Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 1 - Témoignages du 17 mars 2010


OTTAWA, le mercredi 17 mars 2010

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Bonsoir et soyez les bienvenus, honorables sénateurs, membres du public et téléspectateurs de partout au pays, à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis le sénateur Gerry St. Germain, de la Colombie-Britannique, et j'ai l'honneur de présider ce comité.

Le comité a pour mandat d'examiner les projets de loi et les questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada. Ce mandat donne au comité le pouvoir très large de se pencher sur diverses questions d'intérêt pour les Premières nations, les Métis et les Inuits.

La réunion d'aujourd'hui servira à recueillir de l'information auprès des représentants d'Affaires indiennes et du Nord Canada, ou AINC, au sujet de l'incidence de la décision McIvor rendue par la Cour d'appel de la Colombie- Britannique sur les dispositions actuelles relatives à l'inscription de la Loi sur les Indiens.

[Français]

Avant d'entendre nos témoins, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont présents :

[Traduction]

À ma gauche se trouve le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons ensuite le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, puis le sénateur Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

À ma droite se trouve le sénateur Patterson, du Nunavut. Puis, nous avons les sénateurs Stewart Olsen et Poirier, du Nouveau-Brunswick, et enfin le sénateur Raine, de la Colombie-Britannique.

Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons aujourd'hui deux représentants d'AINC : Roy Gray, directeur, Secteur de la résolution et des affaires individuelles, et Brenda Kustra, directrice générale, Secteur des opérations régionales. Nous accueillons également Martin Reiher, avocat-conseil au ministère de la Justice du Canada.

Je crois que M. Gray et Mme Kustra feront chacun une brève déclaration préliminaire et que M. Reiher les aidera à répondre aux questions. Monsieur Gray, la parole est à vous.

Roy Gray, directeur, Secteur de la résolution et des affaires individuelles, Affaires indiennes et du Nord Canada : Bonsoir. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je m'appelle Roy Gray, et voici mes collègues, Brenda Kustra et Martin Reiher. Je commencerai par faire un bref exposé sur le projet de loi C-3, la Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au Registre des Indiens, que le ministre Strahl a déposé jeudi dernier. Le gouvernement propose des modifications législatives à certaines dispositions de la Loi sur les Indiens concernant l'inscription au Registre des Indiens, en réponse à une décision de la Cour d'appel de la Colombie- Britannique.

Le 6 avril 2009, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué dans l'affaire McIvor c. Canada que certaines dispositions relatives à l'inscription de la Loi sur les Indiens sont inconstitutionnelles parce qu'elles violent la disposition d'égalité de la Charte canadienne des droits et libertés. La cour a suspendu sa déclaration d'invalidité pour 12 mois, soit jusqu'au 6 avril 2010, pour donner au Parlement le temps de modifier la loi en réponse à la décision.

Pendant cette période, Affaires indiennes et du Nord Canada a mené un processus de participation qui comprenait des séances d'information pour les Premières nations et les organismes autochtones, et nous avons reçu la rétroaction de ces organismes, des Premières nations, ainsi que de personnes de toutes les régions du Canada.

Somme toute, le projet de loi C-3 garantira aux petits-enfants admissibles des femmes qui ont perdu leur statut en épousant un non-Indien le droit de s'inscrire pour la première fois au Registre des Indiens et d'obtenir le statut d'Indien inscrit.

Permettez-moi de situer la question en contexte. Avant les modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1985 par le projet de loi C-31, le mariage était un facteur principal dans l'obtention ou la perte du statut d'Indien inscrit. Les hommes indiens qui épousaient une non-Indienne pouvaient transmettre leur statut à leur épouse, tandis que les femmes indiennes qui mariaient un non-Indien perdaient les droits que confère le statut d'Indien inscrit. Il en résultait une inégalité entre les lignées masculine et féminine des mêmes familles.

L'un des principaux objectifs des modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1985 était d'en éliminer les dispositions discriminatoires et de rétablir le statut des personnes qui l'avait perdu. Un autre changement important visait l'introduction de catégories d'inscription au Registre des Indiens dans les paragraphes 6(1) et 6(2). Les personnes inscrites en vertu du paragraphe 6(1) peuvent transmettre leur statut à leurs enfants, quel que soit le statut de l'autre parent. Par contre, pour qu'un parent inscrit en vertu du paragraphe 6(2) transmette le statut d'Indien à son enfant, il doit avoir eu cet enfant avec une personne également inscrite au Registre des Indiens ou admissible à l'être. Si l'autre parent est un non-Indien, l'enfant n'a pas droit à l'inscription.

