices que les drogues elles-mêmes. Cette croyance semble avoir atteint les juges qui se sont mis à imposer des peines de plus en plus clémentes.

Monsieur Boyd, avez-vous un commentaire à formuler à ce sujet?

M. Boyd : Je ne pense pas que les juges font preuve d'une indulgence particulière au moment de prononcer une peine. Si vous examinez ce qui se passait auparavant, vous verrez que les modèles utilisés pour déterminer les peines ont commencé à être modifiés dès 1970. Jusqu'à ce moment, la réponse dominante était généralement ferme, et 70 p. 100 de toutes les personnes reconnues coupables de possession de marihuana étaient condamnées à une peine de prison, tandis que dans le cas de l'héroïne et de la cocaïne, 80 à 90 p. 100 des coupables étaient incarcérés.

En réponse à cette approche de fermeté, la consommation des drogues illégales s'est accrue. Il s'agit d'une preuve percutante qui suggère que l'ampleur de la consommation actuelle n'est pas liée aux pénalités imposées par la justice. Le système judiciaire jongle avec ce problème depuis 30 ans : s'agit-il d'un problème de santé publique ou d'un problème de droit pénal à caractère moral?

Le principe de base du projet de loi C-15 est que tous les types de toxicomanie ou de consommation de drogue sont délibérés. Ici encore, les meilleures données scientifiques n'appuient pas cette thèse. Comme je l'ai déjà dit, mes suggestions cherchent plutôt à éliminer certains des points les plus incohérents de ce projet de loi.

Par conséquent, même si vous êtes un fervent partisan de l'approche prohibitive, vous ne seriez pas aux prises avec une loi ayant des contradictions internes, qui impose des peines d'une manière impossible à justifier.

Le sénateur Banks : Je vais poser quatre questions rapides et demander à chacun d'entre vous d'y répondre. Vous pourrez probablement répondre par oui ou non.

Avez-vous pris connaissance des conclusions du Comité spécial sur les drogues illicites, et dans l'affirmative, êtes- vous généralement d'accord avec celles-ci?

Deuxièmement, je suppose vous avez étudié ces questions à l'interne. Avez-vous entendu parler, présenté ou observé des preuves de la réussite de la prohibition?

Troisièmement, avez-vous entendu parler, présenté ou observé des preuves, n'importe où, dans n'importe quel pays, que de longues peines d'incarcération ont permis, n'importe où au monde, de réduire les taux de criminalité?

Quatrièmement, avez-vous déjà vu des preuves que la « guerre contre la drogue », peu importe où elle s'est déroulée, fut couronnée de succès?

Pour citer un exemple, je vais mentionner la Malaisie. Lorsque vous descendez d'un avion à l'aéroport de Kuala Lumpur, il y a une affiche de sept pieds montrant la silhouette d'un homme pendu à une potence. Cette affiche informe les voyageurs que la sanction liée à l'importation de drogues en Malaisie est la mort. C'est très simple et sans équivoque.

Savez-vous si cela a permis éliminer le problème des drogues illégales en Malaisie?

M. Boyd : J'ai lu le rapport du comité du Sénat sur les drogues illicites et je suis généralement d'accord avec celui-ci. Certaines réalités politiques pourraient faire l'objet de discussions relativement au côté pratique de quelques suggestions qui y sont présentées. Il s'agit toutefois d'un document intelligemment écrit qui essayait à la fois de tenir compte des intérêts des États-Unis et de soutenir qu'un modèle très différent serait préférable.

En ce qui a trait à la réussite possible de la prohibition, je pense que nous avons connu un énorme succès dans le domaine de la réglementation du tabac. Il faut clairement comprendre qu'il existe des moyens de contrôler les drogues. Je ne pense pas que nous devons permettre la promotion des drogues. Souvenez-vous des publicités des années 1950 : « Les médecins fument des Camels plus que toutes les autres cigarettes », « La pause cigarette, la pause qui rafraîchit ».

Même si je pense que la prohibition criminelle est un échec, je crois fermement en la réglementation. Les règlements sont accompagnés de sanctions pénales. Autrement dit, vous ne pouvez pas installer un alambic dans votre cour et vendre de la vodka; cela ne doit pas être autorisé. Bien sûr, lorsque viendra le temps de réglementer les drogues illicites dans le futur, le droit criminel serait toujours présent.

Je ne crois pas que l'interdiction de la consommation individuelle de drogues illégales soit productive, mais je crois en un cadre de réglementation accompagné du mordant associé au droit criminel.

En ce qui a trait aux sanctions et aux taux de criminalité, je pense que certains types de sanctions pourraient être mis en place et avoir une incidence sur les taux de criminalité. Dans ce contexte précis, et pour les motifs exposés auparavant par M. Kerr, je ne pense pas qu'ils sont efficaces. Je ne pense pas qu'ils ont ce genre d'impact. Même les études menées par le ministère de la Justice montrent assez clairement que les délits liés aux drogues sont peut-être les moins justiciables par les peines minimales obligatoires.

Enfin, en ce qui a trait au succès de la guerre contre les drogues, je pense que c'est une métaphore absurde. Il n'est pas question d'une guerre contre les drogues, il s'agit d'une guerre contre certaines drogues, et même pas contre les drogues les plus dangereuses. Le tabac est associé à une morbidité la plus élevée et nous ne lui déclarons pas la guerre. En fait, en ne lui déclarant pas la guerre et en favorisant la défense des droits des non-fumeurs et une éducation énergique en santé publique, nous avons réduit le nombre de fumeurs de cigarettes au Canada de 55 p. 100 en 1965 à environ 20 p. 100 aujourd'hui. Dans le domaine des drogues illégales, l'approche prohibitive nous a poussés dans la direction opposée.

M. Kerr : Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je suis entièrement d'accord avec tout ce que le professeur Boyd a dit. J'aimerais aussi souligner que je pense que les possibilités offertes par la réglementation n'ont pas été entièrement exploitées. En outre, il est certain que les cadres réglementaires les plus intéressants comporteraient des interdictions.

L'exemple de la Malaisie est un très bon exemple. Même devant une menace de mort, les gens continuent à consommer des drogues. Cela démontre la faille importante dans le raisonnement à la base de ce projet de loi, selon lequel nous pouvons imposer ce type de menace et espérer raisonnablement une diminution de la consommation des drogues; que d'une certaine façon cela sera un véritable désincitatif dont les consommateurs tiendront sérieusement compte pour finalement modifier leur comportement.

En réalité, une énorme quantité de données scientifiques montre que cela n'est pas le cas. Si c'était vrai, je serais probablement en faveur de cette initiative parce que, je le répète, mon intention n'est pas d'accepter simplement la consommation des drogues ni de l'encourager. Je serais heureux d'appuyer une mesure qui permettrait de les éliminer et de rendre nos communautés plus sûres pour tous, y compris mes propres enfants. Toutefois, je connais profondément la littérature scientifique qui démontre qu'il existe des approches efficaces, notamment le traitement de la toxicomanie, et de nouveau certaines stratégies de prévention, et que c'est vraiment dans ces domaines que nous devrions investir notre temps et notre énergie, et non dans les interventions qui ont déjà prouvé leur inefficacité. Ces mesures sont tellement inefficaces qu'elles sont maintenant abrogées partout aux États-Unis où elles jouissaient pourtant d'un important soutien politique et public.

M. Fischer : À titre de spécialiste en santé publique, je vais faire une déclaration principale en réponse à vos questions. En passant, mes réponses catégoriques sont : « oui », « non », « non » et « non », aux quatre questions oui- non posées.

Je vous invite à laisser tomber la représentation simpliste et catégorique du problème des drogues selon laquelle il s'agit d'une espèce d'entité homogène qui doit, ou peut, être combattue par une dissuasion accrue. Le problème de drogue dont nous parlons est un phénomène très hétérogène. Il vise un groupe hétérogène de drogues qui résulte en fait plus d'accidents juridiques et de politiques de racisme que de la santé publique ou de la pharmacologie raisonnable ou rationnelle.

Vous devez envisager la consommation de drogues comme un phénomène différentié. Premièrement, un grand nombre de personnes au Canada choisissent la consommation dont nous parlons aujourd'hui, de manière volontaire ou intentionnelle. L'exemple des adultes qui consomment du cannabis à des fins récréatives en est un bon exemple.

Deuxièmement, un grand nombre de toxicomanes sont en fait des malades. Ces personnes sont malades, tout comme d'autres souffrent de diabète, d'obésité ou d'autres maladies. Nous devons leur offrir des soins — des soins de santé ou des traitements dans certains cas — mais certainement pas des punitions. On ne peut pas punir la maladie. On ne peut pas dissuader la maladie. Pour neutraliser les formes néfastes de la consommation de drogues, nous avons besoin d'une prévention adéquate et du genre d'interventions mentionnées par M. Kerr. Rien de tout cela n'est aidé ou favorisé par le projet de loi C-15. Le projet de loi C-15 traite le problème comme un phénomène diabolique pouvant être éliminé en augmentant la sévérité des peines et la dissuasion. Cette hypothèse est absolument sans fondement.

Le sénateur Milne : Puisqu'il semble que nous sommes engagés dans une nouvelle tendance de faire des déclarations plutôt que de poser des questions, je vais commencer par ma propre déclaration.

