Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 11 - Témoignages du 26 octobre 2009
OTTAWA, le lundi 26 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 30 pour faire une étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi. Objet : Étude de la partie VII de la Loi sur les langues officielles et d'autres enjeux.
Le sénateur Andrée Champagne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : Honorables sénateurs, je constate que nous avons quorum. Je déclare donc la séance ouverte.
Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis Andrée Champagne, sénateur du Québec, vice-présidente de ce comité.
Avant de commencer, j'aimerais vous présenter les membres du comité qui sont ici présents et qui, j'en suis certaine, voudront se joindre à moi pour offrir nos meilleurs vœux de prompt rétablissement à notre présidente, le sénateur Maria Chaput du Manitoba. Le sénateur Chaput traverse un moment difficile, mais nous l'attendons avec beaucoup d'espoir et de joie.
D'abord, à ma droite, se trouve le sénateur Pépin du Québec. À sa droite se trouvent le sénateur Tardif de l'Alberta, le sénateur Jaffer de la Colombie-Britannique, le sénateur Losier-Cool du Nouveau-Brunswick. À ma gauche, se trouvent le sénateur Fortin-Duplessis du Québec, le sénateur Seidman du Québec et le sénateur Mockler du Nouveau-Brunswick.
Le comité étudie présentement l'état de la mise en œuvre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles et tout particulièrement les mesures prises par les organisations fédérales à cet effet. Le comité souhaite en apprendre davantage sur la perspective légale et la portée de la loi.
Nous accueillons aujourd'hui l'honorable Michel Bastarache, avocat-conseil au cabinet Heenan Blaikie à Ottawa et ancien juge de la Cour suprême du Canada. L'honorable juge Bastarache a rendu des décisions sur un grand nombre de causes reliées à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a également écrit un ouvrage sur les droits linguistiques du Canada.
Monsieur Bastarache, les membres du comité vous remercient d'avoir accepté leur invitation à comparaître aujourd'hui. Je vous invite maintenant à prendre la parole.
L'hononorable Michel Bastarache, avocat-conseil au cabinet d'avocats Heenan Blaikie et ancien juge de la Cour suprême du Canada, à titre personnel : Il me fait grand plaisir d'être ici.
C'est une tâche difficile que de se lancer dans l'interprétation de la partie VII, parce que l'on vient tout juste de reconnaître que cette partie crée des droits véritables et qu'elle est justiciable. D'autre part, elle créé un droit nouveau qui ressemble d'avantage à un droit social que civil et politique, comme on en retrouve généralement dans les chartes de droits.
Je vous ai fait parvenir une note, en vue de cette comparution, dans laquelle j'ai indiqué que les droits linguistiques sont toujours d'origine historique. Leur statut reflète toujours un compromis historique et dépend de la culture juridique de chaque peuple.
Au Canada, les droits linguistiques font partie des droits des minorités, qui sont protégés comme une valeur fondamentale de l'ordre constitutionnel, comme l'a affirmé la Cour suprême dans le renvoi sur la sécession. On a donc deux catégories de droits linguistiques au Canada : les droits constitutionnels et les droits quasi constitutionnels. Ces principes sont importants du point de vue des règles d'interprétation applicables. Les droits constitutionnels et les droits quasi constitutionnels ne sont pas interprétés avec les mêmes normes que les lois régulières et les statuts. On a des normes particulières, car on dit que toutes ces lois doivent avoir préséance lorsqu'elles sont en conflit et sont considérées comme étant réparatrices. Même quand un droit a la nature d'un droit individuel, comme le droit de subir son procès en français, il est en même temps un droit collectif, car l'objet même de la loi est de donner à tous les membres d'une communauté linguistique un accès égal à un service personnel.
Lorsqu'on dit que l'enfant a droit à l'éducation dans sa langue, en vertu de l'article 23, il ne peut pas s'agir d'un droit individuel, car le droit individuel ne s'opère que dans la mesure où une collectivité de gens réclamera le même droit.
Il faut aborder la partie VII en gardant à l'esprit que l'on est ici dans un domaine nouveau, mais protégé par la Constitution, et qui fait appel à des normes d'interprétation dites progressives.
Parlons de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Le meilleur point de départ serait peut-être de prendre en considération l'interprétation donnée par le ministère de la Justice du Canada.
J'ai lu la transcription des témoignages devant le comité parlementaire et celui des conseillers juridiques. Toutefois, l'énoncé le plus clair de la position du gouvernement du Canada vient de son mémoire à la Cour supérieure de la Colombie-Britannique dans l'affaire de la Fédération des communautés francophones et acadiennes contre le Canada, le 30 octobre 2007. Cette affaire portait sur l'abolition du Programme des contestations judiciaires. Le Procureur général du Canada dit essentiellement, dans son mémoire, qu'il existe une très grande différence entre la partie IV de la loi, soit le droit au service, et la partie VII, qui est l'obligation de promotion. Il dit que la partie IV comporte des droits individuels bien identifiables, qui sont de même nature que les droits civils et politiques.
Par ailleurs, il considère que la partie VII est essentiellement une déclaration de principes qui engage le gouvernement à prendre des mesures pour réaliser l'objet de la partie VII, mais que toutes ces mesures sont discrétionnaires. En d'autres mots, il revient au gouvernement de décider l'étendue de ses propres obligations, de choisir le moyen pour les mettre en œuvre et le mode de prestation, soit la structure institutionnelle par laquelle il va livrer des services.
Il dit que la modification législative apportée, qui a rendu la partie VII justiciable, n'a pas changé la nature des droits. Étant donné que la nature de ces droits n'a pas été changée, le rôle particulier des tribunaux est donc extrêmement limité. Le rôle des tribunaux serait de vérifier si le ministère du Patrimoine a, de fait, adopté un programme d'appui aux minorités. Il n'aurait toutefois pas le droit d'examiner les composantes du programme. Il suffit que le gouvernement ait affirmé avoir un programme de promotion pour remplir son mandat de promotion. Il devrait aussi vérifier si les différents ministères et agences ont préparé et déposé un plan de mise en œuvre, car cet élément est prévu directement dans la loi. Le rôle des tribunaux serait de vérifier si le plan a été déposé. Encore une fois, il n'y aurait pas de possibilité pour la cour de vérifier si une action en particulier est conforme à la partie VII.
Le Procureur général du Canada nous dit que l'évaluation judiciaire serait une évaluation globale à savoir si le gouvernement, dans l'ensemble des mesures qu'il a prises, satisfait à l'objectif général de la loi.
Je trouve cette approche tout à fait déficiente, et ce, pour deux raisons fondamentales.
Je crois tout d'abord que le Procureur général se méprend sur la portée de la partie IV, parce qu'il applique justement les règles d'interprétation statutaire ordinaires, non pas les règles d'interprétation adaptées aux droits linguistiques. Il nous dit que ce sont des droits individuels seulement.
La Cour suprême a déjà affirmé très clairement, dans plusieurs jugements, mais en particulier dans les affaires Beaulac et Desrochers, que le droit aux services publics prévu à l'article 20 de la Charte et dans la Loi sur les langues officielles n'est pas un droit purement personnel, parce que c'est un droit interprété de façon contextuelle et que l'objet même de la loi est de favoriser les services dans le but de renforcer les communautés linguistiques et d'assurer leur survie ainsi que leur rôle à l'intérieur de la vie publique au Canada.
Si on a une approche contextuelle et qu'on voit la loi comme réparatrice, c'est qu'on a voulu établir non seulement l'égalité des langues, mais celle des locuteurs, des gens qui parlent ces langues, et l'on est passé d'une notion d'égalité formelle à une notion d'égalité réelle. C'est ce que confirme la Cour suprême dans l'arrêt Desrochers.
En d'autres mots, on dit qu'il ne suffit pas à un ministère du gouvernement de dire à celui qui réclame un service « je vais vous servir dans votre langue », il faut aussi que ledit service soit adapté aux besoins de la personne qui demande le service; ce qui signifie que lorsque le gouvernement instaure un programme, il doit tenir compte du fait qu'il a deux clientèles à servir : une communauté de langue française et une de langue anglaise.