Le moyen le plus simple d'expliquer l'effet des modifications proposées à la Loi sur les Indiens est probablement d'utiliser un diagramme. Je crois que vous avez devant vous des diagrammes dans les deux langues.

Prenons un frère et une sœur qui ont tous deux épousé des non-Indiens. Dans le haut du diagramme, sous le titre « Entrée en vigueur des modifications de 1985 », vous voyez que les petits-enfants du frère, du côté gauche, et les petits- enfants de la sœur, du côté droit, sont traités différemment. Les petits-enfants du frère sont admissibles à l'inscription, tandis que ceux de la sœur ne le sont pas. Voilà, en résumé, le fondement de l'affaire McIvor.

On voit l'effet du projet de loi C-3 dans la partie inférieure du diagramme, sous le titre « Si les modifications proposées sont édictées ». La catégorie d'inscription de l'enfant de la sœur passe du paragraphe 6(2) au paragraphe 6(1), ce qui lui permet de transmettre les droits que lui procure le statut d'Indien inscrit aux enfants qu'elle a eus avec un non-Indien. Ainsi, les petits-enfants du frère et de la sœur seront traités avec équité.

En conclusion, le projet de loi répond directement à la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et élimine une cause de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens.

J'espère que ma description des modifications proposées vous a été utile. Nous nous ferons un plaisir de vous fournir un complément d'information en répondant à vos questions.

Je cède maintenant la parole à ma collègue, Brenda Kustra, qui vous décrira le processus exploratoire proposé par le ministre Strahl pour examiner les questions concernant l'inscription, l'appartenance et la citoyenneté dans un contexte plus global.

Brenda Kustra, directrice générale, Secteur des opérations régionales, Affaires indiennes et du Nord Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée ici ce soir. Mon nom est Brenda Kustra, et je suis ici pour informer les membres du comité du processus exploratoire portant sur l'inscription des Indiens, l'appartenance à une bande et la citoyenneté, annoncé par le ministre Strahl le jeudi 11 mars 2010.

Comme l'a mentionné mon collègue M. Gray dans son exposé, avant que le gouvernement s'engage à mettre en œuvre la décision McIvor, qui a été rendue entre août et novembre 2009, les Premières nations et d'autres groupes autochtones ont soulevé un certain nombre de questions liées à l'inscription des Indiens, à l'appartenance à une bande et à la citoyenneté au sein des Premières nations, qui vont au-delà de la décision McIvor et des modifications législatives proposées énoncées dans le projet de loi C-3.

Les Premières nations et les groupes autochtones ont également demandé au gouvernement fédéral d'enclencher un processus pour examiner et traiter en profondeur ces questions plus génériques et ont dit souhaiter que ce processus soit mené conjointement dans le but d'apporter des réformes durables.

Le ministre et le ministère reconnaissent l'importance de ces questions pour les Premières nations et les groupes autochtones. Nous reconnaissons aussi que les questions entourant l'inscription des Indiens, l'appartenance à une bande et la citoyenneté sont complexes et que les opinions des Premières nations et des groupes autochtones varient sur ces questions. Il est évident qu'une réforme plus en profondeur ne peut être faite du jour au lendemain ou de façon isolée, et qu'elle requiert d'abord la cueillette de renseignements et la détermination des questions essentielles avant d'entreprendre tout processus de changement important.

En réponse aux opinions et commentaires des Premières nations et des groupes autochtones reçus avant que le gouvernement s'engage à mettre en œuvre la décision McIvor, le ministère collaborera avec les Premières nations et les organisations autochtones d'envergure nationale, avec les Premières nations et les groupes autochtones, les organisations et les particuliers de tous les niveaux, dans le but d'examiner les questions plus générales.

J'aimerais souligner que le processus exploratoire est différent de l'initiative législative visant à mettre en œuvre la décision McIvor, et ce pour deux raisons : en premier lieu, afin de ne pas faire obstacle à l'adoption du projet de loi C-3 et de respecter l'échéancier imposé par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique; et en deuxième lieu, pour donner amplement le temps aux groupes et aux particuliers de participer aux activités dans le cadre du processus. Nous prévoyons lancer cette initiative dès le mois prochain. Une fois que nous aurons conjointement convenu d'un processus avec nos partenaires, nous serons plus en mesure de prévoir combien de temps durera le processus et comment au juste il se déroulera.