Il me semble que l'objectif visé par ce projet de loi est d'éliminer les trafiquants, les producteurs et les importateurs de drogues qui travaillent à grande échelle. Il me semble également que l'effet véritable de ce projet de loi sera, en dépit de son objectif, d'arrêter tous les petits consommateurs de la rue, les toxicomanes, les petits revendeurs qui fournissent de la drogue à leurs amis afin de se procurer leur prochaine dose. Le résultat de ce projet de loi sera de mettre ces personnes sous les verrous et de jeter la clé. Cela me préoccupe beaucoup.

Monsieur Boyd, vous avez indiqué que le projet de loi entraînerait une augmentation de 15 p. 100 des prisonniers coupables d'avoir cultivé de la marihuana. Vous dites que les producteurs ne sont pas tous violents; que l'industrie n'est pas hiérarchisée; et qu'elle englobe toute une variété de plantations sans liens les unes avec les autres. Selon vous, quelles seront les conséquences sur la production de marihuana au Canada, c'est-à-dire, en l'absence de ces producteurs non violents et sans liens les uns avec les autres qui seront incarcérés? Pensez-vous que cela offrira de plus grandes possibilités de contrôle du marché au crime organisé?

M. Boyd : C'est certainement une possibilité. Des éléments du crime organisé sont déjà en place dans ce marché. C'est seulement qu'il s'agit d'un énorme marché. Il n'est pas hiérarchisé.

Vous avez commencé par une déclaration intéressante, c'est-à-dire que le projet de loi vise à nous débarrasser des trafiquants de drogue à grande échelle. En outre, si on examine attentivement les réserves prévues pour le trafic de drogues à l'article 1, ces réserves visent naturellement les actes flagrants commis par les réseaux criminels organisés, les menaces et la présence d'une arme.

Le problème, c'est que cette stratégie n'a pas été appliquée uniformément à tous les articles du projet de loi, particulièrement à l'égard de la production de cannabis, et aussi en ce qui a trait à la disposition selon laquelle une personne ayant purgé une peine d'emprisonnement relativement à une infraction désignée au cours des dix dernières années est automatiquement passible d'une peine d'emprisonnement d'un an. Nous avons entendu ce que M. Kerr a dit à propos des peines d'emprisonnement, qu'elles n'aident absolument pas les toxicomanes. En fait, elles empirent leur état.

Vous pouvez laisser le projet de loi intact. Mettez l'accent sur les actes flagrants. Je suppose que les sénateurs conservateurs membres du comité admettront qu'ils se soucient des toxicomanes; qu'ils veulent aider les personnes qui ont des dépendances. Ils sont préoccupés par les actes violents flagrants, alors le projet de loi doit être modifié de façon à cibler les personnes qui commettent ces actes. Présentement, ce n'est pas ce qui se produit. Il englobe un public beaucoup plus large que celui visé.

M. Kerr : Vous avez commencé votre déclaration en disant que l'objectif du projet de loi était nous débarrasser des trafiquants de drogues à grande échelle et vous admettez que ce n'est probablement pas ce qui se produira. Dans le même ordre d'idées de M. Boyd qui propose d'apporter des modifications, j'aimerais en proposer une autre.

Je suis préoccupé par le fait que la modification définit une « organisation criminelle » comme étant un groupe composé d'au moins trois personnes dont un des objets principaux est de commettre une infraction grave pour se procurer un avantage matériel.

Dans notre étude sur la participation des consommateurs par injection de la rue à la vente des drogues illégales dans quartier Downtown Eastside de Vancouver, nous avons découvert que les revendeurs de drogue, qui sont également toxicomanes, travaillent généralement dans le cadre d'un système regroupant trois personnes. La première personne, habituellement une femme, dirige les acheteurs vers un revendeur. Le revendeur envoie ensuite l'acheteur à une autre personne qui recueille son argent. Il y a ensuite une quatrième personne qui est en possession de la drogue à vendre. Nous avons un racoleur, un revendeur, un détenteur et celui qui reçoit l'argent. Cela fait quatre personnes. Ces quatre personnes sont habituellement de grands toxicomanes de la rue. Les importateurs ou les trafiquants à grande échelle n'assument pas ces rôles. Ces rôles sont occupés par des personnes ayant des dépendances, de grands toxicomanes. Le système de vente de drogue dans les rues exige au moins la participation de trois personnes, mais dans le plus souvent il y en a quatre, ce qui répond à la définition d'une organisation criminelle dans le projet de loi.

Le sénateur Milne : Vous êtes vraiment en train de renforcer mes préoccupations envers ce projet de loi, monsieur Kerr.

Vous avez travaillé beaucoup avec Insite, je crois que c'est encore l'unique programme d'injection supervisée au Canada. Savez-vous que le gouvernement tente de supprimer l'exemption à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui permet à Insite de fonctionner? Elle avait été accordée en 2003. Pourriez-vous décrire quels seraient les impacts dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver?

M. Kerr : Oui, je sais qu'un cas a été étudié par la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui a accordé à Insite une immunité constitutionnelle à l'application des lois canadiennes sur le contrôle des drogues qui a permis à Insite de poursuivre ses activités sans l'exemption. À ce moment, le ministre de la Santé, Tony Clement, avait annoncé trois jours plus tard qu'il demanderait au ministre de la Justice de porter cette décision en appel. L'appel a été entendu et nous attendons la décision.

Il est ironique que le projet de loi C-15 demande la mise en œuvre générale des tribunaux de traitement de la toxicomanie dont le bien-fondé n'est appuyé par aucune donnée scientifique, alors qu'Insite est appuyé par au moins 30 études évaluées par des pairs menées non seulement par notre groupe, mais également par le groupe du professeur Boyd, des personnes de l'Université de Toronto et des États-Unis.

À titre de groupe de scientifiques, nous avons annoncé lors de la conférence internationale sur le sida, tenue à Toronto en 2006, que selon les données scientifiques disponibles, il est clair que la fermeture d'Insite entraînera probablement une augmentation des désordres publics en raison du retour aux niveaux historiques de consommation de drogues par injection en public qui ont été réduits grâce à Insite. En éliminant l'effet préventif d'Insite, confirmé dans des publications évaluées par des pairs, les surdoses mortelles seront plus nombreuses. En outre, nous avons publié une étude dans le New England Journal of Medicine et dans la revue Addiction qui montre qu'Insite a permis d'augmenter les taux de détoxification de plus de 30 p. 100 et d'augmenter les taux de fréquentation des autres programmes de traitement de la toxicomanie. Par conséquent, la suppression de ce programme entraînera une réduction de la fréquentation des programmes de traitement de la toxicomanie, en particulier la détoxification.

Nous considérons que la fermeture de ce programme va à l'encontre des preuves scientifiques. Il s'agirait d'un geste principalement motivé par des intérêts politiques et idéologiques, et non par des preuves scientifiques.

Le sénateur Milne : Je vous remercie beaucoup pour votre réponse monsieur Kerr, et j'aimerais vous féliciter pour le travail que vous avez accompli à Insite.

M. Kerr : Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais parler en français. Je ne sais pas s'il y a un système de traduction en vidéoconférence. Je me demande si les gens À Vancouver entendent la traduction.

La présidente : Est-ce que vous entendez la traduction à Vancouver? C'est bon.

Le sénateur Carignan : Je suis content qu'ils entendent la traduction, d'autant plus que je vais faire une introduction pour exprimer un peu des regrets de certains propos qui ont été tenus tout à l'heure.

Je ne suis au Sénat que depuis deux mois. J'ai entendu plusieurs témoignages lors de réunions de comités. Je trouve regrettable que certains propos irréfléchis puissent parfois manquer de respect envers les témoins ou envers les membres du comité. Les personnes ici présentes travaillent très fort. Les points de vue diffèrent parfois. Toutefois, ils demeurent logiques, rationnels et valent la peine d'être entendus.

Dans un premier temps, je tiens à exprimer mon désaccord vis-à-vis certains propos irrespectueux qui furent tenus. Il faudrait éviter que cela ne se reproduise. Dans un tel cas, la présidente devrait intervenir rapidement afin que ces propos soient retirés.

Dans un deuxième temps, je crois que le débat dévie du projet de loi C-15 pour aller plutôt traiter d'enjeux tels la légalité de certaines drogues. Ce n'est pas la question qui est devant nous aujourd'hui. Ces drogues sont illégales.

Nous avons reçu plusieurs informations sur les impacts du projet de loi C-15. À mon avis, le débat doit se préciser. Le Dr Boyd a émis des idées très précises sur le texte du projet de loi C-15. Il a soulevé des éléments très pertinents. À mon avis, le débat devrait se limiter davantage au texte du projet de loi.

On parle beaucoup de ce que le projet de loi fait ou ne fait pas. Nous avons entendu hier des témoins de Santé Canada. Ceux-ci nous ont parlé de la Stratégie nationale antidrogue lancée en octobre 2007, dans laquelle on présente le projet de loi C-15 comme une stratégie beaucoup plus complexe et élaborée qu'un simple projet de loi ayant un effet dissuasif. Le débat s'est concentré sur ce que le projet de loi C-15 accomplit et également sur la Stratégie nationale de prévention antidrogue.