Si son programme est conçu en fonction des besoins de la communauté majoritaire et qu'on traduit pour les gens de la minorité, on ne fournit pas un service égal; on a fourni à la majorité un service conforme à ses besoins et priorités et on a ignoré les besoins et priorités de la minorité dans la mesure où ceux-ci sont différents. L'obligation du gouvernement va donc dépendre de la nature du service.
Ce qui est important et nouveau dans l'arrêt Desrochers, c'est que nous sommes passés de la notion d'égalité formelle — je vous desserre dans la langue que vous demandez — à l'égalité réelle — je vous donne un service adapté à vos besoins, dans votre langue. On a accepté que le droit de la minorité, soit le droit à une structure institutionnelle qui fait en sorte qu'elle est desservie de la même manière que la majorité.
Si nous n'avons pas un service institutionnel adapté, nous avons une institution conforme aux besoins de la majorité et un accommodement pour la minorité. Il y a une très grande différence entre offrir un service égal et faciliter les choses à une personne qui demande un service dans l'autre langue.
Personnellement, il me semble que l'approche du Procureur général, c'est l'ancienne approche, c'est l'approche de l'accommodement. Vous voulez un procès en français à Vancouver, mais le système est fait pour une population anglophone; on va vous faciliter les choses si vous insistez pour votre droit et trouver quelqu'un capable de répondre à vos besoins. Il s'agit de l'ancienne approche.
L'approche exigée par la Cour suprême est une approche d'égalité réelle. Le ministère de la Justice, lorsqu'il établit son tribunal à Vancouver et qu'il prévoit une justice criminelle en première instance, doit avoir à l'esprit qu'il va y avoir des demandeurs francophones et anglophones. Il doit donc prévoir sa structure institutionnelle, son personnel, toute la panoplie des services afin de recevoir de façon égale une personne qui demande à être servie dans une langue ou dans l'autre.
Si ceci est vrai et que c'est ce qui se trouve dans la partie IV, que reste-t-il pour la partie VII? La description que le procureur général a donnée dans son mémoire de la partie VII est inférieure à la partie IV telle qu'interprétée par la Cour suprême du Canada. Alors que la Cour suprême dit, dans le jugement Desrochers, qu'elle rend une décision fondée uniquement sur vos droits en vertu de la partie IV, mais qu'il y aurait certainement des choses additionnelles dans la partie VII, c'est évident qu'il y aurait quelque chose d'additionnel, sinon il n'y aurait pas eu de partie VII.
Ce qui est difficile, c'est d'identifier exactement ce qui est prescrit dans la partie VII, parce qu'elle ne dit pas que chaque personne a droit à telle chose, elle décrit une obligation gouvernementale. Alors, c'est beaucoup plus de la nature de ce que l'on appelle les droits sociaux, le droit au logement et à l'emploi. Ici, c'est le droit à un traitement équitable, à un traitement égal du gouvernement dans la planification de ses services.
Moi, je ne crois pas, comme le dit le procureur général, que cela veut dire que les tribunaux n'ont plus de rôles, qu'ils sont là pour dire si le ministère a rempli la fonction décrite dans la loi. Si c'est cela, c'est un droit procédural. J'ai le droit d'exiger qu'il suive la procédure appropriée et qu'il publie un rapport, et c'est tout. C'est de l'égalité formelle, ce n'est pas de l'égalité réelle. Le contenu de la partie VII ne peut pas être cela.
Qu'est-ce que la partie VII peut donc vouloir dire? Que sont ces « mesures positives »? Au minimum, c'est de s'assurer que chaque fois qu'un service est mis en place, on tienne compte du fait qu'il y a deux communautés égales qui doivent avoir un accès égal à des services d'égale qualité. Nous devons, au départ, nous poser la question des impacts. Quel est l'impact de ma décision sur la communauté minoritaire? Est-ce un impact négatif? Si oui, est-ce encore une mesure justifiée?
Il ne se peut pas que la cour soit vraiment restreinte à examiner le plan global parce que cela voudrait dire que le recours aux tribunaux est limité à une révision judiciaire du processus et non pas à la finalité qui est d'assurer un droit substantif.
Je vous donne un exemple : au Nouveau-Brunswick, actuellement, on a adopté une loi aux termes de laquelle on a éliminé tous les organismes administratifs francophones dans le domaine de la santé. Au Nouveau-Brunswick, on a une loi qui s'appelle la Loi sur les communautés linguistiques officielles qui ressemble un peu à la partie VII. Alors, supposons qu'on est au fédéral et que le gouvernement abolit tous les organismes de santé francophones, qu'il remplace par un organisme provincial bilingue non représentatif de la communauté et qu'il élimine les élections; tout le monde est nommé par le gouvernement et deux tiers des membres ne viennent donc pas de la région où les gens sont desservis. Comme je vous l'ai déjà dit, c'est une institution bilingue. Ceci veut dire qu'on a réduit les droits des francophones dans le domaine de la santé à la prestation de services, à la communication. Vous avez le droit de demander un service en français et d'exiger un service en français, mais vous n'avez pas droit à des institutions homogènes et à un droit de gestion. Tout cela est éliminé.
Supposons que l'on soit en cour fédérale, si je suis le raisonnement du Procureur général du Canada, cela veut dire que je n'ai pas le droit de demander à la cour si l'abolition de toutes ces institutions francophones est conforme à la partie VII. Je peux seulement demander si, dans l'ensemble de tout ce qui a été fait par la province cette année, il y avait des « mesures positives » de développement de la communauté francophone. Si l'on a satisfait cela, c'est correct, parce que le gouvernement a le choix des moyens, il a le choix de les ajouter, de les retirer, de les modifier et, finalement, il n'y a pas de révision judiciaire. Pensez que cela serait conforme à l'esprit de la loi? Il me semble que non.
Si l'on reportait cela à l'histoire de l'Hôpital Montfort, cela voudrait dire que s'il y avait eu une partie VII dans la Loi de l'Ontario, la cour n'aurait pas pu décider si la fermeture de Montfort était légale ou pas. Tout ce qu'elle aurait pu faire, c'est vérifier si dans l'ensemble le gouvernement ontarien offre des programmes qui favorisent le développement et le maintien des communautés francophones.
Il semble tout à fait clair que la partie VII s'attache à la Loi sur les langues officielles et aux droits déjà reconnus et qu'elle crée une obligation positive pour le gouvernement d'agir pour le développement des minorités. On ne peut probablement pas dire qu'on pourrait aller devant les tribunaux pour exiger la création d'un programme et d'une nouvelle dépense, mais on a créé un droit de révision judiciaire.
En vertu de ce droit de révision, les tribunaux doivent se demander si le gouvernement, lorsqu'il a créé des programmes, a tenu compte de leur impact sur les minorités et leurs possibilités d'accéder à des services de qualité égale, et cela, dans le but d'émettre des ordonnances pour s'assurer que ce soit fait.
Le droit social, justiciable et reconnu dans une loi, relève du droit nouveau. Il faudra un certain temps pour que la jurisprudence se développe autour de la question. Mais le gouvernement devrait être sensible au fait que dans le développement des droits linguistiques, nous en sommes à un point où nous savons qu'une structure institutionnelle est fondamentale pour le maintien des minorités.
Je crois qu'à l'occasion du 40e anniversaire de la Loi sur les langues officielles, il faut faire un pas en avant en agissant positivement et en se donnant les moyens d'aller plus loin dans la prestation des services et de s'assurer que ces services soient véritablement accessibles et adaptés aux besoins des communautés.
La vice-présidente : Je vous remercie. Chose certaine, vous nous avez fait rêver d'un 40e anniversaire de la langue qui nous ferait faire un pas en avant et peut-être deux.