De plus, afin de créer un environnement au sein duquel les renseignements seront recueillis et examinés et où les enjeux seront déterminés, communiqués et examinés, nous prévoyons que la nature du processus sera exempte de rigidité, ce qui donnera la possibilité à toutes les parties d'exprimer leurs points de vue sur toutes les questions soulevées.

Les résultats du processus exploratoire permettront de documenter les prochaines étapes de la démarche du gouvernement en ce qui a trait aux initiatives qu'il prendra pour traiter des questions plus générales liées à l'inscription des Indiens, à l'appartenance à une bande et à la citoyenneté.

Les principaux éléments du processus exploratoire proposé sont la création d'un partenariat organisationnel avec les organisations autochtones nationales pour planifier, organiser et mettre en œuvre un processus inclusif et des activités pour examiner les enjeux. Les activités serviront d'instruments pour recueillir et diffuser des renseignements, faciliter les discussions sur les enjeux, ainsi qu'assurer la participation inclusive des Premières nations et des autres groupes autochtones, des organisations et des particuliers de tous les niveaux, ainsi que celle des autres Canadiens.

Par conséquent, le ministère a invité l'Assemblée des Premières Nations (APN), l'Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), le Congrès des Peuples Autochtones (CPA), l'Association nationale des centres d'amitié (ANCA) et le Ralliement national des Métis (RNM) à participer à la planification, à l'organisation et à la mise en œuvre du processus et des activités connexes qui porteront sur la cueillette de renseignements et la détermination des questions génériques qui seront examinées.

Sans vouloir prédéterminer la gamme des activités qui seront entreprises en partenariat avec les organisations autochtones, il est probable que le processus exploratoire sera guidé par des principes de collaboration et d'inclusivité et qu'il se déroulera dans un délai précis, avec des étapes définies.

La nature même du processus exploratoire facilitera la participation aux activités des Premières nations, des organisations autochtones de tous les niveaux — national, régional et local, et des autres intervenants intéressés.

Nous prévoyons la participation des groupes visés par des traités, des conseils tribaux, des organisations provinciales, territoriales et régionales, des organisations nationales dont je vous ai déjà parlé, des gouvernements et des collectivités des Premières nations, des membres des Premières nations inscrits et non inscrits vivant dans les réserves et hors réserves, des Métis, des groupes et des collectivités métisses, ainsi que des autres Canadiens.

On prévoit que l'utilisation de technologies et de techniques médiatiques nouvelles et traditionnelles favorisera une grande participation et un dialogue interactif avec les participants de partout au Canada. Le recours maximum à la technologie Internet moderne, en particulier, est considéré comme une façon de favoriser la participation des jeunes des Premières nations et des jeunes Autochtones. Dans ce contexte, la flexibilité des activités, dans le cadre du processus exploratoire, permettra aux participants de faire des présentations et des exposés en formats multiples — documents écrits, vidéos, enregistrements, courriel — comme moyens d'engendrer un dialogue inclusif sur les renseignements recueillis.

Au cours des prochains mois, nous collaborerons avec les organisations que j'ai mentionnées afin d'élaborer le processus exploratoire, de planifier et de mettre en œuvre diverses activités connexes. Nous souhaitons sincèrement que ce processus constituera la première étape d'un dialogue sur ces enjeux importants et que les organisations autochtones nationales deviendront nos partenaires pour concevoir et mettre en œuvre des activités qui favoriseront la participation.

Je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de m'adresser à vous. J'ose espérer que ces renseignements sur le processus exploratoire vous seront utiles. Je suis à votre disposition, avec mes collègues M. Gray et M. Reiher, pour répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie de votre exposé. Si vous n'y voyez pas d'objection, nous allons passer tout de suite aux questions des sénateurs, en commençant par le sénateur Hubley, suivie du sénateur Sibbeston et du sénateur Stewart Olsen.

Le sénateur Hubley : Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de vos exposés. Ils nous seront certainement très utiles.

J'aimerais vous poser une question au sujet des modifications proposées. Je parle du statut d'Indien, bien sûr. Si la sœur qui est inscrite en vertu du paragraphe 6(1) adopte un enfant, cet enfant est-il alors inscrit également en vertu du paragraphe 6(1)?

M. Gray : Actuellement, cet enfant est inscrit en vertu du paragraphe 6(2). Puisqu'un enfant peut acquérir le statut par naissance ou adoption, oui, on pourra modifier la catégorie d'inscription pour que l'enfant soit inscrit en vertu du paragraphe 6(1) s'il se classe dans cette catégorie et répond aux critères.