Avez-vous pris connaissance du plan d'action inclus dans la Stratégie nationale antidrogue? Dans l'affirmative, pensez-vous que l'élément dissuasif de la législation peut faire partie de la stratégie ou devrait-il tout simplement être retiré? Dans un tel cas, pour quelle raison devrait-il être retiré?

[Traduction]

M. Boyd : Nous avons essayé d'établir clairement que nous ne croyons pas à la légalisation des drogues. Nous croyons à des cadres réglementaires qui s'appliqueraient différemment à chaque drogue, selon les risques auxquels nous sommes exposés et les conséquences pour les consommateurs de ces drogues ou les personnes qui y ont développé une dépendance. J'ai essayé d'être très précis au sujet du projet de loi C-15 et des modifications qui pourraient être apportées afin que de le rendre plus efficace à l'égard des actes flagrants qui nous préoccupent tous — la violence associée au marché de la drogue.

Vous avez demandé quels sont les effets dissuasifs du projet de loi. Les meilleures données scientifiques disponibles indiquent qu'il n'aura aucun effet dissuasif. Vous pouvez étudier un nombre indéfini d'articles empiriques publiés aux États-Unis et vous constaterez que les peines minimales obligatoires, plus spécialement dans les cas liés aux drogues, ont été un échec colossal. Je vous suggère fortement de consulter deux bases de données : la Criminal Justice Abstracts ou la National Criminal Justice Reference Service, et d'effectuer une recherche sur les peines minimales obligatoires. Vous obtiendrez plusieurs articles et vous pourrez prendre connaissance des méthodologies qui sont utilisées. Il vous sera difficile de conclure que les peines minimales obligatoires dans les cas liés aux drogues permettront d'obtenir la sécurité sociale recherchée ou d'améliorer la santé des personnes souffrant actuellement de toxicomanie.

M. Fischer : On ne peut pas vraiment parler de la Stratégie nationale antidrogue comme une approche politique globale envers le problème de la consommation des drogues au Canada. Il s'agit surtout d'un modèle composé de quelques fragments d'intervention politique. Nous devons tenir compte de ce qui se passe quotidiennement dans les rues et en première ligne au moment de définir les interventions relatives au problème de la drogue ou axées vers les consommateurs et l'offre. Elle concerne surtout d'application de la loi, l'élément qui entraîne plusieurs des conséquences que nous avons décrites aujourd'hui. La Stratégie encourage l'application de la loi et la prévention.

La Stratégie nationale antidrogue suppose que le problème de la drogue peut être réglé par la prévention ou l'application de la loi. Elle ne tient pas compte des réalités que nous avons décrites, c'est-à-dire par exemple, que chaque jour, deux millions de Canadiens choisissent librement de consommer du cannabis à des fins récréatives. En outre, la Stratégie nationale antidrogue, dans sa forme actuelle, ne contient aucune des mesures essentielles requises dans le domaine de la santé publique pour prévenir les infections au VIH ou l'hépatite C chez les consommateurs de drogues par injection ou des mesures pragmatiques pour prévenir les décès par surdoses, qui se produisent quotidiennement dans les villes canadiennes. La stratégie antidrogue est un instrument très visible sous certains aspects qui néglige plusieurs des réalités clés de la politique sur les drogues que l'on trouve au Canada.

Je répète qu'aucun d'entre nous n'accepte ou n'encourage d'aucune façon la légalisation de ces drogues. Je ne comprends pas très bien d'où vient ce malentendu. Le professeur Boyd a parlé en détail de notre position générale en ce qui a trait à notre appui à un cadre réglementaire orienté vers la santé publique.

Le sénateur Joyal : Ma réaction initiale au projet de loi C- 15 a été exprimée dans le mémoire présenté hier par M. Doucette, vice-président du Réseau canadien de prévention de la toxicomanie et ancien agent de la Gendarmerie royale du Canada qui a mené des enquêtes dans des affaires liées aux drogues. Je vais citer le dernier paragraphe de la première page de son mémoire, qui dit :

Une enquête nationale sur le système de justice menée en 2007 est venue confirmer mon impression que l'augmentation des infractions liées à la drogue est liée à la trop grande clémence des tribunaux.

Il faisait référence à l'article intitulé « Canadians concerned about sentencing », rédigé par Don Butler et publié dans le Ottawa Citizen du 24 novembre 2007.

J'ai l'impression que le projet de loi C-15 vise à légiférer cette impression. Selon M. Doucette, les personnes sur le terrain ont l'impression que les peines sont trop clémentes. Si les Canadiens veulent des peines plus sévères, donnons- leur des peines plus sévères et ils seront rassurés que des peines plus sévères augmenteront leur sécurité.

L'argument corolaire qui nous a été transmis par le ministre est qu'il faut les mettre en prison. Lorsqu'ils sont incarcérés, les rues sont propres et nous dormons plus en sécurité. Voilà les autres arguments qui découlent de cette impression.

Que répondriez-vous à cette initiative en fonction de cette impression?

M. Boyd : La politique publique doit reposer sur autre chose que des impressions. Par exemple, il y a des gens qui ne veulent pas se faire vacciner contre la grippe H1N1 parce qu'ils ont « l'impression » que le vaccin contient des niveaux de mercure qui pourraient les tuer. Certaines personnes ne veulent pas faire vacciner leurs enfants parce qu'elles perçoivent des risques terribles.

Je ne suis pas tellement intéressé aux perceptions car je travaille dans les sciences. M. Doucette n'est pas un professeur, comme vous l'avez sous-entendu dans votre commentaire; c'est un ancien membre de la GRC ayant un intérêt pour la prohibition des drogues, la prohibition criminelle.

J'aimerais que nous élaborions une politique qui repose sur les meilleures preuves et données scientifiques qui sont disponibles. Comme M. Kerr l'a déjà mentionné, si les meilleures données scientifiques montraient que le projet de loi C-15 réduirait les désordres liés aux drogues, la consommation problématique et tout ce que les gens pensent qu'il fera, je l'appuierais. Je ne suis pas un partisan de l'héroïne ou de la cocaïne.

Le problème n'est pas, comme certains critiques le décriraient, d'encourager la consommation des drogues. Il s'agit plutôt de déterminer les stratégies qui permettraient de réduire la morbidité et les problèmes liés aux drogues et de rendre nos rues plus sûres. Nous sommes d'accord avec ces objectifs. Je crois que nos politiques ne devraient pas reposer sur des impressions, mais sur la réalité.

Le sénateur Joyal : Je vais maintenant m'adresser à M. Kerr.

Nous avons une étude, menée par la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice, intitulée : Les tribunaux de traitement de la toxicomanie : méta-analyse. Ont-ils un effet positif sur les taux de récidive? Elle a été publiée en août 2006.

Permettez-moi de citer le dernier paragraphe de la conclusion. Il s'agit de la conclusion; cela n'est pas caché à quelque part dans le texte. Elle dit :

Bien que d'autres questions n'aient pas été abordées dans le cadre de cette recherche, telles que le rapport coût- efficacité des TTT, les résultats de la présente méta-analyse, qui incorpore des données sur plus de 17 000 délinquants regroupés dans 66 programmes, apportent un appui clair aux tribunaux de traitement de la toxicomanie comme mécanisme pour réduire le niveau d'activité criminelle des délinquants qui ont des problèmes de toxicomanie.

Monsieur Kerr, à la dernière page de votre mémoire, votre conclusion à l'égard des tribunaux de traitement de la toxicomanie est la suivante :

Par conséquent, les évaluations des programmes judiciaires de lutte contre la toxicomanie effectuées au Canada n'ont pas démontré que ces programmes offraient la possibilité de réduire les taux de récidive et de consommation des drogues parmi les participants.

Sur quelle opinion dois-je fonder ma décision, la vôtre ou celle du ministère de la Justice du Canada? Vous connaissez probablement l'analyse que je vous montre présentement, qui a été publiée en 2006.

M. Kerr : Premièrement, il s'agit d'un rapport gouvernemental qui n'a jamais fait l'objet d'un examen scientifique indépendant. Dans la communauté scientifique, la façon d'établir le bien-fondé d'une étude scientifique est de la soumettre à un examen scientifique indépendant et de la publier dans une revue évaluée par des pairs.

Un grand nombre d'études ont passé l'examen scientifique indépendant et ont été publiées dans des revues évaluées par les pairs, contrairement à celle que vous m'avez montrée il y a une minute. Ces études, qui collectivement l'emportent de loin sur celle que vous avez citée, démontrent des faits complètement différents.

Une partie du problème de cette étude est qu'il s'agit d'une méta-analyse qui englobe les conclusions de 66 évaluations sans tenir compte des enjeux liés au contrôle de la qualité — les contraintes méthodologiques diverses associées à ces études, qui sont très nombreuses.

Comme je l'ai dit dans mon témoignage, seulement trois évaluations répondent à ce que je considère la norme universelle reconnue en matière d'évaluation fondée sur des essais aléatoires contrôlés de ce type de programme. Deux de ces études montrent une absence totale d'avantages.