Le sénateur Losier-Cool : Monsieur Bastarache, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et je dois vous dire que depuis que je suis au Sénat, toute la question de la Loi sur les langues officielles me passionne. Mais vous allez vite vous apercevoir que je ne suis pas constitutionnaliste ni juriste.
Au début de votre allocution, vous avez parlé d'une approche déficiente et vous avez fait mention de l'affaire Desrochers. Est-ce que ce jugement permettrait cette structure institutionnelle dont vous avez parlé à la fin de votre présentation? Je croyais que l'affaire Desrochers pouvait s'interpréter par la partie VII.
M. Bastarache : Dans l'affaire Desrochers, les parties ont plaidé le fait qu'en vertu de la partie IV, les francophones avaient droit à un service d'égale qualité. Les parties ont tenté de fixer des normes à l'intérieur desquelles on pouvait juger si un service était d'égale qualité.
Le gouvernement avait argumenté le fait qu'en vertu de la Loi sur les langues officielles, l'égalité était l'égalité dans la prestation. En d'autres mots, un francophone a la même possibilité qu'un anglophone de demander un service en français et de le recevoir, mais que cela n'a rien à voir avec la qualité du service qu'il reçoit.
La cour a rejeté cet argument en affirmant que si l'on demande un service dans sa langue, mais qu'on reçoit n'importe quoi comme service, cela ne sert à rien et cela devient un droit qui est vide. Le gouvernement a l'obligation non seulement de communiquer avec la personne dans sa langue, mais de lui offrir un service adapté à ses besoins, comme cela se fait pour la majorité qui demande un service dans la langue majoritaire.
Quant à la partie VII, ce qui était argumenté c'est que le service qui était offert n'était peut-être pas un service adapté à la communauté francophone. Est-ce qu'on aurait dû laisser faire l'offre de ce service aux francophones et prévoir un autre service pour accommoder les francophones et atteindre les objectifs du ministère?
Le tribunal a pensé que c'était quelque chose qui pouvait être discuté en vertu de la partie VII, mais qu'en ce moment la partie VII n'était pas justiciable. Le tribunal a choisi de ne pas se prononcer sur la partie VII, mais elle a dit que même en vertu de la partie IV, étant donné que le gouvernement a l'obligation d'offrir un service d'égale qualité, on parle d'égalité réelle et non d'égalité formelle. Cela signifie qu'au plan institutionnel, le gouvernement doit s'organiser et agir comme s'il y avait deux communautés à desservir.
Je vous disais que c'était déjà un premier pas dans le sens de ce qui était demandé en vertu de la partie VII. Du point de vue de la cour, il y a quelque chose de différent. Dans le cas où l'on a deux services mal planifiés et de mauvaise qualité, on peut en déduire que les francophones ont le même droit à un mauvais service que les anglophones, mais qu'ils n'ont pas le droit de réclamer un service différent qui répondrait mieux à leurs besoins.
C'est pourquoi il est nécessaire d'avoir une approche institutionnelle qui fasse en sorte que le service offert, quelle qu'en soit la qualité, soit accessible aux deux communautés. De plus, dépendant de la nature du service, si cela nécessite une consultation de la minorité à desservir quant à ses besoins et ses priorités, il faut prévoir cette consultation indépendamment pour les deux groupes, car les besoins de l'un ne sont pas les besoins de l'autre.
Dans la partie VII, si le mandat du ministère est par exemple le développement de la petite entreprise, comme dans l'affaire Desrochers, il faut se demander s'il n'est pas important pour le ministère de planifier et de développer un programme particulier pour la minorité en vue de développer et de maintenir la minorité dans le domaine où travaille ce ministère.
Il s'agirait de faire des choses nouvelles, mais la cour ne s'est pas prononcée. Elle a simplement suggéré qu'il faudrait que ce soit différent et que soit des choses de cette nature, plutôt que tout simplement les exigences de la structure institutionnelle en vertu de la partie IV.
Le sénateur Losier-Cool : Pouvez-vous nous donner des exemples de ce qu'il pourrait y avoir dans cette structure institutionnelle? Est-ce que le gouvernement pourrait adopter un règlement pour l'application de la partie VII?
M. Bastarache : Oui, le gouvernement peut certainement le faire, dans la mesure où il adopte un règlement pour un ministère ou une agence. Mais pour le gouvernement dans son ensemble ou pour la partie VII dans son ensemble, cela me paraît extrêmement difficile.
Parce qu'on parle de partie VII ou de mesures que le gouvernement prend en vue du maintien et du développement de la minorité, mais ce sont des mesures qui sont prises par chaque ministère, par chaque agence gouvernementale. Je crois que c'est davantage dans le processus par lequel on développe les modes de prestation de services qu'on peut agir maintenant.
Au départ, dès la planification, il faut se demander quel sera l'impact sur la minorité linguistique. C'est comme cela qu'on sait si le programme est adapté aux besoins des deux communautés linguistiques ou pas. Autrement, on crée un programme comme s'il était neutre. C'est souvent l'erreur que commettent les gouvernements.
L'erreur, c'est de dire qu'un programme est neutre. Ce n'est ni français, ni anglais, ni ethnique. Chacun est citoyen. Certains parlent le français, d'autres l'anglais. Ce concept est vraiment théorique.
En pratique, il en est tout autre. Tous les systèmes organisationnels reflètent une culture, qu'elle soit administrative, juridique ou judiciaire. Ce n'est pas par hasard que les programmes sont constitués d'une certaine façon et adaptés aux besoins particuliers d'une communauté. Si on les développe en fonction des besoins de la majorité et qu'ensuite on traduit les pamphlets, on n'a pas satisfait les exigences de la loi, car on n'a pas donné un service d'égale qualité. On a toutefois communiqué dans les deux langues.
Le sénateur Losier-Cool : Était-ce pour refléter cette culture, il y a 40 ans, que l'on a mis en place la Loi sur les langues officielles?
M. Bastarache : Au tout début, la Loi sur les langues officielles visait à offrir les services dans les deux langues de façon générale. La qualité et la disponibilité des services en français étaient alors très limitées.
Lorsqu'on a commencé à mettre en œuvre la loi, on disait que ce sont les langues elles-mêmes, le français et l'anglais, qui sont égales indépendamment des personnes qui les parlent. C'est pourquoi on avait complètement détaché le droit au service de la langue parlée ou de la langue maternelle. En d'autres mots, je suis francophone, j'ai été éduqué en français et je parle le français à la maison. Toutefois, j'ai le droit d'exiger du gouvernement fédéral les services en anglais — et l'inverse est vrai. On avait dépersonnalisé toute la question des services. En un sens, cet aspect est toujours demeuré. Cependant, les tribunaux ont finalement déterminé que, de façon réaliste, si on veut servir des communautés linguistiques, il ne s'agit pas seulement de répondre aux questions dans la langue où elles sont posées; l'objectif social est beaucoup plus important. La raison pour laquelle on a des langues officielles est pour maintenir deux communautés de langues officielles à travers le Canada.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Je désire également vous souhaiter la bienvenue. Je suis très heureuse d'avoir l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui.
Vous avez dit quelque chose qui m'a frappée, soit qu'il doit y avoir égalité et qualité du service offert. Pensez-vous qu'un jour, je ne veux pas dire aujourd'hui, mais peut-être dans quelques années, il nous faudra avoir une Cour suprême où les juges sont bilingues?
M. Bastarache : C'est une question un peu délicate parce qu'en répondant, j'ai l'impression que je fais des commentaires sur les compétences de mes anciens collègues.
Il ne faut pas oublier que la Cour suprême existe depuis 125 ans et qu'elle n'est toujours pas une institution complètement bilingue. Nous avons obtenu le droit d'avoir des services dans notre langue en 1969. C'est quand même bien longtemps après la Constitution. Nous avons remédié à l'injustice au Manitoba 100 ans après l'événement.