Le sénateur Hubley : Un enfant adopté serait considéré selon la loi comme un enfant naturel. Cela pourrait-il signifier qu'un enfant non autochtone pourrait être inscrit en vertu du paragraphe 6(1) s'il était adopté légalement par des parents autochtones?

Martin Reiher, avocat-conseil, ministère de la Justice Canada : Oui, lorsque l'enfant est adopté, il est sur un pied d'égalité avec l'enfant biologique.

Le sénateur Hubley : Il n'y a pas de discrimination fondée sur la race à l'égard de l'enfant. C'est ce que je me demandais durant votre exposé.

Le sénateur Sibbeston : On m'informe qu'il y a d'autres cas où il est question du statut d'Indien dans d'autres provinces. Cette décision et cette mesure législative traitent-elles de toutes les questions soulevées dans les autres affaires en cours devant les tribunaux?

M. Gray : Non. Ils traitent d'un seul aspect de la discrimination fondée sur le sexe. Je vais céder la parole à mon collègue.

M. Reiher : Le projet de loi C-3 constitue une réponse directe à la décision McIvor c. Canada, qui portait sur la situation précise qui a été décrite.

Le sénateur Sibbeston : Pouvez-vous nous parler d'autres décisions qui traitent également du statut d'Indien sur d'autres questions visant à déterminer si une personne peut être inscrite au registre puis obtenir le statut d'Indien?

M. Reiher : Les autres poursuites en cours portent sur des situations factuelles complexes. Il serait peut-être difficile de vous fournir un grand nombre d'exemples. Je peux vous donner de l'information au sujet, par exemple, d'une poursuite intentée par Mme Sanderson, au Manitoba. La situation de fait est extrêmement complexe, mais en l'occurrence, on allègue qu'il y a eu discrimination lorsqu'une arrière-arrière-arrière-grand-mère a perdu son statut en épousant un non-Indien. Les arrière-arrière-arrière-petits-enfants revendiquent maintenant le droit d'être inscrits au Registre des Indiens pour le motif qu'ils seraient victimes de discrimination fondée sur le sexe. Voilà un exemple d'une situation qui n'est pas abordée dans le projet de loi C-3.

À ma connaissance, 12 poursuites sont intentées actuellement contre le gouvernement du Canada pour contester l'article 6 de la Loi sur les Indiens, qui porte sur l'inscription au registre des Indiens. Je n'ai pas tous les détails de ces 12 poursuites à l'heure actuelle.

Le sénateur Sibbeston : Cette proposition de faire participer les organisations autochtones — et je remarque que les Métis sont inclus dans ce processus — concerne-t-elle la question des Métis? Comme vous le savez, des décisions ont été rendues par les tribunaux en ce qui concerne les droits autochtones des Métis, qui espèrent un jour être reconnus et obtenir les mêmes avantages et privilèges que confère le statut d'Indien. Le processus que vous entreprenez concerne-t- il la question des Métis au Canada?

Mme Kustra : Bien des questions seront soulevées par les diverses personnes et organisations qui choisissent d'exprimer leurs points de vue. Bien des questions au sujet des droits et de la citoyenneté dans les diverses nations seront sans doute abordées dans le cadre de ce processus. Nous n'avons pas de programme prédéfini relativement aux enjeux que nous aborderons. Nous sommes tout à fait disposés à discuter de la citoyenneté, du statut et de l'appartenance à une bande.

L'une des raisons pour laquelle le Ralliement national des Métis a manifesté de l'intérêt pour ce processus, c'est qu'un certain nombre de ses membres pourraient être admissibles à l'inscription au Registre des Indiens et qu'ils veulent avoir la possibilité d'exprimer leurs points de vue.

Le sénateur Stewart Olsen : Je vais laisser cette question de côté pour l'instant. J'aimerais que nous discutions du processus exploratoire. Quel est le budget prévu pour le processus?

Mme Kustra : À l'heure actuelle, nous n'avons pas de budget prédéfini pour le processus, parce que nous n'avons pas encore entamé la discussion avec les organisations dans le but de l'élaborer et de déterminer la participation de toutes les organisations. C'est ce que nous devrons faire avant tout; ensuite, en travaillant avec les organisations, nous élaborerons un budget.

Le sénateur Stewart Olsen : Quant à savoir si vous aurez des rencontres individuelles ou collectives avec les bandes, tout cela reste à déterminer, n'est-ce pas?