Je souligne également que même si cette méta-analyse porte sur 66 évaluations, il n'y a eu que deux évaluations réalisées au Canada concernant les tribunaux de traitement de la toxicomanie, et j'ai partagé leurs conclusions avec vous. Elles ne montrent aucun avantage, bien que je suppose que M. Fischer aura des détails à ajouter, car il est un spécialiste dans ce domaine.

M. Fischer : Premièrement, comme M. Kerr l'a souligné, il s'agit d'un rapport gouvernemental. Avec tout le respect possible, bien que je sois certain que ses auteurs aient travaillé très fort et avec soin, il n'a pas fait l'objet d'un examen scientifique par les pairs. Par conséquent, il n'a pas été vérifié à l'aide des normes scientifiques pertinentes les plus élevées pour confirmer la qualité de déclarations du genre.

Deuxième, j'aimerais établir clairement que la qualité des données scientifiques obtenues au cours des 10 à 20 dernières années au sujet des tribunaux de traitement de la toxicomanie varient énormément. Malheureusement, la grande majorité de ces études ont des lacunes et d'importants problèmes au plan de la méthodologie.

Malheureusement, c'est également le cas des études canadiennes actuellement disponibles sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie. Ces études comportent plusieurs problèmes au plan de la méthodologie, ce qui est également probablement la raison pour laquelle aucune n'a été publiée dans des revues scientifiques réputées et de qualité.

Je voudrais préciser que les tribunaux de traitement de la toxicomanie au Canada sont parmi les interventions les plus politiques que j'ai vues depuis plusieurs décennies. À ce moment, le ministre de la Justice avait déclaré que les tribunaux de traitement de la toxicomanie étaient une réussite et une intervention très efficace, avant même qu'une seule donnée scientifique ne soit disponible, ce qui semble être une séquence d'événements un peu étrange. Je crois que ces déclarations ont été faites il y a 10 ans.

Depuis ce temps, les tribunaux de traitement de la toxicomanie se sont multipliés au Canada. Toutefois, comme M. Kerr l'a résumé, les preuves à cet égard, ainsi que les examens internationaux menés par les pairs, ne nous permettent pas de conclure que ces interventions sont supérieures aux autres formes d'intervention. Par exemple, les traitements systématiques ou de haute qualité ne sont pas plus efficaces que les interventions traditionnelles, lorsqu'elles sont réalisées de manière appropriée.

Mon opinion personnelle est que les tribunaux de traitement de la toxicomanie sont plus une intervention politique qu'une intervention thérapeutique efficace comme celles dont nous disposons sous d'autres formes.

La présidente : Monsieur Boyd, dans les intéressants calculs que vous nous avez fournis sur les conséquences du projet de loi sur le système carcéral provincial, vous prévoyez une augmentation totale annuelle d'environ 30 millions de dollars pour les coûts d'emprisonnement des producteurs de marihuana. Je suppose que vous avez obtenu ce chiffre en considérant une peine d'emprisonnement moyenne d'un an pour ces personnes. C'est-à-dire que certains producteurs seraient condamnés à une peine de six mois et d'autres à une peine de 18 mois. Est-ce que j'ai raison?

M. Boyd : Oui, vous avez raison. Plusieurs variables peuvent avoir une incidence sur ce montant. Il pourrait y avoir un pouvoir discrétionnaire de poursuivre dans l'adoption du projet de loi C-15, ce qui pourrait réduire le nombre de poursuites. D'un autre côté, il est difficile de faire des prévisions. Il y avait 14 000 cas. S'il y avait 1 000 condamnations par année au lieu de 500, les coûts seraient beaucoup plus élevés.

Vous avez entièrement raison de penser que ce montant repose sur une année plutôt que sur six mois. Comme je l'ai déjà dit, plusieurs variables influenceront le coût final du projet de loi C-15 relativement aux producteurs de cannabis. Une personne peut utiliser six mois pour obtenir un autre montant, ou des périodes plus ou moins longues.

La présidente : Je vous remercie infiniment. Nous nous excusons pour les difficultés techniques éprouvées au départ. Nous vous sommes reconnaissants pour l'aide que vous nous avez apportée dans notre examen de ce projet de loi.

[Français]

La présidente : Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Nous avons le grand plaisir d'accueillir de nouveau chez nous M. Don Head, commissaire au Service correctionnel du Canada. Cela ne fait pas très longtemps qu'il était ici pour témoigner au sujet d'un autre projet de loi. Bienvenue chez nous.

[Traduction]

Vous êtes en train de devenir un visage familier à cette table, et nous sommes heureux de vous revoir, monsieur Head. Je pense que vous avez une déclaration préliminaire à faire avant que nous passions aux questions.

Don Head, commissaire, Service correctionnel du Canada : Bonjour. Je vous remercie de me permettre de m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis heureux d'être parmi vous pour répondre à toutes les questions que vous vous posez au sujet de la position du Service correctionnel du Canada concernant la mise en œuvre du projet de loi C-15. Comme je vous l'ai mentionné lors de mon témoignage précédent, au mois de septembre, j'occupe le poste de commissaire du Service correctionnel du Canada depuis juin 2008.

Comme vous le savez, les peines minimales obligatoires pourraient se traduire par une augmentation du nombre de délinquants et des peines plus longues, et ce, à l'échelle fédérale, provinciale et territoriale. Même si le mandat du Service correctionnel du Canada consiste à administrer les peines de deux ans ou plus imposées aux délinquants, le Service doit également assurer la surveillance des délinquants sous responsabilité provinciale qui obtiennent leur libération conditionnelle dans toutes les provinces où la Commission nationale des libérations conditionnelles est l'instance décisionnelle. Le Service correctionnel du Canada a reçu une somme de 23,3 millions de dollars répartie sur cinq ans pour faire face à l'augmentation de la charge de travail liée à la préparation des cas pour les examens de la Commission nationale des libérations conditionnelles et pour la surveillance des délinquants qui obtiennent la libération conditionnelle.

Pour le moment, nous n'avons pas de données qui nous permettent de déterminer si les changements proposés auront un effet direct sur le nombre de délinquants qui sont sous notre responsabilité; toutefois, à court terme, nous ne prévoyons aucune incidence sur la population carcérale. Nous évaluons cependant continuellement l'effet cumulatif de toutes les modifications législatives qui sont proposées et adaptons nos plans en conséquence.

Nous savons que l'imposition de peines minimales obligatoires se traduira par une augmentation de la demande pour les programmes et les services dans le domaine de la toxicomanie offerts aux délinquants provinciaux et territoriaux visés par ce projet de loi. Même si 80 p. 100 des délinquants dont le Service correctionnel du Canada a la responsabilité semblent avoir des problèmes de toxicomanie, on remarque dans environ 50 p. 100 des cas un lien direct entre la toxicomanie et le comportement criminel.

Grâce aux fonds qu'il a obtenus par l'entremise du processus budgétaire au cours des trois dernières années, le Service correctionnel du Canada continue de consacrer davantage de ressources aux programmes de formation, aux programmes correctionnels et à d'autres interventions correctionnelles pour s'assurer d'obtenir les résultats escomptés en matière de sécurité publique. Le Service correctionnel du Canada offre présentement un large éventail de programmes de traitement de la toxicomanie, à différents niveaux d'intensité, pour répondre le mieux possible aux besoins des délinquants.

Chez les délinquants, la toxicomanie peut s'avérer un problème important. Le Service correctionnel du Canada s'est engagé à assurer la sécurité des établissements et des collectivités en réglant les problèmes associés aux drogues illicites.

Pour lutter encore plus efficacement contre la présence de drogues illicites dans les pénitenciers fédéraux, le Service correctionnel du Canada a adopté la Stratégie antidrogue. La stratégie est axée sur trois principaux éléments : la prévention empêche les délinquants de consommer des drogues illicites dans les établissements et dans la collectivité; l'intervention réduit la demande de drogues illicites en appuyant des approches novatrices et efficaces pour ce qui est du traitement et de la réadaptation des délinquants ayant une dépendance à ces drogues; la coercition réduit l'approvisionnement en drogues illicites grâce à diverses mesures qui permettent de faire enquête sur les crimes liés à la drogue et de poursuivre les personnes qui les ont commis.

La Stratégie antidrogue met l'accent sur une utilisation plus stratégique des outils de répression existants; un programme de sensibilisation qui informe les employés, les entrepreneurs et les visiteurs des dangers liés à l'introduction de drogues dans les établissements; une surveillance plus étroite des personnes soupçonnées d'être mêlées au trafic de la drogue; un renforcement des mesures disciplinaires; une plus grande sensibilisation des détenus aux programmes de traitement de la toxicomanie.

Le Service correctionnel du Canada continue d'essayer de trouver des façons d'améliorer la surveillance afin de mieux contrôler l'introduction des drogues illicites. Le 29 août 2008, le ministre de la Sécurité publique a annoncé l'injection de 122 millions de dollars sur cinq ans pour aider à éliminer les drogues dans les établissements fédéraux. Avec l'aide de ces fonds, et conformément à l'engagement du gouvernement de s'attaquer à la criminalité, une approche plus rigoureuse est mise en place pour lutter contre la drogue et créer un environnement sûr et sécuritaire où les délinquants peuvent se concentrer sur leur réadaptation.