Nous avons beaucoup accompli, mais il nous a fallu beaucoup de temps, et il faut nous demander si nous avons vraiment acquis beaucoup de maturité. Sommes-nous prêts à passer à la prochaine étape et à dire que nous sommes vraiment convaincus de l'égalité des langues et que nous sommes conscients du fait qu'il faudra faire des sacrifices?
Les résidants du Nouveau-Brunswick se souviendront peut-être qu'en 1969, lorsque la Loi sur les langues officielles a été adoptée au Nouveau-Brunswick, le premier ministre a fait une grave erreur lorsqu'il a présenté la loi. Il voulait réconforter la majorité et a dit qu'aucun fonctionnaire ne serait victimisé par l'adoption de la Loi sur les langues officielles. Ce n'était pas la bonne chose à dire parce qu'il est évident qu'il doit toujours y avoir des sacrifices. La majorité doit assumer des engagements si elle croit vraiment à l'égalité pour la minorité.
La même question se pose ici. Si nous voulons un système de justice vraiment bilingue, il faudra accepter les sacrifices. Sommes-nous disposés à le faire? Avons-nous acquis suffisamment de maturité pour passer de la parole aux gestes?
Le sénateur Jaffer : Si vous me le permettez, j'aimerais poursuivre dans la même veine.
Nous avons récemment adopté une loi qui confirme que le prévenu peut avoir son procès — cette disposition existait déjà mais elle a été renforcée — dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Je viens de la Colombie-Britannique et cette situation m'inquiète. Vous avez encore une fois parlé de l'égalité et de la qualité du service, et j'ai parlé aux représentants de la Law Society of British Columbia qui disent qu'une formation est offerte aux juges et à certains procureurs de la Couronne, mais aucune formation n'est offerte aux avocats de la défense. Ainsi, celui qui décide d'avoir son procès en français a très peu de choix pour ce qui est des avocats de la défense.
Nous ne créons donc pas l'égalité et la qualité du service. C'est bien joli de dire que quelqu'un dispose d'un droit, mais cette personne doit être en mesure de se prévaloir de ce droit, et c'est impossible si vous n'avez pas accès aux services. Pour moi, ce ne sont là que de belles paroles. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Bastarache : Comme vous le savez, nous avons toujours eu un problème à cet égard en raison de la double compétence. Le Code criminel relève du gouvernement fédéral, mais l'administration de la justice relève des provinces. Le gouvernement fédéral a offert une aide financière à nombre de provinces pour qu'elles se munissent de l'infrastructure institutionnelle de base nécessaire pour respecter les droits prévus dans le Code criminel; mais les problèmes ne se limitent pas à ce que vous avez dit. Vous avez le droit à Vancouver d'avoir un procès en français mais il n'y a pas d'appel.
Le sénateur Jaffer : C'est exact.
M. Bastarache : N'est-ce pas ridicule! Supposons qu'il y a un procès pour fraude et que 10 000 documents sont présentés en français. Que feriez-vous si vous interjetez appel de la décision? Traduirez-vous tous ces documents ou abandonnerez-vous tout simplement parce que la victime elle-même doit assurer la traduction de ces documents?
Nous essayons actuellement au Canada d'offrir ces services au niveau du tribunal d'appel et de mettre sur pied des tribunaux spéciaux qui sont en mesure d'entendre un appel en français. Cependant, est-ce vraiment normal de n'avoir qu'un demi-droit dans le domaine de la justice pénale? Comme vous l'avez signalé, ce n'est pas facile pour un prévenu de n'avoir qu'un accès limité au service d'un avocat. De plus, comme vous le savez, en Colombie-Britannique un prévenu passera probablement plus de temps derrière les barreaux avant d'avoir son procès; puis il faut se demander quelle sorte de procès ce sera.
À mon avis, c'est un peu offensant, comme j'ai signalé un peu plus tôt, que cette loi existe déjà depuis 40 ans. Combien de temps faut-il vraiment pour rajuster le système afin qu'il assure un service qui est garanti par la loi? Je sais que tout le monde dira que cela coûte cher, et ainsi de suite. Cependant, quelle valeur accordez-vous à l'égalité des droits et à la justice?
[Français]
Le sénateur Tardif : Maître Bastarache, c'est un réel privilège pour notre comité de vous recevoir aujourd'hui. Nous vous remercions d'avoir accepté de comparaitre devant nous.
Le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, a identifié cinq critères importants à considérer lorsqu'il est question de « mesures positives » : une approche proactive et systématique, des mesures concrètes et mesurables, des mesures adaptées aux besoins des communautés, des mesures qui sont continuellement évaluées et qui découlent d'une véritable consultation.
Vous avez parlé des besoins des communautés et de la consultation. Toutefois, de façon générale, que pensez-vous de ces critères? Quels critères ajouteriez-vous afin de clarifier la notion de « mesures positives »?
M. Bastarache : Je crois que ce sont de bons critères, mais il s'agit d'avantage de critères administratifs ou politiques et non des critères juridiques. En d'autres mots, si on applique ces critères et ensuite on demande à un tribunal de déterminer s'ils ont été rencontrés, celui-ci serait incapable de le faire, car ces critères sont trop généraux. Quand on parle de la mise en œuvre d'une loi, il est nécessaire d'en arriver à des choses beaucoup plus précises.
Par exemple, si l'on dit que dans la prestation de services il faut une analyse d'impact dès le départ, si les gens ensuite contestent la qualité des services, que le ministère n'est pas en mesure de prouver qu'il a tenu compte de l'impact sur la communauté francophone et qu'il a tenté d'ajuster son service ou sa structure administrative, celui-ci pourrait faire face à une décision de la cour l'obligeant à modifier son programme ou à restructurer son programme ou à consulter en vue de modifier son mode de prestation.
Ce genre de provisions est nécessaire. Le commissaire a raison de dire au gouvernement que c'est le genre de choses qu'il devrait y avoir à l'intérieur de ses programmes. Toutefois, je crois qu'il importe, avant tout, d'ajuster sa structure institutionnelle. Il faut toujours savoir qu'il ne s'agit pas d'un service à la population en général, mais d'un service à une communauté francophone et à une communauté anglophone. On doit alors se poser la question à savoir si les besoins sont les mêmes. S'il est question de voirie, on peut répondre par l'affirmative. Par contre, s'il s'agit de services de santé, d'éducation ou de services culturels, les besoins, les communautés et les ressources ne sont pas les mêmes. Par conséquent, si le gouvernement veut rencontrer ses objectifs ministériels vis-à-vis une communauté, il devra employer des moyens différents de ceux qu'il emploie pour l'autre communauté. Le gouvernement ne rencontrera pas ses objectifs à moins qu'il tienne compte de ce facteur dès le départ.
Le commissaire a aussi mentionné un point qui ne figure pas dans votre liste. Il a dit que le gouvernement ne devrait pas avoir le droit d'accuser des reculs. Il parlait en particulier du Programme de contestation judiciaire et disait que la cour devrait pouvoir demander au gouvernement de justifier l'abolition du Programme de contestation judiciaire. Je crois que le commissaire avait raison et que le procureur général avait tort. Cela ne signifie pas que le gouvernement ne peut abolir un programme et disposer du choix de ses moyens. Cela veut dire que quand il prend une mesure qui a un effet négatif sur la communauté, il doit la justifier et l'expliquer, car c'est une mesure qui est contraire à son obligation de promouvoir et de développer la communauté.
La crainte que les tribunaux diront au gouvernement comment structurer ses affaires n'est pas fondée. Le gouvernement a l'obligation de justifier ses actions en fonction de ses obligations.
Lorsque l'on prend des mesures pour fermer une institution francophone, comme le Programme de contestation judiciaire, dont on connait les effets bénéfiques, il me semble parfaitement légitime de demander au gouvernement certaines questions : Pourquoi l'a-t-il fait? A-t-il analysé l'impact sur la communauté? Prévoira-t-il des mesures alternatives pour compenser la perte? Cette décision est-elle conforme à ses obligations?