Mme Kustra : Oui, cela fera partie du déroulement du processus lorsque nous rencontrerons les organisations pour leur parler des activités qu'elles estiment appropriées pour obtenir le plus grand nombre de points de vue sur le sujet. Comme je l'ai dit, nous voulons utiliser divers instruments pour recueillir l'information. Les gens de partout au pays auront la possibilité de présenter des propositions, de soumettre des courriels et d'assister à des rencontres de temps à autre. Il nous faut encore définir ce processus avec les organisations.

Le sénateur Stewart Olsen : Je présume que vous allez nous tenir au courant à chacune des étapes pour que nous sachions comment les choses se déroulent?

Mme Kustra : Je demanderais peut-être au président du comité de nous réinviter plus tard pour faire le point sur la situation.

Le président : Je suis persuadé que le ministre nous tiendra informés des nouveaux développements, mais je vais m'en assurer. Les membres du comité pourront me le rappeler en tout temps. Je suis sûr que le ministère nous tiendra au fait de ce qui se passe, car le comité aura la chance, je l'espère, de rencontrer le ministre en privé pour discuter de certaines de ces questions.

Le sénateur Stewart Olsen : La principale question à se poser dans le cadre de ce processus sera de savoir comment nous voulons le mettre en œuvre et comment nous allons nous y prendre. Quelle est la principale question à laquelle les groupes doivent répondre?

Mme Kustra : Il s'agit d'une discussion sur les difficultés et les perceptions liées au statut, à l'appartenance et à la citoyenneté, un processus différent et distinct de la mise en œuvre du projet de loi C-3. Si le projet de loi C-3 reçoit la sanction royale, il permettra aux personnes qui satisfont aux critères de s'inscrire au registre.

Il est évident que l'on profitera du processus exploratoire pour expliquer aux gens comment s'inscrire. Il s'agit vraiment d'une vaste discussion politique par laquelle on vise à comprendre le point de vue des gens et comment ils perçoivent leur identité et leur relation avec leur gouvernement, leur nation, et cetera. Nous ne posons pas une question précise; nous entamons un dialogue.

Le sénateur Poirier : Merci pour votre présentation. Est-ce que ces modifications au processus d'inscription toucheront les Autochtones des réserves seulement, ou aussi les Autochtones hors réserve?

M. Gray : Comme je l'ai mentionné, ces modifications visent les petits-enfants admissibles des femmes qui ont perdu leur statut en épousant un non-Indien. Donc, certains vivent dans les réserves, mais beaucoup vivent à l'extérieur des réserves. Les deux groupes pourraient être touchés.

Le sénateur Poirier : Avons-nous une idée du nombre de personnes qui pourraient demander d'être inscrites?

M. Gray : Oui. Nous collaborons avec Stewart Clatworthy, un démographe de renom travaillant avec les peuples autochtones. Il a travaillé à la Commission royale sur les peuples autochtones, ainsi qu'avec des organismes autochtones et le gouvernement. Son analyse dénombre environ 45 000 personnes toujours vivantes aujourd'hui.

Le sénateur Poirier : Savons-nous à ce stade-ci combien pourrait coûter cette initiative pour les collectivités des Premières nations?

M. Gray : Non, pas encore. Nous avons entrepris une analyse des répercussions financières, programme par programme. Il est encore un peu tôt pour pouvoir parler d'un montant global. Différents facteurs entrent en ligne de compte, comme la taille réelle de la population. Comme vous l'avez indiqué dans votre première question, l'impact sur les programmes ne sera pas le même si les nouveaux inscrits habitent à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves. Quel est le groupe d'âge de cette population? Est-ce que leurs conditions de vie pourront avoir un impact sur les programmes de prestations de santé?

Les gens vont devoir présenter une demande pour pouvoir s'inscrire. On présume que cela s'échelonnera sur une certaine période. Nous allons assurer un suivi à cet égard pour nous donner une idée des coûts.

Le sénateur Poirier : À l'heure actuelle, nous ne connaissons pas l'âge des personnes qui pourraient s'inscrire. Pourrait-on assister à un effet d'entraînement, par exemple si une personne inscrite a eu un enfant qui est aujourd'hui adulte et qui a lui-même eu un enfant? Est-ce que cela pourrait se perpétuer de génération en génération?

M. Gray : Non, le processus s'applique à la troisième génération ou aux petits-enfants des femmes qui ont perdu leur statut. Les générations suivantes, hommes et femmes, sont soumises aux règles existantes en vertu de la Loi sur les Indiens.