Les fonds devraient permettre d'augmenter le nombre d'équipes de chiens détecteurs de drogue; d'améliorer la capacité des activités de renseignement de sécurité aussi bien dans les établissements que dans la collectivité; de mettre en place de nouveaux équipements de sécurité comme les détecteurs ioniques, les appareils à rayons x, et cetera; d'améliorer la surveillance du périmètre en utilisant des technologies connexes; de renforcer les politiques de fouille afin d'empêcher l'introduction de drogue dans les établissements et d'éviter que des enfants ne soient utilisés pour faire entrer des substances illicites dans les établissements.

Même si le projet de loi C-15 apporte de nouveaux défis, je suis certain que le Service correctionnel du Canada continuera de remplir son mandat et d'obtenir des résultats probants en matière de sécurité publique pour les Canadiens. Je vous remercie de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Wallace : C'est agréable de vous revoir, monsieur Head.

Dans les institutions, il est primordial que les installations et les services soient adéquats. Comme plusieurs témoins l'ont mentionné, pour offrir tout cela il faut des fonds.

Pouvez-vous nous donner un aperçu du budget total de votre organisme, ainsi que quelques renseignements sur les progrès qui ont été accomplis au cours des trois ou quatre dernières années, ou sur les augmentations du financement. Nous aimerions savoir si le financement est dans la bonne direction.

M. Head : Je vous remercie d'avoir posé cette question. Mon budget actuel est de 2,3 milliards de dollars, ce qui englobe tous les aspects de notre service, c'est-à-dire les services que nous offrons dans les institutions et dans la communauté par l'entremise de nos bureaux régionaux et de notre administration centrale nationale.

En ce qui concerne les programmes et les interventions générales, nos dépenses annuelles sont d'environ 130 millions de dollars alloués comme suit : environ 60 millions de dollars pour les programmes de réintégration, environ 22 millions pour les programmes éducatifs et environ 47 millions sont consacrés aux programmes d'emplois ou de développement des compétences professionnelles.

L'an prochain, mon budget sera augmenté à 144 millions de dollars, plus particulièrement dans les domaines de programmes correctionnels. Dans deux ans, il augmentera à 154 millions de dollars et il atteindra 164 millions l'année suivante.

En outre, parmi les augmentations des années subséquentes, nous avons reçu dans le cadre du Processus de révision stratégique — qui fait partie de l'examen stratégique général imposé à tous les ministères — un réinvestissement de 44 millions de dollars. Ceci nous a permis de consacrer des efforts particuliers à notre processus d'évaluation initiale des délinquants; au renforcement des ressources de prestation de programmes de prévention de la violence; aux programmes de suivi dans la communauté axés sur la consommation de drogues; à nos programmes à l'intention des Autochtones; à la mise en œuvre d'unités des Sentiers autochtones dans l'ensemble du pays; et d'allouer des fonds à la mise en œuvre de la surveillance électronique, selon l'adoption du projet de loi C-43.

Le sénateur Wallace : Je comprends que plus d'argent pourrait être consacré à vos programmes afin d'en poursuivre l'amélioration. Toutefois, êtes-vous en général satisfait des augmentations de votre financement? Pensez-vous que ce financement est suffisant pour faire le travail qui vous incombe?

M. Head : En général, je dirais que nous sommes bien placés. Nous continuons d'étudier les lois qui pourraient être adoptées et leurs conséquences possibles sur notre population. Nous devons prévoir comment y répondre. Si vous voulez savoir si nous répondons à tous les besoins de la meilleure façon possible, la réponse est non; il y a des lacunes et nous tentons d'y répondre.

Par exemple, nous sommes en train de moderniser notre stratégie générale en matière de programmes, et en janvier nous allons mener un projet pilote sur un nouveau processus appelé le Modèle de programme correctionnel intégré. Ce projet nous permettra de régler deux problèmes. D'abord, celui du moment où les délinquants commencent un programme après leur admission dans le système fédéral. L'objectif est qu'ils puissent entreprendre un programme dès leur arrivée dans nos unités de réception, plutôt d'attendre plusieurs mois avant leur placement dans un établissement. De plus, nous pourrons améliorer le problème de ce que l'on appelle les listes d'attente, car en appliquant une approche beaucoup plus rationalisée et modularisée envers la prestation des programmes, nous pourrons faire des progrès.

Nous évaluerons ce projet pilote au cours de l'année prochaine. Pour l'instant, nous sommes persuadés qu'il nous aidera énormément. Grâce aux investissements que nous avons reçus, nous sommes dans la meilleure position possible. Ceci étant dit, nous continuons d'étudier les autres changements qui pourraient avoir une incidence sur la population carcérale et de quelle façon nous devons y répondre.

Le sénateur Wallace : Que pensez-vous de l'efficacité de votre Stratégie antidrogue?

M. Head : Examinons une composante à la fois. D'abord, du côté de la prévention, je crois qu'il y a encore beaucoup de travail à faire, comme dans la société en général. En matière de prévention, par exemple, nous avons accompli certains progrès dans la prestation de soins de santé de qualité aux délinquants. Nous avons mis l'accent sur l'éducation en matière de santé publique aux délinquants. Nous avons même pensé à utiliser l'entraide par les pairs pour certains des aspects de la prévention; à demander à des délinquants qui ont réussi à changer leur vie d'agir à titre de conseiller auprès des autres délinquants.

Nous utilisons également depuis plusieurs années un programme de traitement à la méthadone comme méthode de prévention. Présentement, environ 390 délinquants participent à ce programme dans l'ensemble du Canada. Nous avons fait des progrès. Par contre, il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Le traitement est un des domaines dans lequel les programmes que nous offrons répondent assez bien à la demande — à la demande relative à la prestation de programmes. Notre série de programmes de traitement de la toxicomanie est considérée à l'échelle internationale comme avant-gardiste au sein d'un service correctionnel. Le Royaume-Uni, la Norvège et la Suède ont adopté notre modèle de programme de traitement de la toxicomanie. Nous avons certaines bonnes données scientifiques qui confirment l'efficacité de nos programmes de traitement de la toxicomanie. Par conséquent, nous sommes bien placés dans ce domaine.

Du côté de la coercition, les investissements que nous avons reçus au cours des deux dernières années nous ont permis d'accomplir quelques progrès, comme dans l'ensemble de la société. Toutefois, nous sommes loin de déclarer que nous avons gagné la guerre contre l'introduction de drogue dans nos établissements. Nous disposons d'un plus grand nombre d'outils, de processus et d'approches qui nous aident à endiguer le flot de drogue dans nos établissements.

Le sénateur Banks : Monsieur Head, je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je suis content de faire votre connaissance et j'espère que je n'aurai jamais à vous rencontrer dans votre rôle professionnel.

Vous nous avez parlé du pourcentage des personnes qui ont un problème de drogues parmi la population sous votre responsabilité. Je suppose que vous faisiez allusion aux motifs de leur incarcération et aux raisons pour lesquelles vous vous en occupez.

Avez-vous une idée, ou peut-être des statistiques, sur le nombre de toxicomanes dans le système carcéral fédéral? Je vous propose cette question parce que nous avons entendu dire que la consommation de drogue règne dans les établissements carcéraux. Est-ce le cas et avez-vous une idée de la proportion?

M. Head : Voilà une bonne question, sénateur. Parmi les délinquants qui entrent dans le système dans le cadre de nos processus d'évaluation, environ 80 p. 100 ont déjà consommé de la drogue ou un problème de toxicomanie. Dans l'ensemble de la population, nous savons que 45 p. 100 ont des problèmes de toxicomanie liés à leur comportement criminel, ce qui représente environ la moitié de la population.

Parmi notre population toxicomane, nous savons qu'environ 34 p. 100 ont ce que nous appelons un besoin d'intensité élevée. Cela signifie que nous devons leur offrir un programme très intense. Environ 18 p. 100 sont dans la catégorie d'intensité modérée et 26 p. 100 dans la catégorie d'intensité faible.

En ce qui a trait à ce qui se passe dans nos établissements, il y a toujours les délinquants qui réussissent à trouver des façons d'obtenir les drogues qu'ils consomment. Parmi les outils dont nous disposons pour surveiller les délinquants et freiner la consommation de drogue, il y a les dispositions de notre Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui nous permettent, selon des lignes directrices sévères, de procéder à des analyses d'échantillons d'urine. Parmi les échantillons d'urine analysés, environ 13 p. 100 étaient positifs. De 10 à 12 p. 100 des délinquants refusent de se soumettre à cette vérification, comme la loi le permet.

Nous supposons qu'environ 25 p. 100 de la population, en tout temps, peut s'adonner à une forme de consommation de drogue ou à une toxicomanie dans les établissements, mais selon les analyses positives, ce pourcentage est de 13 p. 100.

Le sénateur Banks : Avec un pourcentage possible de 25 p. 100.

M. Head : Oui.

Le sénateur Banks : C'est quelque chose que les Canadiens n'arrivent pas à comprendre. C'est très bien de parler de la prohibition des drogues, et tout le monde est d'accord avec l'idée qu'il n'y ait pas de drogues. Il ne devrait y avoir aucune drogue et personne ne devrait en consommer pour des raisons autres que thérapeutiques.