De dire qu'on a mis plus d'argent dans l'éducation ne me semble pas pertinent. C'est pourtant ce que le procureur général a indiqué en disant que le budget global pour les minorités a augmenté cette année-là. Je répondrai que c'est une bonne chose, mais que cela n'a rien à voir avec la question.
Le sénateur Tardif : Lors de sa comparution devant notre comité, le ministre de la Justice a indiqué que les avis qu'il donnait aux autres ministères et organismes au sujet de la partie VII étaient de nature confidentielle. Nous lui avons alors demandé de nous exposer les avis qu'il donne aux ministères lorsque ceux-ci demandent ce que signifie « mesures positives » et comment on peut mettre en œuvre l'article 41 de la partie VII. Le ministre de la Justice a alors indiqué qu'il ne pouvait pas répondre à cette question car elle était de nature confidentielle.
Que pensez-vous de cette déclaration? Comment pouvons-nous évaluer la mise en œuvre de la partie VII si on ne sait pas ce qui est dit par rapport à cet article?
M. Bastarache : Je crois que la seule façon qu'il puisse préserver la confidentialité est de dire que cette question fait partie des confidences entre un avocat et son client.
Je ne sais pas comment ce principe pourrait s'appliquer dans le cas présent. On parle d'une politique gouvernementale de mise en œuvre de la loi. Le ministère de la Justice devrait être en mesure d'expliquer comment il aimerait que les ministères comprennent leurs obligations. Même si, en théorie, le ministre avait raison — et je ne me prononcerai pas sur cette question — il me semble qu'il y a quelque chose d'anormal. Les ministères doivent connaître leurs obligations pour être en mesure de les rencontrer. À mon avis, ils doivent être capables de dire au public ce qu'ils pensent être leurs obligations. Il me paraît très étrange de dire, « je ne suis pas capable de vous dire ce à quoi je suis obligé, mais voici ce que je vais faire ».
Le sénateur Fortin-Duplessis : Maître Bastarache, c'est vraiment un plaisir de vous accueillir devant notre comité.
Je suis quelque peu préoccupée par le nouveau programme d'appui aux droits linguistiques qui met l'emphase sur la médiation. Comme vous le savez, toute négociation ou médiation comporte un aspect donnant-donnant.
Les communautés francophones hors Québec ou la communauté anglophone au Québec devront-elles inévitablement renoncer à certains gains si elles veulent en réaliser d'autres?
M. Bastarache : Je vois une contradiction interne fondamentale dans le nouveau programme. Il est fait pour ce que l'on appelle en anglais des « test cases », soit des questions importantes au plan constitutionnel qui n'ont jamais été résolues par les tribunaux. L'objectif du programme est de financer des activités qui vont permettre de clarifier le droit, dire si les lois sont valides sur le plan constitutionnel et déterminer quelle est l'étendue des protections linguistiques.
Comment voulez-vous négocier l'étendue ou l'existence d'un droit et la constitutionnalité d'une loi? Cette tâche me paraît impossible. La médiation peut se faire sur la mise en œuvre ou l'application de la loi. Eux disent que l'application de la loi n'entre pas dans les critères du programme. Les critères du programme comprennent les grandes questions nationales, les questions importantes d'interprétation et de détermination du contenu et de la nature du droit. Par contre, si on ne parle pas de la mise en œuvre du droit, on connaît le droit, mais qu'on ne s'entend pas sur la façon de l'appliquer, pourquoi impose-t-on la médiation et la discussion? De quoi va-t-on discuter?
À titre d'exemple, je poursuis le gouvernement du Nouveau-Brunswick pour faire déclarer inconstitutionnelle une partie de sa loi sur la santé. Que puis-je négocier? Je demande à la cour de déclarer sa loi inconstitutionnelle. Il n'y a rien à négocier. Elle est constitutionnelle ou elle ne l'est pas. Il n'y a rien entre les deux. On ne peut pas s'entendre pour dire que la loi est à moitié constitutionnelle.
Si la nature du programme n'est pas de financer toutes les causes linguistiques, y compris la mise en œuvre quand elle est contestée, mais uniquement les causes qui ont trait à la détermination du contenu et de la portée des droits, il me semble qu'il n'y a pas de place pour la médiation.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Étant donné qu'il n'existe aucun tribunal canadien des droits linguistiques, quels autres moyens existent pour rendre les droits linguistiques à ceux qui les ont perdus ou se sentent lésés?
M. Bastarache : Le problème sera celui que nous avons depuis l'abolition de l'ancien programme. Les gens devront financer leurs causes, trouver dans la population des appuis financiers suffisants et des avocats qui travaillent de façon bénévole.
Dans le nouveau programme, la seule chose que l'on puisse espérer, c'est que les gens qui administrent le nouveau programme, lorsqu'ils constateront la nature des questions posées, réaliseront que ce ne sont pas des questions sur lesquelles on peut appliquer une médiation et qu'ils accepteront de passer directement à la deuxième phase et de financer la poursuite. Une certaine discrétion est de mise dans l'administration du programme. Je vois difficilement comment on peut concilier la médiation avec la nature même du programme tel que le ministre l'a décrite.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.
Le sénateur Pépin : Bonjour. C'est ma première journée au comité et je dois avouer que je suis très contente de commencer avec vous.
Une question a été posée et je voudrais simplement m'assurer que j'ai bien compris votre réponse. La nature du service doit faire bouger le gouvernement, offrir un service égal et non un accommodement. Croyez-vous que l'on devrait avoir une structure et des règlements dans chaque département pour encadrer l'application? Cela faciliterait-il l'application d'une loi ou y a-t-il une meilleure façon de procéder?
M. Bastarache : Le danger avec la règlementation, c'est qu'on peut facilement penser que l'appréciation des faits peut se faire de façon mécanique. Par exemple, en vertu de l'article 20, on dit que le gouvernement fédéral doit fournir des services au siège social, mais là où la demande est suffisante. Avez-vous déjà vu le règlement? Il contient environ dix pages de texte condensé en caractères minuscules. C'est incompréhensible. Je vous garantis que n'importe qui d'entre vous ne pourrait trouver d'informations au niveau des services disponibles. Et puis, c'est mécanique. C'est 3000 personnes ou 5 p. 100 de la population sauf dans tel cas, sauf dans ceci, sauf dans cela. Je ne suis pas certain que ce soit le but recherché.
Quand je pense aux services gouvernementaux, je me pose la question suivante : quand on parle de « nombre suffisant », est-ce « suffisant » du point de vue des besoins de l'administration ou des besoins de la population à desservir? Tout le régime administratif et réglementaire est fait en fonction des besoins du gouvernement. Supposons qu'on décide d'offrir des services dans une ville d'environ un million de personnes, si c'est 5 p. 100 de la population où un minimum de 5000 personnes et qu'on arrive à 4 900, que fait-on? On a tout le personnel en place. Leur demande-t-on d'arrêter le service? Cela me paraît inconséquent.
Si l'objectif est de soutenir une communauté, les nombres vont-ils vraiment déterminer cette question ou une appréciation plus qualitative ne doit-elle pas être faite? Doit-on aller sur place pour constater une véritable communauté à l'intérieur de cette ville? Y a-t-il une vie communautaire, une infrastructure institutionnelle que le gouvernement devrait contribuer à maintenir? Je pense que ce type d'approche serait plus conforme à l'objectif décrit dans la partie VII de la loi.
Par contre, il n'est pas aisé d'inclure ce principe dans un règlement. C'est pour cela que je favoriserais plutôt des obligations du point de vue de la méthode, à savoir que toute la planification devrait être faite en fonction de deux communautés à desservir; la population doit être consultée sur ses besoins, et cetera.
Le sénateur Losier-Cool : Je ne peux m'empêcher de vous dire que j'ai l'impression d'entendre le regretté sénateur Beaudoin qui nous répétait sans fin, en comité, que ce n'est pas une question de nombre, mais une question de droit! C'est exactement ce que vous venez de nous dire.