Le président : Une personne inscrite en vertu du paragraphe 6(2) ne peut pas transmettre le statut d'Indien à son enfant. Est-ce exact?

M. Gray : Elle le peut si elle a eu cet enfant avec une autre personne inscrite au Registre des Indiens.

Le président : Oui, mais les femmes qui marient un non-Indien perdent leur statut.

M. Gray : C'est exact.

Le sénateur Raine : Il est évident que cette mesure permet de corriger une iniquité. Dites-moi, croyez-vous que l'on remédie ainsi au problème de façon juste? Êtes-vous persuadé que c'est la chose à faire?

M. Gray : Nous avons mené beaucoup d'analyses pendant l'élaboration des modifications. Personnellement, oui, j'en suis convaincu. Je ne sais pas si mon collègue veut faire part du point de vue du ministère de la Justice. J'estime que cette mesure suit adéquatement la décision du tribunal.

M. Reiher : Je suis aussi de cet avis. On respecte certainement la décision de la cour dans l'affaire McIvor c. Canada.

Le sénateur Raine : Nous n'avons donc d'autre choix que d'aller de l'avant avec ce projet de loi.

M. Reiher : Nous avons toujours le choix. Mais si on ne corrige pas le problème signalé par la cour, quand la suspension de la déclaration d'invalidité sera expirée, les alinéas 6(1)a) et 6(1)c) seront inopérants en Colombie- Britannique. Cela signifie qu'il y aurait un vide dans les règles d'inscription, une situation qui aurait sans doute des répercussions.

Le sénateur Raine : Est-ce que le processus exploratoire est en fait une consultation, ou s'agit-il de quelque chose de différent?

Mme Kustra : C'est un processus totalement différent, car nous ne faisons pas de consultation en vue d'une modification législative. Nous ne cherchons pas à avoir une rétroaction pour élaborer une autre solution. Il s'agit réellement d'un dialogue. On vise à rassembler les points de vue des gens de partout au pays, leurs idées et leurs façons de voir l'appartenance à une bande et l'inscription. C'est l'occasion pour toutes les organisations et le Canada de mieux comprendre ce qui se passe au pays. À l'issue du processus, nous pourrons faire le bilan de ce que nous avons entendu et penser à ce que pourraient être les prochaines étapes.

Le sénateur Raine : Je comprends. C'est très différent d'une consultation parce que vous voulez que les décisions évoluent à partir du processus.

Mme Kustra : Oui, c'est exact. Il ne s'agit pas d'un processus décisionnel. Nous ne sollicitons pas de proposition pour de nouvelles modifications législatives ou quelque chose du genre. C'est toutefois l'occasion pour tout le monde de se demander ce que nous pouvons faire avec toute l'information que nous avons recueillie. Ce sera aussi le moment de se poser des questions comme : Quelles sont les prochaines étapes? Qu'avons-nous découvert? Devons-nous apporter de nouvelles modifications législatives? Nous faut-il envisager d'autres solutions? C'est un processus axé sur la discussion. Nous n'avons aucune idée préconçue quant aux résultats que nous obtiendrons.

Le sénateur Raine : Dans l'affaire McIvor c. Canada, la personne à qui la règle mère/grand-mère s'appliquait bénéficiait d'un statut amélioré par rapport à ce qu'avait droit le fils de Sharon McIvor. Comment la nouvelle loi permet-elle de remédier à cette situation?

M. Reiher : En effet. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a examiné la filiation patrilinéaire et la filiation matrilinéaire dans le cas de deux générations de mariages mixtes, et a conclu qu'il y avait un écart entre les filiations patrilinéaire et matrilinéaire après 1985. La cour d'appel était prête à admettre que les traitements différents étaient justifiés dans la mesure où ils découlaient de l'ancien régime. Cependant, la cour a tranché que les changements apportés en 1985 permettaient non seulement aux personnes précédemment touchées par la règle mère/grand-mère de préserver leurs droits actuels, mais permettaient aussi au grand-père de transmettre son statut, car les personnes précédemment touchées par la règle mère/grand-mère perdaient leur statut à l'âge de 21 ans en vertu de l'ancien régime.

Avec les modifications de 1985, ces personnes conservaient leur statut à vie, ce qui constituait une amélioration dans leur cas. Il ne s'agissait donc plus de préserver les droits acquis. Les modifications de 1985 avaient ainsi entraîné de nouvelles iniquités qui n'étaient plus seulement attribuables à l'ancien régime. C'est cet aspect que la cour a jugé inapproprié, et c'est ce que nous tentons de corriger maintenant.