Des efforts sont faits pour enrayer les drogues dans la population générale, dans la société, mais en prison, vous disposez certainement d'un certain contrôle impossible à avoir dans le public. Vous avez des points de passage obligé; les entrées et les sorties sont limitées, tout comme les endroits où ces substances peuvent être remises aux personnes sous votre responsabilité.

Si vous ne pouvez pas y mettre un terme — c'est ma question rhétorique — comment la société peut-elle le faire? Vous recevez 122 millions de dollars de financement nouveau pour vous aider à l'enrayer. Est-il possible d'éradiquer la consommation de drogue en prison avec un montant d'argent quelconque? Combien faudrait-il d'argent pour éliminer la consommation de drogue dans les prisons?

M. Head : C'est une très bonne question, sénateur. Je devais vous citer quelques exemples des difficultés que nous rencontrons, même avec les investissements que nous recevons. Il s'agit de situations véritables pouvant être vécues par son personnel à tous les jours.

Je répète que de la population dont je parle est assez petite, alors il ne s'agit pas d'une observation générale. Il y a des visiteurs qui utilisent des enfants pour introduire des drogues un établissement en la cachant dans les couches des petits.

Nous devons respecter les lois qui dictent quand nous pouvons faire des fouilles; nous devons avoir des motifs valables et probables. Nous avons donc renforcé nos activités de renseignements de sécurité afin d'être mieux informés sur les personnes à cibler lorsqu'elles se présentent.

Il y a parfois des personnes, qui font partie d'organisations criminelles ou de petits groupes qui ont des liens avec d'autres groupes qui tentent de contrôler le marché des drogues dans les institutions, qui s'approchent de notre périmètre en soirée pour lancer des balles de tennis. Elles restent hors de la portée des patrouilles mobiles et des tours et ils lancent ces balles de tennis. Des flèches ont été lancées au-delà du périmètre. Même des oiseaux morts remplis de drogues ont été lancés de l'extérieur du périmètre pour aboutir dans les clôtures.

À chaque fois qu'on resserre les points de passage obligé — comme vous l'avez mentionné —, nous découvrons que de nouveaux moyens sont utilisés pour faire entrer les drogues.

Dans le domaine des services correctionnels, je ne crois pas qu'il existe un personnel meilleur que le mien, mais il arrive parfois qu'on réussisse à entraîner un employé à introduire quelque chose dans l'établissement. À moins de fouiller absolument toutes les personnes, tous les visiteurs, je n'affirmerais pas qu'il est absolument impossible, mais je dirais qu'il est extrêmement difficile d'offrir une assurance totale et complète.

Mon opinion est que nous ferons tout notre possible pour endiguer le flot de la meilleure façon possible.

Le sénateur Baker : Commissaire, il n'y a aucune attente raisonnable en matière de vie privée lorsque vous êtes un détenu. Notre jurisprudence montre que vous pouvez écouter leurs conversations téléphoniques et lire leur courrier. Lorsqu'on visite un de vos établissements, on arrive et on dépose nos choses dans un casier. Il faut ensuite passer dans un appareil d'inspection comme à l'aéroport. Je décris ce qui est maintenant en place. Il y a des chiens des deux côtés, et ensuite on peut entrer. Tout est fouillé, comme pour prendre l'avion, lorsqu'on visite un détenu. Certains d'entre nous ont déjà fait une visite.

C'est ce que vous avez. Pour ce qui est des balles de tennis, des flèches ou des pigeons, un toit ou quelque chose du genre pourrait les empêcher. Maintenant vous allez avoir des équipes de chiens détecteurs de drogue. Vous en avez déjà. Je suppose que vous faites allusion aux nouveaux chiens renifleurs.

M. Head : Il s'agit de chiens supplémentaires, sénateur.

Le sénateur Baker : Ce ne serait pas seulement pour la marihuana, mais également pour la cocaïne et ce genre de substance. Autrement dit, vous allez engager de nouveaux chiens.

M. Head : Je dois apporter des précisions. Nous possédons présentement 45 chiens. Avec cet investissement, nous passerons à 125 équipes de chiens dans l'ensemble du pays. Ces chiens sont capables de détecter la plupart des drogues. Ils ont reçu le même entraînement que les chiens de l'Agence des services frontaliers. Nous entraînons également les chiens — vous allez rire mais c'est vrai — à détecter les téléphones cellulaires.

Le sénateur Campbell : J'ai un chien pour vous chez moi.

M. Head : Ils sont capables de détecter les téléphones cellulaires. Nous savons que certains délinquants les utilisent pour organiser leur livraison de drogues.

Le sénateur Baker : Vous avez déjà des chiens, mais vous allez en avoir de nouveaux qui sont capables de détecter d'autres substances. Vous allez renforcer la capacité de vos activités de renseignements de sécurité dans des établissements qui sont déjà sous votre contrôle. La GRC utilise les détecteurs ioniques pour détecter la présence de drogue sur les billets de banque. Ils peuvent tout détecter.

M. Head : Vous avez raison. Vous pourriez probablement voir un appareil similaire dans un aéroport. Si vous êtes soumis à une fouille secondaire, ils font un balayage. C'est ce genre de technologie.

Le sénateur Baker : Vous prévoyez également améliorer les technologies de sécurité de vos périmètres. Je ne sais pas, commissaire. Je suis surpris par la quantité de drogue illégale dans nos prisons. Une prison, ce n'est pas un hôtel. S'il y a autant de drogues dans nos prisons, comment, comme le sénateur Banks l'a dit, pouvons-nous les éliminer dans nos communautés?

Le sénateur Joyal : Une prison, ce n'est pas un centre d'achats.

Le sénateur Baker : Il n'y a pas d'attentes à l'égard de la vie privée dans les établissements où ces personnes sont détenues. Nous n'avons aucun espoir d'enrayer le problème des drogues dans la population générale si vous n'arrivez pas à l'éliminer dans les prisons.

Existe-t-il quelque chose que nous ignorons, à part les pigeons, les flèches ou les balles de tennis, qui permet à cette quantité de drogue d'être introduite dans les prisons? En avez-vous une idée?

M. Head : Vous soulevez un très bon point. Pour être plus précis, nous n'avons pas le droit absolu de fouiller les délinquants et les visiteurs, ni de les soumettre à des fouilles à nu lorsque nous le voulons. La loi est claire. Nous contrôlons les mouvements d'entrée et de sortie, mais nous n'avons pas la capacité d'effectuer ce niveau de fouille.

Nous devons compléter nos approches et nos pratiques de façon à obtenir un indicateur qui nous permettra de passer au niveau suivant dans les domaines où nous n'avons pas de motifs valables ou probables d'effectuer des fouilles.

C'est un défi. Ce n'est pas un défi propre à notre système correctionnel; c'est un défi pour tous les systèmes correctionnels du monde entier.

Le sénateur Baker : Vous êtes en train de dire que vous avez besoin des mêmes pouvoirs que les gardes-frontières. En d'autres mots, proposez-vous que votre loi soit modifiée pour vous permettre de faire ce que nos gardes-frontières font?

M. Head : Je ne fais pas nécessairement valoir que des modifications sont nécessaires.

Le sénateur Baker : Non, mais vous dites que c'est votre problème.

M. Head : Je dis que c'est un de nos défis. Pour y répondre, je dois étudier des pratiques, des approches et des technologies différentes qui aideraient mes employés à faire leur travail.

Le sénateur Baker : Est-ce un problème lié à vos appareils?

M. Head : Toutes les technologies que nous utilisons ont un objectif précis. Par exemple, les chiens servent à détecter les drogues. Il y a un chien dans presque tous les établissements. Un chien peut travailler pendant certaines périodes avant d'avoir une pause. Ces chiens ne sont pas syndicalisés, mais pour assurer leur capacité de détection, ils ont besoin de pauses.

Le portique de détection est un appareil qui détecte le métal. À moins que les drogues ne soient, par exemple, emballées dans du papier d'aluminium, il ne détectera pas les pilules ou les substances de ce genre qui seraient dissimulées dans les cavités corporelles.

Le détecteur ionique ressemble l'appareil utilisé dans les aéroports. Cet appareil examine un vêtement ou un objet, tel qu'un permis de conduire ou autre chose que les gens manipulent régulièrement, et détermine si cet objet a été en contact avec une drogue ou si on y trouve des particules de drogue. Si ce lien est établi, nous avons des motifs valables nous permettant de procéder à une fouille plus poussée.

Le sénateur Joyal : Il existe maintenant des balayeurs qui permettent de voir le corps nu d'une personne. Avec ces appareils, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas détecter si une personne transporte ou non une substance quelconque.

M. Head : Vous avez choisi un bon exemple, sénateur. Nous avons récemment acheté l'un de ces appareils. Ils sont souvent appelés des balayeurs à ondes millimétriques. Sans être une technologie de type radioscopique, il nous permet de voir à travers les vêtements. Nous ne pouvons pas voir le corps lui-même, mais si une personne a caché quelque chose sous son aisselle, nous pourrons le voir.

Le sénateur Milne : Mais pas dans une cavité corporelle.