[Traduction]
Le sénateur Seidman : Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de venir rencontrer le comité aujourd'hui.
Les questions dont vous avez parlé aujourd'hui sont très importantes non seulement du point de vue juridique, mais également du point de vue philosophique. Vous nous avez demandé de nous pencher sur des principes fondamentaux. Vous dites dans le texte que vous nous avez remis aujourd'hui, à la page 3, ce qui suit :
Les rapports entre groupes linguistiques sont fondés sur l'histoire, les attitudes, la perception de soi. La minorité est toujours dans un état d'insécurité au plan culturel et si elle ne peut compter que sur le pouvoir judiciaire pour sa protection, il me semble qu'il lui sera difficile de trouver sa place dans la société sur la base d'une reconnaissance de statut réel.
Compte tenu de cette analyse, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada la semaine dernière dans lequel elle cassait le projet de loi 104 du Québec qui limite l'accès des immigrants aux écoles de langue anglaise.
M. Bastarache : Cet arrêt correspond à ce qui avait été énoncé dans l'affaire Solski c. Québec. En fait, on reconnaît que le gouvernement du Québec avait un objectif légitime puisqu'il cherche à empêcher les citoyens de fausser le système de libre choix en créant une situation artificielle où les enfants fréquentaient l'école anglaise pendant une brève période, juste pour qu'ils puissent avoir accès au système public plus tard.
Cependant, le libellé de la loi même était fautif parce qu'il n'y avait aucune nuance. Prenons l'exemple d'une personne dont l'enfant va à l'école privée, mais qui perd son emploi et ne peut plus se permettre d'envoyer cet enfant à cette école; ou prenons le parent qui doit déménager dans une ville, à la suite de la demande de son employeur où il n'y a pas d'école privée; prenons les enfants qui ont des problèmes psychologiques et qui ne peuvent pas suivre un programme en français?
Aucun accommodement n'a été prévu pour ces circonstances extraordinaires. C'est pourquoi la loi a dû être jugée comme allant à l'encontre de la Constitution. À mon avis, le juge LeBel dans ses motifs a expliqué clairement que la province pouvait toujours décider si ce choix ne visait qu'à obtenir l'accès aux établissements d'enseignement anglais sans pour autant avoir décidé que les enfants faisaient partie d'une communauté linguistique, qu'on veut que ces enfants soient intégrés dans cette collectivité. Le caractère artificiel de ces décisions était très clair puisqu'on n'envoyait ces enfants aux écoles anglaises que pour quelques mois. Il existe un critère dont le gouvernement du Québec pourrait se servir.
À cet égard, il s'agit en quelque sorte de la même analyse que dans l'arrêt Solski, qui porte sur les personnes qui déménagent d'une province à une autre. Évidemment, le problème est que vous ne pouvez pas contrôler la façon dont on exerce ces pouvoirs discrétionnaires. En fait, je crois que c'est justement ce dont se plaignaient les groupes de langue anglaise du Québec. Ils disaient qu'en théorie tout est bien joli mais qu'en fait, si le tribunal administratif responsable de ce dossier n'agit pas équitablement, il est impossible pour la personne visée d'exercer un recours. Je ne peux pas vraiment faire de commentaire là-dessus parce qu'il est impossible de confirmer si ces préoccupations sont justifiées. Cependant, il est très difficile pour le tribunal de trouver un autre compromis.
[Français]
Le sénateur Mockler : Merci beaucoup. En 1969, lorsque j'étais étudiant en sciences politiques, on lisait de vos commentaires au sujet de l'ancien gouvernement de M. Robichaud, entre autres. Moi, je suis l'un de ses produits.
Je dois dire que j'ai été le premier à siéger en tant que président francophone suite à l'adoption de la loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick. C'était dans le district 32, dans la région de Grand-Sault.
Au fur et à mesure que les gouvernements se sont succédé, on a assisté à la modernisation de la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick. Au nom de ceux que je représente, je dois vous dire que vous êtes une autorité incontournable et aussi, pour emprunter une expression de M. Louis Robichaud, vous êtes certainement un juriste magnanime.
Ma question concerne le rôle des politiciens et des juges. À mon avis, le gouvernement doit reconnaître son obligation d'agir à l'égard de la progression vers l'égalité. Devrait-on saisir aujourd'hui même l'opportunité de moderniser la Loi sur les langues officielles?
M. Bastarache : Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'apporter des modifications importantes à la loi. Il faut plutôt un changement d'attitude. Dans le fond, le fait de changer les structures, les définitions et les obligations n'amène pas grand-chose si le changement n'est pas suivi par des gestes concrets. Ce qui m'inquiète au Canada, c'est que toute la philosophie d'aménagement linguistique a été développée par les tribunaux, pas même par le gouvernement.
C'est la Cour suprême qui a décidé qu'on avait droit à des écoles homogènes et à la gestion scolaire. C'est la Cour suprême qui vient de décider que c'est l'égalité réelle et non l'égalité formelle qui s'applique. C'est la Cour suprême qui a décidé que dans le domaine criminel l'accommodement n'était pas suffisant et qu'il fallait recevoir les gens dans une structure institutionnelle égale.
Les minorités vont-elles indéfiniment dépendre des tribunaux pour définir leurs droits? Une fois défini par les tribunaux, comment peut-on s'assurer que les gouvernements suivront et accepteront le nouveau régime et qu'ils accepteront le fait qu'ils sont les maîtres d'œuvre de la politique linguistique?
Parce qu'il n'y a pas de politique linguistique qui se fera de façon négative. On dit souvent que dans les droits fondamentaux il y a des droits négatifs et des droits positifs. Le droit négatif signifie que le gouvernement ne peut rien faire pour vous empêcher d'exercer vos droits. Le meilleur exemple d'un droit négatif, c'est le droit à la liberté d'expression. Le gouvernement ne pourrait pas adopter une loi qui vous empêcherait de parler d'un sujet donné en public.
Un exemple de droit positif, c'est le droit à l'éducation. Vous ne pouvez pas exercer votre droit à l'éducation si le gouvernement ne construit pas d'écoles ou n'embauche pas les enseignants. Le droit positif appelle une action positive de la part du gouvernement. Ce dont on a besoin, c'est que le gouvernement accepte l'évolution qui s'est faite sur le plan des notions et des définitions par le biais des tribunaux.
Il doit accepter qu'il est le vrai maître d'œuvre de l'aménagement linguistique et qu'il doit se donner un plan de travail et se fixer des objectifs clairs permettant l'accès à des services d'égale qualité aux deux communautés linguistiques. Il ne devrait pas attendre que les tribunaux lui ordonnent.
Lorsque vous examinerez les décisions de la Cour suprême, comptez le nombre de fois que le gouvernement fédéral a gagné une cause linguistique. Le gouvernement affirme qu'il est celui qui adopte la Loi sur les langues officielles et qui finance Patrimoine canadien, mais il se retrouve constamment devant les tribunaux et perd sa cause. S'il perd, c'est probablement parce que son argument n'est pas soutenable.
Le sénateur Mockler : D'entrée de jeu, les gouvernements doivent reconnaître l'existence de leur obligation à l'égard de la progression vers légalité constante. Quels sont les mécanismes que devraient utiliser les politiciennes et les politiciens? Dans quelle voie devrait-on nous engager?
Il doit y avoir une action entreprise suite aux décisions de la Cour suprême. Nous sommes en démocratie, nous avons un processus électoral pour élire nos représentants, peu importe d'où ils viennent, peu importe leur multiculturalisme. Si nous voulons reconnaître un cheminement et moderniser la loi sans toujours aller devant la Cour suprême, quels mécanismes devrait-on utiliser?
M. Bastarache : Le gouvernement doit arrêter de résister à la mise en œuvre des décisions. La cour a clarifié le droit et elle lui a indiqué la voie à suivre et des décisions politiques et administratives devraient être prises pour aller dans cette voie.