Comme M. Gray l'a mentionné plus tôt, pour la filiation matrilinéaire, une femme qui avait marié un homme indien avant 1985 et qui avait ensuite perdu son statut, l'enfant de cette femme, après 1985, pouvait être inscrit en vertu du paragraphe 6(2). En contraste, l'enfant du frère de cette femme bénéficiait d'un traitement différent, car il pouvait être inscrit en vertu du paragraphe 6(1). C'est ce que vise à corriger cette nouvelle modification. L'enfant de la sœur, après la mise en vigueur du projet de loi C-3, pourrait être inscrit en vertu du paragraphe 6(1). C'est ainsi que le projet de loi permet de remédier à l'inégalité soulignée dans l'affaire McIvor c. Canada.

Le sénateur Sibbeston : Lorsque Mme Kustra a dit qu'il n'y avait pas de budget et qu'il s'agissait de discussions exploratoires, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que c'est de cette façon que le MAINC fonctionne. C'est un processus de toute une vie pour vous. Il ne s'agit pas d'examiner une décision qui s'échelonnera sur un à cinq ans.

Je vois que vous empruntez la même route que le MAINC a toujours empruntée dans des dossiers tels que celui-ci. Est-ce que je me trompe? Cette décision découle de changements apportés en 1985, il y a 25 ans. Finalement, cela aura pris une décision de la cour pour que le MAINC agisse, et je crois que c'est de cette façon que les choses fonctionnent de votre côté. Pouvez-vous commenter et confirmer ce que je viens de dire?

Mme Kustra : Je vous répondrai que c'est vraiment la première fois que nous avons l'occasion de discuter des questions de l'appartenance et de l'inscription avec les organisations nationales de l'ensemble du pays. Jusqu'à maintenant, il y avait eu les modifications de 1985. Vous avez raison; aucune discussion n'avait eu lieu depuis, à savoir si les dispositions de la Loi sur les Indiens étaient appropriées ou adéquates ou non, et on n'a jamais cherché à savoir non plus ce qu'en pensaient les Premières nations de l'ensemble du pays.

Évidemment, le point de vue des collectivités des Premières nations a évolué depuis 1985, et les gouvernements des Premières nations sont très intéressés à assumer certaines des responsabilités qui sont actuellement exercées par le gouvernement du Canada. C'est réellement la première fois que nous avons l'occasion de discuter à fond de ces questions, et je crois que les dirigeants des Premières nations de l'ensemble du pays ont très hâte de prendre part à la discussion.

Le sénateur Sibbeston : Est-ce que les organisations autochtones se sont montrées réticentes à adopter des modifications telles que celles-ci? Il faut penser qu'elles devront ainsi ajouter des membres à leur liste de bande, et donc offrir davantage de services. Est-ce que vous savez si des Autochtones s'opposent à ces changements, qui entraîneraient l'ajout de nouveaux membres et, par le fait même, davantage de responsabilités pour les différentes bandes?

M. Gray : Ce sont des questions qu'on nous pose, mais je n'irais pas jusqu'à dire que les gens s'y opposent. Nous avons entendu des points de vue variés. Beaucoup de particuliers et d'organisations considèrent la chose nécessaire, encore là dans le contexte de l'égalité entre les sexes. Mais bien sûr, les gens veulent savoir ce que cela implique. Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous avons entrepris une analyse pour déterminer quels en seraient les coûts.

Le sénateur Sibbeston : Ma dernière question porte sur l'article 9 du projet de loi, qui prévoit l'absence de responsabilité de la part du gouvernement fédéral ou des bandes. Pourquoi cet article est-il nécessaire? Dans les modifications qui ont été apportées dans les années précédentes, par exemple en 1985, y avait-il un article de ce genre qui prévoyait l'absence de responsabilité de la Couronne, et même des bandes? Est-ce un nouvel article qui est établi pour s'assurer que le gouvernement fédéral n'aura pas à verser de compensation ou de dommages-intérêts à l'égard de la situation que cette modification tente de corriger?

M. Reiher : Merci, sénateur, d'avoir posé cette importante question.

Monsieur le président, voici quelques informations pour le comité. Normalement, lorsqu'un tribunal tranche qu'une loi contrevient à la Charte — d'après l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 —, la loi devient inopérante, et généralement aucune compensation n'est accordée dans le cas d'une telle déclaration, car elle ne permet pas de dédommager les personnes qui auraient pu être admissibles en vertu de l'ancien régime.