M. Head : Non, pas dans une cavité corporelle, mais d'autres possibilités pourraient nous permettre d'améliorer cet aspect. Nous venons d'acheter ce type de technologie et nous en avons fait l'essai. Nous devons maintenant établir si cela constitue une fouille à nu. Je le répète, pour effectuer une fouille à nu, nous devons respecter certaines procédures. Nous essayons l'appareil et nous vérifions son efficacité dans un environnement carcéral où son utilisation est la plus appropriée. Nous examinons également son utilisation par rapport au cadre législatif et réglementaire dans lequel nous travaillons.

Le sénateur Baker : Vous achetez le balayeur ionique parce qu'il vous permettra d'obtenir des motifs valables d'effectuer une fouille plus complète.

M. Head : Oui.

Le sénateur Baker : Exactement comme la GRC ou les autres corps policiers qui utilisent ces balayeurs.

Il faut remarquer quelque chose. La jurisprudence récente a montré que tous les billets de banque canadiens comportent des traces de drogue. Pourtant, votre balayeur ionique vous donnera des motifs d'aller au-delà de ce que vous êtes présentement autorisés à faire.

M. Head : C'est la raison pour laquelle nous avons transmis un bulletin à tous nos établissements les informant que le balayage des billets de banque ne peut procurer des motifs valables.

Le sénateur Baker : Excellent; c'est un bon point.

Le sénateur Milne : Lorsque vous avez parlé de votre stratégie antidrogue et de ses trois piliers, le régime qui oriente vos activités, je n'ai rien entendu à propos de la réduction des préjudices. Pouvez-vous décrire les mesures de réduction des préjudices qui sont encore en place dans les prisons canadiennes?

M. Head : Dans les établissements fédéraux, la réduction des préjudices se fait par l'éducation. Comme vous le savez probablement, nous avons réalisé un projet pilote sur le tatouage sécuritaire.

Le sénateur Milne : Ce projet inclut-il les aiguilles?

M. Head : Aucun projet incluant les aiguilles n'a été réalisé dans le système canadien ni dans les systèmes provinciaux et territoriaux.

Nous avons étudié ce qui se faisait dans d'autres pays, notamment en Europe. Il y a environ deux ans, j'ai envoyé une équipe en Europe afin d'examiner ce qui était fait dans des pays comme l'Espagne, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni. L'équipe n'a trouvé aucune preuve conclusive indiquant que ces pays avaient définitivement adopté une orientation précise. Nous avions l'impression que certaines activités de réduction des préjudices y étaient réalisées, mais sur place, mon équipe a constaté que ces pays avaient abandonné ces activités et qu'ils avaient adopté d'autres approches.

Actuellement, nos activités de réduction des préjudices sont surtout axées sur l'éducation et l'entraide par les pairs, et nous travaillons aussi avec le programme de traitement à la méthadone.

Le sénateur Milne : Nous avons appris que le VIH règne et se propage dans le système carcéral, surtout parce que des appareils insalubres, des stylos à bille, par exemple, sont utilisés pour l'injection de drogue.

Vous n'avez encore rien fait au sujet des aiguilles sécuritaires, propres; rien fait pour améliorer ce problème, c'est vrai?

M. Head : J'aurais dû mentionner une autre de nos activités de prévention. Au moment de l'admission des délinquants dans le système fédéral, nous offrons la possibilité de passer volontairement un test sur les maladies infectieuses. Environ 50 p. 100 des délinquants acceptent de passer un test pour dépister le VIH-sida au moment de leur arrivée. Environ 50 p. 100 veulent être testés pour l'hépatite C. Selon les résultats obtenus, environ 250 délinquants sont positifs au VIH-sida et 4 101 délinquants sont positifs à l'hépatite C. Ces chiffres reposent sur les tests réalisés volontairement au moment de l'admission.

Quelques personnes, je ne sais pas combien, ont demandé à passer les tests après leur admission. Parmi celles-ci, je ne peux pas préciser combien auraient contracté ces maladies après leur entrée dans le système. Nous connaissons le nombre de ceux qui ont accepté volontairement le test au moment de l'admission.

Le sénateur Watt : Merci encore, monsieur Head. Je vais surtout m'attarder à la réhabilitation. Lorsque cette loi sera adoptée, les programmes seront-ils offerts dans le Nord?

M. Head : La réponse brève est que l'incidence pour le Service correctionnel du Canada ne sera de nature institutionnelle. Un impact se fera sentir au niveau de la surveillance des délinquants sous responsabilité provinciale qui obtiennent leur libération conditionnelle de la Commission nationale des libérations conditionnelles, sauf en Ontario et au Québec qui ont leur propre commission des libérations conditionnelles. Les délinquants dans les systèmes provinciaux ou territoriaux auront accès aux programmes de suivi dans la communauté.

Le problème avec la plupart des délinquants provinciaux qui obtiennent une libération conditionnelle est que cette période est relativement courte, quelques mois au maximum. Il est difficile de trouver le programme approprié.

Je sais, madame la présidente, que je ne dois pas prendre trop de temps, mais je pense qu'il s'agit d'un point qui vaut la peine d'être partagé avec vous. Pour nous, un des aspects importants relativement aux progrès accomplis dans le domaine de la réhabilitation des délinquants sous la responsabilité d'un système fédéral, provincial ou territorial est de s'assurer que des services sociaux et des programmes de soutien sont offerts lorsque la peine a été purgée.

Après leur libération, les délinquants qui ont participé à des programmes vont bien. Toutefois, après deux ou cinq ans, les niveaux de récidives commencent à s'accroître parce qu'il n'y a plus de services de soutien de ce genre. Si vous me demandiez d'identifier ma plus grande préoccupation à l'égard des services de réhabilitation, je répondrai que ce sont les services offerts aux délinquants après l'expiration légale de la peine.

Le sénateur Watt : Quel rapport peut-on établir avec les tribunaux de traitement de la toxicomanie?

M. Head : Présentement, il y a peu de liens avec les tribunaux de traitement de la toxicomanie parce que les programmes offerts dans le cadre de cette mesure sont, pour autant que je sache, utilisés à capacité. Il n'y a aucun lien avec ceux-ci pour l'instant.

Le sénateur Watt : Entre la réhabilitation et les tribunaux de traitement?

M. Head : C'est bien ça.

Le sénateur Watt : Si un Inuit de ma communauté est accusé de trafic de drogue, par exemple, à quel moment est-ce que la réhabilitation commence? Comment s'occupe-t-on de cette personne? S'il est arrêté et accusé par la police, où s'en va-t-il? Est-ce qu'il est immédiatement retiré de la collectivité selon le processus? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Head : Si la personne est référée un tribunal de traitement de la toxicomanie, je demanderai à quelqu'un qui connaît ce processus mieux que moi. Je peux vous parler d'une personne qui est en détention préventive ou qui a reçu une peine au niveau provincial, territorial ou fédéral; mais dans le cas d'une personne référée au tribunal de traitement de la toxicomanie, je m'en remettrai à quelqu'un qui connaît ce domaine mieux que nous parce que nous ne travaillons pas avec ces programmes et que nous n'en sommes pas responsables.

Le sénateur Watt : D'accord.

[Français]

Le sénateur Carignan : Dans l'étude d'un autre projet de loi, on a discuté de la surpopulation et des conditions de détention dans les pénitenciers. Avez-vous des données sur les conditions de détention, par exemple, le nombre de pieds carrés par prisonniers? Comment se comparent les conditions de vie dans les centres de détentions de Service correctionnel du Canada aux centres de détentions d'autres pays? Nos conditions sont-elles de haut-niveau?

Auriez-vous un document explicatif sur les conditions de vie et l'ensemble des services? Votre présentation fut un peu générale et touchait les programmes. Existe-t-il un guide des services offerts par Service correctionnel du Canada? Dans l'affirmative, pourrait-on en avoir une copie?

[Traduction]

M. Head : Nous avons de l'information sur le nombre de pieds carrés des cellules et type de locaux disponibles. Je peux vous fournir un document qui montre l'aménagement général d'un établissement et les locaux d'activités disponibles.

Dans des discussions précédentes sur les comparaisons, particulièrement au Canada, beaucoup ont porté sur le projet de loi C-25 et la détention préventive et leurs conditions dans les systèmes provinciaux et territoriaux par rapport à la capacité liée aux peines prononcées dans les provinces et les territoires, ainsi que sur les différences entre celles-ci et le système fédéral.

Comme vous pouvez l'imaginer, nos installations sont conçues pour héberger des délinquants pendant de longues périodes, la moyenne des peines étant d'environ quatre ans, alors que le séjour moyen dans les établissements provinciaux est de 30 à 90 jours, selon la province ou le territoire. C'est ce qui explique pourquoi les aménagements de ces installations sont différents.

Dans certaines constructions plus modernes réalisées dans certaines provinces, on nous a demandé de transmettre nos normes à l'égard de la construction des installations, et les responsables en ont tenu compte. Nous pouvons vous fournir des renseignements sur le nombre de pieds carrés alloués aux délinquants dans nos établissements.

[Français]

Le sénateur Carignan : J'aimerais en savoir plus sur les conditions de vie et les services offerts au Canada. J'aimerais également des données comparatives avec les services offerts dans d'autres pays.