Mais il semble que très souvent il y a de la résistance. On voit qu'on a perdu, on n'est pas content et on fera le moins possible. On va faire ce qu'on est obligé de faire pour ne pas être en mépris de l'ordonnance judiciaire.
Mais si on a une attitude différente, si on accepte le fait que les obligations sont plus claires, qu'on sait ce qu'on a à faire, on est capable de bâtir des structures administratives et d'adopter des approches institutionnelles qui iront dans le sens qu'indique la cour dans ses jugements.
C'est pour cela que j'ai commencé en vous citant le procureur général dans son affaire de 2007 parce que je trouve dommage et inquiétant qu'on modifie la Loi sur les langues officielles pour dire que maintenant les justiciables canadiens peuvent aller devant les tribunaux pour faire mettre en œuvre la partie VII de la loi.
La première réaction du gouvernement est de dire que la partie VII ne veut rien dire, que ce n'est rien de nouveau, que leurs obligations sont vraiment très atténuées. Dans le fond, tout ce que la cour est capable de faire c'est de vérifier si on a répondu aux exigences spécifiques dans la loi comme le dépôt d'un rapport ou la création d'un programme de soutien aux minorités.
Est-ce que c'est vraiment ce qu'on a voulu faire? Pourquoi modifier la loi pour demander à la cour de faire si peu? Est-ce que c'est vraiment l'esprit du changement et est-ce que c'est vraiment l'esprit de la partie VII?
La vice-présidente : Honorables sénateurs, nous allons commencer un deuxième tour de questions. J'apprécierais que les questions soient un peu plus courtes pour que tous puissent émettre leur opinion ou poser une autre question à monsieur le juge avant que l'heure soit terminée.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : J'aimerais poser une question sur le Programme de contestation judiciaire. Je ne veux pas vous mettre dans une position délicate, mais vous avez été juge pendant presque 11 ans. Vous avez sans doute été saisi d'un bon nombre de dossiers portant sur le Programme de contestation judiciaire qui permettait au commun des mortels de faire valoir ses droits.
Les langues officielles subissent un autre coup avec l'arrêt du Programme de contestation judiciaire. Dites-moi donc ce qu'il adviendra maintenant, étant donné qu'une contestation devant la Cour suprême du Canada est fort onéreuse et empêchera un citoyen ordinaire de faire valoir ses droits.
M. Bastarache : Il s'agissait d'un programme fort important qui avait une énorme incidence. Le programme a financé presque toutes les contestations qui portaient sur l'éducation. Mais il faut se rappeler du contexte du programme. Le premier niveau du programme octroyait 25 000 $. Connaissez-vous une cause qui coûte 25 000 $? Tous les avocats travaillaient à des taux minimums. Cela défrayait les dépenses plus qu'autre chose. Le financement disponible était très limité. Il en coûtait peu au gouvernement. En revanche, il s'agissait de la seule source qui fournissait suffisamment de financement pour entamer le processus. Le résultat final était fantastique. Le nombre d'étudiants qui ont accès à l'éducation dans leur langue, soit dans la langue de la minorité, a quadruplé en quatre ou cinq ans et a quadruplé de nouveau. Une quantité énorme d'écoles et de conseils scolaires ont été créés par le biais de ces contestations.
Autant de causes n'auraient jamais pu être entendues sans cette aide, car les contestations sont proposées par des populations minoritaires qui sont très petites, ont peu de ressources et qui n'aiment pas être montrées du doigt. Il est difficile de trouver des gens qui porteront le flambeau et accepteront les malaises sociaux qui proviennent du fait d'être identifiés à une telle cause. Ces gens investissent beaucoup de temps et d'efforts dans une situation qui est très stressante.
J'ai représenté trois ou quatre personnes qui avaient perdu leur emploi parce qu'elles contestaient le gouvernement. Il s'agissait d'employés du gouvernement. Certains d'entre eux avaient des contrats et leurs contrats n'avaient pas été renouvelés. Ils devaient donc, de surcroît, faire face à un stress financier.
On veut leur enlever ce droit limité sans songer à la nature des contestations. Dans presque tous les cas, il s'agissait de gens qui voulaient qu'il y ait une école pour leur enfant. Il ne s'agit pas de subventionner l'extrême gauche. Il s'agit d'un besoin de base dans notre société. Quoi qu'il en soit, dans tous ces cas, il s'agit de la mise en œuvre des droits constitutionnels — droits que nous reconnaissons nous-mêmes comme étant les droits les plus importants du pays.
Je trouve qu'il est déplorable que l'on ne soutienne pas ces contestations judiciaires. Bien entendu, nous préférions tous ne pas avoir à faire de contestations en ayant un gouvernement qui assume véritablement ses responsabilités d'une manière plus ouverte. Mais je crois que les tribunaux auront toujours un rôle à jouer. Ce programme limité dont nous nous prévalions était essentiel, et il n'aurait pas fallu y mettre un terme.
Le sénateur Jaffer : Le programme ne touchait pas uniquement des gens qui voulaient faire valoir leurs droits en matière d'éducation. Dans mon quartier, les enfants de mon voisin vont à l'école en français et mon petit-fils est en immersion. Cela crée un milieu dans lequel il est naturel de parler dans les deux langues. Cela lui donne un rôle plus vaste puisque la collectivité à la possibilité de se doter d'une autre langue.
M. Bastarache : C'est exact. C'est une question très personnelle pour les gens qui font une contestation. Ils veillent à l'éducation de leurs enfants. Comme vous l'avez mentionné, quand ils obtiennent ce droit, cela a une répercussion fondamentale dans notre société. Il ne s'agit pas tellement d'une question de tolérance. Je ne crois pas que ce soit le bon terme à utiliser. Il ne faut pas dire qu'on va tolérer les gens parce qu'ils veulent être servis dans leur langue. On veut obtenir une intégration complète, une pleine participation et des occasions égales pour que les gens deviennent des citoyens reconnus ayant un statut égal. Le programme permet, comme vous l'avez mentionné, de mieux atteindre cet objectif.
Le vice-président : Lorsqu'on parle de ce programme, il y a quelqu'un quelque part qui a dû croire que, par l'entremise du programme, le gouvernement donnait de l'argent à des gens pour qu'ils poursuivent le gouvernement. Je pense que c'est une des raisons qui a motivé, à un moment donné, l'abolition du programme. Je ne suis pas d'accord, mais c'est ce que les gens pensaient à l'époque.
[Français]
Le sénateur Tardif : Maître Bastarache, je partage vos avis quant à l'attitude de résistance dans la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Je dirais aussi qu'un minimalisme s'installe de plus en plus dans la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles.
Souvent les communautés de langues officielles en situation minoritaire ne peuvent faire de véritables gains à moins d'aller devant les tribunaux. Je suis d'accord qu'il faut un engagement réel de la part des gouvernements. Dans bien des cas, parce que cet engagement réel n'existe pas, les gens doivent aller devant les tribunaux.
Lorsqu'on parle de la partie VII en particulier, il faut arriver à bien comprendre le sens des mots « mesures positives ». Vous avez indiqué que les critères utilisés ou les suggestions données par le commissaire étaient davantage des critères administratifs. Quels seraient des exemples de critères juridiques si on voulait bien comprendre la portée de l'engagement à mettre sur pied des « mesures positives » pour l'épanouissement des deux communautés de langue officielle?
M. Bastarache : Ce serait l'obligation juridique de vérifier l'impact des programmes sur les deux communautés avant qu'un programme ne soit mis en œuvre. Il s'agirait de vérifier si la structure administrative donne un accès égal aux services, et de vérifier si le service dispensé est égal non pas de façon formelle, mais de façon réelle.