Le projet de loi C-3, pour cette raison, accorde de nouveaux droits pour l'avenir, comme c'est généralement le cas. Ainsi, l'article 9 s'y trouve pour qu'il soit bien clair pour tout le monde qu'aucune compensation ne sera accordée aux personnes qui gagnent ces nouveaux droits, auxquels ils n'étaient pas admissibles auparavant. À savoir si un article du genre avait déjà été utilisé, il y avait en effet l'article 23, si je ne m'abuse, dans le projet de loi C-31 de 1985, qui renfermait les mêmes dispositions.

Le sénateur Raine : Les activités dont vous parlez dans votre document, madame Kustra, sont essentiellement des réunions, des sondages, des assemblées ou différents moyens de recueillir de l'information auprès de la population. D'après mon expérience, je crois que la gouvernance et la structure de fonctionnement sont très différentes d'une bande à l'autre et d'une Première nation à l'autre à l'échelle du pays. Certaines ont un certain pouvoir sur leur liste de bande, d'autres pas.

Il est impossible qu'un modèle ou une définition unique de citoyenneté, d'appartenance et d'inscription cadre avec l'ensemble des différentes bandes du Canada. Ce n'est pas ce à quoi vous vous attendez, dites-moi?

Mme Kustra : J'imagine qu'il y a autant de points de vue différents sur ces questions qu'il y a de personnes dans cette salle ou à la grandeur du pays.

Nous nous attendons à recueillir une vaste gamme d'idées et de perspectives à l'égard de ces questions. Les dirigeants des Premières nations s'attendent aussi sans doute à ce qu'une foule de questions soient soulevées, même par les gens de leurs collectivités. Le processus vise à établir un dialogue et à échanger des points de vue pour mieux comprendre la situation, et non pas pour trouver une définition ou une approche commune à l'échelle nationale. Beaucoup de ces nations sont très indépendantes, tant dans leurs points de vue que dans leur façon de fonctionner, comme vous l'avez signalé.

Le sénateur Raine : Outre les services et les droits associés au statut d'Indien, il faut aussi penser aux droits d'héritage et à l'appartenance à une bande. Il se pourrait que l'enfant qui n'avait jusqu'alors pas le statut d'Indien hérite de nouveaux droits sur la propriété familiale, et cela pourrait entraîner d'énormes conflits au sein d'une famille. Est-ce que le projet de loi aborde cette problématique?

M. Reiher : Je ne sais pas si j'ai bien compris votre question, mais le projet de loi ne viendra pas changer les règles actuelles en ce qui a trait à la répartition des terres sur les réserves. Le projet de loi accordera tout simplement un nouveau droit d'inscription à certaines personnes, dont nous avons donné la description. Pour ce qui est de l'appartenance à une bande, le projet de loi s'appuie sur les règles en place, qui prévoient deux possibilités. D'abord, une bande peut avoir main mise sur sa liste de bande. Dans un tel cas, le code d'appartenance de la bande s'applique. Une personne nouvellement admissible sera ajoutée au Registre des Indiens. Pour ce qui est de l'appartenance à une bande, la personne devra en faire la demande à la bande en question. Selon les règles de la bande, la personne pourra ou non en devenir membre.

L'autre possibilité, qui touche les deux tiers des bandes au Canada, c'est que l'appartenance sera décidée par le MAINC, car ces bandes ont choisi de ne pas avoir mainmise sur leur liste de bande. Dans ce cas, le droit d'appartenance va de pair avec le droit d'inscription.

Toutefois, en ce qui a trait à l'exemple précis que vous avez donné concernant les droits de propriété sur les réserves, les règles ne seront pas changées par l'entrée en vigueur du projet de loi C-3.

Le sénateur Raine : Je vous expose un cas précis : la sœur a marié un non-Indien et a perdu son statut, et par le fait même tout droit d'héritage potentiel sur les terres de son père, qui ont été rétrocédées à la bande. Est-ce que le projet de loi C-3 s'applique uniquement aux cas futurs et pas à ceux comme celui que je viens de vous décrire?

M. Reiher : C'est exact.

Le sénateur Raine : Merci.

Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, ceci conclura notre séance d'aujourd'hui. Je remercie nos témoins d'avoir comparu devant le comité.

Honorables sénateurs, nous allons poursuivre la séance à huis clos pendant quelques minutes pour discuter d'une question relative aux communications.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


Haut de page