Le professeur Shea a soulevé une des problématiques liées à l'augmentation de la population carcérale, soit celle de la réinsertion sociale des contrevenants ayant passé une longue période derrière les barreaux. Il semble que ces personnes connaissent plusieurs difficultés de réadaptation.

Vos programmes prévoient-ils de la formation ou des séminaires offerts aux détenus sur la vie à l'extérieur du milieu carcéral, en leur suggérant des trucs pour ne pas retomber dans la délinquance et afin d'assurer une pleine réinsertion en société, un peu comme on offre aux préretraités pour une retraite réussie?

[Traduction]

La présidente : Monsieur Head, vous pouvez également répondre à cette question par écrit. Lorsque vous nous indiquerez le nombre de pieds carrés, pourriez-vous inclure les deux normes; ce qui devrait être disponible pour chaque détenu, et la réalité?

M. Head : Oui.

La présidente : La question de la préparation au retour dans la société est également importante.

Le sénateur Joyal : Monsieur Head, dans votre mémoire vous affirmez :

Pour le moment, nous n'avons pas de données qui nous permettent de déterminer si les changements proposés auront un effet direct sur le nombre de délinquants qui sont sous notre responsabilité.

Est-ce que je dois comprendre que vous n'avez pas évalué les trois principaux articles du projet de loi concernant le trafic, l'importation et la production et l'augmentation de la population dans vos établissements qui en résultera?

M. Head : Nous avons mené une évaluation, mais rien n'indique qu'il y aura une augmentation importante de la population carcérale fédérale qui nous obligerait à demander un financement additionnel. Toutefois, si la loi est adoptée, nous surveillerons les chiffres après sa mise en œuvre afin d'en établir les conséquences. Le processus normal du Conseil du Trésor nous permet de demander des ressources supplémentaires, comme nous le ferions au besoin si des changements importants sont remarqués dans la population.

Le sénateur Joyal : Votre réponse m'étonne parce que le Centre canadien de la statistique juridique nous a remis un document d'information. À la page 12 de ce document, les données montrent clairement que les personnes condamnées à 12 mois pour le trafic, l'importation ou la production recevront une peine de deux ans. Trois articles du projet de loi prévoient des peines de deux ans et plus.

Le témoignage que nous avons entendu n'indique pas du tout que l'augmentation de la population ne sera pas importante. Au contraire, M. Boyd a précisé ce matin :

Une étude de 2005 de la GRC portant sur tous les cas connus de culture de la marihuana en Colombie- Britannique entre 1997 et 2003 a révélé qu'il y a eu 14 483 cas dans la province durant cette période de sept ans, lesquels ont entraîné environ 3 500 condamnations et des peines d'emprisonnement d'une durée moyenne de cinq mois pour 60 personnes annuellement.

Selon le projet de loi, la peine imposée à ces personnes passerait d'un an à deux ans. M. Boyd a calculé le coût de l'incarcération de 500 producteurs de marihuana de plus par année en Colombie-Britannique. Ces coûts seraient d'environ 57 000 dollars par année par détenu provincial, c'est-à-dire un total de près de 30 millions de dollars par année pour les producteurs de marihuana. Ce changement signifie que les producteurs de marihuana représenteront environ 20 p. 100 de la population carcérale provinciale par rapport au niveau actuel de 5 p. 100.

Je ne comprends pas pourquoi vous dites que cette loi n'aura pas de conséquences importantes sur la population carcérale.

M. Head : Présentement, les données ne sont pas claires pour nous. Nous ne sommes pas certains qu'elles reposent sur quelque chose que nous pourrions utiliser pour justifier une situation financière. Toutefois, nous avons la possibilité de demander le financement requis pour répondre à une augmentation importante. Nous pourrions présenter cette demande par le biais de nos processus budgétaires normaux si l'adoption de ce projet de loi entraînait une augmentation de la population. Du point de vue du dénombrement des établissements et selon les chiffres objectifs dont nous disposons, rien n'indique que la population augmentera. Du point de vue de la préparation des cas dans la collectivité pour les délinquants provinciaux et la surveillance dans les provinces et les territoires, sauf en Ontario et au Québec, une augmentation est prévue. C'est pourquoi 23,3 millions de dollars répartis sur cinq ans, ou une augmentation de 6,4 millions de notre budget, accompagnent ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : Je ne comprends pas votre réponse à l'égard des conséquences de ce projet de loi. Si le gouvernement est sérieux à ce sujet, la population carcérale devrait augmenter de manière importante. Vous nous dites aujourd'hui que l'augmentation ne sera pas importante relativement à vos contraintes budgétaires actuelles. Vous n'avez pas modifié votre réponse. Elle sera vérifiée après l'examen détaillé des conséquences prévu dans la loi. Nous saurons alors si vous avez raison ou si vous avez tort aujourd'hui. Je suggère, monsieur, que vous accordiez une marge de manœuvre pour une augmentation de la population carcérale parce que les statistiques que nous avons reçues ne concordent pas avec ce que vous dites ce matin.

M. Head : Non, mais je le répète, sénateur, je peux présenter une demande au Conseil du Trésor avant l'examen qui sera réalisé après deux ans si la population augmente. Je peux faire une demande au Conseil du Trésor dans six mois ou dans un an. Présentement, les chiffres ne sont pas assez concrets pour que je puisse faire des suppositions comme celles qui sont faites par ces personnes.

Le sénateur Angus : Êtes-vous d'accord avec à l'adoption de ce projet de loi, sous sa forme actuelle?

M. Head : Mon rôle est d'étudier les conséquences du projet de loi et de mettre en œuvre toutes les lois adoptées par le Parlement.

Le sénateur Angus : Avez-vous une opinion, s'agit-il d'une bonne ou d'une mauvaise mesure législative?

M. Head : Ma perspective est toujours de mettre en pratique tout ce qui est adopté par le Parlement de la meilleure façon possible afin de continuer à produire des résultats en matière de sécurité publique.

Le sénateur Angus : Vous avez peut-être prévu ça en lisant la première page du Globe and Mail d'aujourd'hui dans laquelle on explique que l'isolement est une mesure non sécuritaire et inhumaine. Un ombudsman correctionnel a déclaré que « l'utilisation de l'isolement dans les établissements carcéraux fédéraux est devenu hors contrôle, il pose une menace aux droits et au bien-être de milliers de détenus ». Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Head : Oui, mais je ne suis pas certain du lien avec le projet de loi C-15.

Le sénateur Angus : J'ai posé cette question parce que nous parlions des drogues dans les prisons.

M. Head : Je vous remercie pour la précision. En ce qui a trait à l'isolement, notre loi décrit clairement comment et à quel moment nous pouvons l'utiliser, ainsi que les processus de surveillance des délinquants placés en isolement. Lorsqu'une personne met en danger la sûreté et la sécurité des établissements, des autres détenus, du personnel ou des visiteurs, l'isolement est une mesure appropriée en milieu correctionnel. Nous devons continuellement veiller à appliquer la loi de manière cohérente et à ce que les mesures de protection appropriées soient en place pour protéger les droits des délinquants.

Le sénateur Angus : Je ne vais pas enfreindre l'entente sur une seule question, mais une question en découle : que faites-vous lorsque vous recevez un rapport d'ombudsman comme celui-ci?

Vous dites que vous appliquez la loi, mais la loi peut entraîner un traitement inhumain. Un volumineux rapport existe à ce sujet. Les résultats de ces études sont assez alarmants. Je suis certain que vous n'ignorez pas une telle étude.

M. Head : Non, certainement pas. Une partie du problème en ce qui a trait aux réponses aux articles publiés dans les journaux...

Le sénateur Angus : Il s'agit du rapport d'un ombudsman.

M. Head : Pour répondre à un rapport d'un ombudsman, nous avons un processus. Une réponse est publiée avec le rapport de l'ombudsman. Par exemple, je commence un processus afin d'étudier les conséquences de l'isolement sur la santé mentale des délinquants. Je réunis des personnes de l'extérieur qui étudieront le problème et nous présenteront des conseils et des orientations sur la façon de corriger la situation. Nous traitons ce problème avec sérieux. Dans le cas d'un article de journal, une partie du problème est qu'il n'expose pas toujours les faits.

Le sénateur Angus : Je sais cela, mais j'avais précisé « un rapport d'un ombudsman ». Vous avez répondu, je vous remercie.

La présidente : Monsieur Head, lorsque vous répondrez par écrit à notre comité, veuillez inclure une réponse aux préoccupations soulevées par le sénateur Watt au sujet de l'expérience qui serait vécue par un Inuit, tant pour une personne accusée que pour une personne ayant reçu une peine.

Je vous demanderais de nous transmettre de l'information sur votre Stratégie antidrogue, qui semble assez intéressante. Je remarque qu'en ce qui a trait à la « coercition », vous faites des efforts visant à poursuivre ceux qui commettent des délits liés aux drogues dans le système carcéral. Pourriez-vous nous fournir quelques renseignements sur le nombre de ces poursuites, les types de délits visés et si vous croyez que le projet de loi pourrait avoir une incidence à cet égard? Je comprends que votre objectif principal n'est pas de poursuivre, mais ce projet de loi concerne, entre autres choses, la poursuite.

M. Head : Bien sûr.

La présidente : Merci.

(La séance est levée.)


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