Je trouve tout à fait anormal que l'on insiste, encore aujourd'hui, 40 ans après la Loi sur les langues officielles, pour embaucher des gens qui ne sont pas capables de donner un service égal et de leur donner de la formation linguistique. Cela pouvait peut-être se justifier il y a 40 ans, mais aujourd'hui, ce n'est plus cela. Vraiment, il n'y a plus de justification. Nous en sommes rendus à la 30e convention collective depuis que tout cela a commencé, on est certainement capable d'arriver à des objectifs différents de ceux-là. Lorsqu'on donne un service, il doit être l'équivalent du service dans l'autre langue. Mais si c'est une traduction, si c'est quelqu'un qui s'exerce à apprendre la langue, c'est peut-être satisfaisant pour la personne en question, mais ce n'est certainement pas un accès égal à un service égal pour le public. Ce sont des obligations à définir, soit dans la loi ou dans des règlements.
En d'autres mots, les critères sont toujours un peu plus vagues parce que ce sont des droits sociaux. Toutefois, ils sont assez précis pour être vérifiables par les tribunaux. Si le tribunal est saisi de la question, il peut demander au sous-ministre ou à la personne responsable du programme de lui prouver qu'il a examiné l'impact sur la communauté, de lui montrer les mesures prises pour que la structure institutionnelle soit conforme à l'obligation de desservir séparément les deux communautés en fonction de leurs besoins propres. Il y a là quelque chose qui peut s'articuler.
Les tribunaux peuvent vérifier pour ensuite rendre des ordonnances obligeant le gouvernement à faire ce qu'il aurait dû faire au départ pour offrir des services d'égale qualité.
Le sénateur Tardif : Est-ce que les communautés ont des responsabilités particulières en ce sens?
M. Bastarache : Je crois que dans beaucoup de domaines il faut une certaine consultation de la communauté pour bien connaître ses besoins et ses priorités; je crois que les gens doivent s'exprimer. C'est un peu comme dans le domaine des droits de la personne; si quelqu'un a une déficience physique, et ne le dit à personne, et si cette personne tombe malade et se plaint que l'on ne l'a pas accommodée, c'est bien difficile pour l'employeur d'accommoder une personne s'il ne sait pas qu'elle a une condition qui l'empêche de remplir ses obligations.
Les communautés ont le devoir d'informer le gouvernement que le service n'est pas adéquat, ne répond pas aux besoins, et cetera. L'action positive suppose que c'est le gouvernement qui devrait en premier aller consulter et aller chercher l'information nécessaire pour mettre en place des programmes qui répondent à ces obligations.
Le sénateur Losier-Cool : Ma question suit ce que dit le sénateur Tardif, à savoir que notre comité essaie vraiment d'identifier ce qu'est une « mesure positive » en faisant l'étude de la partie VII.
Quand vous mentionnez le mot « impact », cela me fait penser à l'environnement et toutes les études d'impact environnemental que l'on fait. Est-ce que le gouvernement pourrait étoffer, peut-être, dans un règlement général, la partie VII relativement à un impact linguistique — sans nécessairement apporter des modifications?
M. Bastarache : C'est un bon exemple. C'est justement un domaine où le gouvernement n'a pas le droit d'agir sans avoir vraiment mesuré l'impact de sa décision sur l'environnement et même sur les communautés. Les communautés autochtones, par exemple, si on veut construire un barrage dans le Nord ou autre, doivent être consultées; on doit avoir des plans d'aménagement. Dans le domaine linguistique, il y a moyen de faire quelque chose qui suit un peu la même philosophie. On peut penser que certaines mesures auront un impact et on devrait avoir des analyses d'impact, des consultations publiques et choses comme celles-là.
Le sénateur Losier-Cool : Ces choses pourraient être des « mesures positives ».
M. Bastarache : Oui.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question est un peu différente de celles des autres. En acceptant en 2005 la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le Canada a reconnu dans le droit à la culture un des droits fondamentaux les plus importants. L'égale dignité des cultures, l'accès équitable et l'ouverture des cultures au monde font partie de la définition de ce droit.
Est-ce que cette convention pourrait avoir un impact important sur la protection des droits linguistiques garantis par la Charte, puisqu'il s'agit d'un des rares traités qui reconnaisse l'importance des droits collectifs, qui est l'une des pierres angulaires de la culture juridique canadienne?
M. Bastarache : Je pense que la langue est le principal véhicule de la culture. Si quelqu'un arrive au Canada en tant qu'immigrant, étant d'une culture différente, ne parlant ni l'anglais ni le français, et si je vous demandais quelle est la première chose que cette personne devrait faire pour être acceptée au Canada et monter qu'elle veut s'intégrer, vous me répondriez que c'est d'apprendre une des deux langues officielles. C'est tellement évident que la langue est le premier véhicule d'intégration et que l'intégration linguistique apporte l'intégration culturelle. Car, lorsqu'on se joint à un groupe culturel, on le fait par la langue.
Dans ce sens, cela renforce l'importance des droits linguistiques. Mais on n'a pas vraiment besoin de cela parce qu'on a l'affirmation par la Cour suprême, dans le Renvoi sur la sécession du Québec, que les protections linguistiques font partie des droits des minorités, qui sont un des principes fondamentaux sur lequel repose la démocratie canadienne.
Cela ne peut pas être à un niveau plus élevé que cela, au niveau de la philosophie et des principes qui devraient nous guider dans la mise en œuvre des lois.
Le sénateur Pépin : Pour assumer nos responsabilités en tant que parlementaires ou en tant que gouvernement, croyez-vous que nous devons être beaucoup plus proactifs que réactifs lorsque nous rédigeons une loi, mais aussi en réponse à certaines décisions de la Cour suprême? Également, le recours à la médiation est-il un plus ou un recul par rapport au programme de contestations judiciaires qui existait auparavant?
M. Bastarache : Pour répondre à la dernière question, le recours à la médiation est inutile dans le contexte où l'on a prévu le programme. Il serait utile si l'on était prêt à financer des causes sur l'application de la Loi sur les langues officielles.
Pour ce qui est du rôle des parlementaires, vous pouvez en tant que parlementaire suggérer au gouvernement de nouvelles approches, de changer aussi sa façon de voir le besoin de la population à desservir. Le meilleur exemple est celui de l'article 20, que je mentionnais tantôt, où le gouvernement prend une approche purement mathématique pour savoir où il devrait offrir des services dans les deux langues officielles. Il me semble qu'on devrait se débarrasser de cette approche purement administrative et se demander quelles sont les communautés pour lesquelles on devrait offrir un service.
L'autre chose est que l'on devrait se demander si c'est vraiment logique de dire qu'on doit offrir un service dans la langue minoritaire lorsque le nombre est suffisant, mais que l'on compte uniquement les gens dont c'est la langue maternelle ou la langue parlée le plus fréquemment à la maison. Il me semble que, si l'on accepte qu'au Canada il y ait deux langues officielles, on devrait compter tous les gens qui parlent la langue en question et ne pas limiter cela aux gens dont c'est la langue maternelle ou parlée le plus souvent à la maison.
D'ailleurs dans les communautés minoritaires, c'est odieux de dire que c'est limité aux personnes qui le parlent le plus souvent à la maison, à cause de l'exogamie. Beaucoup de gens sont dans des mariages mixtes. Dans les mariages mixtes, la grande majorité du temps, l'anglais est la langue la plus souvent parlée à la maison. Cela ne veut pas dire que les gens ne savent pas parler français, et cela ne veut pas dire qu'ils ne veulent pas parler français. Je pense qu'on devrait donner l'occasion à tous ceux qui veulent des services en français de les avoir. Si on veut compter des têtes, on devrait compter tous ceux qui parlent le français et pas seulement ceux qui ont le français pour langue maternelle.
La vice-présidente : Monsieur Bastarache, au nom de tous mes collègues, je veux vous remercier très sincèrement de votre gentillesse, de votre amabilité et de tous les détails que vous nous avez donnés. Pour ma part, j'avais l'impression de retourner à l'école avec mes cheveux gris et cela m'a fait un grand bien. Je vous en remercie énormément.
Chers collègues, nous allons suspendre la séance pour nous retrouver à huis clos dans quelques minutes.
(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)